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ALEXANDRE BASTIEN Mesures de tensions membranaires chez E.coli Sondes potentiométriques, canaux ioniques et techniques d’électrophysiologie Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en physique pour l’obtention du grade de Maître ès sciences (M.Sc.) FACULTÉ DES SCIENCES ET DE GÉNIE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2010 ©Alexandre Bastien, 2010

Mesures de tensions membranaires chez E · Chapitre1 Introduction Le système de locomotion chez la bactérie Escherichia coli est une merveille nan- otechnologique,fruitdemilliardsd’annéesd’évolution[4].Ilestcomposéd’unmoteur

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ALEXANDRE BASTIEN

Mesures de tensions membranaires chez E.coliSondes potentiométriques, canaux ioniques et techniques

d’électrophysiologie

Mémoire présentéà la Faculté des études supérieures de l’Université Lavaldans le cadre du programme de maîtrise en physique

pour l’obtention du grade de Maître ès sciences (M.Sc.)

FACULTÉ DES SCIENCES ET DE GÉNIEUNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2010

©Alexandre Bastien, 2010

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Résumé

Le défi proposé était d’obtenir une mesure en direct du voltage présent sur unemembrane bactérienne. D’abord, nous avons construit et inséré dans nos cellules E.coli un plasmide contenant le canal ionique dépendant du voltage NaChBac (Bacillushalodurans). La mesure d’une discontinuité dans le courant (au voltage bien documentécorrespondant à l’ouverture du canal) devait permettre de calibrer la tension appliquée.Malheureusement, la présence de courants de fuite a masqué ce signal. Parallèlement,nous avons marqué la membrane avec l’ANNINE-6plus, une sonde fluorescente poten-tiométrique soluble dans l’eau à large décalage Stark. La fluorescence mesurée variaitde ∼1,5 % pour un changement de 150 mV sur la membrane. À notre connaissance,il s’agit des premières mesures optiques en temps réel du voltage sur une membranebactérienne, bien qu’il faille en améliorer le signal et la robustesse.

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Abstract

The challenging proposition of this project was to obtain a direct measure of thevoltage present across a bacterial membrane. First, we constructed and inserted intoour E. coli cells a plasmid containing the voltage-gated ion channel NaChBac (Bacillushalodurans). The measurement of a discontinuity in the current (at the well documentedvoltage at which the channels open) could be used to calibrate the voltage applied.Unfortunately, we failed to detect the ion channel current because of large leak currents.In parallel, we labeled the membrane with ANNINE-6plus, a large Stark shift watersoluble voltage-sensitive dye. The fuorescence intensity was observed to vary by ∼1,5 %for a 150 mV change in the voltage. To our knowledge, this might be the first opticalmeasurement of real-time voltage change in bacteria. However, many improvementscould be performed to improve the signal and its robustness.

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Avant-propos

Ce mémoire de maîtrise se veut une exploration de techniques à la croisée deplusieurs domaines. De la physique à la génétique, en passant par la microbiologie,l’électrophysiologie et l’optique, ce travail fut une fantastique occasion pour moi d’ap-profondir mes connaissances de la nature et de son élégante complexité.

J’aimerais remercier mon directeur de recherche, le Professeur Simon Rainville, pourses conseils, son support constant, sa grande générosité et son enthousiasme. Je tiensaussi à remercier mon collègue et ami Mathieu Gauthier pour sa grande patience etson précieux soutien technique dans le laboratoire. Je souhaite remercier le ProfesseurRoger Lévesque ainsi que Madame Iréna Kukavica-Ibrulj d’avoir guidé et supporté montravail en génétique. Je remercie aussi le Professeur Jay Nadeau pour le plasmide etl’idée du canal ionique, Stéphane Pagès pour ses conseils concernant les sondes poten-tiométriques, le Professeur Daniel Côté pour la suggestion d’éventuellement utiliser desbactéries de type Gram positif et Patrick Larochelle pour son soutien technique.

Je remercie le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada(CRSNG), le Fonds québécois de recherche sur la nature et les technologies (FQRNT)et le Centre d’optique, photonique et laser de l’Université Laval (COPL). Sans leursoutien matériel et financier, ces travaux n’auraient pas été possibles.

J’aimerais finalement remercier mes parents, Carole et Luc, pour leur soutien moralet financier tout au long de mon cheminement, ainsi que ma bien-aimée Émilie pour sapatience et son soutien moral.

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À mes parents, Carole et Luc.À Émilie.

There’s real poetry in thereal world. Science is thepoetry of reality.

– Richard Dawkins

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Table des matières

Résumé ii

Abstract iii

Avant-Propos iv

Table des matières vii

Liste des tableaux viii

Table des figures x

1 Introduction 1

2 Moteur flagellaire et force protomotrice 42.1 Rotation du moteur flagellaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42.2 Chimiotaxie et inversement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62.3 Crochet et filament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72.4 Force protomotrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

3 Système in vitro et préparation des expériences 123.1 Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123.2 Fonctionnement du montage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123.3 Cultures bactériennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143.4 Types de marquages possibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

4 Éléments de théorie sur les sondes potentiométriques 164.1 Sondes chargées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164.2 Sondes à redistribution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174.3 Sondes à réorientation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174.4 Sondes électrochromiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184.5 Choix d’un type de sonde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

5 Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 21

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vii

5.1 Mesures spectrométriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215.1.1 Spectroscopie en solution ou suspension . . . . . . . . . . . . . . 225.1.2 Spectroscopie alternative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245.1.3 Modèle de la sensibilité au voltage . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

5.2 Ionophore CCCP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305.2.1 Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305.2.2 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

5.3 Système in vitro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345.3.1 Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345.3.2 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 365.3.3 Contrôles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

5.4 Problèmes, limitations et observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 425.4.1 Calcul de diffusion pour marquage intrapipette . . . . . . . . . . 48

5.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

6 Éléments de théorie sur les canaux ioniques et la génétique 536.1 Survols des techniques génétiques utilisées . . . . . . . . . . . . . . . . 54

7 Canaux ioniques : méthodes et résultats 587.1 Création d’une souche bactérienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 587.2 Mesures des courants ioniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

7.2.1 Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 657.2.2 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

7.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

8 Conclusion 71

Bibliographie 74

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Liste des tableaux

5.1 Changement relatif de la fluorescence à l’ajout ou au retrait de l’ionophore 33

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Table des figures

1.1 Déplacements et culbutes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

2.1 Le moteur flagellaire bactérien et la structure de l’anneau C . . . . . . 52.2 Le complex MotA/MotB . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62.3 Modèle d’inversion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102.4 Structure d’un filament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112.5 Survol des sources et utilisation de la FPM . . . . . . . . . . . . . . . . 11

3.1 Le système in vitro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

4.1 États du marqueur Di-4-ANEPPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184.2 Décalage Stark et changement de fluorescence . . . . . . . . . . . . . . 194.3 ANNINE-6plus et ANNINE6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204.4 Changement de fluorescence de l’ANNINE-6 tiré de [22] . . . . . . . . . 20

5.1 Spectres du Di-S-C3(5), du RH421 et de l’AF546 . . . . . . . . . . . . . 235.2 Spectre de l’ANNINE-6plus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255.3 Techniques d’analyse pour les spectres de l’ANNINE-6plus . . . . . . . 255.4 Excitation de l’ANNINE-6plus avec et sans ionophore . . . . . . . . . . 275.5 Modèle pour la fluorescence relative de l’ANNINE6-plus . . . . . . . . . 285.6 Erreur sur le modèle pour la fluorescence relative de l’ANNINE6-plus . 285.7 Schéma du montage pour l’expérience de l’ionophore . . . . . . . . . . 315.8 Région d’intérêt de l’expérience d’ionophore . . . . . . . . . . . . . . . 315.9 Fluorescence pour l’expérience d’ionophore . . . . . . . . . . . . . . . . 325.10 Fluorescence d’une bactérie insérée dans la micropipette . . . . . . . . 365.11 Fluorescence mesurée et tension appliquée sur une bactérie . . . . . . . 375.12 Fluorescence filtrée, moyennée et interpolée pour évaluer ∆F/F . . . . 375.13 ∆F/F en fonction de temps. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 385.14 ∆F/F en fonction de temps. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 395.15 Fluorescence mesurée avec le filtre d’émission rouge (628 ± 20 nm). . . 395.16 Fluorescence mesurée avant de percer la membrane bactérienne . . . . 405.17 Fluorescence mesurée avec différents foyers initiaux . . . . . . . . . . . 415.18 Fluorescence d’une bactérie coupée aux deux extrémités . . . . . . . . 435.19 Effondrement local d’une section de la membrane. . . . . . . . . . . . . 43

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x

5.20 Signal de fluorescence lors de l’effondrement de la membrane . . . . . . 445.21 Sensibilité de la région d’intérêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 455.22 Région d’intérêt typique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 465.23 Efficacité non uniforme du marquage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 465.24 Observations surprenantes en fluorescence . . . . . . . . . . . . . . . . 47

6.1 Canal ionique général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 546.2 Caractéristiques de courant tiré de [19] . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

7.1 Schéma des étapes pour la construction d’une souche . . . . . . . . . . 597.2 Carte du plasmide eucaryote pNaChBac-IRES2-DsRed2. . . . . . . . . 607.3 Digestions sur le plasmide pNaChBac-IRES2-DsRed2 et pUCP19 . . . 627.4 Digestions EcoR1-Pst1 sur le plasmide pNaChBac-IRES2-DsRed2 . . . 627.5 Croissance de la souche AB13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 647.6 Mesure du courant pour une série de dépolarisations . . . . . . . . . . . 667.7 Correction de la capacitance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 667.8 Courant transmembranaire isolé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677.9 Courant des dépolarisations pour une pipette sans bactérie . . . . . . . 687.10 Charge normalisée pour deux bactéries et pipette vide . . . . . . . . . . 687.11 Technique d’analyse des signaux de courant . . . . . . . . . . . . . . . 69

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Chapitre 1

Introduction

Le système de locomotion chez la bactérie Escherichia coli est une merveille nan-otechnologique, fruit de milliards d’années d’évolution [4]. Il est composé d’un moteurrotatif réversible, d’un filament hélicoïdal et d’un réseau sensitif influençant la directionde rotation du moteur. Comme E. coli , de nombreuses espèces de bactéries naviguentdans leur milieu de manière active, c’est-à-dire qu’elles se déplacent vers les zones quileur sont plus favorables en effectuant ce qu’on appelle une marche aléatoire biaisée [5]ou chimiotaxie.

Chez E. coli, cette marche aléatoire est composée d’une alternance de déplacementsen ligne droite et de culbutes qui réorientent aléatoirement la direction de la nage(voir fig. 1.1). Lorsque la bactérie traverse un gradient chimique favorable, son systèmesensitif réduit la fréquence des culbutes. En moyenne, les bactéries se dirigent donc versles milieux plus favorables.

E.coli est un bacille Gram négatif péritriche. Il possède en moyenne 4 à 6 filamentsrépartis aléatoirement sur sa surface. La géométrie des filaments requiert une rotationantihoraire (AH) pour avoir une coopération efficace entre ceux-ci. En rotation (AH),ils forment un amas permettant la propulsion. Si un ou plusieurs filaments entrent enrotation horaire (H), la bactérie culbute 1.

Non seulement le moteur flagellaire peut inverser presque instantanément (≤1 ms)son sens de rotation [34], mais il fait tourner le filament à ∼ 100 Hz permettant à labactérie de se déplacer à une vitesse de 30 fois son diamètre par seconde [4]. Ce moteur

1. Pour être exact, le filament qui passe de (AH) → (H) se sépare de l’amas et subit une série detransformations polymorphiques avant d’éventuellement retourner en rotation (AH) et de réintégrerl’amas pour un prochain déplacement. Le tout a pour effet de changer la direction de la nage. [5]

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Chapitre 1. Introduction 2

Figure 1.1 – Déplacements et culbutes [38].

possède une des structures les plus complexes que l’on peut trouver chez les bactéries [6].Une vingtaine de protéines différentes sont nécessaires à l’assemblage tandis que 40 à 50gènes sont impliqués dans l’expression et la régulation de ces protéines. Toutefois, E. colireste l’organisme de choix pour l’étude des nanomoteurs rotatifs pour plusieurs raisons.D’abord, c’est une bactérie facile à manipuler, la division est rapide et elle peut croître enprésence d’oxygène. Cela en a fait un organisme modèle depuis plusieurs décennies. Songénome est connu depuis suffisamment longtemps pour qu’il soit simple de le modifieret d’y repérer les gènes codant pour les protéines importantes à la chimiotaxie et à laconstruction du flagelle. En fait, E. coli est à la biologie moléculaire ce que la souris delaboratoire est à la médecine.

Au cours des quarante dernières années, nous en avons bien appris au sujet dela locomotion bactérienne, en particulier chez E. coli. Nous en savons beaucoup sur lamanière dont le système sensitif fonctionne. Nous connaissons les routes de signalisationchimiotaxique et les protéines qui sont impliquées dans le biais du moteur [8]. Nousconnaissons la disposition relative des protéines composant le moteur et comment ellessont imbriquées dans les trois couches de la membrane [7]. Nous savons que le moteurn’est pas alimenté à l’ATP, mais bien par la force protomotrice (FPM) [27]. Nous savons

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Chapitre 1. Introduction 3

comment le filament est construit et exporté à l’extérieur de la cellule [12]. Nous savonsquelles sont et comment sont disposées les unités génératrices de couple (UGC) [20].Nous savons aussi que la rotation du moteur se fait en pas discrets et non pas de manièrecontinue [35].

Toutefois, bien des questions restent sans réponse, dont la plus fondamentale : com-ment les UGC induisent-elles le mouvement ? C’est-à-dire, comment, au niveau molécu-laire, le moteur flagellaire tourne-t-il ? Une fois que nous aurons la réponse à cettequestion, bien d’autres questions sans réponse trouveront une explication. Comme, parexemple, comment le moteur inverse-t-il son sens de rotation ? Ou comment le flux deprotons active-t-il les unités génératrices de couple ?

C’est dans l’optique de contribuer à résoudre ces énigmes que notre groupe derecherche a développé un système in vitro permettant d’isoler et de contrôler un ouplusieurs moteurs flagellaires [18]. Le système est similaire à un montage d’électro-physiologie de type patch-clamp à cellule entière, si ce n’est que la cellule se trouve àl’intérieur de la pipette. Il permet d’appliquer une tension choisie sur la membrane bac-térienne, d’avoir accès chimiquement à l’intérieur de la cellule et de mesurer la rotationdes filaments.

Cependant, un des problèmes inhérents au système est la mauvaise qualité du scelléélectrique entre la pipette et la bactérie (∼ 300 MΩ contre plus d’un GΩ pour un bonscellé en électrophysiologie classique). Pour pallier ce problème, nous avons tenté dedévelopper une manière de mesurer de manière indépendante le voltage qui apparait depart et d’autre de la membrane bactérienne lorsque nous appliquons une tension sur lamicropipette. L’objectif de cette démarche est de calibrer les données recueillies avecle système in vitro, mais aussi, d’une manière plus générale, de mesurer et d’étudier latension électrique sur la membrane bactérienne.

Au fil de ce mémoire, nous allons décrire les deux techniques qui ont été exploréesdans le but d’obtenir une mesure de la tension membranaire dans une perspectived’étude du moteur flagellaire et de la force protomotrice. Au chapitre 2, nous décrironsles principales composantes du flagelle et du système de locomotion bactérien. Ensuiteau chapitre 3, le système in vitro permettant l’application directe d’une tension surla membrane sera abordé ainsi que les divers préparatifs aux expériences telles que lemarquage des bactéries. Les chapitres 4 et 5 décriront les sondes potentiométriquesutilisées, et présenterons les résultats obtenus en spectroscopie, avec un ionophore enchambre d’écoulement ou sur le système in vitro. Finalement, la construction d’unesouche bactérienne possédant le plasmide pNaChBac sera décrite dans les chapitres 6et 7 ainsi que les courbes de courant obtenues grâce à cette souche.

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Chapitre 2

Moteur flagellaire et forceprotomotrice

2.1 Rotation du moteur flagellaire

Le moteur flagellaire, chez E. coli, est une machine rotative réversible d’environ45 nm de diamètre [34]. La figure 2.1 indique les principales composantes du moteuret les protéines dont elles sont constituées. Comme tout moteur rotatif, le moteur flag-ellaire bactérien est composé d’un stator, d’un rotor, d’une tige et d’un mécanisme deroulement. Le rotor est construit à partir de l’anneau C et de l’anneau MS qui estattaché à la tige. Celle-ci transmet le couple au crochet qui fait office de joint universelflexible. La flexibilité du crochet permet de transmettre la rotation au filament touten permettant à celui-ci de tourner dans un axe différent, ce qui est nécessaire à lamotilité. Les anneaux P et L font office de mécanisme de roulement bien qu’il ne soittoujours pas clair si l’un ou l’autre est en rotation par rapport à la membrane cellulaireextérieure (ME) ou par rapport au peptidoglycane (PG) [34].

À la différence d’un moteur classique, les stators sont des unités indépendantes. Ilssont composés de deux protéines MotB et de quatre MotA. L’ensemble MotA/MotBforme un stator ou ce qu’on appelle une unité génératrice de couple (UGC). Les UGCssont libres de se déplacer dans la membrane cytoplasmique (MC) qui forme une mosaïquefluide de phospholipides. Elles sont alimentées par le flux de protons (FPM) traversantla membrane de l’extérieur vers l’intérieur. Tel qu’indiqué à la figure 2.2, le site deliaison peptidoglycane (SLPG) du MotB s’ancre à la couche de peptidoglycane tandisqu’une hélice-α du MotB et deux hélices-α du MotA (la 3e et la 4e) forme le pore d’un

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Chapitre 2. Moteur flagellaire et force protomotrice 5

Figure 2.1 – Le moteur flagellaire bactérien et la structure de l’anneau C [34].

canal ionique. Lorsqu’un certain nombre de protons traversent le pore et se lient ausite de liaison ionique (SLI), un changement de conformation est induit dans MotAentrainant une interaction entre les résidus chargés de MotA (R90, E98) et certainsrésidus de FliG (protéine de l’anneau C). C’est à ce moment que le couple est généré[34]. De plus, il semble que la FPM soit nécessaire à l’attachement de MotB au pepti-doglycane [16, 24]. Cependant, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de structure atomiquedu stator. L’information sur la topographie et les fonctions des différents sites provientdonc d’analyse biochimique et génétique.

On note aussi que l’interaction prédite doit générer des pas discrets (comme unmoteur pas à pas). Ceci a été confirmé en 2005 par Sowa et al [35]. Un nombre de 26 paspar révolution a été observé, ce qui correspond bien à la périodicité de la protéine FliGoù l’on suspecte l’interaction générant le couple.

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Chapitre 2. Moteur flagellaire et force protomotrice 6

Figure 2.2 – Le complex MotA/MotB [7] dans [34].

2.2 Chimiotaxie et inversement

Le moteur flagellaire bactérien diffère aussi d’un moteur classique par sa capacitéà inverser son sens de rotation en moins d’une milliseconde. Bien que cela paraissesurprenant, il faut comprendre, qu’à cette échelle, aucune des pièces mobiles ne possèdeune inertie suffisante pour limiter le temps de réponse du système. Il s’agit d’un régimesuramorti et seul le coefficient de traînée (la viscosité) est considérable. C’est commesi la bactérie et toutes ses pièces mobiles se trouvaient dans un milieu extrêmementvisqueux. À titre de comparaison, le nombre de Reynold 1 pour un humain qui nage estd’environ 104, pour un petit poisson 102 et pour E. coli environ 3· 10−5 [30].

Ainsi, le moteur peut s’inverser rapidement. L’inversion est la réponse finale d’unsystème chimiotactique complexe. Comme l’étude de la signalisation en chimiotaxie estun vaste domaine et qu’elle ne fait pas partie de ce mémoire, nous nous limiterons auxinteractions entre la protéine régulant l’inversion (CheY-P) et le complexe d’inversion(anneau C). CheY-P est la version phosphorylée de la protéine CheY. Cette protéinediffuse librement dans le cytoplasme. La concentration du CheY phosphorylé est con-trôlée par le système de signalisation chimiotactique dont le signal d’entrée provient de

1. Il s’agit d’un rapport sans unités quantifiant l’importance relative des forces d’intertie et desforces visqueuses

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Chapitre 2. Moteur flagellaire et force protomotrice 7

protéines transmembranaires servant de récepteurs. En présence d’un agent chimiqueattractif, la concentration de CheY-P baisse. Cela a pour effet de diminuer la fréquencedes inversions du moteur. Un modèle permettant de bien expliquer ce comportementest celui des protomères bistables [3] illustrés à la figure 2.3. Un protomère est forméde quatre FliN formant un anneau et un FliM. Il existe deux configurations stablespossibles. Une favorise la rotation horaire (H) tandis que l’autre favorise la rotationantihoraire (AH). L’énergie libre de la configuration AH est plus basse que la configu-ration H. Cela fait en sorte qu’en moyenne la rotation est AH, ce qui est nécessaire àla propulsion efficace de la bactérie. Cependant, lorsque le CheY-P se lie au protomère,c’est la configuration H qui a l’énergie la plus basse. Cela fait en sorte qu’une grandeconcentration de CheY-P augmentera la fréquence des culbutes de la bactérie. De plus,un changement H → AH ou AH → H aura tendance à se propager, car deux pro-tomères côte à côte ne sont pas stables lorsqu’ils ont des configurations différentes. Lesdonnées expérimentales semblent s’accorder avec ce modèle si bien qu’il permet mêmed’expliquer la dépendance de la probabilité d’inversion à la charge sur le moteur 2 [42].

2.3 Crochet et filament

Les filaments sont des polymères d’une seule protéine, la flagelline ou FliC. Celle-ciest produite à l’intérieur de la cellule et est pompée au travers du filament en con-struction par l’appareil d’exportation situé sous l’anneau MS. Les FliC s’organisent enspirales de 11 protofilaments en alternance dans leur conformation longue et courteassurant la forme hélicoïdale du filament telle qu’illustré à la figure 2.4. La longueurdu filament (∼10 µm) est contrôlée par un processus complexe impliquant la protéineFlgM [1]. Une protéine chapeau (FliD) assure l’insertion des monomères dans le fil-ament et ferme l’extrémité extracellulaire du canal d’exportation [41]. La croissanceet l’arrangement du crochet sont très semblables à celles du filament si ce n’est qu’ilest composé de protéine FlgE et que sa longueur (∼55 nm) est strictement contrôléepar FliK. Rappelons cependant que le crochet fait office de joint universel et qu’il estflexible.

La souche bactérienne utilisée dans le système in vitro décrit au chapitre 3 a subiune modification génétique dans la protéine FliC. On y a implanté une cystéine encontact avec le milieu de sorte qu’un lien cystéine-maléimide puisse s’effectuer avec, parexemple, le fluorophore Alexa Fluor™546 C5 maleimide 3. Cela permet d’effectuer un

2. La charge représente le moment de force dû au coefficient de traînée du filament. Pour variercette charge, il est commun d’attacher des billes de différentes tailles à un filament partiellement coupé.

3. Invitrogen : Cat# A-10258

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Chapitre 2. Moteur flagellaire et force protomotrice 8

marquage spécifique des flagelles, car il y a très peu de cystéines libres sur le corps d’E.coli.

2.4 Force protomotrice

Comme mentionnée précédemment, la source d’énergie du moteur flagellaire est leflux de protons qui traverse le complexe MotA/MotB. Évidemment, si la cellule était àl’équilibre électrochimique, il n’y aurait aucun déplacement net de charge à travers lemoteur flagellaire. Mais il se trouve que la concentration interne d’ion H+ est maintenueà un niveau inférieur à la concentration extérieur par des pompes à protons qui sontlocalisées dans la membrane. Ainsi, les ions vont traverser le moteur par diffusion. Lafigure 2.5 illustre les diverses entrées et sorties d’ions dans la membrane bactérienne.Dans ce schéma, la nicotinamide adénine dinucléotide hydrogéné (NADH) provient de labrisure de molécules riches en énergie telle que le glucose. La NADH alimente la NADHdéshydrogénase pour pomper 4 les ions H+ vers l’extérieur de la cellule tandis que laNAD+ produite est incorporé dans le cycle de Krebs servant éventuellement à produirede l’ATP 5. Cette chaîne respiratoire a pour effet de maintenir basse la concentrationinterne de proton et de créer la FPM ou force protomotrice. Ainsi, par simple diffusion,l’énergie peut être transférée à d’autres systèmes tels que les antiporteurs au sodium,le moteur flagellaire ou l’ATPSynthétase [29].

Comme la FPM est due à une différence de particule chargée, on peut la quantifieren Volts et elle est formée de deux contributions :

FPM = Vm + kBT

e ln [H+]int

[H+]ext(2.1)

où Vm est la tension sur la membrane bactérienne, kB est la constante de Boltzmann,T est la température absolue, e la charge de l’électron, [H+]int et [H+]ext sont les con-centrations de protons à l’intérieur et l’extérieur respectivement de la cellule. LorsqueT vaut 24 °C, on peut réécrire l’équation comme suit [4].

FPM = Vm − 59∆pH [mV] (2.2)

Le terme en ∆pH est dû à la différence de pH, c’est-à-dire la différence (logarith-mique) dans la concentration d’ions H+ entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. Par

4. Pour être plus précis, La NADH déshydrogénase lie les ions H+ à l’ubiquinone-8 qui se lietemporairement aux terminaux des oxydases qui elles vont rejeter les ions H+ [29, p.185]

5. Adenosine-5’-triphosphate

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Chapitre 2. Moteur flagellaire et force protomotrice 9

diffusion, les ions auront tendance à migrer vers l’intérieur de la cellule, car leur con-centration est plus élevée à l’extérieur. Le terme Vm représente la différence de potentielélectrique. Les ions chargés positivement vont migrer, encore une fois, de l’extérieur versl’intérieur de la cellule, car ils sont attirés par le potentiel électrique négatif de celle-ci.Bien que les deux termes de l’équation 2.2 semblent jouer un rôle équivalent dans lemaintien de la FPM, on sait déjà qu’à petite charge massique la contribution du gradi-ent d’ions sera plus importante que la différence de potentiel pour la vitesse de rotationdu moteur flagellaire [25]. Cette conclusion a été obtenue en variant indépendammentla concentration d’ions Na+ et le voltage sur la membrane avec des bactéries E. colipossédant un moteur chimérique au sodium. Il reste cependant beaucoup de travail àfaire pour caractériser complètement la dépendance en charge et établir un modèle dela non-équivalence entre le gradient d’ions et le potentiel de membrane.

Il existe d’autres sources pour alimenter un moteur flagellaire dans le monde bac-térien. Par exemple, Vibrio aliginolyticus, une bactérie marine, possède des moteursalimentés au sodium. Cette bactérie fut particulièrement utile pour fabriquer un mo-teur chimérique au sodium dans E. coli [2]. On appelle FMS, la force motrice au sodiumqui alimente ces moteurs. En variant la concentration de sodium dans la solution, il estpossible de changer la FMS. Cette technique est très utile puisque la concentration desodium est moins critique que le pH pour la survie de la bactérie. On peut donc plusfacilement la contrôler.

Le système in vitro décrit au chapitre 3 est aussi une autre manière de contrôler l’ali-mentation. Grâce à une méthode de patch-clamp il est possible de contrôler directementla tension de membrane. De même, on peut choisir le pH à l’intérieur et à l’extérieurde la bactérie. Ces possibilités font de ce système une excellente voie pour explorer lescomposantes de la FPM.

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Chapitre 2. Moteur flagellaire et force protomotrice 10

Figure 2.3 – Modèle d’inversion : la propagation des changements de conformation[3, 34].

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Chapitre 2. Moteur flagellaire et force protomotrice 11

Figure 2.4 – Structure d’un filament (barre de référence = 0 nm) [34].

Figure 2.5 – Survol des sources et utilisation de la FPM, inspiré de [39]

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Chapitre 3

Système in vitro et préparation desexpériences

3.1 Historique

Le système in vitro que nous utilisons a été développé par Mathieu Gauthier à partirde 2006. Depuis, de nombreuses améliorations ont été portées au montage. Toutefois,l’idée originale remonte à Fung & Berg qui, en 1995, ont travaillé pour la premièrefois sur un système de patch-clamp bactérien [17]. Ce système utilisait la gramicidine Spour détruire partiellement la membrane bactérienne et obtenir l’accès électrique aucytoplasme. Cependant, ce système avait pour effet de rapidement perméabiliser latotalité de la membrane réduisant sérieusement la durée de l’expérience. Alors qu’ilétait stagiaire postdoctoral dans le laboratoire de Howard Berg, Simon Rainville aexploré l’idée de perforer les cellules avec un laser femtoseconde. Le système in vitro,utilisant l’ablation laser au lieu de la gramicidine S, a réellement pris forme après qu’ilait déménagé à l’Université Laval.

3.2 Fonctionnement du montage

L’objectif du système illustré la figure 3.1 est d’obtenir un accès électrique et chim-ique à l’intérieur de la cellule tout en l’isolant de l’extérieur. Une fois la cellule fil-

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Chapitre 3. Système in vitro et préparation des expériences 13

Sourcelumineuse

EMCCDcamera

Laserfemto

Amplificateurpatch-clamp

BainCellulefilamenteuse

Miroirdichroïque

Miroirdichroïque

Filtre d'émission> 515 nm

Filtre d'excitation495±5 nm

Objectif100x 1.3 NA

Impulsions60 fs

proche IR

Micropipettemodifiée

Figure 3.1 – Schéma du système in vitro.

amenteuse insérée de manière relativement étanche à l’intérieur de la micropipette 1,nous envoyons une centaine d’impulsions lasers de 60 fs (environ 10 nJ par impulsion à∼787 nm) hautement focalisées grâce à un objectif d’ouverture numérique 1.3, chaqueimpulsion crée un plasma local et fait l’ablation simultanée des trois couches de mem-brane cellulaire. Un trou stable d’environ 300 nm de diamètre est alors formé dans lamembrane un peu avant l’extrémité de la bactérie qui est à l’intérieur de la pipette (voirfig. 3.1). On utilise des bactéries filamenteuses 2 d’environ 50 µm de long pour avoir unelongueur de contact entre la pipette et la bactérie suffisante pour créer un bon scellé.De plus, il est essentiel de percer relativement loin de la constriction et qu’une partiede la bactérie soit à l’extérieur de la pipette pour mesurer la rotation des flagelles.

Ainsi, l’électrode qui se trouve dans la pipette est en contact électrique avec l’in-térieur de la cellule tandis que la mise à la terre qui se trouve dans le bain est en contactavec l’extérieur de la cellule. En modifiant la tension appliquée entre ces deux électrodesgrâce à l’amplificateur patch-clamp, nous contrôlons la tension sur la membrane Vm del’équation 2.2. De plus, il est possible de choisir le liquide intrapipette, donc le liquideintracellulaire, et ainsi de modifier le ∆pH à notre guise. Il est aussi possible d’insérerdans la pipette un fluorophore (pour faire un marquage interne) ou toute autre moléculenécessaire à l’étude du moteur flagellaire en concentrations connues et contrôlées.

1. Une description plus détaillée de certains éléments comme la fabrication des micropipette estdisponible à la section 5.3 du chapitre 5.

2. On utilise un antibiotique nommé cephalexine pour inhiber la division cellulaire. Comme lesbactéries allongent mais ne se divisent plus, elles prennent un aspect filamenteux. [26]

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Chapitre 3. Système in vitro et préparation des expériences 14

Plusieurs types d’expériences sont possibles avec ce système. Par exemple, on peutprendre contrôle du moteur flagellaire et mesurer la dépendance de la vitesse de rotationpar rapport à la tension appliquée. On peut alors imaginer étudier des paramètrestels que les fluctuations de la vitesse, l’échange des UGCs, les pas dans la rotationet l’influence de la FPM sur ces paramètres. Pour visualiser la rotation des filaments,soit on utilise la souche qui permet de les marquer avec un fluorophore (section 2.3),soit on attache des microbilles aux filaments collants d’une autre souche conçue ainsi(KAF95) [11]. On enregistre par la suite l’image en fluorescence grâce à une caméraultrarapide EMCCD iXonEM+ 860 (Andor Belfast, Royaume-Uni). Deux autres typesd’expériences possibles avec ce système sont décrits aux chapitres 5 et 7.

3.3 Cultures bactériennes

La méthode détaillée dans cette section vise à obtenir une culture bactérienne pos-sédant les caractéristiques suivantes : on veut que les bactéries soient très similairesmorphologiquement les unes aux autres ; qu’elles aient toutes une longueur d’environ10 à 15 µm; qu’elles soient le plus mobiles possible et finalement que leurs flagellessoient intacts.

On commence par préparer 10 ml de T-Broth 3 (TB) dans un erlenmeyer de 250 mlauquel on ajoute l’antibiotique chloramphénicol et l’inducteur arabinose en concen-tration respective de 0,11 et 0,67 mM. Ensuite, on inocule la culture avec la soucheHCB1661 et l’on incube 15 h pour que la culture soit presque à saturation. On utilisecette préparation durant trois ou quatre jours pour faire une « culture finale » 4. Pourcette culture, on répète la même opération en ajoutant 100 µl de la culture presque sat-urée pour l’inoculum et 0,14 mM de céphalexine. Cet antibiotique a pour effet d’inhiberla division cellulaire. On laisse donc les cellules allonger sans se diviser durant 3 h 45à l’incubateur. Il est important de vérifier la longueur des cellules 5 durant la dernièredemi-heure pour éviter qu’elles n’allongent trop et ne meurent. Les incubations se font à34 °C et sous agitation de 200 tours par minute. Ensuite, les bactéries sont centrifugéesà 1500 g et suspendues dans un milieu de motilité 6 (MM) avec un marqueur fluorescent.Tout dépendant du type de marquage que l’on veut faire, on choisit le marqueur, saconcentration finale et celle des bactéries.

3. 10 g/L Difco Bacto-tryptone, 5 g/L NaCl, H2O4. Pour des raisons de commodité, on prépare cette culture la veille de son utilisation et l’on règle

l’incubateur à 4 °C pour la nuit et pour qu’il démarre automatiquement de sorte que la culture aitpassé 3 h 45 à 34 °C en matinée

5. On s’assure que les cellules font entre 10 et 15 µm en observant un échantillon au microscope.6. 10 mM KPO4, 0,1 mM EDTA, 10 mM Acide lactique, ajusté à pH 7

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Chapitre 3. Système in vitro et préparation des expériences 15

3.4 Types de marquages possibles

Pour visualiser la rotation des flagelles, on suspend le culot de bactéries d’une culturede 10 ml dans 100 µl de MM (sans NaCl) auquel on ajoute le marqueur Alexa Fluor™546(0,20 mM) qu’on laisse reposer à l’abri de la lumière à 20 °C durant 3 h. Ensuite, onrince deux fois avec 10 ml de MM, toujours à 1500 g, et l’on suspend dans 1 mL de MMavec 3,2 mM de surfactant polysorbate 20 pour éviter que les bactéries ne collent trop.

Pour visualiser la tension de membrane avec l’ANNINE-6plus, on suspend le culotprovenant d’une culture de 10 ml dans 1 ml de MM (avec 67 mM de NaCl). On mar-que 100 µl de la solution de bactéries avec l’ANNINE-6plus à 33,4 mM finale. Pours’assurer qu’il n’y ait pas d’agglomération du marqueur, le fluorophore est préalable-ment passé aux ultrasons durant 15 min et centrifugé à 20 000 g. Aucun rinçage n’estrequis puisque le fluorophore n’est lumineux que lorsqu’il est inséré dans la membrane.Les fluorophores qui se collent aux membranes ne prennent généralement que quelquesminutes pour s’y fixer. Cependant, chez E. coli, la différence de potentiel est majori-tairement sur la membrane interne, car la membrane externe possède plusieurs porinesqui la rendent perméable aux ions [10]. Ainsi, on souhaite que la molécule aille se fixerà la membrane interne. Toutefois, il est difficile pour une bactérie dont la membraneest intacte d’internaliser le fluorophore. Il faut donc attendre au moins une heure pouravoir un marquage efficace. Une façon de s’assurer d’un bon marquage interne est defaire un marquage intrapipette. Il suffit de mettre la même concentration de marqueurdans le liquide intrapipette et d’attendre de 5 à 10 min après l’ablation de la bactérie.Malheureusement, plusieurs problèmes découlent de cette méthode. Plus de détails sontdisponibles à la section 5.3.

Il est aussi possible de visualiser la tension de membrane avec d’autres fluorophorescomme le TMRM, le Di-S-C3(5) ou le RH421. Les deux premiers sont des marqueurs àredistribution 7, on ne peut donc rincer la solution finale, car on doit connaître l’intensitéde la fluorescence de fond pour évaluer la tension sur la membrane. Le RH421, lui,fonctionne presque identiquement à l’ANNINE-6plus. Bien qu’ils aient été envisagéscomme marqueurs, ces SFPs n’ont pas été retenues pour les expériences couvertes parce mémoire.

7. Voir section 4.2

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Chapitre 4

Éléments de théorie sur les sondespotentiométriques

En 1968, Cohen et al. introduisaient les premières méthodes pour mesurer le poten-tiel d’une membrane biologique [13]. La nécessité d’avoir une manière fiable d’analyserles potentiels d’action provenant des réseaux neuronaux a incité la communauté scien-tifique à tester plus de 1000 marqueurs fluorescents pour leurs capacités à indiquer leschangements de potentiel [9]. Il existe aujourd’hui une très large gamme de ces sondespotentiométriques. On les classe en quatre grandes catégories selon leurs principes defonctionnement et les applications que l’on veut en faire [32].

Les quatre sections suivantes dressent un bref portrait de chacune des grandes caté-gories de sondes potentiométriques. Nos résultats seront décrits au chapitre 5.

4.1 Sondes chargées

Ce type de sondes fonctionne de manière très simple. En solution, ces marqueurspossèdent une charge positive relativement importante. Ils auront donc tendance às’agglomérer autour des cellules possédant un potentiel électrique négatif. Ils sont rela-tivement rapides, bien que généralement pas suffisamment pour détecter les potentielsd’action des neurones. Le principal inconvénient de ces sondes provient de la difficultéà doser leur concentration. Comme ces marqueurs sont fluorescents même en l’absencede champ électrique, la seule manière de mesurer le potentiel est de quantifier leur ag-glomération. Il faut donc s’assurer que la concentration finale est suffisamment faible

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Chapitre 4. Éléments de théorie sur les sondes potentiométriques 17

pour éviter un trop grand bruit de fond en ayant quand même assez de signal. Les mar-queurs les plus sensibles fonctionnant ainsi sont les bisoxonols tels que le Di-Ba-C4(3) 1

[32].

4.2 Sondes à redistribution

Les sondes à redistribution obéissent à l’équation de Nernst :

∆V = −60 log [S]int

[S]ext[mV] (4.1)

Le marqueur chargé positivement pénètre par diffusion dans la cellule pour rétablir labalance de charge. Il suffit donc de faire le rapport de la fluorescence de la cellule surla fluorescence du fond pour avoir une mesure absolue du potentiel sur la membrane.Le rapport de la fluorescence est équivalent au rapport des concentrations de la sondeà l’intérieur et à l’extérieur de la cellule dénoté par [S]int et [S]ext dans l’équation 4.1.Cependant, il faut attendre que le système soit à l’équilibre. Dans le cas des celluleseucaryotes, cela peut prendre quelques minutes. Pour les procaryotes, le marqueur peutprendre jusqu’à 40 minutes avant d’être à l’équilibre. De plus, il faut généralementprétraiter les cellules à l’EDTA 2 pour perméabiliser la membrane interne à ce type demolécule. Finalement, pour avoir une mesure exacte des organismes de taille de l’ordred’un micromètre, il est impératif d’effectuer la déconvolution de l’image de fluorescenceavec la fonction de transfert du microscope, car une partie de la fluorescence que l’onvoit à l’extérieur de la cellule est attribuée à la diffraction de celle-ci, sous-estimantainsi le potentiel [25].

Deux marqueurs efficaces pour la mesure de potentiel chez les bactéries sont leTMRM 3 [25] et le Di-S-C3(5) 4 [36]. Le Di-S-C3(5) utilise une combinaison de l’ag-glomération des sondes chargées et de la redistribution dans la membrane et il estgénéralement utilisé avec un spectrofluorimètre plutôt qu’en microscopie [32].

4.3 Sondes à réorientation

Ce type de sonde réagit très rapidement au potentiel (< 1 ms). La molécule s’ancrepartiellement dans la membrane et change son orientation à l’intérieur de celle-ci lors

2. acide éthylène diamine tétra acétique3. Tetramethylrhodamine, methyl ester

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Chapitre 4. Éléments de théorie sur les sondes potentiométriques 18

Figure 4.1 – États du marqueur Di-4-ANEPPS [32]

d’une dépolarisation de la cellule. Par rapport à la lumière incidente, une des orienta-tions possède une fluorescence efficace tandis que l’autre non. Un bon exemple de cetype de marqueur est le Merocyanine 540. Un des problèmes de ce type de sondes estleur grande dépendance envers le type de membrane marqué. Il faut qu’en moyennele marqueur se trouve entre deux états. Si l’on change légèrement la préparation ou letype de cellule marquée, il est fort possible que le marqueur ne réponde pas.

4.4 Sondes électrochromiques

Les sondes électrochromiques sont particulièrement stables et rapides. Elles se fix-ent à la membrane cellulaire et, dans le cas d’une sonde purement électrochromique,ne bougent plus. Seul le nuage électronique de la molécule se déplacera en fonction duchamp électrique local. Le déplacement de nuage électronique modifie les états quan-tiques et provoque un décalage (vers le bleu pour une dépolarisation) du spectre. C’estce qu’on appelle l’effet Stark linéaire. À la figure 4.1 on retrouve l’état de base et ex-cité du marqueur Di-4-ANEPPS. Autant les spectres d’émission que d’excitation serontdécalés, quoique l’on exploite plutôt le décalage de l’excitation.

Pour obtenir un changement de fluorescence linéaire en fonction de potentiel de lamembrane, il suffit d’exciter le marqueur dans la zone linéaire (préférablement où lapente est maximale), comme illustré à la figure 4.2. On note qu’un léger décalage duspectre provoquera une modification considérable de la fluorescence.

Pour avoir un marqueur purement électrochromique, il est nécessaire qu’il possède

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Chapitre 4. Éléments de théorie sur les sondes potentiométriques 19

Figure 4.2 – Décalage Stark et changement de fluorescence (∆F ) correspondant.

une liaison forte avec la membrane. Les sondes telles que le Di-4-ANEPPS sont plutôtlipophiles et sont facilement intégrées à la membrane. Cependant, il est difficile de lessolubiliser dans l’eau et ils auront tendance à s’agglomérer. Pour pallier ce problème,on utilise généralement un détergent comme le Pluronic F127 ou le polysorbate 20.D’autres sondes telles que le RH421 sont facilement solubles dans l’eau, mais auronttoutefois de la difficulté à se lier à certains types de membrane. De plus, elles serontrarement purement électrochromiques ; d’autres phénomènes comme la redistributionet la réorientation entrent en jeux.

4.5 Choix d’un type de sonde

Les marqueurs à redistribution tels que le TMRM ont été fréquemment utilisés pourdéterminer le potentiel d’une manière absolue chez les bactéries. Cependant, commece type de sondes prend plusieurs minutes pour se stabiliser, il n’est pas possible del’utiliser en conjonction avec le système de patch-clamp bactérien où le voltage changerapidement. Nous avons donc opté pour une sonde de type électrochromique.

Très récemment, Fromherz et al. ont développé une nouvelle molécule, l’ANNINE-6plus [15] illustrée à la figure 4.3, qui allie une bonne solubilité dans l’eau, une forteliaison à la membrane et un large décalage Stark. C’est avec cette molécule que lamajorité des essais ont été effectués dans ce mémoire. À titre d’exemple de ce à quoi lesignal peut ressembler, la figure 4.4 présente des résultats tirés de la référence [22] etobtenus grâce à l’ANNINE-6, le prédécesseur de l’ANNINE-6plus.

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Chapitre 4. Éléments de théorie sur les sondes potentiométriques 20

Figure 4.3 – ANNINE-6plus et ANNINE6 [15]

Figure 4.4 – Résultats obtenus grâce à une coloration à l’ANNINE-6. [22] (a) Lapipette de patch détermine le voltage sur la cellule HEK293 excitée à 514 nm avecun laser à l’argon. (b) Un système de confocal effectue un balayage linéaire pendantqu’on applique des marches de ±25 mV, ±50 mV et ±75 mV. (c) Quatre balayages sontmoyennés pour obtenir le changement de fluorescence relatif en fonction du temps.

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Chapitre 5

Sondes potentiométriques :méthodes et résultats

Dans ce chapitre, nous expliquerons comment un changement de potentiel sur lamembrane bactérienne peut être mesuré de manière optique. Dans l’ordre, nous effec-tuons quelques mesures de spectroscopie pour permettre d’établir un modèle prédisantle comportement de la sonde fluorescente. Ensuite, nous mesurons la fluorescence avantet après l’inhibition du cycle respiratoire par le CCCP. Cela permet d’avoir une mesurede la fluorescence à la tension naturelle de la bactérie (-150 mV) [4], et une mesure à0 mV sans utiliser le système de patch-clamp. Finalement, nous mesurons la réponse dela sonde utilisée en conjonction avec le système in vitro.

5.1 Mesures spectrométriques

Afin d’optimiser le montage et d’interpréter les résultats, il a été important demesurer les spectres des sondes fluorescentes utilisées en solution et une fois intégréesà la membrane. Différentes méthodes ont dû être exploitées. Les spectres des sondesDi-S-C3(5) et RH421 (voir chapitre 4)ont été mesurés à l’aide d’un appareil Cary Eclipse(Varian, Palo Alto CA). À titre comparatif, le spectre de l’Alexa Fluor™546 (AF546)(section 3.4) a aussi été mesuré de la même manière. Les spectres de l’ANNINE-6plusont cependant dû être enregistrés sur un système à balayage confocal, pour l’excitation,et avec un spectrophotomètre USB4000 (Ocean Optics, Dunedin FL) combiné à unmicroscope IX71 (Olympus, Markham ON), pour l’émission.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 22

5.1.1 Spectroscopie en solution ou suspension

Le Cary Eclipse est un appareil muni d’une lampe flash au xénon, de deux monochro-mateurs et d’un tube photomultiplicateur. Il permet donc de mesurer les spectres defluorescences de sondes en solution ou suspension. Les échantillons sont contenus dansune cellule de quartz à quatre faces polies. On retrouve les spectres enregistrés à lafigure 5.1.

Ces spectres ont été enregistrés dans une phase préliminaire du projet où nousdevions déterminer les caractéristiques de plusieurs sondes dans le but d’en choisir unepour les expériences suivantes. En premier lieu, la sonde RH421 devait nous servir demarqueur relatif à réaction rapide, tandis que le Di-S-C3(5) devait servir de marqueurabsolu à réaction lente. Le RH421 est une sonde partiellement électrochromique età redistribution. Elle ne peut donc pas fournir de mesure absolue de la tension. LeDi-S-C3(5) étant une sonde à redistribution peut fournir la mesure absolue nécessaire.

Au fil du projet, nous avons modifié ces choix. C’est plutôt le TMRM qui servira desonde absolue et l’ANNINE-6plus qui servira de sonde relative rapide. Le TMRM estplus approprié que le Di-S-C3(5) pour les bactéries de petite taille comme E. coli ; il étaitauparavant utilisé pour les mitochondries. De plus, il n’occasionne pas de problèmesd’inhibition de la respiration cellulaire comme le Di-S-C3(5) [33]. L’ANNINE-6plus estune sonde récente qui n’est pas encore commercialisée. Ses caractéristiques avantageusesnous ont permis de délaisser le RH421 qui n’offrait pas un signal suffisant dans lesconditions de mesures du système in vitro.

Toutefois, la mesure des spectres des sondes Di-S-C3(5) et RH421 permettent d’il-lustrer la différence qu’il y a entre un marquage sur une membrane bactérienne etlorsqu’on mesure directement en solution. On remarque à la figure 5.1 que les deuxsondes potentiométriques ont un spectre très différent lorsqu’ils sont en solution (traitplein) ou lorsqu’elles sont liées à une suspension de bactéries (trait pointillé). La dif-férence est beaucoup moins prononcée dans le cas de l’AF546 qui n’est pas une sondepotentiométrique, mais bien le fluorophore nous permettant de visualiser la rotationdes flagelles. Cela s’explique aussi par le fait que nous observons ici l’effet du marquagede la surface des filaments plutôt que de la membrane.

Les spectres du Di-S-C3(5) enregistrés sont très similaires aux spécifications fourniespar le fabricant (D306, Invitrogen, Burlington ON). Cependant, ceux du RH421 sur lesbactéries sont différents de ce que l’on retrouve chez les neurones (excitation : 493 nm,émission 649 nm [21]). L’émission est décalée de plus de 100 nm vers le bleu par rapportau spectre en solution, soit une différence de 50 nm avec un marquage sur des neurones,

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 23

600 650 700 750 8000

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

0.8

0.9

1

Spectre du Di−S−C3(5) en solution ou sur une membrane bactérienne

Longueur d’onde (nm)

Inte

nsité

(u.

a.)

(a)

450 500 550 600 650 700 7500

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

0.8

0.9

1Spectre du RH421 en solution ou sur une membrane bactérienne

Longueur d’onde (nm)

Inte

nsité

(u.

a.)

(b)

520 530 540 550 560 570 580 590 600 6100

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

0.8

0.9

1Spectre de l’AF546 en solution ou sur les flagelles bactériens

Longueur d’onde (nm)

Inte

nsité

(u.

a.)

(c)

Figure 5.1 – En (a) les spectres du Di-S-C3(5), en (b) ceux du RH421 et en (c) ceuxde l’AF546. Les spectres d’excitation sont tracés en bleu tandis que ceux d’émissionsont tracés en rouge. Pour chaque fluorophore, un spectre a été pris en solution (traitplein) et marqué sur une suspension de bactéries (trait pointillé). On mesure le spec-tre d’excitation au maximum d’émission et vice versa, à l’exception de l’excitation duRH421 sur membrane qui est fixée à 515 nm pour enregistrer l’émission.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 24

tandis que l’excitation semble avoir un sommet plutôt dans l’UV dépassant la limite duspectre enregistré.

5.1.2 Spectroscopie alternative

Bien qu’il possède plusieurs caractéristiques intéressantes, l’ANNINE-6plus est peufluorescent en comparaison, par exemple, avec des fluorophores non sensibles au voltage.De plus, il effectue une liaison très spécifique aux membranes de phospholipides, et nefluoresce pas lorsqu’il n’est pas lié aux membranes. Ces deux éléments font en sortequ’il est pratiquement impossible de mesurer son spectre en solution ou en suspension.

Cependant, l’ANNINE-6plus est suffisamment fluorescent pour être facilement dé-tecté en microscopie. Pour mesurer le spectre d’émission, nous avons donc utilisé l’imaged’un microscope inversé IX71 que nous avons focalisée dans une fibre optique connec-tée au spectromètre USB4000. L’excitation est obtenue grâce à une lampe au mercure(X-Cite 120, EXFO, Québec QC), d’un cube de fluorescence muni d’un filtre et d’unmiroir dichroïque. Ces deux dernières composantes sont aussi caractérisées dans le mod-èle présenté à la section 5.1.3. Notez que nous n’avons pas utilisé de filtre d’émissionpour pouvoir récolter la totalité du spectre d’émission. Il est important dans cette sit-uation de bien soustraire le spectre de fond que l’on enregistre dans une section del’échantillon où il n’y a pas de bactéries. Évidemment, la lampe au mercure ne per-met pas un balayage en excitation. Pour enregistrer le spectre d’excitation, nous avonsutilisé un système de microscopie confocale muni d’un laser accordable pour l’excita-tion. L’image d’une zone de l’échantillon est enregistrée pour chaque longueur d’onded’excitation. Comme il ne s’agit pas d’un laser tout à fait blanc, il était nécessaire d’a-juster constamment la puissance de ce dernier pour avoir une excitation uniforme. Cetélément, ajouté du fait que l’échantillon se déplace légèrement (∼3,5 µm) au cours del’expérience, nous oblige à considérer une grande incertitude sur cette mesure (∼6,5 %).Le spectre de l’ANNINE-6plus se trouve à la figure 5.2.

Pour pallier le léger déplacement progressif qui a eu lieu tout au long de l’expérience,nous avons développé, sous Matlab™, un programme permettant de nettoyer l’image etde suivre les bactéries avec un critère de seuil. En bref, le programme applique un filtrede convolution à chaque image pour éliminer le bruit. Ensuite, on fixe un seuil. Ici, ilfaut qu’un pixel soit supérieur au bruit de 30 % pour faire partie de la région d’intérêt dela bactérie. Finalement, la fluorescence moyenne de chaque région est tracée en fonctionde la longueur d’onde d’excitation. On retrouve les différentes étapes de l’analyse à lafigure 5.3.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 25

450 500 550 600 650 700 7500

0.2

0.4

0.6

0.8

1

Spectre de l’Annine−6plus

Longueur d’onde (nm)

Inte

nsité

(u.

a.)

Figure 5.2 – Spectre d’excitation en bleu et d’émission en rouge de l’ANNINE-6plus.Les barres d’erreur du spectre d’émission sont trop petites pour être visibles.

(a) (b) (c) (d) (e) (f) (g) (h)

Figure 5.3 – En (a) l’image à 454 nm obtenue à l’aide du microscope confocal, en (b)l’image filtrée par un masque de convolution, en (c) l’image filtrée à 476 nm, en (d)l’image filtrée à 509 nm, en (e), (f) et (g) on trouve les régions d’intérêt automatique-ment déterminées par seuil pour les longueurs d’onde de 454 nm, 476 nm et 509 nmrespectivement.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 26

Une version alternative du programme d’analyse des spectres de l’ANNINE-6plus aété développée. Cette autre version détermine les régions d’intérêt une seule fois au lieud’une fois par image. Par la suite, une interpolation multiplie par 8 sur chaque axe lenombre de pixels. Et finalement, un décalage de la région d’intérêt initiale suit la nou-velle position de la bactérie. L’interpolation est essentielle, car il est complexe de créerune translation avec une résolution inférieure à la taille du pixel, ce qui était nécessaire.Cette version alternative du programme produit un résultat tout à fait semblable.

Comme expliqué à la figure 4.2 de la section 4.4, l’ANNINE-6plus est une sondeélectrochromique à décalage Stark. Selon Fromherz et al. [15], on peut s’attendre à undécalage Stark vers le bleu d’environ 4,2 nm pour l’excitation et 10,3 nm pour l’émission,pour un changement de voltage de 150 mV. Il devrait être possible de vérifier ceci enprenant à nouveau le spectre d’excitation après l’ajout d’un ionophore, le CCCP 1. LeCCCP est un acide faible possédant une charge fortement délocalisée ce qui lui permetde diffuser librement à travers la membrane, même s’il est sous forme ionique. Celaa pour effet de détruire la chaîne respiratoire sans endommager la bactérie. Si l’onretire le CCCP du milieu dans lequel se trouvent les bactéries affectées, elles retrouventrapidement leur différence de potentiel. Donc, il est possible de prendre le spectre dansles conditions naturelles de la bactérie, soit environ -150 mV sur la membrane, puisd’enregistrer un autre spectre après avoir ajouté du CCCP (100 mM), ce qui annule lepotentiel sur la membrane.

À la figure 5.4, les quatre traits pleins représentent le spectre d’excitation de qua-tre bactéries individuelles avant l’ajout de l’ionophore CCCP, tandis que les trois traitspointillés représentent le spectre d’excitation de trois autres bactéries individuelles aprèsl’ajout de l’ionophore. Des contraintes techniques lors de l’ajout du CCCP nous em-pêchent de prendre le spectre des quatre mêmes bactéries. Il serait toutefois possiblede modifier certains éléments du montage pour permettre une telle mesure. Sur cettefigure, on voit un décalage vers le rouge lors d’une dépolarisation due au CCCP, ce quiest le contraire du résultat attendu. Plusieurs raisons pourraient expliquer ceci comme,par exemple, une légère fluorescence du CCCP, ou si les bactéries observées étaient déjàendommagées (donc à 0 mV). Pour clarifier ce problème, nous pourrions tenter d’im-ager les mêmes bactéries (et un plus grand nombre) avant et après l’ajout du CCCP. Ilserait sage aussi d’enregistrer plusieurs fois le même spectre, car même s’il y a plusieursbactéries par champ pour une longueur d’onde donnée, elles sont toutes sur la mêmeimage. Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps de répéter ces mesures, car ellessont laborieuses et nécessitent l’emprunt d’un montage au groupe de recherche de DenisBoudreau.

1. cyanide m-chlorophenyl hydrazone

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 27

460 470 480 490 500 5100

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

0.8

0.9

1Spectre d’excitation de l’Annine−6plus avant et après l’ajout d’ionophore

Longueur d’onde (nm)

Inte

nsité

(u.

a.)

Figure 5.4 – Spectre d’excitation avant l’ajout de l’ionophore (trait plein) et après(trait pointillé). Les différentes couleurs représentent plusieurs bactéries individuelles.

5.1.3 Modèle de la sensibilité au voltage

Bien qu’il ne nous soit pas possible pour l’instant de mesurer de décalage vers le bleuattendu, il est toujours possible de modéliser l’impact sur la fluorescence d’un tel dé-calage. À la figure 5.5, se trouvent les spectres d’excitation et d’émission de l’ANNINE-6plus, les mêmes spectres décalés ainsi que tous les filtres qu’ils traversent avant d’at-teindre la caméra. L’efficacité quantique de la caméra en fonction de la longueur d’onden’apparaît pas sur cette figure, car elle est relativement uniforme sur la plage d’intérêt,mais elle est tout de même prise en compte dans le calcul du changement de fluo-rescence. Toutes les données affichées sur ce graphique proviennent des spécificationsdu fabricant hormis les spectres de l’ANNINE-6plus qui proviennent d’une régressiongaussienne sur les données acquises à la section 5.1.2 pour l’émission (R2 = 0.9993) etd’une régression double gaussienne pour l’excitation (R2 = 0.9963).

Pour des raisons techniques, les spectres de l’ANNINE-6plus ont été mesurés aprèsque nous ayons effectué la majorité des expériences des sections 5.2 et 5.3. La majorité deces expériences ont été réalisées avec un filtre vert (536 ± 20 nm) à l’émission, quelques-unes avec un filtre rouge (628 ± 20 nm). L’objectif du modèle est de prédire quel sera lechangement de fluorescence détectée à la caméra pour un décalage Stark de 4,2 nm pourl’excitation et de 10,3 nm pour l’émission, avec l’un ou l’autre de ces filtres à l’émission[15]. Il suffit de multiplier l’ensemble des paramètres du système et d’intégrer sur la

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 28

460 480 500 520 540 560 580 600 620 640 6600

1

Inte

nsité

nor

mal

isée

et t

rans

mis

sion

(u.

a.)

Longueur d’onde (nm)

Composantes du modèle de fluorescence

Figure 5.5 – Toutes les composantes relatives à l’excitation sont en traits pleins etcelles de l’émission sont en traits pointillés. Le spectre de l’ANNINE-6plus est en rouge(-150 mV), et le spectre décalé est en bleu (0 mV). Les filtres d’excitation et d’émissionsont en vert et un filtre supplémentaire pour l’excitation est en noir. Un seul des deuxfiltres d’émission est utilisé à la fois. Celui de gauche est un filtre vert (536 ± 20 nm)et celui de droite est un filtre rouge (628 ± 20 nm).

−8 −6 −4 −2 0 2 4 6 8−50

−40

−30

−20

−10

0

10∆F/F en fonction de l’erreur (E)

Erreur (E) sur de l’intensité du spectre d’excitation (%)

∆F/F

(%

)

Figure 5.6 – Effet sur le changement relatif de fluorescence d’une erreur lors de lamesure du spectre d’excitation de l’ANNINE-6plus. En rouge, ∆F/F modélisé avec lefiltre d’émission rouge. En vert, ∆F/F modélisé avec le filtre d’émission vert.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 29

plage spectrale en posant que l’émission du fluorophore sera linéairement proportionnelà son excitation, comme indiqué aux équations 5.1 et 5.2.

Iex(V ) =∫Fex(λ)F495(λ)(1−Mdi(λ))Sex(λ, V ) dλ (5.1)

Iém(V ) = Iex(V )∫Fém(λ)Mdi(λ)Qcam(λ)Sém(λ, V ) dλ (5.2)

∆F/F = Iém(0)− Iém(−150)Iém(−150) (5.3)

Ici, Iex est l’intensité de l’excitation du fluorophore, V est la tension sur la membrane,λ est la longueur d’onde, Fex est le filtre d’excitation, F495 est le filtre d’excitationsupplémentaire à 495 nm, Mdi est le miroir dichroïque, Sex est le spectre d’excitationde ANNINE-6plus, Iém est l’intensité de l’émission du fluorophore, Fém est le filtrel’émission, Qcam est l’efficacité quantique de la caméra et, finalement, Sém est le spectred’émission de l’ANNINE-6plus. Toutes les variables dépendantes de V sont affectéespar le décalage Stark. À l’équation 5.3, le changement de fluorescence relatif (∆F/F )est évalué pour le passage de -150 mV à 0 mV.

Utilisant les paramètres illustrés à la figure 5.5, ce modèle prévoit un ∆F/F de-4,3 ± 12,3 % avec le filtre vert (5.5 (b)) et de -30 ± 9 % avec le filtre rouge(5.5 (c)). L’erreur sur ces valeurs a été évaluée en modifiant la valeur de l’intensité duspectre d’excitation par rapport au bruit de fond. Dans les conditions de la mesure,il était impossible de mesurer la fluorescence dans les grandes longueurs d’onde, caril devenait difficile de distinguer les bactéries du bruit de fond. Et comme celles-cise déplaçaient légèrement durant la mesure, il devenait très difficile de quantifier ladécroissance finale. C’est pourquoi on valide notre modèle en fonction de l’erreur sur ceparamètre. La modification du spectre est représentée par Sex(V,E) = ‖Sex(V ) + E‖,où E est la modification sur le spectre en %. L’effet de l’erreur E sur le terme ∆F/Fest présenté à la figure 5.6.

On remarque que, pour le filtre vert, il serait possible d’avoir un changement defluorescence positif lors d’une dépolarisation de la cellule tandis qu’avec le filtre rouge,non. Il s’agit uniquement d’une possibilité et non pas d’une distribution stochastique,car on ne s’attend pas à ce que le spectre de la molécule change beaucoup d’une celluleà l’autre. Si jamais tel était le cas, il serait tout à fait impossible d’obtenir le voltagede membrane à partir d’une mesure de ∆F/F .

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 30

5.2 Ionophore CCCP

5.2.1 Méthode

Bien qu’il soit difficile d’évaluer le décalage Stark à partir des spectres mesurés à lafigure 5.4, on peut tout de même réitérer l’expérience en ne mesurant que le changementd’intensité de fluorescence. Pour y arriver, nous utilisons une chambre d’écoulementµ-Slide VI0.4 (Ibidi Martinsried, München, Allemagne) que nous observons sous le mi-croscope IX71 auquel est rattachée une caméra EMCCD iXonEM+. Pour l’ANNINE-6plus, on utilise les mêmes filtres (voir fig. 5.5). Pour le fluorophore de contrôle, leFM 1-43 2, on utilise l’ensemble de filtres TRITC-A (Semrock, Rochester NY).

Les cellules sont collées à l’intérieur de la chambre d’écoulement en prétraitant celle-ci avec de la poly-L-lysine 3. On laisse la poly-L-lysine agir durant 10 min, on rince avecdu milieu de motilité, puis on ajoute les cellules préalablement marquées que l’on rinceaprès 20 min. Sous le microscope, on injecte avec une seringue le CCCP (100 mM dansMM) pour annuler le potentiel de membrane ou l’on aspire à partir du réservoir pourrincer avec du milieu de motilité, comme illustré à la figure 5.7.

L’expérience a été effectuée avec des cellules E.coli filamenteuses pour le contrôleavec le FM 1-43, tandis que des cellules de taille normale ont été utilisées lors de l’essaiavec l’ANNINE-6plus. Les cellules filamenteuses permettent une analyse plus simple,car on peut facilement repérer une zone sans bactéries servant à déterminer le bruit defond que l’on peut alors soustraire. Les cellules de tailles normales vont généralementtapisser toute la surface de la lamelle, cependant elles sont plus nombreuses et offrentun meilleur signal.

5.2.2 Résultats

Le saut de fluorescence pour un passage du milieu de motilité sans CCCP au milieude motilité comprenant 100 mM de CCCP, et pour le changement de milieu inverse, estillustré à la figure 5.9.

De façon générale, le signal baisse avec le temps en raison du photoblanchiment,mais on remarque une perte de signal d’environ 10 % lors de l’ajout de l’ionophore et

2. Invitrogen : Cat # T-31633. Sigma-Aldrich : Cat # P4707

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 31

Figure 5.7 – Schéma du montage pour l’annulation du potentiel de membrane avecl’ionophore CCCP.

(a) (b)

Figure 5.8 – En (a), la région d’intérêt de l’expérience d’ionophore avec l’ANNINE-6plus. La région est sélectionnée automatiquement avec un percentile de > 40 %. En(b), la région d’intérêt pour le contrôle avec le FM 1-43 sélectionnée avec un percentilede > 70 %.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 32

0 200 400 600 800 1000 1200350

400

450

500

550

600Perte de fluorescence après ajout du CCCP

Temps (10−1 s)

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

(a)

0 200 400 600 800 1000

450

500

550

600

Temps (10−1 s)

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

Remontée de la fluorescence après retrait du CCCP

(b)

Figure 5.9 – En (a), la fluorescence en fonction du temps pour un ajout de CCCP,et en (b), pour un retrait du CCCP. En bleu plus marqué, on trouve les points utiliséspour faire la régression linéaire qui est en rouge.

une montée de signal de 8 % lors du retrait du CCCP. La zone de bruit au centre dugraphique concorde avec le moment où l’on change le milieu. Lorsqu’on change celui-ci, une pression est appliquée à l’intérieur de la chambre d’écoulement et le foyer del’image est inévitablement déplacé ce qui engendre le bruit. Cependant, lorsqu’on relâchela seringue, la pression retourne rapidement à la normale et l’image est à nouveau aufoyer. Le saut de la fluorescence est évalué au centre de la région bruyante à l’aide d’unerégression linéaire. Une régression exponentielle aurait été préférable. Toutefois, commela constante de temps est longue et que nous ne disposons pas d’une grande quantitéde données, la régression exponentielle est trop incertaine.

L’erreur engendrée par un mauvais foyer suite au changement de milieu est inférieureà 0,5 % en fluorescence relative. La plus grande source d’erreur est plutôt la possibilitéd’un déplacement latéral d’une bactérie qui la fait sortir de la région d’intérêt. Cetteerreur peut occasionner localement jusqu’à 4 % de modification à la fluorescence relative,soit de l’ordre de grandeur des résultats mesurés. Toutefois, seule une petite partie d’unebactérie filamenteuse, ou une sur plusieurs bactéries non filamenteuses, bougera si lesbactéries sont suffisamment collées. Ainsi, on peut affirmer que cette erreur vaut aumaximum 1 % en fluorescence relative.

Si l’on effectue l’expérience plusieurs fois de suite, on observe une perte de signal àchaque fois que l’on ajoute l’ionophore et une remontée lorsqu’on le retire. Cependant,le saut de fluorescence relative varie beaucoup d’une fois à l’autre. Les résultats dansl’ordre de leur acquisition pour l’ANNINE-6plus et le contrôle FM 1-43 sont présentés

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 33

(%) ANNINE-6+ FM 1-43CCCP+ -10 ± 1 0 ± 1CCCP− 6 ± 1 -1 ± 1CCCP+ -4 ± 1 0 ± 1CCCP− 9 ± 1 1 ± 1CCCP+ -5 ± 1 -2 ± 1CCCP− 5 ± 1 –

Table 5.1 – Changement relatif de la fluorescence à l’ajout (CCCP+) ou au retrait(CCCP−) de l’ionophore.

au tableau 5.1.

On remarque d’abord qu’on mesure un changement significatif uniquement surl’ANNINE-6plus et non pas sur le fluorophore de contrôle qui n’est pas sensible auvoltage. On remarque aussi que la plus grande perte de signal correspond au premierajout du CCCP. Peut-être que des traces de CCCP subsistent et empêchent la remontéetotale du signal lors du retrait de l’ionophore. Ou peut-être que certaines bactéries nesurvivent pas au traitement et que leur fluorescence est définitivement perdue. Plusieursquestions subsistent. Pour l’instant, nous ne pouvons malheureusement pas utiliser cesrésultats pour calibrer les changements de fluorescence mesurés avec le système in vitro,principalement à cause de la grande variabilité entre les résultats obtenus.

Certaines améliorations peuvent être faites d’emblée. D’abord, il faudrait équiperla chambre d’écoulement de plus petits tubes la reliant aux seringues pour éviter dedéplacer de grands volumes. Ensuite, le débit du changement peut-être fait de manièrecontrôlée avec une pompe à seringue. Un colorant non fluorescent peut être ajouté àla solution de CCCP pour s’assurer de sa position dans le tube et pour vérifier s’ily a mélange avec le milieu sans CCCP. Finalement, il serait plus simple d’analyserles résultats provenant de bactéries de taille moyenne (5x plus petites que les cellulesfilamenteuses utilisées).

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 34

5.3 Système in vitro

5.3.1 Méthode

L’objectif de cette section est de décrire comment sont effectuées et quels sont lesrésultats des mesures optiques en temps réel de la tension appliquée sur la membraned’une bactérie grâce au système in vitro. À plus long terme, nous souhaiterions pouvoirvérifier si la tension est entièrement et uniformément appliquée sur la membrane bac-térienne lors d’une expérience de contrôle du moteur flagellaire décrite au chapitre 3.Pour effectuer cette expérience, il faut d’abord avoir un accès électrique au cytoplasme.On y arrive en insérant partiellement une bactérie filamenteuse, préalablement marquéeaux sondes fluorescentes potentiométriques (SFPs), à l’intérieur d’une micropipette. Lapartie à l’intérieur de la pipette est trouée à l’aide d’une série d’impulsions lasers fem-tosecondes, ce qui met le cytoplasme en contact avec l’électrode qui est dans la pipette.

D’abord, on fabrique les micropipettes à l’aide de tube de verre (TW150-4 WPI,Sarasota FL) qu’on chauffe et tire dans une tireuse verticale (PC-10 Narishige, Tokyo,Japon). Ensuite, le diamètre intérieur de la constriction est ajusté approximativementà 1 µm à l’aide d’une microforge maison constituée de deux filaments de platine reliésà des sources de courant (∼2 V, 500 mA). On effectue cette opération à l’aide sousun microscope à longue distance de travail (32x/0.40NA Leitz, Wetzlar, Allemagne).Pour vérifier la taille, on mesure la pression nécessaire pour faire sortir des bulles de lapipette lorsqu’elle est immergée dans le méthanol. Les micropipettes utilisées au coursde ce projet ont été gracieusement fabriquées par Mathieu Gauthier.

Une fois que la micropipette a une constriction de taille appropriée, il est néces-saire de faire la finition de l’embout en utilisant un laser femtoseconde (Chaîne VerdiV18, Mira et RegA 9000 de Coherent, Santa Clara CA). L’extrémité de la pipette estmince et longue, ce qui permet de l’aplatir sur une lamelle de microscope sans la briser.On utilise un contrôleur motorisé (ROE/MPC-200 Sutter, Novato CA) pour d’abordrepérer l’extrémité et ensuite l’aplatir lentement sur la lamelle. Il est possible ensuitede cliver correctement l’embout grâce au laser. Une centaine d’impulsions à ∼100 nJsont utilisées pour le clivage. Pour faire une expérience de contrôle des moteurs flag-ellaires, on clive la micropipette environ 1 µm avant la constriction de sorte que lesflagelles qui sont à l’extérieur puissent tourner librement. Pour une expérience avec lessondes potentiométriques, on laisse environ 5 µm supplémentaires pour bien stabiliserla membrane de la bactérie.

Lorsque l’embout est correctement taillé, on dépose avec précaution 3 µl de bactéries

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 35

(∼ 105 cellules/µl) près de l’extrémité de la micropipette, puis on ajoute rapidement400 µl de milieu de motilité avec 67 mM de NaCl pour la conduction électrique. Dèslors, l’électrode du bain est immergée, et il est possible de mesurer la résistance de lamicropipette (celle-ci est remplie du même milieu de motilité avec NaCl). Une résis-tance entre 60 et 80 MΩ sera généralement appropriée. Il suffit ensuite d’aspirer unecellule à l’intérieur de la micropipette en utilisant la seringue reliée à celle-ci. On utiliseune seringue de 60 ml pour appliquer une pression suffisante. Si la pipette et les bac-téries ont la bonne taille, la bactérie restera coincée à mi-chemin dans la constriction.Autrement, il est possible que la bactérie entre trop facilement et passe tout droit,ou qu’elle ne puisse pas entrer du tout. Lorsqu’une cellule est correctement insérée,on mesure la qualité du scellé par la résistance électrique. Une bonne résistance descellé est de l’ordre de 300 MΩ. Il suffit ensuite d’envoyer une centaine d’impulsionslaser avec une puissance variant entre 5 et 10 nJ par impulsion. La longueur d’ondedu laser est de 787 nm, la durée des impulsions est de ∼60 fs et le taux de répétition10 kHz. On applique une tension de -50 mV avant de percer le trou pour observeren direct à l’oscilloscope 4 la chute de résistance. Lorsque l’ablation est faite, la résis-tance diminue fortement pour atteindre 160 à 200 MΩ. Si la résistance descend plusbas, il ne sera pas possible d’avoir le contrôle des moteurs flagellaires ni de mesuresoptiques avec les sondes potentiométriques. Si la résistance est toujours correcte, onpeut finalement démarrer un programme de tension synchronisé avec l’acquisition à lacaméra. La tension est contrôlée par un amplificateur d’électrophysiologie (Axopatch200B, Danaher, Washington DC) lui-même contrôlé par un logiciel maison conçu sousLabVIEW™(BNC-2120, NI, Austin TX). Le logiciel contrôle à la fois l’amplificateur,la caméra iXonEM+ la sauvegarde et l’archivage des données. Le programme de ten-sions applique en alternance -150 mV et 0 mV sur la bactérie. Il aurait été préférabled’appliquer toute une série de tensions pour corréler le changement relatif de fluores-cence (∆F/F ) avec la tension. Malheureusement, le niveau de signal ne nous permetseulement de détecter que les écarts de tension très large.

À la figure 5.10, on retrouve l’image d’une bactérie insérée partiellement dans lamicropipette. L’image est construite par la superposition d’une image prise en champclair et d’une image en fluorescence. Les bactéries que l’on utilise dans cette expériencesont marquées à l’ANNINE-6plus tel que décrit dans la section 3.4 du chapitre 3.

4. Un oscilloscope est branché à un indicateur de courant de l’amplificateur patch-clamp

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 36

Figure 5.10 – Superposition en champ clair et en fluorescence d’une bactérie inséréedans la micropipette.

5.3.2 Résultats

Si l’on applique le programme de tension et qu’on mesure la fluorescence moyennéesur une région d’intérêt, on obtient le graphique de la figure 5.11. Cette expérience a étéréalisée avec le filtre vert (536 ± 20 nm) pour l’émission. On voit que la fluorescence suitbien la tension. Cependant, le changement de fluorescence ne se produit pas dans le sensattendu selon la documentation disponible [15]. Lors d’une dépolarisation (0 mV), lafluorescence devrait baisser et remonter lors d’une hyperpolarisation (-150 mV). Toute-fois, le modèle de la section 5.1.3 prévoit qu’il est possible que le système produise cetype de réponse avec le filtre vert (voir fig. 5.5). Nous verrons à la section 5.3.3 d’autresphénomènes pouvant occasionner ce type de mesures.

Comme le fluorophore perd de l’intensité continuellement à cause du photoblanchi-ment, la quantité qui nous intéresse est le changement de fluorescence relatif (∆F/F ).Pour évaluer cette quantité, on sépare les données de chaque bloc de tension et l’oneffectue une moyenne. La donnée obtenue est ensuite interpolée avec la donnée suivantepour pouvoir évaluer la différence entre la fluorescence à 0 mV et à -150 mV. Cetteopération est illustrée à la figure 5.12. Les données en rouge (0 mV) sont interpolées desorte qu’elles se superposent aux données en bleu (-150 mV).

La résultante ∆F/F en fonction du temps est affichée au graphique 5.13. Les barresd’erreur sont évaluées à partir de l’écart-type sur les données de chaque bloc de tension.Pour cette acquisition, la moyenne est ∆F/F=(2.24 ± 0.05) %. Une acquisitionsimilaire, à la figure5.14, a été faite suite à un marquage intrapipette. On voit quele fluorophore permet de distinguer l’oscillation seulement après un certain temps. Le

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 37

0 5 10 15 20 25 30 35 40

−100

0

Temps (s)

Ten

sion

(m

V)

Fluorescence en fonction du temps

0 5 10 15 20 25 30 35 40

0

0.5

1

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

Figure 5.11 – Fluorescence mesurée et tension appliquée sur une bactérie

−5 0 5 10 15 20 25 30 35 400

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

0.8

0.9

1

Time (s)

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

Fluorescence moyenne interpolée à 0 et −150 mV

Fluorescence maximum

Fluorescence minimum

Figure 5.12 – Fluorescence filtrée, moyennée et interpolée pour évaluer ∆F/F

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 38

0 5 10 15 20 25 30 35 400

0.005

0.01

0.015

0.02

0.025

0.03

0.035

Temps (s)

∆F/F

∆F/F en fonction du temps

Figure 5.13 – ∆F/F en fonction de temps.

temps d’attente est supérieur à 15 s, plusieurs minutes se sont écoulées avant le débutde l’acquisition. Pour vérifier le modèle établi à la section 5.1.3, nous avons réitéré lesmêmes expériences en utilisant un filtre rouge (628 ± 20 nm) à l’émission. Nous avonseffectivement mesuré un changement de fluorescence en antiphase avec la tension. C’est-à-dire qu’une dépolarisation induit une perte de fluorescence et qu’une hyperpolarisationinduit une augmentation dans la fluorescence mesurée. Cependant, comme nous avonsrécemment décidé d’observer l’émission dans le rouge, peu de données sont disponibles.Pour l’instant, ∆F/F=(-0.7 ± 0.3) %, et il est difficile de dire à combien pourraits’élever cette valeur lorsque les conditions sont optimales. L’acquisition avec le filtred’émission rouge est affichée à la figure 5.15. Lors de cette acquisition la résistance dusystème était d’environ 110 MΩ, ce qui est généralement trop bas pour une quelconquedétection avec le filtre vert, on pourrait donc s’attendre à ce que les prochaines mesuresavec ce filtre donnent un ∆F/F plus élevés qu’avec le filtre vert, tel que prédit dans lemodèle. Un test essentiel pour vérifier le modèle de la section 5.1.3 serait de mesurerun signal de fluorescence dans le vert en phase avec la tension, et en antiphase dans lerouge. À cause de la difficulté technique et des contraintes de temps, cette expériencen’a pu être réalisée. Nous discuterons dans la section 5.4 des principaux problèmesempêchant une mesure rapide et reproductible de ∆F/F .

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 39

0 5 10 15 20 25 30 35−0.01

−0.005

0

0.005

0.01

0.015

0.02

0.025

Temps (s)

∆F/F

∆F/F en fonction du temps

Figure 5.14 – ∆F/F en fonction de temps.

0 5 10 15 20 25 30 35 40

−150

−100

−50

0

Temps (s)

Ten

sion

(m

V)

Fluorescence avec filtre rouge

0 5 10 15 20 25 30 35 40

0.35

0.4

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

Figure 5.15 – Fluorescence mesurée avec le filtre d’émission rouge (628 ± 20 nm).

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 40

0 5 10 15 20 25 30 35 40

−150

−100

−50

0

Ten

sion

(m

V)

Temps (s)

Fluorescence avant de percer

0 5 10 15 20 25 30 35 40

0.5

0.6

0.7

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

Figure 5.16 – Fluorescence mesurée avant de percer la membrane bactérienne avec lelaser.

5.3.3 Contrôles

Comme le signal mesuré est très faible, il est essentiel d’effectuer certains contrôlespour s’assurer que le signal provient du changement de fluorescence induit par l’hyper-polarisation de la membrane. Un contrôle simple que l’on peut effectuer est de prendreune acquisition avant d’avoir un accès électrique au cytoplasme, c’est-à-dire avant depercer la membrane avec le laser. Généralement, on n’obtient aucune variation du signalde fluorescence en effectuant ce test. Cependant, il peut arriver que oui, comme à lafigure 5.16. La bactérie n’avait toujours pas été percée au moment de cette acquisitionet l’on pouvait cependant déjà mesurer un changement dans l’intensité de fluorescence.Toutefois, on note que la résistance était passée de 440 MΩ à 174 MΩ, ce qui correspondà une baisse de 74 % si l’on soustrait la résistance de la pipette sans bactérie. Une telleperte de résistance n’est pas commune à moins que la membrane n’ait été fortementendommagée. Il est donc fort probable qu’une partie de la membrane était endommagéepermettant à la tension d’être appliquée au cytoplasme.

Une hypothèse permettant d’expliquer les changements de fluorescence observés(hormis l’hyperpolarisation), pourrait être un changement de foyer induit par un dé-placement de la bactérie suite à l’application de la tension. Nous avons mesuré quel’intensité de la fluorescence change linéairement avec la position en z près du foyeroptimal. La variation est de 5,7 %/µm. Un ∆F/F de 2,24 % correspondrait donc

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 41

0 5 10 15 20 25 30 35 40

0.4

0.5

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

0 5 10 15 20 25 30 35 40

−150

−100

−50

0

Ten

sion

(m

V)

Temps (s)

Fluorescence à différents foyers

Figure 5.17 – Fluorescence mesurée avec le foyer initial fait à 0 mV (en vert) et à-150 mV (en rouge).

à un déplacement de 0,4 µm. Il est difficile à croire qu’un tel déplacement pourraitse produire considérant que le diamètre de la constriction et la bactérie font environ1 µm. Toutefois, un tel déplacement serait possible dans une région plus éloignée dela constriction. Pour éviter ce problème, la région d’intérêt pour l’analyse était limitéeà quelques micromètres aux alentours de la constriction. Il serait cependant utile demesurer la variation du diamètre en fonction de l’éloignement de la constriction pours’assurer de la distance à respecter. Par exemple, un déplacement de 0,4 µm serait pos-sible à une distance éloignée de la constriction où la dimension du canal devient pluslarge.

Un autre contrôle fut de vérifier si le foyer initial avait un impact sur la phase mesuréeentre la tension et le signal de fluorescence. On pourrait supposer, par exemple, qu’enfaisant la mise au point à 0 mV, l’application de -150 mV pourrait entraîner une pertede fluorescence. Cela aurait pu expliquer que, dans certaines mesures, la fluorescenceétait en phase avec le signal de tension. La figure 5.17 illustre deux signaux en phase,un correspond à un foyer initial fait à 0 mV tandis que l’autre est fait à -150 mV. Onrejette donc cette hypothèse.

Finalement, un dernier test que l’on peut faire à la fin d’une expérience qui sembleavoir fonctionné est de percer ou couper la bactérie à l’extrémité qui sort de la pipette.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 42

Cela a pour effet de faire chuter légèrement la résistance. La chute est beaucoup moinsimportante que lorsqu’on perce la bactérie pour la première fois. Cela est normal, car lecourant que l’on mesure à l’application d’une tension fuit majoritairement par l’espaceentre la bactérie à la pipette. Le courant qui passe au travers la membrane est trèsfaible en comparaison avec le courant de fuite. Ce point est abordé plus en détail auchapitre 7. Donc, lorsque la bactérie est percée aux deux extrémités, il ne devrait pasy avoir de tension sur la membrane, peu importe la tension que l’on applique à lapipette. Il arrive cependant que l’on puisse quand même mesurer une oscillation dansla fluorescence après que l’on ait percé la bactérie aux deux bouts comme on peut levoir à la figure 5.18. Cette observation est l’une des plus surprenantes. Elle confirmeraitqu’au moins une partie du signal, dans certains cas, ne serait pas dû à la polarisationde la membrane. On peut cependant penser à une contre-hypothèse : Serait-il possible,par exemple, que la surface de la micropipette devienne chargée lorsqu’on applique unetension ? Si tel était le cas, la surface de verre chargée serait-elle suffisante pour créerune séparation de charge dans la membrane induisant la réponse du fluorophore ? Nousne possédons pas de mesures permettant de confirmer ou d’infirmer une telle hypothèsepour le moment. De plus, nous disposons de trop peu de données pour l’instant pourévaluer si ce phénomène est fréquent ou non. Comme ce contrôle implique de terminerprématurément une expérience qui répond bien au signal de tension, il était rare qu’onle fasse. Si la bactérie est coupée après une trop longue exposition à la lumière, il est fortprobable que le contrôle n’affiche pas d’oscillations dans la fluorescence puisque le signalest plus faible après la coupure et que le photoblanchiment diminue trop l’efficacité dufluorophore. Il fallait donc réellement effectuer ce contrôle dans les premières minutesd’une expérience où l’on mesurait une oscillation de l’intensité de fluorescence.

5.4 Problèmes, limitations et observations

Outre les différents contrôles dont les résultats s’avèrent parfois surprenants, cer-taines observations et certains problèmes méritent d’être soulevés. D’abord, on remarqueau cours de certaines expériences que la membrane se déforme localement au rythmedu signal de tension. Lorsqu’on applique -150 mV, durant certaines expériences, lamembrane s’effondre localement. La figure 5.19 illustre ce propos.

Évidemment, lors de l’analyse on évite ces sections, ou l’on rejette carrément laséquence. De plus, l’allure du signal de fluorescence d’une membrane s’effondrant (5.20)est relativement différent des acquisitions présentées jusqu’à présent. Il est tout de mêmepensable qu’une membrane se déformant légèrement puisse produire un changementdans la fluorescence oscillant avec la tension semblable à la figure 5.11. Il aurait été

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 43

0 5 10 15 20 25 30 35 40

−150

−100

−50

0

Temps (s)

Ten

sion

(m

V)

Fluorescence d’une bactérie coupée aux deux extrémités

0 5 10 15 20 25 30 35 40

0.3

0.4

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

Figure 5.18 – Fluorescence d’une bactérie coupée aux deux extrémités

Figure 5.19 – Effondrement local d’une section de la membrane.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 44

0 5 10 15 20 25 30 35 40

−150

−100

−50

0

Ten

sion

(m

V)

Temps (s)

Fluorescence lors d’une déformation

0 5 10 15 20 25 30 35 400.2

0.4

0.6

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

Figure 5.20 – Signal de fluorescence correspondant à l’effondrement local d’une sectionde la membrane.

intéressant de mesurer la fluorescence d’un autre fluorophore non sensible au voltagepour mettre en évidence les oscillations causées seulement par les déformations de labactérie. Malheureusement, le FM 1-43 marque de manière non spécifique la pipettedont le signal surpasse celle de la bactérie. Ce phénomène rend les expériences dusystème in vitro avec le FM 1-43 impraticables.

De plus, on remarque que la position de la région d’intérêt influence beaucoup lerésultat de l’analyse lorsque le signal est très faible. Par exemple, à la figure 5.21, onretrouve le signal provenant de la bactérie qui était coupée aux deux extrémités de lafigure 5.18. Dans cette nouvelle analyse, la région d’intérêt a été légèrement décalée, etil est maintenant pratiquement impossible de distinguer l’oscillation de la fluorescencesuivant la tension. À la figure 5.22, on retrouve une région d’intérêt typique pour uneexpérience où il est facile de détecter l’oscillation. La région d’intérêt est déterminéeautomatiquement par seuil. On remarque que le pourtour de la bactérie est majori-tairement sélectionné. Cependant, comme cet exemple provient d’une expérience où lesignal était suffisant, si l’on sélectionne la bactérie en entier, le graphique de l’intensitéde la fluorescence en fonction du temps ne change pas de manière notable. À l’origine,il devait être possible d’obtenir un ∆F/F pour chaque pixel dressant ainsi une cartedu potentiel sur la membrane. Cependant, comme le signal est faible, il devient néces-saire d’additionner le signal provenant de chaque pixel d’une région d’intérêt choisie.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 45

0 5 10 15 20 25 30 35 40

−150

−100

−50

0

Temps (s)

Ten

sion

(m

V)

Fluorescence d’une bactérie coupée aux deux extrémitésrégion d’intérêt automatique

0 5 10 15 20 25 30 35 40

0.3

Flu

ores

cenc

e (u

.a.)

Figure 5.21 – Même expérience qu’à la figure 5.18 avec la région d’intérêt légèrementmodifiée. Il est maintenant pratiquement impossible de distinguer l’oscillation dans lesignal.

Le choix de la région pose certains problèmes. Par exemple, si l’on inclut par erreurcertains pixels se trouvant légèrement avant la constriction, on peut s’attendre à ce qu’iln’y ait pas de signal provenant de ces pixels diminuant ainsi le signal global.

D’autres problèmes relatifs au marquage des bactéries limitent sérieusement l’effi-cacité des expériences. D’abord, il semble que seulement certaines bactéries (environ20 %) sont marquées correctement. À la figure 5.23 on trouve une image en champclair d’un champ contenant plusieurs bactéries, à droite, le même champ en fluores-cence. Seulement quelques-unes des bactéries présentes sont bien marquées. Augmenterla concentration de fluorophore ne remédie pas à la situation.

Autre fait curieux, un grand nombre de bactéries possèdent de petits amas plusfluorescents. Si l’on observe les bactéries en contraste de phase, on peut aussi distinguerces amas. Et en fluorescence seulement, on peut remarquer des anneaux de diamètresvariables jonchant la surface de la lamelle. Certains de ces anneaux sont collés sur lesparois des membranes. La figure 5.24 illustre ces deux situations.

Une hypothèse pour expliquer la non-uniformité du marquage des membranes seraitl’incapacité de certaines bactéries à internaliser le fluorophore. Comme ce fluorophore

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 46

Figure 5.22 – Région d’intérêt typique déterminée automatiquement par seuil.

(a) (b)

Figure 5.23 – En (a), un champ contenant plusieurs bactéries, et en (b), le mêmechamp vu en fluorescence. Seules certaines bactéries sont marquées correctement.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 47

(a) (b)

Figure 5.24 – En (a), des amas fluorescents tout au long de la bactérie. En (b), desanneaux collés sur deux bactéries.

possède deux pôles chargés, on suspecte qu’il se loge dans la membrane externe sanstoutefois pouvoir la traverser. Cela empêcherait de marquer la membrane interne chezles cellules intactes. Le fluorophore serait cependant libre de diffuser au travers lesmembranes endommagées. Cela peut expliquer pourquoi la majorité des bactéries trèsfluorescentes semblent mortes, ou du moins collées à la surface de la lamelle. Toutefois,nous avons pu, à quelques reprises, observer une bactérie très fluorescente nager par-faitement. Malheureusement, il est impossible de faire cette observation plus de 2 ou3 s, car la lumière turquoise utilisée pour l’excitation inhibe la locomotion bactérienne[37]. Tout cela cause bien des problèmes, car on ne peut utiliser la fluorescence pourrepérer les bactéries qui nagent. Pour l’instant, on les repère en champ clair ce qui estexpérimentalement plus ardu. Si on les observe en fluorescence, les bactéries cessentde nager et se collent rapidement au fond de l’échantillon pour ne plus s’y décoller.Et même si l’on utilise peu ou pas la fluorescence, après 5 à 10 minutes, la majoritédes bactéries sont collées à la lamelle. Il est probable que l’ANNINE-6plus augmentela facilité avec laquelle les cellules adhèrent aux surfaces de verre. Nous avons tentéd’utiliser un surfactant, le polysorbate 20 (3,2 mM), pour diminuer l’adhérence. Ef-fectivement, les bactéries collent légèrement moins aux surfaces, mais leur locomotionsemble affectée. Il est relativement facilement cependant d’attendre que les bactériessoient au fond de l’échantillon, de repérer celles qui sont suffisamment brillantes etde les décoller à l’aide de la pipette. Néanmoins, il est impossible de dire si la cellulechoisie est morte ou simplement collée à la surface. De plus, l’opération est délicateet peut endommager la membrane ou le peptidoglycane. Les bactéries décollées de lasorte provoquent souvent les déformations de la figure 5.20, ce qui laisse croire que lepeptidoglycane est endommagé. Il serait tentant de marquer simultanément les bac-

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 48

téries avec l’AF546-maléimide, pour visualiser la rotation des flagelles et ainsi voir siles bactéries sont vivantes. Malheureusement, le spectre de ce fluorophore est trop largeet intense et il noie complètement le signal provenant de l’ANNINE-6plus. Nous en-visageons présentement l’utilisation d’autres fluorophores de type Alexa Fluor, ailleursdans la bande spectrale. Une manière de contourner le problème est d’effectuer un mar-quage intrapipette. Effectivement, comme le système nous donne un accès chimique aucytoplasme, il est possible de marquer la membrane interne via le liquide intrapipette.Malheureusement, cette technique possède plus d’inconvénients que d’avantages. Pourobtenir un marquage efficace, il est nécessaire d’attendre plusieurs minutes avec la bac-térie percée à l’intérieur de la pipette. Le calcul de la diffusion pour ce type de marquagese trouve à la section 5.4.1. Cela diminue radicalement la quantité d’expériences possi-bles dans une séance de laboratoire. De plus, le fluorophore rend la bactérie et l’intérieurde la pipette très collant. Il est donc difficile d’extraire la bactérie de la micropipette.Pour y arriver, on utilise le laser à plus haute intensité de sorte qu’une bulle se créedans la pipette et, par pression, permette d’extraire la bactérie. Cette opération est trèsdélicate et brise la pipette environ une fois sur trois.

5.4.1 Calcul de diffusion pour marquage intrapipette

La diffusion d’une molécule sphérique suit l’équation de Einstein-Stokes :

D = kBT

6πηr (5.4)

où D est la constante de diffusion en m2s−1, kB est la constante de Boltzmann enm2kg·s−2K−1, η est la viscosité de l’eau en m−1g·s−1 et r est le rayon de la sphère oule rayon effectif de la molécule si elle n’est pas sphérique. On sait que le rayon effectifde la plupart des sondes potentiométriques est d’environ 0,48 nm [14]. On peut donccalculer que D = 4, 46· 10−10 en m2s−1. De plus, à partir de la première loi de Fick, àl’équation 5.5, on peut calculer le taux de diffusion τ en mol/s.

τ = DS∆cL

(5.5)

Ici, D est la constante de diffusion en m2s−1, S est la surface traversée en m2, ∆cest la différence de concentration en mol/m3 et L est la longueur à parcourir en m.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 49

On suppose que l’on a une bactérie percée sur tout son diamètre à une extrémité, labactérie fait 50 µm de longueur, le trou fait 1 µm2 et le fluorophore est présent à uneconcentration de 0,06 mM. On retrouve donc un taux de diffusion τ = 2, 14· 10−19 enmol/s. Pour calculer le temps que cela prend pour remplir la bactérie de fluorophores ilsuffit de multiplier le volume de la bactérie par la concentration désirée et de diviser letout par le taux de diffusion. On trouve que le temps nécessaire pour arriver à la mêmeconcentration dans la cellule que dans la pipette est de 5,6 s.

Il faut comprendre que, bien que 5,6 s semble court, il s’agit du cas idéal où le flu-orophore est déjà près de la bactérie avant qu’on la perce. Cependant, pour aspirer labactérie il faut aspirer en même temps une quantité non négligeable de milieu de motil-ité. Ainsi, il est possible que cela prenne plusieurs minutes avant que le fluorophoren’atteigne la bactérie. Il s’agit là d’un phénomène limitant l’efficacité de ce type d’ex-périence.

5.5 Conclusion

Dans ce chapitre nous avons d’abord caractérisé les spectres d’émission et d’exci-tation de plusieurs fluorophores et nous en avons tiré un modèle simple de la réponseau voltage pour l’ANNINE-6plus. Ensuite, nous avons vérifié le comportement du flu-orophore en chambre d’écoulement avec un ionophore. Finalement, nous avons testé laréponse optique de la sonde potentiométrique utilisée en conjugaison avec un systèmein vitro permettant de modifier directement la tension sur la membrane bactérienne.

Bien qu’ils n’ont pas été utilisés dans les expériences suivantes, la mesure des spec-tres du Di-S-C3(5) et du RH421 nous a permis de constater que le décalage entre lespectre d’un fluorophore attaché à une membrane et celui d’un fluorophore en solutionpouvait aller jusqu’à 100 nm dans le cas du RH421. De même, on a pu mesurer undécalage d’environ 50 nm entre le spectre du fluorophore sur une membrane bactéri-enne et son spectre sur une membrane de neurone [21]. Nous avons mesuré les spectresd’émission et d’excitation de l’ANNINE-6plus en microscopie. L’excitation possède unmaximum à 462 nm et un autre maximum que nous n’avons pas pu mesurer dans l’UVtandis que l’excitation possède un maximum à 592 nm. Ces données nous ont permisde construire un modèle prédisant un changement de fluorescence relative ∆F/F pourdes dépolarisations de 150 mV variant entre -16,6 % et 8 % lorsqu’on utilise le filtrevert (536 ± 20 nm) à l’émission et un ∆F/F variant entre -39 % et -21 % lorsqu’onutilise le filtre rouge (628 ± 20 nm). L’incertitude du modèle provient de la difficulté àdéterminer l’intensité absolue de la queue du spectre d’excitation de l’ANNINE-6plus.

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 50

Il n’a pas été possible de mesurer le décalage Stark du fluorophore en spectroscopie,le décalage inclus dans le modèle provient de la référence [15]. Nous avons cependantobservé un changement d’intensité variant entre -5 et -10 % pour les dépolarisations de150 mV causées par l’ionophore CCCP en chambre d’écoulement avec le filtre vert, cequi correspond aux prédictions du modèle. Avec le système in vitro, la mesure d’unequelconque variation dans le signal s’est révélée ardue. Le ∆F/F maximum enregistréavec le filtre vert à l’émission est de 2,24 ± 0,05 % tandis qu’avec le filtre rouge nousavons enregistré -0,7 ± 0,3 %.

Le défi que nous nous étions fixé était de taille. Premièrement, bien que les SFPssont en développement depuis plus de 20 ans, les sondes rapides facilement solublesdans l’eau possédant une sensibilité et une intensité élevée sont une toute nouvelletechnologie. L’ANNINE-6plus n’est toujours pas disponible commercialement sur lemarché d’ailleurs. D’autre part, le système in vitro que l’on utilise est relativementéloigné de l’électrophysiologie classique où les résistances de scellé sont de 20 GΩ etplus. Finalement, l’utilisation d’une caméra en microscopie classique, au lieu des tubesphotomultiplicateurs et de l’imagerie confocale généralement utilisés en électrophysiolo-gie optique, fait en sorte que les résultats sont bien souvent à la limite de la détectionpossible. La plupart de ces contraintes ne proviennent pas du type d’expérience en tantque tel, mais plutôt de l’objectif final qui est de combiner un système de détectionoptique du voltage avec une expérience de contrôle des moteurs flagellaires. Avec suff-isamment de temps et de moyens, il aurait probablement été utile de construire untype d’expérience plus conventionnelle (cellules HEK293, microscopie confocale, etc.)et de progressivement migrer cette technologie vers le système de contrôle des moteursflagellaires.

Quoi qu’il en soit, il s’agit à notre connaissance de la première mesure optique entemps réel du voltage membranaire chez des bactéries. Malheureusement, l’expériencedoit être perfectionnée pour être utilisable, et plusieurs vérifications doivent être faitesavant de pouvoir réellement faire cette affirmation. D’abord, il est essentiel de répéterde manière extensive l’expérience avec le filtre rouge (628 ± 20 nm) à l’émission, et devérifier que le signal de fluorescence s’inverse lorsqu’on passe au filtre vert (536 ± 20 nm).De plus, il est essentiel d’augmenter le rapport du signal sur le bruit et de s’affranchirdes déformations causées par l’application du potentiel.

De même, on ne peut pas ignorer l’importante différence qu’il y a entre les prévisionsdu modèle et l’amplitude du ∆F/F mesuré. Une hypothèse pour expliquer ce problèmeserait que le fluorophore pénètre la membrane bactérienne et qu’il se fixe sur la paroiintérieure de la membrane interne. Comme le fluorophore possède une tête hydrophileet une tête lipophile, on s’attend à ce qu’il se fixe dans le sens opposé sur le côté

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 51

cytoplasmique de la membrane interne. Le champ électrique local aurait donc un effetinverse sur ces fluorophores, annulant ainsi la majorité du décalage Stark. On s’attendà observer ce phénomène particulièrement sur les bactéries endommagées. Pour vérifiercette hypothèse, il suffirait d’ajouter de l’ANNINE-6plus dans le liquide intrapipetted’une expérience d’électrophysiologie avec SFP sur des neurones. Ces expériences ontlieu à l’heure actuelle au centre de recherche de l’Université Laval Robert-Giffard. Ons’attend à ce que ∆F/F baisse abruptement après l’insertion du fluorophore dans lemilieu intracellulaire. Notez que cette observation remet en question la validité et lapertinence du marquage intrapipette.

Une seconde hypothèse peut expliquer la différence entre la fluorescence relativemesurée et celle du modèle. Comme E. coli est une bactérie Gram négatif, elle possèdedeux membranes, une membrane interne et une externe. On sait que la différence depotentiel se retrouve principalement sur la membrane interne à cause des nombreusesporines qui se trouvent dans l’autre membrane [10]. Il est donc fort probable que la mem-brane externe soit beaucoup plus facilement marquée par le fluorophore, augmentantainsi la fluorescence globale sans pour autant répondre aux changements de potentiel.Pour vérifier ceci, on pourrait répéter l’expérience décrite à la section 5.3 en utilisantune bactérie de type Gram positif. On s’attend à ce que le signal relatif soit beaucoupplus élevé grâce à la membrane unique.

De plus, il serait intéressant d’inclure la totalité de la plage spectrale de l’émission,du moins celle dépassant le maximum, avec un filtre passe-haut. Certaines modifica-tions simples au montage permettraient de s’affranchir des problèmes de pertes de foyerlors de déformation et autres déplacements. Il suffirait d’utiliser un objectif possédantenviron 3 ou 4 µm de profondeur de champ 5. L’utilisation d’un fluorophore pour lesflagelles compatibles spectralement avec l’ANNINE-6plus permettrait plus facilementde repérer les bactéries nageant bien. De plus, un tel marquage nous permettrait denous assurer que l’on contrôle bien les moteurs flagellaires, ce qui implique une polar-isation adéquate de la membrane. L’utilisation d’un tube photomultiplicateur pour ladétection pourrait grandement améliorer le signal par rapport au bruit. Augmenter lasensibilité permettrait, entre autres, d’appliquer une tension oscillant beaucoup plusrapidement, et ainsi facilement pouvoir discriminer les déformations lentes du réel sig-nal des SFPs. Finalement, il serait simple de construire un montage permettant unemesure différentielle de l’émission dans le rouge et celle du vert. Le bruit optique causépar les déformations ou une quelconque autre source devrait se retrouver simultanémentdans les deux signaux. La différence devrait donc correspondre uniquement au décalage

5. Cependant, ces objectifs ne possèdent pas l’ouverture numérique nécessaire à l’ablation laser.Il faudrait donc changer d’objectif au courant de l’expérience, ce qui ajoute une difficulté techniquesupplémentaire

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Chapitre 5. Sondes potentiométriques : méthodes et résultats 52

spectral. Pour diminuer les déformations, et aussi prolonger la durée des expériences, ilserait aussi préférable de se limiter à des dépolarisations oscillant entre -100 et 0 mV.

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Chapitre 6

Éléments de théorie sur les canauxioniques et la génétique

Les canaux ioniques sont des protéines transmembranaires qui facilitent la diffusiondes ions au travers de la membrane en formant des pores aqueux. De plus, ils contrôlentle flux d’ions par un mécanisme de valve. Trois différents éléments peuvent activer oudésactiver le flux d’ions : le voltage sur la membrane, un ligand ou un second messagercomme la concentration d’un autre ion [28]. Nous nous intéresserons ici plutôt auxcanaux ioniques dépendants du voltage.

À cause de la taille du pore aqueux, mais aussi à l’aide de résidus chargés le long dupore, le canal ionique agit comme un filtre sélectif pour certains ions. Comme illustré àla figure 6.1, un senseur détecte la tension sur la membrane et, par un changement deconformation, commande l’ouverture ou la fermeture du pore. Un site de modulationpermet aussi l’ajustement fin du flux ionique.

Comme le système in vitro permet d’appliquer une tension et de détecter le couranttraversant la micropipette de manière relativement précise, nous tenterons d’utiliserla caractéristique courant/tension pour calibrer le système. En pratique, le but étaitd’implanter un canal ionique dans une souche bactérienne et de détecter la discontinuitédans la courbe de courant que ce canal doit causer. Le canal ionique dépendant duvoltage NaChBac est une protéine modèle fréquemment utilisée en électrophysiologiestructurale [23] ; il offre un courant d’activation à l’ouverture de 1000 à 10 000 pA chezCHO-K1 [31], soit possiblement 40 à 400 pA pour une bactérie E. coli filamenteuse 1 ;sa structure est simple et le canal provient originellement d’un procaryote. Toutes ces

1. L’aire de la membrane des bactéries que nous utilisons est 25 fois plus petite que celles des cellulesCHO-K1.

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Chapitre 6. Éléments de théorie sur les canaux ioniques et la génétique 54

Figure 6.1 – Canal ionique général [28]

caractéristiques font du NaChBac le candidat idéal pour notre essai. Le canal nousa été suggéré et fournit par la Professeure Jay Nadeau du département d’ingénieriebiomédical de l’Université McGill.

Comme l’acquisition du courant se fait sur une cellule entière, il est impossible demesurer l’ouverture de canaux individuels comme il est commun d’observer en patch-clamp. On peut s’attendre à ce que l’ouverture des ∼ 105 canaux crée une réponse telleque celle de la figure 6.2. Cette figure présente les résultats escomptés suite à une impul-sion électrique. Les canaux réagissent à une dépolarisation et non à l’hyperpolarisation.

6.1 Survols des techniques génétiques utilisées

À la section 7.1, nous décrirons comment une souche bactérienne possédant un canalionique dépendant du voltage a été créée. Cependant, plusieurs techniques fréquemmentutilisées en génétique n’y seront pas décrites. Nous vous proposons ici un survol rapidedes techniques qui sont les outils de base utilisés pour la création de la souche bactéri-enne qui est détaillée au chapitre suivant.

Plasmide C’est une molécule d’ADN capable de réplication autonome, généralementcirculaire, séparée de l’ADN bactérien et non essentiel à la survie de l’organisme. C’estune méthode simple et souvent employée pour la construction de souche bactérienne. Lesplasmides commerciaux possèdent plusieurs sites de restrictions, une ou plusieurs résis-tances aux antibiotiques, et souvent un inducteur permettant de contrôler l’expression

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Chapitre 6. Éléments de théorie sur les canaux ioniques et la génétique 55

Figure 6.2 – Réponse à la dépolarisation de la totalité des canaux ioniques dans unecellule chromaffine. En haut, une réponse à la dépolarisation. Au milieu, une réponse àl’hyperpolarisation. En bas, 25 réponses à la dépolarisation moyennées. [19]

du plasmide. Lors de la division cellulaire, les plasmides sont séparés aléatoirement.Dans la cellule fille, le plasmide s’autoréplique pour atteindre un nombre de copiesdéterminées qui dépend du type de plasmide utilisé.

Électrophorèse L’électrophorèse est la principale technique utilisée pour séparer etcaractériser l’ADN en génétique. Un gel d’agarose rectangulaire dans lequel on faitplusieurs puits est immergé dans une solution tampon conductrice. Aux extrémités dugel, on place deux électrodes. L’ADN inséré dans les puits va migrer lentement autravers de l’agarose sous l’action du potentiel appliqué sur les électrodes. La vitessede migration dépend de la taille, de la forme et de la charge des molécules. Aprèsune coloration fluorescente de l’ADN au bromure d’éthidium, on peut voir des raiescorrespondant aux différentes sections de l’ADN préalablement digéré. On utilise del’ADN étalon possédant des raies bien connues pour interpréter les résultats.

Digestion Pour couper l’ADN à un endroit précis, on utilise des enzymes agissant surdes sites de restrictions particuliers. Les plasmides commerciaux possèdent généralementde nombreux sites de restrictions facilitant le clonage comme, par exemple, EcoR1 etPst1 que nous verrons plus loin.

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Chapitre 6. Éléments de théorie sur les canaux ioniques et la génétique 56

Ligature Il s’agit du procédé permettant de lier deux brins d’ADN coupés. On utilisefréquemment la T4-ADN-ligase, une enzyme isolée du bactériophage T4. Plusieurs typesde ligatures sont possibles selon le type de digestion préalablement effectuée. La recon-struction d’un plasmide par ligatures ne se fait pas nécessairement correctement. Il ya trois mauvaises ligatures possibles : le vecteur peut se refermer sur lui-même, l’ADNétranger peut se refermer sur lui-même ou il peut s’insérer dans le vecteur à l’envers. Uneétape supplémentaire pour la sélection des bonnes ligatures est nécessaire, la sélectionbleu/blanc.

Électroporation C’est une méthode fréquemment utilisée pour insérer un plasmidedans une bactérie. On applique une impulsion électrique d’environ 1.8 kV par cm dedistance entre les électrodes d’une cuvette d’électroporation. On peut voir une image dece type de cuvette à la figure 7.1. La tension décroit exponentiellement selon V0e

−RCt,où R et C sont la résistance et la capacitance globale du circuit, V0 est l’amplitudede l’impulsion initiale et t le temps. Comme R et C dépendent beaucoup de typede cellule, et de leur concentration, il est parfois difficile de prévoir la constante detemps τ = RC. On souhaite généralement obtenir une constante de l’ordre de 4 à5 ms pour éviter d’endommager les cellules. L’impulsion électrique a pour effet deperméabiliser temporairement la membrane cellulaire de sorte qu’il est possible qu’unemolécule d’ADN soit intégrée à la cellule. Évidemment, ce processus endommage lesbactéries. On ajoute un milieu de croissance très riche en nutriments immédiatementaprès l’électroporation pour leur permettre de récupérer.

Sélection bleu/blanc Parfois, une bactérie va intégrer un plasmide reconstruit incor-rectement. Celui-ci va tout de même lui conférer une résistance à l’antibiotique choisie.Il est donc nécessaire d’avoir une méthode de sélection supplémentaire en plus de lasélection par l’antibiotique pour discerner les mauvaises ligatures. Dans le plasmideutilisé, les sites de restrictions multiples sont au milieu du gène textitlacZ. L’inser-tion de l’ADN étranger vient interrompre ce gène et l’empêcher de coder pour la pro-téine β-galactosidase. Sur un milieu comprenant du X-gal et l’inducteur IPTG, la β-galactosidase métabolise le X-gal et forme un substrat bleu. Ainsi, seules les mauvaisesligatures possédant un gène lacZ ininterrompu formeront des colonies bleues sur ce typede milieu.

Miniprep Il s’agit d’un protocole permettant d’obtenir une petite quantité d’ADNplasmidique à partir d’une culture bactérienne. L’ADN n’est pas purifié après la miniprep.Il est nécessaire de suivre un protocole de filtrage par centrifugation pour la purifier.

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Chapitre 6. Éléments de théorie sur les canaux ioniques et la génétique 57

Dosage Le dosage se fait par fluorescence. On évalue l’intensité lumineuse en la com-parant à plusieurs étalons de concentration connue. Il sert à évaluer la concentrationd’ADN obtenue après les minipreps et purifications.

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Chapitre 7

Canaux ioniques : méthodes etrésultats

Dans ce chapitre, nous décrirons comment a été construite la souche bactériennepossédant le canal ionique NaChBac, comment les mesures de courants ioniques ont étéprises avec le système in vitro, et finalement quels sont les résultats obtenus.

7.1 Création d’une souche bactérienne

D’abord, il est important de noter que la procédure décrite ici n’est pas une procé-dure générale pour insérer un ou plusieurs gènes dans une bactérie. Le canal ion-ique provient originalement d’une cellule procaryote, Bacillus halodurans. Cependant,comme ce canal ionique est beaucoup étudié présentement en électrophysiologie, générale-ment dans les neurones, il avait été implanté dans un plasmide de type eucaryote. C’estdonc dans un vecteur eucaryote que la Professeur Jay Nadeau nous l’a gracieusementenvoyé. Il a donc fallu couper le fragment de l’ADN contenant le canal ionique et l’in-sérer dans un plasmide procaryote, compatible avec la souche bactérienne que nousutilisons, et ensuite l’insérer dans cette souche.

Dans cette section, nous allons décrire comment construire un plasmide procaryoteà partir d’un plasmide eucaryote et comment l’insérer dans une bactérie pour créer unenouvelle souche. Le schéma de la figure 7.1 représente les étapes principales pour yarriver. Dans ce schéma, les opérations sur l’ADN sont en vert tandis que celles sur lesbactéries sont en bleu, les résistances aux antibiotiques sont identifiées en rouges et les

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 59

Plasmide eucaryote Dosage Picogreen

Électrophorèse

DH10B + pNaChbacSauvegarde

Digestion Ecor1-Pst1

Électrophorèselente

Purificationsur gel

Ligation dansvecteur pUCP19

E.coli HCB1661 CML

E.coli HCB33 (wt)

Électroporation

E.coliDH10B

KAN

Électroporation

Sélection bleu/blanc

AMP

E.coli AB13

E.coli AB14

CMLAMP

AMP

Miniprep Séquençage de l'ADN

GAATTCCATGGAAGCTAGACAGAAACAGAACAGTTTCACTAGTAAAATGCAAAAAATCGTGAATCATCGGGCGTTTACGTTTACGGTGATCGCGTTAATTCTTTTTAATGCCCTTATCGTTGGAATCGAAACCTATCCACGTATTTATGCTGATCATAAATGGTTATTCTATCGAATAGATCTTGTTCTTCTCTGGATCTTCACGATTGAAATTGCGATGCGCTTTTTAGCTTCGAATCCGAAATCAGCTTTTTTTCGAAGTTCATGGAATTGGTTTGATTTCTTAATTGTAGCCGCAGGTCATATATTTGCAGGTGCTCAATTTGTGACGGTTCTCCGTATTTTACGGGTTCTCAGGGTACTACGGGCCATCTCAGTTGTTCCATCGTTGCGCAGGTTAGTTGATGCGTTGGTGATGACGATCCCGGCGTTAGGAAACATCTTAATCTTGATGAGCATTTTCTTCTATATTTTTGCCGTTATCGGGACGATGTTATTTCAGCATGTGTCGCCTGAATATTTCGGTAATTTACAGCTTAGTTTGTTAACATTGTTCCAAGTGGTCACGCTAGAGTCATGGGCGAGCGGCGTCATGCGACCAATTTTTGCCGAAGTTCCGTGGTCTTGGCTTTATTTTGTCAGCTTTGTCTTAATCGGTACGTTTATCATCTTTAACTTGTTTATCGGTGTAATCGTCAATAACGTTGAAAAAGCAGAGTTAACGGACAATGAGGAAGATGGTGAAGCCGATGGGTTAAAACAAGAAATCTCAGCCTTAAGAAAAGACGTAGCCGAGCTAAAAAGCTTGCTTAAACAATTCTGC

E.coliDH10B

Miniprep

Électroporation

Isolement

KAN

AMP

AMP

Figure 7.1 – Schéma des étapes pour la construction d’une souche

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 60

Figure 7.2 – Carte du plasmide eucaryote pNaChBac-IRES2-DsRed2.

manipulations préparant à l’électroporation sont identifiées par un symbole électrique.Le plasmide eucaryote se nomme pNaChBac-IRES2-DsRed2. Il s’agit de la séquenceNaChBac insérée dans le vecteur IRES2-DsRed2 (voir fig. 7.2).

On commence par doser le plasmide avec la trousse Quant-iT™PicoGreen 1, poursavoir en quelle concentration il se trouve. Après chaque purification, sur gel ou aprèsune miniprep, l’ADN est dosé. Nous avons cependant omis du schéma ces opérationspour une meilleure lisibilité. Ensuite, on mesure la taille du plasmide à l’électrophorèse.L’électrophorèse est faite dans un gel d’agarose à 0,8 % dans une solution tamponTBE 2. On peut voir à la 7e colonne de la figure 7.3 que la taille est d’environ 6000paires de bases (pb), ce qui concorde avec la séquence que l’on nous avait fournie. Lafigure 7.2 affiche effectivement 6101 pb. Les deux plus petites sections en rouge de lafigure représentent les nombreux sites de restriction du vecteur. En violet, à gauche, lasection KanR code pour la résistance à l’antibiotique kanamycine. Le fragment codantpour le NaChBac se trouve entre les sites Nco1 et Pst1. Pour la compatibilité avec levecteur procaryote, nous devrons cependant utiliser EcoR1 et Pst1 pour la digestion.

Avant d’effectuer la digestion, nous effectuons une copie de sauvegarde du plasmide

1. Invitrogene : Cat # P75812. 89 mM TRIS, 89 mM acide borique et 2 mM Na2EDTA

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 61

eucaryote tel qu’il est en l’électroporant dans une cellule électrocompétente E. coliElectroMAX DH10B™ 3. On s’assure que le plasmide est bien incorporé en sélectionnantavec la kanamycine. Ensuite, on effectue une digestion double avec les enzymes EcoR1 etPst1. La digestion dure 3 h à 37 °C, on y inclut 2 µl de BSA 4, 2 µl d’une solution tamponcolorée 5, 0,5 µl des deux enzymes de restriction 6, 0,5 µg de l’ADN du plasmide purifiéet l’on complète avec de l’eau pour un total de 20 µl. On inactive finalement les enzymesà 67 °C durant 20 min. Pour s’assurer que la digestion est correcte et que la ligaturesera possible, on fait en parallèle les digestions simples EcoR1 et Pst1, et la digestiondouble EcoR1-Pst1, sur notre plasmide eucaryote et sur un plasmide procaryote cible,pUCP19 [40]. Le résultat de l’électrophorèse sur gel est illustré à la figure 7.3. On utilisel’échelle High Mass DNA Ladder 7 et le 100 bp DNA Ladder 8 comme étalons. Les deuxderniers puits (avant les étalons) contiennent les plasmides non digérés. On voit deuxraies que l’on attribue aux deux formes possibles du plasmide, soit la forme relâchée quimigre plus lentement, et la forme superenroulée qui migre plus rapidement. Les puitspUCP19-EcoR1 et pUCP19-Pst1 contiennent de l’ADN digéré à un seul endroit (donclinéarisé), et de l’ADN non digéré dans ses deux formes. L’ADN linéaire peut migrer pluslentement que l’ADN superenroulé, mais moins que l’ADN relâché. La digestion doublepUCP19-EcoR1-Pst1 donne aussi un seul fragment, car les deux sites de restriction sontrès près l’un de l’autre. On peut remarquer qu’il y a plus de fragments linéaires (aucentre) et c’est normal, car deux fois plus d’enzymes effectuaient la digestion. Le puitsIRES2-DsRed2-Pst1 comporte deux fragments linéaires, un à environ 1000 pb, et l’autreà 5000 pb. C’est aussi normal, car le vecteur IRES2-DsRed2 comporte deux sites derestrictions Pst1 (voir fig. 7.2). La digestion simple IRES2-DsRed2-EcoR1 ne permetmalheureusement pas de discerner sur cette image le fragment linéaire. Toutefois, à ladigestion double IRES2-DsRed2-EcoR1-Pst1, il est clair qu’un second fragment légerautour de 800 pb se distingue. C’est ce fragment qui nous intéresse puisqu’il contientle NaChBac.

Pour extraire le fragment NaChBac, il suffit de répéter l’expérience de la diges-tion double sur une douzaine de puits, et de faire une migration lente dans un gel detype SeaKem 9 1 % durant environ 16 h. Cette technique d’électrophorèse lente permetd’avoir des raies bien nettes et sans trop de déformations (voir fig. 7.4). On extrait parla suite le fragment à l’aide d’un scalpel sous une lampe UV et on purifie l’ADN à l’aidedu Perfectprep Gel Cleanup 10.

3. Invitrogen : cat # 18290-0154. Bovine Serum Albumin, New England BioLabs : cat # B9001S5. NE Buffer 3, New England BioLabs : cat # B7003S6. New England BioLabs : cat # R0101S et R0140S7. Invitrogen : cat # 10496-0168. Invitrogen : cat # 15628-0199. Lonza : cat # 5000410. Eppendorf : cat # 955 15 200-0

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 62

Figure 7.3 – Électrophorèse : Digestions simples et doubles sur le plasmide pNaChBac-IRES2-DsRed2 et pUCP19.

Figure 7.4 – Électrophorèse lente : Digestions doubles EcoR1-Pst1 sur le plasmidepNaChBac-IRES2-DsRed2.

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 63

Une fois le NaChBac purifié, on fait la liaison avec le vecteur pUCP19 que l’on aaussi digéré aux mêmes sites de restriction. La liaison se fait à 16 °C durant 16 h. Oninclut 100 ng du vecteur plasmidique, une quantité équimolaire de l’ADN du NaChBac,2 µl du tampon de liaison 10X, le T4-DNA-Ligase 11 à 400 unités/ml et l’on complèteà 20 µl avec de l’eau. On inactive l’enzyme de ligature à 65 °C durant 10 min. Pourvérifier si la ligature s’est faite correctement, on électropore le plasmide purifié dansles cellules électrocompétentes DH10B et l’on fait une sélection bleu/blanc. Seules lescellules qui contiennent un plasmide correctement lié formeront des colonies blanches,les autres vont former des colonies bleues. La construction du plasmide est terminée.

Maintenant, on souhaite insérer cette construction dans une souche particulière d’E.coli, soit la souche HCB33 (type sauvage) et la souche HCB1661 (celle que l’on utilisepour le marquage des flagelles dans le système in vitro). Il suffit de faire une miniprepà partir de la colonie sélectionnée, et de purifier une quantité appréciable de plasmides.On électropore ensuite ce plasmide dans les deux souches HCB1661 et HCB33 et l’onisole deux nouvelles souches que l’on nomme respectivement AB13 et AB14. Ces souchespossèdent leurs anciennes résistances aux antibiotiques en plus de la nouvelle résistanceà l’ampicilline conférée par le plasmide. Finalement, on isole à nouveau le plasmide deces deux nouvelles souches et on l’envoie au séquençage pour s’assurer que le segmentcorrespondant au NaChBac est bien inséré.

Pour être en mesure d’utiliser la nouvelle souche dans le système in vitro, on doits’assurer d’avoir une culture bactérienne filamenteuse suffisamment dense où les bac-téries ont une longueur uniforme. Il est plus difficile avec la nouvelle souche, que l’onnomme AB13, d’obtenir ce résultat. Il est probable que l’expression du matériel géné-tique supplémentaire requiert une certaine quantité d’énergie de plus à la bactérie.Cela occasionne des cultures saturées moins denses. On ne peut donc pas utiliser lesmêmes paramètres pour la croissance des cultures exponentielles qu’avec les HCB1661.On inocule 200 µl, au lieu de 100 µl, d’une culture saturée dans 10 ml de TB pourfaire la culture exponentielle. On y ajoute, bien sûr, les antibiotiques appropriés, soit134,6 mM d’ampicilline en plus des autres antibiotiques et inducteurs que l’on utilisepour le HCB1661 (détaillés au chapitre 3). Il est aussi possible d’ajouter entre 0,01 et 0,1mM de l’inducteur IPTG 12 pour faire passer le nombre de copies du plasmide d’environ20 à 100. Toutefois, ces expériences n’ont pas été effectuées à l’heure actuelle. Le faitd’utiliser un plus grand nombre de bactéries au départ limite les ressources disponiblespour celle-ci. Elles vont donc atteindre une longueur maximale avant la fin du tempsde culture. Elles sont donc généralement plus courtes et plus uniformes. Il est souventnécessaire d’ajouter 2 ml de TB à la fin du temps de culture et d’attendre 45 min supplé-

11. Invitrogen : cat #15224-041 pour T4-DNA-Ligase et tampon de liaison12. Isopropyl β-D-1-thiogalactopyranoside, Sigma-Aldrich : cat # I6758

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 64

15.4 15.6 15.8 16 16.2 16.4 16.6 16.8 17 17.21.25

1.3

1.35

1.4

1.45

1.5

1.55

1.6

1.65

Temps (h)

Den

sité

opt

ique

(D

O)

Croissance

AB13HCB1661KAF95

Figure 7.5 – Densité optique de la souche AB13 en fonction du temps de croissance.En comparaison avec les valeurs typiques de DO des autres souches, on constate que lacroissance de la souche AB13 est plus lente avec le plasmide.

mentaires pour que les bactéries aient la longueur appropriée 13. En ajoutant seulementà ce moment 2 ml de TB supplémentaire, les bactéries peuvent continuer leur croissancejusqu’à la longueur nécessaire sans qu’il y ait trop de différences entre celles-ci. Il arriveque la souche HCB1661 cause aussi des problèmes de non-uniformité. Pour pallier ceproblème, on utilise parfois un protocole de croissance similaire à celui de la soucheAB13.

À la figure 7.5, on retrouve la densité optique à 600 nm pour une culture d’AB13en fin de saturation. Les premiers points en rouge et vert représentent les valeurs typ-iques de saturation pour l’HCB1661 et la KAF95. On remarque que l’AB13 sature pluslentement et atteint un plateau plus bas que les deux autres souches. Il est possible que,puisque l’AB13 doit être sélectionnée par deux antibiotiques simultanément, la synergiede ceux-ci diminue la vitesse de croissance. Cependant, on note que l’AB12, provenantde la souche de type sauvage additionnée du plasmide NaChBac croit plus lentementaussi, même si elle est sélectionnée par un seul antibiotique 14.

13. Comme au chapitre 5, les cultures de bactéries filamenteuses sont préparées d’avance pour desraisons techniques. L’incubateur automatique est réglé à 4 °C pour la nuit et démarre l’incubation à34 ° vers 5 h am de sorte que les bactéries aient été incubées durant 3 h 30 à 8 h 30 am.14. Elle croît légèrement plus rapidement que l’AB13 mais beaucoup plus lentement que sont homo-

logue de type sauvage (HCB33)

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 65

7.2 Mesures des courants ioniques

7.2.1 Méthode

Dans cette section nous ferons la mesure du courant pour des dépolarisations àdifférents voltages. Pour effectuer cette mesure, nous insérons une bactérie provenantde notre nouvelle souche (AB13) dans la micropipette du système in vitro décrit auxchapitres 3 et 5. La méthode est tout à fait similaire, si ce n’est, qu’à priori, aucunmarquage fluorescence n’est nécessaire. Cependant, pour faciliter l’expérimentation,un marquage fluorescent à l’AF546 est tout de même appliqué sur les flagelles. Celanous permet de facilement repérer les bactéries qui ont une bonne motilité, car c’estgénéralement celles qui vont offrir une résistance acceptable une fois insérées dans lamicropipette. Une fois que les bactéries ont la taille appropriée, on en insère une dans lamicropipette du système in vitro, on perce la membrane à l’aide du laser femtosecondeet l’on applique les tensions de dépolarisations choisies. Les étapes pour avoir l’accèschimique et électrique au cytoplasme sont décrites en détail aux chapitres 3 et 5.

7.2.2 Résultats

Les impulsions de dépolarisations sont en bleu à la figure 7.6 tandis que le courantmesuré est en vert. On remarque des pics d’amplitudes élevés aux transitions. Ceux-cisont dus à la capacitance de la pipette. Généralement, il est possible de corriger la capac-itance avec l’amplificateur d’électrophysiologie que nous utilisons. Malheureusement, lacapacitance observée était à l’extérieur de la plage de correction possible de l’appareil. Àl’avenir, il serait possible d’appliquer sur la pipette du Sylgard (Dow Corning, MidlandMI), un composite permettant de réduire la capacitance. Quoi qu’il en soit, nous avonsdû recourir à des méthodes numériques 15 pour soustraire la capacitance des signaux(figure 7.7).

Il est important de comprendre qu’à ce point de l’analyse, la majorité du courantmesuré correspond au courant qui fuit par l’espace entre la bactérie et la pipette. C’est-à-dire qu’il est linéaire et proportionnel à la tension appliquée. Il faut donc isoler lecourant transmembranaire du courant de fuite. On sait que le canal ionique implantédoit s’ouvrir précisément à partir de -50 mV et pour les dépolarisations plus positives.Donc, on soustrait la première impulsion, multipliée par un facteur d’échelle, aux im-pulsions suivantes. Cela nous donne donc quatre signaux avec soustraction. Pour les

15. On élimine les données ayant une dérivée dépassant un certain seuil.

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 66

2 4 6 8 10 12

−150

−100

−50

0

Courant non corrigé

Temps (s)

Ten

sion

(m

V)

2 4 6 8 10 12

−1

0

Cou

rant

(nA

)

Figure 7.6 – Mesure du courant pour une série de dépolarisations ∆(50, 75, 100, 125,150) mV, base -150 mV.

0 2 4 6 8 10 12

−150

−100

−50

0

Courant corrigé

Temps (s)

Ten

sion

(m

V)

0 2 4 6 8 10 12

−1

−0.5

0

Cou

rant

(nA

)

Figure 7.7 – Mesure du courant pour une série de dépolarisations ∆(50, 75, 100, 125,150) mV, base -150 mV. La capacitance est corrigée en supprimant les points dont ladérivée dépasse un certain seuil.

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 67

0 0.01 0.02 0.03 0.04 0.05−6

−4

−2

0

2

4

6

8

10

12x 10

−3

Temps (s)

Cou

rant

(nA

)

Courbes de courant à différentes tensions

Figure 7.8 – Courant des dépolarisations ∆(75, 100, 125, 150) mV dont on a soustraitle courant mesuré à ∆50 mV.

deux premiers signaux, le canal doit être fermé, tandis que pour les deux derniers sig-naux le canal serait ouvert. L’ouverture devrait entraîner un courant supplémentaire de40 à 400 pA tel que calculé au chapitre 6. À la figure 7.8, on retrouve les courants dedépolarisation mesurés. On remarque d’abord que l’augmentation semble linéaire, et necorrespond pas au saut abrupt prévu. C’est qu’en fait la majorité du signal affiché corre-spond à un artefact provenant d’une mauvaise isolation du courant transmembranaire.

L’observation la plus troublante est que pratiquement les mêmes signaux sont obtenuslorsque la pipette est vide, c’est-à-dire sans bactérie (voir fig. 7.9). On en conclut quel’importance du courant de fuite empêche toute détection du courant transmembranaire.La figure 7.10, représente la charge normalisée, soit l’intégrale du courant, en fonctionde la tension de dépolarisation. Nous aurions dû obtenir, particulièrement à cette figure,une différence marquée entre les deux premières et les deux dernières données. Ce n’estpas le cas. Les barres d’erreur représentent le bruit dans les signaux originaux.

Plusieurs techniques d’analyse numérique ont tout de même été tentées pour isolerle courant transmembranaire, mais ces efforts sont restés sans succès. Une des méthodess’assurait d’une bonne soustraction du bruit en optimisant la différence entre les signauxen fonction d’un léger décalage introduit (∼ 0,1 ms). On voit à la figure 7.11 qu’il semblequ’un bruit périodique se retrouve régulièrement dans tous les signaux, même s’ils ont

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 68

0 0.01 0.02 0.03 0.04 0.05−6

−4

−2

0

2

4

6

8

10

12x 10

−3

Temps (s)

Cou

rant

(nA

)

Courbes de courant pour une pipette vide

Figure 7.9 – Courant des dépolarisations pour une pipette sans bactérie

−80 −70 −60 −50 −40 −30 −20 −10 0 10−0.4

−0.2

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

1.2

Voltage (mV)

Cha

rge

norm

alis

ée

Charge normalisée en fonction du voltage

Bact 1 (175±5 MΩ)

Bact 1 (165±1 MΩ)

Bact 1 (158±3 MΩ)

Bact 1 (158±1 MΩ)

Bact 2 (240±9 MΩ)

Bact 2 (280±20 MΩ)

Bact 2 (236±9 MΩ)

Vide (65±1 MΩ)

Figure 7.10 – Charge normalisée pour deux bactéries et pipette vide

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 69

380 390 400 410 420 430 440 450 460−4

−3

−2

−1

0

1

2

3

4

5x 10

−3 Superposition des signaux après décalage

Décalage (en points)

Sig

naux

nor

mal

isés

(u.

a.)

(a)

−20 −15 −10 −5 0 5 10 15 200.5

1

1.5

2

2.5

3

3.5x 10

−6 Recherche du décalage minimum

Décalage (en points)

Diff

éren

ce e

ntre

les

sign

aux

norm

alis

és (

u.a.

)

Décalage de −2

(b)

Figure 7.11 – En (a), les dernières données provenant de deux signaux. En (b), onvoit qu’il y a un minimum pour la différence des signaux en fonction d’un décalageintroduit.

été pris à des moments éloignés. On peut trouver une soustraction optimale en décalantlégèrement un signal par rapport à l’autre.

Malheureusement, on doit conclure que cette technique ne permet pas d’isoler lecourant transmembranaire, du moins lorsque le courant de fuite est très important. Onconstate, tout de même, qu’à la figure 7.8, l’amplitude du signal mesuré correspond àseulement 12 pA. Donc, en apparence, il devrait être possible de mesurer un courantde 40 à 400 pA. Mais il faut comprendre que les 12 pA mesurés correspondent à ladifférence des signaux. Les signaux bruts sont plutôt de l’ordre de 800 pA à cause dela mauvaise qualité du scellé. Il est donc fort possible que l’observation désirée soitcomplètement noyée dans le bruit électrique, le bruit de la capacitance et le bruitbiologique correspondant à d’éventuels déplacements de la bactérie à l’intérieur de lamicropipette.

7.3 Conclusion

En somme, il est impossible de mesurer pour l’instant le courant transmembranairedû au NaChBac. Il est tout de même surprenant qu’on ne puisse détecter aucun signedu canal, car l’amplitude des artefacts de bruit est de 4 à 40 fois inférieure au courantescompté. Comme le canal provient originellement d’une bactérie Gram positif, il estpossible que l’insertion dans la membrane se fasse difficilement ou qu’il soit difficile-

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Chapitre 7. Canaux ioniques : méthodes et résultats 70

ment exprimé. Nous pourrions tenter d’adjoindre une protéine fluorescente au canal, oud’effectuer un marquage par anticorps pour visualiser l’emplacement du canal et nousassurer qu’il est bien inséré dans la membrane. De plus, il serait souhaitable d’identifiersi le canal se loge dans la membrane interne ou externe de la bactérie. Comme les Grampositifs ne possèdent pas de membrane externe, on suspecte que même chez E. coli lecanal se logerait dans la membrane interne. C’est ce que l’on souhaite, car c’est à cetendroit que la différence de potentiel se trouve majoritairement.

Du point de vue de la mesure, la principale limitation est probablement la qualité duscellé. Pour y remédier, nous pourrions créer des sphéroplastes en dissolvant partielle-ment le peptidoglycane de bactéries E. coli filamenteuses [10]. Cette technique permetd’obtenir des résistances de scellé variant entre 1 et 10 GΩ. Nous suspectons cependantque la dissolution partielle du peptidoglycane entraîne la défaillance des moteurs flagel-laires. Un contrôle sur Bacillus halodurans n’est pas envisageable pour l’instant, car lesmêmes problèmes de scellé surviendront. De plus, le fait que la bactérie soit halophilenous empêche d’utiliser les mêmes concentrations de sel dans la solution conductriceutilisée lors des mesures de courants. Cela peut endommager les électrodes et changerconsidérablement l’ordre de grandeur des résistances mesurées.

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Chapitre 8

Conclusion

Au cours de ce projet de maîtrise, nous avons exploré deux voies possibles menantà une mesure instantanée des tensions membranaires chez E. coli et une éventuellecalibration d’un système in vitro. À court terme, l’option des sondes fluorescentes po-tentiométriques (SFPs) semble la plus prometteuse. Dans les deux cas cependant, desérieuses contraintes expérimentales limitent l’information qu’il est possible d’obtenirau sujet de la tension de membrane. Aucune mesure n’est directe. Dans le cas des SFPs,de nombreux facteurs peuvent influencer l’intensité lumineuse de la fluorescence tels quela déformation de la bactérie lors de l’application du voltage ou la répartition du fluo-rophore sur les membranes interne et externe. On pourrait s’attendre, à priori, à ce quel’option des canaux ioniques soit plus stable et reproductible, car l’ouverture des canauxest abrupte et bien documentée. Malheureusement, pour l’instant, la simple détectiondu courant transmembranaire reste un défi dans des conditions d’électrophysiologie àbasse résistance.

Les SFPs nous ont cependant permis de mesurer une variation dans la fluorescencevariant entre -5 et -10 % lors de dépolarisations de 150 mV, ce qui correspond à l’ordrede grandeur déterminé par le modèle que l’on a établi. Ces mesures ont été prises à l’aidede l’ionophore CCCP en chambre d’écoulement. Les mesures prises à l’aide du systèmein vitro se sont révélées beaucoup plus ardues à obtenir. Nous avons obtenu un ∆F/Fmaximum de 2,24 ± 0,05 % avec le filtre vert (536 ± 20 nm) à l’émission, ce qui diffèrede la grande sensibilité au voltage généralement observé pour ce fluorophore. Le fait quele signal mesuré soit franchement différent du modèle nous laisse croire qu’un élémentdans la localisation du marqueur échappe à notre compréhension. Comme mentionnéprécédemment, il est possible qu’un important marquage de la membrane externe noiele signal provenant de la membrane interne qui est présumément beaucoup plus faible.Une expérience sur une bactérie de type Gram positif, ou sur une cellule eucaryote

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Chapitre 8. Conclusion 72

permettrait probablement de trancher cette question.

Si une mesure stable du voltage menant à la calibration du système n’a pu êtreobtenue, il semble tout de même qu’il soit possible de détecter optiquement les change-ments de potentiel sur une membrane bactérienne. Si des expériences contrôles plusavancées confirment les données enregistrées, ces expériences seraient, à notre connais-sance, les premières mesures de ce type chez les procaryotes. Toutefois, il faut préciserque même si la détection est possible, beaucoup de travail reste à faire avant d’utiliserla fluorescence relative comme paramètre de calibration. Il est impératif d’augmenterle rapport du signal sur le bruit et de s’affranchir des déformations de la bactérie.Pour augmenter le signal, nous commencerons par vérifier comment le fluorophore secomporte sur d’autres types de membranes tels que celles des bactéries Gram positifs.Pour nous affranchir des déformations, nous modifierons le montage de sorte qu’il soitpossible de prendre des mesures différentielles rapides.

Cependant, autant pour les SFPs que pour le canal ionique, il serait souhaitabled’être en mesure de reproduire les expériences provenant des écrits scientifiques. À monavis, une des principales erreurs que l’on a pu commettre fut de limiter le cadre généraldes expériences au système in vitro. Comme plusieurs éléments du système ne sontpas compatibles avec les protocoles décrits dans les expériences faites par le passé surles SFPs ou les canaux ioniques, nous n’avons pas pu reproduire ces expériences dansdes conditions similaires. S’il nous était possible de faire de l’électrophysiologie sur descellules eucaryotes, il serait beaucoup plus simple d’avoir une bonne résistance de scel-lée. De même, il serait plus simple d’observer le comportement de l’ANNINE-6plus oudu canal NaChBac dans ces conditions favorables et déjà documentées, pour ensuitemigrer cette technologie vers le système in vitro. Bien entendu, acquérir le matériel etl’expérience nécessaires à l’électrophysiologie eucaryote est long et complexe. Une solu-tion envisageable pourrait passer par une interaction étroite avec d’autres laboratoiresoù ce type de méthode est chose commune. Un, ou plusieurs, étudiants en codirectionpourraient probablement assurer un bon transfert de la technologie.

Quoi qu’il en soit, la réflexion qu’apporte ce mémoire offre le recul nécessaire pourenvisager la poursuite de cette étude. À court terme, il semble que l’on se trouve prèsd’un important tournant au sujet des sondes potentiométriques. Les prochaines expéri-mentations sur les Gram positifs, ou en mesure différentielle rapide, risquent d’êtrerévélatrices. Cependant, la mesure du courant transmembranaire du NaChBac risqued’avoir lieu à plus long terme et devra probablement passer par la fabrication de sphéro-plastes. De même, l’utilisation d’une de ces deux techniques pour calibrer le système invitro aura lieu à plus long terme.

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Chapitre 8. Conclusion 73

Même si la technique comporte toujours plusieurs difficultés, l’expertise que nousavons développée avec les SFPs semble avoir suscité l’intérêt de plusieurs chercheursétudiant la motilité bactérienne. Des collaborateurs tels que Kelly Hughes 1 ou RasikaM. Harshey 2 nous ont fait parvenir des souches dont la FPM est suspectée être plusélevée. De plus, des expériences permettant de mesurer les probables fluctuations rapidesde la FPM avec l’ANNINE-6plus ont été suggérées par Junhua Yuan 3. Nous espéronsdonc stabiliser nos mesures pour mettre ces collaborations à profit dans un avenirproche.

1. Professeur au département de biologie de l’Université de l’Utah2. Professeure au département de génétique moléculaire et microbiologie de l’Université du Texas

à Austin3. Étudiant postdoctoral dans le laboratoire de Howard Berg à l’Université Harvard

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