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EHESS Missionnaires en Chine... Missionnaires sur la Chine... Recherches sur les Chrétiens d'Asie Centrale et d'Extrême-Orient, II,1: La Stèle de Si-ngan-fou by Paul Pelliot; Guillaume de Rubrouck, Envoyé de saint Louis. Voyage dans l'Empire mongol by Claude Kappler; René Kappler; Les Explorateurs au Moyen Age by Jean-Paul Roux; Curious Land. Jesuit Accommodation and the Origins of Sinology by David E. Mungello; Jesuit and Friars in the Spanish Expansion to the East by J. S. Cummins ... Review by: Françoise Aubin Archives de sciences sociales des religions, 32e Année, No. 63.2 (Apr. - Jun., 1987), pp. 177-188 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30122108 . Accessed: 10/06/2014 06:38 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.190 on Tue, 10 Jun 2014 06:38:52 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Missionnaires en Chine... Missionnaires sur la Chine

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EHESS

Missionnaires en Chine... Missionnaires sur la Chine...Recherches sur les Chrétiens d'Asie Centrale et d'Extrême-Orient, II,1: La Stèle de Si-ngan-fouby Paul Pelliot; Guillaume de Rubrouck, Envoyé de saint Louis. Voyage dans l'Empire mongolby Claude Kappler; René Kappler; Les Explorateurs au Moyen Age by Jean-Paul Roux; CuriousLand. Jesuit Accommodation and the Origins of Sinology by David E. Mungello; Jesuit andFriars in the Spanish Expansion to the East by J. S. Cummins ...Review by: Françoise AubinArchives de sciences sociales des religions, 32e Année, No. 63.2 (Apr. - Jun., 1987), pp. 177-188Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30122108 .

Accessed: 10/06/2014 06:38

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Arch. Sc. soc. des Rel., 1987, 63/2 (avril-juin), 177-188 Frangoise AUBIN

MISSIONNAIRES EN CHINE ... MISSIONNAIRES SUR LA CHINE...

A propos de:

Recherches sur les Chritiens d'Asie Centrale et d'Extrime-Orient, II,1 :La Sthle de Si-ngan-fou, Paris, Editions de la Fondation Singer- Polignac, 1984, x + 105 p. + 10 planches (index gbogra- phique, bibliographie: p. 83-87; des noms propres et des expressions, p. 89-105).

(Euvres posthumes de Paul PELLIOT

Guillaume de Rubrouck, Envoyd de saint Louis. Voyage dans l'Empire mongol, Paris, Payot, 1985, 318 p. (bibliographie des sources et etudes : p. 293-298; index des noms propres, des thbmes, des ref~rences bibliques: p. 299-313; cartes et schemas).

Claude et Rene KAPPLER,

Les Explorateurs au Moyen Age, Paris, Fayard, 1985,351 p. (bibliographie :p. 319-25 ; index des noms de personnes, de peuples et de lieux: p. 327-47, cartes).

Jean-Paul ROUX,

Curious Land. Jesuit Accommo- dation and the Origins of Sinology, Stuttgart, Franz Steiner Verlag (Studia Leibnitiana Supplementa, Vol. XXV), 1985, 405 p. (caractbres chinois: p. 360-68; bibliogra- phie fouillte : p. 369-79; index : p. 381-405 ; 20 planches photogr.)

David E. MUNGELLO,

Jesuit and Friars in the Spanish Expansion to the East, Londres, Variorum Reprints, 1986, 334 p. (8 p. d'index final, cartes).

J.S. CUMMINS,.

Collection Missionarissen, die Geschichte machten, 1978 et annees suivantes, St Augustin (RDA), Steyler Verlag et MOdling (Autriche), Verlag St Gabriel (fascicules de 120 A 160 p., illustr.)

svd Steyler Missionare in China, I. Missionarische Erschliessung Sadshantungs, 1879-1903, II. BischofA. Henninghaus rufl Steyler Schwestern, 1904-1910, Nettetal, Steyler Verlag (Studia Instituti Missiologici Societatis Verbi Divini, Nr 32, 36), 1983, 582 p. (carac- thres chinois : p. 529-38 ; index de personnes, de lieux et de thbmes: p. 539-82); et 1985, 626 p. (caractbres chi- nois : p. 589-93; index: p. 594-626), illustr.

Richard HARTWICH,

Les Chinois. Esprit et comportement des Chinois comme ils se revdlent par leurs livres et dans la vie des origines d la fin de la dynastie Ming, 1644, Paris, Editions Lidis, 1981-1982, 671 p., (tableaux: p. 623-51; bibliographie sommaire : p. 652 ; index des noms et des thbmes : p. 653-69) illustr., cartes.

Claude LARRE,

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

Les missionnaires chr6tiens ont commenc6 leur apostolat en Chine bien avant l'arriv6e de Matteo Ricci: la stble de Hsi-an-fu, dat~e de 781, est 1I pour le rappeler. (Hsi-an-fu selon la transcription en usage dans le monde anglo-saxon, mais Si-ngan-fou selon la vieille transcription frangaise, maintenant obsolete, ou encore Xi'anfu suivant le pinyin popularis6 par la RP.C.: de nos jours il n'est pas facile d'6crire sur la Chine !). Cette grande pierre monolithe noire, haute de 2,77 m, lourde de presque 2 000 kg, porte une inscription chinoise de 1 800 caractbres, qui exalte les principes de la foi chr6tienne et rapporte, en un style fleuri, les circonstances de l'implantation en Chine de l'Eglise d'Orient ou chald6enne, celle qui, s6par6e en 424 de l'Eglise romaine, est appel~e vulgai- rement < nestorienne > - en chinois < la Religion radieuse >, ching-chiao. La stale offre de plus, en 41 lignes d'6criture syriaque, la liste des 6v6ques, les pr~tres et des moines de l'Eglise chald6enne d'Asie centrale et de Chine au VIII si~cle.

L'on y voit le dogme d6crit suivant les proc6d6s stylistiques usuels dans la haute littbrature chinoise (recours syst6matique au parall61isme et A l'antith~se ainsi qu'aux allusions classiques), et exprim6 a l'aide de concepts m6taphysiques emprunt6s au taoisme, alors que la terminologie liturgique est tir~e du bouddhis- me. (L'islam litt6raire chinois ne proc6dera pas autrement quelques sidcles plus tard, remarquons-le au passage). L'on y apprend que le deuxibme empereur T'ang, T'ai-tsung, fit traduire les Ecritures Saintes en 635 - preuve qu'il existait a cette 6poque d6jA des interprites capables de traduire le syriaque -, et qu'il rendit en 638 un 6dit autorisant la propagation du christianisme chald6en; que deux persecutions successives, I'une d'inspiration bouddhique en 698-700, l'autre confuc6enne en 714, affaiblirent un temps l'Eglise avant un renouveau sensible au milieu du VIII si~cle.

De la liste donn6e en syriaque, I'on peut conclure que le hibrarque de Chine n'6tait en 781 qu'un simple 6v~que, et non un m6tropolite, et qu'il provenait du clerg6 missionnaire. Acette date, il 6tait second6 par deux archidiacres - un pour chacune des deux capitales, Hsi-an et Lo-yang - l'un 6tant issu du clerg6 missionnaire et l'autre du clerg6 indigene. Quant aux quatre chor6veques charg6s de contr6ler le clerg6 rural, deux sortaient du clerg6 r~gulier et 6taient apparem- ment chinois, deux du clerg6 s6culier, sans doute des missionnaires : le probl~me des rapports entre Eglise chr6tienne missionnaire et Eglise autochtone se posait done d6ja au VIIIe si~cle. Relevons aussi qu'en ce temps, au sein du clerg6 chinois, les moines l'emportaient largement en nombre sur les pr~tres, alors que la situation sera invers6e sous l'occupation mongole au XIIIe sicle ; et que l'ensei- gnement religieux 6tait probablement dispens6 en chinois et en syriaque. Un hasard de l'histoire fait que, enterr6e par les fiddles quelques d6cennies aprts son erection, sans doute en 845 lors d'une grave pers6cution anti-bouddhique, et red6couverte vers 1623-25, alors que le nestorianisme avait disparu de Chine depuis deux si~cles, la stble a 6t6 aussit6t connue des chr6tiens chinois et a eu un retentissement consid6rable sur le catholicisme de la fin des Ming.

L'ouvrage ici recens6 est d'un luxe inhabituel dans l'6rudition actuelle, puisque cinq grandes planches pliantes hors texte donnent les deux estampages existants de la stble - malheureusement, I'estampage le plus lisible (celui de Pelliot) n'a pas 6t6 dot6 comme l'autre (celui de Havret, 1895) d'une numbrotation des lignes qui aide le sinologue A localiser un terme pr6cis. Une bonne carte situe les sieges des 6v~ques, m6tjropolites et patriarches, ainsi que les grands lieux du culte dans la totalit6 de l'Eglise chald~enne au VIIIe sicle. Parmi les index, on appr6ciera particulibrement celui des expressions comment6es.

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LES MISSIONNAIRES ET LA CHINE

Ce beau travail est triplement posthume, car il associe A l'6tourdissante science sinologique de Paul Pelliot (1878-1945), r6colt6e par son disciple Louis Hambis (1906-1978), celle de l'6minent sp6cialiste des Eglises orientales, Jean Dauvillier (1908-1983). Comme plusieurs autres coll~gues ont mis au point, avec fidl61it6, les deux volets, chinois et syriaque, de la traduction et de son commen- taire, il en r6sulte un certain d6cousu dans les expos6s, des r6p6titions inutiles et des faiblesses dans la presentation de la bibliographie. Mais ce ne sont 1 que des broutilles.

La seconde introduction du christianisme en Chine et en Asie centrale est concomitante A l'empire gengiskhanide. L'6tonnante aventure des missionnaires franciscains et dominicains qui, vers le milieu du XIIIP si~cle, sont partis A la rencontre des Mongols au centre de l'Eurasie, bient6t suivis par des marchands et autres d6couvreurs, a depuis sept sitcles suscit6 une 6norme litt6rature oh le meilleur c6toie le pire. Deux historiens, familiers des textes latins m6di6vaux, viennent A leur tour de se jeter simultan6ment dans une mk16e oi une 6rudition stricte est maintenant de rigueur pour 6viter que la vulgarisation ne sombre dans la vulgarit6. I1 s'agit de Claude Kappler, sp6cialiste de la d6monologie A la veille de la Renaissance, aid~e par son mari Rend ; et de Jean-Paul Roux, le recr6ateur des conceptions religieuses centre-asiatiques au Moyen Age (cf Arch., 57, 1984, no 382 et 383), second6 par sa fille Sylvie-Anne. Tous deux sont ports vers leur sujet par un mime l61an enthousiaste et sont servis par un style ample et s6duisant qui rend leur flamme communicative. L'un et l'autre ont de vastes lectures appuy6es par une r6flexion solide, de sorte qu'ils font une vulgarisation de trbs bon genre. Mais l'historien orientaliste, sans doute parce que l'6rudition sp~cia- lis6e a dess6ch6 son coeur et tari son imagination, va n6anmoins reprocher A leur bibliographie sa relative lgtret6 eu 6gard A la densit6 du sujet, et d~plorer que la d6marche d'ouverture A l'Orient annonc6e dans l'un et l'autre travail se soit arr~t6e A mi-chemin.

Voyons le premier de ces deux ouvrages : la traduction comment6e du trbs long compte rendu que fit, en latin, A l'intention de son souverain Saint Louis, le franciscain Guillaume de Rubrouck au retour d'une mission d'information chez les Mongols en 1253-55. Quiconque a frequent6 ce r~cit y a reconnu un joyau de fraicheur et de pr6cision A faire palir d'envie nos ethnographes modernes: le grand narrateur des moeurs et coutumes extr~me-orientales au XIIIe si~cle n'est pas Marco Polo, mais Guillaume de Rubrouck.

La traduction occidentale standard &tait jusqu'A pr6sent celle, anglaise, de William W. Rockhill (1854-1914), un Ambricain (et non un Anglais comme le disent les Kappler, p. 19) assez excentrique, qui, apr~s avoir 6t6 officier de la L6gion 6trangbre et diplomate dans les services ambricains, 6tait devenu un remarquable sinologue et tib~tologue, explorateur du Tibet oriental de surcroit (en 1888) et sp~cialiste de la d~mographie chinoise. Les notes qu'il a ajout~es A sa traduction de Rubrouck (parue l'ann6e des Boxers en 1900), inspir~es par les textes et par l'expbrience directe du terrain, sont rest~es constamment un classique des etudes mongoles. Mais il se trouve que l'6dition latine sur laquelle Rockhill travailla 6tait fautive: la bonne edition allait venir plus tard, en 1929, due au franciscain A. van den Wyngaert, et elle allait servir de base A la deuxibme

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

traduction anglaise standard, celle de Christopher H. Dawson (1889-1970), sans notes cette fois-ci (en 1955). Et en frangais, on dispose aussi, en une 6dition de vulgarisation, de la traduction d'A.T'serstevens (Les Pricurseurs de Marco Polo, Arthaud, 1959), fond6e malheureusement sur la mauvaise 6dition latine, et probablement sur la traduction de Rockhill.

C1. et R. Kappler ne partaient done pas en terra incognita. Ils ont cependant fait un travail m6ritoire en confrontant A l'original latin les diverses interpr6ta- tions qui en ont 6t6 donn6es, par Paul Pelliot notamment, et en fournissant, par une copieuse introduction et un lexique analytique, un cadre historique et conceptuel largement suffisant pour un public non initi6 (avec deux cartes adapt6es de Rockhill). La personnalit6 truculente de Rubrouck, franciscain de la deuxibme g6n6ration seulement, qui se pr6sente pieds nus devant le grand khan et n'oublie jamais dans les pires circonstances sa mission apostolique, est cernm6e (p. 61-68) d'un trait particulibrement alerte qui rend le personnage sympathique d~s le premier abord, bien que les dclins d'oeil au lecteur soient un peu trop appuy6s : ce bon Rubrouck aurait sans doute 6t6 bien surpris de savoir qu'il se livrait A de < dl61icieuses fac6ties > qui le faisaient se mourir de joie ! (p. 63).

Quel dommage que les Kappler soient rest6s trbs en-deqA de leurs possibilit6s et de leurs ambitions. On peut probablement leur faire confiance pour la partie latiniste de leur tAche : je ne saurais en juger, n'ayant pas en ce moment sous la main le van den Wyngaert. Mais il est certain qu'ils sont de ces auteurs qui s'imaginent qu'en touchant A l'Extr~me-Orient, il est inutile d'etre bien exigeant ni sur la quantit6, ni sur la qualit6, ni sur la modernit6 de la documentation. N'est- ce pas donner sa tete A couper au bourreau que prendre pour source de l'histoire gengiskhanide un ouvrage de Blochet 6reint6 par le grand orientaliste russe V.V. Barthold en 1912 dejA ? Et n'y a-t-il pas paresse blimable A ne citer que par oui- dire les travaux essentiels au sujet de Leonardo Olschki (sur Guillaume Boucher, orf~vre parisien prisonnier des Mongols notamment)? Les Kappler ont, visible- ment, demand6 conseil A des turcologues ; mais puisque c'6tait chez les Mongols que Rubrouck les emmenait, n'auraient-ils pas dit tenter de nouer avec ce peuple un contact spirituel semblable A celui qui les avait port6s vers le missionnaire franciscain ? Exp~dier les Mongols en disant qu'ils tuaient syst6matiquement mime ceux qui se rendaient A eux moyennant promesse de vie sauve est pitto- resque (p. 16), mais c'est faux. Quel va etre le choc que vont ressentir nos coll~gues mongols qui lisent le frangais (mais oui ! il en existe) lorsqu'en ouvrant le livre, ils verront que les charmantes petites illustrations cens~es croquer la vie nomade mongole repr6sentent... des Turcs musulmans, enturbann6s, en babouches et pantalon bouffant, aussi d6plac6s dans le monde mongol m6di6val qu'ils le seraient dans le Paris de la meme 6poque ? Les cultures extr~me-orientales ne sont pourtant pas si 6sothriques qu'un latiniste ne puisse espdrer y p6n6trer: l'exemple d'un Jean Richard, un latiniste qui a su 6clairer les deux faces de l'Eurasie au XIIIe si~cle justement, est 1A pour le rappeler.

Rubrouck ne forme qu'un maillon dans le r6cit de Jean-Paul Roux sur Les Explorateurs au Moyen Age. A son accoutum~e, il se sent A l'aise dans les larges fresques, oh id6es et civilisations sont brass6es et stylis6es en formules bien frapp6es, parfois quelque peu au d6triment des faits pr6cis. On se laisse prendre avec plaisir par la thborie de fond: de la fin du monde antique jusqu'au XIIIe siicle, les grands voyages, qui 6taient surtout de propagande et de qu~te reli- gieuses, se faisaient en circuit ferm6 de part et d'autre de la muraille immat6rielle qui, de tout temps, a scind6 l'Eurasie. Mais l'Occident s'est montr6 bien plus repli6

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LES MISSIONNAIRES ET LA CHINE

sur sa propre culture, le christianisme, que ne l'a 6t6 l'Orient. Au XIII si~cle, la barritre s'est effrondr~e avec l'empire gengiskhanide : 1'<< autre >, le < non-nous >> que l'Occident voyaitjusqu'alors sous les traits de monstres et de demons, devient pourvoyeur de " merveilles >.

Le bilan et la liste des merveilles constituent les moments les plus enrichis- sants du livre de J.-P. Roux; car il a eu la bonne idle de reprendre par grands themes la matibre d'abord distribute chronologiquement : ainsi les itinbraires, la dur~e des voyages, I'&quipement des << explorateurs >, etc... Mais plus robuste aurait 6t6 son apport s'il avait pris la peine d'y int~grer la matibre de r~cents articles traitant des m~mes questions que lui: ainsi l'6pineux probl~me de l'interpr~tariat dans l'Asie centrale du XIIIP sitcle est 6voqu6 ici bien trop sch~matiquement (p. 210-12), alors qu'il a d~jit 6t approfondi par Denis Sinor (Asian andAfrican Studies, XVI/3, nov. 1982, p. 293-320). Enfin, le grand absent est le voyageur chinois chez les premiers Mongols, ficheux oubli dans un livre qui veut faire la part 6gale a l'Orient et t l'Occident: une impeccable traduction allemande de journaux de route chinois de 1221 et 1237 (donc avant les premiers voyageurs europ~ens) a pourtant paru en 1980 (Meng-Ta pei-lu und Hei-Ta shih- laeh..., traduit et comment~ par les regrett~s E. Haenisch (1880-1966) et Yao Ts'ungwu (1894-1970), ainsi que P. Olbricht et E. Pinks, Wiesbaden, Asiatische Forschungen 56). (*)

Que les critiques porttes sur le Guillaume de Rubrouck des Kappler et sur Les Explorateurs de J.-P. Roux ne soient toutefois pas exag~r~es. Si l'on prend les deux ouvrages en question pour ce qu'ils sont en fait, des livres de culture g~n~rale, il faut les recommander trbs chaudement pour leur bonne compagnie. Par contre, on ne peut aucunement y voir des travaux d'une erudition definitive.

*

La troisibme rencontre entre christianisme et Extreme-Orient, qui se situe g la fin des Ming et au debut des Ch'ing, a eu, on le sait, sur l'6volution du classicisme et des Lumibres, des repercussions dont toutes les incidences n'ont pas encore &t6 bien d~gag~es. L'int~r~t pour la grande Mission j~suite de Chine est, de nos jours, devenu tel que chaque auteur j~suite des XVIIP-XVIIIP si~cle a son biographe propre et que la resolution des problkmes poses par son action est maintenant prise en main, hors de la Soci~t6 de J~sus et des purs sp~cialistes de la philosophie europ~enne, par des sinologues professionnels. L'ouvrage fonda- mental de ces dernibres annres a d'abord 6t6 celui, trbs r~volutionnaire, de Jacques Gernet (Chine et christianisme. Action et rdaction, Gallimard, 1982: cf Arch., 56/2, 1983, p. 169-73), qui, renversant l'optique habituelle, part du

(*) Dommage aussi que la matibre de Davide Bigalli, I Tartari e lrApocalisse (Florence, 1971) n'ait pas 6t6 exploit~e, non plus que les travaux d'Igor de Rachewiltz (Papal Envoys to the Great Khans, Londres, 1971, entre autres). Enfin une critique de detail, mais irritante, porte sur la notation des noms chinois et mongols : pourquoi A leur 6gard une d~sinvolture qu'on n'oserait pas montrer A l'6gard de noms europ~ens ? Ainsi, le traducteur nestorien du VIIIP sidcle est King-tsing et non Kingsing (p. 36); I'empereur mongol du milieu du XIIIe si~cle est Mbngke (litter. < Eternel > et non Mongka (passim; mtme remarque chez les Kappler) ; la ville chinoise de l'extr~me-ouest s'6crit, en pinyin, Ganzhou et non Ganzhiy (p. 139-185), etc...

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

point de vue chinois pour 6valuer la rencontre et se termine par un bilan assez pessimiste.

Le nouveau livre de David E. Mungello, dejA connu pour une savante r~flexion surLeibniz and Confucianism : The Search forAccord (Honolulu, 1977), est a son tour promis au succes. Le sous-titre de Curious Land: Jesuit Accommodation and the Origins of Sinology dl61imite exactement le double propos de l'auteur et indique qu'aprbs J. Gernet, et dans une certaine mesure contre lui, il revient A une perspective plus traditionnellement occidentalisante. Mais, expert en sinologie autant qu'en disciplines classiques, il se plait A un va-et-vient permanent entre Chine et Europe, pour les d6lices du lecteur qui, A sa suite, se sent A l'aise dans les deux mondes : en effet, pens~e authentiquement chinoise du XVIIe si~cle, pens~e chinoise des j6suites et interpr6tation sinisante des philosophes europ6ens sont constamment mises en parallEle et emboities l'une dans l'autre. Pour d~finir le niveau et le mode d'acculturation des j6suites A la culture chinoise, il part de leurs oeuvres les plus influentes; pour delimiter les possibilit~s et les r~sultats de la < proto-sinologie ,>, il choisit quelques courants d6cisifs de la pens6e europ6enne. Mais il balance habilement son r~cit entre les deux p6les, selon un d~veloppe- ment chronologique qui soutient l'attention par son crescendo, depuis les pre- miers espoirs de Ricci au tournant du XVIIe siicle, jusqu'A la condamnation en Sorbonne un siicle plus tard. Et si grandes sont la clart6 et la simplicit6 de son style, qu'il r~ussit le tour de force de ne jamais 6craser son lecteur sous le poids d'une 6rudition immense, qui n'6pargne ni dates, ni titres latins et chinois.

Le premier volet, celui de 1'<. accommodation > j~suite, est sous-tendu par la demonstration que les missionnaires ont compris et retenu de la culture autoch- tone les seuls 6l1ments aptes A s'int~grer dans leur propre systame. Mais ce systbme a 6volu6; et D. Mungello argue que J. Gernet n'a pas suffisamment insist6 sur la transformation que la strat6gie jsuite a connue entre le tout debut et le milieu du XVIIe si~cle, en raison des modifications du contexte politique A la fois en Chine et en Europe. Pour Ricci (1552-1610), suivi par Semedo (1586-1658), Magalhaes (1610-1677), Martini (1614-1661) et d'autres, le syncr6tisme devait s'op~rer en int~grant A la religiosit6 chr~tienne le courant moralisateur du confucianisme antique, ressenti comme plus authentique que le pr6tendu < poly- th~isme > ou < ath~isme >> du n6oconfucianisme Sung et Ming.

Selon D. Mungello, le climat d'ouverture intellectuelle de la fin des Ming a facilit6 cette manoeuvre d'acculturation, alors qu'A l'6poque suivante des Ch'ing, les autocrates mandchous allaient limiter imp6rativement l'orthodoxie A sa version n~oconfuc~enne et bannir toute fantaisie d'esprit. Certes ! Mais l'auteur aurait df nuancer son id6e pour ne pas entrainer le lecteur non sinologue sur une fausse piste : si l'on songe que Li Chih, philosohe iconoclaste, maudit pour son individualisme, a 6t6 accul& au suicide en prison en 1602, en p~riode de pleine activit6 de Ricci, l'on voit que le lib~ralisme de la fin des Ming &tait en fait tout relatif.

Cependant, A partir de l'implantation des Ch'ing, au milieu du XVIIe sidcle, le syncr6tisme confuc6o-chr6tien devenait difficile A soutenir. Un siicle aprbs Ricci, Joachim Bouvet (1656-1730) prend done pour modble ideal, non plus Confucius, mais le Louis XIV chinois, K'ang-hsi (1662-1722) ; et comme r6f~rence textuelle, une tradition ant~rieure A Confucius, celle des hexagrammes du I-ching, le < Livre des Mutations attribu6 A l'empereur mythique Fu Hsi.

L'apport essentiel de la science j~suite A la proto-sinologie est la traduction latine de trois des quatre Classiques confuc6ens (Ta-hsaieh, Chung-yung, Lun-yai),

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LES MISSIONNAIRES ET LA CHINE

un travail de longue haleine A laquelle les grands lettres jesuites ont tous particip6, de Ricci jusqu'A Couplet, leur editeur en 1687. I1 est, A ce propos, int6ressant de relever que, du d6but A la fin du XVIIe sibcle, I'initiation linguistique du j6suite nouvellement arriv6 en Chine s'est faite dans les trois Classiques, expliqu6s par la paraphrase de Ricci: ce sont done les Classiques confuc6ens qui ont model6, quant la forme et au fond, les premieres pens6es du nouveau missionnaire sur le terrain et lui ont servi de mode de communication avec les convertis eux-memes, alors qu'au XIXe siecle, ce sera le catechisme. Mais l'ironie du sort a voulu que la controverse theologique des rites, aboutissant A la condamnation des vues jesuites en Sorbonne en 1700, s'est concentr6e sur un ouvrage populaire par le ton et contenu, sans grande exp6rience directe ni de la tradition chinoise ni du programme d'accommodation, les Nouveaux mimoires de Le Comte, parus en 1697.

Les j6suites sinomanes et sinises ont transmis A l'Europe une vue de la Chine filtr6e par leur recherche des points de contact autorisant le syncr6tisme religieux. Les intellectuels europeens ont, A leur tour, reinterpr6t6 le message dans un sens qui r6pondait A leurs propres preoccupations, ne s'embarrassant pas de scru- pules d'exactitude scientifique ou de fide1ite A l'original. Les elucubrations ont principalement porte sur la reconciliation du passe mythique chinois avec la chronologie biblique, et la determination d'une clefuniverselle du langage : ainsi A. Kircher, un adherent de l'hermetisme, qui voit dans la culture chinoise un scion degenere de l'archetype egyptien, ou d'obscurs savants, tel A. Miller, I'inventeur incompris d'une Clavis sinica A la cour du grand Electeur de Brande- bourg.

La curiosite de D. Mungello pour les sources de l'esprit classique le porte bien souvent en amont du XVII siecle. Quelle surprise de trouver sous sa plume un developpement sur l'art de la memoire chez le mystique catalan, ap6tre en islam, Raymond Lull (ca 1232-1316), dont l'influence au XXC siecle, ajoutons-le, a ete notable sur les evangelisateurs protestants anglophones en milieu musulman jusqu'en islam chinois. Enfin la stele nestorienne de 781, decouverte en 1623-25, dont il a ete question plus haut, est envisagee ici sous l'angle de l'accueil, generalement negatif, que le XVII siecle europeen lui a reserve : on croyait A une fraude j6suite.

I1 est inevitable que quelques erreurs, infimes d'ailleurs, se soient glissees de ci, de lA dans une matibre aussi dense : par exemple, le nom chinois de Trigault n'est pas, autant que je sache, Chin Ssu-piao, mais Chin Ni-ko; le prenom du philosophe frangais Renan est Ernest et non pas Ernst.

En conclusion, s'il me fallait etablir une hierarchie de preferences dans la masse des publications sur l'Extreme-Orient et l'Asie centrale quej'ai reques pour recension en 1985-debut 1986, c'est le livre de D. Mungello que je placerais en tete des valeurs stfres, pour l'ampleur et la profondeur de son sujet, pour l'agrement de sa presentation.

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Cependant, d'autres missionnaires que les jesuites avaient entrepris d'evan- geliser la Chine des Ming et des Ch'ing. Mais nous sommes inconsciemment restes trop imbus des vues jesuites du Grand Siecle pour ne pas voir en ces

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concurrents les vilains de l'histoire, ceux par qui le malheur est arrive sur la mission j6suite et sur ses adeptes. Par chance, J.S. Cummins, I'historien de l'autre face des missions, des ordres mendiants - franciscains et dominicains principa- lement - dans la Chine du XVIIe si~cle, vient de r~unir en Variorum Reprints plusieurs de ses articles qui, publi~s entre 1959 et 1978 et, bien que difficiles A se procurer, sont devenus aussit6t des classiques sur le thbme Jesuit and Friars in the Spanish Expansion to the East. Comme l'auteur le dit lui-m~me, il offre ici un point de vue contestataire par opposition au classicisme des thdories de D. Mungello parues peu auparavant. Et il est vrai que rien n'est plus stimulant que de lire les deux ouvrages A la suite l'un de l'autre.

Prenons le principal article du recueil (no V), consacr6 A l'opposition des

m4thodes entre ordres mendiants et jdsuites en Chine (repris de Archivo Ibero- Americano 38, Madrid, 1978). I1 s'ouvre par le rappel que l'entrde des franciscains espagnols en Chine en 1579 (donc avant Matteo Ricci) &tait en fait un retour (a "Second Coming") aprbs deux sibcles d'absence - nous avons justement parl6 plus haut des missions de l'6poque mongole, aux XIIIe-XIVe sibcles. Et il souligne que l'histoire va 6tre beaucoup plus complexe que ne le peignent les stbrbotypes tout en noir et blanc qui font des jdsuites des hdros romantiques et des frbres mendiants de grossiers ignares, inddsirables dans un univers de culture subtile. Le ton est dbs lors donna : l'auteur va regarder l'histoire jdsuite avec les yeux des franciscains; et c'est bien lA une histoire diffdrente qu'il nous propose.

Alors que les jdsuites jouissaient du padroado portugais et langaient leur mission de Chine depuis l'Inde et Macao, les franciscains, eux, 6taient placds sous le patronato espagnol et partaient du Mexique et des Philippines. L'accultu- ration n'a pas 6t6 le fait des seuls j~suites, comme ces derniers se plaisaient A le faire croire. Les franciscains avaient une longue tradition dans la maitrise des langues des peuples A 6vang6liser et dans la flexibilit6 des mdthodes A adopter en chaque champ de mission particulier A travers le monde. N'oublions pas les succbs des Frbres A l'6poque mongole, non plus que l'entreprise de Raymond Lull chez les Maures d'Espagne. Les franciscains ont commence leur apprentissage du chinois, d'une manibre poussee, A Formose et surtout parmi l'importante colonie chinoise des Philippines. Puis, installes dans la province maritime du Fuchien A partir des annbes trente du XVIIe sibcle, ils ont excell6 dans les dialectes mhridionaux et la langue populaire, ce que le snobisme mandarinal des j6suites a tax& d'ignorance. Ils avaient suffisamment p6n6tr6 les coutumes chinoises et la terminologie philosophico-religieuse pour saisir le danger latent du systbme j6suite: crier une Eglise << nationale >> r6gie par ses rbgles propres, en marge de l'Eglise universelle, A la limite du schisme.

Un autre article (no III, "Palafox, China and the Chinese Rites Contro- versy", repris de Revista de Historia de Amdrica 52, Mexico, 1961) traite de l'in- formation chinoise que l'6v~que Juan Palafox y Mendoza a requ A Mexico vers le milieu du XVIIe si~cle et qu'il a utilis6e pour 6crire son histoire de l'invasion mandchoue ainsi que pour alimenter la controverse anti-j6suite. D'une part, le r6cit de la chute d'une dynastie Ming d6g6ndr6e aux mains de barbares par6s de toutes les vertus devait servir de legon A une Espagne en d6clin. D'autre part, les rapports accumul6s de Chine et du Japon 6tablissaient A la v6rit6 que les j6suites cherchaient par tous les moyens A se r6server le monopole de l'Extreme-Orient, allant jusqu'A traiter les frbres et leurs convertis comme les adeptes d'une religion condamnable.

Le rove chinois du physiocrate Frangois Quesnay (1694-1774) ne prend pas seulement sa source chez les j6suites, comme on le pretend d'ordinaire, mais aussi

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chez le dominicain espagnol Domingo Navarrete, qui sejourna en Chine de 1658 i 1670 et J.S. Cummins, qui est le grand sp~cialiste de Navarrete (The Travels and Controversies of Fray Domingo Navarrete, 1618-1686, Cambridge, 1962), analyse la communaute de vues qui rapproche Quesnay de Navarrete, sur les theories du monarque paternel et de la primaute de l'agriculture. (Contribution no VI, tiree de Bulletin of Hispanic Studies 36, Madrid, 1978).

La rivalite entre les jesuites et les freres s'est poursuivie au Japon, ainsi que le rappelle un article ecrit en collaboration avec un autre grand specialiste de la presence hispano-portugaise en Extreme-Orient, C.R. Boxer (cf son Portuguese Merchants and Missionaries in Feudal Japan, 1543-1640, Londres, Variorum Reprints, 1986), sur la pers6cution des dominicains et de leurs convertis par les autorit~s japonaises entre 1614 et 1622, sur leur extase mystique, et sur l'usage litteraire que Lope de Vega fit de la mort d'Alonso Navarrete (un autre Navarrete !) en 1617. (na II, tire de Archivum Fratrum Praedicatorum 33, Rome, 1963).

Christophe Colomb etait un mystique de l'Apocalypse, parti pour son grand voyage avec l'ime du crois& appele en Chine au service de Dieu. (na I, extrait de Medieval Hispanic Studies presented to Rita Hamilton, ed. A.D. Devermond, Londres, 1976). Gomez de Espinosa, juge it la Haute cour de Manille, a ecrit en 1657 son Discurso Parenitico pour denoncer les conditions de travail impose aux indigenes par le clerge et les agents du gouvernement espagnol dans la colonie des Philippines. Mais il s'attira de la sorte la haine des Frbres qui firent retirer par l'Inquisition le livre de la circulation. (no IV, en collaboration avec N.P. Cusher, tire de Philippine Studies 22, Manille, 1974). La dernibre contribution (no VII, tir~e de Monumenta Nipponica 22, Tokyo, 1967) est d'un genre different : il s'agit d'une note d'erudition bibliophilique qui revele que la pr6cieuse collection jesuite du Pei-t'ang a ete, sous le regime populaire, fusionnee avec la section des livres rares de la bibliotheque municipale de Pekin, et qui donne le moyen d'en detecter les titres dans les fichiers generaux de la section.

Un des agrements des travaux de J.S. Cummins est de fournir d'abondants materiaux en espagnol, sous forme de longues citations ou appendices aux articles : lettres, rapports, texte complet du Discurso Parenitico.

Pour le public frangais, I'histoire missionnaire en Chine et la tradition sinologique dans les milieux religieux est I'apanage de la seule Societe de Jesus. I1 existe pourtant une congregation missionnaire, moderne celle-lit (fondee en 1875), dont les succ~s en sinologie sont eminents aussi : la societe allemande du Verbe Divin (SVD), dite de Steyl, qui s'est, entre autres, distinguee dans l'etude des minorites ethniques de l'ouest chinois et qui est l'editeur de periodiques erudits, I'un d'ethnologie - Anthropos, fonde en 1906 par l'anthropologue Wilhelm Schmidt (1868-1954), un Steyliste; l'autre de sinologie - Monumenta Serica, qui vient de feter en 1985 son cinquantenaire d'existence. La presente chronique, consacree aux missions en Chine, me fournit l'occasion de signaler une serie d'interessants petits fascicules biographiques qui, ensemble, forment une fresque populaire, mais de bonne tenue, de l'histoire missionnaire i travers le monde: Missionare, die Geschichte machten, publiee par SVD.

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Cinq fascicules sont consacr~s A la Chine. La plus ancienne figure retenue en ce pays est celle du thbologien franciscain, Jean de Monte Corvino (Alfons Jochum, Beim Grosskhan der Mongolen : Johannes von Monte Corvino, 1247-1328, Der ersteFranziskaner in China, 1982, 127 p., chronologie, illustr., carte) ; puis celles de Matteo Ricci bien sir (Ersnt Sttirmer, Vorstoss zum Drachenthron : Matteo Ricci, 1552-1610. Der Mandarin des Himmel in China, 1978, 143 p., illustr.) et de Adam Schall (Ersnt Sttirmer, Meister himmlischer Geheimnisse: Adam Schall, 1592-1666. Ratgeber und Freund desKaisers von China, 1980, 128 p., illustr.). Les r~cits sont bien enlev~s et l'essentiel est dit, m~me si la bibliographie est d'une v~tust6 affligeante et que des n~gligences se glissent parfois dans la redaction (ainsi le cardinal Costantini, d~fenseur de l'ouverture au modernisme en 1924, d~nomm6 Constan- tini au ler fasc., p. 5). Leur charme, ces trois fascicules le tirent d'une d6licieuse illustration. Rien de chinois, certes. Et les auteurs auraient do avertir plus nettement leur lecteur qu'il ne devait pas s'attendre A retrouver 1A le souvenir d'une Chine r~elle; mais plut6t la Chine A travers le regard et l'imagination des Europ~ens du XVIIe si~cle et des trois si~cles suivants: mais cela aussi est une information en soi. Pour l'6poque mongole, la cour du Grand Khan est figur~e selon l'imagerie persane et une gravure romantique ; alors qu'un artiste allemand moderne travaillant dans le style chinois a illustr6 le priche des franciscains dans la Chine m~di~vale. Pour le XVIIe sibcle, I'iconographie j~suite d'6poque est compl~t~e par des extraits des Missions Catholiques.

Deux fascicules de la m~me collection nous ambnent A l'6poque moderne. Le personnage choisi pour symboliser le XXe sidcle est le P. Vincent Lebbe (Alfons Jochum, Donner im Fernen Osten : Vincent F. Lebbe, 1877-1940. Vorktimpfer fiir eine chinesische Kirche, 1984, chronol., illustr., 157 p.). Le r~cit est flatteur, tire des hagiographies de L. Levaux, du chanoine J. Leclercq et des compagnons de route de ce missionnaire d'origine belge qui, engage sous la bannibre des lazaristes frangais, est vite entr6 en conflit avec ses 6v~ques successifs et s'est rendu c6lbre par son fougueux combat en faveur de la consecration d'6veques autochtones. Les critiques suscit~es par son indiscipline et les exc~s auxquels sa passion de la Chine a pu parfois le porter sont ici ignores. L'auteur n'a pas non plus eu l'occasion d'utiliser les archives de Lebbe, dont la publication a commenc& en 1982 A Louvain-la-Neuve (Cahiers de la Revue thdologique de Louvain, no 4, 1982 ; 5, 1982; 7, 1983; 9, 1983; 12, 1984).

Plus utile pour nous est la biographie d'un grand steyliste des debuts, aussi totalement sinis6 qu'il est possible, missionnaire au Sud-Shantung, le P.J. Freinademetz (Sepp Hollweck, Bringt den fremden Teufel um : Josef Freinademetz, 1852-1908. Fu Shen-fu aus dem Gadertal, 1978, illustr., carte). La bibliographie des publications de SVD sur cet homme eminent est abondante, et il est appreciable d'en avoir un r~sum6 populaire. Ici, comme dans le fascicule sur le P. Lebbe l'illustration est photographique.

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Avec le gros ouvrage du P. Hartwich, SteylerMissionare in China, nous restons aux origines de Steyl et A son premier travail au Sud-Shantung, mais dans un style trbs different de celui adopt6 par la collection pr~c~dente. Il s'agit d'une historio- graphie interne, entibrement centr~e sur l'oeuvre en Chine, scrupuleusement chronologique et precise, d'aprbs les lettres et les archives de la congregation.

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<< Une contribution A l'histoire n, dit l'auteur: voici en effet 1200 pages, qui forment un magnifique dossier pour l'historien des missions, qui peut y trouver mime les plans des rrsidences de la congregation au Shantung.

La matibre est dejA si abondante qu'on ose A peine formuler un regret : ne pas voir davantage vivre l'8tre humain derriere la description des fondations. On aurait aim6, par exemple, connaitre les aspirations et les impressions des mission- naires au drbut et A la fin de leur carribre ; le contenu pr6cis de l'enseignement dispens6 aux catrchumines, pour savoir distinguer la prrsente congr6gation de ses voisines, patronnres par d'autres nations. Un rappel de la base financibre de l'entreprise et de l'6volution des d6penses aurait aussi 6t6 utile. Mais l'auteur n'a pas voulu tomber dans l'anecdote; et il existe suffisamment de livres sur SVD pour que celui-ci puisse se permettre de n'4tre qu'une documentation apos- tolique.

La vocation qui appelait les jrsuites A diffuser la pensre chinoise en Occident ne s'est pas 6teinte avec les si~cles. Et le drdain of, aux XVIIHe et XVIIIe sibcles, ils tenaient le bouddhisme et le taoisme a 6t6 largement rachet6 par l'ardeur de leurs successeurs actuels A en faire connaitre avec science et tact le riche heritage. Les Chinois du P. Larre, sj - un fin connaisseur du taoisme ancien - sont dans la tradition du Grand Siicle, ainsi que le denote le sous-titre de l'ouvrage :Esprit et comportement des Chinois comme ils se rivdlent dans leurs livres et dans la vie, des origines a la fin de la dynastie Ming, 1644; ce choix mime du terminus ad quem formel est d'ailleurs rrv6lateur.

Laissons parler l'auteur : << Le plus distrait des lecteurs remarquera le carac- tare intemporel de ce livre. Les Chinois, en effet, se plaisent A des moments posrs sur fond d'intemporel, et leurs pensres les plus prrcises et particulibres sont des regards sur le mouvement des 6tres >>, dit-il en exergue. Son livre offre done une charmante promenade, hors du temps, A travers une Chine 6ternelle, dont l'espace supra-naturel est, de mime que l'espace politique, enserr6 dans des rigles A la fois strictes et souples ; dont I'esprit prend racine dans les maitres A penser de l'Antiquit6 ; dont la vie quotidienne est rdussie parce que s'y enchainent tous les arts. L'auteur raconte aussi que l'appel de la Chine lui est venu lorsque, tout jeune, il a entendu dire qu'en ce pays de l'autre c6t6 du monde tout se faisait A l'envers; son analyse de la sensibilit& chinoise, constat r6sultant d'un long commerce avec le peuple, trace justement sa voie avec lucidit6 et tendresse, aussi loin de l'exo- tisme de nos ancetres que de la propagande des thurif~raires modernes, sans pudibonderie victorienne non plus. Enfin l'iconographie est d'un choix somp- tueux dans sa variet&.

N'y aura-t-il pas une certaine cuistrerie A vouloir faire passer une oeuvre chaleureuse comme celle-ci sous l'aune de la recension ? Les sinologues sont maintenant trop entrainds A d~celer les solutions de continuit6, les transforma- tions et les mutations dans la longue evolution chinoise pour qu'il ne soit pas sain de renouer parfois les fils conducteurs des permanences et des enchainements. Mais on butte sur une coquetterie de l'auteur : la Chine actuelle est, tout au long du livre, beaucoup plus pr6sente que ne devrait l'autoriser le terme final fix& sur 1644; et il en rdsulte, bien innocemment, de petites distorsions historiques. Ainsi,

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l'intrusion de photographies r6centes, dont le commentaire se rbfbre implicite- ment i la Chine populaire, ne risque-t-elle pas d'entrainer des confusions dans les esprits non avertis ? (Ace propos,je n'ai pas r6ussi i d~couvrir qui 6tait le DR qui a sign6 plusieurs commentaires d'illustrations). Et peut-on voir (p. 26) sans un haut-le-corps, propos6e comme tradition historique intangible, la thborie des cinq grandes races de la Chine, invent6e en fait par l'aile mod6r6e du Kuomintang pour r6soudre son probl~me des nationalit6s ? Et, de ci, de 1h, sous-jacente, la thdorie des nationalit6s de la R.P.C. ? Sous les Ming, 6poque ultime i laquelle l'ouvrage est cens6 se r6f6rer, les Mongols, conqubrants toujours redout~s, n'6taient pas une minorit6 ethnique, non plus que les Mandchous, futurs destruc- teurs des Ming; et les turcophones d'Asie centrale, s'ils 6taient minorit6 dans un Empire quelconque l'6taient alors dans celui des OiYrats ou Mongols occiden- taux! Malheureusement, quand il sort du domaine chinois, I'auteur perd la prudence clairvoyante dont il fait preuve i l'6gard de son peuple favori, et il accumule menues inexactitudes et graves pr6jug6s. Regarder la dynastie mongole des Yuian avec les yeux des historiens ult6rieurs, du d6but des Ming, la rend caricaturale (p. 587 sq.). Appeler les Hsiung-nu (ou Hiong-nou) des << Huns >> est d'un pittoresque douteux (p. 453 sq.), car il y a bien longtemps que nul ne croit plus en la thborie de Chr6tien L.J. de Guignes (1759-1845) qui, sautant par- dessus les sidcles, avait imagine d'identifier un peuple i l'autre.

Mais c'est mauvaise guerre que reprocher i un ouvrage intitul6 Les Chinois de n'6tre pas parfaitement honn~te envers les voisins et ennemis h6r6ditaires des Chinois, alors qu'il est tout humanisme et bonne humeur, et qu'on ne saurait rover meilleur livre pour clore une chronique bibliographique en beautK.

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Frangoise AUBIN

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