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Bulletin n° 29 1
Mémoires pour demain
Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation
Délégation de la Marne
Bulletin n° 29 novembre 2018
Défendre, pérenniser, transmettre
Cette devise de notre association, rappelée
lors de notre assemblée générale de Nanterre, doit
encore et toujours guider notre action.
Défendre la mémoire de la Déportation ? On
a beaucoup parlé de « dédiabolisation », mais il se
trouve encore aujourd’hui une conseillère munici-
pale, élue à Agen sur une liste FN, pour déclarer que
« les chambres à gaz sont un détail de l’Histoire »,
reprenant ainsi les propos qui ont valu à J.-M. Le
Pen une condamnation pour contestation de crime
contre l’Humanité.
Pérenniser ? c’est aussi ne pas oublier qu’à
côté de l’extermination systématique des Juifs, le
nazisme a procédé, dans les camps de concentra-
tion, à l’élimination par le travail forcé de ses oppo-
sants ; il ne s’agit pas de tomber dans une vaine
concurrence des mémoires, mais de rappeler qu’à
Auschwitz, les 230 femmes du convoi du 24 janvier
1943, déportées pour faits de Résistance, n’étaient
plus que 70 le 10 avril 1943.
Pérenniser, c’est approfondir la connaissance
de tous les aspects de la Déportation ; dans notre
délégation de la Marne, par les « Mercredis de la
Déportation », comme par notre traditionnel
« voyage de mémoire », nous nous efforçons de
mieux faire connaître à nos adhérents, comme à
ceux qui nous rejoignent à ces occasions, la com-
plexité de l’univers concentrationnaire.
Transmettre ? c’est ce qui doit nous animer
constamment. Car cette connaissance ne vaut que
si, transmise aux jeunes générations, elle contribue
à forger leur esprit civique, à les éloigner des atti-
tudes antisémites, racistes, xénophobes, de toutes
les formes de la haine d’autrui. Les interventions que
nous pouvons mener dans les collèges et lycées, en
nous appuyant sur les témoignages de déportés, y
contribuent. Nous devons nous tourner résolument
vers la jeunesse, en encourageant ceux qui, toujours
plus nombreux, préparent avec l’aide de leurs pro-
fesseurs le Concours National de la Résistance et
de la Déportation.
Pour nous adresser à eux, nous avons créé
une page sur le réseau social Facebook à l’adresse :
www.facebook.com/AFMD51. Nous y annonçons
nos actions.
Ces objectifs, nous les atteindrons grâce à
vous. Nous avons besoin de votre soutien, vous
pouvez inviter vos amis, vos connaissances à nous
rejoindre. Certains l’ont déjà fait, ce mouvement peut
s’amplifier.
De tout cela, nous pourrons débattre lors de
notre assemblée départementale du samedi 2 fé-
vrier. Nous aurons plaisir à vous y retrouver pour
entendre vos suggestions.
Car rien ne peut se faire sans vous.
Hélène LEBREC
Au camp du Struthof
Bulletin n° 29 2
Le Concours National de la Résistance et de la Déportation
Les lauréats de la session 2018 lors de la cérémonie de remise des prix en Préfecture.
Sur la tombe du général de Gaulle
« Je suis heureux, pour notre République, pour la
Mémoire de celles et ceux qui ont péri sous l’op-
pression et la barbarie, mais aussi pour celles et
ceux qui se sont battus pour y survivre, de vous
voir aujourd’hui réunis.
J’éprouve également une grande satisfaction à ob-
server la participation toujours importante des collé-
giens et des lycéens à ce concours, qui participe au
devoir de mémoire. »
C’est par ces mots que Monsieur le Préfet de la
Marne a accueilli les 45 lauréats du Concours Na-
tional de la Résistance et de la Déportation lors de
la cérémonie de remise des prix, le 6 juin, en Pré-
fecture. Accompagnés de leurs parents et de leurs
professeurs ils se sont vu remettre des ouvrages
traitant de la Résistance et de la Déportation.
Ils furent également félicités par Monsieur Jean-
Paul Obellianne, Inspecteur d’académie directeur
académique des services de l’Éducation nationale,
qui a relevé la complexité du thème retenu
« S’engager pour libérer la France » : les modalités
étaient bien différentes selon les personnes, et les
motivations également. Ce thème permettait ainsi
de brosser un vaste tableau des engagements pour
la libération de la France.
En 2018 ce furent en 377 élèves, provenant de 11
collèges et 8 lycées marnais qui ont participé, ce
qui est une sensible progression par rapport à l’an
passé.
L’AFMD51, qui est associée au choix des sujets et
au jury de correction, est heureuse de voir tant de
jeunes, encouragés et aidés par leurs professeurs,
participer à ce concours. Elle leur a apporté son
soutien, en organisant par exemple à Reims une
rencontre des candidats avec MM. Roger Boulanger
et Henri Carminati. Ce fut l’occasion d’échanges
fructueux dont beaucoup de copies se sont souve-
nues.
Il faudrait par ailleurs relever la qualité des travaux
collectifs pour lesquels les candidats ont fait preuve
de beaucoup d’imagination : poèmes, valises conte-
nant le matériel du résistant, bande dessinée retra-
çant la vie et le combat d’Yvette Lundy.
Comme chaque année, les lauréats ont été invités
par l’ONAC à un voyage de mémoire, qui les a me-
nés cette année à Colombey les Deux Églises où le
Mémorial retrace magnifiquement la vie et l’œuvre
de celui qui incarne cet engagement pour la libéra-
tion de la France : le général de Gaulle.
Bulletin n° 29 3
Établissement Ville Élève Professeur
Lycée M. Chagall REIMS CAILLIEZ Garance M. F. FOY
Lycée Jean XXIII REIMS BOUARFA Fairouz Mme V. COLOMBO-GRAUX Mme A. LEGENVRE
Lycée Jean Jaurès REIMS BERSILLON Anatole M. C. BUTEAU
GUYOT Charles
HUMBERT Camille
LANNEZ Grégory
LE HINGRAT Mirabelle
LOEFFLER Flavie
MARCHAND Corentin
MONNEY Léa
Établissement Ville Élève Professeur
Lycée F. Ozanam CHÂLONS en CHAMPAGNE MOUY Morgane M. M. BERALDIN
GLUSZKOWSKI Clara
Établissement Ville Élève Professeur
Collège Yvette Lundy AŸ ANDRIEUX Lilou Mme F. DHERSE
DERVIN Solène
EMPEREUR Candice
HENNEQUIN Pierre-Hugo
LANGLOIS Alice
LELARGE M. Charlotte
MARNIQUET Ambre
Collège Jean Monnet ÉPERNAY ARULAMPALAM Kadesh M. E. ODANT
AUBRY Julie
LAUNAY Thimothé
RINVILLE Clara
Collège François Legros REIMS HEBERT Chloé Mme L. MANGEARD
HUON ÉThan
Rédaction d’un devoir individuel lycée
Réalisation d’un travail collectif lycée
Réalisation d’un devoir individuel collège
Liste des laure ats du CNRD 2018
Bulletin n° 29 4
Réalisation d’un travail collectif collège
Établissement Ville Élève Professeur
Collège St-Étienne CHÂLONS en CHAMPAGNE ANTUNES Emma Mme É. LÉCUYER
ARNOULT Sophie
BRET Mélissa
CELADINI Chiara
CHARABIE Auréline
COURROUX Léa
DUPONCHEL Axelle
FILALI Maxime
GÉRARD Léna
HEIOB Isaac
LANGE Antoine
MAURICE Maxance
NICAISE Zathis
PATIN-VALENTIN Chloé
PHILIPPE Léna
RAPIN Léa
Collège Jean Moulin SAINT-MEMMIE Mme I. SIMON
DOMANGE Maélie
HANCE Hannah
PALUSSIERE Baptiste
THOMAS Justine
En gras le nom de l’élève dont le travail a été retenu pour le jury national.
L’adaptation en bande dessinée de l’ouvrage d’Yvette Lundy : Le Fil de l’araignée. Les élèves ont joué sur le passage de la couleur au noir et blanc pour marquer la séparation entre les événements de 1939 et du début de l’année 1940 avec le 22 juin 1940, date de la signature de l’armis-tice par le maréchal Pétain et début de la collaboration. Oscar Debail, Angélique Decourty,
Léa Dervogne, Cécile Fournier, Julia
Franquet, Lucie Garcia, Carrie Ma-
guelonne, Adeline Mancier, Réoline
Raimond du Lycée Stéphane Hessel
d’Epernay
Exemple de travail collectif
Bulletin n° 29 5
Conférence de M. Roger Boulanger
L’Alsace et la Moselle dans l’histoire de l’Europe
Pour ce vaste sujet, qui embrassait plusieurs millénaires de
l’histoire de l’Europe, notre ami a su associer les grandes fresques et
les anecdotes personnelles, qui ont donné vie, émotion et humour à
son exposé.
C’est en Orient que se situe le berceau de notre civilisation :
les peuples qui parlaient la langue indo-européenne, entreprennent,
sans doute à la suite de bouleversements géographiques, de suivre la
course du soleil vers l’Ouest. Plusieurs rameaux se détachent : perse,
hellénique, slave, et, pour notre propos, teutonique, qui occupe l’es-
pace au nord de l’Europe ; les idiomes se différencient : francique, alé-
manique en Palatinat, Alsace et Moselle.
L’Empire romain entreprendra de les contenir au-delà du
« limes » qui passe par le Rhin. Les Vosges sont fortifiées, des voies
sont tracées pour garantir l’approvisionnement en sel ; les noms de
lieux en portent encore la trace. Mais cet empire prospère s’effondre
au IVe siècle sous le coup des « invasions barbares », que les histo-
riens allemands préfèrent appeler « migrations populaires ».
De 1618 à 1648 l’Europe est ravagée par la Guerre de Trente ans ; à l’origine conflit religieux, elle
devient une guerre entre la maison d’Autriche et le pouvoir royal en France, allié aux Suédois. Les destruc-
tions affligent l’Alsace et la Moselle, qui resteront durablement marquées par l’obsession de leur survie. Le
traité de Westphalie les livre au Saint Empire Romain Germanique.
Alors que la Révolution et l’Empire les avaient rattachées à la France, la défaite de 1870 et le traité
de Versailles les attribuent au Reich qu’a proclamé Bismarck. C’est alors une période marquée par la germa-
nisation totale, l’incorporation des jeunes gens dans l’armée allemande ; mais c’est aussi le temps d’un essor
économique qui voit se créer les dynasties industrielles comme les de Wendel ; la population bénéficie de la
sécurité sociale. Toutefois s’impose le style wilhelminien, fonctionnel et massif : gare de Metz, Haut Koenigs-
bourg.
Pour évoquer la dernière période, celle qui commence en 1939, Roger Boulanger fait appel à ses
souvenirs personnels, souvent douloureux : l’exode, et l’attitude peu accueillante des « Français de l’inté-
rieur » qui voient dans ces Alsaciens et Mosellans, dont beaucoup parlent mal le français, des « sales
Boches » ! Revenu à Forbach, il constate la germanisation forcée qui suit l’annexion de fait au IIIe Reich. Les
noms des villes et des rues sont modifiés, l’état civil est un temps bouleversé par la « traduction » des noms
de famille. Mais c’est surtout à partir de 1942, quand les nazis imposent aux jeunes l’incorporation dans l’ar-
mée allemande, que se développe, malgré une répression féroce, une tentative de résistance. Pour sa part, il
passe en Suisse, mais en est refoulé : emprisonné à
Sarreguemines, puis interné au camp du Struthof, il
connaît la brutalité des SS dans leur entreprise de
détruire toute humanité chez les détenus. Déporté
ensuite à Flossenburg, il participe à ces marches de
la mort où a péri le tiers des 614 000 déportés survi-
vants en 1945. Le courage, et la chance, favorise-
ront son évasion.
« Ce ne fut pas un long fleuve tranquille »,
cette formule qu’il applique à sa vie pourrait aussi
résumer l’histoire de l’Alsace-Moselle dont il a su
évoquer les traits les plus significatifs en captivant
son auditoire. Roger Boulanger dédicace son ouvrage Un fétu de
paille dans les bourrasques de l'Histoire
Bulletin n° 29 6
Francine Christophe à Reims
Tous les élèves de troisième du collège François Legros étaient là pour écouter Francine Christophe
Au lycée Marc Chagall
C’est toujours avec beaucoup d’émotion, et de re-
connaissance, que nous accueillons notre amie
Francine Christophe quand elle peut venir témoi-
gner dans les établissements de Reims.
Comme les années passées, en juin, les élèves du
collège François Legros ont pu bénéficier des le-
çons qu’elle a tirées de sa déportation. Elle est éga-
lement allée au lycée Marc Chagall, qui accueillait
aussi quelques élèves du lycée Jean Jaurès.
L’attention et l’intérêt sont toujours très grands chez
ces adolescents. L’émotion aussi, quand, par
exemple, Francine Christophe raconte l’anecdote du
« petit morceau de chocolat ».
Mais le témoignage sert à donner une leçon de vie :
mise en garde contre la renaissance de l’antisémi-
tisme, appel à la vigilance contre toutes les formes
de haine d’autrui.
Merci donc à Francine, et aux professeurs de Fran-
çois Legros qui avaient organisé sa venue : elle
s’inscrit dans un projet qui, notamment, conduit les
élèves au camp du Struthof.
Alors, à l’an prochain, à François Legros et à Jean
Jaurès, dont les élèves avaient été nombreux à par-
ticiper au CNRD, et à y être récompensés.
Bulletin n° 29 7
La mémoire de Jeannette GRYF au lycée Joliot-Curie
Le 24 mai 2018, les élèves de Terminales
Gestion administrative (TGA) du lycée Joliot-Curie
de Reims présentaient le travail mené tout au long
de l’année sous la conduite de leurs enseignantes
Hélène Lancelot et Nathalie Prat.
Ce travail répondait au projet proposé par la
Région Grand Est et par le Mémorial de la Shoah
dans le but de sensibiliser les jeunes à l’histoire de la
Shoah par le biais de l’histoire locale.
C’était un défi difficile à relever pour des
élèves qui avaient de vagues souvenirs de leurs
cours d’histoire de collège et qui devaient assumer
en parallèle la préparation du baccalauréat et de
nombreux stages. Mais la ténacité des enseignantes
et l’implication progressive des élèves vinrent à bout
des difficultés.
Peu à peu les élèves s’attachèrent à l’histoire
de Jeannette Gryf, jeune juive rémoise de 9 ans dé-
portée en juillet 1942 à Auschwitz avec sa mère et
ses trois jeunes frères. Les élèves furent accompa-
gnés dans leur cheminement par plusieurs interve-
nants : Frédéric Voulyzé (TéléCentreBernon-
Épernay) pour une approche de la Shoah par les
images d’archives, les documentaires et les films de
fiction ; Christine Dollard-Leplomb (AFMD-08) pour
l’histoire des juifs astreints au travail dans les fermes
des Ardennes ; Jocelyne Husson (AFMD-51) pour
l’histoire de la famille Gryf 1 ; Suzy et Claude Se-
croun (LICRA) et Ghislaine Lévy, demi-sœur de
Jeannette Gryf.
Des temps forts marquèrent cette année sco-
laire. Ce fut en décembre 2017 la visite du Mémorial
de la Shoah et la rencontre très émouvante avec
Yvette Dreyfus-Lévy, déportée à Auschwitz en juillet
1944 alors qu’elle avait 18 ans, leur âge…Un autre
moment fort aurait dû être le voyage à Auschwitz en
février 2018, annulé pour cause de neige à la grande
déception de tous. Il y eut aussi les restitutions du
travail sur le site du lycée, la réalisation d’une vidéo
avec l’aide de Christopher Ventura, assistant d’édu-
cation, et sa présentation le 15 mai 2018 à la Maison
de la Région Grand Est à Strasbourg, où les élèves
de Joliot-Curie confrontèrent leur travail avec celui
de lycéens venus de toute la région.
Encouragés par la reconnaissance de leur
travail à Strasbourg, les élèves ont tenu à le présen-
ter ce 24 mai 2018 à M. Oudin, proviseur de leur ly-
cée, aux enseignants, aux élèves, aux intervenants,
en présence de M. Obellianne, inspecteur d’acadé-
mie. L’assistance avait la gorge nouée devant la vi-
déo retraçant l’histoire de Jeannette jusqu’à sa der-
nière lettre, petit mot griffonné jeté du train de dépor-
tation. Et chacun a pu mesurer le chemin parcouru
par les élèves qui s’étaient impliqués, leurs progrès,
non seulement sur le plan historique ou littéraire,
mais aussi dans la prise de confiance, le travail en
équipe, le dépassement des difficultés.
L’histoire et la mémoire de la Shoah ont fait
l’objet de plusieurs travaux menés dans d’autres éta-
blissements de l’académie, en particulier au lycée
Colbert de Reims sur la famille Schwartzmann de
Tinqueux, la famille la plus nombreuse déportée de
France, et au collège Victor Duruy de Châlons-en-
Champagne, sur Solange Ast, élève de l’établisse-
ment déportée à Auschwitz en octobre 1943 2. Des
élèves du lycée Joliot Curie sont engagés pour cette
année scolaire 2018-2019 dans un nouveau projet…
à suivre et bravo !
Jocelyne Husson
1 Voir Mémoires pour demain, bulletin numéro 16,
mai 2014.
2 Le 19 octobre 2018 la salle Solange Ast a été inau-
gurée au collège Victor Duruy.
Les enfants Gryf
Bulletin n° 29 8
VOYAGE DE MÉMOIRE AU CAMP DU STRUTHOF
ET AU MUSÉE-MÉMORIAL D’ALSACE-MOSELLE DE
SCHIRMECK
Samedi 2 juin 2018
C'est par une belle matinée ensoleillée que nous
partons pour le camp du Struthof et le Musée-
Mémorial de Schirmeck. 32 personnes au départ de
Reims, 8 autres nous rejoignent à Châlons en
Champagne. Le voyage est long, Françoise Locre
et José Guillemin en profitent pour nous présenter
le programme de la journée, en particulier le camp
de Natzweiler Struthof.
Histoire du camp du Struthof
Il fut construit sous la direction d’A. Speer et du co-lonel SS Karl Blumberg qui arrivent à l'été 1940 et s'installent à l'hôtel du Struthof. Ce lieu a été choisi à cause du granit rose très recherché par le Reich. Un camp de concentration provisoire fonctionne à partir du 1er mai 1941, puis les 300 premiers déte-nus allemands doivent construire le camp, c’est-à- dire aménager les terrasses, car la pente est de 12%, tracer les routes et monter les baraques. Toutes les installations dans les enceintes du camp et les 17 baraques sont achevées en octobre 1943 : le crématoire qui était jusqu'alors un four ambulant, et les 13 blocks pour les détenus (de 150 à 200 dé-
tenus par block). L’ensemble occupe une superficie de 4 hectares. Au début, les déportés sont pour les deux tiers des triangles verts et noirs (asociaux) venant de Sach-senhausen. En juin 1942, on compte 900 déportés provenant d'autres camps en Allemagne. 200 à 300 d'entre eux travaillent à la carrière. En août 42, le camp de Natzweiler reçoit, pour la première fois, des détenus n'ayant jamais séjourné dans d'autres camps et devient un camp autonome : cette date correspond à l'arrivée de la Gestapo et l'application stricte du principe d'extermination par le travail. En 1942, arrivent des détenus polonais et sovié-tiques auxquels s’ajoutent en 1943, des déportés de toute l'Europe, des transferts d'Auschwitz (tziganes et juifs) et aussi des détenus NN. À l’origine, conçu pour 1 500 à 2 000 détenus, le camp finit par en compter plus de 6 000. Et 18 000 dans les komman-dos extérieurs.
L'historien R. Steegmann recense 4 800 entrées en 1943 et 23 200 en 1944, à la fois dans le camp et les 70 kommandos extérieurs. Il évalue à 52 000 le nombre de détenus passés dans le KL Natzweiler (camp mère et kommandos). 35 000 à 38 000 dépor-tés ne sont jamais passés par le camp principal. On estime le nombre total de décès de 19 000 à 20 000 soit 40% des effectifs. À partir du milieu de l'année 1943, en fonction des besoins de l'économie de guerre du Reich, l'extrac-tion du granit est peu à peu abandonnée. Un certain nombre de détenus construisent, dans l'enceinte de la carrière, des ateliers où des détenus plus spéciali-sés démontent et révisent des moteurs d'avion (usines Gunker). Puis, fin 43 et début 44, commence le creusement
Qui sont ces déportés NN ? : La mention NN est ins-tituée par le décret du 7 décembre 1941 signé par Keitel. Les premiers convois NN arrivent au camp en juin-juillet 1943 ; ce sont des Norvégiens, Néer-landais, Belges et Français. D'autres suivront. Leurs particularités : Des lettres NN peintes sur leurs vêtements, des rations alimentaires moindres, l'entassement dans leurs baraquements et ils sont longtemps privés de soins infirmiers. Ils sont utili-sés aux travaux les plus durs, soumis aux sévices des SS et des kapos, et aux stations interminables sur les places d'appel.
Bulletin n° 29 9
de trois galeries souterraines pour y installer les usines à l'abri des bombardements alliés. Ces tra-vaux sont interrompus en raison de l'avance des troupes alliées et de l'évacuation du camp qui a lieu dans les premiers jours de septembre 44. Les 4 et 6 septembre, 5 517 détenus venant de Natzweiler sont enregistrés à Dachau. Et, le 23 novembre 1944, c'est un camp entièrement abandonné qui est occu-pé par les Américains et la 1ère Armée française.
Notre visite
À notre arrivée au camp, à 11 heures, le temps est
couvert. Nous retrouvons Marie Josée Masconi, pré-
sidente de la DT67 qui, avec José, sera l’un des
guides pour cette visite. Le camp nous apparait dans
son ensemble, avec sa rugosité et sa minéralité ;
l'atmosphère est pesante malgré le soleil de juin et
nous imaginons avec bien du mal les détenus travail-
lant sur ce terrain escarpé, en plein hiver, peu vêtus
et peu nourris.
Le portail d'entrée franchi, nous nous divisons en
deux groupes pour la visite du camp. Évidemment,
beaucoup de bâtiments ont disparu. Restent la lan-
terne des morts, le portail, les deux baraques du
haut et leurs places d'appel avec les deux potences,
les terrasses et les stèles, le ravin de la mort, les
deux baraques du bas avec le four crématoire et la
prison, la double enceinte et les huit miradors, la
fosse avec le mur du souvenir, les escaliers montant
vers le mémorial. Les annexes ont disparu, sauf la
villa du commandant et l'inévitable piscine ainsi que
le jardin avec les cendres des déportés.
Après un passage rapide par la baraque du haut
transformée en musée, nous quittons le camp pour
le repas pris à La Claquette à Rothau, la gare où
arrivaient les déportés.
Le Musée-Mémorial de Schirmeck
À 15 h, nous pénétrons dans l’enceinte du musée
pour deux heures de visite. Le musée-mémorial de
l’Alsace-Moselle surplombe la vallée de la Bruche. Il
est situé sur le versant alsacien des Vosges, face à
ce petit village de Schirmeck. De la terrasse, nous
remarquons au loin, sur la montagne, la flèche du
camp du Struthof.
Ce musée est le fruit d’une volonté régionale. L’Al-
sace et la Moselle ont changé quatre fois de nationa-
lité en 75 ans et fait l’expérience d’un régime totali-
taire. Cela est très méconnu chez les Français. Elles
furent annexées deux fois par l’Allemagne, en 1871
et lors de la deuxième guerre mondiale par le IIIe
Reich.
Sous la conduite d’un guide nous passons de salle
en salle.
1ère salle : C’est par une « cathédrale d’images » que
nous commençons cette visite pour 70 ans de chaos
sur cette région de marge. Dans cette grande salle,
une galerie de portraits, des témoins, une scénogra-
phie, des documents. Le guide nous explique le con-
texte particulier de l’Alsace-Moselle dans les diffé-
rents conflits entre la France et l’Allemagne.
2e salle : Nous sommes le 1er septembre 1939. Hitler
hurle dans son micro et ses armées envahissent la
Pologne. Aux murs, des affiches touristiques, mais
un haut-parleur ordonne l’évacuation : La guerre est
déclarée. Nous avançons vers un compartiment de
Bulletin n° 29 10
train. Il est rempli de valises : Plus de 600 000 Alsa-
ciens-Mosellans sont évacués vers le Sud-Ouest de
la France. C’est l’exode. 200 000 ne reviendront pas.
Face au train, nous pénétrons dans une salle forti-
fiée, des portes blindées, des lignes électriques, des
rails au sol, un dortoir. Nous sommes dans la Ligne
Maginot et c’est « la drôle de guerre ».
3e salle : Après l’armistice, l’Alsace et la Moselle sont
annexées de force, commence la germanisation.
L’on change de monnaie, désormais c’est le mark.
L’on ne doit parler que la langue de Goethe. Les
plaques des rues passent du français à l’allemand,
de même pour les villes et les villages. Au plafond,
progressivement, les drapeaux français
s‘évanouissent au profit des croix gammées. En fond
sonore, des bruits de bottes.
4e salle : L’incorporation de force. Nous sommes
dans une salle oppressante, face à l’administration
nazie, dans une atmosphère carcérale.
Pour les Alsaciens-Mosellans, ce fut d’abord une
mise au pas, puis l’on passe, en février 1941, au tra-
vail obligatoire pour le Reich (le RAD qui sera un
échec). Les réfractaires se retrouveront au camp de
redressement de Schirmeck (1 400 en août 1941).
13 000 furent déportés dans les camps de concen-
tration, comme celui du Struthof. Pour finir, en août
1942, par l’incorporation de force dans l’armée alle-
mande, et même dans la SS. Environ 130 000
jeunes, les « Malgré-nous », seront envoyés sur le
front russe.
5e salle : L’univers concentrationnaire. Comme dans
tous les camps nazis, des baraques encerclées de
clôtures barbelées électrifiées et de miradors. Rè-
gnent la menace, la déshumanisation, la terreur, la
mort programmée pour tous ceux qui résistent aux
nazis, qu’ils soient de pays envahis ou d’Alsace-
Moselle.
6e salle : La libération du pays. Nous sommes dans
la forêt vosgienne, protection superficielle pour les
maquisards. La résistance s’organise partout, les na-
zis aussi. C’est la répression et l’élimination contre
les réseaux et les filières d’évasion pour les prison-
niers de guerre et les réfractaires ; malgré les repré-
sailles contre la famille de ces derniers (déportation
et confiscation de tous leurs biens). 12 000 s’enfui-
ront grâce aux réseaux (Sœur Hélène et le groupe
des Purs Sangs).
Nous sommes toujours dans la forêt, sur la passe-
relle, mais au sol, que des débris. L’on surplombe
une zone de combat. C’est la guerre. Les Allemands
ne font que reculer. Les combats tournent en faveur
des Alliés. Ce sera bientôt la libération et la paix. La
vie va reprendre son cours normal. Mais le bilan sera
très lourd, particulièrement, pour les 130 000 malgré-
nous, incorporés de force : 30% de tués ou disparus,
30 000 blessés et 10 000 invalides. Les Malgré-nous
(mais aussi les Malgré-elles) ont connu les moments
les plus noirs de l’Alsace-Moselle.
7e salle : L’espace Eu-Phoria. Au mur, des photogra-
phies de personnes souriantes. Ce sont des espaces
dédiés à l’Europe. Le chemin de la construction euro-
péenne avec toutes les étapes vers la paix. Les infor-
mations, les échanges, la culture, les sciences, le
progrès, la reconstruction du monde, la conquête de
l’espace…
Au détour d’un couloir, ces mots inscrits aux
murs : « Respect, Démocratie, Égalité, Solidarité,
Tolérance, Liberté, Dignité humaine, Justice, Droits
de l’Homme, Non-discrimination, Paix, … ».
« Les Français ont souvent reproché aux Alsaciens
et aux Mosellans d’avoir été soumis aux Allemands
deux fois. Pourtant, les Alsaciens avaient choisi l’Al-
lemagne pour sa culture mais gardé leur cœur pour
la France ». Propos tenus par un historien de l’Uni-
Bulletin n° 29 11
versité de Strasbourg lors d’une visite au Struthof.
Nous ne pouvons pas oublier les massacres perpétrés par les divisions allemandes, en particulier celui
d’Oradour sur Glane avec la Das Reich et ses treize Malgré-nous, et, plus proche de nous, le massacre des
trois villages de la vallée de la Saulx dans la Meuse.
À se souvenir aussi du Fort de Queuleu, près de Metz, une annexe du Struthof. Il fut utilisé par les SS et la
gestapo pour torturer les résistants (entre 1 500 et 1 800) avant de les déporter ou de les assassiner.
Aux Européens de ramener la paix comme cela a été fait avec la réconciliation franco-allemande.
« Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans
avenir ». Ferdinand Foch
Merci à notre ami Roger Boulanger, réfractaire, arrêté et déporté au Struthof, pour sa conférence du 23 mai,
en préparation à la visite de ce camp et au Musée-mémorial de Schirmeck, avec le cas particulièrement diffi-
cile des Malgré-nous. Merci aux organisateurs de ce voyage de mémoire 2018.
Rappel historique : le cas de l’Alsace avec ses Malgré-nous.
En 1870, c’est la défaite de l’Empire, et malgré le retour à la République, c’est, en 1871, la 1ère annexion
de l’Alsace-Moselle. Bismarck a cherché à unifier tous les territoires de la Prusse. En gagnant cette guerre,
il annexa l’Alsace et une partie de la Moselle à l’Allemagne lors du traité de Francfort. 50 000 personnes
quittent cette région. Après quelques années difficiles (Obligation de ne parler qu’allemand, les trains rou-
lent à droite, etc.), c’est l’apaisement et la prospérité économique. De plus, fut instaurée une législation so-
ciale moderne (par exemples, des jours fériés supplémentaires et les cultes rémunérés).
La guerre 1914-1918 : Au début du conflit, les civils alsaciens et mosellans sont suspectés par les Alle-
mands. Certains sont internés. Environ 380 000 Alsaciens et Mosellans sont incorporés dans l’armée alle-
mande (Ce sont les premiers « Malgré-nous » qui vont se retrouver sur le front russe). Beaucoup vont dé-
sertés et se ranger dans les forces françaises.
11 novembre 1918, c’est l’arrêt des combats, l’Allemagne est vaincue. Après le traité de Versailles, l’Alsace
et la Moselle redeviennent françaises. Les habitants ont l’obligation de ne parler que le français mais ils
gardent la plupart des avantages sociaux instaurés par les Allemands. Cependant, certains habitants très
germanisés doivent retourner en Allemagne en laissant tous leurs biens.
2e GM : À partir du 2 septembre 1939, 374 000 Alsaciens sont évacués, sur 1 219 000. Ils quittent leur mai-
son avec 30 kg de bagages et quatre jours de vivres, en laissant tous leurs biens, parmi eux, 115 000
Strasbourgeois. Les « réfugiés » ne sont pas les bienvenus. Souvent, ils ne parlent pas le français, ou mal.
Ils utilisent leur dialecte. Ils sont considérés comme des « sales boches ». Les autochtones s’estiment
Bulletin n° 29 12
Crédits photographiques : J.-F. Genesseau, E. Ro-
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ISSN : 2274-6013
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tion.
Sommaire
p. 1 Éditorial
p. 2-4 Le C.N.R.D.
p. 5 Conférence de M. Boulanger
p. 6 Francine Christophe à Reims
p. 7 La mémoire de Jeannette Gryf
p. 8-12 Notre voyage de mémoire
« envahis ». Néanmoins, Périgueux devient le se-
cond Strasbourg avec sa municipalité. Également,
l’université de Strasbourg s’installe à Clermont-
Ferrand.
Après l’armistice, 320 000 réfugiés reviennent en Al-
sace. Les nazis les aident même financièrement. La
plupart, parce qu’ils ont mal vécu leur évacuation.
Par contre, 16 000 Juifs ne seront pas autorisés à
revenir. En tout, de 50 à 60 000 Alsaciens seront
« indésirables ». Par contre, les soldats alsaciens,
faits prisonniers de guerre, seront libérés et considé-
rés comme Allemands, ce qui, par la suite, les con-
duira souvent à l’incorporation forcée dans la Wehr-
macht. C’est aussi zone interdite en Alsace-Moselle.
Entre temps, depuis le 16 août 1940, les Alsaciens
ont l’interdiction de parler le français, même avec
leur dialecte. Certaines vallées vosgiennes ont cinq
ans pour apprendre l’allemand. L’anneau nuptial doit
être porté à droite comme en Allemagne. De même,
les noms et les prénoms des habitants seront germa-
nisés ainsi que les villes, villages et rues. L’adminis-
tration et l’économie sont quadrillées par les nazis.
Les municipalités sont nommées par l’Allemagne.
En février 1941, pour les Alsaciens comme pour les
Mosellans, c’est l’instauration du service du travail
obligatoire du Reich, le RAD (Reichsarbeitsdienst).
Au début, c’est le volontariat, mais suite à l’échec, il
devient obligatoire. Pour les réfractaires, c’est le
camp de redressement de Schirmeck (1 400 déte-
nus en août 1941). Il y aura aussi 13 000 déportés.
En août 1942, il est décidé d’imposer le service mili-
taire obligatoire en Alsace-Moselle. C’est l’incorpo-
ration forcée. Jusqu’en novembre 1942, 12 000
jeunes s’échappent, aidés par la résistance et ses
filières d’évasion, malgré les représailles encourues
pour la famille des fuyards (Confiscation de leurs
biens et la déportation). Les « Malgré-nous » sont
envoyés sur le front russe.
Sur les 130 000 Alsaciens-Mosellans, plus de
40 000 seront tués, « morts pour la grande Alle-
magne », et 40 000 blessés. Il y aura aussi 15% de
déserteurs, souvent pour se retrouver dans les
camps de Staline, c’est dire !
À noter dans votre agenda
Samedi 2 février 2019 à 14 heures
Assemblée départementale de notre délégation de la Marne
Maison de la vie associative
7 rue Eugène Wiet
51100 Reims