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8/12/2019 Miller - Lautre Sans Autre
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JACQUES-ALAIN MILLER
LAutre sans Autre
LAutre sans Autre, cest mon titre1. Ce titre est une abrviation, sous une forme
nigmatique, dune phrase, dune proposition, dun dit de Lacan qui snonce sousune forme quun certain nombre dentre vous connaissent : Il ny a pas dAutre de
lAutre . Cette formule a t lance par Lacan un jour de lanne 1959, le 8 avril, au
cours de son Sminaire intitul Le dsir et son interprtation. Elle commentait
lcriture de forme logique S(A) et tait alors prcde dune phrase bien faite pour
mobiliser lattention des auditeurs de son Sminaire : cest, disait Lacan, cest, si je
puis dire, le grand secret de la psychanalyse. 2
Le grand secret de la psychanalyse
Lacan voulait donc donner cette formule la valeur dune rvlation, au sens de la
dcouverte, de la mise au jour dune vrit cache. Vrit cache qui ? Ce quon
comprend, cest que ce grand secret tait une vrit cache dabord aux
psychanalystes eux-mmes, une vrit mconnue par les praticiens de la
psychanalyse. On songe, enfin en tout cas moi jai song, une phrase de Hegel dans
son cours desthtique, quand il parlait des Egyptiens, dont les Grecs, les Romains et
tout le monde si je puis dire, sondaient les mystres. La formule de Hegel tait la
suivante : les mystres des Egyptiens taient des mystres pour les Egyptiens eux-
mmes . Eh bien, de la mme faon, au moins cest ainsi que je lis cette phrase de
Lacan, le secret de la psychanalyse, comme il lappelle, tait rest une vrit cache
pour les analystes eux-mmes.
Je me suis demand si la rvlation par Lacan de ce secret en 1959 avait suffi lever
le voile enveloppant lAutre sans Autre. Il est trs possible que cette rvlation nait
pas t enregistre, valide, assume. Je ne parle pas des lves de Lacan. Les
psychanalystes nont pas accus rception. Et cest peut-tre seulement aujourdhui,
en 2013, que nous pouvons la prendre au srieux et lui donner toutes ses
consquences.
Nous allons voir si cest ainsi. Voyons si nous pouvons mettre cette rvlation
lpreuve de la clinique lorsque la NLS se retrouvera Gand. Je ne dis pas que ce soit
le titre du congrs, mais je propose que cet Autre sans Autre, que Lacan a fait jadis
surgir dans son Sminaire, nous serve de boussole et aussi bien serve de boussole la
lecture du Sminaire o Lacan la dit, le Sminaire Le dsir et son interprtation. Ce
1Prsentation du thme du prochain Congrs de la NLS Gand (mai 2014), expos en clture du XIe
Congrs de la NLS, Le sujet psychotique lpoque Geek, Athnes, 19 mai 2013.2
Lacan, J., Le Sminaire Livre VI, Le dsir et son interprtation, Editions de La Martinire, Le Champfreudien, Paris, 2013, p. 353.
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Sminaire va paraitre dans les jours prochains. Il est mme annonc par lditeur pour
le 6 juin prochain. En tout cas, moi jai fait le travail qui me revenait ce propos.
Jespre que pendant que je suis ici, a simprime comme il convient et quon apporte
les dernires corrections que jy ai faites avant de venir ici. Alors, je propose que ce
Sminaire serve de rfrence au congrs de la NLS Gand. Je ne crois pas que cestune tche excessive, puisque vraisemblablement les lves de Lacan qui lisent le
franais ne manqueront pas de lire sous la forme imprime ce Sminaire.
Aprs avoir pass le temps de le rdiger au cours des annes et avoir resserr cette
criture dans ces derniers temps, je voudrais donner ici quelques orientations, en tout
cas les miennes, pour la lecture de ce Sminaire et en particulier expliciter devant
vous ce grand secret de la psychanalyse.
Un moment de bascule
Le Sminaire comporte en ouverture la construction du grand graphe de Lacan, quil a
appel le graphe du dsir, dont il avait commenc ldification dans le Sminaire V.
Cela forme les deux premiers chapitres. Evidemment, le commentaire dtaill de ce
schma demande un autre cadre que celui-ci. La premire partie est la lecture de rves
emprunts la Science des rves. Il y a ensuite la ranalyse dtaille dun rve
figurant dans une cure mene par la psychanalyste anglaise Ella Sharpe. Viennent
ensuite des leons sur Hamlet et enfin, un certain nombre de chapitres qui donnent
une orientation plus gnrale que je ne peux pas rver de rsumer en une demi-heure,
trois quarts dheure.
Mais expliciter le grand secret de la psychanalyse, cest sans doute moins difficile
parce quil sexplicite sous nos yeux dans le vaste mouvement social qui partout,
progressivement, dans les socits dmocratiques avances, met en cause le patriarcat,
la prvalence du pre. Eh bien, cest autour de la mise en question du pre, de la
fonction paternelle, que pour moi sorganise lorientation fondamentale de ce
Sminaire. Ce nest pas par hasard que le rve que Lacan est all pcher dans la
Science des rves, prcisment, vise le rapport dun fils avec son pre et constitue une
version diffrente du rapport pre-fils que celle qui est typique de ldipe. Et siLacan sest intress dans ce Sminaire Hamlet, cest que prcisment dans Hamlet,
le pre, loin dtre une fonction normative et pacifiante, porte au contraire une action
pathogne.
Et donc il ne me semble pas excessif, maintenant que nous lisons plus dun demi-
sicle plus tard ce Sminaire de Lacan, de le lire, comme disait Vanderveken3, pour
ses vertus prophtiques. Lacan a donn la formule il ny a pas dAutre de
lAutre la valeur dune rvlation, dun secret, parce quil y avait l une proposition
il ny a pas dAutre de lAutre quil avait lui-mme mconnue. Cette
3Cf. expos dYves Vanderveken qui prcdait cette intervention de J.-A. Miller lors du Congrs.
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proposition est dans son enseignement un moment de bascule. Je ne crois pas que
cest lenthousiasme davoir achev ce travail qui me fait dire que cest un
mouvement de bascule tout fait dcisif pour la suite de son enseignement. Lacan
enseignait dabord le contraire. Il lui a fallu penser contre lui-mme pour formuler il
ny a pas dAutre de lAutre .
LAutre de lAutre : le Nom-du- Pre
Lanne davant, en 1958, il enseignait au contraire je condense ici, je ramasse une
de ses formules, elle ne figure pas comme telle ni dans ses Ecrits ni dans ses
Sminaires quen fait il y a un Autre de lAutre. Et lAutre de lAutre, si on avait
lui donner un nom, ctait le nom par excellence, le Nom-du-Pre. Jajoute que ceci
nest pas une interprtation de ma part. Ou que ce nest une interprtation que dans la
mesure o je dchiffre la dfinition que Lacan donne du Nom-du-Pre la fin de son
article qui reste pour nous essentiel sur la psychose, Dune question prliminaire
tout traitement possible de la psychose 4. Je vais vous citer un morceau du texte de
Lacan, je vous donne sa rfrence dans ldition franaise, page 583. Cest cette
phrase qui me fait dire que juste avant de profrer il ny a pas dAutre de lAutre ,
Lacan disait le contraire. Les termes dans lesquels il posait lAutre de lAutre mritent
dtre pess trs prcisment. Il sagit de la dfinition que Lacan donne du Nom-du-
Pre la fin de son article sur la psychose, cest--dire la fin de larticle o il livre
au public sa construction de la mtaphore paternelle. Il faut bien dire que cette
mtaphore paternelle a tellement frapp les esprits que pour le grand public, on laconstat en France cette anne, cest cela que Lacan a dit essentiellement. Pour le
grand public, Lacan est celui qui a promu le Nom-du-Pre une fonction dcisive de
normativation et comme la cl de vote de tout ce qui fait tenir le monde qui nous est
commun.
Au moment o Lacan construit cette mtaphore paternelle, il donne trs prcisment
du Nom-du-Pre la dfinition suivante. Je vais le dire lentement pour que a puisse
tre not, sil y a une chose noter cest celle-l : le Nom-du-Pre est le signifiant
qui dans lAutre, en tant que lieu du signifiant, est le signifiant de lAutre en tant que
lieu de la loi . Il suffit de lire cette dfinition dune faon formelle pour voir quellemet en scne deux Autres, deux statuts du grand Autre, lAutre du signifiant et
lAutre de la loi. Et le premier Autre, lAutre du signifiant, est prsent comme
contenant le signifiant du second, dont je dis que ds lors il vaut comme lAutre de
lAutre. Cest ainsi que je dchiffre cette dfinition, savoir que lAutre de la loi,
cest lAutre de lAutre. Ce que Lacan appelle lAutre de la loi et dont le signifiant est
le Nom-du-Pre, cest lAutre de lAutre.
4Lacan, J.,Ecrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 531-583.
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LAutre du signifiant, a veut dire quoi ? Si je simplifie cette formulation jai fait a
jadis dans mon cours, cette lecture. Je lai faite plus rapidement parce que je navais
pas encore rdig dans le dtail le SminaireLe dsir et son interprtation. Cest cette
phrase qui mavait permis de comprendre pourquoi Lacan donnait cette importance si
grande cette formule mystrieuse, il ny pas dAutre de lAutre . Ca veut direquoi si je simplifie ? Ca veut dire que le langage obit une loi, que le langage est
surplomb par une loi, quil y a une loi du langage. Dautre part, a installe le grand
Autre comme un ensemble de signifiants parmi lesquels il y a le signifiant de lAutre.
Et l on ne peut pas ne pas reconnaitre des chos de la notion logiciste, je ne dis pas
logicienne, prcisment logiciste, de Bertrand Russell qui distinguait les catalogues
qui se contiennent eux-mmes et les catalogues qui ne se contiennent pas eux-mmes,
ce qui en effet fait ici du grand Autre un ensemble qui contient son propre signifiant.
A cette poque- l dailleurs, Lacan na pas exploit cette ressource russellienne que
comportait son concept de lAutre, mais une grande partie de son Sminaire XVI
Dun Autre lautre dveloppe prcisment ce point, en rfrence exclusive
Bertrand Russell et aux paradoxes qui peuvent en dcouler quand on essaye de former
le catalogue de tous les catalogues qui ne se contiennent pas eux-mmes. A ce
moment-l, en effet, ces paradoxes, Lacan peut les exploiter pour le discours
analytique.
La passion du premier Lacan : les lois du langage
Quest-ce que Lacan appelle ici la loi, qui est la loi du langage ? Eh bien, il fautconstater que le premier Lacan, et jappelle ici le premier Lacan ce quil y a avant le
Sminaire VI avec la coupure quil introduit en niant lAutre de lAutre, le premier
Lacan, celui du rapport de Rome, celui des cinq premiers Sminaires,
rtrospectivement me frappe par le fait quil sest constamment attach, acharn
dterminer quelles taient les lois du langage, les lois du discours, les lois de la
parole, les lois du signifiant. On peut faire la liste de ces lois et on saperoit quelles
sont diverses, quelles ne sont pas du tout homognes ; mais tous les tournants de
ces textes de Lacan et de ces Sminaires, on trouve la formulation des lois. Et cest
un tel point que lon peut dire quil y a l comme une passion, la passion du premier
Lacan : la recherche des lois.
Pour vous faire sentir la valeur quon peut donner cette remarque, permettez-moi de
faire un court-circuit. Cest ce mme Lacan qui en viendra noncer dans son dernier
enseignement que le rel est sans loi . Il en viendra disjoindre tellement le
langage et la loi que dans son dernier enseignement nous le retrouverons cela a t
rappel par Bassols5 comme un parasite. Lacan par la suite, renoncera mme au
concept du langage, ou au moins tentera daller en dessous du concept du langage
pour designer ce quil appelle lalangue. Et lalangue, disons-le quest-ce-qui
diffrencie ce quil appelle lalangue du langage ? Cest que lalangue est sans loi. Le5Cf. lexpos de Miquel Bassols lors de ce Congrs de la NLS Athnes.
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langage est alors conu comme une superstructure de lois qui capturent lalangue en
tant que sans loi.
Lenseignement de Lacan sest dvelopp dans un sens tout fait contraire cette
passion initiale. On peut dire que son commencement est sous lgide de la loi et que
plus son enseignement a progress, plus il a mis en valeur le sans loi pensez
laccent que Lacan donne, dans la clinique, la contingence, lvnement en tant
quil arrive comme au hasard. Alors, il y aurait l videmment ce qui fait une sorte de
jointure entre la loi et la contingence. Cest le moment o Lacan explicitement
renonce la loi, renonce recourir la loi de la psychanalyse au dbut de son
Sminaire XI, quand il explique que linconscient est plutt du registre de la cause
que du registre de la loi.
Cinq registres de la loi
Pourquoi cette passion pour la loi chez Lacan au dpart de son enseignement ? Et
pourquoi ce renoncement que marque il ny a pas dAutre de lAutre ? On peut
sintresser toutes les lois que Lacan nous a appris trouver dans le langage, la
parole, le discours, jusqu' arriver cette expression : la loi. Jai fait un effort
dessayer de classer toutes les lois que Lacan a utilises et explicites dans sa passion
lgaliste, si je puis dire.
Premirement, il y a les lois linguistiques. Ce sont celles que Lacan emprunte
Saussure, qui conduisent distinguer le signifiant et le signifi, la synchronie et ladiachronie. Ce sont aussi celles que Lacan trouve chez Jakobson qui articule et
distingue la mtaphore et la mtonymie ; Lacan en parle comme des lois, comme des
mcanismes.
Deuximement, il y a la loi dialectique, celle que Lacan va chercher chez Hegel : cette
loi qui voudrait que dans le discours, le sujet ne puisse assumer son tre que par la
mdiation dun autre sujet. Lacan appelle cela la loi dialectique de la reconnaissance.
Troisimement, nous trouvons chez Lacan ctait une certaine poque, qui nest
plus la ntre, trs populaire les lois mathmatiques, comme celles que Lacanexplore dans son Sminaire sur la lettre vole , avec son premier graphe, celui des
, , , , qui donne le modle de la mmoire inconsciente.
Quatrimement, il y a les lois sociologiques, les lois de lalliance et de la parent que
Lacan a adoptes dans le livre de Lvi-Strauss sur les structures lmentaires de la
parent.
Et cinquimement, il y a la loi ou la suppose loi freudienne, cet dipe dont le
premier Lacan a fait une loi, savoir le Nom-du-Pre qui doit simposer au Dsir de
la Mre. Et cest l la condition pour que la jouissance du corps se stabilise et que lesujet accde une exprience de la ralit qui lui soit commune avec dautres sujets.
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Jai donc pris la peine dnumrer cinq registres de la loi : linguistique, dialectique,
mathmatique, sociologique et enfin freudienne. Quand il commence rflchir sur
lexprience analytique, au moins quand il commence enseigner ce propos, ces
cinq registres de la loi sont pour Lacan constitutifs de ce quil a appel le symbolique.
Il suffit davoir numr les cinq registres pour sapercevoir que le symbolique, cestune notion fourre-tout, un catch all category, une notion attrape-tout. Elle attrape les
mathmatiques, la linguistique, la dialectique et cest a qui constitue pour Lacan le
symbolique en tant quil obit la loi se rpartissant dans ces diffrents registres.
Lordre symbolique
Pourquoi Lacan a-t-il donn une telle importance centrale la notion de loi ? Cest
sans doute que pour lui la loi tait la condition de la rationalit et mme plus
prcisment de la scientificit. On pourrait formuler quen quelque sorte cest comme
sil obissait laxiome il ny a de science que l o il y a loi . Nous pouvons donc
maintenant donner tout son poids une notion qui a marqu les esprits, qui a
influenc le public, au point quen France on a pu constater cette anne quelle
figurait au premier plan des dbats autour de louverture du mariage aux
homosexuels.
Cette notion qui appartient au dbut de lenseignement de Lacan, jai t tonn de la
voir ressurgir plus de cinquante ans aprs sa formulation. Il sagit de la notion qui
exprime la solidarit des cinq registres de la loi dans le symbolique. Et cette notion
sexprime par les mots : lordre symbolique. Eh bien, en France, je ne sais pas
comment cest en Grce, mais en France, on a vu la notion dordre symbolique tre
promue comme lobjection majeure louverture du mariage aux homosexuels, la
transformation de la parent, ladoption etc. Ce quil faut constater, cest quaprs
lavoir promue, cest une notion qui disparait de lenseignement de Lacan. Cest une
notion que Lacan a invente en effet, quil a amene, qui est apparue comme la base
de sa conception, comme essentielle la tripartition entre le symbolique, limaginaire
et le rel, et puis cest prcisment une notion que Lacan na pas conserve. Dans la
notion dordre, les cinq registres de la loi sont confondus. Cest--dire que, sous
langle de lordre, dans la perspective de lordre, ils apparaissent quivalents. Que cesoit la loi mathmatique, la loi dialectique etc., cest comme si leur trait commun,
cest de mettre de lordre. La loi met de lordre ou elle exprime lordre quil y a. L
o il y a loi, il y a ordre. Et dans le systme du premier Lacan, il ny a dordre que
symbolique.
A lordre symbolique soppose, peut-on dire, le dsordre imaginaire. Dans le
symbolique, chaque chose, chaque lment est sa place ; il ny a mme que dans le
symbolique quil y a des places proprement parler.
Dans limaginaire au contraire, les lments changent leur place, si bien que lesplaces ne se distinguent pas et il nest pas sr mme que les lments se distinguent
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en tant que tels. Il ny a pas dans limaginaire les lments discrets, spars, quil y a
dans le symbolique. Cest dans ces termes que Lacan dcrit les relations entre le moi
et lautre qui nest que sa propre image lextrieur, l le moi et lautre empitent
lun sur lautre, rivalisent, se font la guerre, ne trouvent entre eux que des quilibres
instables, si bien que limaginaire apparait marqu dune inconsistance essentielle etntre mme, dit Lacan une fois, qu ombres et reflets .
Quant au rel, il est en dehors du clivage entre ordre et dsordre, il est, purement et
simplement.
On sest aperu cette anne, et il a fallu que nous expliquions le contraire dans un
sens, sans en venir aux prcisions que je donne ici, on sest aperu que la notion
dordre symbolique tait devenue populaire. Et pourquoi ? Elle est devenue populaire
chez tous ceux qui militent pour la protection de lordre tabli. Elle est devenue
populaire chez les conservateurs. Quest-ce quun monde rgi par lordre
symbolique ? Cest un monde o chaque chose est sa place et dont le verrou est le
pre, dont le verrou est le patriarcat. Ce que lon constate de dsordre est aussitt
dvaloris comme imaginaire, cest--dire la fois inconsistant et parasitaire. On a
donc utilis la notion lacanienne dordre symbolique pour promouvoir lide dun
ordre harmonieux, rgi par des lois invariables, ces lois tant accrochs au Nom-du-
Pre.
Et il faut bien dire que Lacan y a prt le flanc, Lacan a laiss une ouverture dans ce
sens au dbut de son enseignement. Il a pu dire par exemple, je le cite, ctait tout
fait au dbut, dans son Rapport de Rome, que le Nom-du-Pre tait le support de lafonction symbolique. Tout ce qui tait de lordre du symbolique, avait le Nom-du-
Pre comme support, le pre incarnant la figure de la loi comme telle. Cest le point
de dpart. Seulement tout son enseignement va dans le sens contraire. Si
lenseignement de Lacan a un sens, une direction, cest le dmantlement
mthodique, constant, acharn de la pseudo-harmonie de lordre symbolique. Et cest
justement parce que Lacan a exalt la fonction du Nom-du-Pre, cest justement parce
quil lui a donn tout son clat quil a pu la mettre en question dune faon radicale.
Dconstruction de la mtaphore paternelle
Il y a l comme une ironie de lhistoire. Ce qui a marqu, ce qui est rest inoubliable
dans le public, cest la forme linguistique que Lacan a donne ldipe freudien : la
mtaphore paternelle gouverne par le Nom-du-Pre. Or, tout le dveloppement de
son enseignement partir de la coupure du Sminaire VI va dans le sens du
dmantlement, de la dconstruction de la mtaphore paternelle.
Dabord, premirement, on peut dj remarquer que Lacan na mis en avant le Nom-
du-Pre et la mtaphore paternelle que pour la montrer dfaillante dans la psychose.
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Deuximement, il a montr la permanence en tant quobjet petit a, dune jouissance
qui ne reoit pas son sens de la mtaphore paternelle.
Troisimement, quand Lacan sest trouv excommuni de lIPA, et quil a donc
renonc son Sminaire Des Noms-du-Pre pour faire le Sminaire des Quatre
concepts, il a mis trs clairement en accusation, dans ce Sminaire, relisez-le, le dsir
de Freud, comme asservi la figure du pre.
Quatrimement, sagissant de ldipe, Lacan lui a donn le statut dun mythe qui
dsigne et voile la fois la castration et il a cess den faire une loi. Il en a fait un
mythe, cest--dire une histoire imaginaire, organise, mais imaginaire.
Cinquimement, la mtaphore paternelle crit dune certaine faon le rapport sexuel
sous la forme de la prvalence virile sur la position fminine maternelle. Et il la
dmentie par le thorme il ny a pas de rapport sexuel , et le thorme il ny a
pas de rapport sexuel ruine la notion de lordre symbolique.
Siximement, cest enfin le Nom-du-Pre dfini comme un sinthome cest--dire
comme un mode de jouir parmi dautres.
Je termine par septimement et jinscris l ce qui est en fait le point premier, le point
tournant partir duquel a commenc la dconstruction du Nom-du-Pre comme Autre
de lAutre. Cest dans le Sminaire III Les psychoses que Lacan fait part de cette
dcouverte de la mtaphore et de la mtonymie, les deux figures de style qui selon
Jakobson rsument toute la rhtorique. Il commence par utiliser la figure de la
mtaphore. Il sen sert pour formaliser ldipe freudien et cest ce quil fait dans leSminaire IV,La relation dobjet. Ensuite, il utilise la seconde figure, la mtonymie,
pour formaliser le dsir. Je dirais quil y a l deux termes qui se rpondent : la
mtaphore paternelle et la mtonymie dsirante. Lacan a dabord amen la mtaphore
paternelle et ensuite, dune faon qui a t moins retentissante, la mtonymie
dsirante.
Voie du Pre ou voie du dsir
Je pense ici Hercule, lHercule du mythe, que lon reprsente devant les deux voies
qui soffrent lui. De mme, deux voies se sont ouvertes devant Lacan : suivre la voie
de la mtaphore paternelle ou suivre la voie de la mtonymie dsirante. Si lon pose la
question dans ces termes, quelle est la voie quil a suivie ? Evidemment, il a pos la
mtaphore paternelle, mais il ny pas dquivoque, la voie que Lacan a suivie dans
son enseignement, cest la voie du dsir et non pas la voie du pre. Dans le Sminaire
IV, il a formalis la mtaphore paternelle. Dans le Sminaire V et le Sminaire VI, il a
construit un grand graphe deux tages, qui est tudi dans toutes les sections
cliniques, et il a donn le graphe du dsir. On pouvait se demander pourquoi il fait du
dsir la fonction essentielle qui mrite que ce graphe soit dsign de ce nom. L, je
veux dire la valeur qua pour moi, dans ma lecture, cette dnomination. Elle prend sa
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valeur par diffrence et par opposition avec le nom que ce graphe aurait pu avoir et
que Lacan a cart. Au lieu dtre le graphe du dsir, cela aurait pu tre le graphe du
Nom-du-Pre.
Quelle fin de lanalyse ?
Supposons que Lacan ait maintenu quil y a un Autre de lAutre et que le Nom-du-
Pre est le signifiant de cet Autre de lAutre. Sil avait maintenu ce quil crivait la
fin de son article sur les psychoses, llment fondamental mettre jour dans une
analyse, llment qui serait dterminant pour la fin de lanalyse, ce serait votre Nom-
du-Pre, ce serait le signifiant, les particularits du signifiant, qui, pour vous, a donn
son sens la jouissance dont votre corps ptit. Alors, en haut et gauche du graphe, l
o sinscrit la rponse dernire attendue dune analyse, la rvlation o elle culmine,
scrirait S(A). a voudrait dire que la fin de lanalyse, cest le surgissement du Nom-
du-Pre comme le signifiant qui dsigne la loi de votre tre comme sujet. Or, cette
place sinscrit au contraire S(A). Cela signifie que la solution que Lacan pose, que la
rponse la question pose par le sujet dans son analyse, ne se trouve pas au niveau
de son rapport au Nom-du-Pre, que la solution du problme nest pas au niveau de la
mtaphore paternelle. Car, ce niveau, tout ce que le sujet rencontre, cest le manque
dun signifiant, le manque du signifiant qui dsignerait son tre en dsignant la loi de
cet tre.
Donc, je fais surgir par hypothse ce que serait une analyse dont la fin serait
lmergence du Nom-du-Pre comme le signifiant de la loi de ltre du sujet. Je vais
faire encore une deuxime hypothse et je dis que cette hypothse est fonde, elle est
fonde dans la pointe mme du texte de Lacan sur les psychoses. Deuxime
hypothse que je fonde aussi bien dun autre passage du texte de Lacan : on pourrait
penser que le manque de signifiant serait la solution, que la fin de lanalyse, ce
pourrait tre la rvlation dun manque. Il faut admettre, mon avis, que cette version
de la fin dune analyse, Lacan la prise en considration. Cest mme l-dessus quil
conclut son crit La direction de la cure, qui prcde immdiatement le Sminaire
Le dsir et son interprtation.
Alors quand vous lirez le Sminaire Le dsir et son interprtation, je vous conseille
de vous reporter cet crit de Lacan, La direction de la cure , et vous verrez que le
Sminaire enchaine directement sur cette fin, sur sa cinquime partie o Lacan
formule une injonction lgard de lanalyste : il faut prendre le dsir la lettre .
Le dsir est ici dfini par la mtonymie, de la faon la plus explicite, cest--dire
comme un effet de la succession des signifiants. On peut dire que dans cette
cinquime partie qui prcde exactement le Sminaire Le dsir et son interprtation,
le dsir apparait comme un pur effet du signifiant pur veut dire un effet
insubstantiel, sans substance. Et je nai besoin pour vous le montrer que de vous citer
la dfinition que Lacan donne en toutes lettres avant ce Sminaire, la fin de La
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Direction de la cure : le dsir est la mtonymie du manque--tre 6. On ne peut
pas mieux dire que le dsir est ici accord au manque, quil est sans substance, quil
est accord en effet S(A), linexistence dune mtaphore terminale, qui ferait
surgir une signification dfinitive.
Cest dailleurs ce propos, dans ce texte, que Lacan donne une dfinition de ce
quest linterprtation du dsir. Quand on lit le Sminaire Le dsir et son
interprtation, la question commence en effet sur linterprtation, mais petit petit
elle se dilue. Linterprtation du dsir, cest la question que Lacan se pose la fin de
son crit et cest celle quil commence examiner dans son Sminaire. La dfinition
quil donne dans son crit, cest quinterprter le dsir, cest indiquer le manque, cest
viser le manque, sans le dire, par allusion. Ce quil appelle, dans une phrase qui a sa
posie : retrouver lhorizon dshabit de ltre 7. Cela veut dire quelque chose de
trs prcis, cest qu la fin de son crit La direction de la cure , il envisage la
possibilit que la fin de lanalyse soit lassomption par le sujet du rien quil est. Aquel niveau serait-il rien ? Au niveau de linconscient, puisque ce quon sait par le
rve, cest que le sujet, prcisment, est identifi plusieurs lments, quil est
dispers et multiple et que cette multiplicit traduit prcisment le manque du
signifiant qui signifierait pleinement son tre. Autrement dit, A barr veut dire aussi
que rien ne garantit pour vous la vrit daucun signifiant daucune chaine signifiante.
En ce sens, il ny a pas la mtaphore.
Lacan a cart la fin de lanalyse par le Nom-du-Pre, la fin de lanalyse qui serait la
rvlation de votre Nom-du-Pre comme dsignant la loi de votre tre. Il a envisag
que la fin de lanalyse puisse tre le manque dsign par A barr. Cest--dire une fin
de lanalyse o il savre quon ne peut quassumer le manque et savoir quon ne peut
pas faire confiance, que rien nassure le sujet de la vrit de la bonne foi de lAutre. Il
faut bien dire que cest une fin possible de lanalyse. Cest prcisment ce que Lacan
appellera plus tard la fin de lanalyse qui fait du sujet un non-dupe. Le non-dupe est le
sujet qui se satisfait du grand A barr, de linconsistance de lAutre.
Alors, troisime fin, dans le Sminaire du dsir et pour la premire fois je me suis
dit en y rflchissant, il faut reprendre les textes, mais enfin, il est clair que Lacan a
voqu quelque chose de lordre dune fin de lanalyse par la mtaphore paternelle,
par la constitution de la mtaphore paternelle, laccs la pleine mtaphore
paternelle. Il est clair quil a envisag la fin de lanalyse par lassomption du rien.
Mais cest dans le Sminaire du dsir que pour la premire fois se dessine le lieu qui
pour Lacan et dans toute la suite de son enseignement sera dcisif concernant la fin de
lanalyse. Ce lieu dcisif o se joue la fin de partie de lanalyse, ce nest pas le Nom-
du-Pre, cest le fantasme. Et cest ds le Sminaire du dsir que lon sent que les
lignes se mettent en place, qui serrent le fantasme comme le lieu o il peut tre
6Lacan, J., La direction de la cure et les principes de son pouvoir , Ecrits, op. cit., p. 623 et p. 640.
7Ibid., p. 641.
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question de la fin de lanalyse. Et au fond, cette question ne cessera pas ensuite de
rouler pour Lacan.
Le Sminaire VI sintitule Le dsir et son interprtation parce quil poursuit au
commencement la ligne ouverte par la conclusion de La direction de la cure . Mais
le Sminaire VI est justement fait pour contester la conclusion de lcrit de Lacan qui
lui a donn son dpart. Le Sminaire VI conteste que la fin de lanalyse soit sous la
dpendance de la dfinition du dsir comme mtonymie du manque--tre. Et sil y a
une chose qui clate aux yeux, il faut dire ds les premires pages du Sminaire VI,
cest que le dsir tel que Lacan le prsente ici, nest absolument plus une mtonymie
du manque tre, cest--dire une dfinition du dsir comme pur effet du signifiant.
Ce que renverse le Sminaire VI, cest quil sattache lexprience du dsir et le
cur du Sminaire Le dsir et son interprtation, ce nest pas linterprtation. Le
cur de ce Sminaire, cest le rapport inconscient du sujet lobjet dans lexprience
dsirante du fantasme.
Le dsir et le fantasme
Cest le rapport sujet-objet dans le dsir inconscient que Lacan nomme le fantasme.
Le vrai titre du Sminaire VI, cest le dsir et le fantasme , au moins je vous dis ce
que jai conclu de ma lecture et de ma rdaction. Le fantasme est au singulier parce
quil ne sagit pas des rveries du sujet, des histoires quil se raconte ou raconte son
analyste, il sagit dun rapport qui reste inconscient l il faut suivre dans le dtail les
extraordinaires approches de Lacan pour cerner une exprience inconsciente du
fantasme. Et cest dans ce Sminaire quon rencontre, au moins une fois, et jen ai fait
le titre du chapitre XX, lexpression le fantasme fondamental . Elle y est une fois
et se retrouvera une fois dix ans plus tard quand Lacan laborera sa thorie de la passe
comme fin de lanalyse, la thorie de la passe comme traverse du fantasme.
Je me souviens lpoque avoir pos la question de ce quest exactement ce fantasme
fondamental. Eh bien, cest dans le Sminaire VI, le Sminaire Le dsir et son
interprtation, que le fantasme est prcisment pens au singulier et comme
fondamental, comme un rapport du sujet lobjet tout fait diffrent du rapport de laconnaissance. Dans la connaissance qui se tient au niveau de la ralit, il y a
harmonie, congruence, adaptation du sujet lobjet. La connaissance culmine dans la
contemplation, dans laccord du sujet lobjet. Elle peut mme aboutir la confusion,
la fusion du sujet et de lobjet qui est recherche dans lintuition.
Mais le dsir dont il sagit dans ce Sminaire nest pas homogne la ralit. Le dsir
dont il sagit, cest le dsir inconscient. Donc lobjet du dsir nest pas un lment de
la ralit, comme jusqualors Lacan le traitait, ce nest pas une personne, ce nest pas
une ambition. Lobjet que Lacan appelle ici petit a et quil a inscrit dans le fantasme,
cest prcisment lobjet en tant quil chappe au Nom-du-Pre, en tant quil chappe sa domination et la mtaphore paternelle.
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Cet objet ntait pas inconnu dans la psychanalyse quand Lacan la resitu dans le
fantasme. On lappelait lobjet prgnital et on le trouvait sous la forme orale, anale,
et loccasion on y inscrivait le fantasme. Mais lintrt pris ces objets, lintrt de
jouissance pris ces objets, tait suppos se rsorber au stade dit phallique. Cest ce
que la mtaphore paternelle de Lacan traduisait en faisant merger ce quil appelait lasignification du phallus, dans sa forme linguistique. Ce qui voulait dire que toute
jouissance a la signification phallique quand le dsir est venu maturit, cest--dire
quand le dsir sest enfin plac sous le signifiant du Nom-du-Pre. Cest pourquoi on
peut dire que la fin de lanalyse par le Nom-du-Pre tait lambition de tous les
analystes qui ont cru la maturation du dsir.
Freud dj avait pu constater quil nen tait rien. Il avait pu constater limpuissance
du Nom-du-Pre rsorber toute la jouissance sous son signe. Et ce sont mme ces
restes qui, selon lui, empchaient lanalyse de finir, qui obligeaient la reprendre
priodiquement. Eh bien, dans le Sminaire VI, Lacan prend sur ce point uneorientation qui sera dcisive pour la suite de son enseignement. Cette orientation, je
lnoncerai sous une forme ngative cest un nonc qui est vraiment basique pour
la pratique psychanalytique dorientation lacanienne : il ny pas de maturation, ni de
maturit du dsir comme inconscient. Ce qui pour Freud tait des restes rsorber
dans une tche infinie, sont des lments permanents auxquels le dsir inconscient
reste accroch dans le fantasme. Il sagit dlments ou plutt de substances qui
produisent de la jouissance et qui sont hors la signification du phallus, disons comme
en infraction par rapport la castration. Ce sont des jouissances, des substances
jouissances supplmentaires ; bien plus tard Lacan les appellera des plus-de-jouir ; ils
sont dj ici en train dtre prpars et ils le sont encore plus quand, la fin, le
Sminaire se dirige vers la sublimation, car quand nous parlons des gadgets nouveaux
et de tous ces appareillages, au sens proprement lacanien, ce sont des objets de la
sublimation, ce sont des objets qui sajoutent. Cest a la valeur du terme de plus-de-
jouir que Lacan introduit, cest que dans cette catgorie, on na pas seulement les
objets qui sont perdus par nature du corps, ou par lincidence du symbolique mais qui
viennent du corps ; on a des objets qui rpercutent ces premiers objets sous des
formes diverses. La question tant de savoir si ces objets nouveaux le sont
compltement ou sils sont seulement des formes reprises des objets petit a
primordiaux.
Dsir et pre-version
La consquence quon peut dj tirer du Sminaire VI, je le dirai encore une fois
dune faon ngative, cest quil ny a pas de normalit du dsir, que le dsir
inconscient reste attach, dans le fantasme, des jouissances qui par rapport la
norme, idalise par les psychanalystes, restent intrinsquement perverses, des
jouissances perverses. La perversion nest pas un accident qui surviendrait au dsir.
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Tout dsir est pervers dans la mesure o la jouissance nest jamais la place que
voudrait le soi-disant ordre symbolique.
Et cest pourquoi plus tard Lacan pourra ironiser sur la mtaphore paternelle, en
disant que la mtaphore paternelle est aussi une perversion. Cest une ironie puisque
vous savez quil lcritpre-versionpour signifier une version, un mouvement vers le
pre. Mais a veut dire quelque chose de capital, cette ironie. Cest que le pre ne peut
se confondre avec le Nom-du-Pre, ne peut se rduire un pur signifiant, instaurant
un ordre symbolique total et consistant, parce que si le pre se rduit au Nom-du-Pre,
si le pre joue tre lAutre de lAutre, tre lAutre de la loi, alors il expose sa
descendance au risque de la psychose.
Lironie de Lacan va loin et je termine l-dessus parce que je sais quici vous tes
nombreux travailler avec des sujets psychotiques et que cest aussi le thme du
congrs qui a eu lieu. Lironie de Lacan sur la pre-version donne en fait de la
psychose une thorie inverse de la thorie reste classique. Ce nest pas la forclusion
du Nom-du-Pre qui est le ressort de la psychose, cest au contraire le trop de
prsence du Nom-du-Pre. Il faut que le pre ne se confonde pas avec lAutre de la loi
mais quil ait un dsir accroch et rgul par un fantasme dont lobjet soit loccasion
une jouissance structurellement perdue.
Le Sminaire VI, vous le constaterez, se termine sur la perversion. Il se termine
premirement sur une clinique de la perversion, opposant le voyeurisme et
lexhibitionnisme. Et pourquoi ? Parce que cest dans le passage lacte du voyeuriste
et de lexhibitionniste quon peut voir sincarner les modalits du fantasmeinconscient. Au fond Lacan, pendant tout le Sminaire, nous parle dun fantasme
inconscient dont il ny pas lexprience directe, donc cest une exprience quil
reconstitue ; mais il termine en incarnant la logique du fantasme par le passage
lacte du voyeuriste et de lexhibitionniste. Et cest l quon voit en effet le rapport
dysharmonique, conflictuel du sujet et de lobjet.
Donc le Sminaire se termine par la perversion, dabord par une clinique de la
perversion et ensuite, pour pousser la provocation jusque-l, par un loge de la
perversion au sens commun, et prcisment de lhomosexualit en tant quelle
reprsenterait la rvolte du dsir contre la routine sociale, cest--dire contre le pseudoordre symbolique. Cest donc dune faon tout fait abusive quon a cru pouvoir
classer Lacan, sur la question de lhomosexualit, parmi les ractionnaires. Je crois
que les pages qui sont l publies sont dcisives. Et enfin le Sminaire VI annonce le
Sminaire de Lthique de la psychanalyse qui sous ce titre cherchera articuler le
rapport du dsir et de la jouissance.
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Linterprtation
Je vais conclure ce parcours sur le thme de linterprtation. Le point de dpart du
Sminaire, cest la notion explicite par Lacan dans son crit, que linterprtation du
dsir doit porter sur le rien ; il a donn cela limage clbre du Saint Jean de
Leonard pointant son doigt vers une place vide. Ctait l le point de dpart du
Sminaire. Eh bien, larrive et ce ne sera explicit par Lacan que bien plus tard -,
ce que dira Lacan, cest que linterprtation porte sur lobjet petit a. Linterprtation
ne porte pas sur le rien, elle porte sur lobjet petit a du fantasme, sur la jouissance en
tant quinterdite et dite entre les lignes.
Alors, comment lire le Sminaire VI ? Cest un Sminaire carrefour, cest un bivium,
deux voies taient l ouvertes Lacan. Il est clair quil na pas suivi celle du Nom-du-
Pre, mais quil a suivi celle du dsir, qui la conduit prendre en compte la
jouissance. Pour nous qui le lisons, alors que nous avons une ide du parcours de
Lacan dans son ensemble, nous y voyons comment sy tracent les pistes qui nous ont
conduits notre pratique daujourdhui et aussi bien notre politique.
Merci.
(Applaudissements)
JAM :Je nai pas prcis le thme du congrs, je crois quil reviendra aux instances
de le faire. Il y a dans ce Sminaire de quoi appuyer tous les exposs cliniques que
vous pouvez souhaitez. Il me semble quune veine importante, cest lopposition entre
lordre ferm du pre la mtaphore est toujours un arrt et ce que le dsir aucontraire comporte dirrgulier et de foncirement dplac. Peut-tre quon pourra
mettre cela en valeur dans les faits cliniques.8
Transcription par Dossia Avdelidi.
Texte tabli par Anne Lysy, non revu par lauteur.
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8Dans un change avec le Prsident de sance aprs son expos, J.-A. Miller ajouta ces remarques:
(...) On ne fera pas un congrs sur la perversion, sauf si on lcrit comme Lacan (pre-version). (...)Cest un sminaire dont la clinique est essentiellement celle de la nvrose. (...) On peut explorer la
dtermination du lieu o se placera la fin de lanalyse.