Militaires et managers confrontés à des risques diffus - Notes d'Analyse Géopolitique n°29

8/4/2019 Militaires et managers confronts des risques diffus - Notes d'Analyse Gopolitique n29

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Face au brouillard strate giqueMilitaires et managers confronts des risques diffus

En terme de scurit collective aussi, la mondialisation a rebattu les cartes

*et brouill les repres. Avec la fin de la Guerre froide et du systme

bipolaire apparu aprs 1945, la lisibilit des relations internationales est

devenue beaucoup plus ardue. La structuration binaire en deux camps

antagonistes a fait place une situation caractrise par une multiplicit

dacteurs et de combinaisons dalliances irrductibles toute approche

simplificatrice, crit Frdric Charillon, directeur de lInstitut de recherche

stratgique de lcole militaire dans un rcent numro des Cahiers franais.

Les autorits charges de veiller la scurit et la dfense de notre pays

ont donc d apprendre naviguer dans un brouillard stratgiquequi nest

pas sans rappeler lincertitude avec laquelle doivent compter les dcideurs

conomiques. Si bien que les rflexions des instances scuritaires peuvent

probablement clairer celles du monde conomique et social.

Plus de vingt ans aprs la fin de la bipolarit survenue avec leffondrement des rgimes

communistes dEurope de lEst puis de lURSS elle-mme, les interrogations sur le sys-tme international en vigueur restent fortes, constate Frdric Charillon.Faon de dire que,dans un monde indit et en mutation acclre, les dcideurs publics ne peuvent plusse raccrocher leurs points de repres traditionnels.Une situation pour le moins in-confortable queconnaissent bien aussi lesdirigeants et managers du secteur priv,maisqui prend bien sr une intensitparticulire lorsquil sagit de prendre des dcisionsaussigraves que lusage de la force.

Des concepts traditionnels rendus obsoltes

Pour Frdric Charillon, deux volutions posent particulirement problme aux dci-deurs tant elles rendent complexes linterprtation du monde et lanticipation des me-naces.

1. Un systme international complexe en mutation permanente. Avec lafin de lUnion sovitique, la premire difficult consiste identifier les nouveaux acteursdes relations internationales et dterminer la grammaire qui rgit leurs relations.Letemps des systmes internationaux fixes au nombre de joueurs dtermin une fois pour toutesest rvolu,crit Frdric Charillon.La densit de lagenda international (qui sest enrichi consi-drablement avec des thmes aussi complexes que lenvironnement, la rgulation financire ou

Le temps des systmes

internationaux fixes

au nombre de joueurs

dtermin une fois

pour toutes est rvolu.

Comprendre Les Enjeux Stratgiques

Note hebdomadaire danalyse gopolitiquede lESC Grenoble. mai 2011

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CLES - Comprendre Les Enjeux Stratgiques - Note danalyse n29 - mai 2011 - www.grenoble-em.com - 1 -

Par Jean-Franois

Fiorina

Directeurde lEcole Suprieurede Commercede Grenoble

CLES


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la circulation de linformation numrique), le nombre de plans sur lesquels cet agenda se droule(plans bilatral, rgional,multilatral), la varit des acteurs qui y contribuent (jusquaux think-tanks ou aux mouvements citoyens), gnrent des combinaisons dalliances et de rivalits qui peu-vent varier dun plan lautre, limage des tats-Unis et de lUnion europenne, allis sur leplan militaire, parfois de sensibilits diffrentes sur le plan diplomatique et politique, mais concur-rents impitoyables sur le plan conomique et commercial.Cette situation dinterdpendance apparat comme la transposition, au plan diploma-tique, de lenvironnement complexe dans lequel voluent galement les entreprises. Ds-ormais, celles-ci aussi doivent compter avec des parties prenantes aux contours flous et

aux aspirations parfois contradictoires, se proccuper de questions ne relevant pas di-rectement de leur activit marchande, et entretenir avec dautres firmes des liens sub-tils qui peuvent les conduire tre simultanment partenaires et concurrentes. Commele rvle le nologisme de cooptition, dans un monde rgi la fois par linterdpendanceet la concurrence, toutes les relations relvent de la coopration et de la comptition.

2. La fin des dichotomies ami-ennemi et guerre-paix. Dans ce contexte,comment dfinir lennemi ? Depuis la fin de lURSS, celui-ci nest plus clairement et faci-lement identifiable. L o lon pouvait voir la main de lennemi consacr derrire chaque at-teinte lintrt national, se substitue dsormais soit un ennemi mouvant (lIran, la Chine), soitun ennemi en rseau aux contours mal dfinis (le terrorisme), soit des constructions simplifica-trices de ralits autrement plus clates (lislam radical, laxe du mal). Et si lon ne saitplus exactement qui est lennemi, alors comment identifier ses amis ? Quand lennemicommun se drobe, les alliances deviennent fragiles, voire conflictuelles. Pour preuve,

les dbats vigoureux qui agitent lOtan, contrainte de redfinir un projet stratgique ru-nissant des membres jadis unis par une menace dsormais vanouie.Autre difficult, rsultant de la complexit des jeux dacteurs : comment distinguer aveccertitude la guerre de la paix ? Quen est-il, par exemple, des situations libanaises, tcht-chnes, congolaises, soudanaises ? Et comment caractriser la scurit ? De nationale etsymbolise par linviolabilit de la frontire ou lintgrit territoriale, la scurit est devenue so-citale, tandis que son antonyme, linscurit, prend la forme de flux transnationaux que lexer-cice de la violence dtat lgitime (cest--dire lusage de la force arme) ne suffit plus arrter.Nuage radioactif, catastrophes ptrolires, dsastres alimentaires, pidmies, attentats kami-kazes, cyber-attaques, trafics criminels La liste des menaces prend dsormais la formedun inventaire la Prvert !Ici encore lanalogie avec le monde de lentreprise est possible comme en tmoigne lafaon dont le dialogue social, autrefois bien balis, se retrouve aujourdhui brouill, les par-

tenaires sociaux prouvant la plus grande difficult se positionner, notamment en rai-son de lirruption de mouvements contestataires plus ou moins spontans et auxcontours sans cesse redfinis. Et la scurit des entreprises sest, elle aussi, dterritoria-lise. lheure des rseaux, des organisations matricielles, des bureaux virtuels et duneconomie de la connaissance dans laquelle la principale richesse est immatrielle, instal-ler des enceintes et des portiques de scurit ne saurait bien sr suffire garantir la s-curit ! Do le dveloppement du volet dfensif de lintelligence conomique, permettantde scuriser le capital immatriel de lentreprise en jonglant entre les aspects juridiques,sociaux, technologiques, financiers, informationnels et humains de la scurit.

Un monde de risquesplutt que de menaces,y compris pour les entreprises

Est-il mme encore pertinent de parler de menaces? Frdric Charillon en doute. Ladissmination des dangers, la varit de leur nature et la disparition de lennemi principal fontperdre de sa cohrence lide de menace.Do le recours au concept alternatif derisquequi introduit la notion dincertitude. De limpratif de prvention dune menaceprcise, identifie et territorialise, dont les modalits pouvaient tre anticipes, le monde estpass la crainte de risque diffus. Or, comme on la vu, ce constat dpasse le seul cadredes institutions charges de la dfense et de la scurit. Il vaut aussi pour les dcideursprivs, commencer par les dirigeants et les managers dentreprise. Pour les entre-prises aussi, les dangers sont protiformes : rupture technologique, crise sociale, dsin-formation et rumeurs, contestation socitale, catastrophe environnementale, raidboursier, cyber-attaques, espionnage industriel, dbauchage de salaris, etc.Si bien que la prvention de ces prils exige de nouvelles qualits, dj amplement iden-tifies par le monde managrial comme la souplesse et louverture desprit, la ractivitet lagilit, la clairvoyance et la capacit dtonnement, le got du risque et lacceptationde lchec, la capacit innover rebondir et sadapter. Dans un univers instable et en mu-tation permanente, ce sont en effet l les meilleures garanties de la survie tant pour lestats que pour les entreprises et mme les individus. Mme si cet environnement est,par nature, inscurisant, il nest toutefois pas question de sen dsoler. Car ce monde

Comme le rvle

le nologisme de cooptition,

dans un monde rgi la fois

par linterdpendance

et la concurrence,toutes les relations relvent

de la coopration

et de la comptition.


La scurit

des entreprises sest,

elle aussi, dterritorialise.

lheure des rseaux, des

organisations matricielles,

des bureaux virtuels et dune

conomie de la connaissance

dans laquelle la principale

richesse est immatrielle,

installer des enceintes

et des portiques de scurit

ne saurait bien sr suffire garantir la scurit !


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sans cesse renouvel nest pas seulement un monde de risques : il est aussi riche dop-portunits. I

Pour aller plus loin : Cahiers franais, n360, dossiertat et scurit, La Documentation franaise,janvier-fvrier 2011 ; Business en milieu hostile : la sret des entreprises linternational, par Dimitri Li-nardos et Fanny Lecarpentier, Editions Vuibert, 240 p., 26 , Prix Grenoble Ecole de Management du

livre de management international 2011.


EXTRAIT :

Un monde de turbulences - Nous avons longtemps pens - tort - que le monde bipolaire avait t synonyme de sys-tme parfaitement balis, plutt propice la paix, dun point de vue occidental []. Ces certitudes, dj illusoires du temps dela Guerre froide elle-mme, se sont volatilises dans les annes 1990, comme ce sont volatilises ensuite, dans les premires an-nes de la mme dcennie, les illusions dun brave nouveau monde dont le caractre consensuel devait marquer la fin de lHis-toire. En fait de monde onusien ou de dmocratie cosmopolite, cest un monde de turbulences qui mergea.FrdricCharillon, in Cahiers franais n360, op. cit.

Comprendre

Les Enjeux StratgiquesPourquoi CLES ?Depuis 2007, Grenoble cole deManagement a introduit dans soncursus un enseignement de gopo-litique. Cette initiative novatricesappuie notamment sur la convic-tion que, face un monde com-plexe et en mutation permanente,lentreprise et les managers ont be-soin du prisme de la gopolitiquepour se positionner, prendre lesbonnes dcisions et engager les

stratgies adquates.

Il sagit toutefois dune approche ori-ginale de la gopolitique. traversses enseignements et ses activitsde recherche, Grenoble cole deManagement envisage celle-ci sousun angle oprationnel.Lobjectif est doffrir aux dcideursconomiques les outils daide ladcision ncessaires pour naviguerdans un environnement au sein du-quel les risques et les opportunits

voluent sans cesse.

Avec la publication des notes CLES,Grenoble Ecole de Managementsouhaite partager, chaque semaine,avec ses partenaires, le fruit de sesrecherches en matire de gopoli-tique.Elle souhaite aussi stimuler leschanges dides et les partagesdexprience. Car, dans le mondequi est le ntre, cest aussi de laconfrontation des visions que pro-

vient la performance.I

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