Michel Onfray - La Vie Philosophique de Camus

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  • 7/13/2019 Michel Onfray - La Vie Philosophique de Camus

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    Michel Onfray

    L'Ordre libertaire

    La vie philosophique d'Albert Camus

    Flammarion

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    Michel Onfray L'Ordre libertaire La vie philosophique d'Albert Camus Flammarion Michel Onfray et Flammarion, 2!2"

    #$pot l$%al & anvier 2!2 ()*+ pub & -./2/!2/0. ()*+ 1#F eb & -./2/!2/!23. Le livre a $t$ imprim$ sous les r$f$rences & ()*+ & -./2/!2044! Ouvra%e compos$ et converti par Meta5systems 63-! 7oubai89

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    Albert Camus $crivait en !-3: dans ses Carnets & ; tre lu avec attention" ? 1our lui

    rendre ustice, croiser sa pens$e et son e8istence, saluer une vie philosophique e8emplaire, =aisouhait$ $crire ce livre apr@s l=avoir lu avec attention" 6M" Onfray9

    1our mettre fin une l$%ende fabriqu$e de toutes pi@ces par )artre et les siens, celle d=unCamus ; philosophe pour classes terminales ?, d=un homme de %auche ti@de, d=un penseur despetits *lancs pendant la %uerre d=Al%$rie, Michel Onfray nous invite la rencontre d=une Buvre

    et d=un destin e8ceptionnels" +$ Al%er, Albert Camus a appris la philosophie en m>me temps qu=il d$couvrait un

    monde auquel il est rest$ fid@le toute sa vie, celui des pauvres, des humili$s, des victimes" Celuide son p@re, ouvrier a%ricole mort la %uerre, celui de sa m@re, femme de m$na%e morte au8mots mais mod@le de vertu m$diterran$enne & droiture, coura%e, sens de l=honneur, modestie,

    di%nit$" La vie philosophique d=Albert Camus, qui fut h$doniste, libertaire, anarchiste,

    anticolonialiste et visc$ralement hostile tous les totalitarismes, illustre de bout en bout cettemorale solaire"

    n couverture & Albert Camus Collection Catherine et

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    #G MHM AGG7

    Le Ventre des philosophes, Critique de la raison dittique, Irasset, !-/- J LIF, 2-" Cynisme, Portrait du philosophe en chien, Irasset, !-- J LIF, 2." L'Art de jouir, Pour un matrialisme hdoniste, Irasset, !--!, LIF, 2."

    L'il nomade, La peinture de Jacques Pasquier, Folle Avoine, !--:" La Sculpture de soi, La morale esthtique, Irasset, !--: 61ri8 M$dicis de l'essai9 J LIF,2:" La Raison ourmande, Philosophie du o!t, Irasset !--3 J LIF, 2/" "taphysique des ruines, La peinture de "onsu #esiderio, Mollat, !--3 J LIF, 2!" Les $ormes du temps, %horie du sauternes, Mollat, !--0 J LIF, 2-" Politique du re&elle, %rait de rsistance et d'insoumission, Irasset, !--. J LIF, 2/" ommae ( )achelard, d" du 7e%ard, !--/" Ars "oriendi, Cent petits ta&leau* sur les a+antaes et les incon+nients de la mort, FolleAvoine, !--/" c-t du dsir d'ternit, $raments d'.ypte, Mollat, !--/ J LIF, 20" %horie du corps amoureu*, Pour une rotique solaire, Irasset, 2 J LIF, 2." Pr/ter n'est pas +oler, Mille et une nuits, 2" Antimanuel de philosophie, Le0ons socratiques et alternati+es, *r$al, 2!" 1sthtique du p-le 2ord, St3les hyper&orennes, Irasset, 22 J LIF, 23" Physioloie de 4eores Palante, Pour un niet5schisme de auche, Irasset, 22, LIF,23" L'6n+ention du plaisir, $raments cyrna7ques, LIF, 22" Cl&ration du nie colrique, %om&eau de Pierre )ourdieu , Ialil$e, 22" Les 6c-nes pa7ennes, Variations sur 1rnest Pinon81rnest, Ialil$e, 2:" Archoloie du prsent, "ani9este pour une esthtique cynique, Irasset5Adam *iro,2:" $eries anatomiques, 4naloie du corps 9austien, Irasset, 2: J LIF, 2-" .piphanies de la sparation, La peinture de 4illes Aillaud, Ialil$e, 24" La Communaut philosophique, "ani9este pour l'uni+ersit populaire, Ialil$e, 24" :*ymoriques, Les Photoraphies de )ettina Rheims,

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    La Reliion du poinard, .loe de Charlotte Corday, Ialil$e, 2-" L'Apiculteur et les 6ndiens, La peinture de 4rard 4arouste, Ialil$e, 2-" Le Corps de mon p3re, atier, 2-" Le Recours au* 9or/ts? La tentation de #mocrite, Ialil$e, 2-" Philosopher comme un chien? La philosophie 9roce 666, Ialil$e, 2!"

    2iet5sche, se crer li&ert, dessins de M" Leroy, Le Lombard, 2!" "ani9este hdoniste, Autrement, 2!!" Le Crpuscule d'une idole, Irasset, 2! J LIF, 2!!" La Construction du surhomme, Irasset, 2!!" Journal hdoniste& ("Le #sir d'/tre un +olcan, Irasset, !--0 J LIF, 2/" (("Les Vertus de la 9oudre, Irasset, !--/ J LIF, 2" ((("L'Archipel des com3tes, Irasset, 2! J LIF, 22" (E"La Lueur des oraes dsirs, Irasset, 2." Contre8histoire de la philosophie& (Les Saesses antiques, Irasset, 20 J LIF, 2." (("Le Christianisme hdoniste, Irasset, 20 J LIF, 2/" ((("Les Li&ertins &aroques, Irasset, 2. J LIF, 2-" (E"Les ;ltras des Lumi3res, Irasset, 2. J LIF, 2-" E"L'1udmonisme social, Irasset, 2/ J LIF, 2!" E("Les Radicalits e*istentielles, Irasset, 2- J LIF, 2!" E(("La Construction du surhomme, Irasset, 2!!" Contre8histoire de la philosophieen C#, Fr$meau8 et associ$s & ("L'Archipel pr8chrtien @B, #e Leucippe ( .picure, 24" (("L'Archipel pr8chrtien @B, #'.picure ( #io3ne d'nanda, 23" ((("La Rsistance au christianisme @B, #e l'in+ention de Jsus au christianismepicurien, 23" (E"La Rsistance au christianisme @B, #'.rasme ( "ontaine, 23" E"Les Li&ertins &aroques @B, #e Pierre Charron ( Cyrano de )ererac, 20" E("Les Li&ertins &aroques @B, #e 4assendi ( Spino5a, 20" E(("Les ;ltras des Lumi3res @B, #e "eslier ( "aupertuis, 2." E((("Les ;ltras des Lumi3res @B, #e el+tius ( Sade, 2." ("L'1udmonisme social @B, #e 4odDin ( Start "ill, 2/" "L'1udmonisme social @B, #e Stuart "ill ( )a

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    L'Ordre libertaire La vie philosophique d'Albert Camus

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    Le #anemarK et la 1russe

    tres en qu>te d'eu85m>mes, des %arVons et des filles dont l'Tme se perd dans la un%le d'unevie menaVante, ou bien encore pour l'offrir au8 non5professionnels de la philosophie, vautd$claration de %uerre au8 suffisants et au8 professeurs, ce qui, dans le monde de la philosophied'hier et d'auourd'hui, $puise presque toute la corporation" Camus $crivait pour >tre lu et compris afin d'aider e8ister, p$ch$ mortel dans ce petitmonde philosophique oN, bien souvent, on $crit pour >tre %los$ et obscurci par les membres de satribu" ouours dans les Carnets, on peut lire ceci & ; Ceu8 qui $crivent obscur$ment ont bien dela chance & ils auront des commentateurs" Les autres n'auront que des lecteurs, ce qui, paraWt5il, estm$prisable ? 6E(" !/.9" #ans les ann$es oN il consi%ne cette r$fle8ion, il pense )artre, biensSr, qui, on l'aura compris, son%eons L'Etre et le 2ant, est plutXt prussien que danois D Y l'$vidence, $crire pour >tre lu et compris inscrit dans un li%na%e ayant mauvaise presseen philosophie depuis sept ou huit d$cennies & la tradition franVaise" Montai%ne, #escartes,#iderot et tous les philosophes du si@cle des Lumi@res, mais aussi ceu8 du ( esi@cle, Maine de

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    *iran et Comte par e8emple, ou, plus tard, *er%son et *achelard, $crivent une lan%ue claire, uneprose simple et se font comprendre sans difficult$" L'id$alisme allemand et l'Gniversit$prussienne, partir de Rant, inau%urent un tout autre monde oN, de par sa sp$cificit$, la lan%uecr$e des emboWta%es %$n$rant des n$olo%ismes une fois traduits en franVais" La li%ne claire, a sesadeptes, RierKe%aard J le trait obscur, ses thurif$raires, e%el en fi%ure embl$matique" Ou bien

    encore & Camus, la li%ne claire, contre )artre, le trait obscur" n vertu de cette domination de l'Allema%ne sur le terrain de la philosophie europ$ennedepuis les ann$es !/:, quiconque r$di%e son propos dans une lan%ue facile d'acc@s passe poursuperficiel" L'obscurit$ semble si%ne et %a%e de profondeur J la clart$, preuve de l$%@ret$ etd'incons$quence th$orique" Eoil pourquoi, plusieurs reprises dans son Buvre, Camus affirmen'>tre pas philosophe & selon les crit@res prussiens, en effet J mais en vertu des crit@res que nousdirons danois, il illustre merveille la tradition de la philosophie franVaise" tre philosophe U ou bien alors, insulte 6sartrienne9supr>me, ; philosophe pour classes terminales ?" Ce m$pris tombe de lui5m>me quand onconstate qu'auourd'hui )artre a deu8 ou trois commentateurs, mais Camus quantit$ de lecteursbien au5del de la classe de philosophie" Gn philosophe e8istentiel

    Camus s'inscrit donc dans le li%na%e franVais des philosophes e8istentiels, mais surtoutpas e8istentialistes" On ima%ine mal ce que fut cette mode pr$te8te philosophique dans le petitmonde de )aint5Iermain5des51r$s"L'Etre et le 2ant devient un best5seller, mais qui peut croireque les si8 cents pa%es de cet ; ssai d'ontolo%ie ph$nom$nolo%ique ?, c'est le sous5titre, aient $t$lues avec patience, assimil$es, comprises par la faune qui faisait les riches heures des caves avecl'alcool, le a, le rocK acrobatique, le tabac, la dra%ue Q Comme touours quand elle atteint le %rand public, la philosophie s'accompa%ne demalentendus & loin des r$fle8ions sur le nihilisme, l'absurdit$, le sens, la libert$, le choi8,l'en%a%ement, la facticit$, la contin%ence, l'authenticit$, l'e8istentialisme devient une modeassoci$e au couple )artre et *eauvoir, au8 chansons de tes renifler des camemberts pourris" Mais Camus souhaite moins se d$marquer de cettelecture fautive de l'e8istentialisme que de cette philosophie qui, quand elle est chr$tienne,suppose la critique de la raison en faveur de la divinit$, et, quand elle est ath$e, divinisel'istoire" Camus ne veut pas choisir entre #ieu comme histoire et l'istoire comme dieu, ilpense un art de vivre en temps nihiliste" Y un ournaliste de Ser+irqui lui demande en !-43 ce qu'il pense d'une permanenteassociation de son nom l'e8istentialisme, voire d'>tre pr$sent$ comme un disciple de )artre, ilr$pond & ;

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    incomp$tence intellectuelle aussi, contribuent la fabrication des malentendus" 1lutXt que de lire,plume la main, de tTcher de comprendre ce qui se trouve $crit, d'analyser les th@ses d'un livre,les chroniqueurs d$versent dans la presse une contre5information qui nourrit la r$putation" Or lar$putation, c'est la somme des malentendus accumul$s sur un nom" On ne lit pas l'Buvre, on litles commentaires de l'Buvre livr$s dans la presse, puis on u%e partir de ce travail de

    d$sinformation" #ans une nouvelle deL'.tintitul$e ; L'$ni%me ?, Camus analyse le m$canisme deconstruction des l$%endes par la presse dont le pouvoir s'av@re consid$rable puisqu'il n'est r$fut$par aucun contre5pouvoir di%ne de ce nom" tre autobio%raphiques ? 6(((" 039" Or, comment pourrait5on dissocier la bio%raphie d'un >tre etses nostal%ies ou ses tentations qui,justement, constituent sa bio%raphie Q #ans cette analyse de la production ournalistique des l$%endes domma%eables pour lephilosophe, chacun voit bien qu'il parle d'e8p$rience" )'il confesse la possibilit$ d'$crire surl'absurde sans connaWtre soi5m>me les affres de l'absurde, qui le croit Q )'il $carte d'un revers de lamain, comme une pu$rilit$ romantique, l'id$e d'une Buvre comme confession autobio%raphique,ne peut5on y d$celer un m$canisme de d$fense che un >tre pudique qui voit sa vie intime etpriv$e menac$e par la presse, amais avare des 5peu5pr@s dont on ne se remet amais Q #ans ce m>me bref te8te de !-3, Camus pr$cise que l'absurde n'est pas une find$sesp$rante, mais un d$but pour une vie positive" 1asser pour le philosophe de l'absurde quim@ne une vie absurde, emp>tr$ dans l'absurdit$ de son monde, %$n@re une premi@re l$%ende U il yen aura d'autres D (l n'est pas lephilosophe e8istentialiste accabl$ par le non5sens du monde, maisle penseur d'un r$el d$sert$ par les dieu8 qui offre des raisons d'esp$rer, notamment dans, par etpour la r$volte" Finalement, cet homme habit$ par un envers sombre et un endroit lumineu8

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    avoue des racines autobio%raphiques sa pens$e" Camus $crit en effet & ; Au plus noir de notre nihilisme, 'ai cherch$ seulement des raisonsde d$passer ce nihilisme" t non point d'ailleurs par vertu, ni par une rare $l$vation de l'Tme, maispar fid$lit$ instinctive une lumi@re oN e suis n$ et oN, depuis des mill$naires, les hommes ontappris saluer la vie usque dans la souffrance ? 6(((" 009" La philosophie camusienne se trouve

    ramass$e dans cette phrase & le dia%nostic du nihilisme europ$en, la volont$ de le d$passer parune philosophie affirmative, la r$fle8ion par5del bien et mal, le sens de la terre, la m$moirevisc$rale d'une lumi@re d'enfance, l'inscription dans un li%na%e ancestral, l'acquiescement la vieusque dans sa n$%ativit$" Pui n'entend ici le chant d'un [arathoustra venu d'Al%$rie Q Comment on philosophe 1aris

    Camus n'aime pas 1aris qu'il compare la caverne de 1laton & les hommes y prennentl'ombre pour la r$alit$" Le philosophe qui connut des e8tases mystiques pa]ennes ipasa a vu lalumi@re, lui" 1our filer la m$taphore platonicienne, apr@s avoir contempl$ cette source de toutesles clart$s, il est redescendu parmi les hommes, bien d$cid$ leur e8pliquer oN se trouve lalumi@re et oN se profilent les ombres fallacieuses" L'homme refusant que l'on sollicite labio%raphie pour comprendre l'Buvre $crit ensuite & ; +ous avons appris, loin de 1aris, qu'unelumi@re est dans notre dos, qu'il nous faut nous retourner en reetant nos liens pour la re%arder enface, et que notre tTche avant de mourir est de chercher, travers tous les mots, la nommer ?6(((" 0.9" Y nouveau, te8te pro%rammatique" Gne petite pi@ce de th$Ttre m$connue, c'est fort domma%e, permet au philosophe debrosser le portrait de ces abus$s qui prennent l'ombre pour la r$alit$" Cette Buvre intitul$eL'6mpromptu des philosophesprend place dans la %alerie de la commedia dell'arte ou du Moli@redes$our&eries de ScapinU ici, les fourberies e8istentialistes mettent sur les planches un )capinnomm$ ; Monsieur +$ant ? D La pi@ce de !-4. montre comment on philosophe 1aris" Cettepetite satire voltairienne est une machine de %uerre bien efficace contre les %ros trait$sd'ontolo%ie ph$nom$nolo%ique D Le rire nietsch$en en acte" Monsieur +$ant demande audience Monsieur Ei%ne, maire de sa commune etpharmacien stupide" Monsieur +$ant arrive avec un tr@s %ros livre sous le bras, se pr$sente,s'assied lourdement, pr$cise que son nom est connu 1aris, qu'il n'a pas de m$tier et ne sait rienfaire de ses di8 doi%ts" (l dit & ; trepay$ d'un bon pri8 pour cette sa%esse concentr$e dans son in5folio" Arrive Monsieur M$lusin" (l souhaite parler Monsieur Ei%ne dont il veut $pouser la fille)ophie" FraWchement converti l'e8istentialisme, le futur beau5p@re r$pond sa pro%$niture quel'amour n'e8iste pas, qu'il n'y a que des caresses U di*itle livre D )eules les actions comptent, les

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    intentions ne sont rien & la preuve de l'amour, c'est la coucherie, si M$lusin n'a pas couch$, iln'aime pas" Form$ ce lan%a%e ad$quat, le p@re parle de situation, de choi8, d'en%a%ement, deresponsabilit$ et, apr@s un roul$5boul$ philosophique, aboutit la n$cessit$ de l'enfantement" Lafille trouve que cette conception de l'amour venue tout droit de 1aris lui a%r$e pleinement D lles'en va vers les travau8 pratiques"

    Le ambon de Monsieur +$ant Madame Ei%ne entre sur sc@ne avec un ambonneau" lle d$couvre un nouveau mari sousle charme des d$lices e8istentialistes & la v$rit$ est que la v$rit$ n'e8iste pas, que tout est hasard,qu'il y a parfois de la fum$e sans feu et que rien ne sert rien" #iscours d'archev>que selonl'$pouse qui tourne le dos son philosophe de mari pour man%er seule son %ros ambon bien %ras,cadeau de #ieu D Monsieur a beau >tre fraWchement converti au sartrisme, il ne crache tout dem>me pas sur la pi@ce de charcuterie & certes, il veut bien que rien n'ait de sens, mais il voit bientout de m>me celui de la cuisse du cochon D )uit l'ar%umentation philosophante pour se mettre table & ; tes, vous deve me laisser faire ce qu'il faut bien faire pour que vous et moi soyons ceque nous sommes" C'est la raison pour quoi e dois souper ? 6((" ..-9" #evant son $pouse qui crie au fou, le mari plon%e dans le %ros livre de Monsieur +$ant ettTche de prouver ce qu'il dit par quelques e8traits qui semblent sortis tout droit de L'Etre etle 2antD Mais, prof$r$s dans le d$sordre, rien ne fait sens" (l sollicite le 1hilosophe de 1aris quidonne la bonne formule & ; Htre en se faisant et faire que cela soit, c'est >tre tout venant sans>tre quoi que ce soit ? 6((" ./9" )tup$faction de Madame, satisfaction de Monsieur & il demandeun suppl$ment d'Tme au philosophe qui veut bien poursuivre ses leVons, mais, un re%ard vers leambon, avoue que, l'estomac plein, il pense mieu8" (n%ur%itant le %i%ot, le 1hilosophe de 1aris continue sa p$roraison" La bouche pleine, ilfait de l'an%oisse la meilleure chose du monde, elle est une vertu, un d$lice, une consolation, ellenous fait vivre, la preuve & les morts ne l'$prouvent pas D 1as dupe, Madame Ei%ne r$crimine JMonsieur +$ant invite le mari r$pudier sa femme" Le mari ar%ue d'un en%a%ement Q Le %roslivre lui apprend que chan%er d'en%a%ement c'est encore s'en%a%er" La lecture de cet opus moinsdi%este que le ambon permet ensuite au8 habiles d'$crire eu8 aussi des livres nimb$s d'un pareilfumet" Arrivent les tourtereau8" Monsieur M$lusin a bien retenu la leVon & il a beaucoup caress$)ophie, usqu' pr$parer l'enfantement, donc il l'aime" Monsieur Ei%ne poursuit l'e8amen poursavoir s'il va donner son consentement au maria%e & l'ardeur au lit ne suffit pas, il faut aussi que lepr$tendant soit un peu criminel, un peu voleur si possible, un peu incestueu8 aussi, ou bienp$d$raste" +on Q ; Puelle confiance puis5e avoir dans un homme qui n'a pas eu choisir d'>trece qu'il est Q ? 6((" ./09 poursuit le pharmacien U on son%e ici au tropisme qui conduit )artre c$l$brer la vie et l'Buvre de

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    cons$quent que vous sere mari$ ? 6((" ./.9" 1r$cisons queuis closa $t$ mont$ au Eieu85Colombier le 2. mai !-44" Monsieur +$ant aborde la politique" Le pharmacien se dit r$publicain et attach$ au8libert$s traditionnelles" Le 1hilosophe de 1aris l'entreprend sur ce suet & son $l@ve parle deslibert$s comme si elles e8istaient en soi, or la libert$ n'e8iste pas tant qu'elle n'est pas conquise

    par l'action" #@s lors, nous ne sommes amais libres, mais ; touours sur le chemin d'>tre libres ?6((" ./.9" 7appelons l pour ceu8 qui douteraient encore de l'identit$ cach$e de Monsieur +$antqueLes Chemins de la li&ertparaissent en !-43" La libert$ n'est acquise qu'une fois mort,ensei%ne +$ant U saillie philosophante qui rassure le pharmacien" #@s lors, quoi bon >tre r$publicain Q (l n'y aura vraiment de r$publique qu'une fois lepharmacien sous terre D t avec lui, la totalit$ des FranVais" Pue faire au8 prochaines $lections Qdemande l'$l@ve son maWtre" 7$ponse du Irand 1hilosophe & ; 1uisque vous ne saurie >tre libresans avoir lutt$ votre vie durant pour la libert$, puisque vous ne pouve lutter que si vous >tesopprim$s, vous proclamere votre amour de la libert$ et vous votere en m>me temps pour ceu8qui veulent la supprimer ? 6((" .//9 U chacun aura reconnu l'homme du compa%nonna%e avec lescommunistes" )ur ces entrefaites, entre le directeur d'un asile de fous flanqu$ de deu8 infirmiers tout enmuscles" Monsieur +$ant s'est $vad$ de sa clinique, il est connu pour s$duire les %ens avec sondiscours habile" t le livre Q r$torque Ei%ne" 1ersonne ne l'a lu, r$pond le #irecteur, pas m>me lefou qui s'est content$ des propos tenus par les critiques dans les ournau8" Or chacun sait que lescritiques ne lisent amais les livres dont ils parlent U ; coutumes parisiennes ? 6((" ./-9,surench$rit le pharmacien" Le #irecteur acquiesce et aoute, propos de 1aris & ; C'est une villesin%uli@re" On y aime tant les belles pens$es qu'on ne peut se retenir d'en parler tout le our, cequi ne laisse point le temps d'en lire" ? 1uis & ; On s'y d$chire au nom de la pai8 et on s'y prometle ba%ne au nom de la libert$ ? 6((" .-9" Le #irecteur conclut que les philosophes doivent se tenir l'$cart des %ens, comme les l$preu8, pour ne pas les contaminer avec leur maladie" LeVonapprise dans l'asile oN il travaille depuis si lon%temps D La vie philosophique

    La pi@ce ne fut pas mont$e, ni publi$e" #omma%e" +ul doute qu'elle aurait acc$l$r$ leprocessus de d$composition qui d$bouche sur la pol$mique deL'omme r+olt cinq ans plustard" )artre n'aurait pas manqu$ de fourbir ses armes J Camus aurait ainsi brSl$ ses vaisseau8"Mais l'Buvre tonique, dynamique, nietsch$enne avec sa l$%@ret$ par profondeur, rensei%ne surl'$tat d'esprit d'Albert Camus 1aris oN il se sent et se sait e8il$" 1endant l'Occupation, puis ausortir de la %uerre, il a trop vu les roua%es de ce petit monde lors de ces ; fiestas ? oN les corpschan%ent de lit tous les soirs, oN l'alcool fait tomber l'un dans l'escalier, s'effondrer l'autre dans larue, initier une ba%arre un troisi@me" Camus se prend un our un coup de poin% d'ArthurRoestler et porte quelque temps une paire de lunettes de soleil pour cacher le coquard" Mais il y a pire que ces faits divers de beuveries & dans ce petit monde libertin etpuissamment alcoolis$, les id$es fonctionnent pour elles5m>mes, d$tach$es du monde" Comme ilse trouve une tribu d'esth@tes qui pratique l'art pour l'art, il e8iste une peuplade d'intellectuels quipratique la philosophie pour la philosophie, comme un eu d'enfants n'en%a%eant rien U sauf qu'terme, ce eu ustifie les camps de concentration sovi$tiques r$cemment d$couverts et que,dialectique obli%e, )artre d$fend, avec Merleau51onty, )imone de *eauvoir et Les %empsmodernes" Ce m>me eu ustifie aussi l'assimilation de la philosophie un pur e8ercice derh$torique dans lequel les sophisteries s'enchaWnent pour prouver n'importe quoi" Gne id$e chassel'autre, peu importe pour cette $lite immature que telle ou telle fasse des morts" Cent millions, par

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    e8emple, pour l'(d$e communiste au esi@cle La technique apprise l'cole normale sup$rieure pour disserter brillamment sur tout, rienet n'importe quoi, en $blouissant l'auditeur touours assimil$ un e8aminateur du uryd'a%r$%ation, a fourvoy$ la philosophie que Camus aborde dans une autre confi%uration & celle dusalut individuel et personnel +iale et un curieu8, alors qu' cXt$ e%el faisait salle comble avec un sabir qui lui ali$nait unauditoire captif comme l'oiseau sur la branche en dessous duquel siffle le serpent" Le professeur vit de la philosophie J le philosophe la vit" On peut >tre l'un et l'autre, biensSr, )chopenhauer t$moi%ne" Mais ce sont deu8 activit$s radicalement s$par$es" n quoi consistecelle dupro9esseur de philosophieQ #$pecer la pens$e d'autrui, la d$couper en tranches, laconfi%urer dans un plat de sa facture, la pr$senter et la resservir un auditoire qui la r$%ur%ite sa faVon, le tout permettant de noter l'apprenti, puis de lui d$cerner un certificat lui permettant detravailler son compte, voil qui fait de la philosophie un pr$te8te, l'occasion d'un m$tier, sinond'une sin$cure" Le philosophequant lui pense pour vivre et mieu8 vivre, il r$fl$chit pour conduire sonaction, il m$dite dans le but de tracer une route e8istentielle, il lit, $crit, afin de mettre en formeun chaos carto%raphi$ par le verbe" La biblioth@que n'est pas che lui une fin en soi, ni l'$critureune activit$ pour elle5m>me, pas plus que les livres ne sont des formes pures destin$es au%menter le patrimoine litt$raire de l'humanit$" 1our lui, le verbe se fait chair, acte, action, sinonil ne sert rien" La vie du professeur est celle d'un fonctionnaire assuetti au8 horaires de son m$tier"1ersonne ne lui demande, s'il a ensei%n$ )pinoa dans la ourn$e, de mener une vie spinoiste lesoir" )i d'aventure il s'en%a%e sur cette voie, il passe de l'autre cXt$ du miroir et se pr$pare unevie philosophique" Celle5ci d$finit toute e8istence dans laquelle est visible la sa%esse de l'individuqui la professe" lle nomme un quotidien dans lequel un >tre vit selon sa pens$e et pense selon savie" La lecture, la pens$e, la r$fle8ion, la m$ditation, l'$criture, la parole, la publication travaillent l'ad$quation de la th$orie et de la pratique" Camus a d$couvert la philosophie avec tre qui ferait mieu8 de se dispenser d'a%ir tant l'action creuse che lui le foss$ entreses dires et ses actes, sa th$orie et sa pratique, sa pens$e et ses %estes" Irenier n'a pas su qu' soncorps d$fendant il a donn$ Camus une leVon pr$cieuse"

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    L'auteur de2ocesfut un homme rassembl$ & la vie philosophique e8iste avec la totalead$quation entre l'Buvre et l'e8istence" La lecture crois$e de tous les livres d'Albert Camus, led$chiffra%e de ses correspondances publi$es ou in$dites, la connaissance du travail effectu$ parles bio%raphes de r$f$rence U erbert Lottman et Olivier odd U, l'e8clusion de toute lalitt$rature de %lose qui enfume plus qu'elle n'$claire, permettent de remplacer la l$%ende par

    l'histoire" La l$%ende de Camus est n$%ative & elle parle mal d'un homme &ienU comme celle deFreud, positive, parle bien d'un mauvais homme" L'histoire contre la l$%ende

    Puelle est cette l$%ende Q Camus serait romancier dans ses livres de philosophie etphilosophe dans ses ouvra%es de fiction, autrement dit ni philosophe ni romancier J Camus seraitun autodidacte en philosophie, il effectuerait des lectures de seconde main et n'irait pasdirectement au8 te8tes, quand il y va on prend soin d'aouter qu'il ne les comprend pas J Camusserait un social5d$mocrate, un socialiste tr@s rose, un mend$siste J Camus aurait $t$ le penseur despetits *lancs, des colons et des FranVais d'Al%$rie J Camus aurait $t$ ournaliste che lesphilosophes, philosophe che les ournalistes U une l$%ende fabriqu$e de toutes pi@ces par )artreet les siens d@sL'omme r+olt" lle fut savamment entretenue apr@s la mort du philosophe" Le propre de la l$%ende c'est d'>tre propa%$e sans >tre interro%$e" M>me che certainscamusiens, une partie de cette fiction sartrienne se trouve parfois r$pandue" La lecture int$%ralede l'Buvre met mal cette d$plorable fiction & Camus fut un philosophe di%ne de ce nom, et cedans la plus %rande tradition de la pens$e franVaise J Camus fut un romancier qui parvint l'$quilibre entre la fiction et les id$es J Camus fut un maWtre en style et sut inventer une $crituread$quate pour chacun de ses propos J Camus fut un lecteur avis$, libre, indemne des formata%esuniversitaires J Camus ne lisait pas pour %loser mais pour illustrer son propos J Camus fut unnietsch$en de %auche, en critique de +ietsche, comme le philosophe allemand souhaitait qu'onle fSt avec lui J Camus $tait un anarchiste positif, nullement disciple de tel ou tel, m>me si1roudhon semble le plus proche de sa sensibilit$ J Camus fit penser ses lecteurs quand il $crivaitdans les ournau8 J Camus $crivit dans la presse des pa%es intempestives plus durables quecertains trait$s philosophiques publi$s par des diplXm$s J Camus fut un penseur anticolonialisted@s ses eunes ann$es, et ce usqu' la fin de sa vie J Camus fut un philosophe h$doniste, pa]en,pra%matique, nietsch$en U de plus, il $tait fils de pauvre et fid@le au8 siens" (l avait tout pourd$plaire au8 1arisiens faiseurs de r$putation, tout pour me plaire aussi U et pour plaire tant delecteurs auourd'hui" Ce livre invite d$construire la l$%ende pour entrer dans l'histoire d'unphilosophe maeur du esi@cle" ! Le chiffre romain renvoie au tome des u+res compl3tesd'Albert Camus dans l'$ditionde la 1l$iade, le chiffre arabe la pa%e"

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    Premi3re partie

    Le royaume m$diterran$en

    Pu'est5ce qu'une vie h$doniste Q

    ; (l y a ainsi une volont$ de vivre sans rien refuser de la vie qui est la vertu que 'honore leplus en ce monde" ?

    Camus,L'.t6(((" 0!:9"

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    !

    I$n$alo%ie d'un philosophe

    Comment devient5on ce que l'on est Q

    ; L'homme que e serais si e n'avais pas $t$ l'enfant que e fus D ? Camus, Cahier 6V6((" !239

    L'idiosyncrasie libertaire

    Camus parle de son ; intol$rance quasi or%anique ? 6(((" 4349 l'inustice" (l ne s'e8pliquepas pourquoi il se trouve de 9actoau8 cXt$s des humbles, des humili$s, des %ens de peu maltrait$s et avoue >tre incapable de dormir du sommeil du uste en pr$sence de la mis@re des plusd$munis, mais il le constate" )ous sa plume, la r$f$rence l'; or%anique ? fleure bon lenietsch$isme et plus particuli@rement la th$orie de l'idiosyncrasie qui met en perspective lapens$e et le corps qui la produit, la philosophie et l'autobio%raphie du philosophe, sa vision dumonde et sa situation dans le monde" oute sa vie, Camus fait de l'auteur du 4ai Sa+oirune r$f$rence positive, un %enre demod@le dont on peut >tre le disciple sans qu'il soit pour autant un maWtre" On sait que lephilosophe allemand th$orise l'id$e d'une physique de la m$taphysique, d'une %$n$alo%ieempirique de ce que les philosophes officiels et institutionnels pr$sentent comme dutranscendantal" Mais, sans renvoyer e8plicitement cette pens$e qu'il connaWt, bien sSr, il r$cusedansL'.tcette fausse bonne id$e qu'un auteur ne parlerait que de lui ou que ses id$esproc$deraient de son histoire" (d$e fausse et pu$rile, dit5il" 1ourtant, on ne peut ima%iner que l'intol$rance toute forme d'inustice, la sinaturee*istentielle de Camus, descende du ciel des id$es auquel il ne croit pas U lui qui affirme sisouvent ne pas >tre philosophe 6((" 03-9 6((" -.!9 6(((" 429 6(((" 4!!9, la philosophie $tant laplupart du temps un %enre de th$olo%ie sans #ieu, un eu conceptuel %ratuit, une sophistique sansint$r>t, une rh$torique sp$cieuse, compliqu$e par des professionnels de la profession" Camusbrille dans l'histoire de la philosophie comme un penseur de l'immanence radicale" Au esi@cle,nul philosophe n'$puise ce point la mati@re concr@te du monde, la prose tan%ible du r$el, en$conomisant les tics de la corporation philosophante et en empruntant la plume du po@te" Comme+ietsche" #@s lors, oraniquementconstitu$ en homme r$tif l'inustice, la mis@re, la pauvret$, l'humiliation, nous pouvons ima%iner la constitution historique de cette subectivit$" Le m>me$crit & ; Gne certaine somme d'ann$es v$cues mis$rablement suffisent construire unesensibilit$ ? 6((" .-39" Cet aveu cautionne l'id$e d'une %$n$alo%ie de sa sensibilit$ dans l'enfance Uune $vidence laquelle il semble difficile de se soustraire" On ne naWt pas ce que l'on est, on ledevient" Comment Camus devient5il ce philosophe radicalement rebelle l'inustice Q Autrementdit & quels chemins emprunte la psych$ de cet enfant devenu homme pour se cristalliser dans unesensibilit$ libertaire Q Gne psychobio%raphie sans Freud

    1r$cautions m$thodolo%iques & la qu>te d'une identit$ et le questionnement de l'enfance nerel@vent pas de la psychanalyse mais de la psycholo%ie" 1lus personne n'i%nore que cette derni@rea dS rendre les armes devant les bataillons freudiens qui contaminent toute psychobio%raphie

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    depuis plus de cent ans" 7appelons que la m$thode psychobio%raphique est nietsch$enne, qu'onen trouve les formules dansLe 4ai Sa+oiretPar8del( &ien et mal, un demi5si@cle avant lesfictions freudiennes" (nterro%er le p@re, la m@re, le milieu familial, l'enfance pour comprendrecomment se construit une psych$ ne si%nifie nullement souscrire au8 l$%endes Bdipiennes, l'inconscient h$rit$ phylo%$n$tiquement, au meurtre du p@re, au banquet cannibale, et autres

    l$%endes viennoises ayant commis beaucoup de d$%Tts" tre deL'omme r+olt, c'est le meurtre Bdipien du p@re pourtant d$mort 6!.39" La messe freudienne ayant $t$ dite une bonne fois pour toutes, on me permettra deproposer une lecture nietsch$enne de la %$n$alo%ie du temp$rament libertaire d'Albert Camus"On y verra moins de phallus et de castration, de meurtre du p@re et de d$sirs d'inceste, d'analit$ etde eu8 de mots e8plicatifs, que d'histoires personnelles et subectives entrecrois$es avec deshistoires %$n$rales, celles d'une classe sociale, d'un milieu, d'une $poque, d'une terre, d'un pays,d'une ville, d'un quartier, mais aussi des histoires particuli@res constitu$es de blessures d'enfance,d'humiliations des eunes ann$es, de rencontres v$cues comme des r$demptions pa]ennes pour unenfant que tout pr$destinait socialement ne pas devenir ce qu'il est devenu" #evenir un fils fid@le

    n !-43, Camus donne une cl$ pour ouvrir les portes de sa psych$ & ; L'homme que eserais si e n'avais pas $t$ l'enfant que e fus D ? 6((" !239" #e fait, cette enfance sans p@re, maisavec des souvenirs maeurs h$rit$s du p@re J cette enfance sans m@re d'une certaine mani@re,puisqu'elle fut sourde et quasi mutique, mais tellement pr$sente dans sa forteresse de silence Jcette enfance avec une %rand5m@re inuste et violente, brutale et m$chante J mais aussi, cetteenfance b$nie de faVon pa]enne par la mer et le soleil, les pla%es et la natation, le sable et l'eau, la

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    M$diterran$e et l'amiti$, le rire et les filles, la nature et la lumi@re, le sport et le th$Ttre J cetteenfance sauv$e par le savoir et la culture, la lecture et les livres, puis l'$criture et la publication,avec Louis Iermain l'instituteur, puis tre pr$caire" La viephilosophique de Camus est tout enti@re tourn$e vers cet imp$ratif e8istentiel & devenir ce qu'ilest, autrement dit un fils fid@le" La mort infli%$e!

    Puel est le th@me de l'Buvre compl@te du philosophe Albert Camus QLa mort in9lie& lemeurtre, l'assassinat, la mise mort d'un autre ou de soi" Ainsi & la r$volution et l'$crasement de lar$bellion dansR+olte dans les AsturiesJ les bombes des nihilistes russes dansLes JustesJ lecrime deL'.tranerqui finit sur l'$chafaud J la question du meurtre l$%al dans l'histoire, de la7$volution franVaise au8 camps sovi$tiques ou nais, en passant par le chi%alevisme ou lel$ninisme dansL'omme r+oltJ lesR9le*ions sur la uillotine, bien sSr J la folie san%uinairedu tyran Caliulaembl$matique de l'homme politique J la m$prise du crime d'un fils dansLe"alentenduJ le suicide, seul probl@me philosophique s$rieu8 dansLe "ythe de SisypheJ lescrimes de masse de tous les totalitarismes pass$s, pr$sents et venir dans La PesteouL'.tat desi3eJ la s$questration et le supplice du missionnaire ou le crime de l'Arabe livr$ par un%endarme l'instituteur cens$ le convoyer vers la prison dansL'1*il et le royaumeJ les deu8terrorismes, l'tat franVais et la lib$ration du FL+ en Afrique du +ord dansActuelles 666?Chroniques alriennesJ la question de l'$puration la Lib$ration dans les articles de Com&atJ lapalinodie des u%es p$nitents dansLa ChuteJ et, enfin, l'e8$cution capitale dansLe Premieromme" Camus n'a cess$ de r$fl$chir sur le crime l$%al, l'assassinat id$olo%ique, le meurtre de soiou de son prochain, la mise mort pro%ramm$e, l$%itim$e U il s'est constamment r$volt$ devantcet inustifiable maeur" La raison de cet en%a%ement sans tremblement se trouve dans la premi@re pa%e des

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    R9le*ions sur la uillotinequi rapporte une sc@ne %$n$alo%ique de la psych$ du philosophe, doncde son >tre le plus intime" Cette visc$ralit$ libertaire, ce sentiment oranique, ce temp$ramentr$tif au mal, s'enracinent dans l'un des tr@s rares souvenirs du p@re che son fils" Ce souvenirdonne une leVon cardinale partir de laquelle se structure la droiture impeccable de l'homme etdu penseur"

    1eu de temps avant la 1remi@re Iuerre mondiale, un ouvrier a%ricole a massacr$ sonpropri$taire et ses trois enfants" Les cadavres ont $t$ mutil$s, d$fi%ur$s au marteau" La pi@ce ducrime, dit5on, a $t$ asper%$e de san% usqu'au plafond" L'un des enfants, a%onisant, cach$ sous lelit, a eu le temps d'$crire le nom du meurtrier sur le mur avec son san% avant de mourir"L'assassin a $t$ retrouv$ quelque temps plus tard, h$b$t$, ha%ard, dans la campa%ne avoisinante"Arr>t$, emprisonn$, u%$, l'homme a $t$ condamn$ mort" Lucien Camus, le p@re du philosophe,a trouv$ cette peine l$%itime" L'ouvrier a%ricole qu'il $tait s'est donc lev$ en pleine nuit pour assister la d$capitationpublique d'un autre ouvrier a%ricole" Y trois heures du matin, il traverse Al%er pour assister auspectacle de la mise mort d'un homme" (l a donc vu & un homme encadr$ par des %endarmes,traversant une haie de voyeurs haineu8, %rimpant les marches de l'$chafaud" On l'a attach$ surune planche avec des san%les, on l'a bascul$e horiontalement, on a enferm$ sa t>te dans un ou%,sa t>te emprisonn$e, tranch$e par une lame, est tomb$e sur le sol" )i8 litres d'h$mo%lobine ont%icl$ de la carotide sectionn$e" Le san% r$pondait donc au san%" Les hommes nomment cetteven%eance la ustice" Lucien Camus assiste donc cette e8$cution capitale en !-!4" (l traverse Al%er dans lesens inverse, rentre che lui, s'allon%e sur le lit, le visa%e blafard, pour entrer dans un profondsilence U il +omit plusieurs 9ois 6(E" ./-9?)i l'on en croit sa r$ponse au Fuestionnaire de CarlA? Viaiani6(E" 0:/9, Camus tient ce r$cit de sa m@re, mais dansLe Premier omme6(E" .//9c'est la %rand5m@re qui le transmet" (l avait une diaine d'ann$es quand, orphelin depuis l'T%e dehuit mois, on lui l@%ue cet h$rita%e & un p@re partisan de la peine de mort qui, rentrant che lui,apr@s avoir vu ce qu'il a vu, n'a pu supporter ce spectacle de faVon oranique? 1lus amais le p@rene devait parler de cette ourn$e fatale" Mais le fils restera hant$ par cette histoire qui nourrira descauchemars r$currents, des pens$es %$n$alo%iques et des pa%es architectoniques de l'Buvre" Le contraire d'une %uillotine transcendantale

    Camus ne pense pas avec des id$es, des concepts, des mots, mais avec des v$rit$sconcr@tes" (l est un philosophe de la radicalit$ immanente ou, si l'on veut, un penseur radical del'immanence" #'aucuns, format$s la lo%orrh$e, disserteraient de faVon transcendantale sur lapeine de mort" Camus r$cuse la mise distance de la chose avec des mots utiles pour tenir lav$rit$ du monde l'$cart" C'est tout son %$nie de philosophe qui ne oue pas au penseur, nes'$coute pas penser et ne se re%arde amais $crire" Eoil pourquoi, familiers de l'inverse, lesprofessionnels ne le tiennent pas pour l'un des leurs" )ur cette question, il refuse de ter%iverser et appelle un chat un chat" Camus r$cuse lam$taphore, l'artifice rh$torique, la p$riphrase et autres proc$d$s stylistiques avec lesquels lesintellectuels, les philosophes, les ournalistes abordent habituellement cette question" La%uillotine n'est pas une id$e lointaine, une all$%orie fumeuse, mais une machine barbare de boiset de fer qui sectionne un homme en deu8, s$pare le corps et la t>te dans le bouillonnement desan% chaud d'une carotide qui $clabousse et noie ce qui se trouve sa port$e" #e la m>me mani@re, avec la peine capitale, on ne tue pas une id$e d'homme, mais lecorps r$el d'un homme r$el" Camus d$crit le prisonnier dans sa cellule sachant qu'on val'assassiner parce qu'il a assassin$, attendant sa derni@re heure, i%norant quand elle arrivera, dans

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    l'an%oisse voulue par des individus inhumains qui reprochent au condamn$ son manqued'humanit$" Gn >tre est tortur$ mentalement, psychiquement, spirituellement, parce qu'il atortur$ J voil une personne qui on enl@ve la vie sous pr$te8te qu'on ne doit pas enlever la vie Uautant de raisons d$raisonnables" Ce supplici$ qui l'on reproche d'avoir supplici$ va >tre r$veill$dans sans sommeil, lev$, entrav$, d$plac$ usqu'au lieu du crime l$%al"

    Le %uillotin$ sera mis mort par des fonctionnaires pay$s pour faire ce qu'on lui reproched'avoir fait" On coupe le col de sa chemise, les cheveu8 dans sa nuque, on le conduit, et, sibesoin, le porte vers l'instrument de torture" )'il s'effondre physiquement, on le traWne, des %ardesl'empoi%nent par le fond du pantalon pour le eter sur la planche oN on l'immobilise avec deslani@res" Le bourreau fait tomber d'une hauteur de deu8 m@tres une lame de soi8ante Kilos d'aciersur la nuque d'un homme tu$ parce qu'on ne doit pas tuer" te et apporte des ar%uments pour $tayer sa philosophieabolitionniste" Les thurif$raires de la Eeuve pr$tendent, la suite de l'homme ayant donn$ sonnom cet instrument de torture, que la %uillotine laisse un l$%er sentiment de fraWcheur sur lanuque pour une mort imm$diate, sans souffrances et sans douleurs" Cyniques, les d$fenseurs dubourreau consid@rent m>me que le chTtiment supr>me s'en trouve humanis$ puisqu'il $vite lesrata%es barbares de la d$capitation artisanale d'antan" 7apports m$dicau8 l'appui, Camus montre qu'il n'en est rien & d$capit$, le pr$sum$ mortmet du temps mourir vraiment" Le flot de san% tari ne si%nifie pas la fin du supplice, mais soncommencement" 1endant que l'h$mo%lobine coa%ule sur le plancher de l'$chafaud, le corps secontracte, les muscles se t$tanisent, l'intestin ondule, se noue, le cBur s'affole et bat de faVonarythmique, la bouche se crispe dans une %rimace $pouvantable, la pupille dilat$e des yeu8 fi8essemble re%arder le vivant et lui demander les raisons d'une telle barbarie" L'Bil manifestel'opalescence du cadavre" Chaque partie du corps continue de vivre son temps" Cette macabrelutte de la vie des or%anes dans un corps d$sor%anis$ par la d$capitation peut durer une heure oudeu8" La mort prend son temps" Le corps peut tressaillir, sauter dans le panier" Ein%t minutes plustard, au cimeti@re, un corps de %uillotin$ bou%eait encore au bord de sa tombe" ouours selon les rapports r$alis$s par des t$moins, m$decins ou pr>tres, avocats ouma%istrats, la t>te s$par$e du corps r$a%it encore au8 sollicitations du monde" Apr@s lad$capitation, le cerveau fonctionne touours et r$a%it la situation" (l comprend les outra%esinfli%$s par l'entoura%e et peut se manifester $motionnellement & par e8emple, le visa%e rosissantde Charlotte Corday apr@s qu'un fanatique l'eut soufflet$ une fois d$capit$e, ou bien encorel'e8pression de sid$ration d'un condamn$ e8$cut$" Mort toute peine de mort2

    Cette ph$nom$nolo%ie r$aliste de la %uillotine $vite la froide dissertation qui tient l'obetde pens$e distance" Camus ne fait pas le d$tour par le vocabulaire de la corporationphilosophique qui $mousse le r$el, aplanit les an%les du monde, fati%ue la brutalit$ concr@te et,finalement, transfi%ure la chair des choses en litur%ies verbales" La %uillotine n'est pas une id$ede la raison, un concept op$ratoire de ustice, mais un instrument de torture barbare qui coupe endeu8 le corps d'un homme" 7ien de plus, rien de moins, rien d'autre" Cette machine est la honte del'humanit$" Camus envisa%e ensuite tous les ar%uments donn$s par les d$fenseurs de l'$chafaud, puisles r$duit n$ant" La peine de mort comme e8ercice d'une ustice sereine Q 1as du tout & la usticeest le contraire de la ven%eance, elle e8prime la r$ponse civilis$e la barbarie du talion

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    ustificatif du dispositif" La peine de mort comme dissuasion Q +ullement & des coupeurs debourse profitent de la foule venue assister au supplice pour effectuer leur larcin puni par la%uillotine" Puand le malfaiteur commet son forfait, il ne son%e rien d'autre qu' le r$ussir,sSrement pas la prison pr$vue par le code p$nal en cas d'$chec" La peine de mort commeinstrument de la morale Q Au contraire & elle s'appuie sur des sentiments immorau8, elle flatte la

    bestialit$ des humains, elle les ravale la loi de la un%le qui incarne le contraire de la loi, elleoue du sadisme, du voyeurisme, du ressentiment, elle repose sur la ven%eance, l'antipode duuste" La peine de mort comme arr>t du pire Q n aucun cas elle aoute du pire au pire, du san% ausan%, de la violence la violence" Au lieu d'arr>ter la n$%ativit$, elle aoute du mal au mal, elleentretient le vice d'une spirale sans fin" La peine de mort comme chTtiment d$finitif d'un criminelirr$cup$rable Q +on & qui peut assurer qu'un mauvais acte commis une fois sera suivi d'un autremauvais acte, puis d'un autre encore et qu'un homme peut >tre dit un our d$finitivement perdupour tous et pour touours Q La peine de mort comme solution fiable Q Aucunement & la usticepeut >tre inuste et condamner un innocent" Or, d'un point de vue $thique, mieu8 vaut uncoupable en libert$ qu'un innocent d$capit$" On ne redonne pas la libert$ un mort faussementcondamn$, on peut la restituer au prisonnier usticiable blanchi et r$habilit$" La peine de mortcomme m$canique destin$e une cat$%orie de %ens que l'on ima%ine au8 antipodes de nous Q#$trompe5vous & au esi@cle, elle est devenue un instrument de %ouvernement dans nombrede r$%imes oN la culpabilit$ du condamn$ se r$duit tout simplement au libre e8ercice de sa pens$eou la revendication d'une opinion contraire %>nant le pouvoir en place" Le libertaire Camus affirme que l'%lise, l'tat et la soci$t$ d$fendent la peine de mort"Mais qui croit purs, propres et nets l'%lise, l'tat et la soci$t$ Q Pui pense na]vement que cesinstitutions ne commettent pas d'inustices, d'erreurs de u%ement Q n !-3., en urope de l'st eten G7)), on tue au nom d'une classe sociale, d'un futur politique idyllique, d'un avenir radieu8,au nom d'un proph$tisme r$volutionnaire J on tue dans l'spa%ne franquiste J on tue dansl'Am$rique capitaliste J on tue aussi en France, hier des collaborateurs comme *rasillach ou7ebatet, l'$poque desR9le*ions, les poseurs de bombes du FL+ U Camus n'aura de cesse defaire de son combat contre toutes les peines de mortle combat politique unique de sa vie" )'ensouvenir au moment de la %uerre d'Al%$rie" Le principe d'n$e

    Cette premi@re leVon de philosophie 6politique9 donn$e par l'intol$rance oraniquedup@re la peine de mort semble essentielle dans l'$conomie de la pens$e du philosophe" Ce queLucien Camus vomissait physiquement, son fils le vomit philosophiquement" FaVon d'aimer sonp@re au5del de la mort, d'assurer une affection son %$niteur inconnu, modalit$ de l'amour dansla fid$lit$ l'>tre qui nous a donn$ la vie, d$claration de filiation, acceptation de la transmission,plaisir l'h$rita%e immat$riel, oie de se savoir d'une m>me mati@re psychique, d'une m>mete8ture $thique, d'un m>me acier moral" Albert, fils de Lucien, porte l'Tme du p@re mort comme lefils n$e porte Anchise son p@re sur ses $paules"

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    6!-!!9 et Albert 6. novembre !-!:9" Mobilis$ la %uerre le : aoSt !-!4, bless$ la bataille de laMarne le !! octobre, Lucien Camus meurt le !. l'hXpital militaire de )aint5*rieuc oN il avait $t$transf$r$" L'administration l'enterre dans le cimeti@re briochin" Gne poi%n$e de dates pour une viebr@ve & travail, famille, patrie" Comme tous ses camarades de r$%iment, Lucien Camus, envoy$ au feu habill$ en ouave

    avec son pantalon bouffant couleur %arance, constituait une cible de choi8 pour les tireursallemands" Mort au combat l'T%e de vin%t5neuf ans, la France lui d$cerne la Croi8 de %uerre etla M$daille militaire titre posthume" Eeuve, Catherine Camus se retrouve seule avec deu8enfants en bas T%e, Albert huit mois" L'administration envoie quelques bricoles constituant lespetits souvenirs du d$funt, dont des cartes postales" t puis & les $clats d'obus retir$s de la t>te dusoldat D Catherine Camus les enferme dans une boWte biscuit qu'elle place dans l'armoire lin%e" La veuve n'obtient rien de l'tat franVais avant la presque fin des hostilit$s" lle fut untemps employ$e dans une cartoucherie avant de trouver un travail de femme de m$na%e" 1lustard, les enfants furent d$clar$s pupilles de la nation, ce qui permettait la m@re de r$cup$rer unpetit p$cule vite $puis$ par l'achat des v>tements et des fournitures scolaires" Les visitesm$dicales $taient %ratuites" Puand la tuberculose s'empare de Camus, cette couverture sociale futbien utile" Le livre qui sauve

    Gne deu8i@me e8p$rience e8istentielle transmise de p@re en fils passe par Louis Iermainqui ensei%ne dans l'$cole fr$quent$e par Camus depuis l'T%e de quatre ans" *ien que n'ayant pasconnu le p@re du philosophe, l'instituteur est un rescap$ de cette %uerre" 8ceptionnelled$ro%ation l'obli%ation de r$serve de ce r$publicain la]c anticl$rical, le maWtre avoue sapr$f$rence pour les enfants orphelins de p@re" (l tTche autant que faire se peut, de remplacer, aumoins dans la classe, ses camarades morts" #ans cette enceinte sacr$e de l'$cole la]que, Camusfait l'e8p$rience du livre qui sauve et donne un sens l'absurde" Chaque fin de trimestre, Monsieur Iermain lit des e8traits des Croi* de &oisde 7oland#or%el@s" Camus y d$couvre la vie au front, la 1remi@re Iuerre mondiale, les tranch$es, lemonde dans lequel son p@re a perdu la vie" Cette lecture pr$sentifie un pass$ dans lequels'en%loutit un %$niteur amais connu" Le roman de l'histoire du monde co]ncide avec le roman del'histoire de l'enfant" Le livre renferme la cl$ du myst@re du tr$pas paternel" La pr$histoire de lapsych$ du philosophe %Wt dans ces pa%es qui racontent pourquoi et comment, un our, des $clatsd'obus e8traits de la t>te d'un p@re se retrouvent dans une boWte en fer5blanc" Gn recueillement sans nom accueille la lecture de Monsieur Iermain" L'$motion sature lapi@ce" Lorsqu'il l@ve la t>te apr@s avoir lu la derni@re phrase, les $l@ves sont frapp$s de stupeur"Les enfants d$couvrent le monde pass$ de leur instituteur, certes, peut5>tre celui d'un p@re ou d'unoncle, bien sSr, mais Albert Camus, lui, d$couvre la r$solution d'$ni%mes e8istentielles par leroman U ses propres $ni%mes" Au premier ran%, l'enfant re%arde fi8ement le compa%nond'infortune de son p@re, il pleure, puis san%lote et n'en finit plus d'>tre secou$ par les pleurs"Monsieur Iermain murmure quelques mots tendres et dou8, l'invite s$cher ses larmes, puis vavers l'armoire au fond de la classe pour ran%er le livre dans la biblioth@que" #e dos, on ne voitpas le visa%e de l'ancien combattant devenu maWtre d'$cole, mais peut5>tre pleure5til, lui aussi""" #es ann$es plus tard, Camus devenu Camus rend visite ; Monsieur Iermain ?" Yquarante5cinq ans, il est c$l@bre, il a publi$ de %rands livres, $crit pour le th$Ttre, ou$ et mont$ses pi@ces, il a $t$ r$sistant, ournaliste en%a%$, il connaWt le out51aris des lettres et des beau85arts, bientXt, il aura le pri8 +obel" Comme chaque ann$e depuis quine ans, d@s qu'il rentre aupays, le philosophe, nous dit le roman, rend visite son instituteur" Le vieil homme se l@ve de son

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    fauteuil, se diri%e vers un meuble, ouvre le tiroir, sort un livre couvert d'un papier d'$picerie"Camus reconnaWt les Croi* de &ois, il bafouille quelques mots pour refuser ce cadeau sublime" nlui remettant le tr$sor, Monsieur Iermain dit & ; u as pleur$ le dernier our, tu te souviens Q#epuis ce our ce livre t'appartient ? 6(E" /:29" Le re%ard du vieil homme se remplit de larmes" Gne encre ph$nom$nolo%ique blanche

    Pue raconte ce livre Q Le quotidien infernal de la %uerre et le salut par les mots, enl'occurrence les lettres remises par le va%uemestre au8 morts en sursis" La mort et les mots, lesmots qui sauvent 6un temps9 de la mort qui, de toute faVon, aura 6touours9 le dernier mot" Lequotidien du soldat, ce fut le quotidien du p@re du philosophe" Le voici & la mort, donc, les pou8,les rats, la vermine, la peur, la promiscuit$, la salet$, le combat, l'absurdit$, la pr$carit$ de la vie,les blessures, le froid, la boue, les copains qui meurent, les cercueils, la rel@ve qui ne vient pas,les attaques, les tranch$es, l'adult@re des $pouses, la faim, la mauvaise nourriture, les balles, lesobus, les $clats d'obus, les brancardiers, le d$sespoir, les tombes creus$es avant de partir aucombat, les %a, les barbel$s, les cadavres entass$s pour se prot$%er des balles ennemies, les tasde morts, le cynisme des %rad$s embusqu$s l'arri@re, la vie qui continue 1aris, les mutilationsvolontaires, la pluie, les mourants, les tirs trop courts de l'artillerie" #ans ce livre, on peut aussilire des sc@nes comme celle5ci & ; #evant moi, un homme bless$ laissa tomber son fusil"

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    philosophique de Camus" Monsieur Iermain apprend donc lire, $crire, compter, penser ses $l@ves" Mais iltransmet aussi le %oSt des livres comme autant d'obets porteurs de la v$rit$ du monde et deschoses, des %ens et des Tmes" Avec ce roman de #or%el@s, l'enfant Camus d$couvre la peur,l'an%oisse, la mort, l'absurde, le d$sespoir, en $conomisant la lecture de RierKe%aard,

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    fait partie du contin%ent" Les op$rations dites de pacification sont brutales & les mitrailleuses,l'artillerie, l'aviation sont utilis$es contre des peuplades arm$es comme au Moyen %e" )ous lecommandement du colonel Charles Man%in, surnomm$ ; le *oucher ?, l'arm$e franVaise se rendcoupable de brimades, d'humiliations, de prises d'ota%es, d'e8$cutions sommaires, on rapporteque des pains au sucre pi$%$s furent distribu$s" Cinq ans plus tard, la France met en place sa

    politique de protectorat, une tutelle abolie par l'ind$pendance en !-30" Lucien Camus quittel'arm$e avec le %rade de deu8i@me classe" Avec un certificat de bonne conduite, certes, mais avecle %rade qu'on a en entrant" #e la m>me mani@re que le spectacle de l'e8$cution capitale affecte physiquement le p@redu philosophe, un autre spectacle le touche avec la m>me violence au point de le mettre ; hors delui ? 6(E" ../9" 1our un personna%e ayant laiss$ le souvenir d'un homme dou8, bon, calme,travailleur, taciturne, facile vivre, dur la tTche et ne se plai%nant amais, la pr$cision d'unesortie de ses %onds p@se lourd D Le vomissement du p@re, la col@re du p@re, la mort du p@re, voiltrois moments e8istentiels forts dans la vie d'un enfant i%norant tout de lui sauf ces bribes de vie,ces morceau8 d'Tme et ces fra%ments e8istentiels" Le d$tachement de Lucien Camus campe au sommet d'une petite colline dans l'Atlas" Gnd$fil$ rocheu8 la prot@%e" Au fond de celui5ci se trouvent deu8 sentinelles relever" Le p@re deCamus et son ami instituteur appellent leurs compatriotes qui ne r$pondent pas" )oudain, ilsd$couvrent la raison de ce silence & au pied d'un fi%uier, la t>te de l'un des leurs %Wt, s$par$e ducorps qui repose un peu plus loin, les ambes $cart$es" )ous la lune, la t>te paraWt biarre, ilss'approchent et d$couvrent que les Marocains ont sectionn$ le se8e du soldat avant de le luimettre dans la bouche U avant ou apr@s la d$capitation, on ne sait" M>me sort pour l'autresentinelle" ; )avoir s'emp>cher ?

    Col@re de Lucien Camus" masculer un homme, $%or%er un homme, d$capiter un homme,tuer un homme, voil, pour le p@re du philosophe, ce qui, coup sSr, prouve que, d$finitivement,ces %uerriers ne sontplusdes hommes" L'instituteur temp@re et avance que la troupe d'occupationne s'est %u@re mieu8 comport$e & cette barbarie r$pond la barbarie de la troupe coloniale" LemaWtre d'$cole l$%itime et ustifie le %este en pensant que, comme dans la peine de mort, le talionou la ven%eance peuvent tenir lieu de loi et de ustice" Cet ouvrier a%ricole n'ayant pas fait d'$tudes et qui savait $crire depuis peu ne se contentepas du sophisme de cet instituteur & le san% n'est pas une bonne r$ponse au san%, la barbarie nesaurait >tre une modalit$ de la ustice, on ne r$pond pas la violence par la violence qui n'endevient pas l$%itime pour autant, infli%er la mort ne se ustifie amais ni ne s'e8cuse" #'une part, larh$torique de l'homme cultiv$ ustifiant l'inustifiable J d'autre part, la pens$e droite d'un pauvrehomme sans ba%a%es intellectuels, sans culture livresque, mais conduit par le tropisme de laustice" Gn tropisme visc$ral U oranique" Au discours de l'instituteur qui renvoie dos dos les parties prenantes, qui ustifie lese8actions d'hommes au8quels on infli%e, che eu8, une %uerre sans morale, sans vertu, et quipourraient, de ce fait, user de tous les moyens, y compris ceu8 de la barbarie, pour faire avancerleur cause, Lucien Camus r$pond & ; +on, un homme Va s'emp>che U voil ce qu'est un homme,ou sinon""" ? 6(E" ..-9" 1uis il se calme" Le dialo%ue se poursuit & ; Moi, avait5il dit d'une voi8sourde, e suis pauvre, e sors de l'orphelinat, on me met cet habit, on me traWne la %uerre, maise m'emp>che" (l y a des FranVais qui ne s'emp>chent pas, avait 6dit9 Levesque" Alors eu8non plus ce ne sont pas des hommes ? 6i&id?9" #urant sa courte vie, Albert Camus a $t$ de ceu8qui s'emp>ch@rent & il fut donc un homme selon son p@re"

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    roisi@me leVon h$rit$e du p@re, troisi@me imp$ratif e8istentiel du fils qui honore son p@reet devient un homme sous le re%ard posthume d'un >tre ayant laiss$ sans le savoir des instructions$thiques son orphelin de fils" aine de l'$chafaud, de tous les $chafauds, quels qu'en soient lespourvoyeurs J haine des champs de bataille, ind$pendamment des belli%$rants qui s'opposent etde leurs raisons J haine de la barbarie, de la torture, de la mise mort d'un homme par un autre

    homme, sans consid$ration aucune pour ce qu'il est, pense, ce qu'il a fait, pourrait faire ou fera"1our >tre un homme, ce fils sans p@re devait ob$ir au p@re sans fils U du moins au p@re qui n'eutpas le temps d'$duquer son fils" Eoil le proet e8istentiel de l'enfant lanc$ dans la vie pourdevenir un homme & >tre fid@le au8 paroles silencieuses du p@re" :

    )ous le si%ne de la m@re

    )ous le si%ne du p@re, Camus se fait le philosophe pour lequel il n'e8istera amais aucunebonne raison de ustifier la mort d'un homme" )ous le si%ne de la m@re Q (l devient le penseurd'une autre fid$lit$ & le compa%nonna%e avec le petit peuple qui, ne disposant pas des mots pourdire sa mis@re, place l'honneur et la di%nit$ au5dessus de tout" #ans ses Carnets, citant l'anarchisteAle8andre me %rand5m@re contraint un our son petit5fils au menson%e U une e8p$riencedouloureuse et humiliante" Camus ne se fait pas moraliste ou moralisateur, il connaWt l'usa%e

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    banal du menson%e, avoue y recourir parfois pour arran%er les choses, $viter un d$sa%r$ment, sepr$server des coups ou pour le plaisir m$diterran$en de parler, d'enoliver" n revanche, ilr$prouve le menson%e avec ceu8 qu'on aime car, une fois la confiance cass$e, plus rien n'estpossible, or, comment vouloir brSler ses vaisseau8 avec les siens Q #ans les familles pauvres, les enfants repr$sentent autant de bouches nourrir qui ne

    rapportent rien et coStent" #@s lors, les adultes les envoient au travail pendant les vacances pourramener une paie suppl$mentaire au foyer" Ch$tif et malin%re, treie ans, entre le coll@%e et lelyc$e, Albert Camus est envoy$ par la %rand5m@re che un employeur qui il doit mentir & pasquestion de solliciter un emploi saisonnier refus$ par les patrons qui veulent embaucher pour lavie" (l faut leur laisser croire qu' cause de la pauvret$ l'enfant, bien que dou$ pour les $tudes, doitquitter l'$cole et envisa%er un travail d$finitif" Les vacances peine commenc$es, elles seterminent donc, car il faut se lever tXt pour aller la quincaillerie qui l'a embauch$ sur la foi dumenson%e de la %rand5m@re" L'ann$e suivante, il obtient par le m>me subterfu%e une place cheun courtier maritime" 1auvre, priv$ de vacances, il devait donc travailler quand ses copains sebai%naient et s'amusaient la pla%e" Le our de la paie, la %rand5m@re conseille son petit5fils de prendre l'ar%ent sans rien direet de ne surtout pas avouer qu'il ne reviendra pas" 1our Camus, l'id$al aurait $t$ que la %rand5m@re assume son propre menson%e & c'est en effet elle qui a menti, mais elle demande l'enfantd'assumer les cons$quences de son forfait" lle propose qu'il se sorte de ce menson%e par un autremenson%e U dire qu'il travaillera d$sormais che son oncle" Le our dit, col@re du patron" (l menace de ne pas payer, fait une leVon de morale, fusti%ele menson%e et les menteurs, peste contre la vieille femme, s'en veut d'avoir cru l'ar%ument de lapauvret$ et de l'arr>t des $tudes" onteu8, piteu8, humili$, l'enfant refuse l'enveloppe tendue parson patron U qui la lui met dans la poche" (l part en courant, les dents serr$es, en pleurant, sanstoucher cet ar%ent malhonn>tement %a%n$" #e retour la maison, il pose le salaire sur la table &un %ros billet, plus une pi@ce" La %rand5m@re empoche la coupure et lui laisse la monnaie" Fiert$de la %rand5m@re, douceur et compassion de la m@re qui le re%arde comme on caresse" Camus confesse alors avoir fait une e8p$rience ontolo%ique et physique, m$taphysique etvisc$rale, oranique donc & ; cette inustice lui serrait le cBur mourir ? 6(E" -/9 & mentir pourtravailler, mentir pour se priver de vacances, mentir pour s'emp>cher le soleil et la mer, mentirpour reprendre le lyc$e, en fait, mentir parce que, pauvre, il faut ruser pour obtenir un %enre demendicit$ afin d'acheter avec cette paie d'enfant non pas des ouets ou du superflu, mais le chichen$cessaire qui manque au8 d$munis, au8 %ens de peu qui ach@tent avec ce mai%re ar%ent deshabits, des chaussures, des fournitures pour l'$cole U voil une inustice maeure" Gn our, lass$ d'>tre frapp$ par cette %rand5m@re, Camus lui arrache le nerf de bBuf desmains, ; fou de violence et de ra%e ? 6(E" --9, bien d$cid$ frapper ce visa%e, cette t>te blancheau re%ard froid" La marTtre recule, part s'enfermer dans sa chambre, se plaint d'avoir $lev$pareille en%eance" Mais elle cessera d$sormais de cravacher son petit5fils" #e m>me elle ner$p$tera plus sa fameuse ren%aine & ; u finiras sur l'$chafaud ? 6(E" .-9" #ominations et servitudes

    Femme de m$na%e, veuve de bonne heure, vivant avec sa m@re acariTtre, son fr@rehandicap$ et ses deu8 enfants, la vie de Catherine Camus ne fut pas une f>te" Gne fois, cettefemme qui semble sans cBur parce que, pudique, discr@te, r$serv$e, secr@te U elle ne montreamais ses sentiments, ses $motions, ses affections U, une fois, donc, cette femme vit son cBurbattre un peu plus vite pour un marchand de poissons" lle quitta le noir habituel pour un peu decouleur, elle fit un peu plus attention sa coiffure, elle manifesta un peu sa oie, pas trop, mais

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    quand m>me, lors de repas en sa compa%nie" 1uis elle rentra un our les cheveu8 coup$s, la mode du moment" La %rand5m@re la traitade putain devant son fils" )id$r$e par la violence de l'attaque, elle ne dit rien, re%arde son fils,esquisse un sourire maladroit" Les l@vres tremblantes, retenant ses larmes, elle se pr$cipite danssa chambre, se ette sur le lit, s'enfouit le visa%e dans l'oreiller et pleure chaudes larmes"

    L'enfant voit la nuque d$couverte de sa m@re et le dos mai%re secou$ par les san%lots, il l'appelle,la touche timidement, lui dit qu'il la trouve belle" lle fait un si%ne de la main l'invitant quitterla chambre, il sort et, dans le chambranle, il pleure lui aussi d'amour et d'impuissance"L'amoureu8 reviendra, mais il se fera rosser dans les escaliers par le fr@re de Catherine" Couvertde san%, il part pour ne plus amais revenir" La m@re de Camus s'habillera nouveau dans lacouleur du veuva%e" lle s'installera dans la solitude et la pauvret$ pour le reste de ses ours" La %rand5m@re incarne la n$%ativit$ & la brutalit$, la violence, la m$chancet$, les passionstristes, le contraire de la oie de vivre, la mutilation de la vie, l'inustice, le menson%e,l'antimod@le de l'h$doniste du futur auteur deL'1n+ers et l'1ndroitet de2ocesJ la m@re, c'est lavictime de cette inustice, de ces ve8ations sans fin, de ces affronts r$p$t$s, de ces humiliationsenchaWn$es" L'une est le bourreau J l'autre la victime" oute sa vie de libertaire, Camusrevendiquera cette m>me $thique & ni bourreau, ni victime" 1as besoin pour le philosophe de lireles pa%es consacr$es la dialectique du maWtre et de l'esclave dans la Phnomnoloie de l'espritde e%el pour comprendre les m$canismes de la domination et de la servitude & l'enfant n'a pasappris la v$rit$ du r$el dans les livres, mais dans la pratique du monde" La voi8 des %ens sans parole

    Lorsqu'une personne parle peu, pas ou mal, quand elle semble enferm$e dans un mutismepresque patholo%ique, chaque d$claration claire brille comme une p$pite dans la nuite8istentielle" )ilencieuse, taciturne, soumise, douce, Catherine Camus n'a amais dit de mal depersonne, elle ne s'est amais plaint" lle n'a amais ri non plus, uste souri un peu parfois"7$si%n$e et soumise, elle n'a amais r$crimin$ ou pest$ contre l'ordre des choses et le mouvementdu monde" lle a v$cu toute sa vie dans un petit appartement meubl$ avec le strict n$cessaire &des meubles pratiques pour vivre une vie simple et modeste, pas d'obets inutiles, pas de bibelots,pas de superflu" #'oN l'importance d'une phrase dite un dimanche alors que le fr@re de Camus oue duviolon pendant qu'il chante, le tout pour faire plaisir la famille r$unie, en pr$sence, $videmment,de la %rand5m@re" Catherine Camus $coute dans un coin, sans dire un mot, discr@te" Gne tante lacomplimente sur son fils" lle r$pond alors, le re%ardant avec douceur, fra%ilit$ & ; Oui, il estbien" (l est intelli%ent ? 6(E" .-09 U une d$claration d'amour simple, br@ve, qui mit l'enfant enoie" Lui qui aime $perdument sa m@re d$couvre ainsi son amour apr@s en avoir si lon%tempsdout$" #ans les notes pr$paratoires auPremier omme, Albert Camus $crit son souhaitd'alterner les chapitres de faVon donner une voi8 sa m@re" (l envisa%eait des commentaires defaits racont$s, mais dans son pauvre lan%a%e U ; avec son vocabulaire de quatre cents mots ?6(E" -49" Le fils d$die ce livre sa m@re qui ne sait pas lire" La mort fera de ce Premier ommeun dernier livre" Eoici les premiers mots de ce livre inachev$ & ; (ntercesseur & Eve Camus" Y toiqui ne pourras amais lire ce livre ? 6(E" .4(9" La pauvret$ des pauvres se manifeste donc aussi dans la pauvret$ de leur vocabulaire"L'enfant constate que, che les riches, les obets disposent d'un nom U pas che lui" #ans unemaison bour%eoise, on parle du %r@s flamb$ des Eos%es, du service de Puimper J dans unemaison de pauvre, il n'e8iste que des assiettes creuses, le vase pos$ sur la chemin$e ou le pot

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    eau" Che les uns, on trouve des obets inutiles, des bibelots, des Buvres d'art ou leursrepr$sentations J che les autres, rien de superflu" Camus reproduit cette asc@se dans sa lan%ue,son $criture, son style & efficace, simple, clair, direct, i%norant l'inutile, allant au n$cessaire" Gneprose utile pour dire les choses ustes et vraies" La m@re fut donc l'interlocuteur silencieu8 du philosophe & la pauvret$, la mis@re, le

    silence, la soumission, voil le monde des oubli$s du bonheur U ceu8 au8 cXt$s desquels lephilosophe ne cesse amais de se trouver, sans amais faillir une seule fois" Choisir sa m@re, ici ouailleurs, comme )tocKholm, si%nifie prendre le parti des %ens modestes et sans voi8 U le parti dupeuple contre les puissants, fussent5ils d'opposition" #ans l'ombre permanente de sa m@re, Camusfut la voi8 des %ens sans parole, le verbe des >tres sans mots" I$n$alo%ie d'une sensibilit$

    Camus ne d$couvre pas la pauvret$, la mis@re, les souffrances de la classe ouvri@re, lepeuple, dans les livres, en compulsant des ouvra%es de philosophie dans le calme et le silenced'une biblioth@que" Le m$canisme du capitalisme, la brutalit$ du lib$ralisme, la barbarie dumarch$ faisant la loi, les effets pervers de l'ali$nation, la lutte des consciences de soi oppos$espour le dire dans le vocabulaire philosophique de la corporation, ou bien encore la dialectique dumaWtre et de l'esclave, il en e8p$rimente physiquement la r$alit$, elle passe par sa chair" Cetteconnaissance empirique fait sourire les intellectuels qui en ont un abord transcendantal,traditionnellement plus noble dans le m$tier" 1our Camus, la classe ouvri@re n'est pas un obet dela raison pure utile prendre en ota%e pour sa carri@re, mais le monde de son enfance" Eoil pourquoi l'intol$rance de Camus l'inustice est or%anique, donc impossible simuler comme le font habilement les produits $litistes des %randes $coles qui, pour les rares quien parlent, se servent des pauvres plus qu'ils ne les servent" #ans la pol$mique qui l'opposelon%uement au8 communistes et leurs compa%nons de route, l'ar%ument lui sera souvent servi &Camus ne serait pas l$%itime pour parler des pauvres, un monde dont il vient, parce qu'il s'estcontent$ d'en venir et n'en serait plus" Mais l'ar%ument, s'il devait tenir, se retourne contre ceu8 qui n'ont m>me pas faire valoirqu'ils en viennent et qui, s'ils n'en sont pas auourd'hui, ne peuvent pas m>me dire qu'ils en ont$t$" Camus ne cessera de l'affirmer & il n'a pas appris la mis@re dans les livres, mais dans la vie J iln'a pas $pous$ la cause de %auche par ou]5dire opportuniste, mais par visc$ralit$ d'enfant rest$fid@le au8 humiliations et au8 inustices subies dans ses eunes ann$es J il n'a pas demand$ au8philosophes de lui e8pliquer la vie avant de l'avoir v$cue, il a v$cu la vie et pens$ ensuite sese8p$riences" #ans ses Carnets6((" .-39, Camus note des consid$rations sur sa m@re, sur la mis@recomme %$n$alo%ie d'une sensibilit$, sur la culpabilit$ d'avoir chan%$ de milieu, sur le sentimentd'un %enre de %rTce l'ori%ine de cette transfi%uration, sur la m$lancolie de ces temps de v$rit$se8istentielles perdus, sur les vertus des humbles, sur le fonctionnement autonome du petit mondedes d$munis dans le %rand reste du monde, sur la nostal%ie de la pauvret$ perdue" t Camusd'aouter, probablement dans la perspective du livre que deviendra un quart de si@cle plus tard LePremier omme& ; il faudrait que tout cela s'e8prime par le truchement de la m@re et du fils ?6((" .-09"

    #ans les fra%ments $pars du dossier de ce dernier livre du philosophe, Camus avait not$,comme un %enre de proet e8istentiel constitutif de l'ouvra%e bien sSr, mais aussi de toute sone8istence & ; Arracher cette famille pauvre au destin des pauvres qui est de disparaWtre del'histoire sans laisser de traces" Les Muets" (ls $taient et ils sont plus %rands que moi ? 6(E" -:9"1uis ceci & ; #evant ma m@re, e sens que e suis d'une race noble & celle qui n'envie rien ?

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    6(E" -3-9" LeVon de philosophie e8istentielle radicale" La r$demption pa]enne

    Camus fut donc fid@le au p@re, fid@le la m@re et fid@le la pauvret$ de son enfance"Fid@le des combats donc & au cXt$ de son p@re, Lucien Camus & abolir la peine de mort, r$sister

    la %uerre, d$noncer toute barbarie, travailler l'humanit$ de l'homme J avec sa m@re, Catherine)int@s & lutter contre l'inustice, donner la parole au peuple taiseu8, aimer la vertu des simples,pr$f$rer l'>tre aust@re des pauvres l'avoir insolent des riches" Y ces visc$ralit$s, Camus aoute$%alement celles5ci & fid$lit$ l'instituteur, Monsieur Iermain, mais aussi au professeur dephilosophie,

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    temps che son oncle Iustave Acault, une fi%ure $tonnante, puisque ce boucher semble avoir $t$un lecteur de che pas de vouloir lui transmettre la boucherie & on peut, dit5il, vendre du biftecK le our et s'adonner librement la litt$rature une fois le rideau baiss$ D nfant, Camus lit comme il vit & avec avidit$" La lecture permet d'$chapper au monde auprofit d'une r$alit$ oN l'h$ro]sme et le panache des romans de cape et d'$p$e prennent toute laplace et font disparaWtre la crasse et la mis@re du quartier pauvre d'Al%er" Le feuilletoniste Michel[$vaco, anarchiste revendiqu$, emballe le eune %arVon avec 1ardaillan, sa cr$ature litt$raire quiaffirme & ; tre que d'une maison & la mienne ?" Puatre ans avant que )artre $crivedansLes "otscombien il devait ce romancier et ses h$ros qui, seuls contre tous, incarnent lar$bellion de l'individu faisant triompher la morale contre la corruption des puissants, Camussouscrit cette fi%ure libertaire refusant toute su$tion quelque pouvoir que ce soit au nom desprincipes chevaleresques U de %auche" La biblioth@que municipale, un monument de la 7$publique la]que, fonctionne avec uneeune institutrice b$n$vole au physique in%rat" Camus pr$l@ve les livres au hasard des rayonna%es,feuillette, lit la quatri@me de couverture, appr$cie le titre, re%arde la table des mati@res, soup@se levolume, et embarque deu8 livres chaque fois, au petit bonheur la chance" (l lit beaucoup, tout etn'importe quoi, de bons et de mauvais ouvra%es U mais y atil vraiment de mauvais livres cette$poque Q Ces lectures laissent de fortes traces sur cette eune Tme d$sireuse de savoir, d'aventure,de culture" Camus parle d'ivresse, d'avidit$, de oie, de puissantes $motions, de transports" (lraconte que l'obet5livre le s$duit aussi & l'odeur de la colle, le parfum du papier, les effluves$chapp$s l'ouverture d'un volume de la collection +elson ou Fasquelle, le toucher des reliures etdes couvertures, leurs %ranulations rTpeuses, la typo%raphie aussi U Camus n'aime pas la licenceesth$tisante, sinon mallarm$enne, des %randes mar%es et des mots en petites quantit$s, il veut lapa%e satur$e de caract@res, le plus petit intervalle possible entre le placard imprim$ et le bord dela pa%e, un interli%ne minimum, pour une nourriture spirituelle compacte, dense, forte, puissante"Gne promesse de richesses in$puisables d@s le coup d'Bil sur une pa%e ouverte au hasard" La lecture est une asc@se & la concentration sur le te8te efface le monde alentour" 1lusd'institutrice in%rate, plus de rayonna%es, plus d'autres livres, plus de biblioth@que, plus de voisinslecteurs, plus de copain ses cXt$s, plus d'e8t$rieur la salle de lecture non plus, plus de rue, plusde passants" 1our l'enfant c'est $%alement & plus de p@re mort, plus de m@re silencieuse, plus de%rand5m@re frappeuse, plus de mis@re, plus de pauvret$, mais le monde port$e d'intelli%ence" Gnunivers s'efface au profit de mille autres" *elcourt s'estompe, le reste de la plan@te s'offre alors enor%ie de r$els possibles" )orti de la biblioth@que, il serre sous son bras les tr$sors emprunt$s" La lumi@re desr$verb@res permet de commencer la lecture dans la rue" La psych$ du futur philosophe se nourritde ce monde in$dit, m$connu, inconnu" Camus d$couvre le formidable pouvoir des mots, lama%ie de la lecture, l'immense puissance des livres" 7entr$ che lui, il pose le volume sur la toilecir$e de la table de la cuisine, le place sous le rond de lumi@re de la lampe p$trole, l'ouvre et lelit" Le monde autour de lui disparaWt J il entre de plain5pied dans un univers qui le sauve" Le livre

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    ramasse le monde des antimondes" Lorsqu'il lit, l'enfant plon%e dans les eau8 lustrales de la culture" Puand il rel@ve la t>te, ilmontre sa m@re un re%ard $tran%e, ha%ard, tel un into8iqu$ revenant la lumi@re, l'air dumonde, la vie, la surface" )a m@re re%arde le livre comme un obet qui lui $chappe" lle nevoit que la u8taposition de deu8 rectan%les verticau8, deu8 pav$s noirs que, parfois, elle parcourt

    du bout des doi%ts, la mani@re d'une aveu%le cherchant le sens en sollicitant les improbablesasp$rit$s du braille" Avec sa main d$form$e par le travail, elle caresse la t>te de son fils qui ner$pond pas" lle soupire" Camus rapporte que, sortant de la lecture, re%ardant sa m@re, il lapercevait comme une $tran%@re" Les livres ne se r$duisent pas au8 lectures de Monsieur Iermain, au8 conseils de l'oncleboucher ou au8 emprunts effectu$s la biblioth@que municipale" Ce sont aussi les volumesofferts le our de la distribution des pri8" abituellement, ni la m@re ni la %rand5m@re nefranchissent les portes du coll@%e ou du lyc$e" )auf le our de cette c$r$monie r$publicaine de find'ann$e" Au lyc$e, Camus ne parle pas de sa famille J sa famille, il ne parle pas du lyc$e"abill$es avec des v>tements de pauvres, parfum$es, appr>t$es, les deu8 femmes portent leshabits du dimanche, un peu v$tustes, inappropri$s, pas la mode, mais propres et fraWchementrepass$s" #ans l'$cole pavois$e, d$cor$e avec force plantes vertes, un orchestre militaire accueilleles familles" (l oueLa "arseillaiseet accompa%ne les diff$rents moments de la c$r$monie &discours des officiels, du proviseur, du plus eune professeur, annonce des classements,distribution officielle des diplXmes et remise des paquets de livres enrubann$s" La m@re $coutesans entendre, la %rand5m@re entend sans comprendre" 1our les meilleurs, les laur$ats %rimpentsur l'estrade, reVoivent les f$licitations, repartent les bras char%$s et, avant d'emprunter lesescaliers qui les reconduisent au parterre, ils re%ardent dans la salle les parents $mus" out sepasse vite" La famille ne comprend pas tout" 7entr$e che elle, la %rand5m@re demande son petit5fils de corner les pa%es du palmar@soN apparaWt son nom afin, le lendemain, de montrer au8 voisins les succ@s du %arVon" Camusre%arde alors enfin ses livres avec %ourmandise" )a m@re revient apr@s avoir remis$ les habits dec$r$monie dans le placard" La lumi@re baisse" Les premiers $claira%es de la rue vacillent" #espromeneurs anonymes passent" La m@re d'Albert sourit et dit & ; u as bien travaill$ ? 6(E" /-.9"lle n'en dira pas plus" Mais, tout $tant dit, quoi bon en raouter Q Le futur philosophe apprendavec cette parcimonie verbale de la m@re que les mots sont prendre au s$rieu8 U il passera sa vie en user au tr$buchet" 1laisir La #ouleur

    Au lyc$e, Camus d$couvre les cours de philosophie" )i l'on en croit les rapports r$di%$spar les directeurs d'$tablissement et les inspecteurs l'ayant not$,

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    $lectrochoc sur Camus" Ce te8te simple, l$%er, facile, sans %rande pr$tention, vite lu, marque Camus qui y trouveun profit e8istentiel" #'abord, Andr$ de 7ichaud est un fils de soldat tu$ la 1remi@re Iuerremondiale" 1upille de la nation, il est $lev$ par son %rand5p@re instituteur qui recueille la euneveuve U qui meurt en !-2:" Apr@s des $tudes de philosophie et de droit, il devient professeur de

    philosophie avant d'$crire ce livre en !-:, puis d'>tre vivement soutenu par le %rand me avec la th$matique deLa #ouleur, un roman simple qui rapporte sans effetscomment une eune veuve ayant perdu son $pou8 officier au front tombe amoureuse d'unprisonnier allemand qui part le our oN, %rimp$e dans la chambre avec une lampe p$trole pour levoir partir, elle chute dans l'escalier en mettant le feu la maison U le tout sous l'Bil de son eunefils qui a assist$ la naissance de cette idylle, ses manifestations, sa d$ch$ance et sa fin" ; Ce livre est un livre de nuit ? 6-29, $crit de 7ichaud" 1our la th$matique, certes" Maispour Camus c'est un livre de lumi@re & le eune homme d$couvre en effet qu'on peut $crire ce%enre d'histoire, doncson histoire, du moins une histoire proche de la sienne, et en faire de lalitt$rature, un livre, un roman, un r$cit" (l apprend qu'on peut mettre des mots sur les silences desa m@re car, entre les li%nes de ce roman, on peut $%alement lire l'histoire de Catherine )int@s etde son amoureu8 marchand de poissons" #@s lors, cette mise en abWme permet Albert Camusenfant de s'identifier au petit h$ros triste deLa #ouleur" 1lus tard, Camus s'e8cusera d'avoiraccord$ une place importante ce livre qui, relu l'T%e adulte, lui apparut comme un ouvra%epour adolescents"

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    esth$tique $tait r$alis$e par a%ner, il tance le philosophe allemand pour son usa%e pol$mique de*iet J il opte pour )travinsKy contre #ebussy J il avoue >tre d$Vu par la lecture des #eu* sourcesde la morale et de la reliionet pr$tend que l'Buvre de *er%son est venir D #ans la foul$e, leeune homme fou%ueu8 qui note la copie de *er%son passe la deu8i@me partie de sonbaccalaur$at et d$croche une mention asse bien"

    La conversion e8istentielle Y vin%t ans, Camus litLes Glesde

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    La volont$ de ouissance

    Pu'est5ce qu'>tre nietsch$en Q

    ; Le monde est beau et, hors de lui, point de salut ?" Camus,2oces6(" !:49

    Gn philosophe nietsch$en

    Pue faut5il entendre par cette phrase $crite par Camus en !-34 & ; tre nietsch$en, il faudraitrecycler les propos de +ietsche sur )ocrate et l'id$al d$mocratique, adorer a%ner puis led$tester avant de lui pr$f$rer *iet, >tre fascin$ par )chopenhauer mais aussi cesser de l'>tre unour pour entreprendre de d$passer son nihilisme, croire la th$orie de l'$ternel retour, souscrireau m$canisme ontolo%ique du surhomme, effectuer une m>me critique de l'id$al asc$tique ud$o5chr$tien, assimiler le socialisme au christianisme comme id$olo%ies du ressentiment, etc" Ce quiest ridicule" Car oN se trouve lecorpus v$n$rer Q +ietsche a $volu$, il a brSl$ ce qu'il a d$test$, il ad$chir$ des livres adis ador$s, il a cru au salut de l'urope par l'op$ra Za%n$rien avantd'incendier symboliquement *ayreuth, il a remplac$ le compositeur de la %traloiepar unpicure r$chauff$ au soleil de 1ortofino et 7apallo, avant de donner naissance son proph@teaccompa%n$ d'un ai%le et d'un serpent" Faudrait5il emprunter le m>me chemin que l'auteur d'Ainsiparlait arathoustraet marcher dans tous les sentiers trac$s par lui Q +ietsche $crit dans ; #e la vertu qui donne ?, un chapitre duarathoustra& ; On n'a quepeu de reconnaissance pour un maWtre, quand on reste touours $l@ve ?" Le bon maWtre apprend ce qu'on se d$prenne de lui, il carto%raphie le r$el, mais n'$crit pas le chemin et laisse sondisciple le soin d'$crire sa route dans un univers dont il a dress$ la carte avec lui" Le temps de larelation avec le maWtre co]ncide avec celui de l'$tablissement des atlas et des portulans U m>me sile temps d'apr@s continue la relation puisqu'on se trouve sur une route cherch$e pr@s de l'ancien"n ce sens, +ietsche a $t$ un bon maWtre pour Camus" 1enser partir de +ietsche

    Htre nietsch$en ne consiste donc pas pensercomme lui, mais partir de lui" Autrementdit, fort de ses analyses et de ses constats, raisonner en re%ard de ses d$couvertes fondamentales &son dia%nostic $tay$ et ri%oureu8 du nihilisme europ$en J son invitation d$passer l'id$al

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    asc$tique du ud$o5christianisme J sa proposition de nouvelles valeurs et de nouvelles possibilit$sd'e8istence J son ontolo%ie radicalement immanente J sa passion pour la philosophie %recqueavant )ocrate J sa destruction de toute m$taphysique occidentale au profit d'une physique de lavolont$ de puissance J sa crainte devant la mont$e d'un socialisme abreuv$ au8 sources dunihilisme et nourri au8 passions tristes J sa passion pour la lumi@re m$diterran$enne contre les

    brumes du nord J sa pens$e ni optimiste ni pessimiste, mais tra%ique J son invitation la viephilosophique J son art de penser en dehors de l'institution universitaire J sa fi%ure du philosopheartiste J sa pens$e de la douleur comme occasion de force U le fameu8 ; ce qui ne me tue pas mefortifie ? du 4ai Sa+oirU et tant d'autres id$es architectoniques d'une pens$e hors institution"

    Camus aime le style de +ietsche & style de pens$e, style e8istentiel, style d'$criture, stylede vie" Les citations du philosophe abondent dans ses huit carnets & sur les Irecs, la douleur, lestyle du E((esi@cle, la morale au sens des moralistes, la tendresse, la vie philosophique, l'amor9ati, la folie, Lou )alom$, les artistes comme hommes reli%ieu8, I>nes, la maladie, la solitude, ladouleur, le retour $ternel, l'amour de la vie, la maison et les rues de urin, le th$Ttre, le bordel deLeipi%, a%ner et *urcKhardt, l'incendie du Louvre, le proet de di8 ans de silence et dem$ditation, l'$lo%e de +apol$on, le souhait de son enterrement pa]en 7cKen" outes cescitations, tous ces renvois, toutes ces notes constituent un autoportrait en nietsch$en" Gnautoportrait au8 fra%ments" )i l'on prend soin de d$finir le nietsch$en non pas comme celui qui fait de +ietsche unefin dupliquer mais un commencement d$passer, alors Albert Camus fut l'un des %randsphilosophes nietsch$ens du esi@cle U peut5>tre m>me le plus %rand" Car, loin de la sommeobscure des cours de Fribour% dispens$s par eide%%er, au8 antipodes d'un #eleue lisantLaVolont de puissance la lumi@re %auchiste de Mai 0/ ou de #errida d$construisantsyst$matiquement le te8te et l'archive sans souci de la vie philosophique, sans parler des %losesd'universitaires qui embrument une pens$e claire avant eu8, Camus a pris +ietsche au s$rieu8comme un sa%e invitant vivre en nietsch$en" #'oN cette citation du philosophe allemandconsi%n$e en e8er%ue au septi@me cahier qui ramasse les pens$es not$es entre mars !-3! etuillet !-34 & ; Celui qui a conVu ce qui est %rand doit aussi le vivre ? 6(E" !!39" Gne h$r$siepour les universitaires" Gne lon%ue histoire d'amour

    L'histoire d'amour entre le philosophe de 7cKen et celui d'Al%er commence de bonneheure" lle se termine avec la mort de l'auteur deL'omme r+olt" #ans ses dissertations delyc$en, Camus use et abuse de +ietsche" (l en d$calque la pens$e, notamment sur les Irecs, etd$marque le style flamboyant, lyrique" n uin !-:2, T%$ de di85neuf ans, l'$l@ve publie une $tudesur2iet5sche et la musiquedans Sud, une revue fond$e par des lyc$ens de la classe dephilosophie de

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    et tra%ique de la volont$ de puissance, qui n'est encore peu pr@s che +ietsche que ; vouloir ?au sens donn$ par )chopenhauer, l'art nous sauve du monde, il nous permet d'$chapper latyrannie de la n$cessit$ et nous conduit dans un univers de r/+eU l'id$e et le mot ne se trouvent niche )chopenhauer ni che +ietsche qui assi%nent l'art une autre fonction que d'y conduire" )elon Camus, parce qu'elle permet de r$aliser cet id$al, la musique incarne l'art le plus

    parfait" 1our )chopenhauer elle l'est v$ritablement, certes, non pour sa capacit$ nous e8filtrerdu vouloir afin de nous mener au r>ve, mais par son pouvoir de nous donner entendre 6au8 deu8sens du terme9 le ; vouloir5 vivre ? dans sa forme la plus quintessenci$e" lle fournit donc moinsl'occasion du r>ve m>me de nous sortir du monde que la possibilit$ de contempler un mondedont on ne sort pas" Camus aborde la m$taphysique de l'art en romantique s$duit par ledionysisme" #ans la biblio%raphie de ce te8te d'e8tr>me eunesse apparaissent des ouvra%es deprofesseurs, mais aussi, et surtout, un $tran%e renvoi l'une des1nnadesde 1lotin ayant pourtitre ; #u *eau ? 6(" 09" #ans ce te8te, le philosophe ale8andrin d$veloppe l'esth$tique n$o5platonicienne & l'e8istence d'(d$es en soi J le r$el comme participation au8 (d$es J la n$cessit$ dela purification, autrement dit de la s$paration de l'Tme d'avec le corps, pour parvenir lacontemplation des essences J la remont$e en direction de l'Gn5*ien vers lequel tendent toutes lesTmes J l'invitation tout quitter de ce monde pour parvenir l'essentiel J la proposition d'une viephilosophique permettant de construire l'Tme belle susceptible d'acc$der d'abord au8 belleschoses, ensuite la *eaut$ en soi" 1lotin sera, avec Au%ustin, le philosophe du diplXmeuniversitaire de Camus" 1our l'heure, avec +ietsche et )chopenhauer, il se retrouve dans un$tran%e attela%e philosophique conduit par l'auteur d'Aurore" )ur la question de la musique et de sa fonction, Camus n'est donc ni schopenhau$rien, ninietsch$en, ni plotinien, bien qu'il pense partir de ces trois philosophes" #$ lui5m>me, ildonne l'art une place cardinale" L'orphelin, le fils de pauvre, l'enfant solitaire, le petit %arVonvivant avec une m@re mutique e8prime moins la pens$e de ces philosophes maeurs que lasienne & il sait que le livre et la lecture le sor