Missionnaires de Pékin – Intérêt de l’argent en Chine

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    1/88

    @

    INTERTde

    LARGENT en CHINE

    MMOIRESconcernant lHistoire, les Sciences,les Arts, les Murs, les Usages, &c

    DES CHINOIS

    par les Missionnaires de P-kin

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    2/88

    Intrt de largent en Chine

    publie dans :

    MEMOIRESconcernant lHistoire, les Sciences, les Arts, Les Murs, les Usages, &c

    DES CHINOISpar les Missionnaires de P-kin

    Tome quatrieme, pages 299 391.A Paris, chez Nyon lan, Libraire, rue Saint-Jean-de-Beauvais, vis--vis leCollege, 1779.

    mode texte prpar parPierre Palpant

    [email protected]

    2

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    3/88

    Intrt de largent en Chine

    LINTRT DE LARGENT EN CHINE

    p.04.299 Il en est de certains points de ladministration publique & du

    gouvernement, comme du relevement des ctes. Quelque exact que soit

    un Ecrivain dans les dtails o il entre, pour les faire connoitre & les

    montrer sous leur vrai point de vue, il faut le coup dil, une certaine

    justesse desprit, & lhabitude de la pratique, pour en faire lapplication.

    Sil arrive souvent que les Marins se mprennent, la carte la main, sur

    les terres quon commence dcouvrir, & quils risquent daller briser

    contre des ecueils, en cherchant le port o ils seroient labri de latempte, plus souvent encore les hommes dEtat se trompent sur ce quon

    leur raconte des loix civiles & economiques des pays etrangers. Ils les

    louent ou les blment, les adoptent ou les rejettent, en prenant pour un

    rayon p.04.300 de sagesse les lueurs dune prvention opinitre, qui les leur

    fait voir toutes diffrentes de ce quelles sont. Cest un malheur commun

    tous les siecles, & quon trouve dans lhistoire de tous les peuples. Il

    nappartient quaux gnies du premier ordre de pressentir le vrai, de ledistinguer, de le connotre, & de seclairer de sa lumiere jusques dans le

    cahos des opinions & des systmes. Les hommes de gnie font rares :

    aussi les vaisseaux que le commerce conduit dun pole lautre, en

    rapportent-ils en vain des vues & des connoissances plus prcieuses que

    lor & les pierreries. On continue les ngliger, parce quelles ont et

    ngliges. Les fautes des peres ne sont pas seulement perdues pour leurs

    enfans, elles leur en font faire de nouvelles dont ils sapplaudissent.

    LEurope aime mieux renoncer aux ressources que lui fourniroit la

    connoissance des pays etrangers, que de se charger den approfondir les

    usages & den discuter le pour & le contre, au risque de se mprendre. Ce

    nest pas nous lui demander une exception pour la Chine, ni mme

    pour larticle si important de lintrt de largent, qui touche de prs aux

    premieres sources de labondance & de la richesse des Etats, & sur lequel

    la politique dEurope a adopt des principes si diffrens. Mais si on a la

    3

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    4/88

    Intrt de largent en Chine

    curiosit de savoir quels sont ceux qui ont prvalu ici depuis plus de six

    siecles, & comment les loix les ont fait passer dans le gouvernement,

    quon nous permette den parler avec cette franchise qui ne voit que la

    vrit & qui ne soccupe que delle. Lantiquit de notre Monarchie, la

    rputation de sagesse qua son ministere, le tmoignage que lui rendent

    trente-cinq siecles, ses richesses & son opulence, sa puissance & sa

    grandeur, qui en font le premier Empire de lAsie, & peut-tre de lunivers,

    nous fourniroient une ample matiere, si nous ne cherchions qu discourir

    & eblouir par un vain etalage de mots. Mais p.04.301 nous ne parlerons

    quen simples historiens, & nous nous bornerons exposer avec la plus

    grande simplicit la maniere dont on a envisag lintrt de largent dansnotre patrie, par rapport la chose publique. Quelque ais mme quil fut

    de semer nos rcits de vues & de rflexions lies par notre sujet aux

    gouvernemens anciens & modernes des autres pays, nous nous faisons

    une loi de nous abstenir de tout ce qui pourroit y avoir trait ou y faire

    allusion.

    La vrit est une, eternelle & immuable, dit Tchin-tse, &

    ds-l elle est le centre commun o aboutissent les rayons dela prudence, de la science, de la pntration, de lexprience &

    de la vertu. Voil pourquoi les hommes dEtat & les

    philosophes, les gens de bien & les bons citoyens de tous les

    siecles nont quune seule & mme doctrine. Eclairs du triple

    flambeau de la tradition, de la raison & de la conscience, ils

    laissent derriere eux les nuages des prjugs & des passions,

    foulent aux pieds lhydre de la contradiction, sarrtent quand

    le torrent des circonstances soppose leur passage, comptent

    tous leurs pas dans les sentiers les plus unis, & quoiquils

    prennent diffrens chemins & dtours pour ramener la

    multitude, ils ne perdent jamais de vue le bien public, & sen

    approchent, de quelque point quils partent ; le bien public est

    leur unique but.

    4

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    5/88

    Intrt de largent en Chine

    Que ces paroles calment davance les esprits que vont effrayer les

    diffrentes opinions adoptes, dans ces derniers temps, sur lintrt de

    largent. Le bien public, en cette matiere, est un Prote qui echappe

    toutes les poursuites du calcul & de la logique. Il faut le lier avec la

    constitution du gouvernement, le ton des murs gnrales, le gnie de

    la nation, les circonstances locales, &c. pour quil paroisse tel quil est.

    Ce point est essentiel : aussi, pour suppler aux p.04.302 connoissances

    qui manquent lEurope sur la Chine, en cette matiere, ou que le lecteur

    nauroit pas assez prsentes, nous allons crayonner le tableau de la

    position de cet Empire, par rapport lobjet de ce Mmoire ; cest

    chacun y mettre les ombres & les couleurs.

    Le gouvernement de notre Chine fut fodal depuis son origine

    jusquen lanne 248 avant J. C. Il a et monarchique depuis. Par

    gouvernement monarchique, nous entendons un gouvernement o la

    Couronne est hrditaire & o le Prince, ne dpendant que de Dieu,

    ayant le droit dabroger les anciennes loix & den faire de nouvelles, & un

    pouvoir sans bornes pour les faire observer aprs leur promulgation,

    possede essentiellement la suprme judicature, & est tellement la sourcede toute autorit, que celle de tous les Tribunaux & de tous ses Officiers

    drive de lui & dpend de lui, de sorte que les charges par lesquelles il la

    communique, quoique lies par les loix fondamentales de lEtat la

    constitution intime du gouvernement, ne sont que des commissions quil

    donne & quil te quand il veut. Il ny a que les Princes titrs quil ne

    peut pas dpossder de leurs Principauts, sans leur faire leur procs,

    encore doit-il leur donner un successeur de leur maison, moins quils

    ne soient dans les cas excepts par la loi. Les loix anciennes & nouvelles

    sont dailleurs si favorables au Prince, & si rigoureuses pour ses Officiers,

    que sil vouloit faire procder contreux selon la forme judiciaire, presque

    tous seroient dans le cas dtre condamns.

    Ces droits, ce pouvoir, cette autorit, cette plnitude de puissance

    attachs au Trne, ne sont craindre que sous les mauvais Princes qui,

    aussi-bien les auroient bientt usurps, sils ne les avoient pas. Celui qui

    5

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    6/88

    Intrt de largent en Chine

    en est revtu a un grand nombre de Censeurs qui ont, par leur charge, &

    le droit & p.04.303 lobligation de lavertir sans cesse de ses dfauts

    personnels, de lui faire connotre ses fautes, de lui dnoncer les

    malversations de ses Officiers, de le prvenir contre les surprises de ses

    Ministres, de rclamer pour les loix, & de lui montrer le chemin quelles lui

    tracent pour exercer sa bienfaisance & assurer le bonheur des peuples.

    Les premiers Magistrats de tous les Tribunaux peuvent aussi lui faire des

    reprsentations, chacun sur la portion des loix dont il est charg, soit pour

    maintenir lexcution des anciennes, soit pour en demander de nouvelles,

    soit pour faire connotre les inconvniens des unes & des autres. Le Prince

    exposeroit sa gloire, sil necoutoit pas les reprsentations qui sont justes ;& les Magistrats leur fortune & leur vie, sils mettoient dans ces

    reprsentations un mot qui blesst le respect infini quils doivent au Tien

    que le Prince reprsente, ou sils en trahissoient le secret en quelque

    maniere que ce ft. Il est inoui que ces sortes de pieces aient jamais

    perc dans le public, si ce nest par les rponses quil plat lEmpereur

    dy faire quelquefois. Conclusion : il ne peut cesser dtre le pere des

    peuples quautant que les Magistrats sont ses complices.

    Cest sur le Trne que rside toute lautorit, cest du Trne quelle

    drive ; mais elle nagit que par ceux qui elle est communique, &

    comme elle nest communique que daprs les loix, elle ne peut agir

    que par les loix & daprs elles. Or, toute loi etant naturellement &

    essentiellement juste, lusage de lautorit ne peut tre injuste que par la

    prvarication des Magistrats & des Officiers du Prince.

    Comme la Chine entiere na quune seule & mme administration,lautorit agit toujours avec force & avec succs, parce quelle agit dune

    maniere constante, uniforme & subordonne. Les six grands Tribunaux

    de lEmpire, qui sont les Tribunaux des Mandarins, des Finances, des

    Crmonies, de la Guerre, des Crimes & des Ouvragespublics etablis

    p.04.304 P-king, sont comme les six grandes branches de lautorit

    publique. Cest par eux, pour parler le langage de nos Anciens, que le

    Prince voit, entend & agit. Ces branches se divisent en autant de

    6

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    7/88

    Intrt de largent en Chine

    rameaux quil y a de Provinces, mais dune maniere diffrente, & ces

    rameaux se divisent & se subdivisent leur tour en de plus petits ;

    ensorte que lautorit divise dans les grands Mandarinats, est toute

    entiere dans les petits Mandarins qui connoissent de toutes sortes

    daffaires, mais dune maniere subordonne & dpendante de leurs

    divers suprieurs.

    Les grades des Mandarins de robe & depe, leurs droits, leurs

    revenus, leur jurisdiction, leur autorit & leurs prsances respectives

    sont tellement circonscrits & dtermins, que rien ne peut troubler ni la

    concordance des diverses autorits, ni lharmonie de la subordination.

    Cest par les Tribunaux que lEmpereur gouverne lEmpire ; cest par lesMinistres & les Vice-Rois quil regne. Voil pourquoi le gouvernement de

    lEmpire est toujours le mme, & les regnes rarement semblables. Le

    ressort, le balancier & les roues cheminent uniformment ; la sonnerie &

    le cadran ont leurs variations, & ne saccordent pas toujours. Il est

    essentiel de remarquer que le Tribunal des Ministres nest pas distingu

    de lEmpereur, dont il est le conseil & lorgane, & que les Vice-Rois le

    reprsentent dans les Provinces dune maniere limite & subordonneaux grands Tribunaux.

    Les revenus de lEtat portent en entier sur lagriculture, ou plutt ils

    en sortent comme de leur unique source. La quantit de terres quon

    possede & le degr de fertilit, dcident de ce quon doit lEtat pour

    lEtat. La taille en Chine est une taille relle, qui nest guere quun

    dixieme. Les Provinces du midi o lon fait deux & trois moissons de riz,

    paient un second dixieme en grain, pour tre port lap.04.305

    Capitale,

    o il entretient labondance sans epuiser les Provinces dargent, parce

    quil y en distribu aux Mandarins de tous les ordres, aux gens de

    guerre, & aux Officiers de la maison de lEmpereur, daprs le tarif de ce

    quon leur donne en argent ; ensorte quil est cens faire la moiti de ce

    que lEtat leur donne pour leur entretien. Comme levaluation en est fixe

    & a et faite leur profit, ils y gagnent toujours, & presque tous ont un

    7

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    8/88

    Intrt de largent en Chine

    surplus vendre. Le cultivateur est le seul en Chine qui porte le fardeau

    des impts ; lEtat ne demande rien lartisan, ni au marchand.

    La perception, rgie & administration des impts, est attribue

    exclusivement au Tribunal des Finances. Les impts des bourgs &

    villages, dont la rpartition & la recette sont trs-simples, sont ports

    dans les villes du troisieme ordre, de celles-l, ils se rassemblent dans

    celles du second ordre, & puis dans celles du premier, do ils viennent

    remplir les trsors de lEmpire P-king. Cette rgie est paisible & unie,

    presque tout est fixe & rgl. Il ne faut quune simple addition pour

    arriver la derniere progression. Ce que cette rgie a de remarquable,

    cest quon prleve dans chaque district ce qui est ncessaire pour lesdpenses & les charges ordinaires de lEtat, & quon y laisse toujours un

    fond de rserve pour les accidens & besoins extraordinaires ; cette

    somme est plus considrable dans les villes du second ordre que dans

    celles du troisieme, & ainsi toujours en montant. Par l, les Capitales des

    Provinces sont en etat de faire face tout sur le champ, dans un cas

    urgent & extraordinaire. Le grand Tribunal des Finances de P-king,

    comme ayant la surintendance & direction gnrale de toutes lesrecettes & dpenses, reoit les comptes des Provinces & en tient

    registre, ainsi que de ce qui y est en rserve, & de ce que contiennent

    les grands trsors de lEmpire.

    p.04.306 La loi qui a fix la solde des soldats, les honoraires des

    Mandarins, les dpenses annuelles pour les rparations, &c. a fix aussi

    ce que lEtat doit donner aux Princes du Sang, lEmpereur lui-mme,

    aux Princes ses enfans & toute sa maison. LEmpereur, outre ce que luidonne lEtat, a encore les sels, les douanes & les entres de P-king, &

    de quelques autres villes. Les sels lui ont et attribus ds les temps les

    plus reculs ; & quoique le sel soit trs-bas prix, il en tire dimmenses

    revenus. Les douanes qui sont ici, comme en France, des restes du

    gouvernement fodal, sont places sur les limites des petits Royaumes

    dont lEmpire etoit anciennement compos. Les canaux quon a creuss,

    les leves quon a construites, les ponts quon a btis, &c. en ont

    8

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    9/88

    Intrt de largent en Chine

    occasionn laugmentation, sous prtexte des frais de leur entretien ; &

    comme lEtat en est charg aujourdhui, cette augmentation est toute au

    profit de lEmpereur. Les droits de douanes sont fixs par la loi, & les

    Officiers chargs de les percevoir, nen ont la rgie que par commission.

    Il en est de mme des entres. Ces sortes dOfficiers, pour le remarquer

    en passant, sont proprement des Officiers de la maison de lEmpereur, ils

    nont aucun rang dans lEmpire. Cest par la grandeur de la Chine quil

    faut juger des sommes prodigieuses que lEmpereur tire des sels, des

    douanes & des entres. Il a, outre cela, des domaines & des terres en

    Tartarie qui lui produisent beaucoup. Il est ais de voir que, de quelque

    magnificence quil environne son trne, il na pas besoin de puiser dansles trsors de lEtat ; aussi sen fait-il gloire.

    Les dpenses annuelles de lEtat sont immenses, mais elle sont toutes

    pour lEtat & dans lEtat. Il seroit trop long den faire lenumration, mais

    il est essentiel dy remarquer :

    1 Que lEtat nemprunte jamais, & nen a jamais besoin. p.04.307

    2 Que les dtails & la surveillance des dpenses, regardent les

    Tribunaux & Mandarins dont ressortissent les choses qui en sont lobjet.

    3 Que la loi a fix en ce genre tout ce quelle pouvoit fixer pour tous

    les cas & circonstances quelle a pu prvoir. On sait davance ce que doit

    coter tel btiment public.

    4 Que leconomie de ladministration publique naugmente jamais la

    dpense des ouvrages publics daucun accessoire de magnificence. Ce

    nest pas la beaut des digues, des leves, des ecluses, des ponts, des

    canaux & des edifices publics qui annonce la splendeur & la richesse de

    lEtat, dit Lieou-tchi, cest lembonpoint des citoyens, & le grand nombre

    des vieillards & des enfans .

    5 Que les dpenses gnrales pour tout lEmpire sont tellement

    rgles pour chaque anne, quon ne les augmente jamais sans une

    grande ncessit, & que, quelque riche que soit le trsor gnral de

    9

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    10/88

    Intrt de largent en Chine

    lEmpire, on laccrot toutes les annes, pour ntre pas forc

    daugmenter les impts dans les temps de guerre & de calamit.

    Lhistoire de nos monnoies nous jetteroit dans trop de discussions. Il

    suffira pour notre objet, den faire connotre le systme actuel, dont on na

    aucune ide au-del des mers. Le cuivre & largent sont en Chine les seuls

    signes publics de la valeur des choses, & les seuls gages ou instrumens

    des echanges ; mais lun & lautre dune maniere trs-diffrente.

    Le cuivre est mis en monnoie ronde de huit lignes & demie de

    diametre (notre pouce se divise en dix lignes, notre pied en dix pouces,

    & notre pied est plus grand dun centieme que celui de France), ayant un

    petit trou quarr au milieu ; il y a deux caracteres Chinois sur la face, &

    deux mots Tartares sur le revers. Chaque piece pese aujourdhui un

    Tsien & deux Fen ; dix doivent peser une once & deux Tsien, &c. p.04.308

    Cette monnoie se nomme Ta-tsien ; les petits deniers nomms Siao-

    tsien, ne sont que la moiti du Ta-tsien, ou grand denier. On a cess

    den fondre depuis bien des annes (car la monnoie est fondue), & ils ne

    passent plus dans le commerce. Mais, comme on continue compter par

    deniers en France, quoiquil ny en ait plus, on continue ici compter par

    Ta-tsien &Siao-tsien. Remarquons en passant, que les monnoies sont du

    ressort du Tribunal des Finances.

    Avant de parler de largent, il faut donner une petite notice des poids,

    des balances & du karat. Largent se pese par onces, lonce se divise en dix

    Tsien, le Tsien en dix Fen, le Fen en dix Li, le Lien dix Hao, le Hao en dix

    Se, le Se en dix Fou, le Fou en dix Tchin, le Tchin en dix Yai, le Yaien

    dix Miao, le Miao en dix Mo, le Mo en dix Tsun, le Tsun enfin en dix Sun. Sinous articulons ces divisions & subdivisions, quon pourroit dire tre

    pousses jusquaux infiniment petits, cest pour faire connotre, en

    passant, le gnie de lantiquit, de qui nous les avons reues ; car elles

    nont point lieu au-del du Se, mme pour lEmpereur. La progression des

    nombres en montant, va encore plus loin, & secrit par un seul caractere.

    La balance est plus foible en quelques endroits dun Tal, ou dune

    once par cent ; en dautres, de deux, de trois, de quatre & mme de

    10

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    11/88

    Intrt de largent en Chine

    cinq ; & cette diffrence, comme on le sent bien, est rpartie sur les

    divisions les plus ultimes. Mais cela ne nuit rien, parce que la balance

    Kouan-ti, ou du Tribunal des Finances, est une regle gnrale pour fixer

    & graduer ces diffrences, & que, dans les paiemens & dans les ventes,

    on dtermine la balance dont on se servira. On distingue en France trois

    karats ; le karat de largent fin ou de fin, le karat du prix & le karat du

    poids. On nen connot quun en Chine, savoir, le karat de fin. Ce karat

    sevalue p.04.309 sur la division de 100, comme en France sur celle de 24

    pour lor. Largent est celui qui na pas mme un centieme dalliage, cest

    ce quon appelle argent de 100 ou Ouen-in. Largent de 99 est celui qui

    sur une once a un Fen dalliage ou un centieme ; celui de 98 a deuxFen ; celui de 97 trois Fen, &c. Largent courant nest guere au-dessous

    de 97, cependant il y a des Provinces o il a cours jusqu 92 & demi.

    Comme la diffrence du karat est peu de chose dans les petites sommes,

    on y a peu degard dans le commerce de dtail. Pour les grandes

    sommes, on le dtermine ainsi que la balance, & on compense le karat

    par le poids, le poids par le karat. LEmpereur & le Tribunal des Finances,

    ne reoivent & ne donnent que de largent fin, & la grande balance.

    On voit par ces prliminaires, que largent nest pas proprement

    monnoie en Chine, parce quil na que sa valeur relle & reue dans tout

    lEmpire. Il nest monnoie que comme un signe universel dune certaine

    valeur, ou equivalent adopt pour la facilit des echanges. Quelque

    forme & figure quil ait, il a cours raison de son poids & de son karat.

    Les grands petits pains quon fond, ne sont que pour la commodit du

    commerce & des paiemens. Il faut quils passent par la balance. Le prix

    ou valeur proportionnelle de largent avec les denres, les marchandises,

    les terres, &c. a chang sous cette dynastie, & a diminu. Cette

    diminution dont il est assez difficile de dterminer la progression, va, dit-

    on, un cinquieme dans la Capitale ; mais elle nest que dun dixime

    dans les Provinces, & moindre encore dans les campagnes.

    Le rapport des monnoies de cuivre avec les monnoies dor & dargent,

    est toujours le mme en France, parce que le coin du Prince la fix ;

    11

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    12/88

    Intrt de largent en Chine

    soixante sols equivalent en tout temps un ecu de trois livres. Il nen est

    pas de mme ici p.04.310 du rapport des deniers avec largent : une once

    dargent karat 100, par exemple, & balance Kouan-ti ou balance de

    lEmpire, equivaut quelquefois 1.000 gros deniers, & quelquefois elle

    nequivaut qu 800. Le milieu entre ces deux extrmes est comme le

    taux moyen de leur valeur respective. Il ny a pas danne, sur-tout

    P-king, o ces variations naient lieu plusieurs fois. Dans une anne

    ordinaire, elles se succedent par une progression lente ou subite, selon

    ce qui sort du trsor Imprial, ou en monnoie ou en argent ; cest-l ce

    qui fait les profits des changeurs qui y gagnent toujours. Ces vicissitudes

    sont sujettes sans doute bien des inconvniens, ainsi que lusagedemployer largent raison seule du karat & du poids ; mais la politique

    du gouvernement se met au-dessus. Cela est dautant plus etonnant,

    que le Tribunal des Finances sen tient toujours la proportion de mille

    gros deniers pour une once dargent fin.

    En cela, dira-t-on, que se propose le gouvernement ? Le voici : il veut

    quil ny ait quune certaine quantit dargent & de monnoie qui circule

    dans lEmpire, & que ce quil y a de lun & de lautre circulecontinuellement. La valeur proportionnelle des deniers avec largent, &

    de largent avec les deniers, lui sert de thermometre pour mesurer la

    quantit respective & mme totale de lun & de lautre : ce quil ne

    pourroit pas faire, si largent etoit en monnoie & avoit une proportion fixe

    avec les deniers. Selon que lun ou lautre monte, de prix, il dpend de

    lui de le faire baisser & de le mettre au taux o il veut, en faisant sortir

    du trsor de lEmpire ou de largent ou des deniers. Cest aux hommes

    dEtat concevoir lutilit de ces vues ; tout ce que nous y ajouterons,

    cest que lEtat, comme il a et dit, recevant chaque anne plus dargent

    quil nen dpense, le trsor public absorberoit peu--peu tout celui de

    lEmpire, ou du moins le diminueroit, p.04.311 de maniere en augmenter

    & en doubler la valeur respective. Mais comme le commerce fait valoir

    toutes les annes une grande quantit dargent dans lEmpire, & que

    cette quantit dargent peut tre plus grande ou moindre que celle qui

    12

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    13/88

    Intrt de largent en Chine

    reste dans le trsor public, il faut au gouvernement un moyen de le

    connotre. Or, la proportion des deniers & de largent lui donne ce

    moyen, & celui de savoir aussi o en est le commerce. Peut-tre,

    pourroit-on ajouter, que ces moyens lui mettent en main le vrai

    gouvernail du commerce intrieur & etranger ; car enfin, il ne sort point

    de monnoie de la Chine, & il ny en entre point. Quant aux

    consommations de largent en meubles, tout calcul & compens,

    largent qui est en uvre & perdu pour le commerce, monte & baisse de

    fort peu. Notre gouvernement peut se tromper ; mais le fait est, quil fait

    baisser ou monter la valeur respective de largent & de la monnoie, &

    quil sest mnag cette ressource pour tout lEmpire.Quant aux deniers qui sont notre monnoie, ltat (ceci est digne de

    remarque) bien loin de gagner le bnfice du coin, perd en faire ; en

    voici la preuve. La fabrique ou fonte des deniers est ncessairement

    dispendieuse, & les deniers valent souvent plus comme cuivre que

    comme monnoie ; cette perte cependant nest pas relle, parce que les

    mines de cuivre appartenant lEtat, il en retire beaucoup par cette

    maniere de vendre le produit de leur exploitation : maniere sre & qui luien garantit toujours le dbit. Quoiquil soit dfendu en effet de vendre la

    monnoie pour avoir du cuivre mettre en uvre, le gouvernement ne

    veille lobservation de cette loi quautant quil faut pour que le cuivre

    reste toujours un certain prix. Ce prix dpend encore de lui : ds quil

    monte plus haut que la valeur relle des deniers, il le fait baisser, en en

    faisant sortir une certaine quantit du magasin p.04.312 dans la proportion

    ncessaire pour le mettre au taux quil veut ; le gouvernement ne

    souffre jamais que le cuivre soit un assez bas prix pour quon puisse

    gagner faire de fausse monnoie, ni assez cher pour quon gagne

    beaucoup fondre la monnoie pour la mettre en uvre.

    Revenons maintenant sur la seconde chose que se propose le

    gouvernement, savoir, la circulation continuelle de toute la monnoie & de

    tout largent qui est dans lEmpire. Il est evident que quand lonce

    dargent ne correspond qu 800, 850, 900 deniers, toute la monnoie qui

    13

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    14/88

    Intrt de largent en Chine

    est dans les coffres doit sortir par lappt trs-prsent & trs-rel du profit

    actuel. Quand, au contraire, il faut 850, 1.000 deniers pour une once

    dargent, ceux qui en ont se htent de le faire sortir. Tout cela na pas

    besoin dtre prouv ; mais ce qui suit echapperoit peut-tre au lecteur

    dans une matiere si nouvelle pour lEurope. Neuf cens deniers sont

    lequivalent moyen dune once dargent : or, le denier pesant, comme

    nous lavons dit, un Tsien & deux Fen ; dix, une once & deux Tsien ; cent

    doivent peser douze onces, & mille, cent-vingt onces. Il est evident que ce

    poids rend le transport & laccumulation des deniers dun usage si

    incommode, quil est ncessaire de les echanger avec largent. En effet, ce

    poids suppos, les grands paiemens seroient embarrassans en deniers ; letransport de ces deniers est encore plus difficile : ds-lors ils ne sortent

    guere de lendroit o ils sont. Pour laccumulation des deniers, il est

    evident quelle est trop apparente & trop volumineuse pour avoir lieu, &c.

    Considrons maintenant les diffrens ordres des citoyens, par rapport

    leurs biens & leurs possessions. Il y a sept ordres de citoyens en

    Chine : 1 les Mandarins ; 2 les gens de Guerre ; 3 les Lettrs ; 4 les

    Bonzes ; 5 les Laboureurs ; 6 les Ouvriers ; 7 les Marchands. Il estevident par p.04.313 la constitution la plus intime de lEtat, par la conduite

    du gouvernement, par la prodigieuse population de toutes les Provinces,

    par le partage des biens entre les enfans, &c. il et evident, dis-je, quil

    ne peut pas y avoir en Chine beaucoup de familles qui soient riches long-

    temps en biens-fonds. Comment cela ? Cest que,

    1 Il ny a en Chine ni fiefs, ni terres seigneuriales, ni titres, ni

    domaines hrditaires : lexception en faveur des Princes duSang nest pas un objet, & a plus lieu en Tartarie, o sont leurs

    terres, quen Chine, o ils nont que des revenus sur lEtat.

    2 On monte, de tous les ordres des citoyens, aux charges &

    aux honneurs : le mrite seul attire le choix du Prince, ce choix

    ne conduit quaux petits emplois ; cest aux talens & aux

    services conduire aux plus elevs, & un pere ne fait rien pour

    ses enfans.

    14

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    15/88

    Intrt de largent en Chine

    3 La population qui va toujours croissant, divise tous les

    hritages dune gnration lautre, & met sans cesse le

    mrite aux prises avec le mrite, lindustrie avec lindustrie, le

    travail avec le travail, dune maniere qui empche les grandes

    fortunes.

    Cette observation gnrale prsuppose, parcourons les diffrens

    ordres des citoyens. Les Mandarins Chinois de robe & depe, sortent

    presque tous des trois dernieres classes des citoyens. Le ton du

    gouvernement & lambition des parens poussent letude les jeunes

    gens qui ont de la facilit & de lesprit. Si leur application & leur mrite

    les conduit au grade de Docteur, ils entrent dans la carriere duMandarinat, o lon navance que lentement, moins que dheureuses

    circonstances, des services eclatans, ou un mrite suprieur, ne fassent

    abrger le chemin des promotions. La regle gnrale, cest quon nest

    jamais fait Mandarin dans sa patrie. En quelquendroit quon soit envoy,

    on y trouve son logement tout prpar & sa maison toute faite pour la

    reprsentation extrieure ; mais il faut y conduire sa famille & soutenir

    p.04.314 son rang. Un Mandarin parvient-il senrichir par ses epargnes,ce qui est trs-difficile, par le commerce, qui lui est dfendu, ou par des

    injustices qui exposent sa fortune & sa vie, il ne peut acqurir des fonds

    que dans sa patrie o il espere aller finir ses jours, & jouir en paix dans

    sa vieillesse de ses travaux & de sa gloire. Mais que sont des biens

    confis une administration etrangere ? Sa mort laisse ses enfans entre

    les mains de leur mrite, avec la portion de ses biens qui leur revient.

    Les faits attestent depuis plus de vingt siecles que les petits-fils des plus

    grands Mandarins rentrent presque tous dans la sphere du peuple.

    Les gens de Guerre sont de deux sortes, les Tartares & les Chinois. Les

    premiers naissent tous soldats, le grand nombre est dans la Capitale, les

    autres sont distribus dans quelques grandes villes des Provinces : on leur

    assigna quelques terres, lorsquils firent la conqute de lEmpire ; mais la

    plupart de ces terres sont possdes par les grandes familles Tartares, &

    la totalit ne fait quun petit objet. Les soldats Chinois sont rduits une

    15

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    16/88

    Intrt de largent en Chine

    solde modique, daprs lancien tarif. Comme la Cour favorise beaucoup

    les Tartares qui ont du mrite, ou qui sont des premieres maisons, & que

    dailleurs ils ont droit la moiti des charges des grands Tribunaux, & ont

    presque exclusivement celles qui sont militaires, il leur seroit assez ais de

    senrichir. Malgr cela, il y en a peu qui soient riches, du moins long-

    temps, parce quils dpensent sans economie, & parce quetant vassaux

    de lEmpereur, dans un sens qui est presque synonyme desclaves, Sa

    Majest confisque leurs biens la moindre occasion, moins pour les

    chtier que pour les empcher de vivre dans une aisance qui les

    amolliroit. Nos Chinois nacquierent que difficilement le droit dexposer

    leur vie pour la dfense de la patrie, dans le grade dOfficiers. On aconserv les anciens exercices militaires, o lon ne russit p.04.315 quen

    joignant une grande force de corps une adresse & une souplesse qui

    supposent beaucoup dusage de ces exercices, & cest daprs cela quon

    distribue des grades qui correspondent ceux des Lettrs. Ceux qui

    arrivent au Doctorat militaire, sont pourvus & avancs, comme les Lettrs,

    leur rang. Il leur est plus facile de senrichir quand ils sont dans les

    emplois militaires, parce quil y a moins de dpenses faire, & que les

    appointemens en sont plus considrables. Cependant, comme la plupart

    aiment jouir de la vie, & quils sont souvent obligs de se transporter

    dun bout de lEmpire lautre, il est assez rare quils laissent de grands

    biens ou de grands hritages. Pour les soldats, on ne les enrle quautant

    quune taille avantageuse & une force de corps suprieure les mettent en

    etat de soutenir les plus grandes fatigues de la guerre. Ceux qui sont

    rpandus en petits corps-de-garde sur le bord des chemins & des grandes

    rivieres, sur les ctes & les frontieres, ont la plupart, outre leur solde, des

    terres militaires quils cultivent en commun, ce qui leur fait un sort assez

    heureux. Les autres sont rduits leur solde, & nentretiennent leurs

    familles doucement quautant quils travaillent quand ils sont libres. Que

    peuvent laisser leurs enfans ceux qui parviennent aux petits grades de

    sergent, de sous-lieutenant ? Ce quils ambitionnent le plus, cest de

    laisser leur poste quelquun de leurs enfans, & ils ne lobtiennent

    quautant que sa taille & sa force mritent une prfrence.

    16

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    17/88

    Intrt de largent en Chine

    Les Lettrs sont ou des aspirans aux premiers grades littraires, ou

    des candidats pour les charges, ou des esprits mdiocres qui sobstinent

    prtendre au doctorat quils ne peuvent pas obtenir, ou des bacheliers

    du commun qui ont renonc aux examens, ou des philosophes occups

    lire de vieux livres, & en faire de nouveaux, ou enfin danciens

    Mandarins quon a remercis ou qui ont demand se retirer. Comme le

    nombre p.04.316 des Lettrs est compt, & proportionn aux besoins de

    ltat, la totalit de ceux qui ne sont que Lettrs ne va pas loin. Ce que

    nous avons dit & ce que nous disons, suffira pour se former une juste

    ide de leur fortune.

    On crie en Europe contre les biens ecclsiastiques, & on cite la Chine :

    cest assurment le plus mauvais biais quon puisse prendre. Il y a plus de

    Bonzes, de Tao-se & de Lama P-king, quil ny a dEcclsiastiques & de

    Religieux Paris, & ils sont mieux fonds. Il en est de mme proportion

    dans tout le reste de lEmpire. On distingue ici deux sortes de Miao ou

    Temples, qui sont desservis par des Bonzes, des Tao-se ou des Lama,

    savoir, les Miao-kouan-ti & les Miao particuliers. Les premiers, dont le

    nombre est prodigieux dans les villes & dans les campagnes, ont des biens-fonds inalinables en terres & en maisons, & le gouvernement est charg

    de la rparation & de lentretien de leurs maisons. Il y a des sommes

    assignes pour cela dans tous les districts. Les autres, fonds par les

    ministres des idoles ou par leurs dvots, sont quelquefois assez riches &

    quelquefois trs-pauvres ; mais il y en a linfini. La Chine entiere ne seroit

    quune Bonzerie, si les mauvaises annes ne faisoient tomber en ruine &

    abandonner un grand nombre de Miao. Comme tous les philosophes de

    lEurope sont sur cette matiere dans la pnombre de lincrdulit, il faudroit

    trop de dtails pour leur montrer o en est notre Chine cet egard. Nous

    comptons le faire dans un Mmoire particulier, le sujet le mrite. Pour ce

    moment-ci, nous nous bornons cette proposition :

    Les trois sectes idoltriques qui sont en Chine ne sont que

    tolres par les loix ; & les ministres des idoles, tout

    compens, sont les mieux partags en biens.

    17

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    18/88

    Intrt de largent en Chine

    Nous invitons les curieux voir dans lY-tong-tchi, nous ne disons pas

    combien il y a de Bonzeries dans tout lEmpire, le nombre est trop

    prodigieux pour quon puisse le mettre dans un livre de gographie, la

    gographie particuliere mme de chaque Province ne les met pas

    toutes ; mais combien il y a de grandes & clebres Bonzeries dont

    beaucoup sont & plus riches & plus magnifiquement bties que les plus

    clebres Abbayes de lEurope, au moins par rapport letat actuel de la

    distribution & du partage des biens dans notre Chine. Il y a plus de six

    mille Bonzeries dans la ville & banlieue de Pking. Un incendie vient de

    dtruire G-ho-eulh un Miao, qui avoit cot deux millions cinq cens

    onces dargent, cest--dire, prs de vingt millions de France. Or, G-ho-eulh nest que le Fontainebleau de lEmpereur. Il ny a pas de palais de

    lEmpereur o il ny ait quelque monastere, ou de Ho-cham, ou de Tao-

    se, ou de Lama, & dans les grands palais il y en a sept huit. Cest un

    abus, sans doute, & un abus dautant plus ridicule, que les ministres des

    idoles sont, en gnral, fort mpriss cause de leur ignorance & de

    leurs murs, & quils ne tiennent par aucun endroit au Gouvernement,

    dont la religion avoue & professe, est la religion naturelle ou disme.

    Mais cet abus, sur lequel les Lettrs ont tant ecrit depuis plus de quinze

    siecles, rfute ce que disent ceux dEurope, sur le tort que les Gens

    dEglise & les Religieux sont la richesse & la population des Etats.

    Car, enfin, la Chine est lEmpire le plus florissant & le plus peupl de

    lunivers. Notre Gouvernement nest pas assez dpourvu de lumiere,

    pour ne pas voir que les Bonzeries sont un vritable impt mis sur tout

    lEmpire ; mais comme la bont des murs sociales est le point dappui

    & le ressort de lautorit, & que les Bonzes contribuent, bien desegards, lentretenir, il ne croit pas trop acheter ce secours essentieL.

    Les laboureurs sont en Chine, comme ailleurs, la portion la plus

    nombreuse des citoyens. Le Gouvernement affecte pour eux une

    protection marque, & il les mnage beaucoup. Les vexer, les opprimer,

    ou mme ne les pas secourir temps, sont p.04.318 les crimes quon

    pardonne le moins aux Mandarins. Le grand nombre des laboureurs fait

    18

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    19/88

    Intrt de largent en Chine

    quils ne peuvent pas tre riches. Car, pour le remarquer, en passant, la

    grande population, tant desire ailleurs, est ici un flau, & la premiere

    cause de toutes les rvolutions. Soit que les colons cultivent leurs

    propres terres, comme la plupart, soit quils cultivent celles des autres,

    ils nont guere que ce quil faut pour vivre doucement, lors mme que la

    terre rpond le mieux leurs soins & leur travail. Ces soins & ce travail

    ne suffisent pas pour occuper le grand nombre toute lanne, sur-tout

    dans les Provinces du midi. Cela a etendu la sphere des arts de besoin &

    dindustrie dans les campagnes. Quant ceux qui cultivent les terres des

    autres, ils en retirent plus pour eux que dans les autres pays.

    Les artisans la Chine, sont, -peu-prs, comme ceux de France, sice nest quils ne paient aucun impt, & quils nont ni les entraves, ni les

    privileges des matrises. Leur grand nombre fait, que luttant de plus prs

    les uns contre les autres, ils font plus defforts pour se surpasser en

    adresse & en industrie. Mais la supriorit la plus marque, nest pas un

    droit pour ranonner le public. Comme on ne cherche ici que le

    ncessaire dans le ncessaire, lutile dans lutile, on ne paie jamais, ou

    presque jamais, ce quil y a de surplus en agrment. Par cette raison, lesarts de got, dimagination & de fantaisie, ne sont jamais caresss par la

    fortune, & cest bien ce que prtend le Gouvernement.

    Il faut distinguer les Marchands en quatre classes ; ceux qui

    trafiquent avec les etrangers ; ceux qui se chargent de limportation &

    exportation des marchandises dun bout de lEmpire lautre ; ceux qui

    ont des magasins pour vendre en gros, & les Marchands en dtail. Toute

    compensation faite, les trois premieres classes de Marchands comptent

    plus de grandes fortunes, & de fortunes solides & paisibles, que les six

    ordres des autres p.04.319 citoyens ; mais elles ne restent guere plus dans

    la mme famille. Les fils ressemblent rarement leurs peres. Le bien-

    tre les corrompt, la vanit les aveugle. Ils quittent le commerce pour

    jouir, ou pour savancer par la voie des emplois, & leurs enfans

    gmissent de leur folie dans la pauvret. Le peu de luxe, proprement dit,

    quil y a en Chine, se trouve chez les gros Marchands.

    19

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    20/88

    Intrt de largent en Chine

    Laissant part la question galement difficile, dangereuse & inutile de

    la supriorit de lancien Gouvernement sur celui daujourdhui, nous

    croyons que sil ny a pas de grandes fortunes dans notre Chine, & si

    celles qui dbordent la ligne dune honnte mdiocrit ne sont pas de plus

    longue dure, cest louvrage de nos loix & de notre Gouvernement. Plus

    ami des hommes quon ne le dit au-del des mers, lEtat se charge de

    ceux qui travaillent pour lEtat, ou le dfendent ; il distingue les talens &

    le mrite ; il rcompense avec magnificence ceux qui le servent : mais

    lEtat ne veut point que ceux-mmes qui lui sont utiles, jouissent dun

    bien-tre trop disproportionn. Il ne prtend point que la place o se

    trouvent le mrite & les talens, ajoute leur prix, parce que la fortune yest ct deux. Il ne fait jamais des rcompenses, un titre doisivet &

    de mollesse pour les descendans de ceux qui il les accorde. Pourquoi

    cela ? Pour ramener une gnration par lautre un juste partage de

    biens. Le travail mme & lindustrie, qui font pencher la balance, tantt

    dun ct, tantt de lautre, laident y russir. Ceux qui naissent, dans

    les autres pays, pour jouir, & qui ne tiennent la socit, de gnration

    en gnration, que par le bien-tre, les honneurs & les plaisirs quelle leur

    procure, trouveront terrible, sans doute, que les fortunes soient si

    mdiocres & si changeantes ; mais les ames dun certain ordre,

    admireront que toutes les parties du systme politique de notre

    Gouvernement, soient tellement lies & combines, que les rvolutions de

    plus de p.04.320 dix-neuf siecles naient jamais pu lentamer sur un point qui

    touche de si prs la tranquillit de ltat, & au vrai bonheur des peuples.

    Examinons maintenant quelles sont les sources communes des

    richesses & des biens dans tout lEmpire. Que le lecteur, avant tout, jette

    un coup dil sur la carte gnrale de lAsie, pour voir la grandeur de

    notre Chine, la varit de ses climats, & les peuples divers dont elle est

    environne. Il trouvera quelle est dune tendue immense, quelle runit

    tous les climats, & na autour delle, que des nations errantes, ou demi

    barbares ; & il en conclura dabord, que rduite elle-mme, elle peut &

    doit se suffire ; mais en songeant quelle est prodigieusement peuple, &

    20

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    21/88

    Intrt de largent en Chine

    quelle le devient toujours de plus en plus, parce que les grandes

    maladies pidmiques sont rares, que les loix sont florissantes, que le

    mariage est en honneur, que le nombre des enfans est une richesse, &

    que la paix au-dedans & au-dehors presque inaltrable ; il sentira bientt

    que ce nest qu force de travail, dindustrie & deconomie, quelle peut

    avoir, nous ne disons pas lagrable, mais lhonnte, & le ncessaire.

    En France, les terres se reposent de deux annes lune. Dans bien des

    endroits, il y a de vastes terreins qui sont en friche ; les campagnes sont

    entrecoupes de bois, de prairies, de vignobles, de parcs, de maisons de

    plaisance, &c. Rien de tout cela ne peut avoir lieu ici. La doctrine mme

    de lantiquit sur la Pit filiale, na pu sauver les spultures dans lesrvolutions. Les petites se fondent & disparoissent dans les champs,

    dune gnration lautre, & la superstition a aid peu--peu la politique

    relguer celles des riches dans les montagnes ou dans les endroits

    striles & ferms lagriculture. Quoique la terre soit puise par trente-

    cinq siecles de moissons, il faut quelle en donne chaque anne une

    nouvelle, pour fournir aux pressants p.04.321 besoins dun peuple

    innombrable. Cet excs de population, qui a et ici la premiere cause desrvolutions, comme chez les Tartares errans, de leurs emigrations &

    conqutes, & qui rend le Gouvernement si difficile, si dlicat & si

    pnible ; cet excs de population, dont les Philosophes modernes de

    lEurope nont pas mme souponn les inconvniens & les suites,

    augmente ici le besoin de lagriculture, au point de montrer les horreurs

    de la famine, comme la consquence subite & invitable dos moindres

    ngligences, & de forcer les Chinois se passer du secours des bufs &

    des troupeaux, parce que la terre qui fourniroit leur subsistance, est

    ncessaire celle des hommes ; inconvnient trs-grand, puisquil prive

    des engrais pour les terres, de la viande pour les tables, des chevaux

    pour la guerre, & de presque tous les avantages quon retire des

    troupeaux. Sans les montagnes & les marais, la Chine seroit absolument

    prive du bnfice des bois, de la venaison & du gibier : ajoutons que la

    force & lindustrie de lhomme font tous les frais de lagriculture. Il faut

    21

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    22/88

    Intrt de largent en Chine

    plus de travail & plus dhommes pour avoir la mme quantit de grains

    quailleurs. La somme totale en est inconcevable ; cependant, elle nest

    que suffisante, & ne suffit encore, que parce quelle est rgie &

    distribue avec une economie prvoyante, qui compense une anne par

    lautre, & qui entretient le niveau dans toutes les Provinces.

    Les cochons & la volaille sont presque la seule viande de la Chine ;

    do il suit quon doit en manger peu distributivement, & que lindustrie a

    besoin de toutes ses ressources, pour en nourrir une certaine quantit.

    Nous avons dit presque, parce que nous parlons de lEmpire, envisag

    dans son universalit par rapport cet objet. Il y a, en effet, des districts

    mieux partags cet egard, & o on nourrit beaucoup de troupeaux. Il y

    en a o on laboure avec des bufs, des buffles & des p.04.322 chevaux.

    Mais, proportion garde, il y a, au moins, dix bufs en France contre un

    en Chine.

    Lobjection se prsente delle-mme. La Chine est donc bien mal

    partage pour la nourriture ? Oui, assez mal :

    1 Si on la compare la France, vue non pas dans les

    campagnes, mais dans les grandes villes.

    2 Si on ne fait pas attention que le Petcheli, qui est la derniere

    Province du ct du nord, est plus mridionale que la Provence

    & le Roussillon.

    Bien des gens ont lequit, dans ces sortes de calculs, dexaminer quoi

    se rduit en France, comme dans le reste de lEurope, la boucherie des

    campagnes ; mais il nen est guere qui rflchissent que lusage de la

    viande nest ni ncessaire, ni sain dans les pays chauds. Nos anciens, qui

    etoient mieux partags que nous en viande, sans comparaison, en

    mangeoient encore moins. Observons, cependant,

    1 que la Tartarie fournit toutes les annes Pking, & toute

    la Province, une quantit prodigieuse de bufs, de moutons,

    de cerfs, &c.

    22

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    23/88

    Intrt de largent en Chine

    2 Que les ctes de la mer, depuis la grande muraille jusquau

    bout de la province de Canton, les lacs, les etangs, les rivieres,

    &c. donnent continuellement toutes sortes de poissons. La

    pche seule du grand Kiang, qui est au milieu de lEmpire,

    equivaut celle des plus grands fleuves dEurope runis.

    3 Que les montagnes, dont toutes les Provinces sont

    entrecoupes, ont quantit de gibier & de venaison.

    4 Que la ncessit, mere de lindustrie, a appris nos Chinois

    tirer parti de beaucoup de lgumes, dherbages, de plantes,

    de racines qui croissent delles-mmes dans les campagnes, &

    qui ne demandent point de culture.

    5 Quoiquil ne puisse pas y avoir beaucoup de terres en

    vergers & en jardins, les enclos des maisons, les avenues des

    villages, les collines y supplent, & la plupart des Provinces

    seroient au niveau des Provinces de France les mieux

    partages, si lextrme population ne p.04.323 faisoit pas pencher

    la balance. La Chine a peu de laines, & ne fait presque point de

    toiles de chanvre, ni de lin ; mais la soie, les cotons, les racines

    & ecorces de plusieurs especes y supplent abondamment. La

    quantit de soies quon recueille chaque anne, est incroyable.

    La rcolte du coton va encore plus loin, parce quelle est plus

    gnrale, plus facile, & que toutes les Provinces sont

    egalement bien partages. Les racines & les ecorces ne sont

    guere quun agrment, cause de la lgret des toiles quon

    en fait pour let. Remarquons en passant quil se fait une trs-petite consommation dhabits dans toutes les Provinces

    mridionales, & que dans les autres mme, elle est beaucoup

    moindre quen France pendant plus de quatre mois.

    Les matriaux des btimens, le chauffage, les boissons & les remedes

    sont les choses les plus ncessaires aprs les grains & les etoffes. On

    btit peu en pierre, dans notre Chine ; mais en revanche on travaille

    bien la brique, & on trouve par-tout de la terre propre en faire. Les

    23

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    24/88

    Intrt de largent en Chine

    montagnes & les isles voisines des ctes, ainsi que la Tartarie, sont la

    ressource gnrale de lEmpire, pour les bois de charpente ; & quoiquon

    btisse presque par-tout en bois, cause des tremblemens de terre,

    cette ressource seroit trs-suffisante, sans la grande consommation qui

    sen fait pour les barques dont les grandes rivieres sont couvertes. La

    raret du bois de charpente en quelques endroits, na pas dautre

    mauvais effet, que de rapetisser les maisons des pauvres, & de rendre la

    btisse de celles des riches plus dispendieuse. Pour le chauffage, les

    mines de charbon de terre & lart de manier le feu, rendent presque

    insensible la disette des bois dans les endroits eloigns des montagnes.

    Les vignes nont fait que parotre sous la dynastie des Han : toute laChine est rduite linfusion du th pour la boisson, & les murs ni

    lEtat ny perdent rien. Le vin, ou p.04.324 plutt la biere de grain, est

    dfendu par la loi, ainsi que leau-de-vie. La Police ne ferme les yeux sur

    linfraction quautant quelle reste cache, & quelle ne va pas jusqu

    causer une grande consommation de grain. Pour les remedes, ceux dont

    notre Mdecin fait usage sont peu composs, & elle les tire tous de nos

    diverses Provinces.

    Il y a des mines de tous les mtaux dans lEmpire, & quelques-unes

    mme de diamans & de pierreries dans le Yunnan ; ces dernieres sont

    fermes, ainsi que celles dor & dargent. On a compris ici il y a long-

    temps que laugmentation de lor & de largent ne peut pas enrichir

    lEtat : en revanche, on tire des mines une quantit prodigieuse de fer,

    de cuivre, detain & de plomb, cause de la grande consommation qui

    sen fait. Quant aux minraux fossiles, bois odorifrans, &c., ils ne

    peuvent devenir utiles lEmpire que par le commerce.

    Les ides de lEurope sur le commerce sont fort diffrentes de celles

    de notre gouvernement. Le commerce, selon les Chinois, ne peut tre

    utile lEmpire quautant quen cdant des choses superflues, on en

    acquiert de ncessaires ou dutiles. Ce principe suppos, ils en concluent

    que le commerce des etrangers Kan-ton diminuant la quantit usuelle

    des soies, des ths, de la porcelaine, & occasionnant laugmentation de

    24

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    25/88

    Intrt de largent en Chine

    leur prix dans toutes les Provinces, il est vritablement dsavantageux

    lEmpire : aussi le gouvernement tche-t-il de labaisser peu--peu.

    Largent quapportent les vaisseaux dEurope, ainsi que les prcieuses

    bagatelles qui viennent la Cour ne font pas illusion au ministere. Il en

    est de mme des vaisseaux qui vont Siam, Malaque, au Japon,

    Manille, &c. Le ministere ne regarde comme avantageux que le

    commerce avec les Tartares & les Moscovites, qui fournit des pelleteries

    dont on a besoin dans les Provinces du Nord, & qui se fait par echanges.

    En gnral, notre Chine ne peut pas commercer p.04.325 fort utilement

    avec les etrangers, parce quelle ne peut en tirer des grains, des bois &

    des bestiaux. Kouan-ts disoit, il y a deux mille ans :

    Largent qui entre par le commerce nenrichit un Royaume,

    quautant quil en sort par le commerce. Il ny a de commerce

    long-temps avantageux que celui des echanges ou ncessaires

    ou utiles. Le commerce des objets de faste, de dlicatesse & de

    curiosit, soit quil se fasse par echanges ou par achats,

    suppose le luxe : or le luxe qui est labondance du superflu

    chez certains citoyens suppose le manque du ncessaire chezbeaucoup dautres. Plus les riches mettent de chevaux leurs

    chars, plus il y a de gens qui vont pied ; plus leurs maisons

    sont vastes & magnifiques, plus celles des pauvres sont petites

    & misrables ; plus leur table est couverte de mets, plus il y a

    de gens qui sont rduits uniquement leur riz. Ce que les

    hommes en socit peuvent faire de mieux force dindustrie

    & de travail, deconomie & de sagesse, dans un Royaume bien

    peupl, cest davoir tous le ncessaire & de procurer le

    commode quelques-uns.

    Il est de fait que le commerce enrichit les Provinces fertiles, au lieu

    que les autres ne se soutiennent dans leur mdiocrit qu force de

    travail & dindustrie. Cela est si sensible, que le Petcheli o est la

    Capitale, & o largent vient en ruisseaux de tout lEmpire, a toujours

    et, & sera toujours la Province la plus pauvre, parce que cest la moins

    25

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    26/88

    Intrt de largent en Chine

    fertile de toutes. Le grand but du gouvernement est de faire que

    lindustrie & le travail contrebalancent -peu-prs dans un endroit la

    fertilit & labondance dont on jouit dans un autre, afin que le flux & le

    reflux des echanges se conserve toujours dans la proportion la plus

    convenable au bien public. Pour cela, il charge de plus dimpts les

    Provinces les plus riches ; il conserve, accrdite, favorise, dans celles qui

    le sont moins, la p.04.326 culture des grains & des fruits qui y russissent ;

    il leur donne la prfrence pour les minraux, les fossiles, les carrieres,

    &c. il leur fait de plus grandes graces, & a lattention dy envoyer les

    Mandarins les plus aiss & les plus intelligens. Quoiquil ny ait en Chine

    de manufactures, proprement dites, que celles de lEmpereur, qui netravaillent que pour lui, & dont la fin principale est de conserver les arts

    & de les perfectionner, il y a une infinit de fabriques, & celles des

    Provinces les moins fertiles sont toujours les plus encourages par le

    gouvernement. Par la mme raison, tout ce qui y entre, y passe, ou en

    sort, ne paie que peu de chose aux douanes. Combien dautres moyens

    nemploie pas le ministere, pour assurer lequilibre du commerce !

    Les rivieres dont la Chine est arrose, & les canaux si multiplis, paro elles communiquent les unes aux autres, facilitent merveilleusement

    le commerce dun bout de lEmpire lautre : aussi trouve-t-on par-tout

    ce qui crot ou ce qui se fait dans les Provinces les plus eloignes. Les

    profits du commerce intrieur ne sont pas comparables ceux du

    commerce avec les etrangers, qui est incomparablement moins utile

    lEtat ; mais ils sont srs, parce que les crises & les rvolutions quon y

    eprouve, ou durent peu, ou se compensent ; parce que limportation est

    toujours jointe lexportation, & quon gagne toujours plus que les frais

    du voyage aller plus loin.

    Les grandes boutiques des villes & sur-tout des Capitales, sont

    comme les rservoirs o viennent se dcharger les diffrens canaux du

    commerce des Provinces ; cest de-l quils se distribuent dans les

    boutiques o on vend en dtail Il y a aussi des magasins publics o vont

    aboutir les marchandises, & o les ventes se font dune maniere plus

    26

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    27/88

    Intrt de largent en Chine

    prompte, plus sre & plus juridique. Elles ressemblent, quelques

    egards, celles de la Compagnie des Indes lOrient. Ce qui est assez

    p.04.327 particulier notre Chine, cest que les femmes ne paroissent pas

    dans les boutiques, ni pour vendre, ni pour acheter ; cela rpugne trop

    nos murs. Par cette raison, il y a beaucoup de petits marchands qui

    vont courant les rues, & vendant tout ce qui est ncessaire pour le

    mnage & pour les pauvres gens. Terminons ce long prambule en

    disant quelque chose de lesprit du gouvernement prsent & du ton

    gnral de nos murs.

    Les Tartares ont laiss le fond de notre gouvernement tel quils lont

    trouv. Ils nont fait que corriger quelques abus, & partager lautorit en

    doublant les charges des grands Tribunaux, & sen rservant la moiti :

    Les Empereurs Tartares qui ont rgn en Chine, & celui qui est aujourdhui

    sur le trne, se sont appliqus aux affaires avec un soin infatigable, & ont

    vritablement gouvern par eux-mmes. Leurs Tartares sont leurs

    esclaves, mais des esclaves ncessaires, & le nerf de leur autorit. Il etoit

    de la justice & de la bonne politique de conserver les grandes Familles qui

    passerent avec eux en Chine, lors de la rvolution. Aussi lont-ils fait, maisen les tenant dautant plus soumises & plus dpendantes, que les charges

    & les dignits quils y ont fait entrer, leur donnent plus de crdit &

    dautorit. Ils ont et plus loin : en laissant la haute noblesse les titres &

    les prrogatives dont ils lont dcore, ils ont eu la politique hardie de

    prfrer le mrite la naissance pour les emplois, & ils ont forc les

    Grands acqurir des connoissances & sappliquer aux affaires pour

    parvenir. Bien plus, autant ils ont montr de douceur & de clmence

    envers les Mandarins Chinois, autant ils ont affect dtre sveres &

    inexorables envers les Tartares : un Grand qui est all au Palais avec

    lappareil dun des premiers Seigneurs de lEmpire, en sort, sur une

    accusation, cass de ses emplois, dpouill de tous ses biens, charg de

    chanes, pour subir des interrogatoires, sur lesquelles lEmpereur doit le

    juger. p.04.328 Ce sont des coups de foudre qui partent avec leclair, & qui

    consument tout en un clin-dil. Cette svrit glaante qui a empch

    27

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    28/88

    Intrt de largent en Chine

    tant de fautes & qui nen punit jamais que de graves, est soutenue par

    une attention continuelle rendre pnible la vie de la Cour, afin de sauver

    les Grands de la mollesse qui perdit les Mongouths. Ces jours derniers,

    lEmpereur se mit en chemin par un si mauvais temps, quil fut oblig de

    revenir sur ses pas. A son retour au Palais, il alla saluer lImpratrice

    mere, examina si quelquun de ses Tartares qui etoient tous harasss &

    couverts de boues, manquoit son poste.

    Ceci nest quune promenade, dit-il ses Grands, il y a bien

    dautres fatigues essuyer la guerre.

    Les premiers Mandarins des Provinces ne sont pas plus epargns. Outre

    quon a multipli les expditions pour les tenir occups & les forcer savoir

    les affaires, un mot de lEmpereur les envoie franc etrier dun bout de

    lEmpire lautre. Quand les uns & les autres sont trop riches pour se

    dfendre de la sduction du luxe, on leur accorde lhonneur de se ruiner

    pour faire leur cour, ou pour expier une faute peu considrable. LEurope

    na point dides de cette politique. Lattention au mrite dans le moindre

    des Mandarins, lequit des prfrences dans les promotions, leclat des

    rcompenses pour les services ne suffisent pas pour assurer le Prince & lespeuples de la probit des hommes publics, il faut que lopprobre & la mort

    se prsentent eux dans tous les sentiers par o ils peuvent segarer. Les

    Empereurs Tartares entendent admirablement lart si difficile de manier le

    glaive de la justice. Les Mandarins coupables font toujours le grand

    nombre des criminels quon excute la Capitale, la fin de lautomne.

    Tous ceux qui sont en faute ne sont pas punis ; mais aucun Mandarin,

    mme dans les plus grands emplois, ne peut se promettre limpunit ; on

    ne punit que de grandes fautes, & on ne parot en punir que de petites. Les

    plus grandes aux yeux de p.04.329 lEmpereur, sont celles qui regardant le

    peuple. Du reste, les grands Mandarins sont responsables de toutes les

    fautes de leurs infrieurs, sur qui ils doivent veiller, & elles les perdent, sils

    ne sont pas egalement prompts les avouer & les rparer. Les Lettrs

    sont toujours en honneur, elevs aux dignits, fts, rcompenss, &c.

    mais on ne les laisse pas multiplier au-del du besoin de lEtat, & on les

    28

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    29/88

    Intrt de largent en Chine

    force au travail, la soumission & au silence. La Cour rcompense en

    bagatelles les bagatelles littraires & potiques, il ny a que les grands

    ouvrages quelle commande, qui abregent le chemin de la fortune & des

    honneurs. Une epigramme, un couplet contre le gouvernement, sont

    effacs par des fleuves de sang. Tout Mandarin est Empereur en cette

    matiere, & toute saison est lautomne pour ces sortes dexcutions. Du

    reste, comme il est fort ais de trouver des fautes dans les meilleurs

    ouvrages, & dembarrasser les plus savans, le ministere a souvent recours

    ce double expdient pour subjuguer les Lettrs, & prmunir le public

    contre leur docte suffisance. Cela est dautant plus ais, quil ny a pas de

    controverse sur linfaillibilit de lEmpereur.La discipline militaire est littrale & svere ; les gens de guerre sont

    les plus occups, les plus soumis & les plus tranquilles des citoyens. Le

    moindre danger quils courent en soubliant, cest dtre casss, & les

    Tartares nont jamais de grace esprer.

    Pour le peuple, la politique Tartare la favoris ouvertement, en

    maintenant les loix de la subordination domestique qui laissent les plus

    grands Mandarins dans le rang quils occupent dans leurs familles ; enprotgeant les mariages ; en assurant la possession des hritages ; en

    conservant lordre des partages & des successions ; en veillant avec soin

    tout ce qui regarde le peuple ; en encourageant son industrie, en

    augmentant ses p.04.330 ressources, en mnageant sa pauvret, en

    ouvrant tous les trsors de lEtat, pour obvier aux inondations, aux

    scheresses. & aux famines, & pour multiplier les secours dans les

    calamits ; en lui donnant des chefs choisis, & en les classant avec unordre admirable ; en regardant comme la cause du Prince toutes celles

    qui le regardent, & en mettant en uvre tous les ressorts de lautorit,

    pour lui epargner les mcontentemens qui le poussent la rvolte ; enfin

    en lui enseignant linnocence des murs & la pratique des vertus

    sociales, & en punissant avec beaucoup declat tous les crimes qui

    troublent la tranquillit publique. Quant aux etrangers, on les traite avec

    honneur, & on les subjugue.

    29

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    30/88

    Intrt de largent en Chine

    Les murs dune nation influent sur son gouvernement, & le

    gouvernement son tour influe sur les murs. Envisageons un instant,

    sous ce point de vue, les murs de nos Chinois.

    Les Lacdmoniens durent leur gloire lamour de la libert, les

    Romains, leur puissance celui de la patrie ; nos Chinois doivent tout ce

    quils sont leur respect sans bornes pour leur Empereur, leur estime

    pour les gens de lettres, leur obissance aux Magistrats, leur

    vnration pour lantiquit, leur attachement aux anciens usages, &

    leurs grandes ides pour la Pit Filiale. Le gouvernement Tartare en tire

    un grand parti. Ds quil sagit de lEmpereur, tout frappe, eblouit, etonne

    la multitude qui ne le voit jamais. Dun autre ct, ce quil y a de dur &dodieux dans ladministration publique, parot toujours venir de ses

    officiers. Quand il parle au peuple en son nom dans ses Edits, cest

    comme un sage, comme un pere ses enfans, il ne fait que des menaces,

    accorde beaucoup de graces, & tmoigne une tendresse, une sensibilit &

    une bienfaisance sans bornes. Les examens & les promotions des Lettrs

    sont traits en affaires dEtat. Plus lobscurit do sortent ceux qui sont

    couronns est connue & rend leur changement de fortune, p.04.331eblouissant, plus la multitude les regarde comme des hommes

    extraordinaires & les croit dignes de la gouverner. Lappareil qui environne

    les Magistrats est tellement combin, quautant il en impose au peuple,

    autant il les gne & les force un extrieur srieux & une rgularit de

    conduite qui les empche de soublier. Leur dignit les suit par-tout. Cest

    une erreur de simaginer que notre ministere soit esclave de lAntiquit ;

    mais ce quon ne sauroit blmer, & ce quil entend merveille, il la

    respecte, il la fait respecter, & se fait un bouclier de son autorit dont il

    sait se prvaloir au besoin. LEmpereur lui-mme a la sagesse de lui faire

    honneur de ce quil imagine de plus utile pour les peuples. Ils le croient

    dautant plus aisment, quils le voient se rapprocher delle sans cesse,

    non seulement dans ses amusemens, ses gots, ses ftes & ses btimens,

    mais encore dans ses rcompenses, ses louanges, ses jugemens, & sur-

    tout dans le crmonial & dans tous les usages. Souvent mme il la prise

    30

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    31/88

    Intrt de largent en Chine

    pour juge, entre lui & les Censeurs publics, & sest justifi de leurs

    reproches, en allguant ses maximes, ses exemples. Quant la Pit

    Filiale qui est chez nous le nud de toutes les loix, & qui donne tant de

    force lautorit publique, lEmpereur ne se contente pas de lhonorer

    dans les vieillards, de la louer dans les ouvrages, de la recommander dans

    les dclarations, de la rcompenser dans ceux qui la poussent jusqu

    lhrosme, & de la venger, avec rigueur & avec eclat dans ceux qui

    lattaquent ; il en consacre les plus petits devoirs par son exemple ; il

    naborde lImpratrice sa mere quen flchissant le genou. Mais aussi,

    quand il veut rendre odieux un Ministre, un Vice-Roi, un Grand quil

    disgracie pour des raisons dtat, il a toujours la ressource de quelquedevoir de Pit Filiale quil a nglig, & quil lui reproche avec force.

    Le premier effet du gouvernement Tartare, par rapport aux p.04.332

    murs publiques, a et dexciter lemulation entre les Chinois & les

    Tartares. Nos Chinois ne sont pas guerriers, mais ils se piquent de

    sagesse & dhabilet. Les Tartares visent manier aussi-bien le pinceau

    que le sabre ; ils composent en Tartare des ouvrages dans tous les

    genres, qui rendent aux premiers toute la peine que leur cotent leurslivres traduire. Les Tartares croiroient savilir de faire un mtier ou

    commerce, & nos Chinois regardent le triste mtier des armes comme la

    derniere ressource du dfaut de mrite.

    Les Tartares nous ont rendu en activit & en politesse le peu que nous

    leur avons fait prendre de notre gravit & de notre srieux philosophique.

    Mais leur gnie na pu se plier cette economie attentive & modre qui

    ecoute les conseils de la prvoyance, soit quils ne se croient pas assezancrs dans leur fortune pour la cultiver, soit quils veuillent forcer leurs

    enfans acqurir du mrite pour faire la leur, ils jouissent & font jouir

    leurs parens & amis de toutes les douceurs de leur elvation actuelle. Ce

    quils ont nest pas eux, parce quils ne savent pas refuser, & leur ame

    est tellement ptrie, que les plus grandes disgraces nentament ni leur

    assurance, ni leur egalit. Les plus sages sont ceux qui ne se ruinent pas

    en prts ou en emprunts. Leurs plaisirs sont plus bruyans que ceux de nos

    31

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    32/88

    Intrt de largent en Chine

    Chinois, & leurs ftes moins magnifiques, moins quil ne sagisse de

    lutter avec eux. Ils dsolent nos gens de cabinet, par leur duret la

    fatigue, leur application au travail, & sur-tout par une activit leste &

    expditive, qui brusque les obstacles, fait risquer propos, & sans autre

    flambeau quun bon sens lumineux, court au but avant que les politiques

    rflchis laient apperu. Aussi, quoique les Chinois sachent que les

    Tartares ne sont quun contre mille, plus ils sont sages & citoyens, plus ils

    conviennent quil importe peu que des etrangers soient chargs du soin du

    gouvernement, pourvu que lEmpire soit florissant, & que les peuples

    jouissent p.04.333 en paix des douceurs de la vie. Les nations qui sont au

    nord & au midi de la Chine netoient pas propres faire tomber lesprjugs des Lettrs contre les autres nations, & en imposer leur

    antique puissance. LEurope a tir les Tartares dembarras. A force de

    faire publier les cartes des pays etrangers, dintroduire leur gographie

    dans nos livres, denrichir notre astronomie des dcouvertes & des

    mthodes de la leur, & de faire accueil leurs inventions, les hommes

    dEtat & les vrais Lettrs commencent revenir de leurs prjugs. Les

    belles choses que lEmpereur a fait faire aux artistes Missionnaires, ou

    demandes en Europe, sont moins une preuve de magnificence quune

    adresse pour convaincre les plus opinitres quils ne mprisent les

    etrangers que par ignorance. Mais ces traits de lumiere ne brillent que

    dans la Capitale, & les murs publiques des Provinces tiennent toujours

    aux anciennes ides.

    Les Lettrs ou manqus, ou sans emploi, jouent ici dans la socit le

    personnage des pauvres gentilshommes en Europe ; cest--dire, que

    fiers de la considration attache leur etat, & de la supriorit quelle

    leur donne sur le peuple, ils ont dautant plus de morgue & dorgueil

    quils sont plus dpourvus de mrite & dargent. Leur unique ressource

    est de se voir les uns les autres pour sennuyer, frais communs, de

    vieux contes, de rflexions uses, de murmures sur le gouvernement, &

    pour divertir le public par les scenes ridicules & pitoyables que donne

    leur vanit, ds quils essoient de reprsenter.

    32

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    33/88

    Intrt de largent en Chine

    Les paysans, quon ninquiete sur rien, sont polis & honntes entreux

    plus que ne parot le comporter leur etat ; force de leur rendre les

    procs ruineux, difficiles & odieux, on les en a presque dgots. La

    plupart sentraident avec une franchise & une gnrosit gauloise : &

    parler en gnral, p.04.334 ils sont bons voisins, bons parens, &

    sintressent rellement les uns aux autres.

    Les marchands & les artisans jouissent petit bruit des douceurs de

    la vie selon leur fortune. Nous disons petit bruit, sur-tout pour les

    premiers, dont plusieurs sont fort opulens, parce que le gouvernement

    naime pas quon affiche laisance dune maniere qui puisse aigrir & irriter

    le sentiment que la multitude a de sa misere.

    Cest le ton du gouvernement ; il ny a pas de luxe proprement dit en

    Chine. Cest une suite de lancien principe qui fait disparotre tout ce qui

    annonce le plaisir & le faste dans les annes de calamit, mme la

    Cour & chez les Princes. Le commencement de lanne, les mariages &

    les enterremens, sont ici les grandes occasions de visites, de prsens, de

    festins & de dpense pour toutes les conditions. Si on y ajoute les

    naissances des enfans, les promotions aux grades littraires & lelvation

    au Mandarinat, il ne reste plus que des invitations entre amis & des ftes

    de famille.

    Les familles se tiennent ici par toutes leurs branches. Lordre & la

    subordination qui y regnent sont une suite ncessaire des loix civiles, des

    murs publiques, de lexemple du Prince & de leducation. Les

    sparations, les disputes & les procs y sont vus daussi mauvais il que

    dans certains pays les msalliances ridicules. Lge est une prrogativeau-dessus de tout. Un Mandarin du premier ordre ne voit que son oncle

    ou son frere dans un paysan, & descend de loin de sa chaise ou de sa

    voiture pour laborder plus respectueusement.

    Les plus pauvres sont riches pour contribuer une fte de famille,

    faire accueil un parent qui vient de loin, ou le secourir dans un besoin

    pressant.

    33

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    34/88

    Intrt de largent en Chine

    Que le lecteur combine maintenant tous les dtails o nous sommes

    entrs, & quil voie o doit en tre la Chine par p.04.335 rapport lintrt

    de largent. Ce nest que par un rsultat mdit de leur ensemble quil

    doit en juger ; encore faut-il avant tout laisser lecart toutes les ides

    de lEurope sur cette matiere.

    Il est au moins douteux si lintrt des prts a et autoris par les loix

    sous nos trois premieres dynasties. Il naquit, dit-on, dans les ruines de

    lancien gouvernement, sous le regne terrible & jamais dtest du

    fameux Tsin-chi-hoang, 220 ans avant lere chrtienne. La politique

    ladopta, malgr les cris de la justice & de lhumanit, & sen servit pour

    remplir les trsors de lEtat, en tarissant les ruisseaux dor & dargent

    que la pente dune sage administration y avoit conduit jusqualors. Elle

    connut son erreur sous la dynastie suivante, & chercha etouffer

    lintrt, comme un monstre ennemi des peuples qui se nourrissoit du

    sang des pauvres ; puis, changeant de faon de penser, elle laccueillit

    encore & le proscrivit alternativement. Depuis plus de quinze siecles, il acours sous la direction des loix. Il ne faut quouvrir nos Annales pour voir

    que cette direction a vari selon letat des affaires, la crise des

    circonstances, & sur-tout selon lesprit du gouvernement de chaque

    dynastie & les divers systmes dadministration quon a suivis dans la

    gestion des finances. Quelque curieuse que ft pour lEurope cette partie

    singuliere de notre histoire politique, elle est lie trop dobjets &

    demanderoit trop de dtails & de discussions, pour que nous puissions

    nous y arrter. Nous nous contenterons dobserver en gnral, que

    chaque siecle a donn des leons aux suivans sur la vanit des systmes

    & des spculations, & leur a appris quen matiere de finances & dintrt,

    comme en matiere de physique, de mdecine & dhistoire naturelle, le

    tmoignage de lexprience & la dposition des faits sont les seuls guides

    sur lesquels on puisse compter. La clebre dynastie des Song eut la

    foiblesse dadopter les billets de banque ; ses mprises ont epargn bien

    34

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    35/88

    Intrt de largent en Chine

    des fautes & des p.04.336 bvues aux dynasties suivantes, parce que,

    comme dit Lieou-tchi,

    les fautes qui portent coup instruisent plus que les succs,dont on ne sapplique pas tant chercher la vraie cause.

    Les fautes passes ont-elles fait prendre un bon parti, ou ont-elles

    conduit un systme plus mauvais encore ? Que ceux-l prononcent, qui

    entendent assez la matiere pour citer toutes les nations leur tribunal &

    les juger. Pour nous, nous nous bornerons rpondre historiquement

    aux trois questions suivantes :

    Quel est le taux de lintrt permis aujourdhui en Chine, par la loi ?

    Que sest propos le gouvernement, en le portant si haut ?

    Que fait ladministration publique, pour russir dans ses vues, &

    est-elle seconde par les murs publiques ?

    35

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    36/88

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    37/88

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    38/88

    Intrt de largent en Chine

    1. Ltat, selon Tchao-ing, a voulu empcher que la valeur des

    biens-fonds naugmentt, & que celle de largent ne diminut par la

    mdiocrit de lintrt, & faire ensorte, en le portant un taux

    considrable, que la distribution des biens-fonds ft toujours dans une

    certaine proportion avec le nombre des familles, & que la circulation de

    largent ft plus uniforme :

    Il est evident, dit-il, que largent etant au-dessous des biens-

    fonds, parce quil est plus casuel en lui-mme, & dans les

    revenus, la mme valeur en biens-fonds sera toujours prfrs

    celle qui est en argent : il est evident encore que pour ne pas

    courir les risques du casuel de largent, on aimera mieuxpossder une moindre valeur en bien-fonds avec plus de

    scurit. Cette moindre valeur est proportionne aux risques

    de largent & de ses profits.

    Plus lintrt de largent est haut, plus il faut de biens-fonds,

    tous les risques compenss, pour equivaloir largent, comme

    il faut plus darpens de mauvaise terre pour equivaloir une

    terre excellente & fertile ; cela ne souffre aucune difficult. Or,plus il faut de biens-fonds pour equivaloir largent, plus il est

    ais aux pauvres citoyens de conserver ceux quils ont, & den

    acqurir mme une certaine quantit, puisque cela ne suppose

    pas la richesse ; p.04.339 plus, par la mme raison, les partages

    sont faciles dans les familles & avantageux lEtat, pour les

    terres que le gouvernement a eu sur-tout en vue.

    Pourquoi cela ?

    Cest que les fonds en terre produisent toujours plus ceux

    qui les font valoir eux-mmes, & que les riches qui en

    possedent plus quils nen peuvent cultiver, perdent pour lEtat,

    en les ngligeant, ou pour eux, en les donnant dautres, ce

    que gagnent ceux qui les cultivent eux-mmes ; perte certaine

    & invitable, perte, dans le dernier cas, laquelle il faut

    ajouter les risques de la rcolte & le casuel du paiement ; perte

    38

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    39/88

    Intrt de largent en Chine

    par consquent qui, etant aggrave par les risques, leur rend

    lachat des terres moins avantageux quaux pauvres, & doit

    autant le faciliter aux derniers quelle doit en dgoter les

    premiers.

    LAuteur dveloppe de plus en plus toute cette thorie ; par des

    applications, des exemples & des raisonnemens dont nous ne croyons

    pas quon ait besoin en Europe pour saisir sa pense. Puis, aprs avoir

    prouv par des faits articuls & sans replique, que les possessions du

    peuple en terres ont augment proportion que lintrt de largent a

    et port plus haut, il en conclut hardiment :

    Que le grand bien qua cherch & a produit la loi de lintrt,

    cest que les cultivateurs qui sont la portion la plus nombreuse,

    la plus utile, la plus innocente & la plus laborieuse des citoyens,

    peuvent possder assez de biens-fonds en terre pour avoir de

    quoi vivre sans tre riches, & ne sont plus les malheureux

    esclaves des citoyens pcunieux qui engraissent leur oisive

    inutilit du fruit des travaux de ces infortuns.

    Du reste, comme il ny a en Chine ni fief, ni seigneurie, ni aucune sorte

    de servitude & de redevance ; comme la grande population rend

    lagriculture plus facile, plus soigne & plus avantageuse aux familles

    qui elle fournit un p.04.340 travail continuel, les raisonnemens de Tchao-

    ing en ont encore plus de force & de vrit.

    Ceux quil fait sur la valeur & la circulation de largent, sont plus

    longs, plus embrouills & peut tre moins solides.

    Selon Tchin-tse, dit-il, ceux qui se sont plaints quon a port

    trop haut le prix de largent, auroient cru bien enrichir ltat, en

    ouvrant nos mines & en les exploitant ; tout ce quil en auroit

    rsult, cest quil et fallu de grandes balances pour les plus

    petits paiemens. Largent nest que le gage & linstrument des

    echanges. La richesse relle de lEmpire consiste dans la

    proportion continuelle des productions de la nature & de lart, &

    39

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    40/88

    Intrt de largent en Chine

    de leurs echanges avec le nombre des citoyens & la totalit des

    consommations. Tchin-tse, reprend notre Auteur, a vu en

    aigle ce que plusieurs Ministres nont vu quen hibous.

    Supposons que la proportion des productions & des

    consommations avec le nombre des habitans ne dpende que

    de ladministration publique pour avoir lieu dans tout lEmpire,

    & nous verrons que le haut intrt de largent est le seul

    moyen de la procurer dans les echanges. En effet, il empche

    largent de diminuer de valeur, & le fait passer continuellement

    dune main dans lautre. Quand les productions dune certaine

    espece sont plus abondantes que les consommations, il y aplus de vendeurs que dacheteurs, & ds-lors ces productions

    baissent de prix & largent diminue de valeur par rapport elle.

    Le vendeur ne reoit pour deux sacs de riz, par exemple ; que

    ce quil recevoit auparavant pour un ; mais comme la valeur de

    largent augmente dautant pour lacheteur, & devient la mme

    pour le vendeur, sil veut racheter du riz, cette diminution nest

    que relative, & plus momentane que relle. Sa diminution

    vritable seroit celle o y ayant moins de p.04.341 riz que

    dargent, cause du bas prix de celui-ci, il y auroit une

    certaine quantit dargent qui ne correspondroit plus rien.

    LEtat pare ordinairement cet inconvnient, en augmentant la

    consommation apparente du riz quant la vente, soit en

    remplissant les greniers publics, soit en en faisant faire des

    exportations dans les autres Provinces. Si ces deux ressources

    lui manquent, il a toujours celle de diminuer la totalit de

    largent qui circule, en en faisant moins sortir de ses coffres

    quil nen tire des endroits o est la surabondance. Quant la

    sagesse du ministre, il a toujours cette attention, quand il

    sagit dune Province entiere. Lintrt de largent suffit pour les

    districts particuliers ; en effet, il donne largent une valeur

    reprsentative, absolue & indpendante de la circonstance qui

    doit ncessairement faire monter un echange proportion que

    40

  • 8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine

    41/88

    Intrt de largent en Chine

    lautre diminue. Autant les productions locales baissent de prix,

    autant celles qui viennent dailleurs enchrissent

    LAuteur se jette ici dans des compensations de dettes passives &

    actives, demprunts & de paiemens, o il regne tant dobscurit quil

    parot avoir embrouill les choses pour se tirer dembarras. Il prouve

    mieux, que le taux de trente pour cent etant le point mitoyen entre le

    revenu des bonnes terres & les profits du commerce en gros, cest celui

    prcisment quil falloit dterminer pour aiguillonner le commerce & faire

    circuler largent oisif.

    Qui a de bonnes terres, dit-il, ne les laissera pas en friche,

    parce qu moins dtre insens, il ne voudra pas se priver en

    pure perte, des moissons dont elles peuvent remplir ses

    greniers chaque anne. Qui a des fonds en argent, seroit aussi

    insens sil les laissoit chommer dans ses coffres ; car sil y a

    plus de danger le placer qu cultiver des terres & les

    mettre en valeur, il y a aussi des profits plus considrables : la

    proportion suppose de p.04.342 largent avec les productions,

    les consommations & la population, il est evident que largent

    est dans le mme cas que les terres. Tout le monde convient

    que largent ne reste jamais en coffre chez les Ngocians,

    parce que lappt puissant du gain len fait sortir sans cesse. La

    loi de trente pour cent etant etablie, le mme appt doit

    produire le mme effet chez tous ceux qui en ont. Aussi,

    voyons-nous que depuis que lintrt de largent a et port si

    haut, personne na plus song en faire des amas, & lacirculation en a et plus gnrale, plus vive & plus continuelle.

    La loi par-l, en a fix la valeur en laugmentant : ce qui avoit

    paru une contradiction aux vieux Let