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AOUT-SEPTEMBRE 2014 INNOVATION Les nouveaux modèles de l’innovation Comment utiliser les données pour doper la croissance. par Rashik Parmar, Ian Mackenzie, David Cohn et David Gann

modèles de l’innovation · nagers en passant par les scalpels intelligents. Ces données peuvent servir à améliorer la conception, l’exploitation, la maintenance et la réparation

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AOUT-SEPTEMBRE 2014

INNOVATION

Les nouveaux modèles de l’innovationComment utiliser les données pour doper la croissance. par Rashik Parmar, Ian Mackenzie, David Cohn et David Gann

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Innovation

Les nouveaux modèles de

l’innovationpar Rashik Parmar, Ian Mackenzie,

David Cohn et David Gann

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Comment utiliser les données pour doper la croissance.

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non satisfaits ? Une troisième se concentre sur l’évo­lution du contexte d’affaires : si nous suivons les «mégatendances» ou d’autres évolutions jusqu’à leur conclusion logique, quelles futures opportunités d’affaires émergeront ?

Nous aimerions suggérer une quatrième ap­proche. Elle complète les cadres existants, mais se concentre sur les possibilités générées par l’explosion des informations et des outils numériques, et pose la question suivante : comment créer de la valeur pour les clients en utilisant les données et les outils d’analyse dont nous disposons ou auxquels nous pourrions avoir accès ? Ces cinq dernières années, nous avons étudié cette question auprès d’un large éventail de clients d’IBM. Nous avons observé que les progrès infor­matiques facilitent la recherche de valeur nouvelle pour l’entreprise dans cinq modèles distincts, mais souvent redondants, qui constituent la base de notre cadre de référence. Nous pensons qu’en les exa­minant méthodiquement les managers peuvent trou­ver des idées pertinentes dans la plupart des sec­teurs. (Pour en savoir davantage sur les tendances

Il existe une explication avérée : les managers spé­cialisés dans l’exécution de stratégies clairement définies ne sont pas armés pour réfléchir de manière innovante. En outre, lorsque de bonnes idées émer­gent, elles sont souvent vouées à disparaître, car l’en­treprise est organisée pour diriger son activité d’une seule façon ; elle ne dispose pas des procédés ou des paramètres qui lui permettraient d’en adopter une nouvelle. Cette explication aussi est bien connue.

Il va sans dire que si vous abordez l’innovation de manière systématique (au lieu d’espérer que vos col­laborateurs deviennent créatifs lors d’une «journée innovation» ou d’un séminaire à l’extérieur), vous améliorez les chances de succès et réduisez le risque de vous retrouver face à une page blanche. Bien sûr, il existe des manières traditionnelles et éprouvées de cadrer la recherche. L’une d’elles repose sur les compétences : comment exploiter les capacités et les atouts qui nous distinguent déjà pour pénétrer de nouveaux marchés et secteurs ? Une autre met l’ac­cent sur le client : que nous révèle une étude détaillée du com portement des clients sur leurs besoins tacites

Dans la plupart des entreprises, la recherche de nouvelles idées et de nouveaux modèles économiques se fait souvent de manière aléatoire, malgré l’extraordinaire pression exercée sur les dirigeants pour faire croître l’activité. Des spécialistes du management ont étudié diverses raisons qui expliquent ce phénomène.

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technologiques sous­jacentes, voir l’encadré «Pour­quoi ces modèles émergent­ils maintenant ?»)

Aucun de ces modèles ne dépend d’une techno­logie de pointe. Le premier est en fait très connu : utiliser les données que génèrent (ou pourraient géné-rer) aujourd’hui les objets physiques pour améliorer un produit ou un service, ou créer une valeur nouvelle pour l’entreprise. C’est le cas par exemple des comp­teurs électriques intelligents, qui permettent d’opti­miser les prix, ou des dispositifs installés dans les voitures qui informent les compagnies d’assurance sur la manière dont leurs assurés conduisent. Le deuxième modèle est également familier : numériser les actifs physiques. Il y a quinze ans, vous n’auriez pu lire cet article qu’en version papier ; aujourd’hui, vous pouvez le consulter sur une demi­douzaine de supports numériques, l’envoyer à des amis et dire ce que vous en pensez sur les réseaux sociaux. Le troi­sième modèle est un peu plus récent : combiner les données au sein des secteurs et entre eux (nous en­trons ici dans le royaume du big data). Comme dans le cas de cette initiative de ville intelligente lancée à Rio de Janeiro, où des sociétés privées de services aux collectivités, des entreprises de transport et des services municipaux mettent leurs informations en commun pour lutter plus efficacement contre les catastrophes naturelles. Le quatrième modèle consiste à échanger des données. Dans ce cas, une société vend à une autre entreprise des informations qui lui sont utiles. Par exemple, un opérateur de téléphonie mobile peut connaître la position de ses utilisateurs coincés dans des embouteillages et céder ces informations à un fabricant de GPS. Cin­quième et dernier modèle, la codification d’une expertise consiste pour une entreprise à vendre à d’autres sociétés un procédé qu’elle maîtrise (ges­tion des frais de déplacement, par exemple), au moyen du cloud computing.

Les nouvelles activités que nous avons observées touchent à toutes les formes d’innovations, des plus

incrémentielles aux plus radicales. Certaines ne font qu’améliorer l’activité existante (ce que Clay Chris­tensen appelle les «technologies de continuité»). D’autres sont de véritables ruptures qui exigent un  nouveau modèle économique (et souvent une «business unit» distincte). D’autres encore de­viennent ou pourraient devenir des activités basées

sur une plate­forme, caractérisée par une technologie principale stable, entourée de produits et services complémentaires, généralement fournis par d’autres entreprises (c’est le cas d’iTunes et de ses catalogues de musique et de vidéo).

Dans cet article, nous allons examiner chacun de ces modèles en donnant des exemples tirés de l’expé­rience de nos clients et de la nôtre. Nous fournirons également une série de questions pouvant vous aider

L’idée en brefLE PROBLÈMELes entreprises déjà bien implantées ont des difficultés notoires à trouver de nouveaux moyens de générer des revenus, malgré les pressions qu’elles subissent pour se développer.

L’ANALYSE La plupart des entreprises possèdent ou ont accès à des informations qui pourraient servir à développer des activités existantes ou à en créer de nouvelles. Ces possibilités existent grâce à l’explosion des données numériques, des outils analytiques et du cloud computing.

LA SOLUTION Les entreprises trouveront des moyens de déceler de la valeur nouvelle en répondant à une série de questions («A quelles données non collectées actuellement pourrions-nous accéder ?», «Pouvons-nous proposer l’une de nos expertises comme un service numérique ?», etc.).

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à déterminer si un modèle est pertinent dans votre  secteur d’activité.

1ER MODÈLE : Améliorer les produits pour générer des donnéesGrâce aux progrès réalisés en matière de capteurs, de communication sans fil et de big data, il est aujour­d’hui possible de rassembler et de compiler des quantités considérables de données dans divers contextes – des éoliennes aux appareils électromé­nagers en passant par les scalpels intelligents. Ces données peuvent servir à améliorer la conception, l’exploitation, la maintenance et la réparation de pro­duits, ou à modifier la manière de mener une activité. Ce qui peut, dès lors, servir de base à de nouveaux services ou de nouveaux modèles économiques.

Le système EHM de Rolls­Royce, qui donne des informations sur l’état des moteurs, en est un exemple typique. Au milieu des années 2000, une nouvelle technologie de capteur et de gestion des données a permis au constructeur britannique d’identifier assez tôt les problèmes des moteurs d’avion et ainsi d’opti­miser les calendriers de maintenance et de réparation, tout en améliorant la conception des moteurs. Cette maîtrise des coûts a encouragé la société à adopter un modèle économique lui per mettant de conserver la propriété des moteurs et d’assurer la maintenance et les réparations, tout en facturant aux compagnies aériennes un forfait basé sur le nombre d’heures de vol («power­by­the­hour»). Les nouvelles données provenant des capteurs ont également amélioré d’autres services tels que la gestion des stocks de pièces et les comptes rendus sur l’efficacité des vols.

On pourrait imaginer que Rolls­Royce étende cette expertise (aux moteurs des navires de croisière

ou aux turbines) et construise même une plate­forme autour de ces nouvelles données. La société pourrait mettre au point un système informatique capable de gérer de grands volumes de données émises par des capteurs, et l’ouvrir à des applications tierces axées sur des contextes industriels particuliers.

Autre exemple plus récent de produit amélioré : les roulements intelligents de SKF. Ils contiennent des capteurs miniaturisés et auto­ alimentés qui informent sur leur état en continu. Grâce à cette technologie, les roulements peuvent être surveillés en direct, ce qui n’était pas possible ou pas pratique auparavant. SKF a fait de la livraison de ces données un service additionnel qui, en cas de problème, permet aux clients de détecter toute dégradation dans un roulement et de prendre des mesures correctives bien avant que la panne ne survienne (ajout de lubrifiant, réduction des surcharges, etc.). Les machines sont plus fiables et moins sujettes aux interruptions. Les capteurs mesurent également la  charge réellement supportée par le roulement, un  type d’information pouvant servir à améliorer la   conception du système et des roulements ; ils   peuvent également détecter des problèmes externes tels que des vibrations importantes dans l’équipement.

Il n’y a aucune raison que des entreprises non­industrielles ne puissent s’inspirer de ce modèle. Ainsi, l’assureur Progressive Insurance offre doréna­vant un service baptisé Snapshot, dans lequel le prix de la police est en partie basé sur la manière dont l’assuré conduit sa voiture. Progressive Insu­rance envoie au client un terminal qui se branche dans le véhicule et enregistre des informations sur le kilométrage, la conduite de nuit et le nombre de freinages brutaux, par exemple.

Pendant des décennies, lorsque nous réfléchissions à la manière dont les technologies de l’information pourraient créer de la valeur pour les entreprises, nous restions concentrés sur l’automati-sation et la réduction du coût des processus d’exploitation et de gestion. L’avènement d’Internet a permis de conce voir des modèles économiques entièrement nouveaux (regardez Google, Amazon, eBay ou encore la révolution dans la distribution de contenus numériques). Aujourd’hui, une troisième vague d’innovation poussée par les technologies de l’information est alimentée par trois éléments moteurs :

L’EXPLOSION DES DONNÉES NUMÉRIQUESLa numérisation rend des millions

de données disponibles. Les informations sur les fournisseurs et les partenaires peuvent être obtenues quasiment en temps réel, les clients veulent de plus en plus échanger tous types de renseignements, et les objets connectés (l’Internet des objets) arrivent en masse sur la Toile. On commence tout juste à comprendre la valeur de ces ressources.

DE MEILLEURS OUTILS POUR TRAITER LES DONNÉES Notre capacité à intégrer, analyser

et exploiter des données structurées continue de s’améliorer et notre aptitude à comprendre et apprendre de ces données s’est transformée. La performance quasi humaine du super-ordinateur Watson d’IBM dans le jeu télévisé Jeopardy! a marqué un tournant majeur. Nous savons à présent que la technologie peut nous apporter «la bonne réponse» ; nous devons juste décider quelle question poser. En posant les bonnes questions, nous passerons de l’ère de l’information à l’ère de l’intelligence.

Pourquoi ces modèles émergent-ils maintenant ?

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2E MODÈLE : Numériser des objets traditionnels Ces vingt dernières années, la numérisation de la musique, des livres et des films a complètement bouleversé l’industrie du divertissement et fait ap­paraître de nouveaux modèles comme iTunes, les services de vidéo en streaming ou les liseuses élec­troniques. Alors que les technologies mobiles conti­nuent d’alimenter cette tendance, des entreprises plus créatives l’exploitent et créent leurs propres services ou de nouveaux modèles économiques.

A San Francisco, le musée international de la Femme est une organisation à but non lucratif qui innove en exposant en ligne des œuvres d’art de femmes du monde entier. La communauté numé­rique du musée compte 600 000 visiteurs uniques par an, 10 000 contributeurs artistiques, 40 000 abonnés à la liste de diffusion, 10 000 fans Facebook et 7 000 followers sur Twitter dans plus de 200 pays. Le musée organise et accueille des expositions pour un coût dérisoire par rapport à un musée classique, qui doit payer pour emprunter, faire expédier et exposer les œuvres. Les visiteurs peuvent en outre communiquer directement avec les artistes – sans même avoir à quitter leur domicile.

L’accès aux versions numérisées d’objets phy­siques modifie aussi les comportements dans d’autres secteurs. Par exemple, des techniques sophistiquées d’analyse et de visualisation ont amélioré le proces­sus de conception dans de nombreuses industries manufacturières, de l’aéronautique à l’automobile, en passant par l’habillement et l’ameublement. Les imprimantes 3D permettent aujourd’hui d’inverser le processus de numérisation et de fabriquer un objet physique à partir de plans numérisés (c’est ainsi que General Electric construit certains composants de

turbines). Dans le domaine de la santé, la numérisa­tion des dossiers médicaux devrait naturellement ré­volutionner ce secteur et garantir une prise en charge plus efficace et plus appropriée des patients tout en économisant des milliards d’euros. La numérisation permet également de perfectionner la pratique médi­cale par d’autres voies. La technologie permet en effet aux chirurgiens de recourir à la modélisation numé­rique du corps pour améliorer la précision des inter­ventions et réduire le caractère invasif des opérations chirurgicales très délicates.

Le management de la numérisation pourrait constituer en lui­même une nouvelle activité. En

Pourquoi ces modèles émergent-ils maintenant ?LE BUSINESS DANS LES NUAGES Historiquement, les transactions commerciales se sont toujours

déroulées dans un espace physique. Plus le commerce devient virtuel, plus sa nature évolue. Par exemple, des processus de plus en plus complexes sont dorénavant gérés par des logiciels standard ; ils peuvent évoluer en offres de service grâce au cloud computing, peu onéreux et puissant. Cette numérisation permet de réduire les coûts d’exploitation et de formuler de nouvelles offres pour les clients.

Alors que chacune de ces tendances peut générer de la valeur à elle seule, des entreprises apprennent aujourd’hui à en combiner deux ou trois pour inventer de nouvelles et puissantes propositions.

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effet, de nombreux secteurs d’activité ont besoin de  stocker leurs actifs numériques de manière sûre et durable. Qu’il s’agisse de plans d’avion, d’opéra­tions de centrale nucléaire, de journaux d’explo­ration pétrolière, de contenus de divertissement ou

de documents gouvernementaux, les exigences de conservation et de contrôle d’accès sont fondamen­talement les mêmes. Ainsi, une entreprise capable de gérer ses propres données pourrait proposer ce savoir­faire en tant que service, quel que soit le secteur d’activité.

Nous pensons que l’avantage concurrentiel va évoluer à mesure que la numérisation de nombreux produits va continuer à se développer. La numéri­sation permet en effet à la fois de réduire les coûts de distribution, et de déplacer des stocks physiques de manière efficace ou de trouver des lieux de stockage adéquats.

Mais on peut s’attendre à ce que, à l’avenir, l’offre de produits et de services plus personnalisés à desti­nation des clients se multiplie. Pour aller plus loin, nous verrons davantage d’acteurs étudier comment utiliser l’aspect numérique du processus d’approvi­sionnement lui­même pour renforcer la proximité avec le client et transformer l’industrie, une fois de plus. Les entreprises capables d’aider d’autres entre­prises à relever ce défi ont toutes les chances d’en tirer des bénéfices.

3E MODÈLE : Combiner des données à l’intérieur de différents secteurs d’activités et entre euxParallèlement aux nouvelles normes informatiques qui permettent d’intégrer davantage de données, la science du big data permet de coordonner d’une manière différente les informations entre les indus­tries ou les secteurs. Prenons l’exemple de la ville de Bolzano, dans le nord de l’Italie, où pratique­ment un quart des habitants sont des retraités, ce qui exerce une pression considérable sur les ser­vices de santé. En partenariat avec la municipalité, IBM a mis au point un réseau de capteurs dans les logements afin de suivre des indicateurs tels que la température, le niveau de CO2 et la consommation d’eau, mais aussi ce qui constitue des comporte­ments «normaux», par exemple les repas pris à des heures régulières. La détection d’une anomalie déclenche automatiquement un appel à un proche, qui peut venir vérifier que tout va bien, ou alerter les secours si nécessaire. En coulisse, un système informatique relie tous les services concernés (ser­vices sociaux, de santé et d’hygiène) afin de réagir de manière très coordonnée. Les officiels de la ville estiment que cette initiative a diminué les coûts d’assistance et de soins de 30% et qu’elle permet à de nombreuses personnes âgées de rester chez elles, ce qui réduit la nécessité de construire et de gérer des logements spéciaux.

D’autres villes testent également des actions in­tersectorielles. Au Royaume­Uni, l’Autorité du Grand Londres a créé une initiative dans l’espoir que celle­ci inspire de nouvelles façons de faire du business. Afin de gérer les embouteillages provoqués par l’ir­ruption massive de camionnettes livrant les achats faits sur Internet, elle a lancé le «Projet de logistique urbaine flexible». Il s’agit de combiner les données de livraison communiquées par les distributeurs avec les données sur l’état de la circulation, en utili­sant un logiciel d’optimisation. L’objectif est d’en­courager le secteur privé à élaborer de nouveaux modèles économiques, comme des services de livraison partagée dans des zones spécifiques.

De semblables perspectives existent aussi dans le secteur privé. Alors que certaines entreprises comme Walmart et Dell ont intégré avec succès les données dans leur chaîne d’approvisionnement, la plupart des réseaux logistiques sont relativement peu coordon­nés. Or, les progrès des technologies de l’information pourraient résoudre ce problème. Dans l’automobile, par exemple, les usines de production qui utilisent de

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l’eau pour refroidir les machines doivent en régler la température avec précision. L’accès en amont à des données fiables sur la température pourrait considé­rablement améliorer le rendement de l’usine. Les prestataires d’eau pourraient fournir ces informa­tions sous forme de service et ainsi engranger des revenus supplémentaires.

En Allemagne, un nouveau business consiste à compiler les données de tout un secteur (en l’occu­rence celui de la santé) afin d’en améliorer l’efficacité. Alors que les cabinets médicaux et dentaires utilisent traditionnellement différents formats (papier ou électronique) pour obtenir des paiements auprès des compagnies d’assurances, ce nouveau service col­lecte les informations directement dans les systèmes informatiques des cabinets, en en garantissant l’ano­nymat, puis les normalise et les nettoie avant de les transmettre à chaque assureur dans le format requis. Ce service permet aux assureurs d’automatiser les procédures de paiement et de vérifier la légalité des  factures. Les économies ainsi réalisées couvrent largement le coût du service.

4E MODÈLE : Echanger des données Combiner des ensembles disparates de données permet aux entreprises de mettre au point de nouvelles offres pour des activités adjacentes. C’est le cas, par exemple, du partenariat conclu entre Vodafone et TomTom, un fournisseur d’appareils et de services de navigation par satellite. A l’aide de son réseau mobile, Vodafone peut savoir quels abonnés sont sur la route, où ils se trouvent et à quelle vitesse ils conduisent. Ces données peuvent servir à repérer les embouteillages, une informa­tion extrêmement précieuse que Vodafone vend à TomTom. Les données des téléphones portables peuvent également être utilisées pour améliorer la gestion de la circulation, mais aussi de manière plus lucrative, par exemple par des sociétés sou­haitant placer des publicités contextuelles, pour des restaurants ou des magasins situés à proximité d’un utilisateur.

Au Royaume­Uni, une ambitieuse collaboration de type «plate­forme ouverte» entre l’Office mé­téorologique national, IBM, l’école de commerce et l’institut de recherche de Grantham sur le change­ment climatique de l’Imperial College (Londres) vise à créer un nouveau système d’échange de données météorologiques mondiales. De nom­breuses entreprises ont besoin de ce type d’infor­mation, notamment les compagnies d’assurance et

les organismes de lutte contre les catastrophes na­turelles. La plupart des données sont disponibles, mais compte tenu de l’insuffisance de normes en la matière, il est difficile de les échanger ou de les combiner. En outre, les normes généralement acceptées pour les modèles météorologiques ana­lytiques n’ont pas encore été mises au point. Les lacunes dans ces deux domaines pèsent sur la qua­lité des évaluations et de la prise de décision. La nouvelle entité se donne pour objectif de combler ce manque à l’aide d’une plate­forme en ligne ou­verte à un vaste éventail de contributeurs, une sorte de bourse d’échange de connaissances, d’in­formations et de techniques de modélisation météorologique. Les entreprises qui participent à ce projet espèrent qu’il contribuera à stimuler l’élaboration de solutions innovantes pour évaluer

et gérer le risque climatique (notons que cette initiative illustre deux approches : l’échange et la combinaison de données entre secteurs).

5E MODÈLE : Codifier une expertise de service distinctive Depuis son invention, l’informatique a contribué à l’automatisation des procédés. Aujourd’hui, les sociétés disposent d’un moyen concret de stan­dardiser des procédés qu’elles ont perfectionnés et

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de les vendre à des tiers. Tout processus de pointe (mais qui n’est pas essentiel à l’avantage concur­rentiel d’une entreprise) peut donc devenir une activité rentable. Le cloud computing a mis ce type de possibilité à portée de main, car il permet aux

entreprises de distribuer facilement les logiciels, de simplifier le contrôle des versions et d’offrir aux clients une tarification à l’usage.

Chez IBM, la solution GERS (Global Expense Repor ting Solutions) de gestion des dépenses a été créée pour automatiser toutes les étapes des procé­dures internes de comptabilisation des frais de dé­placement et des charges. Outre une réduction des coûts administratifs de 60 à 75%, les systèmes per­mettent à IBM de s’assurer que les employés se conforment aux politiques de déplacement et de représentation, ce qui peut faire baisser les dépenses totales de 4%. Après quelques années de fonctionne­ment, prenant conscience que de nombreux clients souhaitaient réaliser des économies similaires, IBM a transformé ces systèmes en services – que la société vend depuis aux entreprises du monde entier – don­nant ainsi naissance à une nouvelle activité. L’analyse des données qui en ont résulté a permis au groupe informatique de se concentrer davantage sur les pro­cédures d’audit interne des clients. IBM propose éga­lement à des tiers un service de comptes clients développé en interne.

Citigroup offre un autre exemple de ce qu’il est possible de faire. Cette banque a conçu des modèles pour les données de transaction afin d’analyser les flux monétaires dans différentes parties du système financier, en identifiant les insuffisances qui em­pêchent ses clients d’utiliser efficacement différents mécanismes de paiement. Pendant cinq ans, ces modèles ont été affinés et rassemblés dans un en­semble de services client. CitiDirect BE Mobile permet ainsi aux institutions financières et à leurs clients de suivre l’état d’avancement des paiements, à tout mo­ment et n’importe où. Durant la première année d’ex­ploitation, le système s’est développé et a traité 11  mil­liards de dollars de transactions ; aujourd’hui ce montant a quasiment décuplé. En octobre 2013, la banque a lancé le service CitiDirect BE Tablet, afin d’aider les dirigeants à gérer plus efficacement les flux financiers des groupes internationaux.

Les processus résultant des technologies de l’in­formation ne sont cependant pas les seuls à présen­ter des possibilités de nouvelle création de valeur. Une grande société britannique de vente par corres­pondance a, par exemple, mis au point un système particulièrement efficace et souple pour concevoir et produire des catalogues en ligne. Cela lui permet d’offrir un éventail plus large de produits tout en maintenant un stock deux fois moins important que ses concurrents. Si elle proposait cette expertise à d’autres distributeurs, l’entreprise pourrait lancer une nouvelle ligne métier susceptible de devenir une technologie de rupture que les distributeurs tiers utiliseraient comme canal de commercialisation.

COMBINER LES MODÈLES Ces cinq modèles représentent un bon moyen de lancer le débat sur de nouvelles idées de busi­ness– et, nous l’avons vu, chacun d’entre eux pro­duit de bons exemples – mais les initiatives exis­tantes englobent souvent deux ou trois modèles. (Au moment de rédiger cet article, nous nous sommes rendus compte que certains de nos exemples pour­raient en illustrer bien plus d’un seul !) En outre, ce qui apparaît au départ comme une extension rela­tivement simple d’une activité existante devient souvent une activité totalement nouvelle.

C’est le cas des nouveaux compteurs électriques intelligents qui sont maintenant utilisés dans presque tous les pays développés ; ils enregistrent la consommation énergétique quotidienne et la com­muniquent au fournisseur. Ces appareils ont com­mencé par accroître les activités des fournisseurs d’électricité de plusieurs façons : ils ont permis

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d’adopter des prix intrajournaliers qui reflétaient la demande, d’optimiser les opérations et l’utilisation des infrastructures, et de fournir aux clients les in­formations nécessaires pour gérer leur propre consommation. Mais il est rapidement devenu évident que ces appareils créaient aussi des possibi­lités d’activités complètement nouvelles, telles que la collecte de données sur la consommation éner­gétique des appareils, données pouvant ensuite être revendues aux fabricants ou être utilisées pour pro­poser aux clients des services améliorés, comme le rachat à prix garanti de l’énergie produite localement (à partir de panneaux solaires, par exemple).

Les compteurs intelligents pourraient également soutenir une activité basée sur une plate­forme. Lorsque l’énergéticien allemand E.ON a créé une nouvelle «business unit» centrée sur les compteurs intelligents, IBM a mis au point un système informa­tique (logiciel et infrastructure) pour gérer les di­verses activités que E.ON avait besoin d’entreprendre (capture et agrégation de données, modèle de tarifi­cation dynamique). Il s’est avéré que la conception modulaire de ce système lui permettait d’être adapté aux autres fournisseurs (pour être exact, cette nou­velle activité est conjointement développée par IBM et E.ON). Et les compteurs intelligents pourraient même constituer une plate­forme technologique pour offrir un large éventail d’applications aux clients, depuis les systèmes de sécurité jusqu’à des systèmes de divertissement.

POUR SE LANCER Lorsque nous travaillons avec nos clients à la re­cherche de nouvelles opportunités d’affaires, nous commençons par décrire les cinq modèles, en utili­sant un ou deux exemples détaillés, avant de poser des questions destinées à définir le matériau de base à partir duquel il sera possible de créer une valeur nouvelle pour l’entreprise. Ces questions semblent généralement simples, mais y répondre exige dans la plupart des cas une importante réflexion.

• De quelles données disposons­nous ? • A quelles données non collectées pourrions­

nous accéder ? • Quelles données pourrions­nous créer à partir

de nos produits ou de nos opérations ? • Quelles données utiles pourrions­nous obtenir

auprès de tiers ? • Quelles données appartenant à des tiers

pourrions­nous utiliser dans une initiative commune ?

Facteurs de succèsLes initiatives réussies que nous avons observées ou auxquelles nous avons participé présentent quatre points communs (outre les facteurs habituels tels qu’une équipe interfonctionnelle, des ressources adéquates et le soutien de la haute direction).

Il est crucial que le directeur des investissements, le directeur technique ou quiconque ayant la responsabilité globale des services informatiques joue un rôle majeur dans le projet. C’est encore mieux si cette personne en est le principal promoteur. Cela suppose, toutefois, que ce rôle soit centré sur la création de valeur pour le business plutôt que sur l’efficacité du business, ce qui, à son tour, a une incidence sur le profil et les compétences de cette personne.

La recherche d’innovations bénéficie souvent de points de vue extérieurs, qu’il s’agisse de clients, de fournis-seurs, de personnes travaillant dans des secteurs adjacents ou d’informa-ticiens. Les sociétés qui mettent en œuvre les idées de la manière la plus efficace intègrent en général des parties extérieures au moment de passer à une échelle supérieure, car c’est un moyen plus rapide d’acquérir les capacités requises pour accélérer la mise sur le marché.

Si une initiative s’inscrit davantage dans la rupture que dans la conti-nuité, elle aura besoin d’un leader solide capable de franchir les obstacles inévitablement induits par la culture bien établie de l’entreprise en place. Les nouveaux leaders sont souvent les plus aptes à remplir ce rôle, car ils ont généralement le désir profond de se prouver des choses et de créer quelque chose de nouveau.

Les initiatives réussies dépassent l’aspect intellectuel et deviennent un engagement émotionnel (voire une mission) pour les personnes concernées.

LEADERSHIP MOTIVÉ

ENGAGEMENT ÉMOTIONNEL

FORTE PRÉSENCE

TECHNOLOGIQUE

CONTRIBUTIONS DES PARTIES EXTÉRIEURES

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Une fois munie des réponses, l’équipe se penche à nouveau sur chaque modèle afin de déterminer lequel conviendrait le mieux au busi­ness de l’entreprise ou s’il pourrait être amélioré ou combiné à d’autres modèles.

Ces nouvelles questions se déclinent de la façon suivante :

1. AMÉLIORER LES PRODUITS • Quelles données concernent nos produits et

leur utilisation ? • Lesquelles conservons­nous déjà et lesquelles

pourrions­nous commencer à conserver ? • Quelles informations pourrions­nous dévelop­

per à partir de ces données ? • Comment ces informations pourraient­elles

être source de valeur pour nous­mêmes, nos clients, nos fournisseurs, nos concurrents ou d’autres acteurs du secteur ?

2. NUMÉRISER DES BIENS OU DES ACTIFS • Quels sont nos biens et actifs en partie ou

totalement numériques ? • Comment pouvons­nous exploiter leur nature

numérique pour améliorer ou accroître leur valeur ?

• Disposons­nous de biens et actifs physiques qui pourraient être numérisés ?

3. COMBINER DES DONNÉES • Comment nos données pourraient­elles être

combinées à des données détenues par d’autres en vue de créer une nouvelle valeur ?

• Pouvons­nous jouer un rôle catalyseur en matière de création de valeur en intégrant les données détenues par d’autres acteurs ?

• Qui bénéficierait de cette intégration et quel modèle économique la rendrait intéressante pour nous­mêmes et nos collaborateurs ?

4. ÉCHANGER DES DONNÉES • Comment structurer et analyser nos données

pour qu’elles génèrent des informations de plus grande valeur ?

• Ces données présentent­elles de la valeur pour nous en interne, pour nos clients actuels et potentiels ou pour un autre secteur ?

5. CODIFIER UNE EXPERTISE • Disposons­nous d’un potentiel spécifique que

d’autres pourraient valoriser ?

• Existe­t­il un moyen de normaliser ce poten­tiel ou cette capacité afin qu’il ou elle soit globalement utile ?

• Pouvons­nous proposer cette expertise en tant que service numérique ?

• Qui, au sein de notre activité, ou dans d’autres secteurs, trouverait cette expertise inté res­ sante ?

• Comment la collecte, la gestion et l’analyse de nos données nous aident­elles à élaborer une expertise que nous pourrions codifier ?

Une fois que nous avons répondu à cette se­conde série de questions, la procédure est simple : les différentes idées sont compilées et hiérarchi­sées, une ou deux sont approfondies, tandis que des sous­groupes sont chargés de les étoffer. Ils élaborent ensuite un scénario dans lequel une idée crée une valeur nouvelle importante pour l’entre­prise et ils identifient les principales hypothèses qui devront se vérifier. Au bout de quelques se­maines, l’équipe se réunit pour présenter son tra­vail à un cadre qui sera chargé de piloter le projet.

DEPUIS QUELQUES ANNÉES maintenant, les technolo­gies de l’information s’éloignent de leur tradition­nel rôle d’automatisation et de réduction du coût des processus d’exploitation et de gestion. Naturel­lement, elles continueront d’assurer cette fonction, mais elles deviennent une force plus importante dans la quête de nouvelles opportunités d’affaires. Plus la technologie avance vite, plus les débouchés semblent nombreux. Il est temps que les entre­prises adoptent une approche structurée et systé­matique pour examiner ces progrès, en faisant particulièrement attention à la manière dont les technologies de l’information peuvent produire des biens et services de meilleure qualité, mais aussi des plate­formes et des modèles économiques in­novants. En réfléchissant aux répercussions des cinq modèles sur leur propre business, les entre­prises peuvent trouver des moyens de s’engager davantage dans l’économie numérique – et tirer parti de ses promesses.

Rashik Parmar est président de l’Academy of Technology d’IBM, Ian Mackenzie est maître de

conférences à la Harvard Business School, David Cohn est chercheur au Thomas J. Watson Research Center d’IBM et David Gann est vice-président du développement et de l’innovation à l’Imperial College de Londres.

11  Harvard Business Review Août-septembre 2014

INNOVATION