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Mémoire de la Dordogne

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Page 1: Mémoire de la Dordogne
Page 2: Mémoire de la Dordogne

[i]~ ALA UNE ,"':';

cr ,:. ,,1;', Le Glaneur du 7 octobre 1923.

" Jacqueline Faure. p. 2

1) ANNIVERSAIRE

Le loup en Dordogne. p.3 Bernard Reviriego.

LOI ASSOCIA TlON

dfl 1"juil1çt

L'AD.R.A.H.P. 1901 Claude Lacombe. p.6

œ INÉDIT

L'appétit d'espace des Magne et le déménagement de T rélissac. Michel Combet, p.S

,

\

-PALÉOGRAPHIE

Un texte ancien et sa transcription. Raymonde Sarlat. p. 32 iii DERNIÈRES

... " ~ ENTRÉES

'. ::.:, Dons et acquisitions récentes. ~:;:O'\--

p.34 .--=::-_-..c-" Jacqueline Faure. 101 SONOTHÈQUE

Les derniers musiciens de bal en Dordogne. Sylvain Roux, p. 35 1./1 LE DISCOURS DE LA MÉTHODE Comment débuter une recherche

. généalogique dans l'Etat-civil. Martine Duhamel. p.37

DOSSIER ARCHIVES / ARCHÉOLOGIE

L'ARCHÉOLOGIE PRÉHISTORIQUE: UNE SCIENCE SANS ARCHIVE. Serge Haury. p. 15

HISTORIOGRAPHIE DE PÉRIGUEUX ANTIQUE Claudine, Giranly-Cailht. p. 17

LE CAHIER DE DESSIN DE PIERRE BEAUMESNIL

LES FORGES DE SAVIGNAC-LÉDRIER ET LES ARCHIVES DES MAITRES DE FORGES lndovic Pimno. p.24

L'APPORT DES SOURCES ÉCRITES A L'ARCHÉOLOGIE DES PÉRIODES HISTORIQUES

nafIÇois .Michel. p. 20 Yan ltI60tie. p.27

UN ESSAI D'ÉCRITURE A LA CHARNIÈRE AGE DU BRONZE FINAL / PREMIER AGE DU FER

Christian Chevillot. p.l0

BIBLIOTHÈQUE

I~ de travaux universitaires. III Compte-rendu

'----" ___ L.li.m"----' Jean-Emmanuel Bonnichon p. 13

EXPOSITION ANIMATION

p.31

A L'ÉCOLE

Les épidémies, thème du concours de « l'historien de demain ».

Michel Combet. p. 40

p.41

"-"- Entretien avec ~PAROLE

C~,~' DE LECTEUR

Madame Christiane Nectoux.p. 42

fournet.m
Légende
Cliquez sur le titre de l'article pour accéder directement à la page concernée
Page 3: Mémoire de la Dordogne

MémoiretlelaDordopt Revue· sem$trielle éditée

par les N~ves départementales de. la Dordogne

N°2JJUIN 1993

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Françoi1>BC>RDES

REDACTEUR EN CHEF Bernard ·REVIRIEGO

COMITÉ DE LECtURE François BORDES, Joëlle CHEVÉ, Michel COMBET, Patrick ESCIAFER de la RODE, Jacqueline FAURE, Bernard FOURNIOUX, Dominique GRAND­COIN, Claude LACOMBE, Bernard REVIRIEGO.

REDACTION Jean-Emmanuel BONNICHON, Chris­tian CHEVILLOT,Michel COMBET, Martine DUHAMEL, Jacqueline FAURE, Claudine GIRARD Y­CAILLAT, Dominique GRANDCOIN, Yan LABORIE, Claude LACOMBE, Serge MAURY, François MICHEL, Ludovic PIZANO, Bernard REVI­RIEGO, Sylvain ROUX, Raymonde SARLAT.

TRAVAUX PHOTOGRAPHIQUES Renée HASSE (atelier photographique des Archives départementales)

MAQUETTE, MISE EN PAGE Thierry BOISVERT

PHOTOGRAVURE Image, . Sarlat

IMPRESSION lmprimerieFanlac ZAC Pâreau AvetiueWinston-Churchill 24660 Coulounieix-Chamiers

ABONNEMENTS Deux numéros par an : 60 F Prix à l'unité: 30 F Bulletin d'abonnement: à l'intérieur de la revue.

ISSN 1241·2228 Dép&t légal à parution

Le. contenu des articles n'engage que la responsabilité de leurs auteurs.

édit - GLI c> r-1

P eut-être les Archives étaient-elles, voici cent ans, ce «Musée aux vieilles idées» qu'évoquait alors, non sans affection, un Périgourdin amoureux de son passé. Mais les choses ont changé, et les fem­mes et les hommes de notre temps savent que ce ne sont pas des vieilles idées qui résultent de la confrontation d'un esprit d'aujourd'hui avec ces Archives qui furent en un temps des véhicules et des moyens de l'action.

Nos contemporains savent qu'on ne perd jamais son temps en regardant en arrière pour comprendre où l'on est, et en faisant appel à l'eXpérience du passé pour construire l'avenir. Dans un monde qui bouge, le besoin d'enracinement se fait sentir, et dans un monde qui abolit les fron­tières intellectuelles, la curiosité envers les temps passés rejoint l'intérêt envers les civilisations lointaines. La seule chose qui demeure encore indéfiniment dilatable, c'est la capacité qu'a l'homme d'aller au-delà de ses interrogations

, 'd prece entes.

Les Archives de la Dordogne font à cet égard un effort qui mérite d'être salué. Dans un nouveau bâtiment qui est un modèle du genre, les Périgourdins savent qu'ils sont chez eux, puisque les parche­mins et les papiers qu'on y conserve sont à eux. Ils sont leur histoire. Des expositions s'ouvrent à tous les publics. Un service éducatif accueille les plus jeunes, pour leur permettre un premier apprentissage de cette critique histo­rique qui est l'une des formes les plus élévées de l'acuité intellectuelle. Il m'est agréable d'applaudir la naissance d'une revue, Mémoire de la Dordogne, qui portera ce message à tous ceux qui trouvent dans un regard sur leur passé les raisons d'être fiers de leur présent.

Jean FAVIER Membre de l'Institut

Directeur Général des Archives de France

Page 4: Mémoire de la Dordogne

Jalons chronologiques. 11 avri/1895 : décou­verte de la grotte de la Mouthe. 8 et 12 septembre 1901: découvertes des Combarelles et Font­de-Gaume. 14 août 1902: confir­mation de l'âge pré­historique des gravu­res de la grotte de la Mouthe; l'art pariétal y est reconnu officiel­lement (excursion de l'Association française pour l'avancement des sciences).

2

A LA UNE

Il faut attendre 1923 pour trouver à la une de la presse locale la rela­tion d'un événement touchant l'actualité départementale dans le domaine de la préhistoire. Les premières découvertes n'ont pas eu le privilège de la première page.

fl'l' Il' <\NNONCE,.Ii

Page 5: Mémoire de la Dordogne

MémoiretlelaDordopt Revue· sem$trielle éditée

par les N~ves départementales de. la Dordogne

N°2JJUIN 1993

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Françoi1>BC>RDES

REDACTEUR EN CHEF Bernard ·REVIRIEGO

COMITÉ DE LECtURE François BORDES, Joëlle CHEVÉ, Michel COMBET, Patrick ESCIAFER de la RODE, Jacqueline FAURE, Bernard FOURNIOUX, Dominique GRAND­COIN, Claude LACOMBE, Bernard REVIRIEGO.

REDACTION Jean-Emmanuel BONNICHON, Chris­tian CHEVILLOT,Michel COMBET, Martine DUHAMEL, Jacqueline FAURE, Claudine GIRARD Y­CAILLAT, Dominique GRANDCOIN, Yan LABORIE, Claude LACOMBE, Serge MAURY, François MICHEL, Ludovic PIZANO, Bernard REVI­RIEGO, Sylvain ROUX, Raymonde SARLAT.

TRAVAUX PHOTOGRAPHIQUES Renée HASSE (atelier photographique des Archives départementales)

MAQUETTE, MISE EN PAGE Thierry BOISVERT

PHOTOGRAVURE Image, . Sarlat

IMPRESSION lmprimerieFanlac ZAC Pâreau AvetiueWinston-Churchill 24660 Coulounieix-Chamiers

ABONNEMENTS Deux numéros par an : 60 F Prix à l'unité: 30 F Bulletin d'abonnement: à l'intérieur de la revue.

ISSN 1241·2228 Dép&t légal à parution

Le. contenu des articles n'engage que la responsabilité de leurs auteurs.

édit - GLI c> r-1

P eut-être les Archives étaient-elles, voici cent ans, ce «Musée aux vieilles idées» qu'évoquait alors, non sans affection, un Périgourdin amoureux de son passé. Mais les choses ont changé, et les fem­mes et les hommes de notre temps savent que ce ne sont pas des vieilles idées qui résultent de la confrontation d'un esprit d'aujourd'hui avec ces Archives qui furent en un temps des véhicules et des moyens de l'action.

Nos contemporains savent qu'on ne perd jamais son temps en regardant en arrière pour comprendre où l'on est, et en faisant appel à l'eXpérience du passé pour construire l'avenir. Dans un monde qui bouge, le besoin d'enracinement se fait sentir, et dans un monde qui abolit les fron­tières intellectuelles, la curiosité envers les temps passés rejoint l'intérêt envers les civilisations lointaines. La seule chose qui demeure encore indéfiniment dilatable, c'est la capacité qu'a l'homme d'aller au-delà de ses interrogations

, 'd prece entes.

Les Archives de la Dordogne font à cet égard un effort qui mérite d'être salué. Dans un nouveau bâtiment qui est un modèle du genre, les Périgourdins savent qu'ils sont chez eux, puisque les parche­mins et les papiers qu'on y conserve sont à eux. Ils sont leur histoire. Des expositions s'ouvrent à tous les publics. Un service éducatif accueille les plus jeunes, pour leur permettre un premier apprentissage de cette critique histo­rique qui est l'une des formes les plus élévées de l'acuité intellectuelle. Il m'est agréable d'applaudir la naissance d'une revue, Mémoire de la Dordogne, qui portera ce message à tous ceux qui trouvent dans un regard sur leur passé les raisons d'être fiers de leur présent.

Jean FAVIER Membre de l'Institut

Directeur Général des Archives de France

Page 6: Mémoire de la Dordogne

• Peinture rupestre de la grotte de Font-de­Gaume. Relevé de l'abbé Breuil. Photo du Musée National de Préhis· taire des Eyzies.

___________ ANMvER~mE

Il Y a 25 ans disparaissait le dernier loup adulte de France, clairement identifié, à Luxey, dans les Landes, soit 39 ans après la disparition du dernier loup périgourdin à Sarlande en 1929.

« Les criminels méritent-ils un anni­versaire ? » s'écrieront certains. « Peut-on juger un mythe? » répondront les autres ... « Il vient de paraître, aux environs de Sarlat dans le Périgord, une bête féroce, que l'on a jugé être un loup enragé, d'une grandeur extraordinaire. Cette bête féroce parcourut, avec une vitesse incroyable ( ... ) » 1. Ainsi commence la relation d'un fait divers tragique, indéfiniment répété dans le temps, qui n'est pas sans rappeler celui, contemporain, de la bête du Gévaudan. Et depuis 15 000 ans, du temps où il le peignait sur les parois de Font-de-Gaume, l'homme n'a pas oublié qu'il fut longtemps une proie facile. il livra en conséquence à son vieil ennemi, con­current et voisin, une guerre acharnée, pour­suivie jusqu'à l'extermination.

Faute de combattants, il le porte aujourd'hui dans sa mémoire, ses rêves et. .. ses archives.

Les armes à feu et le poison, dont l'absence rendit longtemps obligatoire la coha­bitation avec le loup, eurent raison de l'espèce dont la régression débute en France à la fin du XVIIIe siècle. A cette époque, ses effectifs attei­gnent un niveau jamais plus retrouvé. La situa­tion en Dqrdogne est florissante pour eux: de 1798 à 1802, on y tue en moyenne 138 loups ou louveteaux chaque année, avec un maxi­mum de 159 en 1802. Très vite on cherche une solution pour réduire les populations, car

l'abolition du monopole seigneurial de la chasse, en 1789, ne produit pas immédiatement ses effets. La réquisition de la poudre pour les arsenaux de la République menacée engendre

• 1 • •

au contraIre un repIt propIce. La première de ces solutions était la bat­

tue, ordonnée par le Préfet et confiée aux Lieu­tenants de louveterie, très ancien corps d'offi­ciers créée par François 1er en 1520. L'expé­rience démontra l'inutilité quasi totale dé ces grandes manifestations dont l'ampleur de con­ception n'avait d'égal que le désordre et le man­que de technicité dans l'exécution. Les maires de plusieurs communes limitrophes devaient réquisitionner au jour défini un certain nom­bre de tireurs armés de fusils, et de batteurs équipés de bâtons ou de fourches. Citons, par exemple, la battue envisagée dans les bois de la commune de Saint-Saud-Lacoussière le 7 avril 1806 qui prévoyait la participation théo­rique de 240 tireurs et 280 batteurs ... En réa­lité, une seule commune envoya 110 hommes et le Lieutenant de louveterie Lacotte conclut dans son rapport: « ( ... ) Nous n'avons pu voir aucun loup ni renard ( ... ) » 2. La gendarmerie, également sollicitée, devait « inciter» les bat­teurs à rentrer dans les bois. A ce sujet Lacotte raconte une battue effectuée en 1809: «( ... ) Tout le monde voulait se poster et personne ne voulait battre les bois. J'ai rendu mon cheval pour faire aller les batteurs que j'ai pu réunir, aussi n'ai je eu de ma vie plus d'humeur ni de colère, tant j'étais mécontent de cette chasse ( ... )) 3.

Indisponibilité à cause des travaux des champs, indiscipline (les cas ne manquent pas de tirs inopportuns sur le gibier), mauvais temps, voies de fait ou incidents de chasse créent un désordre dont profitent les loups pour s'esqui­ver entre les lignes de rabatteurs. Le très zélé Lacotte s'insurge après une battue à Jumilhac en 1811: «( ... ) On confie ordinairement des

. fusils à des enfants au point que l'année passée le fusil d'un enfant partit et sa balle emporta la ganse de mon chapeau ( ... )) 4, A cette réticence répond parfois la désinvolture de certains Lieu-

1 . Journal d'Orléans. XVIII' siècle.

2 . A.D. 24, 4 M 78/23 .

3 . A.D. 24, 4 M 78/81.

4 . A.D. 24, 4 M 78/107.

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Page 7: Mémoire de la Dordogne

5 - A.D. 24, 4 M 78/60.

6 - A.D. 24, 4 M 78/52.

7 - A.D. 24, 4 L 98.

8 - E-dépôt Vieux­Mareuil. Année 1766.

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tenants de louveterie, tel Langlade qui précise, en 1808, dans une lettre au Préfet: «( ... ) Comme vous le savez, l'intention du Grand Veneur est que nous n'employons à ces sortes de chasse que nos moments de loisirs ( ... ) » s. Le Grand Veneur précise lui-même, dans une cir­culaire, les droits et les devoirs de ces officiers dont les places sont honorifiques et non rétri­buées: « ( ... ) Je les considère comme des hommes riches, ayant le goût de la chasse et un équipage, et auxquels je donne la permission de chasser dans les forêts du domaine, sous la condition qu'ils emploieront eux et leurs équipages à détruire les loups quand ils en auront connaissance ( ... ) » 6.

La mobilisation est davantage à la hauteur de la peur que des méfaits réels: très près de nous, en 1954, 2000 chasseurs, 60 gendarmes et 2 avions d'observation sont utilisés pour une bat­tue au loup dans le département de l'Isère !

Parallèlement, un système de prime de . destruction individuelle est institué par le gou­vernement dès 1796. Mais l'Etat suspend rapi­dement son aide tout en se retournant vers les Préfets et les Conseils Généraux pour les encourager à la destruction des animaux ... Des instructions pour l'empoisonnement à la noix vomique (dont la strychnine est le principe acti~ sont alors largement diffusées. Là encore, les procès-verbaux et correspondances qui nous sont parvenus démontrent la relative efficacité du procédé. La crainte pour les cochons et les chiens, la nécessité de garder les brebis dix jours à l'étable, sont autant de freins à l'utilisation de cette méthode. Les municipalités, pour leur part, répugnent à prendre en charge les dépen­ses induites par l'achat de la noix vomique, même si le Conseil Général en assume rapide­ment la fourniture. Car les communes ou les particuliers doivent continuer à procurer les , appats.

Face à toutes ces difficultés, on en revient à un système de primes plus approprié à sti­muler l'intérêt personnel. Le simple énoncé de la valeur de ces primes suffit à expliquer leur attrait décisif. En 1802, une louve pleine rap­porte 20 francs, soit l'équivalent de 15 journées de travail (indice moyen), ou encore de 23 kilos de viande. En 1830, la prime est de 50 francs, soit un mois et demi de travail d'un bûcheron et presque un mois de travail d'un menuisier. En 1915, l'indemnité (pourtant diminuée de 50 % depuis le début du siècle), rapporte 50 francs pour un loup, c'est-à-dire l'équivalent de presque 15 jours de travail pour un salarié agricole. Celui qui a la chance de détruire une portée de cinq louveteaux engrange ainsi le bénéfice de 25 jours de travail.

Ce que nous savons du régime alimen­taire très varié du loup est confirmé par les plaintes transcrites dans les archives. Moutons et chiens sont des animaux domestiques qui ne laissent pas le loup indifférent, d'autant que la densité de chevreuils et de cerfs était, au XIXe siècle, bien inférieure à celle que nous connais­sons aujourd'hui. Parallèlement, l'augmenta­tion de la population en zone rurale, qui atteint son maximum au milieu du XIXe siècle, et la multiplication du bétail, rendent la présence du loup de plus en plus insupportable. Les récits d'attaque contre l'homme existent, mais il est difficile de préciser s'il s'agit d'un loup spécialisé dans ce type de proie, ou d'un loup enragé. La rage est partout présente en France en 1800, même si elle est essentiellement véhi­culée par le chien. Eradiquée en 1924, elle res­surgit en 1968, via la frontière allemande, pro­pagée surtout par le renard.

La municipalité d'Excideuil se plaint dans une lettre au district du lieu datée du 20 bru­maire an 3 (10 novembre 1794) : «( ... ) Les loups font un dégât considérable. Depuis plusieurs mois il passe quantité de chiens enragés qui nous expo­sent à des pertes bien plus grandes ( ... ) » 7. Un loup enragé passe le 13 février 1766 à Vieux­Mareuil, mordant cruellement trois personnes qui décèdent le 15 février, le 16 et le 20 avrils. Un autre défraye la chronique par ses attaques mortelles contre des enfants en 1806 à Saint-Gery, Saint-Médard-de-Mussidan, Saint­Sauveur-Lalande et Fraisse; un autre à Saint­Laurent-des-Hommesen 1808. Un autre, enragé, attaque furieusement bêtes et hommes à Agonac en 1809 et un autre à Mouleydier en

• Photo d'un loup tué, puis empaillé, au début du siècle à Beley­mas. Coll. part.

Page 8: Mémoire de la Dordogne

9 - A.D. 24, 4 M 78/66.

10 - A.D. 24, 4 M 78/67.

Il - A.D. 24, 4 M 78/72.

12 - A.D. 24, 4 M 78/75.

13 - A.D. 24, 4 M 78/92.

14 - A.D. 24, 4 M 78/469.

1812. Ces attaques, bien que rares, attisent haine et crainte contre un fauve puissant. Le poids maximum relevé, sur 500 cas environ, est celui d'une femelle de 48 kilos tuée en 1877 à Jumilhac-le-Grand, d'un mâle de 48 kilos tué aussi à Jumilhac en 1855 et d'un autre mâle du même poids tué en 1885 à Bourniquel. Nous sommes loin des poids records de 64 et 54 kilos des deux loups tués dans le Gévaudan en 1765 et 1767 lors de la fameuse affaire (les naturalis­tes s'accordent sur un poids moyen de 35 kilos pour les mâles et de 29 kilos pour les femelles).

Les effets cumulés de toutes les mesu­res de destruction peuvent s'appréhender au travers des statistiques que les archives dispo­nibles permettent d'élaborer: 138 loups en moyenne sont tués chaque année de 1798 à 1802; 119 de 1812 à 1820; 76 de 1885 à 1892; 4 de 1906 à 1929.

L'ensemble du département était peuplé de loups, qu'il s'agisse des zones de landes plus ou moins désertiques du Nontronnais ou de tous les grands massifs forestiers. Seules quelques rares zones dans le Verteillacois ou le sud-ouest du département, au sud de la rivière Dordo­gne, n'étaient pas fréquentées, contrairement au nord-est du département, en contact avec des populations bien structurées provenant des départements voisins de la Charente, de la Haute-Vienne, de la Vienne ou de la Corrèze. Les témoignages abondent de loups au com­portement grégaire affirmé. Ainsi, le maire de Sainte-Orse déclare, en 1808 : « ( ... ) Nous som­mes cernés par les loups ( ... )>> 9; celui de la Chapelle Saint-Jean, également en 1808 : « ( ... )

Les forêts sont infectées de loups ( ... ) » 10 ; celui d'Aubas estime à trente le nombre de loups dans ses forêts en 1809 et ajoute: « ( ... ) On les voit ensemble, sans exagération, au nombre de 8 et la. On compte 19 chiens qu'ils ont enlevés aux villages voisins ( ... ) » 11; à Saint-Jory-de­Chalais, le Lieutenant de louveterie relate, en 1809 : « ( ... ) Qu'on les voit, à ce que m'ont dit les gens du pays par troupes de 4 à 5 ( ... ) » 12 ;

le même parle de la forêt de Jumilhac en 1810 : « ( ... ) Vous ne pouvez pas vous faire une idée de la grande quantité de loups qu'il y a dans la forêt ( ... ) » 13.

Mais à partir de 1885 s'amorce la disparition de l'espèce. Encore bien représentée dans 69 % des départements français, en 1850, elle remonte légèrement, après 1870, à la faveur de la guerre. En 1895, elle n'est présente que dans 50 % des départements. Et sa survie se joue principalement dans deux enclaves: au nord­est, une zone englobant la Champagne, la Lor-

raine, les Vosges, la Franche-Comté, la Bour­gogne et le Nivernais et, dans le centre-ouest, une autre recouvrant pour partie le Berry, le Poitou, le Limousin et le Périgord. En 1923 enfin, la Dordogne et la Haute-Vienne sont les deux derniers bastions d'une espèce vouée à l'extinction, bien qu'elle ait bénéficié une seconde fois d'un répit, à la faveur du conflit de 14-18. Mais il est des signes qui ne trompent pas. Le loup, déjà entré dans la légende prend place au Panthéon des espèces disparues: le Musée d'histoire naturelle. Celui de Bordeaux en demande un spécimen, en 1922, au Préfet de la Dordogne « ( ... ) Avant que l'espèce ne dis­paraisse de la région ( ... ) » 14. Les quatre der­niers loups adultes sont tués, en 1923, à Fir­beix et à Chaleix. Un louveteau enfin est détruit à Sarlande le 29 mai 1929.

Ainsi se réalise, mais de quelle façon ... la parole de Saint-François d'Assise au loup de Gubbio: «Frère loup, tu as commis beaucoup de ravages et causé de très grands méfaits envers les créatures de Dieu; mais je veux rétablir la paix entre elles et toi; pourvu que tu ne leur fasses plus de mal, elles te pardonneront toutes les offenses passées; les hommes ni les chiens ne te persécute­ront plus ».

Bernard REV/RIEGO

Sources et bibliographie

Sources d'Archives: 4 L 98 ; 8 L 63 ; 4 M 76; 4 M 78 ; 2 Z 128.

- BEAUFORT (François de), Le loup en France: éléments d'écologie historique. Encyclopédie des carnivores de France. Cahier nO 1. Société Française pour l'Etude et la Protec­tion des Mammifères, octobre 1987.

• Carte de la répartition des loups en France en 1923. Extrait de l'ouvrage de Fran­çois de Beaufort (voir bibliographie). Photo A.D. 24.

5

Page 9: Mémoire de la Dordogne

6

LOI ASSOCIATION -------1 du 1" juil/ct

1901

L'A.D.R.A.H.P., une approche dynamique de l'archéologie et de l'his­toire du Périgord.

Sept ans déjà! En effet, le 4 avril 1986 était créée l'AD.R.AP., devenue en mars 1992 l'Association pour le Dévelopement de la Recherche Archéologique et Historique en Périgord dont le but est « la recherche, l'étude et la sauvegarde des objets, monuments et documents archéologiques ou historiques exis­tant dans le département de la Dordogne et intéressant l'archéologie et -l'histoire de notre province mais aussi de notre pays ». L'AD.R.A.H.P. encourage dans ce sens« tous travaux d'érudition concernant l'archéologie et l'histoire locale, des origines à nos jours (de la Préhistoire à l'archéologie industrielle) ».

Il pouvait sembler paradoxal, comme le soulignait Christian Chevillot, l'un des fonda­teurs de l'A.D.R.A.H.P. et son actuel prési­dent, de créer en Périgord, une nouvelle asso­ciation consacrée à la recherche archéologique et historique. Cette initiative voulait répondre au développement rapide et accru de la recher­che dans notre région et à un engouement ren.ouvelé d'un large public en quête de ses racmes.

De nombreux chercheurs rencontraient alors des difficultés pour publier les résultats de leurs travaux. L'A.D.R.A.H.P. avec ses « Documents d'Archéologie et d'Histoire Péri­gourdine » ne prétendait pas résorber toutes les difficultés mais au contraire venait à point nommé et sans exclusive compléter l' œuvre déjà entreprise par diverses revues départemen­tales ou régionales. Travaillant en étroite col­laboration avec le Service Régional de l'Archéologie, l' A.D.R.A.H.P. voulait ainsi participer à la diffusion des recherches archéo­logiques et historiques du Périgord en France

\ l' 1 et a etranger.

L' A.D.R.A.H.P. se devait alors et se doit, au travers de ses membres menant des recherches sur l'histoire du Périgord, de tra­vailler avec l'aide des Archives départementa­les. Parallèlement à l'approche archéologique, une approche historique ne peut se concevoir sans une étude archivistique du site ou du hl \ P enomene.

Sept ans après, l'A.D.R.A.H.P. a été fidèle à ses engagements. Sept «Documents d'Archéologie et d'Histoire Périgourdine» réu­nissant près d'un millier de pages ont permis la publication de près de soixante dix articles allant de la Préhistoire à la période moderne livrant aux chercheurs, comme aux amoureux du Périgord en quête de leurs racines, matière à découvrir de nombreuses recherches inédi­tes parfois en attente de publication depuis plus de trente ans ... Hormis cet aspect publication de fouilles anciennes, les D.A.H.P. constituent un support de publication efficace et rapide au service de la recherche archéologique et histo­rique en Périgord, . ouvert et sans exclusive, comme la jeune revue « Paléo », régulièrement publiée chaque année ..

III Plaque de boucle de ceinture en émail de Limo­ges (début XIIIe siè­cle), trouvée à St-Amand-de-Coly. Publiée par M.M. Gaultier, C. Lacombe et C. Marielle dans les Documents d'Archéologie Péri­gourdins, t. 5, 1990, p. 149-150. Photo Claude La­combe.

Page 10: Mémoire de la Dordogne

• Sortie de l'A.D.R.A.H.P. en septembre 1990. Visite du sanc­tuaire de la Tour de Vésone. Photo Dominique Lavigne.

Ainsi, nombreux sont les préhistoriens de renom qui ont publié leurs travaux dans les D.A.H.P. Pour la protohistoire, les D.A.H.P. ont eu la primeur de la publication de décou­vertes majeures. Pour l'Antiquité, ils ont per­mis de faire le point sur les découvertes faites à V ésone et dans le reste du Périgord durant ces quarante dernières années. Les études publiées sur le Moyen âge permettent de révé­ler certains aspects peu connus du Périgord médiéval. Quant à l'histoire moderne et l'his­toire de l'archéologie périgourdine, les apports sont multiples dans la collection des D.A.H.P.

Les approches des chercheurs sont des plus variées: géologie, études de sites, études de mobiliers, art préhistorique, mégalithisme, conservation des peintures préhistoriques, occupation humaine, études sociologiques et économiques, origines de l'archéologie périgourdine.

Chaque année, l'AD.R.A.H.P. organise des sorties qui permettent à ses membres:

- de découvrir des sites peu connus, ou en cours de fouilles, sous la conduite des archéologues et des historiens ayant travaillé à leur étude,

-de visiter des musées ou des expositions sous la conduite de leurs concepteurs.

L' A.D.R.A.H.P. organise ou participe aussi à des rencontres ouvertes à tous les mem­bres de l'Association et qui sont l'occasion de réunir chercheurs et amateurs et de faire le point sur des thèmes de recherches comme:

- « Les architectures, techniques et tradi­tions vernaculaires en Périgord », journée d'étu­des organisée par le C.E.R.A.V. en 1987.

- « Les enceintes protohistoriques d'Aqui­taine », premières rencontres de Chancelade, organisées par l'A.D.R.AH.P., en collabora­tion avec- l'Association des Archéologues d'Aquitaine en 1986.

- « Le troglodytisme médiéval en Périgord­Limousin », 2e Rencontres de Chancelade orga­nisées par l'AD.R.A.H.P. en 1989.

- « L'Age du Bronze Final atlantique dans l'ouest de la France », collaboration à l'organi­sation du 1er Colloque de Protohistoire de Bey­nac en 1990.

- « Rencontre 1993 du Bronze Age Studies Group» à Chancelade, collaboration à l'orga­nisation de cette rencontre en 1993.

Des conférences permettent ainsi de mieux connaître les recherches menées par les membres de l'Association, ainsi:

« L'hôpital d'Hautefort », par F. Jeanneau.

- « Faïenciers et faïences de Bergerac au XVIIIe siècle» par C. Lacombe.

- « L'apparition de la métallurgie dans l'Ouest africain» par D. Grenenart,

- « Le Quaternaire» par B. Kervazo, - « Lisle des origines à nos jours» par divers

membres de l'A.D.R.A.H.P. - « Alcantara, un exemple des problèmes de

conservation du patrimoine architectural brési­lien» par B. Fonquernie, inspecteur des Monu­ments Historiques, Conservateur en chef des Bâtiments de France pour les départements de la Gironde et de la Dordogne,

- « Les origines et le développement de Coulounieix-Chamiers» par divers membres de l'A.D.R.A.H.P.,

- « Le mythe des cités lacustres protohisto­riques d'après les travaux d'archéologie, d'ethno­graphie ou d'archéologie expérimentale de j. Petre­quin» par C. Chevillot.

N'oublions pas que le 1er vendredi de chaque mois, l'A.D.R.A.H.P. tient des réu­nions mensuelles, à 20 h 30, au Foyer Socio­culturel de Chancelade. Vous qui aimez l'archéologie et l'histoire du Périgord, et qui voulez participer à son étude, venez nous y rejoindre.

Pour toute information complémentaire ou pour adhérer à l'A.D.R.A.H.P., (200 F adhésion + cotisation 1993 + abonnement), adresser votre correspondance à:

-Christian Chevillot Beauronne 24650 Chancelade ou à :

- Claude Lacombe Le bourg 24590 Archignac.

Claude LACOMBE Secrétaire général de l'A.D.R.A.HP.

7

Page 11: Mémoire de la Dordogne

1 - ADD, 269 Q 12 et 3 E 10846.

2 - Ceux-ci avaient en 1818 vendu leur bien au curé Darfeuille, chanoine de Saint­Front, qui l'avait lui­même revendu aux époux Bardon en 1826.

3 - ibid.

4 - ibid.

8

INÉDIT~ __________ ~~

Autour d'un plan: l'appétit d'espace de la famille Magne et le démé­nagement de Trélissac.

Un plan récemment acquis par les archives départementales (Fi, nc) montre les différentes parcelles composant en 1894, la pro­priété de Madame Alfred Magne: elle s'étend essentiellement sur la commune de T rélissac, mais aussi juste au sud de l'Isle, sur celle de Boulazac, et plus à l'est sur celle d'Antonne.

L' histoire de ce domaine a commencé en 1841. A cette date Pierre Magne est encore un tout jeune avocat, conseiller de préfecture à Périgueux. A la suite du décès de son père, Louis, le 24 décembre 1836, et du renoncement à la succession de son unique sœur, religieuse à la Visitation, il partage l'héritage avec sa mère. Il se voit ainsi attribué en février 1837, le domaine du Cros, situé sur la commune de Sainte-Marie-de-Chignac 1. Celui-ci est échangé, dès le 2 septembre 1841 contre la terre et l'ancien château des Chaudru de Trélissac 2,

près de l'église, appartenant à Monsieur et Madame Bardon 3. La propriété comprenait alors « une métairie, au labourage d'une paire de bœufS, une maison de maître, leurs offices, jar­din, bosquets, enclos, îlot, bâtiments d'exploitation» 4.

Il s'agit là du cœur de la propriété qui devait, par acquisitions successives et patien­tes, grandir sans cesse jusqu'à la fin du XIXe siècle 5. C'était aussi le centre de l'ancienne paroisse de T rélissac.

Pierre Magne confia la restauration du manoir à l'architecte Catoire qui aurait fait

'd 'l' l' d' 6 proce er a en evement une tour . Les années passèrent et le jeune avocat,

devenu ministre de Napoléon III, acquit le châ­teau de Montaigne, pour lequel il délaissa Tré­lissac: son fils Alfred, Trésorier général du département du Loiret qui, dès 1863, com­mence à acquérir des parcelles, et sa jeune épouse, Mathilde Werlé, en prirent possession. Trouvant sans doute l'ancien château, trop exigu et peut-être un peu désuet, ils réalisent, de 1864 à 1868, la construction d'un bâtiment plus cossu et correspondant mieux au goût du

jour et à leur position. C'est aujourd'hui la maison de retraite de l'annexe de l'hôpital de Périgueux.

Très tôt les Magne semblent s'être sen­tis à l'étroit dans leur résidence trélissacoise et cherchent à l'agrandir: par achats, par échan­ges surtout, pratiqués avec la municipalité ou la fabrique en ce qui concerne les bâtiments et les terres leur appartenant. Quitte à s'enga­ger à reconstruire un peu plus loin, et à jouer le rôle de mécène. En moins de 20 ans, c'est tout le village de Trélissac qui va se trouver concerné, et purement et simplement déplacé de quelques centaines de mètres, vers le nord­est, de l'autre côté de la toute récente route nO 21, dont le tracé sera, pour l'occasion, modifié.

L'opération a commencé en 1854. A cette date, Pierre Magne, par l'intermédiaire de son beau-frère traite avec la fabrique de l'église de Trélissac et procède aux premiers échanges, autorisés par décret impérial: deux parcelles situées au sud de l'église et destinées aux desservants sont échangées contre des ter­rains équivalents 7. L'année suivante, il s'agit de la maison d' école. Un premier échange avec Pierre Magne permet la construction d'un nou­veau presbytère sur l'emplacement de celle-ci. Une nouvelle école devait voir le jour près de la route, sur une autre terre échangée avec le ministre. Mais, le rapport du commissaire enquêteur nous l'apprend, l'emplacement ini­tialement choisi « ne prévoyait pas les dangers que pourraient entraîner le voisinage d'une route impériale très fréquentée, en ce que les élèves n'ayant d'autre lieu de récréation que la route elle-même seraient à chaque instant exposés à être renversés et foulés par les nombreuses voitures qui parcourent chaque jour cette voie» 8. Heureuse­ment, Monsieur Magne veillait... et un nouvel échange permettrait à la commune d'entre­prendre la construction d'une école, mieux . , Situee.

Avec Alfred Magne, ces pratiques prennent

5 - ADD, 63 P 950. En 1913, la propriété de Napoléon Magne, sur la commune de Trélis­sac, représente 500 ha 45 a 63 ca (63 P 1326-1).

6 - Decoux-Lagoutte E.: Notes historiques sur la commune de Trélissac. Périgueux: Imprimerie de la Dor­dogne, 1900.

7 - ADD, 120 Trélis­sac et 3 E 10690.

8 - ADD, 12 0 Trélissac.

Page 12: Mémoire de la Dordogne

• Plan de la propriété de Mme Alfred Magne à Trélissac. 1894. A.D. 24, Fi ne. Photo A.D. 24.

une tout autre ampleur. Un grand nombre de parcelles étant déjà acquises autour du vieux bourg, la nouvelle demeure sortie de terre mérite un environnement à sa hauteur, et les vieux bâtiments communaux font désordre! Le Trésorier général du Loiret fait des propo­sitions : elles sont acceptées par délibération municipale du 10 décembre 1869. Alfred Magne s'engage à construire, du côté gauche de la route en venant de Périgueux église, presbytère, mairie, maison d'école, place publi­que avec puits et pompe ... en échange de la ces­sion du village 9 ! Après accord des autorités, le bourg de Trélissac s'installe sur son site actuel tandis que Monsieur et Madame Magne font clore d'un mur leur domaine et aména­ger à leur goût, tout autour de leur nouveau château, un vaste parc, dans lequel resteront longtemps des traces de l'ancien village, tan­dis que certains bâtiments sont démolis.

En 1878, L. de Lamothe en fait la des­cription pour ses lecteurs des Annales Agrico­les et Littéraires, non sans égratigner au passage les propriétaires:

« On se trouve (. .. J en présence d'une vaste enceinte, fermée de murs et de fossés, qui semble barrer le passage; et, sur le frontispice de la grande grille formant sa porte d'entrée, on lit en lettres dorées, avec les initiales du propriétaire, le mot: Trélissac. C'est au milieu de cette oasis, dont la clôture cache fâcheusement l'ensemble presque entier aux voyageurs, que s'élève le nou­veau château bâti par M Magne, ancien minis­tre des finances, et appartenant maintenant à son fils, receveur-général dans un département du Nord. L'édifice, dans la composition duquel on

remarque plusieurs styles, a de très belles parties et son aspect est, en somme, imposant. On voit surtout qu'il a dû coûter pas mal d'argent (. .. ).

Il est entouré de grands jardins, et de rian­tes promenades dont fait partie une île charmante située dans la rivière et reliée à ses autres dépen­dances par un pont (. .. J. Tout l'ancien village de Trélissac, église et presbytère compris, est enclavé dans ce parc, et y forme comme la garde d'hon­neur du château. Ce changement de destination s'est opéré par la vertu de la baguette d'or de M. Magne fils, qui a mis ainsi tout un bourg à ses ordres, avec l'ancien et modeste manoir dont se contentaient les anciens seigneurs du lieu. Du même coup la route a été déplacée et portée plus à l'ouest afin de permettre d'agrandir de quel­ques hectares la réserve du maître. En revanche celui-ci, fort heureusement plus qu'à son aise, a dû suppléer au chemin détruit par un chemin neuf d'égale largeur, continuant la voie publique et un nouveau Trélissac est sorti de terre tout près pour remplacer le centre devenu propriété particulière ... » JO.

C'est ainsi qu'il apparaît sur le plan de 1894 où l'on retrouve outre le nouveau châ­teau, la vieille église avec, juste à l'ouest, la rési­dence des Chaudru de T rélissac et, plus loin, vers l'est, des bâtiments d'exploitation et des fermes anciennes ou nouvellement construites.

Ouelles qu'aient été les motiva­tions ll}eS projets de Pierre et Alfred Magne ont, de toute manière, façonné pour longtemps le paysage trélissacois. L'église, le presbytère dont seul le jardin a été modifié, les bâtiments de l'école, aujourd'hui occupés par la mairie, demeurent près de la place dessinée à la fin du XIX e siècle. Et, dans le vaste enclos de l'annexe de l'hôpital, les bâtiments modernes côtoient, outre les deux châteaux de Trélissac, une ou deux constructions plus modestes, vestiges de l'habitat du début du XIXe siècle et, toujours debout, mais malmenée par la végétation, l'ancienne église qu'Abadie, en son temps, avait essayé de restaurer.

Michel COMBET Professeur à l'L UF.M Antenne de Périgueux

Note bibliographique

- DURIEUX Ooseph): Le mmlstre Pierre Magne 1806-1879, d'après ses lettres et souvenirs, Paris, Champion, 1929.

9 - ibid.

10 - L. de Lamothe : Voyages agricoles en Périgord. Périgueux: Annales Agricoles et Littéraires, t. 39, 1878, p. 5 et suivantes. La comparaison du plan de 1894 et des plans de section des cadastres, ancien et actuel, per­met de visualiser les modifications surve­nues au tracé de la route, à l'implanta­tion du bourg, etc.

11 - Considérés comme des bienfai­teurs par nombre de documents commu­naux trélissacoÎs du XIX' siècle, par Decoux-Lagoutte, Pierre et Alfred Magne (décédés en 1879 et 1878) ont, au­delà de leurs caprices, aidé la commune par des donations de ter­rains, politique suivie par leurs successeurs.

9

Page 13: Mémoire de la Dordogne

________ ESSAI D'ÉCRITURE

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Un essai d'écriture à la charnière âge du bronze final/1 er âge du fer (800-650 av. J.-C.).

Suite à l'exposition « Il était une fois l'écriture », qui inaugurait les nouvelles Archi­ves départementales à Périgueux, il nous a paru intéressant de rappeler, que quelques siècles avant l'arrivée de langues méditerranéennes (grec et latin), un essai d'écriture avait pris nais­sance en France au début du dernier millénaire avant Jésus-Christ.

Au cours de la période de l'Age du Bronze, en Europe occidentale et nordique, le style décoratif usuel des poteries, mais aussi des outils, des parures ou des armes, bannit, de façon quasi-permanente toute représentation humaine ou animale. C'est ce que les proto­historiens appellent communément « Le vieux style géométrique européen» (Briard, 1987, p. 133-134). Au contraire, en Europe méditer­ranéenne, on remarque au cours de la même période, une permanence des figurations humaines et animales, donc du Chalcolithique à l'Age du Bronze Final (2200 à 800-750 avant ].-c.).

Il faut attendre la phase terminale de l'Age du Bronze (IXe-Ville siècles av. ].-c.) pour voir enfin apparaître, en Europe tempérée, l'asso­ciation de motifs géométriques avec des repré­sent-ations humaines ou animales. Il semble que ce changement soit attribuable aux influences des premières civilisations de l'Age du Fer.

Le Périgord, qui s'intègre dans l'aire cul­turelle de l'Europe tempérée non méditerra­néenne, et plus particulièrement de l'Europe atlantique, est aussi touché par ce phénomène au cours de cette période charnière (Chevillot, 1981, p. 115, fig. 153 nO 3 - Chevillot, 1989, p. 178).

Des signes gravés sur les poteries:

C'est au cours des IXe et Ville siècles av. J.-c. que l'on constate l'apparition simul­tanée, notamment dans le centre-ouest et le sud de la France, de poteries ornées de bandes avec

des motifs variés dans lesquelles on a cru recon­naître des messages codés ou pictogrammes.

Ces motifs, parfois rehaussés par des pan­neaux peints en rouge, représentent des che­vaux, des oiseaux schématisés, des personna­ges stylisés, souvent groupés par trois, semblant danser une « ronde », des signes ondulés ou en chevrons, représentant probablement la mer ou l'Océan céleste, des chars, des symboles solaires ou autres signes mystérieux, qui vien­nent compléter ces assemblages qui sont le témoignage d'une pensée religieuse déjà com­plexe et vivace dans notre région.

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les pictogrammes en France : III Tableau

Les fouilles et les recherches récentes ont fait apparaître que c'est dans l'ouest et le sud de la France, à la fin de l'Age du Bronze, que la mode de figurations anthropomorphes, zoomorphes ou de chars, se développe. Cette mode va se poursuivre au cours de la phase ancienne du 1er Age du Fer sans hiatus (Briard, 1987, p. 138).

La série la plus remarquable par sa richesse et sa variété, provient du site d'habi­tat de Moras-en-Valloire dans la Drôme (Nico­las, 1978). Des plats décorés à l'intérieur de fri­ses incisées dans la pâte fraîche, présentent des métopes nettement individualisés, aux motifs

des signes. (d'après A. Nicolas, 1978),

Page 14: Mémoire de la Dordogne

et aux thèmes variés: géométriques, anthropo­morphes, zoomorphes, symboles, signes ...

o 10c,.,

Dans le sud de la France, le groupe de Mailhac, qui se place chronologiquement à la charnière Bronze Final / 1er Age du Fer, pro­duit lui aussi des séries de poteries avec des thè­mes anthropomorphes et zoomorphes, mais au caractère schématique plus affirmé (Guilaine, 1972, p. 324, fig. 129).

26

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Dans le centre-ouest, les fouilles récen­tes montrent que là aussi les pictogrammes prennent une place de plus en plus importante

à la fin de l'Age du Bronze et au début du 1er

Age du Fer: vases de la grotte de Rancogne, de la grotte du Quéroy à Chazelles [voir il!. page suiv. haut] ou de la grotte des Perrats à Agris en Charente (Gomez, 1980) ; site d'habi­tat de Castel-Réal à Siorac-en-Périgord en Dor­dogne (Chevillot, 1981) ; Saint-Aoustrille dans l'Indre et le Camp Allaric à Aslonnes dans la Vienne (Pautreau, 1972).

Une étude d'ensemble de ces différents signes idéogrammiques est en cours et devrait apporter rapidement des éléments pour une meilleure compréhension de ce phénomène d'un premier essai d'écriture, manifestement intimement lié à des pratiques religieuses.

Les pictogrammes ont-ils une signification?

Le message délivré par ces signes symboliques est complexe et difficile à déchif­frer. Toutefois, parmi eux, il est facile d'identifier: -la représentation humaine, isolée ou groupée, avec des personnages se tenant par la main et dansant« une ronde}} (souvent au nombre de trois). Pour la majorité des auteurs, la « ronde }} ainsi évoquée est la représentation d'une danse rituelle, une « sardane}} pour J. Guilaine (1972, p.324). - des animaux: frises d'animaux à deux pattes et long cou, curvilignes, qui font hésiter entre une représentation de cheval ou de cygne (deux symboles liés au Culte solaire) comme on en connaît à Moras-en-Valloire [voir il!. page suiv. bas]; chevaux parfois fortement stylisés, sou­vent associés à un char; chevaux-cygnes repré­sentés au-dessus d'une ligne ondulée ... - des représentations de chars, plus ou moins schématisés, à 2 ou 4 roues; - des symboles solaires: svastika, cercles con­centriques, soleil rayonnant; - des représentations de l'eau et de l'Océan: lignes ondulées; - des symboles géométriques variés, difficiles à interpréter: ponts, peignes dos à dos, signe lIb A 1 d . omega, carres em oltes, amlers ...

Il est évident que la place de ces divers éléments a une grande importance. Par exem­ple, on retrouve les chevaux souvent placés devant un char, les cygnes au-dessus d'une ligne ondulée représentant l'océan, etc. Mais actuel­lement, sans une étude exhaustive d'ensemble de ce phénomène, il est encore difficile de par­venir à une interprétation correcte du rôle et de la disposition de ces signes, donc de leur signification.

• Céramique incisée de Moras­en-Valloire. On dis­tingue nettement cinq registres su­perposés d'inscrip­tions : trois séries de signes utilisés indépendamment ou par groupes, chaque registre étant séparé de l'autre par une frise: ronde d;an­thropomorphes, et suite d'animaux stylisés (oiseaux ou chevaux). Re­marquons que les motifs sont sépa­rés les uns des autres par des bar­res verticales. (d'après A. Nico/as, 1978).

• Bronze final III/B. Groupe Mailhac 1. Principa­les représentations schématiques inci­sées sur cérami­ques : 1 à 17, per­sonnages ; 18 à 22, quadrupèdes; 23 à 26, chevaux tirant des chars? 27 à 30, chevrons et triangles incisés; 31 à 37, méandres symétriques. (d'après J. Gui/aine, 1972).

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Page 15: Mémoire de la Dordogne

• Vase à pictogrammes de Rancogne, Cha­rente. (d'après J. Gomez, 1980).

12

En conclusion

L'association, au cours de l'Age du Bronze Final, de motifs géométriques variés et de représentations humaines et animales en des ensembles cohérents, montre une organisation qui incite à penser qu'il s'agit d'un système de picto-idéogrammes qui exprime des messages, en fait une écriture codée, ou des pensées pro­bablement à implication religieuse. Ce phéno­mène est actuellement connu·au sein de popu­lations indigènes de la fin de l'Age du Bronze qui ont assimilé des influences méditerranéen­nes et de l'Europe centrale et nordique.

En effet, on commence aussi à reconnaέtre des poteries ornées de décors idéogrammi­ques dans d'autres régions d'Europe et notam­ment d'Europe centrale et nordique (Briard, 1987, p. 144-145).

Du mythe du cygne céleste voguant sur l'océan, en passant par les animaux bipèdes à long cou défilant au-dessus de motifs en vagues ou dé chevrons, aux « sardanes» de personna­ges se tenant par la main ou encore par les symboles solaires ou mystérieux, une certaine unité se dégage de ce premier essai d'écriture en France à la charnière du Bronze Final et du 1er Age du Fer (800-650 av. J.-c.). Ce phéno­mène est le témoignage, le message codé, que nous ont laissé nos prédécesseurs de ces com­munautés de paysans et d'artisans qui ont humanisé nos paysages et fait nos terroirs, et dont nous nous éloignons, hélas, de plus en plus, tant dans la pensée que dans le mode de VIe ...

Christian CHEV/LLOT Membre associé du CNRS, UPR 403,

Université de Rennes 1 et Centre Pierre-Paris Université de Bordeaux III

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Bibliographie sommaire

- BRIARD J. : Mythes et symboles de l'Europe pré celtique, Les religions de l'Age du Bronze (2500·800 av. J-C), Ed. Errance, Paris, Coll. des Hesperides, 1987, 180 p., ill.

- CHEVILLOT C. : La civilisation de la fin de l'Age du Bronze en Périgord Arc, 1, Ed, Mediapress, Périgueux, 1981, 215 p., 200 pl.

- CHEVILLOT C. : Sites et cultures de l'Age du Bronze en Périgord, Archéologies 3, Ed, Vesuna, Périgueux, 1989, 2 tomes.

- GOMEZ J. : Les cultures de l'Age du Bronze dans le bas· sin de la Charente, Imp. Fanlac, Périgueux, 1980, 120 p., 84 fig.

- GUILAINE J, : L'Age du Bronze en Languedoc occiden· ta4 Roussillon, A riège, Mémoire nO 9 de la Soc, Pre'hist Fran· çaise, 1972, 360 p.

- NICOLAS A. : « Inventaire des picto-idéogrammes de la fin de l'Age du Bronze et du début de l'Age du Fer »,

Bull. Soc. Préhist. Française, t. 75, 2, 1978, p. 56-64,4 fig.

- PAUTREAU J-P. : « Un vase hallstattien à décors anth­ropomorphes au Camp Allaric, commune d'Aslonnes (Vienne) », Bull. Soc. Préhist. Française, t. 69, 7, 1972, p, 218-224, 3 fig.

• Vase à pictogrammes, Le Queroy, Cha­rente. (d'après J. Gomez, 1980).

• Char, Moras-en-Valloire. (d'après A. Nicolas).

Page 16: Mémoire de la Dordogne

Compte-rendu.

ELOI Oean·Serge) : De la communauté à la société,' l'évolution du monde cheminot à Périgueux depuis la fin du 19ème siècle. Mémoire présenté en vue d'un D.E.A. de sociologie sous la direction de Fr. Dubet, Université de Bordeaux II, 1991-92. Dactyl., 123 p. + annexe.

lOS. Eloi, agrégé de Sciences Sociales, aborde un univers familier. Son père, ensei­gnant, a connu une courte expérience des che­mins de fer et lui a ouvert tout un réseau de relations syndicales et politiques. Son grand­père, H. Thomasson (1890-1959) était chemi­not. Tout naturellement, l'auteur a eu recours à la technique de l'entretien (une quarantaine dont 25 approfondis,i Périgueux compte 3 000 retraités). loS. Eloi s'appuie sur une bibliogra­phie dans laquelle Marx et le marxisme occu­pent encore une place honorable tout comme Durkheim ou Halbwachs. Les sociologues con­temporains sont très présents avec en peloton de tête, A. Touraine, Fr. Dubet et M. Verret. Du côté des historiens, Annie Kriegel est abon­damment citée de même que la géographe péri­gourdine, M.-L. Meaux, dont le travail est lar­gement mis à contribution. Au total et sans M.­L. Meaux, plus de 110 références ou citations qui n'alourdissent pas le texte, n'enlèvent rien à l'élégance de l'ouvrage, ni à la chaleur dis­tanciée du ton qui le rend si attachant.

Le travail de loS. Eloi s'organise en deux parties d'inégale importance. La plus longue est consacrée à «la communauté de classe des cheminots de Périgueux» ; la seconde « à la dilu­tion sociale de la communauté et aux mutations du travail ». Le premier volet se divise en deux chapitres inégaux. La communauté homogène est décrite fortement en cinq sous-chapitres que viennent nuancer les trois que consacre le second chapitre à « une communauté stratifiée ».

La première partie prend comme point de départ l'affirmation d'A. Kriegel selon

BIBLIOTHÈQUE

laquelle « la population cheminote de Périgueux ne se fond pas dans la population générale mais se fixe à son flanc dans un quartier périphérique, celui du Toulon ». Cette vérité assénée plus que démontrée est nuancée par J.-S. Eloi au fil de son étude. Elle est à coup sûr fausse au moment où l'auteur fait naître la communauté en 1857 ou 1864. Elle est encore en partie erronée vingt ans après et même à la fin du siècle: les cartes postales publiées alors montrent les ouvriers à la sortie des Ateliers s'engouffrant massive­ment dans la rue Victor Hugo, ce qui, dans ce sens, n'est pas la direction exacte du Toulon ...

Le développement touchant aux origines • Sortie

et qui s'éloigne un peu des limites du SU)' et des ouvriers des Ateliers du P.O.

0< depuis la fin du X/Xe siècle ») prête à discus-sion sur bien des points: majoration de la place des «hommes de fer », affirmation qu'il n'existe pas de description des ateliers permet-tant d'étudier le niveau technique que démen-tent l'article d'Eugène Massoubre (1865) et la note du Congrès Scientifique (1876). D'une manière plus générale, on regrette que les incursions historiques se bornent à signaler comme sources, sans autre précision, « Archi-ves départementales de la Dordogne ».

Le chapitre premier, qui dessine les traits d'homogénéité de la communauté, est fort bien condensé dans son introduction. « A Périgueux, jusque dans les années soixante, on a l'image d'un

Carte postale. Col/. P. Pommarède.

13

Page 17: Mémoire de la Dordogne

14

groupe social enraciné dans une communauté de travail dont les pratiques de consommation relèvent d'un mode de vie spécifique. Groupé sur un territoire urbain délimité, syndicale­ment proche de la C.G.T. et politiquement du P. C.F., sa sociabilité passe par un réseau d'asso­ciations dont un club sportif qui lui est pro­che ». « Gens de métier et conscience frère» survole la condition ouvrière des origines à 1960 en insistant sur le savoir-faire, le perfec­tionnisme, la dureté des apprentissages, la capa­cité d'innover, les stratégies de reproduction sociale, une tendance à l'hérédité profession­nelle, les stratégies matrimoniales. Toutes ces pistes passionnantes ne peuvent être que bali­sées par quelques entretiens. il reste à appro­fondir et donc à quantifier.

L ' 'l" es pages consacrees a economat sont riches et originales. L'étude de l'influence de la C.G.T. et du P.C. rejoint les travaux d'A. Kriegel mais apporte aussi des lumières sur les développements qui ont suivi les gran­des grèves de 1920. Les liens étroits entre C.G.T. et P.c. sont abordés de manière con­crète et vivante et s'incarnent dans les figures du mouvement ouvrier. La vie associative et les loisirs « se situent au croiSement des politi· ques patronales d'intégration, des capacités d'auto· organisation ouvrière et de l'action du catholi· cisme social (La Ruche) ».

Le chapitre II nuance le premier en met­tant en lumière les stratifications. On regrette que les divers métiers au sein des trois grands « services» de la Compagnie d'Orléans ne soient pas mieux hiérarchisés, que jamais l'opposition entre « les commissionnés» et le

prolétariat plus instable des non­commissionnés ne soit pas mentionnée, ni la hiérarchie de type militaire s'exerçant sur un prolétariat en uniforme, ni les rapports avec les ingénieurs et la Compagnie, ni la diversité des origines géographiques des qualifiés et des non-qualifiés. En revanche, la prééminence des roulants de la Traction est bien mise en valeur.

La deuxième partie, ancrée dans l'étude du présent, analyse « la dilution sociale de la communauté et les mutations du travail ». Cette évolution est marquée par l'effondrement mas­sif des effectifs cheminots: 1 300 actifs contre 3 000 retraités vivant la « conscience nostalgi­que». Les cheminots s'intègrent dans les moda­lités de la consommation de masse: ils sont partie prenante dans la «rurbanisation», l'essor des grandes surfaces. On devient apprenti SNCF comme on va au LEP. Le Tou­lon n'est plus ce qu'il était. Le travail connaît une mutation. Conformément au schéma d'A. Touraine, l'ouvrier prend un profil de technicien. La mission des Ateliers a changé, leurs techniques aussi: machines à commande numérique et informatique ont fait leur entrée en force. La conscience syndicale s'est modi­fiée: recul de la syndicalisation et de l'organi­sation la plus importante, la C.G.T. et mon­tée de la C.F.D.T.

Au total, cet ouvrage riche et bien écrit apporte un éclairage intéressant sur une com­munauté de travail dont le rôle a été essentiel dans le devenir de Périgueux.

].-E. BONN/CHaN

Origine géographique des travailleurs du chemin de fer (recensement 1876)

Do

1 à 4

5 à 14

.15 à 49

.50et+

Extrait de " Les hommes du chemin de fer à Périgueux à l'aube de la Ille République" par J.-E. BONNICHON

Page 18: Mémoire de la Dordogne

ARCHIVES/ARCHÉOLOGIE

L'archéologie préhistorique: une science sans archive?

« (..J Seuls les préhistoriens ne disposent que d'une seule sorte de témoins: ceux qui appartien­nent à l'archéologie. La définition de leur domaine est même fondée sur ce trait: une popu­lation entre dans l'Histoire quand elle commence à utiliser l'écriture (. .. ) ».

Gilles Gaucher «Méthodes de recherche en Préhistoire»

Presses du CNRS, 1990

Les préhistoriens, par définition, ne sont donc amenés à consulter, et pour cause, des témoignages écrits contemporains des périodes qu'ils étudient. Les seuls que l'on pourrait admettre seraient les expressions artis­tiques et symboliques assimilables à une expres­sion écrite mais non décryptée. Celles-ci, selon le support, peuvent être étudiées sur le site lui­même (art pariétal), ou sont conservées dans des lieux spécifiques, les musées d'archéologie préhistoriques ( objets mobiliers).

C'est donc désespéré, direz-vous? Nous ne rencontrerons donc jamais un préhistorien

consultant les archives écrites ? Si les témoigna-( ges directs ne sont pas présents, en existe-t-il d'autres qui peuvent être utiles à l'archéologue dans sa démarche de compréhension des civi­lisations préhistoriques?

Si l'archéologue s'appuie uniquement sur l'analyse des vestiges, leur étude n'en n'est pas moins conditionnée par un certain nombre d'événements que nous appellerons contex­tuels. Ces événements sont d'ordre naturel liés aux actions biologiques (animaux, végétaux) et géologiques (formation de dépôts selon la cli­matologie et la géographie physique locale) conjugués avec des actions d'origine humaine dites anthropiques:

• les actions humaines contemporaines des dépôts (aménagement et structuration des sols par exemple) font partie intégrante de l'ensemble étudié.

• les interventions postérieures au dépôt mais très anciennes posent souvent problème aux préhistoriens qui ont pour seuls recours l'observation et l'investigation archéologique pure (recherche d'indices pouvant dater et caractériser cette intervention humaine).

• Plan d~ la grotte de Miremont (Rouffi­gnac) dressé par Duvaucelle, ingé­nieur des Ponts-et­Chaussées. Fin 18" siècle. A.D. 24, 1 Fi Rouffi­gnac 1. Photo A.D. 24.

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Rédts, clessi .. n"s, ··tQPonyfnes. eP.raèin~tla n:tétn()jte'de' site$·aichéologiq'Qt!$plti$f;>~. p:ioin,,$di~~$. , ' ' ',' ',:'", " " ',"" :' ",', ,{" " " ')

• Partie de la province du Périgord traversée par la route gaul~ise de Vannes à Marseille, par Marteyrol-Soulelie. AD. 24, 1 Fi Dordogne 77. Photo AD. 24.

• pour les interventions les plus récen­tes, il est possible de trouver des écrits ou docu­ments qui répondent uniquement à des ques­tions contextuelles ou environnementales, très exceptionnellement à des questions de nature archéologique, sans parler des écrits archéolo­giques anciens normalement connus des archéologues parce que publiés dans des revues spécialisées de sociétés savantes comme la « société historique et archéologique du Péri­gord» (S.H.A.P.), ou plus spécialisées comme la « société préhistorique française» (S.P.F.), pour n'en citer que deux.

Des écrits, des descriptions, des gravu­res, voire des photographies anciennes, don­nent des renseignements à l'archéologue sur un état des lieux qui peut éclairer la compréhen­sion du site qu'il a investi. C'est le cas surtout des sites où l'occupation humaine a duré jusqu'à nos jours. Ces documents peuvent être des archives ecclésiastiques ou seigneuriales ou notariales liées au site et qui donnent éventuel­lement des descriptions pouvant expliquer des aménagements ou remaniements du passé uti­les pour la compréhension actuelle du gisement préhistorique.

Au défaut d'autres mallas l'econn~s en I?érigorJ, passons aux ·àh.',.om­lecks ou menhirs qu'on y yoÎt. Il en existait un dans le voisinage de la vil1e d'E-:o.cideuil, sur l(! chemin qui mène 1. S~tint-Sulpice, entre les communes de Saint-Médard ct de Clermont. On y trouve encore aujourd'hui quelques pierres dl..<bout qui semblent y ôlvoît" été posées sanS ordre, parce, qu'un grand nombre de ces l'euhans ont été bi'isés, et que d>autres ont étè enlevés C11 et là. ('.c qui néc(~sairemcnt a tlli­truit leur ensemhle. La fatalité attachée il tout ce qui tient il nos mo­lmmens' antiques_ a youlu (lue les nombreux maîtres de forges de ces cantons reconllussent duus ces pierres J'E::\cideuil la propriété de ré­sist('r à l'action du feu le plus violent, et cette découverte çst la cause de la dégradation de la }llus grande partie des masses énormes qui formaient ce vaste monumeut gaulois. connu dàns le pays sous le nom de lels Peyras bnmas (les piélTes brunes).

n'après [es renseignemells les plus eXfic.ts <lue j'aie pu me procurer(I). il Il'y a guère plus de 30 ans que ces granùs obélisques formaient onze ou donze rangées. el il y.<1 il peine 20 ailS que l'on en comptait encore plus du deux cents sur pied. Ces lignes de pierres allaj(~nt jusqu'à la V ruade, commune de St . ..sulpicc, où elles ont été détl'uites pour etû­pierrer un chemin YÎcinu.L

(.) Je les ai Uhtcll1t5 de plusieurs ù;iliiums. 1.rinciprucmcnL de nI. Soaldie ....

• Taillefer (Wlgrln). Antiquités de Vésone. Périgueux, t. 1, 1821, p.17S.

li peut également s'agir de récits de chro­niqueurs, voyageurs, naturalistes qui, visitant ou investissant une région, ont pû observer, décrire, ou étudier de vieux sites ou monu­ments intéressant la préhistoire. Ce sont sou­vent des vestiges présentant des aspects spec­taculaires qui ont quelquefois laissé des traces dans la toponymie locale ... Nous pouvons citer les mégalithes à la symbolique forte et dont les descriptions passées, voire les dessins et gravu­res, peuvent être précieux lorsque ces monu­ments ont été déplacés ou détruits (voir enca­dré ci-dessous). C'est aussi le cas de certaines grottes ou cavités dont nous possédons quel­ques descriptions et croquis anciens comme la grotte de Rouffignac.

En résumé, c'est dans l'étude du con­texte - histoire du lieu ou du site - que le pré­historien a recours aux archives, mais non dans l'élaboration de sa connaissance des civilisa­tions préhistoriques elles-mêmes qui fait appel à d'autres documents originaux et spécifiques à chaque site: les vestiges enfouis dans le sol.

Serge MAURY Archéologue départemental

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1 - Bibliothèque muni­cipale de Bordeaux, Ms 828-CVL

2 - Archives départe­mentales de la Dordo­gne Ms 29.

3 - LECLER (A.), « Beaumesnil »,

BSHAL, XIX, 1869, p. 27-30; GUIBERT (L.), « Anciens dessins des monuments de Limoges », BSHAL, XLIX, 1900, p. 48-59.

4 - ESPERANDIEU (Emile), Recueil géné­ral des bas-reliefs de la Gaule romaine, t. II, Aquitaine, Paris, 1908, 1293 et 1313.

5 - Acta Sanctorum, An. Boil. Antuerp., 1695, t. 1, p. 7 et 8; rapporté par DUPUY a.), Estat de l'église du périgord, Périgueux, 1629, p. 60. Gall. Eccles. Hist., t. 2, c. 13, fol. 25-32 à Bosquetto, Parisiis, 1636. TAILLEFER (Wlgrin de), A ntiquités de Vésone, cité gauloise, remplacée par la ville de Périgueux, ou des­cription des monu­ments religieux, civils et militaires de cette antique cité et de son territoire, t. l, Péri­gueux, 1821, p.324-325.

6 - AUDIERNE (Abbé), Le Périgord illustré, guide monu-

. mental, statistique, pit­toresque et historique de la Dordogne, Péri­gueux, 1851, p. 286.

ARCHIVES / ARCHÉOLOGIE

Historiographie de Périgueux antique.

L'archéologie classique périgourdine, il faut bien l'avouer, se résume à Périgueux antique. Nous savons bien peu de choses des campagnes et les travaux des historiens locaux nous livrent peu d'informations. Quelques grands sites sont connus par les fouilles ancien­nes, Montcaret, Chamiers ou plus récemment Petit-Bersac, Lussas-et-Nontronneau; d'autres par quelques découvertes sans avoir réellement fait l'objet d'observations archéologiques, comme Tocane-Saint-Apre.

Il faut dire que les monuments en ruine de Périgueux, témoins imposants d'un passé brillant, avaient de quoi impressionner les con­temporains de toutes les époques. C'est surtout à partir du XVille siècle, sous l'impulsion de Jean Chrétien de Macheco de Prémeaux, évê­que de Périgueux de 1731 à 1771, que se répan­dit le goût des antiquités et que débutèrent les premières fouilles dans ce monument insolite qu'est la tour de V ésone. En 1759, Jourdain de la Fayardie adressait à l'Académie de Bordeaux un mémoire, complété par des plans et des illustrations, décrivant de façon plus ou moins exacte les différents monuments antiques 1.

Entre 1763 et 1784, un personnage sin­gulier, Beaumesnil, vint plusieurs fois à Péri­gueux. Ayant embrassé la profession de comé­dien afin- de mener une vie itinérante, il fut chargé, en 1780, par l'Académie des Inscrip­tions et Belles Lettres de recueillir les dessins des antiquités. Il rédigea un manuscrit sur les antiquités découvertes à Périgueux, de 1769 à 1779, et un «supplément aux monuments» découverts vers la fin de 1783 2• Artiste de grand talent, à l'imagination féconde, ses des­sins et ses observations furent cependant très contestés 3. A propos d'une stèle fort effacée du Musée du Périgord et, présentée comme une stèle érotique par Beaumesnil, Emile Espéran­dieu parle de lui comme d'un «faussaire éhonté dont les dessins, le plus souvent immoraux, ne méritent aucune créance» 4. Cependant, ce bas­relief en calcaire local, aujourd'hui fort dégradé, présente bien les vestiges de la scène décrite.

Pour définir la topographie de V ésone, les érudits disposaient de deux sources: les res­tes visibles des monuments, et en particulier la Tour de V ésone dont la destination initiale était oubliée, mais qui s'imposait par ses dimen­sions comme un temple, et la vie des saints évangélisateurs du Périgord dont les récits par­laient de divinités diverses s. La tradition 6

rapporte que l'on adorait dans la Tour de V ésone un dragon à sept têtes que fit périr saint-Front, premier évêque supposé de Péri­gueux, lequel par la puissance de sa bénédic­tion y aurait ouvert la brêche encore visible

• «Restauration de la Tour de Vésone., d'après Taillefer (1815) avant ses fouilles. Taillefer, antiquités de Vésone, 1821, t. 1, pl. IV. Photo A.D. 24.

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• « Principaux monumens de l'ancienne Vesune comme ils devaient être à la fin du le, siècle .. , lavis de Taillefer. A.D. 24, Ms 29.

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aujourd'hui. Les récits hagiographiques men­tionnent également l'existence du culte de Mars et de Jupiter. « Le temple de Mars, dépouillé de ses vaines idoles ... fut consacré au culte de Saint Etienne, premier martyr. C'est de ce temple que Fronton (Saint Fron~ fit sa cathédrale» 7. Tous les historiens locaux vont reprendre ou discu­ter pendant tout le XIXe siècle ces données con­nues par les sources.

Mais c'est bien le comte Wlgrin de T ail­lefer (1761-1833) qui fait figure de pionnier de l'archéologie périgourdine. Aidé de son fidèle ami Joseph de Mourcin (1774-1856), il comprit l'intérêt présenté par les ruines antiques et con­sacra sa fortune à leur conservation. Il publia les Antiquités de Vésone, le premier ouvrage d'ensemble relatif à l'archéologie périgour­dine 8. Il mena sa recherche à partir des sour­ces et de l'épigraphie connues. Il a aussi tenté de justifier rigoureusement ses hypothèses par des observations des ruines elles-mêmes ou par

1 - Temple de Mars.

2 - Porte qui existe encore sous le château de Périgueux.

3 - Enceinte fortifiée et ornée par les Pompées.

4 - Emplacement du château Barrière.

S - Amphithéâtre dont on voit encore les ruines, on le croit fait par Soter.

6 - Les basiliques bâties par Soter, affranchi de Néron.

7 - Statue de Soter qu'une inscription fait présumer lui avoir été élevée.

S - Statue de Vinicius élevée par la colonie de Narbonne.

des découvertes archéologiques. C'est à juste titre qu'il apparaît comme le premier vérita­ble archéologue du Périgord.

En 1810, il réalisa un lavis figurant « les principaux monumens de l'antique Vésune, comme ils devaient être à la fin du jer siècle» (voir encadré ci-dessous et quatrième de cou­verture en couleur) 9. Ce document excep­tionnel annoté, a longtemps été attribué à Beaumesnil. Cependant une étude récente 10

démontre qu'en fait son auteur est bien T ail­lefer. Ce lavis présente un tableau fort sédui­sant du centre de V ésone. Reprenant les détails tirés des récits hagiographiques, Taillefer pro­pose le temple de Mars (lavis, nO 1) à l'empla­cement de l'église Saint Etienne et en fait avec son péristyle « un des plus vastes de toutes les Gaules ». Il l'envisage comme « un parallélo­gramme rectangle entouré d'une colonnade » ...

La lecture des inscriptions l'amène à considé­rer qu' « il était défendu par une enceinte vaste

9 - Temple de Neptune, son existence est prouvée par les fragments de décoration trouvés à cette place.

la - Temple de Jupiter. La chronique annonce son existence.

11 - Tour de Vesune telle qu'elle devait être. C'était un temple de Isis.

12 - Aqueduc de Marullius, duumvir de Vésone et pont pour aller au camp.

13 - Camp de César.

14 - Fontaine sacrée appelée de Ste Sabine nommée aussi Laurière.

7 - TAILLEFER, l, p.235.

8 - TAILLEFER (Wlgrin de), Antiqui­tés de Vésone, cité gau­loise, remplacée par la ville de Périgueux, ou description des monu­ments religieux, civils et militaires de cette antique cité et de son territoire, 2 volumes, Périgueux, 1821-1826.

9 - Archives départe­mentales de la Dordo­gne, Ms 29.

10 - LACOMBE (Claude), «Eléments pour une histoire de la Tour de V ésone du Moyen Age à nos jours», Documents d'Archéologie Péri­gourdine (A.D.R.A.P.), t.2, 1987, p. 59-64.

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• Fouilles de Vésone. Extrait du plan d'ensemble. Compte-rendu de 1907 par Charles Durand. Photo A.D. 24.

11 - TAILLEFER, I, p. 326-328 ; II, p. 29-136.

12 - TAILLEFER, II, p.434-446.

13 - TAILLEFER, I, p.328-343.

14 - TAILLEFER, I, 343-346.

15 - TAILLEFER, I, p.345.

16 - TAILLEFER, I, pl. IV.

17 - TAILLEFER, I, p.343.

18 - DURAND (Charles), Fouilles de Vésone, Compte­rendu de 1906, Péri­gueux, 1906 ; Compte rendu de 1907, Péri­gueux, 1908 ; Compte rendu de 1908, Péri­gueux, 1910 ; Compte rendu de 1909, Péri­gueux, 1911 ; Compte rendu de 1910-1911, Périgueux, 1912 ; Compte rendu de 1912-1913, Périgueux, 1920.

19 - BARRIERE (Pierre), Vesunna Petrucoriorum, His~

toire d'une petite ville à l'époque gallo­romaine, Périgueux, 1930.

et fortifiée ornée d'un péristyle dans son pour­tour intérieur» (lavis, na 3), ouverte à l'est par la Porte de Mars (lavis, na 2) et élevée par un des fils de Pompée 11.

Les récits de la vie des Saints lui permet de proposer l'existence d'un temple de Jupi­ter (lavis, na 10) qu'il restitue au sud du tem­ple de Mars. De même, grâce à la découverte de fragments de corniches, de chapiteaux et de colonnes décorées, de coquillages, dauphins et tritons, il envisage un temple consacré à Nep­tune (lavis, na 9) qu'il place dans ce centre cul­tuel. Pour compléter sa vision de V ésone, il dote la ville de grandes familles «histori­ques » 12 et présente les statues des principaux notables (lavis, na 7 et na 8).

li n'arrête point là ses investigations. En 1820, il va reprendre les fouilles de la Tour de V ésone et dégager le mur circulaire formant le péristyle extérieur 13. li cherche à définir, à partir de ses observations archéologiques, la divinité qu'abritait ce lieu 14. Taillefer était un homme-de son temps qu'avait séduit la décou­verte de la civilisation égyptienne pendant la campagne de Bonaparte. Aussi, la forme cir­culaire, la présence de galeries souterraines des­tinées «à cacher des mystères» 15 l'amènent à conclure que ce temple était dédiée à Isis, la lune. li en proposa une restitution inspirée du Panthéon à Rome 16. Le temple périptère repose sur un podium auquel on accède par un escalier. L'entrée se fait à l'est par un vestibule donnant accès à la cella dépourvue de toiture. Ce temple apparaît alors comme « un des plus magnifiques de la Gaule et peut-être de tout l, p' 17 em zre ... » .

Ses successeurs, pendant tout le XIXe siè­cle particulièrement fécond en notices archéo­logiques, vont reprendre ou corriger ses hypo­thèses en fonction des nouvelles découvertes.

Au début du XXe siècle, Charles Durand apparaît comme le précurseur de l'archéologie moderne. li pratique des fouilles de 1906 à 1913

• 1 • • •

avec une ngueur et une preClSlon toutes SCIen-tifiques et sonde le centre monumental de

. V ésone. Ses Comptes Rendus 18 illustrés de relevés précis et objectifs restent encore aujourd'hui la base de toute étude sur V ésone.

La riche synthèse sur Vesunna Petruco­riorum de Pierre Barrière 19 va clore une épo­que et servir de base à une nouvelle archéolo­gie. Il se trouve qu'avec les grands travaux de ces dix dernières années, l'archéologie classi­que est en pleine mutation. Mais ces nouvel­les observations ne peuvent apparaître réelle­ment significatives sans les données anciennes.

Tous ces ensembles complétés par les bulletins de la Société Historique et Archéo­logique du Périgord, le journal l'Echo de V ésone relatant les grands travaux du siècle der­nier et leurs découvertes archéologiques, cons­tituent un fond documentaire inépuisable pour tout archéologue.

Claudine GlRARDY-CAILLAT Ingénieur, Service Régional de l'Archéologie,

D.R.A. C. Aquitaine.

III Périgueux. . ZAC de la Visita­tion. Fouilles 1987. Maison gallo­romaine longée par une rue et agré­mentée d'un jardin et d'un bassin. Photo CI. Girardy-Caillat.

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Page 23: Mémoire de la Dordogne

1- L'opinion de l'abbé Legros, contemporain de Beaumesnil, corro­bore cette constata­tian: « ce savant excellait dans l'art de dessiner l'antique. Mais les observations qu'il joignait à ses des­sins il' étaient ni pures, ni correctes, ni sou­vent judicieuses ... »,

dans Bulletin de la société historique et archéologique du Li· mousin XXXI (1883), p.140.

2 - A.D. 24. Ms 29. Ces folios faisaient partie des archives du ministre Bertin.

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ARCHIVES / ARCHÉOLOGIE

Le cahier de dessins de Pierre Beaumesnil.

Pierre Beaumesnil, qui a vécu au XVIIIe siècle, était un comédien itinérant que ses péré­grinations avaient amené à donner des repré­sentations théâtrales dans nombre de villes du sud-ouest de la France. TI joignait à ses dons de comédien des qualités d'une autre nature: il se passionnait, en effet, pour l'étude de l'anti­quité des Gaules et ses travaux avaient été à ce point remarqués qu'il avait été nommé mem­bre correspondant de l'Académie des Inscrip­tions et Belles-Lettres. Ainsi, suivant les endroits où il accomplissait ses déplacements, il étudiait les antiquités locales et réalisait des rapports qu'il expédiait à Paris. C'est pourquoi il nous reste de lui des documents traités de manière fort particulière qui méritent que l'on s'y attache.

Les comptes-rendus de Beaumesnil à l'Académie se présentent de façon originale: ce sont des dessins pour la plupart à la plume,

1 1 d'Il 1 souvent agrementes aquare es, accompagnes de quelques lignes de texte qui se veulent expli­catives, mais qui ne sont en fait que des com­mentaires succints renfermant, comme dans la plupart des documents un peu anciens, plus d'interprétations que de renseignements qui nous seraient actuellement vraiment utiles 1.

On ne sait trop comment l'un de ses cahiers a abouti à Périgueux, mais le fait est que des dessins qui sont incontestablement de la main du comédien figurent sur une vingtaine de folios conservés aux Archives départementa­les de la' Dordogne 2. Ils ont été réalisés lors du voyage qu'a accompli le comédien dans la province en 1763 et donnent une image de nos monuments antiques antérieure à la Révolu­tion. Le comte de Taillefer, lui-même, s'est servi à maintes reprises de ces travaux lorsqu'il a écrit les « Antiquités de V ésone ».

Ces dessins représentent quelques monuments, dont la plupart sont aisément identifiables, et bon nombre d'inscriptions. C'est à propos de ces dernières que se mani-

festent de graves réserves: O. Hirschfeld, le concepteur du Corpus Inscriptionum Latinarum (C.IL.) t. XIII, qui concerne les Gaules écrit clairement, lorsqu'il aborde le chapitre concer­nant Limoges: «ce faussaire impénitent a recueilli des inscriptions de cette région et en a, de manière honteuse, perverti ou introduit

des fausses. J' ai classé les inscriptions que je ne connais que par Beaumesnil parmi les fausses ».

Quant à C. Jullian, lorsqu'il évoque les dessins du comédien qui concernent Bordeaux, il ne s'embarrasse pas de formules: « il a copié quel­ques inscriptions sur les originaux avec assez d'inexactitude; il a dédoublé ces inscriptions en donnant des variantes qu'il imaginait lui­même et dont il faisait de nouveaux textes; il a dessiné des monuments qui n'existaient pas en y appliquant des inscriptions qu'il copiait

• «Je croi­rois que la ville a été appelée du nom de ce monu­ment: car enfin ptolémée la nomme et Vissune et Vizone ... ".

Page 24: Mémoire de la Dordogne

• «Restes d'un grand édifice quarré,... appelé vulgairement le palais romain ... ".

3 - c. J ullian, Inscrip­tions romaines de Bor­deaux, tome II, Bor­deaux, 1890, p. 254-258.

4 - L'abbé Legros dit de lui: « Le priapisme était son goût favori: il y rapportait toutes ses recherches ... »,

ibid.

dans les livres; il a enfin fait des inscriptions à l'aide des titres, sous-titres ou membres de phrases de livres imprimés ( ... ). A Bordeaux, il est certain qu'il n'a copié aucune inscription sur l'original» 3. Après avoir lu cela, com­ment peut réagir un chercheur lorsqu'il se trouve confronté à un dessin qu'il sait être de Beaumesnil? Il va sans dire que pour lui, la prudence est de mise; c'est donc en pleine con­naissance de cause qu'il consultera ce recueil et se servira des dessins de monuments, de bas­reliefs et d'inscriptions que le comédien nous a laissés.

Si nous considérons les planches de . , monuments encore eXIstants, nous pouvons a l'évidence déduire que l'artiste a mis à contri­bution son imagination, mais sans exagération; en effet, sa vision idéale de la tour de V ésone semble moins absurde que les reconstitutions imaginées par l'abbé Audierne de l'oppidum de la Curade. En revanche, si les dessins légè­rement enjolivés de deux des portes de la ville permettent d'identifier celles-ci à la porte Nor­mande et à la porte de la Boucherie, les légen­des qui les accompagnent témoignent d'une certaine confusion; peut-être tout simplement, le dessin réalisé, le comédien s'est-il retiré à l'abri pour écrire ses commentaires. Par ail­leurs, le dessin de l'énigmatique «Palais Romain », qu'il identifie au tribunal des décu­rions, semble plus sujet à caution, puisqu'il s'agit d'un monument dont nous ne conser­vons plus de traces visibles, si tant est qu'il ait jamais existé. Peut-être s'agit-il de la seule repré­sentation' des ruines encore en élévation des thermes de V ésone, dont la construction du canal au XIXe siècle a effacé les dernières traces?

P. Beaumesnil a également dessiné un certain nombre de statues et de bas-reliefs qu'il a parfois interprété à sa façon. Ainsi, à l'appui de l'opinion de C. Jullian, relevons-nous parmi ses dessins une représentation visiblement fal-

sifiée. Considérons avec attention la statue semble-t-il titanesque qu'il dit se tenir alors dans la cour des casernes: la représentation est si monstrueuse que l'on peut se demander si le culte du dieu Moloch n'a pas eu ses heures de gloire chez nos ancêtres! Cependant, cette vision ne résiste pas à l'analyse: le ventre et la partie inférieure du torse semble appartenir à une statue d'Hercule, le haut du torse s'appa­rente à celui d'une Vénus dont les riches heu­res font partie du passé, la tête rappelle les modillons dont s'ornent certaines fontaines d'Afrique. Il est facile d'en conclure que c'est une composition, et bien peu d'efforts suffi­sent du reste au visiteur observateur pour découvrir sous le cloître du musée du Périgord les deux éléments de cette prétendue statue d'Isis: l'un d'eux est effectivement un modil­lon, mais il émerge d'un bloc de pierre qui fai­sait partie de la décoration d'un bâtiment; quant à l'autre, s'il s'agit bien d'un torse monu­mental, force nous est de constater que P. Beaumesnil a largement exagéré le dévelop­pement des appendices mammaires: le thorax d'un dieu ou d'un athlète a donc été sous la plume du comédien transformé de manière opulente 4.

Mais, hormis cette pseudo-statue, nom­bre d'autres bas-reliefs sont dessinés sans avoir subi de tels changements: à titre d'exemple, .. , CItons un petIt monument representant cer-tains instruments de culte, qui est traité avec

• «Ce sont des reliefs mons­trueux tant pour la taille que pour la forme d'une image de déesse " .•.

• En vis-à­vis: les éléments de sculpture tels qu'ils se voient au Musée du Périgord et la transcription de Beaumesnil.

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Page 25: Mémoire de la Dordogne

• n L. Mar­ullius Aeternus, fils de L. Marullius Arabus, de la tribu Quirina, maire, a payé de ses deniers les eaux et leur conduite ". (C.I.L. XIII 966).

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une fidélité toute relative, certes, mais n'en est pas moins très reconnaissable parmi les élé­ments conservés au musée du Périgord. Gardons-nous cependant d'en conclure que la réputation de Beaumesnil est usurpée: c'est en considérant les inscriptions que nous pouvons nous faire une idée plus précise des excès qu'il a commIS.

Sur 31 inscriptions rapportées par P. Beaumesnil dans le recueil conservé à Péri­gueux, 7 sont données par O. Hirschfeld comme fausses. Le concepteur du C.LL. avait certainement de bonnes raisons de les consi­dérer comme telles; toutefois, son attitude trop systématique face aux dessins du comé­dien entretient un doute, et nous porte à recon­sidérer les jugements concluant à une falsification.

Quelles sont les défauts majeurs des des­sins des inscriptions que nous conservons encore? Si nous considérons attentivement la manière dont elles sont reproduites, nous pou­vons affirmer que Beaumesnil dessine le sup­port sans trop de fidélité. Mais, rappelons-le, il était correspondant de l'Académie des Ins­criptions et Belles-Lettres; le fait qu'il se soit plus attaché au texte qu'au monument n'a donc rien de surprenant. il confond parfois deux tex­tes, mais ses lectures sont pour la plupart bon­nes, ne recèlent que peu de fautes, et témoi­gnent souvent d'un coup d' œil assez sûr. il faut ajouter au crédit de Beaumesnil que celuicci, lorsqu'il ne comprenait pas immédiatement une inscription, se contentait de la recopier, et la livrait tel quel sans qu'elle ait eu à souf­frir de ses interprétations; ceci concerne notamment les fragments qu'il nous a rappor­tés, et dont Taillefer s'est servi avec confiance. C'est, entre autres, grâce à Beaumesnil que nous avons le dessin complet de l'inscription de la fontaine de Marullius, martelée comme symbole féodal durant la Révolution, et dont le texte, à une lettre près, est parfaitement exact!

Que dire alors des inscriptions classées comme fausses par le C.LL. ? Celles qui illus­trent les bas-reliefs représentant Auguste, Antoine et Lépide n'ont certainement pas

existé ailleurs que dans l'imagination de Beau­mesnil, car la cohabitation de ces trois person­nages n'a jamais eu lieu s. Deux autres inscrip­tions ont été faites à partir d'autres, réelles celles-ci, et en présentent le formulaire d'une manière soit abrégée, soit témoignant d'une mauvaise lecture compliquée par l'imagination du comédien. Plusieurs autres mériteraient que l'on s'attarde, mais il semble suffisant de rap­peler que c'est le fait que P. Beaumesnil soit le seul à les rapporter qui les a fait mettre à l'index. Certaines d'entre elles doivent être clas­sées sous la rubrique« inscriptions douteuses »,

en attendant confirmation de leur authenticité, mais d'autres ne méritent pas cette indignité: parmi ces dernières figure un fragment d'ins­cription qui mentionne de manière explicite une dédicace à la Grande Mère et à la consé­cration de son autel par un taurobole. Le reste du texte n'a rien de vraiment surprenant, compte tenu des erreurs de lecture qu'a com­mises le comédien sur d'autres dessins, et c'est en vertu de ces détails que nous concluons volontiers ici à l'authenticité de ce témoignage; du reste, le comte de Taillefer affirme avoir vu cette inscription, et le culte de Cybèle est attesté à Périgueux par l'autel taurobolique conservé au musée du Périgord.

Somme toute, la source que constitue P. Beaumesnil pour qui veut étudier les monu­ments ou l'épigraphie de Périgueux n'est pas difficile à utiliser: le comédien n'a fait ici que des faux facilement détectables et, hormis deux inscriptions d'un caractère contestable, les autres ont été de si près inspirées par les authen­tiques qu'elles s'en dénoncent d'elles-mêmes. La conclusion à laquelle nous arrivons n'infirme en rien les opinions qu'ont eu au

• nA la Grande Mère ..• SiI­vanus... a fait le sacrifice du tau­reau et donné l'autel" (C.I.L. XIII 102*).

5 - Lorsque Octavien prend le nom d'Auguste, en 27 av. ].e., Antoine est mort depuis quatre ans, et Lépide est écarté des affaires.

Page 26: Mémoire de la Dordogne

sujet de P. Beaumesnil, C. Jullian ou O. Hirschfeld. Mais leur jugement tranché con­cerne avant tout les corpus des villes voisines. Le fait de trouver à Bordeaux ou à Limoges des faux éhontés doit-il nous porter à censu­rer tout un pan de la culture périgourdine?

Ces opinions demandent donc, comme nous l'avons démontré dans cette étude, à être nuancées en ce qui concerne Périgueux: il est certes difficile, à partir des reproches que les auteurs du siècle dernier ont fait à P. Beaumes­nil, de lui donner entier quitus. Cependant, les bas-reliefs représentés sont étonnamment pro­ches de ceux actuellement connus dans la ville, et, même si, dans certains cas, l'auteur des des­sins a fait preuve de trop peu de réalisme pour que son œuvre soit immédiatement acceptable, il n'en reste pas moins que seules des erreurs ou des interprétations liées au commentaire accompagnant les dessins peuvent être à l'ori­gine des faux constatés. Tous ces défauts se reconnaissent assez vite, et le chercheur pas-

sera avec indulgence sur ces errements pour ne se consacrer qu'à ce que nous apportent les des­sins d'authentiquement vrai.

Il paraît de prime abord peu évident que de simples dessins puissent un jour servir à la réhabilitation partielle d'un homme quand ils ont auparavant été utilisés pour le taxer de faus­saire éhonté. Pierre Beaumesnil, qui réalisait des aquarelles représentant des monuments

• , 1 1 1 •

antIques, s est trouve voue aux gemomes par ceux qui ont eu à utiliser ses travaux car, à Limoges ou à Bordeaux, ses dessins ont servi à attiser sa réputation d'escroc. En revanche, à Périgueux, ils permettent d'affirmer que, en dépit de quelques traits discutables, sa plume est demeurée sûre et que son œuvre, si modeste soit-elle, constitue une base de travail qui n'est pas à négliger.

François MICHEL Centre Pierre Paris

Université de Bordeaux III

Adresses utiles

Centre National de Préhistoire 38, . rue d~ 26e R1 24000 Périgueux 53.53.46.50

Musée National de Préhistoire Château de Tayac 24620 Les Eyzies-de-Tayac 53.06.97.03

Service Régional de l'Archéologie 6bis, Cours de Gourgue 33074 Bordeaux Cedex 56.51.39.06

Centre Pierre Paris - Maison de l'Archéologie Université Michel de Montaigne Bordeaux fi 33405 Talence Cedex 56.84.50.50

Service Départemental de l'Architecture . 3, rue Limogeanne 24019 Périgueux Cedex

53.53.22.24

Conservateur Départemental des Musées (Conseil·Général de·fa Dordogne) 16, rue du Plantier 24000 Périgueux 53.08.43.54

Archéologue .Départemental (Conseil Général de la Dordogne) La Grenadière 24000 Périgueux 53.53.12.22

Musée du Périgord 22, Cours Tourny 24000 Périgueux 53.53.16.42

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Page 27: Mémoire de la Dordogne

1 - Henri DAUMAS, L'archéologie indus­trielle en France, Robert Laffonr, Paris, 1980.

2 - E. PEYRONNET, Les anciennes forges en Périgord, Delmas, Bor­deaux, 1958.

3 - Y. LAMY, Hom­mes de fer en Périgord, La Manufacture, Lyon, 1987.

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ARCHIVES / ARCHÉOLOGIE

Les forges de Savignac-Lédrier et les archives des maîtres de forges.

Classée monument historique en décembre 1979, la forge de Savignac-Lédrier est entrée dans le domaine patrimonial du dépar­tement à la suite d'une donation consentie par les descendants de la famille Combescot, maî­tres de forges et propriétaires des lieux depuis 1819.

Comme le souligne Henri Daumas 1, il s'agit d'un site miraculeusement préservé avec sa demeure patricienne, un château du XVIe siècle remanié, surplombant les installations industrielles construites en fond de vallée, le long de la rivière Auvézère.

Créée vers 1521, la forge de Savignac a, certes, subi de radicales transformations, notamment à l'époque de son' apogée, dans le courant de la seconde moitié du XIXe siècle.

Mais, contrairement aux 110 établisse­ments métallurgiques implantés en Dordogne et abandonnés dans les années 1860 2, c'est précisément en raison de sa longévité excep­tionnelle qu'elle nous est parvenue dans un état presque complet.

Son haut fourneau s'est éteint en 1930 et ce n'est qu'en 1975, avec le départ à la retraite du dernier ouvrier travaillant à l'ate­lier de fabrication de pointes et de clefs de con­serve; que cesse définitivement toute activité de production sur le site.

A la fois symbole et point terminal de l'industrie sidérurgique indirecte au char­bon de bois 3, la Forge de Savignac constitue un bel exemple de ce que fut le processus d'industrialisation à la française. Celui-ci se caractérisant par des micro-industries aux rythmes de production saisonniers liés à la fois aux régimes des eaux fournissant l'énergie motrice, à l'approvisionnement en combusti­ble et minerai et à l'origine mi-salariée, mi­paysanne de la force de travail employée au tra­vail du fer.

La restauration du site n'est donc pas limitée à la mise hors d'eau des bâtiments, haut­fourneau et atelier de pointerie, halle à char-

bon et scierie, magasin et logement ouvrier; elle intègre également la réfection des équipe­ments hydrauliques (barrage, bief et coursiers) et des machines (marteau à drôme, bocard, machines-outils, soufflerie à piston, récupéra­teur des gaz, gazogène, fours à puddler et à cementer). [voir glossaire en fin d'article ].

L'engagement de ces travaux présuppose une double enquête: une enquête archéologi­que, fondée sur l'observation des témoins matériels encore en place, croisée avec une enquête historique basée sur l'analyse de docu­ments écrits, iconographiques et sonores.

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frul tlt1JUv~~1 61 ,h~iL:t:;7"

Cette enquête documentaire qui porte sur l'histoire des techniques, préside à la défi­nition des objectifs de la fouille de terrain. Elle doit apporter des précisions et des complé­ments d'information lorsque le problème est spécifique, ou livrer des informations globales lorsque les questions restent plus générales et ouvertes. Outre la qualité des vestiges matériels existant, le site de Savignac possède un second

• Plan de la forge. Détails. 1812. A.D.24, 70S 121.

Page 28: Mémoire de la Dordogne

• Situation des barrages exis­tants ou projetés. 1865. AD. 24, 7 S 84. Photo AD. 24.

• Chaudière à vapeur du mar­teau pilon. Dossier accompagnant la demande d'autori­sation de mise en fonctionnement. 1863. AD. 24, 70 S 144. Photo AD. 24.

atout. Contrairement aux établissements indus­triels qui changent fréquemment de proprié­taire ou d'affectation, ce qui entraîne l'élimi­nation des archives d'entreprise, celles de Savi­gnac ont été conservé~s pendant plus d'un siè­cle par la famille Combescot.

Toutes les archives industrielles (cahiers de roulement du haut-fourneau, comptes avec les fournisseurs de mines, de bois, de charbon, comptes avec les clients, correspondances acti­ves et passives, comptes d'exploitation, bilans, brevet d'invention, croquis d'installations industrielles ou de machines, brochures et imprimés sur du matériel ou de l'outillage du début du XIXe au milieu du XXe siècle) ont été déposés aux Archives départementales de la Dordogne 4.

Moyennant l'accord du déposant, les chercheurs ont à disposition l'ensemble des sources écrites et iconographiques à partir des­quelles ils peuvent retracer l'histoire économi­qu.e, t~chnique, financière et sociale de cette usme.

Les archives administratives des Services

des Mines ou des Ponts-et-Chaussées apportent également leur lot d'informations.

Le dossier de demande en conservation de la forge de Savignac (20 J 121), établi par Elie Boisset en application de la loi de 1829, contient une série de plans levés en juin 1812 par le géomètre Morange de Saint-Yrieix. C'est en comparant ces plans avec ceux dressés aujourd'hui que l'on prend la mesure des chan­gements qui ont été effectués au milieu du XIXe siècle: déplacement et reconstruction du haut fourneau, du barrage et des coursiers.

En se reportant aux dossiers relatifs aux règlements et droits d'eau (7 S 84) on retrouve les rapports des ingénieurs du service des Ponts­et-Chaussées de 1865 dans lesquels les plans et caractéristiques des nouveaux équipements hydrauliques sont consignés.

De même l'installation du marteau pilon à vapeur de 1862 a fait l'objet de rapports de la part des ingénieurs du Service des Mines (70 S 144) dans lesquels croquis et caractéristiques mécaniques de la machine sont indiqués.

4 . Elles sont conser­vées dans la sous-série 20J.

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Page 29: Mémoire de la Dordogne

Il Restitution du bocard, sep­tembre 1991. Con­servation départe­mentale. Coll. Conservation départementale. Photo Ludovic Pizano.

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Sans être véritablement exhaustif, il faut ajouter à cette liste de documents privés et publics, les actes notariés concernant la fonda­tion de sociétés et la transmission des biens, les collections de photographies et de cartes postales anciennes du site, les articles de presse et les interviews d'ouvriers. Celle de Suzanne Combescot, épouse du dernier maître de forge, a été enregistrée par France Culture et filmée pour une émission de télévision par Claude Bringuier dans les années 1980. C'est sur l'analyse de tous ces documents que s'élabore l'étude monographique du site. La recherche archéologique vient en complément par une observation au dessus du sol des âges et des for­mes de chaque étape du développement de l'usine et, au dessous du sol, par la mise au jour des états anciens d'installations détruites, modi­fiées ou reconstruites sur place.

L'architecte responsable de la restau­ration des bâtiments et du traItement paysagé, les restaurateurs chargés de la réfection et remise en marche des machines, le conserva­teur élaborant la scénographie du site, puisent dans ces données fournies par l'historien et l'archéologue pour établir leurs programmes d'interventions. En d'autres termes, la valori­sation d'un patrimoine industriel est directe­ment tributaire des vestiges matériels qui le composent et des archives qui le concernent. Ces deux aspects font la valeur historique uni­que d'un site comme Savignac-Lédrier.

Ludovic PIZANO Conservateur départemental

Glossaire

Bocard: concasseur à minerai. Coursier: canal artificiel qui amène l'eau à la roue hydraulique. Four à cementer: four où 5' opère la transfor­mation du fer en acier. Four à puddler: four où s'opère la conver­sion de la fonte en fer. Marteau à drôme : marteau hydraulique ser­vant à battre le métal.

Page 30: Mémoire de la Dordogne

ARCHIVES / ARCHÉOLOGIE

L'apport des sources écrites à l'archéologie des périodes historiques.

On abordera cette question dans le contexte du type d'étude actuellement en plein essor: celle des relations entretenues par l'homme avec le milieu naturel au sein d'un espace territorial donné, à une période parti­culière ou dans la longue durée. Bien que rela­tivement récentes ces recherches dites de paléo­écologie ou de paléo-environnement ont déjà apporté de belles contributions au renouvel­lement des connaissances du cadre de vie des sociétés anciennes, de leurs modes d'exploita­tion des terroirs et des rythmes de leur occu­pation. Elles créent, peut-être plus que d'autres, lorsqu'elles touchent à l'observation du monde postérieur à l'antiquité, les conditions du maniement conjoint des données issues des archives du sol et des sources écrites.

Par conséquent, rares sont aujourd'hui les historiens qui mettent en doute la réelle vali­dité des apports de l'archéologie environne­mentale pour tenter une approche élargie de l'histoire des sociétés au cours du dernier millénaire.

Les diverses disciplines qui constituent cette forme d'archéologie ont démontré leurs capacités à mettre en lumière des faits, jusqu'alors ignorés, du passé des villes et des campagnes, pourtant documenté par ailleurs, pour les périodes médiévale et moderne, par une abondante masse d'archives littéraires et iconographiques.

Plus largement, l'archéologie a si bien réussi à affiner ses méthodes, grâce notamment à l'expérience et aux acquis de sa branche aînée, l'archéologie préhistorique, qu'elle atteint la possibilité de fonctionner quasiment de manière autonome dans le grand champ de la recherche historique. Elle est en mesure, dans bien des cas, de présenter par ses seuls résul­tats une histoire cohérente de l'occupation humaine d'un lieu. Elle peut en fixer la chro­nologie, en suivre les évolutions, parfois même déceler les causes de ces évolutions. Enfin, elle restitue, plus ou moins parfaitement, suivant les potentialités du gisement et des méthodes

d'investigation employées, l'organisation maté­rielle de la société étudiée et l'état de son cadre environnemental. De là, des hypothèses sur la forme de la structure sociale qui a régi l'occu­pation étudiée pourront même être, quelque­fois, avancées d'après la seule analyse des don­nées collectées par l'archéologie. La tentation est donc grande, pour beaucoup d'archéologues médiévistes et modernistes, de s'enfermer dans la logique de leur discipline, de ne voir que par l'éclairage des sources matérielles arrachées au sol, d'oublier les énormes capacités documen­taires des sources écrites. Inversement, l'histo­rien, adepte de la recherche en archives, délaisse trop souvent les enseignements de l'archéolo­gie, ou n'utilise qu'à titre d'illustration ses apports.

Heureusement, cette situation n'est plus offi­ciellement de mise. Archéologues et historiens saisissent, de plus en plus, le grand intérêt de confronter les informations tirées des textes et du sol. Elles sont complémentaires, chacune ayant ses spécificités et ses lacunes. Mais des contingences (formation, information) et des

habitudes maintiennent encore, dans bien des régions, des barrières entre les deux popula­tions de chercheurs.

• Rayonnages d'archives aux Ar­chives départe­mentales. Photo Daniel Pinet.

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Page 31: Mémoire de la Dordogne

• Grains carbonisés de cé­réales et de légumi­neuses (en cours d'identification). Habitat du bourg castraI d'Aubero­che, Dordogne, fin du XIIe siècle. Photo Yan Laborie.

1 - Colluvion: terme géologique désignant un dépôt superficiel recouvrant un versant et ayant subi un transport.

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Aider à restituer les faits archéologiques dans leur contexte.

En matière d'études de paléo­environnement d'époque historique, la relation historien! archéologue doit être pourtant étroi­tement établie pour espérer l'obtention de résultats pertinents. La haute spécialisation scientifique des intervenants, la lourdeur et la complexité des opérations, la fragilité des résul­tats et les limites des méthodes peuvent rapi­dement écarter les travaux entrepris de leur finalité initiale, qui est de participer efficace­ment à la construction de l'histoire, pour déri­ver vers une collecte de données anecdotiques. M . \ l' h' 1 1 1 enace qUI pese sur arc eo ogue « genera-liste », commanditaire de ces recherches de laboratoire, très spécifiques, s'il n'a pas le souci d'élargir le plus possible la connaissance du contexte historique dans lequel se formèrent les éléments ou traces dont il demande l'étude.

Le paléobotaniste, l'archéozoologue, le sédi­mentologue captent les conséquences des agis­sements, mais ils ont souvent du mal à déter­miner la nature de l'action, et encore plus à en définir les causes profondes. Ils constatent, par exemple, l'accroissement de la culture de telle plante alimentaire au détriment de telle autre, à une époque donnée, ou encore telle variation dans la nature de l'alimentation car­née, ou une violente rupture dans le processus de colluvionnement 1 d'un versant. Ils ne pourront répondre seuls qu'exceptionnelle­ment des origines de ces phénomènes, s'ils ne prennent pas connaissance du contexte dans lequel se sont formées les traces archéologiques qui les révèlent.

La prise en compte des données écrites, quand il en existe, peut alors aider de manière fondamentale l'archéologue spécialisé, et le généraliste, à exploiter pleinement ces données très ponctuelles en élargissant la connaissance

du contexte historique au-delà de son site de fouille. Ce sera peut-être dans l'histoire éco­nomique globale de la province que l'on décè­lera les raisons de la substitution de telle cul­ture à telle autre, ou de sa prédominance. C'est en distinguant dans les textes les signes d'une période d'épizootie que quelques hypothèses pourront être avancées quant à la disparition, momentanée ou prolongée, de telle espèce dans le spectre de la faune consommée par telle com­munauté. On trouvera éventuellement dans des événements politiques la raison du brutal colluvionnement de ce versant, situé dans une

1 1 . 1 d/f 1 zone recemment co omsee et e orestee, ou, au contraire, subitement désertée.

Inversement, après avoir fourni des pos­sibilités d'interprétation, l'information issue des textes se trouvera richement complétée, voire plus simplement, éclairée ou confortée grâce à l'apport archéologique. De ce fait, les effets d'un choix économique, d'une crise sani­taire, d'une politique de peuplement seront

T l A \ • 1

entrevus. e peut etre tres sommarrement evo-qué, et donc de manière réductrice, le premier aspect de la contribution des textes à l'archéo­logie spécialisée dans l'étude du paléo­environnement: restituer les faits dans leur contexte politique, économique, social, pour tenter d'en extraire toutes les informations qu'ils contiennent indirectement.

Pour mener ce type de démarche, les tex­tes à étudier sont de natures extrêmement diverses, il serait complexe d'en dresser la liste et de citer des séries dans lesquelles ils peuvent se trouver, chacun des fonds régionaux d'archi­ves ayant ses particularités: variation du type des documents, conjonctures de conservation, modalités de classement. Il faut ajouter que, de la même manière qu'en archéologie, c'est l'assemblage d'une foule de petits renseigne­ments, extraits de sources différentes, qui con­duit à l'approche de la reconstitution d'une situation économique, politique ou autre dans un espace géographique donné. Plus la ques­tion est précise, plus la tâche est ardue: rareté des documents, manque de précision, difficul­tés de vocabulaire ancien, dispersion des piè­ces, etc.

Orienter la recherche de terrain et préserver le potentiel documen­taire des gisements archéologiques.

En archéologie programmée, inverse­ment à la situation rencontrée en opération de sauvetage, lorsque la fouille d'un site médié­val ou moderne n'est engagée que pour les

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• Conditionne­ment des archives du sol, sur le chan­tier de fouilles. Site d'Auberoche, prog. H. 21, Dordogne, 1989. Une étape très importante entre la découverte des traces et des éléments archéolo­giques, leur conso­lidation, leur étude en laboratoire et leur conservation définitive en mu-sée. Photo Yan Laborie.

besoins de la recherche, il paraît souhaitable, au sein de la liste de « gisements}) ayant les potentialités pour satisfaire au traitement de la problématique abordée, de sélectionner en priorité ceux bénéficiant d'une solide docu­mentation historique. La connaissance préala­ble aux investigations de terrain des capacités documentaires des sources écrites disponibles, ainsi que de leurs limites, est un des moyens de fouiller au plus juste. Cela permet d'être par­ticulièrement attentif à la recherche des élé­ments archéologiques dont l'étude sera suscep­tible de combler les lacunes des sources écri­tes et de prendre à temps toutes les dispositions méthodologiques pour collecter ces éléments dans les meilleures conditions. Certaines ques­tions ne pourront être abordées ensuite, au laboratoire, que si, pendant la fouille, il a été employé un mode d'échantillonnage adapté; cela impose presque obligatoirement d'avoir formulé, par avant en détail, tout le question­nement, grâce en partie à l'analyse de la docu-. /. . mentatlOn ecnte eXIstante.

Cette remarque vaut du reste globale­ment pour l'étude de l'ensemble des différents aspects d'une occupation médiévale ou moderne, c'est-à-dire autre que ceux touchant uniquement au paléo-environnement (commu­nication, architecture, mobilier domestique, rites funéraires, etc.). Trop de sites archéolo­giques furent amputés ou définitivement détruits par des opérations de fouilles dont on aurait pu faire l'économie en exploitant les pos­sibilités offertes par les textes. Les résultats auraient été souvent équivalents. Des masses de données archéologiques, aujourd'hui indé­celables ou inexploitables en l'état des métho­des d'investigations, furent ainsi perdues par manque de réflexion ou d'information sur les potentialités des sources écrites.

Affiner la recherche de laboratoire

Par ailleurs, l'utilisation des sources écrites dans les études de paléo-environnement contribue probablement à définir les problé­matiques de recherche des spécialistes natura­listes souhaitant collaborer à la recherche his­torique. Le dépouillement méthodique des tex­tes met en évidence les lacunes que, seule, l'archéologie peut espérer combler. Prenons le cas des plantes alimentaires. Les comptes de dîme énumèrent, à longueur de pages, des variétés de céréales ou de légumineuses dont l'appellation ne renseigne nullement sur la nature botanique exacte. Ici, l'écran du voca­bulaire bloque l'enquête. D'autre part, que tra­duisent véritablement ces énumérations comp­tables? Font-elles apparaître la totalité des variétés cultivées? Que signifie la prédomi­nance de telle sorte de grains dans les verse­ments décimaux de telle paroisse? Reflètent­elles la dominance réelle de la culture de la variété correspondante dans le terroir, ou bien sa sélection ressort-elle du goût des décimateurs pour sa qualité, sa facilité de transport ou de conservation?

Ainsi pourrait-on multiplier ces exem­ples montrant bien, semble-t-il, que faire res­sortir les limites de l'exploitation des textes concourt efficacement à formuler des problé­matiques claires, avant d'orienter le matériel archéologique découvert vers les laboratoires. Par exemple, les sources écrites contemporai­nes d'un habitat faisant l'objet d'une fouille, et intéressant son terroir d'implantation, paraissent y attester de la culture de plusieurs genres de céréales. En possession de cette infor­mation, on sollicitera le laboratoire, non pas simplement, comme cela peut arriver pour un site non documenté, pour chercher sans pré­cision toutes traces de culture vivrière, mais, dans ce cas, pour tenter de déterminer les varié­tés de céréales qui étaient cultivées, d'établir si la pratique de la culture de plusieurs varié­tés est avérée ou non de longue date, d'appro­cher la délicate question de leur représentation dans le terroir.

L'exploitation des textes amenant l'archéologue à affiner son questionnement auprès des laboratoires contribue d'autre part à faire évoluer les méthodes de la recherche naturaliste pour résoudre des questions propres aux besoins de l'enquête historique. L'effet est indirect mais, dans une certaine mesure, on peut considérer que l'étroite relation avec l'his­torien pousse très souvent le nanftaliste à déve-

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Page 33: Mémoire de la Dordogne

,

• Fonbal­quine (Bergerac). XIV· siècle. - pollen de céréale (diamètre 45 mi­cromètre). - microcharbons. - phytolithes (élé-ments allongés si­liceux contenus dans certains vé­gétaux). Photo au microscope de M. -F. oiot - C.N.P.

2 - Palynologie : étude des pollens.

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lopper des outils de travail nouveaux, voire à utiliser plus complètement ou différemment les possibilités de sa discipline. Par exemple, déce­ler la présence, par une analyse palynologi­que 2, de la vigne sur un site de la moyenne vallée de la Dordogne daté du IX - Xe siècle, n'apporte presque rien à l'histoire des origines du vignoble de cette région: en effet le genre vitis peut, à cette époque, y être établi à l'état sauvage, et il n'est pas actuellement possible de déterminer par son pollen s'il était ou non

cultivé. La palynologie est ici; par cette ques­tion, appelée à progresser dans la diagnose du problème de cette plante pour distinguer la forme cultivée (vitis vinifera) de la forme sau­vage (vitis sylvestris). li lui faudra donc déve­lopper de nouveaux moyens d'investigation pour y parvenir, comme c'est actuellement le cas dans le domaine de la différenciation des variétés de céréales: observation de la surface du grain de pollen à l'aide du microscope élec­tronique ou à contraste de phase, couplée à des études biométriques de son pore et de son dia­mètre maximum. Ainsi, le seigle peut être déjà décelé, alors que l'avoine, les blés, l'orge, res­tent, pour le moment, indifférenciables.

Dans les autres disciplines naturalistes, partenaires de la recherche archéologique, les besoins de l'enquête historique poussent de même façon à des études très spécifiques néces­sitant parfois de nouvelles méthodologies.

En retour, l'historien doit bien compren­dre les difficultés rencontrées par les natura­listes qui cherchent à répondre à leurs ques­tions : elles tiennent aux limites des méthodes actuelles et au caractère expérimental de nom­breuses démarches. Les résultats obtenus sont encore bien souvent peu traduisibles en termes historiques, ou peu spectaculaires, par rapport aux informations apportées par les sources écri­tes. Cela ne doit pas entraîner le rejet de ces

tentatives expérimentales, parfois mal compri­ses par les chercheurs privilégiant le recours aux archives. Ce serait pénaliser les capacités de fonctionnement à venir de ces disciplines scientifiques, au sein de la recherche, traitant des périodes historiques.

Dans un proche avenir, il est à souhai­ter qu'au lieu de se succéder, ou de se juxtapo­ser, sans vraiment se rencontrer, les produc­tions des spécialistes des textes, de l'archéolo­gie de terrain et de laboratoire, traitant des mêmes sujets, résultent d'une confrontation permanente, organisée et raisonnée, de l'ensem­ble des données que chacun d'eux manie encore aujourd'hui trop isolément, du moins dans notre région.

YanLABORIE Chercheur associé au C.R. O.S.

(Centre de Recherche sur l'Occupation des Sols et des Peuplements).

Université de Bordeaux III

Bibliographie

Ouvrages de référence :

- BOUARD (M. de): Manuel d'archéologie médiéuale, S.E.D.E.S., Paris, 1975.

- Pour une archéologie agraire, sous la direction de J. Gui­laine, Armand Colin, Paris, 1991.

Articles récents illustrant les relations histoire, archéolo­gie, sources écrites, données de fouilles:

- Du pollen au cadastre, Actes du colloque organisé par le Groupe d'Histoire des Forêts françaises, Université des Sciences et Techniques de Lille-Flandre-Artois, 10-12 octo­bre 1985, dans Hommes et Terres du nord, t. 2 et 3,1986.

- Proto industries et histoire de la forêt, Actes du colloque tenu à la Maison de la Forêt, Loubière, Ariège, Les Cahiers de l'Isard nO 3, Université de Toulouse-Le Mirail, G.D.R. Isard 881, C.N.R.S., 1992.

- FOSSIER (R.), Historiens et archéologues, dans Du Vil­lage et de la maison rurales, actes du colloque de Bazas, 19-21 octobre 1978, sous la direction de Charles Higou­net, C.N.R.S., Paris, 1979, p. 231-234.

Exemple régional:

- DIOT (M.-F.) et LABORIE (Y.) : « Palynologie et his­toire urbaine. Essai sur la dynamique du paysage du 1er au XVe siècle, autour du site de Bergerac (Dordogne) », Aqui­tania, t. VII, 1989, p. 143-173.

Page 34: Mémoire de la Dordogne

• Affiche du concours" Clo­cher d'or 95 -. Photo AD. 24.

1----EXPOSITIONS / ANIMA TION __

Du 25 novembre au 11 décembre 1992, le Cercle d'Histoire et de Généalogie du Péri­gord, qui souhaitait célébrer le centenaire de Henri J ay de Beaufort et rendre un hommage au philanthrope et à l'inventeur, avait sollicité la participation des Archives départementales pour le prêt de documents tirés du riche fonds de la famille Jay de Beaufort et le montage d'une exposition. Les Archives se sont donc décentralisées au lycée J ay de Beaufort pour aller à la rencontre de son public de demain.

Nous vous avions présenté dans notre précédent numéro le concours «Clocher d'or », organisé par l'association du même nom. La remise des prix a eu lieu le 4 janvier 1993 aux Archives départementales. Le pre­mier prix du Conseil Général a récompensé la monographie sur Mensignac réalisée par Madame Nectoux et M. et Mme Caignard.

Nous vous rappelons que vous avez jusqu'au premier novembre 1994 pour dépo­ser les travaux qui seront retenus pour la deuxième édition de l'opération «Clocher d'or », promise à un bel avenir.

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CREDIT AGRICOLE de la DORDOGNE

LE SENS OE.L'EXCEPTION

Le ministère de l'Education et de la Culture organise tous les ans le concours natio-

nal de « L'historien de Demain », destiné aux élèves du primaire et du secondaire. Le sujet retenu cette année concerne les épidémies (voir l'article de M. Combet dans la rubrique à l'école) du Moyen âge à la fin des années 1970. Une exposition, réalisée par le Service Educa­tif des Archives départementales de la Dordo­gne, s'est tenue aux Archives de février à avril 1993.

PRODUCTION

Musée du vin et de la batellerie Ville de Bergera.c

SQnothèqu~

de. Archives Départementaies de tâ

Dor4,ogne.

Nous VOUS rappelons que vous avez jusqu'à la fin du mois de juin pour voir, aux Archives départementales, l'exposition des photographies de « Musiciens de bal » d'Elizer­man. Pour en savoir plus, lisez l'article de Sylvain Roux sur l'opération «Parfums de bal» dans la rubrique sonothèque.

Le diaporama évoquant l'histoire de la batellerie sur la rivière Dordogne, coproduit par le musée de la batellerie de Bergerac (con­tact: Yan Laborie 53.63.04.13) et la Sonothè­que des Archives départementales de la Dor­dogne (53.03.33.33), a été copié sur cassette vidéo. Il est désormais possible de l'emprun­ter auprès de ces deux services.

• Cassette vidéo. La batellerie sur la rivière Dor­dogne. Photo A.D. 24.

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Page 35: Mémoire de la Dordogne

• Minute du notaire Allen, 1585. AD 24, 3 E 1395.

32

PALÉOGRAPHIE ________ _

Quelques éclaircissements pour lire.

- Les lettres faciles à lire à la graphie semblable ou voisine de la nôtre. Lettres p : appartiendra, repaire (ligne 1), Perigort, après (ligne 4) etc ... y : souvent employé à la place de i, il est calligraphié y : [troys, mydy (ligne 4) J. q : dans ce texte, la barre au-dessous de la ligne remonte en boucle pour accrocher la lettre

suivante, ce qui le fait confondre avec notre g actuel: quil, que (ligne 1), Jacques, lequel (ligne 6) ... Le q final de cinq (ligne 3) est droit.

g : la panse est fermée par une barre dans Lagarde; dans Perigord et segond, l'arrondi est presque inexistant (ligne 2).

t : facile à repérer par son trait vertical au-dessus de la ligne, il est barré horizontalement. . Dans le groupe st, le scribe raccroche les lettres par une boucle: a ~.;te (ligne 4), e..rfint

(ligne 6). 1 " h: la lettre descend au-dessous de la ligne dans sa 2e partie et s'incurve pour accrocher la

suivante à l'aide d'une boucle: CourniltJ ie (ligne~ eures (ligne 4) ...

- Les lettres caractéristiques de l'époque. Lettres s : initiale ou intégrée dans le mot: c'est un trait vertical commençant au-dessous

de la ligne et se terminant par une crosse au-dessous du mot. Elle est facile à repérer. L's final comporte 2 parties: tous (ligne 1), heures (ligne 4). e : en 2 traits de plume quand la lettre est médiane : apparti~ndra (ligne 1), elle se simplifie

en fin de mot: repair" (ligne 1) ... r: souvent roulée au milieu du mot : appal)lltiend~ (ligne 1), cou'tOnilhie (ligne 2), elle a

tendance dans certains mots à prendre sa forme actuelle: troys, apres (ligne 4). c : peu arrondie, elle accroche la lettre suivante par le haut: cinq cens (ligne 3). d : fortement inclinée vers la gauche: appartiendra (ligne 1), entendement (ligne 7) ; parfois

en boucle: Lagarde (ligne 2). u, i, n, v : ou lettres à jambages, se confondent. Il faut compter les jambes, et le contexte

aide pour la compréhension du mot. Le n final est souvent plongeant: en (ligne 2), son bon (ligne 6).

Page 36: Mémoire de la Dordogne

Testament de Jacques Dupuy Sieur de la garde

1 Scaichent tous qu'il appartiendra que au repaire de

2 Lagarde, parroisse de Coumilhie en Perigort, le segond

3 jour de julliet mil cinq cens quatre vingtz et cinq, heure

4 de troys heures après mydy ou environ, a esté present

5 en sa personne Jacques Dupuy, sieur dudit lieu de Lagarde,

6 lequel estant (estant) en son bon ceans, memoyere et

7 entendement a faict, ordonné, son testement [ et J

8 demiere disposition voulanté en la fourme et maniere

9 que s'ensuyt

- Les abréviations.

Au non de Dieu

Peu nombreuses dans ce fragment, elles sont cependant très employées dans les textes du XVIe et XVIIe siècles.

10 - Abréviation par suspension:

du cf : dudit (ligne 5). Le trait plonge au-dessous de la ligne après le d. Elle est très employée, ledit, ladite, lesdits, audit ... reviennent très souvent dans les actes et autres textes.

20 - Abréviations par contraction:

pnt: présent (fin de la ligne 4). dispon: disposition (ligne 8). Unlilde (trait au-dessus du mot) indique l'abréviation. Ici, plusieurs lettres, voire syllabes,

sont concernées; parfois une lettre seule est absente. sr: sieur (ligne 5). 30

- Les signes particuliers appelés signes tironiens : : c'est un p barré et revenant en boucle pour accrocher la lettre suivante. Il se lit par

ou per. parroisse (ligne 2), personne (ligne 5).

- L'orthographe. Des fantaisies au niveau du i souvent remplacé par y : mydy, troys, memoyere. Des c en sus (schaichent) ou intempestifs: ceans pour sens (ligne 6). Testement pour testament, julliet pour juillet, voulante pour volonté, fourme pour forme. Et le ct dans faict (ligne 7). z à la place de l's final: vingtz (ligne 3).

Raymonde SARLAT

33

Page 37: Mémoire de la Dordogne

34

, , DERNIERES ENTREES

Les collections des Archives départementales s'accroissent aussi grâce aux dons de documents que font des particuliers ou par des achats de manuscrits, d'imprimés ou de documents iconographiques choi­sis pour leur importance ou leur rareté.

1) DONS: - Papiers de la famille de la Jugie de la Cha­pelle. (XVIIe -XXe s.) [Don de M. de Ruben] J 2104. -Monographie de la commune de Boisse (1912) [Don de M. Bousquet] Doc. Arch. 4. - Monographie du canton de Lalinde (1912) [ idem] Doc. Arch. 5. -Photographies anciennes, cartes postales, pro­gramme du congrès diocésain (1929), de l'inau­guration de la Grotte de Lascaux (1948) ; faire­part de décès du comte de Fayolle (1923) [Don anonyme] Fi et J 2110 à 2112. -Cartons publicitaires des cafés « les planteurs réunis », vins en gros, sabots et galoches Péri­gueux et Sarlat, dépliants publicitaires maison Clément-Obier, truffes du Périgord [ Don de M. Homsy] Fi et J 2113. - Pochettes et étiquettes pour la « poudre d'encre économique », dépliants et papillons publicitaires. [Don de M. Koenig] Fi. -Lettre d'un négociant en vins du bergeracois (1939). [Don des Arch. dép. de la Sarthe] J 2114. - Cartes postales des grottes des Eyzies [Don des Arch. dép. d'Indre-et-Loire] Fi.

2) ACHATS: - Privilèges de la Ville de Périgueux relatif au port d'arme. Manuscrit (XVille siècle) J 2105. -Prospectus projet pour la navigation de l'Isle (XIXe siècle) J 2106. -Dossier concernant l'expulsion des sœurs du Sacré-Cœur de Clermont-de-Beauregard (1902) J 2107. - Papiers de la famille de Nadal et de La Grange, en Bergeracois (XVIIe - XIXe siècles) J 2108. - Plan du projet de transformation de l'hôpi­tal de Beaumont, par l'architecte Taillandier (1928) Fi. -Contrat de mariage de Jeanne Chantegrel avec Antoine Touvenelle, de Saint-Michel-de­Villadeix et Périgueux (1721) J 2102.

- Mémoire pour Marie Elizabeth de Roche, veuve d'Elie du Reclus, baron de Gageac. Manuscrit (XVille siècle) J 2109. - Cartes illustrées publicitaires « Au Pont neuf », calendrier de l'année 1894 de la mai­son Delage et Joucla, programme du cinéma le Cyrano à Bergerac Fi. -Plan imprimé de l'abbaye de Brantôme (1869) Fi. -Papiers de la famille Dussumier, de Bergerac (XVille - XIXe siècles) J 2116. - Histoire de l'église réformée de Bergerac. Manuscrit (XIXe siècle) J 2066.

• Calendrier de l'année 1894.

Photo A.D. 24.

Page 38: Mémoire de la Dordogne

1------- SONOTHÈQUE

Des années 1920 à nos jours, le bal n'a cessé d'évoluer à travers le répertoire, les instruments de musique et les lieux. Les souvenirs sont encore présents et certains musiciens ont accepté de raconter leur vie dans le cadre de l'opération cc Parfums de bal ».

VOUS DANSEZ MADEMOISELLE?

Depuis plusieurs années, le phénomène des disco-mobiles a changé l'image tradition­nelle du bal: les musiciens ont été remplacés par les disques et seuls quelques orchestres con­tinuent à sillonner les routes du Périgord et des autres régions de France.

La situation actuelle n'est pas définitive car de plus en plus d'organisateurs de bals font de nouveau appel aux orchestres pour animer leurs festivités. Ceci dit, nous ne devons pas oublier que, de tout temps, le musicien a dû s'adapter à l'évolution du bal notamment en exécutant les nouveautés que le public deman­dait ou en apprenant à jouer d'un instrument de musique plus à la mode du moment.

En Dordogne, il existe de nombreux musiciens qui peuvent encore parler de l'his­toire du bal entre les années 1925 et 1955 ; c'est pourquoi la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports et l'Association du Stu­dio Saint-Amand de Belvès ont décidé de lan­cer un projet d'enregistrement de ces derniers musiciens et de produire un disque illustrant cette péri.ode.

Ces deux structures ont sollicité la col­laboration de la Sonothèque des Archives départementales et lui ont confié la réalisation des enquêtes de terrain. Trente-trois musiciens, répartis sur l'ensemble du département de la Dordogne, ont été enregistrés, ce qui repré­sente environ quarante heures d'entretiens, dans lesquels il est agréable de deviner l'ambiance de ces bals où les nouvelles danses de l'entre-deux guerres (tango, fox-trot ou java, par exemple) allaient détrôner rapidement la scottish, le quadrille ou la mazurka.

Les lieux de réjouissance étaient nom­breux. Ainsi, à Périgueux, on pouvait danser au son de l'accordéon au Casino de Paris ou aux Pâquerettes; il Y avait également des guin-

guettes sur le bord de l'Isle à Barnabé ou près du canal au Moulin de Cachepur. A Bergerac, rue Pozzi, c'était le Royal-Musette ou, place de la République, le Tortoni. A Saint-Astier, on trouvait le Chapeau-Rouge et à Lisle, le Trianon, etc.

Les occasions de jeu étaient variées: les musiciens animaient les bals de conscrits, les carnavals, les foires, les noces et, malgré l'uti­lisation de plus en plus fréquente du pick-up et des pianos mécaniques entre les deux der­nières guerres, rien ne les remplaça vraiment sur scène. Après 1945, le besoin de s'amuser et de danser était compréhensible et ce fut une véritable explosion de bals. L'accordéon se vit de plus en plus entouré par la trompette, le saxophone, la clarinette et les premières guita­res fIrent leur apparition. Dans les années 1950, les danseurs découvraient les nouveautés comme le cha-cha-cha, le mambo et le boléro. La mode changeait, les musiciens s'adaptaient ...

• Jean Planque, 1992. Photo Elizerman.

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Page 39: Mémoire de la Dordogne

• J. et M. Planque (ac-cordéonistes). Hôtel de la Gare. Bergerac, 1946. Coll. Planque.

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Afin d'évoquer cette fabuleuse histoire du bal et de rendre hommage à tous ces musi­ciens, les Archives départementales ont demandé à une photographe de notre dépar­tement, Elizerman, de réaliser une exposition sur ce thème. Cette manifestation se déroulera aux Archives pendant tout le mois de juin dans le cadre de l'opération « Photofolies » organi-

sée par le Ministère de la Culture et le Centre National de la Photographie.

Une exposition de documents anciens retrouvés chez les musiciens permettra égale­ment de revivre en images cette période exal­tante où le bal était un lieu riche d'échanges et de rencontres.

Sylvain ROUX

Extrait d'un entretien réalisé avec M. et Mme Planque (accordéonistes) le 10 novembre 1992, à Bergerac

Sylvain Roux: Alors quand vous êtes rentré de la guerre, vous vous êtes mis à Jàire les bals tous les deux dans la région l Marguerite Planque: On est parti tout de suite! S.R.: Vous alliez où l Jean Planque: Oh! partout! M.P. : Ou jouait beaucoup au CaJl Riche, on jOttait devant la gare ... J.P. : et puis les fêtes de campagne. M.P. : On jouait dans les cafés, n ~mporte où. S.R. : Dans les cafés, tl y avait des amëre-salles pour danserl J.P. : Out; apéntifconcert ou trué dansant... M.P. : On jOttatt bien au caJl Gambetta, alors là, tl y avait pas de salle pour danser mais on y allatt pour passer la soirée. S.R. : Et c'était régu· lier, toutes les semaines.? J.P. : Oh, oui! S.R. : Vendredt; samedt; dtmanche, comment ça se passaitl J.P.: OUt; des fois mbne on laissait tom­ber parce qu'on nous demandait dans un autre coin, tl Jàllatt qu'on Jàsse un pettt peu partout. S.R. : Qu'est-ce qu ~I y avait comme occasions de jeu l JI Y avait les bals dans les cafo etc, ou en campagne, vous avez joué pour les noces aussi l M.P. : Ah oui! J.P. : Alors là les noces, attention! M.P. : On en a Jàt~ on a même joué encore pour les enJànts des gens que nous avons mariés. S.R. : Et qu 'est·ce que vous jouiez comme répertoire après la guerrel J.P. : Un peu tout ce quY y avait à l'époque. S.R. : C'est-à-dire l J.P. : Ah! J'étais pas pns pour ça; les chansons qui sor· taient, au for et à mesure, je les jouais.

S.R. : C'étaient quand même des rythmes de danse l J.P. : Out; des javas, des valses, des tangos, après la samba est venue par la suite, le fox ... S.R. : Les biguines l

J.P. : Out; c'était joli aussi la biguine! S.R. : C'étaient avant tout des danses chantées l

J.P.: OUt:

S.R. : Et ça plaisait aux gens l

M.P. : Out; tl y avatt pas la télévision, tl y avait nen, alors !es gens venaient pour écouter les chansons ;puis c'était très bten à l'époque, les jeunes, les moins jeunes, tout le monde dansat~ tout le monde s'amusait. S.R. : Votre rayon d'action, vous alitez jusqu'où dans ces années-là, après la guerre, vingt, trente ktlomètres autour

M.P.:Après. S.R. : Au début, c'était quoi l

de JJergerac l J.P. : OUt; que ce soit sur Lalt'nde, Monbazil­lac, Eymet, du côté de Lauzun, en descen· dant sur Sainte·Poy­la-Grande, Casttllon la JJaratlle; à Sigoulès, /,y aijoué longtemps, Pomport, Cunèges, la lJesage, Gageac· Routllac, je Jàisais les fêtes dans tous ces coins·là.

S.R. : Vous aviez une voiturel

J.P. : En œto, on allatt jouer avec des vélos en pneus pleins, avec ces pneus qu~!s avaient Jàtt avec des tuyaux d'arro· sage, Jàllait en vouloir. On ne trouvait pas de pneus, on en aurait trouvé, même qu'on aurait payé un peu plus cher. Après, quand tout a été mieux, alors là on a acheté une votture et alors voilà la votture! On l'avatt achetée trente mtlle fanes quand même! C'était une JJ2, tl y avait pas de feins à l'avant, tl y avait n'en et encore tls les donnat'ent pas les voitures à l'époque, avec une capote, j'avais changé la capote, je l'avais peint en bleu la voiture, cetatt ma Rolls-Royce! On était heureux de s'en aller avec ça.

Page 40: Mémoire de la Dordogne

LE DISCOURS DE LA MÉTHODE __

Cet article, consécutif aux grandes dates de l'état civil rappelées dans le nO 1, a pour objet de donner quelques conseils de base au débu­tant en généalogie en l'initiant à l'état civil récent.

L'état civil suit et consigne chaque moment important de notre vie. Notre nais-

• 1

sance, notre manage et notre mort sont notes scrupuleusement dans des registres par des offi­ciers de l'état civil. Effectuer sa généalogie ou

A 'd retrouver ses ancetres, c est onc avant tout, faire une recherche dans l'état civil.

Mais comment l'aborder et s'y retrou­ver face à l'abondance de documents mis à la disposition des lecteurs aux Archives départementales?

La généalogie qui suit, prise pour l'exem­ple, est fictive.

Tables Décennales et Registres d'état civil

Les Archives départementales, gardien­nes du patrimoine écrit ne conservent que l'état-civil de plus de cent ans. Il est donc inu­tile d'aller y réclamer l'acte de naissance d'un aïeul né en 1900 : cet acte est encore à la mai­rie de son lieu de naissance. Par contre, si vous

., d' 1 savez que votre arnere gran -pere est ne aux alentours de 1875 à Limeuil, mais que vous ne connaissez pas exactement la date de l'acte, vous pouvez vous rendre de ce pas aux Archi­ves départementales et demander en premier lieu les Tables Décennales du canton de Sainte-Alvère.

Que sont ces Tables décennales appe­lées couramment T.D. et qu'apportent­elles?

Les Tables décennales sont des sortes de répertoires reliés par canton. Elles regroupent, comme leur nom l'indique, de dix ans en dix ans, toutes les communes d'un canton.

Elles commencent, pour la plupart d'entre elles, en 1793 et sont consultables aux Archives jusqu'en 1902.

Ainsi, peut-on demander la T.D. du can­ton de Villamblard de 1793 à 1802 ou celle du canton de Montpon de 1853 à 1862, etc.

Les tables de chaque commune compor-

tent trois listes (naissances, mariages, décès) qui sont plus abécédaires qu'alphabétiques, c'est­à-dire que les patronymes y sont classés par leur lettre initiale: le nom Durand peut se trouver avant le nom Dupont.

Ces répertoires, indépendants des regis­tres d'état civil, permettent de retrouver très rapidement la date d'un acte lorsqu'elle n'est pas connue.

Si vous cherchez l'acte de décès de votre ancêtre «Jean Ranouil» décédé vers 1875 à Limeuil, vous demanderez la T.D. du canton de Sainte-Alvère de 1873 à 1882 et vous con­sulterez à l'intérieur de cette table, la liste des décès à la lettre « R » pour « Ranouil », de la commune de Limeuil. Instantanément vous y lirez la date précise du décès: 5 avril 1875.

Dans les registres d'Etat civil : les actes de décès

Le registre d'Etat civil de Limeuil de 1875, conservé aux Archives, sous la cote 5 E 236/14, vous donnera les renseignements suivants:

« Le 6 avril 1875, en la commune de Limeuil, s'est présenté. .. (un témoin), qui nous a déclaré que Jean Ranouil, 62 ans, époux de Cathe­rine Maraval, est décédé hier en son domicile, situé au bourg de Limeuil, en son vivant agri­culteur, fils de feu Martial Ranouil et de feue Jeanne Marty, originaire de cette commune ... ».

• Ladécou­verte de vieilles photos de famille incite souvent à entreprendre sa généalogie. Photo A.D. 24 ..

37

Page 41: Mémoire de la Dordogne

• Faire part de naissance. A.D. 24, J 90. Photo A.D. 24.

38

Cet acte de décès comporte des indica­tions précieuses, qu'il faudra exploiter plus tard, car il mentionne les noms de l'épouse et des parents du défunt, l'âge du décédé et son lieu de naissance.

Il s'agit ensuite de rechercher l'acte de mariage de Jean Ranouil et de Catherine Maraval.

Dans les registres d'Etat civil: les Actes de mariage

L'acte de mariage est capital dans une recherche généalogique par ses précisions au niveau des filiations. Les quatre témoins ne sont pas non plus à négliger, car ils peuvent donner des pistes de recherche s'il existe entre eux et les époux un lien de parenté.

Jean Ranouil étant décédé à 62 ans en 1875, il est donc né vers 1813 et a donc pu se marier entre 1831 et 1851.

lq 1!J"il\d, l,j· 2-cril 188b. < ":,. /' (\ "if ~ \

A l'intérieur des T.D. du canton de Sainte-Alvère (de 1823 à 1852), la liste des mariages de la commune de Limeuil sera logi­quement consultée en priorité. Si le mariage n'est pas mentionné dans cette commune, les listes de mariages des autres communes du can­ton seront dépouillées. Ce dépouillement est rapide et facile.

Si l'acte de mariage n'a pas été retrouvé après ce second sondage, il faudra se tourner vers l'épouse - Catherine Maraval - car l'union a dû avoir lieu dans sa commune de naissance: il était traditionnel autrefois de s'unir chez l'épouse. Il s'agira alors de retrou­ver l'acte de décès de Catherine Maraval (après 1875 à Limeuil). En supposant que son acte de décès retrouvé ait annoncé comme lieu de nais-

sance « Le Bugue », il faudra alors prendre les T.D. du canton du Bugue entre 1831 et 1851. La Table décennale indiquant l'union dans la commune du Bugue, le 16 septembre 1834, il suffira de se reporter au registre de l'année 1834 de cette commune (conservé aux A.D. sous la cote ~ E 66/13). L'~cte de mariage donnera les renseignements sUlvants :

« Jean Ranouil, 21 ans, né et domicilié au bourg de Limeuil, exerçant la profession de cul­tivateur, fils de Martial Ranouil, cultivateur, et de Jeanne Marty, et Catherine Maraval, 18 ans, née et domiciliée au bourg du Bugue, fille de feu Pierre Maraval et de Marie Dupont ... Acte de naissance de l'époux en date du 7 février 1813, Acte de naissance de l'épouse en date du 20 août 1816, Acte de décès du père de l'épouse en date du 15 août 1831 ... ».

Dans les registres d'Etat civil: les Actes de naissance

Les actes de naissance de Jean Ranouil et de Catherine Maraval seront aisément retrouvés puisque les dates et lieux sont connus.

Ces actes donneront des renseignements sur l'heure de naissance et sur les noms, âges et professions des parents.

L'acte de naissance de Jean Ranouil sera recherché, le 7 février 1813, dans le registre de Limeuil (conservé dans le registre 5 E 236/7) et donnera les indications suivantes:

« L'an 1813 et le 7 février, est comparu Martial Ranouil, cultivateur, demeurant au bourg de cette commune, âgé de 39 ans, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin, né ce jourd'hui à 5 h du matin, de lui déclarant et de Jeanne Marty, conjoint et auquel il a déclaré vouloir donner le prénom de Jean ... ».

Il faut souligner qu'en marge de l'acte de naissance peut se trouver une note sommaire, appelée « mention marginale ». Celle-ci est très utile dans une enquête généalogique et peut être de différentes natures: rectifications d'état civil, décès, mariage, divorce, changement de nom, acte de reconnaissance d'un enfant natu­rel, etc.

Depuis quelques mois, malheureusement et au grand désespoir des généalogistes succes­soraux, ces mentions marginales ne sont plus obligatoires ...

La recherche généalogique la plus élé­mentaire implique la connaissance de cinq actes d'état civil par couple: les 2 actes de naissance, les 2 actes de décès et l'acte de mariage. L'étude

Page 42: Mémoire de la Dordogne

de la branche « Ranouil » devra donc conduire à la recherche des actes de décès de Martial Ranouil et de Jeanne Marty, entre 1834 et 1875 à Limeuil, de leur acte de mariage (avant 1813) et de leurs actes de naissance.

L'acte de mariage étant l'acte le plus important dans une recherche généalogique, il peut être intéressant d'énumérer quelques dif­ficultés qui peuvent surgir lors de sa recherche et aussi quelques moyens de les contourner. Ainsi,

1. Si le mariage des parents de Jean Ranouil a eu lieu tout simplement à Limeuil, la T.D. de Sainte-Alvère de 1803 à 1812 (ou celle de 1793 à 1802, s'ils ont eu d'autres enfants avant Jean) donnera la date exacte.

2. Si le mariage n'a pas eu lieu à Limeuil, il faudra consulter les listes de mariage de tou­tes les autres communes du canton de Sainte­Alvère de 1793 à 1812.

3. Si le mariage n'a pas eu lieu dans le canton de Sainte-Alvère, il ne faudra pas hési­ter à dépouiller les T.D. des cantons voisins: soit les T.D. de Vergt, du Bugue, de St Cyprien, de Lalinde et de Cadouin ...

Toutes les communes seront alors pas­sées en revue avec discernement, car il serait fort dommage de «rater» cet acte par inadvertance !

Il est assez rare que l'une ou l'autre de ces possibilités ne donne satisfaction, mais si tel était le cas, le problème ne serait pas inso­luble, car les publications de mariage peuvent apporter la solution.

Dans les registres d'Etat civil: les publications de mariage

Au même titre que les naissances, maria­ges et décès, les publications de mariage sont consignées dans les registres d'Etat civil depuis environ l'an XII, soit 1803. Ces annonces du futur mariage doivent être dépouillées dans la commune de naissance du premier né du cou­ple, en remontant le temps.

Ainsi, dans notre exemple, toutes les publications de la commune de Limeuil seront lues depuis l'année 1813, naissance de Jean, jusqu'à la découverte de celles du couple recherché.

Ces annonces, faites deux fois, à une semaine d'intervalle, renseigneront sans aucun doute sur le lieu du mariage en indiquant :

« Le 22 mars 1809 (puis le 29 mars 1809) ont eu lieu les publications des bans du futur mariage de Martial Ranouil et de Jeanne Marty, faites dans la commune de Limeuil et dans celle de Manaurie ... ».

L'union sera donc à rechercher dans le registre de Manaurie, commune d'origine de l'épouse, fin mars ou début avril 1809.

De Table décennale en registre d'Etat civil, la recherche progresse et rebondit par ricochet d'un acte récent à un acte plus ancien, grâce aux informations que chacun d'entre eux fournit. La recherche d'ascendance est alors relativement aisée, même si quelques actes des années révolutionnaires déroutent un peu avec l'usage du Calendrier Républicain, de septem­bre 1793 à décembre 1805 (soit de l'an II à l'an XIV).

Les noms des mois appelés poétiquement (Floréal, Ventose ou Thermidor ... ) seront con­vertis grâce à un tableau de concordance, qui pourra nous apprendre d'un simple coup d' œil que le 22 Frimaire an V était le 12 décembre 1796 !

L'année 1793 marque pourtant une limite à la relative facilité des recherches, car les T ables décennales~ précieux instruments de travail, n'existent pas avant cette date. Les recherches d'ascendance vont alors s'orienter vers l'exploitation des registres paroissiaux, dont le sujet sera traité dans le numéro suivant.

Martine DUHAMEL Généalogiste professionnelle

• La reconnaissez-vous? Coll. part. Photo AD. 24.

39

Page 43: Mémoire de la Dordogne

40

A L'ÉCOLE

Epidémies et grandes maladies en France, du Moyen âge à nos jours, thème du concours de cc l'Historien de Demain ».

Chaque année, la Direction des Archi­ves de France, relayée par les Archives dépar­tementales, propose aux scolaires, du cours moyen à la terminale, le concours de « l'His­torien de Demain» 1. il s'agit, à travers un thème fixé, de s'initier aux méthodes de l'his­torien et de produire un dossier de recherches, soit à titre collectif, soit à titre individuel. Le sujet, vaste mais défini, permet une réflexion sur un problème fondamental ou une structure de base de notre société dont les racines plon­gent dans l'Histoire. Ainsi, depuis 1989, ont 1 1 1 ete proposes:

- de la paroisse à la commune, 1750 - 1959, - l'eau, - les migrations de la population française,

XVIIIe siècle - 1962.

Illustrant le thème retenu, une exposi­tion documentaire est organisée en appui par le Service Educatif des Archives départemen­tales et les services d'archives. Elle permet, à partir des ressources disponibles d'ouvrir des perspectives de recherches, d'indiquer des sup­ports possibles, de suggérer des sujets, d'offrir aussi des repères chronologiques et des référen­ces bibliographiques aux maîtres et à leurs élèves 2.

Ainsi, cette année, les Archives départe­mentales de la Dordogne, ont, de février à avril, donné à voir quelques unes de leurs richesses, illustrant sept facettes du sujet: aspects démo­graphiques, aspects psychologiques, symptô-

1 • •

mes, mesures preventIves, mesures curatIves, le corps médical et l'hôpital, la religion. Que nous apprenaient-elles?

L'ampleur d'une épidémie se mesure d'abord par son impact sur la démographie de la population touchée. En 1348 (Peste Noire), comme en 1634 ou, plus près de nous, en 1918, la lecture attentive des documents, ici registres paroissiaux, là rapports de gendarmerie, révé­lait, l'étendue de la catastrophe. Le mal, qu'on le nomme peste, mal-chaud (termes généri­ques), ou qu'on ait appris à le désigner avec

plus de précision, pouvait, avant les progrès décisifs de la médecine au XIXe siècle, anéan­tir les deux tiers d'une population.

Longtemps, les hommes furent d'autant plus effrayés qu'ils se sentaient démunis et ignorants face au mal. Le sentiment de peur, renforcé par celui de culpabilité souvent inex­pliqué mais fortement ressenti, amenait à des conduites d'exclusion, voire de persécution: ainsi, en 1321, les lépreux de Périgueux furent­ils brûlés et leurs biens spoliés. La fuite dans la campagne proche, pouvait, pour quelques mois, vider la ville de ses habitants, tandis que la famille elle-même ne résistait pas au poids d'une pression psychologique insupportable.

Ce n'est qu'à partir du XIXe siècle, que la médecine apprit à analyser avec précision l'origine des maladies et découvrait peu à peu des médicaments adaptés. Désormais, les mesu­res contre les épidémies, préventives et curati­ves, pouvaient franchir un pas décisif. Mais

d, . l' d' avant en arnver a, que e tatonnements, d'essais plus ou moins fructueux, de recettes aussi inefficaces que fantaisistes, telle celle-ci, conservée dans un répertoire des drogues et de leurs vertus (XVIIIe siècle), qui recommandait l'esprit de vin camphré pour guérir de la peste. C'est avec ces armes que, longtemps, médecins et chirurgiens, structures hospitalières plus cha­ritables que curatives, tentèrent de combattre le mal.

Tandis que les hommes de l'art restaient inefficaces, la religion offrait le dernier recours aux populations traumatisées par l'ampleur et la répétition des épidémies. La piété populaire s'organisait autour de saints protecteurs, parmi lesquels Saint Roch fut largement sollicité par les populations périgourdines. Dans le même temps, pèlerinages et pénitences étaient orga­nisés par un clergé qui, quelquefois, n'hésitait pas, au péril de sa vie même, à faire une mois­son des âmes: ainsi le fit au XVIIe siècle, Alain de Solminihac, avec le souci premier de sau­ver des chrétiens de l'enfer, mais distribuant aussi soins et conseils.

1 - Le sujet est com­muniqué aux classes à la rentrée scolaire, les dossiers doivent être achevés pour le mois d'avril suivant. Cette année, le concours avait été ouvert aux élèves de 1 ere année d'LU_F.M. (Institut Universitaire de For­mation des Maltres)

2 - Voir livret de l'exposition, avec pré­sentation des thèmes, repérages des docu­ments, bibliographie, chronologie et docu­ments annexes.

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• Saint­Roch. Eglise de Saint-Martial­Laborie dans la commune de C.herveix-Cubas. A.D. 24. 2 J 1267.

Aujourd'hui, comme hier, les épidé­mies n'ont donc pas épargné le Périgord. Les documents présentés permettent d'en apprécier les effets, parfois d'en mieux comprendre les causes, depuis 1321 (lèpre) jusqu'en plein XXe

siècle. Ils éclairent aussi les combats, souvent vains, menés contre ces fléaux, par des hom­mes, connus ou anonymes, mobilisant toute leur énergie et toute leur science pour aider leurs semblables. Ils favorisent enfin la 'fl . " l'h re eXlOn sur notre present, ou orreur et

l'impuissance face au sida, pandémie du XXe

siècle, réveillent les peurs anciennes qu'on croyait, un peu vite, à jamais disparues.

On pourra simplement regretter que ce thème n'ait suscité que peu de réalisations et former le vœu que l'an prochain 3, s'éveillent de nouvelles vocations... d'historiens de demain!

Michel COMBET Service éducatif des

Archives départementales de la Dordogne

1---------- FORUM

Cette rubrique vous concerne. Utilisez la pour exprimer vos idées, réac­tions, suggestions. Outil de communication, elle doit être un intermé­diaire supplémentaire entre les lecteurs et les Archives, un moyen d'échange et de recherche à votre service.

• Je recherche toute trace, tout souve­nir liés au chemin de Saint-Jacques en Dordo­gne : détails architecturaux, vestiges archéolo­giques, données archivistiques ou littéraires, chansons, légendes, lieux-dits, dédicaces, etc. Ceci en vue d'un travail d'inventaire, qui pourra servir à un travail ultérieur de réhabi­litation, auquel je convie toute personne inté­ressée. Ecrire à Bernard Reviriego - Archives départementales de la Dordogne.

• Je remercie tous ceux qui me commu­niqueront des informations glanées dans les archives, même si elles paraissent à priori mini-

mes, sur la présence des cerfs et chevreuils en Dordogne (y compris dans les recettes de cui­sine ... ). Toutes les époques sont intéressantes, bien que la période d'avant la Révolution soit la plus méconnue. D'avance merci. Ecrire à Jean-Marc Pommier -La Meysseillasse -24800 St-Paul-la-Roche - 53.62.50.58.

• Les Archives départementales recher­chent toute information archivistique, quelle qu'en soit la période, concernant le climat ou la santé, afin d'établir une chronologie de réfé­rence et une base de données. Ecrire aux Archi­ves départementales. Merci.

3 - Le prochain con­cours devrait porter sur l'immigration et l'intégration (ou non) des immigrés dans la société française.

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PAROLE DE LECTEUR

Entretien avec Madame Christiane Nectoux.

Bernard Reviriego : Vous êtes une de nos plus fidèles lectrices et j'aurais aimé que vous vous l' ,

presentiez vous-meme.

Christiane Nectoux : Je suis mensignacoise, périgourdine, on peut le dire, bien que ma famille maternelle soit bretonne et ma famille paternelle limousine. Je suis née en Périgord et mes premiers pas dans les Archives de la Dordogne ont été faits grâce au Père Pomma­rède qui m'y a conduit, il y a plus de 20 ans. J,. l " avalS commence, parce que mon pere posse-dait quelques documents qui concernaient le Marquisat de Mensignac, puisqu'il avait été le confident du dernier Marquis pendant les 9 der­nières années de sa vie. Mais il y avait les. contraintes familiales et je fi' avais pas l'esprit assez libre pour m'en occuper plus avant. Cela fait 8 ans à peu près que je viens régulièrement aux Archives. Mais, avant de me réintéresser à la famille de Sanzillon et aux Archives de la Dordogne, j'ai commencé comme tout un cha­cun à m'intéresser à ma généalogie, savoir un peu quelles étaient mes racines. J'ai commencé à faire la généalogie de mon père, de la famille, et j'ai retrouvé des notaires jusqu'en 1588. Je suis aussi depuis 5 ou 6 ans les cours de paléo­graphie, parce que lorsqu'on est à la recherche de vieux documents, il n'y a rien de plus terri­ble que de ne pas pouvoir les déchiffrer. Je ne déchiffre pas tout mais quand même j'ai fait de gros progrès, c'est tout à fait normal, et avec M. Bordes nous en faisons énormément, parce qu'il n'est pas tendre avec nous ...

B.R. : Vous faites des recherches généalogi­ques, puis vous vous lancez ensuite dans une monographie municipale, avec succès puisque vous avez, avec vos amis Mr et Mme Caignard, remporté le premier prix du concours « Clo­cher d'or ». Pourriez-vous décrire vos métho­des de travail et, en particulier, votre travail en équipe?

C.N. : Pour faire l'histoire, la monographie sur Mensignac, j'ai commencé par rassembler des documents, mais je n'avais pas de méthode pré-

cise. Petit à petit un schéma s'impose à votre esprit. Mais n'ayant pas de formation réelle, je m'interroge toujours, et Mme Faure, docu­mentaliste, m'a indiqué un jour un ouvrage intitulé « Comment faire une étude d'histoire communale» de Levron, et nous nous sommes vraiment servi presque à la lettre de ce docu­ment pour établir l'histoire de Mensignac. Alors, vous parlez d'équipe. Au début, j'étais seule car je suis indépendante, mais je voyais bien l'ampleur du travail, et l'amitié que j'avais pour M. et Mme Caignard depuis plus de 30 ans m'a poussé à leur demander de travail­ler à ce propos.

Sylvain Roux: Aviez-vous une formation particulière ?

C.N. : Non, je n'ai suivi aucune formation uni-0_' .",. • 1 1 • 1

versltalre malS J al toujours ete passlOnnee par la lecture. Avec les premiers centimes que mes parents m'ont donné comme argent de poche, je suis partie en courant à la librairie d'à côté pour m'acheter un livre. J'étais toute gamine, de cela je m'en souviens. On trouve réellement toujours la possibilité de s'enrichir. Vous ache­tez des livres et vous lisez, vous lisez. Moi, pen­dant un temps, pour mon travail aux Archi­ves, cela a été l'ouvrage de Marion sur les ins­titutions de la France au XVIIe et XVIIIe siè­cles, celui de Zeller sur celles du XVIe, ou encore le Godefroy sur les mots de l'ancien français. il faut voir aussi tout ce qui peut paraî­tre sur le Périgord, ce que font les autres, voir de quelle façon ils travaillent, parce que ça aussi c'est un enrichissement.

B.R. : Vous parlez de littérature, est-ce que vous trouvez tout sur place aux Archives, ou bien fréquentez-vous d'autres lieux? Je crois que vous avez mené des enquêtes sur le terrain et contacté des gens des municipalités. Est-ce que je me trompe?

C.N. : On ne trouve pas tout bien entendu aux Archives, malheureusement. J'en ai fait la cruelle expérience pour Mensignac, puisqu'il

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manque plus de deux siècles de minutes de notaires. Je me suis adressé aussi à la Biblio­thèque municipale de Périgueux, où j'ai con­sulté pas mal d'ouvrages bien entendu, alors vous parliez d'enquêtes sur le terrain ...

B.R. : Je pensais surtout à votre deuxième tra­vail sur les croix de mission, de rogations et de carrefours.

C.N. : En parcourant les routes et la campa­gne, je voyais que ces croix disparaissaient et j'ai pensé qu'il serait bon d'en faire un inven­taire avant qu'elles aient entièrement disparues, et le fait d'avoir fait cet inventaire a permis jus­tement d'en redresser quelques unes. C'est inté­ressant parce que en fait ce sont des témoigna­ges cultuel et culturel. Il y a les deux, alors j'ai fait ce petit travail, cet inventaire sur les 12 communes du canton de Saint-Astier et là, effectivement, j'ai été en contact avec les gens. Je suis allée sur le terrain, munie des cartes I.G.N., j'ai parcouru en long et en large tou­tes les routes, les petits chemins de terre du can­ton de Saint-Astier. J'avais d'abord écrit à tous les maires du canton, 5 seulement ont répondu, mais enfin très aimablement, je dois le recon­naître, ils ont racheté un peu le silence des autres. Ensuite j'ai contacté les prêtres, bien entendu, qui m'ont donné quelques renseigne­ments puis les personnes les plus âgées qui sont une mine souvent inépuisable. C'est un trésor qu'on n'exploite pas assez. Au fur et à mesure qu'elles parlaient, remontaient notamment les souvenirs des rogations. Elles se souvenaient de ces processions, parce que c'était le matin avant d'aller à l'école, il fallait qu'elles partent vers 7 heures pour se rendre en procession à telle ou telle croix. Après il y avait une messe, puis l'école. Je crois que maintenant dest une chose qu'on ne pourrait plus demander à personne.

S.R.: Est-ce que vous avez enregistré ces entretiens ?

C.N. : Malheureusement non. Et voyez vous, plus j'y pense, plus je le regrette. Mais mainte­nant, j'ai quand même quelques petites idées parce que l'expérience vient de l'inexpérience.

B.R. : Je suis frappé par votre façon très vivante d'aborder à la fois le patrimoine et la notion d'archives. C'est très enthousiasmant. Avez-vous des projets et souhaitez-vous lancer un appel?

C.N. : Non, là c'est un travail en solitaire, que j'ai commencé, il y a trois ans. J'ai assemblé des documents d'archives sur le prieuré de

Lafaye. Actuellement je suis en train de les met­tre en forme et de rédiger. C'est un travail qui m'a demandé pas mal de recherches pour péné­trer un peu dans la vie des prieurs commenda­taires, parce que là encore je butais sur certai­nes choses qu'il n'était pas très facile pour moi de saisir.

B.R. : J'espère en tout cas que vous aurez • l' occaSl'on non seulement de venl'r souvent du concours" Clo-

Les lauréats

cher d'or .. félicités « consommer» des archives mais, plus encore, par le Président du

d . , d' A Conseil Général. e contmuer a en pro U1re... vez-vous une Photo A.D. 24

anecdote par rapport aux Archives actuelles? Comment les avez-vous appréhendées?

C.N. : Avec l'enthousiasme de la découverte. Il est évident qu'au début, comme tout un cha-cun, j'étais un petit peu paniquée par les nou-velles procédures informatisées. Je me disais que je n'y arriverais jamais; j'ai entendu cer-taines personnes dire qu'elles ne viendraient plus aux Archives ... et puis elles sont revenues après, bien entendu. J'ai trouvé des personnes, attachées fortement au passé, regretter la place Hoche. C'était un cadre assez particulier, que je ne regrette absolument pas. Le bâtiment de la place Hoche est absolument magnifique, c'est certain, mais celui-là, dans sa modernité, est aussi magnifique et puis il y a tout le con-fort et la lumière requise pour pouvoir travail-ler dans de bonnes conditions. Un mot encore pour le personnel des Archives qui se trouve en salle de lecture: je reconnais que quoi qu'on lui demande, il est toujours à la disposition de tout le monde, et ceci je le dis très sincèrement. C'est très agréable de travailler ici. Pour moi, venir aux Archives, c'est un délassement mais aussi un contentement profond. J'aime me retrouver dans cette salle, dans le silence, être seule au milieu de beaucoup de personnes et découvrir, découvrir le passé.

B.R. : Merci.

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