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de Arne Lygre mise en scène Stéphane Braunschweig du 1 er octobre au 21 novembre 2014 Petit Théâtre

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de Arne Lygremise en scène Stéphane Braunschweig

du 1er octobre au 21 novembre 2014

Petit Théâtre

www.colline.fr01 44 62 52 52

15 rue Malte-Brun, Paris 20e

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Sommaire

A. De Je disparais à Rien de moiNote d’intention de Stéphane Braunschweig

1. L’écriture d’Arne Lygre- Rien de moi, Arne Lygre, extrait - Je disparais, Arne Lygre, extrait- Le processus d’écriture par Arne Lygre- “Des personnages qui s’échappent de leur moi” par Anne-Françoise Benhamou- “Quand on lit une pièce on en devient metteur en scène” par Anette Therese Pettersen2. La scénographie- “Chambre de la conscience” : photographies des scénographies de Je disparaiset Jours souterrains- “Une scénographie qui joue sur la trace et la disparition de la trace” : Notesprises lors d’une rencontre avec Stéphane Braunschweig le 11 septembre, pendantles répétitions de Rien de moi- “Évoquer le cadre de vie mental des gens” entretien avec Stéphane Braunschweig- Dramaturgie et scénographie, “deux piliers de mise en scène” par Christian Bietet Christophe Triau

B. Autour de Rien de moi : sources et influences pour une mise en scène1. Quitter son foyerRien de moi, Arne Lygre, extrait Intimité, Hanif Kureishi, extraitLes Revenants, Henrik Ibsen, extrait2. Le retour du passéRien de moi, Arne Lygre, extrait Rêve d’Automne, Jon Fosse, extrait3. L’enfant qui meurtRien de moi, Arne Lygre, extrait Petit Eyolf, Henrik Ibsen, extraitL’enfant qui meurt: traumatisme personnel et symbolique collective par Georges Banu

AnnexesRepères cinématographiques Cris et chuchotements d’Ingmar BergmanIntimité de Patrice ChéreauOslo 31 août de Joachim Trier

Biographie Arne LygreBiographies équipe artistique

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Rien de moide Arne Lygre

traduction du norvégien Stéphane Braunschweig

avec la collaboration d’Astrid Schenka

mise en scène et scénographie

Stéphane Braunschweigcollaboration artistique Anne-Françoise Benhamou

collaboration à la scénographie Alexandre de Dardelcostumes Thibault Vancraenenbroeck

lumières Marion Hewlettson Xavier Jacquot

avec

Luce Mouchel, Chloé Réjon, Manuel Vallade, Jean-Philippe Vidal

création à La Colline

du 1er octobre au 21 novembre 2014Petit Théâtre

du mercredi au samedi à 21h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h

production La Colline - théâtre national

Le texte de la pièce paraîtra en octobre 2014 à l’Arche Éditeur

tournéeThéâtre de la Manufacture - Nancy

du 2 au 5 décembre 2014

Rencontre avec l’équipe artistiquemardi 14 octobre à l’issue de la représentation

Rencontre avec Stéphane Braunschweig et l'équipe du spectacle à la bibliothèque Oscar Wilde.

samedi 25 octobre 2014 à 15h12, rue du Télégraphe, Paris 20e

Rencontre avec Stéphane Braunschweiganimée par 

lundi 17 novembre à 20h30en partenariat avec Philosophie Magazine

Lectures de textes contemporains norvégiens, suivies d’une rencontre avec les auteurs et traducteurs

samedi 15 novembre à 15hExtraits de:

Retours de Frederik Brattberg, traduit par Terje SindingLondinium de Demian Vitanza, traduit par Terje Sinding

Épreuve nationale de Maria Tryti Vennerød, traduit par Jean-Baptiste Coursaud

entrée libre sur réservation au 01 44 62 52 00

en collaboration avec l’ambassade de Norvège et la Maison Antoine Vitez

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Revue OutreScèneLe volume 13 de la revue OutreScène consacré à Arne Lygre a paru le 4 novembre 2011

avec des textes et entretiens de Roberto Alvim, Stéphane Braunschweig, Maria Joanna Kjaergaard-Sunesen, Alexander Mørk-Eidem, Claude Régy, Udo Samel, Anne Sée,

Eirik Stubø, Jean-Philippe Vidal et Jacques Vincey.

billetterie La Colline 01 44 62 52 52

du lundi au samedi de 11h à 18h30 (excepté le mardi à partir de 13h)

tarifsen abonnement de 9 à 14€ la place

hors abonnementde 14 à 28€ selon la catégorie

Anne Boisson 01 44 62 52 69 − [email protected]émence Bordier 01 44 62 52 27 - [email protected]

Ninon Leclère 01 44 62 52 10 − [email protected] Longequeue 01 44 62 52 12 - [email protected]

Marie-Julie Pagès 01 44 62 52 53 − [email protected]

La Colline - théâtre national15 rue Malte-Brun Paris 20e

www.colline.fr

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A. De Je disparais à Rien de moi

Note d’intention de Stéphane Braunschweig

Une femme et un homme plus jeune se sont rencontrés récemment. Elle décide des’installer chez lui, dans un appartement quasi vide, une sorte de page blanche. Ils sereferment l’un sur l’autre et se lient à travers des mots qui les isolent du monde extérieur et de ce qui fut leur réalité jusque-là; pour elle un mari et un enfant qu’ellea quittés, pour lui une histoire avec laquelle il ne veut plus rien avoir affaire. Leurrelation symbiotique est d’abord perturbée par la visite de figures de leur vie passée:mères respectives, enfants, mari. Puis par le danger que chacun fait courir à l’autredans cette relation...

Dans Rien de moi, Arne Lygre a renoncé au système des hyper-répliques qui caractérisaienttoutes ses dernières pièces: ces répliques écrites en caractère gras, faisant étatd’indications d’espace et de temps, d’actions scéniques, de pensées intérieures, ouencore de dialogues rapportés sur le mode du récit. Ici une seule typographie. Ce n’estpourtant pas que ces hyper-répliques aient réellement disparu: elles ont au contrairetellement contaminé le dialogue “normal” qu’on dirait qu’elles ne forment plus qu’untout indistinct avec lui. Dans les textes précédents, les hyper-répliques accompagnaienten particulier de fréquents glissements dans la temporalité, retours vers le passé ouprojections vers le futur. Ici c’est le dialogue même qui est tramé par ces glissements. Moi et Lui décrivent/inventent/commentent/créent leur nouvelle vie ensemble: ils donnentparfois l’impression de parler de ce qu’ils vivent plus qu’ils ne le vivent réellement.Comme s’ils se projetaient dans cette vie. Mais non, cette projection n’est pas quefantasmatique: elle est au contraire performative. Ce qui est dit arrive ou arrivera.“Nous sommes comme ça. Nous disons quelque chose, et ensuite nous le faisons”, diraMoi dans l’avant-dernière scène. Et lorsque l’on demande à Arne Lygre s’il y a une réalitédans ce qui est raconté par les personnages, il répond sans hésiter que “tout estréel”. Plus que jamais il explore le pouvoir des mots, la capacité d’une pensée, d’uneparole ou même d’un simple vocable, à influer sur la réalité de nos existences et denos êtres; et à travers cela, ce qu’Arne Lygre vise, c’est la façon – le plus souventdestructrice – dont nous influons sur les autres, surtout nos plus proches, amourset enfants, les enfermant et les marquant dans les représentations que nous avonsd’eux, les faisant littéralement devenir ce que nous voyons d’eux ou ce que nousvoulons qu’ils soient.Ce pouvoir réel des mots, Lygre nous le fait d’autant plus concrètement ressentir, ànous spectateurs, qu’il ne demande aucun soutien à l’image. Puisque ce qui est dit a lieuou aura lieu, nul besoin de le voir ou le représenter. Sinon peut-être sous la forme detraces, de traces dans le réel de ce qui a bien eu lieu... De ce point de vue, l’écriturede Lygre n’a sans doute jamais été si suggestive, si envoûtante – ni si inquiétante.

Stéphane Braunschweig février 2013

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1. L’écriture d’Arne Lygre

Rien de moi, extrait

ÉTÉLUI. - Un petit appartement. Des pièces vides. Presque aucun meuble.Toi et moi.

MOI. - Oui.

LUI. - Voilà.

MOI. - J’ai pensé la même chose. Voilà la réalité, ai-je pensé.Je suis là.

LUI. - Nous sommes là.Nous sommes deux. Nous nous décidons. Nous disons que c’est icique nous devons vivre notre vie. Ce n’est encore rien, ici, mais nousavons de la volonté : ça compte, ce que nous disons.Nous n’avons qu’à nous décider. Nos paroles signifient quelque chose.

MOI. - Oui.J’abandonne tout à la maison.

LUI. - Il le faut. Ce n’est rien, ici sans toi.Tu peux être à moi, maintenant.

MOI. - À toi.

LUI. - Oui.

MOI. - Est-ce que je le veux encore une fois ? Être à quelqu’un ?

LUI. - Tu ne veux pas ?

MOI. - J’y ai souvent pensé. Si je n’y arrive pas, ai-je pensé, si je ne peuxpas vivre avec cet homme et cet enfant qui me reste, alors je n’essaierai plus.Jamais.

LUI. - Et puis tu m’as rencontré.

MOI. - Oui.

LUI. - J’en suis heureux.

MOI. - Moi aussi.Je crois que je suis heureuse. [...]

Arne LygreRien de moi, trad. du norvégien Stéphane Braunschweig, avec la collaboration d’Astrid Schenka,

L’Arche Éditeur, 2014, p. 11-13

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Je disparais, extrait

Il y a trois niveaux textuels dans la pièce. La suite habituelle des répliques, dessortes d’indications scéniques en gras, et le texte en italique: la parole de ceuxdont il est fait mention.

Ça commenceJe suis une femme. Je suis seule dans une pièce. Je suis assise dans un fauteuil.MOI. - C’est ma maison.C’est ici que je vis cette vie qui est la mienne.À certaines périodes, j’ai habité d’autres endroits, mais la plupart du temps, ç’a étécette maison et ce jardin. Ç’a été le point de départ de tous mes faits et gestes.C’est ici que je m’endors le soir, c’est ici que je me réveille le lendemain. Le plus sou-vent, je prends une douche et me prépare, ensuite je bois un café et pour finir mangequelque chose. Les jours où j’ai une course ou quelque chose à faire, c’est cet endroitque je quitte.J’ai vécu ici quand j’étais enfant, durant mon adolescence, et durant la majeure partiede ma vie d’adulte.C’est ici que je baise, c’est ici que je pleure, c’est ici que je ris s’il m’arrive de penserou d’éprouver quelque chose de drôle. Pour mes 50 ans, c’est ici que j’ai réuni mesproches. Nous avons trinqué, nous nous sommes soûlés, quelques-uns ont dansé, personne ne voulait que la soirée finisse.Je suis heureuse.C’est ma maison. C’est ma chance et ma limite. De temps à autre, je réfléchis aux expériences que je n’ai pas, du fait que je ne m’éloigne pas beaucoup de cette propriété. Les paysages que je ne vois pas, les gens que je ne rencontre pas, lespensées que je n’ai pas l’occasion d’affronter. Parfois, le manque de ces expériencesme suffoque, d’autres fois j’en suis contente.Qu’ai-je à faire du reste du monde ?Je me lève. Je déplace le fauteuil près de la fenêtre.J’aime m’asseoir ici quand je suis seule. La vue n’est pas exceptionnelle, mais malgrétout, il y a la nature. Quelques arbres, des buissons, des fleurs.Et les foyers des autres gens. Des maisons côte à côte et aussi quelques blocs d’immeubles. Des appartements.Nous n’étions pas très contents quand on les a construits. Nous avons protesté. Pas assez fort, peut-être.Je m’y suis habituée maintenant.Je reste silencieuse un moment. Je me lève de mon fauteuil. Je m’éloigne de la fenêtre.Je pense souvent à ce qu’on appelle la simultanéité. À ce qui arrive à d’autres gensprécisément maintenant. À cet instant. Au fait que je sois assise ici et qu’à un autreendroit soit assise une femme pour qui ça ne va pas si bien.Je vais bien.Mais cette femme. Elle regarde droit devant elle, et elle dit qu’elle est forte. Je suisforte, dit-elle à haute voix.C’est elle, là, dans cette pièce. Toute seule. Moi aussi, je suis seule là maintenant.

Arne Lygretrad. du norvégien Éloi Recoing, L’Arche Éditeur, 2011, p. 9-10

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Le processus d’écriture par Arne Lygre

Il est rare que je puisse expliquer ou dire exactement pourquoi et comment les idéeset les pensées me viennent, mais le processus d’écriture commence habituellementpar l’image d’une personne dans une situation particulière, et, à partir de ce début,j’essaye de développer mes pensées et de suivre mon inspiration sur cette personne /situation. Pour Je disparais, c’était l’image d’une femme dans une maison, une maisonoù elle n’est plus en sécurité, où elle a vécu toute sa vie et qu’elle doit maintenantquitter. À partir de là, il s’est agi essentiellement pour moi d’explorer le langage decette femme, la façon dont il se manifestait à travers ses relations avec les gens quil’entourent. Pour explorer les possibilités d’un texte, qu’il s’agisse de la forme ou dusujet, je me sers surtout de mon intuition: comment dans la pièce les répliques de lafemme finissent par construire un monde autour d’elle; et je ne commence jamais unepièce avec l’idée d’un thème précisément défini, je ne me prépare pas à écrire sur telou tel sujet, pas plus que je n’élabore un synopsis pour échafauder la pièce. Je rédigejuste de courtes notes qui rassemblent les idées dont je pourrais me servir plus tardau cours de l’écriture. À ce stade, je ne pense pas tellement au développement durécit, même si c’est bien sûr une part importante du travail, qui se concrétisera lentement au fil de ma progression, mais je ne sais pas où la pièce me conduira, celafait partie de l’exploration; le récit, jusqu’à un certain point, compte moins que lessituations / le langage / le rythme qui se sont déjà manifestés.

Arne LygreExtrait de “Bagage incorporé”?, entretien avec Anne-Françoise Benhamou, trad. Laure Hémain,

OutreScène n° 12, “Contemporaines ? Rôles féminins dans le théâtre d’aujourd’hui”, La Colline - théâtre national,

mai 2011, p. 11

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“Des personnages qui s’échappent de leur moi” par Anne-Françoise Benhamou

Arne Lygre a voulu être acteur avant de devenir écrivain. Peut-être est-ce pour cetteraison que ses pièces, surtout les plus récentes, se développent comme si les personnages improvisaient au fur et à mesure leur propre fiction : l’auteur semble lesavoir personnellement chargés de construire leur monde. À travers cette collaborationparticulière avec ses créatures, Lygre nous rend complice d’une écriture qui souventà partir de très peu – quelques mots, une situation de base - , explore progressivementses propres possibles1, et en fait surgir des univers imaginaires puissants. Car ils’agit bien de fiction, même s’il n’est pas toujours facile de distinguer dans ce théâtreambigu ce qui advient “réellement” et ce qui est la projection fantasmatique despersonnages – ou leur propension à se démultiplier dans leurs propres virtualités...Si on voulait le dire autrement – rendre compte de cette forme brillamment théâtralesur le plan de sa signification psychique – on pourrait dire des personnages de Lygrequ’ils ne cessent de s’échapper de leur moi. Ce n’est sans doute pas un hasard si laprotagoniste de sa pièce, Je disparais, s’appelle “Moi” ; et si l’auteur engage ce personnage dans un exode où elle va disparaître, c’est-à-dire perdre la vie, mais aussises contours, ce qui faisait son identité. L’identité est aussi au coeur d’Homme sansbut, où l’on découvre au milieu de la pièce que ceux qu’on croyait le frère et lafemme de Peter ne lui sont rien: il les payait pour jouer ces rôles depuis des dizainesd’années... Dans Puis le silence, trois personnages presque indéfinis, Frère, Un, Unautre, se livrent dans dix scènes successives à autant de jeux de rôles, où une situation première esquissée à trois se développe parfois jusqu’à une extrême violence.Une violence d’un ordre très particulier, puisque Lygre revendique pour son écritureune retenue qui le rend capable d’aborder les déchirures les plus profondes et lescatastrophes les plus effrayantes en alliant distance et angoisse.

[...]Cette oeuvre [de Lygre] est clairement contemporaine d’un monde où l’identité ne seveut plus unique, où dans l’espace virtuel on peut multiplier ses avatars ou ses pseudos, où l’on bricole son moi et ses images sur les réseaux sociaux. Pourtant, riende cela n’est présent explicitement dans le théâtre de Lygre: il préfère désignernotre réalité de façon indirecte – souvent par des paraboles ou par des images oniriques, poétiques, qui bien qu’elles ne soient qu’esquissées, sont assez densespour habiter longtemps notre mémoire. On n’oublie pas la maison de Jours souterrains,avec son bunker sous la cave et sa fenêtre ouverte sur un précipice ; ni les habitationsjumelles de L’Ombre d’un garçon où un orphelin grandit dans une maison séparée parune cloison de celle, désormais vide, de ses parents. On reste hanté par la chambred’enfant devenue chambre froide de Rien à quitter : cette maison ouverte à l’hiverqu’on laisse derrière soi sans se retourner, en y oubliant ses chaussures d’été maisen sachant déjà qu’on en rachètera de nouvelles, “meilleures et plus belles” ; car onrenaîtra.

“Être juste ça. Nouveau.” dit Mon Mari dans Je disparais – lui aussi a perdu un enfant.L’idée de la conversion est récurrente dans ce théâtre, et ce n’est pas le moinsétrange, ni le moins intéressant, que cette diffraction de l’identité et cette authenticité impossible – si contemporaines - n’excluent pas le retour de ce trèsancien motif. C’est aussi une renaissance que, dans Jours souterrains, Propriétaireveut offrir aux drogués qu’il séquestre. Salvation pour le moins ambigüe... De même,quand Mon Mari se définit à plusieurs reprises comme un “homme nouveau”, on ne saits’il faut y entendre la fin de son deuil, ou, de façon plus sinistre, l’effacement de

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1. Comme Arne Lygre s’en explique dans “Bagage incorporé”, Outrescène n°12, “Rôles féminins dansle théâtre d’aujourd’hui”, mai 2011.

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l’individu par un environnement totalitaire. Les deux sans doute, et c’est bien en superposant ces deux formes d’arrachement à ce qu’on était, l’une positive, l’autrenégative, que Lygre nous renvoie à une question : qu’est-ce, au fond, que d’accepterde se séparer de ce qu’on était? Ce n’est d’ailleurs pas la seule question éthique quepose cette oeuvre, qui par bien des côtés semble plonger ses racines dans Ibsen etdans Brecht...[...]Autre centre perdu, l’enfant qui meurt est un thème récurrent chez Lygre, commechez beaucoup d’auteurs d’aujourd’hui.2 Cet événement devenu pour nous le scandalele plus inacceptable n’est pas qu’un thème mélodramatique : ce motif est aussi unefigure du non-sens qui menace notre monde et fait de nous des “hommes sans but” -l’allégorie, peut-être, d’un occident qui ne soit plus d’avenir. Mais à rebours d’unetendance contemporaine, l’oeuvre de Lygre n’est pas nihiliste ; dans les catastrophesqui se multiplient, certains personnages se laissent mourir mais d’autres croientjusqu’au bout à l’arrivée des secours, à la possibilité d’un salut.

Anne Françoise Benhamou

in OutreScène N° 13 consacré à Arne Lygre, La Colline - théâtre national, 2011, p. 3-5

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2 Cf. L’enfant qui meurt, motif et variations, ouvrage collectif dirigé par Georges Banu, coordonné par I. Ansart, L’Entretemps, 2010

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“Quand on lit une pièce on en devient metteur en scène”par Anette Therese Pettersen

Lygre a lui-même expliqué lors d’un entretien avec Ajtenbladet qu’il “essaie seulementde trouver des noms archétypaux, des noms que [lui]-même, [il] n’associe avec rien.Des noms sans attaches.”3 En revanche, dans sa première pièce, Maman et moi et leshommes (1998), les noms et le cadre de l’action sont clairement norvégiens. Mais aufur et à mesure, Lygre nous éloigne de ces lieux déterminés, de ces relations procheset familiales, de ce cadre familier pour nous entraîner dans un paysage plus archétypal,plus existentiel, plus universel. Des relations de couple ou de famille, on se rapprochepeu à peu du monde, si dangereusement qu’on en vient à craindre de rencontrerl’apocalypse au coin de la rue. Un autre texte drama tique serait en cours d’écriture,et si son évolution se précise, nous risquons d’y découvrir un paysage pareil à celuide La Route de McCarthy.Quand j’ai entrepris la lecture des six pièces de Lygre, je dois avouer que j’avaisquelques réticences vis-à-vis de l’auteur, en partie dues à ce côté “elle, lui et unetroisième personne dans le canapé” récurrent dans le théâtre norvégien contem porain.En outre, il se trouve que les premières oeuvres de Lygre thématisent davantage lesrelations familiales et les histoires de couple que ses pièces plus récentes (même sil’ironie du sort veut que nous retrouvions dans la dernière, Puis le silence, trois personnages dont deux sont assis un peu à l’écart du troi sième). Les six pièces publiéesont toutes fait l’objet de mises en scène. Mais la représentation théâtrale étantune forme moins ouverte que la littérature, je m’appuierai, pour cet article, sur lestextes qui sont à ma disposition. Quand on lit une pièce, on en devient metteur enscène. L’on pourrait dire, il est vrai, que toute littérature permet au lecteur de créerdes images et de se faire ses propres films. Mais l’écriture dramatique est conçuedans l’optique d’une représentation, c’est une oeuvre qui s’accomplit dans sa rencontreavec la scène. En tant que lecteur, cette scène surgit à l’intérieur de votre tête -d’autant plus pour les pièces de Lygre qui contiennent de nombreuses indicationsscéniques.Commençons par les débuts de Lygre. Même s’il publie de plus en plus de récits, il ad’abord et surtout écrit pour le théâtre. Maman et moi et les hommes a paru en 1998,mais la pièce avait déjà été présentée, en un acte, lors du Dramarikkfestival au NorskeTeatret en 1996. Deux ans plus tard, elle fut publiée dans son inté gralité et représentée au Rogaland Teater.Cette pièce est conçue pour trois acteurs, qui interprètent six personnages. Lygrese sert ici de prénoms assez caractéristiques : Liv, Gudrun et Sigurd (mais plu sieurspersonnages portent le même nom, ce qui les rend finalement anonymes et leur donneune portée plus universelle). Dès l’année suivante, en 1999, paraît sa deuxième pièce,Bràtt evig [Éternité soudaine] où les personnages n’ont plus de nom propre. Commesouvent chez Lygre, l’aspect épique s’y exprime par la façon dont les personnagesalternent entre dialogue et monologue intérieur. Ce méta-niveau prend par la suitedes allures de commentaire et d’analyse qui ne sont pas sans rappeler la techniquede distanciation d’un Bertolt Brecht. Dans son introduction à Maman et moi et leshommes, Lygre précise le style de jeu qu’il souhaite voir adopter pour sa pièce en indiquant au lecteur/metteur en scène qu’”à la lecture, mais aussi sur scène, [lesnombreux monologues] doivent créer un effet de rupture et nous permettre d’entendre les pensées intimes du per sonnage. Dans ces monologues, les personnagessemblent se regarder à une certaine distance, puisqu’ils parlent d’eux-mêmes à latroisième personne4”.

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3. Entretien avec Arne Lygre dans Aftenbladet 20.10.200?,www.aftenbladet.no/kultur/932550/Dramatikeren-vender-tilbake-til-aastedet.html4. Arne Lygre, Maman et moi et les hommes, traduction Terje Sinding

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On retrouve ce trait dans tout le théâtre de Lygre, mais s’il se donne la peine de s’enexpliquer au début de sa carrière, ces indications deviennent plus laconiques au fildes oeuvres. Ainsi, dans Puis le silence, elles se réduisent à trois phrases en quatrelignes.L’équilibre entre ce qui est écrit et ce qui est mis en scène est peut-être ce qui caractérise le mieux Arne Lygre. Il s’adresse au lecteur, tout en ayant en tête unemise en scène à venir, ce qui, dans Maman et moi et les hommes, se traduit à l’intérieurde la pièce par un monologue :

SIGURD. - Ici il lui aurait fallu un monologue !C’était ça qui manquait.Mais est-ce que quelqu’un y avait pensé ?Est-ce qu’on lui avait seulement laissé un peu d’espace pour jouer ?5

Quelques pages ou scènes plus loin, c’est au tour du personnage de Liv de s’adresserau lecteur/spectateur et en même temps au personnage de Sigurd dans la pièce :

LIV. - Tu parles tout seul ?

SIGURD. - Je... J’improvisais. Juste quelques réflexions.Tu me voles la vedette !Tu sais bien que je déteste que tu me joues ce tour là.C’est moi qui suis importante ici,c’est moi le personnage principal.Tu n’as qu’à demander à Lygre. [...]SIGURDf...l tu le connais?

Je suis sa leading Lady.6

Anette Therese Pettersenin OutreScène 13, La Colline - théâtre national, 2011, p. 106-109

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5 ibid., p. 516 ibid., p. 59

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2. La scénographie“Chambre de la conscience” : photographies des scénographiesde Je disparais et Jours souterrains

Qui se sent en sécurité, aujourd’hui, à la fois sur le plan intime et sur le plan politique?Ce sentiment d’insécurité repose-t-il uniquement sur des bases réelles, ou largementfantasmatiques ? C’est tout cela qu’Arne Lygre tisse avec la question de l’exil etcelle de l’identité, amenée de manière tout à fait bouleversan te. Qu’est-ce qui laconstitue, cette identité ? La maison?, interroge Lygre comme en lointain écho La Cerisaie de Tchekhov (car qui vit encore dans la maison de son enfance, de nosjours ?). Le pays, le territoire ? Le corps ? Ou l’imaginai re, un imaginaire contemporainqui fait de nous des “moi” qui dis paraissent ? Vertiges [...]La scénographie, [...] signée par le metteur en scène lui-même, ins talle les “personnages”dans un espace mental démultiplié en blanc, gris et noir, une série de cadres ou d’à-plats lumineux en ligne de fuite, comme autant de chambres de la conscience. La vidéo est utilisée avec une perti nence rare, permettant de figu rer, en un des moments les plus émouvants du spectacle, le moment où “Moi” perd les contours deson identité.

Fabienne Darge Le Monde, 27 novembre 2011

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Je disparais de Arne Lygre, mise en scène de Stéphane Braunschweig (novembre-décembre 2011)

Jours souterrains de Arne Lygre, mise en scène de Stéphane Braunschweig (février 2012)

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Une scénographie qui joue sur la trace et la disparition de la trace

Notes prises lors d’une rencontre avec Stéphane Braunschweig le 11 septembre, pendant les répétitions de Rien de moi

LUI. - Nous avons un lit. Il est installé dans le living. (p. 19)

LUI. - Nous sommes là. Nous avons un lit. Nous achetons une table de cuisine. (p. 28)

LUI. - Nous déménageons.MOI. - Ah oui ?LUI. - Nous trouvons un endroit mieux. Tout près du port.MOI. - J’ai toujours voulu avoir une vue sur la mer. (p. 35-36)

Arne LygreRien de moi, trad. du norvégien Stéphane Braunschweig, avec la collaboration d’Astrid Schenka,

L’Arche Éditeur, Paris, 2014

Chez Arne Lygre, les didascalies sont intégrées au langage. Les choses dites deviennentréelles après coup, comme des traces. Aussi, chaque objet prononcé dans une scène(comme le lit, la table de cuisine, la vue sur le port) apparaît toujours la scèned’après dans les décors. C’est une scénographie qui joue sur la trace et la disparitionde la trace.Dans les deux dernières scènes du spectacle, alors que le couple Moi/Lui se déconstruit,les traces disparaissent, jusqu’à ce que le plateau lui-même finisse par disparaître.

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“Évoquer le cadre de vie mental des gens”entretien avec Stéphane Braunschweig

Dans l’interview qui suit datant de 2012, Stéphane Braunschweig évoque son travailsur l’espace dans différentes mises en scène et sa collaboration avec le scénographeAlexandre de Dardel.

La première lecture d’un texte ne fait-elle pas du metteur en scène le premier scénographe de la pièce ?

Certains metteurs en scène visualisent des images sans pour autant avoir un rapportconcret à l’espace et, en ce sens, ils ont véritablement besoin d’un scénographe.Quand je lis une pièce, je ne visualise pas immédiatement. Je dirais même que si je visualise trop, c’est mauvais signe, c’est que tout se donne d’emblée et ça ne m’intéresse pas. Il faut que la pièce soit un peu énigmatique pour que j’ai envie de lamonter. Je commence à me représenter l’espace seulement au moment du travail sur la scénographie. En premier lieu, je m’intéresse au sujet, aux personnages, aux problématiques, aux questions existentielles, philosophiques que la pièce peut poser.Je sais si cela peut fonctionner de manière intuitive, sans avoir d’idées très concrètes.Puis, je fais la distribution et seulement ensuite je travaille la scénographie, conçueenviron six à huit mois en amont du spectacle, en ayant recours à relativement peude dramaturgie à ce stade. Ce n’est pas la dramaturgie qui détermine la scénographie,cela peut être même parfois le contraire. Dans ce travail, il y a à la fois un geste intuitif et un geste structurant. Mes scénographies sont la plupart du temps évolutives et comportent des mouvements à vue. Je m’emploie à repérer des structuresdans la pièce, une architecture qui n’est pas forcément celle du texte, quelque chosede plus souterrain, des moments de bascule, de déséquilibre, qui ne correspondentpas forcément à un changement de décor ou d’espace indiqué par le texte.Quand je commence à travailler, je me demande dans quel cadre représenter cettehistoire et ces problématiques. Je peux prévoir une sorte de story-board et toutbouleverser lors des répétitions, même de manière radicale. Les cadres que je medonne restent des virtualités. Le scénographe peut parfois coincer le metteur enscène. À l’opéra, c’est un peu différent, on est un peu plus obligé de prévoir. Mais ilm’est quand même arrivé de tout remettre en question.

Quel est le rôle de votre collaborateur Alexandre de Dardel ?

Il peut varier beaucoup d’un projet à l’autre. Au minimum, il réalise les maquettes, assure le suivi de la construction et s’occupe de la partie décorative, cherche lespatines, les matériaux. En général, j’arrive avec des croquis qu’il met en volume, ou jelui décris juste ce que je veux, parfois jusqu’aux dimensions précises. Mais il arriveque ma première idée ne soit qu’un point de départ ; en s’en éloignant, sa part d’intervention sera plus grande. Mes scénographies s’appuient généralement sur unebase très conceptuelle à partir de laquelle il travaille et détaille. Par exemple, pourTartuffe (2008), je lui ai apporté trois croquis qui représentaient les trois étapesde l’élévation des murs. Il a ensuite travaillé sur la dégradation des parois, la formedes fenêtres, la texture du plancher... Il y a des spectacles où le concept s’imposetrès vite, ce qui était le cas pour Tartuffe ; pour Lulu de Frank Wedekind (2010), leconcept a été vite assez clair, mais l’ensemble a énormément évolué.

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Selon les spectacles, le vocabulaire scénographique diffère, mais est-il possibled’identifier des constantes ?

D’abord, Alexandre travaille avec moi depuis 1995, il a fait tous mes spectacles authéâtre et à l’opéra, une trentaine en tout. Au fil de notre collaboration, s’est élaboréun référentiel commun, une sorte de palette. Quand on travaille à un projet, je lui dis:“Là, ce sera le gris de Brand (2005), là le bleu de Peer Gynt (1996), là le sol de Woyzeck(2003)...” Ensuite, il y a des lignées de décors : les boîtes et les espaces gigognes, les perspectives, les plateaux inclinés, les tournettes, les citations réalistes... avec une préoccupation constante et presque cinématographique : le cadrage. Et puis les lignes peuvent se croiser : par exemple, Lulu s’inscrit dans lasérie des spectacles à tournette, cependant le petit décor du cinquième acte reprend le principe de la maison dans la suite de Tartuffe, un espace réaliste abstrait.Je cherche de plus en plus le mélange abstrait/concret pour évoquer le cadre de viemental des gens, au-delà d’un point de vue historique. Dans Tartuffe, les gens sontcoincés dans des cadres. La maison disparaît à mesure qu’elle s’agrandit pour faireplace à un espace mental, à une descente dans l’âme d’Orgon.

Stéphane BraunschweigPropos recueillis par Corinne Denailles, Théâtre d’aujourd’hui n° 13, La Scénographie, CNDP, 2012, p. 85

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Dramaturgie et scénographie, “deux piliers de mise en scène” par Christian Biet et Christophe Triau

Machine à jouerIl est significatif que le théâtre de Stéphane Braunschweig se fonde en premier lieusur les deux piliers de la dramaturgie et de la scénographie — Braunschweig conçoitlui-même ses dispositifs scéniques, primordiaux dans la mise en scène, généralementimposants et fonctionnant comme de véritables “machines à jouer”. Pour lui, la miseen scène est bien affirmation d’un point de vue, à l’inverse de toute prétention auretrait ou à l’effacement ; elle consiste à donner un point de vue sur une pièce quipermette aux spectateurs d’entrer en dialogue imaginaire avec cette pièce et sonauteur. Le rôle du metteur en scène est de préparer l’arrivée des spectateurs, deleur creuser une place par avance. Il s’agit bien de “maîtriser les signes qui produisentle sens”, et le metteur en scène est “un lecteur actif et un interprète”, instaurateurd’un parti pris herméneutique, un regard qui met en oeuvre un point de vue critique,dans le refus de ce que Braunschweig appelle “la “polysémie” généralisée” mais parune activité de choix qu’il juge nécessaire à la réception : “Pour que le spectateur choisisse, il faut qu’il y ait un repère [...] qu’il faut affirmer1”, et il est nécessaire“qu’il puisse entrer dans la complexité de l’oeuvre avec un sentiment de clarté2”.

SurplombC’est donc un théâtre de la lisibilité que celui de Braunschweig, depuis ses premiersspectacles au début des années 90. L’acte de mise en scène, fondé sur une lecturedramaturgique affirmée, y revendique un surplomb, en vertu duquel le plateau est unlieu d’exposition, sur un mode quasi graphique (il s’agit bien d’une écriture, s’affichantcomme telle) dans lequel les corps, les positions, les déplacements, le jeu sont dessignes visibles qui explicitent des rapports de force, des positions stratégiqueset/ou idéologiques, clarifient, voire commentent les points de vue des personnagespour le spectateur qui “peut dès lors les regarder de haut”3 — voir en particulierleurs dénis, leurs lapsus, leur éventuel aveuglement. Il est d’ailleurs significatif queBraunschweig ait à plusieurs reprises fondé ses scénographies, au cours des années 90(à partir du Conte d’hiver, de Shakespeare, 1993), sur le principe du plateau incliné,celui-ci fonctionnant comme un procédé d’artificialisation mais surtout d’amplificationde la signification et de la lisibilité de chaque élément scénique : avec un tel dispositif,expliquait-il alors, “plus aucun geste n’est naturel ; rien n’est anecdotique. Chaquemouvement de décor est perçu au décuple ; tout y signifie de manière presque graphique : les corps s’inscrivent [...] un peu comme des lettres sur une page. [...] Le surplomb que cela donne permet de prendre de la distance, d’avoir une perceptionclaire du point de vue de chaque personnage : on n’est plus noyé parmi eux, perdudans leur confusion. Toutes les relations de force surgissent à nu...” C’était parexemple le cas lors de la scène du procès du Marchand de Venise (Shakespeare, 1998),à l’occasion de laquelle le plateau s’inclinait, permettant d’écrire par les relationsspatiales les rapports de force engagés au cours de cette séquence judiciaire, touten jouant bien évidemment avec le déséquilibre et la complexité propres aux corpsdes acteurs (tout particulièrement celui de Philippe Clévenot, qui jouait Shylock).

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1. “Mises en scène du monde”, supplément publié à l’occasion du colloque organisé à Rennes par leThéâtre national de Bretagne (novembre 2004)2. “La mise en scène : un art de l’interprétation”, in Théâtre d’aujourd’hui, n°10, CNDP, 20053. “Le réel retrouvé”, entretien avec A.-F. Benhamou, Théâtre/Public, n° 115, Gennevilliers, janvier-février 1994

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Théâtre critiqueUne spatialisation clarifiante, une visibilité affir mée (et donc, par conséquent, destinée à être interrogée), la revendication d’un point de vue spécifique, une démarche profondément dramaturgique, une écriture scénique agençant des signespour ame ner le spectateur à “en savoir plus que les personnages4” : on le voit, lethéâtre de Braunschweig conçoit l’exposition scénique comme l’élaboration l’une lisibilité (ce qui en fait, aussi, un metteur en scène d’opéra très reconnu). Il n’enreste pas moins qu’il ne s’agit cependant pas exactement d’un “théâtre critique”comme celui des années 60, que la conception même de la lisibilité que permet l’espacede la scène (et, plus largement, le rapport au réel) a changé. Braunschweig pouvaitainsi constater, en 1994 : « Le théâtre n’est plus, me semble-t-il, un organe “critique”,même s’il reste essentiellement “politique”, parce que “poétique” : un lieu de vigilanceet de parole. » La clarification braunschweiguienne ne prétend alors pas à une évidenceimmédiate du théâtre, dans la conviction de produire un sens qui pourrait être effectifou éclairant en soi ; elle se voudrait plutôt un processus consistant à faire apparaîtredes symptômes, à dévoiler des masques, en particulier la part du fantasme à l’oeuvredans toute représentation du réel. Il n’est pas anodin que Braunschweig s’attache,depuis plusieurs années aussi bien à travers la folie shakespearienne qu’à travers desfigures comme Le Misanthrope de Molière (2004) ou le pasteur Brand d’Ibsen (2005), àune sorte de critique de l’idéalisme et à la déconstruction des radicalités éthiques.La scène est pour lui un lieu de démystification et d’aiguisement du regard, mais ellene prétend pas pour autant être un lieu de vérité. À l’image de l’outil psychanalytique,qui est très important dans sa dramaturgie, le surplomb chez Braunschweig permet de lire, de distinguer et d’interpréter des symptômes et la complexité du réel, et,simultanément, la mise en scène met en jeu la conscience que le regard butera toujourssur cette complexité du réel sans pouvoir la résorber. Il s’agit, de Shakespeare àIbsen (Les Revenants, 2003, Brand), de faire apparaître les contradictions des personnages tout en faisant éprouver l’irréductible complexité qui régit leurs aveuglements. Le réel reste donc un “réel perdu”, “parce que la vie elle-même met enéchec toute tentative de lui donner un sens cohérent” (comme il le dit à propos deLa Cerisaie et du Conte d’hiver 5) — la question, pour lui, étant alors comment, aprèsle théâtre, retourner au réel. C’est donc bien sur le constat premier de “la capacitéde résistance de la réalité aux discours, aux interprétations, aux significations quivoudraient la recouvrir” que se fonde ce théâtre, qui s’emploierait à “faire surgirdans le langage cette résistance du réel à tout effort de représentation”.Ainsi, même une pratique aussi dramaturgique que celle de Stéphane Braunschweig témoigne d’un déplacement des enjeux du théâtre critique. Le rapport à la représentation, au sens, au réel n’est plus le même.

Christian Biet, Christophe TriauQu’est-ce que le théâtre ?, Éditions Gallimard, 2006, p. 811-815

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4. “La mise en scène : un art de l’interprétation”, op.cit.5. “Le réel retrouvé”, op.cit.

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B. Autour de Rien de moi : sources et influences pour une mise en scène

1. Quitter son foyerDans Rien de moi, Moi se sépare de son mari et de son fils pour aller vivre avec sonnouveau compagnon, Lui. Une situation que l’on retrouve dans Intimité d’Hanif Kureishi,adapté pour le cinéma par Patrice Chéreau, et Les Revenants d’Henrik Ibsen.

Rien de moi, extrait

... MOI. - Il ne faut pas que je sois faible, maintenant, dis-je en chuchotant.

LUI. - Tu es forte.

MOI. - Je ne vais pas tarder.

LUI. - Oui.

MOI. - Je suis cette femme qui roule vers chez elle, qui se gare devant sa maison et yentre, qui fait la cuisine pour son enfant, qui passe une dernière soirée avec lui et lui souhaite une bonne nuit, qui lui dit qu’elle l’aime, n’oublie jamais ça, dit-elle, et c’estce qui se passe. Il n’oubliera pas. Elle, c’est moi. Cette femme.

LUI. - Oui.

MOI. - Je ne suis rien sans toi.

LUI. - J’attends ici.

MOI. - Je suis prête, me dis-je en entendant mon mari ouvrir la porte d’entrée. Iljette un coup d’oeil dans le living, je suis assise sur le canapé, et il me sourit, me de-mande si j’ai eu une bonne journée. Je l’entends dans la cuisine. Je l’entends dans lasalle de bain. Je l’entends dans la chambre à coucher. Au bout d’un moment je l’en-tends dormir profondément. Je prends la valise que j’ai cachée, et où j’ai déjà empa-queté quelques vêtements. Je prends mes dernières affaires, celles que je n’ai pas puempaqueter avant sans éveiller de soupçon. Je m’en vais.

LUI. - Tu reviens ici. J’ouvre la porte, je te donne un baiser, je dis : Bienvenue.

MOI. - Je pose ma valise.

HIVERLUI. - Bienvenue.

MOI. - J’ai fini par le faire. Je suis partie.

LUI. - Oui.

MOI. - Je suis ce genre de personne. Quelqu’un qui laisse tout derrière soi.

LUI. - Je crois que je t’aime.

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MOI. - Mon mari ne m’aurait jamais laissé partir. Nous resterons toujours ensemble, a-t-il dit une fois.Toujours.

LUI. - Je suis là.

MOI. - Je ne réponds pas tout de suite. Je te regarde.Ça m’aide.

Arne LygreRien de moi, tra. du norvégien Stéphane Braunschweig, avec la collaboration d’Astrid Schenka,

L’Arche Éditeur, 2014, p. 20-24

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Intimité, extrait

C’est la plus triste des soirées, car je m’en vais et ne reviendrai pas. Demain matin,lorsque la femme avec qui je vis depuis six ans sera partie au travail sur sa bicycletteet qu’on aura emmené nos enfants au parc avec leur ballon, je mettrai quelques affairesdans une valise, je quitterai discrètement ma maison en espérant que personne ne meverra et je prendrai le métro pour aller chez Victor. Là, pendant une durée indéterminée,je dormirai par terre dans la pièce minuscule qu’il a aimablement mise à ma disposition,à côté de la cuisine. Chaque matin, je rangerai le matelas mince et étroit dans lechauffe-linge. Je fourrerai dans un coffre le duvet qui sent le moisi.Je ne reprendrai pas cette existence. C’est impossible. Peut-être devrais-je laisserun mot pour le lui dire. “Chère Susan, je ne reviendrai pas...” Peut-être sera-t-il préférable d’appeler demain après-midi. À moins que je ne lui rende visite durant leweek-end. Je n’ai pas encore décidé des détails. Mais je suis presque certain de nepas lui révéler mes intentions ce soir ni cette nuit. Je vais repousser ce moment.Pourquoi ? Parce que les mots sont des actes et qu’ils déclenchent des événements.Dès qu’ils sont prononcés, on ne peut plus les retirer. Une chose irrévocable a étéaccomplie. Pas question de retourner en arrière, même si j’ai peur et si j’hésite. Enfait, je tremble.Il s’agit donc sans doute de notre dernière soirée familiale, innocente et pacifique ;de ma dernière nuit avec une femme que je connais depuis dix ans, une femme dont jesais presque tout et dont je ne veux plus. Bientôt, nous nous comporterons enétrangers. Non, nous ne pourrons jamais être ainsi. Blesser quelqu’un, c’est entrer pareffraction dans son intimité. Chacun devient pour l’autre une relation dangereuse,chargée d’histoire. Cette première fois où elle a posé la main sur mon bras — comme jeregrette de ne pas m’être détourné. Quel gâchis ; quelle perte de temps et d’émotions.Elle a dit une chose similaire sur moi. Mais parlons-nous vraiment sérieusement ? Jetergiverse sans arrêt à ce sujet. [...] un bruit au-dehors me fait sursauter. Je retiens mon souffle.Déjà!Elle pousse sa bicyclette dans l’entrée. Elle prend les sacs de provisions dans le panier.Depuis des mois et surtout ces derniers jours, où que je sois, — que je travaille,m’habille ou attende le bus —, je contemple cette rupture sous tous les angles possibles.Plusieurs fois j’ai raté ma station de métro ou je me suis retrouvé dans un lieu familierque je ne reconnaissais pas. Je ne sais pas toujours où je suis et c’est parfois uneexpérience agréablement fatigante.Mais ces jours-ci, j’ai l’impression de regarder le monde en ayant la tête à l’envers.J’ai tenté de me convaincre que quitter quelqu’un n’est pas la pire chose qu’on puisselui faire subir. C’est parfois douloureux, mais ce n’est pas forcément une tragédie. Si l’on ne quittait jamais rien ni personne, il n’y aurait pas de place pour la nouveauté.Bien sûr, passer à autre chose constitue une infidélité — aux autres, au passé, auxconceptions anciennes de soi. Peut-être, alors, chaque journée devrait-elle contenirau moins une infidélité essentielle, une trahison nécessaire. Il s’agirait donc d’unacte optimiste, plein d’espoir, garantissant la foi en l’avenir, l’affirmation que leschoses peuvent non seulement être différentes, mais meilleures.Moyennant quoi j’échange Susan, mes enfants, ma maison, le jardin plein de plantationsillicites et de fleurs de cerisier que j’aperçois par la fenêtre de la salle de bains,contre un endroit chez Victor où il y aura des courants d’air et de la poussière surle plancher.

Hanif KureishiIntimité, trad. de l’anglais Brice Matthieussent, Christian Bourgois Éditeur, collection 10/18, 1998, p. 7-10

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Les Revenants, extrait

MME ALVING. - Dans ma solitude, j’en suis arrivée à penser comme lui, pasteur. Seulement,je n’ai jamais osé en parler. Eh bien, mon fils parlera pour moi.

MANDERS. - Vous êtes bien à plaindre, madame Alving.Il faut que je vous parle sérieusement. Ce n’est plus votre homme d’affaires et votreconseiller, ce n’est plus votre ami de jeunesse et celui de votre défunt mari qui setient devant vous. C’est le prêtre, tel qu’il est déjà intervenu au moment le plusdésespéré de votre vie.

MME ALVING. - Qu’a-t-il à me dire, ce prêtre ?MANDERS. - Je dois d’abord remuer vos souvenirs madame. Le moment s’y prête. Demain,ce sera le dixième anniversaire de la mort de votre mari. Demain, on dévoilera un monument à sa gloire; demain je m’adresserai à la foule; — mais aujourd’hui, c’est àvous seule que je m’adresse.

MME ALVING. - Eh bien, pasteur; parlez !

MANDERS. - Vous rappelez-vous qu’à peine un an après votre mariage vous étiez au bordde l’abîme ? Que vous avez quitté votre foyer,— fui votre mari — oui, fui, madame Alving, et refusé de retourner auprès de lui malgré ses prières et ses supplications ?

MME ALVING. - Vous avez donc oublié à quel point j’étais malheureuse pendant cettepremière année ?

MANDERS. - C’est de la rébellion d’exiger d’être heureux dans cette vie. Quel droitavons-nous au bonheur ? Non madame, nous devons faire notre devoir. Et votre devoirétait de rester auprès de l’homme que vous aviez choisi et à qui vous étiez liée pardes serments sacrés.

MME ALVING. - Vous connaissez la vie que menait Alving à cette époque, les dépravationsdont il se rendait coupable.

MANDERS. - Je connais les bruits qui ont couru à son sujet; et je suis le dernier à approuver sa conduite, si tant est que ces bruits fussent fondés. Mais ce n’est pasle rôle d’une épouse de s’ériger en juge de son mari. Il eût été de votre devoir desupporter avec humilité la croix qu’une volonté supérieure avait trouvé bon de vousinfliger. Au lieu de cela, vous vous révoltez, vous rejetez votre croix, vous abandonnezl’être défaillant que vous auriez dû soutenir, vous allez jusqu’à risquer votre réputation,et — à nuire à la réputation des autres.

MME ALVING. - Des autres ? D’un autre, voulez-vous dire.

MANDERS. - C’était inconsidéré de votre part de venir chercher refuge chez moi.

MME ALVING. - Chez notre pasteur ? Chez l’ami de la maison ?

MANDERS. - Justement. — Vous pouvez remercier notre Seigneur et Maître; j’ai eu lafermeté nécessaire,— j’ai su vous détourner de vos projets déments, j’ai réussi àvous ramener dans les chemins du devoir et dans la maison de votre époux légitime.

MME ALVING. - En effet, pasteur Manders; tout cela est votre oeuvre.

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MANDERS. - Je n’ai été qu’un humble instrument dans les mains du Très-Haut. D’ailleurs,n’avez-vous pas, chaque jour de votre vie, béni cette soumission à laquelle vous avezconsenti ? Les choses ne se sont-elles pas passées comme je vous l’avais dit ? Alvingne s’est-il pas détourné de ses erreurs, comme il sied à un honnête homme ? N’a-t-ilpas, ensuite, mené jusqu’à la fin de ses jours une vie conjugale exemplaire ? N’a-t-ilpas été un bienfaiteur pour la région ? Ne vous a-t-il pas élevée jusqu’à lui pour fairede vous sa collaboratrice dans toutes ses activités ? Et quelle collaboratrice, — si,si, madame Alving, je suis au courant, et je vous dois cet éloge. — Mais j’en arrive à ladeuxième erreur de votre vie.

MME ALVING. - Que voulez-vous dire ?

MANDERS. - De même que vous avez renié vos devoirs d’épouse, vous avez renié vos devoirs de mère.

MME ALVING. - Ah !

MANDERS. - Vous avez toujours été animée par une déplo rable volonté d’indépendance.Vous avez toujours aspiré à une vie sans lois ni contraintes. Vous n’avez jamais pusupporter de vous sentir liée. Tout ce qui vous gênait dans la vie, vous l’avez rejetésans scrupules, comme un fardeau dont vous pouviez disposer à votre guise. Le rôled’épouse ne vous convenait plus, et vous avez quitté votre mari ; le rôle de mèrevous a paru trop lourd, et vous avez confié votre fils à des étrangers.

MME ALVING. - C’est exact; j’ai fait cela.

MANDERS. - Et vous êtes devenue une étrangère pour lui.

MME ALVING. - Non, non; ce n’est pas vrai !MANDERS. - Si ; il ne peut en être autrement. Dans quel état ne vous est-il pas revenu !Réfléchissez, madame Alving. Vous avez fait du tort à votre mari; —vous le reconnaissezen élevant ce monument à sa gloire. Reconnaissez maintenant que vous avez égalementfait du tort à votre fils; peut-être est-il encore temps de le détourner des cheminsde la perdition. Faites votre examen de conscience, et aidez-la à se relever, si cen’est pas trop tard. Car (levant l’index) en vérité, vous êtes une mère coupable! — Je considère qu’il était de mon devoir de vous le dire.

Henrik IbsenLes Revenants, in “Les Douze Dernières Pièces”, vol. I, trad. du norvégien Terje Sinding, Imprimerie nationale,

coll. “Le spectateur français”, mars 2003, p. 307-310

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2. Le retour du passé

Dans Rien de moi, le passé resurgit dans le quotidien amoureux de Lui et Moi à traversnotamment la figure de l’Ex-mari de Moi. Une situation qui rappelle celle de Rêve d’automne de Jon Fosse où deux anciens amants se retrouvent.

Rien de moi, extrait

MOI. - Pendant longtemps c’est comme ça que je me voyais moi-même. Je ne vivrai pasvieille, pensais-je. Mais je suis encore là.

EX. Elle et moi nous vieillirons ensemble, ai-je toujours pensé à propos de nous.

MOI. - J’ai pensé la même chose pendant un moment. Lui et moi, pensais-je, et je teregardais et j’étais heureuse.

EX. - Je te regarde, maintenant. Je voudrais qu’elle revienne, c’est ce que je pensemais je ne dis rien. Tu t’es assise à côté de moi. Tu te tais.Qui est-ce, celui avec qui tu vis maintenant ? Je te demande.

MOI. - Je ne sais pas, dis-je. Mais je ne peux plus m’imaginer sans lui, dis-je.

EX. - Il est jeune ?

MOI. - Oui.Je peux à peine croire qu’il veuille de moi. Pour quelques années, a-t-il dit. En tout caspour quelques années, a-t-il dit.

EX. - Et après tu reviendras avec moi.

MOI. - Je ne crois pas.

EX. - Je te connais. Un jour tu reprends contact. Ça ne me dérange pas, et même ça meplaît. Je vais lui montrer cette maison qui n’est plus la sienne, me dis-je, je vais luifaire la cuisine comme on ne la lui fait plus, et lui témoigner une proximité qui n’estplus vraie.Plus tard dans la soirée je couche avec toi une dernière fois avant de te prier departir. Ne te montre plus jamais ici, dis-je.

MOI. - Tu n’es pas si fort. Tu aimerais être comme ça, mais tu n’as pas ça en toi. Si jerevenais, tu n’aurais pas la force de résister à tout ce que je suis pour toi.Avant je n’avais jamais eu un tel pouvoir sur quelqu’un.

EX. - Ça passera. Maintenant c’est difficile, me dis-je, mais un jour je ne comprendraiplus celui que j’étais, mes pensées et mes actes dans tout ça.

MOI. - Ta pire période.

EX. - Oui.

MOI. - Tu es seul.Tu ressens ça à tout moment. C’est la première chose à laquelle tu penses quand tute réveilles, et la dernière que tu essaies de te sortir de la tête avant de t’endormir,et toute la journée, en boucle, ce sentiment de solitude, de deuil.

Arne LygreRien de moi, trad. du norvégien Stéphane Braunschweig, avec la collaboration d’Astrid Schenka, L’Arche Éditeur,

Paris, 2014, p. 81-83

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Rêve d’Automne, extrait

LA FEMME. - C’est ici que nous nous sommes rencontrés que nous nous sommes mis ensembleC’était bien ici

L’HOMME. - Ouic’était bien ça

LA MÈRE. - entrant, crie Il faut venir maintenantLa femme retire son brasVenez maintenantne restez pas là

LE PÈRE entrant, prend la mère par le brasIl crie dans leur direction. -Venez maintenantOn ne peut plus attendreC’est l’heure

LA MÈRE. - crieVenezS’il vous plaîtVenez

Le père sort en emmenant la mère

LA FEMME. - Tu ne veux pas assister à l’enterrement

L’HOMME. - C’est si loinIl met son bras autour de ses épaules, la serre contre luiC’est si loinsi terriblement lointout est si loinsi terriblement loin

LA FEMME. - Tout est si loinsi terriblement loinBref silenceEt tant de choses se sont passées

L’HOMME. - retire son brasTout s’est passéet rien

LA FEMME. - Tant de choses se sont passées

L’HOMME. - Oui nous avons fait tant de choses ensemble tous les deux

LA FEMME. - Et nous sommes restés ensembleEnvers et contre toutnous sommes restés ensemble

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L’HOMME. - Toi et moi

LA FEMME. - Toi et moiEt qui l’aurait cruPas moi en tout cas

L’HOMME. - Il y a eu tant de choses

LA FEMME. - se lèveNous nous sommes installés et nous avons voyagé et déménagéNous avons vécu et luttéNous avons été unis et désunismais nous sommes restés ensemble toi et moi

L’HOMME. - Nous sommes restés ensemble

LA FEMME. - Et tant de choses il y a eu

L’HOMME. - Mais rien ne peut être dittout était là dans le présentet si on le ditil n’en reste rien

LA FEMME. - Mais nous avons été ensemble

L’HOMME. - Comme le vent et les vagues

Jon FosseRêve d’automne, trad. du norvégien Terje Sinding, L’Arche Éditeur, 2005, p. 97-99

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3. L’enfant qui meurt

Rien de moi, extrait

UNE PERSONNE. - [...] C’est le moment de dire ce que tu as à dire. Après je m’en irai,ou plutôt nous, et tout sera fini.

MOI. - Ma fille.

UNE PERSONNE. - Oui.

MOI. - Je te revois sans cesse.

[...]

UNE PERSONNE. - Tu viens vers moi. Tu me fais signe.

MOI. - Je te l’ai déjà dit cent fois. Jamais au-delà de la ligne de sécurité. Plus loin laglace n’est pas sûre. Tu as compris ? demandais-je. Oui, disais-tu. Tu me promets ?demandais-je. Oui, disais-tu.

UNE PERSONNE. - Tu tombes.

MOI. - Tu me vois et fais demi-tour. Patines vers moi. Je vais y arriver, je te crie.

UNE PERSONNE. - Je me rapproche. Je n’ai pas besoin d’aide, dis-tu.

MOI. - Tu t’arrêtes.

UNE PERSONNE. - Je te regarde.

MOI. - Tu ne dis rien, mais tu hésites un instant avant de repartir glisser au loin.

UNE PERSONNE. - Elle va me suivre, me dis-je.

MOI. - J’essaye de te rattraper, mais quand tu le remarques, tu ne fais qu’aller plusvite.Pas plus loin, je te crie.

UNE PERSONNE. - Encore un petit peu, me dis-je.

MOI. - Stop ! je te hurle.

UNE PERSONNE. - Je vois que tu t’es arrêtée à la ligne tracée sur la glace.

MOI. - Je suis lourde. Je n’ose pas continuer.

UNE PERSONNE. -Je suis légère.Je continue de glisser. Il fait froid, je ne suis pas assez couverte, mais ça me plaît,je me grise de la vitesse. Je suis glacée, mais ça m’est égal, je continue de glisser ettrès vite la couche de glace devient plus fine sous mes pieds, c’est comme du miroir,

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chatoyant, sombre, sans autre trace que les miennes, et je me retourne, je te voistoute petite au loin, tu ne bouges pas de là et tu agites les deux bras alors quebrusquement la glace cède sous mes pieds, tu me vois et puis tu ne me vois plus, jesuis dans l’eau, je suis trempée, congelée, lourde, je suis trop couverte et je ne peuxpas m’alléger de mes vêtements.Je ne me maintiens pas très longtemps à la surface.

MOI. - On ne te retrouvera jamais.Ils te cherchent pendant quelques jours, les équipes de plongeurs se relaient, maiscomme c’est la victime d’un accident qu’ils cherchent à remonter, ils ne peuvent pascontinuer indéfiniment.Nous n’aurons pas de tombe où nous recueillir.Ton corps se dissout dans l’eau de mer et se laisse absorber.

Arne LygreRien de moi, trad. du norvégien Stéphane Braunschweig, avec la collaboration d’Astrid Schenka,

L’Arche Éditeur, Paris, 2014, p. 73-78

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Petit Eyolf, extrait

ALLMERS (serrant le poing contre la table).- Peux-tu com prendre le sens de tout cela ?

ASTA (le regardant).- De quoi ?

ALLMERS.- De ce qu’on a fait à moi et à Rita.

ASTA.- Le sens de tout cela ?

ALLMERS (avec impatience).- Oui, le sens. Car cela doit quand même avoir un sens. Lavie, l’existence, — le destin ne peuvent pas être totalement absurdes.

ASTA.- Qui peut parler avec certitude de ces choses-là, mon cher Alfred ?

ALLMERS (avec un rire amer).- Non, non; tu as peut-être raison. Peut-être que toutse passe à l’aveuglette. Que tout va à vau-l’eau, comme une épave sans gouvernail.C’est bien possible. — Parfois il me semble qu’il en est ainsi.

ASTA (pensive).- Et si tu te trompais, Alfred ?

ALLMERS (avec véhémence).- Alors, tu peux peut-être me donner une explication ?Car moi, je n’en trouve pas. (Avec une voix plus douce.) Voici qu’Eyolf est sur le pointd’accé der à l’âge de raison. Qu’il porte en lui des possibilités immenses. Des possibilitésinfinies, peut-être. Qu’il allait remplir ma vie de joie et de fierté. Et il suffit qu’arriveune vieille folle — qui lui montre un chien dans un sac —

ASTA.- Mais nous ne savons rien de ce qui s’est passé.

ALLMERS.- Si, nous le savons. Les garçons l’ont vue tra verser le fjord à la rame. Ilsont vu Eyolf à l’extrémité de l’embarcadère. Il la fixait des yeux — et il a été pris devertige. (La voix tremblante.) Et c’est ainsi qu’il est tombé — et qu’il a disparu.

ASTA.- Oui, oui. Et pourtant —

ALLMERS.- Elle l’a attiré dans les profondeurs. Tu peux en être sûre.

ASTA.- Mais pourquoi l’aurait-elle fait ?

ALLMERS.- Ah, voilà le problème. Pourquoi l’aurait-elle fait ? Il n’y a aucune vengeancelà-dessous. Rien à faire expier, je veux dire. Eyolf ne lui avait jamais fait de mal. Iln’avait jamais crié après elle. Jamais jeté de pierres à son chien. Il ne l’avait jamaisvue, ni elle, ni le chien, jusqu’à hier. Pas de vengeance, donc. Il n’y a pas de rai son.C’est parfaitement absurde, Asta. — Et malgré cela, c’est nécessaire à l’ordre del’univers.

Henrik IbsenPetit Eyolf, in “Les Douze Dernières Pièces”, vol. IV, trad. du norvégien Terje Sinding, Imprimerie nationale,

coll. “Le spectateur français”, 1993, p. 50-51

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L’enfant qui meurt : traumatisme personnel et symbolique collective

À l’origine de ce livre, une intuition : la mort de l’enfant comme motif récurrent. À force de revenir, il finit par se constituer en centre rayonnant, en thème avec variations, pour emprunter un terme musical. Le noyau s’organise autour d’un personnage, l’enfant, défini toujours par son âge, sans identité propre ni biographiefournie, enfant voué à la mort, par meurtre ou accident. Il est soit rattaché, pardes liens de sang, à une cellule familiale, soit impliqué, malgré lui, dans le champ du politique. La mort de l’enfant, par-delà tout ce qu’elle procure comme désarroi etdeuils personnels, cristallise un rapport au monde, révèle des stratégies de pouvoir,concentre les peurs d’une époque. C’est dans cette perspec tive que nous l’approchonsici, convaincus du bien fondé de ce constat : par-delà l’intime, la mort de l’enfant, àforce de traverser l’histoire du théâtre, s’érige en motif aux constellations multiplesqui, selon les époques, a connu des priorités de sens successives. Les motivations desa présence diffèrent selon les moments de l’histoire et la place accordée à l’enfantdans une société donnée, mais, régulière ment, pendant la durée d’un créneau de temps,plus ou moins long, malgré la diversité des auteurs, des constantes se dégagent. Celaexplique pourquoi “la mort de l’enfant” peut parfois prendre le sens d’un symptômediffus, révélateur secret du Zeitgeist, l’esprit du temps, avec tout ce qu’il comportecomme crainte et relation aux valeurs propres à une époque. À travers “la mort” del’enfant nous pouvons, grâce à l’effort d’interprétation fourni ici, déceler certainesde ses données. Dans “la mort de l’enfant” se donne à lire la relation qu’entretientune société à sa régénération possible et à ses perspectives d’avenir.[...]À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle la mort de l’enfant n’a rien de fortuit,elle revient constamment et se constitue en véritable symptôme. Au terme du XIXe

siècle, circule d’oeuvre en oeuvre le motif de “l’enfant mort”. Il se retrouve dans Le Petit Eyolf ou Brand d’Ibsen dans Intérieur ou La Mort de Tintagiles de Maeterlinck,dans La Mouette ou La Cerisaie de Tchekhov ou même, plus tardivement, chez Pirandellodans Vêtir ceux qui sont nus. Les raisons de ces décès divergent mais elles semblenttoujours échapper à la volonté des humains : mala dies, plus ou moins diagnostiquées,accidents, noyades, chutes... L’imprévu tra gique intervient chaque fois pour désorganiser des vies, briser des alliances, officielles ou pas, bref dérouter lesêtres qui subissent le choc de cette disparition d’enfant. Elle comporte des conséquences extrêmes car, pour les protagonistes, chaque fois, il s’agit de subirl’effondrement des projets d’existence aussi bien que d’éprouver la cassure du lienorganique fondateur, le lien parental. Et ainsi, la mortalité infantile, courante àl’époque, mortalité bien réelle qui, selon certains, pourrait expliquer la multiplicationde ces décès, se trouve intégrée — il faut y insister — sur le mode symbolique dansles textes de l’époque. Ce qui frappe justement concerne cette mutation significativequi intervient à un moment historique bien précis. Les siècles précédents avaientconnu aussi une importante mortalité infantile — Montaigne, particulièrement prolifique,ne se souvenait plus du nombre de ses enfants disparus. Et les exemples sont fréquents.Les compositeurs, pour rester parmi les artistes, sont frappés aussi par des deuilsd’enfants, sans parler des gens du peuple. Et, pourtant, c’est seulement dès la fin du XIXe siècle que les données concrètes qui persistent encore se convertissent enmotif dramatique récurrent. Cette conversion, par son unicité, fait sens. Il y achangement de mentalité — l’enfant est valorisé! — mais aussi prise en compte de cedeuil qui pèse dès lors sur les familles de la bourgeoisie qui ne cultivent plus la mêmefécondité que le peuple et l’aristocratie auparavant. La mort de l’enfant prend désormais un caractère différent, autrement plus dramatique.

Georges Banuin L’enfant qui meurt, Éditions L’Entretemps, 2010, p. 10-18

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Annexes

Repères cinématographiques

Cris et chuchotements d’Ingmar Bergman (1972)avec Harriet Andersson, Ingrid Thulin, Liv Ullman, Kari Sylwan

Dans une immense demeure patricienne perdue au milieu d’un parc, à la fin du XIXe siècle,Agnès va mourir, assistée par trois femmes : ses deux soeurs et une servante dévouée.Chacune, à sa manière, subit la contagion de la douleur.

Huis clos somptueusement funèbre, le film s’attarde tour à tour sur chaque personnage,entre souvenir et cauchemars. Jamais Bergman n’aura aussi finement ciselé sesthèmes de prédilection : le carcan des conventions sociales, le poison des liens familiauxet, surtout, la fuite du temps, la souffrance et la Mort.

Adepte du noir et blanc, Ingmar Bergman se résout à contrecoeur à adopter la couleur,en 1964, avec le film Toutes ses femmes. En 1973, pour Cris et Chuchotements, cetteréticence a fait place à un parti pris esthétique éblouissant : Agnès et ses compagnesbaignent dans un rouge carmin. Tentures, murs, sol, tout évoque le sang ou, peut-être,une immense matrice qui enserre les personnages et leurs tourments. Le rouge envahitaussi l’écran, lorsque le récit bascule dans le souvenir : Bergman a confié, un jour,que dans ses rêveries d’enfance c’était la couleur de l’âme, qu’il imaginait comme “unesorte de dragon, une énorme créature ailée, mi-poisson mi-oiseau”.En contrepoint, le cinéaste a peaufiné l’éclairage, entièrement naturel, préparantdurant des semaines avant le tournage, avec son complice Sven Nykvist, la manièredont l’ombre et la lumière se disputeraient l’ascendant sur les visages et les corps.La beauté hautaine de l’image, son mélange unique de crudité et d’onirisme, lui valurentun Grand Prix technique au festival de Cannes de 1973, bien que le film y fût présentéhors compétition...[...]Deux séquences presque antagoniques ont marqué à jamais les mémoires des cinéphiles.Celle où Karin, la soeur puritaine, terrifiée par son corps et ses émotions, se mutilele sexe avec un morceau de verre. Comment ne pas évoquer l’influence de cette scèneglaçante sur le comportement de Charlotte Gainsbourg dans le récent Antéchrist, de Lars Von Trier, ou encore sur les coupures que s’inflige Isabelle Huppert dansLa Pianiste ? Aux antipodes de cette violence, il y a une étreinte aussi tendre quedérangeante, entre la mourante et sa bonne, qui lui offre son sein, comme une ultimecaresse de la vie...

Cécile Mury Télérama, 19 août 2009

IntimitéDrame réalisé en 2000 par Patrice Chéreauavec Mark Rylance, Kerry Fox, Philippe Calvario...

Un mercredi, à Londres, le cri de la sonnette réveille Jay. Il ouvre à une femme, Claire,qu’il a déjà vue une fois. Elle inspecte distraitement la maison puis l’embrasse. Ils fontl’amour, avec urgence et passion, sans autre forme de procès. Claire disparaît, pourrevenir le mercredi suivant. A nouveau, ils font l’amour, sans échanger un mot. Jayfinit par confier ses angoisses à Ian, l’un de ses collègues barman. Il évoque son ex-femme, ses enfants qu’il ne voit plus, cette relation purement physique avec unefemme qu’il ne connaît même pas et qu’il n’a d’ailleurs pas envie de connaître mieux. Il hésite : faut-il prolonger cette liaison ?...

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Comment raconter, en 2001, une histoire d’amour au cinéma ? Pas une bluette à deuxballes ni un sublime mirage, mais une histoire tangible, charnue, complexe, de plain-piedavec l’époque. Comment s’y prend-t-on ? On ignore si Patrice Chéreau s’est posé laquestion en ces termes, avant d’entreprendre son huitième long métrage, mais il estcertain que le film, lui, y répond sans ambages. D’abord par son point de départ : lesexe, et rien que le sexe, comme préalable à toute esquisse de sentiment. Les mercredisaprès-midi, Jay reçoit la visite de Claire dans son appartement décrépit. Ils échangentà peine quelques mots, ne se connaissent pas, mais ils se jettent l’un sur l’autre etfont l’amour à même le sol, comme on livre une bataille. Ce n’est qu’un début, mais oùse joue, déjà, l’un des paris du film : la représentation du désir physique, qui taraudesi fort aujourd’hui le cinéma d’auteur, en France et ailleurs. Pari réussi, puisque cesscènes possèdent une beauté inédite : fébriles mais pas frénétiques, impudiques sansêtre obscènes, elles donnent à suivre, dans la durée, la déformation troublante desvisages, le rougissement des peaux, la concentration quasi douloureuse des regards...Toutes choses habituellement occultées. Le second pari de Chéreau consiste à mettreen scène l’histoire sur les lieux et dans la langue où elle a été imaginée, à l’origine,par l’écrivain anglo-indien Hanif Kureishi (1). Scénarisé, éclairé, monté par des Français,Intimité est joué à Londres, et en anglais, par des acteurs que l’on découvre : laNéo-Zélandaise Kerry Fox et le Britannique Mark Rylance. Elle, grave, impérieuse, d’unebeauté mûre et légèrement abîmée qui se révèle au fil des minutes ; lui, blafard, défait,inquiet, séduisant. Sans préjuger de ce qu’aurait été le film avec des vedettes françaises et un décor parisien, il est flagrant que ces visages vierges (pour nous)et cette ville filmée avec l’avidité de l’étranger concourent à faire lever la pâte.Puisque rien n’est familier, tout est possible. Pourtant, la première scène d’amourpassée, un doute affleure. Claire est partie, Jay reste seul dans son désordre cafardeux, puis se rend à son travail il est barman de nuit. Il retrouve ses collègues,son vieil ami Victor, complètement déglingué. Ces choses de la vie quotidienne quirenseignent sur le passé de l’homme et sur son sentiment de précarité (il a quittéfemme et enfants sur un coup de tête, un an plus tôt), Patrice Chéreau les tire versl’excès de style. La musique, ou plutôt les chansons (Clash, Iggy Pop, Bowie, etc.) envahissent la bande-son, couvrent les mots. La sophistication de la lumière et desmouvements de caméra, comme les prouesses du montage, sous influence Wong Karwai,sautent aux yeux. Rappelant certaines scories de Ceux qui m’aiment prendront letrain, son précédent film, Chéreau paraît de nouveau en proie à son penchant véniel :le cinéma pour le cinéma. On voudrait lui souffler qu’il n’en faut pas tant pour nousaccrocher aux tourments de ses amants anonymes. Cette impression n’a pas le tempsde s’installer, récusée par quelques séquences magiques de filature dans les rues deLondres. Cette fois, la manière fiévreuse du cinéaste fait corps avec la substance dufilm, de plus en plus fluide. Jay transgresse son pacte tacite avec Claire. Il suit lajeune femme, à son insu et, de fil en aiguille, découvre sa vie : comédienne de secondezone, mariée, un enfant. En secret, il fait connaissance avec son mari, Andy, chauffeurde taxi au trente-sixième dessous, qu’il prend un étrange plaisir à humilier, à coups desous-entendus. Le jeu de cache-cache et d’étreintes clandestines se mue alors en unsubtil affrontement à coeurs perdus où se mêlent la jalousie, le désespoir, la peur etle désir. Coécrits avec Anne-Louise Trividic, les dialogues brillent par leur habileté àfouiller les motifs secrets des personnages et leurs blessures existentielles. Paradoxalement, c’est lui, l’homme, qui n’a pas supporté d’en rester à une relationstrictement sexuelle avec Claire. C’est lui qui s’ingénie à déprécier, à ruiner le couplede la jeune femme. Par dépit. Ou par nostalgie de ce à quoi il a renoncé lui-même. Oupar regret de l’ivresse des mercredis, déjà évanouie. Ou par amour. Ce film, peut-êtrele plus personnel de Chéreau depuis L’Homme blessé, porte bien son titre. L’intimitéavec un(e) autre, c’est ce à quoi chaque personnage aspire, s’accroche désespérémentou se blesse. Il y a même quelqu’un qui prétend en être mort : une vieille amie deClaire, campée avec beaucoup de charme par Marianne Faithfull. Toute la question est

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de savoir en quoi cette intimité consiste et à quel point elle peut durer... Commencéedans l’extase sensuelle et passée par toutes les couleurs de la cruauté et de lapassion, l’aventure de Jay et de Claire se termine dans un climat de mélancolie et dedeuil, une accalmie. Pourtant, une étincelle de vie s’est rallumée chez l’un comme chezl’autre, et il suffit peut-être, désormais, d’attendre le prochain orage.

Louis Guichard Télérama, 6 septembre 2008

Oslo 31 aoûtDrame réalisé en 2011 par Joachim Trieravec Anders Danielsen Lie, Hans Olav Brenner, Ingrid Olava...

Anders sort d’une cure de désintoxication. Il s’est débarrassé de la drogue mais pasde la tristesse incurable qui le ronge. Saura-t-il revenir dans la vie ? Il fait une tentative pour retrouver un poste de journaliste. Sans beaucoup de conviction etsans succès. D’anciennes petites amies ranimeront-elles la flamme du désir ? Et cettefemme sereine qui semble posséder le secret de la joie de vivre, pourra-t-elle le luicommuniquer ? Ses vieux copains, toujours prompts à lever le coude, quelle tranquillitéd’âme peut-il encore partager avec eux ?...

Voilà un film qui, au lieu de nous divertir comme tant d’autres, nous demande pourquoion vit, nous rappelle pourquoi on meurt. Son héros au bord du vide est du genre inoubliable. De retour à Oslo, la ville de ses frasques, ce trentenaire fêtard soldeses années de jeunesse. Il revoit ses proches, recherche une amoureuse perdue devue, se glisse dans l’une de ces soirées qui étaient son milieu naturel, quelques annéesauparavant. Retrouvailles à haut risque, suspense existentiel dans une douceur de find’été : cette balade norvégienne, signée par un jeune prodige francophile, JoachimTrier, est librement adaptée du Feu follet, de Pierre Drieu la Rochelle (1931).La question du suicide hante le film, comme jadis le roman. Prince déchu, dégrisé, Anders, c’est désormais monsieur Tout-le-Monde ou presque, à la recherche d’une raisonde garder sa place parmi les vivants. Les années sauvages sont derrière, il s’agit defaire l’adulte. Encore faut-il en avoir envie. C’est donc une journée probatoire : la vie doit faire ses preuves aux yeux du revenant. Le film balance sans cesse entrela tentation sensuelle et une distance irrévocable aux choses et aux êtres.Dans la sublime adaptation du même texte par Louis Malle (1963), la parole prenait peuà peu le dessus, le mal qui rongeait le héros était explicité, ressassé. Oslo, 31 août,lui, brille par une dernière ligne droite étourdissante, tout en sensations et décibels,piètres remparts contre la solitude. L’ivresse nocturne, les débordements dionysiaques,le sel même de la jeunesse du personnage sont interrogés, mis à l’épreuve. Le film ygagne l’attrait supplémentaire d’une fête un peu fêlée.

Louis Guichard Télérama, 2 février 2013

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Biographies

Arne Lygre

Dramaturge et romancier né à Bergen en 1968, Arne Lygre grandit dans l’Ouest de laNorvège. D’abord attiré par le métier d’acteur, il commence à écrire pour le théâtreà l’âge de 25 ans. Mamma og meg og menn [Maman et moi et les hommes], pièce créée àStavanger en 1998, le fait connaître en Norvège. Elle paraît en 2000 en France auxéditions Les Solitaires Intempestifs, avec une traduction de Terje Sinding. SuiventBrått evig [Éternité soudaine], Skygge av en gutt [L’Ombre d’un garçon] et Mann utenhensikt [Homme sans but], créée en France par Claude Régy à l’Odéon (2007). Puis ilécrit Dager under [Jours souterrains], Så stillhet [Puis le silence], Jeg forsvinner [Jedisparais], créé par Stéphane Braunschweig à La Colline en 2011. En 2013, sa dernièrepièce Ingenting av meg [Rien de moi], est publiée en Norvège. Elle est créée pour lapremière fois en avril 2014 au Stadsteatern, à Stockholm par Eirik Stubø. La traductionfrançaise de Stéphane Braunschweig est à paraître à l’Arche Éditeur. Actuellement et pour deux ans, il est en résidence au Théâtre national d’Oslo.En 2004 Arne Lygre a écrit son premier recueil d’histoires courtes, Tid inne [Il esttemps], pour lequel il reçoit le prestigieux Prix Brage. Il a écrit deux deux nouvellesEt siste ansikt [Un dernier visage], 2006 et Min døde mann [Mon homme mort], 2009 quiont toutes deux été saluées par la critique. Il a reçu le prix littéraire Mads WielsNygaards’ Legacy en 2010 et le prix Ibsen pour la meilleure pièce en 2012.

“Chez Arne Lygre, on ne voit pas le travail de l’écrivain”, note Claude Régy. Le stylesobre, l’écriture précise, réduite à l’essentiel et prodigieusement suggestive, fontsourdre une violence souterraine et une force d’angoisse haletante. Ses “pièces dechambre”, comme il les qualifie, déploient des fictions étranges d’une constructiondramatique implacable et d’une recherche formelle toujours inattendue. S’il construitdes univers chaque fois autonomes, sans référence explicite à la réalité, celle-ci s’yréfracte pourtant avec une force d’évidence rarement atteinte. À leur manière sisingulière, ses textes sont au diapason de l’évolution de notre société et de lafaçon dont nous y vivons.

Les pièces d’Arne Lygre sont traduites dans de nombreuses langues, et jouées en Angleterre, Italie, Belgique, Serbie, Lituanie, Hongrie, République tchèque, Norvège,Suède, Danemark, Estonie, Suisse, Portugal, Brésil, Allemagne et France.

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Stéphane Braunschweig

Après des études de philosophie, il rejoint l’école du Théâtre national de Chaillot, dirigé parAntoine Vitez. Depuis 1988, au théâtre, il a mis en scène des oeuvres de Eschyle, Sophocle,Shakespeare, Molière, Kleist, Büchner, Ibsen, Tchekhov, Wedekind, Pirandello, Brecht, Horváthet, parmi les contemporains, Hanokh Levin, Olivier Py et Arne Lygre. À l’opéra, il présente des oeuvres de Fénelon, Bartók, Beethoven, Dazzi, Janá�ek, Verdi,Strauss, Berg et le Ring de Wagner. Récemment, on a pu voir Pelléas et Mélisande, Debussy(2010 et repris 2014), Idoménée et Don Juan, Mozart (2011 et 2013). Après avoir dirigé leCDN d’Orléans (1993-1998) et le Théâtre national de Strasbourg (2000/2008), il est depuis2010 à la tête de La Colline – théâtre national. Il y a notamment mis en scène Une maison depoupée et Rosmersholm d’Ibsen, Lulu de Wedekind, Six personnages en quête d’auteur dePirandello et, la saison dernière, Le Canard sauvage d’Ibsen et Glückliche Tage (Oh lesbeaux jours) de Beckett. D’Arne Lygre, il a déjà monté Je disparais, créé en 2011 à La Colline, et Tage Unter créé àBerlin en 2011 et présenté à La Colline en langue allemande en février 2012.Il est également l’auteur d’un recueil de textes et entretiens sur le théâtre : Petitesportes, grands paysages (Actes Sud, 2007).

Anne-Françoise Benhamoucollaboration artistique

Universitaire, dramaturge ou collaboratrice artistique. Elle travaille avec Dominique Féret,Alain Milianti, Christian Colin, Alain Ollivier, Michèle Foucher. Elle rencontre Stéphane Braunschweigen 1993, à l’occasion du Conte d’Hiver de Shakespeare et depuis, participe à toutes sesproductions théâtrales ainsi qu’à certaines de ses mises en scène à l’opéra. Elle a égalementtravaillé avec Giorgio Barberio Corsetti et Michael Thalheimer. De 1990 à 2001 puis de 2008à 2010, elle est maître de conférences à l’Institut d’Études Théâtrales de l’UniversitéParis III. De 2001 à 2008, détachée de l’Université, elle devient conseillère artistique etpédagogique au Théâtre national de Strasbourg auprès de Stéphane Braunschweig. Ensemble,ils ouvrent à l’École du TNS la section dramaturgie/mise en scène dont elle devient la responsable pédagogique, et ils créent la revue OutreScène dont elle est la rédactrice enchef. Elle accompagne Stéphane Braunschweig à La Colline après sa nomination comme directeur en 2009. En 2012, elle est nommée professeur en Études théâtrales et directricedu Département d’Histoire et Théorie des Arts à l’École Normale Supérieure.Ses travaux de recherche portent sur la mise en scène contemporaine, sur la dramaturgie,sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et sur l’oeuvre scénique de Patrice Chéreau. En juin 2012, elle publie aux Solitaires Intempestifs un ouvrage consacré à sa pratique dedramaturge : Dramaturgies de plateau.

Thibault Vancraenenbroeck costumes

Il crée scénographies et costumes pour les différents univers que sont la danse, le théâtreet l’opéra. Il collabore avec Frédéric Dussenne, Enzo Pezzella, Dominique Baguette, Barbara Manzetti,Olga de Soto, Pierre Droulers, Charlie Degotte, Sébastien Chollet, Isabelle Marcelin et Didier Payen, Nathalie Mauger, Pascale Binnert, Yves Beaunesne, Sybille Cornet, Sofie Kokaj,Marc Liebens, Françoise Berlanger, Cindy van Acker, Alexis Moati, Anna van Brée, François Girard,Andréa Novicov, Rolando Vilazon et Maya Boësch, Pierrick Sorin et Christophe Honoré. À partir de 1996, il entame une collaboration avec Stéphane Braunschweig pour qui il créeles costumes, au théâtre et à l’opéra. Il réalise par ailleurs deux installations vidéo à partir de textes de Maurice Blanchot etmène un projet de photographie en collaboration avec Grégoire Romefort. De 2001 à 2008 il intervient régulièrement à l’École supérieure d’art dramatique du TNS comme enseignantet membre du jury pour la section “scénographie et costumes”, ainsi qu’à l’Académie royaled’Anvers pour la section “costumes”.

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Marion Hewlett lumières

Après une première période où elle conçoit des lumières pour des chorégraphes contemporains,tels que Sidonie Rochon, Hella Fattoumi ou Éric Lamoureux, elle rejoint le théâtre et l’opéraavec Stéphane Braunschweig qu’elle suit dans toutes ses créations. Elle collabore régulièrement avec Anne-Laure Liégeois, Sylvain Maurice ainsi qu’avec Christian Gangneron,Philippe Berling, Alexander Schullin, Mariame Clément pour l’opéra. Elle travaille également avecRobert Cordier, Jacques Rosner, Laurent Laffargue, Armel Roussel... Elle crée notammentles décors et lumières de plusieurs pièces de Claude Duparfait ainsi que ceux du Châteaude Barbe-Bleue à l’Opéra de Rio de Janeiro et de Rigoletto à l’Opéra de Metz. À l’opéra deParis, elle retrouve la danse et réalise les lumières pour Angelin Preljocaj, Roland Petit,avec qui elle poursuivra sa collaboration. Récemment, elle a travaillé avec Kader Belarbi, Le Corsaire d’après Lord Byron ; Mariame Clément, La Flûte enchantée ; Isabelle Lafon, Une mouette d’après Tchekhov...

Xavier Jacquot son

Sorti de l’École du TNS en 1991, il travaille avec Daniel Mesguich et Éric Vigner. De 2004 à 2008il intègre l’équipe permanente du TNS et crée les bandes son et les vidéos des spectaclesde Stéphane Braunschweig et la vidéo de Titanica mis en scène par Claude Duparfait. Revenu au free-lance, il collabore à tous les spectacles Stéphane Braunschweig à La Collineet poursuit un compagnonnage de longue date avec Arthur Nauzyciel. Dernièrement, il travaillenotamment avec Macha Makeïff (Ali Baba) ; Marc Paquien à la Comédie-Française (Antigone) ;Lucas Hemleb (Les Arrangements de Pauline Sales) ; la Compagnie Jamaux-Jacquot (Maryse àminuit) et nombre de compagnies indépendantes. En mars 2014, Xavier Jacquot crée le sonde Comment vous raconter la partie, mis en scène par Yasmina Reza. Xavier Jacquot intervientrégulièrement en tant que formateur à l’École du TNS et au sein du Conservatoire nationalsupérieur d’art dramatique de Paris dans le cadre des Journées de juin pour les classes deJean-Damien Barbin et Sandy Ouvrier.

Alexandre de Dardel collaboration à la scénographie

Architecte, il a collaboré au bureau d’études de décors du Théâtre des Amandiers de Nanterre de 1992 à 1994, puis à celui du Théâtre du Châtelet de 1994 à 1996. Depuis 1995, il collabore à la création de toutes les scénographies des opéras et des spectacles dethéâtre de Stéphane Braunschweig. Il signe aussi les scénographies de Laurent Gutmann ;Jean-François Sivadier; Antoine Bourseiller; François Wastiaux; Alain Ollivier, Noël Casale;Vincent Ecrepont... Dernièrement, il a travaillé avec Guillaume Vincent, L’Éveil du printempsde Wedekind ; J.-F. Sivadier, Carmen, La Traviata, Le Barbier de Séville ; Claudia Stavisky, La Mort d’un commis voyageur, Chatte sur un toit brûlant ; Marion Vernous, Les Bulles deClaire Castillon... Par ailleurs, il est chef décorateur du film Andalucia, réalisé par Alain Gomis. De 2001 à 2008, il enseigne la scénographie à l’École du TNS. Depuis février 2010 il enseigne la scénographie à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre à Lyon.

Manon Worms assistante mise en scène

Elle intègre la section théâtre de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm en 2010. Dansle cadre d’ateliers de mise en scène, elle y travaille avec Brigitte Jaques-Wajeman et François Regnault (Vie et Destin de Vassili Grossman en 2011), puis avec Daniel Mesguich sur(Rouen, la trentième nuit de mai ’31 d’Hélène Cixous en 2013). Elle y suit aussi à partir de2012 les cours d’Anne-Françoise Benhamou et d’Alexandre de Dardel. Parallèlement à sa scolarité, elle participe à des créations d’élèves, dont un Macbeth monté en 2014.En 2013, elle est stagiaire à la dramaturgie pour Elle brûle, par la compagnie des HommesApproximatifs, mis en scène par Caroline Guiela Nguyen. Elle assure par ailleurs des interventions artistiques auprès de publics scolaires dans le cadre du projet Éducation etProximité 13/14.

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avec

Luce Mouchel

Elle a suivi la formation du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Authéâtre, elle a récemment joué avec Jacques Nichet, La Ménagerie de Verre de TennesseeWilliams ; Philippe Adrien, Le Dindon de Georges Feydeau ; Claudia Stavisky, La Femme d’avantde Roland Schimmelpfennig, Jeux doubles de Christina Commencini et Projection privée deRémi Devos ; Jean-Pierre Vincent, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce, LesAntilopes d’Henning Mankell. Elle a également travaillé sous la direction de Daniel Mesguich,Agathe Alexis, Bernard Lévy, Gildas Bourdet, Xavier Maurel (Le Moine de M.G. Lewis), AlainBézu, Éric Vigner, Catherine Delattres... On a pu la voir plus récemment à La Colline dans Jedisparais d’Arne Lygre (saison 2011/2012) et dans Le Canard sauvage d’Henrik Ibsen (saison2013/2014), tous deux mis en scène Stéphane Braunschweig.Au cinéma, elle a joué dans Et soudain tout le monde me manque de Jennifer Devoldère ;Protéger et servir d’Éric Lavaine, Prête-moi ta main d’Éric Lartigau, Le Couperet de Costa-Gavras, L’Outremangeur de Thierry Binisti, Dix-huit ans après de Coline Serreau, Trois huitde Philippe Le Guay, Délit mineur de Francis Girod... Elle a également travaillé à la télévisionet participé à de très nombreuses émissions pour Radio France, dont elle a rejoint en 2008le comité de lecture de France Culture. Également musicienne, elle a composé des musiques de scène pour divers spectacles (Théâtrenational de Lille, Comédie-Française, Théâtre national de Marseille-La Criée, Théâtre de laCommune d’Aubervilliers), ainsi que la musique originale de trois téléfilms (Passion interdite,France 2, Au bout du rouleau, Arte et Le Coeur du sujet, réalisés par Thierry Binisti).

Chloé Réjon

D’abord formée à l’école de Pierre Debauche, Chloé Réjon a dix-neuf ans lorsqu’elle est engagée comme permanente dans la troupe de la Comédie de Reims dirigée par ChristianSchiaretti. Pendant trois ans, elle y joue Calderón, Pirandello, Brecht, Vitrac, Witkiewicz,Vinaver, Badiou. De 1995 à 1998, elle est élève au Conservatoire national supérieur d’artdramatique de Paris, où elle suit l’enseignement de Dominique Valadié, Daniel Mesguich etCatherine Marnas. Au théâtre, elle a joué notamment sous la direction de Catherine Marnas(Fragments Koltès); Jean-Louis Benoît (Les Ratés d’Henri-René Lenormand et Du malheurd’avoir de l’esprit d’Alexandre Griboïedov) ; Brigitte Jaques-Wajemann (L’Énéide) ; ChristianRist (Aminte de Torquado Tasso) ; Sandrine Anglade (Solness le constructeur d’Henrik Ibsen);Philippe Calvario (La Mouette d’Anton Tchekhov et Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès);Bernard Sobel (Troïlus et Cressida de Shakespeare, Don, mécènes et adorateurs d’AlexandreOstrovski, La Mort de Zand de Iouri Olecha) ; Juliette Deschamps, (Rouge Carmen d’aprèsProsper Mérimée).Sous la direction de Stéphane Braunschweig, elle a joué dans Une maison de poupée d’HenrikIbsen, Lulu – une tragédie-monstre de Frank Wedekind et dernièrement dans Le Canard sau-vage d’Henrik Ibsen. On l’a également récemment vue dans Dénommé Gospodin de Philipp Löhle, mis en scène parBenoît Lambert, et dans Le Dernier Jour du jeûne de et mis en scène par Simon Abkarian. Au cinéma, elle a joué dans Les Yeux bandés, premier long-métrage de Thomas Lilti (2008).

Manuel Vallade

Formé à l’école supérieure d’art dramatique du Théâtre national de Strasbourg, Manuel Vallade a travaillé, au théâtre, sous la direction de Yann-Joël Collin (Violences de Didier-Georges Gabily), Hubert Colas (Sans faim puis Sans faim & sans faim 2, d’Hubert Colas, Hamletde Shakespeare, Face au Mur de Martin Crimp, Mon Képi Blanc et GRATTE-CIEL co-mis en scènepar Sonia Chiambretto), Bernard Sobel (Innocents coupables d’Alexandre Ostrovski), Stéphane Braunschweig (Les Trois Soeurs de Tchekhov et Six personnages en quête d’auteurde Luigi Pirandello), Mathieu Bertholet (Case Study Houses de Mathieu Bertholet), ÉricMasse (Macbeth de Shakespeare) et Yan Duyvendak (Please, Continue Hamlet de Roger

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Bernat et Yan Duyvendak). Dernièrement, il a joué dans Aglavaine et Sélysette de MauriceMaeterlinck, mis en scène par Célie Pauthe. Il a aussi participé à des lectures : Cicatricesd’Alain Kamal Martial et Les Névroses sexuelles de nos parents de Lukas Bärfuss. Au cinéma, il a notamment tourné sous la direction de Jean-Pascal Hattu (Cadeaux), NicolasEngel (Les Voiliers du Luxembourg), Lionel Mougin (Infrarouge), Isabelle Czajka (D’amour etd’eau fraîche), Daniel Sicard (Drift away), Sébastien Betbeder (La Vie lointaine, Toutes lesmontagnes se ressemblent et Yoshido), Christelle L’Heureux (La Maladie blanche), David Maye(Angela), Pascale Ferran (Bird People), Damien Gault (Footing) et Nicolas Phillibert (La Maisonde la radio).Dans le domaine de la danse, il a travaillé sous la direction des chorégraphes Vincent Dupont(Incantus, Plongée) et Olivia Grandville (Le Cabaret Discrépant, 5 ryoanji). Il a aussi travaillé pour la radio, sous la direction de Jean-François Peyret et de JacquesTaroni.

Jean-Philippe Vidal

Après le cours de Madeleine Marion, il entre à l’école du Théâtre national de Chaillot, dirigéalors par Antoine Vitez, qui est son professeur de 1986 à 1989. Il joue, entre autres, authéâtre sous la direction de Michel Didym, Éloi Recoing, Wolfgang Handsch, Antoine Vitez,Christian Colin, Jean-Claude Amyl, Jean-Pierre Jourdain, Ludovic Lagarde, Christian Schiaretti,Arthur Nauzyciel, Éric Vigner, et au cinéma avec Pierre Jolivet et Nicole Garcia.De 1992 à 1995, il est acteur permanent à la Comédie de Reims, puis il rejoint Ludovic Lagardeen résidence au Théâtre du Granit de Belfort. En 1998, il devient acteur permanent à la Comédie de Clermont-Ferrand. À partir 2002, il est acteur associé au CDDB – Théâtre de Lorient, CDN dirigé par Éric Vigneret travaille avec la Compagnie 41751 dont Arthur Nauzyciel était le directeur artistique.En 1997, il se met pour la première fois en scène dans Le Nécrophile de Gabrielle Wittkopproduit par la Comédie de Reims. En 1999, il met en scène Les Soliloques d’un Choeur d’aprèsJean-Pierre Siméon. En 2000, il met en scène avec Didier Galas Monnaie de Singes qui est jouéau Festival d’Avignon (Cloître des Célestins) ainsi que dans des festivals étrangers. En 2005, il crée la compagnie Sentinelle 0205 et débute l’année suivante une résidence decinq ans au Salmanazar, scène de création et de diffusion d’Épernay. Pendant cette résidence,il crée en 2007, John a disparu de Horovitz (2007), L’Anniversaire de Pinter (2008), Rêved’automne de Jon Fosse (2009), Les Trois Soeurs de Tchekhov (2010), Maman et moi et leshommes d’Arne Lygre (2011). En 2012, il crée au Théâtre de l’Ouest Parisien, Le Système Ribadier de Feydeau, joué ensuiteà la Comédie de Reims, et repris en 2013-2014.

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de Arne Lygremise en scène Stéphane Braunschweig

du 1er octobre au 21 novembre 2014

Petit Théâtre

www.colline.fr01 44 62 52 52

15 rue Malte-Brun, Paris 20e