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SERGE MOSCOVICI, UN HOMME DE CARACTÈRE Michel Maffesoli De Boeck Supérieur | « Sociétés » 2015/4 n° 130 | pages 5 à 8 ISSN 0765-3697 ISBN 9782807301351 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-societes-2015-4-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Michel Maffesoli, « Serge Moscovici, un homme de caractère », Sociétés 2015/4 (n° 130), p. 5-8. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.205.235.248 - 07/05/2016 18h31. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.205.235.248 - 07/05/2016 18h31. © De Boeck Supérieur

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SERGE MOSCOVICI, UN HOMME DE CARACTÈREMichel Maffesoli

De Boeck Supérieur | « Sociétés »

2015/4 n° 130 | pages 5 à 8 ISSN 0765-3697ISBN 9782807301351

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-societes-2015-4-page-5.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Michel Maffesoli, « Serge Moscovici, un homme de caractère », Sociétés 2015/4 (n° 130),p. 5-8.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

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Sociétés n° 130 — 2015/4

Dossier

SERGE MOSCOVICI, UN HOMME DE CARACTÈREMichel MAFFESOLI *

Lors de l’enterrement de Serge Moscovici, belle cérémonie organisée par ses deux fils, une collègue m’ayant reconnu me dit : « Serge vous aimait beaucoup, il disait toujours : “Maffesoli est mon ami.” »

Ce qui était pour le moins une attitude courageuse et transgressive par rapport au conformisme ambiant du milieu des sciences humaines !

Il est vrai que Moscovici a appris très tôt à se garder de l’unanimisme, lui qui a traversé les années de guerre renvoyé du lycée général, puis enrôlé dans des tra-vaux forcés, du fait de son appartenance juive. C’est là aussi qu’il apprit le français dans les livres. Et c’est là enfin qu’en voyant après guerre les chefs de la Garde de Fer occuper les postes dirigeants du Parti communiste, il décida de partir vers l’Italie puis vers la France avec son ami Isidore Isou 1.

Mais ce n’est pas seulement parce qu’il maniait le français au début avec quelques erreurs que l’université le bouda et qu’il ne dut qu’à l’ouverture de l’École pratique des hautes études de pouvoir exercer le métier auquel il se destinait depuis l’adolescence, celui de savant 2.

Moscovici n’a jamais voulu se laisser enfermer dans des cases. Celles des dis-ciplines pas plus que les politiques ou celles de la bienséance. Psychologue, il écrit un livre majeur sur les mentalités, dont les auteurs étudiés sont Émile Durkheim, Max Weber, Georg Simmel.

Il faut là citer un passage important de la conclusion de ce livre majeur :

« … Comme si c’était un trait universel de la pensée, aussi évident, aussi nécessaire qu’un trait de la réalité. D’un côté la rationalité définit l’action

* Professeur émérite à la Sorbonne.1. Cf. S. Moscovici, Chronique des années égarées. Récit autobiographique, Stock, Paris, 1997.2. Ibid.

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6 Serge Moscovici, un homme de caractère

Sociétés n° 130 — 2015/4

efficace dans un moment donné et dans un milieu donné. Comportements, idées, méthodes la concrétisent. Son caractère obligatoire condamne à l’échec tout individu, tout groupe qui en néglige les règles dans l’économie ou la technique. Lui fait face le domaine du non rationnel, qui inclut la sensi-bilité, la croyance en général et l’effervescence des personnes ou des masses. […] On dirait que l’une dessine à l’encre visible et l’autre à l’encre invisible l’anatomie de la société, du sommet à la base. Pas de division plus radicale que celle-ci. Devenue souveraine, elle traverse toutes les couches de notre culture, de notre corps, jusqu’à sembler physiologique.Pourquoi rappeler tout cela ? Parce que cette opposition est le problème de la modernité. Elle représente la tentative éperdue, vouée à l’échec, de faire prendre le commandement au pôle rationnel, capable d’envelopper le pôle irrationnel, de l’utiliser, de l’absorber. Bien plus : elle verrait avec plaisir la plupart des sociétés, reléguées au rang de survivances et de superstitions s’effacer pour laisser la place à la seule où le pôle rationnel aurait affirmé sa domination.Or la sociologie née dans une société sécularisée […] est une science du pro-blème de la modernité. Comment vivre, comment passer de la coutume au calcul, d’un passé encombré de symboles et d’institution à un avenir dégagé, fait de signes et d’organisations ? […] Elle aspire ainsi moins à devenir savoir de la société et de la question sociale […] que de ces moyens nés dans le sillage de la modernité. Un savoir qui remet sans cesse en question les com-munautés, les croyances et les pratiques héritées, pour leur substituer une mentalité de la performance, du nouveau, bref une synthèse ininterrom-pue… » Et encore : « Elle [la sociologie] se veut la garante de l’hégémonie de la raison sur tous les aspects de la vie en commun 3. »

Écrit en 1997, La machine à faire des dieux est une longue réflexion sur la coupure instaurée entre sociologie et psychologie, mais aussi entre rationalité et non-rationalité, entre société et individu, entre généralité et particularité. Et je suis fier, en tant que membre français du « Prix européen des sciences sociales », d’avoir contribué à lui faire cette distinction, remise à Amalfi en 1998.

La psychologie sociale dont il fut avec Adriana Touraine l’initiateur et le défen-seur en France est cette discipline plurielle, psychologique, sociologique, anthro-pologique, philosophique. Sans oublier l’histoire des religions et des mentalités. En ce sens, il rejoignait un autre homme initié à la pensée dans la période de la guerre et de la résistance, Gilbert Durand, philosophe, sociologue, anthropologue, musicologue ou historien de l’art. Le même refus d’être enfermé dans un bocal ! Ce que je reprends souvent en disant, d’une manière familière, qu’il n’y a que les cornichons que l’on met dans des bocaux !

Cette ouverture sur la vie a conduit Moscovici entre autres à deux analyses majeures : sa conception du relativisme d’une part et son attention à la part spiri-tuelle de l’humanité.

3. S. Moscovici, La machine à faire des dieux, Fayard, Paris, 1997.

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Je reprends si souvent la définition qu’a donnée Moscovici du relativisme que je la pense parfois mienne : « Le relativisme : c’est la relativisation de La Vérité par les vérités, et du coup c’est la mise en relation entre elles de ces vérités plu-rielles. » On est là loin de la définition péjorante du « tout se vaut ». C’est justement parce qu’il était attentif aux particularismes, aux situations « uniques », aux causes tenant aux situations (il écrit à un moment donné : pourquoi une fois définies les grandes statistiques de morbidité, Pierre tombe malade plutôt que Paul ?) que Serge Moscovici était relativiste. Relativisme repris à Simmel dans sa philosophie de l’argent. L’argent étant non pas d’abord réification, mais interaction, échange.

C’est ce relativisme, au sens d’une attention extrême aux différentes facettes des comportements et des croyances humaines, qui a conduit Serge Moscovici à s’intéresser à toutes ces choses conçues comme anecdotiques, superstitions non rationnelles. Et notamment aux croyances. Non pas conçues comme consé-quences d’infrastructures, déterminées et manipulées, mais comme création propre de « l’hommité ». C’est-à-dire ni de la seule psychè individuelle, ni des seuls déterminants sociaux, mais de l’interaction continuelle. C’est cela la « Machine à faire des dieux » qui entraîne Moscovici à une puissante réflexion sur l’écologie (je dirais écosophie, car son écologie n’était pas cet ersatz politiste que l’on nous sert aujourd’hui).

Je ne dirai pas qu’avec Moscovici nous étions toujours en accord. Tant s’en faut. Mais notre amitié était fondée sur notre commune capacité à débattre, à s’intéresser à l’autre, à ne pas chercher sans cesse à avoir ou faire raison. En ce sens, Moscovici représentait un des derniers de ces grands intellectuels européens, enraciné dans une tradition et ouvert sur le monde. Un penseur qui justement, et il le dit souvent, tirait fierté de sa capacité à ne pas se laisser entraîner par le flux de la masse.

Il s’est ainsi tenu loin des polémiques picrocholines qui animent parfois nos institutions, allant jusqu’à adopter une posture quasi prophétique quand il écrivait « Quatre thèmes de kabbale sociologique » dans le livre Dérive autour de l’œuvre de Michel Maffesoli 4. Il faut rappeler que Moscovici a présidé le jury de la thèse qui nous a tant été reprochée d’Élisabeth Teyssier et qu’il ne s’en est pas dédit, consi-dérant qu’une thèse sur et non d’astrologie était un thème de sociologie. Wébérien qu’il était aussi : un fait social peut devenir un fait sociologique.

« Il y a des moments où je me sens un doigt de Nostradamus pointé vers les égarements qui sont déjà, mais surtout vers ceux qui vont s’ensuivre, de l’au-tocensure des esprits qui les induit à persister dans leurs vérités précensurées et à ne plus croire à la réalité parce que les autres n’y croient plus. Et je termi-nerai en rappelant l’interdit biblique : Tu ne serviras pas la multitude pour faire le mal et lorsque tu te prononceras dans un procès, tu ne te détermineras pas pour suivre le plus grand nombre jusqu’à pervertir le droit. »

4. Dérive autour de l’œuvre de Michel Maffesoli, L’Harmattan, Paris, 2004, rééd. CNRS Éditions, Paris, 2012.

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8 Serge Moscovici, un homme de caractère

Sociétés n° 130 — 2015/4

C’est dans ces circonstances et dans beaucoup d’autres bien sûr qu’il manifesta toujours ce qu’il appelle dans La machine à faire des dieux du caractère, c’est-à-dire le courage de parler contre l’opinion dominante. Il n’en a jamais manqué et c’est sans doute la qualité première de l’homme et de son œuvre.

C’est pourquoi je suis heureux d’introduire ce numéro de Sociétés reprenant la belle journée d’études consacrée par le CEAQ à notre ami. Et je me dis que quand Serge citait Simmel il pensait peut-être déjà à lui. « Je sais, écrivit Simmel dans sa brève autobiographie, que je mourrai sans héritiers spirituels (et c’est bien). La succession que je laisse est comme de l’argent distribué entre de nombreux héri-tiers, dont chacun met sa part à profit dans quelque occupation qui est compatible avec sa nature propre, mais qui ne peut plus être reconnu comme venant de ma succession. »

N’est-ce pas là la plus belle définition de l’œuvre d’un intellectuel ?

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