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Dimanche 19 - Lundi 20 avril 2015 - 71 e année - N o 21852 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA RÉFORME DU COLLÈGE LA FIN TRÈS CONTESTÉE DES CLASSES BILANGUES LIRE PAGE 8 NUCLÉAIRE : L’EPR EN DANGER DE MORT LIRE PAGE 24 ÉCONOMIE LES START-UP DE LA SILICON VALLEY FLAMBENT LIRE CAHIER ÉCO PAGE 3 GÉNOCIDE AZNAVOUR : CENT ANS DE SOLITUDE POUR LES ARMÉNIENS LIRE PAGES 13 À 15 C’est une blague qui marchait très fort à l’époque où Bill Clin- ton était président des Etats- Unis : Hillary et Bill, en week- end dans leur fief de l’Arkansas, à Little Rock, s’arrêtent à une station d’essence. Au volant de sa décapotable, Bill regarde le pompiste s’agiter autour du ré- servoir, et dit à sa femme, dans un soupir d’autosatisfaction : « Tu vois, chérie, la chance que tu as ? Tu aurais pu épouser ce type au lieu de m’épouser moi ! » Hillary le regarde et lui répond : « Non, Bill, si je l’avais épousé, c’est lui qui serait président des Etats-Unis. » L’an prochain, ce sera peut- être son tour, à elle. A 68 ans. Enfin ! Qu’elle réussisse ou non, la déclaration de candidature d’Hillary Clinton à l’investiture démocrate pour l’élection prési- dentielle de novembre 2016 marque la fin d’une époque : celle où les hommes étaient les candidats naturels au lea- dership, tandis que leurs fem- mes restaient cantonnées dans un second rôle, parfois crucial, mais inévitablement en retrait. LIRE LA SUITE PAGE 24 La fin de la testostérone CHRONIQUE L’HISTOIRE DU JOUR Polygamie en série dans le gouvernement marocain C ette fois, c’est officiel. Le ministre maro- cain des relations avec le Parlement, La- hbib Choubani, convolera bientôt en se- condes noces avec sa collègue ministre délé- guée auprès du ministre de l’enseignement su- périeur, Soumia Benkhaldoun. « En secondes noces », non parce que M. Choubani a divorcé ou est veuf, mais parce qu’il est déjà marié. L’affaire défrayait la chronique depuis des mois, la rumeur enflant sur l’existence d’une idylle entre ces deux membres du gouverne- ment du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) au pouvoir. Début avril, le secré- taire général du parti de l’Istiqlal, Hamid Cha- bat, dans l’opposition, avait publiquement évo- qué l’affaire. « Le problème ? », soulignait le 15 avril l’agence de presse espagnole EFE : « Benkhaldoun était mariée et venait de divorcer, et certains, dont le secrétaire général du parti de l’Istiqlal, Hamid Chabat, ont trouvé des munitions politiques avec cette affaire, traitant même Choubani de “cou- reur de jupons” et de “briseur de ménage”. » M. Chabat accusait M. Choubani d’avoir séduit sa collègue alors qu’elle était encore mariée. Une clarification est venue le même jour du quotidien marocain arabophone Akhbar Al Yaoum. Citant des « sources proches », le journal explique que M. Choubani n’a été pour rien dans la séparation de sa promise, leur relation étant plus récente. Surtout, il annonce dans ses colonnes ses fiançailles : le ministre serait allé demander la main de sa collègue en présence – précision importante – de sa première épouse. Au-delà de cet étonnant feuilleton sentimen- tal, l’affaire a relancé l’épineux débat sur la poly- gamie au Maroc, officiellement peu répandue, mais toujours légale (jusqu’à quatre femmes). Depuis la réforme du code de la famille (la Mou- dawana), en 2004, les conditions ont été dur- cies : l’homme doit notamment obtenir l’auto- risation d’un tribunal, mais aussi de sa pre- mière épouse, pour prendre une nouvelle femme. Selon les chiffres du ministère de la jus- tice, les mariages polyga- mes n’ont représenté que 0,26 % de toutes les unions célébrées en 2013, soit moins de 800. « Dans le gouvernement marocain, le pourcentage monte à 6 % », notait non sans ironie l’agence EFE. Il s’agit en effet du deuxième ministre polygame au sein du gouvernement isla- miste modéré PJD, le minis- tre de la justice, Mustafa Ra- mid, ayant également deux épouses. Pas de quoi améliorer les relations entre le gouverne- ment et les associations de défense des droits des femmes, qui militent pour l’interdiction de la polygamie. En 2014, le premier ministre, Ab- delilah Benkirane, s’était attiré les foudres des militantes en louant « le rôle sacré » de la femme dans les foyers, les comparant à des « lustres » illuminant nos maisons. p charlotte bozonnet EN 2013, LES MARIAGES POLYGAMES N’ONT REPRÉSENTÉ QUE 0,26 % DES UNIONS, SOIT MOINS DE 800 En Libye, l’enfer migratoire Une jeune Erythréenne enceinte, dans une cellule collective pour femmes du centre de détention Kararim, à l’est de Misrata. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE » La faillite de l’Etat libyen a ouvert les vannes de l’émigration 300 à 700 migrants quittent chaque jour les côtes libyennes pour l’Europe Reportage à Misrata, parmi les réfugiés A l’arrivée, les immigrés sont de plus en plus mal acceptés : l’exemple de la Finlande LIRE PAGES 2 ET 3 PLANÈTE LE « GUARDIAN » S’ENGAGE CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT LIRE PAGE 5 par sylvie kauffmann M anuel Valls et François Rebsa- men vont tenter de relever un défi majeur : transformer l’échec de la négociation entre les syndi- cats et le patronat sur le dialogue social, le 22 janvier, en « progrès social ma- jeur », selon la formule du ministre du travail. C’est le but du projet de loi « rela- tif au dialogue social et au soutien à l’ac- tivité des salariés » que Le Monde s’est procuré, et que M. Rebsamen présen- tera au conseil des ministres du mer- credi 22 avril. Trois mois, jour pour jour, après cet échec, hautement symbolique au regard du renouveau que François Hollande a voulu impulser à la démocratie sociale, le texte proposé a fait l’objet d’une con- certation avec les partenaires sociaux et est soumis à l’avis du Conseil d’Etat. Dans son exposé des motifs, le minis- tre du travail, se fondant sur les 900 ac- cords de branche et les 36 000 accords d’entreprise conclus en 2014, affirme que « le dialogue social est au cœur de notre contrat social ». p michel noblecourt LIRE LA SUITE PAGE 6 Dialogue social : la loi Rebsamen s’efforce de ne fâcher personne « Le Monde » dévoile le contenu du texte que le ministre du travail présentera en conseil des ministres le 22 avril ILLUSTRATION PIERRE-JULIEN FIEUX - MILKWOOD Un bijou. ACTUELLEMENT UN FILM DE JAFAR PANAHI Le film du mois. STUDIO CINÉ LIVE Drôle, féroce, captivant. L’OBS Une pépite. ELLE Bouleversant. VERSION FÉMINA Un chef d’œuvre. Drôle et cocasse. LE MONDE Uneperlededrôlerie. LA CROIX Absolument exceptionnel. À voir d’urgence. LES ÉCHOS Du cinéma. Du grand, du beau, du fort. PARIS MATCH LE JDD Une merveille. TÉLÉRAMA Untourdeforce. METRO Fascinant. POSITIF

Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

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Le Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

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Page 1: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

Dimanche 19 - Lundi 20 avril 2015 ­ 71e année ­ No 21852 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

RÉFORME DU COLLÈGELA FIN TRÈS CONTESTÉE DES CLASSES BILANGUES → L IRE PAGE 8

NUCLÉAIRE : L’EPR EN DANGER DE MORT→ LIRE PAGE 24

ÉCONOMIELES START-UPDE LA SILICON VALLEY FLAMBENTLIRE CAHIER ÉCO PAGE 3

GÉNOCIDE AZNAVOUR :CENT ANS DE SOLITUDE POUR LES ARMÉNIENS→ LIRE PAGES 13 À 15

C’est une blague qui marchait très fort à l’époque où Bill Clin­ton était président des Etats­Unis : Hillary et Bill, en week­end dans leur fief de l’Arkansas, à Little Rock, s’arrêtent à une station d’essence. Au volant de sa décapotable, Bill regarde le pompiste s’agiter autour du ré­servoir, et dit à sa femme, dans un soupir d’autosatisfaction : « Tu vois, chérie, la chance que tu as ? Tu aurais pu épouser ce type au lieu de m’épouser moi ! » Hillary le regarde et lui répond : « Non, Bill, si je l’avais épousé, c’est lui qui serait président des Etats-Unis. »

L’an prochain, ce sera peut­être son tour, à elle. A 68 ans. Enfin ! Qu’elle réussisse ou non, la déclaration de candidature d’Hillary Clinton à l’investiture démocrate pour l’élection prési­dentielle de novembre 2016 marque la fin d’une époque : celle où les hommes étaient les candidats naturels au lea­dership, tandis que leurs fem­mes restaient cantonnées dans un second rôle, parfois crucial, mais inévitablement en retrait.

→ LIRE L A SUITE PAGE 24

La fin de la testostérone

CHRONIQUE

L’HISTOIRE DU JOUR Polygamie en série dans le gouvernement marocain

C ette fois, c’est officiel. Le ministre maro­cain des relations avec le Parlement, La­hbib Choubani, convolera bientôt en se­

condes noces avec sa collègue ministre délé­guée auprès du ministre de l’enseignement su­périeur, Soumia Benkhaldoun. « En secondes noces », non parce que M. Choubani a divorcé ou est veuf, mais parce qu’il est déjà marié.

L’affaire défrayait la chronique depuis desmois, la rumeur enflant sur l’existence d’une idylle entre ces deux membres du gouverne­ment du Parti de la justice et du développement(PJD, islamiste) au pouvoir. Début avril, le secré­taire général du parti de l’Istiqlal, Hamid Cha­bat, dans l’opposition, avait publiquement évo­qué l’affaire.

« Le problème ? », soulignait le 15 avril l’agencede presse espagnole EFE : « Benkhaldoun étaitmariée et venait de divorcer, et certains, dont le secrétaire général du parti de l’Istiqlal, Hamid Chabat, ont trouvé des munitions politiques aveccette affaire, traitant même Choubani de “cou-reur de jupons” et de “briseur de ménage”. » M. Chabat accusait M. Choubani d’avoir séduit sa collègue alors qu’elle était encore mariée.

Une clarification est venue le même jour duquotidien marocain arabophone Akhbar Al Yaoum. Citant des « sources proches », le journalexplique que M. Choubani n’a été pour rien dans la séparation de sa promise, leur relation étant plus récente. Surtout, il annonce dans ses colonnes ses fiançailles : le ministre serait allédemander la main de sa collègue en présence – précision importante – de sa première épouse.

Au­delà de cet étonnant feuilleton sentimen­tal, l’affaire a relancé l’épineux débat sur la poly­gamie au Maroc, officiellement peu répandue, mais toujours légale (jusqu’à quatre femmes).Depuis la réforme du code de la famille (la Mou­dawana), en 2004, les conditions ont été dur­cies : l’homme doit notamment obtenir l’auto­risation d’un tribunal, mais aussi de sa pre­mière épouse, pour prendre une nouvelle femme. Selon les chiffres du ministère de la jus­tice, les mariages polyga­mes n’ont représenté que 0,26 % de toutes les unions célébrées en 2013, soit moins de 800.

« Dans le gouvernementmarocain, le pourcentage monte à 6 % », notait non sans ironie l’agence EFE. Il s’agit en effet du deuxième ministre polygame au sein du gouvernement isla­miste modéré PJD, le minis­tre de la justice, Mustafa Ra­mid, ayant également deux épouses. Pas de quoi améliorer les relations entre le gouverne­ment et les associations de défense des droits des femmes, qui militent pour l’interdiction de la polygamie. En 2014, le premier ministre, Ab­delilah Benkirane, s’était attiré les foudres des militantes en louant « le rôle sacré » de la femme dans les foyers, les comparant à des « lustres » illuminant nos maisons. p

charlotte bozonnet

EN 2013,LES MARIAGESPOLYGAMES N’ONT REPRÉSENTÉQUE 0,26 % DES UNIONS, SOIT MOINS DE 800

En Libye, l’enfermigratoire

Une jeune Erythréenneenceinte, dans une cellule

collective pour femmesdu centre de détention

Kararim, à l’est de Misrata.SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »

▶ La faillite de l’Etatlibyen a ouvert lesvannes de l’émigration

▶ 300 à 700 migrants quittent chaque jourles côtes libyennespour l’Europe

▶ Reportage à Misrata, parmi les réfugiés

▶ A l’arrivée, les immigrés sont de plus en plus mal acceptés : l’exemple de la Finlande

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PLANÈTELE « GUARDIAN » S’ENGAGE CONTRELE RÉCHAUFFEMENT→ L IRE PAGE 5

par sylvie kauffmann

M anuel Valls et François Rebsa­men vont tenter de releverun défi majeur : transformer

l’échec de la négociation entre les syndi­cats et le patronat sur le dialogue social,le 22 janvier, en « progrès social ma-jeur », selon la formule du ministre du

travail. C’est le but du projet de loi « rela-tif au dialogue social et au soutien à l’ac-tivité des salariés » que Le Monde s’est procuré, et que M. Rebsamen présen­tera au conseil des ministres du mer­credi 22 avril.

Trois mois, jour pour jour, après cet

échec, hautement symbolique au regarddu renouveau que François Hollande avoulu impulser à la démocratie sociale, le texte proposé a fait l’objet d’une con­certation avec les partenaires sociaux etest soumis à l’avis du Conseil d’Etat.

Dans son exposé des motifs, le minis­

tre du travail, se fondant sur les 900 ac­cords de branche et les 36 000 accordsd’entreprise conclus en 2014, affirmeque « le dialogue social est au cœur de notre contrat social ». p

michel noblecourt

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Dialogue social : la loi Rebsamens’efforce de ne fâcher personne▶ « Le Monde » dévoile le contenu du texte que le ministre du travail présentera en conseil des ministres le 22 avril

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Lefilmdumois.STUDIO C INÉ L IVE

Drôle, féroce, captivant.L’OBS

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Bouleversant.VERSION FÉMINA

Un chef d’œuvre.Drôle et cocasse.

LE MONDE

Uneperlededrôlerie.LA CROIX

Absolument exceptionnel. À voir d’urgence.LES ÉCHOS

Du cinéma. Du grand, du beau, du fort.PARIS MATCH

LE JDD

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Fascinant.POSIT IF

Page 2: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

2 | international DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

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REPORTAGEfrédéric bobin

misrata (libye) - envoyé spécial

Plutôt mourir que retourner aupays. » Mohammed Abdi esttrès sérieux. Le jeune Somaliena côtoyé la mort, alors il con-naît la charge d’ombre desmots. Visage fin encadré d’une

capuche orange, menton piqué d’une touffede poils, il est assis sur une chaise sous le so-leil encore clément de Misrata et se souvient de la peur qui l’a noué quand le Zodiac a com-mencé à dériver, moteur cassé, au large des côtes de la Libye. C’était dimanche 12 avril,mer sans nuées et la Sicile si proche, l’avenir au bout de l’index. Le rafiot au caoutchouc bombé ne suivait pourtant plus que d’incer-tains courants.

Cent dix migrants étaient entassés sur ce ca-not sans fond conçu pour en contenir à peinele quart. Tous des Somaliens qui avaient payé 600 dollars (556 euros) pour la traversée. « Nous, les Somaliens, on préfère rester entre nous pour éviter les bagarres avec les migrantsd’autres pays », lâche Mohammed Abdi. Ce di-manche-là, il n’a pas fallu longtemps au jeuneSomalien pour comprendre qu’avec le mo-teur cassé, son rêve de Norvège s’était brisé. Lavedette des garde-côtes libyens a surgi et il ena été soulagé. Ce n’était qu’une première fois. Le voilà maintenant dans une école à la fa-çade vert pomme aménagée en centre de dé-tention pour migrants à la sortie est de Mis-rata, au cœur de cette Libye déchiquetée où s’affrontent les milices.

Qu’importe l’adversité, Mohammed Abdisait qu’il tentera à nouveau sa chance : « Pour moi, retourner en Somalie, avec son in-sécurité et sa pauvreté, n’est pas envisageable.Je réessaierai de partir en Europe. Plutôt mou-rir que de renoncer… » Alors, oui, si on le ren-voie chez lui, il est prêt à recommencer sonpériple de trois mois, « caché d’endroits enendroits », « embarqué dans des grosses voi-tures » sans même apercevoir des « passeurs qui changent à chaque étape ». Irrésistible courant ? Sur la seule journée du dimanche 12 avril, les garde-côtes de Misrata ont inter-cepté 250 candidats à l’émigration vers l’Eu-rope, Africains subsahariens dans leur écra-sante majorité.

CHIFFRES RECORDSAvec le retour du beau temps en Méditerra-née, les départs s’intensifient et les drames en mer se multiplient. Le chaos qui règne le long de la côte de la Tripolitaine, où se con-centre l’essentiel des départs de puis l’Afri-que du Nord, expose de manière crue le défi migratoire que pose désormais à l’Europe une Libye à l’Etat failli. Après des chiffres re-cords en 2014 – autour de 170 000 arrivées enItalie –, la courbe s’envole depuis le début de l’année. « Avec le beau temps, on dénombreen ce moment entre 300 et 700 migrants qui quittent la Libye par jour », estime un officierde renseignement de la coalition de milices qui contrôle Misrata.

Les lieux de la Tripolitaine d’où les esquifsprécaires prennent la mer sont connus : Zouara, Sabratha, Zaouïa, Garabulli, Al-Khoms, Zliten, points d’aboutissements desroutes méridionales traversant le Sahara. Et pour les contrôler, l’administration fantôme d’un pays en guerre ne dresse plus qu’une fiction de barrière. Le lieutenant-colonel Taufik Alskir soupire. Il arpente les quais duport de Misrata mouillés d’une mer d’huile.

Sur le béton ébréché s’étale le Zodiac dégon-flé saisi dimanche. On peine à imaginerqu’une centaine de personnes ont pu y pren-dre place. Trois d’entre elles sont tombées àl’eau et se sont noyées au moment où la ve-dette du lieutenant-colonel Alskir a arrai-sonné le canot en proie à l’agitation.

Le chef adjoint des garde-côtes soupiredans sa barbe poivre et sel car il ne sait plus comment faire. « Je n’ai aucun soutien dugouvernement, se lamente-t-il. Sans aide, jene peux rien faire pour lutter contre l’émigra-tion illégale. » Son arsenal se résume à deux vedettes – l’une à Misrata, l’autre à Al-Khoms– pour les 600 km de côtes qui relèvent de sacompétence territoriale.

Et la maintenance des bâtiments est deve-nue, à l’en croire, un véritable cauchemar de-puis l’éclatement de la guerre en 2014 et la di-vision du pays en deux gouvernements ri-vaux, l’un basé à Tripoli (ouest) et l’autre àBayda (est). Un contrat avait ainsi été signé avec l’Italie pour la réfection de quatre vedet-tes, mais Rome n’a toujours pas restitué les bâtiments en raison de la confusion politi-que ambiante.

Pour souligner son impuissance, le lieute-nant-colonel Alskir lâche cette abrupte confi-dence : « Vous voyez, si je prends la mer main-tenant, je suis sûr de croiser un ou deux ba-teaux de migrants. » Mais il ne prend pas sisouvent la mer avec ces deux pauvres vedet-tes pour 600 km. Le chiffre de dix à quinze embarcations de migrants quittant la Tripo-litaine par semaine ne lui semble « pas im-possible ».

La Libye, bombe migratoire pour l’Europe ?A Tripoli, siège du gouvernement de l’Ouest libyen auquel est affilié Misrata, les officiels

appellent à l’aide. « L’Europe doit prendre sa part du fardeau, la Libye ne peut pas en sup-porter le poids toute seule », a imploré le14 avril lors d’une conférence de presse so-lennelle à Tripoli Mohammed Abou Al-Khair, le ministre du travail. Depuis que les ambassades ont quitté la capitale en 2014 pour se relocaliser en Tunisie voisine, en at-tendant que se règle la crise de légitimité en-tre les deux pouvoirs rivaux, toute la coopé-ration internationale sur la question migra-toire en Libye s’est grippée.

AGRESSIVITÉ INÉDITELe réseau diplomatique qui permettait le ra-patriement vers leurs pays d’origine des mi-grants interceptés ne fonctionne plus qu’au ralenti. Les demandes de prise en charge doi-vent désormais être adressées par Tripoli aux ambassades africaines rapatriées à Tu-nis, allongeant d’autant les délais. « L’ambas-sade du Sénégal coopère, témoigne SalahAboudabous, le directeur du centre de dé-tention de Misrata. Mais les ambassades deSomalie et d’Erythrée sont les plus difficiles d’accès. »

En attendant, les centres de détention en Li-bye se remplissent dans des conditions d’ex-trême précarité. Dans l’ouest du pays – prin-cipal foyer de départs – environ 20 000 mi-grants ont été arrêtés depuis le début de l’an-née. A Misrata, la détresse des détenus est palpable. Hommes et femmes sont entassés, sans séparation stricte, dans des salles exi-guës au sol dur jonché de quelques couvertu-res, linge séchant aux fenêtres. L’eau est cou-pée à partir de 17 heures. « Nous sommes en-fermés là et nous ne savons pas pour combiende temps, grince le jeune Somalien Moham-med Abdi. Il y a déjà trois cas psychiatriques,des personnes qui se parlent à elles-mêmes.J’ai peur de devenir fou ici. J’ai peur de faire unebêtise et qu’on me tire dessus. »

Cette impuissance d’un Etat libyen fracturéa une autre conséquence : elle ouvre de nou-veaux espaces aux réseaux criminels pros-pérant sur le trafic des êtres humains. De l’avis de nombreux observateurs, ces der-niers font preuve d’une agressivité inédite. Al’image des milices qui font la loi alentour, ilss’arment pour s’ouvrir des accès à l’écart des principaux axes routiers devenus trop aléa-toires. « L’équipement en armes des contre-bandiers est un phénomène nouveau depuis un an », note le directeur du centre de déten-tion de Misrata.

Dans ce contexte, la crainte de voir desgroupes djihadistes faire la jonction avec lesréseaux de passeurs n’est plus une simple hypothèse. Elle alarme de plus en plus lesEuropéens. A Misrata, un officier de rensei-gnement n’écarte pas cette perspective,même s’il n’est pas en mesure d’en fournir des indications tangibles. « Il y a une straté-gie des djihadistes d’utiliser les migrants pour déstabiliser l’Europe, croit-il savoir. Ils tra-vaillent sur le long terme. » p

« POUR MOI, RETOURNER

EN SOMALIE N’EST PAS ENVISAGEABLE.JE RÉESSAIERAI DE PARTIR EN EUROPE.

PLUTÔT MOURIR QUE DE RENONCER… »

MOHAMMED ABDI

migrant somalien réfugié à Misrata

La Libye, bombe migratoire au sud de l’Europe

La faillite de l’Etat libyen, déchiré par les rivalités entre milices, fait le jeu des passeurs de migrants d’origine subsaharienne

Le 16 avril à Kararim, dansun centre de détention pour migrants situé à 40 km à l’est de Misrata, en Libye.SAMUEL GRATACAP

POUR « LE MONDE »

Obama et Renzi plaident pour la stabilité

La crise de l’immigration clandestine en Méditerranée ne pourra être résolue sans stabilisation de la situation en Libye, ont déclaré, vendredi 17 avril, Matteo Renzi et Barack Obama. « La seule solu-tion aujourd’hui est la paix [en Libye] et la stabilité des institutions », a expliqué le président du conseil italien depuis la Maison Blanche. De son côté, Barack Obama a souligné que la seule réponse crédi-ble sur le long terme était d’avoir un gouvernement « qui contrôle ses frontières et travaille avec nous ». « Nous ne pourrons pas résou-dre le problème avec quelques opérations militaires », a-t-il ajouté. Le président américain recevra, mi-mai, les dirigeants du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar) pour évoquer le dossier libyen.

300 km

Misrata

Tobrouk

LIBYE

Benghazi

ZouaraAl-Khoms

Tripoli

Mer

MéditerranéeTUNISIE

NIGER

ALGÉRIE

TCHAD

ÉGYPTE

Page 3: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 international & europe | 3

En Finlande, scènes de racisme ordinaireLe parti des Vrais Finlandais attise le rejet des migrants à Lieksa

REPORTAGElieksa (finlande) - envoyé spécial

Ishaq Gulled fait la visitecomme s’il habitait là depuistoujours. A gauche de la rueprincipale, la compagnie de

taxi qui a osé embaucher le pre-mier chauffeur de taxi noir de l’histoire de la ville, à droite, le su-permarché, centre névralgique de cette petite commune finlandaise perdue de l’est du pays. Le premier hôpital est à plus de 100 kilomè-tres d’une route cahoteuse, Hel-sinki a plus de 500 kilomètres, la frontière russe à moins de 60. Bienvenue à Lieksa, 12 000 habi-tants, devenue célèbre dans toute la Finlande pour ses migrants so-maliens et leur sort peu enviable.

Depuis qu’Ishaq Gulled, 26 ans,et 300 autres Somaliens sont ve-nus s’installer à Lieksa – entre 2009 et 2012 –, les actes racistes se multiplient. Voitures endomma-gées ou incendiées, insultes : la po-lice a identité au moins 15 actes ra-cistes en 2014. « Il y a même des gens qui nous jettent des pierres. Dans le bus, certains changent de place quand on s’assoit à côté d’eux », assure Mohamed Hersi, le représentant de la communauté somalienne.

Le premier chauffeur de taxi so-malien a même été violemment agressé en novembre, quelques se-maines après avoir été embauché. Désormais terrorisé, Abdi, 23 ans, assure vouloir finir sa formation d’électrotechnicien au plus vite.

« Je ne veux pas rester ici, c’est trop dangereux », explique-t-il, an-goissé et à voix basse, dans un cafédu centre-ville. Son agresseur, con-damné en février à quatre mois de prison avec sursis pour agression raciste, est toujours à Lieksa.

« Il y en a trop et ils sont arrivéstrop vite. Ils ne peuvent pas avoir detravail ici, il n’y en a déjà pas assezpour nous ! », proclame Ulla, 57 ans, éducatrice pour handica-pés, pour expliquer un tel rejet. Avec la crise du papier et de l’agri-culture, 19 % de chômage, Lieksa est une ville en déclin démogra-phique depuis plus de trente ans. Dans le hall derrière elle, une di-zaine de retraités tuent le temps. La plupart n’avaient jamais vu de Noirs avant 2009. « En plus, les So-maliens ne parlent pas finnois et il ya trop de différences culturelles. Re-gardez leurs femmes qui restent à lamaison à faire beaucoup d’en-fants », s’emporte Ulla.

Les Somaliens disent être arrivésà Lieksa car, une fois leur situation régularisée, les autorités finlandai-ses leur ont recommandé cette commune où il y a tant de loge-ments vides, mais si peu d’em-plois. Le système social finlandais prend en charge quasiment toutes les dépenses quotidiennes des mi-grants. En échange, ils doivent s’engager à suivre des cours de lan-gue et une formation qualifiante.

Si les services sociaux ont été audébut débordés par l’arrivée sur-prise des migrants, l’Etat finlan-dais donne chaque année environ

gne », raconte Tero Oinonen, le chef des services sociaux, qui dit travailler dans une « atmosphère particulièrement stressante. Quel-qu’un de l’intérieur de nos services leur donne des informations per-sonnelles sur les migrants, mais nous n’avons jamais pu le prouver formellement ».

Intégration précaire

Le racisme est alimenté par le lea-der local du parti populiste des Vrais Finlandais, Esko Saastamoi-nen, qui a obtenu 8 des 35 sièges duconseil municipal en 2012. M. Saastamoinen, qui ne souhaite plus parler à la presse, a notam-ment fait l’objet d’une procédure judiciaire classée sans suite pour avoir refusé d’utiliser la même salle que des associations de So-maliens. Le leader national des Vrais Finlandais, Timo Soini, qui a policé son discours, refuse pour autant de condamner les dérapa-ges de M. Saastamoinen, qui se présente aux législatives : « Je ne

commente pas les cas individuels. Jesuis un chef de parti, il est un con-seiller municipal d’une commune isolée en Finlande. »

Si la police et les services sociauxassurent que la situation s’amé-liore, l’intégration des Somaliens semble encore très précaire. « Pourtravailler, il faut obtenir des diplô-mes qui nécessitent au moins trois ans d’études et parler très bien fin-nois, même pour être électricien », explique Ishaq Gulled, un des raresSomaliens à avoir trouvé un travail– il assiste des chercheurs qui mè-nent une étude sur l’intégrationdes Somaliens à Lieksa. « Personnen’a voulu embaucher les chauffeurs de bus qui ont obtenu leur diplôme cet automne, ils sont presque touspartis à Helsinki pour trouver du travail », dénonce-t-il. Près d’une centaine de Somaliens auraient déjà quitté la ville, accusés tout à lafois de ne pas travailler et de vou-loir voler le travail des Finlan-dais. p

jean-baptiste chastand

Ishaq Gulled, un des rares Somaliens ayant trouvé du travail à Lieksa, avec un candidat du centre aux législatives. J. ARTIKA POUR « LE MONDE »

Matteo Renzi se heurte aux résistances de la base régionale de son partiLe président du conseil italien a du mal à imposer un renouvellement des figures locales du PD

rome - correspondant

P our le premier ministreMatteo Renzi, l’Italie estcomme la Gaule des al-

bums d’Astérix : tout est pacifiésauf… Le retour de la croissance seprécise, la formation qu’il dirige,le Parti démocrate (PD, centregauche), est donnée gagnante des élections régionales et municipa-les partielles qui auront lieu le31 mai. Il est en passe de faire voterla très attendue réforme du mode de scrutin. Il rentre de Washing-ton, où il a parlé presque d’égal à égal avec Barack Obama, sonidole. Mais, çà et là, de petits villa-ges résistent.

Prenons Ercolano, par exemple,où le président du conseil était at-tendu samedi 18 avril pour une vi-site sur le site archéologique. Cette petite ville de la banlieue de Naples est le théâtre d’une révolte.Alors que le maire et son adjoint viennent d’être mis en examenpour « corruption », les militants occupent le siège du PD pour pro-tester contre la désignation, im-posée par les instances nationalesdu parti, de celui qui portera leurscouleurs aux municipales.

Le cas n’est pas isolé. Un peu par-tout, la base locale se rebelle etprofite des élections primaires

pour voter contre les indications du pouvoir central. A Giugliano, près de Naples également, les ins-crits ont choisi pour candidat à la mairie un homme renvoyé en ju-gement pour « association à la dé-linquance ». Idem à Enna (Sicile).Le vainqueur plastronne : « J’aurais même gagné au tirage au sort. » A Syracuse, ils ont carré-ment porté à la candidature unpoliticien qui quelques joursauparavant avait été reçu par Sil-vio Berlusconi. Chaque fois, le ré-sultat de la consultation interne a été annulé.

« Les sections locales sont demoins en moins contrôlées par le sommet, explique le politologue Pierro Ignazi. En échange de cette autonomie, elles laissent les mains libres au gouvernement, qui peut ainsi proposer ses réformes sans réelle opposition interne. Mais ainsile fossé entre le centre et la périphé-rie s’accentue de plus en plus. »

Brèche

Tout a commencé début févrieravec la victoire de Vincenzo DeLuca, lors des primaires pour la présidence de la région Campa-nie. Malgré les réticences de M. Renzi, celui-ci, très populaire, amaintenu sa candidature, bien qu’il ait été condamné en pre-

mière instance pour « abus de pouvoir ». S’il était élu, la loi lecontraindrait à démissionner im-médiatement. « De Luca a ouvertune brèche, explique VenanzioCarpentieri, responsable local duPD. Sa désignation aurait dû êtreinvalidée pour ne pas prêter leflanc aux critiques. »

Les choses ne se passent pasbeaucoup mieux au Nord. Raf-faella Paita, candidate de la gauchepour la région Ligurie, vient d’être mise en examen pour avoir tardé à donner l’alerte lors des inonda-tions de l’automne 2014, alors qu’elle était conseillère régionale en charge de la protection civile. M. Renzi lui maintient sa con-fiance, mais la minorité du PD vo-tera pour un candidat dissident.

Parallèlement, le PD apparaît defaçon désormais régulière dansles scandales politico-financiers

qui rythment la vie institution-nelle de la Péninsule. Alors que la section romaine du parti est misesous tutelle de la direction natio-nale, que la maire de Venise a dûdémissionner à la suite de son im-plication dans le scandale de la construction de la digue géante, c’est au tour de la commune d’Os-tie d’être « dissoute » pour collu-sion avec la Mafia. A Ischia, dans legolfe de Naples, la maire est enprison pour avoir été corrompue par une société coopérative pro-che de la gauche, désireuse des’accorder ses bonnes grâces…

Jusqu’à présent, M. Renzi s’estpeu exprimé sur ces scandales, en-voyant ses collaborateurs pour colmater les brèches et ramener un peu d’ordre dans son parti. In-terrogé dans l’hebdomadaire L’Es-presso, Antonio Bassolino, ex-maire de Naples et ancien prési-dent de Campanie, avance une ex-plication : « Il y a une contradictionprofonde entre le PD à Rome et le territoire, entre Renzi et la classe di-rigeante locale. Mais comment, comme premier ministre, peut-il se colleter avec les questions loca-les ? » Peut-être en commençant par faire un saut à la section du parti à Ercolano ? L’adresse est sur Internet. p

philippe ridet

« Le fossé entre

le centre et

la périphérie

s’accentue

de plus en plus »

PIERRO IGNAZI

politologue

deux millions d’euros à la ville pour soutenir leur intégration. Un montant loin d’être négligeable pour une commune aux finances serrées, vante le maire social-dé-mocrate de la ville, Ari Marjeta. Legrand centre de formation protes-tant installé dans la commune, qu’il dirigeait auparavant, aurait probablement également déjà fermé sans ces cours de langue. « L’arrivée des migrants a permis decréer au moins 50 emplois », se féli-cite Ari Marjeta, qui assure tou-jours soutenir cette immigration, malgré le rejet exprimé jusqu’au sein de son parti.

Cette ambiance délétère est en-tretenue par de mystérieux « cor-beaux » qui répertorient sur Inter-net les noms des travailleurs so-ciaux ou publient des photos pri-ses dans la rue de Somaliens avec leurs voitures. « Certains ont même récupéré des reçus de retrait de carte bleue de migrants dans les poubelles près des distributeurs automatiques pour les mettre en li-

L’HISTOIRE DU JOUR Les islamistes font reculer Alger sur la vente d’alcool

I n vino veritas ! » en latin. Traduction en algérien : le poidsdes islamistes se mesure dans la bouteille de vin. La bou-tade, un peu désabusée, a été entendue ces derniers jours

en Algérie après la décision, mardi 14 avril, du premier ministreAbdelmalek Sellal de « geler » une mesure de libéralisation de l’activité du commerce de gros de boissons alcoolisées. Un désa-veu clair pour le ministre du commerce, Amara Benyounès, àl’origine de cette mesure, et durement attaqué, depuis, par les religieux officiels et les islamistes.

Des manifestations avaient été prévues le vendredi 17 avril àl’issue de la prière hebdomadaire pour dénoncer la mesure. Lestélévisions privées avaient fait monter la pression en invitant tous ceux qui étaient hostiles à la libéralisation de la vente du vin, « mère de tous les vices », à y participer. Depuis plusieurs semaines, le projet faisait l’objet d’attaques en règle de la partdes religieux traditionnels mais aussi des islamistes salafistes.

Sur Ennahar TV, une chaîne pro-Bouteflika, un prêcheur connu, Che-messedine, a accusé M. Benyounèsde livrer une « guerre contre Allah »,d’œuvrer à mettre l’Algérie entre lesmains du « lobby sioniste (…). Après levin, l’OMC va exiger de libéraliser lavente du porc et après elle demanderade libéraliser la prostitution ». Des ac-cusations fallacieuses, mais à l’im-pact réel. Amara Benyounès s’est re-trouvé bien isolé.

Seule l’Association des producteurs algériens de boissons(APAB) l’a défendu en relevant qu’il n’avait fait qu’abroger une disposition prise de manière « illégale » par son prédécesseur. En 2006, le ministre du commerce de l’époque, l’islamiste Ha-chemi Djaaboub, avait institué une autorisation préalable pour l’activité du commerce de gros des boissons alcoolisées. La dis-position donnait toute latitude aux walis (préfets). Une prohibi-tion de fait, aucun wali ne prenant le risque de faire usage decette « latitude ». Pour beaucoup d’analystes, le recul du gouver-nement est une victoire des islamistes et des conservateurs. p

amir akef

(alger, correspondance)

« APRÈS LE VIN, L’OMC VA EXIGER DE LIBÉRALISER LA VENTE DU PORC »CHEMESSEDINE

prêcheur

LE CONTEXTE

VRAIS FINLANDAISCréé en 1995, le parti populiste des Vrais Finlandais est au cou-de-à-coude dans les sondages avec le parti conservateur du premier ministre, Alexander Stubb, derrière le Parti du cen-tre, grand favori des élections lé-gislatives du dimanche 19 avril.

DISCOURS POLICÉCe parti, dirigé par le tribun Timo Soini, a tenté de policer son discours et assure être prêt à rentrer dans un prochain gou-vernement de coalition pour la première fois de son histoire.En 2011, le parti avait réalisé une percée surprise en axant son programme sur son opposition à l’immigration et au soutien à la Grèce.

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4 | international DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

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Izzat Al-Douri, le « roi de trèfle », donné pour mortRecherché depuis 2003, l’ancien bras droit de Saddam Hussein est un allié de poids de l’Etat islamique en Irak

Plusieurs fois, Izzat Ibra-him Al-Douri a été donnépour mort. Malade, tra­qué, l’ancien bras droit

du dictateur Saddam Hussein est un trophée que beaucoup se dis­putent : le plus haut dignitaire de l’ancien régime encore en cavale et le « roi de trèfle » du jeu de cartespublié par l’armée américaine après l’invasion de 2003. Washing-ton a promis 10 millions de dollars(9,25 millions d’euros) pour sa cap-ture « mort ou vif ». Sa valeur sym-bolique a été décuplée par son rôlede principal allié de l’Etat islami-que (EI), au moment de la prise de Mossoul, la deuxième ville d’Irak, en juin 2014. Vendredi 17 avril, sa mort a été une nouvelle fois an-noncée par Bagdad. Un test ADN doit la confirmer.

Lors d’une opération menée parl’armée irakienne et les milices chiites de la mobilisation popu-laire (MP) dans les montagnesd’Hamrine, à l’est de Tikrit,« douze terroristes ont été tués, parmi lesquels Izzat Al-Douri », aannoncé vendredi le gouverneurde la province de Salaheddine,Raed Al-Joubouri. Hadi Al-Ameri, le commandant de la milice Badr, fer de lance de la MP, a confirméque « l’un des corps a les traits de Douri ». « J’ai vu le corps, a ren-chéri le général Abdoul Amir Al-Zaidi, il est certain à 95 % qu’il s’agit de celui d’Izzat Al-Douri. » L’homme a été tué lors d’une opé-ration près d’Al-Alam, à quatre ki-lomètres de Tikrit, où les forcespro-gouvernementales traquentencore des résidus djihadistes,deux semaines après la libérationde l’ancien fief de Saddam.

Au vu du physique peu com-mun d’« Izzat le Rouge », certains estiment que le doute n’est pas permis. Le gouvernement a dif-fusé des photos de la dépouille d’un homme d’âge avancé, au teint laiteux et à la barbe rousse.Le chef du conseil provincial de Salaheddine, Ahmed Kraim, a toutefois instillé le doute, indi-quant que des agents des services secrets qui pistent ses déplace-

ments ne pensent pas qu’il s’agisse de lui. En 2013, le gouver-nement avait déjà cru l’avoir ar-rêté, faisant circuler des photos d’un homme lui ressemblant,avant d’admettre qu’il y avait er-reur sur la personne. Le corps a ététransféré à Bagdad.

L’armée et les milices chiites sedisputent déjà les lauriers de lamort de cet homme au destin hors norme. Né en 1942 dans une famille modeste du village d’Al-Dour, près de Tikrit, Izzat Al-Douris’est lié, pour le meilleur comme pour le pire, à Saddam Hussein. De cinq ans son cadet, il en est le plus fidèle compagnon de route dès sa rencontre au sein d’une cel-lule clandestine du parti Baas à la fin des années 1950. Ensemble, ils ont porté Ahmed Hassan Al-Bakret le parti Baas au pouvoir par lecoup d’Etat du 30 juillet 1968. Quand Saddam Hussein renverse Al-Bakr en 1979, il nomme Al-Douri vice-président du Conseil de commandement de la révolu-tion (CCR), l’organe directeur duparti Baas.

Basses besognes

Izzat Al-Douri avait marié sa fille, Hewazin, à Oudaï, le fils aîné de Saddam Hussein, et inséré les membres de son clan au sommet de l’Etat. Tous sont issus de la confrérie soufie Nakshabandi, une communauté puissante dans les régions de Kirkouk et de Mos-soul qui cultive la tradition du se-cret. Izzat Al-Douri se fait l’hommedes basses besognes et organise la répression contre les opposants, tout en échappant à toutes les pur-

véritable fortune amassée au pou-voir et dans le trafic de pétrole or-ganisé avec les fils du président sy-rien Hafez Al-Assad, Izzat Al-Douriregroupe une armée fantôme sous la bannière de « l’armée de la voie du Nakshabandi » pour dé-fendre la minorité sunnite contre les nouvelles autorités chiites. Cette force réunit, selon les ex-perts, entre plusieurs centaines et 5 000 combattants, dont de nom-breux officiers baasistes de l’ar-mée de Saddam Hussein. En dépit du fossé idéologique qui les sé-pare d’Al-Qaida, ils s’allient dans larésistance contre les Américains.

Jamais capturé, le numéro sixdu jeu de cartes américain réap-paraît en juin 2014 aux côtés de

l’Etat islamique, que celui-ci quali-fie de « héros » dans une vidéo en juillet. Le groupe djihadistecompte en effet nombre de cadresbaasistes, qui lui ont apportécompétence militaire, connais-sance du terrain, sens de l’organi-sation et ancrage local. Dix an-nées de résistance à l’occupation américaine les ont rompus à la guerre asymétrique. Izzat Al-Douri fait profiter l’EI de ses ré-seaux de contrebande de pétrole.

Cette alliance lui vaut d’être épin-glé comme l’un des cerveaux de l’EI en Irak. La réalité est plus contrastée. « A la chute de Mossoul,il a soutenu Daech [acronyme arabe de l’EI] au nom de la révolu-tion contre l’occupation safavide

(iranienne) mais ensuite, des dis-sensions se sont fait jour », analyse Hosham Dawood, spécialiste de l’Irak au CNRS. Les Nakshabandi ont critiqué les exactions de l’EI contre les minorités religieuses et l’exécution du pilote jordanien Moaz Al-Kassasbeh. « Al-Douri estparfois en délicatesse avec l’EI etavec d’autres groupes baasistes. Ily a pu avoir des confrontationsdans la région entre Kirkouk et Sa-laheddine et au sud-est de Mos-soul », indique M. Dawood.

Traqué, Izzat Al-Douri continuaitde circuler entre ces régions où vi-vent certaines de ses épouses, ac-compagné de ses fils, les seuls en qui il avait encore confiance. p

hélène sallon

Izzat Ibrahim Al-Douri, en mars 2003, à Bagdad. KARIM SAHIB/AFP

ges de Saddam Hussein, de plus enplus paranoïaque. Avec « Ali le chi-mique », Al-Douri mène à la fin des années 1980 les opérations quituent plus de 180 000 Kurdes. Un mandat pour crime de guerre est lancé contre lui en 1999. Il échappede peu à l’arrestation lors d’une hospitalisation à Vienne, en Autri-che. Cardiaque, souffrant d’hyper-tension, l’homme frêle souffrait aussi d’un cancer.

Au moment de l’invasion améri-caine, en 2003, il est vice-prési-dent et commandant en chef ad-joint des forces armées. Entré enclandestinité, il prend les rênes duparti Baas après la mort de Saddam Hussein, exécuté le 30 décembre 2006. A la tête d’une

L’armée et

les milices chiites

se disputent

déjà les lauriersde la mort de cethomme au destin

hors norme

UKRAINEMoscou condamne l’envoi de parachutistes américainsTrois cents parachutistes américains sont arrivés en Ukraine pour entraîner des soldats de la Garde nationale dans l’ouest du pays, a an-noncé, vendredi 17 avril, l’ar-mée américaine. Moscou a critiqué cette initiative qui « déstabilise sérieusement la situation ». – (AFP.)

CAMEROUNLes islamistes de Boko Haram attaquent deux villagesAu moins dix civils ont été tués dans la nuit de jeudi 16 à vendredi 17 avril au Came-roun dans le village de Bia (Nord) lors d’une attaque de Boko Haram. Les islamistes nigérians ont aussi pris pour cible une position de l’armée camerounaise à Amchidé, frontalier du Nigeria. – (AFP.)

Lourde condamnation pour la journaliste Gao YuLa peine de 7 ans de prison contre l’opposante confirme le raidissement du pouvoir chinois

shanghaï - correspondance

U ne cour de justice de Pé-kin a condamné, ven-dredi 17 avril, à sept ans

de prison la journaliste Gao Yu, dernière illustration de l’offensivecontre les milieux libéraux sous la présidence de Xi Jinping. Gao Yu, 71 ans, déjà emprisonnée deuxfois dans le passé, était accusée dedivulgation de secrets d’Etat pour avoir transmis à un média dissi-dent installé à l’étranger une di-rective du Parti communiste chi-nois (PCC) concernant la mise aupas de la société civile.

Washington a appelé à sa libéra-tion vendredi soir. L’Union euro-péenne a demandé une révision immédiate du dossier. Les orga-nisations de défense des droitsde l’homme Amnesty Internatio-nal, Human Rights Watch et Re-porters sans frontières ont dé-noncé la sentence.

Gao Yu a été arrêtée il y a un an.Son entourage s’était inquiété desa disparition après qu’elle a man-qué une réunion où devait être évoquée la répression du mouve-ment de Tiananmen.

Son procès s’était déroulé ennovembre 2014 devant la troi-sième cour intermédiaire de la ca-pitale, mais le verdict avait été misen délibéré. Dès le mois de mai 2014, le réseau de télévision d’Etat, CCTV, avait diffusé le pas-

sage aux aveux de Mme Gao en dé-tention. Elle exprimait ses re-mords pour être allée « à l’encon-tre des intérêts de la nation », di-sant accepter la condamnation à laquelle elle était promise.

La transmission au journal télé-visé de confessions de personna-lités critiques, obtenues par la po-lice dans des conditions floues, est devenue pratique courante de-puis que M. Xi est au pouvoir.

Ambiguïté

Le président chinois promet de renforcer l’Etat de droit, tentant de répondre ainsi à une exigence d’un peuple fatigué des abus desofficiels, mais sans toucher à la suprématie du Parti et de ses inté-rêts. L’ambiguïté, voire l’incom-patibilité, est résumée par la for-mule « Etat de droit socialiste aux caractéristiques chinoises ».

Dans les faits, la campagne encours contre les militants est l’une des plus dures que la Chineait connues ces dernières décen-nies. Ses soutiens jugent que Gao Yu n’a avoué que par inquiétude pour son fils, placé lui aussi un temps en détention.

D’autres éléments de procédurepénale n’ont pas été respectés, parmi lesquels l’exigence de ren-dre un verdict sous trois moisaprès les audiences. « Ce procès n’a pas été équitable », dénonçait vendredi soir par téléphone l’un

de ses avocats, Mo Shaoping.La journaliste avait été condam-

née une première fois à la suite des événements du 4 juin 1989, alors qu’elle était vice-rédactrice en chef d’une publication laissantla parole aux intellectuels appe-lant aux réformes, L’Hebdoma-daire de l’économie. Elle avait été libérée un peu plus d’une année plus tard en raison de problèmes de santé. De nouveau jugée en 1994, condamnée à six ans de réclusion, elle avait recouvré la li-berté cinq ans plus tard, toujoursen raison de son état physique. Mme Gao souffre de problèmes cardiaques, selon son avocat.

Les magistrats l’ont cette fois-cijugée coupable d’avoir transmis au groupe de médias dissident installé aux Etats-Unis Mingjing (littéralement « le miroir », groupe qui gère une maisond’édition et un site Web), une di-rective émise en 2013 par les diri-geants du PCC, et ce, au moyen dulogiciel Skype.

Elle mettait en garde ses hautscadres contre la démocratie cons-titutionnelle, les valeurs univer-selles, la société civile, l’historio-graphie faisant état des erreursdu parti unique ou encore la li-berté de la presse, que le Parti dé-nonce comme les chevaux de Troie de l’Occident.

« Nous ne devons pas permettrela dissémination d’opinions s’oppo-

sant à la théorie du Parti ou à sa li-gne politique, la publication de vues contraires aux décisions qui représentent la vision des diri-geants centraux, ou la diffusion de rumeurs politiques diffamant le Parti ou la nation », lit-on notam-ment dans cette directive. Le fon-dateur de Mingjing, Ho Pin, a nié auprès de l’agence Reuters avoir reçu de Mme Gao ce texte, baptisé « document 9 ».

Contrôle idéologique renforcé

Depuis son accession au poste de secrétaire général du Parti com-muniste à l’automne 2012, XiJinping multiplie les efforts pour renforcer le contrôle idéologiquedu pouvoir sur la société et fairetaire les voix critiques.

L’avocat Pu Zhiqiang, qui a no-tamment défendu l’artiste Ai Weiwei, est en détention depuis lemois de mai 2014. Il attend son procès. Le professeur ouïgour (une ethnie turcophone musul-mane du nord-ouest de la Chine)Ilham Tohti a été condamné à la prison à perpétuité en septembre.

Gao Yu est restée calme à l’an-nonce de sa peine. « Elle n’a mon-tré ni colère ni panique. En quittantla salle, elle a dit qu’elle ferait ap-pel », a déclaré M. Mo. En incluant l’année déjà écoulée depuis sonarrestation, Mme Gao devrait sor-tir à l’âge de 77 ans. p

harold thibault

JEAN-FRANÇOIS MARTINSadjoint à la Mairie de Paris en charge des Sports et du Tourisme

etBERNARD LAPASSETprésident du Comité Français du sport international

répondent aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),

Sophie Malibeaux (RFI), Stéphane Mandard (Le Monde).

Diffusion sur les 9 chaînes deTV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr

Cedimanche à 12h10

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0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 planète | 5

« Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le climat »Alan Rusbridger, le patron du « Guardian », engage le quotidien britannique dans la lutte contre le réchauffement

ENTRETIEN

Le quotidien britanniqueThe Guardian est associédepuis mars avec l’ONG350.org dans la campagne

« Keep it in the Ground » (« Lais­sez­le sous terre »), visant au « dé­sinvestissement » dans les éner­gies fossiles. Le Guardian Media Group, qui dispose de 1,1 milliard d’euros d’actifs, a lui­même an-noncé début avril qu’il commen-çait à se débarrasser de ses partici-pations dans l’industrie des com-bustibles fossiles. Alan Rusbridger,le directeur du Guardian, qui quit-tera le quotidien cet été pour pren-dre la présidence du trust proprié-taire du titre, détaille au Monde la genèse de cet engagement.

Pour quelles raisons « The Guardian » mène-t-il campa-gne pour renoncer à l’exploita-tion des réserves d’énergies fossiles ?

Tout a débuté à Noël 2014, lors-que j’ai réalisé que j’allais quitter mes fonctions. Quand vous vousapprêtez à partir d’une institu-tion incroyable comme le journal The Guardian, après deux décen-nies passées à sa tête, vous vous demandez ce que vous avez raté.Non que je regrette la couvertureque nous avons faite jusqu’ici del’environnement. Mais si l’on pense à ce qui restera dans l’His-toire, le changement climatiqueest la plus grande « story » de no-tre époque. Or jusqu’à présent, elle n’avait fait que très rarementla « une » du Guardian.

J’ai été frappé aussi par ma ren-contre avec Bill McKibben [ fonda-teur du mouvement 350.org]. Ilm’a fait prendre conscience queles médias étaient englués dans un traitement environnementalet scientifique du climat alors quec’est une question politique etéconomique. En abordant le sujet dans la rédaction, nous nous sommes mis à parler également de santé, de culture… Cela a crééune énergie entre nous. C’était le moment d’impliquer l’ensemble du journal sur ce sujet.

Comment avez-vous organisé cette mobilisation du journal ?

Une partie de la rédaction estpartie avec moi une semaine en Autriche pour planifier cette cam-pagne. Il est bon de temps en temps de quitter le bureau et de couper le portable. Nous avons en-registré chaque mot de nos discus-sions et une partie de ces échangesa été publiée sous forme de pod-casts, sur le site du journal. C’était aussi une manière de montrer à nos lecteurs comment un journal fonctionne. Les entreprises de presse devraient être plus démo-cratiques. Je n’aime pas les jour-naux construits autour d’une fi-gure très imposante.

L’une des premières choses di-tes pendant notre séminaire, c’était que nous ne pouvions pas lancer une telle campagne sans avoir nous-mêmes décidé de quelle énergie nous voulionspour remplacer les combustiblesfossiles. La discussion s’est no-tamment focalisée sur le nu-cléaire. J’ai demandé que l’on ne cherche pas à trancher ce débat. Car si nous élargissons trop le su-jet, les gens risquent de perdre de vue le sens de notre campagne.

Pourquoi avoir pris pour cible des fonds financiers impliqués

dans le secteur des énergies fossiles ?

Quels vont être les faits mar-quants en 2015 sur le climat ? Tout le monde à la rédaction est d’ac-cord pour dire que la Conférence de Paris sur le climat (COP 21) sera le grand événement de l’année, mais ce n’est pas le sujet que l’on a le plus envie de lire. On s’est dit, en-suite, pourrait-on persuader des investisseurs de changer d’avis surles énergies fossiles, responsables d’une majeure partie des émis-sions polluantes ?

Nous avons par exemple lancé le7 mars une pétition en direction des fondations philanthropiques telles que le Wellcome Trust et la Bill & Melinda Gates Foundation [180 000 signataires au 17 avril]. Nous n’allons pas en faire des en-nemis, mais comme elles gèrent des gros portefeuilles d’actifs, ellespeuvent prendre la tête du mouve-ment de désinvestissement.

Avez-vous rencontré des réti-cences dans la rédaction à pro-pos de cette campagne ?

Seuls quelques-uns étaient in-quiets de cette démarche. Je l’étaismoi-même. Durant ces vingt ans comme directeur du Guardian, jen’avais jamais lancé un appel comme celui-ci. Il s’agit d’un sujetcomplexe, c’était un peu risqué deplonger le journal dans cette com-plexité. Ce qui m’a convaincu, c’est l’importance de l’enjeu. C’est très différent des OGM, sur les-quels on peut tirer des conclu-sions divergentes. Là, l’écrasante majorité de la communauté scientifique s’accorde à dire qu’il y a urgence à agir. Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le réchauf-fement climatique.

Pourtant, près de 40 % des Britanniques se disent scepti-ques face au réchauffement climatique. Ne craignez-vous pas de perdre une partie de votre lectorat ?

Si vous vous levez chaque matinen vous demandant si vous allez perdre du lectorat, c’est une très mauvaise façon de construire un journal ! Le renoncement aux

Comment concilier le traitement de l’actualité et une réflexion de long terme sur le climat ?

Le journalisme est très efficacepour raconter ce qu’il s’est passéhier, il l’est beaucoup moins pour faire le récit de ce qui va se pro-duire dans dix ans. Pourtant, cela reste du journalisme, car les déci-sions que nous prenons aujourd’hui auront des consé-quences dans les dix prochaines

années et au-delà. Il faut trouver lemoyen de faire réfléchir nos con-citoyens car les responsables poli-tiques ou les marchés ne sauront pas le faire. Les investisseurs, en revanche, sont capables d’un tel effort : ça les intéresse de savoir cequi va se passer dans les dix ou lesvingt prochaines années.

La nature des relations entre les journalistes du « Guar-dian » et les entreprises pétro-lières a-t-elle changé ?

Non. Nous avons par exempleun rubricard énergie pour qui lescompagnies ont beaucoup de res-pect. A un moment, Exxon a re-fusé de répondre à certaines denos questions, estimant que nousn’étions pas impartiaux.

Qu’une compagnie qui pèse300 milliards de dollars [278 mil-liards d’euros] refuse de nous ré-pondre en dit davantage sur elle-même que sur le Guardian.

Acceptez-vous encore les publici-tés des compagnies pétrolières ?

Oui, nous acceptons et, j’en con-viens, c’est une vraie question. Je considère que la publicité est la pu-blicité, l’éditorial est l’éditorial. Ce sont deux choses complètement séparées. Au moment où vous commencez à former un juge-ment sur la publicité, vous fran-chissez cette ligne de démarcation.

En lançant cette campagne, pensiez-vous être rejoints par d’autres journaux ?

Nos concurrents sont tous foca-lisés sur les élections législativesdu 7 mai. Jusqu’à présent, je n’ai vu aucune réaction de leur part.Au Royaume-Uni, les journaux se vivent comme des adversaires et ils détestent faire des choses en-semble. p

propos recueillis par

stéphane foucart

et simon roger

énergies fossiles est une cause morale, bien sûr, mais aussi une mesure de bonne gestion. Je ne m’attendais pas à ce que le Guar-dian Media Group (GMG) décide aussi vite de désinvestir. En voyant ce qu’il a fait, le monde de la finance a commencé à en parler.Aujourd’hui, notre propre con-seiller financier nous dit : « J’ai ob-servé les chiffres sur les dix derniè-res années, les énergies fossiles sontdevenues de mauvais investisse-ments, qui sous-performent. »

« Keep it in the Ground » n’est-il pas également un formidable coup de pub pour votre journal ?

Au cours de ces cinq dernièresannées, The Guardian a sorti les dossiers WikiLeaks, le Tax Gap[vaste enquête sur les manœuvresd’évitement fiscal des entreprisesbritanniques], l’affaire Snowden…Maintenant, nous faisons campa-gne sur le changement climati-que. Si l’on entreprend ce travaild’investigation journalistique, cen’est pas pour s’assurer des re-cords d’audience, mais pour être àla hauteur de notre réputation. Les gens se rendent compte qu’onest prêt à faire des choix coura-geux, à dépenser de l’argent quand c’est nécessaire.

A vous entendre, les journaux devraient remplir une mission de service public…

Ce que nous faisons doit servirl’intérêt général. Au cours des dix dernières années, l’industrie de la presse s’est fracturée, elle est de-venue peureuse. On regarde en permanence nos chiffres de ven-tes, nos nombres de lecteurs et d’abonnés. Cela a mené certains àfaire des choses idiotes.

Si vous voulez faire du journa-lisme, il faut garder l’intérêt géné-ral comme moteur. Et je ne voispas de plus grand intérêt généralque d’aider à la prise de cons-cience sur le dérèglement climati-que. Il est irresponsable de la part des journalistes de ne pas réflé-chir davantage à la manière de couvrir cette grande question.

« Le renoncement

aux énergies

fossiles est

une cause

morale, bien sûr,

mais aussi

une mesure de

bonne gestion »

« J’ai réalisé

que les médias

étaient englués

dans un

traitement

scientifique

du climat »

Alan Rusbridger, directeur du « Guardian », au siège londonien du quotidien britannique, le 15 avril. MAJA DANIELS POUR « LE MONDE »

EXTRAIT DES MINUTES DU GREFFE DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARISJugement en date du 06/09/2010

IDENTITÉ : X... se disant KAMAGATE Vamara, né le 01er janvier 1962 à ABIDJAN (COTE D’IVOIRE), de sexe masculin, de

nationalité 384 Ivoirienne.

PROCÉDURE : jugement contradictoire de la 10e chambre correctionnelle 1 en date du 06/09/2010

DECISION :- AGRESSION SEXUELLE faits commis à Paris, sur le territoire national, le 6 février 2008 prévus par ART.222-27, ART.222-22

C.PENAL. et réprimés par ART.222-27, ART.222-44, ART.222-45, ART.222-47 AL.1, ART.222-48-1 AL.1 C.PENAL.

- INJURE PUBLIQUE ENVERS UN PARTICULIER EN RAISON DE SA RACE, DE SA RELIGION OU DE SON ORIGINE,

PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN DE COMMUNICATION AU PUBLIC PAR VOIE ELECTRONIQUE faits com-

mis à Paris, sur le territoire national, le 6 février 2008

prévus par ART.33 AL.3, AL.2, ART.23 AL.1, ART.29 AL.2, ART.42 LOI DU 29/07/1881. ART.93-3 LOI 82-652 DU 29/07/1982.

et réprimés par ART.33 AL.3, AL.5, AL.6 LOI DU 29/07/1881.

- VIOLENCE SUIVIE D’INCAPACITE SUPERIEURE A 8 JOURS faits commis à Paris, sur le territoire national, le 6 février 2008

prévus par ART.222-11 C.PENAL. et reprimés par ART.222-11, ART.222-44, ART.222-45, ART.222-47 AL.1 C.PENAL.

DECLARE Vamara KAMAGATE NON COUPABLE et le RELAXE des ins de la poursuite

ORDONNE l’AFFICHAGE du jugement de révision dans la Ville de PARIS.

ORDONNE sa PUBLICATION au journal oficiel;

ORDONNE la PUBLICATION des extraits du jugement dans les journaux le Parisien, le Monde, le Figaro, la Croix et Libération;

DONNE ACTE M. KAMAGATE de ce qu’il poursuivra son action devant le Premier Président de la Cour d’Appel de PARIS.

Par jugement en date du 12 juin 2012, la 10e chambre correctionnelle 1 :a fait droit à la requête en dificulté d’exécution de Monsieur le procureur de la République en date du 13 avril 2012 a rectiié le

jugement en date du 6 septembre 2010 en ce sens :

DIT que l’afichage de la décision devra être effectué sur un panneau de mairie du XIème arrondissement de Paris pour une durée

n’exédant pas deux mois

DIT que cette rectiication sera mentionnée en marge du jugement précité

Pour extrait conforme, le 5.05.14

Le Grefier en Chef,

PUBLICATIONS JUDICIAIRES

01.49.04.01.85 - [email protected]

Page 6: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

6 | france DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

Dialogue social : une loi pour ne pas fâcher« Le Monde » s’est procuré le texte que le ministre du travail, François Rebsamen, présentera mercredi 22 avril

suite de la première page

Si le gouvernement a regrettél’échec de cette négociation em­blématique – après la conclusion de quatre accords nationaux in-terprofessionnels (ANI) en 2013 et 2014 –, il a considéré que « les dis-cussions avec les partenaires so-ciaux ont plus que jamais démon-tré la nécessité d’une réforme ». La marge de manœuvre du pouvoir politique était d’autant plus ré-duite que la négociation a capoté sur le fil. Elle aurait dû aboutir, du moins avec les syndicats réformis-tes (CFDT, CFTC, CFE-CGC).

Le Medef, en dépit de l’opposi-tion véhémente de la CGPME, avaitfait une concession majeure en ac-ceptant la mise en place de com-missions régionales paritaires pour assurer la représentation des salariés des très petites entreprises(TPE) de moins de onze salariés, après s’être opposé pendant dix ans à la mise en place de telles ins-tances par l’Union professionnelle artisanale. Mais il demandait en échange aux syndicats de sacrifier le comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT), ins-titué par les lois Auroux en 1982. Leprix à payer était apparu beaucouptrop lourd à des syndicats qui avaient réussi à ce que cette négo-ciation ne se focalise pas sur la question des seuils.

« Instances incontournables »

M. Valls a su saisir l’occasion de dé-montrer qu’il pouvait être aussi « social » que son prédécesseur, Jean-Marc Ayrault, dont la démar-che social-démocrate convenait mieux aux syndicats. Face à une majorité étriquée et turbulente, à la veille du congrès du PS prévu dé-but juin, le premier ministre a cassé son image de celui qui veut accélérer les réformes quitte à fairel’économie du dialogue social.

« La conviction du gouverne-ment, souligne M. Rebsamendans son exposé, est que les règles du dialogue social dans l’entre-prise peuvent être améliorées dans

un sens doublement bénéfique pour les employeurs et pour les sa-lariés. Elles peuvent être simpli-fiées pour être rendues plus effica-ces, afin de gagner en densité et en richesse du dialogue social ce qu’el-les perdraient en formalisme. »

Au final, le texte est plutôt équili-bré, tenant compte des attentes des syndicats sans piétiner les re-vendications du patronat, même si les unes et les autres ne sont pas totalement satisfaites. Pour les 4,6 millions de salariés des TPE, lescommissions régionales paritai-res sont consacrées en tant qu’« instances incontournables de concertation » pouvant aussi être

utiles à l’information des petits pa-trons. Les syndicats qui concou-raient à une élection de représen-tativité par sigles pourront même révéler l’identité de leurs candi-dats. Et les employeurs reçoivent l’assurance que ces élus de troi-sième type ne pourront pas, dans l’exercice de leurs fonctions, fran-chir les grilles de l’entreprise.

Partant du constat que « l’enga-gement syndical ou dans un man-dat de représentant du personnel est aujourd’hui trop souvent perçu par les salariés comme une source de discrimination ou, à tout le moins, un frein à la carrière », de nouveaux droits sont accordés à

ces élus pour améliorer la recon-naissance et la qualité de leur par-cours. Au passage, il s’agit d’éviter le cumul des mandats, trop fré-quent faute de vocations, et d’amé-liorer la présence des femmes dans les instances représentatives.

L’élargissement de la délégationunique du personnel (DUP), re-groupant le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le CHSCT aux entreprises de moins de 300 salariés – contre moins de 200 aujourd’hui – répond à une demande patronale. Il s’agit de rendre les institutions représenta-tives « plus lisibles et plus efficaces, en s’adaptant davantage à la diver-

François Rebsamen et Manuel Valls, le 25 février, à Matignon. JULIEN JAULIN/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »

sité des entreprises ». Le CHSCT sera bien intégré dans cette DUP mais il conservera ses prérogati-ves et ses moyens. Là où il y aura une possibilité d’aller plus loin, dans les entreprises de plus de 300salariés, les partenaires sociaux auront, par voie d’accord majori-taire, « une grande latitude sur le périmètre de ces regroupements [d’institutions représentatives], qui pourront varier y compris d’un établissement à l’autre au sein d’une même entreprise ».

« Réformite »

En simplifiant et en rationalisant les obligations d’information, de consultation et de négociation dans les entreprises – « complexes et mal appliquées », en particulier dans les petites et moyennes en-treprises –, le gouvernement a ré-pondu à une attente du patronat etde certains syndicats. Le Medef met ce point au chapitre « des avancées » comme la DUP mais s’insurge contre « une collection desemi-réformes » sans cohérence. Etil se dit désormais « fermement op-posé à la mise en place de commis-sions paritaires régionales »…

Côté syndical, la CGT reconnaîtdes « points positifs » comme lareprésentation dans les TPE et la « reconnaissance des parcours mi-litants ». Mais elle fustige « la fra-gilisation des instances représen-tatives ». FO dénonce « la “réfor-mite” ou maladie de la réforme ». La CFDT, la CFTC et l’UNSA évo-quent « de réelles avancées » mais affichent leur « vigilance » sur un texte qui doit encore évoluer. « Malgré de nombreux points po-sitifs », la CFE-CGC a émis un « avisdéfavorable ». Mais d’ici au débat parlementaire, prévu dans les se-maines à venir, les lignes peuvent encore bouger. p

michel noblecourt

Le texte prévoit le maintien des CHSCT

L e projet de loi relatif au dia-logue social et au soutien àl’activité des salariés com-

porte 26 articles dont voici les points essentiels.

Une représentation universelledes salariés dans les très petitesentreprises (TPE) Des commis-sions paritaires interprofession-nelles sont instituées au niveaurégional pour les entreprises demoins de 11 salariés. Composées de 20 membres – 10 pour les syn-dicats et 10 pour les employeurs – issus de ces TPE, elles ont pour at-tributions « d’apporter des infor-mations, de débattre et de rendre tout avis utile sur les problèmes spécifiques » à ces entreprises,« notamment en matière d’emploi,de formation, de gestion prévision-nelle des emplois et des compéten-ces, de conditions de travail et desanté ». Les syndicats, dans le ca-dre du scrutin de représentativité tous les quatre ans, « peuvent

mentionner sur leur propagande électorale l’identité des salariésqu’ils envisagent de désigner ». Bé-néficiant d’un crédit d’heures(5 heures par mois au plus) et d’une protection, ces élus « n’ont pas accès aux locaux de l’entre-prise ».

Valorisation des parcours pro-fessionnels Un dispositif natio-nal de valorisation des compéten-ces est créé pour les représentantsdu personnel. L’Etat établira, en concertation, une « liste de com-pétences qui feront l’objet d’une certification reconnue et pourront être utilisées dans l’acquisition de certifications professionnelles choisies par le salarié ». L’article 4 institue une « garantie de non-dis-crimination salariale », un méca-nisme qui « garantit au salarié de bénéficier, au cours de son mandatélectif ou syndical » – quand lesheures de délégation dépassent 30 % du temps de travail –, « une

augmentation au moins égale à la moyenne des augmentations indi-viduelles perçues pendant cette pé-riode par des salariés relevant de lamême catégorie professionnelle ».

Equilibre femmes-hommes Souspeine d’annulation du scrutin, le projet introduit « l’obligation pour les listes aux élections profession-nelles de comporter une proportionde femmes et d’hommes qui reflète leur proportion respective dans les collèges électoraux ».

Des institutions représentati-ves adaptées à la diversité des entreprises L’article 8 étend lapossibilité de mettre en place unedélégation unique du personnel (DUP), réservée jusqu’alors aux entreprises de moins de 200 sala-riés, aux entreprises de moins de300 salariés. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est intégré dans cette instance. Les délégués du

personnel, le comité d’entreprise (CE) et le CHSCT « conservent l’en-semble de leurs attributions » et « leurs règles de fonctionnementrespectives ». Dans les entreprises de plus de 300 salariés, il sera pos-sible de regrouper par accord ma-joritaire tout ou partie des institu-tions représentatives du person-nel. L’article 11 consacre « le droit pour tous les salariés des entrepri-ses de plus de 50 salariés d’être cou-verts par un CHSCT ».

Un dialogue social plus stratégi-que L’article 13 regroupe les 17 obligations actuelles d’infor-mation et de consultation du CEen trois : sur les orientations stra-tégiques et leurs conséquences, lasituation économique de l’entre-prise et sa politique sociale. Lesobligations de négocier dans l’en-treprise sont ramenées à trois : chaque année sur la rémunéra-tion, le temps de travail et la ré-partition de la valeur ajoutée ainsi

que sur la qualité de la vie au tra-vail ; tous les trois ans dans les en-treprises d’au moins 300 salariés sur la gestion des emplois et des parcours professionnels. En l’ab-sence de délégué syndical, l’arti-cle 15 prévoit que « des représen-tants du personnel et des salariés mandatés par des organisationssyndicales pourront conclure desaccords avec l’employeur ».

Seuils et représentativité patro-nale L’article 16 prévoit que « lors-que l’effectif de 50 salariés n’a pasété atteint pendant 24 mois, consé-cutifs ou non, au cours des trois an-nées précédant la date du renou-vellement du CE, l’employeur peut supprimer le comité d’entreprise ». Pour « sécuriser » la mesure de lareprésentativité patronale, pré-vue en 2017, des aménagements« permettront de prendre mieuxen compte les mécanismes d’adhé-sion dans les branches ». p

m. n.

Finalement,

le texte est plutôt

équilibré, tenant

compte

des attentes

des syndicats

sans piétiner les

revendications

du patronat

LE CONTEXTE

INTERMITTENTSL’article 20 du projet de loi « ins-crit dans le code du travail que la spécificité des métiers du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant justifie l’existence de règles de l’assurance-chômage spécifi-ques aux intermittents du specta-cle ». La négociation de ces rè-gles incombe aux gestionnaires de l’Unedic.

PRIME D’ACTIVITÉLe projet de loi crée, à compter du 1er janvier 2016, une « prime d’activité » qui remplacera la prime pour l’emploi et le RSA « activité ».

Page 7: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 france | 7

Jeunes et bobos : les nouvelles cibles du présidentDimanche, François Hollande est l’invité de l’émission « Le Supplément » sur Canal +

Le choix ne laisse pasd’étonner. Mais que dia­ble va faire François Hol-lande, ce dimanche

19 avril à 12 h 30, sur le plateau du « Supplément » de Canal+ ? Anti-ciper le troisième anniversaire de son élection et ainsi prendre de vitesse médias et observateurs ententant de donner, quelques joursavant le 6 mai 2015, le ton, répondl’Elysée : « L’idée du président est d’en faire un rendez-vous politiquesur le fond, dresser le bilan de ce quia été fait depuis trois ans et mon-trer les perspectives. Il valait mieuxprendre la main en choisissantnous-mêmes le fond, la forme et le tempo. » Jusque-là, rien que detrès classique. Ce qui l’est moins, en revanche, est le vecteur choisi. Après s’être longuement confié en mars au magazine Society, un bimensuel tout juste lancé par les créateurs des magazines So Footet So Film, François Hollande a pris le parti de récidiver sur uncréneau pour le moins inattendu. Un peu à la manière d’un FrançoisMitterrand, qui s’était prêté à une série d’entretiens avec MargueriteDuras dans L’Autre journalen 1986.

L’émission, animée par Maï-tena Biraben, sera diffusée en di-rect, sans coupure publicitaire.Après un reportage réalisé cette semaine dans les coulisses del’Elysée, et entre plusieurs petitssujets, le chef de l’Etat s’expri-mera sur quatre thèmes : le bilande sa politique et de la « prési-dence normale » à l’épreuve dupouvoir ; la lutte contre le terro-

risme ; la jeunesse et l’engage-ment, une séquence qui com-prendra un face-à-face avec des lycéens et qui permettra à M.Hollande d’expliquer « commentredonner au pays sa fierté, à lajeunesse les clés de son destin » ; la montée du FN et la dénoncia-tion de « la France du repli et du déni ». Des thèmes traditionnelsdu registre hollandais, donc,mais un choix d’émission qui l’est nettement moins.

Contre-programmation

Après avoir fêté les deux ans deson élection sur RMC et BFM-TV, yrépondant aux questions de Jean-Jacques Bourdin et des auditeurs, puis la mi-mandat sur TF1, le6 novembre, face à des journalis-tes et un panel de Français, le chefde l’Etat, qui effectuera le 6 mai undéplacement « symbolique »,opte là pour un exercice télévisuelnettement moins populaire et une audience beaucoup plus ré-duite. Une contre-programma-tion parfaitement assumée parl’équipe de François Hollande.

« Quand le président prend la pa-role dans les médias, il faut tou-jours qu’il y ait une dimension iné-dite, singulière, surprenante, voireexceptionnelle, décrypte un con-seiller. Il faut trouver des formats conjuguant solennité et proximité, le curseur pouvant plus ou moins être tourné d’un côté ou de l’autre. »

Force est cependant de consta-ter que le curseur, ces jours-ci,penche résolument vers un cré-neau particulier : jeune, parisien,branché, voire « bobo ». « La jeu-nesse reste le fil rouge de ce quin-quennat. Il est normal de chercher à se rapprocher de ce public », jus-tifie un conseiller du chef de l’Etat. Au-delà de cette volonté af-fichée de l’Elysée de renouer avec une « priorité » du candidat Hol-lande, laquelle ne s’est pas forcé-ment vérifiée au fil de son man-dat, le chef de l’Etat, qui ambi-tionne de s’éloigner du registre technocratique qui a souvent ca-ractérisé ses interventions, sem-ble procéder désormais par seg-ments afin d’atteindre, de façon ciblée, des parts de marché préci-ses dans l’opinion.

Le point de départ d’une com-munication de niche ? « L’essen-tiel, c’est le rebond d’un message. Iln’est pas certain que, pour être en-tendu et convaincre, il soit tou-jours nécessaire de frapper là oul’audience télévisuelle est maxi-male », estime le communiquantDenis Pingaud, patron de l’agenceBalises. « Dans les stratégies amé-ricaines de contact avec l’opinion, on prend en compte le fait que lesconsommations et les usages ont

complètement changé, que les médias eux-mêmes se démulti-plient, se fragmentent, se disper-sent. Cela suppose de s’adapter aufait que les citoyens s’informentsur d’autres canaux, d’autres sys-tèmes de contenus, numériques notamment. Face à une opinionde plus en plus fragmentée et di-verse, la communication politiquesuppose d’additionner et de multi-plier les points de contact », pour-suit M. Pingaud.

« Trop de raideur »

L’impressionnisme plutôt quel’artillerie lourde, donc. « Le prési-dent sort de la phase de proclama-tion et de prophéties, diagnosti-que Joseph Daniel, spécialiste de la communication et auteur de LaParole présidentielle (Seuil, 2014),il doit montrer qu’il est en soutien de l’activité, souligner la vente desRafale… Tant qu’il n’a pas de résul-tats importants à montrer, à quoi sert-il de prendre tambour et grosse caisse ? » Le président en-tend d’autant plus procéder par

petites touches et légères correc-tions qu’il n’a à ce stade ni succès économique et social, ni mesuremajeure à présenter. « S’il y avait une annonce particulièrementforte, je ne serais pas allé sur Ca-nal », a expliqué cette semaine François Hollande, qui devrait ce-pendant rappeler son opposition au principe du vote obligatoire.

Corriger, infléchir, rectifier sonimage personnelle grâce à de lé-gères retouches : c’est égalementce à quoi se sont attachés ManuelValls et son équipe, ces dernièressemaines. Le communiquantStéphane Fouks avait de longue date diagnostiqué « trop de rai-deur » dans l’image du premierministre : « Il faut qu’il fasse at-tention à ne pas être que dans ledur », professait cet intime duchef du gouvernement et patron d’Havas. Un conseil que l’équipedu premier ministre, à l’automnedernier, avait entrepris de mettreen application.

Le documentaire de Franz-Oli-vier Giesbert et Virginie Linhartqui lui est consacré, tout commel’entretien de M. Valls avec MichelDenisot, diffusé lundi et mer-credi dernier, témoignent d’une volonté d’humanisation du pre-mier ministre, qui ouvre – un peu– de son intimité – et laisse samère y témoigner. Des retouches de communication censées ponctuellement remédier à l’ac-tuel effritement sondagier ducouple exécutif, mais surtoutpréparer la suite des opérations politiques. p

david revault d’allonnes

Le chef de l’Etat

semble procéder

désormais

par segments

afin d’atteindre

des parts de

marché précises

dans l’opinion

Opération « silence dans les rangs »au sein d’Europe Ecologie-Les VertsDans un texte adopté mardi 14 avril, la direction du parti demande aux élus contestataires de modérer leur expression publique

A Europe Ecologie-LesVerts (EELV), l’heure est àla fermeté contre les

Jean-Vincent Placé, Denis Baupin et autres François de Rugy, qui mi-litent pour un retour du parti au gouvernement. Ces derniers ont été recadrés, mardi 14 avril, par le bureau exécutif (BE) du mouve-ment, qui a adopté un texte leur enjoignant de modérer leur ex-pression publique et de ne pasparticiper à des réunions en com-pagnie de personnalités qui mè-nent des « tentatives de déstabili-sation du parti ». En clair, avecJean-Luc Bennahmias, présidentdu Front démocrate, qui milite de-puis des semaines pour la forma-tion d’une « maison commune » des écologistes et des progressis-tes qui serait alliée au Parti socia-liste. Une orientation différente de celle de la majorité d’EELV, plu-tôt encline à l’autonomie ou à re-chercher de nouvelles alliances àgauche.

« La dernière période a vu se mul-tiplier des prises de position publi-ques (…) effectuées en contradic-tion totale avec les positions arrê-tées par les instances de notremouvement, est-il écrit dans ce texte rédigé à l’initiative des sou-tiens de Cécile Duflot. Le BE de-mande à l’ensemble des personnes concernées de cesser immédiate-ment leur comportement nuisiblepour l’ensemble de notre mouve-ment. » Les interventions média-tiques des sénateurs Jean-VincentPlacé et Leila Aïchi sont visées en particulier. Dans une premièreversion, le texte pointait les décla-rations de l’un, pour qui EELV est un parti en état de « mort clini-que », et de l’autre, qui estimait à seulement 4 000 le nombre de militants écologistes. De nom-

breux exécutifs régionaux dumouvement ont par ailleurs voté des motions critiquant l’activité médiatique de ces parlementairespro-Hollande.

« Epuration »

Une réunion de MM. Placé et Bau-pin avec M. Bennahmias, samedi11 avril, a de plus jeté de l’huile surle feu. Après leur rendez-vous du4 avril, en présence d’Emma-nuelle Cosse, secrétaire nationale d’EELV, qui n’a abouti à rien de concret, les trois hommes se sont revus la semaine dernière encompagnie de représentants de Génération écologie, du Mouve-ment des progressistes de Robert Hue et de Cap 21 de Corinne Le-page. Le député PS Olivier Faure était lui aussi présent. Un pas de plus, affirment certains d’entre eux, vers une « confédération ».Le terme de « scission » d’EELV n’est, lui, plus utilisé. Face à cesmanœuvres, la direction d’EELV a rappelé dans sa motion – qui a étéadressée par courrier électroni-que à l’ensemble des parlementai-res écologistes – qu’elle possède lepouvoir « de suspendre en ur-gence des adhérent-es (sic) ».

« Je me suis engagé à ne partici-

« Je crois que

c’est une grande

première, un

texte comme ça.

Ils ont perdu tout

sens des

réalités »

JEAN-LUC BENNAHMIAS

ancien chef des Verts

per à aucune réunion avec Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent ouClémentine Autain », réplique De-nis Baupin, dans une allusion à la participation de Cécile Duflot, le 11 avril, à une réunion des Chan-tiers d’espoir, à Paris, avec leschefs de file du Front de gauche.Le député de Paris assure parailleurs rester en contact avec leFront démocrate malgré les pres-sions. « Uniquement par télé-phone, jusqu’à ce qu’une pro-chaine motion interdise qu’on se téléphone », ironise-t-il. « Je crois que c’est une grande première un texte comme ça, avec le ton em-ployé qui rappelle les pires heures du marxisme-léninisme. Ils ont perdu tout sens des réalités »,s’étonne quant à lui Jean-Luc Ben-nahmias, qui a dirigé les Vertspendant quatre ans.

Ces débats vifs – certains obser-vateurs utilisent le terme d’« épu-ration » – se déroulent dans un contexte de préparation des élec-tions régionales. La question des alliances va de nouveau secouer lemouvement, en particulier dans les régions où le Front national estannoncé à un haut niveau. Offi-ciellement, toutes les sensibilités d’EELV plaident en faveur de l’autonomie : une notion qui re-groupe des acceptions différentes en fonction d’où on se situe.

Quant à Jean-Vincent Placé, cer-tains se questionnent sur les mo-tivations réelles de ses actes. « Il sefout de la confédération. Il chercheà radicaliser le mouvement pour dire qu’il a raison. Il ne voit pas l’in-térêt d’être minoritaire dans lastructure, alors il la casse », estimeun cadre du parti. L’intéressé, lui, fait le dos rond, et assure ne pas semêler des textes le concernant. p

olivier faye

« Tant qu’il n’a

pas de résultats

importants à

montrer, à quoi

sert-il de prendre

tambour et

grosse caisse ? »

JOSEPH DANIEL

spécialiste de la communication

LES DATES

François Hollande dans les mé-dias depuis son élection :

201229 mai « 20 heures » de France 2 (6,23 millions de téléspectateurs)9 septembre « 20 heures » de TF1 (9,9 millions)

201328 mars « 20 heures » de France 2 (8 millions de téléspec-tateurs)31 mai Interview enregistrée à l’Elysée d’une trentaine de minu-tes diffusée sur France 24, RFI et TV5Monde16 juin « Capital » en direct à 20 h 50 sur M6 (2,8 millions)15 septembre « 20 heures » de TF1 depuis l’hôtel Marigny (8,9 millions)

20146 mai Interview en direct dans la matinale de BFM-TV et RMC6 novembre « Face aux Fran-çais » sur TF1 et RTL (7,9 millions)

20155 janvier Matinale de France Inter en direct de 7 heures à 9 heures

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février 2015

Page 8: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

8 | france DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

Profs et politiques contre la réforme du collège Une soixantaine de députés, droite et gauche confondues, joignent leur indignation à celle des enseignants

Contestation de la ré­forme du collège, acte II.Alors que la colère desenseignants de latin et

de grec n’est pas dissipée, un autrefront s’est ouvert, porté par des professeurs de langues qui ne se satisfont pas de l’introduction dela « LV2 » dès la 5e – ou en tout cas pas dans les conditions annon-cées. En première ligne, des ger-manistes qui, à coups de hashtagset de pétitions en ligne, dénon-cent « les conséquences désastreu-ses » des mesures programmées pour la rentrée 2016, quand ils ne pronostiquent pas, purement etsimplement, la « disparition del’allemand ».

Les politiques mêlent leur voix àcelle des enseignants : après l’ex-premier ministre (et ex-ensei-gnant d’allemand) Jean-Marc Ay-rault, qui a fait part de son inquié-tude à Najat Vallaud-Belkacem, après Chantal Jouanno, porte-pa-role de l’UDI, une soixantained’élus membres du groupe d’ami-tié France-Allemagne à l’Assem-blée nationale, réunis autour du socialiste Pierre-Yves Le Borgn’, ont interpellé la ministre par écrit, le 16 avril. « Pourquoi mettre un terme à un dispositif qui a fait ses preuves sur l’ensemble de notreterritoire, en zones rurales et urbai-nes, et ce jusque dans les zones d’éducation prioritaire, rassem-blant des élèves motivés, issus de tous les milieux sociaux ? », l’inter-rogent-ils. Outre-Rhin aussi, la presse, les milieux politiques et économiques bruissent de la

même inquiétude.Car, derrière l’apparente bonne

nouvelle d’une seconde langue enseignée un an plus tôt, les dé-fenseurs de l’allemand voient poindre la remise en cause des « bilangues », ces sections qui per-mettent d’apprendre deux lan-gues dès l’entrée au collège. Idem pour les classes européennes (1élève sur 10 en 3e).

Or ces bilangues ont permis, endix ans, d’enrayer la chute des ef-fectifs dans leur discipline, pour stabiliser l’allemand au rang de 3e

langue enseignée en France. D’amener à un niveau élevé les 15 %d’élèves qui ont fait le choix d’un travail linguistique renforcé. Autre apport reconnu : « capter » des jeu-nes dits « motivés », qui, sans ces sections réputées, auraient proba-blement fui des établissements quile sont moins, pour venir toquer à la porte du privé.

Soupçon d’élitisme

Sur Internet, les pétitions se croi-sent. Celle lancée par l’Adeaf, asso-ciation représentant un quart des enseignants d’allemand, a re-cueilli plus de 25 000 signatures.Un autre texte, proposé par le col-lectif Langues en colère, constituéau Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne), s’est attiré un millier de soutiens, dénonçant un « égalita-risme aveugle et cynique ». Si le ton monte, c’est que les craintesont laissé place à la colère face au soupçon d’élitisme − à peine voilé− que les germanistes perçoiventdans les arguments ministériels. A l’Assemblée, le 14 avril, Mme Val-laud-Belkacem a promis que la ré-forme permettra « à chaque collé-gien, et pas aux 20 % les plus privi-légiés, d’avoir les compétences fon-damentales pour réussir sa vie ». « Au lieu que 10 % des élèves puis-sent commencer plus tôt leurdeuxième langue vivante, ce sera100 % dès la 5e », a-t-elle renchéri.

Quand on lui demande si sesélèves sont des « privilégiés », Alexandrine Laurent bondit. Dans sa classe de 5e, les noms desélèves donnent le ton : Hamza Chabab, Enzo Uggeri, Cynthia Mendes Gamboa, Elijah Nkhoge Nkhoge… tous apprennent côte à côte l’allemand, en plus de l’an-glais. Une « diversité culturelle exaltante », souligne la profes-seure affectée au collège des 7-Epis, à Saint-André-de-l’Eure (Eure), 4 000 habitants. Certes,son « collège de campagne » n’est pas aussi défavorisé que certains

On promet de « veiller à favoriser la diversité linguistique » dès l’école primaire. De maintenir ces bilangues pour les écoliers ayant appris une autre langue que l’an-glais − une minorité, donc. On va jusqu’à anticiper une « augmen-tation du nombre d’élèves prati-quant l’allemand » − de 480 000 à 500 000 en deux ans −, en recru-tant davantage de professeurs : 443 postes en 2014, 514 en 2015. Un« enseignement conforté », prê-che-t-on dans l’entourage de la ministre. « Un déni de la réalité », doublé d’« un pari irresponsable »,rétorque Thérèse Clerc, prési-dente de l’Adeaf, sûre que persis-ter dans cette voie mettrait en pé-

ril les engagements franco-alle-mands découlant du traité del’Elysée (1963), dont l’un des voletsrepose sur l’éducation. « Il y a une décennie, on comptait 14 000 ger-manistes à l’entrée au collège ; ils sont aujourd’hui plus de 90 000 en 6e, souligne cette ex-ensei-gnante dans un lycée technologi-que de l’Ardèche. Quoi qu’on endise, il y aura bien, à la rentrée 2016, zéro germaniste débutant en6e. Même si je suis favorable à l’en-seignement précoce de l’allemand, j’y crois peu, conclut-elle. Cela ne correspond pas à la demande so-ciale : aucun parent ne voudra at-tendre la 5e pour que son enfant dé-marre l’anglais ! »

« On veut tirer tout le monde versle haut ? Proposons alors la bilan-gue pour tous, lâche Isabelle De-mariaux, professeure dans un gros collège de l’académie de Lyon. Améliorer ce qui ne marche pas : tous les professeurs sont d’ac-cord avec ça, mais pourquoi ne pasconserver ce qui donne des résul-tats ? » Cette enseignante che-vronnée a, comme d’autres, sortisa calculette : pour un élève en bi-langue, la réforme représentera une « perte nette » de 216 heures sur sa scolarité, estime-t-elle ;144 heures en classe européenne. Rue de Grenelle, on assure que la réforme fera gagner à tous 54 heu-res de plus en langues, sur l’en-semble du parcours au collège.

Des résultats médiocres

Jérôme Lacoin n’entre pas danscette « bataille des chiffres ». Af-fecté dans un établissement deLyon intégrant la nouvelle carte de l’éducation prioritaire à la ren-trée prochaine, ce germaniste a vuson collège, qui perdait des élèves année après année, « remonter la pente ». Sa petite victoire ? Avoirenvoyé neuf collégiens passer un trimestre en Allemagne, l’an der-nier. « Ils apprennent beaucoupplus en trois mois là-bas qu’en troisans avec moi », sourit-il.

Ces réussites, Florence Robine,directrice générale de l’enseigne-ment scolaire, assure ne pas les sous-estimer. Mais elle a aussi en tête les résultats, médiocres, de la majorité des petits Français en lan-gues, tant aux évaluations natio-nales qu’internationales. « Dans une période de forte angoisse quant à la réussite future de nos en-fants, une époque où la concur-rence est vive, il est tentant de s’ac-crocher à des dispositifs permet-tant de se différencier. Mais le but d’une politique éducative, c’est biende travailler dans l’intérêt du plus grand nombre », martèle l’an-cienne rectrice de Créteil. p

mattea battaglia

L’école catholique se veut plus ouverteL’enseignement catholique répartira ses moyens en fonction du type d’élèves accueillis

L’ enseignement catholiqueveut faire plus et mieuxen termes de mixité. Ven-

dredi 17 avril, son secrétaire géné-ral, Pascal Balmand, a présenté lesavancées de son plan « pour lesréussites », lancé il y a un an et quidevrait se concrétiser à la rentrée2016. Le principe : donner la prio-rité, dans le cadre de sa réparti-tion des moyens, aux établisse-ments qui font l’effort d’ouvrir leurs portes à d’autres publics queles bons élèves issus de catégoriessociales favorisées.

Le privé, qui scolarise 20 % desélèves, entend ainsi renvoyer une autre image que celle qu’on lui at-tribue souvent : une école fermée,élitiste, à qui l’on reproche, dansles quartiers défavorisés, de cap-ter les classes moyennes et de ren-forcer ainsi le côté « ghetto » des établissements publics. Ses mis-sions et son statut lui imposent, à l’inverse, d’être une école « pour tous », « attentive aux pauvres et aux faibles ».

distribuée selon des critères dé-mographiques ; une autre partie – « 50 % a minima », précise M. Bal-mand –, sera affectée aux établis-sements en fonction de leurs ef-forts en termes de mixité. Ceux qui ouvrent leurs portes à des en-fants venus de quartiers défavori-sés, qui mettent en place des dis-positifs pour les décrocheurs, pour les élèves en difficulté ou handicapés… seront prioritaires.

Indicateurs de mixité

Afin de mesurer ces efforts, l’ensei-gnement catholique met au point des indicateurs. « Ce ne sont pas ex-clusivement des statistiques socio-logiques, souligne le secrétaire gé-néral. Ils intègrent des paramètres plus larges, plus riches et donc plus complexes. » Ces indicateurs doi-vent permettre de mesurer la mixité sociale et scolaire d’un éta-blissement (nombre de boursiers, d’élèves bénéficiant d’une alloca-tion de rentrée, de redoublants, etc.), mais aussi leurs « efforts pé-

dagogiques et éducatifs » : pré-sence de dispositifs pour élèves fragiles, « climat » de l’établisse-ment, travail en commun entre professeurs, stabilité de l’équipe, projets innovants, ouverture cul-turelle et internationale… Serontenfin pris en compte « l’ouverture aux familles » et « l’accompagne-ment dans l’orientation ».

Rien ne dit que cette volonté po-litique, présente au sommet de l’institution, sera suivie d’effets.D’une part, parce que les établisse-ments catholiques sont autono-mes et libres de définir leurs orientations. D’autre part, parce qu’en diversifiant leur public d’élè-ves, ils peuvent entrer en contra-diction avec le vœu des familles, qui souvent cherchent dans une école catholique plus l’entre-soi que la parole chrétienne. Un coup de pouce financier suffira-t-il à in-citer les établissements à prendre ce risque ? C’est en tout cas le pari que fait leur direction. p

aurélie collas

Ses missions

et son statut lui

imposent d’être

une école « pour

tous », « attentive

aux pauvres

et aux faibles »

CONSEIL D’ÉTATLes élections municipales de Thionville annuléesLe Conseil d’Etat a annulé, vendredi 17 avril, les élections municipales de Thionville (Moselle). Anne Grommerch, députée (UMP) de la Moselle, l’avait emporté de 77 voix contre le maire sortant (PS), Bertrand Metz. La juridiction administrative a considéré que la diffusion d’un tract distribué deux jours avant le scrutin accusant le maire de vouloir déplacer la mosquée de la ville avait pu influencer le résultat. Le Conseil d’Etat n’a pas annulé ses comptes de campagne.

FAITS DIVERSLe meurtrier de la petite Chloé mis en examenZbigniew Huminski, meur-trier présumé de Chloé, 9 ans, à Calais, a été mis en examen vendredi 17 avril pour enlève-ment, viol et séquestration suivie de mort sur mineur de moins de 15 ans par un juge d’instruction de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Le suspect a été placé en déten-tion provisoire. − (AFP.)

PRISONNouveau suicide d’un détenuUn détenu tunisien de 24 ans s’est suicidé vendredi 17 avril à la maison d’arrêt de Varces (Isère). Le jeune homme, qui s’est pendu avec ses draps, a été retrouvé mort dans sa cel-lule. Il avait été placé « sous surveillance spéciale » la veille après avoir consulté un infir-mier. Cette surveillance se li-mitait « à un maton qui re-garde par l’œilleton une fois toutes les deux heures », a dé-ploré l’avocat du détenu, Me Arnaud Lévy-Sous-san. − (AFP.)

RÉGIONALESMarion Maréchal-Le Pen tête de liste en PACALa députée du Vaucluse Ma-rion Maréchal-Le Pen a été in-vestie, vendredi 17 avril, par le bureau politique du Front national tête de liste du parti en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) pour les élec-tions régionales de décem-bre. Sept des treize régions ont vu leurs chefs de file in-vestis. Marine Le Pen réserve encore son choix en Nord - Pas-de-Calais-Picardie.

« ghettos scolaires », mais la mixité sociale est bien présente, et la sélection… inexistante. « Lesemmener jusqu’à Rouen, c’est déjà une aventure pour certains, alors partir outre-Rhin ! On leur donnedes ailes. » Les échanges scolaires, les partenariats et les jumelages sont l’autre visage de ces sections qui offrent généralement six heu-res d’imprégnation et de pratique linguistique par semaine. « On tient là, à mes yeux, l’un des der-niers leviers pour actionner l’as-censeur social… et il faudrait y re-noncer ? » Mme Laurent ne cache pas sa perplexité.

Et les gages donnés, rue de Gre-nelle, ne suffisent pas à la dissiper.

« Quoi qu’on en

dise, il y aura

bien, à la rentrée

2016, zéro

germaniste

débutant en 6e »

THÉRÈSE CLERCprésidente de l’ADEAF

LE CHIFFRE

2 H 30

C’est le volume horaire hebdo-madaire de la deuxième langue vivante, la LV2, introduite un an plus tôt, dès la 5e, avec la ré-forme dite du « collège 2016 ». Celle-ci prévoit aussi 2 h 30 en 4e et autant en 3e. Soit un total de 7 h 30 sur trois ans, contre 6 heures sur deux années jus-qu’à présent. Commencer la deuxième langue plus tôt, c’est aussi le choix de la plupart de nos voisins européens, mais ils y consacrent plus d’heures, obser-vent les germanistes, estimant ces 2 h 30 insuffisantes pour s’imprégner d’une langue.

Pour tendre vers plus de mixité,pas de solution directive, pas decadre contraignant type « quo-tas ». M. Balmand privilégie la méthode de la carotte plutôt que celle du bâton. « Disons que c’estune invitation. On encourage nos établissements à s’engager dans cette voie », explique-il.

Pour ce faire, l’enseignement ca-tholique rebat les cartes de sa ré-partition des moyens. Jusqu’à pré-sent, celle-ci tenait surtout compte de l’évolution des effectifs d’élèves. A partir de la rentrée 2016, une partie des postes restera

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0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 france | 9

Le marché des « micrologements » bientôt réguléA Paris, l’entrée en vigueur de l’encadrement des loyers va faire baisser les prix au mètre carré

Les studios meublés sontun peu comme lesmaillots de bain pour fem-mes : plus la surface est

petite, plus c’est cher. Mi-avril, sur le site De particulier à particulier (PAP), on trouvait ce type d’annon-ces : une pièce de 10 mètres carrés « tout confort », dans le 10e arron-dissement, pour 650 euros men-suels. Une autre proposait 10,35 m2, dans le 18e arrondisse-ment, pour un loyer de 600 euros plus 40 euros de charges…

Le problème est que les très pe-tits logements, loués légalementparce qu’ils respectent les critères du décret de 2002 qui définitcomme indécentes, donc non louables, des surfaces inférieures à 9 mètres carrés, sont non seule-ment nombreux – il y a 30 000 studettes de moins de14 m2, à Paris, soit un tiers des stu-dios – mais aussi exagérément lu-cratifs pour leurs propriétaires.

Il suffit de surfer sur les sites depetites annonces immobilières

comme Le Bon Coin ou PAP pourconstater que le mètre carré dé-passe allègrement les 50 euros, souvent 60, voire atteint 100 euros. A ces tarifs, la rentabi-lité locative brute se situe, au mi-nimum, entre 7 % et 10 %. Ce sont des chambres de bonne, des piè-ces à l’entresol, parfois des surfa-ces prises sur des couloirs de par-ties communes qui rendent ser-vice à des étudiants et des tra-vailleurs précaires, garçons decafé, aides-soignants, dont les ho-

raires les contraignent à loger près de leur travail.

Pas de sanction

Pour tenter de calmer ces excès, Benoist Apparu, alors ministre dulogement du gouvernement Fillon, avait, à compter du 1er jan-vier 2012, institué une taxe sur lesloyers excessifs (dépassant,en 2015, 41,61 euros mensuels par mètre carré) de ces microloge-ments de moins de 14 mètres car-rés, taxe dont le taux est progres-

sif, de 10 % à 40 %, selon l’ampleurdu dépassement. Mais le ministren’a prévu ni sanction ni moyen derecouvrement efficace. Elle n’a donc calmé aucun excès. En 2013, un seul propriétaire l’a payée, fai-sant gagner, en tout et pour tout, àl’Etat, 1 325 euros.

Reste alors le futur encadre-ment des loyers, mis en œuvredès cet été, à Paris – où l’on dé-nombre 30 000 micrologements, soit un tiers des studios loués – et,au 1er janvier 2016, à Lille, qui de-vrait interdire tout loyer supé-rieur de 20 % au prix médian deslogements comparables, offrant ainsi au locataire une voie de re-cours pour contester un loyer trop élevé. Celui des microloge-ments devrait donc nettementbaisser pour revenir au niveau des autres studios, entre 25 et 30 euros le mètre carré.

Toutefois, une double interroga-tion subsiste : voyant leurs recet-tes divisées par deux, les proprié-taires ne risquent-ils pas de neplus louer ces biens ? Et les loca-taires, notamment les plus vulné-rables, seront-ils assez informés et soutenus pour faire valoir leursdroits ? p

isabelle rey-lefebvre

LE MOT

DÉCENCELe décret du 30 janvier 2002 fixe les critères de décence d’un lo-gement loué. Il doit disposer au minimum d’une pièce principale, avec un éclairement naturel suf-fisant et donnant à l’air libre, d’une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés, d’une hauteur sous plafond de 2,20 mètres ou d’un volume ha-bitable de 20 mètres cubes. Il doit assurer la santé et la sécu-rité physique des locataires et comporter un système de chauf-fage, une alimentation en eau, chaude et froide, un équipement pour la toilette personnelle, bai-gnoire ou douche, et un coin cui-sine, avec un évier. Les toilettes peuvent être situées à l’extérieur à condition qu’elles soient facile-ment accessibles.

en matière d’immobilier, il y a aussi desrègles de décence à respecter. C’est ce qu’a rappelé la cour d’appel de Paris, dans un ar-rêt du 9 avril, en condamnant la proprié-taire d’une pièce de 1,56 mètre carré habita-ble, sans douche ni toilettes, louée 300 euros par mois, et l’agence immobi-lière qui la gérait.

Tous deux devront solidairement rem-bourser le locataire des loyers indus, qu’il aversés pendant cinq ans, soit 18 290 euros, plus 1 000 euros de préjudice moral et 816 euros de frais de réinstallation. C’estl’agence immobilière Ribéroux qui avaitfait appel d’une décision, en première ins-

tance, datant de mars 2014 : mal lui en a pris puisque les juges ont presque doublé lasomme à rembourser, et accru sa responsa-bilité solidaire, passée de 50 % à 75 %.

56 procédures à Paris en 2014Ce cas, avec un loyer au mètre carré de 200 euros, peut paraître évidemment ex-trême, mais il est fréquent, selon la Fonda-tion Abbé-Pierre qui a engagé, en 2014, pour la seule ville de Paris, 56 procédures de ce type. « Vivre dans quelques mètres carrés, parfois sans vue, cause d’importants dégâts à la santé et il n’y a qu’à voir, lorsque la personne est relogée dans un apparte-

ment décent, son changement physique spectaculaire, en quelques semaines », té-moigne Samuel Mouchard, responsable de l’Espace solidarité habitat à la Fondation Abbé-Pierre de Paris.

Pour mener ces procédures et réclamerau préfet des arrêtés d’interdiction d’habi-ter, avec obligation de reloger les locataires – toute théorique car à peine la moitié enbénéficie –, la Fondation s’appuie sur le dé-cret du 30 janvier 2002 qui définit, entre autres critères, comme indécentes, donc non louables, des surfaces inférieures à 9 mètres carrés. p

i. r.-l.

1,56 mètre carré loué 300 euros par mois

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Les BonnesAdresses

Page 10: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

10 | enquête DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

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Ce que vivent les femmesA Saint-Denis, la maternité de l’hôpital Delafontaine,l’une des plus grandes de France, accueille des patientesaux cultures multiples, souvent en grande détresse.Un défi quotidien pour la docteure Ghada Hatem et ses équipes

annick cojean

La docteure Ghada Hatem n’a ja-mais l’air stressée. Qu’elle animela réunion de 8 h 15 ce dimanchematin de mars, où médecins etsages-femmes font le point des25 accouchements des dernières

vingt-quatre heures, qu’elle enchaîne réu-nions, consultations, échographies en expli-quant à la patiente ou le plus souvent à sonmari (le seul qui parle français) qu’elle les ap-pellera elle-même à 20 heures pour leur indi-quer à quel moment faire une piqûre, qu’elle saute le déjeuner pour faire un exposé devantle personnel de la Fondation Kering afin de lever des fonds pour une « Maison des fem-mes » – son grand projet – ou qu’elle finisse lajournée au Musée de l’histoire de l’immigra-tion pour suivre une conférence sur la viepsychique des réfugiés, elle parle d’une voix soyeuse. Ghada Hatem conserve le ton inalté-rable de qui a vécu sa jeunesse dans un pays en guerre, le Liban, et vit désormais avec séré-nité sa vocation dans un pays en paix.

Fallait-il qu’elle aime passionnément sonmétier pour se plonger dans cette galère ! Fal-

lait-il qu’elle ait foi dans son expérience, sa force de travail et celle de ses confrères, dans l’engagement de ses équipes, pour relever le défi et accepter ce poste de chef de service dans l’une des plus grandes maternités de France et l’une des plus complexes, celle de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, en Sei-ne-Saint-Denis. Fallait-il surtout qu’elle ait la conviction de pouvoir améliorer les choses dans un établissement souvent décrit comme une « usine à bébés ». De répondre aux besoins spécifiques – et si difficilementexprimés – d’une patientèle aux cultures multiples et aux cent langues et dialectes. Etde pouvoir injecter, selon son expression,« tendresse, sécurité et bientraitance » dansles soins à ces femmes, de plus en plus nom-breuses, de plus en plus diverses, souvent en grande détresse, qui arrivent parfois du bout du bout du monde pour donner la vie dans cet hôpital, à quelques encablures seulement de l’aéroport Charles-de-Gaulle…

Elle a choisi la médecine, dit-elle, parcequ’elle a toujours « aimé accompagner les gens ». Et la gynécologie obstétrique parcequ’un stage d’étudiante à Paris fut unejoyeuse révélation. « Tout finit bien en généraldans cette spécialité ! Tout est si intense ! Et

puis, quand ça va mal, très très mal, quand on risque de perdre un enfant ou d’accoucher d’un bébé trisomique et que le ciel vous tombe sur la tête, alors on a vraiment besoin du mé-decin. Et j’aime être utile. »

Ah, la salle de naissance ! Elle en parle avecgaieté, avec passion, cela reste le lieu de ses plus grandes émotions. « Les choses s’y pas-sent dans l’urgence, et s’y mêlent la peur, lajoie, le mystère, le drame. Une femme est de-vant vous, que vous ne connaissez pas, qui avécu et souffert mille choses dont vous n’avez pas idée, et pour qui chaque seconde est cru-ciale. Alors, même si ce jour-là vous en avez plein les bottes, même si c’est votre 4 000e ac-couchement, eh bien, il faut chercher au fond de vous l’élan, l’empathie, la tendresse en ac-cord avec l’instant. J’adore ce moment hors du monde avec nos patientes qui ont alors tant besoin de nous. »

A la maternité des Bluets à Paris (crééeavant-guerre par la CGT), où elle a passé une dizaine d’années, elle a découvert l’héritage de Fernand Lamaze, le père de l’accouche-ment sans douleur. « Il était allé en Russie, avait étudié Pavlov et rapporté l’idée de la ma-ternité heureuse. Une femme informée et pré-parée pour l’accouchement aurait beaucoup

moins mal, disait-il. Et il s’est d’ailleurs battupour que la préparation à la naissance soit remboursée par la Sécurité sociale. » Tout le personnel devait contribuer à la douceur del’accouchement. L’esprit, déjà, était celui de la« bientraitance ».

A l’hôpital militaire Bégin de Saint-Mandé(Val-de-Marne), où elle a ensuite exercé pen-dant huit ans et où on lui a octroyé le titre de colonelle (sans qu’elle ait fait ses classes), elle est passée à l’autre extrême. Sécurité était le maître mot, efficacité, maîtrise de l’urgence…Choc de culture, bien sûr, mais elle a continuéd’apprendre et a réussi à imposer – au granddam des généraux – de pouvoir pratiquer desIVG. Une victoire personnelle. La maternitéétait nichée dans un grand jardin, elle s’y ren-dait à vélo le matin, la qualité de vie était « ex-ceptionnelle ». Mais, voilà, Saint-Denis la de-mandait. Et ce défi de servir la population la plus hétéroclite et la plus vulnérable qu’on puisse imaginer. La plus précaire aussi, éco-nomiquement, socialement, statutairement. Des femmes aux parcours inouïs, arrivées des pays les plus meurtris de la planète et donnant à la maternité de l’hôpital Delafon-taine des allures de tour de Babel et de cour des Miracles.

« 16 % DES FEMMES QUI ACCOUCHENT

ICI ONT SUBIDES MUTILATIONS

SEXUELLES. 16 % ! »

GHADA HATEMchef de service à la maternité

de l’hôpital Delafontaine

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0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 enquête | 11

« La plupart ne parlent pas ou très peu lefrançais. Elles sont pauvres, souvent isolées,n’ont guère de travail, pas de couverture so-ciale, pas de logement à elles. Elles n’ont pas bénéficié de suivi médical au gré de leurs péré-grinations et, quand elles viennent accoucher, elle n’ont aucune exigence, à mille lieues des préoccupations actuelles sur la parentalité, lelien à nouer avec le nourrisson, la place du papa, etc. Des raisonnements de riches ! Et, pourtant, il faut ouvrir le dialogue, être atten-tif à leur vécu, répondre à leurs problémati-ques particulières… » « Si vous saviez ! », dit-elle en secouant la tête comme si c’était im-possible, regrettant de n’avoir pas le tempsd’écrire elle-même les « chroniques du 93 ».

UN PRÉSENT EN SUSPENSSi vous saviez les histoires derrière ces visa-ges fatigués qui attendent sans broncher, des heures s’il le faut, devant le bureau des admis-sions. Les parcours de souffrances, les agres-sions, les tortures, les humiliations. Les viols subis par cette jeune femme tout juste arrivéedu Congo ; l’inceste, puis le mariage forcé vé-cus par cette Camerounaise ; les coups déver-sés régulièrement sur cette Algérienne qui at-tend son sixième enfant ; l’isolement de cetteTamoule venue de Sri Lanka ; la fuite éperduede cette famille de Centrafrique ; les deuils abominables qui oppressent cette maman tchétchène ; le drame de cette Irakienne agressée dans un squat. Et puis la dépression de cette adolescente burkinabée, séquestréepar une tante qu’elle était venue rejoindre, la tête pleine de rêves, ou de cette Guinéenne,dont un logeur a confisqué le passeport avantde la contraindre à la prostitution.

Si vous saviez les diabètes et l’obésité dus àla malnutrition, les cancers du sein détectésau stade de la nécrose, la fatigue extrême d’une Népalaise ou d’une Afghane abuséespar des passeurs véreux, le dénuement d’uneIvoirienne enceinte de huit mois débarquéedirectement de Roissy à la maternité avec, pour tout contact, le prénom d’un supposé« ami » écrit sur un morceau de papier. La dé-

tresse, puis le fatalisme des Africaines devantl’enfant mort-né, les grossesses précoces desRoms qui ont un premier enfant à 13 ans, de-viennent grand-mères à 35, et puis l’angoisse de toutes ces femmes enceintes qui débou-lent aux urgences à 3 heures du matin en de-mandant : « Ça va, bébé ? » sans oser avouer qu’un coup de pied ou de poing de leur com-pagnon vient de percuter leur ventre. Oui, si vous saviez ce que vivent les femmes…

Dans les différentes salles d’attente, lemonde entier semble s’être donné rendez-vous. Femmes voilées (parfois intégralement avec abaya, niqab et gants) et accompagnées d’un mari barbu et visiblement maître à bord ; femmes en boubous, en saris, en jupes gitanes et châles à franges. Femmes rési-gnées, le pas traînant, un bébé dans une poussette et le ventre en avant. Femmes in-quiètes, encombrées de sacs contenant toute leur vie. Femmes murées dans les secrets de leur passé, angoissées par un présent en sus-pens.

Les aborder n’est pas facile, elles secouent latête ou haussent les épaules avec un souriregêné : parlent pas français. Mais on ne se con-fie pas, de toute façon, dans une salle d’at-tente. Ni nulle part, d’ailleurs. C’est leurdrame. Il faudrait du temps, un traducteurqui ne soit pas de la famille, la garantie deconfidentialité. La maternité fait de son mieux.

A jours fixes viennent des interprètes enturc, tamoul, chinois… Il y a aussi la possibi-lité d’un service d’interprétariat téléphoni-que à la carte. Des médiatrices avec la com-munauté rom viennent deux fois par se-maine. Mais il faut souvent se débrouiller parsoi-même : certains membres du personnel –dont Ghada Hatem – parlent arabe, une sage-femme est d’origine chinoise, une interneconnaît le tamoul, on appelle à l’aide, et dans la salle d’attente une Africaine vient fré-quemment à la rescousse d’une autre. « Et puis, il y a Google ! sourit le docteur Julien Du-mesnil. Il m’est arrivé de faire une consulta-tion en ourdu et en bengali avec l’assistance demon ordinateur ! » Oui, on se débrouille. « Ons’adapte ! » C’est le verbe-clé de cette mater-nité décidément singulière, où ont eu lieu, en 2014, 4 250 accouchements, 1 200 de plus qu’à l’arrivée de Ghada Hatem à la fin de 2010.

C’est aussi le credo fervent de Catherine LeSamedi, la responsable du service social del’hôpital. « S’adapter, sans préjugé, à tous les cas de figure ! Etre à l’écoute et s’étonner tou-jours ! Ne jamais faire “comme d’habitude”,car il n’y a pas d’habitude. On parle de femmesen précarité ? Mais voyons ! Quand on n’a ni papiers, ni logement, ni ressources, c’est d’ex-clusion qu’il faut parler ! » L’urgence est de leur ouvrir des droits à une couverture so-ciale. La loi impose un domicile alors qu’elles sont en errance ? Leur logeur en situation ir-régulière refuse de faire un certificat d’héber-gement ? Le 115 (SAMU social) leur propose un hôtel qui change tous les trois jours ? Alorsle service social de l’hôpital leur servira delieu de domiciliation. « Au moins ont-elles un point de repère, une base qui les rassure », dit Catherine Le Samedi.

Mais tout est si complexe ! Quel traitementà heure fixe pour une femme qui n’a aucune idée du logement qu’elle occupera demain oudort dans un campement dont elle risque d’être expulsée ? Quelle médicamentationsophistiquée pour quelqu’un qui ne sait paslire ? Quelle assurance que la patiente vien-dra au rendez-vous quand elle a cinq enfants en bas âge et un mari au travail, en fuite ou enprison ? « Il faut sans cesse inventer des solu-tions. Mais soigner dans ces conditions est épuisant ! », reconnaît Ghada Hatem, tout en se félicitant des prouesses du service social.

Mais quand bébé arrive et que l’errance re-prend… « C’est bien le plus terrifiant, admet Sarah Stern, psychiatre à la maternité. Elles re-partent sur les routes, ou plutôt dans le métro, sans pouvoir faire un nid et y installer leurbébé. Sans la quiétude nécessaire pour cons-truire la relation maman-enfant qui se joue dans les semaines suivant la naissance. Leur quotidien est parfaitement imprévisible. »

Il y a celles qui prennent le bébé contre elles,ne le lâchent pas, de nuit comme de jour, etfont de leur corps sa maison, son point fixe,fusionnelles. Et il y a celles qui le laissent enpermanence dans une poussette qu’elles traî-nent dans le métro, sur les bords de route, ins-tallent dans un coin de chambre qui changetoutes les trois nuits. La poussette devient maison, comme coquille d’escargot, expo-

sant l’enfant à des troubles moteurs et psy-chiques. Souvent les mères ont faim et pei-nent à nourrir leurs petits. Les hôtels du 115n’ayant guère de cuisine, elles se dé-brouillent, tâtonnent, le privent ou bien le ga-vent en espérant qu’il dorme, désorganisant la perception de la satiété chez l’enfant.

Il est responsable de leur exclusion. Mais ilest aussi leur sauveur, celui qui leur donne la force de vivre. La famille qu’elles ont perdue,père, mère, frère, sœur, tout à la fois. Et l’unitéde psychopathologie périnatale de la mater-nité composée de psychiatres, de psycholo-gues et d’une puéricultrice tente, malgré ces aléas, de suivre ces patientes en souffrance etde les orienter vers des structures d’accueil, comme l’Amicale du Nid de Saint-Denis, ha-vre de paix. On ne les lâche pas, autant quepossible. Mais comment ne pas s’angoisser, chaque année, de la date fatidique du 31 mars,qui marque la fin de la trêve hivernale, ren-dant plus précaire encore tout héberge-ment ? « Une catastrophe sanitaire assu-rée ! », estime le docteur Stern. « Un affreuxsentiment d’impuissance », avoue Ghada Ha-tem.

Au moins a-t-elle imposé, depuis son arri-vée, que les violences contre les femmes soient systématiquement traquées. Une mo-bilisation à grande échelle sur ce qui reste un non-sujet dans tant d’établissements hospi-taliers et un tabou absolu dans les couples et les familles. Tous les personnels de la mater-nité ont été sensibilisés, formés à dépister le problème, incités à poser méthodiquementla question. Les femmes concernées n’abor-dent jamais spontanément le sujet, honteu-ses, menacées, isolées, mais elles répondentquand on le leur demande dans le huis clos d’une consultation. Et les histoires abondent,les cicatrices s’expliquent, les bleus sont dé-couverts, pas seulement ceux de l’âme.

BANLIEUE-LABORATOIRECertaines violences remontent à très loin dans la vie de la patiente (viols, incestes), d’autres sont terriblement actuelles, la gros-sesse étant souvent déclencheuse des pre-miers coups du conjoint (dans 40 % des cas),quand elle ne les accentue pas. Fausses cou-ches et naissances prématurées peuvent être la conséquence. Cette préoccupation claire-ment affichée a suscité un grand élan dans la maternité, comme un esprit de corps.

« Nous ne sommes pas dans n’importe queldépartement, insiste Ghada Hatem. Le 93 est depuis longtemps pilote en la matière. Je savaisdonc que je serais soutenue par des femmes en-gagées, formidables, qui, à la mairie, au conseilgénéral, au planning familial, ont développédes réseaux d’entraide et une expertise depuis de nombreuses années. » Marie Leroy, chargéedes femmes à la mairie de Saint-Denis, Ernes-tine Ronai, de l’Observatoire des violences en-vers les femmes, Christine Davoudian, méde-cin en PMI (protection maternelle et infan-tile)… La docteure Emmanuelle Piet, directricedes 122 centres de planification de Seine-Saint-Denis, est de ces « historiques » qui n’ont de cesse qu’elles ne secourent les fem-mes, multiplient les campagnes de préven-tion des violences, dénoncent agressions, ma-riages forcés, « fémicides ».

« Cela fait quarante ans que je pose aux fem-mes la question sur les violences, et cela fait quarante ans qu’elles me répondent ! », dit-elle, appuyant les initiatives de Ghada Hatem. Une mobilisation tous azimuts. Et sans crain-dre d’innover. Indignée par les contraintes sexuelles auxquelles sont souvent soumises ses patientes et qui s’assimilent selon elle à un« viol conjugal », elle en arrive à leur délivrer

un « certificat de contre-indication de rapportssexuels ». « A celles qui osent les montrer à leurconjoint, cela peut offrir quinze jours de repos. A moins qu’il ne le déchire et n’en tienne pas compte. Ce qui a pour effet d’inciter la femme àréfléchir à sa relation et à comprendre qu’un rapport sexuel qu’elle ne désire pas s’appelle viol conjugal et est inacceptable, voire puni parla loi. »

Mais s’il est une violence ancestrale sur la-quelle la maternité de Ghada Hatem a décidé d’avoir une expertise particulière, c’est l’exci-sion. « 16 % des femmes qui accouchent ici ont subi des mutilations sexuelles. 16 % ! C’est con-sidéré comme un crime en France, et la prati-que sur le territoire a été enrayée. Mais des fa-milles profitent de vacances au pays pour exci-ser leurs petites filles avec des conséquences terribles : traumatismes, douleurs et brûlures sur la zone cicatricielle, rapports sexuels diffici-les, sans plaisir, déchirures du périnée avant l’accouchement… Alors on en parle. On écoute. On informe. Et on propose à celles qui le sou-haitent une réparation chirurgicale. »

Dès son arrivée à Saint-Denis, elle a de-mandé à rencontrer le docteur Pierre Foldès,cet urologue de Saint-Germain-en-Laye (Yveli-nes) à la pointe du combat contre cette hor-reur et devenu maître de la chirurgie répara-trice, désormais remboursée par la Sécurité sociale. Il a formé plusieurs médecins de la maternité, et une unité a été construite com-prenant chirurgiens, sages-femmes, infir-mière, psychologue, sexologue. « Plus de 50 000 femmes mutilées vivent en France, mais chacune a une histoire singulière qui ap-pelle une réponse différente, raconte le docteurStéphane Bounan, obstétricien, adjoint de Ghada Hatem. A nous d’être à l’écoute, car c’estun monde de douleurs effroyables. J’avoue n’avoir jamais été confronté à autant de souf-frances. »

Des exemples ? Cette femme de 29 ans, d’ori-gine malienne, qui nous confie avoir été mu-tilée à l’âge de 5 ans par un exciseur de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), à l’insu de samère et à la demande d’une « détestable belle-mère ». Personne ne lui en a plus reparlé jus-qu’à la naissance de son fils, où une sage- femme a posé la question. L’occasion d’une prise de conscience, d’une révolte aussi, à la-quelle elle a associé ses trois sœurs, elles aussiexcisées. « On m’avait volé quelque chose ! Je devais redevenir comme Dieu m’avait faite. » L’opération a eu lieu avec l’assentiment de son mari. « Et je revis, enfin je suis femme. » Quand elle part en vacances à Bamako, ellereste sur ses gardes et ne confie sa fille à per-sonne de peur que des proches ne l’enlèvent pour pratiquer en un rien de temps l’opéra-tion. « Le premier qui l’approche, je le détruissur place ! »

Cette autre, encore, excisée au Mali justeaprès sa naissance, qui nous raconte l’horreurde sa nuit de noces où il fallut appeler une vieille femme du village pour lui ouvrir lesexe. « Non, pas avec un couteau comme c’est souvent le cas ; ses ongles ont été suffisants. Mais je ne voulais plus voir mon mari. Je souf-fre toujours et n’ai jamais connu le plaisir. » Elles’est décidée pour l’opération de réparation. Etrien ne l’empêchera d’aller jusqu’au bout. Ilfaut juste qu’elle calcule le moment où son travail entraîne son mari en province. Quant àses cinq filles, elle entend bien les protéger de « cette abomination ». Le téléphone de l’unité de réparation de Saint-Denis circule désor-mais dans de nombreuses communautés et des associations d’Africaines, comme Marche en corps, qui combattent l’excision et font passer le message d’une possible réparation.

Si vous saviez ce que vivent les femmes…« Un sous-peuple ! Voilà ce qu’on en a fait, voilàce qui me révolte et me donne l’envie de faire dela cause des femmes dans le 93 l’engagement d’une vie », confie Ghada Hatem. C’est ainsi qu’est né son projet de créer, sur l’un des raresterrains encore vierges de l’hôpital Delafon-taine, un lieu d’accueil, de consultations, d’orientation, de réconfort, pour toutes les femmes en difficulté. Un lieu doux. Un lieu fa-cile d’accès. Un lieu de dialogue. Elle a fait letour des élus, des professionnels, des associa-tions. Tout le monde la soutient : maires, dé-putés, conseil général, conseil régional, sans compter des fondations comme Kering, Elle,L’Oréal, Raja… L’objectif est d’ouvrir en dé-cembre 2015. « Il y a urgence ! », dit-elle, car lessignes qu’elle observe dans cette banlieue-la-boratoire où les femmes se voilent de plus en plus et où les violences persistent ne vont pas dans le bon sens. p

« CELA FAIT QUARANTE ANS

QUE JE POSEAUX FEMMESLA QUESTION

SUR LES VIOLENCES, ET CELA FAIT

QUARANTE ANS QU’ELLES ME

RÉPONDENT ! »EMMANUELLE PIET

directrice des centres de planification

de Seine-Saint-Denis

SI VOUS SAVIEZLES HISTOIRES

DERRIÈRECES VISAGES FATIGUÉS

QUI ATTENDENTSANS BRONCHER,

DES HEURESS’IL LE FAUT,

DEVANT LE BUREAU DES ADMISSIONS…

ALINE BUREAU

Page 12: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

¶Claude Askolovitch est journaliste et auteur de « Nos mal-aimés. Ces musulmans dont la France ne veut pas » (Grasset, 2013).

Sarkozy, Debray et la république

par claude askolovitch

P ourquoi chercher en Amérique ce quin’appartient qu’à nous ? Pourquoi re-traiter les clichés sur « Sarkozy l’Améri-

cain » et s’imaginer que ce nom, « Les Républi-cains », qu’il choisit pour son nouveau parti,dériverait de Reagan ou d’Eisenhower ? Dans sa réinvention, Nicolas Sarkozy s’inspire d’un débat profondément français, vieux d’un quart de siècle, et rend hommage à un philoso-phe amant de nos humanités perdues. Ou bienle pille, ou le trahit. On choisira.

Voilà l’histoire. Nous sommes en novem-bre 1989 quand Régis Debray écrit dans Le Nou-vel Observateur. « Etes-vous démocrate ou ré-publicain ? », se demande le philosophe, dans un texte gourmand et magistral, pourtant cir-constanciel. On sort de la première affaire de foulard islamique en France. On a disputé autour de collégiennes voilées à Creil, dans l’Oise, et Debray a pétitionné pour leur exclu-sion, avec Elisabeth Badinter et Alain Finkielk-raut, déjà, contre Alain Touraine et Harlem Dé-sir, alors. Il s’en explique et hausse le niveau. Cen’est pas le foulard ou l’islam qui sont en jeu, mais une vision du monde, l’idée de la républi-que, cette invention de France, qui s’oppose à ladémocratie, norme anglo-saxonne qui devien-dra hégémonique.

« Refuser à une jeune musulmane l’entréed’une salle de classe tant qu’elle ne laisserait passon voile au vestiaire ? “Bonne action”, clamera le républicain. Non, “mauvaise action !”, s’indi-gnera le démocrate. “Laïcité”, dira l’un. “Intolé-rance”, dira l’autre. » Et Debray poursuit, sur le rapport à Dieu, à la religion, au capitalismemercantile et à l’égalité, il oppose la républiqueau « In God we trust » des billets verts, trie les concepts avec jubilation. « En république, l’Etatsurplombe la société. En démocratie, la société domine l’Etat. La première tempère l’antago-nisme des intérêts et l’inégalité des conditions par la primauté de la loi ; la seconde les amé-nage par la voie pragmatique du contrat, de point à point, de gré à gré. » La société ou l’Etat,les girondins ou les jacobins, les provinces ou Paris, la démocratie ou la république ? Debraynous dit ce que nous sommes, devinant que cepays va bientôt perdre ses raisons.

Vingt-cinq ans après, Nicolas Sarkozy fait dela politique. Il est sur TF1, le 17 mars 2015, et plaide comme s’il avait inventé les mots qu’ilemprunte. « La république a une identité. LaFrance est une république, pas seulement une démocratie. Dans une démocratie, chacun faitce qu’il veut tant que cela ne fait pas de mal auxautres. Dans une république, on est plus exi-geant. La république, c’est la laïcité. » Il s’agit, cesoir-là, d’expliquer qu’il faudra exclure les fem-mes voilées de l’université, et interdire les me-nus sans porc dans les cantines. Des foulards de Creil aux hijabs de la fac, rien donc n’a changé ? Nicolas Sarkozy retraite, vulgarise et transmute ; c’est une forme de génie.

LA RÉPUBLIQUE, UNIQUE SUJETCe n’est pas la première fois qu’il emprunte à l’ex-compagnon du Che, homme de gauche re-venu à de Gaulle puis à l’éternité française. En 2012, la thématique de la « frontière » ve-nait de Debray : simple colifichet d’une réélec-tion manquée. Cette fois, c’est sérieux. Depuis son retour en politique, l’automne dernier, les seules paroles structurantes de Sarkozy déri-vent de la thématique de Debray. Le 7 novem-bre 2014, à Paris, dans le discours phare de sa reconquête de l’UMP, il proclame la républiqueunique sujet de l’heure ; pour étayer l’argu-ment, il oppose république et démocratie. Ex-traits : « La démocratie peut être compatible avec le communautarisme, la république, non ! » « La démocratie peut se contenter de l’intégration, la république, non ! Parce que larépublique réclame davantage. Elle réclame l’assimilation. » « La démocratie est indifférente

à la façon dont on devient français, comme elle est indifférente aux modalités du regroupementfamilial. La république, non ! »

Sarkozy, ce jour-là, mobilise aussi la républi-que contre ces juges qui « font la guerre » auxpolitiques, et contre ces « corps intermédiai-res » qui l’ont empêché de réformer. Et fait dis-paraître l’impératif égalitaire au profit d’unautre concept, plus électoral : « La démocratien’est pas concernée par l’effort et le mérite. La ré-publique, si ! La république est incompatible avec l’assistanat ! » C’est la marque d’une pen-sée innovante que de faire évoluer les con-cepts, et il n’est pas de meilleure république que celle qui vous arrange ! Mais l’essentiel de cette république sarkozyenne se retrouve dansle message identitaire. Bien vite, on ne parle plus que de ça. Pourquoi s’en étonner ?

POSTÉRITÉ COMPLIQUÉELe texte de Debray aura été riche d’une posté-rité compliquée. Après 1989, sa distinction faitdes petits. Une pensée « républicaine » acca-pare le mot et devient une famille politique.Elle traverse en mutant vingt-cinq années dedésillusions françaises. Elle passe par le Phi-lippe Séguin de l’anti-Maastricht, le Chirac de1995, le Chevènement de 2002, et puis elle change en avançant. Elle s’imbibe du désarroi identitaire et de la question musulmane : logi-que, elle en venait. La république sous-tend la question nationale, qui sous-tend l’identité, qui… A l’arrivée, vous avez Philippot. Malingaulliste républicain qui reprend l’extrême droite avec la complicité stratégique de Ma­rine Le Pen et républicanise le refus horrifié del’Europe libérale, de la France musulmane et des assauts mondialisés. Le mot s’est trans­formé. La république n’est pas que notre belle évidence : elle devient un combat d’assiégés – le plaidoyer pour ces « Français de souche »,forcément abandonnés par les élites mépri-santes, qu’Alain Finkielkraut, compagnon deDebray en 1989, défend sans son Identité mal-heureuse. L’ethnique a subverti Marianne. Dutrès long texte de Debray, il ne reste désormaisque le moins intéressant, son prétexte et son point de départ : non plus l’idée de l’excep-tion, mais simplement cette prévention con-sensuelle, banalité majoritaire d’un pays fati-gué : l’islam – l’islam enfoulardé – ne pourra pas passer par nous.

Nicolas Sarkozy est une anecdote idéologi-que et un repère sociologique : un hommed’Etat porté par les peurs, plus roué que lamoyenne, dans un pays sans mémoire. Après ses escapades des années Buisson, il fait mine de rebrousser chemin dans l’escalade desmots. Avoir promu l’identité nationale, quelleerreur finalement, confie-t-il en petit comité à l’UMP, il aurait mieux fait de parler de républi-que. La confidence sort, c’est étudié pour. On applaudit la contrition de l’homme, le retour de Nicolas Sarkozy à la décence républicaine…En réalité, il n’y a rien de changé. Président del’identité nationale, ayant renoncé à vanter –lui, le petit Français de sang-mêlé – la pluralité de la société, il avait offert à l’opinion les fem-mes en burqa et les prières de rue ? Candidatde la République, il sert le jambon obligatoire àla cantine, et ses partisans continueront – vousdisiez laïcité ? – à regretter la déchristianisa-tion de nos paysages. Quel besoin d’aller cher-cher chez Maurras ou chez Buisson ce que De-bray lui offrait ? Le brouet est le même. Mais c’est Marianne qui servira la soupe, sous les ap-plaudissements des gogos. p

Le président de l’UMP ne souhaite pas appeler son nouveau parti « Les Républicains » en raison de son tropisme américain. C’est à l’écrivain Régis Debray qu’il emprunte l’opposition entre « républicains » et « démocrates » afin d’armer son combat identitaire.

DEPUIS SON RETOUR

EN POLITIQUE, LES SEULES PAROLES

STRUCTURANTES DE SARKOZY DÉRIVENT DE LA THÉMATIQUE

DE DEBRAY

UNE PENSÉE « RÉPUBLICAINE »

ACCAPARE LE MOT ET DEVIENT UNE FAMILLE

POLITIQUE. ELLE TRAVERSE EN

MUTANT VINGT-CINQ ANS DE DÉSILLUSIONS

FRANÇAISES

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L’Europe ne doit pas laisser le nuage informatique lui échapperLes entreprises européennes confient leurs données aux géants américains du Web en employant leurs services de cloud computing. Bruxelles doit mieux les protéger

par olivier iteanu

I l existe une version technolo-gique de la théorie du com-plot selon laquelle le cloud

computing serait la nouvelle arme américaine de domination du monde. S’agit-il d’une nouvelle élucubration complotiste ou d’une théorie sérieuse ? A l’heure de la transformation numérique de nos sociétés, ne doit-on pas se poser la question de notre dépen-dance à l’égard de l’outil numéri-que et de savoir qui en a la maî-trise ?

Pour répondre à la question,trois constats peuvent être faits. Tout d’abord, le cloud computing n’est pas une technologie occulte. Ce concept, apparu il y a une quin-zaine d’années aux Etats-Unis, si-gnifie que les logiciels que nous utilisons et nos données ne se trouvent plus stockés sur les dis-ques durs de nos ordinateurs ou dans des serveurs de l’entreprise. Ils se trouvent quelque part dans l’Internet dans les « nuages » sur des machines regroupées dans des usines à données.

Deuxième constat, les acteurséconomiques les plus en vue de cette informatique dite en nuage sont des groupes américains : Amazon, Google, Microsoft et IBM. Troisième constat, très tôt, les autorités américaines ont compris l’intérêt qu’elles peuvent tirer de cette révolution informa-tique.

Trois semaines après le 11-Sep-tembre, le Congrès américain votele Patriot Act. Cette loi fourre-tout dispose d’un volet électronique. Le FBI pourra s’adresser aux pres-tataires et les enjoindre de com-muniquer les données des clients qu’ils hébergent. La justice améri-caine a même ordonné à Micro-soft de rapatrier des données stoc-kées en Irlande. Ne sommes-nous pas tous devenus redevables, si ce n’est justiciables, aux autorités américaines ?

Quant aux entreprises, on saitque les officines de renseigne-ment des Etats remplissent des missions d’espionnage industrielau bénéfice de leurs industries na-tionales. Quelle garantie a-t-on que tel constructeur d’avions ne verra pas ses plans transmis à son concurrent, justement américain, dans ce cadre ?

Face à ces enjeux, l’Europe brillepar son absence de réaction. La ré-glementation européenne con-naît un principe selon lequel les données personnelles ne peuvent être exportées hors de l’Union européenne (UE) dans un pays ne disposant pas d’une législation adéquate de protection desdites données. En France, exporter en Chine sans précautions un traite-ment de paie ou un fichier clients est ainsi puni de cinq ans de pri-son et de 300 000 euros d’amende.

MÉCONNAISSANCEOr les Etats-Unis ne disposent pas d’une réglementation fédérale en la matière, ce qui ne devait pas permettre aux groupes améri-cains de recueillir les données personnelles européennes. La Commission européenne et le dé-partement du commerce améri-cain ont pallié la difficulté : ils ont négocié un programme d’autoré-gulation appelé Safe Harbor (port de sécurité).

Les entreprises américaines quise considèrent conformes à un minimum requis en matière de données personnelles n’ont qu’à se déclarer Safe Harbor auprès du département du commerce amé-ricain et le tour est joué. Elles peu-vent alors légalement recevoir des données européennes. Or la Com-mission n’a négocié ni procéduresde contrôle du Safe Harbor ni sanctions en cas de fausses décla-rations.

Le caractère illusoire du SafeHarbor a été démontré par les ré-vélations d’Edward Snowden sur le programme Prism, car les en-

treprises désignées dans Prism pour avoir donné à la NSA un ac-cès direct à toutes les données qu’ils hébergent étaient égale-ment déclarées Safe Harbor… En dépit de cette violation manifeste, la Commission européenne conti-nue aujourd’hui à faire comme si de rien n’était.

L’UE pourrait pourtant s’inspi-rer du Congrès américain. Celui-ci n’a pas craint d’interdire l’accès aumarché américain à deux équipe-mentiers télécoms chinois, Huawei et ZTE. La mesure a été justifiée par d’obscurs motifs de sécurité nationale. Jamais, en Eu-rope, aucun Parlement national ou le Parlement européen ne se-rait prêt à prendre une telle me-sure. Lorsqu’on interroge un élu sur d’éventuelles mesures protec-trices, celui-ci se retranche der-rière un discours lénifiant d’ouverture ou de non-fermeture au monde, qui cache souvent une méconnaissance des problèmes ou, pire, un désintérêt coupable.

Nous ne croyons pas qu’il existeun dessein de quelques-uns qui, dans les ténèbres d’un cabinet, ont envisagé de dominer le monde par le cloud computing. Nous croyons que le monopole degroupes américains qui se bâtit enEurope dans ce domaine pourrait par contre créer un vrai problème de dépendance technologique et de souveraineté européenne.

Il est temps que l’Europe fassepreuve d’une volonté politique pour protéger son industrie infor-matique. Il est temps qu’une vo-lonté politique se dégage, exi-geant des entreprises qui destinent leurs offres au marché européen le respect de ses lois et réglementations et, par-delà, de ses valeurs. Dans l’intervalle, il ap-partient aux entreprises euro-péennes de construire une offre compétitive alternative, de se re-grouper et de faire savoir que leurs offres respectent la régle-mentation européenne et leurs clients européens. p

¶Olivier Iteanu est avocat et vice-président de l’association professionnelle Cloud Confidence

Israël doit reconnaîtrele génocide arménienPour ne pas indisposer la Turquie, l’Etat hébreu se refuse à qualifier de génocide les massacres dont ont été victimes les Arméniens de l’Empire ottoman. Sa politique doit changer

par serge et arno klarsfeld

I l est temps pour les autoritésles plus représentatives d’Is-raël, son président, le chef de

son gouvernement, la Knesset,de reconnaître le génocide dontont été victimes les Arméniensde l’Empire ottoman.

Dans moins de vingt-cinq ans,ce sera au tour du centenaire dugénocide des juifs d’être célébrédans le monde entier, et – nous l’espérons – y compris dans le monde musulman. Comment cultiver cette espérance d’unani-mité si l’Etat des juifs se refuse encore à cette reconnaissance formelle pour ne pas indisposer son puissant voisin turc ?

Le génocide arménien a été re-connu par de nombreux pays, etle président de la République, François Hollande, s’est engagé à ce qu’une loi sanctionne la néga-tion du génocide arménien

comme la loi Gayssot sanctionne depuis un quart de siècle la néga-tion du génocide juif.

En un temps où les massacresdes chrétiens d’Orient se multi-plient, la voix du pape s’est fait entendre pour le déplorer et pour, enfin, proclamer que les Ar-méniens ont été victimes d’un génocide.

SUIVRE L’EXEMPLE ALLEMANDCe n’est pas pour condamner la Turquie moderne, pas plus qu’à Nuremberg on a voulu condam-ner l’Allemagne qui naîtrait des ruines du IIIe Reich. D’ailleurs, l’Al-lemagne fédérale dès sa nais-sance, la République démocrati-que allemande peu avant sa chute et l’Allemagne enfin réunifiée ont reconnu le génocide commis par l’Allemagne hitlérienne et, en en assumant les conséquences sur tous les plans, ont libéré le peuple allemand d’une partie de son far-deau moral.

Les dirigeants de la Turquie doi-vent suivre cet exemple. Tant qu’ils nieront la vérité historique, tant qu’ils essaieront d’échapper àleurs responsabilités et qu’ils con-tinueront à prétendre que les Ar-méniens les ont trahis pendant la première guerre mondiale et qu’eux ont seulement riposté, ils seront tenus à l’écart par la com-munauté internationale, et en priorité par l’Union européenne. Tant qu’Israël ne reconnaîtra pasle génocide arménien, la Turquie se refusera à le faire.

L’Etat juif sait que les nazis ontpu se risquer à commettre au XXe siècle un second génocide parce que les auteurs du premier n’avaient pas été punis. Aucun argument ne peut s’opposer vala-blement à la reconnaissance quenous demandons à Israël en cesjours ou nous commémorons Yom HaShoah (la Journée du sou-venir de l’Holocauste en Israël). p

¶Serge Klarsfeld présideFils et filles des déportés juifsde FranceArno Klarsfeld est l’ancien avocat des Fils et fillesdes déportés juifs de France

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14 | débats DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

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par charles aznavour

C’est vrai, je suis de ce peu-ple, mort sans sépulture.Mon père et ma mère, quiont pu échapper à la tour-mente, ont eu la chancede trouver refuge en

France. Il n’en a pas été de même pour le mil-lion et demi d’Arméniens qui ont été massa-crés, égorgés, torturés dans ce qui a été le pre-mier génocide du XXe siècle.

Un vent de sable et puis d’oubli a longtempsrecouvert ce meurtre de masse. Les gouverne-ments turcs qui ont succédé aux bourreaux de 1915 ont pendant des décennies pratiqué un négationnisme d’Etat. Ils ont parié sur l’amnésie et sur la lâcheté internationale. Et ils ont failli avoir raison. Pendant des années, le crime a pu être considéré comme payant. Il a fallu attendre les années 1980 pour que les nations commencent à le reconnaître. Sur lapointe des pieds, mezza voce. Le Parlement européen tout d’abord, en 1987. La France avecune loi promulguée le 29 janvier 2001. Une vingtaine d’autres Etats depuis. Et le Vatican ily a quelques jours.

Face à une telle situation, tout être humaindoué d’un peu de raison et de bonne foi ne peut que se trouver désemparé. Je ne fais pas exception à la règle. Je n’ai pas été élevé dans lahaine. Le ressentiment ne fait pas partie de mon univers. Je n’en veux pas au peuple turc, qui a été éduqué dans le déni. Je veux faire confiance à la jeunesse de ce pays – et à ce peu-ple que j’aime.

Je sais qu’un jour elle ouvrira les yeux et de-mandera des comptes à ses dirigeants sur les années de mensonges et de déshonneur qui l’ont maintenue dans l’ignorance de sa proprehistoire. Je suis certain qu’un jour, pas si loin-tain, elle effacera « cette tache sur le front », comme le disait le poète turc Nazim Hikmet, non pas en se mettant la tête dans le sable ou en la couvrant de cendres, mais par une réap-propriation libératrice de son histoire.

DIALOGUE ARMÉNO-TURCCe jour-là, n’en doutons pas, les conditions se-ront réunies pour un dialogue arméno-turc sincère et vertueux. Un pas sera franchi dansla légende de la fraternité. Je ne veux pas me poser en donneur de leçons à l’égard de ce peuple, de cette jeunesse. Qui suis-je pour le faire ? Mais, en tant que descendant des victi-mes, et de surcroît en tant que personnage public, une responsabilité particulière m’in-combe.

Je porte le poids de leur infinie souffrance.Un mandat moral me relie à elles. J’entends leurs prières. D’autant plus fort qu’elles ont été étouffées, bâillonnées. Les morts sont sans défense. Il appartient aux vivants de veiller à leur respect, à leur dignité. D’être at-tentifs à ce que l’oubli et le déni ne les tuent pas une seconde fois. Je crois que c’est le de-voir de chaque Arménien de s’en préoccuper.

Parce que ce que l’on a voulu anéantiren 1915, c’est l’Arménien, ce qu’il est. C’est moi,mais c’est vous aussi. Car, comme à Aus-chwitz, ce qu’ils ont également assassiné, c’estl’humanité. Pourquoi le gouvernement jeu-ne-turc a-t-il commis cet acte ignoble ? Pour-quoi a-t-il massacré tous ces gens ? M. Erdo-gan pourrait-il nous dire une parole de vérité sur ce sujet ? D’autant que la logique de l’hos-

tilité envers les Arméniens continue, cent ansaprès, à faire des ravages.

Je pense au blocus de la Turquie sur cette pe-tite Arménie qui a survécu par miracle au gé-nocide. Je pense à son refus de ratifier les pro-tocoles signés en 2009 pour la normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie, dont Ankara conditionne la validation à un règlement de la question du Haut-Karabagh, conforme bien sûr aux exigences de Bakou, lacapitale de l’Azerbaïdjan. Je pense à son sou-tien politique et militaire à Ilham Aliev, quasi-président à vie de l’Azerbaïdjan, qui a promis non seulement de mettre sous sa botte cette petite partie de territoire qui s’est libérée del’oppression, mais qui menace aussi ouverte-ment d’envahir l’Arménie et d’occuper sa capi-tale, Erevan.

Comment ne pas évoquer non plus l’atta-que par des organisations djihadistes, le 21 mars 2014, du bourg arménien de Kessab en Syrie, situé à quelques encablures de la frontière turque et dont tout indique qu’elle n’aurait pu se réaliser sans le feu vert d’An-kara ?

Comment ne pas penser au mémorial deDeir ez-Zor, également en Syrie, seul monu-ment dédié aux victimes du génocide sur la terre où elles ont été martyrisées. Cet ossuairea été dynamité le 18 septembre 2014 par Daech, et nombre d’analystes estiment que cette profanation a bénéficié du consente-ment d’Ankara. Est-il possible de passer soussilence le drame des chrétiens d’Orient, as-syro-chaldéens, syriaques et arméniens, ainsi que la tragédie des yézidis, qui continuent jus-qu’à aujourd’hui d’être persécutés. Toutes ces questions constituent des enjeux de la recon-naissance du génocide par la Turquie. L’impu-nité a donné le mauvais exemple.

Les atrocités en cours aujourd’hui auMoyen-Orient plongent leurs racines dans lesabominations de 1915, dont la région portenon seulement les stigmates mais également la mémoire. Elles ont proliféré sur la norme dominante qui s’est instaurée depuis l’épo-que. Ce modèle a laissé croire que la déraison

du plus barbare finissait toujours par s’impo-ser. Faut-il s’y résigner ?

Pendant la seconde guerre mondiale, le do-micile de mes parents, qui étaient installés rue de Navarin (Paris IXe), était fréquenté par les résistants du groupe Manouchian. J’ai eu lachance, étant jeune, de côtoyer ces Arménienset ces émigrés juifs qui combattaient l’occupa-tion allemande. Le souvenir de cette période de ma vie ne m’a jamais quitté. Je n’oublierai jamais le courage et la grandeur de ces étran-gers qui se sont portés volontaires pour libé-rer la France et lutter contre le racisme et l’an-tisémitisme.

Je me rappelle des paroles de Missak et Méli-née Manouchian, tous deux orphelins et res-capés du génocide de 1915, qui voyaient dans le sort réservé aux juifs une répétition de ce qu’avait subi leur peuple. Dans sa dernière let-tre à Mélinée, envoyée avant qu’il ne passe de-vant le peloton d’exécution nazi, Missak avait écrit ces mots bouleversants : « Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand. » Cettephrase d’une très grande hauteur de vue est restée gravée dans ma conscience.

INSATIABLE NATIONALISME PANTURCIls ne combattaient pas contre les Allemands. Ils mettaient leur vie en péril pour la liberté dela France et la défense de ces communautés qu’on assassinait sous leurs yeux : les juifs, lesTziganes. Ils luttaient contre une barbarie quel’on n’avait pas éradiquée après la première guerre mondiale et qui resurgissait à la faveurde la seconde, sous un autre masque.

Car le problème est bien là. Cent ans après,« le ventre est encore fécond d’où a surgi la bêteimmonde », comme l’a dit Brecht. On le voit à travers le sort des minorités du Moyen-Orient, on le voit moins quand il s’agit desmenaces qui pèsent sur l’Arménie et le Haut-Karabagh. Et pourtant ! Il n’y a pas eu une se-maine depuis le début de l’année sans qu’un jeune de 20 ans ne meure sur la ligne de con-tact entre le Haut-Karabagh et l’Azerbaïdjan.Ça me crève le cœur.

Alors que la présence des Arméniens s’est ré-

duite comme peau de chagrin dans ces terres qui furent le berceau de leur histoire, des gos-ses continuent d’être tirés comme des lapins car ils doivent résister aux appétits d’un natio-nalisme panturc décidément insatiable.

1915-2015 : si peu de choses ont changé… Lesgrandes puissances, qui ont l’habitude de su-bordonner la morale à leurs intérêts, portent bien sûr leur part de responsabilité dans la permanence de cette série de catastrophes dont on ne voit pas la fin. Combien de fois lepeuple arménien a-t-il été enfumé, trahi, abandonné à son sort ? Les marchands d’ar-mes sont devenus aujourd’hui les meilleurs amis de la « pétrodictature » azerbaïdjanaise, dont le budget militaire équivaut à lui seul au PIB de la petite Arménie. Tandis que, de l’autrecôté de la frontière, on professe le négation-nisme d’Etat, indicateur s’il en est d’une pro-pension à la récidive.

La mort continue donc de rôder autour dupeuple arménien. Jusqu’à quand ? Je voudrais cependant conclure cette tribune par une note d’optimisme. On ne se refait pas ! Un sondage international réalisé à la demande du Mémorial de la Shoah a révélé qu’environ 33 % des Turcs de 18 à 26 ans sont favorables à une reconnaissance du génocide arménien. Etant donné les tabous de ce pays, ce chiffre incite à la confiance.

La lecture de cette enquête m’a empli de joie.Elle m’a conforté dans mon respect pour ce peuple turc qu’il ne s’agit pas de montrer du doigt pour un crime qu’il n’a pas commis. Ellem’a fait entrevoir qu’un jour peut-être cette région du monde sera comme la famille Azna-vour, qui compte des chrétiens, des juifs et desmusulmans que j’aime d’un même amour. Je me prends à rêver. Mais la réalité d’une actua-lité bien sombre finit régulièrement par s’im-poser à moi, qui dispose de si peu de moyens d’agir pour en changer le cours.

Puisse ce triste anniversaire – c’est la pre-mière fois dans l’histoire que l’on commé-more les cent ans d’un génocide – faire avan-cer les consciences. C’est à ça, aussi, paraît-il, que servent les commémorations. p

IL N’Y A PAS EU UNE SEMAINE DEPUIS LE DÉBUT DE L’ANNÉE SANS QU’UN JEUNE

DE 20 ANS NE MEURE SUR LA LIGNE

DE CONTACT ENTRE LE HAUT-KARABAGH ET L’AZERBAÏDJAN

Cent ans de solitude pour les ArméniensLe refus d’Ankara de reconnaître le génocidede 1915 est sans doute à l’origine des atrocités dont la région est aujourd’hui le théâtre. Mais la prise de conscience avance

¶Charles Aznavourest auteur-compositeur interprète, acteur, écrivain

et diplomate. Il est né

à Paris en 1924. Il est

ambassadeur d’Arménie

en Suisse et représentant

permanent de ce pays

auprès de l’ONU.

Il est aussi, depuis 1995,

représentant permanent

de l’Arménie auprès

de l’Unesco.

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0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 culture | 15

PORTRAITerevan

Je me demande si j’aurais eu, ici, les mê-mes conditions qu’à Paris pour appren-dre la musique… » Alain Altinoglu acommencé à répéter, ce 31 mars, dansla salle de l’Opéra d’Erevan. Plus qu’aurouge défraîchi des rideaux, plusqu’aux instruments de percussion

vieillots des musiciens de l’Orchestre philhar-monique, cette réflexion s’adresse à sa propreémotion, liée à la découverte bouleversante etdéconcertante d’un pays, l’Arménie. Terre deses origines, dont il connaît la langue mais pas ceux qui la parlent. Le chef d’orchestre français a emmené avec lui son père, Alexan-dre, son fils, Arthur (9 ans), et sa femme, lamezzo-soprano Nora Gubisch.

La répétition a repris : Ravel, La Rhapsodieespagnole. Un cadeau d’Alain Altinoglu qui tient à en assurer la création nationale le3 avril. « C’est la première fois qu’ils la jouent. Pas facile, la musique française, pour eux quisont tellement imprégnés du répertoire germa-no-russe. » Ravel n’est peut-être pas un ha­sard. Dans les années 1960, sa mère, Janet Mafyan, jeune pianiste et professeure de piano au Conservatoire d’Istanbul, avait con-couru en interprétant pour la première fois enTurquie le Concerto en sol. « L’orchestre n’avait pas assez d’instruments, il a fallu faire appel à celui de la marine. J’ai l’enregistrement à la maison. C’est assez émouvant… », lâche-t-il.

Alain Altinoglu, né en France, avait 12 anslorsqu’il a perdu en 1988 cette mère musi-cienne et professeure de piano, qui lui a ap-pris, ainsi qu’à sa sœur, les notes avant les let-tres, et l’arménien avant le français. « Jusqu’à 3 ans, je n’ai connu que l’arménien. Et puis àl’école maternelle j’ai découvert que personne ne parlait ma langue. A la maison, on recevait des Arméniens, on allait à l’église arménienne,

on se retrouvait chez mes grands-parents ma-ternels pour manger des beureks. » La quête deces chaussons fourrés aux légumes ou à la viande est un leitmotiv passionnel pour AlainAltinoglu dans les restaurants d’Erevan.

Le fait de parler couramment l’arménien amis tout de suite les musiciens dans la poche d’Alain Altinoglu. Pas un moment d’inatten-tion n’interrompt le minutieux et délicat tra-vail musical sur la langue ravélienne (cou-leurs, phrasés, articulations). Dans la salle, son père, Alexandre Altinoglu, couve d’un re-gard fier ce grand fils qui accompagnait à l’or-gue à 12 ans les chants de la chorale qu’il diri-geait tous les dimanches à l’église catholique Sainte-Croix des Arméniens de Paris, dans le 3e arrondissement, à l’angle de la rue du Per-che et de la rue Charlot.

Lui et sa femme, nés tous deux en Turquie,sont arrivés en France en octobre 1971. « Notrenom de famille, Altounian (qui signifie “Fils de l’or”), a sans doute été turquisé par mon grand-père paternel. Mais tous nos cousins de la dias-pora le portent. La famille est originaire de Kü-tahya, en Anatolie, la ville du célèbre composi-

teur Komitas, qui a terminé ses jours fou, à Vil-lejuif, après avoir échappé au génocide. »

Alexandre Altinoglu et sa jeune femme es-péraient en France une vie meilleure. Quatre ans plus tard, le 9 octobre 1975, leur fils nais-sait à Alfortville, dans le Val-de-Marne, qui concentre une forte communauté armé-nienne. « Dans les familles, on ne parlait pasdu génocide, souligne Alexandre Altinoglu. Les gens avaient peur des représailles. Beau-coup d’Arméniens n’ont appris la vérité qu’en arrivant en Europe. »

BEAUTÉS, PARADOXES, DÉNUEMENTAlexandre Altinoglu non plus n’était jamais venu en Arménie. Comme son fils, il en dé-taille les beautés, les paradoxes. Mais aussi le dénuement d’un pays sous assistance de sa diaspora. La jeune République indépendante de 1991 peine toujours à sortir du marasmelaissé par soixante-dix ans de domination so-viétique et de la guerre toujours présente en-tre l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh. Tous deux s’accordent sur la « qualité de l’accueil,une vertu cardinale des Arméniens » que les douleurs de l’Histoire n’ont pas entamée.Ainsi du directeur musical de l’orchestre, Edouard Topchian, venu en ami assister aux répétitions. Quant aux musiciens, « plus d’une dizaine se sont spontanément portés vo-lontaires pour nous convoyer en voiture pen-dant tout le séjour, sourit Alain Altinoglu. Ini-maginable en France ! ».

La visite au mémorial du génocide s’est im-posée le lendemain, une fois la répétition ter-minée. Il faut sortir de la ville par l’ouest, pren-dre une route en lacet qui monte sur la colline.Sur la vaste esplanade de Tsitsernakaberd (le« fort aux hirondelles ») quasi déserte, la lu-mière frappe. C’est là que les cérémonies du centenaire du génocide rassembleront, le 24 avril, un imposant aréopage de personnali-tés et de chefs d’Etat, dont le président fran-çais François Hollande. Alexandre Altinoglu s’est approché d’un long mur couvert d’ins-criptions. « Ce sont les noms des villages mar-

tyrs dans lesquels ont été tués 1,5 million d’Ar-méniens, le premier génocide du XXe siècle ! » Ce massacre des deux tiers d’une population vivant dans l’Empire ottoman par le gouver-nement nationaliste jeune-turc à partir d’avril 1915 a été officiellement reconnu par laFrance, le 29 janvier 2001.

La haute et puissante flèche (44 mètres) dumémorial ainsi que les douze gigantesques stèles de granit de son dôme évidé (conçus en-tre 1966 et 1968 par Arthur Tarkhanyan et Sas-hur Kalashyan) sont comme une réponse au déni du voisin turc, un « double » en quelque sorte du mont Ararat (la montagne sacrée desArméniens), dont les neiges éternelles culmi-nent à 5 137 mètres, et désormais en Turquie. Au centre, une flamme, éternelle elle aussi. Cevolcan-là n’est pas éteint, autour duquel les pèlerins déposent des fleurs tandis que des abysses montent des voix – textes psalmo-diés, chants traditionnels ou religieux. Tout lemonde écoute avec recueillement la poi-gnante nostalgie du Grung, de Komitas, ce « Chant de la grue » porteur des douleurs de l’exil. En repartant, Alexandre Altinoglu lan-cera : « Si un président turc venait ici, il change-rait d’avis ! »

Le 21 avril, ce n’est pas à Erevan mais à Parisqu’Alain Altinoglu dirigera le concert organiséau Théâtre du Châtelet par l’Union générale arménienne de bienfaisance de France (UGAB) en commémoration du génocide des Arméniens. Le chef sera cette fois « à la tête d’un orchestre éphémère, l’Armenian World Or-chestra, composé de cinquante musiciens etquarante choristes issus de la diaspora », aux-quels s’ajouteront des solistes de renom. Pas de musique française, mais du Khatchatou-rian (le compositeur de La Danse du sabre) et une création de Michel Petrossian au titre évo-cateur – Ciel à vif –, sans oublier l’immarcesci-ble Grung, de Komitas. A l’instar des lumières du soir sur le mont Ararat, le Requiem de Mo-zart apportera sans doute un apaisement. p

marie-aude roux

Concert avec Hasmik Papian, Liparit Avetisyan, Nora Gubisch, Tigran Martirossian, Vahan Mardirossian, Jean-Marc Phillips-Varjabédian, Xavier Phillips, Armenian World Orchestra, Chœur de la Fondation Gulbenkian, Alain Altinoglu (direction). Le 21 avril à 20 heures. Théâtre du Châtelet, Paris 1er. Tél. : 01-40-28-28-40. Chatelet-theatre. comDiffusé en direct sur Culturebox

« DANS LES FAMILLES, ON NE PARLAIT

PAS DU GÉNOCIDEPAR PEUR

DE REPRÉSAILLES. BEAUCOUP

D’ARMÉNIENS N’ONT APPRIS LA VÉRITÉ QU’EN ARRIVANT

EN EUROPE »ALAIN ALTINOGLUchef d’orchestre

Alain Altinoglu revientsur son passé arménien

Le chef d’orchestre français a dirigépour la première fois, le 3 avril, l’Orchestre

philharmonique d’Arménie à Erevan

Alain Altinoglu devantl’Opéra national de la ville

d’Erevan, en Arménie,le 3 avril.

INNA MKHITARYAN/POUR « LE MONDE »

« Arshak II » en CalifornieAvant de devenir l’un des chefs d’orchestre français les plus demandés sur les scènes et dans les fosses internationales, du Metropolitan Opera de New York au Festival de Bayreuth, où il fera ses débuts, cet été, dans Lohengrin, Alain Altinoglu a d’abord été pianiste, chef de chant à l’Opéra de Paris. C’est à ce titre qu’il a été amené à travailler en septembre 2001 sur la première mondiale de « l’opéra des opéras arméniens », Arshak II, de Tigran Tchouhadjian, mis en scène par Francesca Zambello à l’Opéra de San Francisco. Dans cette vaste fresque lyrique avec chœurs et bal-lets, composée en 1868 sur un livret en arménien et en italien d’après l’histoire du roi Arsace II, sa femme, la mezzo Nora Gubisch, tenait le rôle de la princesse Paransema. « C’était la première fois qu’Arshak II était remonté dans sa version originale, sans les réorchestrations soviéti-ques qui prévalent habituellement. La communauté arménienne de Cali-fornie avait mis pour cela un million de dollars sur la table », raconte-t-il, fier d’avoir contribué à cette réappropriation de la culture arménienne.

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L'HISTOIRE DU JOUR « Life Itself » : l’agonie magnifique de Roger Ebert

Ç a, c’est quelque chose qu’on ne voit ja-mais au cinéma, filme ! », dit le héros deLife Itself au réalisateur. On est dansune chambre d’hôpital, le héros est

mourant, il s’exprime à travers un synthéti-seur de voix. Une infirmière enfonce un tuyau dans la gorge de Roger Ebert, qui ajoute « Suc-cion ! ». Ce documentaire consacré au plus fa-meux des critiques de cinéma américains em-prunte son titre – Life Itself, la vie elle-même –à l’autobiographie de Roger Ebert, mort en 2013 des séquelles d’un cancer qui l’avait privé de voix depuis 2006. Tourné à l’extrêmefin de sa vie, le film de Steve James met d’abord en scène une survie élevée au rang devie à part entière à force d’énergie et d’astuce.

Un explorateur au jugement très sûr

Avec l’appui de sa formidable épouse Chaz, Ro-ger Ebert avait réussi à préserver, mieux, à dé-velopper, le travail de toute une vie de critique,dans la presse (il a écrit pendant un demi-sièclepour le Chicago Sun-Times) et à la télévision. Lesite rogerebert.com, qui donne accès aux mil-liers de critiques produites depuis 1967, est aussi (et reste, après la mort de son fondateur) un lieu de débat sur le cinéma vivant. Alors quela maladie l’avait rendu physiquement muet, Ebert était devenu une étoile sur Twitter.

Cette agonie magnifique donne tout sonsens au parcours de ce critique du Middle West,né loin des salons de Manhattan et des studiosde Hollywood, qui s’est imposé au milieu des années 1960 comme un explorateur au juge-ment très sûr, à l’inépuisable enthousiasme.

Dans les deux décennies suivantes, Ebert de-vient une vedette nationale grâce à l’émissionqu’il présentait avec son rival du Chicago Tri-bune, Gene Siskel, jusqu’à la mort de ce dernier,en 1999. Leur formule « two thumbs up » (deuxpouces levés), décernée avec discernement, estdevenue le sésame du succès pour les films américains. C’était aussi, par son laconisme, le complément du travail critique qu’abattaient les deux hommes dans leurs quotidiens res-pectifs.

Les témoignages – pastous hagiographiques –, les extraits d’émissions dessinent une figure horsdu commun, d’une ciné-philie œcuménique qui leportait aussi bien vers Terrence Malick que vers Russ Meyer. C’est en tant que scénariste du roi du film d’exploitation (pour le très drôle Beyond The Valley of the Dolls) que Roger Ebert passa, en 1970, de l’autre côté du miroir critique.

Life Itself démontre qu’on peut vivre pleine-ment sa vie en en passant une bonne part dansles salles obscures. De quoi réconforter ses confrères et faire remonter un tant soit peu la profession de critique dans l’estime de ceux et celles qui paient leur place au cinéma. p

thomas sotinel

Documentaire américain de Steve James, disponible sur Netflix (2 heures).

LE FILM MET EN SCÈNE UNE SURVIE

ÉLEVÉE AU RANG DE VIE À PART ENTIÈRE

À FORCE D’ÉNERGIEET D’ASTUCE

Jilani Saadi fait voler en éclats la réalité tunisienneLes 3es Rencontres des cinémas arabes de Marseille ont permis de (re)découvrir ce réalisateur singulier

CINÉMAmarseille

Ceux qui ont vu, enFrance, Khorma (2002)ou Tendresse du loup(2006) se souviennent

– peut-être – du nom de Jilani Saadi, l’auteur et producteur de ces films. Ils sont peu nombreux.Si peu que ce Tunisien de 53 ans arenoncé à chercher un distribu-teur français pour les suivants. Il a tourné trois autres longs-métra-ges, des courts, mais on n’a plus vraiment entendu parler de lui surla rive nord de la Méditerranée. Pour prendre la mesure de son œuvre, ce condensé de poésie brute et de critique sociale au vi-triol, il aura fallu que les Rencon-tres internationales des cinémas arabes de Marseille, dont la 3e édi-tion se termine dimanche 19 avril, lui consacrent une première ré-trospective française.

Inventif et débridé, rétif à tous lesdogmes, le cinéma de Jilani Saadi glisse du 35 mm à la caméra GoPro,intègre des images de vidéosur-veillance, détourne des clips d’ap-pel au djihad piqués sur Internet, filme en plongée du point de vue d’un hibou, à moins que ce soit du pouvoir… Burlesque, mélo, comé-die musicale, drame social, docu-mentaire s’y télescopent dans des proportions chaque fois différen-tes. Un romantisme échevelé coexiste avec une approche crue de la violence, du viol en particu-lier, dont il expose frontalement labarbarie. Sa vision d’un monde

peuplé de fous, de clochards et d’idiots, de prostituées et de filles révoltées se déploie avec une cohé-rence extrême, sous-tendue par l’idée qu’on ne tue pas le père dansla société tunisienne. « Et si on ne peut pas tuer le père, comment peut-on tuer un policier ? Commentcontester le pouvoir en place ? »

Après une enfance passée àétouffer dans la ville côtière de Bi-

monie. Quand son père la puniten lui rasant une partie de la che-velure, elle renverse l’humiliationen terminant elle-même le travail à la tondeuse. « Etre plus fort que ce que l’on t’impose, faire de sa fai-blesse une force, c’est l’histoire du cinéma que je veux faire. Nous se-rons plus libres, plus forts, si nous cessons de nous comparer aux standards d’un cinéma disposant de moyens des dizaines de fois plusimportants que les nôtres. Il n’y apas qu’une seule esthétique. »

Saadi travaille comme conteur,puis médiateur culturel, dans les cités de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Il tourne deux courts-métrages, dont le bijou de cruauté burlesque Marchandage nocturne (1994). Son premier scénario de long retient l’attention du Centre national du cinéma et de l’image animée, qui lui finance un pilote, mais le jury n’est pas convaincu. Lefilm ne verra pas le jour. C’est en Tunisie qu’il réalise Khorma, allé-gorie cinglée de la transition de Bourguiba à Ben Ali, portée par un

idiot solaire qui se transforme, dèsqu’on lui accorde un semblant de statut social, en un potentat cor-rompu. Puis Tendresse du loup, surle viol collectif d’une prostituée, qui fera scandale.

Errance poétique et foutraque

En 2007, il revient vivre à Bizerte, avec femme et enfant, tourne en-suite Où es-tu papa ?, puis Dans la peau, mélo expérimental, sexy et poignant, qu’il termine pendant larévolution. Révélé par les Rencon-tres de Marseille, le film n’était passorti à la demande de ses acteurs, effrayés, à l’époque, à l’idée de de-venir la cible des violences des isla-mistes. La révolution, la puissance des vidéos tournées au téléphone portable qui l’ont déclenchée ont ébranlé les certitudes du cinéaste. Avec quelques camarades, il établitune série de principes réunis sous le label Bidoun, un mot qui veut dire « sans » en arabe.

Les films se feront sans argent,sans machinerie et – surtout – sans autorisation de tournage, ces

« instruments de censure » qui soumettent l’existence des œuvres au bon vouloir du pou-voir politique. Errance poétique etfoutraque d’un garçon paumé et d’une fille révoltée, Bidoun 2 a été entièrement filmé à la GoPro, comme Bidoun, le court-métrage qui l’a précédé. Pourquoi ? « Parceque Mohamed Merah. Il en avait une sur sa poitrine, quand il a tuéles enfants juifs. Cet acte m’a telle-ment choqué que j’ai voulu voir ce qu’on pouvait faire avec. Le specta-teur n’est plus dans cette place un peu tierce que lui assigne le champ-contrechamp, il prend cellede l’acteur. La GoPro ouvre des es-paces, laisse entrer beaucoup de hasard. Le statut du réalisateur s’en trouve remis en question. »

Outre un Bidoun 3, qu’il tourneradès qu’il aura 5 000 ou 6 000 euros pour payer la nourriture, Ji-lani Saadi prépare une fiction fon-dée sur ce qu’il a tourné en 2010 à Kasserine, la ville d’où sont partiesles images des jeunes gens tués parla police en janvier 2011, qui ont fait descendre le pays entier dans la rue. Les attentats de janvier, à Pa-ris, ont, par ailleurs, fait remonter à la surface un scénario de 2003, inspiré de son expérience dans les banlieues françaises, « l’histoire d’un homme qui a fui l’Algérie parcequ’il était menacé de mort par des intégristes, qui trouve un poste de gardien de cité en banlieue, et re-trouve les mêmes problèmes, multi-pliés par dix ». Ce serait une « co-médie marrante », dit-il. Il cherche un producteur français. p

isabelle regnier

La vision de Jilani

Saadi d’un monde

peuplé de fous,

de clochards

et d’idiots,

de prostituées et

de filles révoltées

se déploie avec

une cohérence

extrême

« Où es-tu papa ? » raconte l’histoire d’un quadragénaire promis à une jeune femme qui lui fait faux bond le jour du mariage. DR

zerte, ce fils de docker issu d’unefamille fortement politisée débar-que à Paris en 1984, s’inscrit à lafac de cinéma de Vincennes, vit quelque temps dans la rue, se lie d’amitié avec des clochards qui le marquent à vie. Il leur rendrahommage dans Où es-tu papa ? (2011), l’histoire d’un quadragé-naire promis à une jeune fille qui lui fait faux bond le jour de la céré-

M O B Y D I C K F I L M S P R É S E N T E

LE 22 AVRIL

VIRGINIE

EFIRA

EMMANUEL

MOURET

LAURENT

STOCKER

ANAÏS

DEMOUSTIER

CapriceUN FILM DE EMMANUEL MOURET

GracieuxTÉLÉRAMA

PétillantSTUDIO CINÉ LIVE

BondissantPREMIÈRE

EuphorisantTOUTE LA CULTURE

Page 17: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 culture | 17

GA

LE

RI

ES CHARLES LE HYARIC

Claudine Papillon GaleriePremière exposition personnelle et première réussite. Charles Le Hyaric, 27 ans, est un expérimentateur de matériaux très in-ventif. Avec une toile à peindre sale et déchirée, quelques menus débris naturels, un miroir et une bande-son, il obtient un jardin lunaire. Dans le papier hygiénique, contre toute attente, il décou-vre de quoi créer de fausses pierres feuilletées et mordorées. Il assemble une composition murale entre abstraction et géologie avec des vestiges ramassés dans les ateliers de peinture et de sculpture des Beaux-Arts de Paris, où il est encore élève. De mé-langes secrets de peinture, d’eau de Javel et d’autres liquides qu’il ne nomme pas, il tire des dessins sur papier, qui évoquent tor-rents, moraines et déserts. L’étoupe, la feuille d’or, le miel lui ser-vent aussi, de sorte que ses œuvres suscitent des réminiscences mythologiques et symboliques bien au-delà de ce que le premier regard découvre. Le mot métamorphose s’impose, en souvenir d’Ovide évidemment. p philippe dagen

Leurre du temps, Claudine Papillon Galerie, 13, rue Chapon, Paris, 3e.

Tél. : 01-40-29-07-20. Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures.

Jusqu’au 9 mai.

LUDOVIC CHEMARIN ©

Mfc Michèle DidierQui est-il donc, ce Ludo-vic Chemarin dont nuln’a entendu parler de-puis tant d’années etqui réapparaîtaujourd’hui ? Un per-sonnage de fiction, oule support d’une quêteconceptuelle ? Un peutout cela, mais avanttout un être de chair etde sang, sans compro-mis : un plasticien qui,délibérément, a cessé

toute activité artistique il y a plus de dix ans, déçu par le système.Son œuvre aurait été promise aux oubliettes, si deux autres ar-tistes, P. Nicolas Ledoux et Damien Beguet, ne lui avaient pro-posé une sorte de pacte du diable : ils lui ont tout acheté, les droits de ses œuvres, ses archives, son image, sa signature, pour prolonger son existence accommodée d’un copyright.Ressusciter son œuvre, à leur manière gentiment faustienne. Voilà la troisième exposition qu’ils façonnent autour de cette aventure, qui soulève mille problématiques : notamment sur la question de l’auteur et sa disparition, mais aussi la préémi-nence de la signature sur le marché de l’art. Ou comment faire naître un artiste à trois têtes. p emmanuelle lequeux

Ludovic Chemarin©, mfc-michèle didier, 66, rue Notre-Dame-de-Nazareth,

Paris 3e. Tél. : 01-71-97-49-13. Micheledidier.com. Jusqu’au 16 mai.

« Germinal », du coq à l’âneCe spectacle est une fête de l’invention et de l’intelligence. Un pur régal

THÉÂTRE

Ils sont quatre sur une scènevide. Ils pourraient se trou-ver dans leur salon ou dansla jungle. Comme ils n’ont

rien d’autre à faire qu’à se tourner les pouces et se regarder dans le blanc de l’œil, ils moulinent dans le vide, discutent de tout et pas-sent leur temps à l’occuper en re-faisant le monde. Au sens strict et figuré, concrètement et métapho-riquement, en attaquant, par exemple, le plancher à la pioche,histoire de voir ce qu’il a dans le ventre. Et il en a encore plus qu’onne peut l’imaginer !

Cette saga de l’homme primitifcontemporain qui découvre qu’il pense, parle et, comme il n’est pas le seul, se retrouve à dialoguer avecdes congénères, tout aussi éber-lués que lui, s’intitule Germinal. Elle est signée conjointement par les metteurs en scène et perfor-meurs français Antoine Defoort etHalory Goerger, sous le regard bienveillant d’Emile Zola, qui n’a d’ailleurs pas grand-chose à voir dans l’affaire.

Très particulière, pas loin d’unemerveilleuse anomalie dans le contexte actuel par sa modestie et sa cocasserie, cette pièce connaît un succès invraisemblable dans le monde entier depuis sa création en 2012. Elle est passée en 2014 au Centquatre, à Paris, repasse au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 25 avril et annonce déjà 140 dates de représentations. Et ce n’est pas fini. Logique. Cette fête de l’inven-tion et de l’intelligence sans arro-

gance, drôle et optimisante par-dessus le marché, est un pur régal.

Le quartet de potes, composéd’Antoine, Halory, Arnaud (Boulo-gne) et Ondine (Cloez), qui s’appel-lent par leur prénom dans la pièce,réussit le miracle d’hybrider, l’air de rien, différents scénarios. Il croise ceux de la naissance de l’hu-manité jusqu’à l’ordinateur, du langage, de la société mais encore de la création d’un spectacle, en fi-lant au passage une leçon de philo sur l’existence et un kit de survie en groupe. Et tout cela, avec pas mal de bonus en prime, progresse de concert, tranquillement, en prenant le temps de vivre sur le plateau. Chaque situation en gé-nère une autre, et ainsi de suite, fa-çon selle de cheval-cheval de course, jusqu’à ce que le coq-à-l’âne s’en mêle pour que le réel fasse des galipettes et envoie tout le monde dans le décor.

Magie et irrationnel

Antoine Defoort et Halory Goer-ger sont des amoureux dingues de la vie et du théâtre. Ils tentent de donner le change à l’une comme à l’autre en les faisant fu-sionner sur scène sans les léser. Cequi est déjà un exploit. Pas ques-tion de jouer des personnagesmais d’être soi-même (ou pres-que), sans improviser pourautant. Un travail au cordeau d’une extrême finesse. Avoir la sensation de contempler des gensordinaires en train de couper les cheveux en quatre, tout en assis-tant à un vrai moment spectacu-laire usant de tous les artifices de

la machine théâtrale, sous-en-tend un réglage savant du curseurdes codes de la représentation.

Germinal est aussi une déclara-tion de foi dans la « black box », ce monde bourré de possibles sus-ceptibles d’ajuster le réel aux déli-res les plus farfelus. Il met en scènela découverte comme un artisanatquotidien avec un zeste de magie et d’irrationnel qui fait la part belleau naïf et au sauvage, toujours pré-sent en chacun de nous. Il suffit d’un plateau vide, de tables de mixage, d’une guitare, de quelquesprojecteurs, et c’est parti pour fairedécoller l’imagination en roue li-bre de la bande de copains. Inou-bliable, dans la lente entreprise de construction et de compréhen-sion de l’univers, le tri des objets qui font « poc poc » (type micro) etdes autres, sentiments compris, qui appartiennent, eux, à la caté-gorie « pas poc poc ».

L’absurde et l’humour surfilentchaque seconde de ce Germinal,

parfois loufoque mais toujourslogique. Ils se pimentent d’une certaine moquerie critique sur lesus et coutumes de la communica-tion, les tics de langage du milieu théâtral et chorégraphique… Maistout reste généreux et léger. Le quartet répand des ondes bien-veillantes dans ce spectacle très humain qui ose croire dans lacommunauté, ce qui n’est pas sy-nonyme de sentimentalisme ou de niaiserie au royaume du mar-keting.

Antoine Defoort et Halory Goer-ger, tous les deux gars du Nord, se sont bien rencontrés. Le premier brandit des études d’art, entre autres à l’Ecole régionale supé-rieure d’expression plastique, à Tourcoing. Il se teste dans la per-formance à partir de 2005 et se dé-finit comme « artiste de variété ». Le second a croisé études de let-tres, de sciences de l’information et des médias, avant de plonger dans des expérimentations spec-taculaires en 2004. Au sein de la coopérative L’Amicale de produc-tion, ils conçoivent leur première pièce intitulée &&&&& & &&&, en 2008, puis Germinal, quatre ansplus tard. Halory Goerger vient de mettre en scène Corps diplomati-que, à l’affiche jusqu’au 19 avril, au Centquatre, à Paris. p

rosita boisseau

Germinal, d’Antoine Defoort et Halory Goerger. Théâtre du Rond-Point, Paris 8e. Jusqu’au 25 avril, 20 h 30. Puis du 20 au 29 mai, à La Comédie, Clermont-Ferrand.

Un plateau vide,

des tables

de mixage, une

guitare, quelques

projecteurs,

et c’est parti pour

faire décoller

l’imagination en

roue libre de la

bande de copains

Sursaut lyrique pour DupainLe groupe marseillais revient avec un disque, « Sorga », et une tournée

MUSIQUE

A chacun son temps qui estle sien/ Le temps qu’il faut,le temps qui suffit »,

chante en occitan Sam Karpienia sur Glenwar dans Sorga (« la source »), le nouvel album de Du-pain, que le groupe marseillais

présenta le 14 avril au Studio de l’Ermitage, à Paris. Davantage acoustique, traversé d’un lyrisme sauvage et entêtant, il paraît dix ans après le précédent, Les Vivants.

Le chanteur et joueur de man-dole à l’origine de Dupain, il y a plus de quinze ans, avec le vielleuxPierre-Laurent Bertolino, n’est pas

resté inactif durant ces dix annéesde mise en sommeil du groupe, investi notamment dans le per-suasif trio Forabandit. Quant à lavielle à roue de Bertolino, élé-ment-clé de la singularité du son de Dupain, désormais quintette(Gurvant Le Gac – flûte, Emma-nuel Reymond – contrebasse, François Rossi – batterie), on a pul’entendre avec Salif Keita (sur l’al-bum M’Bemba), le groupe Oneira, et le musicien sortait en 2014 son premier album solo Trouvailles.

Chansons aux allures de slogan

Si Dupain renaît aujourd’hui, c’est grâce à la poésie de Maxence (Maxence Bernheim de Villers), unParisien dont la littérature occi-tane avait piqué l’intérêt. Il fit pu-blier en 1958 son recueil de poésie Source, avec une version traduite en occitan par Henri Espieux (Sorga). Quand Sam Karpienia est tombé sur ces poèmes dans une li-brairie parisienne, la petite graine du futur Dupain était semée.

Hormis Glenwar, le seul titreécrit par le chanteur, l’album est conçu autour des poèmes en occi-tan de Maxence. Après les chan-sons aux allures de slogan et d’en-gagement pour les peuples en lutte, et les « activistes de proxi-mité » des précédents albums du groupe, « j’avais envie de choses moins près du sol, qui avaient à voiravec la mystique, des intuitions, desvisions ». Ce qui n’a pas empêché Sam Karpienia, lors d’un concert à Marseille, de rendre hommage à Ibrahim Ali, jeune rappeur fran-çais d’origine comorienne, tué par balle le 21 février 1995, par un mili-tant du Front national, dans la Citéphocéenne. p

patrick labesse

Dupain, en concert le 22 mai à Trièves (Isère), le 20 juin à Toulouse. CD Sorga. Full Rhizome-Buda Musique-Socadisc).

Chaise bouée simple popwood. LUDOVIC CHEMARIN

UN FILM de

LISANDRO ALONSO

les films du

“MAGNIFIQUE,UN FILM D’UNE GRANDE BEAUTÉ”

LE MONDE

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18 |télévisions DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

Les femmes jouent les premiers rôlesLe festival Séries Mania, du 17 au 26 avril, met en avant l’influence grandissante des femmes dans les séries

SÉRIE

Aquand une série de qualité surl’accession d’une femme au pou-voir suprême, maintenantqu’Hillary Clinton a annoncé sa

candidature… après celle, infructueuse, de 2008 ? « House of Cards », peut­être… qui pourrait bien s’orienter dans cette direction lors de la prochaine saison. Toujours est-il qu’aucune productrice ou scénariste de ta-lent n’a souhaité, ces dernières années, anti­ciper un tel cas de figure, même si certains journalistes ont estimé que, en produisant « Madam Secretary » (2014), le groupe amé-ricain CBS visait à redorer le blason de l’ex-secrétaire d’Etat Hillary Clinton en prévisionde sa candidature.

Pour sa part, c’est à une série « présiden-tielle » culte, « A la Maison Blanche » (« The West Wing »), sur laquelle elle prépare un li-vre, que l’essayiste de cinéma Carole Desba-rats fera notamment référence, lors de la conférence intitulée « La série bouscule-t-elle les stéréotypes ? », mardi 21 avril, à16 h 30, au Forum des images, à Paris.

Après l’intervention de Mathieu Arbogast,doctorant dont la thèse porte sur l’évolutiondes stéréotypes chez les femmes flics dans les séries des années 1970 à nos jours, CaroleDesbarats prévoit, nous a­t­elle dit, de dé­crypter trois ou quatre extraits de séries. Et de préciser : « Ce qui est fascinant, à mon sens, c’est que, dans un même mouvement, l’apparition à l’écran de femmes très solides, conscientes de leur pouvoir, s’accompagne dehéros masculins plus souvent sensibles ou fragiles qu’auparavant. J’ai l’impression que c’est de plus en plus souvent le cas, depuis dix ou quinze ans. »

Un mouvement qui commence, selon elle,avec le nouveau modèle de rôle féminin dé-volu à « C. J. », porte­parole puis secrétaire générale dans « A la Maison Blanche » (1999­2006). « Voilà une femme forte, com-pétente et intègre. Elle n’est pas présidente,mais quasiment numéro 2 des Etats-Unis !Et autour d’elle, les hommes se révèlentcertes très brillants, mais plutôt fragiles », dit­elle.

Véritable avancée, les femmes peuvent do­rénavant obtenir un rôle principal – noussommes cependant loin de l’overdose –,sans pour autant correspondre aux fantas-mes et aux critères de perfection plastique d’Hollywood. « Dans les très bonnes séries actuelles, ajoute Carole Desbarats, les fem-mes sont efficaces, professionnelles, mais ce qui fait leur force, surtout, c’est qu’elles ont unpoint de vue. Et puis arrive enfin le moment

où il devient normal qu’une femme soit com-pétente tout en ayant toutes sortes de dé-fauts. Ça fait un bien fou ! »

L’universitaire Iris Brey, elle, pour la confé­rence qu’elle proposera lundi 20 à 16 h 30, a choisi des extraits de séries créées au cours des cinq dernières années pour s’interroger sur le thème suivant : « Sexualité féminine et séries TV : une révolution ? »

Désir féminin et sexualité

A mesure qu’augmente le nombre de fem­mes travaillant à la production ou à l’écri­ture de séries y figure de plus en plus la re­présentation du désir féminin. « Désormais, on brise des tabous, comme dans la série américaine “Transparent” (2014), écrite et réalisée par une femme ; on fait évoluer la re-lation entre personnages sur plusieurs an-nées comme dans “Masters of Sex” (2013) ; ony représente la façon dont les jeunes filles en-tre 20 et 30 ans explorent la sexualité, commedans “Girls” (2012), etc. : toutes choses que l’on ne peut pas voir au cinéma, pas plus que

dans les films pornographiques », indiquecette critique de cinéma.

Bien sûr, il y eut un tournant dans les an-nées 1990 avec « Sex and the City », « mais ils’agissait alors plus de “plans cul” entre filles. Jamais elles n’échangeaient véritablement sur leur propre sexualité, sur la jouissance, l’orgasme. Le ton était à l’humour. C’était ré-vélateur de ce dont on ne pouvait pas encore parler », note-t-elle.

Mais comment les bonnes séries, récentes,représentent-elles le désir féminin et la sexualité, et avec quel langage, quels mots ? « Les termes renvoyant à la sexualité fémi-nine sont toujours compliqués à employer, constate Iris Brey. Jamais ou presque on n’usera du mot “clitoris” par exemple, ou alors seulement dans le domaine médical… » Pour autant, grâce aux quelques produc-tions dans lesquelles jouissance ou mater-nité ont droit de cité, « on commence à sortirdu schéma “maman ou putain”, poursuit-elle. Apparaissent de bonnes mères, attenti-ves, avec une tête bien faite et qui ont aussi

une sexualité, ce qui était majoritairement dévolu, jusqu’ici, à la “mauvaise mère” ».

Pour cette universitaire, il n’y a guère plusde cinq ans que des séries américaines s’es­saient à la représentation de la sexualité ou du désir féminins. Et pourquoi ce courant provient­il d’outre­Atlantique ? A la suite du mouvement féministe français, la recher­che, la théorisation, les échanges et les polé­miques, la traduction de textes dans ce do­maine ont explosé aux Etats­Unis, pour ne plus jamais cesser d’alimenter la réflexion. Ce qui n’a pas été le cas en France. Les séries s’en ressentent, très logiquement : « La tra-dition universitaire américaine sur ce sujet in-fuse maintenant dans de bonnes séries amé-ricaines, même si ce ne sont pas les plus vues ou les plus connues », explique Iris Brey, non sans un bémol. p

martine delahaye

Festival Séries Mania, du 17 au 26 avril,au Forum des images, à Paris.Entrée libre et gratuite. series-mania. fr.

Avec son rôleprincipal dans « How

to Get Away withMurder » (2014),

l’actrice Viola Davis,bientôt sur M6,

symbolise le type defemme de pouvoir

que les sériesmettent de plusen plus souvent

en scène.MITCHELL HAASETH/ABC STUDIOS

« En France, on est encore trop frileux »Laurence Herszberg souligne que les héroïnes anglo-saxonnes sont de moins en moins des faire-valoir

ENTRETIEN

S elon Laurence Herszberg, directricegénérale du Forum des images, lesséries anglo­saxonnes et nordiques

offrent aux femmes plus de rôles de pre-mier plan, moins stéréotypés.

Comment en êtes-vous venue à con-sacrer les deux conférences de Séries Mania aux femmes dans les séries ?

Plusieurs éléments ont concouru àcette décision, notamment la décou­verte de la série « The Affair », créée parl’Américaine Sarah Treem et l’Israélien Hagaï Levi. Ce qui fascine, ici, au-delà d’une « banale » histoire d’adultère, c’estque les scènes de sexe entre eux diffè­rent selon qu’on les voit du point de vue féminin ou du point de vue masculin…

Depuis le lancement de Séries Mania, il y a six ans, constatez-vous une évo-lution du rôle dévolu aux femmes ?

Avec le directeur artistique du festival,Frédéric Lavigne, nous avons visionné les deux premiers épisodes de plus de

250 séries, pour en retenir une soixan­taine à faire découvrir au public. Or, onconstate qu’apparaissent de plus en plus d’héroïnes « de plein droit », pas seule-ment des faire-valoir ou en tandem avec un homme : des femmes à la personna­lité affirmée, complexe, et qui ne sacri­fient pas toujours leur vie intime au nom de leur travail. En Europe, les séries nordiques avaient amorcé le mouve­ment avec pas mal de personnages prin­cipaux féminins : souvenez­vous des su­perbes séries danoises « Borgen » et « The Killing », ou de la suédo­danoise « The Bridge », dans lesquelles les fem­mes, même en tandem, tiennent les rê-nes. Or, de nouvelles très bonnes séries àvoir lors du festival poursuivent dans cette voie. Je pense à la série israélienne« Sirens », au thriller fantastique suédois« Jordskott », ou encore à la série finlan­daise « Tellus », qui présente en plus l’originalité de mettre en scène unejeune femme pour qui la défense de la planète justifie l’écoterrorisme… Là, on quitte les stéréotypes anciens sur l’infir­mière, l’avocate et, surtout, la femme flic.

Pour la presse américaine, les vrais grands rôles féminins, fins et fouillés, seraient apparus il y a moins de cinq ans. Est-ce votre sentiment ?

Oui, ça bouge ! C’est loin d’être uni-forme et global, mais les Etats-Unis pro-duisent actuellement des séries qui bri-sent les tabous, ceux sur la sexualité fé-minine notamment.

Deux femmes, aux Etats-Unis, fontvraiment évoluer les choses, à monsens : Shonda Rhimes, qui vient de pro-duire entre autres « How to Get Away with Murder » (2014), avec, pour person-nage principal, une prof de droit à la très forte personnalité, noire qui plus est, ce qui constitue encore un autre défi ; etpuis Lena Dunham, qui, avec sa série « Girls » (2012), fait beaucoup pour nous permettre d’appréhender le monde fé­minin d’une manière différente : la femme avec ses kilos, ses poils, ce qu’elleest au quotidien. Elles, elles osent ! Ça, onne le fait pas encore en France. On est en­core très frileux, je trouve, mais ça vien­dra, si l’on produit plus, avec davantage de femmes aux commandes.

Les Britanniques ont aussi cette tradi-tion de mettre en scène des femmes qui ne sont pas toujours des canons de beauté, parfaitement maquillées au saut du lit…

Bien sûr. Regardez la formidable poli-cière de « Broadchurch », par exemple ! Mais voyez aussi la très belle série améri­caine « Olive Kitteridge » que nous diffu­serons au festival : pour ce rôle magnifi-que, Frances McDormand s’est vieillie devingt-cinq ans, et n’est pas maquillée, ni au petit déjeuner ni à aucun autre mo­ment d’ailleurs…

La compétition française, dans ce festival, ne comprend que cinq séries. Comment l’expliquez-vous ?

C’est le fruit d’une tradition : dans lespays où il existe une grande cinémato­graphie, on a plus de mal à saisir et recon­naître le phénomène ou le potentiel des séries. Je crois simplement qu’il faut que les Français se fassent confiance, qu’ils osent. Et pour ça il faut que les chaînes produisent beaucoup plus de séries. p

propos recueillis par m. d.

« Dans les très

bonnes séries

actuelles, les

femmes sont

efficaces,

professionnelles,

mais ce qui fait

leur force, surtout,

c’est qu’elles ont

un point de vue »

CAROLE DESBARATSessayiste

Page 19: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 télévisions | 19

PORTRAIT

Un livre, un film. C’estsur ce diptyque ques’est construite unegrande partie de

l’œuvre de Michaël Prazan, en toutcas la plus forte. Das Reich, une di-vision SS en France, son nouveau documentaire, qu’Arte diffuse, mardi 21 avril, après France 3 en mars, aurait pu faire exception. Sauf que les éditions du Seuil ont eu l’heureuse idée de rééditer en poche Einsatzgruppen, les com-mandos de la mort nazis (Points « Histoire », 640 p., 12 €), dans la li-gnée duquel se situe Das Reich. C’est enquêtant en Europe de l’Est sur les exactions commises par cescommandos de la mort que la route de Michaël Prazan a croisé celle de cette division, dont le nomest attaché en France au massacre d’Oradour-sur-Glane (642 morts le10 juin 1944). « En Biélorussie, ex-plique l’écrivain et réalisateur, du-rant les trois ans d’occupation alle-mande, une telle tragédie se produi-sait tous les deux jours. Et ce qui frappe, c’est le mode opératoire, toujours identique à l’Est comme à l’Ouest, entraînant une forme de banalisation du mal. »

Faire fi de toute idéologie

Remonter à la généalogie d’un crime, en démonter ses mécanis-mes, comprendre ce qui pousse unhomme, au nom d’un idéal, à tuer, voire massacrer, ses semblables : tels sont les principes qui guident l’écrivain et réalisateur. Et c’est sans doute parce que M. Prazan s’yest frotté de près, en a étudié les discours et les dérives, qu’il se dé-fie de toute idéologie. Lorsqu’on lui parle d’œuvre engagée, il se ca-bre un peu, avant de préciser : « Si l’engagement est d’essayer de con-vaincre avec pédagogie, de défen-dre ces causes que sont la mémoire,l’Histoire, la vérité, pour compren-dre la complexité du monde actuel, alors, oui, je suis engagé. »

Un engagement conditionné, re-connaît-il volontiers, par l’histoire de son père. Enfant caché pendant la guerre avec sa sœur, il sera l’uni-que rescapé d’une famille de douze enfants déportée à Aus-

chwitz. Mais, sur cela, son père res-tera silencieux longtemps. Pour autant, évoquant son enfance dans le quartier juif du Carreau du Temple, à Paris, Michaël Prazan lâ-che, soudain, de sa voix douce : « Jesuis né dans la Shoah. D’aussi loin que mes souvenirs me portent, la Shoah et Auschwitz sont présents. »Et indissociablement liés. Jusqu’à

ce qu’il découvre, à 10 ans, à traversle téléfilm Holocauste, d’autres meurtres de masse. « Ces images d’hommes et de femmes exécutés devant des fosses m’ont marqué, aupoint qu’à la fin de l’adolescence je me suis plongé dans les livres de Raul Hilberg », auteur, notam-ment, de La Destruction des juifs d’Europe (Gallimard, 2006).

Passionné par l’histoire autantque par la littérature, Michaël Pra-zan va entamer des études de let-tres… en historien, concevant, dit-il, les textes littéraires comme des « traces » à travers lesquelles peut s’appréhender une société. C’est ainsi qu’il soutiendra sa thèsede doctorat sur L’Ecriture génoci-daire, l’antisémitisme en style et en

discours (Calmann-Lévy, 2005). Au-delà du sens du récit et des per-sonnages qui lui servent pour l’écriture de ses documentaires – comme l’illustre parfaitement Das Reich, construit comme un road-movie sanglant –, la littéra-ture qu’il enseignera pendant dix ans va aiguiser son sens de la péda-gogie et son désir de transmettre au plus grand nombre.

Contraint à la colorisationSur ce point, le documentaire de Brian Lapping, Yougoslavie, suicided’une nation européenne, va jouer comme une révélation. « Après avoir vu ce film, je me suis dit, voilà,c’est ce que je veux faire. » D’un long séjour au Japon – où il était parti enseigner au sein de l’Al-liance française de Nagoya –, il a rapporté la matière d’un film et d’un livre sur les années terroristesdu mouvement étudiant au début des années 1970.

Grâce à Patrick Rotman, éditeurau Seuil, et son frère, Michel Rot-man, qui le produira chez Kuiv, M. Prazan va pouvoir mener les deux de front. Et mettre en place un diptyque qu’il reconduira en-suite, en enquêtant sur Pierre Goldman, sur les massacres à Nan-kin en 1937, sur la Confrérie des Frères musulmans et, bien sûr, les Einsatzgruppen. S’il demeure tou-jours – à ses yeux – son film le plusimportant, il confesse qu’il n’en a retiré aucune satisfaction. Celle-ci lui ayant été ôtée par le caractère très éprouvant du sujet.

Un sujet malgré tout qu’il pro-longe avec Das Reich. Un film cons-truit uniquement d’archives qui

ont nécessité un an de recherche etqu’il a été contraint de coloriser engrande partie, alors qu’il s’était jus-qu’alors opposé à ce procédé. « Aujourd’hui, si vous désirez pas-ser en prime time, vous y êtes obligé. Cependant, comme je vou-lais que cela reste réaliste, j’ai im-posé une colorimétrie Agfa film 1943, afin d’uniformiser avec certai-nes archives en couleurs. » Un soucid’authenticité et de rigueur que l’on retrouve dans son propos, tou-jours précis, minutieux. Comme sa méthode, qui l’amène à s’entou-rer des meilleurs historiens, telChristian Ingrao. « Lorsqu’on tou-che à des sujets aussi délicats, aucune erreur n’est permise. Il ne faut jamais prêter le flanc à quoi que ce soit. »

Et Michaël Prazan le sait d’autantmieux qu’il y a un an tout juste, en 2014, il signait Les Faussaires de l’histoire, sur le négationnisme. Unfilm rendu nécessaire après l’af-faire Dieudonné. Un film vécu comme une urgence, « une mis-sion » pour ce « généalogiste du présent » qui est en train de termi-ner un livre sur son père. Avant de s’atteler, pour Arte, à une histoire de l’esclavage. p

christine rousseau

Des questions, des critiques et des actesEn Afghanistan, l’émission à succès « Open Jirga » permet de résoudre problèmes sociaux ou gouvernementaux

REPORTAGEkaboul – envoyée spéciale

P osez à nos invités vos ques-tions les plus dures. Ils nesont là que pour vous. Si leur

réponse ne vous satisfait pas, de-mandez à nouveau », lance Taju-den Soroush, le producteur de l’émission « Open Jirga » (« libre débat » en dari), quelques minutesavant le début de l’enregistrement.

Dans cette grande salle de la télé-vision nationale afghane, située dans le quartier de Wazir Akbar Khan, au centre de Kaboul, des Afghans venus de tout le pays s’ap-prêtent à interroger autorités gou-vernementales et religieuses, en-seignants d’université, ainsi que militants des droits de l’homme sur l’actualité du moment. L’heureest à la liberté d’expression.

Pour l’émission enregistréemardi 7 avril, l’équipe éditoriale n’aguère hésité sur le sujet : « Le rôle des religieux et des chefs de diffé-rentes ethnies dans la promotion de la tolérance dans la société. » Un thème d’autant plus prégnant que la mort de Farkhunda, l’Afghane de 27 ans accusée à tort d’avoir brûlé le Coran avant d’être battue à mort et brûlée par la foule,le 19 mars à Kaboul, a profondé-ment secoué l’opinion publique.

« Si quelqu’un ne veut pas que sonvisage soit montré à la télévision, qu’il le fasse savoir », annonce l’animateur du débat, Daud Jun-bish, qui présente les invités d’abord en dari, ensuite en pach-tou, deux langues parlées en Afghanistan. Le public est varié, à l’image du pays : des femmes en burqa ou portant un long man-teau et un simple foulard, des hommes habillés en shalwar ka-meez (tunique bouffante tradi-tionnelle), ou ceux qui ont choisi une simple chemise et un jean.

Score impressionnantDès la première question, l’affaire Farkhunda est soulevée, et les criti-ques fusent à l’encontre du clergé. « Nous avons besoin de sécurité. Il est effrayant qu’une femme soit ta-bassée et tuée en plein centre de la capitale », lance un vieil homme venu de la province de Badghis, au nord-ouest de l’Afghanistan.

« Notre société est traditionnelle.Mais les religieux n’ont pas bien dé-fini et expliqué le vrai islam », dé-clare une invitée, la députée Elay Ershad. « Le ministère de l’éduca-tion doit s’en occuper », demande- t-elle en désignant d’un geste de la main le responsable de ce minis-tère, Shafiq Samim, une figure po-litique conservatrice, assis à l’autre

bout de la scène. « Il faut que tous ceux qui font du prosélytisme ob-tiennent d’abord une permission du ministère de l’éducation », exige de son côté le militant des droits de l’homme Ahmad Nader Nadery,lui aussi présent parmi les invités.

Lancée en 2012 et diffusée unlundi sur deux, l’émission « Open Jirga » a connu un tel succès que, pour son quatrième numéro, l’an-cien président afghan Hamid Kar-zaï (2004-2014) a fait savoir son en-vie d’y participer. « Pendant cette

émission-là, un homme handicapé a pris la parole et parlé des difficul-tés auxquelles font face quotidien-nement les handicapés en Afgha-nistan, se rappelle Tajuden So-roush. Tout de suite, M. Karzaï lui a donné rendez-vous la semaine

d’après et a chargé l’Organisation des handicapés de se pencher sur leurs problèmes. »

D’autres problèmes sociaux ougouvernementaux ont été résolus.Le ministère de la santé a été obligéd’étudier et de résoudre la pénurie de médicaments dans certaines régions à la suite des critiques ex-primées dans « Open Jirga ».

La direction a des relais dans dif-férentes régions où les volontaires peuvent s’enregistrer. Les femmes,si elles le souhaitent, peuvent être accompagnées de leur « ma-hram » : leur mari, leur frère ou leur fils. Les frais de logement et detransport sont couverts par l’émis-sion. Selon les statistiques de la chaîne nationale afghane, « Open Jirga », également diffusée à la BBC, est regardée ou écoutée par 2 millions à 3 millions d’Afghans, sur une population de 30 millions.Un score impressionnant pour une émission politique et sociale.

Daud Junbish cherche à convain-cre le nouveau président, Ashraf Ghani, de participer à l’émission. « Je lui poserai des questions sur la sécurité et demanderai que plus aucune mère ne perde son enfant dans ce pays », assure Rashida, 33 ans, mère de deux enfants vi-vant à Kaboul. p

ghazal golshiri

HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE

Comprendrece qui pousse unhomme, au nomd’un idéal, à tuerses semblables

est un des principes qui

guident l’écrivain

et réalisateur

Michaël Prazan, généalogiste du présentLe documentaire « Das Reich, une division SS en France » du réalisateur est diffusé, mardi 21 avril, sur Arte

Lors d’un enregistrement de l’émission « Open Jirga », le 7 avril, à Kaboul.KIANA HAYERI POUR « LE MONDE »

LES DATES

14 MAI 1970Naissance à Paris

2002Japon, les années rouges

2005L’Assassinat de Pierre Goldman

2009Einsatzgruppen, les commandos de la mort

2015Das Reich, une division SSen France

Page 20: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

20 | télévisions DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

Deux petits Parisiens dans la grande HistoireUn feuilleton animé très attachant, qui place deux enfants face aux affres de la seconde guerre mondiale

FRANCE 3LUNDI 20 - 9 H 40

DESSIN ANIMÉ

Voici un dessin animéqui va réunir toute lafamille, des enfantsaux grands-parents,

voire arrière-grands-parents, de-vant le petit écran. « Les Grandes Grandes Vacances » est une série particulièrement réussie qui de-vrait passionner tous les publics, malgré un sujet et un format très inhabituels à la télévision.

Ernest et Colette, deux petits Pa-risiens, s’installent pour les vacan-ces chez leurs grands-parents, dans un coin perdu de Normandie.Rien de plus banal, sauf que nous sommes à la fin de l’été 1939. Leur père est mobilisé, tandis que leur mère, souffrante, doit partir en sa-natorium. Ernest et Colette font donc leur rentrée des classes loin de la capitale, en attendant que la guerre soit terminée. Ils décou-vrent les charmes de la campagne les animaux, les cabanes en forêt et la nature. Malheureusement, le conflit s’éternise et finit par tour-ner mal. Les deux gamins vont vi-vre l’exode, l’arrivée du maréchal Pétain, puis l’occupation alle-mande auprès de « Mamili » et « Papilou ».

Transgression des tabous

L’histoire peut paraître anodine, mais transgresse pas mal de ta-bous de l’univers du dessin animé.« Il existe une loi non écrite selon la-quelle on ne doit pas placer les en-fants dans des situations dangereu-ses que des jeunes téléspectateurs pourraient reproduire », explique Delphine Maury, à l’origine de cette série où elle désirait raconter comment la liberté permet de grandir de manière responsable et autonome. « Dans un monde do-miné par la peur, il est difficile de mettre en scène la liberté. Les en-fants à vélo doivent porter un cas-que, des genouillères… Ils ne sont plus libres d’aller et venir comme autrefois. C’est pour cette raison que j’ai décidé de situer l’histoire de ces deux petits Parisiens dans le

passé », détaille-t-elle. Ajoutant : « Grâce à France Télévisions et aux Armateurs, la société de produc-tion, j’ai eu toute latitude pour tra-vailler. »

Rien ne sera épargné aux deuxpetits héros qui devront appren-dre à se débrouiller seuls, se con-fronter avec la mort, le rationne-ment… Un quotidien que Del-phine Maury a voulu comprendre,en recueillant des témoignages de personnes âgées de 5 à 15 ans à l’époque. On retrouve d’ailleurs certaines d’entre elles à la fin de chaque épisode. Les scénarios ont été développés par Sébastien Our-sel et Guillaume Mautalent, à qui

1980. L’histoire s’étend durant toute la seconde guerre mondiale, et aucune suite n’est prévue, que lasérie – déjà vendue en Allemagne –soit un succès ou pas. Pourtant, Delphine Maury rêve déjà de met-tre en scène Ernest et Colette une quinzaine d’années plus tard, pen-dant la guerre d’Algérie. Si elle y parvenait, elle briserait un autre tabou. p

joël morio

Les Grandes Grandes Vacances, de Paul Leluc, d’après une idée originale de Delphine Maury et d’Olivier Vinuesa. (France, 2015, 10 × 26 min.)

Voyage au pays du Front nationalPaul Moreira a plongé durant un an au cœur de l’électorat frontiste

CANAL+LUNDI 20 - 21 H 00

DOCUMENTAIRE

L’ essor électoral connu parle Front national depuisquelques années, en parti-

culier depuis que Marine Le Pen ena pris la présidence, en 2011, n’est-ilqu’un fétu de paille voué à être ba-layé par le premier vent contraire ?Le FN peut-il refluer aussi vite qu’ila submergé notre vie politique ? Cette question, que certains diri-geants frontistes se posent parfois à mots couverts, et qui sous-tend l’analyse du phénomène Front na-tional, conclut la plongée effec-tuée par Paul Moreira pendant un an au cœur de l’électorat FN.

« Un grand lion en carton »

Le documentariste est allé à la ren-contre de cette France qui vote pour le parti lepéniste : ouvriers mosellans d’ArcelorMittal, mères célibataires du Var, vendeurs de chaussures picards, rappeurs de la région parisienne… Tous disent leur colère contre les partis de gou-vernement, leur lassitude face à un sentiment d’abandon, leur fan-tasme, aussi, d’un islam perçu comme un péril. De ces entretiens jaillit le sentiment que le succès duFN est bâti sur un sol meuble, qu’il se construit toujours sur le rejet et non pas sur l’adhésion.

Pour Paul Moreira, le constat estsans appel : « Le FN est un grand

lion en carton. » « Les nouveaux électeurs du FN sont manipulables et fragiles, mais n’ont pas toujours tort d’être en colère », assure le fon-dateur de Premières Lignes.

Il se penche en particulier sur lecas des hauts-fourneaux de Flo-range, en Moselle, symptôme, se-lon lui, de l’incapacité des hom-mes politiques à agir ou à tenir leurs promesses. La perspective d’une nationalisation temporaire du site, un temps promise par les pouvoirs publics, a finalement été abandonnée. « Deux personnes ont brisé le consensus républicain : le président de la République et lepremier ministre », accuse ArnaudMontebourg, alors sur la brèche entant que ministre du redresse-ment productif, et qui n’en finit pas de régler ses comptes depuis son départ du gouvernement. Face au désengagement de l’Etat, certains ouvriers disent avoir suc-combé à la tentation du Front na-tional. La ville voisine d’Hayange aélu un maire FN, Fabien Engel-mann, mais de nombreux élec-

teurs ont vite déchanté face à ses méthodes autoritaires et à ses pro-vocations. « Je ne regrette pas d’êtreallé au FN, c’est comme un voyage dans un pays qu’on croit beau et, aufinal, on revient déçu », confesse un homme.

Paul Moreira fait le choix de me-ner une enquête subjective et n’hésite pas à se mettre en scène. Dès l’introduction, il affirme avoir un « a priori négatif sur l’extrême droite ». « J’y suis né », explique ce-lui qui a passé ses premiers mois au Portugal, sous la dictature de Salazar. Sa « danse » avec le parti de Marine Le Pen, il l’effectue en marge du mouvement lui-même, par choix aussi bien que par néces-sité. Au Front national, les camérasde Canal+ ne sont pas très populai-res. En se détachant de cette tu-telle, il s’oblige à analyser les res-sorts profonds du vote FN.

Mais cette coupure représenteaussi un handicap, qui l’empêche de se pencher sur une dimension essentielle du FN d’aujourd’hui : letravail de maillage territorial effec-tué par Marine Le Pen et ses trou-pes. Un travail qui vise à ancrer le parti dans la vie politique fran-çaise, pour qu’il ne reste pas au stade du fétu de paille ballotté au gré des déceptions et des ressenti­ments des électeurs. p

olivier faye

Danse avec le FN, de Paul Moreira (France, 2015, 95 min).

D I M A N C H E 1 9 AV R I L

TF1

20.55 Astérix et Obélix :

mission Cléopâtre

Comédie d’Alain Chabat (Fr. - All., 2002, 130 min).23.05 Esprits criminels

Série policière créée par Jeff Davis.France 220.55 Iron Man 2

Film d’action de Jon Favreau (EU, 2010, 125 min).23.00 Faites entrer l’accusé

Eric Bruyas, la tuerie de Saint-Andéol. Magazine présenté par Frédérique Lantieri. France 320.50 Inspecteur Barnaby

Série créée par Caroline Graham. (GB, 2015, 2 x 90 min).Canal+21.00 Football

33e journée de L1 : Lyon-Saint-Etienne.France 520.40 Les Dessous

du soutien-gorge

Documentaire de Nolwenn Le Fustec (Fr., 2015, 50 min).22.25 17 avril 1975, les Khmers

rouges ont vidé Phnom Penh

Documentaire de Philippe Tourancheau (Fr., 2015, 52 min).Arte20.45 Le Port de l’angoisse

Drame d’Howard Hawks (EU, 1944, 100 min).22.25 Eternelle Jean Seberg

Documentaire d’Anne Andreu (Fr., 2013, 55 min).M6 20.55 Capital

Magazine présenté par François-Xavier Ménage. 23.00 Enquête exclusive

Présenté par Bernard de La Villardière.

LU N D I 2 0 AV R I L

TF120.55 Doc Martin

Série (saison 4, 2 à 4/6).23.45 New York, unité spéciale

Série (S14, ép. 20/24 ; S10, ép. 7 et 8/22). Avec Mariska Hargitay. France 220.55 Broadchurch

Série(S2, 7-8/8). Avec David Tennant.22.30 Dans les coulisses

de Broadchurch

Documentaire de Christophe Maillet et Sophie Claudet (Fr., 2015, 50 min).France 320.50 Laurent Gerra et Julien

Clerc en toute vérité

De Mireille Dumas (Fr., 2013, 120 min).23.45 L’Héritage de la

République, Jean-Louis Debré

Documentaire de Jean-Christophe Victor (Fr., 2014, 55 min).Canal+21.00 Spécial Investigation

Danse avec le FN. Magazine présenté par Stéphane Haumant. 22.35 Qu’est-ce qu’on a fait

au Bon Dieu ?

Comédie de Philippe Chauveron (Fr., 2014, 90min).France 5 20.40 Le Temps

de la désobéissance

Téléfilm de Patrick Volson (Fr., 2005, 105 min). Avec Daniel Russo.23.50 Entrée libre

Magazine présenté par Laurent Goumarre. Invité : Daniel Auteuil.Arte20.50 Spéciale première

Comédie dramatique de Billy Wilder. (EU, 1974, 105min).22.35 Les Promesses de l’ombre

Thriller de David Cronenberg (GB - Canada, 2007, 100 min).M6 20.56 Top Chef

Présenté par Stéphane Rotenberg.

Colette et Ernest, deux petits Parisiens, forcés, durant l’exode, à de « grandes grandes vacances ». LES ARMATEURS/BLUE SPIRIT STUDIO

l’on doit aussi « Les Nouvelles Ci­tés d’or » et « Galactik Football ». Le trait clair d’Emile Bravo ajoute beaucoup de charme à l’histoire. La musique a été écrite par le groupe français Syd Matters, qui n’avait jamais composé pour un programme destiné aux enfants.

Un des mérites de ce dessinanimé réalisé par Paul Leluc est d’oser le format feuilletonesque, à l’heure où les diffuseurs privilé-gient les formats courts, indépen-dants les uns des autres. « Les Grandes Grandes Vacances » re-noue ainsi avec les vastes sagas animées diffusées à la fin des an-nées 1970 et au début des années

De ces entretiens

jaillit

le sentiment que

le succès du FN

est bâti sur un sol

meuble

« Les Grandes

Grandes

Vacances »

renoue avec les

vastes sagas

animées

diffusées à la fin

des années 1970

Terreur rougeArchives et témoignages relatent l’évacuationde Phnom Penh par les Khmers rouges

FRANCE 5DIMANCHE 19 – 22 H 25

DOCUMENTAIRE

C omment une capitale con-nue pour son dynamismeet peuplée de 2 millions et

demi d’habitants peut-elle, en l’es-pace de quelques heures, se trans-former en ville fantôme ? Il ne s’agit pas d’un mauvais scénario de science-fiction mais d’une réa-lité historique, en l’occurrence la prise de Phnom Penh, capitale du Cambodge, par les Khmers rouges,le 17 avril 1975. Après cinq ans de guérilla, les petits hommes en noirrenversent le pouvoir militaire en place et vont instaurer un régime terrifiant qui durera quatre ans.

Stratagème

Outre des images d’archives rares, l’intérêt de ce documentaire est defaire parler des témoins de l’événe-ment, comme François Ponchaud, prêtre missionnaire. Ou le photo-graphe français Roland Neveu, dont les clichés ont fait le tour du monde : « Ils sont arrivés pieds nus,armés jusqu’aux dents. Ils puaient, après des semaines passées dans la jungle », se rappelle­t­il.

Pour les nouveaux maîtres, lescitadins sont des exploiteurs dontil faut se débarrasser. Un plan de ruralisation forcée se met alors enplace. Pour vider la capitale, les

Khmers font croire aux habitants que les Américains vont bombar-der la ville. Le stratagème fonc-tionne, et le pays va bientôt vivre sous le règne de l’Angkar (« l’orga-nisation ») dont l’un des slogansrésume la philosophie : « Vous garder avec nous ne nous rapporterien. Vous supprimer ne nous coûte rien. »

Réfugiées dans les locaux del’ambassade de France, près de 3 000 personnes (des étrangers, mais aussi des Cambodgiens)sont encerclées pendant des jourspar de jeunes soldats. Après des tractations serrées et douloureu-ses, les étrangers seront évacués jusqu’en Thaïlande. Celles et ceux qui restent sur le sol cambodgien vont connaître l’enfer. « Nos piedsétaient entravés par des fers. Pournourriture, nous n’avions que deuxlouches d’eau de cuisson par jour.Ils m’ont arraché les ongles des or-teils avec des tenailles. Ils m’ont électrocuté avec un fil électriqueplanté dans le tympan », raconte l’un des deux derniers survivants du tristement célèbre Centre S21,un ancien lycée transformé en centre d’interrogatoire. p

alain constant

17 avril 1975, les Khmers rouges ont vidé Phnom Penh,de Philippe Tourancheau(France, 2015, 52 min).

V O SS O I R É E S

T É L É

Page 21: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 télévisions | 21

HORIZONTALEMENT

I. Ouverture des portes en grand. II. A

complètement disparu. Pour les ama-

teurs de musique hachée. III. Comme

un port de stockage. Mélancolique

chez Chopin. IV. Au-dessus de tous les

autres. V. Nœud dans les cordes. Des

siècles et des siècles. Le plus haut des

Philippines. VI. Ouvrent le score.

Mesure d’ailleurs. Petit coup de son-

nette. VII. Lâchent tout. En bonne

place sur les toits. VIII. Blonde pétil-

lante et fraîche. Améliore les perfor-

mances. Patronne du jour. IX. Accom-

pagne le loup en cuisine. Cote mal

taillée. X. Membres de l’institut.

VERTICALEMENT

1. Petits repos pendant le travail.

2. Pris par enchantement. 3. Des

mots derrière les images. En vaut

bien une autre selon le talion. 4. Pos-

sessif. Met bas. Interjection. 5. Tout à

fait naturel. Pas du tout fondée.

6. Met à l’abri des regards. Met à

l’abri. 7. A aidé les sourds-muets à

s’exprimer. Ramassé sur le tapis.

8. Petite annonce sur le tapis. 9. Point

de départ. Fait appel. Démonstratif.

10. Doux rêveur. 11. Du chêne dans la

peau. Ne pollue pas dans ses déplace-

ments. 12. Brutalement excitées.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 -092

HORIZONTALEMENT I. Soûlographie. II. Allégresse. III. Niveau. Piler. IV. Age.

Démâtera. V. Tosse. Astres. VI. Oc. Ennui. Ace. VII. Rhum. Eres. Tu.

VIII. Iéna. Rê. Apis. IX. Ut. Iso. Opale. X. Mentonnières.

VERTICALEMENT 1. Sanatorium. 2. Oligochète. 3. Ulves. Un. 4. Lee. Se-

mait. 5. Ogaden. SO. 6. Grue. Néron. 7. Ré. Maure. 8. Aspasie. Oi.

9. Psitt. Sapé. 10. Hèlera. Par. 11. Erectile. 12. Ecraseuses.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 093

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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Corinne Mrejen

C I N É M A

La Nouvelle Internationale

Dominique Païni, commissaire de l’exposition « Antonioni aux origines du pop », qui se tient à la Cinémathèque française (jusqu’au 19 juillet), sera l’invité de la matinale de Nova. Il expliquera en quoi l’œuvre du cinéaste est truffée de références pop.Mercredi 22 avril – Radio Nova – 8 H 40

HistoireLa Marche de l’HistoireJean Lebrun propose une semaine spéciale « 1915, une guerre totale », avec comme invité, entre autres, Nicolas Beaupré.Du 20 au 24 avril – France Inter – 13 h 30

MusiquesL’Epopée des musiques noiresSi elle a accompagné à la batterie

notamment Marvin Gaye ou Lionel Richie, le nom de Sheila E. (pour Escovedo) reste lié à celui de Prince, son mentor, qui a permis de faire découvrir cette percussionniste et chanteuse. S’appuyant sur son autobiographie, Joe Farmer revient sur le parcours parfois douloureuxde cette artiste pour le moins percutante.vendredi 24 – RFI – 14 H 30ConcertsSéquence hip-hop soul dans « Session live » avec le collectif danois Dafuniks de retour avec un nouvel album Past Present Future.mardi 21 avril – FIP – 20 h 30

Brigitte, Sarah Sue, Vianney, Angus et Julia Stone sont au programme de « Partons en live », diffusé en direct du Printemps de Bourges.vendredi 24 avril – France Inter – 21 h 05

Confidences en musiqueDepuis dix ans, Olivier Bellamy dévoile les souvenirs musicaux d’invités de tous horizons

RADIO

Linda de Suza sur RadioClassique. Non, la stationn’a pas changé d’orienta-tion ! Simplement, la

chanteuse populaire est dans « Passion Classique », l’émissiondans laquelle Olivier Bellamy re-çoit des personnalités venues de tous horizons. L’interprète de L’Etrangère est presque surprisede sa présence : « La musique clas-sique, ce n’était pas pour nous, les gens du peuple », se souvient­ellequand le journaliste lui demandece qu’elle écoutait jeune. « Je ne sais pas lire une note de musique, jefais tout d’intuition »,avoue­t­elle.

L’ambiance est plus concentréelorsque Olivier Bellamy reçoit le cinéaste Wim Wenders (l’émis-sion sera diffusée le 22 avril), qui raconte comment la musique – classique ou pas – lui est indis-pensable. Sans rire, il expliquequ’il est en quelque sorte l’inven-teur du baladeur musical, car, dès la fin des années 1960, il ne se sé­parait jamais d’un magnéto­phone à bande pour écouter sa discothèque.

Des « petites madeleines »

Cela fait dix ans que le journaliste invite tous azimuts pour discuter de musique. « Certains sont très sectaires, moi je ne lui suis pas. Toutle monde a ses détestations, qui sont respectables ou pas, ce n’est pas mon problème. Faire venir des personnalités extérieures au monde de la musique classique amène des auditeurs qui les appré-cient, et qui découvrent ainsi l’émis-sion et un univers dont ils se pen-saient exclus », explique­t­il. « Laseule interrogation est si cela peut tenir la route », ajoute­t­il. Le choixpeut être parfois incertain, mais qu’importe. « Si je ne m’autorisais pas la possibilité de me tromper, je passerais à côté de choses », con-cède l’animateur.

Comme cette fois où Elie Se-moun lui confia sa passion pour Wagner, antisémite notoire qu’il découvrit, après la mort de sa mère, chez des voisins qui écou­taient les œuvres du compositeurallemand. « Certains ont des rap-ports profonds et anciens avec la musique. On ne trouve pas ça tout le temps, mais tout le monde a quelque chose à dire sur la musi-

que, ne serait-ce que parce qu’il a entendu un Ave Maria lors d’un mariage ou d’un enterrement. »

L’idée de l’émission est simple,« vieille comme la radio » : confier la programmation musicale à un invité en lui demandant de choisirquatre ou cinq morceaux, dont des « petites madeleines » qui lui rappellent un moment particulier.Les refus sont rares, même pour ceux qui, comme Daniel Pennac, disent pouvoir se passer de musi-que. L’émission qu’il réalisa

en 2009 avec l’écrivain reste très présente dans sa mémoire. De même que celle faite avec Dany La-ferrière. L’académicien lui confia ne « rien connaître à la musique ». Il choisit trois airs populaires haï-tiens et fit confiance à Olivier Bel-lamy pour la programmation.

La musique est un prétexte dans« Passion classique », comme le précise le journaliste : « C’est une émission sur le souvenir, l’émo-tion. » La chanson et le jazz ont leurplace, même si c’est la radio qui

diffuse majoritairement de la mu-sique classique. « Il n’y a pas de rai-sons d’être coupé du monde, ça ras-sure beaucoup d’invités de savoir qu’ils peuvent mettre un Barbara ou un Claude François. C’est un che-min de vie à travers le filtre de la musique, une évolution humaine etartistique d’un individu », explique encore ce spécialiste de musique qui a publié, en 2014, un Diction-naire amoureux du piano (Plon).

Olivier Bellamy est un confes-seur. Il laisse ses invités s’expri-

« Je ne prépare

que la première

question,

car j’ai l’angoisse

de savoir

comment

cela va débuter »

OLIVIER BELLAMYjournaliste

Olivier Bellamy présente « Passion Classique ». EMMANUEL

DONNY/RADIO CLASSIQUE

mer, les écoute en les regardant droit dans les yeux, hochant par-fois la tête. Il attend une ou deux secondes après chaque réponse, pour être certain que son interlo-cuteur n’a rien à ajouter, comme un psy. « J’essaie que l’autre soit le mieux possible afin qu’il livre quel-que chose d’essentiel, pas simple-ment des anecdotes. »

Quelques mots griffonnés surune feuille qui traîne devant lui. « Je ne prépare que la première question, car j’ai l’angoisse de sa-voir comment cela va débuter, mais évidement j’ai des pistes parrapport au programme que m’a communiqué l’invité. Je choisis toujours la chose qui me vient surle moment. La question que je me pose, l’auditeur doit se la poser également. Il faut suivre le fil et faire en sorte que cela ne soit pas artificiel. »

Sur le fond, rien n’est improvisé.« Je n’aime pas faire les choses àmoitié. Je lis les livres de mes invi-tés, je vais voir leur film, je m’inté-resse à leur vie, même si tout nesert pas pendant l’émission », as-sure Olivier Bellamy, très marquépar son oncle professeur, qui luidisait que lorsqu’on se présente devant des élèves, on doit en sa-voir dix fois plus que ce qui est né-cessaire pour le cours.

Ce ton de la confidence plaît.« Passion Classique » est écoutée par plus de 230 000 fidèles cha-que soir. « On joue la contre-pro-grammation. Les gens disent que lorsqu’ils sont dans les embou-teillages, c’est déstressant, on n’estpas dans l’hystérie et la rapidité », se félicite Olivier Bellamy. p

joël morio

Passion Classique, du lundi au vendredi, de 18 heures à 19 heures, sur Radio Classique.

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Jeudi 22 janvier 2009Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA,Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania Avenue, mardi 20 janvier, se dirigent vers la Maison Blanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObamaen2008, et de nouveau

pendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo.Pages 6-7 et l’éditorial

page 2a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviews page 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtesà venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquête page 19

GAZAENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds. « C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mièrefoisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscoursne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvellegénération s’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformation a commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.

Lire la suite page 6Corine LesnesEducation

L’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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L’investiture de Barack ObamaPremières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension des audiences à Guantanamo

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Les Unes du Monde

0123

S É L E C T I O NR A D I O

Page 22: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

22 | styles DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

Premiers de corvéeConfier des tâches ménagères aux enfants serait bénéfique pour leur réussite future. Pourtant, les parents les en dispensent très souvent

USAGES

Ah non, il ne faut pas lesappeler comme ça ! »Valérie Saleur, direc-trice de l’école mater-

nelle de La Brèche aux loups, dans le 12e arrondissement de Paris, sourit quand on emploie le terme « corvées ». « Le mot est à bannir. »Le mot, mais pas les tâches. Si vousavez récemment mis les pieds dans certaines maternelles, vous avez pu y trouver des tableaux ré-capitulant les « métiers » des en-fants.

Tailleur de crayons, rangeurd’étagères ou responsable de la porte. Inspirée des pédagogies de Célestin Freinet (qui préférait par-ler de « responsabilités ») et de Maria Montessori (où l’enfant est

chargé de l’arrosage d’une plante, par exemple), cette idée s’est ré-pandue dans les écoles publiques. Les pédagogues expliquent que c’est l’occasion d’un apprentissage à la fois technique et social pour l’enfant investi d’une tâche face aux autres.

Des chercheurs se sont déjà inté-ressés aux bénéfices des « cor-vées ». Aux Etats-Unis, en 2002, la chercheuse Marty Rossmann a ex-ploité les données d’une étude longitudinale conduite auprès de 84 enfants à 3-4 ans, à 9-10 ans, à 15-16 ans, puis une dizaine d’an-nées plus tard. Plus que leur mode d’éducation ou leur QI, la partici-pation des enfants à des tâches do-mestiques à l’âge de 3 ou 4 ans s’avérait le critère le plus pertinentpour déterminer leur réussite – dé-

finie par de meilleures relations avec leurs proches, de meilleurs ré-sultats scolaires et l’indépendance économique.

Cette conclusion n’étonne pasl’anthropologue Carolina Izquierdo, auteure d’une étude, en 2009, comparant la façon dont les enfants sont chargés des tâchesdomestiques dans trois cultures : des familles de la classe moyenne en Californie, des Matsigenka – un peuple de la partie amazonienne du Pérou –, et des habitants des îlesSamoa.

En confiant des petits travauxaux jeunes enfants, observe-t-elle, « on leur laisse l’occasion de faire des erreurs, d’apprendre de ces er-reurs, avant de les laisser conduire ces tâches intégralement, ce qui leur donne confiance en leurs com-

la vie dans des familles de Los An-geles. Contrairement à ce qui se passe chez les Matsigenka, « au sein des 30 familles [californien-nes] observées, aucun enfant ne se charge naturellement de tâches do-mestiques sans qu’on le lui de-mande ». Sortir la poubelle, mettrela table, ou même s’habiller… Les parents demandent habilement, proposent d’en faire la moitié. A l’occasion, l’enfant accepte de faire l’autre moitié. Et là, surprise, « les adultes félicitent leurs enfants pour des accomplissements auxquels ils ont apporté une assistance consi-dérable ».

« Parasite »

Sur les vidéos tournées dans les foyers californiens, des pères dé-font les lacets d’enfants de 8 ans, des mères préparent les sandwichsde leurs bambins, s’assurent qu’ils les emportent, et surtout, insistentpour que leurs petits n’oublient pas de manger… Seule responsabi-lité qui leur incombe encore ! Parmi les trois cultures observées, il n’y a que chez les Californiens que l’on note « un schéma consis-tant d’une part pour les enfants à demander aux adultes de faire à leur place des choses qu’ils seraient capables de faire, comme l’habi-tude chez les adultes d’offrir leur as-sistance sans même qu’on la leur demande ».

Lorsqu’on entre dans les foyerseuropéens, le constat est le même. Alessandra Fasulo, chercheuse en psychologie à Rome et auteur d’une étude, en 2007, se souvient d’un « père qui n’essaie même pas de demander à sa fille de 8 ans de faire son lit. Il s’en charge seul, tout en se plaignant que sa collection de doudous et sa décision de s’installersur le lit supérieur lui rendent la tâ-che plus difficile ».

Si les petits Occidentaux ne met-tent quasiment plus la main à la pâte, c’est sûrement parce que les parents craignent de déranger leurs enfants, qui ont déjà tant à faire avec les corvées scolaires… Mais, objecte Carolina Izquierdo,cela n’explique pas pourquoi ces enfants résistent aussi fréquem-ment à des tâches légères qui ne demandent ni beaucoup de temps ni beaucoup d’efforts, comme de mettre la table ou de débarrasser son assiette.

Une autre explication tient à unedéfinition assez récente de l’en-fance comme une période d’inno-cence qu’il faudrait protéger des rudesses de la vie. « D’une aide do-mestique dans presque toutes les

sociétés traditionnelles, l’enfant est devenu un parasite », écrit David Lancy dans son livre The Anthro-pology of Childhood (Cambridge University Press, 2008). « Les en-fants occidentaux sont protégés du besoin de travailler. Ils n’ont pas de corvées à réaliser, même la mainte-nance de leur espace domestique etde leurs possessions leur a été reti-rée. » Il observe que la distance avec le monde du travail est deve-nue un marqueur de modernité des sociétés. A raison, personne nesouhaite envoyer ses enfants à la mine pour leur apprendre la vie !

Quand on fait remarquer à Caro-lina Izquierdo que beaucoup de so-ciétés traditionnelles aimeraient offrir à leurs enfants la vie des pe-tits Californiens, elle se défend d’avoir voulu « comparer des pom-mes et des poires ». « Le plus frap-pant, ce n’est pas que les enfants en Californie soient chargés de beau-coup moins de travaux domesti-ques que dans d’autres sociétés, mais surtout à quel point c’est en contradiction avec le discours de leurs parents sur l’importance de la promotion de l’autonomie des en-fants, insiste-t-elle. Des idéaux cul-turels d’indépendance s’opposent à des pratiques parentales qui pro-meuvent… la dépendance. »

Les parents se justifient : ça vaplus vite de faire soi-même que de convaincre un enfant affalé sur le canapé. C’est là tout le paradoxe : ce sont les parents les plus débor-dés, qui s’en rajoutent encore en faisant les choses à la place de leurspetits…

« Parce que ça demande du tempsd’avoir un enfant qui s’habille seul le matin ou qui participe à la prépa-ration du repas, le temps qu’il se trompe. Ça peut prendre un quart d’heure en plus », résume Valérie Saleur, la directrice de l’école de La Brèche aux loups. Elle sait de quoi elle parle. « Quand on met en place les responsabilités dans une classe à la rentrée, on rame jusqu’aux va-cances d’automne. Après, les habi-tudes sont prises et c’est tout bénéf…Les parents pressés perdent de vue que cet investissement est un gain de temps pour l’avenir. » Et celui de leurs enfants, à en croire les cher-cheurs. p

guillemette faure

Loue studio, 30 m2 , de 8 à 9 heuresA New York et Montréal, Breather propose des locations de courte durée, pour travailler au calme ou faire la sieste

C’ est en voyant les cafésStarbucks bondés de tra-vailleurs nomades ou

simplement de touristes venus re-charger leur smartphone que le Canadien Julian Smith a eu l’idée : louer à l’heure de petits espaces jo-liment décorés. « Un troisième lieu qui ne serait ni la maison, ni le bu-reau, et où l’on se sentirait un peu chez soi. Un lieu pour être au calme,dans des grandes villes à l’efferves-cence permanente », explique le PDG et cofondateur de Breather.

La start-up s’est ainsi lancée àMontréal en 2013, avant de déve-lopper son concept à Ottawa, San Francisco, Boston puis à New Yorken 2014. Aujourd’hui, l’applica-tion propose 70 lieux d’environ 30 m2, que l’utilisateur peut louer

entre 25 et 50 dollars (entre 23 et46 euros) de l’heure. En un clic, il réserve l’endroit de son choix, lecréneau horaire, puis reçoit par SMS un code qui lui permettra de déverrouiller la porte.

Ni sexe ni prostitution

Choisis dans des immeubles com-merciaux, tous les espaces sont re-décorés par des designers, dans unmême esprit cocooning. Un ca-napé confortable, un tapis de yoga,des toiles modernes au mur, une table et des chaises sobres, un ther-mos de café, quelques bonbons… « Nous voulons que ces lieux res-semblent à tout sauf à des bureaux.Qu’ils soient lumineux, qu’on ait en-vie d’y rester, voire d’y faire une sieste. » Justement.

Tout esprit mal tourné se dit queBreather pourrait devenir un « love hotel » bon marché. Julian Smith, lui, veut croire que non. Lesespaces Breather n’ont pas de dou-che, et le client croise presque sys-tématiquement la femme de mé-nage en sortant… Le règlement, en tout cas, est strict : ni sexe ni pros-titution. Pas d’animaux domesti-ques non plus.

Certains viennent y méditer, ré-péter leurs gammes de trompette ou se poser entre deux avions… Mais au fond, malgré un marke-ting centré autour du « havre de paix », l’usage le plus fréquent reste professionnel, pour travaillersur un dossier ou organiser de (pe-tites) réunions. « Quand un client d’une entreprise est content de nos

services, nous avons systématique-ment plusieurs de ses collègues qui se mettent à télécharger notre ap-plication », affirme Julian Smith.

A San Francisco ou Manhattan,là où les loyers sont très élevés et les bureaux peu disponibles, l’of-fre Breather répond à un besoin.

« Et nous sommes étonnés de voir que beaucoup d’utilisateurs louent nos espaces à la journée. » En deuxans, Breather aurait fidélisé des milliers de clients. L’idée de traver-ser l’Atlantique, objectif Londres ou Paris, est dans les cartons. p

yoanna sultan

Un studio aménagépar la société Breather, à New York. DR

« La participation

domestique

développe

l’empathie,

puisque l’enfant

est plus attentif

à ce que font les autres »

CAROLINA IZQUIERDOanthropologue

LEA CHASSAGNE

pétences ». « La participation do-mestique développe aussi l’empa-thie, puisque vous êtes plus attentif à ce que font les autres. »

Si les bienfaits des corvées sau-tent aux yeux des instituteurs et des anthropologues, pourquoi donc ont-elles à ce point disparu du quotidien des enfants ? En France, les jeunes de 11 à 25 ans qui vivent chez leurs parents en font peu, 8 heures par semaine, soit trois fois moins que leurs parents (Insee, 2010) ! Aux Etats-Unis, 82 %des adultes se souviennent avoir été chargés de corvées domesti-ques, mais seulement 28 % en de-mandent à leurs enfants (sondage Braun Research réalisé en 2014 et cité par le Wall Street Journal).

Avec sa collègue Elinor Ochs, Ca-rolina Izquierdo a observé et filmé

Page 23: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 disparitions & carnet | 23

Alain Dewerpe Historien

En 2006, avec Charonne,8 février 1962 (Folio),Alain Dewerpe signaitune œuvre magistrale.

Sous-titrée Anthropologie histori-que d’un massacre d’Etat, cettesynthèse porte sur la répression policière de la manifestation deprotestation contre les actions terroristes menées par l’OAS en France. Elle restera à la fois comme le produit d’un rigoureuxtravail d’historien, un grandouvrage de méthodologie et l’hommage d’un fils à sa mère,qui fut l’une des huit victimes de ce massacre. Un hommage dis-cret, comme le fut l’homme sa viedurant : une simple ligne à l’oréedu livre. En s’intéressant à cet évé-nement tragique, qui se situaithors de son parcours académiqued’historien du travail et de l’in-dustrialisation, Alain Dewerpe enévacuait en même temps toute la dimension subjective : « Si être lefils d’une martyre de Charonne ne donne aucune lucidité, il n’interditpas de faire son métier d’histo-rien.»

Le destin d’Alain Dewerpe, né le23 septembre 1952 à Paris, est dou-blement marqué par les violencespolicières. L’orphelin n’a jamaisconnu son père, victime de la ré-pression de la manifestation con-tre la venue du général américain Matthew Ridgway, le 28 mai 1952. Il est élevé par ses deux grands-mères, elles-mêmes survivantesde familles éprouvées par la guerre, décimées par la déporta-tion des juifs et l’engagement dans la Résistance. De cette lignéed’hommes et de femmes enga-gés, de culture communiste, on peut supposer qu’Alain Dewerpe tira son intérêt pour l’histoire, etplus particulièrement l’histoiredu travail. Depuis de nombreusesannées, il s’était attelé à une his-toire de l’usine, « une tentatived’approche totale intégrant les di-mensions économiques, culturel-les et spatiales », précise Eric Vi-gne, son éditeur chez Gallimard. Ce gros projet d’anthropologie historique devait clore un cycle derecherches commencé au début des années 1980 quand, membrede l’Ecole française de Rome, ilétudiait, dans la banlieue de Gê-nes, en Italie, l’usine sidérurgiquede l’Ansaldo. Il a été interrompupar sa mort, jeudi 16 avril, à Paris. Il avait 62 ans.

Cet amoureux de l’Italie avait euune carrière d’excellence. Elève del’Ecole normale supérieure (ENS),agrégé d’histoire, « caïman » rue d’Ulm, directeur d’études à l’Ecoledes hautes études en sciences so-ciales (EHESS) en 1991, il s’était spécialisé sur la proto-industriali-sation, à la fin du XVIIIe et au dé-

but du XIXe siècle, publiant no-tamment, en 1985, L’Industrie aux champs. Essais sur la proto-indus-trialisation en Italie septentrionale(Ed. de l’Ecole française de Rome), et en 1990, avec Yves Gaulupeau, La Fabrique des prolétaires. Lesouvriers de la manufacture d’Ober-kampf à Jouy-en-Josas (Presses de l’Ecole normale supérieure).

« Mensonge d’Etat »

Jacques Revel, son ami et collègue à l’EHESS, évoque à son propos un« homme très attachant, discret et secret ». Alain Dewerpe avait du reste surpris son entourage àl’université en signant, en 1994, Espion. Une anthropologie histori-que du secret d’Etat contemporain (Gallimard). Un livre « important, méconnu et original, qui corres-pond à ce qu’il était », ajoute Jac-ques Revel. Le secret y est tenu pour une dimension majeure de la politique, et le renseignement, science « secrète », devient le pen-dant des sciences « publiques » que sont les sciences sociales. Auxyeux de son ami d’enfance, l’écri-vain et critique Jean-Pierre Salgas,cet ouvrage sur les espions est « laclé de son autre livre, sur Cha-ronne » : « Au fond, ce sont des li-vres intimes, sur le secret familialqu’il portait en lui. »

Alain Dewerpe a inventé dansCharonne, 8 février 1962, une ma-nière de traiter d’un événement majeur, ancré dans des épaisseurshistoriques diverses. Exhaustifsur le déroulement événementiel des faits, confrontant méticuleu-sement les sources, l’ouvrage cherche à saisir les « conditions depossibilité » de la tragédie.L’auteur y démonte le « men-songe d’Etat » et justifie, par la ri-gueur implacable de son analyse, l’emploi des termes de « massa-cre », de « tuerie » et de « meur-tre » : « Le meurtre d’Etat a appelé le mensonge d’Etat. » En révélant ainsi les ambiguïtés du fonction-nement de l’Etat démocratique auXXe siècle, l’historien a aussi dé-montré la valeur de sa disciplinedans la lutte ambiguë entre secretet lumière. p

julie clarini

23 SEPTEMBRE 1952 Naissance à Paris1985 Publie « L’Industrie aux champs »1991 Devient directeur d’études à l’EHESS1994 Publie « Espion. Une anthropologie historique du secret d’Etat contemporain »2006 Publie « Charonne, 8 février 1962 »16 AVRIL 2015 Mort à Paris

En 1997. DR

AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Marion d’ABRIGEONet Alban LIONNET,

ont la joie d’annoncer la naissance deBianca,

le 9 avril 2015.148, rue La Fayette,75010 Paris.

Décès

Le Domaine Lelaive,a la profonde tristesse de faire partdu décès de sa gérante,

Anne-ClaudeJACQUES-LEFLAIVE,

survenu le 6 avril 2015.Il s’associe pleinement à la peine de sa

famille.Domaine Lelaive,Place du Pasquier de la Fontaine,21190 Puligny [email protected]

Aix-en-Provence.Marie-Ange Bertora,

son épouse,Raphaëlle,

sa ille,Xavier Jaffré,

son gendre,Anaïs et Théodore,

ses petits-enfants,Roland Bertora,

son frère,ont la douleur de faire part du décès de

Marc BERTORA,

survenu le 15 avril 2015.La célébration religieuse de ses

funérailles aura lieu le 21 avril 2015,à 15 h 30, en la cathédrale Saint-Sauveur,à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

Cet avis tient lieu de faire-part.10 rue Espariat,13100 Aix-en-Provence.

Paris.

Michel Clairprésident d’Astria,

Jean-Pierre Duport,président de Domaxis,

Les membresdu conseil d’administration de Domaxiset de la société Minerve,

ont la tristesse de faire part du décès de

Christian BOUVIER,survenu le 16 avril 2015, à Paris.

L’ensemble des administrateurs s’associeà la peine de sa famille et de ses amiset s’incline avec émotion devant samémoire.

Jean-Pierre Duport,président de l’Institut Paul Delouvrier,

Les membresdu conseil de surveillanceet du directoire,ont la tristesse d’annoncer le décès,le 16 avril 2015, de

Christian BOUVIER,président d’honneur

de l’Institut Paul Delouvrier.

Ils s’associent à la peine de sa familleet de ses amis et s’inclinent avec émotiondevant sa mémoire.

Institut Paul Delouvrier,98, rue de Sèvres,75007 Paris.

Françoise Bouvier-Laroudie,son épouse,

Geneviève et Jacques Laroudie,ses beaux-parents,

Christine et Jacques Nikonoff,Martin, Grégoire et Léon,

Bénédicte et Antoine Bouvier,Thomas, Charles et Ariane,

Laure et Grégoire Dattée,Stéphane, Geoffroy et Alexandre,ses enfants et ses petits-enfants,

Sa famille,Ses amis,

ont la tristesse de faire part du décès deChristian BOUVIER,

le 16 avril 2015, à son domicile.La messe d’obsèques sera célébrée

le lundi 20 avril, à 14 heures, en l’égliseNotre-Dame-des-Champs, Paris 6e.

64, rue Madame,75006 Paris.

Jean-Philippe et Béatrice,ses enfants,

Ses petits-ilsEt son arrière-petite-ille,ParentsEt amis,

ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Michèle CANONNE,née BLOT,

survenu le 4 avril 2015,à Saint-Prejet-Armandon,à l’âge de soixante et onze ans.

Une messe sera célébrée le vendredi24 avril, à 10 heures, en l’église Saint-Germain-des-Près, à Paris 6e.

Hélène Phaner,son épouse,

a la tristesse d’annoncer le décès de

Alain DEWERPE,survenu le 15 avril 2015.

Les obsèques se dérouleront le lundi20 avril, à 15 heures, au cimetière parisiende Bagneux.

Libourne.

M. Jacques Durantou,son époux,

Jean-Louis (†),Denis et Marie,François et Nathalie,Geneviève,Bernard et Isabelle,

ses enfantset leurs compagnes,

Alix, Noémie, Constance, Sélène,Louis Antoine, Gauvain et Florian,

ses petits-enfants,

ont la tristesse d’annoncer le départ de

Hélène DURANTOU,ille de

Louis Constant PRUNIER,Maillé (Vendée)

etAlbertine BRUN,

Traubach-le-Bas (Haut-Rhin).

La cérémonie religieuse et l’inhumationauront lieu à Bonzac (Gironde), dansl’intimité familiale.

Cet avis tient lieu de faire-partet de remerciements.

Jacques Durantou,57, rue Michel Montaigne,33500 Libourne (France).

Mme Pierre Lefrère,sa mère,

Kathryn,Caroline et Nicolas,son épouse et ses enfants,

M. et Mme François Lefrère,son frèreet ses enfants,

ont la tristesse de faire part du décès de

Jean-Jacques LEFRÈRE,survenu le 16 avril 2015.

La cérémonie religieuse sera célébréele mercredi 22 avril, à 10 heures, enl’église Saint-François-Xavier, Paris 7e.

L’inhumation, en Normandie se feradans l’intimité familiale.

Jean-Paul Vernant,président du CA,

Sylvie Delaune,Jean-Pierre CartronEt l’ensemble du personnel,

ont la profonde tristesse de faire partdu décès du

professeurJean-Jacques LEFRÈRE,

directeur généralde l’Institut national

de la transfusion sanguine,

survenu le jeudi 16 avril 2015,à l’âge de soixante ans.

Nos pensées vont à sa famille et à tousses proches, à qui nous adressons toutenotre sympathie et notre soutien dans cesmoments dificiles.

Durant toute sa maladie, Jean-JacquesLefrère, avec un très grand courage etune lucidité exceptionnelle, n’a cesséde se préoccuper du devenir de l’INTSet de faire en sorte que nos missionsrepensées sur de nouvelles bases soientrenforcées et pérennisées.

Grand professionnel et profondémenthumaniste, il est toujours resté à l’écoutede chacun et il a su emporter l’adhésion,l’enthousiasme et l’engagement de tous.

Médecin et scientiique doté d’une trèsgrande curiosité, mais aussi homme deLettres, le « Médecin de Rimbaud » laisseun vide dificile à combler.

Lyon.

Mme Hélène Merlin,son épouse,

Pierre-Christophe, Julia et Mélodie,ses enfantset leurs conjoints,

Tim-Ethan, Théodore, Amandine,Anna, Alice et Camille,ses petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décès de

Henry MERLIN,chevalier de la Légion d’honneur,

président-directeur généralde MERLIN SA,

président de la Banque Populairedes Alpes,

vice-présidentdu Groupe Banque Populaire,

président de Natixis Private Equity,

survenu le 16 avril 2015.

Une cérémonie religieuse sera célébréeen l’église de Saint-Donat-sur-l’Herbasse,le lundi 20 avril, à 13 h 30.

Fleurs ou dons en faveur de la recherchecontre le cancer.

Mme Danièle Onnainty,son épouse,

M. et Mme Georges Chabat,ses sœur et beau-frère,

M. Arnaud Chabat,son neveu,

ont la douleur de faire part du décès de

Me Marcel ONNAINTY,avocat honoraire,

ancien professeur de droit,ancien élève de Science Po,

survenu à Neuilly-sur-Seine,le 17 avril 2015,dans sa soixante-dix-neuvième année.

Un hommage lui sera rendu le jeudi23 avril, à 11 heures, au crématoriumdu Mont-Valérien, rue du Calvaire,à Nanterre.

Elisabeth Engelhard,Françoise et Charles Elzière,Anne Talpain,

ses illes et son gendre,Ses petits-enfants,Ses arrière-petits-enfants,Et toute sa famille,

ont la tristesse de faire part du décès deSolange TALPAIN,

née de LAGRANGE-FERRÈGUESsurvenu à Marseille, le 10 avril 2015,à la veille de ses cent six ans.

Elle repose au cimetière de Saint-Georges d’Oléron, aux côtés de son mari

Just TALPAIN.

Anniversaire de décès

Il y a un an, le 20 avril 2014,disparaissait

Jacques ZAJDERMANN.Sa famille,Ses amis,

pensent à lui.« Il est quelque chose plus fort

que la mort,c’est la présence des absents

dans la mémoire des vivants. »

Souvenirs

Pont-du-Château (Puy-de-Dôme).Lyon. Rillieux-La-Pape (Rhône).Le 19 avril 1985, disparaissait,

à l’âge de cinquante-quatre ans,

Aline DELAIRE,née GOUTAY,

qui ne nous a pas quittés.

Lyon.Robert DROGUET,

écrivain.Dix ans déjà ...

« Et le silence redevient grandComme au cœur des forêts noires. »

Syntaxe 3, 1958.

Nominations

Le vendredi 17 avril 2015 ont été élusà l’Académie des Inscriptions etBelles-Lettres deux nouveaux

académiciens :M. Antonio PADOA SCHIOPPA,

historien italien du droitet des institutions judiciaires

du Moyen Âge, spécialiste du droitcommercial, du droit canonique

et de l’histoire du droit en Europe,professeur émérite à l’Universitéde Milan, né à Vienne (Autiche),

le 23 août 1937 ;M. Paul-Hubert POIRIER,historien du christianisme,spécialiste du gnosticisme

et du manichéisme, spécialistedes langues et littératures

de l’Orient chrétien ancien,professeur à l’Université Lavalde Québec, né à Saint-Siméon

(Québec, Canada), le 2 mai 1948.

Communication diverse

Groupe EAC.Paris. Lyon. Monaco. Pékin. Shanghai.

Claude Vivier Le Got, présidentedu Groupe EAC, félicite ses diplômésdu MBA manager de projet culturel,en particulier Eric Gandré, embauchépar l’Espace Festival.

Si comme eux vous souhaitez travaillerdans l’art, la culture et le luxe, venez nousrencontrer lors de notre journée portesouvertes, le samedi 25 avril 2015,de 9 h 30 à 17 h 30, à Paris et Lyon.

33, rue la Boétie,75008 Paris.Tél. : 01 47 70 23 [email protected], place Croix-Paquet,69001 Lyon.Tél. : 04 78 29 09 [email protected]

Le présidentdu conseil d’administration,

Le conseil d’administration,La direction généraleEt les personnels

de l’Association l’Élan Retrouvé,

ont la tristesse de faire part du décès de

M. le docteur Marc HABIB,médecin psychiatre,

survenu le mardi 14 avril 2015.

Durant neuf ans, il a occupé lesfonctions de médecin-directeur desservices médicaux et médico-sociauxde l’Association, avec le souci permanentde l’intérêt des patients, des usagerset de leurs familles.

Animé professionnellement d’unhumanisme attaché à la psychothérapieinstitutionnelle, il a toujours eu le soucisd’un travail et d’une rélexion transversalepartagée dans l’Association pour proposer,avec une créativité toujours opérante, desmodalités de soins les plus pertinentespossibles.

Son attachement à la clinique desfamilles qu’il a contribué à établir avecune rare intelligence et un humour hors-pair et sa générosité à vouloir transmettreson savoir clinique et théorique aux plusjeunes sont connus de tous.

Son esprit fédérateur et son dynamismeont largement contribué au développementde l’Association et des rélexions sur sesorientations actuelles.

Sa disparition brutale est une pertepour l’Association et l’ensemble de sescollaborateurs auxquels la inesse et le rirede Marc manquent déjà.

L’Association l’Élan Retrouvé s’associeà la douleur de son épouse et à cellede toute sa famille et de ses nombreuxamis.

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Page 24: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

24 |0123 DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

suite de la première page

Lorsqu’ils se sont connus à l’université Yale, Hillary Rodham et Bill Clintonétaient tous les deux des baby-boomersbrillants et prometteurs. Dotée d’une énorme capacité de travail et d’une vo-lonté de fer, la jeune Hillary avait, commeBill, plus primesautier mais déjà un for-midable orateur, la fibre politique. C’est évidemment lui qui est passé le premier, et c’est seulement après avoir aidé à lefaire élire gouverneur de l’Arkansas puis deux fois président qu’elle a pu songer à se présenter, elle, au Sénat, où elle a siégé huit ans, puis à la Maison Blanche,en 2008. Battue à la primaire démocrate par Barack Obama, elle l’a servi loyale-ment pendant quatre ans à la tête de la di-plomatie américaine. Si elle est élue en 2016, elle sera la première femme pré-sidente des Etats-Unis.

On pourrait dresser le même parallèleavec le couple Obama. Le travail politiquede Michelle Obama, juriste talentueuse, diplômée de Princeton et de Harvard, a été jugé essentiel à l’élection de son mari au Sénat, puis à la Maison Blanche. Ceux qui ont assisté à ses discours de campa-

gne ne sont pas près de les oublier. Ani­mal politique elle­même, elle s’est pour-tant sagement rangée dans un rôle irré-prochable de First Lady, engagée dans la lutte contre l’obésité et la promotion des couturiers américains : en sept ans de Maison Blanche, elle a fait un sans-faute. Bientôt, elle aussi sera libérée. La vraiequestion, lorsque Barack Obama quittera la présidence à 55 ans, n’est pas « qu’est-cequ’il va faire ? », mais « qu’est-ce qu’elle vafaire ? ». Se lancer en politique... Pourquoipas ?

Féminité affichée

L’autre caractéristique de cette deuxièmecandidature d’Hillary Clinton, c’est la finde la suprématie de la testostérone comme arme politique.

Sénatrice débutante, elle s’était sentieobligée de siéger à la virile commissiondes forces armées. Pendant sa premièrecampagne pour la Maison Blanche, elle avait assez peu joué de la corde féministe,pourtant très sensible chez elle : difficilede rivaliser avec la nouveauté d’un candi-dat qui, lui, serait le premier président noir, pour succéder à George W. Bush.Cette fois-ci, en revanche, elle y va à fond,dès sa vidéo de candidature. Sa cible, ce sont les femmes, les mères, les grands­mères – comme elle. Elle affiche sa fémi-nité, joue sur les couleurs pastel et la lé-gendaire versatilité de ses coiffures. Dansun pays où l’âge mûr est bien porté aussi longtemps qu’il rime avec dynamisme,elle n’a pas peur d’assumer son âge. L’Ar-gentine Cristina Kirchner et la Brési-lienne Dilma Rousseff ont pensé ne pas pouvoir éviter le passage par la médecineesthétique ; Hillary Clinton considère que, désormais, cela ne fait plus partie dela panoplie de la femme politique.

La candidate démocrate suit un sillon

déjà tracé en Europe. Il fut un temps oùles femmes dirigeantes devaient exercer le pouvoir comme les hommes : malgré tout le soin qu’elle apportait à ses tailleurs, ses sacs et sa mise en plis, Mar-garet Thatcher gérait le Royaume-Uniavec une poigne d’homme, comme Golda Meir ou Indira Gandhi l’avaient fait en Israël et en Inde. Aujourd’hui, An-gela Merkel n’a pas besoin, elle, de jouerles gros bras pour peser de toute son autorité et se débarrasser de ses rivaux,comme elle l’a fait sans pitié avec le tout-puissant Helmut Kohl : « Mutti », c’estmême l’anti-testostérone. Comme la blonde et plus jeune Helle Thorning-Sch-midt, la première ministre danoise, au pays de « Borgen ».

Et ce n’est pas un hasard si Angela Mer­kel et Hillary Clinton ne font pas forcé-ment bon ménage avec la vieille garde macho des chefs d’Etat ou de gouverne-ment. Le roi de l’instrumentalisation po-litique de la testostérone, évidemment, c’est Vladimir Poutine. Ses amis à lui s’ap-pellent George W. Bush, qui voyait « son âme au fond de ses yeux », Alexis Tsipras, Viktor Orban, Silvio Berlusconi ou Nico-las Sarkozy, des hommes qui bombent le torse, mais – à l’exception de MM. Bush etSarkozy – ne s’embarrassent pas de diver-sité et pensent que parité est un mot étranger : M. Tsipras, le premier ministre grec de gauche, n’a trouvé que six fem-mes pour un gouvernement de 40 mem-bres. Si le président russe a nommé une femme à la tête de la Banque centrale de Russie, il est rarissime que l’on voie des femmes dans son entourage politique.Même contemporains, ces hommes poli-tiques-là sont, finalement, représentatifs d’une époque révolue. p

[email protected]

L’ EPR est-il condamné ? Pré-senté, à l’époque de sa concep-tion par Areva, dans les an-

nées 1990, comme le nec plus ultra del’industrie nucléaire française, le réac-teur de troisième génération cons-truit à Flamanville (Manche) par EDF est gravement menacé. L’Autorité desûreté nucléaire (ASN) vient de confir-mer que sa cuve − le cœur de la chau-dière où se produit la fission des ato-mes et qui doit être à toute épreuve − présentait une « anomalie très sé-rieuse ». De nouveaux tests doivent être réalisés d’ici à l’automne. L’éven-tuelle confirmation de ce diagnostic à l’issue des essais porterait un coup fa-tal à l’EPR.

Un tel revers technologique, qui ré-vélerait l’incapacité d’Areva à forgerune cuve répondant à toutes les nor-mes de sûreté, aggraverait en effetl’autre point faible de l’EPR : son coût, exorbitant. A Flamanville, comme sur le chantier finlandais d’Olkiluoto, iln’a cessé de dériver. La facture du réac-teur français pourrait atteindre10 milliards d’euros, soit trois fois le prix annoncé.

Or, depuis l’échec d’Abou Dhabien 2009, où les Coréens ont été préfé-rés aux Français, EDF et Areva tardent à proposer l’« EPR optimisé » promis : un EPR aussi sûr, mais 25 % moins

cher que les premiers modèles. C’estpossible, et les deux réacteurs chinois construits par EDF et ses partenaireschinois à Taishan devraient en appor-ter la preuve. A condition que leurs cu-ves, également fabriquées en France,ne présentent pas les mêmes anoma-lies que celle de Flamanville.

Déboires technologiques, surcoûts,dérapage des délais – cinq ans de re-tard déjà pour le réacteur de Flaman-ville – expliquent que l’EPR ait encore été si peu exporté : un exemplaire en Finlande, deux en Chine. EDF doit en construire deux à quatre au Royau-me-Uni. Pour le reste, qu’il s’agisse de l’Inde, de la Pologne, de l’Afrique du Sud ou de l’Arabie saoudite, c’est l’in-connu.

C’est la filière nucléaire nationaletout entière qui est ainsi fragilisée, au moment où l’Agence de l’environne-ment et de la maîtrise de l’énergie,sous tutelle de l’Etat, vient de rendrepublic un scénario pour le moins sub-versif : à l’horizon 2050, la France pourrait tirer la totalité de son électri-cité de ressources renouvelables, vent,soleil, barrages, géothermie, bio-masse ou énergies marines. Et cela, àun coût comparable à celui d’un mix électrique conservant 50 % de nu-cléaire. Le gouvernement, qui s’en tient à la promesse de François Hol-lande de réduire la part de l’atome à ceniveau en 2025, exclut d’aller au-delà. Mais le débat est désormais ouvert.

« Nous arrivons à la fin d’un cycle in-dustriel », observe l’ASN. L’âge moyen des 58 réacteurs du parc français est de vingt-neuf ans, et la cure de jou-vence nécessaire à une éventuelle ex-tension de leur durée de vie au-delà dequarante ans, ainsi que les travaux de renforcement imposés après l’acci­dent de Fukushima, exigent des inves­tissements colossaux. L’heure duchoix de notre futur modèle énergéti-que est venue. L’EPR, géant de béton et d’acier au cœur mal trempé, n’est plus assuré d’y trouver sa place. p

ANGELA MERKELET HILLARY CLINTON

NE FONT PASBON MÉNAGE AVECLA VIEILLE GARDE

MACHO DES CHEFS D’ÉTAT OU DE

GOUVERNEMENT

NUCLÉAIRE : L’EPR EN DANGER DE MORT

L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE

par sylvie kauffmann

La fin de la testostérone

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Page 25: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

Cahier du « Monde » No 21852 daté Dimanche 19 - Lundi 20 avril 2015 - Ne peut être vendu séparément

AUTOMOBILEFERDINAND PIËCH, LE PATRIARCHE DE VOLKSWAGEN, DÉSAVOUÉ→ LIRE PAGE 3

TÉLÉCOMLE RACHAT D’ALCATEL-LUCENT PAR NOKIA S’INVITE DANS LA CAMPAGNE POUR LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES FINLANDAISES→ LIRE PAGE 5

PERTES & PROFITS | ODDO & CIE

Blitzkrieg dans la finance

Bâtir des groupes franco-allemandss’est toujours révélé plus compliquéque de construire des accords politi-ques entre Paris et Berlin. Les deux

capitales ont souvent rêvé de voir émerger des champions binationaux dans l’énergie, les té-lécommunications, les Bourses ou la défense. Mais Airbus reste à la fois le modèle et l’excep-tion.

A une échelle beaucoup plus modeste, legroupe Oddo & Cie s’est lancé dans l’aventure. Spécialisée dans la gestion de capitaux et la ban-que d’investissement, l’affaire, contrôlée à 60 %par la famille de l’ex-agent de change Camille Gautier, a réalisé deux acquisitions en Allema-gne. Le rachat de Seydler, une banque d’investis-sement spécialisée sur le marché des grosses entreprises familiales, le fameux Mittelstand, a été bouclé en janvier ; celui du gestionnaired’actifs Meriten le sera sous quelques mois.

1 + 1 est supérieur à 2

Le groupe dirigé par Philippe Oddo devrait dé-sormais réaliser un quart de son activité outre-Rhin, où il comptera un quart de ses 1 300 sala-riés. Il en était absent il y a encore six mois !

Il n’a pas traîné pour faire la démonstration,que tout acquéreur promet souvent un peuvite, selon laquelle 1 + 1 est supérieur à 2. Oddoet sa nouvelle filiale allemande, baptisée« Oddo Seydler », ont bouclé le 14 avril uneémission obligataire de 300 millions d’eurospour le compte d’une société allemande. Ja-mais le français ni l’allemand n’avaient jus-

qu’ici mené seuls une opération approchantun tel montant. Les connexions de l’un avec les investisseurs institutionnels et la trèsbonne connaissance de l’autre du tissu alle-mand des entreprises familiales offrent de belles perspectives.

Sous la ligne d’horizon des grandes banqueseuropéennes, M. Oddo est décidé à pousser son avantage. Le Blitzkrieg n’est pas loin. Il voiten 2015 une fenêtre pour réaliser d’autres ac-quisitions avant que les poids lourds du sec-teur ne reprennent goût à la croissance ex-terne. Lui-même à la tête d’une de ces entrepri-ses de taille intermédiaire, les ETI, auxquelles l’on donne le Mittelstand pour modèle, il as-sure ne pas y perdre son âme.

Les dirigeants et les salariés de Seydler et Me-riten vont pouvoir entrer au capital du groupe,dont 56 % des salariés se partagent un peu plusde 30 % des parts.

Une question de cohérence pour une sociétédont les analystes mesurent la qualité du ma-nagement des entreprises dans lesquelles elle investit les capitaux de ses clients. Et un ré-flexe de prudence, sans doute, alors que les ra-chats d’entreprise sont des moments propices aux dérapages et aux dérives.

Cette « boutique » qui n’a cessé de croîtrepar acquisitions successives continue de culti-ver sa différence, notamment dans le do-maine de la recherche sur les actions. Maisl’intégration de sociétés étrangères est un défiinédit. p

jean-baptiste jacquin

Le G20 s’inquiètede l’instabilité des monnaies

I l y a six mois, ils ne parlaientque du risque de déflation.Aujourd’hui, l’instabilité des

devises et la crise grecque sont au cœur de leurs préoccupations. Jeudi 16 et vendredi 17 avril, les ministres des finances et les ban-quiers centraux des pays du groupe des Vingt (G20) se sont réunis à Washington.

Les discussions ont commencésur une note positive : les perspec-tives économiques sont bien meilleures au Japon et dans la zone euro, où la reprise se profile enfin. « Les risques pour l’économiemondiale sont plus équilibrés que lors de notre précédente réunion », ont estimé dans leur communi-qué les membres du G20 finances.

Ils se sont en revanche inquié-tés de la volatilité croissante des monnaies : l’appréciation du billet vert observée depuis plu-sieurs mois menace les pays en-dettés en dollars, les politiques monétaires accommodantes de la zone euro et du Japon, pous-sant l’euro et le yen à la baisse, déstabilisent les autres devises.

Appelant les banques centralesà la prudence, les membres du G20 se sont montrés préoccupés par la crise grecque. Wolfgang Schäuble, le ministre des financesallemand, juge peu probable que la réunion de l’Eurogroupe du24 avril, à Riga (Lettonie), abou-tisse à un accord. p

→ L IRE PAGE 5

CE QUE REPRÉSENTENT LES PAYS

DU G20 DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

85 %DU PIB MONDIAL

j OR | 1 204 $ L’ONCE

j PÉTROLE | 63,73 $ LE BARIL

j EURO-DOLLAR | 1,0806

J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 1,87 %

J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,37 %

VALEURS AU 18/04 - 7 HEURES

La Silicon Valley en pleine euphorie

Le logo de Snapchat,à New York. RICHARD

LEVINE/DEMOTIX/CORBIS

▶ Jamais depuis quinze ans, aux Etats-Unis, les start-up n’ont levé autant d’ar-gent qu’au pre-mier trimestre▶ Les valorisa-tions des jeunes pousses de la Si-licon Valley s’en-volent▶ Une euphorie qui rappelle les années qui ont précédé l’éclate-ment de la bulle Internet en 2000

→ LIRE PAGE 3

L e gouvernement étudie les moyensde lutter contre la revente « spécu-lative » de chaînes de télévision.

Une réflexion qui fait suite à la polémiquesur les conditions de la cession de Nu-méro 23 au groupe NextRadioTV annon-cée le 2 avril : la chaîne a été revendue 90 millions d’euros deux ans et huit moisaprès l’attribution gratuite d’une fré-quence par le Conseil supérieur de l’audiovisuel à ses propriétaires parmi les-

quels Pascal Houzelot, membre du con-seil de surveillance du Monde.

« On pourrait considérer qu’il faut dé-sormais vendre les fréquences de télévi-sion car elles font partie du patrimoinepublic, au même titre que les fréquences télécoms que l’on attribue parfois aux en-chères », expose Patrick Bloche, présidentde la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Cette option semble pour l’heure exclue par le député

PS comme par le gouvernement.« On peut jouer sur deux paramètres – la

durée de détention d’une chaîne [deuxans et demi au minimum dans le cas deNuméro 23] et la taxation des reventes [5 % aujourd’hui] », explique M. Bloche, selon lequel le groupe PS de l’Assembléeenvisage des amendements sur le sujet. L’exécutif peut aussi décider de renforcerle cahier des charges qui accompagne l’attribution des fréquences.

Ce n’est pas la première fois qu’un gou-vernement se penche sur cette question. Mais, jusqu’ici, les tentatives qui ont été faites pour empêcher le « trafic de fré-quences » se sont heurtées à des obstaclesjuridiques. La cession par Vincent Bolloré de Direct 8 et Direct Star pour 465 mil-lions d’euros à Canal+ avait déjà fait polé-mique. Tout comme celle en 2009 de TMCet NT1 à TF1 par le groupe AB. p

→ L IRE PAGE 8

Réflexion sur les modalités de vente des chaînes de la TNT

▶ Le gouvernement étudie plusieurs pistes de réforme après la polémique créée par la cession de Numéro 23

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Page 26: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

2 | plein cadre DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

LANCER AVEC SUCCÈS UN VÉHICULE PROPRE POURRAIT VALOIR À CES MILLIARDAIRES

LA RECONNAISSANCEDES CONSOMMATEURS,

MAIS SURTOUTDE L’ÉTAT-PARTI

shanghaï - correspondance

Jia Yueting y croit dur comme fer. Lemilliardaire, fondateur de LeTV, uneplate-forme permettant de visualiserfilms à la demande et autres pro-grammes sur télévisions « connec-tées », a décidé de se lancer dans le vé-hicule électrique. Contre l’avis de cer-

tains au sein de son entreprise. Il faut dire que son groupe n’avait pas d’expertise dans le secteur automobile. C’est pourquoi Jia Yue-ting a recruté, en octobre 2014, Allen Lu, un ancien cadre dirigeant du groupe italien Fer-rari et d’Infiniti, la marque premium du japo-nais Nissan, en Asie. Le richissime patron –plus de 3 milliards d’euros de fortune, selon le magazine Forbes – lui a exposé son ambi-tieux projet.

Alors que la pollution atmosphérique estdevenue une problématique politique depremier plan, « il rêve de changer les choses, d’améliorer l’environnement, la qualité de l’air

à Pékin et en Chine », raconte Allen Lu.Outre Jia Yueting, le patron de Foxconn,

sous-traitant d’Apple, Terry Gou, a annoncé, lui aussi, son intention de se lancer dans lavoiture électrique ou le véhicule hybride. Pour accélérer les choses, Foxconn a investidans la marque Harmony Auto, un petit fa-bricant de véhicules électriques. Jia Yuetingcomme Terry Gou rêvent de devenir le nou-vel Elon Musk, cofondateur de PayPal, et pa-tron entre autres de Tesla, marque de véhicu-les électriques très respectée, aux Etats-Unis et en Europe.

Ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à cesujet. Robin Li, le fondateur du moteur de re-cherche Baidu, lance son groupe dans les re-cherches sur les véhicules connectés, tandisque le géant Tencent, qui gère le réseau socialWeChat, a signé un accord avec Foxconn, Huawei et d’autres marques de téléphonie etd’informatique, dans le but de travailler sur les voitures électriques « intelligentes ». La marque chinoise de smartphones en pleine

tées. Non pas en Chine, mais dans la SiliconValley. Certains ont en l’occurrence été dé-bauchés chez Tesla. La production, en revan-che, sera assurée dans l’empire du Milieu, premier marché de la planète. Un prototypedevrait être présenté au Salon de Pékin, auprintemps 2017. En attendant, à celui de Shanghaï, qui ouvre ses portes au grand pu-blic le 22 avril, LeTV précisera sa coopération avec BAIC, un de ces grands constructeurs chinois d’Etat, à qui il devrait proposer unsystème de navigation et d’information surdes modèles à essence.

MANQUE D’EXPÉRIENCED’ici à la présentation du véhicule 100 % élec-trique, il reste tout juste deux ans. Et la ques-tion des infrastuctures n’est pas réglée. « Nous en sommes toujours loin », admet Al-len Lu, LeTV espérant que le gouvernement chinois aura installé d’ici deux ans suffisam-ment de stations de recharge des batteries pour rendre son produit crédible. Car le man-que de stations, en Chine comme ailleurs, ajusqu’à présent découragé les conducteurs d’opter pour une automobile roulant exclu-sivement à l’électricité.

Même le constructeur BYD (pour « Buildyour dreams »), à Shenzhen, qui misait sur letout-électrique et avait suscité à ce titre un in-vestissement de Warren Buffett en 2008, juge désormais que l’hybride est la solutionpour les véhicules particuliers, le 100 % élec-trique étant davantage adapté aux trans-ports en commun.

Autre difficulté à lever pour LeTV : sonmanque d’expérience dans ce secteur. Cer-tes, le groupe imagine une synchronisationpermanente des contenus de la voiture au sa-lon, en passant par le smartphone. Cepen-dant, il faudra qu’il fasse ses preuves en ma-tière de sécurité et de fiabilité, là où les cons-tructeurs ont mis des décennies à établir leurimage de marque.

Pour populariser sa « Super Electric Car »,Jia Yueting entend mettre à profit sa base de 20 millions d’utilisateurs fidèles. Allen Lu ex-plique qu’il suffirait que 5 % de ses clients achètent sa voiture électrique pour atteindrele million de commandes. « Au début, nousn’aurons pas les capacités de production suffi-santes, donc la liste d’attente sera longue »,rêve tout haut le patron du projet.

Nombre d’observateurs restent dubitatifs.John Zeng, analyste chez LMC à Shanghaï, sedemande comment, en moins de trois ans,LeTV pourrait parvenir à bâtir une ligne deproduction et à résoudre les défis de la re-cherche et développement, notamment la difficile équation de l’autonomie des batte-ries. « D’ici à 2020, tous ceux qui voudronttenter leur chance devront investir des som-mes colossales sans retour direct », juge l’analyste.

Allen Lu ne s’offusque pas des interroga-tions en cascade sur la viabilité de son projet.« Tant que je ne vous montrerai pas mon pro-totype, vous ne me croirez pas, glisse-t-il. Ilsne croyaient pas non plus que nous puissions lancer un téléviseur par le passé. » p

harold thibault

ascension, Xiaomi, planche également sur le sujet.

Pour ces groupes high-tech et ces milliar-daires, parvenir à lancer avec succès un véhi-cule propre pourrait valoir la reconnaissancedes consommateurs, mais également, et sur-tout, de l’Etat-parti. « Par ce biais, une entre-prise chinoise pourra, dans le futur, devenirune marque célèbre », imagine Allen Lu, dansson nouveau bureau chez LeTV, en bordure du quatrième périphérique Est à Pékin.

Pour leur part, les constructeurs d’automo-biles sont d’autant plus enclins à s’intéresserà ce sujet que les autorités chinoises encou-ragent l’innovation entre les pionniers des nouvelles technologies et les constructeurs traditionnels d’automobiles autour de la voi-ture sans émission, qui s’est vendue à moins de 50 000 exemplaires en 2014 en Chine,quand l’objectif pour fin 2015 est fixé à… undemi-million d’unités par an.

Les marques chinoises de voitures y voientun intérêt d’autant plus fort qu’elles pèsentseulement un tiers du marché et ne parvien-nent toujours pas à briller face à leurs con-currentes étrangères, comme devrait encore le démontrer le Salon de Shanghaï, qui ouvreses portes à la presse lundi 20 avril.

Chez LeTV (le sinogramme « le » signifie« heureux »), le nom du projet de véhiculeest limpide : « Super Electric Car ». Pour plan-cher sur ce modèle, environ 300 personnes, surtout des ingénieurs, ont déjà été recru-

La Model Sde Tesla a eu toutes les peinesdu mondeà s’installeren Chine.NG HAN GUAN/AP

Quand le high-tech chinois rêve de voiture électrique

Les pionniers chinois des nouvelles technologies s’invitent dans le secteur automobile. LeTV, Foxconn ou Tencent veulent

inventer le véhicule électrique de demain. Une gageure, alorsque les marques nationales sont minoritaires sur le marché

l’eldorado automobile chinois esten train de tourner au cauchemarpour Tesla. Impatient dès 2013 d’y écouler son véhicule électrique féti-che, la Model S, le constructeur améri-cain a eu toutes les peines du monde às’installer sur le premier marché auto-mobile de la planète. Et à conquérir ses clients ultra-exigeants.

En 2014, la société californienne aécoulé dans l’empire du Milieu 3 800 Model S. C’est 8 % du marché des véhi-cules électriques chinois. Mais c’est un échec, au vu de ses ambitions de départ. En 2013, Elon Musk, le PDG de Tesla, assurait que la Chine absorbe-rait en 2015 autant que les Etats-Unis…Au premier trimestre, Tesla a vendu 4 700 véhicules aux Etats-Unis, pour un millier en Chine.

Pour Tesla, la galère chinoise a com-mencé dès 2013. Quand Elon Musk an-nonce l’ouverture de ses premières

concessions. Le nom Tesla a déjà été déposé dans le pays par un entrepre-neur chinois au nez creux dès 2006, trois ans après le lancement de l’entre-prise aux Etats-Unis. Pour s’en sortir,Tesla n’a d’autres choix que de desser-rer les cordons de la Bourse…

Critiques sur InternetMais rien n’est réglé. Au contraire. Si l’ouverture des réservations des véhi-cules Model S de Tesla, début 2014, estun franc succès, les livraisons tardentà venir et beaucoup de clients s’impa-tientent, voire se désistent. « Nous avons un stock important de Model Ssur les bras, car des spéculateurs ont commandé des véhicules, mais ne lesont jamais achetés… », pestait en mars Elon Musk à la télévision chi-noise. Il n’a pas hésité à licencier prèsdu tiers des employés qu’il avait em-bauchés… Sans compter les départs

des dirigeants, comme la présidente Veronica Wu.

Et puis la berline électrique de luxen’est pas toujours au goût de tous les ri-ches Chinois. En juillet 2014, un client qui estimait avoir attendu trop long-temps sa berline électrique, payée 130 000 euros, avait fracassé devant lescaméras le pare-brise de la voiture qu’ilvenait de recevoir.

Ceux qui ne vont pas jusqu’à cette ex-trémité critiquent ouvertement sur In-ternet leur nouveau bolide. « Alors que j’ai payé ma voiture un million de yuans[155 000 euros] l’intérieur n’a rien d’unevoiture de luxe », se désole sur un fo-rum chinois Hapchen, un propriétaire de Tesla à Ningbo… « L’odeur dans l’ha-bitacle est un poison », râle Heinan, unpropriétaire de Suzhou.

Les places arrière sont également trèscritiquées : « Elles ne sont pas aussi bienque celles de devant », grince Aitong, de

Chengdu. Enfin, la question cruciale del’autonomie des véhicules est pointée du doigt, comme pour l’ensemble des véhicules électriques. « Dans mon im-meuble, il n’y a pas de chargeur, et le propriétaire ne veut pas en installer », critique Huan Wei Xiaosi, de Taiyuan, dans le Shanxi.

Pour répondre à ce problème, Tesladéploie massivement ses bornes derecharge. Plus de deux cents bornesont été installées en Chine. Et bientôtun millier de points devraient rapide-ment être accessibles pour satisfaire les clients récalcitrants. C’est ce qu’es-compte Elon Musk, qui espère tou-jours produire ses Tesla en Chine d’icià 2018. Une fois que son usine califor-nienne aura atteint ses limites deproduction. p

philippe jacqué et

harold thibault

(à shanghaï)

L’américain Tesla dans la galère chinoise

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0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 économie & entreprise | 3

On les appelle les « li-cornes ». Du nom deces animaux imagi-naires, supposés,

dans le monde des contes, être tellement rares qu’on ne les croise jamais. Pourtant, ces der-niers temps, les start-up valori-sées à plus d’un milliard de dol-lars semblent se multiplier. On encompte même aujourd’hui un peu plus de quatre-vingts. Une espèce décidément plus si rare que ça. Dont l’expansion est prin-cipalement alimentée par les cen-taines de millions de dollars in-jectés toutes les semaines par les capital-risqueurs américains lorsde tours de table toujours plusspectaculaires.

Selon la National Venture Capi-tal Association, la fédération descapital-risqueurs américains qui apublié une étude sur le sujet jeudi16 avril, ce sont 13,4 milliards dedollars (12,4 milliards d’euros) qui ont été investis dans les start-up par des fonds en trois mois seule-ment aux Etats-Unis : 1 020 opéra-tions ont été réalisées durant cequi a été le meilleur trimestre de-puis quinze ans. Soit depuis la fa-meuse bulle Internet qui, en ex-plosant, avait provoqué l’effon-drement des marchés et la faillite de milliers d’entreprises.

Et ces opérations correspondentà des valorisations de ces jeunespousses qui donnent le tournis.Ainsi, Snapchat, dans laquelle le géant chinois du e-commerce Ali-baba voudrait investir 200 mil-lions de dollars, vaut 19 milliards de dollars. Fondée en 2011 par Evan Spiegel, un étudiant de Stan-ford d’à peine 23 ans à l’époque, l’application d’échanges de pho-tos et de vidéos éphémères doit seféliciter d’avoir refusé l’offre de ra-chat de Facebook, qui était prêt à

mettre sur la table 3 milliards de dollars en novembre 2013. Quant à Airbnb ou Uber, qui ont multi-plié les levées de fonds, elles va-lent respectivement 13 et 41 mil-liards de dollars. Plus récemment,c’est Shazam, l’application qui sert à reconnaître n’importe quelle musique puis à l’acheter, qui a rejoint le club.

Une entrée en Bourse retardée

C’est un fait, beaucoup de start-upretardent le plus possible leur en-trée en Bourse, et les contraintes qui vont avec, notamment en ma-tière de transparence financière.Le site suédois de streaming musi-cal Spotify, qui devait se coter sur la place de New York en septem-bre 2014, a finalement renoncé.

Une euphorie qui rappelle à cer-tains la bulle de 2000. « Quand oncommence à valoriser à tort et à travers tout ce qui passe un mil-liard de dollars, c’est le signe que nous sommes en train de perdre le sens commun », commentait, dans une interview accordée enfévrier à la chaîne de télévision américaine CNBC, Joe Horowitz,associé et gérant du fonds Icon Ventures, spécialisé dans les nou-

velles technologies. Car, comme le rappelle M. Horowitz, aucune de ces entreprises n’est rentable. Certaines, comme Snapchat, n’ont même pas vraiment de mo-dèle économique et n’ont quasi-ment pas de rentrée d’argent !

« Les jeunes entrepreneurs ontpeur que les marchés ne les com-prennent pas et le leur fassent payer, ils se disent que l’énergie dé-pensée pour expliquer leur busi-ness model est peut-être trop im-portante et qu’ils peuvent aussi bien lever des fonds sans la pres-sion de devoir présenter des comp-tes tous les trimestres », décrypte Greg Revenu, de la banque Bryan Garnier & Co. Les jeunes prodiges de la Silicon Valley tiennent aussi à garder un œil sur qui prend quelticket dans leur entreprise. Bien plus facile à réaliser avec une le-vée de fonds.

Qui plus est, en ces temps de po-litique monétaire ultra-accom-modante, l’argent coule à flots dans la Silicon Valley. « Les tauxbas font qu’il y a énormément d’ar-gent dans les caisses des fonds decapital investissement, explique

Gregori Volokhine, gérant de lasociété de gestion Meeschaert Ca-pital Markets, et quel meilleur en-droit pour investir aujourd’hui queles nouvelles technologies ? »

Flairer les bonnes opportunités

Comme l’explique le spécialiste, aucun autre secteur de l’économiene permet des rendements aussi importants que les entreprises de la Silicon Valley. Ce qui pousse des nouveaux acteurs (qui ne sont pasdes capital risqueurs), plutôt habi-tués à des investissements tradi-tionnels, à prendre des tickets dans des jeunes pousses. C’est le cas de Calpers, l’un des plus gros fonds de pension américain,chargé de gérer les retraites des fonctionnaires californiens. Con-nue pour son approche conserva-trice, l’institution a récemment investi dans les nouvelles techno-logies. De grandes entreprises américaines (comme Google) ouchinoises (Alibaba) s’essaient aussi à l’exercice.

« Le succès phénoménal et lesrendements qu’ont apportés des entreprises comme Facebook ont

attiré plein de nouveaux sur le sec-teur », commente M. Volokhine.Des réussites comme celle du ré-seau social de Mark Zuckerberg ont, par ailleurs, gonflé les caisses de ceux qui, les premiers, avaient flairé les bonnes opportunités. Des fonds comme Kleiner Perkins ou Andreessen Horowitz ont aujourd’hui de l’argent à investir grâce aux introductions en Bourseréussies de leurs poulains.

Pour les experts, de tels exem-ples prouvent qu’il n’y a pas de bulle. « Ces fonds investissent dans des entreprises qui révolutionnent

les usages et prennent des places dominantes [comme Airbnb ou Uber] qu’il sera difficile de remettre en cause par un concurrent. Si les modèles économiques ne sont pas encore trouvés, on considère qu’ils ne vont pas tarder à l’être. Nous sommes loin de la situation de 2000, où on a valorisé des conceptssans réel public pour s’en servir », explique M. Revenu.

« Aujourd’hui, j’ai moins peurd’acheter du Uber que des bondsallemands », plaisante, un brinprovocateur, M. Volokhine. Lespécialiste estime que ce qui est investi dans ces start-up « n’est pas de l’argent bête », avant de tempérer : « certaines entreprisessont quand même un peu cher payées », consent-il. Pour lui, le test ultime sera l’introduction enBourse de ces licornes. « Il fautbien que les investisseurs sortent etrécupèrent leur argent, rappelle-t-il, c’est à ce moment-là qu’on saura s’il y a bulle ou pas. » C’est là que les fausses licornes pour-raient être démasquées, laissantla place à de simples chevaux. p

sarah belouezzane

Volkswagen : camouflet inédit pour Ferdinand PiëchLe conseil de surveillance du groupe allemand maintient Martin Winterkorn à la présidence du directoire, contre la volonté du patriarche

berlin - correspondance

E st-ce un tournant dans ladomination de FerdinandPiëch sur le groupe Volk-

swagen ? Au terme d’une semainede crise au sein de la direction du groupe, que le puissant président du conseil de surveillance a lui-même déclenchée, force est de constater qu’il a subi un des reversles plus cuisants de sa carrière.

Alors qu’il avait exprimé parvoie de presse sa volonté de met-tre sur la touche Martin Winte-rkorn, M. Piëch a annoncé, ven-dredi 17 avril, le maintien en postedu président du directoire et même la prolongation possible de son contrat. Ce nouveau coup de théâtre dans la guerre des chefschez VW a surpris la plupart des observateurs.

La formation restreinte du con-seil de surveillance s’était réunie jeudi 16 avril, à Salzburg, en ses-

sion extraordinaire, pour dé-nouer le conflit à la tête du groupelancé six jours auparavant par M. Piëch, à l’occasion d’une inter-view au magazine Der Spiegel. Le président du conseil de sur-veillance y déclarait, à la surprise générale, « avoir pris ses distances avec Martin Winterkorn ». Enclair : il retirait sa confiance à son plus fidèle collaborateur, direc-teur opérationnel du groupe de-puis 2007, qui était considéré comme son successeur naturel auposte de président du conseil desurveillance.

Guerre des chefs

Au terme d’une semaine de spécu-lations, durant laquelle la plupart des experts tablaient sur l’éviction du président du directoire, le groupe Volkswagen a fait paraître, vendredi 17 avril à midi, un com-muniqué de quelques lignes : « Le présidium du conseil de sur-

veillance de Volkswagen AG cons-tate que (…) Martin Winterkorn est le meilleur président du directoire possible pour Volkswagen. Le prési-dium attache beaucoup d’impor-tance à ce qu’[il] poursuive sa tâchede président du directoire avec autant d’ardeur et de succès qu’il l’afait jusqu’ici, il jouit à cet égard du soutien sans réserve de ce comité. »

Habitué de ces exécutions publi-ques de manageurs haut placés, M. Piëch s’était jusqu’ici toujours imposé. Il avait, ainsi, écarté en 2006 le précédent patron opé-rationnel du groupe, Bernd Pis-chetsrieder, au moyen d’une phrase assassine. Alors que le groupe doit décider dans les pro-chains mois du renouvellement des postes de président du direc-toire et de président du conseil de surveillance, sa décision de porter un conflit interne sur la place pu-blique était des plus risquées. Tout semble laisser croire qu’il s’atten-

dait à avoir une fois de plus le der-nier mot. « J’aspire à ce que les bon-nes personnes occupent [ces deux sièges] », avait-il déclaré au Spiegel.

Que s’est-il passé à Salzbourg ?Au vu des récits publiés vendredi soir par la presse allemande, M. Piëch s’est heurté à une opposi-tion unanime des cinq autres membres du présidium. Le prési-

dent du comité d’entreprise, Bernd Osterloh, son vice-prési-dent, Stephan Wolf, le président du Land de Basse-Saxe (action-naire à 20 % de VW), Stephan Weil, le vice-président du conseil de sur-veillance membre du syndicat IG Metall, Berthold Huber, ont indi-qué à M. Piëch avoir peu apprécié sa manœuvre. Et Wolfgang Pors-che, représentant la famille, n’a pas davantage soutenu son cou-sin. Plusieurs d’entre eux avaient d’ailleurs affiché leur soutien à la suite de l’article du Spiegel.

Après l’humiliation publique in-fligée par celui qui l’appelait « sonfils adoptif » il y a encore quelque temps, Martin Winterkorn avaitdéclaré juger la manœuvre « ex-trêmement injuste », tout en an-nonçant son intention de se bat-tre : « Je ne suis pas homme à me laisser chasser de la cour. » Il a montré lors de ce bras de fer l’étendue de ses soutiens chez VW

et infligé à son « professeur » une défaite inédite.

Cet épisode, s’il ramène provi-soirement la clarté à la tête de VW, ne met pas fin à la guerre des chefs,bien au contraire. La question de lasuccession aux deux postes-clés du groupe reste non résolue, alors que le temps presse, les contrats arrivant normalement à échéance dans moins de deux ans.

Le duo Winterkorn-Piëch, consi-déré comme l’un des plus perfor-mants de l’histoire automobile al-lemande, a explosé. Tous deux ressortent affaiblis de ce conflitqui a fait éclater au grand jour les désaccords à la tête de Volkswa-gen. Il confirme enfin le pouvoirdu comité d’entreprise dans laprise de décision : Bernd Oster-loh, puissant représentant des sa-lariés, s’est une nouvelle fois im-posé comme un des « faiseurs derois » chez Volkswagen. p

cécile boutelet

Aucune de

ces entreprises

n’est rentable.

Certaines n’ont

pas vraiment

de modèle économique et

n’ont quasiment

pas de rentrées

d’argent

Les start-up de la Silicon Valley flambentAu premier trimestre, 13,4 milliards de dollars ont été investis dans les jeunes pousses américaines. Un record

Evan Spiegel (à gauche) et Bobby Murphy, les créateurs de l’application Snapchat. J. EMILIO FLORES/NYT-REDUX-REA

Le duo

Winterkorn-

Piëch, considéré

comme l’un des

plus performants

de l’histoire

automobile

allemande,

a explosé

UBER

SNAPCHAT

AIRB’N’B

SPACE-X

SOURCE : LE MONDE

Les « licornes », ces entreprises qui valentplus de 10 milliards de dollars

VALORISATION DES START-UP, EN MILLIARDS DE DOLLARS

19

13

12

41,2

« Le succès phénoménal

des entreprises

comme Facebook

ont attiré plein

de nouveaux

sur le secteur »

GREGORI VOLOKHINE

Meeschaert Capital Markets

Page 28: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

4 | économie & entreprise DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

Alors que le projet de loiMacron est en coursd’examen au Sénat, leprésident de Darty

France et directeur général deDarty PLC, Régis Schultz, affiche un très fort agacement sur laquestion du travail du dimanche, qui est l’une des composantes de ce texte – non encore abordée à cejour par les sénateurs. Il va même jusqu’à considérer que « tout est fait aujourd’hui en France pourque se développe [la vente sur] In-ternet et pas [dans] les magasins »,tempête-t-il.

« L’Etat préfère se tirer une balledans le pied en laissant Internet prendre [les ventes du] dimanche. Or Internet, c’est trois fois moins d’emplois et trois fois moins detaxes, et par conséquent de reve-nus pour l’Etat », poursuit M. Schultz, qui se dit « choqué » par la position exprimée sur cesujet du travail dominical par Martine Aubry, qui, à ses yeux, « revient à dire que le travail, c’est mal ». En décembre 2014, la mairede Lille avait, dans une tribunedans Le Monde, attaqué l’exten-sion du nombre d’ouvertures le dimanche inscrite dans le projetde loi Macron, affichant sa vo-lonté de combattre « cette régres-sion pour notre société ».

« Le plus gros jour sur Internet »Dans le cas particulier de Darty,poursuit M. Schultz, le dimanche est « le plus gros jour sur Internet »,avec « deux fois plus de chiffre d’af-faires qu’un jour de semaine ».L’ouverture dominicale de l’ensei-gne permettrait de « transférer duchiffre d’affaires d’Internet sur les magasins », assure-t-il.

M. Schultz assure que si ses ma-gasins pouvaient ouvrir le diman-che – « comme le meuble » –, il em-

baucherait « sur l’ensemble du groupe 70 personnes en CDI ». Il rappelle que rue de Rivoli, à Paris, « lorsque nous avions ouvert le di-manche, on faisait 15 % de chiffre d’affaires en plus qu’un jour de se-maine, et comme nous avions déjàun accord d’entreprise, nous avi-ons plus de volontaires qu’il n’en faut et ils étaient payés double le dimanche ».

Avec le dispositif en vigueur ac-tuellement, le patron du numéro un de l’électroménager en France dit être confronté à la concur-rence absurde et « déloyale » desenseignes de bricolage et d’ameu-blement, qui ont obtenu récem-ment des dérogations pour ouvrirle dimanche.

L’exemple qu’il aime citer est lesuivant : son magasin situé dans lequartier de la rue de Rivoli, dans le 1er arrondissement de Paris, « qui aun grand rayon cuisine, réalise 60 % de son chiffre d’affaires dans lemeuble, n’a pas le droit d’ouvrir, alors qu’à quelques mètres, Confo-rama, qui, lui, a l’autorisation d’ouvrir, fait 60 % de son chiffre d’affaires en électroménager ».

Cette concurrence, « le fort déve-loppement du chiffre d’affaires sur Internet », le fait que les prix desproduits vendus en magasins s’alignent sur ceux d’Internet et laprogression continue des loyers des commerces, « tout cela met lesmagasins sous tension », poursuitle patron de Darty. A ce stade, l’idée du groupe n’est pas de ré-duire le nombre de points de vente, mais de les déplacer. « Nousavons fermé le magasin de Saint-Germain-en-Laye [Yvelines], qui n’était pas ouvert le dimanche, pouren ouvrir un à Coignières [Yveli-nes], pas très loin, dans une zone qui ouvre le dimanche », cite, enexemple, M. Schultz.

Le projet de loi Macron proposeque les maires aient la possibilité d’accorder non plus cinq maisdouze dimanches dans l’annéepour l’ouverture des commerceset que ces derniers puissent ouvrir tous les dimanches dansles zones touristiques et les gran-des gares. Il vise à inscrire dans la loi l’obligation de compensation salariale et réaffirme que le travail

dominical doit se faire sur unebase de volontariat.

« Une même loi pour tous »

Reste que ce projet suscite desréactions partagées, voire oppo-sées, chez les acteurs de la distri-bution et du commerce. « Nous avons tous des intérêts différents,ce qui n’aide pas à y voir clair »,concède M. Schultz, citant ceux,

comme lui, qui veulent ouvrir ledimanche, les grandes surfacesde bricolage et de meubles « ayant intérêt à ce que rien nebouge, pour éviter la concur-rence », les magasins d’alimenta-tion « autorisés à ouvrir le matin, mais qui ne voudraient pas que lesautres ouvrent, car cela va amenerde la fréquentation qui les obligeraà embaucher ».

La solution ? « Que la loi soit lamême pour tous. On ferme tousou on ouvre tous. Ou on définitune plage horaire d’ouverture ledimanche », répond le présidentde Darty France, qui met en avantce qui se pratique au Royaume-Uni : « Le dimanche, les commer-ces n’ont pas le droit d’ouvrir plus desix heures. » p

cécile prudhomme

Travail dominical : le plaidoyer du patron de DartyRégis Schultz déplore que « tout soit fait pour développer la vente sur Internet et pas dans les magasins »

Le président de Darty France, Régis Schultz. NICOLAS KOVARIK/RESERVOIR PHOTO

La filière du colza s’alarmedu projet de bioraffinerie de TotalLes producteurs d’oléagineux estiment que la future capacité du site de La Mède amputerait de 27 % la production nationale de colza

A vril (ex-Sofiprotéol) nevoit pas d’un bon œil leprojet de Total de recon-

version de la raffinerie de LaMède (Bouches-du-Rhône).L’ambition du groupe pétrolier,présentée jeudi 16 avril, est de faire de ce site le plus important centre de production de biocar-burants en France. Le poids lourddes oléagineux fait donc monterau créneau les producteurs fran-çais de colza pour dénoncer cettefuture concurrence.

Dans un communiqué, publiévendredi 17 avril, la fédérationfrançaise des producteurs d’oléa-gineux et de protéagineux (FOP) dit s’inquiéter des conséquencesdu projet de Total pour l’agricul-ture française. Elle estime que, même si elle absorbera égale-ment des huiles usagées, la futurebioraffinerie devrait être, en grande partie, alimentée par de l’huile de palme. Une matière pre-mière nécessairement importée.

Au vu de la future capacité dusite de La Mède, chiffrée par Totalà 500 000 tonnes de biocarbu-rants par an, la FOP affirme que laproduction nationale de colzapourrait être amputée de 27 %,soit 400 000 hectares. Et que les fabricants d’aliments pour ani-maux devraient accroître encoreleur importation de soja en pro-venance des Etats-Unis, si les vo-lumes de tourteaux de colza bais-sent d’autant.

Le groupe Avril est d’autantplus soucieux que la concurrence

ne cesse de croître sur ce marchédes biocarburants. Sa filiale Dies-ter Industrie avait annoncé,en 2013, la fermeture de deux ate-liers d’estérification, chargés detransformer les huiles de tourne-sol et de colza en biodiesel. L’ob-jectif était alors de baisser la pro-duction en France de380 000 tonnes et de la ramenerà 1,6 million de tonnes. Ce qui futfait en 2014. Avril a fermé le sitede Capelle-la-Grande (Nord) et areconverti un autre site, à Ve-nette, dans l’Oise.

Evolution de l’équation

En fait, la production de biocar-burants à base de graisse animale,d’huiles usagées ou d’huiles très bon marché, comme l’huile depalme, fait pression sur la filière colza ou tournesol. Une évolu-tion de l’équation économiquequi n’a pas échappé au groupeAvril.

Il n’a d’ailleurs pas hésité à re-convertir le site de Venette dans

la production de biodiesel à based’huiles usagées et de graisse ani-male. Avec un objectif de produc-tion de 80 000 tonnes par an.

Or, de plus en plus d’acteurs selancent, alléchés par les perspec-tives fixées par Bruxelles ou la France. Total rappelle par exem-ple qu’une directive bruxelloisefixe l’objectif de 10 % d’énergie re-nouvelable dans les transports en 2020. En France, le projet de loirelatif à la transition énergétiquepour la croissance verte envisa-gerait de faire passer la part desbiocarburants de 7,7 % à 15 % en-tre 2014 et 2030.

Parmi les nouveaux acteurs, onpeut aussi citer le groupe de grande distribution Les Mous-quetaires. Il a construit, en 2013,une usine au Havre de produc-tion de biocarburants à partir desous-produits de la filière ani-male. Cette unité d’une capacitéde 75 000 tonnes par an a étémontée en partenariat avec la so-ciété Saria, filiale du groupe alle-mand Rethmann, spécialiséedans l’équarrissage.

Les promoteurs de la filièregraisse animale mettent en avantle fait qu’elle n’entre pas en com-pétition avec les cultures alimen-taires, contrairement aux huilesvégétales. Mais la matière pre-mière, les déchets animaux, restelimitée. Contrairement à l’huilede palme, dont la production necesse de se développer en Indo-nésie et en Malaisie. p

laurence girard

De plus en

plus d’acteurs

se lancent dans

la production,

alléchés par

les perspectives

fixées

par Bruxelles

Ce projet pourrait créer 3 800 nouveaux emplois. L’entreprise emploie 11 300 salariés dans le pays.

CONJONCTURELe trésor américain critique les excédents allemandsVendredi 17 avril, à Washing-ton, le secrétaire américain au Trésor, Jack Lew, a une nouvelle fois déploré que « de nombreux pays comptaient sur leurs exportations plutôt que sur leur demande inté-rieure pour atteindre la crois-sance », misant ainsi bien trop sur la demande améri-caine pour tirer leur activité. Il a particulièrement cité l’Al-lemagne, mais aussi la Corée du Sud, la Chine et le Japon.

MÉDIASLes actionnaires du « Monde » proposent Jérôme Fenoglio à la direction du journalVendredi 17 avril, les action-naires du Monde, Pierre Bergé, Xavier Niel et Mat-thieu Pigasse, ont proposé aux salariés de confier la di-rection du journal à Jérôme Fenoglio, actuel directeur des rédactions. Malgré leur « grande qualité », a-t-ilexpliqué dans un courrielenvoyé à la rédaction, le trio a écarté les candidatures de Gilles van Kote, directeur du journal par intérim, de Chris-tophe Ayad, chef du service international, et de Jean Birn-baum, responsable du « Monde des livres ». La can-didature de M. Fenoglio sera soumise au vote de la Société des rédacteurs du Monde d’ici à mi-mai. Il devra recueillir 60 % de suffrages favorables pour être désigné par le con-seil de surveillance.

1,1 MILLIONC’est le montant, en dollars (soit environ 1 million d’euros), que le groupe italien Benetton va verser au fonds destiné à dédommager les victimes de l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, a-t-on ap-pris vendredi 17 avril dans un communiqué. Le 23 avril 2013, 1 138 personnes ont péri dans l’écroulement de cet immeuble qui abri-tait des ateliers de confection travaillant pour de nombreux groupes étrangers. Le mouvement citoyen Avaaz, qui estime avoir poussé Benetton à prendre cette décision grâce à sa campagne, a jugé ce mon-tant « insuffisant ». Il a rappelé que Carrefour, JCPenney, Walmart et The Children’s Place, impliqués dans cette tragédie, n’ont toujours rien versé aux victimes.

AGROALIMENTAIRECoca-Cola achète une société chinoise de boissons au lait végétalCoca-Cola a annoncé ven-dredi 17 avril avoir fait une of-fre pour acheter la société chinoise Xiamen Culian-gwang Beverage. Le montant de la transaction est estimé à 400 millions de dollars (370 millions d’euros). La so-ciété américaine souhaite ac-croître sa présence en Asie. Elle avait tenté en 2009 d’ac-quérir le leader des fabricants de jus de fruits en Chine, China Huiyuan Juice, pour 2,3 milliards de dollars, avant d’être retoquée par les autori-tés de régulation chinoises.

TRANSPORTSLa justice néerlandaise attaque UberDes procureurs des Pays-Bas ont annoncé vendredi 17 avril l’ouverture d’une enquête cri-minelle contre Uber, la com-pagnie américaine de voitu-res avec chauffeurs réservables via une applica-tion sur smartphone. Cette décision fait suite à la con-damnation à 1 500 euros d’amende de trois chauffeurs du service low cost UberPop

pour conduite sans permis. La France, la Suisse, l’Allema-gne et l’Espagne ont égale-ment lancé des procédures en justice contre Uber après les protestations des compa-gnies de taxi traditionnelles.

HÔTELLERIEAccor rachète FastbookingLe géant hôtelier Accor a an-noncé vendredi 17 avril le ra-chat du français Fastbooking, spécialiste des solutions de réservation en ligne pour hô-teliers. Le montant de la tran-saction n’a pas été révélé.Le groupe a annoncé à l’automne un plan d’investis-sement de 225 millions d’euros sur cinq ans pour se renforcer sur Internet.

AUTOMOBILEFord va investir 2,5 milliards de dollars au MexiqueLa compagnie automobile américaine Ford a rendu pu-blic vendredi 17 avril un plan d’investissement de 2,5 mil-liards de dollars au Mexique pour la fabrication de mo-teurs, de boîtes de vitesses nouvelle génération et de voitures destinées à l’export.

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0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 économie & entreprise | 5

Le désordre monétaire préoccupele G20 FinancesSi les perspectives économiquessont meilleures, le cas grec inquièteles Anglo-Saxons et les émergents

Une préoccupationchasse l’autre. Il y a sixmois, les ministresdes finances et les

banquiers centraux des pays duGroupe des vingt (G20), qui repré-sentent plus de 85 % de l’écono-mie mondiale, avaient beaucoupdiscuté, à Washington, de la mau-vaise santé de la zone euro et des risques de déflation. Réunis, jeudi 16 et vendredi 17 avril, dans la capitale fédérale américaine, ils ont, cette fois-ci, salué les meilleu-res perspectives des économies avancées, « surtout dans la zone euro et au Japon », mais déploré lamontée de la volatilité sur lesmarchés financiers.

« Les risques pour l’économiemondiale sont plus équilibrés que

lors de notre précédente réunion »,ont estimé dans leur communi-qué les membres du G20 financesqui, comme leur nom ne l’indiquepas, ne sont pas 20 mais 19 plus un représentant de l’Union euro-péenne. L’amélioration des situa-tions du Japon et la zone euro pourrait « étayer une reprise sou-tenue », se sont-ils félicités.

Mais leur soulagement mani-feste à voir s’éloigner le risque de déflation n’a pas empêché unepartie d’entre eux de s’inquiéter du sort de la Grèce, qui doit rem-bourser 747 millions d’euros auFonds monétaire international (FMI) le 12 mai et à qui la directricegénérale de l’institution, Chris-tine Lagarde, a refusé tout traite-ment de faveur.

Le ministre des finances alle-mand, Wolfgang Schäuble, a jugé peu probable un accord avec Athè-nes lors de la prochaine réunion de l’Eurogroupe le 24 avril. Le chancelier de l’Echiquier, le bri-tannique George Osborne, a tiré lasonnette d’alarme : « L’humeur est sensiblement plus sombre quelors du dernier sommet internatio-nal (…). Il me semble évident qu’uneinitiative ou un calcul malheureux de quelque partie que ce soit pour-rait aisément replonger les écono-mies européennes dans le genre de situation périlleuse que nous ob-servions voici trois ou quatre ans. »

« Ne pas parvenir à un accordcréerait d’immédiates difficultéspour la Grèce et des incertitudespour l’Europe et l’économie mon-diale dans son ensemble », a su-renchéri le secrétaire américain

au Trésor, Jack Lew. D’autres pays, moins anxieux, font valoir que le gouvernement Tsipras a encore un peu de temps devant lui pour trouver comment rembourser sescréanciers.

« Déséquilibres »

Soutenus par le FMI, les émer-gents ont insisté pour que le G20finances fasse état « des risquesimportants » encourus par l’éco-nomie mondiale du fait de la vo-latilité des taux de change. Déplo-rant « des déséquilibres » entre puissances économiques et « lehaut niveau de la dette publique »,ils ont promis de « surveiller lavolatilité sur les marchés finan-ciers et d’agir si nécessaire ».

« Dans un environnement de po-litiques monétaires divergentes et de volatilité accrue du marché fi-

nancier, il faut élaborer les politi-ques avec soin et les communiquerde façon claire pour minimiser les répercussions négatives », précisele communiqué, qui semble sa-luer implicitement le travail ac-compli par la présidente de la Ré-serve fédérale (Fed), Janet Yellen.

Côté français, le ministre des fi-nances, Michel Sapin, a essayé, sans grand succès, de faire parta-ger ses vues sur la lutte contre leréchauffement climatique et sur son financement. L’Inde et la Chine estiment que ce sujet n’a pas à être traité par le G20 finan-ces, par le FMI ou par l’OCDE, etqu’il relève plutôt de l’ONU.

La France ne partage pas cepoint de vue et voudrait engran-ger des résultats significatifs, enmatière de lutte contre le ré-chauffement climatique, à la

COP21, la Conférence internatio-nale de l’ONU qui se tiendra endécembre à Paris.

L’agenda fiscal (lutte contre lafraude et l’évasion fiscales, luttecontre l’érosion de la base d’im-position et les transferts de béné-fices ou projet BEPS en anglais)est respecté. Les prochains ren-dez-vous du G20 finances, en septembre et octobre, pourraientêtre plus conflictuels : « On atta-quera le vif du sujet, la questiondes multinationales et des taxesindirectes, observe un expert, et les Anglo-Saxons, Royaume-Uni en tête, ont redit que l’initiativeportée par l’OCDE ne devait pasmenacer la concurrence fiscalequ’ils jugent “importante”. » Voilàqui laisse présager quelques bel-les joutes oratoires. p

claire guélaud

La Finlande s’inquiète des conséquences sur l’emploi du rachat d’Alcatel-Lucent par NokiaLa croissance du pays, où des élections législatives sont prévues dimanche 19 avril,a longtemps été liée à la situation de l’ex-champion mondial du téléphone portable

espoo (finlande) - envoyé spécial

I l n’y a pas qu’en France que lerachat d’Alcatel-Lucent par No-kia inquiète les syndicats. En

Finlande, patrie de l’ancien plus grand fabricant de téléphones au monde, le syndicat des ingénieurs a également exprimé sa préoccu-pation pour les emplois locaux. « Au départ, la fusion a ressemblé à une très bonne affaire. Mais, étantdonné qu’il va y avoir probable-ment des suppressions d’emplois et que cela coûte plus cher de licencieren France qu’en Finlande, les pers-pectives ne sont pas aussi réjouis-santes que prévu », a expliqué son leader, Pertti Porokari, jeudi 16 avril, en appelant les politiques de son pays à réagir.

D’autant que la garantie obtenuepar le gouvernement français qu’iln’y aurait aucune suppression d’emploi pendant deux ans chez Alcatel-Lucent ajoute aux inquié-tudes, alors que la Finlande est en pleine campagne électorale pour les législatives prévues dimanche 19 avril. La campagne a d’ailleurs été scandée par l’annonce de plu-sieurs plans sociaux, et le chô-mage atteint déjà des niveaux très élevés pour le pays (9,1 % selon Eurostat). Dans le quotidien sué-dophone Hufvudstadsbladet, le candidat social-démocrate et ac-tuel ministre des finances, Antti Rinne, a d’ailleurs expliqué qu’il comptait demander le même en-

gagement pour les emplois finlan-dais que le gouvernement fran-çais. Nokia fait encore travailler 6 900 personnes dans le pays, malgré plusieurs vagues de licen-ciements ces dernières années.

Mais lors d’une conférence depresse organisée au siège du groupe à Espoo, vendredi 17 avril, le patron de Nokia, Rajeev Suri, s’est bien gardé de prendre un tel engagement, estimant seulement qu’il était trop tôt pour parler d’éventuelles suppressions de pos-tes en Finlande. « Quand vous fai-tes des affaires avec la France, vous voulez être sûr que le gouverne-ment va vous soutenir », a justifié M. Suri auprès de la presse locale. La fusion des deux groupes doit permettre d’économiser 900 mil-lions d’euros d’ici à 2019.

Si la majorité des responsables

politiques et des milieux patro-naux s’est satisfaite de voir Nokia repartir à l’offensive, les souvenirs des plans sociaux massifs sont vi-vaces, alors que le groupe avait porté une grande partie de la crois-sance au début des années 2000. Espoo, deuxième ville du pays, si-tuée dans la banlieue d’Helsinki, qui héberge le siège de Nokia, a parexemple vu le nombre de chô-meurs bondir de 50 % entre 2011 et2014, tandis que ses recettes fisca-les ont brusquement chuté. De-puis, la commune tente de rebon-dir en poussant les ex-salariés de Nokia, que tout le monde appelle « Nokians », à créer des start-up.

Programme d’aide

Soutien aux réseaux d’entrepre-neurs, mises à disposition de spec-taculaires locaux de « coworking »ouverts et chaleureux, travail en commun avec les universités, la mairie d’Espoo enchaîne les initia-tives. « Les anciens Nokia ont fondé450 entreprises en Finlande, il y a iciune nouvelle start-up toutes les se-maines », assure Tuula Antola, di-rectrice du développement écono-mique de la ville et elle-même an-cienne entrepreneuse.

Lorsque Nokia a licencié ses ca-dres, elle a créé un programme d’aide à la création d’entreprise pour soutenir plusieurs dizaines de salariés. Plusieurs d’entre eux sont désormais à la tête de grosses entreprises, comme Pekka Ran-

tala, PDG de Rovio, l’éditeur du jeu à succès Angry Birds. Certains tra-vaillent sur des tableaux de bord de voiture digitaux ou des logicielspour réduire les besoins en batte-rie des écrans tactiles.

Après avoir travaillé dix-huitans chez Nokia dans le marketing,Ebba Dahli, 52 ans, a, elle, pu parti-ciper à création d’un réseau d’en-trepreneurs et est également con-sultante indépendante en marke-ting. « Bien sûr qu’il y a des No-kians qui galèrent pour trouver du travail, mais 70 % des gens que jeconnais ont trouvé une solution. Il y en a même une qui est devenue psychologue », assure-t-elle. Si les anciens salariés ont été nom-breux à créer leur entreprise, leur réussite n’est toutefois pas systé-matique. « Cela reste quand mêmesouvent plutôt de l’autoemploi qu’autre chose », relativise ainsi une économiste.

« Lors du Salon Slush [le plus grosSalon de nouvelles technologies du pays], j’ai rencontré beaucoup de Nokians qui cherchaient du tra-vail, la plupart des start-up n’em-bauchaient pas, mais ils étaient prêts à faire des contrats de conseil.Je pense que pas mal d’entre eux pourront être convertis en em-plois », espère Sami Jokela, qui a travaillé cinq ans à la direction dela stratégie de Nokia, avant de lan-cer son entreprise de conseil en matériel informatique. p

jean-baptiste chastand

Le ministredes finances

allemand, M. Schäuble

(en bas à droite),aux côtés

de Mme Yellen,présidente de la

Réserve fédérale,et du chancelier

de l’Echiquier,M. Osborne,

le 17 avril,à Washington.G. CAMERON/REUTERS

« Cela coûte plus

cher de licencier

en France

qu’en Finlande,

les perspectives

ne sont pas aussi

réjouissantes

que prévu »

PERTTI POROKARI

Syndicat des ingénieurs

L’HISTOIRE DU JOURLa panne de Bloomberg qui a plongé les marchés dans le noir

londres - correspondance,

A llez@yanisvaroufakis et@tsipras_eu ! Avec Bloombergen rade, c’est votre chance de faire défaut et de quitterl’UEM [Union économique et monétaire] sans aucune

répercussion. » A l’instar de ce tweet adressé par l’analyste ano-nyme @barnejek aux dirigeants grecs, la panne qui a affecté ven-dredi 17 avril pendant presque cinq heures les écrans boursiers de Bloomberg a été l’occasion pour les spécialistes des marchés

de faire preuve d’humour.Derrière les traits d’esprits, c’est une

partie de la planète finance qui s’estretrouvée plongée dans le noir. Si desproblèmes de connexion de quelquesminutes sont habituels, une tellepanne de plusieurs heures n’était ja-mais arrivée. Les conséquences n’ontpas été les mêmes partout. « Cela n’apas gâché ma matinée, témoigneFranklin Pichard, directeur de Bar-clays Bourse. Je me suis rabattu surReuters et GL Trade pour travailler. »

Les terminaux Bloomberg, société fondée au début des an-nées 1980 par Michael Bloomberg (qui deviendra le maire deNew York), sont utilisés par l’immense majorité des grandes en-treprises financières : ces écrans relaient les cotations des pla-ces boursières du monde entier, donnent le cours de certainsproduits, et les dernières nouvelles économiques. Ils sont utili-sés comme messagerie, plate-forme de courtage, outil d’ana-lyse… Instruments de travail essentiels dans les salles de mar-ché. « C’est absolument incontournable », témoigne un trader en obligations. Tellement essentiels que la panne a conduit legouvernement britannique à repousser à l’après-midi l’émissionde dette qu’il avait prévue vendredi matin. « Sans Bloomberg, les marchés obligataires se sont presque arrêtés dans la matinée », ditun courtier d’une banque européenne. Lui a passé quelques heu-res presque à l’arrêt, sans passer d’ordre d’achat ou de vente.

Bloomberg s’est contenté d’une explication aussi succincteque peu précise : « Nous avons connu une combinaison de pan-nes de matériel et de logiciel. (…) Nous avons isolé le matériel fau-tif et redémarré le logiciel. » L’entreprise précise qu’il ne s’agis-sait pas d’une cyberattaque. p

éric albert et anne eveno

LE GOUVERNEMENT BRITANNIQUE AREPOUSSÉ À L’APRÈS-

MIDI L’ÉMISSION

DE DETTE PRÉVUE

VENDREDI MATIN

La prise en compte du risque climat

Le ministre français des finances, Michel Sapin, a écrit le 9 avril au président du Conseil de stabilité financière (FSB en anglais), Mark Carney, pour lui dire combien il lui paraissait important que les acteurs financiers prennent mieux en compte, dans leurs dé-cisions d’investissement, le risque climat. Le gouvernement fran-çais, qui souhaite obtenir à Paris, en décembre, un accord limi-tant la hausse de la température de la planète à moins de deux degrés, cherche à obtenir le soutien de M. Carney dans cette en-treprise et à faire en sorte que le secteur financier ait une meilleure compréhension de ce que la lutte contre le réchauffe-ment climatique représente en termes de risques mais aussi d’occasions.

Page 30: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

6 | bourses & monnaies DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

0123

19 652,88 POINTS5 143,26 POINTS 17 826,30 POINTS6 994,63 POINTS11 688,70 POINTS 4 931,81 POINTS3 674,05 POINTS

TOKYOPARIS NEW YORKLONDRESFRANCFORT NASDAQEURO STOXX 50

DOW JONES

– 1,34 %

FTSE 100

– 1,28 % – 1,28 %

NIKKEI

– 3,74 % – 1,28 %– 1,85 % – 5,54 %

CAC 40 DAX 30

Les marchés en proie au douteLes Bourses mondiales ont reculé cette semaine, ébranlées par les nouvelles venues de Chine et de Grèce

I l est des jours où l’on feraitmieux de rester couché. C’estprobablement ce que se sont

dit les traders du monde entier endécouvrant, vendredi 17 avril au matin, les écrans désespérément noirs de leurs terminaux Bloom-berg affectés par une panne mo-mentanée. Privée de la « bible de l’investisseur », où courbes et indi-cateurs chiffrés s’agitent frénéti-quement au gré des oscillationsdes marchés, la planète finance a retenu son souffle et déversé son mécontentement sur les réseaux sociaux.

L’incident est rarissime, et n’aduré que quelques heures. Mais ilest venu clore une semaine agitéesur les marchés. Après plusieurs mois d’optimisme, durant les-quels l’ensemble des indices bour-siers mondiaux ont volé de recorden record, les investisseurs ont, si-non changé d’avis, du moins va-

cillé dans leurs convictions.Sur la semaine, le CAC 40 a ainsi

perdu 1,85 %, tandis que le Footsiebritannique lâchait 1,34 % et le Daxallemand, 5,54 %. Même inconfort outre-Atlantique, où le S & P 500 a reculé de 0,99 % et le Nasdaq, l’in-dice des valeurs technologiques, de 1,28 %.

Monceaux de liquidités

Certes, la plupart des Bourses mon-diales restent encore sur des plus hauts qui rappellent les fastueuses années d’avant la crise financière. Mercredi 15 avril, le CAC 40 a inscritun nouveau record, à 5 254,35 points en clôture, un niveau qu’il n’avait plus atteint depuis jan-vier 2008.

Les investisseurs ont été rassuréspar la réunion de la Banque cen-trale européenne (BCE), dont le pré-sident, Mario Draghi, a tiré un bilanpositif de son méga-plan d’achat de

dettes publiques, destiné à doper l’économie en zone euro.

C’est son action qui tire, depuisdes mois, les Bourses à la hausse, en raison des monceaux de liquidi-tés qu’elle draine vers les marchésactions – la BCE s’est engagée à ac-quérir quelque 1 140 milliards d’euros d’actifs d’ici à septem-bre 2016.

Mais quelque chose cloche.Comme tout mouvement excessif, l’envolée continue des marchéscommence à inquiéter les investis-seurs. En dépit de son repli de cette semaine, le CAC 40 gagne encore plus de 20 % depuis le début de l’année ! Cette frénésie n’est-elle pas déconnectée de la réalité éco-nomique des entreprises ?

« Oui, le QE [quantitative easing,politique monétaire accommo-dante] de la BCE génère un risque debulle et d’instabilité financière. No-tamment parce que les marchés ne savent plus différencier le risque », estime Xavier Ragot, le président de l’Observatoire français des con-jonctures économiques (OFCE).

Comprendre : abreuvés d’argentfrais, les investisseurs n’hésitent plus à l’utiliser pour investir dansdes actifs risqués, oubliant les dé-convenues qui peuvent en décou-ler.

Pour l’OFCE, institut de rechercheclassé à gauche, tendance keyné-sienne, le QE présente toutefois plus d’atouts que d’inconvénients,car il fait baisser le loyer de l’argent

et le cours de l’euro, dopant le pou-voir d’achat sur le Vieux Continent.

Tous ne sont pas de cet avis. Eton-namment, c’est de Wall Street que sont venues les dernières mises en garde contre les effets euphori-sants de la politique de la BCE. Ainsi, le sondage mensuel de la banque américaine Bank of Ameri-ca-Merrill Lynch a montré qu’en mars un quart des investisseurs in-terrogés jugeait les marchés ac-tions surévalués. Une proportion deux fois supérieure à celle du mois précédent !

Certains n’hésitent plus à le cla-mer ouvertement. Mardi 14 avril, dans une lettre adressée aux pa-trons de 500 grandes entreprises américaines, Laurence Fink, le di-recteur général du fonds Blac-kRock, le premier gestionnaire

d’actifs au monde, reprochait auxgrandes entreprises d’être trop gé-néreuses avec leurs actionnaires. Il dénonçait les programmes de ra-chat d’actions et la montée conti-nue des dividendes, qui contri-buent à l’envolée des indices bour-siers.

Le Fonds monétaire internatio-nal est aussi monté au créneau,cette semaine. L’organisation de Washington a prévenu que les ris-ques de volatilité sur les marchés étaient de plus en plus réels. Ses mises en garde visent davantage les obligations souveraines, mais leFonds évoque aussi les risques decontagion de marché à marché, ac-crus par le plan de la BCE.

Surtout, les nuages, que les inves-tisseurs croyaient disparus, sem-blent de nouveau s’amasser au-dessus des marchés. Après un moisde négociations infructueuses en-tre Bruxelles et Athènes, l’hypo-thèse d’une sortie de la Grèce de la zone euro revient en force.

Quant aux perspectives de crois-sance chinoise, qui conditionnenten bonne partie la santé de l’écono-mie mondiale, voilà qu’elles don-nent de nouveau des signes de fai-blesse. Au premier trimestre 2015, le PIB n’a crû « que » de 7 %, sa plus mauvaise performance depuis 2009 et les débuts de la récessionmondiale. Il n’en fallait pas davan-tage pour faire vaciller les mar-chés. p

audrey tonnelier

« La politique

de la BCE génèreun risque de bulle

et d’instabilité

financière. Parceque les marchés

ne savent plus

différencier

le risque »

XAVIER RAGOT

président de l’OFCE

Vivendi valide le droits de vote double

L’assemblée générale de Vivendi a accepté, vendredi 17 avril, l’application des droits de vote double. Seuls 50,15 % des ac-tionnaires ont voté pour la résolution, qui visait à bloquer la mise en place de ces droits, alors qu’elle nécessitait une majo-rité des deux tiers pour être adoptée. La résolution demandait la non-application de la loi Florange, qui permet aux action-naires de disposer d’un droit de vote double par action à par-tir de deux ans de détention. Le directoire de Vivendi avait ap-pelé à voter contre cette résolution, qui visait principalement le premier actionnaire du groupe et président du conseil de surveillance, Vincent Bolloré.

MATIÈRES PREMIÈRES

Le caféier voyageur et la bactérie tueuse

H aro sur le caféier. Unplant porteur d’une bac-térie tueuse a été inter-

cepté à Rungis. C’est le ministère de l’agriculture qui a dévoilé le potaux roses dans un communiquépublié mercredi 15 avril. Avant depréciser que « tout risque de con-tagion était écarté ». Le ministre Stéphane Le Foll avait annoncé deux semaines plus tôt une mobi-lisation générale des services de contrôle. L’enjeu : empêcher l’ar-rivée sur le sol français de Xylellafastidiosa.

L’évocation de ce nom, quiaurait été donné par les cher-cheurs pour souligner le labo-rieux travail de son identification,fait frémir producteurs d’olives comme amoureux d’arbres cen-tenaires. Depuis son apparition dans le sud de l’Italie, en 2013, des millions d’oliviers sont menacés

de mort. La Corse, proche de la ré-gion des Pouilles, retient sonsouffle. D’autant qu’aucun anti-dote n’existe, si ce n’est l’arra-chage.

Mais, si un insecte piqueur est levéritable vecteur de la contamina-tion par cette bactérie, c’est le tran-sit mondial des plantes qui joue le rôle de moteur de propagation. Xy-lella fastidiosa est d’ailleurs appa-rue d’abord en Californie, et ce dès le XIXe siècle, pour le plus grand désespoir des viticulteurs.

Désarroi dans les plantations

La bactérie s’est, depuis une tren-taine d’années, attaquée à d’autresplantes, comme les pêchers ou les lauriers-roses, et s’est déplacée en Amérique centrale et du Sud, se-mant le désarroi dans les planta-tions de café au Costa Rica ou dansles champs d’agrumes au Brésil. Le

plant de caféier contaminé, inter-cepté chez un revendeur à Rungis, provenait d’Amérique centrale et avait transité par les Pays-Bas, pla-que tournante des échanges agri-coles en Europe.

Pour l’heure, Xylella fastidiosa nemenace pas la production de café du premier exportateur mondial, le Brésil. Loin s’en faut. Ce sont plu-tôt les bulletins météo, qui sont dé-cryptés comme marc au fond de latasse, pour orienter la boussole des spéculateurs. Les pluies, qui ont arrosé les plantations en fé-vrier et en mars, les ont rendus en-clins à faire pression sur les cours.

Alors que le café se distinguaiten 2014 comme étant une des ra-res matières premières à contre-courant, son prix surfant vers les sommets en Bourse, quand les autres plongeaient, cette année, la tendance est au reflux. En cause, un rebond de la récolte attendue, après une année 2014 marquée parla sécheresse. Certains analystes estiment que la production brési-lienne d’arabica, la variété la plus prisée, pourrait progresser de 12 % cette année, à 34 millions de sacs de 60 kg.

Le repli du cours du café doitaussi beaucoup au flux de vente des producteurs brésiliens, con-frontés à la faiblesse du real et dési-reux d’écouler leur stock contre des dollars. Vendredi 17 avril, la li-vre d’arabica se négociait à 138,70 cents à New York. A comparer aux plus de 210 cents atteints en mars 2014, lorsque le cours du pe-tit noir était chaud bouillant. p

laurence girard

C ette journée-là s’annonçait sans sur-prise. A l’issue de la réunion de laBanque centrale européenne (BCE),

mercredi 15 avril, à peine attendait-on quel-ques commentaires sur les rachats de det-tes publiques. Mais un imprévu a frappé les esprits. Lors de la conférence de presse, une militante a sauté sur la table derrière la-quelle se tenait Mario Draghi, le président de l’institution. Tout en hurlant « Stop à la dictature de la BCE ! », elle a jeté tracts et confettis au visage de l’Italien, avant d’être dégagée par les gros bras de la sécurité.

Le 18 mars, l’institut monétaire avait déjàété pris pour cible par des manifestants al-termondialistes. Et ce n’est probablement pas la dernière fois. Pour la gauche radicale et de nombreux Européens, la BCE, institu-tion non élue, incarne les politiques d’aus-térité infligées à la Grèce et les maux dont souffre aujourd’hui la zone euro.

Ils ont en partie raison. Ces dernières an-nées, l’institution a, avec le Fonds moné-taire international (FMI) et la Commission européenne, participé à la conception des mesures de rigueur exigées dans le cadre des plans d’aide européens. A plusieurs re-prises, elle est sortie de son strict rôle mo-nétaire pour demander à l’Irlande, à Athè-nes, à Chypre d’appliquer les coupes demandées.

Mais avait-elle le choix ? Pas vraiment. Car, en vérité, la BCE est la seule institution supranationale de la zone euro. Si elle avait voulu attaquer un autre symbole de l’union monétaire, la militante aux confettis n’aurait tout simplement pas trouvé. Chris-tine Lagarde, au FMI ? Mais ce dernier, qui compte 188 membres, a pour mission pre-mière de surveiller la stabilité financière mondiale.

Jean-Claude Juncker, à la Commission européenne ? Mais celle-ci représente avant tout l’Union européenne et ses vingt-huit

membres. Pas la zone euro.Jeroen Dijsselbloem, le président de

l’Eurogroupe, alors ? Après tout, cette insti-tution rassemble les dix-neuf ministres des finances de l’union monétaire. Mais elle est par essence intergouvernementale. Chaque ministre y défend les points de vue de son pays, sans qu’aucun ne représente ceux de la zone euro dans son ensemble. M. Dijssel-bloem est d’abord le ministre des finances des Pays-Bas.

Un bateau sans capitaine

Tel est le drame de la zone euro. Si elle pos-sède une banque centrale qui fonctionne, elle ne s’est pas dotée d’institution consa-crée côté budgétaire et, plus généralement, d’organe susceptible de piloter, ou au mini-mum coordonner, les politiques économi-ques de ses membres. L’euro est une mon-naie incomplète. Voilà pourquoi la gestion de la crise de 2009 a été aussi cafouilleuse, dramatique. Voilà pourquoi, aussi, la BCE a fini par endosser, par défaut, les décisions douloureuses : il n’y avait tout simplement personne d’autre pour le faire. La zone euro est un bateau sans capitaine.

La bonne nouvelle est que, ces cinq der-nières années, elle s’est dotée de nouvelles institutions, telles que le Mécanisme euro-péen de stabilité (MES), qui aidera à gérer les prochaines crises. La mauvaise nouvelle est que si l’on ne va pas plus loin, M. Draghi restera l’unique cible des confettis pour longtemps encore. p

marie charrel

138,7

200,4

1ER SEPTEMBRE 2014 17 AVRIL 2015

COURS DE LA LIVRE DE CAFÉ ARABICA, EN CENTS DE DOLLAR

SOURCE : BLOOMBERG

Reflux

TAUX & CHANGES

Les confettis de Mario Draghi

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Page 31: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

0123DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015 argent & placements | 7

VILLES EN MUE

A Ivry, réhabilitation du quartier du port

L e quartier du port d’Ivry-sur-Seine(Val-de-Marne) se métamorphose.Séparé du reste de la ville par les voies

ferrées, cet ancien quartier populaire et in-dustriel fait l’objet d’un vaste programme de réhabilitation. Baptisé « Ivry Confluen-ces », ce projet est l’un des plus importants réaménagements urbains d’Ile-de-France. Il s’étend sur près de 145 hectares et se dérouleen trois phases, dont la dernière devrait êtreachevée d’ici à 2027.

Pour l’heure, la moitié de la zone d’aména-gement concerté (ZAC) est réservée aux acti-vités économiques, 40 % sont réservés aux habitations et 10 % aux équipements pu-blics. A l’arrivée, 5 600 logements, dont la moitié en social, seront construits. « Parmi les logements en accession à la propriété, 40 % sont à prix maîtrisé. Ils sont réservés en priorité aux Ivryens et aux salariés des entre-prises installées dans la commune », précise Romain Marchand, adjoint au maire (Phi-lippe Bouyssou, PCF) responsable du déve-loppement urbain.

Le projet prévoit aussi la création d’unparc de 2,5 hectares et la création d’un chauffage urbain alimenté par la géother-mie. Les transports vont aussi être renforcésavec un bus « en site propre », qui reliera le 13e arrondissement de Paris à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) en passant par Ivry.

La première phase est bien avancée. Lespremiers logements neufs ont été livrés. « Le prix de vente maîtrisé moyen s’élève à 4 200 euros le mètre carré », précise Djamel Aït-Aïssa, directeur opérationnel de la Sa-dev 94, l’aménageur public du projet, con-tre 4 000 euros le m2 dans l’ancien.

Manque de concertationMais ce projet ne fait pas consensus. Cer-tains habitants déplorent le manque de concertation avec la ville, d’autant que la construction des nouveaux immeubles passe par la destruction de 400 logements (dont 250 lors de la première phase du pro-jet). Le collectif Ivry sans toi(t) estime que leshabitants de ces immeubles ont été lésés, avec un prix de rachat parfois très inférieur à celui du marché. « Quatre-vingt-dix pour cent d’entre eux ne peuvent plus vivre à Ivry », déplore Jamale Lahyane, du collectif. Une affirmation que réfute l’adjoint aumaire, qui assure « accompagner chaque propriétaire pour se reloger ».

Pour calmer les tensions, la mairie a éla-boré un projet de charte de maintien des ha-bitants qu’elle présentera lors des ateliers ci-toyens en avril. Pas sûr que cela suffise : « Cette charte est loin de répondre à nos in-quiétudes », regrette Jamale Lahyane. p

pauline janicot

Le projet« Ivry

Confluences »s’étend

sur près de145 hectares.

ATSP/IDA + IMPACT

Cinq bonnes raisons de créer une SCILa société civile immobilière ne s’adresse pas qu’aux familles détenant un gros patrimoine

La société civile immobilière est uncocon juridique pour votre patri-moine immobilier », résume Sté-phane Jacquin, responsable de

l’ingénierie patrimoniale chez Lazard Frè-res. Il s’agit d’une société créée dans le butde faciliter la gestion d’un patrimoine ap-partenant à plusieurs personnes. L’avan-tage de la société civile immobilière (SCI) est de permettre des statuts « sur me-sure ». « Elle fixe les règles du jeu entre les associés. C’est pourquoi il faut prendre le temps de les rédiger avec le plus grand soin », recommande Gilles Etienne, di-recteur de l’ingénierie patrimoniale chez Cyrus Conseil. Par exemple, si les asso-ciés confient tous les pouvoirs aux gé-rants de la SCI, ceux-ci pourront choisir un locataire, faire des travaux ou vendre sans demander l’avis de quiconque.

« La SCI est souvent utilisée lorsque desparents veulent faire une donation à leurs enfants, mais souhaitent garder le contrôlede leur patrimoine immobilier », explique Christine Valence Sourdille, ingénieure patrimoniale chez BNP Paribas Banque privée. Désignés comme cogérants de la SCI, les parents gardent des pouvoirs éten-dus pour gérer les biens familiaux. Ils peuvent ainsi donner aux enfants la nue-propriété des parts en conservant l’usu-fruit et continuer à percevoir les loyers. LaSCI permet également une transmission des biens « au fil de l’eau » : les parents donnent à chacun de leurs enfants un nombre de parts sociales correspondant àl’abattement en franchise d’impôt.

« Pour un couple en union libre, créer uneSCI avec démembrement de propriété des parts sociales peut être un moyen de sécu-riser le compagnon survivant, qui pourra rester dans la résidence, même si les en-fants d’un premier mariage s’y opposent », argue Christophe Chaillet, directeur ingé-nierie patrimoniale chez HSBC France.

Faire en sorte que la maison de fa-mille reste dans le giron familial après leur décès est l’objectif de beaucoup de pa-rents âgés. « La SCI n’est pas la solution mi-racle, car si les enfants ne s’entendent pas et veulent vendre, cela arrivera, mais cette option a le mérite de clarifier les choses », explique M. Jacquin. Elle permet d’éviter l’indivision, souvent source de blocage entre héritiers, de désigner un gérant… Bref, avec la SCI, il y a un pilote dans l’avion, et chacun peut consulter le ma-nuel de pilotage.

Montage simpleDe plus, « la SCI peut permettre de trans-mettre un gros patrimoine immobilier sans payer beaucoup de droits de succes-sion », insiste M. Chaillet. Pour cela, un montage simple suffit : d’abord, la SCI constituée par les parents s’endette pour acheter les biens immobiliers. La valeur des parts de la SCI transmises aux enfantsest donc diminuée d’autant. Comme les parts sont transmises en nue-propriété, les parents ne conservent que l’usufruit. La valeur de la nue-propriété étant définiepar un barème fiscal, plus le donateur est

jeune, plus la décote est importante. Avec le temps, la valeur des parts transmises augmentera, car l’emprunt sera progressi-vement remboursé. Au décès des parents, les enfants seront propriétaires de la tota-lité du patrimoine immobilier.

Enfin, un chef d’entreprise peut avoir in-térêt à « écarter » les actifs immobiliersdu périmètre de sa société pour les loger dans une SCI. « L’objectif est de mettre à l’abri ce patrimoine immobilier au cas où l’entreprise rencontrerait des difficultés », explique M. Etienne. Attention, un bien logé dans une SCI ne peut bénéficier du pacte Dutreil, ce dispositif qui permet de transmettre l’entreprise familiale en payant peu de droits de succession.

Lorsqu’on crée une SCI, on peut opterpour une taxation à l’impôt sur le revenu (IR) ou à l’impôt sur les sociétés (IS). « At-tention, ce choix est définitif », prévient Mme Valence Sourdille. Avec l’IR, vous ne pourrez faire que de la location non meu-blée, et vous ne pourrez exercer d’activité de marchand de biens. « Le principal inté-rêt de l’IS est la possibilité d’amortir le patri-moine immobilier, généralement sur qua-rante ans », complète M. Chaillet. Les amortissements étant imputés sur les bé-néfices de la SCI, celle-ci paie peu d’im-pôts, malgré le niveau du taux d’IS (33,3 %). Un choix judicieux si vous avez un patrimoine immobilier qui va générer des revenus importants, susceptibles de vous faire passer dans une tranche d’im-position élevée. Mais, si vous prévoyez de vendre une partie de ce patrimoine, sa-chez que la réincorporation des amortis-sements déjà déduits augmentera la plus-value taxable réalisée lors de la cession.Mieux vaut alors choisir le régime normalà l’IR, les plus-values étant exonérées après vingt-deux ans de détention (trente ans pour les prélèvements sociaux). p

jérôme porier

CLIGNOTANT

IMMOBILIERL’agonie des résidences secondairesSi les prix de l’immobilier résistent dans les grandes agglomérations, la baisse s’accélère dès qu’on s’en éloigne. Dans certaines communes rurales, il n’y a plus de transactions. C’est le bilan dressé par les no-taires de France dans leur dernière note de conjonc-ture du 13 avril. Le marché le plus touché est celui des résidences secondaires. « Sur les côtes touristiques, les volumes de ventes et les prix sont en berne et de-vraient le rester », écrivent les notaires. A l’intérieur des terres, le prix des maisons de campagne s’effon-dre. Dans la Creuse, ils ont chuté de 50 % depuis 2008. La Normandie et le Perche enregistrent des baisses de 20 % à 25 %, le Lubéron autour de 10 %.

QUESTION À UN EXPERT

jean dugor, notaire à Auray (Morbihan)

Quelles sont les règles pour louer

sa résidence principale ?

Louer sa résidence principale n’est pas sans conséquences économi-ques et fiscales et répond à quelques règles. S’il s’agit d’une location saisonnière, la location ne peut pas dépasser quatre-vingt-dix jours consécutifs maximum dans l’année. Si vous n’êtes pas propriétaire, vous devez obtenir l’accord de votre bailleur, et si vous vivez en appar-tement le règlement de copropriété doit autoriser la location meublée .Sachez aussi que, si vous décidez de louer votre bien, vous perdrez l’avantage du prêt à taux zéro qui a permis son acquisition. Dès lors qu’il y a mise en location, saisonnière ou non, vide ou meublée, le remboursement anticipé du prêt risque d’être demandé. En mettant votre bien en location, vous risquez aussi de perdre l’exonération de plus-value immobilière, qui s’applique aux résidences principales, lors de sa vente. Vous devrez consentir un certain nombre de dépenses tel l’établissement des diagnostics obligatoires. Enfin, lorsque la location n’est envisagée qu’à titre provisoire, le propriétaire devra être vigilant quant aux conditions de délai pour donner congé aux locataires.D’un point de vue fiscal, les revenus provenant de cette location seront soumis à l’impôt. Si vous louez votre résidence principale meublée et que les loyers ne dépassent pas 32 900 euros en 2015, vous êtes sou-mis au régime du micro-BIC (bénéfice industriel et commercial). Dans ce cas, vous bénéficierez d’un abattement forfaitaire de 50 %. p

Ne pas sous-estimer les contraintes

Véritable couteau suisse, la SCI n’a pas que des avantages. D’abord, elle a un coût. Vous devrez débourser environ 2 000 euros pour faire rédiger ses statuts par un notaire ou un avocat. Il vous faudra aussi tenir la comptabilité de la SCI et convoquer chaque année les associés en assemblée générale. Dans certains cas, sachez encore que la SCI peut provoquer des blocages. « Par exemple, si le gérant qui con-centre tous les pouvoirs devient grabataire », dit Gilles Etienne, directeur de l’ingénierie patrimoniale chez Cyrus Conseil. Enfin, la plupart des assujettis à l’impôt de solida-rité sur la fortune n’ont pas intérêt à créer une SCI, car un bien logé dans une société civile ne peut plus bénéficier de l’abattement de 30 % au titre de la résidence principale.

Spécial Histoire

Un hors-sérieEn vente chez votre marchand de journaux

Page 32: Monde 2 en 1 Du Dimanche 19 Avril 2015

8 | MÉDIAS&PIXELS DIMANCHE 19 - LUNDI 20 AVRIL 2015

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& CIVILISATIONS

&CIVILISATIONS

N° 5 AVRIL 2015

L’ARMÉNIEDEUXMILLEANSDERÉSISTANCE

ALEXANDRELEGRANDLACONQUÊTEDEL’INDE,

SONRÊVE INACHEVÉ

THERESED’AVILAELLEABOULEVERSÉL’ESPAGNEDUSIÈCLED’OR

STONEHENGECEQU’ONCOMMENCE

ÀCOMPRENDRE

IRAKC’EST LEPATRIMOINE

DEL’HUMANITÉQU’ONASSASSINE

´´ `

CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

Chaque mois, un voyage à travers le tempset les grandes civilisations à l’origine de notre monde

TNT : réflexion sur une réforme des ventesde chaînesLa cession de Numéro 23 pour 90 millions moins de trois ans après son attribution gratuite fait débat

Le gouvernement étudieactuellement les moyensqui permettraient de lut-ter contre la revente

« spéculative » de chaînes de télé-vision. Cette réflexion sur unepossible réforme est nourrie par la polémique qui a suivi la cessionde Numéro 23 pour 90 millionsd’euros, le 2 avril, soit deux ans et huit mois après l’attribution – gratuite – d’une fréquence par le Conseil supérieur de l’audiovi-suel (CSA). Le gouvernement envi-sage les différentes options quipermettraient d’encadrer davan-tage la vente des chaînes de la TNT. En effet, la transaction entre les actionnaires de Numéro 23 – parmi lesquels Pascal Houzelot,membre du conseil de sur-veillance du Monde – et le groupe NextRadioTV, a parfaitement res-pecté les règles en vigueur.

« On pourrait tout remettre àplat et considérer qu’il faut désor-mais vendre les fréquences de télé-vision car elles font partie du patri-moine public, au même titre queles fréquences télécoms que l’on at-tribue parfois aux enchères », ex-pose Patrick Bloche, président de

la commission des affaires cultu-relles de l’Assemblée nationale.Cette option semble pourtant ex-clue par le député PS comme par le gouvernement. Le système ac-tuel, en contrepartie de la gratuitédes canaux hertziens, impose auxchaînes des obligations sur le con-tenu de leurs programmes et surle financement de la création audiovisuelle.

« On peut principalement jouersur deux paramètres – la durée de détention d’une chaîne et la taxa-tion des reventes », explique M. Bloche.

Un délai de deux ans et demi

Les propriétaires des six dernières chaînes de la TNT attribuées fin 2012 (dont Numéro 23) se sont vu imposer un délai de deux ans et demi avant toute cession : cette durée a été introduite par le CSA afin d’éviter qu’un acteur ne dé-pose un dossier pour obtenir une fréquence dans le but de la reven-dre ensuite rapidement en empo-chant une plus-value. Le gouver-nement n’exclut pas d’allonger ce délai : la ministre de la culture Fleur Pellerin a ainsi répondu

« pourquoi pas » à la proposition de doubler à cinq ans la durée mi-nimale de détention d’une chaîne, formulée par la sénatrice UMP Ca-therine Morin-Dessailly le 9 avril. Une telle mesure aurait rendu im-possible la revente de Numéro 23 avant 2017. Toutefois, jouer sur le délai a l’inconvénient d’empêcher toute vente pendant la période.

Le levier fiscal est une autre pistede réflexion : les reventes de chaî-nes sont soumises à un prélève-ment de 5 % du prix de cession, de-puis la loi de finances votée fin 2013. Celui-ci pourrait être relevé, à20 % par exemple. Le but serait qu’il soit « dissuasif », note M. Blo-che, qui imagine un taux dégressif après dix ou quinze ans de déten-tion, par exemple.

Reste un dernier critère : le res-pect du cahier des charges. Les manquements aux obligations dé-finies par le CSA dans la conven-tion de la chaîne pourraient faire l’objet d’une attention plus impor-tante. En l’occurrence, malgré les critiques sur sa ligne éditoriale large, Numéro 23, chaîne axée sur la diversité, a selon le CSA respecté ses engagements en la matière. Pour 2013, l’autorité n’a noté qu’un« déficit des quotas de diffusion d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles ».

Pour le gouvernement, renforcerla lutte contre le « trafic de fré-quences » ne serait pourtant pas une simple formalité : depuis cinq ans environ, les élans de réforme se sont plusieurs fois heurtés à desobstacles juridiques. Fin 2011, un amendement introduisant une taxation dans la loi de finances a été censuré par le Conseil constitu-tionnel, car il faisait référence par erreur à un agrément des ventes par le CSA…

«Cavalier législatif »

Baptisé « amendement Bolloré », le texte suivait la cession par Vin-cent Bolloré des chaînes Direct 8 etDirect Star pour 465 millions d’euros à Canal+. En 2009, une po-lémique avait déjà accompagné la

vente de TMC et NT1 à TF1 par le groupe AB.

En août 2012, un amendement si-milaire a de nouveau été censuré par le Conseil constitutionnel, qui a estimé qu’il était un « cavalier lé-gislatif », inapproprié dans une loi de finances rectificative. Fin 2013, les nouveaux pouvoirs du CSA, dé-sormais tenu de donner son agré-ment aux ventes de chaînes, ont rendu possible l’instauration de la taxation.

S’il veut la relever, quel texte legouvernement doit-il utiliser ? La

sénatrice Morin-Desailly suggère d’utiliser la loi Macron sur la crois-sance, actuellement en discussion au Sénat. Certains y voient toute-fois le risque d’un cavalier législa-tif.

Le choix du texte a son impor-tance : si la taxation renforcée étaitvotée rapidement, elle pourrait en théorie s’appliquer à la vente… de Numéro 23. Il faudrait pour cela que le texte entre en vigueur avantl’agrément du CSA (qui est une condition suspensive de la vente). L’autorité a promis de prendre si

nécessaire le temps d’une étude d’impact économique. Son avis pourrait-il tarder jusqu’à juillet ou août, date à laquelle la loi Macron pourrait atteindre son terme ? Celasemble peu probable mais ce dos-sier est désormais – un peu – politi-que. De son côté, le vendeur, M. Houzelot se défend d’avoir cherché à spéculer, pointant que 40 millions d’euros de la vente lui permettront d’avoir des parts dans NextRadioTV, dont il rejoin-dra le conseil d’administration. p

alexandre piquard

WikiLeaks met en ligne les données volées à Sony PicturesLes documents dérobés permettent de mieux comprendrele système de fonctionnement de la major hollywoodienne

J eudi 16 avril, la plate-formeWikiLeaks a mis en ligne decentaines de milliers de docu-ments internes de l’entre-

prise Sony Pictures Entertain-ment, une filiale de Sony basée à Los Angeles, poids lourd de la pro-duction et diffusion de séries et films américains.

D’où provient cette fuite ? Lesdocuments mis en ligne sont ceux qui avaient été dérobés en novembre par des pirates infor-matiques ayant réussi à s’intro-duire dans le réseau informatique de Sony Pictures.

Ces fichiers avaient ensuite étépartagés de manière anarchique et anonyme sur une multitude de sites de téléchargement. Après quele FBI a lancé une vaste enquête pour trouver les hackeurs respon-sables du vol (ayant conclu à la res-ponsabilité de la Corée du Nord), ces données sensibles avaient ra-pidement disparu des radars.

Que contiennent ces docu-ments ? Il s’agit de la plus grosse fuite connue de données volées à une entreprise. Wikileaks revendi-que exactement 30 287 docu-ments et 173 132 mails issus ou adressés à 2 200 collaborateursdifférents de Sony Pictures Enter-tainment.

Parmi les documents, de nom-breux rapports, dossiers liés à des stratégies marketing, contrats et courriers manuscrits, tableurs, ou encore des notices techniques liées par exemple à Hadopi. Quant aux mails, tous ne révèlent pas desaspects stratégiques de l’entre-

prise. Les archives comportent par exemple de nombreux échanges anodins. Les correspondances per-mettent toutefois d’en apprendre plus sur le mode de fonctionne-ment d’une major hollywoo-dienne, et par exemple de décou-vrir les étonnantes réflexions mar-keting de la compagnie sur le groupe adulé par les adolescents, One Direction. Les mails de Sony Pictures Entertainment compor-tent aussi de nombreux échanges avec des entreprises et gouverne-ments américains et européens, notamment sur des questions de propriété intellectuelle.

Pourquoi WikiLeaks diffuse-t-elle ces fichiers à nouveau ? En plus de publier ces documents, Wi-kiLeaks a mis en place un système d’hébergement, de classification et de recherche sur un portail spé-cialisé (« The Sony Archives »). Il s’agit de faciliter aux internautes letravail d’analyse des documents dérobés. Cela parce que le site fondé par Julien Assange refuse de considérer Sony Pictures Entertai-nement comme un simple pro-ducteur de divertissement. Dans

La plate-forme

a instauré

un système d’hébergement

et de recherche

sur un portail

spécialisé

son communiqué, WikiLeaks voit dans ces données « un aperçu rare du fonctionnement d’une firme multinationale et secrète » : « “TheSony Archives” montre qu’en coulis-ses, c’est une firme influente, avec des liens avec la Maison Blanche − ily a près de cent adresses électroni-ques du gouvernement américain dans les archives − avec la capacité d’influencer les lois et les politiques, et avec des connexions avec le com-plexe militaro-industriel. »

Quelles questions éthiquescette nouvelle fuite pose-t-elle ? La republication des documents volés à Sony Pictures peut con-duire à de nouvelles révélations sur l’entreprise et ses dirigeants. Il est probable que des informations soient restées enfouies dans les centaines de milliers de docu-ments que certains médias avaient commencé à éplucher. En novembre dernier, des courriers informels de la vice-présidente de Sony Pictures, Amy Pascal, avaient révélé des blagues à connotation raciste, qui avaient contraint l’inté-ressée à démissionner… Mais le dé-bat déontologique concernant la valeur à accorder à des correspon-dances et documents confiden-tiels privés, sortis de tout contexte n’a pas évolué. Les avocats de SonyPictures s’étaient ainsi employés, en novembre, à menacer des mé-dias américains – comme le New York Times – de réponse juridique en cas de détention et de publica-tion d’« informations volées ». p

michaël szadkowski,

xavier eutrope

et william audureau