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JUIN 2016 - N° 326 - L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE 29 Sommaire Savoir Alors que 81 % des Français souhaiteraient passer leurs derniers instants chez eux, la prise en charge d’une fin de vie à domicile nécessite des conditions rigoureuses. Si, pour les soignants, cet accompagnement n’est pas impossible à domicile, l’intervention d’une structure de soins palliatifs est un apport indéniable pour tous. Savoir faire L’accompagnement joue un rôle majeur en situation de fin de vie, pour le patient et pour son entourage. Dans un tel contexte, l’infirmière doit comprendre ce que vit le patient pour pouvoir l’aider. Savoir plus CAHIER RÉDIGÉ PAR T HIERRY PENNABLE L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts. SOINS D’URGENCE Le choc anaphylactique . . . . . . . . . . . . . p.40 PÉDIATRIE Les diarrhées aiguës des nourrissons . . . . . . . . p.42 Quiz Quiz 1. Alors que 81% des Français souhaiteraient finir leur vie chez eux, combien décèdent réellement à domicile ? a. Un quart. b. Un tiers. c. La moitié. 2. Sur quels critères peut reposer le diagnostic de fin de vie ? a. La constatation d’une altération irréversible d’une fonction vitale. b. L’évolution inexorable d’une maladie fatale malgré les traitements mis en œuvre. c. L’observation et l’examen clinique qui ne trompent guère un médecin expérimenté. 3. Le déni d’un patient vis-à-vis de son état de santé est un mécanisme de défense qui : a. permet au patient de se protéger face à une angoisse insupportable ; b. aide parfois le patient à continuer à vivre et à faire des projets ; c. doit être respecté par le soignant sans être cautionné ; d. est systématiquement suivi d’une phase de révolte. Réponses du quiz : 1- a ; 2 - a, b, c ; 3 - a, b, c LE POINT SUR DOSSIER Accompagner la fin de vie à domicile Cahier de formation n° 91 © Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016

Mise en page 1 · 2016. 6. 6. · a. La constatation d’une altération irréversible d’une fonction vitale. b. L’évolution inexorable d’une maladie fatale malgré l est ra

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JUIN 2016 - N° 326 - L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE 29

Sommaire

SavoirAlors que 81% des Français souhaiteraientpasser leurs derniers instants chez eux, la prise en charge d’une fin de vie à domicile nécessite des conditions rigoureuses. Si, pour les soignants, cet accompagnement n’est pas impossible à domicile, l’intervention d’une structure de soinspalliatifs est un apport indéniable pour tous.

Savoir faireL’accompagnement joue un rôle majeur en situation de fin de vie, pour le patient et pour son entourage.Dans un tel contexte, l’infirmière doit comprendre ce que vit le patient pour pouvoir l’aider.

Savoir plusCAHIER RÉDIGÉ PAR THIERRY PENNABLEL’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

SOINS D’URGENCE Le choc anaphylactique . . . . . . . . . . . . . p.40PÉDIATRIE Les diarrhées aiguës des nourrissons . . . . . . . . p.42

Quiz

Quiz1. Alors que 81% des Françaissouhaiteraient finir leur vie chez eux, combien décèdentréellement à domicile?

a. Un quart.b. Un tiers.c. La moitié.

2. Sur quels critères peut reposer le diagnostic de fin de vie?

a. La constatation d’une altérationirréversible d’une fonction vitale.b. L’évolution inexorable d’une maladie fatale malgré les traitements mis en œuvre.c. L’observation et l’examen cliniquequi ne trompent guère un médecinexpérimenté.

3. Le déni d’un patient vis-à-vis de son état de santé est un mécanisme de défense qui :

a. permet au patient de se protégerface à une angoisse insupportable ;b. aide parfois le patient à continuer à vivre et à faire des projets ;c. doit être respecté par le soignantsans être cautionné;d. est systématiquement suivi d’une phase de révolte.

Réponses du quiz : 1- a ; 2 - a, b, c ; 3 - a, b, c

LE POINT SUR

DOSSIER

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LA FIN DE VIE Une notion modernePar le passé, l’expression “fin de vie”correspondait au stade de la vieillesse,avec ses premières complicationspathologiques susceptibles d’entraî-ner rapidement le décès. La fin de vieétait aussi, au moment de l’agonie, lemoment où les représentants religieuxétaient appelés afin que le mourantse prépare à la mort. Depuis lesannées 1960-1970, avec le dévelop-pement de la médecine moderne, lafin de vie désigne un état de santécaractérisé face auquel les pratiquessoignantes doivent être adaptées.Cette nouvelle approche de la fin devie apparaît en lien avec la reconnais-sance des méfaits des excès tech-niques (“acharnement thérapeutique”)et les premières expériences de soinspalliatifs, par exemple à la MaisonJeanne-Garnier (Paris) à la fin desannées cinquante.

Des situations nouvellesLes progrès de la médecine et plusparticulièrement de la réanimationont engendré des situations nouvellesen maintenant en vie des patients quin’auraient pas survécu auparavant,y compris lorsque le cerveau est défi-nitivement détruit (comas plus oumoins profonds, paralysies plus oumoins étendues, états végétatifs chro-niques...). Des situations qui vontaboutir ou non au décès du patientdans des délais désormais très varia-bles. Et dans lesquelles, une fois une

réanimation engagée, la décision d’in-terrompre les traitements était trèsdifficile à prendre avant les lois Kouch-ner (2002) et Leonetti (2005) relativesaux droits des malades. La loi Leonettine définit pas la fin de vie mais s’ap-puie sur la notion de « phase avancéeou terminale d’une affection grave etincurable » pour développer des pra-tiques soignantes palliatives. Par lasuite, des expressions comme “phaseultime” ou “phase terminale” ont étéemployées par les spécialistes pourévoquer la toute fin de vie, au seinde laquelle peuvent encore être dis-tinguées les phases “pré-agoniques”et “agoniques”.

LE PATIENT EN FIN DE VIE Une situation incertaine« Sans prendre cela pour une plaisan-terie, il faut bien reconnaître que c’estune fois que le malade est décédéqu’on peut dire,a posteriori, qu’il étaiten fin de vie... », écrivait en mai 1998le Dr Jacques Girardier, responsabled’une unité de soins palliatifs (USP)(1).Rappelant que « dans tous les cas,cette affirmation est chargée d’incer-titude », tant le moment du décès resteimprévisible, « soit par sa précocitéque rien ne laissait prévoir, soit aucontraire par le temps interminablequi précède sa survenue ».

Le diagnostic de fin de vieIl implique autant la compétencemédicale que l’expérience du méde-cin qui le pose. Il repose sur :

Ú la constatation d’une altérationirréversible d’une fonction vitale ;Ú l’évolution inexorable d’une mala-die fatale malgré les traitements misen œuvre;Ú l’observation et l’examen cliniquequi ne trompent guère un médecinexpérimenté.Malgré la compétence et l’expériencedu médecin, « ce diagnostic n’est pastoujours exact et les erreurs ne sontpas rares, souligne le Dr JacquesGirardier. Pour preuve, les maladesqui ont séjourné en USP, qui sont sor-tis et sont toujours en vie. » Les USPétant considérées comme le recoursle plus spécialisé pour prendre encharge une fin de vie.

Les éléments du diagnostic Ils reposent à la fois sur la (les) mala-die(s) en cause et leur stade d’avan-cement, mis en balance avec les pos-sibilités de la médecine curative. C’estsurtout sur ce dernier point que lespositions des uns et des autres diver-gent entre la poursuite des traitementspossibles mais jugés inutiles (voiredélétères) pour le patient ou leur arrêt.

nLes symptômes de la maladieIls sont une composante importantede la souffrance du patient jusqu’àdevenir insupportables pour lemalade et son entourage, et parfoispour l’équipe soignante. Ce qui peutavoir des répercussions sur les choixthérapeutiques.

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SavoirLes évolutions de la médecine permettent de maintenir en vie des patients en situationavancée malgré la ou les maladies. Ces patients sont alors en droit d’attendre que la médecine les accompagne jusqu’au bout en assurant la meilleure qualité de vie possible.En considérant les derniers jours de la vie comme des jours de vie.

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(ONFV) met en lumière les différentesreprésentations du domicile. Considérécomme le lieu de l’identité, le “chezsoi” est associé à une fin de vie moins“déshumanisée” qu’à l’hôpital. Ledomicile est aussi le lieu des habitudes,“l’habitation” où l’on vit de façon dura-ble, et d’une forme de stabilité dansl’existence, la “demeure”. Ainsi le main-tien à domicile permet l’espoir de pou-voir préserver le plus possible seshabitudes de vie malgré les effets dela maladie. À l’inverse, l’hospitalisationporte l’idée d’une rupture du coursde la vie. Le domicile est encore le lieude la sécurité, le “refuge”. Il donnel’espoir de pouvoir mieux lutter faceà l’évolution de la maladie.

nLes lieux de fin de vie/de décès«Alors que 81% des Français souhai-teraient passer leurs derniers instantschez eux, seuls 25,5% des décès sur-viennent à domicile », rappelle le rap-port de l’ONFV, ajoutant qu’il convient

de distinguer les souhaits de “finir savie chez soi” et ceux de “mourir àdomicile”. Ce qui n’est pas toujourséquivalent, d’autant qu’en pratique,des allers-retours entre le domicile etl’hôpital surviennent à l’approche dudécès. Ainsi, la proportion de per-sonnes hospitalisées passe de 30% à63,8% au cours du dernier mois devie. Seul un tiers des personnes quivivait à son domicile un mois avantson décès y meurt effectivement (2).Dans cette période, le départ de l’hô-pital pour un retour à domicile estbeaucoup plus rare et ne concerneque 2% des cas de décès. La présencede l’entourage est alors un facteuressentiel: 99% des personnes trans-férées de l’hôpital vers le domicilebénéficient d’un entourage familial.

Des souhaits fluctuantsLes souhaits concernant le lieu de lafin de vie peuvent évoluer au fur età mesure que la maladie progresse.Une étude récente menée auprès de380 patients montre que 10% d’entreeux ont changé de préférence concer-nant le lieu de fin de vie, en passantdu domicile à l’hôpital (2). De fait, lessouhaits exprimés a priori, lorsquela personne est encore en bonnesanté, doivent être accueillis avecprudence. Ils reposent plus souventsur des projections que sur une expé-rience personnelle et peuvent évoluersignificativement lorsque la personneest atteinte d’une maladie grave.

nLe parcours de soinL’analyse du parcours médical dupatient est capitale à ce stade. Lemédecin doit connaître la date dudiagnostic et le temps écoulé depuis,les différentes séquences thérapeu-tiques mises en œuvre et leurs effets.Ce qui nécessite de disposer de dos-siers médicaux bien tenus.

nL’atteinte de l’intégrité du corpsAmaigrissement, cachexie, mutila-tions successives, handicaps et atteintede l’image corporelle peuvent donnerau malade un aspect difficile à regar-der, parfois jugé repoussant, ce dontil se rend bien compte.

nL’atteinte de l’état général L’amaigrissement, la perte de force etsurtout la fatigue entraînent la dimi-nution progressive des capacités à exé-cuter tout ce qui représentait la viepour le patient. Cette incapacité à agirest « la plus grande source de souffrance,explique le Dr Girardier, puisqu’elle vaentraîner de multiples pertes: du rôlesocial et familial et de la capacité de faireencore des projets. Et tous les maladesla ressentent ». Cette incapacité entraîneune extrême lassitude.

LA FIN DE VIE EN FRANCELe choix du domicilenLe lieu de vie privilégiéDans son rapport publié en 2013(2),l’Observatoire national de la fin de vie

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Accompagner la fin de vie à domicile

Principales causes de décès à domicile➜Cancers : plus d’un quart des décès par cancer survenait à domicile en1990 contre 17,7% d’entre eux en 2010.➜Maladies cardiovasculaires : environ 30% en 2010.➜Maladies du système nerveux (Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques,etc.) : ces pathologies ont largement progressé, mais elles ne représententaujourd’hui que 6,5% des décès à domicile. Source : Observatoire national de la fin de vie, “Vivre la fin de vie chez soi”, p.14, 2013.

Évolution des lieux de décès en France➜La proportion de décès à domicile a sensiblement diminué au cours desvingt dernières années, passant de 28,6% de l’ensemble des décès en 1990à 25,5% en 2009. ➜La part des décès survenant à l’hôpital (établissements publics et privés)est restée parfaitement stable durant cette période (57,5% des décès).➜La part des décès en maison de retraite est passée de 8% des décès en1990 à 11,6% en 2010. Source : Observatoire national de la fin de vie, “Vivre la fin de vie chez soi”, p.13, 2013.

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Des obstacles au maintienà domicile(3)

nLa complexité des soinsLorsque les préférences des personnesen fin de vie sont connues du médecin,plus de la moitié d’entre elles (environ55%) souhaiteraient décéder à domi-cile, mais seules 69% verront leur vœuse réaliser car 25% finiront leurs joursà l’hôpital et 6% en maison de retraite.Parmi les raisons qui l’expliquent:Ú la complexité des soins qui rend lemaintien à domicile impossible etimpose un transfert vers l’hôpitaldans 76% des cas; Ú l’opposition des proches au maintienà domicile (souvent en lien avec la com-plexité des soins) dans 16% des cas.

nLa volonté de la familleLorsque les souhaits du patient diffè-rent de ceux de la famille, le choix dela famille est largement privilégié (82%des cas). Quand le médecin ne connaîtpas la volonté du patient à cause deson état de santé (inconscience, séda-tion) ou de son état mental (confusion,démence), la famille opte le plus sou-vent pour une prise en charge en ins-titution: l’hôpital pour 55% des familleset la maison de retraite pour 31%.

LA PRISE EN CHARGEL’adaptation des pratiquessoignantes Le stade de la fin de vie marque lasortie des thérapeutiques intensivesà visée curative désormais inutiles aupatient qui n’en subirait plus que lesinconvénients. Elles privilégient un“prendre soin” qui a pour objectif dedonner au patient la possibilité de vivredignement cette ultime étape, jusqu’àla mort considérée comme faisant par-tie de la vie. La fin de vie est aussi unepériode où le patient peut faire deschoix sur la façon de vivre le tempsqui lui reste et sur les thérapeutiquesenvisageables. Cette conception de lafin de vie est à l’origine du dévelop-pement des soins palliatifs.

Les soins palliatifs« Le soutien d’une équipe de soins pal-liatifs permet de mieux répondre auxattentes du patient en fin de vie et deson entourage, tant du point de vuede l’accompagnement que d’un pointde vue médical et thérapeutique. Laprise en charge est beaucoup plus dif-ficile pour l’infirmière en l’absenced’une plateforme de type EMSP [équipemobile de soins palliatifs] ou réseaude soins palliatifs à domicile », observeBrigitte Lecointre, infirmière libéraleà Nice (Alpes-Maritimes), présidentede l’Association nationale françaisedes infirmières et infirmiers diplôméset étudiants (Anfiide) et par ailleursmembre de notre comité scientifique.

nDes soins adaptésLes soins palliatifs sont associés à lafin de vie car ils « visent à soulager ladouleur, à apaiser la souffrance psy-chique, à sauvegarder la dignité de lapersonne malade et à soutenir sonentourage », selon la loi du 9 juin 1999(3),qui ajoute que le recours aux soins pal-liatifs et à un accompagnement est undroit pour « toute personne maladedont l’état le requiert ». Les soins pal-liatifs ne devraient pas se limiter à latoute fin de vie, pourtant les équipesde soins palliatifs sont souvent sollicitéestardivement dans la prise en charge.

nDes demandes tardives«Même si les mentalités évoluent, lesréseaux et les équipes mobiles de soinspalliatifs peuvent encore être appeléstardivement, à quelques jours ou heuresdu décès. Parfois en catastrophe pourun patient somnolent, voire comateux,une dyspnée avec encombrementbronchique, ou lorsqu’il n’y a plus decommunication possible avec lepatient », constate Frédérique Lacour,cadre de santé, coordinatrice du réseauQuiétude à Paris. Elle relève trois typesde situations en cause: Ú lorsque le médecin traitant découvrela situation avancée d’un patient qu’il

n’a pas vu depuis longtemps oulorsque c’est un nouveau médecingénéraliste qui rencontre le patient,un médecin remplaçant par exemple;Ú lorsqu’une détérioration brutalesurvient sur un état de santé relati-vement stable jusqu’alors, par exem-ple en cas d’infection;Ú lorsque l’équipe mobile a été contac-tée par le médecin traitant pour unesituation stable, mais que la familleestime qu’il est trop tôt pour les soinspalliatifs, ne souhaitant les solliciterque lorsqu’un transfert en USP s’im-posera. « Il est alors utile de préciserque si le patient va trop mal, il ne seraplus transportable. Ce n’est pas tou-jours facile à mettre en place », avertitFrédérique Lacour.

nEn situation d’urgence◗Le traitement des symptômesinconfortables

C’est la priorité. Le médecin coordon-nateur du réseau ou de l’EMSP contactepar téléphone ou rencontre à domicilele médecin traitant et ils se mettentd’accord sur les prescriptions à rédiger.La prise en charge de symptômescomme un encombrement bronchiqueou une douleur est un soulagementpour le patient et pour la famille.

◗L’organisation du domicile Viennent ensuite les questions de l’or-ganisation des soins. Y a-t-il des aides?Lesquelles? Sachant qu’il est difficilede mobiliser en urgence un service desoins infirmiers à domicile (Ssiad) ouun service d’hospitalisation à domicile(HAD). Certains aidants, quoique sur-pris par la rapidité de l’évolution de lasituation, restent mobilisés pour garderleur proche au domicile et ne deman-dent pas ou ne souhaitent pas d’aidesupplémentaire. D’autres sont déjàsoutenus par une infirmière libérale,un Ssiad ou une HAD. « Il faut néan-moins souvent renforcer les interven-tions des auxiliaires de vie pour la jour-née et parfois pour la nuit », remarquela cadre de santé du réseau Quiétude.

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globale n’est pas scientifique et reposesur le ressenti de l’équipe au vu del’état du patient, de l’état des familleset de l’organisation du domicile », notela cadre de santé. En présence d’en-fants en bas âge par exemple, oulorsque la famille est épuisée, ilconvient de s’enquérir de la possibilitéd’une hospitalisation en USP. Lorsquecelle-ci est possible, le patient, s’ilest encore en capacité d’exprimerune volonté, et/ou la famille, en sontinformés. « Il arrive que les familles

choisissent alors de garder leur procheà domicile parce qu’il reste peu detemps, alors qu’ils avaient auparavantpensé à une hospitalisation. Les chan-gements de souhaits pouvant se fairedans les deux sens », indique Frédé-rique Lacour.<(1) “Le malade en fin de vie. L’évaluation en question”, DocteurJacques Girardier, médecin chef d’établissement, unité de soinspalliatifs La Mirandière de Quétigny (Côte-d’Or), mai 1998. À retrouver sur www.usp-lamirandiere.com(2) “Vivre la fin de sa vie chez soi”, Observatoire national de lafin de vie, mars 2013. (3) D’après “Mourir chez soi : un souhait majoritaire mais unesituation peu fréquente”, Populations et Sociétés, n°524, juillet-août 2015.

◗Prévoir une hospitalisation« En situation d’urgence, une fois lessymptômes traités, deux questionsse posent. Quel délai reste-t-il à vivreau patient? Ce qui est toujours uneincertitude très difficile à prévoir. Etle patient serait-il transportable sibesoin ? », explique FrédériqueLacour. C’est alors le médecin coor-donnateur qui évalue la situation etfait des propositions au médecin trai-tant, toujours en charge des prescrip-tions. « Cette évaluation de la situation

Accompagner la fin de vie à domicile

Savoir faireLes patients et les familles expriment une double attente envers les soignants prenant encharge une fin de vie. D’une part, une attitude relationnelle, un accompagnement “humain”;d’autre part, une efficacité technique et une connaissance du soin. Dans ce cahier, nousdévelopperons en particulier le premier aspect: les exigences en termes de savoir-être.

Accompagner un patient en fin de vie

Mme V. a promis à son mari de legarder à la maison jusqu’à sa mort.M. V., 51 ans, est en phase terminaleavancée d’un cancer du poumon et refuse d’aller dans une unité desoins palliatifs, comme l’a suggéréson médecin traitant. La proposition d’hospitalisation lui a été faite après une discussionavec l’équipe des soins palliatifs.Tous les autres traitementspossibles ont été utilisés: seule unesédation a priori temporaire pourrasoulager son mari de son angoisse.De surcroît, Mme V. est épuisée et ses jeunes enfants ont besoin de son soutien dans cette épreuve.Si elle le souhaite, vous pouvez enreparler ensemble avec le médecin.

LES SOINSD’ACCOMPAGNEMENTLa notiond’accompagnementAccompagner, c’est être avec, à côté,agir individuellement et collective-ment dans un projet de soins pourconserver chez la personne maladetoute son humanité avec ce que celacomporte de désir, de relation, devolonté et de droit (1). L’accompagne-ment s’effectue dans le cadre d’unerencontre singulière entre l’infir-mière et le patient. Il englobe lesfonctions d’apaisement, de compen-sation, de stimulation et d’entretiende la vie, de confortation et des soinsde l’estime de soi. Tout au long de

la relation, les fonctions d’accom-pagnement sont comprises dans laprise en charge globale de la per-sonne soignée, dans ses dimensionsphysiologiques, mais aussi psycho-logiques, sociales et spirituelles.

L’accompagnement de l’entourageDans un contexte de fin de vie, l’ac-compagnement concerne égalementl’entourage familial du patient. « L’in-firmière doit prendre en compte l’en-tourage mais ne peut associer ni dis-socier l’accompagnement du patientet celui des proches, remarque Bri-gitte Lecointre, infirmière libérale àNice (Alpes-Maritimes), présidentede l’Association nationale françaisedes infirmières et infirmiers diplôméset étudiants (Anfiide) et par ailleursmembre de notre comité scientifique.Les demandes et les souhaits des unset des autres ne sont pas toujours

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patient n’est pas prêt à les entendre.Le déni aide parfois à continuer àvivre, à avoir des projets. C’est uneprotection contre l’angoisse de mort.Le soignant doit respecter ce méca-nisme de défense, sans pour autantle cautionner. Il s’agit alors d’établirou de maintenir une relation d’aidequi permette à la personne de sesentir acceptée telle qu’elle est.

nLa révolte ◗Des sentiments de colère et d’injustice

Au fur et à mesure que son état sedégrade, la personne se rend compteque le déni ne sert à rien. Elle entrealors dans une phase de révolte quise manifeste par des sentiments decolère, de rage et d’injustice (« Pour-quoi moi, je n’ai pas mérité ça ! »).Cette colère peut alors se retournercontre tout le monde, contre ceuxqui sont présents, souvent les soi-gnants, mais aussi contre Dieu, lavie ou le destin. Cette irritabilitétémoigne d’une grande anxiété. Sou-vent, la personne ne se reconnaîtpas elle-même et s’en veut de s’enprendre à ceux qui tentent de l’aider.

◗Que faire?Face à cette révolte, il s’agit de recon-naître que les choses sont difficileset que les réactions du patient sontcompréhensibles. Les soignants rap-pellent qu’ils sont là pour aider etpour comprendre et non pour juger.Ils le démontrent par des actesconcrets en se préoccupant de cequi peut atténuer l’irritabilité dupatient, notamment les éléments deconfort : soins d’hygiène, prise encharge de la douleur, des odeurs,prendre un temps pour parler avecle patient de ce qui le préoccupe...Le soignant peut aider le patient ànommer ce qui le perturbe par desquestions aussi simples que :« Qu’est-ce qui vous met en colèreces temps-ci? » La colère du patientdoit également être prise comme un

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identiques, voire totalement différents,au risque de rendre la fin de vie moinssereine que ce qu’elle aurait pu être. »

Un soin méconsidéréSouvent considérés comme secon-daires et peu gratifiants, les soins d’ac-compagnement font pourtant appel à:Údes savoirs pour assurer le suiviclinique du patient, concernant sonétat actuel et antérieur, sa pathologie,les symptômes associés et leurs trai-tements, la compréhension de sasituation psychologique, de sesvaleurs culturelles et de l’influencede ses conditions de vie ; Údes savoir-faire professionnelscomme l’observation de l’améliora-tion ou de la détérioration de l’étatdu patient, des effets des traitements,ou la mise en œuvre de nouvellesactions thérapeutiques si nécessaire;Údes savoir-être professionnels entermes de présence, écoute, com-préhension, soutien relationnel...

Un soin mal rémunéréPour les infirmières du domicile, leproblème réside dans un manque derémunération adaptée à ce type deprise en charge. « L’accompagnementn’est pas pris en charge par la nomen-clature », constate Lucienne Claustres,infirmière libérale à L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) et formatrice ensoins de fin de vie auprès d’OrionSanté (organisme de formation desprofessionnels de santé). « Ladémarche de soin infirmier (DSI)repose sur des critères de temps eninadéquation complète avec les soinspalliatifs et ne reflète pas l’activitéréelle », ajoute l’infirmière, dans l’at-tente du futur bilan de soins infirmiers(BSI). Le recours à une DSI peut néan-moins servir de variable d’ajustementmais il peut être contesté par la caissed’Assurance maladie qui ne reconnaîtpas le temps consacré à la relationd’aide. Aussi, même si une majorationde coordination infirmière (MCI) peut

être facturée en sus de chaque acteinfirmier réalisé chez un patient ensoins palliatifs, l’absence de rému-nération adaptée peut apparaîtrecomme un obstacle à la prise encharge de la fin de vie à domicile.

LES MÉCANISMESPSYCHO-ADAPTATIFS EN FIN DE VIECinq étapes à l’approchede la mortPour Élisabeth Kübler-Ross, psy-chiatre helvético-américaine (1926-2004) et pionnière de l’approche dessoins palliatifs (2), tous les maladesen fin de vie passent par un chemi-nement psychologique similaire. Lapsychiatre a décrit cinq phases quiservent encore de guide pour toutesles infirmières et les accompagna-teurs en soins palliatifs : le déni, larévolte, le marchandage, la dépres-sion et enfin l’acceptation. Ces étapesne sont pas toutes nécessairementvécues par tous les patients. Il sepeut également que certaines étapesse chevauchent, soient absentes ousurviennent dans un ordre inversé.

nLe déni ◗Les deux aspects du déni

Sur le plan personnel, au lieu d’af-fronter la réalité, la personne nie lasituation et fait comme si elle nesavait pas, malgré ce qui lui est ditet ce qu’elle ressent. Sur le plansocial et relationnel, le déni permetau malade de ne pas être considérécomme un sujet mourant maiscomme un sujet à part entière, vivantmalgré la mort qui se profile.

◗Que faire?Ce déni, qui peut aller jusqu’à négli-ger ou refuser son traitement, pren-dre des risques ou se lancer dansdes projets irréalistes, embarrassesouvent le soignant, qui ne sait pluscomment agir. Ce mécanisme étantinconscient, dire des “réalités médi-cales” ou “la vérité” est inutile si le

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forme de “dépression réactionnelleface au destin” s’installe. Elle semanifeste plutôt par une désorien-tation, une perte de repères, uneintense souffrance morale, un dés-investissement progressif enversl’entourage et un repli.

◗L’adieu à la vieLa personne peut exprimer desregrets en portant un regard péjo-ratif sur son passé, sur ce qu’elle apu être ou faire de positif. Elle res-sasse tout ce qu’elle n’a pas réussiet n’a pas eu le temps de réaliser,les vieux conflits, les ruptures, leséchecs surtout relationnels. Il y aune tendance à la culpabilité etl’auto-accusation. À ce moment, lapersonne a surtout besoin dequelqu’un qui assure une fonctiontémoin et qui l’écoute sans la jugeret sans essayer de la consoler “à peude frais”, ce qui reviendrait à ne paslui attacher d’importance. Le soi-gnant doit comprendre que cetteétape correspond à la recherched’un sens à la vie. Il peut encouragerla personne à imaginer ce quediraient d’elle des personnes quil’ont aimée ou appréciée.

◗La préparation à la mort Lorsque la personne “sent” que lamort est proche, elle se retire des

relations, ne veut plus qu’on la laveni qu’on la touche et éprouve unerépugnance à bouger. La meilleurefaçon de l’aider est de l’accepter. Letoucher-massage peut aider à main-tenir un lien avec le mourant à condi-tion que ce soit effectué avec unegrande délicatesse et d’y être formé.Les personnes en phase terminaleont surtout besoin de présence dansle calme, le silence et la tranquillité.

nL’acceptationLa personne mourante peut arriverà un stade qu’Élisabeth Kübler-Rossa intitulé “l’acceptation” en précisantqu’il ne s’agit pas de s’accommoderde la mort à venir mais plutôt deconsidérer qu’elle est devenue nonseulement possible et réalisable maiségalement inévitable et naturelle.La personne peut alors avoir des“hallucinations”, voir ses ancêtresdécédés venir la chercher, ou dessaints ou des anges si la personneest croyante. Ces hallucinations n’in-quiètent pas la personne mouranteet ont plutôt tendance à l’apaiser. Ici encore, le rôle de l’accompagnantest d’écouter sans juger car cela faitdu bien à la personne mourante depouvoir assurer les vivants qu’elleest attendue dans un autre monde.

signe de vitalité qui, si elle ne s’ex-primait pas, se retournerait contrele patient et aggraverait son état.

nLe marchandage◗La demande de sursis

À ce stade, la personne est assezépuisée et renonce peu à peu à sonagressivité. Elle sait à quoi s’en tenirmais tente encore de maîtriser leschoses. Elle se comporte comme sielle tentait de montrer qu’elle mériteun sursis. Et elle s’emploie à diffé-rentes attitudes pour mériter ce sur-sis comme donner ses biens à larecherche sur le cancer ou suivretrès scrupuleusement son traitement(au point d’être en colère contre l’in-firmière qui arrive deux minutes enretard pour une perfusion). Elle peutaussi se donner des échéances irréa-listes compte tenu de son état desanté, par exemple tenir jusqu’à unévénement (mariage d’un enfant)ou une date (jusqu’à Noël). Ce quipeut faire dire qu’elle “marchande”avec la vie pour éviter de mourir.

◗Que faire?Il s’agit d’une période de grandevulnérabilité pour la personne mou-rante. Le marchandage peut prendrede multiples formes pas toujoursrepérables. Il peut laisser penserque la personne tente de manipuler,ce qui n’est pas le cas. Le rôle dessoignants repose sur une attitudede discernement et de conseil afind’éviter des décisions qui peuventporter tort à la personne ou à sesdescendants. Mahalia Dalmasso,thérapeute hospitalière en équipemobile de soins palliatifs, suggèrede ramener le patient vers son vécuactuel : « Vous me parlez de projetslointains, mais comment vous sen-tez-vous aujourd’hui pour aller versces échéances? »

nLa dépressionQuand la maladie évolue, que lemalade sait qu’il va mourir, une n n n

Accompagner la fin de vie à domicile

Point de vueUn accompagnement confidentielBrigitte Lecointre, infirmière libérale, présidente de l’Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants (Anfiide)

«Même avec l’intervention d’une équipe mobile de soinspalliatifs ou d’un réseau, la prise en charge d’une fin de vie reste trèsintime. C’est d’ailleurs souvent ce que les familles souhaitent, ce qui est cohérent avec le souhait de finir sa vie chez soi. Les équipes de soinspalliatifs interviennent relativement peu en définitive. Une fois qu’elles ont pris connaissance de la situation et conseillé sur la prise en charge,leurs interventions ne sont pas intrusives. Elles laissent la place à un accompagnement confidentiel, une histoire entre l’infirmière, le patient et la famille. »

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Des mécanismes de défenseCes cinq phases correspondent àdes mécanismes de défense qui semettent en place parce que la réalitédu patient est devenue insuppor-table. Présents tout au long de lavie, ces mécanismes mentaux per-mettent d’éviter la souffrance et degérer l’angoisse. En fin de vie, la personne passe plu-tôt par des périodes d’instabilitéémotionnelle. Elle peut donner àun moment l’impression d’être dansune phase d’acceptation, et êtrequelques heures plus tard dans unephase de colère. Le soignant estdonc amené à faire preuve de flexi-bilité, et ne doit pas s’attendre à ceque le patient soit dans un état par-ticulier qui en suivrait un autre. Ilne s’agit pas d’appliquer une théoriequi pourrait enfermer l’accompa-gnant (et le patient) dans desa priori.

LES RESSENTIS DE L’ACCOMPAGNANTL’empathienUne perception de l’autreL’empathie est l’aptitude à entrerdans le vécu du patient, à compren-dre ce vécu et à communiquer cettecompréhension au patient. L’empa-thie permet en particulier de perce-voir la nature et l’intensité des souf-frances éprouvées par autrui. Trois niveaux d’empathie peuventêtre distingués :Úune manière d’être (niveau le plusprofond d’empathie) ;Úune façon professionnelle d’entreren relation avec le patient ;Úune habileté acquise par des tech-niques d’expression (qui ne sera effi-cace que si elle reflète une manièred’être du soignant).

nLa sollicitude empathique Cela consiste à prendre consciencedes besoins d’autrui et à éprouver

ensuite un désir sincère de lui veniren aide. Seule cette sollicitude empa-thique, qui est une réponse tournéevers l’autre et non vers soi, peutdéboucher sur une motivationaltruiste. L’accompagnant adoptealors l’attitude qui apportera le plusgrand réconfort au patient et il décidede l’action la plus appropriée(3).

nLes limites de l’empathieL’empathie peut aussi conduire àun sentiment de détresse et d’évi-tement pour le soignant confrontéaux souffrances du patient. C’est lecas lorsque l’empathie n’est pasdéclenchée par une perceptionaffective du ressenti du patient(empathie affective) et qu’elle nerepose que sur le fait d’imaginer ceque le patient ressent ou ce que l’onressentirait à sa place (empathiecognitive). Cette forme d’empathiecognitive incite alors le soignant àse replier sur lui-même ou à sedétourner des souffrances dont ilest témoin. Car il ne s’agit pas làd’une préoccupation pour l’autremais d’une anxiété personnelledéclenchée par l’autre (3).

nLes résonances affectivesSur son versant affectif, l’empathieconsiste donc à entrer en résonanceavec les sentiments de l’autre. Selon le psychologue américain PaulEkman, cette résonance affectivepeut être : Ú convergente, si l’accompagnantéprouve le même sentiment que lapersonne malade ; Údivergente, s’il réagit par un sen-timent différent de celui du patientet qu’il l’apaise. Par exemple, face à un patient encolère parce qu’il n’est pas satisfaitde l’intervention de l’HAD, l’infir-mière libérale peut : Ú ressentir la même émotion (réso-nance convergente) : « Ce n’est pasnormal d’agir ainsi, c’est toujours

pareil avec eux. » Au risque d’unecontagion émotionnelle ;Úprendre du recul et se situer dansune émotion différente (résonanceaffective divergente), tout en mani-festant de la sollicitude à l’égarddu patient : « Je suis désolée quecela se soit mal passé. Que puis-jefaire pour améliorer la situation ? »Attitude plus favorable à une moti-vation altruiste.

L’altruisme et la contagionémotionnelle« Il faut distinguer l’émotion et le sen-timent, prévient Mahalia Dalmasso,également formatrice en accompa-gnement de fin de vie auprès del’Institut de formation pharmaciesanté. L’émotion et l’attachementpour un patient peuvent être épui-sants alors que le sentiment altruisten’oblige pas à entrer dans la souf-france du patient. L’accompagnantpeut être dans un sentiment altruisteet une bienveillance sans basculerdans un sentiment affectif. » Ainsi, lorsque la motivation altruisteest déclenchée par la souffrance dupatient (empathie affective), il s’agitd’une compassion qui n’exige pasde ressentir la souffrance de l’autre.Elle débouche sur un sentiment bien-veillant, une motivation altruiste,qui permet plus sûrement d’agir effi-cacement pour le patient. À l’inverse, la contagion émotion-nelle, entendue comme le transfertdes émotions du patient vers lesoignant, peut conduire à la souf-france de ce dernier et à l’évite-ment d’une relation authentiqueavec le patient. Ce qui explique que les personnesconfrontées professionnellementà la souffrance d’autrui ont uneprobabilité plus faible d’usurequand elles se trouvent dans lacompassion plutôt que dans larésonance émotionnelle (4).

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épreuve. Tout au long de l’accom-pagnement, le soignant se met audiapason du rythme du patient quela conscience d’une mort imminenteplace dans une autre temporalité(lire le point de vue ci-dessus).

La congruence et l’authenticitéLes personnes en fin de vie ontbesoin de vérité et de sincérité. Unepersonne est congruente lorsqu’iln’y a pas de contradiction entre sespensées et ses paroles, entre sondiscours et son attitude. Il s’agit dene pas afficher des sentiments quine sont pas ressentis (1). L’authenticitépour le soignant s’entend commeun accord entre ce qu’il est réelle-ment, ce qu’il perçoit, pense et res-sent, et ce qu’il communique. Le soi-gnant qui veut rassurer le patient etses proches peut alors leur affirmerson soutien inconditionnel : « Nousrestons près de vous. Nous feronstout notre possible pour vous aiderquels que soient vos choix », suggèrepar exemple Brigitte Lecointre. Il ne

s’agit pas de promettre l’impossiblemais d’essayer de fixer en commundes objectifs réalistes.

LA FORMATION « Il n’y a pas de formation initiale àl’accompagnement pour l’infirmière,ni pour les médecins d’ailleurs,constate Lucienne Claustres. Enrevanche, au cours de sa formation,l’infirmière acquiert un raisonnementpour faire de l’accompagnement etqui peut être complété par de la for-mation continue en relation d’aide,soins palliatifs ou hypnose par exem-ple. » Une formation complémentaireindispensable, ajoute Brigitte Lecoin-tre, pour qui « questionnementéthique, positionnement, posture, atti-tudes, compétences, savoirs et maturitéentrent en ligne de compte dans l’ac-compagnement d’une fin de vie ». < 

(1) Pr Marcel-Louis Viallard, Accompagner une personne en soinpalliatif et son entourage, Éditions Dunod, mars 2016.(2) Cf notamment cette intervention de Marie-Therese Bal-Craquins’appuyant sur les travaux d’E. Kübler-Ross (bit.ly/1XPBaRz).(3) “Empathie, altruisme et compassion”, publié le 22 avril 2016par Matthieu Ricard, docteur en génétique cellulaire et moinebouddhiste, sur son blog (www.matthieuricard.org).(4) Olivier Hoeffel, consultant en qualité de vie au travail, “Altruisme,bienveillance, compassion et qualité de vie au travail”, mai 2015,sur laqvt.fr

QUELQUES ÉLÉMENTSD’ACCOMPAGNEMENTL’écoute attentivePréalables indispensables à l’accom-pagnement, l’écoute des paroles etl’observation des silences, gestes,postures et expressions faciales per-mettent au soignant de percevoir lesvrais besoins matériels et relationnelsdu patient. Il peut ainsi répondre auxréelles attentes du patient plutôt quede projeter des conseils inadaptés.Le patient qui se sent écouté pourraplus sûrement exprimer ses senti-ments de révolte, d’angoisse, d’ap-préhension de l’avenir ou d’impres-sion d’abandon. Une écoute attentivecontribue à créer un climat favorisantla communication et la paix autourdu patient en fin de vie.

Le rythme du patient« Il est important de pouvoir accepterle silence dont peut avoir besoin lapersonne trop fatiguée pour parler,alors que des soignants peuvent sesentir démunis », insiste MahaliaDalmasso. Le soignant peut alorsrassurer le patient : « Si vous n’avezpas envie de parler pendant le soin,reposez-vous. Il n’y a pas de souci. »En revanche, si le silence du patientpose question au soignant, celui-cipeut très simplement demander cequ’il en est pour le patient : « Je voisque vous ne parlez pas beaucoupaujourd’hui. Comment vous sentez-vous? » Tout en respectant la fai-blesse du patient, l’accompagnantpeut continuer à communiquer sonsoutien par sa simple présence etpar le regard. Des gestes commetenir la main, essuyer la sueur surle front ou murmurer des parolesd’apaisement sont sources de récon-fort, à condition d’être authentiques.À l’inverse, lorsque le patient sou-haite s’exprimer sur sa mort qu’ilsait imminente, l’accompagnant nedoit pas fuir le sujet au risque delaisser le patient seul face à cette n n n

Accompagner la fin de vie à domicile

Point de vueUne temporalité différenteBrigitte Lecointre, infirmière libérale, présidente de l’Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants (Anfiide)

« Les soins en fin de vie ne sont pas forcément“chronophages” en eux-mêmes. À la différence d’autres situationsmédicales complexes, ce qui prend du temps dans un contexte de fin de vie, c’est ce qu’il y a avant et après le soin. Il existe en effet un tempsavant le soin consacré aux proches qui ont besoin d’exprimer leurressenti. Puis un autre temps pour les questions qui viennent aprèsle soin, pour recueillir l’avis de l’infirmière: « Comment l’avez-voustrouvée? N’était-elle pas moins encombrée qu’hier? » Il y a un besoin de réassurance, une attente forte de la part des proches. Avec parfois des questions très graves. Le patient qui sait que sa vie va finir ainsi queses proches, qui le savent aussi, vivent alors dans une autre temporalité.Les intervalles de temps, une heure, deux heures, ne sont plus perçus de la même façon. L’infirmière doit s’inscrire dans cette temporalité pour que l’accompagnement soit bénéfique à tous. »

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Savoir plus

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COMITÉ SCIENTIFIQUE

ÚGeneviève Bridier,infirmière libérale à Villejuif (94)

ÚÈve-Marie Cabaret,infirmière libérale à Ligny-Le-Ribault (45)

ÚMarie-Claude Daydé,infirmière libérale à Colomiers (31)

ÚCatherine Diamantidis,infirmière libérale à Pierre-Bénite (69)

ÚDominique Jakovenko, infirmier libéral à Saint-Christoph-les-Alès (30)

ÚChristine Julien, pharmacienne et journaliste

ÚBrigitte Lecointre, infirmière libérale à Nice (06)

ÚGeneviève Beltran,avocate au barreau desHauts-de-Seine (92)

ÚChaque dossier de formationest coordonné par MathieuHautemulle, rédacteur en chef, édité et monté par Julie Verdureet Laure Cartigny, validésystématiquement par un spécialistedu thème choisi et relu avant parutionpar l’un des membres du comitéscientifique.

✓Envoyez vos suggestions à[email protected]

• Pour retrouver toutes nos informations

• Pour venir discuter sur nos forums

cliquezwww.espaceinfirmier.fr

ASSOCIATIONSÚ Société françaised’accompagnement et de soins palliatifs Sur le site de l’association de référence pourtous les acteurs des soins palliatifs, plusieursrubriques d’information. Particulièrementpour les soins infirmiers, la rubrique “Pratiquemédicale” dans le menu “Documentation”. La Sfap fédère plus de 5000 soignants et près de 200 associations d’accompagnementde bénévoles. Sur son site, cliquer sur la fenêtre “Rechercher une structure de soins palliatifs” pour trouver une structurede soins palliatifs proche.Sfap, tél.: 01 45 75 43 86, www.sfap.org

Ú Bénévolat d’accompagnementRenseignements auprès de la fédérationJalmalv (Jusqu’à la mort accompagner la vie)et l’Unasp (Union nationale des associationspour l’accompagnement et le développementdes soins palliatifs).www.jalmalv.fr et www.soins-palliatifs.org

LIGNE D’ÉCOUTEÚ Fondation Œuvre

de la Croix Saint-Simon Un service téléphonique de la FondationŒuvre de la Croix Saint-Simon (du lundi au vendredi de 10 à 13 heures) pour répondreaux attentes des malades, des familles, des professionnels de santé concernant les soins palliatifs, la fin de la vie et le deuil.Tél.: 0 811 020 300 (prix d’un appel local), email:[email protected] pour ceux qui préfèrent poser leurs questions par mail (notamment le soir ou le week-end).

DOCUMENTSÚ Enquêtes et études sur la fin de vieSur le site de l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV), créé en 2010 dans le but d’apporter au débat public des donnéesobjectives et fiables sur la réalité des

situations de fin de vieen France…www.onfv.org

LIVRESÚ Accompagner une personne en soinpalliatif et son entourage Ce guide pratique permetd’acquérir les principauxrepères cliniques et deconnaître toutes les étapesd’une démarche de soins, de traitement etd’accompagnement dupatient et de son entourage.Professeur Marcel-Louis Viallard, Éditions Dunod,300 pages, 2016.

Ú Soins palliatifs à domicile. Repères pour la pratique Tous deux riches d’uneexpérience de plus de vingtans en soins palliatifs,les auteurs ont rassemblé les principaux repères utilesà la pratique et illustré leursapports d’histoires cliniques.Un outil pour les soignants.Godefroy Hirsch, médecin, et Marie-Claude Daydé,infirmière libérale, membre de notre comitéscientifique, Le Coudrier éditions, 206 pages, 2014.

Ú Relation d’aide en soins infirmiersIssu de groupes de travail du Collège des acteurs en soins infirmiers de la Sfap, cet ouvrage permet de clarifier notamment ce qu’est la relation d’aide en soins infirmiers et

ses cadres réglementaires et conceptuels.M.-C. Daydé, M.-L. Lacroix, C. Pascal, E. SalabarasClergues, Édition Elsevier Masson, 3e édition,176 pages, 2014.

FORMATIONÚ Accompagnateur de “fin de vie” Dispensée à l’Institut de formation pharmacie santé de Nice (Alpes-Maritimes),cette formation de 217 heures porte sur dessituations palliatives mais traite uniquementde l’accompagnement et pas de la prise encharge médicale. Pour l’heure, seules les IDEsalariées ont bénéficié d’un financementdérogatoire, mais l’Institut de formationattend d’ici septembre un statut national et une reconnaissance pour ce diplôme.www.ifps-cote-azur.com

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