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Michel Foucault : Les aveux de la chair | 1 Un fort bon avertissement de Frédéric Gros explique la genèse du texte 1 – et celle des matériaux qui ont été retenus pour son édition et le contexte de la réflexion de Foucault. L’histoire de la sexualité de M. Foucault fut un projet inabouti et sans cesse remanié. A la parution du premier volume La volonté de savoir 2 , la quatrième de couverture annonce que ce livre est le premier d’une Histoire de la sexualité auquel succéderont cinq volumes dont aucun ne verra le jour. En 1984, peu avant sa mort, Foucault fit paraître L’usage des plaisirs 3 et Le souci de soi 4 , au titre des volumes II et III de cette Histoire de la sexualité, bien que leur contenu soit ouvertement et explicitement éloigné du projet initial. En effet Foucault est entre temps passé d’une étude du dispositif de la sexualité en lien avec la biopolitique, et donc la modernité, à une réflexion sur la généalogie du sujet dans son rapport au plaisir, au désir et aux arts de vivre dans l’Antiquité : changement de période et changement de thème. Et ce quatrième volume de l’Histoire de la sexualité vient prolonger, la généalogie du sujet désirant par une étude des Pères de l’Église complétant et enrichissant ce que Foucault avait mis au jour dans les tomes précédents. Un « prière d’insérer » annonce dès 1984 Les aveux de la chair comme volume nécessaire pour traiter complètement le sujet. La genèse de ce texte est complexe. Mais on peut remarquer que Foucault voulant s’intéresser au discours de l’Église sur la sexualité, remonte les siècles à mesure que le temps passe : il souhaite réfléchir au Concile de Trente et à la contre-réforme au moment de la parution du premier volume, puis remontait au Concile de Latran qui réglemente le sacrement de la pénitence, et accumule ensuite des notes de lecture sur les Pères de l’Église. Dans son cours au Collège de France en 1978, Foucault évoque, dans la continuité de ses lectures « la gouvernementalité pastorale ». Certains textes de Foucault laissent à penser que les structures principales des Aveux de la chair sont conçues en 1980, puis que les réflexions sur les Pères chrétiens sont laissées de côté au profit d’une réflexion toujours plus accentuée sur la philosophie gréco-romaine et les aphrodisia qui donne naissance aux à L’usage des plaisirs et au Souci de soi, formalisations des recherches les plus pressantes à ses yeux. Puis F. Gros justifie son travail d’édition, expose les documents sur lesquels il a travaillé et la façon dont il s’y est pris pour « achever » et publier un manuscrit déjà quasiment terminé. LA SPECIFICITE DE LA CHAIR Clément d’Alexandrie, les débuts de la réflexion chrétienne sur la sexualité et l’incomplète continuité avec la philosophie païenne

Michel Foucault : Les aveux de la chair

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Michel Foucault : Les aveux de la chair

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Un fort bon avertissement de Frédéric Gros explique la genèse du texte1 – et celle desmatériaux qui ont été retenus pour son édition et le contexte de la réflexion deFoucault. L’histoire de la sexualité de M. Foucault fut un projet inabouti et sans cesseremanié. A la parution du premier volume La volonté de savoir2, la quatrième decouverture annonce que ce livre est le premier d’une Histoire de la sexualité auquelsuccéderont cinq volumes dont aucun ne verra le jour. En 1984, peu avant sa mort,Foucault fit paraître L’usage des plaisirs 3 et Le souci de soi 4, au titre des volumes II etIII de cette Histoire de la sexualité, bien que leur contenu soit ouvertement etexplicitement éloigné du projet initial. En effet Foucault est entre temps passé d’uneétude du dispositif de la sexualité en lien avec la biopolitique, et donc la modernité, àune réflexion sur la généalogie du sujet dans son rapport au plaisir, au désir et aux artsde vivre dans l’Antiquité : changement de période et changement de thème. Et cequatrième volume de l’Histoire de la sexualité vient prolonger, la généalogie du sujetdésirant par une étude des Pères de l’Église complétant et enrichissant ce queFoucault avait mis au jour dans les tomes précédents. Un « prière d’insérer » annoncedès 1984 Les aveux de la chair comme volume nécessaire pour traiter complètement lesujet.

La genèse de ce texte est complexe. Mais on peut remarquer que Foucault voulants’intéresser au discours de l’Église sur la sexualité, remonte les siècles à mesure que letemps passe : il souhaite réfléchir au Concile de Trente et à la contre-réforme aumoment de la parution du premier volume, puis remontait au Concile de Latran quiréglemente le sacrement de la pénitence, et accumule ensuite des notes de lecture surles Pères de l’Église. Dans son cours au Collège de France en 1978, Foucault évoque,dans la continuité de ses lectures « la gouvernementalité pastorale ». Certains textesde Foucault laissent à penser que les structures principales des Aveux de la chair sontconçues en 1980, puis que les réflexions sur les Pères chrétiens sont laissées de côtéau profit d’une réflexion toujours plus accentuée sur la philosophie gréco-romaine etles aphrodisia qui donne naissance aux à L’usage des plaisirs et au Souci de soi,formalisations des recherches les plus pressantes à ses yeux.

Puis F. Gros justifie son travail d’édition, expose les documents sur lesquels il atravaillé et la façon dont il s’y est pris pour « achever » et publier un manuscrit déjàquasiment terminé.

LA SPECIFICITE DE LA CHAIR

Clément d’Alexandrie, les débuts de la réflexion chrétienne sur la sexualité etl’incomplète continuité avec la philosophie païenne

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Le texte de Foucault commence par reprendre les acquis de ses analyses sur lesaphrodisia, pour montrer que cette conception de l’usage du plaisir provient d’uneculture païenne et ne peut donc pas être imputé au christianisme et à sa morale.L’étude qu’il entame est ainsi conçue comme la suite et le prolongement ce qu’il a déjàanalysé 5.

Foucault reprend la thèse selon laquelle les conduites des premiers chrétiens ne furentpas inspirées par le milieu d’origine des chrétiens, ni les textes apostoliques, maisimitées de celles des païens, comme pour mieux s’intégrer à la culture environnante.Foucault étaie cette idée à l’aide d’un certain nombre de références à Justin etAthénagoras. Allant dans le même sens que les Romains, les chrétiens ne peuvent ainsiessuyer le reproche d’immoralité. La conduite des chrétiens n’est pas alors considéréecomme une spécificité chrétienne, mais comme allant dans le sens même de ce que lasagesse païenne reconnaît comme bon.

Puis Foucault examine un texte de Clément d’Alexandrie, tiré du Pédagogue, quivalorise également les conduites qui sont celles de la sagesse païenne, dans la mesure,où cela lui permet de lutter contre une hérésie voulant totalement disqualifier lamatière – et donc le mariage et la procréation. S’il admet la légitimité des arts de vivrepaïens, il note que ce n’est pas par cette conduite seule que le chrétien agitcomplètement en chrétien. La spécificité de la vie chrétienne réside en effet ailleursselon lui. Comme les Stoïciens, les chrétiens doivent suivre le logos, « à la fois principede l’action droite et mouvement du salut, raison du monde réel et parole de Dieuappelant à l’éternité »6. Dans le texte prescriptif de Clément sont nommés et cités denombreux philosophes comme des textes scripturaires. Comme le note Foucault,Clément essaie d’intégrer chaque précepte dans une triple référence : « celle desnaturalistes et des médecins qui montre comment la nature les fonde et manifeste larationalité, témoignant ainsi de la présence du Logos comme le principe d’organisationdu monde ; celle des philosophes et surtout de Platon (…) qui montre comment laraison humaine peut les reconnaître et les justifier, témoignant que le Logos habitel’âme de tout homme ; enfin celle de l’Ecriture qui montre que Dieu a explicitementdonné aux hommes ces commandements (…) témoignant ainsi que ceux qui luiobéiront s’uniront de volonté avec lui » 7. Il montre comment les écrits de Clémentd’Alexandrie traitent de toutes les dimensions de l’existence (la question de la richesse,de la nourriture ou des vêtements) dont la question, importante aux yeux de Foucault,du mariage, qui se posait déjà aux philosophes païens. Foucault note que la réflexionde Clément ne diffère pas de celle des philosophes quant à la finalité : le mariage estpositif dans la mesure où il a pour but la procréation éminemment bonne 8. Comme

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chez les philosophes païens, Clément liant le mariage à la procréation envisage lesliens conjugaux comme destinés à la favoriser et à s’y restreindre : le lien entre lesépoux « ne doit pas être de l’ordre du plaisir et de la volupté, mais du « Logos » ; il nefaut pas traiter sa femme comme une maîtresse, ne pas disperser la semence en toutvent, garder les principes de la sobriété »9. Si les règles de vie sont comparables àcelles qu’énonçaient les philosophes, Foucault perçoit une nouveauté dans la penséede Clément d’Alexandrie dans la mesure où, pour la première fois, la réflexion –classique – sur les actes sexuels n’est pas relatives à la sagesse ou à la santé del’individu, mais au mariage lui-même10. Ce qui est nouveau dans le texte de Clément,c’est que ce qui est premier, ce n’est plus les aphrodisia, mais le mariage (ce qui étaitle cas dans la philosophie païenne tardive), et, de façon nouvelle et originale, lesrapports sexuels conjugaux. Autrement dit, on ne s’intéresse plus au rapport entresujet et sexualité, mais à la sexualité dans le mariage11 : c’est une évolution qu’avaitdéjà repéré et analysé Foucault dans Subjectivité et vérité. Mais là, ce n’est plus lemariage en général et le rapport général des époux entre eux, leur manière de vivreensemble (et dont la vie sexuelle ne représentait qu’une dimension parmi d’autres),mais précisément le comportement sexuel entre époux – qui devient un objet «important et relativement autonome » 12, ce qui aura une « importance considérabledans l’histoire des sociétés occidentales » 13.

Dans a suite de son analyse, Foucault montre que Clément explique que le but dumariage et de l’acte sexuel est la procréation, mais pas dans l’optique d’unequelconque utilité ou valorisation sociale (ce qu’il reconnaît néanmoins), mais parceque c’est un ordre de Dieu, ordre double puisque résultat de l’impératif du livre de laGenèse « Multipliez-vous ! » et de la considération que l’homme étant à l’image deDieu, et que créer l’homme était un acte de bonté de Dieu, faire naître, faire advenir,un homme, d’une manière analogue à Dieu, est un acte bon. Or cette intention de laprocréation ne figurait pas chez les païens. Foucault précise cependant que ce qui estpositif, ce n’est pas l’acte sexuel lui-même, même ayant pour fin la procréation, c’estl’obéissance au Logos – et à la nature – qu’il manifeste.

L’obéissance à la nature est examinée par Clément via le prisme de l’anatomie. Alorsque, par symbolisme, on interdisait de se conduire d’une certaine façon en l’associantau comportement d’un animal particulier, selon des préjugés réfutés par l’étudearistotélicienne des animaux (par exemple, on associait à la hyène la lascivité) 14,Clément se réfère à l’anatomie de ces animaux (il voit chez le hyène une cavité inutilemais permettant un acte non reproducteur) pour montrer que si l’homme doit secomporter conformément à la nature 15, c’est à la fois en raison de sa conformation

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anatomique naturelle et parce que la parole de Dieu l’exige16. Comme l’écrit Foucault :« Jamais les philosophes, qui avaient pourtant voulu placer les aphrodisia sous la loi dela nature et tenté d’en écarter ce qui était contre nature, n’avaient à ce point placéleur analyse sous le signe de la nature – entendue comme celle que les naturalisteslisent dans le monde animal »17. C’est par nature que les hommes doivent éviter degâcher de la semence et ne doivent s’unir que dans l’intention de procréer.

Clément, comme le montre Foucault, reprend également l’argumentation desphilosophes pour défendre cette thèse, mais avec quelques différences : si Platontrouve dans la monogamie le moyen de limiter l’ardeur des passions, Clément la justifiepar la valeur de la semence (qui contient, rappelons-le, le germe d’une synergie entreDieu et l’homme pour parvenir à sa fin naturelle) qu’on ne doit donc pas confier à uneautre qu’à l’épouse à laquelle on est uni. Il s’appuie également sur l’opinion demédecins pour légitimer l’interdiction de rapports sexuels pendant les règles ou lagrossesse. Il façonne idée l’idée de ce qu’il appelle le « mariage tempérant ». Mais,comme l’écrit Foucault, « s’il faut qu’on reste « maître de soi », ce n’est pas tellementpour maintenir le juste équilibre et la nécessaire hiérarchie entre les facultés, maispour assurer le respect, la pudeur, la réserve que réclame une semence qui forme leréceptacle de « raisons » immanentes à la nature et qui est l’occasion d’unecoopération entre Dieu et l’homme » 18. De plus, l’intempérant devenant impur, seradélaissé par Dieu, comme un cadavre, alors que le tempérant, se maintenant pur d’unecertaine façon pourra accéder à une forme de vie éternelle. A partir de là, dans untexte des Stromates, Clément explique que la cause de la Chute d’Adam et Eve neconsistait pas, comme d’aucuns le soutiennent, dans le fait d’avoir eu une relationsexuelle, mais dans celui de ne pas l’avoir eue au bon moment. Ils l’auraient eue tropjeune. Dès lors, ce n’est pas la génération en elle-même qui est mauvaise, mais lesconditions dans lesquelles elle se fait.

La « morale chrétienne » et ses diverses manifestations : l’apparition de la chair

Si la pensée de Clément est très voisine, sur de nombreux points, avec celle desphilosophes païens de la même époque, « cette continuité visible ne doit pas laissercroire que Clément a inséré simplement un fragment de morale traditionnelle,complété d’ajouts d’origine hébraïque, à l’intérieur de ses conceptions religieuses » 19.En effet, ce qu’a montré Foucault c’est, d’une part, la spécificité de l’analyse deClément qui porte non pas sur le mariage et la sexualité séparément, mais sur,précisément, l’acte sexuel entre époux, d’autre part l’intégration, dans la pensée deClément, à la dimension religieuse de l’existence de cette sexualité maritale au moyen

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de son inscription dans le Logos. Aussi n’a-t-il pas injecté dans le christianisme unemorale qui lui serait étrangère, mais il a constitué une morale chrétienne de lasexualité, à partir des réflexions sur le plaisir et le mariage qui se trouvaient à sadisposition. Il a proposé une façon de vivre chrétiennement la sexualité au sein dumariage, en justifiant cette dernière aussi bien par l’Ecriture que par la nature, toutesdeux convergeant dans le Logos. Clément a élaboré « une » morale sexuellechrétienne, pas « la » morale sexuelle chrétienne, qu’on tient pour un blocmonolithique sans évolution depuis son apparition. C’est ce que manifeste sacomparaison avec les positions de saint Augustin sur le même thème20.

Si entre le deuxième et le cinquième siècle les lignes de partage entre le permis et ledéfendu n’évoluent guère, on observe dans ce laps de temps des évolutionsimportantes (importance de la virginité et de la chasteté, de la tentation et de laconcupiscence 21, ou de la chair). Comme le note Foucault, dans ce laps de temps, « cen’est pas tellement le code qui a été renforcé, ni les rapports sexuels plus strictementréprimés ; c’est un autre type d’expérience qui peu à peu se forme »22, expérience àmettre en lien avec la discipline pénitentielle qui est instaurée à partir de la deuxièmemoitié du deuxième siècle, et l’ascèse monastique, à partir de la fin du troisième. Cequi est fondamental dans ces éléments, ce n’est pas qu’ils modifient la limite entre lepermis et le défendu, c’est bien plutôt qu’ils instaurent un nouveau rapport de soi à soi,une nouvelle façon d’être sujet : « exercice de soi sur soi, connaissance de soi par soi,constitution de soi-même comme objet d’investigation et de discours, libération,purification de soi-même et salut à travers des opérations qui portent la lumièrejusqu’au fond de soi, et conduisent les plus profonds secrets jusqu’à la lumière de lamanifestation rédemptrice. C’est une forme d’expérience – entendue à la fois commemode de présence à soi et schéma de transformation de soi – qui s’est élaborée alors.Et c’est elle qui a peu à peu placé au centre de son dispositif le problème de la « chair». Et au lieu d’avoir un régime des relations sexuelles, ou des aphrodisia, qui s’intègreà la règle générale d’une vie droite, on aura un rapport fondamental à la chair quitraverse la vie tout entière et sous-tend les règles qu’on lui impose » 23. On passe d’uncode à une subjectivation, à une façon de devenir sujet : d’un ensemble decomportements possibles à un rapport de soi à soi. Et Foucault appelle « chair » « unmode d’expérience (…) un mode de connaissance et de transformation de soi par soi,en fonction d’un certain rapport entre annulation du mal et manifestation de la vérité »24.

UNE NOUVELLE COMPREHENSION DE SOI ET UN NOUVEAU RAPPORT A SOI

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La question du baptême

Le baptême est jusqu’au second siècle le seul acte par lequel les fautes peuvent êtreremises, parce qu’il lave les péchés, marque le baptisé comme « fils de Dieu »,constitue une nouvelle naissance et illumine l’âme. Foucault l’analyse avec pertinenceen lien avec la vérité : il certes que le baptême est donné au terme d’un enseignement,mais surtout que « chacun des effets qu’on attribue au baptême est à la fois unmécanisme de rémission et une procédure d’accès à la vérité »25. Le baptême estadvenue de la lumière de la vérité dans l’âme, en effaçant les fautes.

Foucault montre que l’évolution du baptême donne place à une pénitence, qui prendune place de plus en plus importante. En effet, il y a dans le baptême l’idée qu’on estpurifié si on se repent, donc si on connaît la vérité de ses fautes : metanoia etpaenitentia sont inséparables. Mais cette paenitentia, à l’époque des pèresapostoliques et des apologistes, n’est pas encore une pratique pénitentielle développéeet réglée26, elle est un simple acte de connaissance, un « se rendre compte », une prisede conscience du caractère mauvais, vis-à-vis de Dieu, des actions commises qui mèneau changement, compréhension simple de ce qu’on était et qu’on s’engage à ne plusêtre.

Avec Tertullien au tournant du IIème et IIIème siècle, certains changements s’opèrent.Le temps de la préparation au baptême devient plus important en temps et en valeur.Tertullien combat une secte caïnite qui ne croit pas à l’efficacité sacramentelle dubaptême, et il reproche à certains catéchumènes leur présomption (penser qu’ilspeuvent contraindre Dieu à les laver de tout péché par le sacrement), et à d’autres leurorgueil (avoir confiance en eux en pensant qu’après le baptême ils ne pécheront plus).Du coup, le temps de préparation au baptême n’est plus consacré au seulenseignement, mais, aussi et surtout, à la découverte de sa propre faiblesse et à lacompréhension qu’on ne peut avoir confiance qu’en Dieu. « C’est aussi le temps oùs’acquiert le sentiment de « crainte », la metus, c’est-à-dire la conscience qu’on n’estjamais entièrement maître de soi, qu’on ne se connaît jamais entièrement et que, dansl’impossibilité où on se trouve de savoir de quelle chute on est capable, l’engagementqu’on prend est d’autant plus difficile, d’autant plus dangereux »27. Une tellepréparation n’est pas seulement un temps pendant lequel rompre avec ce qu’on était,mais une exhortation à se détacher, sans interruption, de soi. C’est l’apparition de ceque Tertullien appelle « la discipline de la pénitence », dont le modèle est le baptêmejohannique – autrement dit, le baptême de l’Esprit doit être précédé du baptême de lapénitence. Cette pénitence est pour le chrétien un exercice pour ne pas tomber dans

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les pièges et les séductions du Diable. La pénitence est aussi vue par Tertullien commeune épreuve à laquelle on se soumet devant Dieu comme pour donner des preuves duchangement qui se produit dans l’âme. Foucault observe parallèlement qu’à l’époquede Tertullien l’institutionnalisation du temps du catéchuménat (trois ans de mise àl’épreuve).

La Tradition apostolique décrit de son côté des actes de probation : l’enquêteinterrogatoire (on interroge celui qui demande le baptême sur les motifs de sa volontéde changer de religion au début du catéchuménat, puis, à son terme, on examine savie), les épreuves d’exorcisme (pour chasser et rejeter les esprits impurs) et laconfession des péchés (acte par lequel on se reconnaît comme pécheur devant Dieu).Ce qui apparaît alors, c’est, dans ces actes, l’importance de la manifestation de sapropre vérité pour le salut de chaque âme28. En conséquence, la conversion de l’âmeapparaît comme un détachement par lequel on renonce au monde et au péché et elleprend de plus en plus la forme d’un exercice de soi sur soi sous la forme de lamortification. Cette mortification ne se situe pas seulement au moment du baptême,mais exige une longue préparation et ne prend fin qu’avec la mort.

La place de la pénitence

Pour évoquer la pénitence en dehors du baptême, Foucault cite un extrait du Pasteurd’Hermas expliquant qu’il n’y a pas d’autre pénitence que le baptême dans lechristianisme primitif. La question que se pose Foucault est celle du moded’institutionnalisation du repentir après le baptême et de la possibilité de réitérer laprocédure de purification à l’œuvre dans le baptême. « Comment un baptisé peut-ilobtenir à nouveau son pardon s’il a enfreint les engagements qu’il a pris et s’il estdétourné de la grâce qu’il avait reçue ? »29 On demande aux larmes de la pénitence delaver les défaillances advenues depuis le baptême. Depuis Ambroise, le salut qui nepeut être obtenu que par le baptême pour ceux qui ne sont pas chrétiens, ne peutl’être, pour les baptisés, que par les baptisés, que par la pénitence, organisée sur lemodèle du baptême : comme on est catéchumène, on est pénitent : la pénitence n’estplus un acte, elle est un état30. Quand la pénitence prend fin, parfois après des années,le chrétien est admis à la réconciliation. Si le baptême est offert à tous, la pénitenceest exceptionnelle et apparaît comme le fruit du travail du pénitent sur lui-même.

Ce qui intéresse tout particulièrement Foucault, c’est que dans le cas de la pénitence,« les procédures destinées à manifester la vérité de l’âme pénitente sont nombreuses»31, du témoignage de ceux qui avaient accepté d’affronter le martyre à lamanifestation du remords du pénitent. Sont fondamentaux, selon Foucault, aussi bien

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l’exposition confidentielle de la demande au prêtre ou à l’évêque, au départ (avecenquête et aveu de type parfois juridique, dans une perspective proche de ce quideviendra la confessio oris, qu’on trouvera au cœur du rite pénitentiel) etl’exomologèse à la fin, c’est-à-dire la supplication et l’aveu publics de ses fautes. «L’obligation, écrit Foucault, de faire pénitence et le statut dans lequel elle prend formeimpliquent, tout au long de son déroulement, ces actes d’exomologèse qui lamanifestent et l’attestent »32. Il s’agit non seulement de faire pénitence, mais demanifester, extérieurement pourrait-on dire, qu’on le fait. Foucault, ayant mis au jourun certain nombre de procédures de vérité dans la pénitence, les classe en fonctiond’axes différents33. L’Eglise a posé le caractère fondamental de l’obligation de véritépour celui qui a péché veut se racheter, autrement dit « manifester en sa vérité sonétat de pécheur, est indispensable pour que le péché soit pardonné »34. Pour lejustifier, l’Eglise a recours à plusieurs modèles. Dans le modèle médical il faut exposerses blessures au médecin pour qu’il puisse les soigner, dans le modèle judiciaire, il fautexposer toutes les circonstances et ne rien omettre sous peine d’être coupable de cetteomission, dans le cas du martyr, particulièrement important au début du l’Eglise, celuiqui le subit voit tous ses péchés pardonnés ; or, celui qui fait pénitence, c’est souventcelui qui n’a eu la force d’accepter de subir le martyr. Donc l’avouer fait partie d’uneforme de martyr qu’ils ont à endurer pour ne pas avoir accepter d’endurer le véritable.Comme le note Foucault : « le pénitent doit témoigner comme le martyr : exprimer sonrepentir, montrer la force que lui donne sa foi et rendre manifeste que ce corps qu’ilhumilie n’est que poussière et mort, et que la vraie vie est ailleurs »35. La pénitenceassure la rupture de l’identité.

L’examen de conscience

La direction spirituelle et l’examen de conscience remontent à de fort anciennestraditions philosophiques (comme l’analyse Foucault dans L’Herméneutique du sujet36),que Foucault rappelle, en cherchant ses exemples prioritairement chez Sénèque ibid..Dans le christianisme, ces pratiques ne sont accueillies que relativement tardivement :ce n’est qu’au IVème siècle que sont définies les règles de l’examen de conscience37.C’est dans le monachisme, vie philosophique selon le Christ par excellence, quel’examen de conscience chrétien prend naissance. Aussi cet art de la directionspirituelle est-il considéré par Grégoire de Nazianze comme l’était la philosophie,comme « l’art des arts ». Pour analyser ces pratiques de direction et d’examen,Foucault se réfère en particulier à Cassien.

La vie des moines ne peut se concevoir sans direction, tout comme celle de n’importe

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qui voulant mener une vie parfaite. Pour être dirigé, il faut apprendre à obéir. Commel’écrit Foucault : « celui qui est dirigé doit faire en sorte que la moindre de ses actions,celle même qui semble devoir le plus échapper à sa propre volonté, soit soumise à lavolonté de celui qui le dirige. Le rapport d’obéissance doit traverser l’existence jusquedans ses moindres parcelles » 38. Ce qui compte dans l’obéissance, c’est sa forme : ilfaut obéir immédiatement, sans se révolter, et même si le commandement est absurde ;et cette obéissance n’a pas d’autre fin qu’elle-même. Patience et humilité sontindissociables de cette forme extrême de l’obéissance. On voit la différence entre ladirection stoïcienne qui visait à établir les conditions d’un exercice souverain de lavolonté sur soi-même, tandis que la direction chrétienne a pour fin la renonciation à lavolonté. Ayant anéanti notre volonté, nous sommes capables de ne vouloir que lavolonté de Dieu. Et c’est à cette condition que peut commencer la vie contemplative dumoine.

Tout au long de son existence monastique, celui qui aspire à la perfection doit éviterprincipalement deux dangers : d’un côté le relâchement à l’égard des tâches de la vieascétique (les petites complaisances qui mènent aux graves faiblesses) et l’excès dezèle conduit bien souvent au même égarement. Pour désigner la capacité demanœuvrer entre ces deux extrêmes, Cassien parle de discretio, et il donne à cettenotion une importance fondamentale et l’implique tout particulièrement dans sa luttecontre les excès d’ascétisme. Mais ce principe de mesure, quasiment de juste milieu,l’homme ne le trouve pas en lui, il ne peut pas lui-même se rendre compte de la justequantité d’efforts à faire, entre le trop et le trop peu. Depuis sa chute, l’homme estsoumis à l’hétéronomie, car Satan est un principe d’illusion, pour Cassien, à l’intérieurde sa pensée. Tandis que le sage ancien pouvait prendre appui sur sa propre raisoncontre le mouvement involontaire de ses passions, le moine chrétien doitnécessairement le demander à la grâce divine, seule capable de passer outre le pouvoirde Satan. Il ne se suffit pas pour le discernement. Outre la grâce, la discretio exigel’exercice et l’apprentissage, sous l’œil du directeur auquel on se confie. Ce qui ladistingue de la remémoration pratiquée par Sénèque.

Cassien évoque aussi la cogitatio comme ce qui risque dans l’âme visant lacontemplation d’apporter le trouble. Aussi faut-il en permanence se méfier d’elle. Lestroubles que la cogitatio peut apporter sont doubles : d’une part le désordre là oùl’âme a besoin d’ordre, et d’autre part, les pensées dangereuses qui peuvent êtreaccueillies pendant que l’esprit s’efforce d’ordonner à nouveau le flux de ses pensées.S’appuyant sur l’image de Cassien, Foucault écrit ainsi : « les pensées volettent dansl’esprit comme un duvet qu’agite le vent, mais certaines sont souillées et, comme une

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plume mouillée, elles sont plus lourdes que les autres et tendent vers le bas »39. APartir de là, on comprend mieux le rôle de l’examen : exercer une vigilancepermanente sur le flux des pensées qui se présentent à l’âme et départager cellesqu’on peut accueillir et celles qu’il faut rejeter. L’examen ne se contente pas de jugerde la vérité ou de la fausseté d’une idée, mais il doit vérifier que la venue de cette idéen’est pas l’œuvre du tentateur – c’est en cela qu’elle se distingue de l’examen stoïcienpour être bien plutôt une forme de la discretio.

Mais si l’examen n’était qu’intérieur, comment savoir d’où viennent mes pensées ?Comment la pensée qui se forme dans l’examen serait-elle plus sûre que celle qui estexaminée ? C’est ce paradoxe qui justifie l’aveu, qui doit aussi proche que possible del’examen. En effet le tentateur est certes capable de tromper l’inexpérimenté, mais pasl’ancien. Qui plus est, le simple fait de verbaliser et extérioriser ses pensées permet deles trier. Cassien remarque en effet que si on a du mal à avouer une pensée, si cettedernière se refuse à la parole, c’est qu’elle doit être mauvaise40. Il y a donc dans l’aveu,du fait de sa forme même, « dans le fait que le secret est formulé en mots et que cesmots sont adressés à un autre, un pouvoir spécifique : ce que Cassien appelle, d’un motqu’on retrouvera constamment dans le vocabulaire de la pénitence et de la directiondes âmes, la virtus confessionis. L’aveu a une force opératoire qui lui est propre : il dit,il montre, il expulse, il délivre »41. C’est pourquoi la discretio ne peut pas être réduiteau seul examen de soi, mais doit se pratiquer sous la forme de l’aveu. Comparant lapratique de l’examen couplé à l’aveu dans le monachisme avec l’examen de laphilosophie païenne, Foucault établit un certain nombre de différences : dans lemonachisme, c’est une obéissance absolue qui est exigée, prohibant toute formed’autonomie, à l’encontre de la sagesse philosophique. En outre, cette pratique desmoines porte sur tout, indéfiniment, ce qui se présente à l’âme, alors que la pratiquephilosophique de l’examen ne porte que sur des éléments définis (vérité/fausseté desreprésentations, actes ou infractions, etc.). Ce qui ressort de cette comparaison, c’estque « la véridiction de soi-même est liée fondamentalement à la renonciation à soi. Letravail indéfini pour voir et dire le vrai de soi-même est un exercice de mortification »42.

La virginité

Dans le deuxième chapitre, Foucault s’attèle à l’analyse de la virginité, thème denombreux traités du IVème siècle, même si ce thème était déjà important aux sièclesprécédents. Virginité et continence sont relativement fréquentes dès le IIème sièclechez les chrétiens, sans, pour autant être un comportement spécifique, puisqu’il est, lui

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aussi, en accord avec la morale romaine. Mais la spécificité du discours chrétien sur lavirginité tient à sa paradoxale glorification, paradoxale dans la mesure où elle doits’effectuer en se démarquant de l’encratisme (l’interdiction de tout rapport sexuelcomme condition nécessaire du salut) qui caractérise certaines hérésies des premierssiècles. Il s’est alors agi, dans le christianisme de déterminer quelle expérience,relativement rare de positive de la virginité devait être mise en avant. Mais Foucault,de façon surprenante, n’inscrit pas la valorisation de la virginité dans le prolongementde la morale sexuelle antique (on pourrait en effet imaginer qu’à force de raréfier lesrapports sexuels soumis à de nombreuses conditions, la virginité soit le terme ultime,mais on tomberait alors dans la justification de l’encratisme), mais en dehors etparallèlement à elle (la virginité étant une sorte de pratique d’exception, à partir delaquelle prendra naissance la conception chrétienne de la chair).

Avant le IVème siècle, il semble qu’il y ait eu des cercles de vierges qui refusaient lemariage – et de veuves qui refusaient le remariage. A côté, il existait des jeunes fillesqui restaient dans leurs familles. Foucault analyse des textes de Tertullien, puis desaint Cyprien consacrés à la virginité et montre que chez le premier ce qui estpréconisé, c’est moins une valorisation spirituelle de la virginité qu’une « moralerigoureuse de la continence » 43, tandis que le second loue tout particulièrement lavirginité, en ce qu’elle conserve intacte la purification à la chair et prolonge mêmed’une certaine façon la pureté en elle en faisant mourir les désirs de la chair. Foucaultétudie également Le Banquet de Méthode d’Olympe44, dont il fait ressortir que lemariage n’apparaît plus que comme une concession faite à ceux qui sont trop faiblespour résister aux appels de la chair : celui qui se marie fait bien, celui qui reste viergefait mieux. La virginité apparaît alors comme la « restauration salvatrice d’une relationpremière qui se trouve maintenant transposée dans l’ordre des actes, des procréations,des parentés et des liens spirituels »45, comme un don de Dieu pour se protéger contrela corruption. Il faut la pratiquer non comme une simple abstention du mal, maiscomme un rapport positif à Dieu, dans l’ordre des rapports sexuels, comme dans l’âme.

Ce n’est qu’IVème siècle que la virginité tend à devenir non plus « seulement un modede vie soigneusement réglé, mais un type de rapport à soi-même qui a ses procédures,ses techniques, ses instruments. De Tertullien à Méthode, on avait vu la virginité-continence devenir un état positif de virginité. C’est cet état qui va s’élaborer au IVèmesiècle comme « art de la virginité » » 46. La virginité chrétienne se démarque ainsi de lacontinence païenne, en particulier parce que la continence païenne n’était quel’obéissance à une règle extérieure (un interdit pour les vestales), d’où, de sa part, desintentions intéressées. Mais les auteurs du IVème siècle reprennent aux philosophes

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païens un certain nombre de considérations (la critique de la vie matrimoniale etl’éloge de la vie indépendante, comme l’examine Foucault dans Subjectivité et vérité)qui tendent à encourager la virginité, présentée comme l’effet d’un choix libre47 etindividuel, mais qui s’inscrit dans l’histoire générale du salut du genre humain. Lavirginité est pensée comme « une mutation actuelle d’existence. Elle opère dans l’êtreindividuel – corps et âme – une « révolution » qui, en le rétablissant dans un étatd’origine, le dégage de ses limites terrestres, de la loi de la mort et du temps et le faitaccéder dès aujourd’hui à la vie qui n’aura pas de fin »48. Par ailleurs, la virginité estaussi liée à la conscience que le IVème siècle prend qu’il est une époque charnièredans l’histoire du salut : si la procréation était nécessaire et légitime depuis la créationdu monde (d’où sa légitimité par exemple chez Clément), depuis l’Incarnation, le tempsdu rachat est venu : ce qui prime n’est plus l’injonction à la procréation mais à lapureté. De plus, la virginité est située parmi les pratiques ascétiques, et elle, non plus,ne peut être menée à bien indépendamment d’une direction, comme en témoigne toutparticulièrement le traité que consacre Grégoire de Nysse à la virginité.

Foucault consacre ensuite son analyse à la direction de la vie virginale, à travers untexte de Basile d’Ancyre et un de Cassien, en mettant au jour le « développement aucours du IVème siècle des « techniques de soi » et de la place qu’elles prennent dans lapratique de l’état de virginité »49. Dans De l’intégrité de la virginité, Basile d’Ancyrevise à fixer des moyens par rapport à un but. Plus qu’un corpus de règles, de l’attitudeà l’égard des autres ou de la conduite au milieu d’eux, Basile réfléchit sur le rapport àsoi qui doit motiver la vie de ces femmes. L’art de la virginité suppose « unetechnologie de la séparation ou de la coupure »50. Cela se traduit d’une part parl’interruption du désir naturel : la femme doit cesser d’être ce qu’est naturellementdans le processus d’attraction pour Basile. Pour cela, il faut se fermer au plaisir, orcelui-ci commence par les sensations qu’il faut alors étroitement surveiller. Il faut enparticulier refermer le sens du toucher, car il est le plus puissant pour susciter lesplaisirs du sexe. Aussi convient-il d’affaiblir la capacité du corps à être ému par sessens, surtout par le toucher et de maintenir séparés l’âme et le corps51. D’autre part,l’âme doit accomplir un travail sur elle-même : on ne peut être considéré comme viergeque si on l’est de l’âme et du corps. Il faut travailler à effacer sans répit les images quirestent dans l’âme de ce qui a été senti par le corps et leur substituer, dans l’âmeconçue sur le modèle de la cire, « par des méditations, les figures, les « caractères »des choses saintes »52. L’âme doit aussi surveiller ses mouvements les plus intimes, et,comme elle risque de se laisser tromper, rester vigilante.

Le cadre de l’analyse de Cassien est la vie monastique. Lui aussi distingue la virginité

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de la continence comme le positif d’un mouvement intérieur du cœur de ce qui n’estque, négativement, une abstention à l’égard du sexe (chez les païens). Pour lui, lachasteté n’apparaît qu’à la fin d’une période de continence, lorsque les derniers désirscharnels sont chassés. Or et paradoxalement, Cassien insiste également en d’autresendroits de son œuvre pour dire que n’est jamais achevée la lutte contre ces désirs, desorte que, comme le relève Foucault, « la chasteté comme état spirituellementdifférent de la continence constitue un point idéal vers lequel indéfiniment il fautcheminer, sans être sûr de pouvoir y atteindre de façon complète » 53. Seule la grâcepourra le permettre. Mais Cassien, à la différence de Basile, met l’accent sur lesnotions de « pureté du cœur »54 et de « combat spirituel », dans une perspectiveascétique et monastique. Pour Cassien, la chasteté n’a pas pour but, comme chezd’autres, de conserver l’intégrité du corps, donc de l’âme. Elle a pour but une puretédu cœur qui rend possible le rapport de connaissance. Et cette connaissance est enparticulier une connaissance de son âme telle que la lumière par laquelle le cœur puréclaire l’âme en dissipe les ténèbres en faisant apparaître ce qui peut s’y cacher : cetteimpureté cachée, c’est ce dont il faut progressivement s’affranchir par un examenattentif et l’aveu qu’on en fait. De sorte que, comme le note Foucault, « par unecircularité qui est au centre de cet ascétisme de la connaissance de soi, plus on estpur, plus on a de lumière pour se mieux connaître : mieux on se connaît, plus on sereconnaît impur ; plus on se reconnaît souillé, plus il faut porter au profond de soi lalumière qui dissipe les ténèbres de l’âme » 55. L’image du combat spirituel, fréquenteégalement, permet de rapporter l’effort de la virginité au thème du martyr quitriomphe des épreuves et en reçoit la couronne. Chez Cassien, l’image de l’athlète estvite remplacée par celle du soldat. D’où un double rapport : à soi-même commel’athlète et contre l’autre comme le soldat. Le risque important est la tentation àl’égard de laquelle il faut toujours être vigilant56 Dès lors, on peut avec Foucaultreconnaître dans cette ascèse de la chasteté « un processus de « subjectivation » quirelègue au loin une éthique sexuelle centrée sur l’économie des actes. Mais (…) cettesubjectivation est indissociable d’un processus de connaissance de soi qui fait del’obligation de chercher et de dire la vérité de soi-même une condition indispensable etpermanente de cette éthique »57. Cette subjectivation implique une objectivationindéfinie de soi par soi, indéfinie, car cette objectivation n’est jamais acquise une foispour toute, elle doit toujours recommencer, et indéfinie, car il faut toujours pousser leplus profondément possible cet examen de soi par et sur soi. Foucault montreégalement que cette subjectivation est en lien avec les autres, dans la mesure où nonseulement il s’agit de débusquer en soi la présence de l’Autre, qui se cache sous lesapparences de soi-même (d’où, par exemple, l’importance de la discretio, comme de lapureté du cœur), mais où il faut également décider et se forcer d’obéir en tout au

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directeur sans lequel le combat contre cet Autre en moi est impossible. Lechristianisme des premiers siècles a élaboré ces différents éléments, et, selonFoucault, c’est la vie monastique qui les a systématisés 58.

MARIAGE ET VIRGINITE : QUEL SALUT POUR L’HOMME ?

Mariage et procréation

Foucault remarque qu’on ne « trouve pas dans le christianisme ancien des traités dumariage comme on trouve des traités de la virginité » 59, parce que la vie d’épouse oud’époux n’est pas l’objet d’une élaboration d’une pratique spécifique comme l’est lavirginité. Il existe certes des réflexions sur le mariage, comme chez Clément, mais quirestent proches des conceptions morales traditionnelles60, et qui ont pour essentiel delutter contre les argumentaires des gnostiques ou autres dualistes. C’est plustardivement et avec moins d’ampleur que sur la question de la virginité, que sedéveloppe un discours chrétien faisant du mariage une profession chrétienne, telle queles devoirs entre époux font l’objet d’analyses et d’exercice. Ce discours témoigne del’importation dans la vie du monde d’un ensemble de préoccupations et de discours quis’étaient particulièrement développés dans la vie ascétique, hors du monde. Foucaultattribue ces changements à la volonté de nombreux grands pasteurs de produire unepastorale visant à « ajuster à la vie dans le monde certaines des valeurs ascétiques del’existence monastique, ainsi que les pratiques de direction des individus »61. A celas’ajoute la tentative impériale, historiquement avérée, d’accroître son emprise sur lesindividus par-delà les structures traditionnelles, et celle de l’Église d’occuper de plusen plus des fonctions de gestion et de réglementation de la société. D’où ce paradoxe :des pratiques ou des valeurs qui s’étaient développées dans des modes de vie enrupture avec le monde et la société civile sont mises en pratique, non sans quelqueschangements nécessaires, dans des formes d’existence sociales au sein de l’Etat. Dèslors, la vie des individus, jusque dans ce qu’il y a de plus intime, est l’objet d’uneattention vigilante nouvelle par rapport à celle qui s’exerçait dans les cités grecquescomme dans les premières communautés chrétiennes. Le rapport avec la moralepaïenne ancienne n’est pas défait, mais ses thèmes sont réinscrits dans uneperspective théologique particulière et liés, plus ou moins explicitement avec la viséeascétique de la mort au monde et au souci pastoral de la direction. Ce qui changeconsidérablement dans la réflexion sur les relations entre époux entre la traditionphilosophique, même la plus classique et vénérable (Platon et Aristote), et le point devue du christianisme du IVème siècle, c’est que ce n’est plus sur la procréation oul’éducation des enfants que se focalise l’attention des penseurs sur le sujet du mariage,

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c’est sur la continence. Le mariage doit empêcher la fornication : c’est la raison de soninstitution. Foucault analyse alors des textes de Jean Chrysostome en ce qu’ils peuventêtre considérés comme des témoignages représentatifs de la pensée chrétienne duIVème siècle. L’interdiction de l’inceste est perçue comme une obligation pour leshommes de s’attacher à des étrangers, de ne pas rester fixer sur sa propre chair. Lemariage, par lequel l’homme et la femme quittent leur famille, figure de façon imagéele lien du Christ à l’Eglise : « Il est l’Epoux, il est l’âme et il est la tête ; il est celui quicommande, tandis qu’elle est la fiancée ; elle est le corps de son âme et le membre deson corps ; elle doit lui obéir » 62. D’où la nature théologique du lien entre mari etfemme : obéissance de la femme au mari et prééminence de ce dernier. La force dulien matrimonial est qu’il reproduit la forme d’amour qui lie le Christ à l’Église. Dèslors, si la virginité restitue l’état paradisiaque, le mariage, même s’il ne l’égale pas,rappelle l’unité de Création. La virginité fait de l’âme l’épouse du Christ, le mariagesymbolise l’union de l’Église et du Christ.

Chrysostome repère, pour dissocier mariage et procréation que l’injonction de laGenèse « croissez et multipliez » est antérieure à l’institution du mariage, avant même,dans le texte, la création de la femme. Le mariage n’apparaît qu’avec la chute, commeune manière de poser des limites aux désirs du corps. Comme l’écrit Foucault : « alorsque la procréation était une possibilité préalable devenue après la chute uneconsolation, le mariage est une loi qui a sa raison d’être dans la révolte, après la chute,du corps contre l’âme et qui a pour fin d’en subjuguer les désirs »63. Cela relie l’éthiquedu mariage et l’ascétisme. Foucault montre alors également que puisque le mariageest institué pour limiter à une personne les partenaires sexuels, il faut que ce derniersoit en mesure de faire en sorte que l’autre trouve en lui de quoi satisfaire, dans unecertaine limite, ses désirs sexuels. D’où, dans un certain cadre réglementé l’obligationde faire en sorte que l’autre puisse trouver dans le mariage assez de satisfaction ;autrement dit il y a une obligation stricte pour chacun des deux époux d’avoir l’autredes rapports sexuels. Le mariage une fois choisi comme mode de vie, comme condition,on ne peut pas se dérober à cette obligation au nom de la continence prônée par la vieascétique. De grands maux résultent d’un désaccord à propos des relations sexuelles. «Ce n’est plus ici l’objectif d’une progéniture commune qui justifie la « dette des corps »contractée implicitement par les époux quand ils se marient ; mais la responsabilité dechacun vis-à-vis des péchés de l’autre » note Foucault 64. Dans la mesure où on ne semarie que pour parvenir à une forme de continence, on s’engage à n’avoir de relationsexuelle qu’avec une personne. Si elle s’y refuse, le désir va sortir du cadre auquel ons’est engagé à le maintenir. Aussi, qu’un des époux se refuse à l’autre, il met à mal lestentatives de l’autre de mener une vie de continence, et aura à rendre compte à Dieu

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des éventuels débordements de ce dernier.

Le mariage comme remède à la concupiscence

Foucault se penche ensuite sur la pensée augustinienne du mariage, traitée à part enraison de son importance. Augustin condamne deux erreurs : la condamnation dumariage, et, à l’opposé, la conception du mariage comme égal ou supérieur à l’état devirginité. En réalité, pour Augustin, mariage et virginité ne se distingue pas l’un del’autre comme le mal du bien, mais comme sont à mesurer comme un moindre bien parrapport à un bien plus grand. Et donc, dans la mesure où le mariage n’est pas un mal,conformément à ce qui a déjà été établi dans le reste de l’ouvrage, le mariage nesaurait être interdit, tout comme la virginité ne saurait être imposée. Le déplacementsur la question du mariage opéré par Augustin par rapport à la tradition consiste danssa tentative pour définir un cadre dans lequel soient conjointement pensés le mariageet la virginité. Comme le remarque Foucault, « par-delà la comparaison de la vierge etdes époux, du continent et des conjoints, qui avait été largement développée avant lui,Augustin fait apparaître, non pas un personnage tiers, ni une figure composite, maisl’élément fondamental par rapport aux deux autres : le sujet de désir » 65. Ce qui primeen effet pour Augustin c’est la communauté (chrétienne) et il est préférable qu’elle soitcomposée de vierges et d’époux plutôt que seulement de vierges, même si la virginitéest supérieure au mariage : l’ensemble est plus beau que le plus beau de ses éléments.Mais pour penser que le mariage n’est pas qu’un pis-aller de la virginité, il faut penserune complémentarité de ces deux états au sein de la communauté. Foucault repère lesétapes par lesquelles Augustin fait remonter la légitimité du rapport sexuel du mondedéchu jusqu’à l’existence paradisiaque. Dans un texte rédigé peu après son baptême, ildéveloppe des idées proches de celles de Chrysostome, dans lesquelles il interprète lacréation de la femme dans la Genèse comme une aide pour le premier homme, sansque ne soit mentionnée explicitement l’idée de rapport sexuel, mais également sansqu’elle soit exclue. Puis, dans un texte postérieur, il admet qu’on peut envisager que lepremier couple ait eu des relations sexuelles. Dans des textes plus tardifs, il semblequ’Augustin interprète l’aide à laquelle il destinait la femme comme était l’aide à laprocréation. Certes, le texte même de la Genèse n’affirme pas explicitement cela, aussiest-ce par un double raisonnement qu’y parvient Augustin. D’une part, il élimine lesautres aides que pourrait apporter Eve à Adam au Paradis (nul travail ne lanécessiterait, pour la compagnie un autre homme aurait aussi bien fait l’affaire) ;d’autre part, Augustin montre les avantages d’une descendance pour les premiershommes : en se multipliant, les hommes augmentaient la beauté de la terre. Comme laprolifération est en soi un bien, la procréation, dès avant la chute, était un bien, auquel

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l’aide de la première femme était associée. Comme le remarque Foucault, étant donnéles indications textuelles de la Genèse (création des deux sexes distincts, prescriptionde prolifération et apparition de la femme comme une aide pour l’homme), les Pères,avant Augustin, avaient insisté sur les deux premières pour éviter la possibilité del’acte sexuel avant la chute. Il leur fallait donner une dimension spirituelle à lamultiplication – ce qui revenait à laisser dans l’imprécision la troisième indication. Enrevanche, Augustin s’appuie principalement sur cette dernière indication et, via unraisonnement, en vient à donner une signification charnelle à l’ordre donné au premiercouple de se multiplier.

Pour Augustin, donc, le mariage est en soi un bien (et pas seulement parce qu’il n’estpas un mal comme le serait la fornication). Ce qui le légitime, c’est d’une part, on l’avu, qu’il fait partie de la Création, d’autre part, qu’il fait partie des formes spirituellesqui constituent l’Eglise. Mais le mariage n’est pas un bien par lui-même, puisqu’il estdésiré en vue d’autre chose que lui-même : le mariage n’est un bien que parce qu’il estordonné à une fin qui est l’amitié. Pour Augustin, en effet, dans De bono conjugali, sil’être humain a été créé « homme et femme », c’est en vue d’une « societas dont lanécessité était inscrite dans la nature même d’individus destinés à appartenir au genrehumain »66. Aussi convient-il de se lier avec des êtres humains d’amitié pour formerprogressivement et à travers toutes les nations une sorte de large parenté spirituelle,une société sainte et pure. Il faut envisager ces rapports dans la durée et non dansl’urgence. C’est pourquoi virginité et mariage sont associées, tout en demeurantchacun à sa place, selon le principe que l’ensemble qu’elles composent est plus beauencore que la virginité. Ainsi se dessine un partage entre les continents voués auxrelations spirituelles (qui préfigurent la cité céleste), et les incontinents qui continuentà peupler la terre. Le privilège accordé à la societas fait de la notion de lien le cœur dumariage. Le mariage est d’abord une association, élément de base de la société. Ce quien fait un lien, c’est d’un part la procréation, mais ne se réduit pas cette dimension67

car le mariage est en lui-même un bien avant toute procréation, dans la mesure où ilétablit une relation entre le mari et la femme qui a le triple caractère d’être naturelle,de joindre deux sexes différents et constituer comme élément structurant de la sociétéune conjonction d’amitié et de parenté. Ce qui unit les époux, c’est davantage unefidélité (fides) qu’un pacte juridique, comme l’atteste une série d’exemples développéspar Augustin. Abordant la question de la sexualité au sein du mariage, Augustindiscerne différentes attitudes possibles, et ne légitiment que celles qui sont pour lui «naturelles », au sens où elles permettent la procréation. Des excès dans cette attitudene sont que véniels, tandis que le dévoiement du corps de l’autre dans des pratiquesqui contreviennent à la sexualité « normale » est bien plus grave. Foucault lit dans ces

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indications du De bono conjugali « les premiers rudiments d’une jurisprudence desrapports sexuels entre époux » 68 qui formera en grande partie le code à l’aide duquel,à partir du moyen-âge, de la sexualité conjugale.

La dernière division de l’ouvrage sur la description quasiment médicale, par Augustin,de l’acte sexuel chez l’être humain, et sur la perte de maîtrise (de son corps comme deses pensées) qu’il entraîne. Dans sa discussion avec les Pélagiens qui s’étale sur delongues années, Augustin diminue la prégnance de l’excès et de l’impureté dans lasexualité, catégories fondamentales dans l’antiquité et le christianisme primitif.Comme le note Foucault, « Augustin a dû mener à bien deux opérations : définir àl’intérieur de l’acte sexuel une ligne de partage antérieure à l’excès, qui puissemarquer le mal qui lui est inhérent ; mais définir aussi le mécanisme par lequel lachute a pu introduire cette disposition dans une naturalité de l’acte sexuel qui ne laconnaissait point jusque-là »69. Autrement dit, Augustin a dû repérer ce qui a changédans l’acte sexuel avec la chute et qui fait que dorénavant tout acte sexuel contient enlui une part de mal, qu’il lie à la concupiscence (libido), de telle sorte qu’il puisseébaucher une morale de la conduite sexuelle du mariage délestée autant que faire sepeut des thèmes de l’impureté et de l’excès. Aussi Augustin pose-t-il, après avoiréliminé les hypothèses concurrentes, qu’au paradis, les humains l’acte sexuel est pensécomme un acte d’où la libido est exclue avec ce qu’elle comporte de forcecontraignante : les humains y faisaient obéir les organes de la génération commen’importe quel autre membre du corps par la volonté. Tout dans l’acte sexuel devait sepasser sous le contrôle de la volonté70. A l’origine, donc, les rapports sexuels necomportaient pas la secousse qui aujourd’hui emporte le corps et l’âme, ce qui estcaractéristique de la libido. En effet, celle-ci ne consiste pas en impureté liée à unesubstance, ni même en une certaine violence des mouvements, mais dans la formeinvolontaire du mouvement. Car pour Augustin ce qui a changé, en l’homme-même,dans la chute, ce n’est pas qu’une loi ou une force ne le contraigne à agir, mais que savolonté se divise et se retourne parfois contre lui, qu’elle ne puisse pas choisir cequ’elle veut vouloir, de telle sorte que la révolte (de la volonté) en l’homme symbolisela révolte de l’homme (contre Dieu).

Foucault analyse à partir de là l’évolution de l’exégèse augustinienne du texte de laGenèse dans lequel les premiers hommes cachèrent leur nudité. Dans ses premierstextes, il perçoit le changement dans le regard que le couple porte sur sa nuditécomme le passage de la simplicité, c’est-à-dire de l’innocence, à la perversité, parcequ’ils sont désormais habités par le mal. Plus tard, Augustin invite à ne pas réduirecette scène au passage de l’innocence à la dépravation, mais à prendre en compte

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également l’étonnement d’Adam et Eve devant ce qui n’a pris existence qu’au momentde la chute. Ce n’était pas le sexe, qui était déjà-là avant la chute, mais c’est ladimension dorénavant involontaire de son mouvement71. Et s’ils ont honte de cemouvement, c’est parce qu’il est identique à celui des bêtes et atteste qu’avec la chute,le corps n’obéit plus entièrement à l’esprit. Là apparaît ce qu’Augustin nomme la libido: « ce mouvement qui traverse et emporte tous les actes sexuels, qui les rend tout à lafois visibles et honteux, et qui les lie à la mort spirituelle comme à leur cause, à la mortphysique comme à leur accompagnement » 72. La chute a causé la libidinisation del’acte sexuel. Par la libido, une partie des actes de l’homme échappe à sa volontépropre et tend à lui faire commettre des fautes. Comment l’homme peut-il être en fautes’il est mu par de l’involontaire ? C’est parce que pour Augustin, la faute s’origine dansun mouvement de l’âme qui se détourne de Dieu pour se complaire en soi. Et cemouvement a été introduit dans la nature par le premier couple qui a ainsi dépravé lanature humaine. Comment un acte humain peut-il changer la nature de l’homme sicette dernière est créée par Dieu ? Parce que Dieu crée l’homme à partir du néant, eten se détournant de Dieu, l’homme va, pourrait-on dire, à contre-nature, comme àcontresens. Il ne suit plus le mouvement qui va du néant à l’être, celui, authentique deDieu, mais va de l’être au néant, donc est un moindre-être. « Il ne fait que déchoir d’unêtre qui ne se soutient que de la volonté de Dieu »73. Et Foucault analyse ainsil’importance d’Augustin dans l’histoire de la subjectivation du sexe, car s’il fait, commed’autres, de l’involontaire la clé du désir sexuel, il ne fait pas de cet involontaire unepartie de l’âme qu’il faudrait limiter ou maîtriser ; pour Augustin, la concupiscence estbien plutôt la forme-même de la volonté. L’involontaire de la concupiscence n’est pas lecontraire de la volonté, ce qu’elle ne veut pas, mais ce qui lui échappe, ce sur quoi ellen’a pas souveraineté et maîtrise, et qu’elle ne peut contrôler que par la grâce – qui estsa négation même. Comme l’écrit Foucault, « l’ « autonomie » de la concupiscence,c’est la loi du sujet quand il veut sa propre volonté. Et l’impuissance du sujet, c’est laloi de la concupiscence. Telle est la forme générale de l’imputabilité – ou plutôt sacondition générale »74.

De là, l’importance, non seulement pour le christianisme, mais pour toute la penséeoccidentale, d’Augustin dans l’histoire du discours sur la sexualité : il est celui qui, defaçon déterminante, pose le lien indissociable entre la « forme de l’acte sexuel et lastructure du sujet » 75. Ce que Foucault résume ainsi : « la vérité de ce qu’est l’hommecomme sujet se manifeste dans la forme même à laquelle est soumis tout acte sexuel »(ibid.). Cette forme est marquée par la défaillance, mais cette défaillance n’a pas à êtreassignée à une extériorité, mais à la structure du sujet lui-même : la concupiscence etla forme involontaire du désir sexuel. Or, si admet que la concupiscence est telle en

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tout homme qu’elle justifie la condamnation de celui qui est mort sans baptême, quelest l’effet du baptême ? Le baptême n’efface pas la concupiscence, mais le fait qu’ellesoit un péché. Le baptême efface ce qui dans la concupiscence constitue le péchéactuel, mais laisse intacte la forme de la structure du sujet. Autrement dit, laconcupiscence ne disparaît pas après le péché, et il faut toujours se garder decommettre le péché, sachant qu’on est tenté de le commettre à cause de laconcupiscence. Elle continue à être ce qui rattache le péché originel aux péchésactuels. Aussi, dans le mariage, une certaine sexualité est légitime, à propos delaquelle Augustin parle d’ « usus ». Le rapport sexuel est donc inévitablement lié à unmal, la concupiscence provenant de la faute originaire, mais il faut également le penseren rapport à la volonté, qui veut l’acte d’une certaine façon, concupiscente ou non. Etc’est cette façon de vouloir, ou non, dans l’acte la concupiscence qui transforme, ounon, l’acte en péché. Comme le remarque Foucault, « la dissociation, dans l’actesexuel, entre le mal de la libido et la possibilité de s’en servir bien ou mal permet decodifier les comportements sexuels et en fonction de ses usages, des fins qu’ils sedonnent, des circonstances qui les modifient, etc. Ce sont les deux fins reconnueslégitimes – la procréation, l’évitement du péché pour l’autre – qui serviront ainsi de fildirecteur pour quadriller le déroulement des actes sexuels entre époux et définir ce quiest permis, défendu, sous quelles conditions, en quelles occasions » 76. Foucault, pourfinir, évoque l’importance dans la postérité du christianisme de cette codification de lasexualité entre époux.

Les annexes

Dans l’annexe 1, ce qu’il s’agit de démontrer, c’est le caractère prescriptif relativementconstant dans le christianisme, qu’on retrouve chez les apologètes du IIème siècle, etqui prend une signification inédite en raison des rapports entre subjectivité et vérité,c’est-à-dire essentiellement en raison du rôle de plus en plus important de l’expériencede soi.

Dans l’annexe 2, il s’agit d’un examen critique approfondi des rapports entre «exomologèse » c’est-à-dire de la « manifestation de l’être pécheur » 77 et « exagorèse »ou « énonciation des mouvements de pensée »(ibid.). Laissons la parole à Foucaultpour mettre en évidence le point saillant de son analyse : « disons en schématisanténormément que l’exomologèse propre au statut pénitentiel se réfère à un « ne plusêtre » qui, aux confins de la vie et de la mort, promet l’autre monde à travers larenonciation au réel ; et que l’examen-aveu de la vie monastique vise à un « ne plusvouloir » 78 qui, du fond de l’âme, expulse l’autre à travers la formulation du vrai ». Il

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nourrit son analyse d’une réflexion sur le rôle du pasteur (rassembler, guider, nourrir,veiller, sauver, rendre compte) et de réflexions sur le rapport entre christianisme etpastoral, point qui a déjà été abordé dans des Cours au Collège de France en 1978 : «le christianisme est la première religion qui s’y (=dans le monde antique) organisecomme Église. Et cette Église définit le pouvoir qu’elle exerce sur les fidèles – surchacun et sur tous – comme un pouvoir pastoral » 79.

L’annexe 3 se veut un approfondissement de l’idée que la malédiction de Caïn viendraitsurtout de son refus d’avouer le crime, dans l’analyse qu’en propose Jean Chrysostome: « l’impudeur du non-aveu déplace ainsi le crime contre Abel vers une offense à Dieu ;en tout cas la faute contre la vérité qui était due à Dieu recouvre la faute contre lesang qui liait au frère » 80. Adam et Eve reconnaissent leur faute pour Chrysostome.D’où une idée qui sera fondamentale dans le christianisme : « le péché, au momentmême où il enfreint la volonté de Dieu ou sa loi, fait contracter une obligation de vérité» 81.

L’annexe 4 propose le dernier développement du manuscrit et du tapuscrit.

Il apparaît ainsi que ce texte offre des perspectives nouvelles sur le rapport duchristianisme à la construction de soi à travers la question de la vérité et sous leregard attentif de Dieu, non perçu comme grand prohibiteur de la sexualité, ce que sonanalyse de la philosophie antique païenne avait déjà montré, mais analysé à traversl’élaboration de la notion de chair – rapport à soi spécifiquement chrétien.

Michel Foucault, Les Aveux de la chair. Histoire de la sexualité 4, Gallimard,1.2018Paris, Gallimard, Collection « Bibliothèque des Histoires », 19762.Paris, Gallimard, Collection « Bibliothèque des Histoires »3.Paris, Gallimard, Collection « Bibliothèque des Histoires »4.Le texte, tel qu’il est établi par F. Gros débute en effet ainsi : « Le régime des5.aphrodisia, défini en fonction du mariage, de la procréation, de la disqualificationdu plaisir et d’un lien de sympathie respectueuse et intense entre les époux, cesont donc des philosophes et des directeurs non chrétiens qui l’ont formulé ; c’estune société « païenne » qui s’est donné la possibilité d’y reconnaître une règle deconduite acceptable pour tous – ce qui ne veut pas dire effectivement suivie partous, tant s’en faut. Ce même régime, sans modifications essentielles, on le trouvedans la doctrine des Pères du second siècle. » (Les aveux de la chair, op. cit.,p.9).Le cours au collège de France, intitulé Subjectivité et vérité établit ce quiprécède. Dès la première leçon, Foucault y montre que l’éthique sexuelle « triste

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» qu’on attribue au christianisme existait avant lui, en rappelant qu’à Alexandrie,Clément rapatrie la morale sexuelle stoïcienne, et que les pères cappadociensvantent la virginité. On y lit également :

« Il y a une préexistence certaine de cette soi-disant « morale sexuelle chrétienne» à l’intérieur de la pensée, de la morale dite païenne. » (Subjectivité et vérité,op. cit., p45)

Les Aveux…, Op. cit., p146.Les Aveux…, Op. cit., p167.Dans Subjectivité et vérité, Foucault approfondit ce point en reprenant les8.arguments pour et contre le mariage dans la philosophie hellénistique. Il rappelleainsi que chez les stoïciens, le mariage est défini comme proêgoumenon : c’est undevoir d’importance majeure (par opposition à un devoir qui serait affaire decirconstance), alors qu’épicuriens et cyniques sont contre le mariage, sauf danscertaines circonstances.Les Aveux…, Op. cit., p209.« Il y avait un régime du sexe et une morale du mariage :ils se recoupaient bien10.évidemment. Mais on a là, dans ce texte de Clément, un recouvrement des deuxpoints de vue. Ce qui se passe entre époux, ce que les moralistes de l’Antiquitétraitaient sinon par prétérition, du moins brièvement et d’assez loin – ils secontentaient d’indiquer des règles de décence et de prudence – est en train dedevenir objet de souci, d’intervention et d’analyse », Les Aveux…, Op. cit., p21-22Alors que ce que montre Foucault dans Subjectivité et vérité, c’est que le mariage11.lui-même était une fin, pour les stoïciens en tout cas ; chez les stoïciens, lemariage est un acte conforme à la nature. Le fait que le mariage soit conforme àla nature a un sens tout particulier chez les stoïciens, par rapport aux auteursprécédents, par exemple Xénophon que Foucault étudie longuement – et qu’onretrouve également dans l’histoire de la sexualité : l’usage des plaisirs. De lacomparaison entre Xénophon et les stoïciens, Foucault montre que le couple quin’était pas à lui-même sa propre fin la devient : « le mariage donne en quelquesorte naissance à un couple intransitif qui est, pour une part au moins, finalisépar lui-même ». (Subjectivité et vérité, op. cit., p129). La vie à deux est elle-mêmele but de la nature ; la relation établie entre le mari et la femme dans le mariageest une relation spécifique et hétéromorphe au champ général des relationssociales. Pour les stoïciens, la relation de mariage est la limite extrême de larelation d’amitié. Elle est autre chose que l’amitié par sa nature et en mêmetemps le modèle de toutes les relations d’amitié. De plus le rapport sexuel avec sa

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femme ne doit pas être indexé sur le plaisir, on ne couche pas avec sa femmecomme avec une maîtresse. On se marie et on pratique des actes sexuels pourfaire des enfants. L’acte sexuel doit aussi avoir pour but la formation et ledéveloppement d’un lien affectif entre le mari et la femme. Ce que met finalementen évidence Foucault c’est le fait, nouveau, qu’il y a une érotisation des rapportsde mariage, et une codification de ces rapports sexuels conjugaux.Les Aveux…, Op. cit., p2312.Les Aveux…, Op. cit., p2313.Subjectivité et vérité commence par la description de Saint François de Sales,14.dans l’Introduction à la vie dévote, expliquant pourquoi l’éléphant fidèle estpropre à la sexualité et doit servir de modèle aux chrétiens. L’analyse del’éléphant est également présente dans l’histoire de la sexualité : l’usage desplaisirs.Dans Subjectivité et vérité, s’intéressant à la genèse de la réflexion sur l’acte15.sexuel et le mariage, Foucault avait montré comment dans la philosophie antiquepostérieure à Aristote, le réquisit de deux présupposés : d’une part, l’idée que lanature est régie par une rationalité cohérente et globale, et, d’autre part, l’idéeque l’homme, pour être vertueux et raisonnable ne doit pas simplement obéir auxlois de sa seule cité, mais qu’il y a dans la nature et dans l’ordre du monde deslois beaucoup plus fondamentales auxquelles les hommes devaient obéir. Avec lesPères étudiés par Foucault dans les Aveux de la chair, une troisième condition estprise en compte : la conformité entre la loi naturelle et la parole de Dieu.ainsi, par exemple, l’épître de Barnabé mentionne des animaux en rapport avec16.les interdits alimentaires du Lévitique et elle fait de ces interdits une exégèseimmédiate, courante à l’époque : sous la consommation de ces animaux, c’est laconduite qu’ils manifestent ou qu’ils symbolisent qui se trouve, de fait,condamnée : les oiseaux de proie signifient l’avidité à dépouiller les autres, lelièvre signifie la corruption d’enfants, l’hyène l’adultère, la belette des relationsoralesLes Aveux…, Op. cit., p3517.Les Aveux…, Op. cit., p4118.Les Aveux…, Op. cit., p4819.« De Clément à Augustin, il y a évidemment toute la différence entre un20.christianisme hellénisant, stoïcisant, porté à « naturaliser » l’éthique des rapportssexuels, et un christianisme plus austère, plus pessimiste, ne pensant la naturehumaine qu’à travers la chute, et affectant par conséquent les rapports sexuelsd’un indice négatif(Les Aveux…, Op. cit., p49)La fin de Subjectivité et vérité qui annonce, certes confusément, les analyses21.

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menées dans les Aveux de la chair, font des termes mêmes de « tentation » et «concupiscence », les clés de la compréhension du rapport à son désir constitutifde la chair.Les Aveux…, Op. cit., p4922.Les Aveux…, Op. cit., p5023.Les Aveux…, Op. cit., p50-51. On trouve dans la note de la page 51, un passage24.biffé par Foucault sur le tapuscrit : « La chair est un mode de subjectivation »Les Aveux…, Op. cit., p53 ; en effet, en tant que purification, il lave les souillures25.et fait disparaître tout ce qui empêchait la lumière de la vérité d’advenir dansl’âme ; en tant que sceau, il grave l’image du Christ dans l’âme ; en tant querégénération, il fait naître la « vraie vie » qui est vie de la vérité ; et en tantqu’illumination, il dissipe les ténèbres de mal comme de l’ignorance« c’est-à-dire comme un ensemble d’actes obligeant le sujet à prendre une26.connaissance aussi exacte que possible des fautes qu’il a pu commettre, àexplorer au fonde de son âme les racines du mal, ses formes cachées, lesdéfaillances oubliées, à se livrer, pour s’en corriger, à un long labeur où semêleraient vigilance continue et renonciation progressive, et à s’infliger desrigueurs punitives proportionnées à la gravité des offenses pour tenter d’apaiserla colère de Dieu »( Les Aveux…, Op. cit., p55)Les Aveux…, Op. cit., p6127.puis on insiste de plus en plus sur le baptême comme renaissance, donc comme28.mort avec le Christ, dans une optique paulinienne, dont témoigne une séried’analogies : « entre l’immersion et l’ensevelissement, entre la piscine et la «forme du tombeau », entre la triple plongée qui suit la triple profession de foi, etles trois jours qui s’écoulent de la crucifixion à la résurrection » Les Aveux…, Op.cit., p74Les Aveux…, Op. cit ., p8129.de façon paradigmatique, c’est celui du relaps ou de celui qui a commis un péché30.grave et qui sollicite de l’évêque la possibilité de devenir pénitentLes Aveux…, Op. cit., p8731.Les Aveux…, Op. cit., p9432.L’axe du privé et du public, du verbal et du non-verbal, du juridique et du33.dramatique et de l’objectif et du subjectifLes Aveux…, Op. cit., p10034.Les Aveux…, Op. cit., p10435.M. Foucault, L’Herméneutique du sujet, Cours au Collège de France. 1981-1982,36.édition de F. Gros, Gallimard/Seuil, 2001l’exigence de se connaître soi-même, si on la trouve déjà chez Clément37.

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d’Alexandrie n’a pas le sens de l’introspection par laquelle on serait amené à sejuger, mais d’une reconnaissance en soi de l’élément par lequel on peutreconnaître DieuLes Aveux…, Op. cit., p12238.Les Aveux…, Op. cit., p13639.Cassien va même jusqu’à considérer la formulation de ces pensées comme une40.expulsion matérielleLes Aveux…, Op. cit., p14241.Les Aveux…, Op. cit., p145. Remarquons également que le rapport entre désir et42.vérité est au cœur de Subjectivité et vérité dont une formulation de la question àlaquelle ce cours essaie de répondre est : « quelle expérience le sujet peut-il fairede lui-même, dès lors qu’il se trouve mis dans la possibilité ou dans l’obligation dereconnaître, à propos de lui-même, quelque chose qui passe pour vrai ? »(Subjectivité et vérité, op. cit., p13)Les Aveux…, Op. cit., p15743.dont le discours le plus important est attribué au personnage de Thécla, qu’on44.rapporte fréquemment à Paul, comme pour souligner l’inspiration paulinienne deson propos, et qui est mobilisée par les encratistes, pour montrer qu’un autresens de la virginité que le leur est possibleLes Aveux…, Op. cit., p16745.Les Aveux…, Op. cit., p17846.dont le modèle est Marie à qui Dieu aurait pu commander, mais qu’il a laissée47.libre d’accepter ou non de porter le sauveur. Cette non nécessité de la virginitévient critiquer les encratistes et assurer le mérite aux vierges : quel mérite yaurait-il à faire ce qui est obligatoire pour tous ?Les Aveux…, Op. cit., p19248.Les Aveux…, Op. cit., p20749.Les Aveux…, Op. cit., p20850.Basile évoque, par exemple, l’image de l’âme qui doit fermer avec soin ses51.fenêtres, au lieu d’être comme ces prostituées qui les gardent grandes ouverteset ne cessent de s’y montrerLes Aveux…, Op. cit., p21352.Les Aveux…, Op. cit., p21853.Cassien ne recourt pas au vocabulaire des noces pour évoquer la virginité,54.fussent-elles celles du seigneur, à la différence de nombreux auteurs. Ce n’estpas l’union sexuelle qui sert de modèle, mais l’acte de connaissance compriscomme relation entre regard, objet et lumière. La notion de connaissancesoutient pour lui le rapport de l’âme à Dieu

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Les Aveux…, Op. cit., p22355.« la tentation n’est en aucune manière une catégorie juridique : elle n’est ni56.faute, ni le commencement d’une faute, ni même l’interdiction de la commettre.Elle est d’abord un élément dynamique dans les relations entre l’extérieur etl’intérieur de l’âme : elle est l’insinuation dans l’âme d’une pensée qui lui vientd’une puissance autre qu’elle-même. Il n’y a tentation que parce que cette penséeest déjà présente dans l’âme, pensée de cette âme ; mais elle est en elle la traced’un mouvement qui vient d’ailleurs, l’effet d’une volonté étrangère, elle est faitedans l’âme d’un sillage qui renvoie à un autre. Elle est ensuite un épisodedramatique dans le combat, une bataille ou une phase de la bataille qui peut êtreremportée ou perdue : l’âme peut se laisser surprendre et envahir par elle, ou aucontraire la repousser et la vaincre ; la tentation peut entraîner le désir avec elle,ou au contraire susciter la volonté ardente de l’écarter et de s’en écarter » (LesAveux…, Op. cit., p229-230).Les Aveux…, Op. cit., p244-24557.Subjectivité et vérité évoque aussi, en analysant les Entretiens d’Épictète ce58.triple rapport aux autres, à soi et à la vérité : les arts de vivre dans l’Antiquitéhellénistique entraînent un « changement dans le statut ontologique de l’individu» (op. cit., p34), dans un triple rapport : rapport aux autres, (puisque la présencede l’autre est indispensable ne serait-ce que parce que ces arts se transmettent ets’enseignent suivant une relation de maître à disciple ( « on ne peut pas accéderà l’art de vivre par ses propres moyens, sans ce rapport à l’autre, ce rapport à ladirection, à l’autorité de l’autre, sans ce rapport au moins provisoire de pouvoir,qui fait que l’on va se soumettre à l’autre et à son enseignement, jusqu’à ce qu’onait atteint le statut ontologique qui permet de déployer, pour soi-même et entoute autonomie, le mode d’expérience auquel on aspirait. » (Ibid., p34)), rapportà la vérité (il faut qu’on intériorise l’enseignement, qu’on le pense soi-même) etrapport à soi (ascèse, série d’exercices, « essais pour faire telle ou telle chose,contrôle de ce qu’on a fait, examen de soi-même, des fautes qu’on a pucommettre dans la journée, travail de soi sur soi » (Ibid. p35)Les Aveux…, Op. cit., p24959.évoquons à la suite de Foucault le principe de l’inégalité naturelle de l’homme et60.de la femme, ou le principe de complémentarité entre l’homme et la femme quidoit donner un sens positif à cette inégalité, principe d’un lien affectif fort etdurable entre les épouxLes Aveux…, Op. cit., p25161.Les Aveux…, Op. cit., p258-25962.Les Aveux…, Op. cit., p27263.

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Les Aveux…, Op. cit., p27864.Les Aveux…, Op. cit., p28865.Les Aveux…, Op. cit., p307-30866.ainsi des personnes âgées ou stériles qui restent mariées67.Les Aveux…, Op. cit., p32268.Les Aveux…, Op. cit., p32969.Foucault écrit ainsi : « le rapport sexuel sans libido est intégralement habité par70.le sujet volontaire », (Les Aveux…, Op. cit., p331)Augustin parle d’un « mouvement de concupiscence qui leur était inconnu », cité71.dans Les Aveux…, Op. cit., p335Les Aveux…, Op. cit., p33872.Les Aveux…, Op. cit., p34273.Les Aveux…, Op. cit., p34474.Les Aveux…, Op. cit., p34775.Les Aveux…, Op. cit., p35976.Les Aveux…, Op. cit., p36677.Les Aveux…, Op. cit., p36878.Les Aveux…, Op. cit., p38979.Les Aveux…, Op. cit., p39780.Les Aveux…, Op. cit., p40181.