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5 Janusz Krzywicki Modèles de la réalité et rhétorique persuasive dans les romans africains 1. Introduction Le terme « modèle » désignera dans cette étude un phéno- mène différent de la représentation. Par « modèle » il faudra comprendre non pas un « reflet » du monde réel, mais l'agencement interne du monde fictif évoqué par l'oeuvre littéraire, mis en relation avec un domaine de la réalité. Cette relation, qui peut être très complexe, est un facteur important de l'analyse des composantes idéologiques du texte ou de la vision du monde qui s'en dégage. Au niveau le plus élémentaire, les éléments qui véhiculent la vision du monde « contenue » dans l'oeuvre sont ceux qui appa- raissent explicitement dans le texte, et qui par ce fait sont inter- subjectivement accessibles, étant d'une manière ou d'une autre liés au système de la langue. Toute lecture s'accompagne pourtant aussi de réductions et de remplissage des « lieux d'indétermina- tion », 1 opérations qui peuvent être indispensables à la compré- hension et à la perception esthétique du texte, ou peuvent simple- ment enrichir la lecture. La distinction entre les phénomènes né- cessaires (ou impliqués par le texte), et ceux qui sont aléatoires, est souvent très floue : la cohérence d'un texte peut être perçue à différents niveaux, et ce qui est aléatoire pour un niveau peut être un élément constitutif pour un autre. 2 Etant donné que les éléments « impliqués » influencent la compréhension dite « litté- rale » du texte, et vice-versa, l'interprétation n'est pas en fait extérieure à celui-ci. Le texte, qui au niveau linguistique a un début et une fin, ne peut être délimité que lorsqu'il est perçu

Modèles de la réalité et rhétorique persuasive dans les ... · limitent seulement le type de relations à établir entre les éléments ... en les ramenant grosso modo à la relation

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5

Janusz Krzywicki

Modèles de la réalité et rhétorique

persuasive

dans les romans africains

1. Introduction

Le terme « modèle » désignera dans cette étude un phéno-

mène différent de la représentation. Par « modèle » il faudra

comprendre non pas un « reflet » du monde réel, mais l'agencement

interne du monde fictif évoqué par l'oeuvre littéraire, mis en

relation avec un domaine de la réalité. Cette relation, qui peut être

très complexe, est un facteur important de l'analyse des

composantes idéologiques du texte ou de la vision du monde qui

s'en dégage.

Au niveau le plus élémentaire, les éléments qui véhiculent la

vision du monde « contenue » dans l'oeuvre sont ceux qui appa-

raissent explicitement dans le texte, et qui par ce fait sont inter-

subjectivement accessibles, étant d'une manière ou d'une autre liés

au système de la langue. Toute lecture s'accompagne pourtant

aussi de réductions et de remplissage des « lieux d'indétermina-

tion »,1 opérations qui peuvent être indispensables à la compré-

hension et à la perception esthétique du texte, ou peuvent simple-

ment enrichir la lecture. La distinction entre les phénomènes né-

cessaires (ou impliqués par le texte), et ceux qui sont aléatoires,

est souvent très floue : la cohérence d'un texte peut être perçue à

différents niveaux, et ce qui est aléatoire pour un niveau peut être

un élément constitutif pour un autre.2 Etant donné que les

éléments « impliqués » influencent la compréhension dite « litté-

rale » du texte, et vice-versa, l'interprétation n'est pas en fait

extérieure à celui-ci. Le texte, qui au niveau linguistique a un

début et une fin, ne peut être délimité que lorsqu'il est perçu

6

comme une suite de signes (de lettres, de syllabes, de mots). Au

niveau du sens, ses limites restent toujours indéterminées.

Un autre phénomène inséparable de la lecture est celui de la

catégorisation des phénomènes de la fiction. Les catégories aux-

quelles les éléments de la représentation (de la réalité fictive

évoquée par le texte) sont subordonnées, sont toujours liées entre

elles par un ensemble de relations qui ne sont pas non plus

simplement dictées par le texte; ce dernier peut pourtant, étant

toujours perçu dans une situation dialogique avec d'autres

discours portant sur le domaine de la réalité qu'il évoque à travers

son univers fictif, contredire ou « rectifier » différentes

conjectures du lecteur. Ce phénomène de catégorisation permet de

voir dans le texte un ordre différent de celui que dicte sa forme

linguistique et linéaire.

Ainsi, lorsque nous parlons de la réalité modelée dans un

texte, nous pensons inévitablement à un ensemble de catégories

auxquelles les éléments du texte sont subordonnés lors de la

lecture. Un texte ne doit pas forcément être lié à un seul ensemble

de catégories. Une telle situation apparaît uniquement dans des

textes dont l'interprétation a été fixée par un discours extérieur.

C'est le cas par exemple de certains textes initiatiques ou des

dogmes qui dictent la lecture orthodoxe des écritures saintes.

Pourtant, il peut y avoir des conventions qui dans d'autres cas

aussi dictent la compréhension « normale », généralement

acceptée, de textes d'un type donné.

Parmi les conventions qui dictent la lecture « normale » des

textes romanesques, en Europe aussi bien qu'en Afrique, un rôle

privilégié est joué par le réalisme. La représentation réaliste au

sens strict du terme se limite à un seul type de rapports entre la

fiction et la réalité : celle-là est toujours perçue comme un reflet

plus ou moins fidèle de celle-ci, et les éléments de la

représentation renvoient à des catégories générales, dans un jeu

d'individualisation et de typisation complexe.

7

Les règles de la lecture réaliste ainsi conçue ne dictent pas la

compréhension de la réalité représentée dans l'oeuvre; elles

limitent seulement le type de relations à établir entre les éléments

du texte et les catégories suivant lesquelles nous percevons la

réalité, en les ramenant grosso modo à la relation d'inclusion.3 Le

réalisme postule en outre qu'une correspondance puisse être

établie entre les principes qui gouvernent le monde représenté et

ceux qui régissent le monde tout court. C'est à cette correspon-

dance que le réalisme doit l'illusion d'élargir notre connaissance

du monde.

Mais les règles du réalisme ne déterminent pas en soi le

niveau axiologique du texte. Celui-ci, dans le réalisme « pur »,

dépendra du contexte situationnel ou culturel de la lecture, ou de

l'attitude du lecteur conditionnée par d'autres facteurs. Et pourtant,

la catégorisation n'est souvent pas neutre du point de vue

axiologique. « Il le bat » peut être catégorisé comme « il lui fait

mal », mais aussi comme « il le punit », « il le soumet à une

épreuve », « il l'endurcit » etc. Chacune de ces catégories

comporte implicitement un jugement sur le phénomène. L'élément

de la persuasion peut donc apparaître déjà au niveau de la

catégorisation à laquelle le texte invite explicitement. Mais en plus

des commentaires et des termes à caractère persuasif, la

catégorisation – et, éventuellement, l'appréciation qu'elle suscite

par connotation – peut également être guidée par la structure du

texte, celle-ci pouvant impliquer des relations entre les éléments de

la réalité fictive ou du discours, et provoquer à les lier à des

modèles puisés ailleurs, dans la littérature ou – plus largement –

dans la culture.

Bien que le savoir sur la construction du discours soit intime-

ment lié à la faculté de persuasion depuis des millénaires, dans le

domaine de la littérature ce lien n'est pas toujours bien évident,

étant donné que la manipulation du langage n'y est pas

nécessairement motivée par le désir de convaincre, et le récit a sa

propre finalité qui dépasse la fonction persuasive. Au niveau

8

diégétique, l'oeuvre narrative est un conte qui peut ne pas avoir

d'autre but que d'être intéressant en soi. Il y a certainement des

oeuvres qui semblent dicter une lecture « gratuite » au moins dans

ce sens qu'elles ne mettent en valeur qu'une attitude esthétique ou,

à la rigueur, une vision de la réalité qui est axiologiquement

neutre, dans la mesure où les catégories de bien et de mal n'y

apparaissent pas d'une manière évidente. Les oeuvres qui n'ont

aucune implication morale ou, plus largement, ne proposent pas,

ouvertement ou subrepticement, une argumentation ou une

attitude envers ce qui est socialement perçu comme le bien et le

mal, sont pourtant relativement rares.

Parmi les procédés persuasifs que l'on peut observer dans les

oeuvres narratives, nous nous intéresserons ici particulièrement à

ceux qui contribuent à former un jugement sur les éléments du mo-

dèle construit à partir de la fiction littéraire. Les liens entre le mo-

dèle du monde (ou plutôt d'un de ses domaines) dégagé de l'oeuvre

et la fonction persuasive de celle-ci ne sont souvent pas évidents.

Dans les contes populaires, la catégorisation impliquant un juge-

ment axiologique découle souvent des relations constantes entre

des types de comportements et leurs conséquences. Ainsi,

d'habitude, l'effet de persuasion (et la fonction didactique) est

obtenu par l'insistance sur la récompense ou la punition qui suit le

comportement, et qui peut être perçue comme sa conséquence. Le

plus souvent, l'identification de la qualification – positive ou

négative – qui provoque la catégorisation du type « récompense »

ou du type « punition », ne pose pas de problèmes. Les contes

recourent fréquemment à des catégories de punition conventionali-

sées (comme par exemple le plongement dans l'eau bouillante dans

les contes bira) ou font appel à des catégories d'événements qui

sont nettement négatifs, comme la mise à mort ou l'exposition à

l'action des forces surnaturelles (magie, êtres ou esprits mal-

faisants). Les conséquences du comportement d'un personnage

peuvent ainsi être facilement appréhendées intuitivement comme

propices ou néfastes. Les termes de « récompense » et de « puni-

9

tion » sont d'ailleurs employés ici dans une acception très large;

souvent, la récompense ou la punition ne sont pas administrées

par un personnage, mais sont l'effet des principes gouvernant le

monde représenté des contes, sur lesquels l'homme n'a aucune ou

peu d'influence; elles sont l'effet du sort qui est loin d'être aveugle.

Ce type de liens entre le modèle du monde et le niveau

axiologique n'est pas propre aux seuls contes populaires. On le re-

trouve souvent dans les oeuvres de la littérature écrite qui ont une

intention didactique manifeste. Nous pouvons en trouver

d'excellents exemples non seulement dans la première période de

formation de la littérature africaine, quand les problèmes des

moeurs étaient souvent mis au premier plan, mais également dans

des oeuvres écrites actuellement.

Mais le lien entre le modèle du monde et l'intention

axiologique de l'oeuvre se complique à mesure que la technique

de l'écriture romanesque devient plus complexe.

2. Changements observés dans les romans africains

Dans une courte étude, il est impossible de montrer tous les

modèles de la réalité qui peuvent être dégagés des romans

africains. Nous devrons nous limiter à esquisser brièvement

l'évolution des relations qu'entretiennent – au niveau du sens – le

monde et le texte littéraire, sans insister sur l'aspect politique des

oeuvres, largement étudié dans de très nombreuses autres études..

2.1. Littérature réaliste en Afrique. Ses inspirations et sa

finalité

2.1.1. Influence du roman européen

Il est intéressant que, jusque dans les années 60, la littérature

africaine était surtout réaliste. Dans les traditions africaines, dans

ce que l'on appelle parfois l'« orature » ou la « littérature orale »,

la convention réaliste n'apparaît que rarement dans les textes spé-

cifiquement « littéraires », ceux qui mettent en oeuvre un monde

10

fictif. Dans la tradition orale, le monde imaginaire est

généralement un monde parallèle à la réalité, et suppose le plus

souvent une transformation assez évidente de celle-ci. Cela ne

concerne pas seulement les contes d'animaux, dans lesquels la

distorsion de la réalité est un élément inséparable de la poétique

du texte : les contes que l'on peut considérer comme

spécifiquement réalistes, et qui mettent en jeu des personnages

humains et leur vie quotidienne, recourent fréquemment à des

forces invisibles qui – du moins pour les adultes – sont purement

imaginaires ou qui ont en réalité une nature différente de celle qui

leur est prêtée dans la fiction littéraire. Le « réalisme » africain

traditionnel prend donc des formes auxquelles la notion du

réalisme au sens que lui donne généralement la critique littéraire

ne s'applique que difficilement. Et même ce qui dans la tradition

est considéré comme vrai, dans les mythes ou les récits

initiatiques, l'est le plus souvent non pas parce que ces textes

reflètent fidèlement le réel, mais justement parce qu'ils impliquent

des liens symboliques dissimulés, qui ne peuvent être dégagés

qu'à l'aide d'un savoir spécifique.

L'essor du roman réaliste en Afrique a donc été fortement

inspiré par la tradition européenne. Ce qui a été adopté en premier

lieu, c'est le principe de la vraisemblance et du caractère typique

des éléments de la représentation. Le roman réaliste africain, si on

le compare au réalisme européen, se caractérise pourtant par une

réduction relative des parties descriptives et – surtout – de l'intro-

spection, ce qui fait que nous y voyons souvent un type de

narration « behavioriste ». Ces traits caractéristiques d'une bonne

partie des oeuvres africaines peuvent être attribués soit au manque

de ces éléments dans la tradition précoloniale, soit – et cela nous

paraît plus intéressant – à une vision du monde qui est centrée

d'une part sur le comportement (et l'aspect social) plus que sur la

vie psychique de l'individu, et d'autre part sur l'homme plus que

sur l'objet.

11

2.1.2. Pour une nouvelle vérité sur l'Afrique et une nouvelle

conscience des élites africaines

L'adoption de la convention réaliste par les auteurs africains

est d'autant plus frappante que – dans l'intention de plusieurs écri-

vains – cette littérature devait manifester leur appartenance à la

culture ou à la société africaine, et souligner la spécificité de

celles-ci.

La fascination que le réalisme exerçait sur plusieurs écrivains

africains de l'époque semble découler de l'idée qu'ils se faisaient

de leur mission. Les jeunes élites africaines, jusqu'au début des

années soixante, jugeaient qu'il était particulièrement important de

s'opposer aux idées fausses sur l'Afrique et ses habitants,

répandues en Europe. Les torts qu'elles provoquaient étaient

ressentis d'autant plus fortement que certains Africains avaient

tendance à adopter envers leur propre culture l'attitude dictée par

l'Occident qui continuait à croire à sa mission civilisatrice. On

dirait que le meilleur moyen de s'attaquer aux idées fausses

consistait à leur opposer la seule vérité qui était à la portée de la

littérature : l'illusion de la réalité créée par le roman réaliste. La

littérature, tout en se servant de la fiction, devait paradoxalement

servir de témoignage sur la culture africaine et la situation

coloniale. C'est au nom de la vérité, semble-t-il, que Paul

Hazoumé, qui était pourtant fasciné par la culture occidentale,

bourrait Doguicimi (1938) de détails ethnographiques et

historiques.4 C'est pour sa valeur de témoignage qu'au début des

années cinquante, prenant une position bien plus radicale, Mongo

Beti (signant ses articles A. B.) soulignait l'efficacité du

témoignage – de l'illusion réaliste – dans la lutte anti-coloniale.

La convention réaliste permettait également de prendre une

distance plus grande envers le monde représenté, envers la culture

africaine aussi bien qu'envers la culture importée. Cela devait

paraître important, pour les premières générations d'intellectuels

africains formés à la culture occidentale, suspendus entre l'Afrique

et l'Europe dans un éclectisme culturel qu'il était difficile

12

de réduire, et qui est visible chez la plupart des écrivains de

l'époque. Mongo Beti, qui démantèle le projet civilisateur du

colonialisme dans ses premiers romans (Le Pauvre Christ de

Bomba 1956, Mission terminée 1957, Le Roi miraculé 1958),

T. M. Aluko qui montre ironiquement la confrontation des

cultures (dans One Man One Wife 1959, One Man, One Matchet

1964, et Kinsman and Foreman 1966), et même Ch. Achebe qui

introduit le lecteur dans la société ibo, et montre les mécanismes

intrinsèques qui, constituant un élément de cohésion avant la

colonisation, les rendent vulnérables dans la situation coloniale

(dans Things Fall Apart 1958, No Longer at Ease 1960, et Arrow

of God 1964), présentent tous un modèle de confrontation

binaire : deux traditions, deux façons de voir le monde s'affrontent

dans un dialogue de sourds. Le projet colonial aussi bien que le

fonctionnement des institutions traditionnelles sont déviés l'un par

l'autre, en donnant des résultats imprévisibles et contraires aux

intentions des protagonistes. L'effet persuasif consiste en général

à en montrer les conséquences, tout comme dans les romans de

moeurs des premiers écrivains africains comme Ousmane Socé

(Karim, roman sénégalais, et Mirages de Paris, 1934), ou un peu

plus tard chez Abdoulaye Sadji (Nini. Mulâtresse du Sénégal

1954, Maïmouna 1958). Pourtant, ce qui dans les contes

didactiques et dans les romans de moeurs apparaît comme la

conséquence d'un comportement individuel, est transposé ici à un

autre niveau, et porte sur les attitudes collectives et les

mécanismes sociaux et culturels. Dans les romans que l'on

pourrait qualifier d'anti-coloniaux, le conflit ne sert pas

simplement à valoriser l'une ou l'autre culture ou un modèle de

comportement donné; et bien que le jeu du point de vue dans

Le Pauvre Christ de Bomba ait un rôle démascateur, dévoilant iro-

niquement la déviation du projet d'évangélisation, tandis que dans

les premiers romans d'Achebe il tende à rapprocher le lecteur de la

culture africaine, mal connue et déformée par le regard européen, le

projet littéraire semble chaque fois dirigé contre autre chose :

13

contre l'illusion civilisatrice et contre l'image selon laquelle

l'Africain n'a de place que dans la mesure où il adopte une culture

d'emprunt; image renforcée – parfois paradoxalement et indépen-

damment des intentions de leurs auteurs – par des romans autobio-

graphiques tels que Climbié de Bernard Dadié (1956). Dans le

roman d'expression française, ce modèle binaire, mais avec une

tendance bien visible à valoriser le mysticisme islamique répandu

en Afrique de l'Ouest, trouvera sa culmination dans L'Aventure

ambiguë de Cheikh Hamidou Kane (1961). Pourtant, dans ce

roman, il semble y avoir un décalage entre le schéma diégétique

(la succession d'événements), et les procédés de persuasion que

l'on peut voir dans le langage, dans l'attitude du personnage

central, et dans les affirmations explicites des autres protagonis-

tes. L'acte final, accompli par le Fou au nom de la foi que sa

victime depuis quelque temps cherchait en vain en elle-même,

permet à Samba Diallo de trouver dans la mort l'union mystique à

laquelle il aspirait; mais sa mort est en même temps un échec

l'empêchant d'agir sur les Diallobé, de s'accomplir dans cette vie.

La dimension terrestre, associée dans ce roman à la culture occi-

dentale, a une solution radicalement opposée à la dimension spiri-

tuelle offerte par l'islam.5

Les romans qui sortent de ce modèle binaire peuvent

représenter, grosso modo, une des trois attitudes fondamentales.

Rarement, comme dans Rebel de Bediako Asare (1969), ils

refléteront une attitude de dénigrement envers la tradition et une

acceptation sans réserve de la civilisation occidentale.6 Ce roman

prête aux chefs traditionnels d'un village perdu et coupé du reste du

monde, l'intention de tromper la population. Il présente les diri-

geants comme un groupe d'égoïstes assoiffés de pouvoir, prêts à

utiliser tous les moyens pour le garder. La civilisation occidentale a

dans ce livre une influence salvatrice, et permet de sortir du cercle

vicieux de la famine et des sacrifices religieux inefficaces, en

donnant son soutien au seul villageois qui ose braver les chefs. Le

héros du livre, qui a failli être immolé sur l'autel, est sauvé au

14

dernier moment par le seul personnage européen du livre, et

devient l'apôtre du progrès. Une position extrémiste de ce type est

pourtant peu fréquente.

D'autres écrivains choisiront l'option opposée, et pencheront

vers la peinture de la société traditionnelle libre de la

confrontation culturelle. Les premiers exemples d'un tel modèle

sont fournis déjà par La Légende de M'Pfoumou ma Mazono de

Jean Malonga (1954), et Le Crépuscule des temps anciens de Nazi

Boni (1962). Les romans d'Elechi Amadi (The Concubine 1966,

The Great Ponds 1969, The Slave 1978) en donneront les

exemples les plus frappants. Dans ces oeuvres, le monde est perçu

entièrement à travers le regard africain, et le surnaturel est

fortement intégré à la peinture réaliste; les conflits présentés sont

ceux qui caractérisent la société traditionnelle, et c'est elle qui

porte – explicitement le plus souvent – un jugement sur l'attitude

ou le comportement des personnages.

La tendance à réconcilier les deux mondes culturels – celui

de l'Afrique et celui de l'Occident – qui s'accompagne parfois

d'une intention visible de valoriser la tradition africaine et de lui

chercher un rôle dans la réalité qui change – apparaît chez

quelques auteurs, comme Seydou Badian (Sous l'orage 1957, Le

Sang des masques 1976) ou Olympe Bhêly-Quénum (L'Initié

1979). On pourrait également rattacher à cette tendance les

romans qui mettent en valeur la solidarité traditionnelle, et

essaient de l'intégrer à un projet politique ou économique

moderne: Les Bouts de Bois de Dieu d'Ousmane Sembène (1960),

The African de William Conton (1961), Nothing Is Impossible de

Samuel Chimsoro (1983) et bien d'autres.7 Chez Ngugi Wa

Thiong'o, qui dans les années quatre-vingts s'éloignera du roman

réaliste pour pratiquer une littérature de propagande, ce mariage

de la tradition et de la pensée occidentale prendra la forme

curieuse de la défense du peuple qui est porteur de la tradition

africaine et des idéaux de la lutte anti-coloniale, et de la critique

15

des nouvelles classes privilégiées entreprise dans une perspective

vaguement marxiste (Devil on the Cross 1982).

2.2. Continuité de la tradition non-réaliste

Mais, même pendant cette période, la littérature africaine ne

suivait pas toujours la convention réaliste. Les premiers à s'en

éloigner étaient les textes qui d'une manière ou d'une autre trans-

posaient la tradition orale. Ils jouissaient, semble-t-il, d'une grande

popularité auprès du public européen, et non seulement africain,

puisque de nombreux textes de ce type ont été publiés par des

prêtres, des ethnographes, ou même par des écrivains européens :

Blaise Cendrars en fournit un exemple particulièrement étrange.

Certains écrivains africains, comme Birago Diop ou Amos

Tutuola, se sont spécialisés dans ce type d'écriture. D'autres,

comme Bernard Dadié ou Tchicaya U Tam'si, ont publié des

textes de ce genre en marge de leur activité littéraire. Ces textes

pourtant, isolés de l'environnement culturel qui leur était propre,

perdaient en général beaucoup de leur capacité de modeler le

monde, et – peut-être plus que dans les romans de l'époque – la

fonction créative semblait y prévaloir. La finalité propre de la nar-

ration, qui apparaissait évidemment aussi dans leur milieu culturel

d'origine, dominait souvent sur les autres fonctions. Leur niveau

axiologique – du moins en ce qui concerne le comportement des

personnages – pouvait le plus souvent être dégagé

indépendamment du milieu culturel, étant donné que le principe

élémentaire de la reconnaissance de la faute et de la punition est

assez généralisé. Mais le modèle du monde que les contes

traditionnels véhiculaient ne pouvait être perçu que dans certaines

conditions culturelles, là où le caractère répétitif des règles qui

gouvernent l'imaginaire constitue un fondement sur lequel des va-

riantes peuvent être construites, et qui permet l'improvisation de

nouveaux contes, ou là où il est possible de dégager leur contenu

symbolique non-apparent à l'aide d'un discours accompagnant le

texte. Pour les lecteurs européens, ces niveaux de signification

étaient inaccessibles; ce qui avait pour eux un attrait particulier,

16

c'était souvent l'exotisme et la fraîcheur du monde imaginaire que

ces textes mettaient en jeu, et qui – au sein de la culture

occidentale – pouvaient paraître comme des innovations. La

carrière de Tutuola en donne l'exemple le plus frappant, mais les

très belles Légendes africaines de B. Dadié (1953) étaient

probablement lues dans le même esprit, tandis que ses contes, tout

comme ceux de B. Diop, semblaient donner un souffle nouveau au

vieux genre didactique et humoristique qu'était la fable.8

Il est intéressant de remarquer que, malgré la tendance au

didactisme qui marquait fortement la littérature africaine, peu de

textes invitent à une interprétation allégorique. Les oeuvres

comme La Récompense de la cruauté de Paul Lomami-

Tchibamba, publiée seulement en 1972, sont extrêmement rares.

Il est relativement rare aussi de rencontrer, avant la fin des

années soixante, des oeuvres romanesques dans lesquelles les

éléments de la narration traditionnelle s'intègrent dans la

convention réaliste.9 Là où c'est le cas, le texte traditionnel est le

plus souvent nettement délimité : il est raconté par un personnage,

et jouit d'un statut différent de la narration au sein de laquelle il

apparaît. Il arrive pourtant que des éléments de l'imaginaire

traditionnel, qui dans la tradition occidentale seraient qualifiés de

fantastiques, soient entièrement intégrés à la représentation

réaliste. L'un des premiers écrivains qui ont essayé de le faire est

de nouveau P. Lomami-Tchibamba dans Ngando, le crocodile

(1948), où dans la présentation réaliste – au sens strict du terme –

de la vie quotidienne d'un quartier de Léopoldville, interviennent

les mauvais esprits, prenant la forme de crocodiles vivant sur une

des nombreuses îles sur le fleuve. Les hommes se mobilisent pour

les combattre, mais leur action ne prend pas uniquement un

caractère magique, comme c'est le cas le plus souvent dans la

tradition africaine, mais constitue une sorte d'expédition guerrière,

comme dans les romans d'aventures. Le livre est pourtant construit

sur une séquence qui est très fréquente dans les contes populaires,

et qui constitue le fondement de la vision du monde de la plupart,

17

sinon de toutes les cultures africaines : les hommes réagissent

contre l'intervention des forces invisibles et maléfiques, pour

protéger la société. Le schéma diégétique correspond ici au

modèle traditionnel du monde qui trouve d'innombrables

illustrations dans l'orature africaine.

Olympe Bhêly-Quénum est l'écrivain le plus visiblement fas-

ciné par ce domaine délicat où le visible et l'invisible s'interpé-

nètrent et agissent l'un sur l'autre. Deux de ses romans : Le Chant

du lac (1965) et L'Initié (1979) sont entièrement consacrés à la

lutte de l'homme contre les forces du mal. Dans le premier, une

prêtresse vaudoue réussit à vaincre le monstre qui habite le lac et

menace la population, tandis que dans le deuxième un médecin,

éduqué en Europe mais initié aux techniques traditionnelles

permettant de contrôler l'invisible, affronte un féticheur qui

recourt à la magie noire.

D'une manière moins spectaculaire, cette interpénétration du

visible et de l'invisible est illustrée dans les romans d'Elechi

Amadi, The Concubine, The Great Ponds, et The Slave. A la

différence des romans précédents, les forces invisibles n'y

prennent jamais une forme visible. Elles sont constamment

présentes, mais ne sont connaissables que par l'oracle qui

généralement ne fournit que des indications ambiguës, et ne

peuvent être neutralisées que par les sacrifices ou par la confor-

mation des comportements humains à la volonté des dieux ou des

esprits. Leur influence n'est pas toujours immédiatement évidente.

Elles agissent souvent par la maladie et la mort, auxquelles les

hommes ne peuvent pas se dérober. Le monde d'Elechi Amadi se

caractérise par un fatalisme que l'on rencontre rarement dans le

roman africain.

On peut voir dans tous ces textes une tentative d'élar-

gissement de la notion du réel au domaine qui – bien qu'invisible –

agit sur la réalité et en constitue un élément au même titre que

les éléments palpables et le monde humain; la convention réaliste

intègre le surréel, et lui donne parfois une présence physique, ce

18

qui, dans la tradition occidentale, n'est admissible que dans la

littérature fantastique.

Dans les textes de ce type la fonction persuasive est assurée,

ainsi que dans de nombreux textes de la tradition orale, par l'oppo-

sition de la vie humaine et sociale d'une part, et des forces qui la

menacent d'autre part. La peur, ou même l'horreur éveillée par ces

dernières, souvent soulignée dans ces textes, peuvent rendre

évidente la catégorisation axiologique des phénomènes, et

permettre d'éviter toute ambiguïté. Chez Amadi pourtant,

l'interaction des forces surnaturelles et du monde des humains est

plus complexe et plus ambiguë. La logique du monde représenté

implique que le jugement ne peut porter que sur les actions

humaines, comme dans le cas de la magie noire ou de la

désobéissance à la volonté des dieux. On dirait que les dieux et les

esprits sont hors de la portée de l'homme. Ils sont une donnée de la

réalité, et de ce fait sont axiologiquement neutres; le jugement peut

porter sur les effets de leur action, mais ne s'étend pas aux forces

surnaturelles elles-mêmes. Le personnage principal de The Slave,

brisé par les événements, se réfugie dans le temple du dieu qui a

peut-être – car personne ne peut le savoir définitivement –

contribué à la ruine de ses proches et de ses espoirs.

2.3. Crise de la fin des années soixante

Un changement important de l'attitude de plusieurs

romanciers envers la convention réaliste peut être observé dans la

deuxième moitié des années soixante. Auparavant déjà, un début

de courant non-réaliste nouveau pouvait être observé au théâtre,

par exemple chez Wole S.oyinka (A Dance of the Forest 1960)

dont les pièces ultérieures (Kongi's Harvest 1967, The Road 1969,

Madmen and Specialists 1971) seront souvent basées sur une

réalité scénique qui permettra – il est vrai – d'établir des

corrélations nombreuses avec la réalité, mais qui sera

manifestement fictive, et abandonnera totalement l'illusion

réaliste.

19

La parution de The Interpreters en 1965 annonce l'évolution

des romans africains vers une recherche de conventions

différentes du réalisme traditionnel. Ce roman est trop complexe

pour que l'on puisse entreprendre son analyse ici. On peut signaler

seulement que le monde fragmenté qu'il met en oeuvre correspond

à l'égarement des personnages qui cherchent chacun sa place dans

la nouvelle réalité qui hérite du passé sans le perpétuer; cette

réalité nous est présentée dans une pluralité de perspectives qui

donne comme effet un monde qui n'a pas d'ordre pré-établi

acceptable, et auquel, dirait-on, il faudrait donner un sens. Nous y

trouvons aussi bien des allusions à la réalité du Nigéria du début

des années soixante, qu'un amalgame de symboles ou de

potentiels symboles, dans lequel tout peut, mais ne doit pas

forcément prendre une signification qui dépasse le contexte immé-

diat, avec des références possibles à la tradition, aux croyances

syncrétiques, à la culture occidentale, et à la culture de la nouvelle

élite qui était en train de se former. Le langage des jeunes révoltés

est fortement émotionnel, reflétant leurs aspirations, leurs

fascinations et leurs phobies. Cependant, la position axiologique de

l'ensemble reste indéterminée.10 « Nous faisons tous violence

au silence », dit un personnage, et ces paroles elles aussi peuvent,

mais ne doivent pas forcément prendre une signification

symbolique dépassant largement le contexte dans lequel elles sont

prononcées.

Un autre roman qui s'éloigne visiblement de ce que l'on était

habitué à voir dans la littérature africaine, c'est Les Soleils des

indépendances d'Ahmadou Kourouma (1968). Cet ouvrage, qui a

été, d'après son auteur, pensé en malinké et transcrit en français,

ne se limite pas à refléter la réalité africaine selon le mode de

description qui – même dans des romans qui se proposaient de

donner une vision plus « vraie » de la réalité africaine – relevait

du roman européen. Le caractère africain du roman cesse d'être

une question d'idéologies, de croyances ou de thématique, et

devient plus total. Au lieu de plier la vision présentée au langage

20

et aux conventions littéraires de l'Occident, A. Kourouma choisit

de plier à sa vision de la réalité le langage emprunté et la

technique romanesque. Le langage n'est plus chez lui un

instrument neutre, qui sert à transmettre un contenu; il est une

concrétisation de l'être en tant que sujet.11 Son rôle ne se limite

pas à rendre une vision du monde particulière, dans le sens

intellectuel du terme. Les principaux personnages – Fama, prince

déchu du Horodougou, qui peste contre la bâtardise du monde, sa

femme Salimata, marquée par l'expérience de l'excision et du viol,

et par son désir éperdu d'avoir un enfant – et le narrrateur lui-

même – se manifestent à travers le langage comme sujets distincts

qui entretiennent un contact émotif avec l'entourage, avec la

réalité changeante, et avec la tradition. Le langage tend à rendre

systématiquement l'être-dans-le-monde, et non le monde en tant

que tel. A. Kourouma n'établit aucune hiérarchie entre les trois

attitudes, même si l'on peut trouver dans le texte de nombreux

procédés ironiques qui provoquent le lecteur à se distancer par

rapport à elles. Le point de vue du narrateur diffère de celui des

personnages, mais il relève de la même culture malinké, et semble

s'en éloigner moins que de la culture occidentale, des attitudes qui

la caractérisent, et de ses conventions linguistiques. Le modèle de

la réalité qui se dégage de l'ensemble de l'oeuvre paraît ainsi plus

proche de la culture Malinké que celui qu'a pu transmettre le

roman réaliste, s'il est vrai que pour les Malinké la vérité se situe

au-delà du langage, et que celui-ci ne peut qu'en donner des

approches provisoires qui la révèlent autant qu'ils la dissimulent.12

La même année 1968 a donné un autre roman important, et

une autre convention littéraire : Le Devoir de violence de Yambo

Ouologuem. Aucun roman, jusqu'alors, n'avait rompu avec la

convention réaliste avec autant d'audace. Emprunts, stéréotypes,

sarcasme, moyens rhétoriques puisés dans les chants des griots

aussi bien que dans des modèles européens, mettent en jeu un

univers manifestement fictif qui entretient des relations troubles et

contradictoires avec la réalité historique et humaine, et – surtout –

21

se situe par rapport aux discours existants sur l'Afrique et les

Africains. Paradoxalement, cet enfant terrible de la littérature afri-

caine, qui injuriait tout et tous, était à certains égards plus africain

dans sa démarche que les dizaines d'auteurs qui construisaient des

images réalistes de la vie d'Afrique. Non seulement parce qu'il

faisait appel, ironiquement, au chant du griot qui peut, sous le

déguisement de la louange, humilier la personne louée. Avec un

dédain manifeste de la vraisemblance, il cumulait dans son texte

les images les plus dramatiques, les plus frappantes, le plus

contrastant avec les idées qu'il combattait. Aux images fausses de

l'Afrique, Y. Ouologuem n'opposait pas une prétendue vérité

« objective »; une telle catégorie semble être étrangère à son

roman. Au discours il oppose le discours, et à la fiction –

la fiction. Il recourt à tout un éventail d'allusions, d'insinuations, et

de détails drastiques, qui concourent tous à agir sur le lecteur, et

non à rendre ou à refléter la réalité. Il fait oeuvre de rhétoricien

plus que de romancier au sens traditionnel du terme.

En 1968 également, une autre voix importante surgit, celle

d'Ayi Kwei Armah dans The Beautiful Ones Are Not Yet Born.

Dans son roman, qui pourtant garde l'allure d'une oeuvre réaliste,

on perçoit déjà sa vocation de rhéteur plus que celle de romancier,

projet qui se concrétisera dans ses textes ultérieurs (Two

Thousand Seasons 1973, The Healers 1979).

Pourtant, son projet – radicalement différent de celui de

Y. Ouologuem – ne se limite pas à s'insurger contre les discours

sur l'Afrique. Sa révolte est justifiée par un projet utopique de

société intègre et harmonieuse, basée sur la réciprocité, qui lui

dicte une réinterprétation de toute l'histoire africaine. Dans Two

Thousand Seasons, cette conception de société idéale renvoie à un

temps quasi mythique, à un état d'origine perdu que « ceux qui

voient », « ceux qui entendent », et « ceux qui proclament »

voudraient retrouver, par la lutte armée s'il le faut. Dans The

Healers, il apparaît plus clairement comme une utopie qui n'est

que partiellement, et toujours imparfaitement réalisable.

22

2.4. Littérature nouvelle

Les quatre romans édités en 1968 semblent avoir fortement

contribué à ouvrir les nouvelles voies de la littérature africaine.

Non pas qu'ils aient trouvé des imitateurs, bien que l'influence

directe de Y. Ouologuem soit par exemple bien visible chez

Ibrahima Ly ou chez Saïdou Bokoum, celle d'A. K. Armah chez

Amu Djoleto ou même chez Kofi Awoonor, et celle de S. oyinka

chez Ben Okri. Ils ont surtout provoqué, plus que les autres

auteurs, à chercher des formules romanesques plus variées que

celle que suivaient leurs prédécesseurs. Cependant, l'année 1968

ne constitue pas une césure. Il faudra attendre les années soixante-

dix et quatre-vingts pour voir des écrivains plus nombreux

rejoindre cette recherche des voies nouvelles. On répète souvent

qu'une quantité de romans africains nouveaux ont vu le jour grâce

à l'influence de Gabriel Garcia Marquez. Sans nier l'attrait que cet

écrivain a pu exercer sur certains romanciers africains comme Ben

Okri ou Sony Labou Tansi, il faut toutefois se rappeler que leurs

romans ont été précédés par un éveil et une recherche de formules

originales au sein même de la littérature africaine.

Les années soixante-dix et quatre-vingts se caractérisent par

une diversification très marquée des formules romanesques. La

tendance réaliste, loin de disparaître, trouve des continuations

variées. Nous en trouvons par exemple une variante critique dans

les romans de Meja Mwangi parlant de la vie urbaine (Kill me

Quick 1973, Going Down River Road 1976). La prose de Mwangi

s'inscrit d'une part dans la lignée ouverte par la peinture du milieu

urbain dans The Beautiful Ones Are Not Yet Born d'Ayi Kwei

Armah, mais répond d'autre part aussi à la radicalisation de

l'attitude d'une partie des intellectuels kenians attirés par le marxi-

sme. Le modèle de la réalité post-coloniale que présentent ces

romans, centrés dans un cas sur les sans-emploi sortis des écoles

et glissant vers la délinquence, et dans l'autre cas sur les ouvriers,

est celui du cercle vicieux, ou d'un cycle en spirale qui mène, dans

23

le meilleur des cas, à l'amélioration du sort des protagonistes par

des procédés illégaux ou moralement douteux.

Chez plusieurs écrivains qui ont commencé à publier des ro-

mans au tournant des années soixante-dix et quatre-vingts, on

ressent pourtant un besoin évident de dépasser la représentation

réaliste, et d'aller, ou de revenir, vers d'autres dimensions de la

parole.

Sony Labou Tansi, à partir de la publication de La Vie et

demie (1979), crée des univers rhétoriques que le lecteur ne peut

éviter de mettre en corrélation avec la réalité, mais qui débordent

toute tentative de réduction à une métaphore, à une allégorie, ou à

un ensemble d'analogies cohérent. Comme Y. Ouologuem l'a fait

avant lui, mais avec une violence inouïe de la parole et sur la

parole, il crée son monde fabuleux dans l'improbable. Il ne montre

pas, il interpelle le lecteur en poussant jusqu'au bout, et au-delà si

possible, l'horreur et – sourtout – l'absurde. « J'invente un poste de

peur en ce vaste monde qui fout le camp », a-t-il écrit dans la

préface de son premier roman (p. 9). Mais cette invention

s'approche parfois dangereusement de la réalité qu'elle transfigure.

Ce projet que Sony Labou Tansi définit au départ comme

« parler de l'absurdité de l'absurde » (idem), a pour effet de

montrer le pouvoir et la résistance dans une confrontation sans

fin, dans laquelle l'abandon – même quand il est possible – est

« une mort de la vie ». Vivre, « naître à la vie », c'est s'affirmer,

c'est résister au sein même de l'absurde, rien que pour ne pas

l'accepter. Car le renoncement, l'attente passive, comme dans Les

Yeux du volcan (1988), est plus absurde que l'action. Ce modèle de

la condition humaine semble être assez proche des prémisses sur

lesquels Camus construisait sa vision de l'homme.13 Il est pourtant

moins constructif. Pour Sony, l'action ne permet pas de sortir de

l'absurde, et n'impose pas à l'existence un sens moral qui

permettrait à l'homme de se défendre contre l'absurdité du monde.

Elle est simplement la seule attitude acceptable, la seule qui soit

digne du nom de la vie.

24

« Ce livre se passe entièrement en moi » – écrit Sony dans la

préface de La Vie et demie (p. 10). Mais cette intériorisation du

monde romanesque ne prend pas chez Sony la forme de

l'introspection, comme c'est le plus souvent le cas dans la culture

occidentale : c'est une projection des craintes sur un monde

inventé, à mi-chemin entre le cauchemar et le miroir déformant.

L'écriture de Sony n'a rien de psychologique; elle est création au

sens le plus strict du terme.

Un autre écrivain visiblement fasciné par la parole et par

l'imaginaire, est Tierno Monénembo. Son écriture semble parfois,

sans rompre les attaches complexes qu'elle garde avec la réalité,

tendre à se justifier par elle-même. Dans Les Crapauds-brouse

(1979), il essayait encore de raconter une histoire qui gardait des

liens évidents avec la convention réaliste. Mais déjà dans Les

Ecailles du ciel (1986), la narration enivre autant qu'elle montre

ou qu'elle interpelle. T. Monénembo y plonge dans un imaginaire

où la parole, ayant recouvert ses droits, renvoie à la réalité non

pas pour la refléter, mais pour y participer d'une manière étrange

et ambiguë. Au sein même de la fiction littéraire, « le réel » et

« l'imaginaire » s'interpénètrent en un échapattoir qui n'en est pas

vraiment un, et le conte s'ajoute à la musique et à l'alcool, au

même titre que ces derniers. Mais ni la parole, ni la réalité qu'elle

évoque ne sont pas innocentes. L'imaginaire dans l'univers de

Monénembo n'est pas simplement une fiction. Dans Un attiéké

pour Elgass (1993) la destruction de l'illusion par la parole amène

finalement une jeune femme au suicide. Pelourinho (1995) traite

surtout des relations entre le mythe (au sens large du terme) et les

attitudes humaines. Dans Cinéma (1997), la réalité porte une telle

empreinte de l'imaginaire qu'elle se confond avec lui.

La tentative de Tchicaya U Tam'si de relier deux univers cul-

turels, et deux modes de la parole dans Ces fruits si doux de

l'arbre à pain (1987), est plus éclectique. Tout comme les autres

textes de Tchicaya U Tam'si, le roman est imprégné de symboles

puisés dans les traditions des Bakongo, et provoque à lire le texte

25

à travers des ensembles de corrélations complexes entre le monde

représenté suivant une technique proche du réalisme et qui renvoie

à la réalité politique du Congo, et un monde bâti parallèlement et

apparemment sans relation évidente avec le premier : quelque part,

dans un village lointain, une fillette énigmatique, dotée du don de

clairvoyance, tisse des contes et des visions qui renvoient parfois à

des motifs connus de la tradition orale, et parfois, dans une sorte de

transe, révèlent, d'une manière confuse et selon un mode différent

de la parole, le sort des personnages qu'elle ne connaît pas, et qui

appartiennent à l'autre plan de la réalité romanesque. Nous nous

mouvons entre ces deux mondes : celui de la capitale occidentalisée

et des ambitions politiques, et celui de la campagne – de la tradition

– dominé par les valeurs intemporelles et entièrement coupé du

premier; la fille ne sait même pas reconnaître la ville qui apparaît

dans ses visions. Dans ces deux univers, la condition humaine est

pourtant déterminée par les mêmes préoccupations : l'aspiration au

bonheur, l'amour, l'inceste, la lutte contre la mort, l'inquiétude

devant l'inconnu; mais le monde traditionnel apparaît comme plus

stable, plus rassurant, indiquant plus clairement la place de

l'homme. C'est dans la tradition que le juge Raymond Poaty essaie

de puiser sa force, et c'est vers elle que se dirige, dans un

mouvement de somnambule, son fils Gaston, échappé à la mort.

Une symbiose différente entre la tradition et la forme roma-

nesque peut être observée chez Ben Okri. Il est probablement

l'écrivain le plus attaché à la parole en tant que telle, ainsi qu'à

l'imaginaire qu'elle permet de construire. A partir de son deuxième

roman, The Landscapes Within (1981), il semble entamer sa

recherche d'une formule narrative qui intégrerait les différents

éléments d'un monde dont le sens n'est pas donné, mais que l'on

pourrait – comme le jeune peintre Omovo – essayer d'approcher à

travers l'imaginaire. Son écriture semble osciller tout le temps

entre ce point de départ et la fascination que la narration elle-

même peut susciter. En cela, elle se rapproche peut-être davantage

26

de celle de Salman Rushdie que de celle de Gabriel Garcia

Marquez. L'image qu'il donne lui-même de la narration est celle

d'une route ou d'une rivière, qui coule ou que l'on parcourt, sans

que l'on sache forcément où elle va (The Famished Road, 1991).

Comme chez A. Tutuola, mais dans une formule poétique plus

mûre et plus complexe, l'univers de ses livres intègre parfaitement

le vécu quotidien et le monde des esprits, à travers le personnage

central de l'enfant abiku qui est aussi le narrateur de Songs of

Enchantment (1993). Et tout comme chez Tutuola, ce monde

imaginaire, bien qu'il garde des attaches nombreuses avec la réalité

nigériane, a surtout une présence en soi. C'est une écriture très peu

intellectuelle. Elle peut, comme tout récit, renvoyer à un sens ou

simplement à un mystère, mais celui-ci ne peut être approché

qu'intuitivement. De nouveau, on peut recourir à la figure d'Omovo

qui dans son enfance gribouillait une ligne complexe sans vraiment

savoir ce qu'il faisait. Son père y a reconnu l'image du destin

humain, et a poussé l'enfant vers la peinture. Ben Okri,

consciemment, continue à ressembler à cet enfant. Dans

Astonishing the Gods (1995), toute référence directe à l'Afrique

disparaît, et l'expérience spirituelle qu'il propose a une portée

universelle, mais le roman poursuit le même projet d'investigation

intuitive de l'imaginaire, qui devient une sorte d'itinéraire

initiatique, et le roman frôle l'allégorie, bien qu'il récuse explici-

tement toute tentative de substitution des éléments de l'imaginaire

par un signifié.

Ainsi donc, de plus en plus souvent, des écrivains africains

sont fascinés par la magie de la parole qui, sans être traditionnelle,

renoue avec le passé et l'oralité. Dans l'orature, la finalité propre de

la narration servait de support au récit qui, avant d'être didactique,

humoristique ou légendaire, devait surtout être intéressant et

transmis avec talent; elle décidait du lien entre le narrateur et

l'auditoire. Pour les avertis, le texte charriait des messages dont le

sens était sans cesse renouvelé.

27

Cette nature de la narration, objet de fascination et source

inépuisable de sens, se retrouve dans les textes de nombreux

écrivains d'aujourd'hui, qui apprennent à nouveau, dirait-on, à en

exploiter les potentialités. En diversifiant l'écriture romanesque, ils

ne sont pas moins authentiques; l'affranchissement des barrières

imposées par le réalisme permet à certains d'entre eux d'envisager

une littérature plus africaine : africaine non seulement par sa

thématique, mais surtout par les éléments de culture que leurs

textes impliquent, par des ensembles de relations qui lui sont

propres, et par l'attitude envers le langage qu'ils s'approprient et

plient à leurs besoins, et qui – de langue européenne au passé

colonial – devient une langue appropriée à l'Afrique changeante et

ouverte au monde.

Notes 1 J'emprunte cette notion à R. Ingarden qui parle de ce qu'il appelle

miejsca niedookreślenia, terme difficile à rendre en français. Ces élé-

ments, laissés en blanc par le texte, sont complétés lors de l'actualisation

et de la concrétisation de l'oeuvre (Ingarden 1960 et 1966). Ainsi par

exemple le terme « arbre », si le texte ne donne pas d'indications portant

sur sa forme ou l'espèce qu'il représente, peut se concrétiser aussi bien

comme un pin que comme un chêne, ou comme une forme dont l'espèce

reste indéterminée. Il peut avoir des feuilles vertes, jaunes ou rouges, ou

ne pas en avoir du tout. Selon R. Ingarden, on peut pourtant parler de

l'« aspect schématisé » des objets. Un arbre aura toujours un tronc et des

branches, à moins que le texte ne dise le contraire. Pour R. Ingarden, les

divergences de la lecture ne contredisent pas l'existence d'un sens

intentionnel qu'il est possible de dégager dans l'oeuvre. On peut

remarquer que l'idée d'un savoir schématisé intervenant lors de la lecture

apparaît également par exemple chez U. Eco (1979a et 1979b) sous

forme d'« encyclopédie » qui sert de base à la formation de conjectures

portant sur la représentation, et chez différents auteurs rattachés à la

pensée cognitive, où elle prend la forme de scénarios (scripts) et d'entités

imaginaires schématiques (frames). 2 Voir à ce sujet Y. Lotman (Łotman 1984).

28

3 La relation d'inclusion consiste en ce que l'élément de la fiction

littéraire est considéré comme un cas spécifique de la catégorie à laquelle

il est subordonné. 4 Je renvoie ici à l'excellent article de M. Kane (1987 : 46). 5 Ce dualisme entre le domaine terrestre et le domaine spirituel dans

la littérature d'inspiration islamique a été bien remarquée par K. Harrow

(1987). 6 Dans la première période de formation de la littérature africaine,

l'opposition entre les deux cultures est souvent résolue sans ambiguïté en

faveur de la civilisation occidentale, comme dans Trois volontés de

Malick d'Ahmadou Mapaté Diagne (1920) ou dans Force-Bonté de

Bakary Diallo (1926). Ces textes précèdent pourtant la formation du

modèle binaire en littérature, qui a été décrit plus haut. Il sera difficile de

retrouver cette attitude dans les textes ultérieurs. Le cas de la littérature

ghanéenne semble assez particulier, car – plus souvent qu'ailleurs, les

oeuvres littéraires y ont été utilisées à des fins éducatives, pour propager

le savoir « moderne ». 7 O. Sembène, malgré son attitude très critique envers certains

aspects de la tradition (la situation de la femme dans les ménages poly-

games, le rôle des marabouts, etc), semble voir dans le sens de l'intérêt

commun caractérisant les communautés traditionnelles une base sur

laquelle une nouvelle société pourrait être construite. Ce sentiment de

solidarité paraît aussi à W. Conton, fasciné par les idéaux du

panafricanisme, constituer un fondement possible du jeu politique menant

à la création des nouveaux états africains dans un premier pas, et à la

réalisation de l'Etat panafricain par la suite. Le cas de S. Chimsoro est

différent: le personnage principal de son roman, dans une société

capitaliste, construit une communauté familiale prospère au lieu de suivre

le modèle individualiste propre à la culture occidentale. 8 Il est frappant que la tradition francophone diffère nettement sur ce

point de celle de langue anglaise. Les recueils de contes transposés de la

tradition orale, si nombreux dans la littérature africaine d'expression

française, et précédés d'un nombre considérable de publications d'auteurs

européens, n'ont pas connu de phénomène correspondant en anglais. Il est

vrai que les Anglais encourageaient à l'époque coloniale les auteurs

africains à publier des textes en langues africaines, et dans ce type de

textes le recours à la langue d'origine était plus naturel. Pourtant, le fait

29

que l'Angleterre n'a pas eu son La Fontaine, et que la fable n'y a pas

connu la nobilitation dont elle a joui en France, semble également y avoir

contribué. Dans la tradition africaine, les contes avaient un statut ambigu.

Dans certains groupes, ils étaient considérés comme un genre inférieur,

que seuls les enfants et les femmes pouvaient raconter, tandis qu'ailleurs ils

faisaient partie de la culture générale des adultes, et non seulement

pouvaient être racontés par les hommes âgés, mais pouvaient également

servir à prouver leur éloquence et susciter une émulation, tout comme le

recours aux proverbes. 9 Comme le signale A. Koné (1993 : 125-189), il est possible de

déceler certaines ressemblances entre la structure des récits épiques et des

contes traditionnels d'une part, et d'un certain nombre de romans africains

d'autre part. Pourtant, parmi les romans qu'il analyse, seulement quelques

uns, comme La Légende de M'Pfoumou ma Mazono ou Crépuscule des

temps anciens, ont été édités avant 1965. La tentative la plus importante de

chercher un mode de narration différent des modèles européens

semble être celle de Gabriel Okara (The Voice 1964). 10 Certains procédés ironiques, comme p. ex. la peinture caricaturale

des attitudes assimilationnistes, ont un effet persuasif évident, mais

l'ensemble de l'oeuvre dépasse largement le cadre des attitudes affectées

dictées par une culture étrangère. 11 La narration subjective comme procédé systématique jouit d'une

tradition importante dans la littérature occidentale, et nous en trouvons de

nombreux exemples chez M. Proust, F. Kafka, W. Faulkner, P. Lager-

kvist, N. Sarraute et bien d'autres. Ce mode d'écriture est pourtant rare

dans la littérature africaine, les autobiographies mises à part. Le Regard

du roi qui n'avait peut-être pas été écrit par Camara Laye qui l'a signé, et

Le Pauvre Christ de Bomba de Mongo Beti, reposent tous les deux,

malgré tout ce qui les sépare, sur un procédé semblable de distanciation

ironique par rapport au seul point de vue donné dans la narration. Dans

les années soixante, Les Interprètes de S. oyinka semble être le seul roman

véritablement « décentré », où la parole appartient alternativement à

différents personnages ou à un narrateur-obervateur impartial. O.

Sembène avait essayé de recourir par endroits à un procédé semblable

dans Les Bouts de Bois de Dieu, mais cette technique servait surtout à

provoquer le lecteur à s'identifier aux grévistes et à ceux qui les

soutenaient, et elle était subordonnée à un message idéologique évident.

30

Chez A. Kourouma, il n'y a pas de place pour l'impartialité. Toute parole –

y compris le discours du narrateur – est la parole de quelqu'un dans ce

sens qu'elle est marquée par le sujet qui la manie. 12 Cfr. Ch. Miller (1990).

13 Cette ressemblance a été relevée dans plusieurs études critiques

(voir p. ex. Brambilla 1991, Vibert 1996, Miampika 1996).

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