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REPORTERS / DESIGN PICS SUPPLÉMENT À LA LIBRE BELGIQUE DU 1 ER FÉVRIER 2012

Momento du 1 fevrier 2012

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Les Magritte du cinema

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ESIGNPICS

SUPPLÉMENT À LA LIBRE BELGIQUE DU 1ER FÉVRIER 2012

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20120127 Pub uMedia La Libre def.pdf 1 27/01/12 09:13

La décence ordinaire du cinémaBertrand Tavernier, président de la cérémonie des Magritte 2012

La Belgique, je l’ai lu dans les gazettes françaises qui, comme chacunsait, sont très bien informées (ou qui du moins le proclament), laBelgique donc, à ce qui s’est murmuré, a été privée de gouvernementpendant un certain temps. On aurait parlé de crise. Mais, à ma con-naissance, elle n’a pas été privée ni de cinéma, ni de cinéastes, ni defilms. Cette absence du monde politique, cette carence ont peut-êtrebloqué des conventions, elle n’a pas empêché des oeuvres de se faireet de triompher. Il n’y avait peut-être plus de gouvernement ni depremier ministre, mais il y avait toujours les frères Dardenne et lemagnifique Gamin au vélo. Il y avait Bouli Lanners et Les Géants quela commission cinéma de la SACD a couronné. Ou Joachim Lafossedont j’avais tant aimé Nue propriété et Elève libre. Et Olivier Gour-met qui a illuminé tant de films cette année (je me demande pourquoije n’ai travaillé qu’une seule fois avec lui). Et je me souvenais de Jacovan Dormael, d’Illégal et de tant d’autres films.

Pour un peu je vous envierais car nous, en France, on doit subir (j’aifailli écrire “se farcir” mais je me suis arrêté vu la respectabilité decette assemblée) des hommes politiques qui veulent régenter notremétier, qui veulent l’asservir. Le député Lionnel Luca, de la Droitepopulaire, qui voulut interdire Hors la loi de Bouchareb en déclarantqu’il ne l’avait pas vu, ces apparatchiks du parti socialiste qui impro-visent par démagogie électorale chaque semaine un nouveau systèmequi justifie le téléchargement illégal, piétine ce qui fait la spécificitédu droit d’auteur et bafoue la Convention de Berne. Il y a, aussi, cettemaire de Montpellier qui propose d’inventer un plat qu’on appellerait

la “clapassade” et qu’on pourrait, ensuite, revendre aux touristescomme un plat traditionnel local… J’emprunte cet exemple réjouissantde bêtise électoraliste à Jean Claude Michea dans son décapant Lecomplexe d’Orphée.Je vous assure, je pense qu’il nous faudrait beaucoup d’efforts pourêtre aussi crapuleusement fumiste. C’est vrai qu’on se passerait d’euxquand ils se conduisent ainsi.

Mais oublions-les et passons aux choses sérieuses. Donc au cinéma.Et d’ailleurs regardez comme les films réussis les balaient, les rejet-tent dans l’obscurité. Vous pouvez donner le nom de l’ambassadeurqui sortit du Diable au corps pendant le Festival de Bruxelles, deman-dant son interdiction ?

Que faut-il donc souhaiter lors de cette cérémonie des Magritte. Quechacun ici puisse continuer à faire des films même si ce sont, pourreprendre la belle expression d’Henri Jeanson, “des films malgré”.Des films qui essayent de retrouver, d’exalter cette décence ordinaire,notion capitale que George Orwell mettait toujours en avant : cettefaculté de donner, de recevoir, de rendre, de respecter la collectivité,le passé, l’enracinement local, tout ce qui est piétiné par les puissan-ces d’argent et les politiques. Des films qui refusent la politique de lahaine et du ressentiment (qu’Orwell encore lui, appelait le monde dela haine et des slogans). Cette décence ordinaire, équilibre intuitifentre le solitaire et le solidaire (Michea, encore) qui refuse le “deuiléclatant du bonheur”.

Supplément gratuit à La Libre Belgique – Ne peut être vendu séparémentCoordination : Alain Lorfèvre. / Rédaction : Fernand Denis, Alain Lorfèvre, Aurélie Moreau. / Conception graphique : Jean-Pierre Lambert (responsable graphique). / Publicité :Martine Levau 02/211.29.12Directeur général : Denis Pierrard.Rédacteur en chef : Vincent Slits. / Rédacteur en chef adjoint : Pierre-François Lovens.Crédits photographiques : Page 4 : photo I. De Hertogh © KFD ; photo L. Azabal, C. de France, Y. Moreau © Cinéart ; photo D. Abel © Alexis Haulot ; photo B. Poelvoorde © Cinéart ; photo J. Zaccaï © Imagine ; photo M.Schoenaerts © Nicolas Karakatsanis ; photo Nathalie Baye © Denis Guignebourg/Abacapress.com/Reporters ; Pages 6-7 : photo Bouli Lanners © Versus production/Nicolas Bomal ; photos Les Géants©O’Brother/PatrickMuller. Pages 8-9 : photos Jean-Pierre et Luc Dardenne et Le gamin au vélo© Cinéart/Christine Plenus. Pages 10-11 : photo D.Abel, F.Gordon et B.Romy © Alexis Haulot ; photos La Fée© Courage mon Amour. Page 12 : photoVanja d’Alcantara © Nicolas Briquet/Abacapress.com/Reporters. Pages 14-15 : photo Sam Garbarski © Tanguy Jockmans ; photos Quartier Lointain © Imagine. Pages 16-17 : photo Michaël R. Roskam ©MireilleAmpilhac/Abacapress.com/Reporters ; photos Rundskop© Nicolas Karakatsanis. Pages 18-19 : photo Lubna Azabal © Kris Dewitte. Pages 20-21 : photo Benoît Poelvoorde © Photo News.

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La décence ordinaire du cinémaBertrand Tavernier, président de la cérémonie des Magritte 2012

La Belgique, je l’ai lu dans les gazettes françaises qui, comme chacunsait, sont très bien informées (ou qui du moins le proclament), laBelgique donc, à ce qui s’est murmuré, a été privée de gouvernementpendant un certain temps. On aurait parlé de crise. Mais, à ma con-naissance, elle n’a pas été privée ni de cinéma, ni de cinéastes, ni defilms. Cette absence du monde politique, cette carence ont peut-êtrebloqué des conventions, elle n’a pas empêché des oeuvres de se faireet de triompher. Il n’y avait peut-être plus de gouvernement ni depremier ministre, mais il y avait toujours les frères Dardenne et lemagnifique Gamin au vélo. Il y avait Bouli Lanners et Les Géants quela commission cinéma de la SACD a couronné. Ou Joachim Lafossedont j’avais tant aimé Nue propriété et Elève libre. Et Olivier Gour-met qui a illuminé tant de films cette année (je me demande pourquoije n’ai travaillé qu’une seule fois avec lui). Et je me souvenais de Jacovan Dormael, d’Illégal et de tant d’autres films.

Pour un peu je vous envierais car nous, en France, on doit subir (j’aifailli écrire “se farcir” mais je me suis arrêté vu la respectabilité decette assemblée) des hommes politiques qui veulent régenter notremétier, qui veulent l’asservir. Le député Lionnel Luca, de la Droitepopulaire, qui voulut interdire Hors la loi de Bouchareb en déclarantqu’il ne l’avait pas vu, ces apparatchiks du parti socialiste qui impro-visent par démagogie électorale chaque semaine un nouveau systèmequi justifie le téléchargement illégal, piétine ce qui fait la spécificitédu droit d’auteur et bafoue la Convention de Berne. Il y a, aussi, cettemaire de Montpellier qui propose d’inventer un plat qu’on appellerait

la “clapassade” et qu’on pourrait, ensuite, revendre aux touristescomme un plat traditionnel local… J’emprunte cet exemple réjouissantde bêtise électoraliste à Jean Claude Michea dans son décapant Lecomplexe d’Orphée.Je vous assure, je pense qu’il nous faudrait beaucoup d’efforts pourêtre aussi crapuleusement fumiste. C’est vrai qu’on se passerait d’euxquand ils se conduisent ainsi.

Mais oublions-les et passons aux choses sérieuses. Donc au cinéma.Et d’ailleurs regardez comme les films réussis les balaient, les rejet-tent dans l’obscurité. Vous pouvez donner le nom de l’ambassadeurqui sortit du Diable au corps pendant le Festival de Bruxelles, deman-dant son interdiction ?

Que faut-il donc souhaiter lors de cette cérémonie des Magritte. Quechacun ici puisse continuer à faire des films même si ce sont, pourreprendre la belle expression d’Henri Jeanson, “des films malgré”.Des films qui essayent de retrouver, d’exalter cette décence ordinaire,notion capitale que George Orwell mettait toujours en avant : cettefaculté de donner, de recevoir, de rendre, de respecter la collectivité,le passé, l’enracinement local, tout ce qui est piétiné par les puissan-ces d’argent et les politiques. Des films qui refusent la politique de lahaine et du ressentiment (qu’Orwell encore lui, appelait le monde dela haine et des slogans). Cette décence ordinaire, équilibre intuitifentre le solitaire et le solidaire (Michea, encore) qui refuse le “deuiléclatant du bonheur”.

Supplément gratuit à La Libre Belgique – Ne peut être vendu séparémentCoordination : Alain Lorfèvre. / Rédaction : Fernand Denis, Alain Lorfèvre, Aurélie Moreau. / Conception graphique : Jean-Pierre Lambert (responsable graphique). / Publicité :Martine Levau 02/211.29.12Directeur général : Denis Pierrard.Rédacteur en chef : Vincent Slits. / Rédacteur en chef adjoint : Pierre-François Lovens.Crédits photographiques : Page 4 : photo I. De Hertogh © KFD ; photo L. Azabal, C. de France, Y. Moreau © Cinéart ; photo D. Abel © Alexis Haulot ; photo B. Poelvoorde © Cinéart ; photo J. Zaccaï © Imagine ; photo M.Schoenaerts © Nicolas Karakatsanis ; photo Nathalie Baye © Denis Guignebourg/Abacapress.com/Reporters ; Pages 6-7 : photo Bouli Lanners © Versus production/Nicolas Bomal ; photos Les Géants©O’Brother/PatrickMuller. Pages 8-9 : photos Jean-Pierre et Luc Dardenne et Le gamin au vélo© Cinéart/Christine Plenus. Pages 10-11 : photo D.Abel, F.Gordon et B.Romy © Alexis Haulot ; photos La Fée© Courage mon Amour. Page 12 : photoVanja d’Alcantara © Nicolas Briquet/Abacapress.com/Reporters. Pages 14-15 : photo Sam Garbarski © Tanguy Jockmans ; photos Quartier Lointain © Imagine. Pages 16-17 : photo Michaël R. Roskam ©MireilleAmpilhac/Abacapress.com/Reporters ; photos Rundskop© Nicolas Karakatsanis. Pages 18-19 : photo Lubna Azabal © Kris Dewitte. Pages 20-21 : photo Benoît Poelvoorde © Photo News.

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Meilleur filmBeyond the steppes Vanja d’AlcantaraLa Fée Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno RomyLe Gamin au vélo Jean-Pierre et Luc DardenneLes Géants Bouli Lanners

Meilleure réalisationLa Fée Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno RomyLe Gamin au vélo Jean-Pierre et Luc DardenneLes Géants Bouli LannersQuartier lointain Sam Garbarski

Meilleur film flamanden coproduction22 mai - 22 mei Koen MortierHasta la vista Geoffrey EnthovenPulsar Alex StockmanSmoorverliefd Hilde Van MieghemTête de boeuf - RundskopMichaël R. Roskam

Meilleur film étrangeren coproductionLes Emotifs anonymes Jean-Pierre AmérisPotiche François OzonRoute Irish Ken LoachUn homme qui crieMahamat-Saleh Haroun

Meilleur scénario originalou adaptationLe Gamin au vélo : Jean-Pierre Dardenne,Luc DardenneLes Emotifs anonymes : Philippe BlasbandLes Géants : Bouli Lanners, Elise AncionTête de boeuf - Rundskop :Michaël R. Roskam

Meilleure actriceIncendies :Lubna Azabal

Hasta la vista :Isabelle De Hertogh

Le gamin au vélo :Cécile de France

Où va la nuit :Yolande Moreau

Meilleur acteurLa Fée :Dominique Abel

Les Emotifs anonymes :Benoît Poelvoorde

Quartier lointain :Jonathan Zaccaï

Tête de boeuf - Rundskop :

Matthias Schoenaerts

Meilleure actricedans un second rôleLes Géants :Gwen BerrouKill me please : Virginie EfiraQuartier lointain :Tania GarbarskiLégitime défense :Marie Kremer

Meilleur acteurdans un second rôleKill me please : Bouli LannersPotiche :Jérémie RenierOù va la nuit :Laurent CapellutoLes Géants : Didier Toupy

Meilleur espoir fémininElle ne pleure pas, elle chante : Erika SainteLes Mythos : Stéphanie CrayencourMarieke, Marieke : Hande KodjaTête de boeuf - Rundskop : Jeanne Dandoy

Meilleur espoir masculinLe Gamin au vélo : Thomas DoretLes Géants :Martin NissenNoir océan : Romain DavidTête de boeuf - Rundskop : David Murgia

Meilleure imageLe Gamin au vélo : Alain MarcoenLes Géants : Jean-Paul De ZaeytijdTête de boeuf - Rundskop : Nicolas Karakatsanis

Meilleur sonLa Fée : Fred Meert, Hélène Lamy-au-Rous-seau, Emmanuel de BoissieuLes Géants :Marc Bastien, Thomas GauderTête de boeuf - Rundskop : Benoît DeClerck, Yves De Mey, Quentin Collette, Chris-tine Verschorren, Benoît Biral

Meilleure musique originaleKrach : Frédéric VerchevalLes Géants : Bram Van ParysTête de boeuf - Rundskop : Raf Keunen

Meilleur montageLe Gamin au vélo :Marie-Hélène DozoLes Géants : Ewin RyckaertTête de boeuf - Rundskop : Alain Dessauvage

Meilleur court métrageDimanches Valéry RosierDos au mur Miklos KeletLa version du loup Ann Sirot, Raphaël BalboniMauvaise lune Méryl Fortunat-Rossi, Xavier Seron

Meilleur documentaireFritkotManuel PoutteL’été de Giacomo Alessandro ComodinLoveMEATender Manu CoemanSous la main de l’autre Vincent Detours, Dominique Henry

Meilleurs décorsLa Meute : Florence Vercheval, Eugénie ColletLe Gamin au vélo : Igor GabrielLes Géants : Paul RouschopQuartier lointain : Véronique Sacrez

Meilleurs costumesLa Fée : Claire DubienLes Géants : Elise AncionQuartier lointain : Florence Scholtes

PP. 10-11 P. 12PP. 6-7 PP. 16-17PP. 8-9 PP. 14-15

Magritte d’honneurNathalie Baye

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Meilleure actricedans un second rôleLes Géants :Gwen BerrouKill me please : Virginie EfiraQuartier lointain :Tania GarbarskiLégitime défense :Marie Kremer

Meilleur acteurdans un second rôleKill me please : Bouli LannersPotiche :Jérémie RenierOù va la nuit :Laurent CapellutoLes Géants : Didier Toupy

Meilleur espoir fémininElle ne pleure pas, elle chante : Erika SainteLes Mythos : Stéphanie CrayencourMarieke, Marieke : Hande KodjaTête de boeuf - Rundskop : Jeanne Dandoy

Meilleur espoir masculinLe Gamin au vélo : Thomas DoretLes Géants :Martin NissenNoir océan : Romain DavidTête de boeuf - Rundskop : David Murgia

Meilleure imageLe Gamin au vélo : Alain MarcoenLes Géants : Jean-Paul De ZaeytijdTête de boeuf - Rundskop : Nicolas Karakatsanis

Meilleur sonLa Fée : Fred Meert, Hélène Lamy-au-Rous-seau, Emmanuel de BoissieuLes Géants :Marc Bastien, Thomas GauderTête de boeuf - Rundskop : Benoît DeClerck, Yves De Mey, Quentin Collette, Chris-tine Verschorren, Benoît Biral

Meilleure musique originaleKrach : Frédéric VerchevalLes Géants : Bram Van ParysTête de boeuf - Rundskop : Raf Keunen

Meilleur montageLe Gamin au vélo :Marie-Hélène DozoLes Géants : Ewin RyckaertTête de boeuf - Rundskop : Alain Dessauvage

Meilleur court métrageDimanches Valéry RosierDos au mur Miklos KeletLa version du loup Ann Sirot, Raphaël BalboniMauvaise lune Méryl Fortunat-Rossi, Xavier Seron

Meilleur documentaireFritkotManuel PoutteL’été de Giacomo Alessandro ComodinLoveMEATender Manu CoemanSous la main de l’autre Vincent Detours, Dominique Henry

Meilleurs décorsLa Meute : Florence Vercheval, Eugénie ColletLe Gamin au vélo : Igor GabrielLes Géants : Paul RouschopQuartier lointain : Véronique Sacrez

Meilleurs costumesLa Fée : Claire DubienLes Géants : Elise AncionQuartier lointain : Florence Scholtes

P. 12 PP. 16-17PP. 14-15

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Bouli Lanners

Les GéantsAutres nomi

nations

Scénario Elise Ancion et B

ouli Lanners

Actrice dansun second rô

le Gwen Berrou

Acteur dansun second rô

le Didier Toupy

Espoir masculinMartin Ni

ssen

Image Jean-Paul De Zaeyt

ijd

SonMarc Bastien et Thom

as Gauder

Montage Erwin Ryckaert

Décors PaulRouschop

Costumes Elise Ancion

Musique originale Bram Van Parys

“LES GÉANTS” OU L’HISTOIRE DE TROIS PRÉ­ADOS LIVRÉS à eux­mêmes pendant les vacances. Il y a du roadmovie,même du boatmo­vie dans ce conte d’aujourd’hui. Un peu de “Stand by me” aussi. Etsurtout beaucoup de Bouli, ce rapport au paysage, ce regard qui forcele spectateur à dépasser sa première impression. Après “Ultranova” et“Eldorado”, son troisième a de nouveau enthousiasmé la Croisette. Siles Dardenne ont inscrit Seraing sur l’atlas du cinéma et Jaco vanDor­mael le quartier du logis à Boitsfort; Bouli c’est toute laWallonie. UneWallonie en scope, parfois belle à tomber, comme lesWallons ne l’ontjamais regardée.

Dans vos films, on est surpris de voir surgir la beauté, car on nepensait pas la trouver à cet endroit­là. La beauté plastique d’unpaysage commun, la beauté morale d’individus dans la marge.Cherchez­vous la beauté là où on ne l’imagine pas ?

Je n’arrive pas à avoir une autre vision. Même les zonings tristes et pa­thétiques de “Ultranova” dégagent quelque chose de graphiquement beau.Le cinéma, ça doit être beau. On pouvait faire des “Géants” un film frontal,très social, austère, froid. J’avais d’abord repéré des décors qui allaientdans cette direction mais cela ne m’a pas plu. Je préfère en faire un conte etaller dans les bois. Les contes, c’est terrible mais c’est beau. Si c’était laid,glauque, les gens n’auraient pas envie de les lire. Moi, j’ai envie que les gensviennent voir mes films. Alors, il faut que je les emballe, sinon ils ne sont pasaccessibles. Je ne fais pas des films pour aller à Cannes. C’est super, bien sûr,mais c’est du public que j’ai envie d’avoir.

Du public wallon ?De partout. Et plus il est proche, plus on est plus touché. Mais le public

wallon est dur. Il faut se faire une raison. On ne verra pas des centaines demilliers de gens dans les salles venir voir nos films belges. Certains person­nages de mes films sont inspirés de mes voisins. Pourtant, ils ne sont jamaisvenus les voir. Ils sont très contents pour moi, ils savent tout ce qui m’arriveà Cannes. Je leur dis : “Tu sais, ce personnage du film, c’est toi; j’ai mêmepris ton prénom.” Mais ils ne vont pas voir le film. C’est dingue. Je ne peuxpas faire plus. C’est comme cela les Wallons. C’est génétique, c’est culturel.Il existe un public mais il est tout petit par rapport aux cartons des films enFlandre. En Wallonie, le climat n’est pas du tout nationaliste. Mais c’est pasgrave, il y a aussi un public en France.

Mais pas votre voisin, c’est une déception ?C’est sans espoir. Malgré tous les efforts déployés, comme les Magritte, pourmettre du strass et des paillettes là­dedans. Certains vont voir mes “gros”films. “Rien à déclarer”, “Astérix”. Il faut aussi dire que c’est mal desservi.Dans la province de Luxembourg, il n’y a rien. Ma famille de Bastogne doitaller à Namur pour voir mes films. Aucune possibilité de les voir là­bas.Faut déjà avoir envie de se taper Bastogne – Namur. Comme ça fait cher lasoirée, on n’a pas trop envie de prendre des risques en allant voir un film

belge. Pourtant le premier cinéma que j’ai fréquenté dans ma vie était àBastogne. Il n’y en avait pas à La Calamine. J’aimerais beaucoup voir un demes films dans le cinéma où j’ai vu mon premier film. Il existe toujours. Ils’appelait le Patton quand j’étais petit. Il y a deux salles mais je n’y suis alléprésenter aucun de mes films.

Je suis une espèce d’avion qui s’élance depuis longtemps. Je suis arrivé enbout de piste et cela décolle très lentement. Tout n’arrive pas maintenant.J’ai encore des possibilités de connaître des petites joies liées à des petitsévénements. Cela m’arrivera peut­être à 65 ans. Je me garde des petitsbonheurs de côté. Avoir tout, tout de suite, tu t’emmerdes. Je sais que mesgrands plaisirs sont des petits plaisirs. J’ai vécu des grands moments maisce n’est pas ceux­là que je retiens. Quand je m’endors et que j’ai besoin deme rassurer, ce ne sont pas ces souvenirs­là qui reviennent, mais des senti­ments de bien­être liés à de toutes petites choses, une odeur. Etre à six­septautour d’un feu, ça j’adore, ça c’est un vrai moment de bonheur, l’odeur dufeu. Après tu sens le jambon fumé (rires). C’est sincère.

Sincère est unmot qui caractérise votre cinéma.Je ne parle pas de moi, mais je sens bien que c’est moi. Ce que je suis, la fa­

çon dont je vois les choses. Cela aurait pu être des vies de moi. Je ne suis pasun faiseur. Quand je vois des pubs de bagnoles, je sais que je ne pourrais ja­mais tourner cela. Déjà, techniquement, j’en suis incapable. Il y a très peude choses que j’ai envie d’adapter car il faut que ce soit moi, sinon j’auraisl’impression de faire un exercice. Et alors je vais me planter.

Quand sentez­vous que vous allez vous planter, que c’est faux ?Une petite voix me dit : “Il y a un truc qui ne va pas.” Il faut essayer de

garder son instinct dans cette activité qui est très formatée, structurée. Achaque fois, cela m’a sauvé. Un grand pan d’“Eldorado” est tombé alorsqu’on avait commencé le tournage. C’est arrivé avec “Les Géants” aussi.Un sixième sens me disait : “Ça ne va pas.” Après, il faut convaincre tout lemonde en plein tournage. Cela insécurise l’équipe. Des rôles disparaissent,des gens sont blessés car ils ne sont plus dans le film et ils n’y peuvent rien.Toute l’équipe en pâtit. C’est pour cela que je dois travailler avec des amis,en confiance. Alors, je ne me sens pas jugé. Il faut pouvoir tout remodelertout en étant responsable du reste, dans le cadre imposé, sans dépasser lebudget, ni les jours de tournage. Dès mes courts métrages, j’entendais déjàcette petite voix qui me disait “ça ne va pas”. Et en montage, rebelote. Et j’aitoujours besoin de reshoots. Je découvre ce métier au fur et à mesure, doncje me plante. Tout ce que Chabrol tournait se trouvait dans le film. Chez lui,ça marche; chez moi, ça ne marche pas. C’est bien d’avoir plein de cinémasdifférents, on peut exploser les règles tout le temps. Il faut se donner le cou­rage de le faire tout en restant accessible au public. La seule chose quicompte, c’est de faire un bon film, que les gens soient touchés par l’histoire.A chaque fois, c’est le dernier, car je ne sais pas comment on fait.Fernand Denis (La Libre Belgique, 24/09/2011)

Meilleur film et meilleur réalisateur

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Bouli Lanners

Autres nominations

Scénario Elise Ancion et B

ouli Lanners

Actrice dansun second rô

le Gwen Berrou

Acteur dansun second rô

le Didier Toupy

Espoir masculinMartin Ni

ssen

Image Jean-Paul De Zaeyt

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SonMarc Bastien et Thom

as Gauder

Montage Erwin Ryckaert

Décors PaulRouschop

Costumes Elise Ancion

Musique originale Bram Van Parys

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Dardenne

Depuis “La Promesse”, tous vos films naissent d’un même terreau, Seraing. Chaque filmest­il le volet d’une fresque, un chapitre d’un très très très longmétrage ?Luc. D’une comédie humaine ? D’une sorte de Rougon­Macquart, à la Zola ? Dans deux ou trois

films, on pourra lui donner un titre général : “Les Sérésiens” (rires).

Il y a des figures récurrentes : Gourmet, Renier, Rongione. Une géographie : le bois, laMeuse, la station essence.Luc.Quand on pense à une histoire, on pense à Seraing. Pourquoi ? On se pose la question. Une expli­

cation qui n’en est pas vraiment une, mais lorsqu’on vivait à Seraing, la ville était florissante. On a vucette cassure d’une ville florissante à une ville en décomposition. On a vu les gamins seuls dans les rues,les maisons abandonnées. Tous nos personnages sont des gens isolés. Il y a du vrai mais on n’est pasallé jusqu’à Engis, le village de notre enfance. On raconte des histoires de famille, de demi­famille, detrois quarts de famille. De familles brisées.Jean­Pierre. Ces personnages appartiennent tous au même périmètre, c’est aussi celui de notre

imaginaire.

Il y a des familles partout. Les vôtres viennent toutes de Seraing et elles sont connectéesentre elles, informellement, d’un film à l’autre.Luc. On a tourné à Seraing, à Liège, des centaines d’interviews sans prétention, des petits portraits

d’adolescents, à l’école technique, au Val Saint­ Lambert. Des éléments viennent de ces gens qu’on arencontrés. Et puis Gilberte nous a raconté, très jeune, beaucoup d’histoires, sur la famille, les deuxguerres….

Qui est Gilberte ?Luc.Notre tante. Toutes proportions gardées, on avait deux mères. Nos parents habitaient le bas du

village et puis ils ont construit leur maison sur le haut. Nous, on allait à l’école dans le bas et on passaitchez notre tante Gilberte, la sœur de ma mère. Celle­ci venait tous les jours à la maison, pour donnerun coup de main à sa sœur, pour s’occuper des quatre enfants. On a toujours vécu avec elle, la solida­rité des deux sœurs était liée au fait qu’elles avaient perdu deux autres sœurs. Ces deux femmes, on lesentendait tout le temps parler à la maison. Tante Gilberte connaissait beaucoup d’histoires concer­nant des gens de la région. C’est peut­être cela qui nous a bercés. Des histoires de femmes enceintes, desoldats américains, etc.J.­P. J’ai l’impression qu’on règle aussi des comptes avec notre histoire, des histoires liées à l’enfance.

Des territoires inconnus, craints.Luc. Par exemple, Catoul, le nom de famille de Cyril dans le film, c’est celui d’un garçon qui est venu

vivre à la maison. Sa famille était en difficulté, mes parents l’ont accueilli quelques jours, quelques se­maines. Quand on a imaginé un gamin perdu, on a repensé à cet enfant. Cyril n’est pas venu de nullepart, non plus. C’est le prénom d’un garçon du village qui nous faisait peur. Comme on devait penser àun enfant, on a été forcé de remonter dans notre enfance.

L’unité de lieu, de style, renforce ce sentiment de fresque homogène.J.­P. Les endroits où l’on tourne, ce sont souvent des endroits qu’on avait hantés lorsqu’on faisait des

documentaires, qu’on filmait le curé du coin, des groupes de jeunes. C’est là qu’on avait filmé le leaderdu groupe rock “Acétylène”, dont le fils joue Wes dans le film. Oui, ces portraits ont laissé beaucoup detraces dans les personnages qu’on a imaginés. Les situations dramatiques, tout le monde les connaît,mais ce qui nous nourrit, mon frère et moi, c’est de penser à des gens qui ont vécu cette situation dra­matique. On se souvient du garçon qui…Luc. Si je regarde certains cinéastes frères comme les Taviani, leur veine s’est épuisée quand ils ont

cessé de raconter leurs histoires. Après, ils ont travaillé à l’adaptation de grands romans, de Tolstoï, deGoethe. C’est sans doute ce qui leur restait pour travailler ensemble, des livres qu’ils avaient lus tous lesdeux. Seraing, c’est ce qui nous est commun. Je ne peux pas dire, “c’est moi qui ai trouvé cette histoi­re­là”. Car quand je dis quelque chose, Jean­Pierre dit, “ça me fait penser à cela”. Et moi, je réagis. Oninvente à deux. Les histoires viennent de là, de notre terrain commun. C’est cela qu’on travaille ensem­ble. Si ce territoire ne nous inspirait plus, il nous faudrait un autre territoire commun. Comme la litté­rature. C’est peut­être cela, l’explication.Fernand Denis (La Libre Belgique, 14/05/2011)

Meilleur film et meilleur réalisateurLe gamin au véloAutres nominationsScénario Jean-Pierre et Luc DardenneActrice Cécile de FranceEspoir masculin Thomas DoretImage Alain Marcoen

MontageMarie-Hélène DozoDécors Igor Gabriel

Jean-Pierre & Luc

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Dardenne

Depuis “La Promesse”, tous vos films naissent d’un même terreau, Seraing. Chaque filmest­il le volet d’une fresque, un chapitre d’un très très très longmétrage ?Luc. D’une comédie humaine ? D’une sorte de Rougon­Macquart, à la Zola ? Dans deux ou trois

films, on pourra lui donner un titre général : “Les Sérésiens” (rires).

Il y a des figures récurrentes : Gourmet, Renier, Rongione. Une géographie : le bois, laMeuse, la station essence.Luc.Quand on pense à une histoire, on pense à Seraing. Pourquoi ? On se pose la question. Une expli­

cation qui n’en est pas vraiment une, mais lorsqu’on vivait à Seraing, la ville était florissante. On a vucette cassure d’une ville florissante à une ville en décomposition. On a vu les gamins seuls dans les rues,les maisons abandonnées. Tous nos personnages sont des gens isolés. Il y a du vrai mais on n’est pasallé jusqu’à Engis, le village de notre enfance. On raconte des histoires de famille, de demi­famille, detrois quarts de famille. De familles brisées.Jean­Pierre. Ces personnages appartiennent tous au même périmètre, c’est aussi celui de notre

imaginaire.

Il y a des familles partout. Les vôtres viennent toutes de Seraing et elles sont connectéesentre elles, informellement, d’un film à l’autre.Luc. On a tourné à Seraing, à Liège, des centaines d’interviews sans prétention, des petits portraits

d’adolescents, à l’école technique, au Val Saint­ Lambert. Des éléments viennent de ces gens qu’on arencontrés. Et puis Gilberte nous a raconté, très jeune, beaucoup d’histoires, sur la famille, les deuxguerres….

Qui est Gilberte ?Luc.Notre tante. Toutes proportions gardées, on avait deux mères. Nos parents habitaient le bas du

village et puis ils ont construit leur maison sur le haut. Nous, on allait à l’école dans le bas et on passaitchez notre tante Gilberte, la sœur de ma mère. Celle­ci venait tous les jours à la maison, pour donnerun coup de main à sa sœur, pour s’occuper des quatre enfants. On a toujours vécu avec elle, la solida­rité des deux sœurs était liée au fait qu’elles avaient perdu deux autres sœurs. Ces deux femmes, on lesentendait tout le temps parler à la maison. Tante Gilberte connaissait beaucoup d’histoires concer­nant des gens de la région. C’est peut­être cela qui nous a bercés. Des histoires de femmes enceintes, desoldats américains, etc.J.­P. J’ai l’impression qu’on règle aussi des comptes avec notre histoire, des histoires liées à l’enfance.

Des territoires inconnus, craints.Luc. Par exemple, Catoul, le nom de famille de Cyril dans le film, c’est celui d’un garçon qui est venu

vivre à la maison. Sa famille était en difficulté, mes parents l’ont accueilli quelques jours, quelques se­maines. Quand on a imaginé un gamin perdu, on a repensé à cet enfant. Cyril n’est pas venu de nullepart, non plus. C’est le prénom d’un garçon du village qui nous faisait peur. Comme on devait penser àun enfant, on a été forcé de remonter dans notre enfance.

L’unité de lieu, de style, renforce ce sentiment de fresque homogène.J.­P. Les endroits où l’on tourne, ce sont souvent des endroits qu’on avait hantés lorsqu’on faisait des

documentaires, qu’on filmait le curé du coin, des groupes de jeunes. C’est là qu’on avait filmé le leaderdu groupe rock “Acétylène”, dont le fils joue Wes dans le film. Oui, ces portraits ont laissé beaucoup detraces dans les personnages qu’on a imaginés. Les situations dramatiques, tout le monde les connaît,mais ce qui nous nourrit, mon frère et moi, c’est de penser à des gens qui ont vécu cette situation dra­matique. On se souvient du garçon qui…Luc. Si je regarde certains cinéastes frères comme les Taviani, leur veine s’est épuisée quand ils ont

cessé de raconter leurs histoires. Après, ils ont travaillé à l’adaptation de grands romans, de Tolstoï, deGoethe. C’est sans doute ce qui leur restait pour travailler ensemble, des livres qu’ils avaient lus tous lesdeux. Seraing, c’est ce qui nous est commun. Je ne peux pas dire, “c’est moi qui ai trouvé cette histoi­re­là”. Car quand je dis quelque chose, Jean­Pierre dit, “ça me fait penser à cela”. Et moi, je réagis. Oninvente à deux. Les histoires viennent de là, de notre terrain commun. C’est cela qu’on travaille ensem­ble. Si ce territoire ne nous inspirait plus, il nous faudrait un autre territoire commun. Comme la litté­rature. C’est peut­être cela, l’explication.Fernand Denis (La Libre Belgique, 14/05/2011)

Meilleur film et meilleur réalisateurLe gamin au vélo

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Abel, Gordon, RomyDans “La Fée”, Fiona offre trois vœux à Dom. Mais Dom ne trouve ja­mais d’idée pour le troisième. Avez­vous eu le même problème d’ins­piration pour votre troisième film ?Dominique Abel :Non. On parle souvent d’une trilogie à propos de nos films.

Mais nous ne les avons pas conçus comme ça. On part des frustrations desfilms précédents et des envies nouvelles. Pour celui­ci, nous souhaitions un filmurbain et tourner au Havre.Bruno Romy : En réalité, nous n’avons pas trouvé le troisième vœu. Pendant

l’écriture, on se creusait sans cesse la tête. C’est finalement devenu la répliquerécurrente du film.

Précisément : pendant le tournage, prenez­vous le temps pour trou­ver vos gags, vos scènes ?D.A. : On prend le temps, mais peut­être pas assez. “Mon Oncle” de Tati a été

tourné pendant six mois, “Les Lumières de la ville” de Chaplin en deux ans. Onvoit le résultat à l’écran. Bien sûr, on ne se compare pas à eux. Mais on voitqu’ils ont été jusqu’au bout de la recherche. On aime prendre le temps. Parceque nous sommes dans un registre non réaliste. Nous devons choisir nos cou­leurs, nos matières. Cela implique du temps au repérage, à la mise en place.Mais nous sommes dans un entre­deux. Nous prenons le temps nécessaire,mais après chaque film, on se dit qu’on pourrait faire mieux dans le prochain.FionaGordon :A chaque nouveau film, nous bénéficions d’un budget un peu

plus important. Nous investissons cet argent dans le temps, pas dans les effets.B.R. : C’est notre plus long tournage. Sept semaines pour “L’Iceberg”, neuf

pour “Rumba”, onze, ici. Et ce n’était pas encore suffisant.

A quoi ce temps est­il consacré ?D.A. :A répéter les scènes qui sont très physiques. Aussi, parce que sur le tour­

nage, nous sommes confrontés aux vrais éléments : le décor, les accessoires, lesautres acteurs. Et, donc, nous prenons le temps de revoir les choses, d’adapter.Nous aimons aussi tous les éléments naturels forts. S’il pleut, on en profite. Onpeut jeter ce qu’on avait préparé pour profiter de l’occasion.F.G. : La comédie, c’est physique et mécanique. Le timing est très important.

Parfois, durant les répétitions, il se produit quelque chose de magique, que l’onne peut pas retrouver sur le tournage. C’est pour cela que l’on essaye de se don­ner du temps, pour affiner les scènes sur le plateau.B.R. : Le luxe, si on a raté une scène, c’est d’ajouter un jour de tournage pour

la recommencer.

Vous évoquez l’importance des lieux. Vous donnez du Havre une vi­sion poétique. Avez­vous entièrement tourné en décors réels ?D.A. : Nous avons découvert le Havre lors de nos tournées théâtrales. C’est

une ville unique. Elle a été ravagée pendant la guerre, et tout le centre a été re­

construit dans un style unique, moderniste, par un seul architecte. Ce qui luidonne une ambiance particulière : on ne sait pas si on est dans un pays de l’Est,à New York et en quelle année. Le Havre nous a donné beaucoup d’idées.B.R. : Nos films sont des contes. Ils ne sont pas réalistes. Et au Havre, il y a

cette confusion : la ville ressemble à un décor. Pour les scènes sur le toit de l’im­meuble, nous n’avons jamais reçu l’autorisation de tourner, parce que ces toitsplats sont fragiles. Nous avons reconstitué le décor en studio, avec une fausseperspective et une rétroprojection sur écran du paysage de la ville. Ce qui nousa ouvert des possibilités plus importantes que ce qu’on imaginait.

On court beaucoup dans vos films. Est­ce un élément incontourna­ble du burlesque ?D.A. : Je ne pense pas. Mais, par contre, le burlesque repose sur le corps. Même

si on ne se prive pas de parler. Nous avons une approche de la vie qui est physi­que. Ça nous passionne : la manière de courir, de tomber, ça dit des choses. Lecorps exprime la personnalité, l’émotion. Ce sont les moments entre les motsqui sont révélateurs dans nos films.F.G. : “Rumba” était le film des gens qui tombent, “La Fée”, celui des gens qui

courent. Fiona et Dom fuient une réalité trop dure pour une réalité plus juste.Mais pour les clowns, l’incontournable, ce sont les objets, comme les lunettes deBruno qui joue le patron du bar, ou les béquilles que j’avais dans “Rumba”. Cesoutils révèlent la fragilité de nos personnages.B.R. : L’autre jour, j’ai assisté à un marathon. C’est génial de voir qu’il n’y a

pas deux personnes qui courent de la même manière. On peut deviner la per­sonnalité des gens en les regardant courir.

Ce troisième film fut­il plus facile que les précédents ?D.A. : Les difficultés sont toujours les mêmes. Si un passage ne fonctionne pas

à l’écriture, il coincera toujours au tournage ou au montage. Nous nous remet­tons toujours en question. Nous évoluons. Par exemple, nous n’accumulonsplus les plans­séquences comme au début. On découpe plus.F.G. : J’aimerais bien arriver à réaliser quelque chose de très simple. Mais on

ne peut pas construire comme ça. On est convaincu que tout ce qu’on peutcréer en se jetant dans le bain sera toujours plus original et plus fort que tout cequ’on peut concevoir en amont.B.R. : Moi, j’ai toujours l’impression de recommencer à zéro. Comme un ac­

teur qui monte sur scène, tout est remis en jeu à chaque fois.Alain Lorfèvre (La Libre Culture 28/09/2011)

Autres nominations

Acteur Dominique Abel

Son Fred Meert, Hélène L

amy-Au-Rousseau

et Emmanuel De Boissieu

Costumes Claire Dubien

3CHIFFRE MA

GIQUE

“La fée” estle troisièm

e film

des trois réalisateurs e

t comé­

diens burlesques Dom

inique

Abel, FionaGordon et

Bruno

Romy, après “L’Iceberg

” (2005)

et “Rumba” (2008). “L

e chiffre

trois est intéressant da

ns le

registre ducomique, aj

oute

DominiqueAbel, parce

qu’il est

un peu le nombre d’or p

our les

clowns. La règle, dans le

clown

classique, c’est que la p

remière

fois, on énonce une pro

position

(par exemple : le clown

ouvre

une porte et un seau lu

i tombe

sur la tête),la deuxième

fois, on

la confirme(le seau tom

be à

nouveau) et la troisièm

e fois, il y

a rupture (le seau ne to

mbe pas

et le gag survient aprè

s). C’est de

cette surprise que naît

le rire.”La FéeMeilleur film et meilleur réalisateur

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Abel, Gordon, Romy

Autres nominations

Acteur Dominique Abel

Son Fred Meert, Hélène L

amy-Au-Rousseau

et Emmanuel De Boissieu

Costumes Claire Dubien

3CHIFFRE MA

GIQUE

“La fée” estle troisièm

e film

des trois réalisateurs e

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diens burlesques Dom

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Abel, FionaGordon et

Bruno

Romy, après “L’Iceberg

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cette surprise que naît

le rire.”

Page 12: Momento du 1 fevrier 2012

APRÈS

C.R.A.Z.Y.

UN FILM DE

JEAN-MARC VALLÉE

MOVIES

ACTUELLEMENT AU CINÉMA

APRÈS

010212_LLBsupplMagritte_CafeDeFlore_Cineart.indd 1 26/01/2012 15:18:04

SUR LE TOURNAGE DE “BEYOND THE STEPPES”, entre la Pologne et leKazakhstan, Vanja d’Alcantara s’adressait “en anglais à l’actrice principale,en néerlandais au chef opérateur et en français à son assistante” – tandis quele restant de l’équipe et des acteurs pratiquait le polonais, le russe ou lekazakh. Cette authenticité, la réalisatrice de 33 ans y tenait. Elle a eu lachance, comme elle le souligne elle­même, de trouver une oreille atten­tive à ce souhait chez ses producteurs (Denis Delcampe de Need Produc­tions et AnnemieDegryse de Lunanime). “On ne peut pas tourner ce film­làdans un décor fictif ou un studio en Pologne ou au Luxembourg. Il ne peutfonctionner que si on est tous mis dans la situation de Nina.”

Ce parti pris d’authenticité, Vanja d’Alcantara y tenait d’autant plusque, ce faisant, elle marchait sur les traces de sa grand­mère qui fut dé­portée par les Soviétiques en 1940, comme l’héroïne de son film. “Elle estdécédée quand j’avais quinze ans. On était très proches. Ce film était commeune promesse que je lui avais faite.” “Mes deux grands­parents maternelsétaient polonais, précise encore la réalisatrice. Ils habitaient à l’est de la Po­logne. C’étaient des propriétaires terriens. Ils appartenaient à l’intelligentsia,donc une couche sociale élevée. En 1940, la Pologne a été, d’un côté, envahiepar les Allemands et, de l’autre, par les Russes. A l’Est, ils ont écarté du pouvoirtout ceux qui pouvaient gêner l’installation du régime. Ma grand­mère a étédéportée en Sibérie pendant trois ans”.

Vanja d’Alcantara avait déjà traité de l’emprisonnement d’une femmedans son courtmétrage “La troisième vie” et effectué un premier retour àl’Est, caméra à la main, dans “Granitsa”, déjà produit par Need Produc­tions. “Je n’avais jamais fait le lien entre ça et “Beyond the Steppes”. Ce n’estqu’après coup que j’ai réalisé que je revenais aux mêmes thématiques, mêmesi c’est par des biais différents : le thème du voyage, de la rencontre avec l’in­connu, l’enfermement. Il y a une énorme part d’inconscient. L’enfermement, laliberté, ce sont des questions qui, apparemment, me tiennent fort à cœur. On

ne sait jamais quelle est la part consciente et inconsciente de ce que l’on ra­conte.” De surcroît, cette colombe voyageuse n’a jamais tenu en place –elle a notamment étudié un an à New York.

Si les histoires personnelles ne font pas toujours les bons films, laBruxelloise a évité le piège. “Il est important que l’aspect personnel nevienne pas entraver la dramaturgie. Il faut être à l’écoute de ce qu’amènent lesautres pour en faire un film qui soit un objet cinématographique avec unenarration, un personnage, une histoire qu’on raconte.” Il a fallu faire preuvede la même souplesse pour filmer les décors naturels du film. “Si on partau Kazakhstan, c’est pour se servir de la matière visuelle qu’offrent les paysa­ges. C’était important aussi pour moi que les paysages deviennent un des per­sonnages du film : dans ses écrits, ma grand­mère notait que la beauté de lanature fut sa seule consolation durant ses trois années d’exil.” Le blog dutournage (diary.beyondthesteppes.com) en révèle aussi les aléas météo­rologiques. “Quand nous sommes arrivés, en novembre 2009, il n’y avait pasun flocon de neige. Or, c’est quand même un film qui devait se tourner dans laneige. On a alors décidé de tourner au petit matin, vers cinq heures, pour quele givre donne le sentiment hivernal… Finalement, chaque matin, on a eu unenouvelle surprise, une fois une superbe brume, une autre un petit rayon de lu­mière…”

De personnel, le film est devenu une aventure collective. Ce qui placeVanja d’Alcantara devant une question quant à la suite : “Après un filmcomme ça, on ne peut plus se permettre de faire quelque chose qui ne soit pasvraiment une nécessité. C’est un tel privilège de pouvoir raconter une histoireen laquelle on croit, plutôt que de faire un film auquel on ne croit qu’à moitié.Je peux maintenant tourner cette page­là et faire quelque chose de plus léger,mais ce devra être quelque chose qui me tienne vraiment à cœur.” Et qui laportera, sans doute encore, vers d’autres horizons.Alain Lorfèvre (La Libre Culture, 10/11/2010)

Vanjad’Alcantara

Meilleur filmBeyond theSteppes

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APRÈS

C.R.A.Z.Y.

UN FILM DE

JEAN-MARC VALLÉE

MOVIES

ACTUELLEMENT AU CINÉMA

APRÈS

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Page 14: Momento du 1 fevrier 2012

Sam Garbarski

A L’ÉTÉ 2010, SAM GARBARSKI FUT DES DIX RÉALISATEURS mis enavant dans “10/10”, l’ouvrage édité par le Centre du Cinéma et Wallonie­Bruxelles International. Il y dénotait : à 62 ans, peut­on vraiment le ratta­cher à la “nouvelle” génération de cinéastes des années 2000 ? Oui, si l’onconsidère que son premier film, “Le Tango des Rashevski”, date bien de2003 – auparavant, il fut pendant trente ans patron d’une agence publici­taire. Après “Irina Palm”, “Quartier Lointain” le voit, en outre, adapter unrécit où il est question d’une inattendue cure de jouvence.

Comment avez­vous découvert la bande dessinée de Jirô Taniguchi ?C’était pendant la production du “Tango des Rashevski”. C’est Philippe Blas­

band, scénariste, qui m’a offert “Quartier Lointain” en me disant : “Tu auras sû­rement envie d’en faire un film.” Et je l’ai effectivement dévorée. Philippe avaitpressenti tout ce qui s’est passé après.

Qu’est­ce qui vous a plu ?Au départ, c’est le fait que c’est une histoire se passant à l’autre bout du

monde, dans une culture différente de la mienne et parlant de quelque chose quim’est étranger – la disparition du père. Le poète Amos Oz disait : “Un bon lecteurcherche dans une histoire les traces de sa biographie.” Là, j’étais confronté à unehistoire qui n’est pas du tout la mienne, mais pourtant, elle me parlait, elle metouchait. J’en ai parlé à ma productrice, Diana Elbaum, qui, elle aussi, trouvaitque ça m’irait bien. Ensuite, on s’est rendu compte que ce récit, malgré son an­crage culturel très fort, était en fait porteur de valeurs universelles.

Le nœud, le fond de l’histoire, comme vous le dites, a une dimensionuniverselle.

On a tous cette frustration de n’avoir pas exprimé certaines choses à ses pa­rents. Surtout dans la génération d’après­guerre, parce qu’à l’époque, les pa­rents parlaient peu d’eux­mêmes ou du passé. Les enfants n’osaient pas poser dequestion sur les aspects intimes. Ce qui était lié à la guerre était tabou.

Avez­vous rencontré des écueils dans l’écriture de l’adaptation ?Ce fut très, très dur. Parce qu’on se laissait envoûter par l’histoire, les dessins et

par ces moments de temps suspendus très caractéristique dans le théâtre, le ci­néma et la bande dessinée japonais. Dans la bande dessinée, de surcroît, on saitque le lecteur adapte son rythme à celui qu’essaie de suggérer le dessinateur. Aucinéma, c’est le montage qui imprime son rythme. Ce genre d’effet doit donc êtretrès bien maîtrisé. Il fallait être juste. J’ai dû personnellement me défaire de monamour des cases et des cadrages de Taniguchi. Finalement, Philippe et moiavons fait appel à Jérôme Tonnerre, qui est un ami et dont je connaissaisl’amour pour “Quartier Lointain”. A trois, ça s’est débloqué. On s’est vraimentdéfait de la BD, pour écrire, avant d’y revenir pour recréer certains instants.

Avez­vous un exemple concret ?Très simple : lorsque Thomas revient à ses quatorze ans, il se retrouve un mois

avant la disparition de son père. C’était un intervalle trop long pour le cinéma.

Nous devions avoir une dramatisation unpeu plus resserrée. Jérôme a eu l’idée de

transformer l’accident, qui provoque son re­tour dans le passé, en cause du report ino­

piné de l’anniversaire. Une vraie trouvaillescénaristique ! On a dû écrire près de soixante

versions différentes.

Vous êtes­vous posé les mêmes questionsque Thomas ?“Et si j’avais fait autrement… ?”, on se l’est tous

posée au moins une fois. Mais pourrait­on changergrand­chose ? Ferait­on vraiment les choses diffé­

remment ? Parce que ce faisant, on risquerait ausside modifier le reste de notre vie. Et prendrait­on le

risque de ne pas rencontrer sa femme, ses enfants, sesamis ? Quand on lui pose la question, Taniguchi parle

plus de ce qu’il dirait à la jeune fille que de sa relationavec ses parents. C’est mignon. Mais il est pourtant très

heureux avec sa femme. Donc… Je ne prendrais pas le ris­que de bouleverser ma vie.

Le récit pourrait­il être un simple rêve ?Bien sûr. Cela pourrait être une espèce de séance d’autop­

sychanalyse. On insiste un peu plus que Taniguchi là­dessusen faisant de Thomas un artiste. Au lieu de répéter le même

schéma que son père, peut­être est­il en train d’imaginer le ré­cit de son prochain album comme un exutoire. Ce n’est peut­être“que” ça l’histoire du film.

Sylvie, la jeune fille, est plusmature quedans la BDdeTa­niguchi.

Cela tient à la comédienne, Laura Martin. Quand nous avons faitle casting, nous nous sommes arrêtés sur elle, tout simplement parce

qu’elle a un talent fou pour son âge. Elle n’aurait pas pu jouer la rete­nue. Cela ne change pas l’histoire, mais nous avons adapté le scénario

à sa personnalité. Au final, cela la rend plus intéressante.

Est­ce important de laisser cette marge de manœuvre aux co­médiens ?

Je le fais exprès. Je suis très méticuleux durant la préparation. Ce qui mepermet ensuite d’improviser ou de me laisser porter par les aléas du tour­

nage. Un jour, j’ai eu le bonheur de déjeuner avec Bertolucci qui m’a dit :“Quand je tourne, je laisse toutes les portes et les fenêtres ouvertes.” Pour

cette raison, j’aime les comédiens qui ont de la personnalité. Je sais ce que jeveux, mais j’ai besoin de ce répondant et d’être surpris.

Depuis “Le Tango...”, avez­vous trouvé que Jonathan Zaccaï a mûricomme comédien ?

Il a mûri comme un bon vin. Il a encore plus de bouteille. Il fait certaineschoses plus facilement qu’à l’époque du “Tango…” S’il n’est pas convaincu, s’ilne comprend pas la raison de ce qu’on lui demande de jouer, il ne le fera pasbien. Ici, en plus, il est dans un rôle pas facile pour lui, qui est si extraverti, siexubérant dans la vie. C’était intéressant pour lui, et j’aimais bien le tenir enlaisse. J’ai fait la même chose avec ma fille, dans le rôle de la barmaid. C’esttrès intéressant de contenir un comédien qui a tant à donner. On sent uneénergie retenue. La source d’énergie qui bouillonne à l’intérieur de Jonathanétait idéale pour suggérer le secret que porte cet homme.

Avez­vous réalisé un travail particulier sur l’image ?Nous avons beaucoup parlé avec Jeanne Lapoirie, ma directrice photo, de

l’image que nous souhaitions avoir. Finalement, c’est dans la simplicitéqu’on trouve les meilleures solutions. L’image est assez naturelle. Le résultatest proche des rushes que l’on voyait tous les jours.

Vous avez tourné en 35mm.Restez­vous un adepte de la pellicule ?On pouvait le faire et on avait envie. Mais c’est peut­être le dernier projet

qui je réalise en 35 mm. Comme c’est un film qui se passe dans les annéescinquante, j’ai éprouvé un ressenti différent à l’image grâce à ce support.Mais peut­être est­ce purement psychologique.Alain Lorfèvre (La Libre Culture, 24/11/2010)

Autres nominationsActrice dans un second rôle Tania GarbarskiActeur Jonathan ZaccaïDécors Véronique SacrezCostumes Florence Scholtes

Meilleur réalisationQuartier lointain

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Page 15: Momento du 1 fevrier 2012

Sam Garbarski

Nous devions avoir une dramatisation unpeu plus resserrée. Jérôme a eu l’idée de

transformer l’accident, qui provoque son re­tour dans le passé, en cause du report ino­

piné de l’anniversaire. Une vraie trouvaillescénaristique ! On a dû écrire près de soixante

versions différentes.

Vous êtes­vous posé les mêmes questionsque Thomas ?“Et si j’avais fait autrement… ?”, on se l’est tous

posée au moins une fois. Mais pourrait­on changergrand­chose ? Ferait­on vraiment les choses diffé­

remment ? Parce que ce faisant, on risquerait ausside modifier le reste de notre vie. Et prendrait­on le

risque de ne pas rencontrer sa femme, ses enfants, sesamis ? Quand on lui pose la question, Taniguchi parle

plus de ce qu’il dirait à la jeune fille que de sa relationavec ses parents. C’est mignon. Mais il est pourtant très

heureux avec sa femme. Donc… Je ne prendrais pas le ris­que de bouleverser ma vie.

Le récit pourrait­il être un simple rêve ?Bien sûr. Cela pourrait être une espèce de séance d’autop­

sychanalyse. On insiste un peu plus que Taniguchi là­dessusen faisant de Thomas un artiste. Au lieu de répéter le même

schéma que son père, peut­être est­il en train d’imaginer le ré­cit de son prochain album comme un exutoire. Ce n’est peut­être“que” ça l’histoire du film.

Sylvie, la jeune fille, est plusmature quedans la BDdeTa­niguchi.

Cela tient à la comédienne, Laura Martin. Quand nous avons faitle casting, nous nous sommes arrêtés sur elle, tout simplement parce

qu’elle a un talent fou pour son âge. Elle n’aurait pas pu jouer la rete­nue. Cela ne change pas l’histoire, mais nous avons adapté le scénario

à sa personnalité. Au final, cela la rend plus intéressante.

Est­ce important de laisser cette marge de manœuvre aux co­médiens ?

Je le fais exprès. Je suis très méticuleux durant la préparation. Ce qui mepermet ensuite d’improviser ou de me laisser porter par les aléas du tour­

nage. Un jour, j’ai eu le bonheur de déjeuner avec Bertolucci qui m’a dit :“Quand je tourne, je laisse toutes les portes et les fenêtres ouvertes.” Pour

cette raison, j’aime les comédiens qui ont de la personnalité. Je sais ce que jeveux, mais j’ai besoin de ce répondant et d’être surpris.

Depuis “Le Tango...”, avez­vous trouvé que Jonathan Zaccaï a mûricomme comédien ?

Il a mûri comme un bon vin. Il a encore plus de bouteille. Il fait certaineschoses plus facilement qu’à l’époque du “Tango…” S’il n’est pas convaincu, s’ilne comprend pas la raison de ce qu’on lui demande de jouer, il ne le fera pasbien. Ici, en plus, il est dans un rôle pas facile pour lui, qui est si extraverti, siexubérant dans la vie. C’était intéressant pour lui, et j’aimais bien le tenir enlaisse. J’ai fait la même chose avec ma fille, dans le rôle de la barmaid. C’esttrès intéressant de contenir un comédien qui a tant à donner. On sent uneénergie retenue. La source d’énergie qui bouillonne à l’intérieur de Jonathanétait idéale pour suggérer le secret que porte cet homme.

Avez­vous réalisé un travail particulier sur l’image ?Nous avons beaucoup parlé avec Jeanne Lapoirie, ma directrice photo, de

l’image que nous souhaitions avoir. Finalement, c’est dans la simplicitéqu’on trouve les meilleures solutions. L’image est assez naturelle. Le résultatest proche des rushes que l’on voyait tous les jours.

Vous avez tourné en 35mm.Restez­vous un adepte de la pellicule ?On pouvait le faire et on avait envie. Mais c’est peut­être le dernier projet

qui je réalise en 35 mm. Comme c’est un film qui se passe dans les annéescinquante, j’ai éprouvé un ressenti différent à l’image grâce à ce support.Mais peut­être est­ce purement psychologique.Alain Lorfèvre (La Libre Culture, 24/11/2010)

Autres nominationsActrice dans un second rôle Tania GarbarskiActeur Jonathan ZaccaïDécors Véronique SacrezCostumes Florence Scholtes

Quartier lointain

TANG

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Page 16: Momento du 1 fevrier 2012

NOUS L’ÉCRIVIONS À L’OCCASION DE LA SORTIE DE “Rundskop”, enfévrier 2011 : “Retenez son nom !” Et Michaël R. Roskam aura fait parlerde lui jusqu’à Hollywood, où son film est en lice pour l’oscar du meilleurfilm étranger. Dès le Festival de Berlin, “Rundskop” avait tapé dans l’oeilde la critique américaine, au point que “Variety” a cité le Flamand parmiles “dix réalisateurs à suivre en 2012”.

Lorsque nous l’avions rencontré, début 2011, le réalisateur nous avaitprécisé qu’aumoment où débuta la préproduction de son film naissait unautre bébé, le sien. De quoi “garder les pieds sur terre”. En Belgique, la criti­que ne s’y est pas trompée : au Nord comme au Sud du pays, tout lemonde s’est arraché le réalisateur et son acteur principal,Matthias Schoe­naerts. “Où est l’os ?” se demandait alors Roskam, qui ne parvenait pas àcroire que tout se passait si bien, lorsque nous l’avions rencontré au caféBelga, à Bruxelles. Joli symbole pour un film que tous – tous ! – les fondsd’aide public des trois Régions ont soutenu (celui de Bruxellimage venaitd’être créé quand le dossier de “Rundskop” atterrit sur la table). Ce qui luivaut sa nomination au Magritte du meilleur film flamand en coproduc­tion. “J’ignorais cette dimension 100 % belge, avouait le réalisateur.Mais j’ensuis très fier. C’est important de montrer que les Flamands et les Wallons peu­vent encore construire des choses ensemble.”Pour ceux qui suivent la vie du cinéma belge, Michaël R. Roskam n’était

déjà pas un total inconnu. On avait repéré sa patte dans quelques courtsmétrages, notamment “Carlo” (2004), qui avait fait le tour des festivals(Court Métrage à Bruxelles, Cannes, Clermont­Ferrand). Les pérégrina­tions de deux footballistes limbourgeois se retrouvant malencontreuse­ment dans le véhicule de deux gangsters wallons ressemblent d’ailleurs àun vague brouillon de “Rundskop” – Erico Salamone tenait déjà le rôle duLiégeois allumé. “Oui, il y a de ça. L’idée de “Rundskop” est d’ailleurs née dansla foulée. “Carlo” fut une très bonne expérience, à toutes les étapes : le tournage,le résultat, la réception critique et publique. C’était seulement mon deuxièmecourt métrage, mais l’envie était là, tout de suite, d’aller plus loin, vers le longmétrage. L’histoire n’a rien à voir avec “Rundskop”, mais il y a le décor, le Lim­bourg, d’où je viens, et le passage de la frontière linguistique, la confrontationavec les Wallons. Quand on fait quelque chose de nouveau, qu’on se lance dansune nouvelle expérience, c’est important d’avoir quelque chose à quoi on peutse rattacher. J’ai donc gardé cet environnement que je connais dans “Runds­kop”. Et puis, je sentais aussi que je n’avais pas entièrement exploité la richessede ce décor et de cette partie de la Belgique.”

C’est l’un des aspects les plus fascinants et séduisants de “Rundskop”. Lefilm montre cette réalité désormais si souvent absente des écrans belges,et que l’on tend à vouloir gommer politiquement : la perméabilité hu­maine de la frontière linguistique. Partant, “Rundskop” est un film pleind’accents colorés. Même chez les Dardenne, on ne parle pas avec l’accentliégeois comme chez Michaël R. Roskam. “J’adore l’idée que je puisse enre­gistrer le dialecte du Limbourg ou l’accent authentique de Liège. Les acteursavaient un peu peur, d’ailleurs, surtout les francophones. En Flandre, on est ha­bitué à ça, au cinéma et à la télévision. Les films sont sous­titrés, c’est culturel.Jeanne (Dandoy, l’actrice francophone qui joue Lucia) me demandait sij’étais vraiment sûr qu’elle devait parler avec un si fort accent. Je lui ai de­mandé : “A ton avis, une fille de ce milieu­là, qui grandit dans le terrain vagued’un garagiste, elle parle avec quel accent ?” Ça l’a libérée.” Idem pour le tan­dem formé par Philippe Grand­Henri et Erico Salamone. “Là, on est à la li­mite du burlesque. C’est vrai qu’on est sur le fil du rasoir. Il faut dire que Phi­lippe et Erico mettaient pas mal d’ambiance sur le plateau. Le but, ce n’est pasde se moquer des Wallons. Je voulais donner un contrepoint, avec deux loosers

sympathiques. Ma référence, c’était les films de Kurosawa. Même dans sesfilms noirs les plus dramatiques ou dans ses films épiques de samouraïs, il y asouvent deux paysans idiots un peu caricaturaux. Au montage, on a cherchél’équilibre entre ces passages plus drôles et la tension du film.”Car “Rundskop” reste d’abord un film noir, avec un héros tragique rat­

trapé par son destin. La manière dont celui­ci peut déterminer une viefascine le réalisateur – c’était, là aussi, déjà l’argument sous­tendant“Carlo”. “Ce n’est pas que je crois au destin, mais ça m’intrigue. Il y a parfoisdes coïncidences étranges dans la vie. Quand une tuile nous arrive, on se ditsouvent : “Mais qu’est­ce que j’ai fait pour mériter ça ?” La réponse est unequestion de positionnement individuel. Je suis sûr que des tas de types ont vécuet traversé ce qu’a vécu et traversé Hitler. Mais il n’y en a qu’un qui a fait cequ’il a fait.”De cet argument de départ,Michaël R. Roskama très vite ima­giné la dimension métaphorique du personnage de Jacky. “Son corps estl’incarnation du poids qu’il a traîné toute sa vie. Je voulais qu’on sente très viteque ce corps n’est pas naturel. C’est aussi, un peu, une métaphore de la Belgi­que. Si vous regardez attentivement le film, chaque fois qu’on montre la na­ture, c’est une nature façonnée par l’homme. Les vaches sont bourrées d’hor­mones, les champs sont labourés, les arbres sont alignés, tout est trafiqué, rienn’est naturel.”

Le film aussi est très travaillé et remarquablement façonné sous ses de­hors naturels. “Pratiquement dès les origines du projet, nous nous sommesréunis régulièrement avec Nicolas Karakatsanis (le directeur de la photogra­phie), Raf Keunen (le compositeur) et Matthias Schoenaerts. Le mot d’ordreétait que le film devait donner une impression de réalisme, mais être hyper­construit et contrôlé. Je suis prof de cinéma à Sint­Lukas et je dis toujours à mesétudiants qu’être prêt à cent pour cent permet d’improviser à cent pour cent.C’est dans la contrainte qu’on trouve la liberté totale.”Celui dont la premièrevocation était la bande dessinée conserve sur le tournage deux cahiers(l’un où il a storyboardé les scènes, l’autre où il a dessiné lesmouvementsde caméra). Evoquant son directeur photo, Michaël R. Roskam parled’“un peintre”.“Nicolas est un maestro de la lumière, d’abord à la caméra,puis en postproduction. C’est un vrai directeur photo moderne, parce qu’ilmaîtrise tous les outils techniques qui sont à sa disposition. On avait des réfé­rences picturales. Par exemple, pour le repas entre les mafieux dans l’arrière­salle d’un petit restaurant de province, on pensait à Rembrandt, à Courbet,aussi. On a occulté toutes les fenêtres pour n’utiliser que de l’éclairage d’am­biance. On voulait des tons bruns, un peu passés. Nous sommes très fiers de ceplan parce qu’il correspond exactement à ce qu’on avait imaginé.”Ces relations sont le fruit d’un travail de longue date. Deux courts mé­

trages avec Nicolas Karakatsanis, un avec Matthias Schoenaerts ou EricoSalamone, trois avec son producteur Bart Van Langendonck (Savage Film).La loyauté est, forcément, aussi au cœur du travail deMichaël R. Roskam.“Oui, ça m’intrigue aussi cette idée qu’on peut suivre quelqu’un et le défendrepar principe, quels que soient les actes ou les erreurs qu’il a commis. Si ça peutparfois être dangereux, c’est aussi une vertu humaine que je trouve très belle.”Sans surprise, ce sera un thème de son prochain film, “D’Ardennen”, uneadaptation de la pièce de théâtre de Jeroen Perceval – qui joue Diederikedans “Rundskop”. “C’est une tragi­comédie où trois Flamands partent en voi­ture dans les Ardennes pour enterrer un Marocain. C’est politiquement incor­rect et ça devient une fable sur la loyauté.”Et commeces Flamands­là croise­ront sans doute encore la route deWallons,MichaëlR.Roskamrêverait dediriger Bouli Lanners. Sûr que ces deux­là devraient se comprendre ­ dansles deux langues. Amoins que, d’ici­là, les sirènes d’Hollywood se fassententendre…Alain Lorfèvre

Meilleur film flamand en coproductionRunsdkop

Michaël R. Roskam

Autres nominations

ScénarioMichaël R. Roskam

ActeurMatthias Schoenaerts

Espoir féminin Jeanne Dandoy

Espoir masculin David Murgia

Image Nicolas Karakatsanis

Son Benoît De Clerck, Yves De Mey,

Quentin

Collette, ChristineVerschorren et Be

noît Biral

Montage Alain Dessauvage

Musique originaleRaf Keunen

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Michaël R. Roskam

Autres nominations

ScénarioMichaël R. Roskam

ActeurMatthias Schoenaerts

Espoir féminin Jeanne Dandoy

Espoir masculin David Murgia

Image Nicolas Karakatsanis

Son Benoît De Clerck, Yves De Mey,

Quentin

Collette, ChristineVerschorren et Be

noît Biral

Montage Alain Dessauvage

Musique originaleRaf Keunen

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LubnaAzabal

ELLE LEDIT ENRIANT : “J’ai du cul !” LubnaAzabalne fait pas allusion à son physique, avec lequel ellejure d’ailleurs avoir un problèmequand elle se voità l’écran. Lamétaphore vaut pour l’évolution de sacarrière.Début 2011, la comédiennebruxelloise sedémultiplie sur les écrans, aux quatre coins de laplanète cinéma, forte de sa triple culture – elle estBelge, d’ascendance marocaine et espagnole.Douze ans après ses débuts dans “Pure Fiction” deMarianHandwerker, et après s’être distinguée avecrégularité (“Viva Laldjérie”, “Exils”, “24 Mesu­res”…), elle transcende “Incendies” de Denis Ville­neuve, allégorie inspirée sur le destin d’une femmeau cœur d’une guerre civile. Fin janvier 2011, lacritique américaine la découvrait au festival deSundance dans “Here” de Braden King, tourné enArménie, avec Ben Foster. Et au cours de son “an­née films étrangers”, comme elle la qualifie, LubnaAzabal a aussi joué une adaptation du “Coriola­nus” de Shakespeare avec et sous la direction deRalph Fiennes. Ajoutons encore “I Am Slave” deGabriel Range, aux côtés d’Isaach de Bankolé et deHiam Abbass. “Je pense que ce qui m’a un peu aidé àsortir d’une carrière franco­française, c’est d’avoirfait “Paradise Now” (2005)”, note­t­elle. “Le film estpassé aux Golden Globes. Je n’ai pas d’agent en dehorsde la France, mais je connais deux ou trois directeursde casting. Mon nom circule, en Israël, mais aussi dansle monde anglais. On m’appelle. J’ai eu des petits rôles,comme chez Ridley Scott (dans “Body of Lies”, avecLeonardo DiCaprio, NdlR) ou dans “Here”, parexemple : Braden King, qui est un cinéphile et qui aimele cinéma français, m’avait vue dans des films. C’estcomme ça qu’il a pensé à moi.”

“Incendies” devrait encore renforcer l’attraitqu’exerce l’actrice. Elle porte le film sur ses épau­les, incarnation du destin brisé d’une femme em­portée par la tourmente d’une guerre communau­taire. Nawal, son personnage, elle l’a aimé dès lalecture du scénario, adapté par Denis Villeneuvede la pièce éponyme de Wajdi Mouawad. “J’étaisbouleversée. Je n’ai jamais lu un tel ovni. Ce fut une gi­fle. Cette histoire, c’est une tragédie grecque moderne.On est dans l’Œdipe inversé. Il y a une tension perma­nente entre le passé et le présent, la mère et les ju­meaux. Et tout cela traité comme une œuvre d’art. J’aiprié pendant des mois pour avoir le rôle. Je savais quenous étions trois actrices en lice.” Dont la comé­dienne et réalisatrice libanaise Nadine Labaki(“Caramel”). Mais Florence de Montois, la direc­trice de casting française deDenis Villeneuve, avaitprévenu le réalisateur : “Lubna “est” Nawal.” “J’ai étécomplètement soufflé par sa présence,précise leQué­bécois. Son jeu repose sur la force intérieure, pas surune forme de séduction. Lorsque vous la voyez mar­cher, vous n’avez pas l’impression qu’elle sort des Ga­leries Lafayette. On peut croire en la voyant qu’elle estnée et qu’elle a grandi dans un village au bord d’unefrontière.”

Rien de plus éloigné, pourtant, du vécu de LubnaAzabal que celui de Nawal. Bien sûr, depuis “Para­dise Now”, elle a multiplié les expériences et lestournages au Moyen­Orient. De quoi lui faire cô­toyer et absorber – comme tout bon comédien – laréalité d’une région “dont l’Histoire a fait le terrainde jeux parfait pour la guerre” comme le dit un per­sonnage d’“Incendies”. Pour autant, la comé­dienne est plus dans l’instinct que dans l’intellect.“J’ai lu deux, trois choses. Mais Denis ne voulait pas enfaire un film politique ou historique. J’ai cherché justece qu’il fallait pour me projeter dans la vie et l’univers

de cette femme. Le plus important étant que l’on voitd’abord Nawal comme une femme, pas comme unerésistante ou une guerrière. Je suis très instinctive. Jene me pose pas trois milliards de questions. J’essaie dem’en tenir à l’essentiel. Quand le tournage commence,je suis en immersion totale. Je ne regarde ni à gaucheni à droite. J’ai de la musique dans les oreilles vingt­quatre heures sur vingt­quatre. Ce n’est pas pourm’isoler des autres, mais pour ne pas être perturbée.Afin d’être constamment là où je dois être dans la si­tuation, dans laquelle je dois être.” Villeneuve :“Lubna fait partie de ces comédiens que je qualifie deguérilleros : elle est totalement engagée, elle plonge,elle fait confiance.”

Une confiance d’autant plus assurée lorsque lacomédienne se trouve en face de ce qu’elle appelle“un capitaine” : seul maître à bord, qui sait où il vaet qui se repose sur son équipage pour mener lenavire à bon port. “Denis et moi, on avait une visionassez claire sur la manière d’aborder les choses. Ilm’aiguillait et me laisser proposer des choses. C’est unbon réalisateur et un bon directeur d’acteurs parcequ’il sait ce qu’il veut. Il ne réfléchit pas pendant desheures, n’hésite pas. Sans être un dictateur qui vousdirige au mot près.” Cette assurance était d’autantplus nécessaire dans le cas d’“Incendies” que letournage était court et les journées intenses. “On selevait à 3 heures du matin presque tous les jours pourdémarrer à 5 heures, note l’actrice, qui précise : jen’ai jamais été aussi heureuse sur un tournage.” Cequi n’empêche pas la peur de décevoir. “Le pire,pour moi, aurait été que Wajdi n’aime pas le film etconsidère que j’aurais massacré Nawal.” On en esttrès loin. La clé de la réussite ? “Il faut rester simple.Ici, surtout, il fallait éviter d’en faire trop. Ne pas ren­chérir dans la douleur ou le pathos. Les faits sont déjàsuffisamment explicites.”

On devine l’interprète soulagée face à l’accueilpositif, public et critique, que le film rencontre.“Après, je suis comme tous les acteurs : je n’aime pasma gueule, je n’aime pas ma manière de parler et debouger.” Fausse modestie, d’une actrice et qui tapepourtant dans l’œil de tous ces réalisateurs qui lasollicitent, d’Israël aux Etats­Unis ? Elle qui tient àvalider les photos qui accompagnent ses entre­tiens (comme celle ci­contre) ou qui protège sadate de naissance jure toutefois que “les comédiensne sont pas aussi narcissiques qu’on le croit”.Elle ex­plique l’apparente contradiction : “C’est un rapportétrange : c’est nous et ce n’est pas nous qu’on voit. Cen’est pas ma vie à l’écran, pas ma manière de m’ha­biller, parfois pas ma langue, comme ici. Mais enmême temps ce sont mes jambes, mes bras, mes yeux…J’ai beaucoup de mal avec ma voix.”

Son impulsion, ce sont “les beaux projets”.“Le mo­teur, c’est le désir : si je ne tombe pas amoureuse del’histoire ou du personnage, je ne peux pas faire le film.Après, parfois, on fait des films parce qu’il faut bouffer.Comme dit Galabru : je remercie aussi les mauvaistextes, parce qu’il en faut. Etre acteur, ce n’est pas tou­jours une trajectoire parfaite. Il y a des échecs, des er­reurs, des déceptions… Mais même dans ces cas­là, onfait de son mieux. J’essaie toujours de trouver du bon­heur et du plaisir. C’est une telle chance de faire ce mé­tier. Un projet comme “Incendies”, ça fout la trouille,mais c’est d’abord un cadeau merveilleux.” Et de ré­sumer : “On me paie pour être schizophrène. C’est gé­nial !”

Alain Lorfèvre (La Libre Belgique, 12/01/2011)

Autres actrices nommée

s

Isabelle De Hertogh Hasta

la Vista

Cécile de France Le Gamin

au Vélo

Yolande Moreau Où va la

nuit

Meilleure actrice

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LubnaAzabal

Autres actrices nommée

s

Isabelle De Hertogh Hasta

la Vista

Cécile de France Le Gamin

au Vélo

Yolande Moreau Où va la

nuit

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BenoîtPoelvoorde

BENOÎT POOELVOORDE LES AIME, ces “Emotifs anonymes”,petit film fragile où il montre sa face cachée, souvent masquéepar son nez de clown. En compagnie d’Isabelle Carré, il incarnele patron d’une chocolaterie artisanale, d’une timiditémaladive,handicapante même. Poelvoorde est aussi doué pour jouer lefort en gueule que le type mal à l’aise, mais avec toujours cettefine pointe dedrôlerie quimaintient le filmdans le registre de lacomédie. A savourer. Ah, voilà le café…

Vous nemangez pas votre petit chocolat ?Non. Je ne cours pas après le chocolat. Si j’avais tourné dans une

usine de charcuterie, j’aurais pris 10 kilos. Le sucre ne me rend pasdingue.

Il n’y a pas que le sucre dans le chocolat, il y a l’amertumeaussi.

Aaaaaah, joli… Hé bien, je crois que c’est cela qui m’a fait choisir lefilm. Je ne pensais pas qu’il existait des émotifs anonymes. Je savaisqu’une émotivité pouvait porter préjudice. Mais pas à ce point. Il afallu que je rencontre le réalisateur, Jean­Pierre Ameris, pour merendre compte que les émotifs anonymes existaient vraiment.Quand j’ai lu le scénario, j’avais trouvé cela drôle mais exagéré. C’estIsabelle Carré qui me l’avait proposé en me disant : j’aimerais lefaire avec toi. Déjà, cela ne se passe jamais comme cela. Mais qui meten scène ? Jean­Pierre Ameris. J’avais vu son film avec Dutronc. Trèsbeau. Je savais que c’était quelqu’un de délicat. Je trouve le scénariotrès bien. Je dis à Isabelle que je suis d’accord et j’attends qu’Amerism’appelle. Un jour passe, deux, une semaine, deux semaines. Je dis àmon agent que j’ai donné mon accord mais que le réalisateur nem’appelle pas. Il me répond : le scénario, c’est lui. C’est son histoire. Ila été aux émotifs anonymes. Il a fini par m’appeler, une semaine plustard pour me dire “merci d’avoir accepté, je suis vraiment impatientde travailler ensemble. “. Clac ! Je me demandais comment il allaitfaire pour mettre en scène mais il sait très bien ce qu’il veut. Le filmest une fiction mais il y a une bonne part de vrai. Et quand on parled’amertume, je me suis rendu compte qu’il y a des gens pour qui lavie est terrible. Jean­Pierre, il lutte. Je n’ai pas eu besoin de rencon­trer des émotifs, il me suffisait de le regarder. Le film est réussi carcette situation dramatique, il est parvenu à la rendre drôle.

C’est pour cela qu’il est venu vous chercher.Il a pensé à moi tout de suite, mais plutôt pour mon côté autori­

taire, pour faire peur à ses employés qui, malgré tout, se disent, iln’est pas si méchant. Maintenant, j’adore observer les gestes qui tra­duisent l’incommodité : gratter sa tête, les jambes trois fois fermées…

C’est le corps qui trahit les émotions ?Oui, c’est cela l’émotif chronique, le corps exprime quelque chose

que la tête ne contrôle pas. Moi, mon personnage transpire ou il suf­foque, ce sont des moments de panique. Ça peut aussi se marquerpar des plaques, des évanouissements, certains toussent. D’autresdeviennent ultra­autoritaires, ce qui n’est pas très éloigné de monpersonnage. Il est cassant car il ne peut aller dans aucune discussion.

C’est lié à la peur ?Son père n’a cessé de lui répéter : “pourvu qu’il ne nous arrive

rien.” Quand on a des parents tout le temps inquiets, on a tout letemps peur.

Jouer un émotif anonyme, c’est un contre­emploi ?Non. Le vrai contre­emploi, les gens ne s’en rendent pas compte,

c’est ce que je fais dans “Rien à déclarer”. Les gens me voient commeun extraverti, un fort en gueule. Je n’ai pas de problème d’émotivitéexcessive, mais je peux paniquer assez vite. Donc Jean­René n’étaitpas un rôle difficile. Sauf le rythme. Comme Jean­Pierre est très émo­tif, il obtient tout ce qu’il veut par la gentillesse. C’est plus dur quequelqu’un qui obtient tout par méchanceté. On peut forcément allercontre quelqu’un d’agressif. Quelqu’un de gentil peut être le pire desdictateurs. Sa phrase, c’était : “C’est très bien mais on va le faireautrement.” Et comme il sourit tout le temps. Mais aujourd’hui, jesais comment le terroriser. Il suffit d’entrer dans un café, de dire à lacantonade : “Ce monsieur a commandé à boire.” Et il se liquéfie.

Au restaurant, Jean­René ne sait pas dire, non.Beaucoup de gens se reconnaissent. Moi, qui suis quand même un

fort en gueule, j’ai peur des vendeuses de vêtements. J’adore les vête­ments. Si une vendeuse, très envahissante, me dit “Essayez la veste,ça vous va très bien”, je vais prendre la veste pour en avoir vite fini.Et je ne la mettrai jamais. J’en ai plein les placards, des vestes et deschaussures que je ne mets jamais. D’ailleurs, je ne fais plus mes cour­ses tout seul. Une habilleuse, une copine ou ma femme viennent avecmoi. Quand j’entends : “Vous ne voulez pas l’essayer”, je panique.

Vous êtes connu, vous craignez peut­être de donner uneimage négative en cas de refus ?

Non, petit, j’étais déjà comme ça. Un jour, j’ai acheté une salopetteen jeans de fille. La vendeuse était jolie, j’avais 16 ans. Elle m’a faitessayer une salopette de fille car il n’y avait plus ma taille en garçon.Je lui ai dit “C’est une salopette de fille, il n’y a pas de braguette”. Ellea répondu “Ca vous va très bien”. Je l’ai achetée, je ne l’ai jamaismise. Elle était jolie et elle aurait vendu un frigo à un esquimau.

Seules les vendeuses de vêtements vous font peur ?Non, le silence me terrorise. Si je participe à un repas, que les gens

ne parlent pas, je vais croire que c’est de ma faute. Donc, je vais par­ler à outrance. Et en remontant dans la voiture, mon épouse va medire : “On n’a entendu que toi.” Je réplique que personne ne parlait.Et on me répond que je n’ai laissé parler personne. Chaque fois, je medis que la prochaine fois, je ne dirai rien. Et si je ne dis rien, on me ditque je ne suis pas en forme. Qu’est­ce que je dois faire ?

Au cinéma, des scènes vous font peur ?Je n’aime pas les scènes au téléphone. Ici c’était parfait, je ne devais

même pas décrocher. Je n’aime pas les scènes de baisers. La questionc’est : je mets la langue ou pas ? Dans le film, il est clair que cesdeux­là ne vont jamais mettre leur langue, à peine se toucher les lè­vres. Isabelle et moi, cela nous arrangeait très bien. Embrasser sur labouche, c’est un véritable enfer.Fernand Denis (La Libre Belgique, 18/10/2010)

Autres acteurs nommés

Dominique Abel La Fée

Jonathan Zaccaï Quartier

Lointain

Matthias Schoenaerts Ru

ndskop

Meilleur acteur

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BenoîtPoelvoorde

Autres acteurs nommés

Dominique Abel La Fée

Jonathan Zaccaï Quartier

Lointain

Matthias Schoenaerts Ru

ndskop

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La cérémonie,en clair sur Be TV

A L’INSTAR DES CÉSARS EN France, retransmis par Canal +,chaîne historique du cinéma français, les Magritte du cinémabénéficient d’une diffusion télé. Pour la 2e année consécutive,c’est donc naturellement Be TV (chaîne du cinéma belge et pe­tite sœur belge de Canal +) qui se charge de la captation et de laretransmission de l’évènement. En clair et en direct du Square,au Mont des Arts, à Bruxelles, Be1 diffusera par conséquent lacérémonie, le samedi 4 février à 20h. L’actrice et réalisatriceHelena Noguerra (ci­contre), qui avait brillamment relevé ledéfi de la présentation en 2011, sera également au rendez­vousde cette nouvelle édition dès 19h45 sur le traditionnel “Bluecarpet”.

Be 1 consacrera également un week­end à l’évènement avecdeux nouveaux programmes. “Ceci n’est pas (encore) la céré­monie des Magritte du cinéma” le vendredi 3 février à 20h30(en clair toujours). Présentée par le cinéaste Fabrice du Welz,l’émission esquissera les enjeuxde cette seconde édition et serasuivie de la diffusion de deux films en compétition (“Runds­kop” et “Killme please”). “Dans les coulisses desMagritte du ci­néma”, le dimanche 5 février, reviendra sur les meilleurs mo­ments (répétitions, réactions à chaud, conversations derrière lerideau, etc.).Enfin, “YolandeMoreau en clair obscur” – première diffusion

du portrait de l’actrice réalisé par Olivier Monssens – “vous em­mènera sur les traces de l’enfant à l’adulte jusqu’à l’actrice popu­laire”, le dimanche 5 février à 17h35.

TV5Monde s’associe également à l’évènement en rediffusantla cérémonie (le 7 février à 23h), précédée et suivie “d’un long etd’un court­métrage primés l’an passé ou dont les réalisateurs sonten course cette année” (“Rumba”&“Nuit blanche”).

Petite nouveauté cette année, laRTBF – qui pour rappel avaitboudé la première cérémonie – est également partenaire de laseconde édition, où neuf de ses coproduction cinéma et trois deses documentaires sont en compétition. Hormis les indémoda­bles reportages et insert JT, un spécial Ciné Station consacré àl’évènement – le 8 février à 23h sur La deux – reviendra sur lacérémonie avec les premières impressions des invités et lau­réats interviewés par Cathy Immelen. Enfin, La trois consacreraégalement une soirée spéciale aux Magritte le samedi 11 fé­vrier dès 21h05 avec la diffusion du résumé de la cérémonie.Au.M.

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A nouveau, Helena Noguerra officiera en qualité de maîtresse de cérémonie,“avec humour et originalité”.

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Ceci n’est pas une équipede chroniqueurs cinéma… ou si ?

Cathy Immelen recueillera lesimpressions des lauréats,dans Ciné Station,présenté par Philippe Reynaert.

La deux, 8 février à 22h45

Page 23: Momento du 1 fevrier 2012

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Page 24: Momento du 1 fevrier 2012

TESTE TA BELGITUDE SURWWW.ILETAITUNEFOISUNEFOIS.BE

15 FÉVRIER

AU CINÉMA

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