133
Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Module 2 Economie approfondie

Chapitre 4Fonctions et équilibre macroéconomiques

Page 2: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

I. L’approche macroéconomique de la consommation et de l’épargne

A. Définitions1) La consommation des ménagesC’est une consommation finale effective qui inclut:- La consommation marchande: les ménages

achètent des biens et services marchands grâce à leurs revenus.

- Autoconsommation: les ménages peuvent satisfaire leurs besoins en consommant des

Page 3: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Biens et services qu’ils produisent eux – mêmes- Consommation de biens et services non-

marchand fournis par les APU et qui n’exigent pas de contrepartie monétaire immédiate (ex: lorsqu’un agent utilise l’enseignement public pour scolariser ses enfants; remboursement de soins médicaux);ces services collectifs sont financés par les prélèvements obligatoires.

Ces services peuvent être aussi fournis par les ISBLSM.

Page 4: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Consommation effective des ménages = dépense de consommation finale individuelle + consommation collective individualisable (services collectifs).

On mesure la part de la consommation dans le PIB.

La macroéconomie étudie les agrégats tels que la consommation ou l’épargne.

La micro étudie le comportement du consommateur.

Page 5: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

2) L’épargne des ménages

C’est la partie non consommée du RDB.Taux d’épargne: épargne brute / RDB.L’épargne brute des ménages a deux composantes:- l’investissement logement- L’épargne financière: livrets d’épargne, détention

de titres (actions, obligations).

Page 6: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

2 remarques

• Les achats de logement ne font pas partie de la dépense de consommation finale des ménages mais sont considérés comme un investissement. Ils font donc partie de la FBCF.

• Les achats de biens durables (automobiles, équipement électroménager, meubles) font partie de la consommation finale des ménages, même si leur utilisation s’étale sur plusieurs années.

Page 7: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Du point de vue de la macroéconomie, la distinction entre biens durables et non durables est importante: les achats de biens durables ne représentent qu’une part mineure (moins de 10%) de la dépense de consommation des ménages, mais sont beaucoup plus volatiles (fluctuants) que les dépenses en biens non durables.

Page 8: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

B. Les déterminants (facteurs)du partage du revenu entre C et S

Remarque préliminaire sur le débat entre consommation et épargne: l’épargne n’est-elle qu’un résidu du revenu consommé?

1) Niveau général des prix et taux d’intérêt réelLes économistes ont longtemps considéré que la

consommation et l’épargne dépendaient du taux d’intérêt réel et du taux d’inflation.

Page 9: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Selon les auteurs classiques et néo-classiques, le taux d’épargne serait une fonction croissante du taux d’intérêt réel: un fort taux d’intérêt réel (une forte rémunération de l’épargne) incite à diminuer sa consommation présente pour accroître son épargne. C’est l’effet de substitution: on substitue de l’épargne à de la consommation présente.

Page 10: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Mais la relation positive entre taux d’intérêt et épargne peut être contrebalancée par un effet revenu: pour un ménage qui souhaite effectuer des placements financiers, une hausse du taux d’intérêt signifie une hausse de revenus futurs, ce qui peut inciter à réduire l’épargne nécessaire pour constituer un patrimoine.

Selon P. Allard, « le sens de la réaction de l’épargne au taux d’intérêt est en théorie indéterminé.

- Si la consommation présente et la consommation future sont fortement substituables aux yeux des ménages, l’effet de substitution l’emporte sur

Page 11: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

L’effet revenu.- Au contraire, si la consommation future est

ressentie comme complémentaire de la consommation présente, l’effet de revenu l’emportera.

• Le lien entre inflation et épargne a été dégagé la 1ère fois par PIGOU (1949): l’agent économique désire détenir un montant donné d’encaisses liquides exprimé en termes réels: M/P = encaisses réelles

M= encaisse monétaire et actifs financiers (patrimoine)

P= indice des prix

Page 12: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

- Effet d’encaisses réelles à LT*: d’un côté, en cas d’inflation, pour conserver la valeur réelle de leur patrimoine financier, les ménages sont contraints d’épargner plus.

- Mais d’un autre côté, à court terme, l’anticipation d’une accélération de l’inflation peut conduire les ménages à précipiter leurs achats, surtout de biens durables: fuite devant la monnaie et l’épargne baisse

=> La rapidité de ces adaptations dépend du rythme de progression de l’inflation et du degré d’illusion monétaire (myopie)des agents quant à l’inflation.

Page 13: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Toutefois, dans une période de relative stabilité des prix (+ 2% par an dans la zone OCDE entre 2003 et 2007), ce facteur (inflation) joue désormais un rôle marginal dans le comportement des ménages.

Keynes a renouvelé le débat en affirmant que le niveau de la consommation et de l’épargne est déterminé par le revenu courant

Page 14: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

2) Le revenu courant

Le lien entre consommation et revenu a pour la 1ère fois été dégagé par Keynes dans sa Théorie générale (1936).Pour Keynes, l’individu fixe d’abord sa consommation en fonction de son revenu courant et affecte ensuite le reliquat de son revenu à l’épargne.

Page 15: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Certaines approches ont toutefois affiné le lien qui existe entre revenu et consommation (théorie du revenu relatif) tandis que d’autres ont lié l’évolution de la consommation à l’ensemble des ressources anticipées de l’individu à plus ou moins long terme, voire à sa richesse (théorie du revenu permanent et du cycle de vie).

=> Les néoclassiques parlent d’actualisation: en t0, l’individu anticipe et fait un calcul actualisé des ses revenus en t1, t2, t3, jusqu’à la fin de sa vie.

Page 16: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

LA THÉORIE KEYNÉSIENNE (MACROÉCONOMIQUE): LE REVENU COURANT

La consommation est directement reliée au revenu des ménages dont elle suit les fluctuations à court terme.

La fonction généralement retenue comprend une consommation incompressible C0, et une propension marginale à consommer c, positive et < à 1, et constante.

Loi psychologique fondamentale*: la consommation s’accroît quand le revenu progresse, mais dans une moindre mesure,

Page 17: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Car l’individu consacre une partie de sa richesse nouvelle à l’épargne.

Y :RevenuC = C0 + cY

On peut aussi écrire la fonction de consommation avec une constante b:

C = b + cY Repères p. 15-17La propension moyenne à consommer C/Y qui diminue

lorsque le revenu augmente

Page 18: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

TESTS EMPIRIQUES DE LA FONCTION DE CONSOMMATION KEYNÉSIENNE

La naissance de l’économétrie est contemporaine de la Théorie générale, avec les travaux menés en 1939 par Jan TINBERGEN pour la Société des Nations.

• Les travaux statistiques sur la consommation réalisés depuis les années 1940 confirment l’existence d’une telle fonction à court terme: la propension moyenne à consommer diminue avec le niveau de revenu.

Page 19: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Mais une étude en longue période réalisée par Simon KUZNETS (1946), obtient pour les Etats-Unis de 1869 à 1938, une fonction de consommation linéaire Ct = 0,86 Yt

Cette caractéristique infirme l’hypothèse d’une propension moyenne à consommer décroissante avec le revenu, puisqu’elle est constante à long terme. C/Y = 0,86 = c

La propension marginale à consommer est sensiblement plus élevée qu’a court terme, et égale à la propension moyenne à consommer.

Page 20: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Le doute jeté sur la fonction de consommation de Keynes par ces résultats empiriques a suscité de nombreuses reformulations: comment expliquer cette discordance entre courte période et longue période?

Page 21: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

LES REFORMULATIONS KEYNÉSIENNES

• Le rôle des habitudes de consommation: James Duesenberry (1948) et Franco Modigliani (1949) ont trouvé une irréversibilité dans le comportement de consommation: s’il est plus facile d’augmenter que de réduire sa consommation, le niveau de revenu le plus élevé atteint dans le passé exerce un « effet de crémaillère » ou « effet de cliquet » sur la fonction de consommation de court terme. Cet effet de cliquet explique le

Page 22: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

maintien du niveau de consommation en période de récession ou d’expansion économique. Confrontés à une dégradation de leur pouvoir d’achat, les consommateurs préservent leur consommation en épargnant moins ou en s’endettant. En revanche, lorsque l’activité économique reprend, ils maintiennent leur consommation à son niveau antérieur et épargnent le supplément de revenu courant.

La propension moyenne à consommer se comporte généralement de façon contra cyclique (elle n’est pas liée aux cycles économiques) à court terme, tandis qu’elle est stable à long terme.

Page 23: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Cependant l’effet de crémaillère est trop brutal: une formulation + souple des habitudes de consommation est élaborée par Thomas Brown (1952), qui propose d’introduire non plus une irréversibilité, mais une inertie des comportements de consommation. La consommation courante est alors expliquée par le revenu courant et la consommation de la période précédente, qui illustre le rôle des habitudes:

Ct = c Yt + aCt-1 + b 0 < c <1

0 ≤a <1

Page 24: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Plus le coefficient a est élevé, plus la consommation passée exerce un effet de mémoire important sur la consommation présente.

A court terme, les habitudes de consommation sont données (Ct-1 ne peut être modifiée) et la propension marginale à consommer de courte période est ∂Ct / ∂Yt = c

A long terme, au contraire, toute augmentation du revenu va se transmettre de période en période par le biais du terme de consommation retardé: l’augmentation de la consommation en t

Page 25: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Entraînera une augmentation de la consommation en t+1, puis en t+2… En longue période, si la consommation est stationnaire, la fonction de consommation s’écrit

C= c Y + a C + b, et la propension marginale est consommer à long terme c / (1-a) est supérieure à la propension marginale à consommer de court terme (c): la formulation de Brown expliquerait donc pourquoi les études empiriques sur longue période obtiennent une valeur plus forte que les études sur courte période.

Page 26: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Le revenu relatif (Duesenberry, 1949): dans cette approche, la propension moyenne à consommer des individus est autant influencée par le niveau de leur revenu courant que par la place qu’occupe ce revenu, au sein de la hiérarchie des revenus.

• L’interdépendance du comportement des agents économiques et les phénomènes d’imitation sociale expliquent que la propension moyenne à consommer soit globalement stable sur longue période, puisque cette progression moyenne dépend avant tout

Page 27: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

de la situation de l’individu dans l’échelle sociale.

Page 28: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

3) La remise en cause de la fonction de consommation keynésienne: le

revenu permanentDans son ouvrage A theory of consumption

fonction (1957), Milton Friedman propose d’établir les fondements microéconomiques des comportements de consommation, sur la base de choix intertemporels du consommateur.

Pour Friedman, il convient de distinguer au sein

Page 29: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

du revenu et de la consommation une composante permanente et une composante transitoire.

Le revenu permanent* est un revenu tendanciel anticipé, que l’individu infère des évolutions économiques de long terme et de ses propres capacités (anticipations rationnelles)

Le revenu transitoire* ou revenu courant dépend au contraire d’évènements imprévus ou de fluctuations à court terme.

La seule relation stable qui existe entre revenu et consommation unit revenu permanent et consommation permanente.

Page 30: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Une hausse du revenu ne se traduira donc par une augmentation significative de la consommation, que si cette hausse est interprétée comme durable par les agents économiques et si elle aboutit à modifier les anticipations portant sur le revenu permanent.

• Dans le cas contraire, la hausse du revenu sera perçue comme provisoire et se traduira surtout par un flux d’épargne supplémentaire (dans la crainte d’une diminution future du pouvoir d’achat.)

Page 31: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

l’explication de Friedman relativise la portée des politiques keynésiennes de relance de la consommation à court terme, et met l’accent sur le rôle contra cyclique des comportements de consommation.

Contra-cyclique*: qui va à l’opposé du cycle économique (récession ou expansion).

Page 32: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

4) Le cycle de vie

• Initialement formulée par Ando-Modigliani (1963) et Modigliani-Brumberg (1954), la théorie du cycle de vie se situe, comme la théorie du revenu permanent, dans la tradition néoclassique de l’affectation inter temporelle des revenus.

=> Rationalité du consommateur qui adopte un comportement prospectif d’optimisation.

Page 33: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Néanmoins, contrairement à la théorie de Milton Friedman, l’approche est ici plus directement macroéconomique: au niveau agrégé, la théorie du cycle de vie affirme que le taux d’épargne moyen des ménages dépend avant tout des variables démographiques.

• Comme Friedman, la théorie du cycle de vie relie la consommation aux ressources moyennes de l’individu calculées sur le long terme. Sa particularité cependant: substituer à la notion de revenu permanent la somme actualisée des revenus perçus par un individu

Page 34: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Pendant sa vie entière.• Cette théorie montre les différences de

comportements de consommation et d’épargne à chaque stade du cycle de vie. Schématiquement, les individus:

- consomment plus qu’ils ne gagnent quand ils sont jeunes (le financement de leurs dépenses se faisant grâce à la famille ou par emprunt à des organismes de crédit)

- épargnent de plus en plus au cours de leur vie active ( à la fois pour rembourser leurs dettes initiales, et pour se constituer un capital en

Page 35: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Vue de leur retraite)- Consomment les fonds accumulés peu à peu au

cours de leur retraite. Cette théorie est globalement vérifiée sur les

dernières décennies, mais l’évolution du contexte économique conduit à y apporter quelques nuances Ex: épargne de précaution (chapitre V)

=> Au niveau microéconomique, c’est l’ensemble du revenu actualisé durant sa vie active qui importe à l’individu pour définir son profil de consommation, même si des aléas intervenus

Page 36: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Dans le revenu courant ou des modifications de ses anticipations sur les revenus futurs peuvent modifier cette consommation à court terme.

=> Au niveau macro, le taux d’épargne des ménages varie en fonction de la croissance de la population active (+ la pop. Active est importante, plus le taux d’épargne est élevé), mais aussi de celle du revenu

Page 37: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

C. Les évolutions empiriques vérifient-elles ces théories?

1) Evolution du taux d’épargne peut-elle être expliquée par ces théories?

Page 38: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

DANS L’ENSEMBLE DES PAYS DE L’OCDE

• Le taux d’épargne chute entre 1980 et 2005, avec des mouvements cycliques: baisse jusqu’en 1983, remontée de 1983 à 1989, chute entre 1990 et 1993, légère hausse depuis cette date, puis nouvelle diminution à partir de 2004.

• Cette évolution cyclique correspond aux fluctuations de la conjoncture éco: l’épargne baisse en période de ralentissement (récession)car les ménages puisent dans leur épargne pour soutenir la

Page 39: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Consommation, et car les réductions de déficits publics conduisent à une baisse de l’épargne globale (voir l’équivalence ricardienne p. 68 dans le Repères: les ménages épargnent davantage en cas de déficit public important, car ils anticipent le fait que l’Etat augmentera les impôts pour combler ce déficit public).

• Cette évolution masque une certaine dispersion des taux d’épargne entre les pays:

- Le Japon a connu une forte chute de son taux d’épargne des ménages: 22,8% en 1975=>

Page 40: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Seulement 6,8% en 2004.- Le Royaume-Uni et les Etats-Unis sont partis de

taux d’épargne faibles; avec la chute de leur taux d’épargne, les Etats-Unis atteignent 1% en 2006 et le Royaume-Uni 5,5% en 2006.

- Si en 2006, la France, l’Allemagne et l’Italie ont un niveau comparable d’épargne des ménages (environ 15,5%), ces pays n’ont pas connu la même évolution depuis 1975: taux divisé par 2 en Italie, faible hausse en Allemagne et chute de 4 points en France.

Page 41: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Globalement, le taux d’épargne des ménages dans les pays de l’OCDE a connu depuis le 1er choc pétrolier une baisse durable, qui s’est encore accentuée à partir des années 1980. En France, cette évolution a été particulièrement marquée entre 1983 (politique économique réorientée dans le sens de la rigueur salariale) et 1988 (où le taux d’épargne a atteint son niveau historique le plus bas).

• Avec la crise économique du début des années 1990, on a assisté à une stabilisation du taux d’épargne, voire à une légère remontée en France.

Page 42: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Cependant, les taux d’épargne atteints en 2000 n’ont jamais retrouvé leur niveau d’avant les 2 chocs pétroliers. Aux Etats-Unis, on a vu apparaître un taux d’épargne nul, voire négatif, conséquence de l’augmentation des cours boursiers (cours des actions et obligations) , et donc, de celle du patrimoine des ménages => les ménages revendent leurs titres

La période de stagnation du début des années 2000 a coïncidé avec une légère augmentation du taux d’épargne des ménages, surtout en Europe, s’expliquant par des incertitudes en matière d’évolution des revenus: S de précaution

Page 43: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Mais l’amélioration de l’activité économique en 2006/2007 n’a, contrairement à tout attente, pas entraîné en Europe de reflux significatif du taux d’épargne: cela peut s’expliquer en partie par les incertitudes pesant sur le caractère durable de cette reprise (chômage élevé, pressions inflationnistes notamment jusqu’en 2008).

Si les ménages n’avaient pas anticipé le caractère temporaire de cette reprise économique, ils auraient moins épargné.

=> effectivement, la crise a de nouveau eu lieu en 2008.

Page 44: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

UNE BAISSE DE L’ÉPARGNE DES MÉNAGES EN FRANCE

Trois phases:• Jusqu’en 1978, augmentation tendancielle du

taux d’épargne des ménages en France, qui atteint près de 20%en 1978

• Phase de forte baisse entre 1978 et 1987 => 11% en 1987. Cette diminution affecte également la composante financière de

Page 45: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

l’épargne des ménages• Le taux d’épargne remonte tendanciellement

après 1987 et se situe en 2008 à 15,3%; on assiste parallèlement à la remontée de l’épargne financière des ménages (les ménages placent davantage sur des livrets, achètent davantage d’actions, d’obligations)

a/ Les travaux français mettent l’accent sur plusieurs facteurs clés pour expliquer la baisse du taux d’épargne des ménages de 1978 à 1987:

Page 46: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• La crise économique, et son impact sur la progression des revenus: la faible croissance des revenus a pu inciter les ménages à réduire leur épargne pour conserver leur niveau de consommation; un tel phénomène d’effet de cliquet a été mise en évidence à la fin des années 1970.

Exemple: de 1970 à 1980, le taux de croissance du pouvoir d’achat du revenu des ménages est passé de 5% l’an à 0% => les ménages ont réagi en diminuant leur taux d’épargne qui s’est abaissé de 17,5% à 14,9% => le niveau de leur

Page 47: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

consommation est, en 1980, > de 3% à ce qu’il aurait été si le taux d’épargne avait été maintenu au niveau de 1978.

• Les effets de l’inflation sur l’épargne apparaissent ambivalents: à court terme, l’effet de fuite devant la monnaie a pu jouer, pour céder la place à l’effet d’encaisse réelle à moyen terme.

Ex: la baisse du taux d’épargne en France de 1981 à 1988 a ainsi correspondu à une phase très rapide de désinflation (le taux d’inflation est

Page 48: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

passé entre ces 2 dates de 13% à 3,5%) et à une période de ralentissement très net de la progression du revenu disponible: les ménages ont tiré sur leur épargne, dont la valeur n’était plus dépréciée, plutôt que de sacrifier leur consommation.

Page 49: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• La baisse du taux d’épargne des ménages peut s’expliquer par la diminution de l’investissement en logements durant les années 1980.

• Motif de précaution: en période d’incertitude sur leur revenu futur, les ménages peuvent décider d’accroître leur effort d’épargne afin de maintenir un niveau de consommation constant sur le long terme.

=> l’augmentation du chômage influence l’épargne de précaution (crainte de perdre son emploi).

Page 50: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Dans une optique de cycle de vie, le vieillissement de la population française devrait se traduire par une baisse structurelle du taux d’épargne des ménages. En longue période, au taux actuel de fécondité, la part de personnes d’au moins 60 ans par rapport aux personnes âgées de 20 à 59 ans, passera de 38% à 47% en 2025 => le poids relatif des désépargnants augmentera par rapport à celui des épargnants => le taux d’épargne pourrait baisser.

Page 51: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Le taux d’intérêt ne semble pas exercer d’influence significative sur le volume de l’épargne: les taux d’intérêt réels sont très faibles en 1974 alors que le taux d’épargne est élevé ≠ taux d’intérêts réels augmentent de 1980 à 1986, tandis que le taux d’épargne des ménages chute.

• Les « facteurs socioculturels »: selon A. Babeau, l’instabilité des couples influe sur le taux d’épargne des ménages => elle raccourcit l’horizon des choix; toutes les formes d’engagements à long terme peuvent donc être dévalorisées, ainsi on peut repousser une

Page 52: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Consommation que l’on peut se permettre dès maintenant.

De même cet auteur avance que la crise économique des années 1980 a paradoxalement conduit à des comportements de préférence pour le présent: les projets à long terme sont devenus plus rares => cela est favorable à la consommation immédiate du revenu courant (théorie keynésienne).

Page 53: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Pour comparer l’épargne des ménages en France aux autres pays, l’accent est souvent mis sur des facteurs structurels tels que la démographie et le système de retraites. Ainsi, une étude du CEPII a tenté d’expliquer les différences de niveau d’épargne entre les pays de l’OCDE sur la période 1977-85, en mobilisant 4 déterminants:

- La part de la population du pays ayant + de 65 ans: dans une optique de cycle de vie, ce facteur doit être défavorable à l’épargne

Page 54: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

- Le taux d’activité des + de 60 ans: il influe négativement sur le taux d’épargne

- Les retraites versées (en % du PIB): de fortes retraites versées incitent peu à épargner

- Le taux d’activité des femmes: ce dernier influe négativement sur le taux d’épargne.

Le RU, qui se caractérisait par un faible taux d’épargne des ménages conjuguait une population relativement âgée (15% de + de 65 ans), un taux d’activité des femmes élevé (60%),

Page 55: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Royaume-Uni France Japon

Taux d’épargne des ménages

Faible Moyen Elevé

Part des plus de 65 ans

15% `38% 9%

Taux d’activité des femmes

60% 54% 53%

Taux d’activité des + de 60 ans

15% 11% 35% (seul facteur à la baisse du taux d’épargne)

Système de retraites(retraites versées en % du PIB)

Conséquent (10,5%)

Important (12%) Peu développé (5%)

Page 56: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

b) La remontée du taux d’épargne des ménages en France reste difficile à

expliquer• Si l’on retient une approche en termes d’effet

d’encaisse réelle, la désinflation actuelle (depuis 2008) aurait dû pousser le taux d’épargne à la baisse.

• De même, lorsque le revenu courant ralentit de façon transitoire, ce qui a été le cas de 1990 à 1994, le revenu permanent n’est pas sensiblement affecté si les ménages anticipent

Page 57: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Un rattrapage à long terme => ceux-ci consentent donc une baisse temporaire de leur taux d’épargne leur permettant de maintenir leurs dépenses

Plusieurs arguments ont été invoqués pour rendre compte de l’évolution de l’épargne des ménages depuis les années 1990:

• Face à l’augmentation du taux de chômage entre 1990 et 1995, les ménages constituent une épargne de précaution.

Page 58: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• De forts déficits publics (ou déficits budgétaires) au cours de la récession de 1993 ont pu conduire à des comportements du type « neutralité ricardienne » (David Ricardo et R. Barro): compte tenu de l’ampleur des déficits, financés par l’emprunt, les ménages anticipaient une augmentation future des impôts et constituent en conséquence une épargne pour faire face à ces impôts.

• Les effets nouveaux de la libéralisation financière: dans l’optique néoclassique, l’affectation

Page 59: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

du revenu des ménages entre consommation et épargne est essentiellement déterminée par la valeur du patrimoine des ménages. En effet, si l’individu choisit de différer sa consommation et d’affecter une partie de son revenu à l’épargne, c’est pour se constituer un patrimoine qui va servir de réserve de valeur pour sa consommation future. Toute variation de la valeur réelle de ce patrimoine est ainsi susceptible d’agir sur le partage immédiat du revenu entre consommation et épargne =>

Page 60: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Cela incite l’individu à épargner – ou à désépargner – davantage dans le but de maintenir son pouvoir d’achat et son niveau de consommation ultérieur.

Cette variation de la valeur réelle du patrimoine met en jeu deux facteurs: la modification nominale du prix des actifs d’une part; le rôle du taux d’intérêt d’autre part.

Page 61: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Le rôle du taux d’intérêt

- En France, le haut niveau des taux d’intérêt réels au début des années 90 a entraîné un arbitrage favorable à l’épargne; de même les ménages qui s’étaient endettés au milieu des année 80 ont dû réduire leur consommation dans les années 90 pour rembourser leurs emprunts (désendettement), compte tenu de la faible progression des revenus.

Page 62: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Depuis 1986, la libéralisation des marchés financiers a accru la sensibilité des ménages au niveau des taux d’intérêt => hausse de l’épargne: l’effet de substitution l’emporte sur l’effet revenu.

Rq: la hausse du taux d’intérêt renchérit le coût du crédit. Cet effet joue principalement via l’immobilier, dans les pays où les ménages sont endettés à taux variable (Etats-Unis, RU, Espagne)

Economie politique contemporaine, Etienne Barel, Christophe Beaux, Emmanuel Kesler, Olivier Sichel, Armand Colin, 3e édition, p. 67

Page 63: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

On observe dans les pays de l'OCDE depuis le début de la crise de 2008 une remontée généralisée des taux d'épargne des ménages, qui contribue évidemment à la faiblesse de la demande : On peut avoir trois interprétations pour cette remontée des taux d'épargne :

− elle reflète le besoin de désendettement, de réduction du levier d'endettement des ménages : elle est alors liée au recul du crédit, et causée par le recul de la richesse des ménages ;

− elle reflète l'épargne de précaution due à la montée du chômage, à la mauvaise situation économique ; elle correspond alors normalement à une hausse des placements

financiers.

Page 64: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

− elle vient du comportement de neutralité ricardienne : les ménages épargnant davantage parce que le niveau très élevé des déficits publics leur fait anticiper qu'il y aura dans le futur hausse des impôts ; il peut y avoir alors à la fois moins de crédit et davantage de placements financiers

Page 65: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

2) Evolution de la consommationa) Le niveau de la consommationEconomie politique contemporaine, Etienne

Barel, Christophe Beaux, Emmanuel Kesler, Olivier Sichel, Armand Colin, 3e édition, p. 76-92

+ La consommation des ménages depuis 50 ans (module I ESH)

Page 66: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Au-delà de la rupture de tendance survenue au milieu des années 1970, la hausse des dépenses de consommation des ménages, entre 1960 et 2008, a été quasi-continue, et à suivi celle de leur revenu: + 3,2% par an en moyenne.

Page 67: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Par habitant, la progression est de +2,5%, soit un triplement du volume de consommation en près de 50 ans.

• Cette progression globale recouvre de profonds changements dans la structure des dépenses.

=> Lire les articles sur l’épargne des français pendant la crise sur le site WEB

Page 68: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

b) Evolution de la structure de la consommation par fonction

• Les parts réservées à l’alimentation et à l’habillement se sont réduites, au profit notamment du logement, des transports, de la santé, des dépenses de communication et de loisirs.

Page 69: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Cette transformation traduit des évolutions relatives des prix et des volumes de chacun des biens et services consommés (hausse des prix dans le secteur secondaire et le secteur tertiaire, baisse des prix dans le secteur primaire)

• Outre l’accroissement total du budget disponible par personne, les mutations du marché du travail (taux d’activité), la nette progression du temps libre disponible par personne en emploi, l’évolution des goûts et des modes de vie, les facteurs socio-démographiques type d’emploi,

Page 70: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Urbanisation, structure familiale) et le progrès technique sont autant de facteurs explicatifs de ces changements.

• Ce déplacement relatif de la consommation depuis les postes d’alimentation et d’habillement vers d’autres postes recouvre un phénomène plus massif encore: les services qui représentaient 30% des dépenses de consommation en 1960, dépassent 50% depuis le milieu des années 2000. Plus de la moitié de cette hausse tient aux seuls services de logement

Page 71: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

(paiement de loyers, qu’ils soient réels, ou fictifs, c’est-à-dire imputés aux ménages propriétaires occupant leur logement.

• Ce déplacement relatif des dépenses de biens vers les services s’explique en premier lieu par un effet-prix: sur longue période, le prix des biens, en particulier celui des biens manufacturés (+3,5% par an), évolue nettement moins rapidement que celui des services (+5,9% pour les services hors loyers). Cela tient au fait que les gains de productivité induits par le progrès technique bénéficient surtout à la

Page 72: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Fabrication de biens manufacturés, alors même que les augmentations salariales se diffusent dans tous les secteurs d’activité. C’est pourquoi, à structure de consommation inchangée en volume, la simple augmentation relative du prix des services par rapport à celui des biens tend à déformer la structure du budget des ménages en valeur.

=> Quels sont les instruments statistiques qui permettent d’observer ces résultats?

Page 73: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

c)L’observation des dépenses familiales

Comment exciter la compassion des plus riches? Comment amener les pouvoirs publics à prendre des mesures en faveur des pauvres? Les riches ou les puissants côtoient sans la voir la misère du peuple. Que mangent les pauvres? Comment s’habillent-ils et sont-ils logés? A l’origine, les dépenses des familles pauvres sont observées à des fins charitables.

Page 74: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

DE L’INTÉRÊT « DOCUMENTAIRE » À L’ÉTUDE « SCIENTIFIQUE »

• Il n’est donc pas surprenant que le 1er à recueillir ce type d’information soit un homme d’Eglise. A la fin du XVIIIe siècle, au moment de la première révolution industrielle, un pasteur anglais, David Davies, recueille les budgets de 127 ménages. Il ne cherche pas à les analyser, leur intérêt est seulement documentaire.

Page 75: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Leur seule publication est destinée à motiver la générosité de ses paroissiens plus aisés. De plus, Davies suggère des mesures de réforme. Pourquoi les pouvoirs publics ne réglementeraient-ils pas les salaires? Avec près de 2 siècles d’avance, il propose une loi qui fixerait un salaire minimal, analogue au salaire minimal interprofessionnel de croissance, le SMIC.

Page 76: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Deux ans plus tard, Frederick M. Eden publie Histoire de la pauvreté et des lois sur les pauvres. A son tour, il a rassemblé des données budgétaires et les publie: sont détaillées les dépenses de 60 familles de cultivateurs et de 36 familles non agricoles. Lui non plus ne se livre à aucun calcul sur ces données.

Page 77: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Stigler, en 1954, classe les dépenses des ménages, calcule les dépenses moyennes par poste budgétaire et même évalue leur part dans le budget total. Plus de 70% du budget sont dépensés en moyenne pour la nourriture.

• Dans les années 1930-50, les études sur les dépenses quotidiennes forment un véritable domaine scientifique avec ses experts, ses « lois »:

- ENGEL et LASPEYRES en Allemagne- CARROL WRIGHT aux Etats-Unis- DEL VECCHIO en Italie- HALBWACHS en France

Page 78: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• La génération suivante marque les débuts de l’économétrie de la consommation avec les travaux d’ALLEN et BOWLEY (1935) et de DEATON (1974): c’est l’approche microéconomique du consommateur.

Comment expliquer cette révolution intellectuelle et cet engouement?

Page 79: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

LA « STATISTIQUE MORALE » APPLIQUÉE À LA CONSOMMATION

• Contexte: industrialisation et prolétarisation d’une grande partie des travailleurs manuels. L’agitation des classes laborieuses et les débats politiques autour des idées socialistes qui culminent en France avec la révolution de 1848 et l’établissement de la IIe République sont à l’origine d’un regain d’intérêt de la part des milieux cultivés pour la condition réelle des catégories défavorisées et notamment des ouvriers.

Page 80: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Outre le facteur politique, les médecins s’intéressent à la diffusion des maladies. Les conditions de vie des classes les plus pauvres sont étudiées selon l’hypothèse que leur environnement habituel favorise la morbidité. Entre 1820 et 1850, Les Annales d’hygiène publique et de médecine légale publient les travaux des « hygiénistes ».

• Un 3e élément est la diffusion rapide parmi les milieux dominants des utilisations de la statistique (LAPLACE, COURNOT, POISSON, GAUSS et d’autres mathématiciens ont

Page 81: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

développé la théorie mathématique des probabilités). Les intuitions et les travaux d’un mathématicien et astronome belge, Adolphe QUETELET, sont à l’origine des études sur les dépenses des ménages. Ce statisticien applique les techniques de calcul utilisées pour la physique à l’analyse des faits sociaux. Son idée force est la suivante: quand sont agrégées les données individuelles, les irrégularités qui tiennent aux particularités de chaque observation disparaissent. Lorsque les observations sont suffisamment nombreuses,

Page 82: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

l’analyse permet d’établir des lois générales qui régissent les sociétés. Cette approche lui permettra d’établir que les suicides atteignent leur maximum journalier entre 6 et 8 heures. Quetelet aura une influence décisive sue Emile Durkheim et ses travaux sur le suicide, mais aussi sur Ernst Engel.

Page 83: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

LOIS D’ENGEL (1857)

• Ernst ENGEL (1821-1896): statisticien prussien qui, à la suite du mathématicien belge Adolphe Quételet (1796-1874), procéda aux premières mesures de consommation et de revenu des ménages.

• Il a suivi l’enseignement de F. Le Play, mais il se désintéresse de la méthode monographique de ce dernier. Son étude ne consiste pas à collecter des entretiens, mais des faits sur les budgets de famille: il a recours aux méthodes

Page 84: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

de la « statistique morale », c’est-à-dire qu’il classe les dépenses et fait des calculs sur les montants pour rechercher des régularités statistiques. En revanche, il ne recueille pas lui-même ses données: ses informations de base sont celles de son maître Frédéric Le Play (Les ouvriers européens: études sur les travaux, la vie domestique et la conditions morale des populations ouvrières de l’Europe. Précédé d’un exposé de la méthode d’observation, 1856).

Page 85: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• La 1ère analyse statistique des budgets, réalisée par Engel, est publiée en 1857: Les conditions de la production et de la consommation du royaume de Saxe. Il ne s’agit pas seulement d’une description numérique d’un ensemble de budgets; l’étude s’inscrit dans une réflexion plus générale. La raison initiale pour laquelle Engel s’intéresse au budget des familles est liée à la critique des théories démographiques de Malthus. Rappelons que pour Malthus, la population d’un pays ne doit pas dépasser une certaine taille, car les ressources, notamment

Page 86: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

vivrières, ne sont pas extensibles indéfiniment. Engel fait partie de ceux qui rejettent la thèse de Malthus: pour lui, le volume global des ressources nécessaires à la survie des populations que peut fournir un territoire n’est pas fixé une fois pour toutes. Car le produit de l’activité économique dépend des forces productives, dont la taille de la population des actifs.

Plus spécifiquement, Engel défend l’idée suivante: pour maximiser la quantité de produits sur un

Page 87: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

territoire donné, il faut que la répartition de la population active entre les divers secteurs économiques ne soit pas laissée au hasard, mais s’inspire du budget des ménages. Si 70% du budget moyen sont consacrés à l’alimentation, 70% de la population active doivent se trouver dans l’ensemble des secteurs qui produisent et distribuent la nourriture et la boisson (agriculture, pêche, transport et magasin d’alimentation). Si cette structure socioprofessionnelle est réalisée, la société n’a pas à craindre la sous-production. Dans ces

Page 88: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

conditions, la grandeur absolue de sa population est sans danger.

• Engel ventile les dépenses budgétaires des familles en 9 postes:

Nourriture: celle qui est prise à la maison et prise à l’extérieur

HabillementHabitation qui comprend le loyer du logement,

les mobilier, les ustensiles de ménage et la prime d’assurance du logement

Chauffage et éclairage

Page 89: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Outillage et instruments de travail nécessaires aux membres actifs de la famille pour exercer leur profession

Education et loisirs culturelsImpôtsSantéServices des domestiques=> Cette nomenclature est fort peu éloignée de

celle qui est utilisée pour les enquêtes récentes sur les budgets familiaux.

Page 90: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Il constata que, lorsque le revenu augmente- les dépenses alimentaires occupent une part

décroissante dans l’ensemble des dépenses du ménages

- alors que c’est l’inverse pour les dépenses qu’il qualifiait « de luxe » (transports, livres, journaux, sorties…)

- les dépenses d’habillement progressant quant à elles à peu près au même rythme que le revenu.

Page 91: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Ce triple constat semble avoir été corroboré par les faits depuis lors, bien qu’il faille nuancer cela.

Tout d’abord, la hausse du revenu incite à une alimentation plus riche, voire à des substitutions: on va davantage au restaurant, achat de plats surgelés, on boit du Champagne dans les grandes occasions, or, tout cela coûte plus cher. Il reste que la consommation alimentaire (qui certes ne comprend pas les repas hors domicile dans les statistiques),

Page 92: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

occupe une part décroissante du budget des ménages (car le revenu des ménages augmente dans le temps): 60% vers 1860, 33% un siècle plus tard, 17% en 2007 (et 20% avec les repas hors domicile).

• Les lois d’ENGEL sont donc valables tant en étude chronologique qu’en coupe instantanée.

Page 93: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Se pose un problème de classification: si Engel poursuivait son étude aujourd’hui, il lui faudrait classer les dépenses de logement (loyers, chauffage, équipement ménager) dans les dépenses de luxe. En effet, ce poste n’a cessé de progresser dans l’ensemble des dépenses: 5% en 1860, 22% en 1960 et 31% aujourd’hui, notamment du fait de la rente foncière (ce que les propriétaire encaissent grâce à l’urbanisation et à l’augmentation de la demande de logements qui en résulte et qui tire les loyers vers le haut). Se loger serait-il un luxe?

Page 94: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

LA POSTÉRITÉ DES LOIS D’ENGEL

• La découverte d’Engel a connu un immense succès. Très tôt elle est reprise et vérifiée sur d’autres données. Dès 1875, CARROLL WRIGHT, responsable des statistiques sur le travail dans l’Etat du Massachussetts aux Etats-Unis, constate lui aussi que sur une population homogène de familles ouvrières, classées selon des tranches de revenus, la part de l’alimentation passe de 64% du budget pour les plus pauvres à 51% pour les plus riches.

Page 95: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Mais l’analyse de WRIGHT s’étend aux autres postes budgétaires: il regroupe en un seul poste l’habitation et le chauffage, et un autre poste « divers » l’outillage, l’éducation, les impôts, la santé et les services domestiques

=> Il formule d’autres régularités statistiques et attribue à Engel la paternité de trois autres lois (outre la 1ère loi qui montre que les dépenses alimentaires baissent proportionnellement lorsque le revenu augmente):

Page 96: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

2e loi: la part des dépenses consacrées aux vêtements est approximativement la même quelque soit le revenu

3e loi: la part des dépenses relatives à l’habitation, au chauffage et à l’éclairage est invariable, quelque soit le revenu

4e loi: lorsque le revenu s’accroît, la part des dépenses diverses s’accroît

Une littérature considérable s’est développée autour de la 3e loi, celle qui concerne la part des dépenses d’habitation. Le directeur du Bureau de la statistique de Berlin,

Page 97: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Hermann SCHWABE, établit contre Wright que « plus on est pauvre, plus est élevée la part relative que l’on doit dépenser pour l’alimentation » (1868). A Leipzig (1875) et à Hambourg (1876), la proposition de SCHWABE est vérifiée. Aussi ENGEL accepte la formulation de SCHWABE et non celle de WRIGHT (1872). 40 ans plus tard, cette polémique n’est pas close. Le sociologue Maurice HALBWACHS (1913) soutient, preuves à l’appui, la position de WRIGHT.

Page 98: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

D. Consommation et mode de vie1) Consommation et société chez Maurice

Halbwachs (1877-1945): une autre manière de penser le niveau de vie et la consommation

L’originalité de ses travaux en France tient au lien qu’il établit entre consommation et classe sociale.

Il fait partir de l’école de sociologie française fondée par Emile Durkheim.

Page 99: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

En 1913, il soutient à la Sorbonne sa thèse de sociologie consacrée à La classe ouvrière et aux niveaux de vie, ce qui constitue une première à l’université à cette époque.

Ses travaux sont brûlants d’actualité car la question que se posent les sociologues aujourd’hui est la suivante: l’étude scientifique des budgets des classes donne-t-elle la clé de toutes les relations qu’elles entretiennent entre elles: ségrégation, exploitation, distinction, exclusion, voire imitation ou rattrapage? La classes ouvrière est-elle intégrée à la société moderne?

Page 100: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Le développement de la consommation accroît-il la participation aux valeurs centrales de la vie sociale?

• Selon lui, les lois d’ENGEL sont trop générales pour avoir un sens sociologique. HALBWACHS part en effet de l’expérience attestée d’ « ensembles sociaux réels » (classe ouvrière, milieux urbains, bourgeoisie parisienne, paysans du Langedoc…). C’est de ces milieux qu’il essaie de saisir les régularités ou, si l’on veut, les lois. Mais une formule générale énonçant une relation entre des grandeurs abstraites (revenu et

Page 101: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

nourriture, revenu et habillement, âge et épargne…) n’est qu’une vaine imitation des lois de la physique parce qu’elle néglige précisément les ensembles sociaux réels au sein desquels ces grandeurs abstraites se réalisent. Un même montant de dépenses consacré à l’alimentation dissimule des paniers très différents: plus de viande, de jambon et de saucisses pour les employés, plus de graisse et de pommes de terre pour les ouvriers. Sous le chiffre, le produit; sous le produit, la valeur sociale qui lui est accordée et l’usage qui en est fait.

Page 102: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Le chiffre ne doit jamais faire écran à la réalité concrète observée. Telle est la conviction profonde d’HALBWACHS et l’origine de ses réticences à l’égard des lois d’ENGEL.

L’hypothèse d’HALBWACHS est claire: les classes sociales ne se distinguent pas seulement par leurs moyens mais aussi par leurs besoins.

Ex: Halbwachs compare deux classes sociales proches, les employés et les ouvriers allemands en 1907.

• En matière de nourriture, on vérifie à peu près la 1ère loi d’ENGEL. Cependant, à revenu égal

Page 103: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

avec les employés, les ouvriers consacrent plus d’argent à se nourrir. Cette valeur supérieure attribuée à la nourriture témoigne de besoins différents.

• A mesure que les revenus s’élèvent, les ouvriers consacrent une part croissante aux vêtements, mais ce n’est pas le cas pour les employés.

• A mesure que les revenus s’élèvent, les employés dépensent davantage pour le logement, ce qui n’est pas le cas pour les ouvriers.

Page 104: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Dépenses diverses: elles croissent dans les deux classes sociales, conformément à la quatrième loi d’ENGEL. Mais il faut observer aussi qu’à revenu égal, la part consacrée à ces dépenses (moins dépendantes des impératifs de la nature et qu’on pourrait donc dire plus « sociales ») occupe une place plus grande chez les employés que chez les ouvriers.

En accédant à des niveaux d’aisance comparables, les ouvriers et les employés se distinguent par leur façon de vivre.

Page 105: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Conclusion: en matière de consommation, les différences de classe l’emportent sur les écarts de revenu. Une classe sociale ne se définit pas par un niveau de ressources: ce sont plutôt les conditions d’existence et de travail, les représentations sociales et la culture qui sont aux principe des différences de classe et de genre de vie. Les hypothèses simplistes des économistes et des statisticiens ne peuvent donc être retenues.

=> Il existe une hiérarchie des besoins propre aux ouvriers.

Page 106: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Comment expliquer cette hiérarchie des besoins ouvriers? Halbwachs pose le refoulement de la sociabilité que le travail d’usine étouffe en réduisant l’homme au rang d’instrument mécanique. L’importance accordée au vêtement et aux dépenses diverses exprime la volonté forte de mêler à la) vie sociale de la rue.

Halbwachs met ici l’accent sur un trait permanent du comportement ouvrier comme l’attestent dans des registres très divers Les grands boulevards chantés par Yves Montand à la Libération, l’attachement à la rue des ouvriers

Page 107: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

du 13e arrondissement lors d’une opération de rénovation d’un quartier misérable étudié par Henri COING (1965), ou la culture ou le théâtre de la rue décrit par Michel VERRET (1979).

C’est dans le même esprit que Maurice Halbwachs interprète la part importante que les ouvriers accordent aux dépenses diverses quand ils s’enrichissent.

• Le rassemblement familial autour des repas, qui donne un poids élevé au coefficient budgétaire de l’alimentation dans la classe ouvrière, est une autre manière de libérer les

Page 108: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

besoins de sociabilité refoulés par le travail industriel.

• Cette explication du mode de vie des ouvriers s’inscrit de manière originale dans une tradition de réflexion sur les relations entre l’individu et la société, qui caractérise l’école durkheimienne, de Durkheim lui-même, à Bourdieu ou Lévi-Strauss. Durkheim avait encadré ses réflexions par une épistémologie réaliste et brutale qui distribuait les objets comme des territoires: à la psychologie la réalité individuelle, à la sociologie la réalité sociale.

Page 109: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

L’opposition de ces réalités masque mal leur hiérarchie: au moi des psychologues est dévolue la part des instincts et des affects, alors que la société se charge d’installer en chacun les attributs du Je transcendantal kantien: catégories intellectuelles, valeurs morales, principes du jugement esthétique et religieux. Mais il est bien remarquable que les plus proches disciples de DURKHEIM, s’ils s’attachent comme lui à méditer sur les rapports entre l’individu et la société, le font avec une grande liberté par rapport à l’épistémologie dogmatique du « patron ».

Page 110: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

- Marcel MAUSS par exemple, recherche, les bases sociales de la formation de la personne, sans se soucier de la hiérarchie entre sociologie et psychologie.

- Dans sa théorie sociologique des besoins, Maurice Halbwachs combine avec beaucoup de finesse les inspirations contradictoires de Durkheim et de Bergson.

Dans ses travaux sur le suicide, la mémoire, la psychologie collective et bien sûr l’étude des besoins, Maurice Halbwachs est amené à

Page 111: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

discerner tout ce que la constitution de la personne doit à la vie sociale. Dans un texte des Deux sources de la morale et de la religion, Henri BERGSON décrit deux formes de relation entre le moi et la société: à un niveau superficiel, le moi est rattaché aux autres par le réseau superficiel des intérêts et des contraintes matérielles; selon BERGSON, grand adversaire de la pensée de Durkheim, ce niveau de surface, tant pour le moi que pour la société, est celui dont la sociologie expérimentale et rationnelle se contente.

Page 112: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Mais le social et le moi se rejoignent aussi à leurs racines, que seule peut atteindre l’intuition philosophique.

Instruit par Durkheim à se défier des intuitions, Halbwachs n’hésite pourtant pas à faire du champ décrit par Bergson, celui où les tendances les plus profondes des personnes rejoignent les valeurs ultimes de la société, le domaine par excellence de la sociologie.

Page 113: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

• Et aujourd’hui?Les tendances observées par Halbwachs en 1907 et

1930 sont loin d’avoir disparu au XXe siècle. Par exemple, Christiane et Claude Grignon, dans Les pratiques alimentaires, Données sociales, INSEE, 1984, analysent les modes d’alimentation des employés et des ouvriers: « Plus coûteuse, plus moderne et plus cultivée, l’alimentation des employés de bureau s’oppose nettement à celle de la catégorie immédiatement voisine des ouvriers qualifiés.[…]Plus coûteuse que celle des ouvriers qualifiés, leur alimentation est aussi plus

Page 114: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

économique en temps. […] L’alimentation des employés est aussi plus conforme aux modes, sinon aux normes diététiques […] Leur comportement, en la matière, ressemble de loin à celui des cadres supérieurs. »

• Classes sociales: la théorie du feu de camp.Les faits en témoignent: les différences de revenu

n’expliquent pas tout. La société ne consiste pas en une distribution inégale de moyens à des hommes universellement dotés des mêmes propensions. La société modèle les besoins eux-mêmes.

Page 115: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Les conditions d’existence et de travail imposent à ceux qui les vivent des besoins qui diffèrent d’un milieu à l’autre. Dans leur degré de satisfaction bien sûr mais aussi dans le fait de les ressentir ou non comme des besoins. Les façons de dépenser son argent, lisibles dans la structure des budgets, permettent de saisir, sur une base objective, cette réalité cachée et insaisissable qu’Halbwachs se propose d’analyser en 1912: la hiérarchie différentielle des besoins selon les classes sociales.

Pour Halbwachs, le niveau de vie a un sens

Page 116: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

qualitatif: il désigne à la fois les degrés et les formes de participation des individus à la vie sociale. C’est-à-dire d’abord les façons dont les membres des différentes classes s’arrachent ou non à l’état de nature ( à la matière) pour entrer dans l’état de société. Un niveau de vie correspond donc à la place qu’occupe le groupe ou l’individu par rapport à la société: dedans ou dehors, au centre ou à la périphérie. Il se mesure par le type biens matériels ou symboliques produits par cette société auxquels ont accès ces différents groupes.

Page 117: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Des plus élevés aux plus humbles, se distribueront ainsi les différentes classes de la société. Loin d’être une simple et approximative mesure du bien-être, un niveau de vie désigne donc un degré d’intégration et de participation à la vie sociale au sens large. Consommer, ce n’est pas seulement dépenser ni acquérir des biens matériels, c’est bel et bien prendre sa part de la vie sociale. Or, les différentes classes ne participent pas également à la société.

De fait, cette conception du niveau de vie renvoie à son tour à une théorie complète des classes sociales.

Page 118: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Militant socialiste distant mais fidèle, collaborateur occasionnel de L’Humanité, Halbwachs aurait pu emprunter cette théorie toute faite au marxisme. Rappelons que dans la théorie marxiste, les classes se définissent dans la production, par des rapports de conflits, qui constituent, de la base (l’infrastructure) aux superstructures, l’essence même de la vie sociale: exploitation économique, oppression politique, domination idéologique.

Dynamique et contradictoire, la conception marxiste fonde le concept de classe sur celui de rapports de classes: une classe n’existe que dans

Page 119: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

La lutte qui l’oppose à d’autres classes. En-soi ou pour-soi, la classe est toujours seconde.

Telle n’est pourtant pas la voie suivie par Halbwachs:

attentif à la variété des niveaux de vie, il n’en demeure pas moins un sociologue de l’unité sociale et de l’intégration au sens durkheimien du terme. Parler d’intégration sociale, c’est définir les mécanismes qui rendent une société unifiée et non point conflictuelle; c’est évoquer aussi les processus civilisateurs par lesquels les individus sont arrachés à la vie instinctuelle et formés à la vie de relation.

Page 120: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Pleinement conforme à son essence, bien formée et bonne formatrice, la société ignore les conflits ou les domine comme subalternes. Lorsque le conflit vient au 1er plan, le lien social est tout prêt de se dissoudre et la mission civilisatrice fait place à l’anomie, où les individus sont abandonnés à leurs instincts. Pour Durkheim, la guerre des classes, dont il constate et déplore parfois l’existence, n’est qu’une forme pathologique de la division du travail et du fonctionnement social.

Page 121: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Ce n’est pas tout: alors que la théorie de Marx met la production au centre de la société, Halbwachs désigne le social comme les relations interpersonnelles profondes où les individus peuvent vivre leurs rôles sociaux sur le mode de la vie personnelle. Certains des textes d’Halbwachs ont d’ailleurs des résonances interactionnistes qui évoquent George MEAD ou Erving GOFFMAN. L’ouvrier retrouve son rang dans la famille, l’avocat ou le magistrat sont aidés dans l’accomplissement

Page 122: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

souple de leurs fonctions par le réseau d’interconnaissances et de connivences noué autour du Palais. La société est bien le lieu où chacun défend face aux autres l’estime de soi. Halbwachs n’utilise pas ce vocabulaire, mais c’est bien à ce genre de phénomènes qu’il s’intéresse d’abord. Or, le monde du travail, et les univers professionnels en général, sont peu propices à la formation de ces rapports. La production, par sa fonctionnalité et le face-à-face avec la matière inerte, tend à mécaniser les rapports humains, à les construire sur le mode des choses.

Page 123: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

L’ouvrier n’est lui-même que dans sa famille et, si le magistrat peut exercer au Palais ses fonctions sur un mode personnel, c’est à l’intensité de sa vie extra-professionnelle qu’il le doit. Réduites à ses dimensions familiales et mondaines, « la société » au sens de Halbwachs exclut donc de son champ tout l’univers de la production et du travail. Halbwachs devra donc tenir la gageure de formuler une théorie des classes sociales qui fasse passer la production au second plan et laisse leur primat aux forces sociales d’intégration.

Page 124: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Contraint de penser la diversité et le conflit dans le cadre d’une sociologie durkheimienne qui l’excluait, la théorie sociale de Maurice Halbwachs se présente a posteriori comme un intéressant compromis entre les deux représentations dominantes à son époque de la société de classes: la théorie marxiste et la sociologie descriptive américaine.

Ce modèle américain était plus stratifié, statique et descriptif: modèle du tas de sable ou de la pyramide feuilletée. Haut, bas, milieu; riches, pauvres; cultivés, incultes; base, sommet. Les couches sont superposées

Page 125: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Sans qu’on puisse jamais s’expliquer la nature des rapports qu’elles entretiennent entre elles. Les « classes » sont déjà là et leurs relations ne relèvent que de la superposition. Cette représentation de la structure de classe reproduit sous une forme à peine transformée les visions spontanées du sens commun. La société se donne comme une hiérarchie unique et continue, avec des degrés, des échelons, des barreaux ou des marches d’escalier. Les deux tantes ardennaises de Jules MICHELET déplorant le misérabilisme dont avait preuve

Page 126: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

leur neveu dans son autobiographie – Le Peuple – reprochaient déjà au grand historien « de les avoir fait descendre d’un échelon dans la hiérarchie sociale ».

La théorie d’Halbwachs est plus réfléchie : la société se présente comme un ensemble emboîté de cercles concentriques disposés autour d’un noyau central, chaud et vivant, qui représente « la vie sociale la plus intense qu’on puisse se représenter ».

Chacun des cercles correspond à une classe sociale. Chacune se définit ainsi par la distance

Page 127: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

qui la sépare du « feu de camp » central. Au plus près, les classes les plus « in », les plus instruites, les plus riches, les plus intégrées, les plus sociales (c’est-à-dire les moins matérielles, les moins animales). A la périphérie, tout près de la sortie, les classes ouvrières que « leurs fonctions obligent à sortir périodiquement de la société ».

Page 128: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Ces distances plus ou moins grandes qui séparent les différentes classes sociales du feu de camp central engendrent à leur tour des niveau de vie, c’est-à-dire des degrés inégaux de participation à la vie sociale. On peut observer ces derniers, les mesurer, les comparer. Comment? En analysant la façon dont se hiérarchisent les besoins parmi les différentes classes sociales: Halbwachs saisit ces besoins par les dépenses des familles. Se lit ainsi dans le budget , la façon dont un individu ou un groupe d’individus s’intègre (ou non) à la société

Page 129: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

dans (ou hors de) laquelle il vit. Dans cet art de mesurer de façon objective des phénomènes sociaux profonds et apparemment insaisissables, Halbwachs se montre le digne continuateur de Durkheim: la relation entre la participation ouvrière à la vie sociale et les coefficients budgétaires est analogue à la relation établie par Durkheim entre le degré d’intégration d’une société et le taux de suicide. Dans les deux cas, la théorie va à l’encontre des faits statistiques.

Page 130: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

On reste donc à l’intérieur de la théorie sociale de Durkheim. L’intégration demeure la valeur centrale et constitutive de la vie sociale. Mais on l’enrichit considérablement en montrant qu’il existe des degrés différents d’intégration et par conséquent plusieurs classes. Le degré d’intégration peut même tendre vers zéro et certains groupes sociaux, entièrement absorbés par leurs fonctions dans la production – les classes ouvrières – sont pratiquement exclus et même désintégrés. Halbwachs le pense à propos des ouvriers européens du début du siècle.

Page 131: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Une classe ouvrière intégrée, cela est très récent.Dans les années 1840, Auguste Comte parle d’un

prolétariat campant à la porte de nos cités; Halbwachs situe en 1912 les ouvriers à l’extrême périphérie de la société; Louis Guilloux dans Le Pain des rêves décrit en 1942 les conditions précaires de logement de toute sa famille. Cela a été confirmé par toutes les enquêtes sociologiques menées par Chombart de Lauwe, Madeleine Guibert et Viviane Isambert, Henri Coing au cours des années 50.

Page 132: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

Depuis 1975, la généralisation du chômage conduit à penser l’exclusion comme la perte de garanties sociales associées à la condition ouvrière. Ces garanties sont des conquêtes récentes: qu’il s’agisse de l’accès à la salle de bain par le HLM, de l’accès aux soins par la Sécurité sociale ou de l’accès à la plage par la voiture et les congés payés. Les conditions de vie des ouvriers français n’ont véritablement changé qu’au cours des Trente Glorieuses.

Page 133: Module 2 Economie approfondie Chapitre 4 Fonctions et équilibre macroéconomiques

2)La consommation des ménages depuis 50 ans

Voir le dossier de l’INSEE joint : « La consommation des ménages depuis 50 ans » sur le site web

Voir la fiche de Consommation et mode de vie de Nicolas Herpin et Daniel Verger sur le site WEB