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Meurtres à «Libération» · jours — journaliste au service économique. Lorsque l'enquête policière a été terminée, j'ai éprouvé la nécessité de reprendre à zéro l'histoire

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MEURTRES À LIBÉRATION

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Collection « Les Lieux du crime »

créée par BERNARD MAGNIN

Déjà parus

JEAN DUCHATEAU Meurtre à l'Élysée

CAMILLE DUBAC Meurtres à l'E.N.A.

JEAN DUCHATEAU Meurtre 4 TF1

DOMINIQUE KIM Meurtres aux J. O.

Séoul 1988

ERIC NORDEN Meurtre à Wall Street

LEA SHANNON Meurtre en Haute Couture

DANIEL ROBERT Meurtres dans la pub

CLAUDE SOULA Meurtre à la Bourse

CLAIRE DE BEAUVAU Meurtres à la préfecture

ALAIN FAUJAS Meurtre dans le TGV

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BÉRANGÈRE LORRAINE

MEURTRES À LIBÉRATION

roman

CALMANN-LÉVY

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NOTE DE L'ÉDITEUR

Cet ouvrage, de pure fiction, n'a d'autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n'ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l'intrigue.

ISBN 2-7021-1821-6

© CALMANN-LÉVY 1989 Imprimé en France

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En hommage à toute l'équipe. Sans elle, Libération ne serait pas ce journal où l'auteur est (globalement) fière de travailler.

Merci à Yves Duel et au grand chef d'édition de Libé pour leurs précieux conseils.

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RÉDACTION

Rédaction en chef (central)

Directeur Serge July Rédacteur en chef Dominique Pouchin Rédacteurs en chef adjoints Gérard Dupuy

Jean-Michel Helvig Éditorialiste Serge Daney Rédacteur en chef de Lyon-Libération Michel Lépinay Secrétaires généraux de la rédaction Christian Lionet

Emmanuel Gabey Responsable du visuel Frédérique Goursolas Chefs d'édition Philippe Rochette

Marion Scali Grands reporters Marc Kravetz

Sorj Chalandon

Service photo

Chef Roland Allard

Service politique

Chef Fabien Roland-Lévy Chef d'édition Antoinette Lorenzi

Service économie

Chefs adjoints Thierry Philippon François Vey François Camé

Chef d'édition Marie-Ange Rodeaud

Rubrique médias

Chef Philippe Kieffer

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Service étranger

Chef Dominique Garraud Chef adjoint James Bumet Chef d'édition Jean Stern

Service société

Chef Béatrice Valleys Chefs adjoints Francis Zamponi

Jean-Pierre Bourcier Chef d'édition Luc Vachez Chef de desk Jean-Paul Cruse

Rubrique sciences

Chef Dominique Leglu

Service sports Chef Jean-Pierre Delacroix Chef adjoint Patrick Le Roux Chef d'édition Jacky Gourlaouen

Service culture

Chefs adjoints Serge Loupien Gérard Lefort Bruno Bayon

Chef d'édition Bernard Loupias

Supplément livres Chef Antoine de Gaudemar Chef d'édition Olivier Van de Walle

Supplément Europe

Chef François Feron Chef d'édition Thierry Benoît

Archives

Responsable Alain Brillon

FABRICATION

Directeur technique et chef des imprimeries Roberto Thomas-Metzger Responsable de production et chef d'atelier Sylviane Bernard

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ADMINISTRATION

Directeur général Jean-Louis Péninou Directeur du personnel Didier Tourancheau Administrateur Hubert Lesobre Responsable comptabilité Ingrid Gilles Responsable juridique Bénédicte Mei Responsable des services généraux Dominique Demetriades

COMMERCIAL

Directeur commercial Michel Vidal Responsable diffusion Michel Raichman Chef petites annonces Martine Aurousseau

TÉLÉMATIQUE

Directeur Michel Cerdan Chef d'édition Pierre Moulin-Roussel

(Tous les noms figurant dans cet organigramme n'apparaissent pas forcément dans l'histoire. De même, de nombreuses personnes ne sont pas nommées ici. Rappelons que Libération emploie plus de trois cents salariés, sans compter les pigistes et les filiales Lyon-Libération, vu. En outre, des personnages fictifs ont été inventés pour les besoins de l'intrigue.)

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AVERTISSEMENT

La presse a déjà largement rendu compte des événe- ments relatés dans ce livre; des événements qui ont déstabilisé Libération. A l'époque, j'étais — je suis tou- jours — journaliste au service économique. Lorsque l'enquête policière a été terminée, j'ai éprouvé la nécessité de reprendre à zéro l'histoire de ce fameux « feuilleton ». Plusieurs de mes amis y ont joué un rôle important. Je crois être aujourd'hui en mesure d'apporter un éclairage nou- veau.

Car nos confrères de la presse, écrite et audiovisuelle, n'ont pu raconter l'essentiel : notre vie quotidienne à tous, employés, cadres, ouvriers, journalistes, salariés d'un jour- nal désarçonné par une actualité dont les rédacteurs ne pouvaient plus rendre compte avec objectivité. Jusqu'alors spectateurs, observateurs de la société, nous sommes devenus acteurs d'un fait divers monstrueux, semblables aux héros de la Vologne, à notre tour persécutés par les reporters et les curieux, tentant de vivre normalement, malgré ce bouleversement total d'une partie de notre existence.

Le traitement journalistique de cette horrible affaire a été médiocre dans les colonnes de Libération. L'émoi, le chagrin, la peur nous ont empêchés d'enquêter avec sang- froid. Nous avions du mal à recoller les morceaux, et plus encore à traiter ces événements à notre manière habituelle. Pas facile, pour des professionnels de l'information, de couvrir une actualité quand elle vous concerne si directe-

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ment. Libération ne pouvait décemment pas « faire du Libé », autrement dit tomber dans sa propre caricature : celle d'un journal sarcastique, brillant (voire vulgaire, comme il arrive à la direction de le regretter), légèrement détaché du monde qu'il fouille de son scalpel.

Ce livre n'est rien d'autre qu'un reportage. S'il était publié dans les colonnes de Libération, il porterait, sous le titre, la mention : « ENVOYÉE SPÉCIALE. » Par honnêteté, dans un souci strictement pédagogique, je préfère expli- quer au lecteur ma méthode de travail. Je n'ai pas assisté à toutes les scènes racontées plus loin. J'ai simplement procédé comme tous les journalistes, qui ne sont pas toujours présents sur les lieux : j'ai interrogé des témoins, recoupé mes informations — j'ai écrit un article.

Au présent, évidemment. Un journaliste se doit d'employer le présent de l'indicatif, pour rester « vivant ». Et aussi — je dois au lecteur cette justification réelle — parce que, si j'use facilement du passé simple, j'ai quelques difficultés à manier correctement le subjonctif. A ma décharge (et à celle de mes confrères, handicapés de la même manière), les secrétaires de rédaction, chargés de relire et parfois d'arranger nos articles, s'y perdent aussi. L'héritage de Libération n'est pas grammatical, il est « générationnel ».

Ce terme propre à Libé ne vaut certes pas seulement pour le maniement de la langue française : le drame vécu à Libération, conté dans les pages qui suivent, doit toute son intensité au fait que deux générations différentes travaillent aujourd'hui ensemble, dans l'un des plus grands quotidiens nationaux.

L'AUTEUR

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PROLOGUE

Mamoun s'engage dans la rue Béranger vers 5 h 55, légèrement en avance sur l'horaire des employés de la société de nettoyage. Travailleur intérimaire, il commence ce matin un remplacement à Libération. En arrivant devant l'immeuble, au numéro 11, il se rappelle l'ancien bâti- ment : autrefois, c'était une station-service, ouverte vingt- quatre heures sur vingt-quatre. La façade était alors grise, aussi terne que peut l'être celle d'un garage. Aujourd'hui, elle est recouverte de crépi crème et de verre fumé. Pas belle, mais moderne. L'architecte qui a transformé ce parking en loft de presse n'est pour rien dans le choix de ce fronton marron glacé. Lorsque les patrons de Libération ont jeté leur dévolu sur l'endroit, l'ensemble avait déjà été retapé et attendait d'être loué.

Le chef d'équipe attend Mamoun dans le hall d'entrée, une large allée noire bitumée. Des clous ronds et proémi- nents, de ceux qui délimitaient autrefois les passages pour piétons dans les rues, sont supposés évoquer un prolonge- ment de la chaussée. Une trouvaille astucieuse de l'archi- tecte, un maniaque de l'esthétique urbaine. Mamoun serre la main du chef. Le ménage des locaux s'effectue toujours au petit matin, entre le départ des derniers fabricants qui « bouclent » l'édition de la veille et l'arrivée des premiers journalistes. Les fabricants s'occupent du « montage » et de la photogravure des pages, qui ne sont pas imprimées rue Béranger, mais partent vers l'imprimerie de Saint- Ouen par l'intermédiaire d'un fac-similé. Les employés de

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la fabrication quittent le journal entre minuit et 1 heure, au pire vers 3 heures du matin en cas de troisième édition.

Dans l'ascenseur, qui passe directement du rez-de- chaussée au quatrième étage, le chef explique la topogra- phie des lieux : entre le journal et la rue, quatre étages du parking d'antan ont été conservés. Libération y loue d'ailleurs quelques places pour ses véhicules de société. Le chef conduit directement Mamoun au niveau +5, à l'étage des services généraux, où sont entreposés les aspirateurs.

« Plus cinq? s'étonne Mamoun. — Ben oui, tu vois bien que l'architecte a conservé

l'ancienne rampe d'accès du parking, et qu'il y a deux niveaux légèrement décalés par étage. Les locaux de Libé sont installés à partir du quatrième étage de l'immeuble, et après ça continue : moins cinq, plus cinq, moins six... jusqu'à neuf, sur le toit. »

En lui tendant des gants en caoutchouc et des grands sacs poubelles, le chef dit :

« Tu commences par l'agence-photo. Tu vas voir, ils ont arrosé un truc hier soir, c'est poisseux. Ils ont sûrement salopé la moquette, mais tu laisses. Quand c'est vraiment sale, les ouvriers changent le carreau de tapis amoché. »

Mamoun ne reprend pas l'ascenseur pour descendre à l'agence vu. L'ancienne vis d'accès des voitures, à présent recouverte de moquette mauve pâle, permet de traîner les aspirateurs sans problème, et surtout d'examiner les lieux à loisir. L'homme longe les bureaux des petites annonces, les services commerciaux et la filiale télématique. Impossible de se perdre : la fonction de chaque niveau est inscrite en lettres énormes sur les cloisons vitrées jouxtant la rampe. Mamoun est surpris de la blancheur des poutres en béton du plafond et de la douce inclinaison des murs héritée de la structure pyramidale de l'immeuble. Des petits hublots, percés le long de la rampe, donnent à l'ensemble l'aspect d'un gros paquebot ventru.

Devant la télématique, d'autres employés portant tous le même équipement s'affairent déjà. Après le départ du

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personnel, les bureaux ont vraiment besoin d'un coup de chiffon. Les poubelles débordent, les cendriers empestent, des gobelets de café renversés maculent les tables. Man- sour Mamoun passe d'abord la tête dans le local voisin des archives, examinant avec curiosité les journaux empilés sur les étagères métalliques. Tout est sombre. A côté, l'agence vu est vaguement éclairée. Un néon tremblotant, oublié sous une table de visionnage pour diapositives, ajoute à l'ambiance étrange du local. Les cadavres de bouteilles ressemblent à des fantômes verdâtres. Mamoun les entasse dans son sac poubelle. Avant de passer l'aspirateur, il fait le tour de l'agence pour dégager l'espace. Seuls sont restés à peu près propres les petits bureaux du fond, séparés du reste du plateau par des portes vitrées.

Mamoun s'apprête à quitter celui de droite pour cher- cher le commutateur qui éclairerait l'ensemble de l'agence, quand il remarque le combiné du téléphone, posé à côté de son socle. Il s'approche de la table pour raccrocher. Derrière le bureau, une très belle affiche attire son regard. Pour l'examiner de plus près, il allume la lampe de bureau, contourne la table, et bute sur quelque chose qui traîne par terre.

Alors, il la voit. Une femme. Des cheveux noirs sur le tapis lavande. Son bras, très frêle, repose sur le pied du siège à roulettes, renversé. Elle est légèrement tordue, à plat ventre sur le sol, au pied de la fenêtre. Une toute petite femme.

Mamoun se penche, effleure rapidement sa joue. La peau est froide. Sous la masse de cheveux bouclés, il voit du sang, rouge sombre, déjà séché. Il fonce dans le couloir pour appeler le chef.

« Ben quoi, dit l'homme, elle a été tuée, ça se voit, non ? »

Le chef est un placide. Il ajoute : « Je téléphone aux flics, et on reste là sans bouger.

Pas la peine d'empêcher les autres de travailler dans les étages. »

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Interrogé plus tard par la police, Mamoun apprendra qu'il a découvert le corps de Zina Rouabah, la directrice de l'agence photographique vu : tuée d'une balle dans la nuque, dans la nuit de dimanche à lundi selon le médecin légiste. Le gardien de l'immeuble n'a rien remarqué d'anormal durant ses tournées nocturnes.

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Lundi : Zina

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H ILKA Holschbach émerge du métro République, sortie rue du Temple, face au magasin Tati. Elle protège sa sacoche. On ne sait jamais, la foule

grouille sur le trottoir. Il ne manquerait plus qu'on lui vole son magnétophone et ses précieuses notes d'enquête ! Tout à l'heure, elle rencontre le patron de Libé, « Citizen July ». Vers 11 h 30, midi, après le comité de rédaction, lui a dit Mierès, la secrétaire du boss.

Depuis trois jours, Hilka hante les couloirs du journal. Une radio de Cologne lui a commandé un reportage sur Libération. L'irrésistible ascension de l'ancien brûlot maoïste, devenu un journal respectable et redouté dans les milieux économiques et politiques, intéresse les Alle- mands. Ils ont toujours eu du mal à comprendre comment d'anciens gauchistes avaient pu accéder à des postes clefs de la société française. En RFA, la reconversion des gauchistes est nettement plus problématique. Ou alors, ils vivent en circuit fermé, dans un curieux monde dit « alter- natif ». C'est ainsi que Hilka, très belle jeune femme brune qui pourrait aussi bien travailler comme mannequin, nantie d'un impressionnant carnet d'adresses parisien, parfaite- ment bilingue, a été chargée de rapporter une saga radiophonique des années-Libé.

Elle tourne au coin de Tati, poursuivie par les sifflets admiratifs d'une bande de garçons à l'élégance tapageuse, échappés du Sentier tout proche, vautrés sur des petites motos rutilantes. A 10 heures du matin, la circulation de la

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rue Béranger est déjà bloquée par des camionnettes de livraison stationnées en double file. Les cintres roulants croulent sous les blousons de cuir et les robes pailletées. Les grossistes en vêtements, uniques commerçants de la rue, entament leurs affaires de la saison estivale. Devant l'immeuble de Libération, les scooters des coursiers sont garés n'importe comment. Un locataire du garage peste en tentant une manœuvre de sortie. Hilka glisse sur une flaque graisseuse échappée d'un carter percé, chancelle sur ses hauts talons, se rattrape à un bras... un bras en uniforme bleu marine.

Un policier. Debout à l'entrée du hall. Confuse, elle remercie et se dirige vers la grande porte de verre ornée du logo Libération. Le premier panneau s'ouvre automatique- ment. Hilka s'engouffre dans le sas, rejointe par un journaliste qui se glisse derrière elle pendant que la vitre blindée coulisse dans leur dos. De l'autre côté de la seconde porte, à l'ouverture électrique commandée par les hôtesses d'accueil, deux autres policiers sont plantés près des ascenseurs.

« On reçoit quel ministre, aujourd'hui? lance le journa- liste blagueur aux filles assises derrière le comptoir en cercle.

— Si seulement c'était ça ! Zina est morte. » Et Monique, l'ancienne claviste reconvertie dans l'ac-

cueil des visiteurs, s'effondre en pleurant sur la lampe de bureau qui répand une chiche lueur dans le cercle du comptoir.

« Allez, Monique, monte prendre un café, je me débrouillerai toute seule un quart d'heure. »

L'autre fille, une blonde qui n'a pas plus de vingt ans, hausse imperceptiblement les épaules. Embauchée il y a seulement un mois, elle ne connaissait guère Zina Roua- bah. Mais, à en juger par la stupeur des gens qui apprennent la nouvelle ce matin en passant devant l'ac- cueil, elle commence à mesurer le choc que Libération est en train d'encaisser. Le journaliste, stupéfait, regarde Monique sangloter. La blonde lui tend un paquet :

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« Dis donc, tu peux monter ce pli pour Helvig ? » Trop tard : il a filé comme une flèche vers le monte-

charge, arrivé au rez-de-chaussée avant les ascenseurs. Hilka Holschbach reste médusée devant les flics.

« Vous travaillez ici, mademoiselle ? — Non. Enfin, oui, pendant une semaine, je... — Elle peut monter, coupe l'hôtesse, elle est aussi

journaliste. » Les policiers n'insistent pas. Là-haut, l'inspecteur inter-

roge qui il veut. Hilka n'en croit pas ses oreilles. Quoi ? Zina Rouabah ?

La directrice de la filiale photographique de Libération était l'ancienne directrice de publication et la responsable financière du journal avant que Serge July ne procède à ce qu'on a appelé « le grand ménage » en 1981. C'est elle qui a dirigé l'éphémère radio lancée en 1984, lorsque July rêvait d'engager son entreprise dans l'aventure multi- média. Hilka pose machinalement la main sur son magné- tophone, chargé de la cassette où Zina lui expliquait, hier encore, le fonctionnement de vu. A l'agence, l'ambiance était joyeuse. L'un des photographes de l'équipe venait de recevoir le prix Nicéphore Niepce, envié par tous les professionnels de la photo. Hilka avait même écourté l'interview pour se joindre à la fiesta. En dix minutes, la nouvelle que le champagne coulait au niveau 4 s'était répandue dans le journal. Une trentaine de journalistes étaient passés boire un verre. Pas beaucoup de fabricants, avait noté Hilka, mais Zina lui avait expliqué que les monteurs et les photograveurs commençaient leur travail plus tard. Aucun employé des services administratifs n'était là non plus : jamais le dimanche.

Au lieu de monter directement au niveau — 7, siège du central où doit bientôt se tenir le comité de rédaction, Hilka s'arrête à l'étage de vu. Pas grand monde à l'agence. Juste deux femmes qui pleurent doucement, assises à leur bureau, et un photographe, aperçu hier au pot, qui trie machinalement des diapos. Christian Caujolle, fondateur de l'agence, ancien chef du service photo de Libération, est

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enfermé dans son bureau vitré avec un homme inconnu de la journaliste allemande. Celui-ci prend des notes sur un petit bloc. Un coursier arrive, dépose une grande enve- loppe de tirages-papier sur une table, réclame une signa- ture et repart, suivi par Hilka qui n'ose pas déranger.

A côté, les archivistes travaillent en silence, résumant sur des fiches cartonnées, classées par rubriques, le thème des articles du jour. Devant un écran, sorte de télévision géante, l'archiviste barbu entre, une par une, les pages de Libération sur microfilms. Là encore, Hilka bat en retraite, impressionnée par l'épaisseur du malaise.

Dans la tour centrale, peinte en rouge sombre, vague- ment éclairée par des hublots donnant sur la rampe, le voyant d'étage indique « occupé ». Hilka remonte le cou- loir à pied. Une ascension toujours un peu fatigante pour les femmes chaussées de hauts talons. Elles doivent mar- cher lentement sous peine de ressembler à un alpiniste lourdement chargé. Le niveau — 5 est pratiquement désert. Dans le bureau des petites annonces, un journaliste des- cendu de son service consulte les horaires de train sur Minitel. Impossible de se servir du 36.15 ailleurs : lors- qu'elle s'est aperçue que les gens passaient des heures à jouer sur les messageries (la note était salée), la direction a coupé le robinet Minitel dans les services. A droite, derrière les vitres de la filiale télématique, deux ou trois personnes pianotent sur leur console. Tout au fond, dans le refuge des services commerciaux, rien ne bouge.

Niveau + 5. La porte du standard téléphonique et des services généraux est fermée, comme d'habitude. Il y a longtemps que le personnel a choisi d'y vivre cloîtré plutôt que d'entendre toute la journée le ronflement exaspérant de l'énorme photocopieuse toute proche. Hilka n'a de toute façon aucun courrier à prendre. Elle dépasse très vite l'administration, craignant que Jean-Louis Péninou, le gérant du journal, ne lui intime l'ordre de déguerpir un jour pareil. Elle n'a pas eu affaire à lui, mais des amis l'ont prévenue qu'il pouvait se comporter à l'occasion en patron de choc. Hier, les moustaches en guidon de vélo de l'ancien

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Le quotidien Libération est ensanglanté par une série de meurtres aussi sauvages qu'énigmatiques. Les différents ser- vices du journal sont tour à tour décapités sans que nul ne parvienne à déceler de point commun entre les victimes ou à envisager de mobile plausible.

Le monde de la presse est en effervescence, le monde poli- tique en ébullition ; l'équipe de Libé, plus fébrile encore qu'à son habitude, révèle à l'occasion de cette épreuve ses coutumes tri- bales et ses conflits inavoués.

Une jeune journaliste du service économique, propulsée dans ce drame, mène son enquête : passé brusquement de l'autre côté du miroir de l'information, le journal devient, pour la pre- mière fois, son propre sujet d'investigation. Le vieux temple de la contestation gauchiste, reconverti en quotidien moderne et inventif sous la houlette de Serge July, parviendra-t-il à surmon- ter la plus douloureuse crise de son histoire mouvementée ?

Au-delà du roman policier palpitant, un document vérité plein d'humour et de surprises sur les coulisses du « quotidien de la rue Béranger ».

Bérangère Lorraine, ou plus exactement le journaliste qui se cache derrière ce pseudonyme, est particulièrement bien placé, au cœur du dispositif, pour révéler de l'intérieur la « planète Libération ».

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sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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Couverture :

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dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.