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36 P ortrait Du 9 au 15 mars 2016 La Semaine du Roussillon N°1027 Yves Moreau est à la tête de l’herboristerie de la place République à Perpignan, un des plus anciens commerces de la ville. Retour sur le parcours de cet homme proche de la nature, des plantes et des gens. Raphaëlle Baker N é au Mans, Yves Moreau est tombé dans le monde de l’herboristerie très jeune. Ses parents fonctionnaires, sa maman est institutrice et son papa inspecteur des impôts, sont mutés dans le départe- ment des Pyrénées-Orientales alors qu’Yves n’a que trois semaines. Ensemble, ils ont l’habitude de sortir souvent en campagne pour ramasser des plantes. Au cours d’une de leur sortie, ils rencontrent un couple et se lient d’amitié avec Mercedes et Claude. Ce couple cueille aussi des plantes mais les destine à la vente, ils sont à la tête d’une herboristerie située à Perpignan, au 14 rue de la Fusterie. Ce commerce a été créé par le premier mari de Mercedes, M. Pirot, qui était de 20 ans son aîné. Après le décès de celui-ci, Mercedes s’est remarié avec Claude Van Dick, qui lui était de 20 ans son cadet. C’est Claude qui en 1975 a cédé le com- merce à Yves Moreau. Lorsqu’il entre pour la première fois dans l’herboris- terie, Yves Moreau a environ 10 ans : « Ce qui m’a marqué, je m’en sou- viens encore, est cette odeur et le plancher craquant. Ce magasin paraissait un peu comme hors du temps, il n’en existait nulle part ail- leurs de tel. » A l’adolescence, Yves Moreau passe régulièrement devant le magasin, notamment lors de mani- festation, et à chaque passage il ne peut s’empêcher de tourner la tête. «Vers l’âge de 14 ou 15 ans, je pas- sais régulièrement l’après-midi où je n’avais pas école à l’herboristerie. J’écoutais Mercedes et Claude don- ner leurs conseils. C’était aussi le « lieu où l’on cause », les gens s’arrê- taient juste pour échanger, comme François Brousse, le philosophe. C’était un vrai lieu de vie, où l’on par- lait de tout et où j’avais plaisir à venir discuter. A cet âge-là, j’avais de l’acné, ils m’ont donné une tisane à base de bardane, de pensées sau- vages et de gentiane, malgré le goût très amer, je la buvais et c’était très efficace. » Un commerce centenaire Ces moments font partie du chemine- ment d’Yves Moreau vers le monde des plantes. Durant toutes ces années, Yves Moreau grandit à Perpignan et suit des études classiques jusqu’au bac. Puis il part à Paris faire une année de spécialité complémentaire en ali- mentation et nutrition, et 3 ans à Montpellier à L’IMDERPLAM – l’Institut Méditerranéen de Docu- mentation, d’Enseignement et de Recherche sur les Plantes Médici- nales. Mais Yves va plus loin et ne cesse de lire et d’apprendre de ses lec- tures. Alors qu’il est encore en train de faire ses études, Claude lui cède le magasin, Yves a alors 20 ans. « Claude est resté un peu plus d’un an à mes côtés, il m’a transmis toute son expérience ». Quelques années plus tard, vers les années 80, Rika Zaraï et Messegue contribuent à faire connaî- tre les plantes. C’est le début des premiers laboratoires de produits naturels. « Ces années-là suivent mai 68, avec la volonté de remettre en question beaucoup de principes éta- blis et la course au profit. » Ainsi, la vie du commerce d’Yves Moreau suit son cours, en 1992, il effectue un pre- mier déménagement car l’immeuble doit être détruit, puis en 2004 un second car il se situe dans le marché couvert de la place de la République, qui lui aussi a été détruit. Depuis le magasin n’a plus bougé et, malgré ses déménagements, Yves Moreau a voulu conserver l’âme de son com- merce. « Pour moi, cette herboristerie a une âme. Je n’en suis pas le proprié- taire mais le détenteur passager, il est impossible de vendre une âme. J’ai veillé à conserver cela, notamment au travers des bocaux de verre, aussi des opalines, mais aussi du caïman qui se situe dans la vitrine, il a toujours été là. Plus jeune, alors que je refaisais la vitrine, j’ai voulu l’enlever. Un clo- chard ivre est venu taper à la vitrine remarquant que le caïman n’était plus là et qu’il fallait le remettre. Je me suis dit que plus jamais il ne quitterait la vitrine, il fait partie de l’identité du magasin. » Pourtant, l’herboristerie a évolué, alors que ses prédécesseurs ne vendaient que très peu de variétés de thé, dans les années 80, entre l’impor- tation et la création des thés parfumés le nombre de thés à la vente explose. « Ce qui ne change pas c’est que l’her- boristerie est toujours un monde d’odeur dans lequel on peut trouver des eaux de toilette mais aussi des thés et des tisanes au détail, des encens et bien d’autres choses encore». « La santé se joue au quotidien » Yves Moreau constate aussi l’évolu- tion de la demande de ses clients « Les gens, aujourd’hui font beaucoup plus attention qu’avant et ce n’est pas plus mal. D’autres attendent d’être malade pour prendre soin de leur santé alors que la santé c’est au quo- tidien que cela se joue. Cela passe tout d’abord par l’alimentation. Il faut consommer local et de saison, des produits issus de l’agriculture raisonnée ou bio, la nature nous donne ce qu’il faut en temps voulu, des aliments plus consistants en hiver et plus aqueux en été. Il est nécessaire aussi d’écouter ses besoins physiolo- giques et de se dépenser un peu. Il faut manger de tout, le moins trans- formé possible et garder les produits animaux en petite quantité. Au chan- gement de saison, il est important de décrasser l’organisme. Les plantes ne peuvent pas nuire, elles sont vraies, authentiques, bien loin des molécules artificielles assemblées par l’homme. » Yves Moreau peut donc conseiller sur les bienfaits des plantes et donne aussi quelques conseils alimentaires car pour lui tout est lié. Le travail de l’herboristerie nécessite un vrai savoir-faire pour conserver et stocker les plantes sans les abîmer. « Imaginez, 15 kg de ver- veine prennent autant de place qu’un gros frigo. » Bien que centenaire, l’herboristerie continue de se moderniser puisque depuis 4 ans maintenant, Yves Moreau s’est lancé dans la vente par correspondance grâce à son site inter- net. « Être herboriste est un métier de passion qui demande des connais- sances et un savoir-faire. Pour nous il est important de travailler avec des plantes de qualité, non ionisées et issues de culture bio ou sauvage labellisée et de bien sélectionner nos fournisseurs. » Depuis le 1 er mars, date de l’anniversaire d’Yves Moreau, sa plus jeune fille, Pauline, 25 ans, détentrice d'un bac + 5 qui suit elle aussi des études à l'IMDER- PLAM, vient de rejoindre l’équipe du magasin et pourrait peut-être prendre la suite de son père. Yves Moreau Le Merlin des plantes La boutique a été créée début 1900 par M. Pirot.

Mise en page 1 - Herboristerie Moderne · 2016-03-17 · tard, vers les années 80, Rika Zaraï et Messegue contribuent à faire connaî-tre les plantes. C’est le début des premiers

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Page 1: Mise en page 1 - Herboristerie Moderne · 2016-03-17 · tard, vers les années 80, Rika Zaraï et Messegue contribuent à faire connaî-tre les plantes. C’est le début des premiers

36 Portrait Du 9 au 15 mars 2016La Semaine du RoussillonN°1027

Yves Moreau est à la tête del’herboristerie de la placeRépublique à Perpignan, un desplus anciens commerces de laville. Retour sur le parcours decet homme proche de la nature,des plantes et des gens.Raphaëlle Baker

Né au Mans, Yves Moreau esttombé dans le monde del’herboristerie très jeune. Ses

parents fonctionnaires, sa maman estinstitutrice et son papa inspecteur desimpôts, sont mutés dans le départe-ment des Pyrénées-Orientales alorsqu’Yves n’a que trois semaines.Ensemble, ils ont l’habitude de sortirsouvent en campagne pour ramasserdes plantes. Au cours d’une de leursortie, ils rencontrent un couple et selient d’amitié avec Mercedes etClaude. Ce couple cueille aussi desplantes mais les destine à la vente, ilssont à la tête d’une herboristeriesituée à Perpignan, au 14 rue de laFusterie. Ce commerce a été créé parle premier mari de Mercedes, M.Pirot, qui était de 20 ans son aîné.Après le décès de celui-ci, Mercedess’est remarié avec Claude Van Dick,qui lui était de 20 ans son cadet. C’estClaude qui en 1975 a cédé le com-merce à Yves Moreau. Lorsqu’il entrepour la première fois dans l’herboris-terie, Yves Moreau a environ 10 ans :« Ce qui m’a marqué, je m’en sou-viens encore, est cette odeur et leplancher craquant. Ce magasinparaissait un peu comme hors dutemps, il n’en existait nulle part ail-leurs de tel. »A l’adolescence, YvesMoreau passe régulièrement devantle magasin, notamment lors de mani-

festation, et à chaque passage il nepeut s’empêcher de tourner la tête.« Vers l’âge de 14 ou 15 ans, je pas-sais régulièrement l’après-midi où jen’avais pas école à l’herboristerie.J’écoutais Mercedes et Claude don-ner leurs conseils. C’était aussi le« lieu où l’on cause », les gens s’arrê-taient juste pour échanger, commeFrançois Brousse, le philosophe.C’était un vrai lieu de vie, où l’on par-lait de tout et où j’avais plaisir à venirdiscuter. A cet âge-là, j’avais del’acné, ils m’ont donné une tisane àbase de bardane, de pensées sau-vages et de gentiane, malgré le goûttrès amer, je la buvais et c’était trèsefficace.»

Un commercecentenaire

Ces moments font partie du chemine-ment d’Yves Moreau vers le mondedes plantes. Durant toutes ces années,Yves Moreau grandit à Perpignan etsuit des études classiques jusqu’aubac. Puis il part à Paris faire une annéede spécialité complémentaire en ali-mentation et nutrition, et 3 ans àMontpellier à L’IMDERPLAM –l’Institut Méditerranéen de Docu-mentation, d’Enseignement et deRecherche sur les Plantes Médici-nales. Mais Yves va plus loin et necesse de lire et d’apprendre de ses lec-tures. Alors qu’il est encore en trainde faire ses études, Claude lui cède lemagasin, Yves a alors 20 ans.« Claude est resté un peu plus d’un anà mes côtés, il m’a transmis toute sonexpérience ». Quelques années plustard, vers les années 80, Rika Zaraï etMessegue contribuent à faire connaî-tre les plantes. C’est le début despremiers laboratoires de produits

naturels. « Ces années-là suivent mai68, avec la volonté de remettre enquestion beaucoup de principes éta-blis et la course au profit. »Ainsi, lavie du commerce d’Yves Moreau suitson cours, en 1992, il effectue un pre-mier déménagement car l’immeubledoit être détruit, puis en 2004 unsecond car il se situe dans le marchécouvert de la place de la République,qui lui aussi a été détruit. Depuis lemagasin n’a plus bougé et, malgré sesdéménagements, Yves Moreau avoulu conserver l’âme de son com-merce. « Pour moi, cette herboristeriea une âme. Je n’en suis pas le proprié-taire mais le détenteur passager, il estimpossible de vendre une âme. J’aiveillé à conserver cela, notamment autravers des bocaux de verre, aussi desopalines, mais aussi du caïman qui sesitue dans la vitrine, il a toujours étélà. Plus jeune, alors que je refaisais lavitrine, j’ai voulu l’enlever. Un clo-chard ivre est venu taper à la vitrineremarquant que le caïman n’était pluslà et qu’il fallait le remettre. Je me suis

dit que plus jamais il ne quitterait lavitrine, il fait partie de l’identité dumagasin. »Pourtant, l’herboristerie aévolué, alors que ses prédécesseurs nevendaient que très peu de variétés dethé, dans les années 80, entre l’impor-tation et la création des thés parfumésle nombre de thés à la vente explose.« Ce qui ne change pas c’est que l’her-boristerie est toujours un monded’odeur dans lequel on peut trouverdes eaux de toilette mais aussi des théset des tisanes au détail, des encens etbien d’autres choses encore ».

« La santé se joueau quotidien »

Yves Moreau constate aussi l’évolu-tion de la demande de ses clients « Lesgens, aujourd’hui font beaucoup plusattention qu’avant et ce n’est pas plusmal. D’autres attendent d’êtremalade pour prendre soin de leursanté alors que la santé c’est au quo-tidien que cela se joue. Cela passetout d’abord par l’alimentation. Il

faut consommer local et de saison,des produits issus de l’agricultureraisonnée ou bio, la nature nousdonne ce qu’il faut en temps voulu,des aliments plus consistants en hiveret plus aqueux en été. Il est nécessaireaussi d’écouter ses besoins physiolo-giques et de se dépenser un peu. Ilfaut manger de tout, le moins trans-formé possible et garder les produitsanimaux en petite quantité. Au chan-gement de saison, il est important dedécrasser l’organisme. Les plantesne peuvent pas nuire, elles sontvraies, authentiques, bien loin desmolécules artificielles assembléespar l’homme. » Yves Moreau peutdonc conseiller sur les bienfaits desplantes et donne aussi quelquesconseils alimentaires car pour lui toutest lié. Le travail de l’herboristerienécessite un vrai savoir-faire pourconserver et stocker les plantes sansles abîmer. « Imaginez, 15 kg de ver-veine prennent autant de place qu’ungros frigo. »Bien que centenaire, l’herboristeriecontinue de se moderniser puisquedepuis 4 ans maintenant, YvesMoreau s’est lancé dans la vente parcorrespondance grâce à son site inter-net. « Être herboriste est un métier depassion qui demande des connais-sances et un savoir-faire. Pour nous ilest important de travailler avec desplantes de qualité, non ionisées etissues de culture bio ou sauvagelabellisée et de bien sélectionner nosfournisseurs. » Depuis le 1er mars,date de l’anniversaire d’YvesMoreau, sa plus jeune fille, Pauline,25 ans, détentrice d'un bac +5 qui suitelle aussi des études à l'IMDER-PLAM, vient de rejoindre l’équipe dumagasin et pourrait peut-être prendrela suite de son père.

Yves MoreauLe Merlin des plantes

La boutique a été créée début 1900 par M. Pirot.