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La coopération décentralisée entre la Communau- té d’agglomération de Castres-Mazamet et la ville de Guédiawaye a démarré fin 2007. Elle s’est déroulée au cours de deux appels à projet triennaux du ministère des Affaires étrangères en 2007-2009 (« outil collabora- tif pour la e-gouvernance et le développement durable de l’agglomération dakaroise »), puis en 2010-2012 (« un outil numérique au service de la gouvernance d’une ville de 400 000 habitants »). Contexte Le SIG : un outil et des objectifs en phase avec la solidarité numérique L’université de Toulouse le Mirail 1 a eu l’idée de rap- procher les deux collectivités dans ce projet de soli- darité numérique, qui correspond parfaitement au sa- voir-faire de Castres-Mazamet développé dans les TIC mais aussi à l’intérêt commun de la Communauté d’ag- glomération et de l’Université d’accompagner la mise en place d’une formation de master « e-administration et solidarité numérique » à Castres. L’objectif est d’apporter un outil d’aide à la décision pour Guédiawaye grâce à la mise en œuvre d’un SIG. Cet objectif a évolué en trois temps au cours du pro- jet. Initialement il s’agissait de centraliser dans un ou- til unique des données cartographiques dispersées, de permette leur superposition, analyse, mise à jour, 1 Université Toulouse Jean Jaurès, actuellement. Mise en œuvre d’un Système d’information géographique (SIG) à Guédiawaye, Sénégal Potentialités et limites d’une expérience de recherche-action Bruno Blaise Communauté d’agglomération de Castres-Mazamet Pour citer cet article : Blaise B., « Mise en œuvre d’un Système d’information géographique (SIG) à Guédiawaye, Sénégal. Potentialités et limites d’une expérience de recherche-action », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Exper- tise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 79-86. etc., pour aider ainsi la collectivité dans l’exercice de ses compétences. Cet objectif large s’est dans un deu- xième temps précisé sur deux axes : le renforcement des capacités financières et l’aide à la structuration des services. Enfin, après un approfondissement de la réflexion avec les services du Cadastre et l’appui de l’Agence de développement municipal (ADM), l’orien- tation de l’outil s’est calée sur l’aide à la gestion des équipements municipaux et l’appui au montage du budget. Trois partenaires complémentaires La ville de Guédiawaye, est une des quatre principales villes de la région de Dakar aux côtés de Rufisque et Pikine. Peuplé de 400 000 habitants, ce petit territoire de 15 km² a une densité de population élevée et des contraintes géographiques fortes une bande littorale au nord et une dépression marécageuse au sud, la Grande Niaye. Les statuts de Guédiawaye se sont enrichis au fil du temps : constituée en commune à partir de 1990, elle est devenue un ville en 1996, découpée en cinq com- munes d’arrondissement, et enfin un département en 2002. Elle dispose ainsi d’un bon niveau d’équipements (stade, espace jeune, espace culturel…) et d’une cer- taine autonomie par rapport aux villes voisines. Cepen- dant les difficultés ne manquent pas : problèmes d’as- sainissement, d’inondation, de collecte des ordures ménagères et de gestion de l’environnement… L’ab- sence de véritable tissu économique, contrairement à

Mise en œuvre d’un Système · en font une ville dortoir avec de faibles recettes fis- ... sir : le foncier ... les peines du monde à assoir une politique municipale

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La coopération décentralisée entre la Communau-té d’agglomération de Castres-Mazamet et la ville de Guédiawaye a démarré fin 2007. Elle s’est déroulée au cours de deux appels à projet triennaux du ministère des Affaires étrangères en 2007-2009 (« outil collabora-tif pour la e-gouvernance et le développement durable de l’agglomération dakaroise »), puis en 2010-2012 (« un outil numérique au service de la gouvernance d’une ville de 400 000 habitants »).

Contexte

Le SIG : un outil et des objectifs en phase avec la solidarité numérique

L’université de Toulouse le Mirail1 a eu l’idée de rap-procher les deux collectivités dans ce projet de soli-darité numérique, qui correspond parfaitement au sa-voir-faire de Castres-Mazamet développé dans les TIC mais aussi à l’intérêt commun de la Communauté d’ag-glomération et de l’Université d’accompagner la mise en place d’une formation de master « e-administration et solidarité numérique » à Castres.

L’objectif est d’apporter un outil d’aide à la décision pour Guédiawaye grâce à la mise en œuvre d’un SIG. Cet objectif a évolué en trois temps au cours du pro-jet. Initialement il s’agissait de centraliser dans un ou-til unique des données cartographiques dispersées, de permette leur superposition, analyse, mise à jour, 1 Université Toulouse Jean Jaurès, actuellement.

Mise en œuvre d’un Système d’information géographique (SIG)à Guédiawaye, SénégalPotentialités et limites d’une expérience de recherche-action

Bruno BlaiseCommunauté d’agglomération de Castres-Mazamet

Pour citer cet article : Blaise B., « Mise en œuvre d’un Système d’information géographique (SIG) à Guédiawaye, Sénégal. Potentialités et limites d’une expérience de recherche-action », in Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Exper-tise, Adirea, 2016, n° 5, Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », p. 79-86.

etc., pour aider ainsi la collectivité dans l’exercice de ses compétences. Cet objectif large s’est dans un deu-xième temps précisé sur deux axes : le renforcement des capacités financières et l’aide à la structuration des services. Enfin, après un approfondissement de la réflexion avec les services du Cadastre et l’appui de l’Agence de développement municipal (ADM), l’orien-tation de l’outil s’est calée sur l’aide à la gestion des équipements municipaux et l’appui au montage du budget.

Trois partenaires complémentaires

La ville de Guédiawaye, est une des quatre principales villes de la région de Dakar aux côtés de Rufisque et Pikine. Peuplé de 400 000 habitants, ce petit territoire de 15 km² a une densité de population élevée et des contraintes géographiques fortes une bande littorale au nord et une dépression marécageuse au sud, la Grande Niaye.

Les statuts de Guédiawaye se sont enrichis au fil du temps : constituée en commune à partir de 1990, elle est devenue un ville en 1996, découpée en cinq com-munes d’arrondissement, et enfin un département en 2002. Elle dispose ainsi d’un bon niveau d’équipements (stade, espace jeune, espace culturel…) et d’une cer-taine autonomie par rapport aux villes voisines. Cepen-dant les difficultés ne manquent pas : problèmes d’as-sainissement, d’inondation, de collecte des ordures ménagères et de gestion de l’environnement… L’ab-sence de véritable tissu économique, contrairement à

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Dakar et Pikine qui bénéficient de la présence du port, en font une ville dortoir avec de faibles recettes fis-cales. Cette caractéristique est renforcée par le recen-sement très incomplet des administrés.

La Communauté d’agglomération de Castres-Mazamet est située à 70 km à l’est de Toulouse. Elle compte seize communes, 85 000 habitants et 260 agents. Créée de-puis une vingtaine d’années, ce projet est sa première expérience de coopération décentralisée. Le Système d’information géographique est rattaché à la direc-tion de l’aménagement et des ressources techniques. Le SIG fournit un appui technique indispensable dans la gestion quotidienne de la Collectivité. Cet outil est aussi un service sur mesure apporté aux communes et à deux intercommunalités voisines de l’agglomération.

L’université de Toulouse le Mirail (UTM) connaît Castres-Mazamet pour avoir travaillé sur des projets communs liés à la cartographie et aux données. Elle est également un interlocuteur de la Communauté sur les questions du développement de l’enseignement supérieur. Ce projet est ainsi à l’origine du soutient au développement d’une formation de master à Castres « e-administration et solidarité numérique ».

Facteurs favorables et défavorables pour le développement d’un SIG au Sénégal

Le Sénégal, et particulièrement la région de Dakar, sont favorables au développement d’un SIG : la gou-

vernance du numérique y est ancienne, avec un taux d’équipement numérique relativement important lié au contexte urbain ; la cartographie numérique et les organismes intéressés ou travaillant déjà avec des SIG sont nombreux et se développent.

D’autres facteurs sont moins favorables. Les SIG de collectivité sont rares et livrés à eux-mêmes. De nom-breuses cartes existent sur l’agglomération mais elles ne sont généralement pas exploitables dans un SIG de collectivité : l’échelle est soit trop petite (document de planification), soit trop grande (documents de génie ci-vil). De plus, l’absence de coordonnées géographiques nécessite un travail spécialisé de géoréférencement des fichiers pour pouvoir les intégrer dans le SIG.

Le SIG : comment et pour quoi faire ?

Les SIG sont des logiciels de cartographie qui asso-cient géographie et informatique (géomatique). Ils permettent la collecte, le stockage, la visualisation, le croisement et l’analyse des données. Ces données spatiales sont superposables car elles disposent d’un même système de coordonnées géographiques. Ces cartes sont dites « intelligentes » car leur contenu est composé de différents objets interrogeables grâce aux données alphanumériques attachées. Dans le cas d’une route par exemple, les informations associées peuvent être la longueur, la nature de revêtement, le nombre de voie, etc.

Localisation de la zone d’étude

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Les SIG constituent ainsi des outils d’aide à la décision qui permettent de mieux connaître le territoire de la collectivité et de s’en faire une vision plus claire. En cela, ils favorisent une meilleure gestion et fournissent des éléments utiles pour la planification et la prise de décisions.

Plusieurs exemples d’applications possibles du SIG dans le quotidien de Guédiawaye peuvent assurer la compétence « amélioration du cadre de vie » :

• conception et l’élaboration d’un plan de développe-ment local ;

• entretien des équipements scolaires, sanitaires, postes de santé, sportifs et socioculturels ;

• désensablement et entretien des rues, places et es-paces verts ;

• gestion des marchés de quartier

• surveillance et entretien de l’éclairage public ;

• réalisation de travaux d’assainissement et d’hygiène ;

• participation à la collecte des ordures ménagères ;

• planification.

Réalisation

Mise en œuvre : l’association indispensable des aspects techniques et humains

La mise en œuvre a fait appel à différents registres.

1. L’organisation de plusieurs ateliers au cours des deux appels à projet : lancement, mi-parcours et bilan.

2. La mise en place d’un partenariat local avec des structures clés qui partagent des intérêts communs avec la collectivité : le cadastre et l’Agence de déve-loppement municipal (ADM).

3. Un travail sur les données pour centraliser les infor-mations existantes et créer des données nouvelles.

4. La Formation et l’accueil de trois stagiaires à Castres et Guédiawaye ; à noter que le SIG a été présenté dans les cinq communes d’arrondissement.

5. Plusieurs missions au Nord comme Sud ont permis d’approfondir les connaissances des contextes, des acteurs et de travailler concrètement au contenu du SIG. À noter plus particulièrement la mission à Castres du maire du Guédiawaye, accompagné du chef du cadastre ainsi que la participation à la mis-sion bilan en décembre 2012 à Guédiawaye de l’élue de Castres-Mazamet en charge de la coopération.

6. Le partage d’expériences par la publication d’ar-ticles, rapports, bilan au cours des cinq années, mais aussi par la présentation de l’expérience de Gué-diawaye au côté d’autres collectivités à l’invitation du réseau eAtlas.

Résultats : l’outil fonctionne avec des premières applications encourageantes

Les résultats consistent en l’élaboration du pôle SIG proprement dit avec l’acquisition des matériels et logi-ciels. Grâce aux données remises par les partenaires, la base du SIG a pu être bâtie autour de la superposition de trois couches : orthophoto, plan d’adressage et par-celles cadastrales. Deux couches prioritaires sont sai-sies : voirie et collecte des déchets. Ces deux couches permettent par exemple des premières analyses spa-tiales par croisement de la nature du revêtement de la voirie (sable, asphalte) et du circuit de collecte des ordures ménagères en tenant compte des dépôts sau-vages. Deux autres couches papier sont prêtes à sai-sir : le foncier disponible sur Guédiawaye et les points bas en lien avec les problèmes d’inondation. Les thé-matiques initialement retenues ont été réduites à une dizaine : économie, santé, espaces publics, administra-tifs, projets, transports, foncier, environnement… cer-

Fonctionnement du SIG

Moyens mis en œuvre et contenu du SIG

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taines thématiques sont avancées (saisie des places de marchés par exemple), pour d’autres, la structure des informations à collecter est prête en vue d’effectuer le travail de collecte à venir.

Une carte de localisation-adressage en format AO a été réalisée et remise officiellement pour chaque com-mune d’arrondissement. Des échanges de données entre les partenaires du projet, notamment l’ADM et le cadastre, permettent d’abonder le travail de chacun comme par exemple la mise en application de la poli-tique nationale d’adressage souhaitée par l’ADM et re-prise par le cadastre pour ses enquêtes.

Le SIG en question…

L’ONG ENDA graf a organisé un atelier d’une vingtaine de personnes dans ses locaux à Grand Yoff-Dakar sur l’apport des SIG dans la gestion de ses programmes. À cette occasion, un échange sur le SIG de Guédiawaye a permis de préciser plusieurs questions.

Questions-réponses : extraits…

Comment pouvez-vous imaginer adapter un outil fait pour Castres-Mazamet avec des réalités très diffé-rentes de celle de Guédiawaye ?

[Guédiawaye] Le SIG nous vient d’une expérience ex-térieure, en l’occurrence Castres-Mazamet qui s’est elle-même inspiré d’autres démarches (ville de Castres, etc.). Pour ce qui nous concerne, nous n’allons pas ignorer cette expérience pour faire autre chose pour le plaisir et risquer de ne pas arriver à atteindre nos objectifs.

[Castres-Mazamet] Il n’est pas question d’adapter un outil fait pour la Communauté d’agglomération au contexte très différent de Guédiawaye. Le SIG est seu-lement une boîte à outil qui se construit à partir des ré-alités locales, des attentes et priorités de Guédiawaye. Mais attention, le SIG n’a d’intérêt que s’il y a derrière des renseignements fiables et une réactualisation qui l’est également. Sinon, l’interrogation du SIG renvoie des informations erronées et il est très vite mis de côté. Il faut donc essayer d’être efficient et réaliste et pour cela se cantonner dans thématiques que l’on est en me-sure de maîtriser. La façon de procéder à Guédiawaye est dont de chercher à maîtriser une thématique avant d’avancer sur une autre.

Guédiawaye s’intéresse à l’économie dans le SIG : comment le secteur informel a-t-il été pris en compte ?

[Guédiawaye] : au niveau de l’économie, aujourd’hui seuls les marchés sont saisis, c’est-à-dire cartographiés et renseignés. Lorsque l’on interroge un marché dans le SIG, les résultats portent sur le nombre de cantines, le nombre d’étals, etc. L’économie a été abordée car les recettes de la collectivité sont très faibles dans ce domaine… Quel que soit le maire de Guédiawaye, s’il n’arrive pas à maîtriser la fiscalité locale il aura toutes

les peines du monde à assoir une politique municipale durable. C’est la raison pour laquelle le renforcement des capacités financières a été abordé avec le cadastre.

La dimension participative ne pourrait-elle pas s’appli-quer au sein de la ville avec ses communes d’arrondis-sement : comment sont-elles impliquées aujourd’hui ?

[Guédiawaye ] : l’implication des communes d’arron-dissement existe déjà. Elles sont conviées à toutes les rencontres organisées : les maires, leurs représentants et même les présidents de commissions chargés des NTIC et de la communication. Les ateliers de démar-rage, de mi parcours et de bilan en sont l’illustration.

Concernant les moyens, Guédiawaye est en relation avec d’autres municipalités comme Pikine ou Dakar : est-ce que la question des moyens ne pourrait-elle pas être résolue par la mutualisation, la mise en réseau ?

[Guédiawaye] Aujourd’hui, la structure qui permet de faciliter cette mutualisation, c’est l’Agence de dévelop-pement municipal (ADM). Il est tout à fait réconfortant d’entendre de la bouche de la directrice technique que Guédiawaye va servir de ville pilote pour l’ADM. Cette dernière est prête aujourd’hui à consacrer des moyens en direction de Guédiawaye pour que cet outil puisse faire véritablement tache d’huile dans l’ensemble des collectivités du Sénégal. Voilà vraiment une manière de mutualiser. Mais chaque chose en son temps et nous parviendrons petit à petit à partager cet outil avec ceux qui le veulent bien. La dimension temporelle est importante dans la mise en place durable d’un SIG. Ceci est particulièrement vrai dans des collectivités locales comme Guédiawaye qui manque de moyens humains, matériels et financiers. C’est donc seulement avec une construction lente mais sûre que l’on va parvenir à avoir un SIG qui réponde aux attentes et aux besoins.

Recherche-Action : retour d’expérience

Quelle articulation entre Guédiawaye et la Communauté d’agglomération Castres-Mazamet ?

Les relations ont toujours été bonnes avec Gué-diawaye, quelles que soient les difficultés sur le projet. Ceci s’explique par la compétence et l’implication du coordonnateur, mais aussi par la motivation des maires successifs. Les différents ateliers réalisés à Guédiawaye ont toujours bénéficié d’une bonne organisation, at-testée par le taux élevé de participation et ont permis des débats toujours de bonne tenue, avec des interlo-cuteurs variés et avisés. L’engouement pour le projet SIG est illustré aussi par la mobilisation des partenaires (cadastre et ADM) et l’embauche d’une technicienne.

Du côté de la Communauté d’agglomération, son im-plication s’est progressivement renforcée par l’envoi matériel, le financement direct de missions ou d’outils de gestion à distance pour le partage du projet, la dési-

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gnation d’une élue référente en 2011 qui a participé au bilan fin 2012.

Pour autant, le développement du projet connaît des faiblesses à plusieurs niveaux. Au-delà des résultats tangibles présentés dans différents instances, en cinq ans, les potentialités du SIG à Guédiawaye laissaient es-pérer davantage de contenu. La principale raison tient à des problèmes d’organisation en générale et de plan de charge pour le coordonnateur sollicité sur de nom-breuses missions. Le départ de ce dernier mi-2012 est un manque à gagner certain, bien qu’il reste intéressé par le projet et a continué de s’impliquer jusqu’à la mis-sion bilan de décembre 2012. Par ailleurs, le profil de la technicienne embauchée en 2011 est inadapté pour le SIG. Elle doit bénéficier d’une formation approfondie tant sur le plan technique que sur celui des applications de l’outil. Ceci explique qu’au-delà de prises de paroles toujours brillantes et motivées à propos du SIG, la mise en œuvre effective de l’outil peine faute de continui-té et de moyens humains dédiés et formés. Au niveau de la Communauté d’agglomération, ce projet est un choix à l’origine plutôt technique dont l’appropriation politique se fait progressivement.

Trois principales leçons ?

« Mieux vaut une réussite solidaire qu’un exploit soli-taire » (une lycéenne citée par Albert Jacquard ).

Le projet a besoin de durée pour se connaître, se faire sa propre expérience, mais aussi pour avoir une rela-tion « naturelle » entre les partenaires.

Il importe ensuite de définir ensemble les objectifs et le rôle de chaque collectivité afin de travailler en com-plémentarité. Il est plus facile par la suite de partager le suivi de la réalisation du programme et l’évaluation des résultats.

Enfin, il faut du « temps passé » pour les personnes chargées du projet. La coopération décentralisée peut être considéré comme « une forme de service public par delà les frontières de la collectivité ». Ce service se matérialise par du temps passé pour assurer le bon dé-roulement du projet, mais aussi la capitalisation, le par-tage et la communication de cette expérience.

Quelle articulation entre l’Université et la Communauté d’agglomération ?

Le partenariat Université-Communauté d’aggloméra-tion est caractérisé à la fois par des complémentarités et des différences.

Les complémentarités existent aussi bien dans les structures que les binômes. Pour rappel, il y avait pour l’Université un binôme formé de Françoise Desbordes et Jean-Jacques Guibbert, avec un apport spécifique sur plusieurs points : connaissance du Sénégal et de Guédiawaye, montage du projet, savoir faire dans l’animation des ateliers, recul théorique TIC-SIG, par-

tage d’expériences au travers d’« eAtlas FAO » réseau de recherche-action sur l’émergence des sociétés de l’information dans leurs rapports aux sociétés et aux territoires.

Du côté Communauté d’agglomération, le binôme est constitué par deux profils complémentaires : une tech-nicienne SIG expérimentée, Véronique Tassa, avec un rôle essentiel sur la méthodologie et le développement de l’outil SIG, et un géographe, Bruno Blaise, dont le profil plus généraliste a fait l’interface entre la vision « techniquo-pratique » de la Collectivité et l’approche « recherche-action » de l’Université. Les apports spé-cifiques de la Communauté d’agglomération sont l’accueil de plusieurs missions dont une délégation à Castres, l’accueil de trois stagiaires, la formation, la méthodologie et le soutien technique SIG, le suivi ad-ministratif et financier et la formalisation du projet…

Les différences peuvent être regroupées en trois prin-cipaux domaines, mais restent un exercice théorique à relativiser.

L’approche de la Communauté d’agglomération re-cherche le pragmatisme, avec une concentration sur l’outil SIG. L’obtention de résultats tangibles sur l’outil est la priorité qui pourrait se résumer ainsi : « le SIG a du contenu et fonctionne donc la coopération est utile ». Face à cela, l’approche « recherche-action » de l’Univer-sité n’est pas antinomique mais parfois en décalage. En effet, la recherche-action suppose une part théorique avec un langage, des concepts. Cette prise de recul, peut être aussi être perçue comme une « divagation » éloignée de la cible du projet... et qui à tendance par-fois à compliquer ce qui paraissait simple au départ. La volonté d’expérimentation issue de la recherche-ac-tion, telle que la création d’applications sur téléphone portable ou la sollicitions de radio locale par exemple, ont alimenté le décalage. Enfin, la finalité des travaux pour l’Université est autant dans l’observation, l’ana-lyse, le partage d’expériences et la publication... De ce point de vue, une publication intéressante qui conclut à l’absence de résultat du projet est tout de même un résultat positif.

En définitive, la complémentarité des approches entre Université et Communauté d’agglomération a consti-tué un atout. L’Université a favorisé la réflexion sur le déroulement du projet et donné l’opportunité de valo-riser cette expérimentation au sein du réseau eAtlas. Ces échanges avec d’autres collectivités ont créé une ouverture et favorisé d’autres occasions de valorisa-tion. La Collectivité a apporté des attentes concrètes, un souci de pragmatisme et de résultats. Avec le recul, les décalages de point de vue au cours du projet au-raient pu être facilement évitées par une phase initiale d’explicitation des attentes de chaque structure.

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Bilan : gains et difficultés

Performance des résultats ou marge de progression ?

L’appréciation du bilan doit tenir en compte du niveau de départ de la coopération qui se caractérise par deux « premières » : une première expérience de coopéra-tion pour la Communauté d’agglomération mais aussi un premier contact avec l’Afrique et le Sénégal pour les deux personnes chargées du projet à la Communauté d’agglomération. Ceci implique une inévitable phase d’apprentissage des caractéristiques de l’action inter-nationale des collectivités territoriales, de la culture sénégalaise et des réalités du terrain en Afrique qui en-traîne des adaptations successives.

Pour ces raisons, il est important d’évaluer les diffé-rents aspects de la coopération et l’amplitude de la progression depuis le niveau de départ plutôt que la seule performance des résultats du SIG.

Ce qui à bien fonctionné

Le SIG est un outil en phase avec les besoins et les at-tentes de Guédiawaye : simple d’utilisation, efficace et peu coûteux, le logiciel Minivue a facilité le démarrage et la progression du projet sur des bases concrètes. Dans le même esprit, le travail avec les partenaires lo-caux de Guédiawaye a permis d’être en phase avec les besoins réels de la collectivité en ajustant les objectifs. L’organisation de plusieurs ateliers à Guédiawaye a été bénéfique ; l’expérience de l’Université à cet égard a été profitable. La continuité s’est traduite dans la vo-lonté des trois maires successifs de développer le SIG,

ainsi que par la réalisation successive des deux appels à projet triennaux et le souhait de la Communauté d’ag-glomération et de ses partenaires de poursuive la coo-pération après 2012. La formalisation du travail et des missions a contribué à rendre plus concrète la coopé-ration décentralisée et lui donner plus de visibilité en fournissant des supports communication.

Eléments de transfert

Sur le plan des moyens humains, une technicienne dé-diée au SIG a été embauchée en 2011.

Au niveau du partenariat, la coopération a favorisé le décloisement des relations entre le cadastre, l’Agence de développement municipal et Guédiawaye grâce à une meilleure connaissance mutuelle. Un contact est établi avec le PCIT de Dakar dont les représentants sont venus au bilan du projet en décembre 2012 à Guédiawaye.

Guédiawaye bénéficie d’une certaine notoriété dans le domaine du SIG. Le projet aura permis la capitalisation et le partage d’expériences à de nombreuses reprises : gouvernement des Canaries, ministère du Logement, Réseau eAtlas lors des rencontres Bamako et Cotonou, présentations à Africités 2012 et dans plusieurs atelier en France.

Sur le plan des moyens matériels, logiciels et forma-tion, l’Association française de développement a versé une subvention de 33 000 € pour le SIG de Guédiawaye en janvier 2013, par l’intermédiaire de l’ADM comme annoncé courant 2012.

L’orientation du SIG est aujourd’hui mieux définie : un outil d’aide à la gestion des équipements municipaux et d’aide au montage du budget. Ceci implique de ne

pas chercher à tout faire soi-même et d’utiliser le travail de structures spé-cialisées comme l’ADM ou le Centre de suivi éco-logique sur des questions complexes comme les inondations par exemple, et simplement intégrer les résultats dans le SIG pour les croiser avec d’autres thématiques.

Difficultés

Les potentialités et les besoins à Guédiawaye laissaient espérer plus de résultats au niveau SIG. Au moment du bilan fin 2012, une déconnexion gran-dissante entre la commu-nication du projet et son

Activités en lien avec la construction de l’outil

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développement concret à Guédiawaye est constatée. Sans négliger les aspects positifs, les questions étaient alors : faut-il poursuivre ? Si oui, que faut-il améliorer prioritairement ?

Le SIG de Guédiawaye a un temps d’avance sur son environnement comme l’illustrent trois exemples. Le cadastre au Sénégal est en cours de modernisa-tion complète sur le modèle du cadastre français, ce qui va prendre plusieurs années. Ensuite, l’Agence de développement municipal, qui dispose d’une banque de données urbaines conséquente, est en train seu-lement d’élaborer sont SIG. Pour cela, le responsable SIG, expérimenté et compétent, s’est formé pendant plusieurs semaines au logiciel ArcGIS. Enfin, le SIG Gué-diawaye se met en place dans un environnement où tout est à construire : les données sont inexistantes dans la collectivité, des procédures sont à créer pour faire remonter les informations vers le SIG, les données externes doivent être retravaillées…

Conclusion

En définitive, le SIG constitue un outil opérationnel entre les mains de la collectivité. Il faut à présent une équipe dédiée, formée et stable avec un travail en continu. Ce projet, inédit pour une collectivité sénéga-laise, s’appuie à présent sur une expérience de cinq ans avec de bons atouts pour se développer efficacement.

« À la différence d’un projet informatique délimité dans le temps, un SIG ne s’arrête pas, il se développe. »

Début 2013, des changements importants sont interve-nus. Le maire de Guédiawaye s’est engagé à renforcer SIG avec la nomination d’un nouveau coordonnateur, l’embauche de deux personnes à temps partiel sur le SIG et la désignation d’un référent élu, vice-président en charge du PCIT à la région de Dakar.

L’AFD a bien versé la subvention de 33 000 € en logi-ciels, matériels et formation.

De son côté, la Communauté d’agglomération a sou-haité poursuivre la coopération par le dépôt d’un nou-vel appel à projet 2013-2015 auprès du ministère fran-çais des Affaires étrangère fin mars 2013, avec pour intitulé : « Professionnalisation du SIG de Guédiawaye ». Ce troisième appel à projet officialise le partenariat avec l’ADM à Dakar et fait une large place à l’organisa-tion du pôle SIG à Guédiawaye, l’animation du projet et le suivi-évaluation des résultats. Il s’organise autour de six axes de travail.

1. Structurer et développer le pôle SIG : sécurisation des équipements, créations de procédures, dévelop-pement de bases de données, production cartogra-phique, formation aux logiciels…

2. Piloter et animer le projet : régularité du suivi, éva-luation du travail en continu… avec le volontaire de solidarité internationale, le groupe projet et le comi-té de direction.

3. Ancrer le partenariat local : poursuivre le travail avec l’ADM et le cadastre, ouvrir le réseau des fournis-seurs de données externes, mais également avec l’Université, le Conseil régional pour Plan climat de Dakar…

4. Former à l’utilisation et promouvoir l’intérêt du SIG : au-delà du savoir faire technique sur les logiciels, une formation à l’utilisation de la cartographie est indis-pensable pour les techniciens, les services et les élus de Guédiawaye afin de promouvoir l’intérêt du SIG.

5. Généraliser l’expérience à d’autres collectivités : il s’agit pour Guédiawaye de jouer effectivement le rôle de «ville pilote» pressenti par l’Agence de déve-loppement municipal afin de promouvoir l’utilisation de ce type d’outil.

6. Mettre à disposition un volontaire de solida-rité internationale : son rôle sera de renforcer la coordination et le sou-tien au projet. Indispen-sable d’avoir quelqu’un sur place.

Guédiawaye vue depuis les jardins de la mairie

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Bruno BLAISE a soutenu DEA de géographie et d’aménagement des montagnes, à l’Institut de géographie Alpine de Grenoble. Il est ingénieur territorial à la Communauté d’agglomération de Castres-Mazamet et chargé de mission, responsable de l’observatoire économique et social.Son expérience porte à la fois sur la connaissance des données, le traitement et l’analyse pour la connaissance du territoire. L’observatoire travaille en lien avec les besoins de la collectivité et en binôme sur le SCoT du Pays d’Autan. En complément, il est chef de projet pour la coopération décentralisée et travaille avec Véronique Tassa, responsable du SIG de la Communauté.L’activité d’information est transversale à ces deux centres d’intérêt et se traduit dans différentes dimensions : organisation et gestion, édition, prestation, participation et communication.

Contact : [email protected]

Cette publication émane de l’Atelier de dialogue « TIC et gouvernement des villes : quelles articulations entre chercheurs, ex-perts et acteurs associatifs ? » organisé le 17 mai 2013 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès, et le LaSSP, Sciences Po Toulouse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ainsi que de l’Atelier thématique franco-mexicain « Villes intelligentes et inno-vations “par le bas” » organisé les 9-11 décembre 2015 par le LISST Cieu, Université Toulouse Jean Jaurès et la UAM Cuajimalpa de l’Université autonome métropolitaine, Mexico.

Ces ateliers ainsi que la présente publication ont bénéficié du soutien financier et éditorial de la Maison des sciences de l’homme de Toulouse (MSHS-T) ainsi que de la Maison universitaire franco-mexicaine.

Directeur de la publication : Jean-Jacques Guibbert.

Éditeurs du cahier n°5 : Emmanuel Eveno, Jean-Jacques Guibbert.

Conception graphique et secrétariat d’édition : Jean-Yves Le Talec.

Couverture : Benoît Colas (UTM/CPRS – UMS 838), photo DR.

Pour citer ce document : Eveno E. et Guibbert J.-J. (dir.), « Villes intelligentes “par le bas”. Entre chercheurs, experts et acteurs associatifs », Les Cahiers des Ateliers de dialogue Recherche-Action-Expertise Adirea 2016, n° 5.