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6 | La Lettre du Pharmacologue Vol. 27 - n° 1 - janvier-février-mars 2013 DOSSIER THÉMATIQUE Pharmacopédiatrie Méthodologie et optimisation des études cliniques chez l’enfant Methodology and optimization of clinical studies in children G. Pons*, S. Chhun*, C. Chiron* * Université Paris-Descartes, UMR, Inserm 663, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris. L’ utilisation des médicaments chez l’enfant est caractérisée par l’insuffisance de leur évaluation en termes de recherche de dose, d’efficacité et de sécurité, ainsi que par le manque de formes galéniques adaptées. La conséquence en est le grand nombre de pres- criptions hors autorisation de mise sur le mar- ché (AMM), dont le nombre estimé, d’après différentes études européennes, s’élève à 90 % des prescriptions faites pour les nouveau-nés en unités de soins intensifs. Le constat de cette situation a amené la Commis- sion européenne à élaborer un règlement pédia- trique 1 (1) . Publié en décembre 2006, il a pour but de faciliter l’évaluation des médicaments chez l’enfant afin de remédier à cette situation, notam- ment en obligeant les industriels qui demandent une AMM pour un nouveau médicament à fournir un plan d’investigation pédiatrique qui devra être validé par le comité pédiatrique des médicaments de l’Agence européenne des médicaments. Il en est de même lorsqu’ils soumettent une demande d’AMM dans une nouvelle indication ou pour une nouvelle forme galénique d’un produit déjà sur le marché. Pour les médicaments qui sont déjà sur le marché mais qui ne bénéficient plus d’au- cune protection industrielle et sont donc dans le domaine public, le règlement prévoit des mesures incitatives pour que soient soumis des plans d’in- vestigations pédiatriques ayant pour but d’aboutir à une autorisation spécifiquement pédiatrique de mise sur le marché (PUMA [Paediatric Use Marketing Authorization] ). Cela concerne parti- culièrement les médicaments orphelins et ceux inscrits sur la liste prioritaire de l’EMA (Priority List) [2] correspondant aux besoins pédiatriques officiellement identifiés. Ce règlement encourage et facilite le développement des médicaments tout en respectant les règles de l’éthique visant notamment à éviter les doublons, inutiles, et à ce que les études cliniques soient le moins invasives possible pour chaque enfant individuellement, et pour la population pédiatrique concernée en général. Dans cet esprit, une réflexion a été entreprise pour trouver des moyens permettant de rendre les études chez l’enfant plus faciles à réaliser, notamment en essayant de contourner les obstacles de l’invasi- vité des procédures dans le respect de l’éthique, à plusieurs niveaux : celui des études pharmaco- cinétiques, pour lesquelles les études de population, la modélisation mathématique et l’extrapolation représentent des méthodes dont l’utilisation continue actuellement de se développer (3) ; et celui des études de recherche de dose et des études comparatives d’efficacité et de sécurité. 1. Le règlement est l’instrument le plus puissant de l’arsenal législatif de la Commission européenne. Il implique l’appli- cation immédiate, en l’état, et dans tous les États membres, de son contenu aussitôt après le vote du Parlement européen. Ces caractéristiques opposent point par point le règlement à la directive. Après le vote du Parlement, le contenu d’une direc- tive (par exemple, la directive sur les essais cliniques) suppose une adaptation au droit national de chaque État membre. Cela implique une application différée et avec un contenu différent dans chacun de ces États, aboutissant à une mosaïque d’appli- cations aux antipodes de l’harmonisation.

Méthodologie et optimisation des études cliniques chez l

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6 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 27 - n° 1 - janvier-février-mars 2013

DOSSIER THÉMATIQUEPharmacopédiatrie

Méthodologie et optimisation des études cliniques chez l’enfantMethodology and optimization of cl inical studies in children

G. Pons*, S. Chhun*, C. Chiron*

* Université Paris-Descartes, UMR, Inserm 663, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris.

L’utilisation des médicaments chez l’enfant est caractérisée par l’insuffisance de leur évaluation en termes de recherche de

dose, d’efficacité et de sécurité, ainsi que par le manque de formes galéniques adaptées. La conséquence en est le grand nombre de pres-criptions hors autorisation de mise sur le mar-ché (AMM), dont le nombre estimé, d’après différentes études européennes, s’élève à 90 % des prescriptions faites pour les nouveau-nés en unités de soins intensifs.

Le constat de cette situation a amené la Commis-sion européenne à élaborer un règlement pédia-trique 1 (1). Publié en décembre 2006, il a pour but de faciliter l’évaluation des médicaments chez l’enfant afin de remédier à cette situation, notam-ment en obligeant les industriels qui demandent une AMM pour un nouveau médicament à fournir un plan d’investigation pédiatrique qui devra être validé par le comité pédiatrique des médicaments de l’Agence européenne des médicaments. Il en est de même lorsqu’ils soumettent une demande d’AMM dans une nouvelle indication ou pour une nouvelle forme galénique d’un produit déjà sur le marché. Pour les médicaments qui sont déjà sur le marché mais qui ne bénéficient plus d’au-cune protection industrielle et sont donc dans le domaine public, le règlement prévoit des mesures incitatives pour que soient soumis des plans d’in-vestigations pédiatriques ayant pour but d’aboutir à une autorisation spécifiquement pédiatrique de mise sur le marché (PUMA [Paediatric Use Marketing Authorization]). Cela concerne parti-

culièrement les médicaments orphelins et ceux inscrits sur la liste prioritaire de l’EMA (Priority List) [2] correspondant aux besoins pédiatriques officiellement identifiés. Ce règlement encourage et facilite le développement des médicaments tout en respectant les règles de l’éthique visant notamment à éviter les doublons, inutiles, et à ce que les études cliniques soient le moins invasives possible pour chaque enfant individuellement, et pour la population pédiatrique concernée en général.Dans cet esprit, une réflexion a été entreprise pour trouver des moyens permettant de rendre les études chez l’enfant plus faciles à réaliser, notamment en essayant de contourner les obstacles de l’invasi-vité des procédures dans le respect de l’éthique, à plusieurs niveaux : celui des études pharmaco-cinétiques, pour lesquelles les études de population, la modélisation mathématique et l’extrapolation représentent des méthodes dont l’utilisation continue actuellement de se développer (3) ; et celui des études de recherche de dose et des études comparatives d’efficacité et de sécurité.

1. Le règlement est l’instrument le plus puissant de l’arsenal législatif de la Commission européenne. Il implique l’appli-cation immédiate, en l’état, et dans tous les États membres, de son contenu aussitôt après le vote du Parlement européen. Ces caractéristiques opposent point par point le règlement à la directive. Après le vote du Parlement, le contenu d’une direc-tive (par exemple, la directive sur les essais cliniques) suppose une adaptation au droit national de chaque État membre. Cela implique une application différée et avec un contenu différent dans chacun de ces États, aboutissant à une mosaïque d’appli-cations aux antipodes de l’harmonisation.

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Points forts » Approches méthodologiques innovantes des études cliniques chez l’enfant » Facilitation de l’évaluation des médicaments chez l’enfant » Protection accrue des enfants participant à des études cliniques

Mots-clésEnfantsÉtudes cliniquesMéthodologiePédiatrie

Highlights » Innovation in method-

ological approaches of clinical studies in children

» Facilitation of drug evalua-tion in children

» Increased protection of chil-dren undergoing clinical studies

KeywordsChildren

Clinical studies

Methodology

Paediatrics

Études pharmacocinétiques de populationUne étude pharmacocinétique “classique” ou en “données riches” consiste à mesurer la concentration plasmatique du médicament à l’étude à plusieurs reprises à des instants différents après son admi-nistration, de manière à décrire avec suffisamment de précision la courbe des concentrations plasma-tiques en fonction du temps, pour pouvoir calculer de manière fiable les paramètres pharmacocinétiques individuels de chaque patient : l’aire sous la courbe des concentrations plasmatiques, la demi-vie d’éli-mination, la clairance plasmatique et le volume de distribution.Une étude pharmacocinétique de population sur des prélèvements épars ne permet pas de calculer ces paramètres pharmacocinétiques individuels sur ces seules données. Un nombre limité de prélèvements est alors recueilli chez chaque patient à des instants différents. Les données obtenues pour chaque patient sont regroupées, comme sur un seul graphique, non plus pour un seul patient, mais pour l’ensemble de la population. Les paramètres pharmacocinétiques calculés sont les paramètres moyens pour la popula-tion. L’essentiel des calculs porte sur l’identification des paramètres expliquant le plus la variabilité des paramètres pharmacocinétiques, qui prennent alors le nom de “covariables” et sont pris en compte dans le modèle pharmacocinétique. Les résultats ainsi calculés, obtenus à partir d’un plus grand nombre de patients, sont davantage représentatifs de la popula-tion cible. En pédiatrie, l’influence de la maturation peut être modélisée à partir de connaissances anté-rieurement acquises sur l’ontogenèse du système biologique concerné. Le modèle obtenu permet d’estimer, par extrapolation (simulation), les valeurs attendues des paramètres pharmacocinétiques chez des enfants plus jeunes ou plus âgés chez lesquels aucune donnée n’a été recueillie, ou, par interpola-tion (simulation), dans des sous-groupes d’âge de patients non étudiés intercalés entre 2 groupes d’âge pour lesquels des données ont été recueillies (3).Cette approche permet d’estimer les paramètres pharmacocinétiques d’enfants n’ayant eu que peu ou pas de prélèvements, à partir de données regroupées provenant d’autres enfants appartenant en moyenne

à la même population, et de leur épargner ainsi une investigation plus invasive.

Méthodologie innovante pour les études de recherche de dose (phase II du développement du médicament)

Les études de recherche de dose se font habituelle-ment par comparaison de groupes parallèles avec une dose différente dans chaque groupe, dont une dose de placebo. L’importante variabilité interindivi-duelle nécessite le recrutement d’un grand nombre de patients, mais cela ne permet pas toujours d’obtenir une puissance statistique suffisante pour distinguer les effets de chaque dose, les unes des autres. Une autre approche a été proposée pour remplacer cette méthode difficile et frustrante : l’analyse séquentielle bayésienne (Continuous Reassessment Method [CRM]). L’objectif n’est plus de décrire la relation dose-effet en testant l’effet de doses différentes qui sont comparées les unes aux autres, mais de rechercher une seule dose qui permette d'obtenir le niveau d’efficacité choisi, par exemple la dose efficace 90 assurant une guérison à 90 % ou chez 90 % des patients. Cinq ou 6 doses sont habituellement testées. Leur choix est très important : il doit s’appuyer sur une expérience empirique antérieure pour que l’on soit sûr que la dose recherchée se situe bien dans l’intervalle des doses choisies. À chacune de ces doses sont affectées a priori, sur la base de ces connaissances antérieures, des probabilités de succès (tableau). La méthode est dite séquentielle parce qu’une analyse statis-tique est faite soit après le recrutement de chaque patient, soit après chaque recrutement d’un petit nombre de patients, défini à l’avance. L’analyse statistique permet de calculer la nouvelle distri-bution des probabilités de succès en fonction des doses, cette fois a posteriori, en tenant compte de la réponse obtenue (succès ou échec) chez ce patient ou dans ce petit groupe de patients. Cette méthode est dite bayésienne parce que le calcul statistique de la distribution des probabilités de succès a posteriori de l’ensemble des doses s’appuie à chaque étape sur

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Méthodologie et optimisation des études cliniques chez l’enfant DOSSIER THÉMATIQUE

Pharmacopédiatrie

les résultats recueillis chez l’ensemble des patients qui ont été recrutés depuis le début de l’étude. La dose administrée au patient suivant entrant dans l’étude est celle qui, dans la nouvelle distribution des probabilités calculées, a la probabilité la plus proche de la probabilité cible (90 %, dans l’exemple choisi). Cette méthode s’applique à chaque étape jusqu’au recrutement de 20 à 25 patients seulement. Ce nombre de patients n’est pas calculé mais a été établi empiriquement par l’expérience antérieure obtenue avec la méthode CRM, qui montre que, au-delà de ce chiffre, la précision de l’estimation de la réponse à la dose cible (ici, 90 %) ne s’accroît pas significativement et que l’intervalle de crédibi-lité encadrant la réponse moyenne à cette dose ne diminue pas significativement. Il faut noter que l’on parle ici d’intervalle de crédibilité et non d’intervalle de confiance, car il s’agit de statistiques bayésiennes et non fréquentistes.Cette méthode a l’avantage majeur de ne nécessiter qu’un groupe limité de patients, contrairement à la méthode classique de comparaison de groupes parallèles, de ne pas nécessiter de groupe placebo et de faire en sorte que chaque nouveau patient ou chaque nouveau groupe de patients reçoive une dose dont la probabilité de succès est toujours plus proche de la probabilité recherchée compte tenu du fait que la dose administrée est déterminée par la somme des informations accumulées au cours du recrutement de tous les patients précédents.Elle a l’inconvénient de s’appuyer sur un paramètre

qualitatif, si bien que, lorsque le paramètre est quan-titatif, on est amené à choisir une limite dans l’échelle quantitative pour séparer les succès des échecs, sur des arguments de pertinence clinique. Cette méthode suppose un recueil rapide de la réponse, car la dose attribuée aux patients suivants dépend de la réponse de l’ensemble des patients recrutés depuis le début de l’étude. Cette méthode ne peut donc pas s’appuyer sur un critère de jugement clinique qui serait obtenu après plusieurs jours, semaines ou mois, mais elle est adaptée aux critères permettant un recueil rapide de la réponse, comme les critères dits “intermédiaires”. Cette approche suppose une organisation relativement sophistiquée, avec une grande réactivité, pour communiquer rapidement la réponse au centre de calcul et que celui-ci transmette en retour très rapidement aux investigateurs la dose à administrer au patient suivant. Cette organisation n’est en pratique réalisable que dans le cadre d’une étude monocentrique ou ne comprenant qu’un petit nombre de centres.Cette méthode a été utilisée chez le nouveau-né (4, 5), notamment dans une étude qui a été acceptée pour le dossier de demande d’AMM par l’Agence européenne des médicaments : l’étude de recherche de dose de l’ibuprofène intraveineux dans la ferme-ture du canal artériel (4).

Études d’efficacité et de sécurité (études de phase III)

Test triangulaire

C’est une méthode séquentielle, car une analyse statistique est faite non pas seulement à la fin de l’essai, mais après chaque recrutement d’un petit nombre de patients. À chaque analyse sont calculées 2 statistiques : la statistique Z, qui est une estima-tion de la différence d’effet entre les 2 traitements comparés, et la statistique V, en rapport avec la somme d’informations accumulées depuis le début de l’essai, et donc avec le nombre de patients inclus. Les statistiques Z et V sont représentées respective-ment en ordonnée et en abscisse d’un graphique qui permet d’obtenir un point à chaque analyse statistique (figure). Ce point est relié sur le graphique à une valeur 0 qui se situe au milieu de l’axe des ordon-nées. Chaque point est relié au précédent, si bien que l’on obtient une ligne brisée appelée “chemin de l’échantillon” (sample path). Cette ligne brisée s’inscrit dans un triangle, qui donne son nom au test. La base du triangle est l’axe des ordonnées et

Tableau. Méthode de réévaluation séquentielle pour la recherche de la dose efficace 90 dans une gamme de 6 doses testées. Sont présentées, de haut en bas, la distribution des probabilités de succès estimées a priori pour chacune de ces doses, puis, ligne par ligne, les probabilités de succès estimées a posteriori pour chacune de ces doses en fonction du résultat clinique (succès ou échec) pour chaque dose nouvellement testée (approche séquentielle) combiné aux résultats de chacune des doses testées chez les patients précédemment inclus (approche bayésienne). La dose attribuée à chaque nouveau patient est la dose dont la probabilité de succès a posteriori était la plus proche de la probabilité cible (90 %) pour le patient précédent.

Patient dose administrée

Réponse clinique

Gamme de doses testées

(n°) 1 2 3 4 5 6

Probabilité de succès estimée a priori (%)

35 50 70 90 95 100

Probabilité de succès estimée a posteriori (%)

1 3 Échec 3 4 6 9 12 21

2 6 Succès 9 12 19 35 64 70

3 6 Succès 12 18 28 59 62 84

9 6 Succès 23 33 51 77 86 96

10 5 Succès 25 37 56 81 89 97

13 5 Succès 31 45 65 87 93 99

14 4 Succès 35 47 67 88 94 99

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DOSSIER THÉMATIQUE

est centrée sur la valeur 0 de Z, le côté supérieur du triangle est la limite inférieure de la zone de différence statistiquement significative entre les 2 traitements, le côté inférieur est la limite supérieure de la zone de différence significative entre les 2 traitements. À l’intérieur du triangle se situe la zone d’incertitude. Tant que chaque nouveau point correspondant à la dernière analyse statistique en date se situe à l’inté-rieur du triangle, il faut poursuivre le recrutement des patients jusqu’à ce que la ligne brisée, le sample path, croise l’un des 2 côtés du triangle. Si la ligne brisée croise le côté supérieur, l’essai peut être arrêté, et la différence entre les 2 traitements est significative. Si, à l’inverse, cette ligne brisée croise le côté inférieur, l’essai peut être arrêté, mais la différence est alors jugée non significative. Les équations des droites constituant les 2 côtés du triangle sont calculées en fonction des hypothèses de départ sur le risque α, le risque β, la variabilité du critère (quantitatif) de jugement principal et la différence attendue entre les 2 traitements. On comprend que, si les hypothèses de départ sont modifiées, notamment l’importance de la différence attendue entre les 2 traitements, le triangle sera orienté différemment dans le graphique tout en conservant sa base sur l’axe des ordonnées. Un ajustement de ces frontières après le recrutement de chaque nouveau groupe de patients peut être dessiné à l'intérieur du triangle. Il représente une sorte d’arbre de Noël couché qui définit ainsi de nouvelles limites inférieures et supérieures selon 2 lignes brisées au lieu de 2 lignes droites.Contrairement aux essais comparatifs classiques avec une seule analyse à la fin de l’étude, cette méthode a l’avantage de permettre l’arrêt du recrutement des patients dès que le nombre suffisant pour conclure a été atteint. Elle vise à limiter le nombre de patients recrutés. Cet avantage n’est toutefois constaté que lorsque la différence entre les 2 traitements est rela-tivement importante. Si cette différence est minime, le nombre de patients nécessaire pour conclure peut même être légèrement supérieur à celui d’un essai comparatif classique avec 2 groupes parallèles et 1 seule analyse statistique.Cette méthode a été utilisée en pédiatrie dans l’étude de l’efficacité du métoclopramide dans le reflux gastro-œsophagien du nourrisson (6).

Méthode d’enrichissement en répondeurs

Cette méthode consiste à sélectionner, préalable-ment à l’essai, un sous-groupe de patients répondant

au traitement selon une approche observationnelle non comparative (étude “ouverte”) et à faire ensuite un essai clinique comparatif classique en groupes parallèles comparant le traitement et un placebo dans le seul sous-groupe des patients qui se sont montrés répondeurs en ouvert. Cette approche a pour avantage de diminuer la variabilité de la réponse au traitement, grâce à la plus grande homogénéité du sous-groupe, d’augmenter la puissance statis-tique et, in fine, de réduire le nombre de patients à recruter. Cette méthode a été utilisée à plusieurs reprises en pédiatrie, par exemple dans l’étude de l’efficacité du stiripentol dans l’épilepsie partielle de l’enfant (7).

Méthodes observationnelles de type épidémiologiqueLes méthodes interventionnelles utilisant une comparaison, un tirage au sort pour l’attribution des 2 traitements comparés, le double aveugle et un placebo assurent la meilleure comparabilité entre les 2 groupes de traitement et le plus haut niveau de preuve. Ce type d’approche est surtout utilisé pour les études d’efficacité, beaucoup plus rarement pour les études de sécurité. Il est particulièrement inadapté pour la comparaison de la survenue d’un effet indésirable de faible incidence.Les méthodes observationnelles sont, par définition, non interventionnelles et n’assurent pas la meilleure

Figure. Représentation graphique des résultats d’analyse, selon un test triangulaire (approche séquentielle), des résultats d’un essai clinique en double aveugle comparant le métoclopramide p.o. à un placebo dans le reflux gastro-œsophagien du nourrisson (6).

00

Statistique V

Stat

istiq

ue Z

15

Z = 5,495 + 0,2726 V

Z = 5,495 + 0,28177 V

(V = 20,16 ; Z = 10,99)

105 2015

-5

0

5

10

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Méthodologie et optimisation des études cliniques chez l’enfant DOSSIER THÉMATIQUE

Pharmacopédiatrie

comparabilité entre 2 groupes, en raison de la possi-bilité d’introduction de biais qui tiennent en grande partie à l’absence de tirage au sort. Elles sont surtout utilisées pour évaluer la sécurité des médicaments mais presque jamais pour évaluer leur efficacité.Néanmoins, lorsqu’un essai clinique comparatif en double aveugle contre placebo n’est pas possible – comme cela peut être le cas pour des médicaments déjà très largement utilisés hors AMM par des prati-ciens convaincus de l’efficacité du produit et qui n’imaginent pas pensable de faire une comparaison contre placebo –, ou quand la maladie est très rare, la démonstration de l’efficacité du traitement est hors de portée par les méthodes de référence (8). Dans ce cas, que peuvent apporter les méthodes observationnelles ? Quand l’effet du traitement est très important, l’expérience, par simple observa-tion, permet de constater qu’il n’est pas nécessaire de faire un essai comparatif versus placebo pour juger de l’efficacité du traitement en question. C’est le cas notamment pour l’étude d’efficacité du para-chute. La méthode observationnelle, dans ce cas d’effet du traitement très important, permet de juger de l’efficacité avec un bon niveau de preuve malgré l’impossibilité de faire une comparaison et de démontrer une différence statistiquement signi-

ficative (9). Les études observationnelles dans la démonstration de l’efficacité d’un médicament ne sont pas utilisées pour apporter un niveau de preuve suffisant pour obtenir l’AMM. Néanmoins, chez l’enfant, dans les 2 situations citées précédemment (impossibilité de faire l’essai ou effet du traitement très important), conduisant à l’impossibilité de faire une évaluation méthodologiquement rassurante, il ne faut pas exclure la possibilité d’examiner les données d’observation. Cela est, bien entendu, un important sujet de controverse qui appelle à davantage de recherche pour mieux définir la place de cette approche dans un nombre de cas limité et bien défini.

Conclusion

Ces différentes approches, dites “innovantes”, permettent, dans un certain nombre de cas, de limiter le nombre de patients recrutés et, du même coup, de limiter l’invasivité de la procédure auprès de la population pédiatrique. Leur utilisation est encore relativement restreinte et elles doivent faire l’objet de davantage de recherches, notamment au cours du développement des médicaments. ■

1. Regulation (EC) no 1902/2006 of the European Parlia-ment and of the Council of 20 December 2006 amending Regulation 1901/2006 on medicinal products for paedia-tric use. http://ec.europa.eu/health/files/eudralex/vol-1/reg_2006_1902/reg_2006_1902_en.pdf2. Revised priority list for studies into off-patent paediatric medicinal products. http://www.ema.europa.eu/docs/en_GB/document_library/Other/2009/10/WC500004017.pdf3. Manolis E, Pons G. Proposals for model-based paediatric medicinal development within the current European Union regulatory framework. Br J Clin Pharmacol 2009;68:493-501.

4. Desfrere L, Zohar S, Morville P et al. Dose-finding study of ibuprofen in patent ductus arteriosus using the continual reassessment method. J Clin Pharm Ther 2005;30:121-32.

5. Treluyer JM, Zohar S, Rey E et al. Minimum effective dose of midazolam for sedation of mechanically ventilated neonates. Clin Pharm Ther 2005;30:479-85.

6. Bellissant E, Duhamel JF, Guillot M, Pariente-Khayat A, Olive G, Pons G. The triangular test to assess the efficacy of metoclopramide in gastroesophageal reflux. Clin Pharmacol Ther 1997;61:377-84.

7. Chiron C, Tonnelier S, Rey E et al. Stiripentol in child-hood partial epilepsy: randomized placebo-controlled trial with enrichment and withdrawal design. J Child Neurol 2006;21:496-502.

8. Bensouda-Grimaldi L, Chalumeau M, Mikaeloff Y, Pons G. Pharmaco-epidemiology to evaluate medicines in pediatric patients. Arch Pediatr 2008;15:814-6.

9. Smith GC, Pell JP. Parachute use to prevent death and major trauma related to gravitational challenge: systematic review of randomised controlled trials. BMJ 2003;327:1459-61.

Références bibliographiques