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Merzhin

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23.7 626034

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 310 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 23.7 ----------------------------------------------------------------------------

Merzhin

Éric Besnard

Éric

Besnard

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Il est des légendes, où des hommes ont fait

naufrage sur les côtes, jadis escarpées, de notre Bretagne. Une jeune femme, fille d’un roi et d’une défunte femme venue d’un pays lointain, dit-on, tuait bon nombre d’hommes après les avoir convoités. Une autre, vierge celle-ci, aurait été engendrée par le diable, donnant ainsi naissance à un enfant aux pouvoirs maléfiques. Tous moururent engloutis par les flots… Tous, sauf l’enfant…

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1 La météorite

Il fait un temps magnifique et le ciel bleu turquoise, dépourvu de nuages, laisse entrevoir trois magnifiques soleils jaune orangé dont la superposition forme un triangle scalène. Leurs rayons viennent frapper une dense végétation d’arbres gigantesques. Ils sont peu éloignés les uns des autres. Leurs énormes racines semi-aériennes s’entrelacent, dans une parfaite harmonie, tandis que leur feuillage touffu barre le passage au moindre rayon de soleil. Les étoiles brillent en permanence sur cette étrange planète.

Au milieu de cette immense forêt verdoyante, un lac sans fond, bleu azur, s’étale majestueusement. En son centre, émerge un petit rocher conique, de deux mètres de haut environ. À son sommet, un collier multicolore, à peine perceptible depuis la rive, étincelle de mille feux. Il rappelle qu’elle fut jadis habitée par une forme d’intelligence effacée de la

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mémoire même des dieux. Ces rais de lumière contrastent avec la pénombre

à la fois reposante et inquiétante des multiples espèces végétales aux larges feuilles. Certaines portent d’énormes fruits sphériques, jaune orangé, rappelant les trois soleils. Elles s’élancent vers le ciel et semblent pousser à l’infini.

La forêt semble impénétrable, comme refermée sur elle-même, parfaitement circulaire, et délimitée par une prairie d’un vert éclatant.

Cette nature luxuriante paraît paradisiaque. Pas une brise ne vient ébranler ce site merveilleux. Ni la cime des arbres ni les plantes ne bougent. L’immobilisme est parfait. Mais la vie n’est pourtant pas absente. Des profondeurs du lac surgissent par moments des bulles ; de l’antre de la forêt montent parfois de sourds grondements, de sombres râles ou bien de furtifs couinements. D’où proviennent-ils exactement ? Quelles créatures les émettent ? Personne ne saurait le dire, car le vert manteau végétal recèle bien des secrets, inaccessibles au commun des mortels.

Tout est paisible et grouillant à la fois. Un règne animal paraît tout de même se fondre

dans cet environnement très difficile à observer tant la végétation est dense. Une ombre en mouvement laisse deviner la silhouette d’un cheval, mais très vite la silhouette d’un hêtre à l’apparence humaine vient se superposer à cette ombre imperceptible et mouvante.

Un peu plus loin, vient se fondre une forme

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animale. Celle d’un oiseau aux larges ailes. D’autres silhouettes, plus étranges les unes que les autres, se meuvent dans cet univers tranquille et immuable depuis une éternité.

Cette activité ancestrale est toutefois sur le point d’être perturbée. L’espace d’un instant, toutes ces ombres vivantes se figent, regardant en direction des trois soleils. Une fébrilité traverse l’immense forêt et, soudain, des éclairs lumineux, jaunes, puis bleus et verts éclatent dans le ciel. Les charges électriques s’accompagnent de violentes détonations, qui fusent comme autant d’obus stridents. Une dernière explosion, plus terrible que les précédentes, clôt cette cacophonie éblouissante.

Nous sommes en 460. Quelque part dans l’espace, une planète vient d’être pulvérisée. Volonté des dieux ou hasard astronomique ? L’événement provoque en tout cas un immense souffle, qui projette dans l’espace d’énormes blocs enflammés. Certains s’égareront ; d’autres iront s’écraser dans un bruit assourdissant sur différentes planètes, à des milliards et des milliards de kilomètres de là et après plusieurs années de voyage céleste…

* * *

Année 463. Sur la côte sud de la Bretagne, une quinzaine de familles, constituées de pêcheurs et

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d’agriculteurs, vivaient en quasi-autarcie. Elles s’étaient installées au bord d’une toute petite falaise, isolée du reste du monde par une immense forêt.

Elles avaient dû quitter, le cœur serré, l’opulente cité d’Ys. Confortablement murée entre ses remparts, la cité s’élevait, belle et majestueuse. Ses pierres jaunes lui donnaient une aura presque surnaturelle. C’était un phare se dressant fièrement dans la plaine pour quiconque traversait la région. Ces remparts étaient eux-mêmes ceints par des palissades de bois provenant de la forêt.

Des rumeurs disaient — auxquelles le seigneur des lieux n’était pas étranger — que des guerriers venus de terres lointaines, par-delà les mers, tentaient d’envahir les territoires inconnus se trouvant sur leur route. La population se sentait ainsi protégée de ces pillards du bout du monde.

Gradlon, le puissant seigneur de Cornouaille, avait toute autorité sur sa ville et ses environs. Il était d’âge mûr, la barbe soigneusement taillée. Le titre de roi lui avait été transmis par son père, dont la sagesse était restée gravée dans la mémoire de tous les habitants.

Il avait hérité de son père bien des choses : son habileté au combat, son goût pour embellir la cité, son caractère irascible.

Il n’avait pas hérité, en revanche, de la même sagesse et du même discernement politique.

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La politique l’ennuyait même profondément, si bien qu’il en laissait volontiers l’initiative à ses conseillers. Cette profonde lassitude expliquait aussi les sautes d’humeur de ce roi craint et respecté. Nombre de décisions avaient été prises sous le coup de la colère ou de l’ennui. Et la brutalité avait été employée pour les faire respecter.

Ce qui faisait de lui un roi redouté, souvent mal conseillé et influençable. Il avait laissé à un prêtre, le père Corentin, l’essentiel des décisions à prendre. Un homme cruel et manipulateur, à la foi étriquée et animé par la soif de pouvoir. Mais son charisme et sa position éminemment stratégique avaient fait de lui un véritable souverain. Le roi était sous l’emprise de cet homme soi-disant de foi. La population l’avait d’ailleurs surnommé : père Corentin « aux longues dents ».

Sur le coup d’une décision arbitraire, Gradlon avait exclu ces familles hors de l’enceinte de sa chère cité.

Le sens aigu de l’intrigue politique de Longues Dents n’y était pas étranger.

Il avait réuni ses conseillers afin de décider du sort de tous les réfractaires. Une manière de réaffirmer son pouvoir et sa mainmise sur tout le territoire. Une stratégie aussi pour se débarrasser des quelques survivants de son expédition au-delà des mers.

Son territoire était vaste. Il en avait hérité de son

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père, guerrier redoutable, qui avait considérablement élargi la seigneurie. Les traces de la guerre étaient encore perceptibles : elle avait été sanglante et meurtrière. Partout dans la région, villages et hameaux portaient le deuil de ces terribles années d’affrontement entre seigneurs.

Arrivé sur le trône, Gradlon préféra cependant se lancer dans de nouvelles conquêtes, loin, vers les terres du Nord. Ce fut l’« expédition du péché ». Ainsi fut surnommée cette aventure guerrière.

Il ne lui fallut que quelques mois pour mobiliser autour de lui une flotte gigantesque de plusieurs dizaines de navires partant à l’assaut de ces terres froides et inconnues de Scandinavie. De cette expédition, dont peu survécurent, découlèrent des rumeurs étranges.

À vrai dire, cette aventure ne laissait pas non plus un bon souvenir à Gradlon.

Elle allait même le bouleverser à jamais. Car, après plusieurs mois à errer dans ces régions

hostiles, à combattre et piller sans répit, il dut faire face à une terrible mutinerie ; ses soldats refusèrent de poursuivre une conquête insensée et décidèrent de s’en retourner au pays.

Seul à poursuivre cette folie, au bord de l’épuisement, il fut aidé par une jeune femme rousse : Malgven, une reine du Nord. Elle le trouva, à demi enseveli dans les glaces du Nord, et prononça ces mots : « Je te connais, tu es courageux et adroit au

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combat. Mon mari est vieux, son épée rouillée. Toi et moi allons le tuer. Ensuite, tu m’emmèneras dans ton pays de Cornouaille. »

Ainsi fut fait.

De nombreuses rumeurs circulaient à son sujet. Quelques soldats, ceux qui revinrent sains et saufs, dirent l’avoir vu revenir, tel un mort revenant d’outre-tombe, sur un majestueux cheval noir comme le charbon, élancé et surpassant en taille et en vélocité tous les chevaux de la région. Ce cheval, Gradlon et Malgven le nommèrent Morvac’h.

Mais, égarés au milieu de vastes étendues d’eau salée, Gradlon et Malgven se retrouvèrent seuls. Cette dernière accoucha d’un bébé au milieu de l’eau et y laissa la vie, avant de murmurer à son homme ces derniers mots : « Le visage de notre enfant qui vient de naître, de notre fille… sera trait pour trait identique au mien, afin que dans ses yeux, tu me regardes toujours un peu et ne m’oublies pas. »

Il n’empêche que beaucoup gardaient à l’esprit que la puissance de Gradlon était fondée sur la mort et le sang. Les quelques guerriers revenus disparurent mystérieusement. Un seul, qui connaissait le secret des plantes guérisseuses, avait survécu et fut capable de témoigner de cette aventure désastreuse. Il fallut alors s’en débarrasser en le bannissant, lui et ses soutiens, ainsi que sa famille, loin d’Ys.

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C’est au cours de cet épisode douloureux qu’était née une autre rumeur, qui devint une légende, puis une prophétie. Comment était-elle née ? Nul ne saurait le dire avec certitude. D’aucuns prétendent qu’elle était issue d’une exégèse du Nouveau Testament d’un obscur moine stylite que la vie de privations et de souffrances avait conduit à la folie.

Elle était devenue aussi une poésie que l’on chantait le soir au coin du feu :

« Dans le ciel noir et rougeoyant de cendres, les morts ne seront pas vains. Le souffre et la boue que les démons ont déversés recouvrent le monde. L’homme n’est plus qu’une bête ; Dieu a détourné sa face de ses enfants. Les forces obscures triomphent en ce bas monde. Comment espérer ? Où est la lumière ? Dieu, dans son infinie sagesse, n’a pas totalement laissé l’humanité échouer comme un navire sans capitaine. Un homme désigné par le destin portera le renouveau et l’espoir. Celui qui portera la pierre des étoiles et dont les éclairs couleront en lui comme la sève dans les arbres, sera l’élu. Il apportera l’équilibre et la lumière. »

La fille de Gradlon, quant à elle, était l’objet de sombres rumeurs qui en ternissaient la gentillesse et la douceur.

Elle était d’une incroyable beauté, les cheveux longs, blonds et bouclés, comme feu sa mère Malgven, reine d’un pays lointain. Elle avait formulé une requête auprès de son père. Elle avait demandé que ces gens

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puissent habiter à leur guise une partie des terres, à quelques kilomètres, au bord de la mer. C’était un endroit difficilement accessible et sans aucun intérêt, situé sur une petite falaise d’une dizaine de mètres à peine de hauteur au-dessus du niveau de la mer et entourée essentiellement par une forêt dangereuse, peuplée d’animaux sauvages et de quelques petites étendues d’eau ici et là. Les quelques parcelles de terre, au sol rude et ingrat, en faisaient un lieu repoussant. Peu étaient ceux qui osaient traverser cette forêt lugubre.

Le roi céda une fois de plus à la requête de sa fille adorée. Comme lorsqu’elle lui demanda de laisser Morvac’h, qu’elle aimait tant (car il lui rappelait sa mère mais également parce qu’il était très vieux), sortir de son écurie.

Comme il aimait beaucoup sa fille, il demanda même de laisser les bannis en paix, interdisant quiconque de côtoyer ces félons sous peine de mort. Il avait d’ailleurs posté deux gardes à l’orée de la forêt, empêchant ainsi toute communication. Les exilés avaient toutefois la permission de revenir au fort lors des échanges commerciaux, des foires et fêtes annuelles entre juin et août.

Ainsi, les quelques réfractaires s’étaient retirés au bord de cette petite falaise. Naquit alors un minuscule petit village constitué de seize chaumières dans l’endroit le plus escarpé des côtes de la Cornouaille

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française.

La demande de la fille du roi n’était pas anodine. En effet, le prêtre de la paroisse, le père Yannis, avait aussi été évincé par le roi non sans avoir été sous l’influence du père Corentin « aux longues dents ». Peut-être le soupçonnait-on d’avoir eu en confession celui dont on voulait se débarrasser.

Or, la fille du roi s’était liée d’amitié avec l’ancien prêtre de la cité en venant souvent demander l’absolution de ses péchés. Elle avait tout juste vingt ans et la mauvaise habitude de choisir des amants dont elle se lassait très vite.

Tous, d’ailleurs, disparaissaient dans des conditions étranges. Ses rivales jalouses prétendaient qu’elle les poussait du haut de la falaise, dont son père interdisait l’accès, les offrant ainsi en offrande à sa défunte mère dont le corps jeté à l’eau au cours d’une longue traversée reposait au fond des eaux. Une traversée au cours de laquelle elle était née.

Elle pouvait donc continuer ses visites auprès du prêtre, ce qu’elle fit très régulièrement et plus discrètement qu’auparavant. Néanmoins, l’accès à la falaise était si difficile et la forêt si dangereuse, qu’il lui fallut emprunter une toute petite rivière, très étroite, à travers ces bois jusqu’à l’ouest où était situé le petit village. Cette rivière se divisait en deux à l’approche dudit village : l’un des cours d’eau continuait sa course au bord de la falaise pour se jeter en cascade

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dans la mer, tandis que l’autre partant du ru traversait la forêt en contournant le site au nord-est des exilés. Ce qui les isolait mais les protégeait aussi de certaines bêtes sauvages qui n’appréciaient pas trop les baignades. Ce ru terminait donc sa course à l’est du village des exilés en pleine forêt, dans un étang de taille moyenne, parfaitement dissimulé par la végétation, et situé en contrebas de la falaise presque au niveau de la mer. Il devait certainement aussi couler de manière souterraine.

Cette forêt était infestée d’animaux dangereux tels que des ours ou des loups. Elle avait été surnommée par les habitants d’Ys, à un moment bien précis de son existence que nous découvrirons, le « Bois Vivant ».

Dahut, pour s’y rendre, empruntait donc le cours d’eau et utilisait une minuscule petite barque qu’elle dissimulait sous des feuillages à la vue de tous et des gardes, notamment. Elle était toujours accompagnée de Maëlice, une domestique.

Le village était tout en longueur, face à la mer. Il s’étendait du bord ouest de la rivière, où était située la première habitation, celle du père Yannis, la plus grande afin d’accueillir ses fidèles, au bord est du second bras de la rivière, à l’entrée du bois non loin de l’étang. Les seize habitations, quant à elles, étaient édifiées les unes à côté des autres en quinconce et séparées par une allée centrale.

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Il existait au sein de cette petite communauté une entente magnifique basée sur l’entraide et où personne ne manquait de rien. Chaque famille avait sa propre parcelle de terrain à cultiver, pas très importante, certes, mais suffisante pour faire vivre toute la petite communauté. Les parcelles étaient situées à quelques dizaines de mètres au-dessus de leurs huttes à l’orée de la forêt. Ils étaient tous parfaitement bien organisés et cultivaient chacun des produits différents qu’ils se partageaient à l’occasion d’une fête annuelle organisée après les différentes récoltes.

C’était une coutume qu’ils avaient perpétuée après le départ plus ou moins forcé de leur village natal.

Ces habitants étaient loin d’imaginer qu’ils allaient vivre la plus extraordinaire histoire de leur vie et devoir s’adapter à un nouveau mode de vie aussi curieux que mystérieux. Ils ne savaient pas non plus que cet exil ne serait pas le dernier.

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2 Le destin des hommes du Nord

L’été prenait fin, marqué par la fête annuelle où les échanges des petits commerces s’étaient déroulés durant toute la journée dans une très grande sérénité.

Les années de guerre avaient enfin laissé place à la gaieté. Une foule de voyageurs, d’habitants de la cité et de saltimbanques se pressait autour des remparts. Les clameurs des spectateurs et des marchands apportaient un peu d’insouciance et de convivialité, loin des intrigues du château.

Une grande place était réservée juste à l’entrée du village, devant le château du roi Gradlon. Les exilés venus vendre leurs produits au fort n’étaient toutefois pas autorisés à participer au festin du soir organisé autour de grandes tables en compagnie du roi et animé par une troupe de musiciens et chanteurs. Mais qu’importe, tous les produits étaient vendus ou échangés et le reste de leur communauté, resté au village, avait préparé leur propre tablée. Les cochons terminaient leur cuisson sur leur broche, les poulets

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découpés avaient été disposés sur les tables et les légumes récoltés durant l’année étaient en train de mijoter dans une dizaine de marmites, chacune placée aux abords des tables, sur un foyer parfaitement bien conçu avec des pierres agencées en cercle. Il ne manquait plus que le retour des amis commerçants pour commencer les festivités rituelles et faire ripaille.

La petite communauté d’exilés s’en allait vendre sa maigre production : pots en terre cuite, peaux de bêtes, outils agricoles… L’opulence leur était bien étrangère en temps normal.

Mais la foire était une occasion d’embellir leur morne quotidien.

Ils étaient guidés, au retour, par le patriarche, Merlin, père de la jeune Adénora.

Merlin était un homme de petite taille, mince, sec, les yeux multicolores et mesurant tout juste un mètre cinquante. Peu bavard, c’était un excellent chasseur et cultivateur. Il était aussi le plus âgé des habitants du petit hameau. La bonne quarantaine, il passait pour un homme sage et réfléchi, pesant avant toute action le pour et le contre.

Il avait été considéré par les hommes du roi comme l’un des chefs de l’opposition qui était née durant ce que l’on appelait désormais « l’expédition du péché » ou « le voyage sans retour », en dénonçant les morts inutiles et les impôts toujours plus injustes. Lorsqu’il fut arrêté, il ne dénonça pas ses comparses, même sous la torture qui faillit bien lui coûter la vie.

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Féru d’herbes médicinales et de décoctions, il ne dut son salut qu’à sa science de la guérison. Seul survivant de la folie de conquête de Gradlon dans les terres du Nord, il était respecté par les autres membres du village des bannis.

Sa fille était une jeune fille de quinze ans. Elle suivait, le regardant avec admiration. Elle était accompagnée par les quelques adolescents qui partageaient son quotidien de bannis. Elle était l’aînée de la petite cellule familiale qu’elle constituait avec son frère Erwan, né un an après elle. La famille s’était par la suite élargie de jumeaux, Titouan et Konogan. Malheureusement, quelques mois après leur naissance, leur mère fut tuée par un ours devant leurs yeux. Titouan, surnommé Titou, en garda à jamais des séquelles physiques. Un toc qui lui faisait faire toujours le même geste : passer sa main gauche sur ses yeux. Peut-être pour ne pas voir la scène d’horreur dont il avait été témoin lors de l’agression de sa mère. Konogan et Titou avaient toujours connu le village. Très solidaires, ils étaient complices, même dans leurs bêtises, que leur pardonnaient pourtant leur grand frère et leur grande sœur. Cette dernière jouait également le rôle de maman auprès de ces deux chenapans.

Adénora ressemblait d’ailleurs de manière étonnante à sa mère : les mêmes yeux clairs comme l’azur et de longs cheveux noirs, épais, ondulant sur ses épaules. À chaque fois que son père la regardait, il

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se souvenait avec un pincement au cœur de Marie-Jeanne, sa bien-aimée. Elle refusait d’attacher ses longs cheveux noir corbeau comme les autres jeunes filles et préférait les laisser flotter au gré du vent, si bien qu’ils étaient souvent emmêlés par la brise venant du large. Elle disait que de les attacher lui donnerait l’impression d’être prisonnière et c’était sa façon à elle d’être elle-même, de se rebeller contre les convenances, la différenciant ainsi de sa mère qui était soumise aux traditions et qui n’avait jamais enfreint les règles du village et de la nouvelle communauté.

Elle n’avait jamais déçu sa famille et son père en était très fier. Il adorait partager ses connaissances en matière de plantes et d’herbes avec elle. Adénora se révéla douée pour combiner les vertus de la nature, dans tout ce qu’elle offre de protection et de soin.

Quant à Erwan, de corpulence semblable à celle de son père, les yeux et cheveux bruns, son seul plaisir était d’accompagner son père à la chasse.

C’est donc dans une très grande convivialité que se termina tranquillement le banquet des trente-cinq membres que comprenait cette petite communauté, tous ravis d’avoir vendu et échangé leurs produits artisanaux, de culture et d’élevage.

Ce soir-là, le temps était sec et froid. Le ciel dégagé laissait apercevoir une magnifique lune en forme de croissant d’une blancheur éclatante.

Comme à leur habitude, et depuis deux ans déjà, Adénora et son frère Erwan aimaient s’éclipser au