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1 Musubu, nouer En présentant le lien dans le chapitre précédent, nous n’avons pu éviter d’évoquer le nœud. Lien noué (en-musubi), nœud entre consanguins (yukari-musubi), serments noués (chigiri o musubu), destins noués (sukuse-musubi), liens sociaux de ceux que relie (musubu) le partage d’une même information (jô-en)... Liens et nœuds vont indubitablement de pair, là-bas comme ici. L’action de nouer fait d’ailleurs sans doute partie des thèmes les plus communs et les plus partagés par toutes les cultures du monde. Le nœud intervient dans le vêtement, l’architecture, les armes, les outils de chasse et de pêche, les instruments de musique... Certains spécialistes japonais ont estimé que l’on retrouvait, quelle que soit la latitude, toujours quatorze sortes de nœuds, les nœuds essentiels de l’humanité outillée en quelque sorte 1 . On a d’autre part montré depuis longtemps l’universalité des correspondances symboliques du nœud 2 . « D’une façon générale, nous pouvons dire que, dans tous les cas que nous avons considérés, le caractère essentiel du nœud ou de la serrure magique est que, conformément à sa nature physique, il sert toujours d’obstacle, d’empêchement, et que son influence est malfaisante ou bienfaisante selon que ce qu’il empêche est bon ou mauvais » 3 . En bref, résume Eliade (1962 : 247) à propos du nœud et du lien, « on pourrait dire que leur rôle est d’agencer toute unité vivante, aussi bien le Cosmos que l’homme ». Au Japon aussi sans doute... encore faut-il en retracer les modalités. Les pratiques qu’il faudrait envisager pour faire un tour complet de la question sont pourtant trop nombreuses pour que nous puissions les évoquer ici en détail. Nous nous intéresserons par contre à ce qui les sous-tend : le rapport établi dans la langue et la tradition religieuse japonaise entre nouer et générer. Après avoir passé en revue les différentes nuances du mot verbal musubu, nous rappellerons quelques pratiques 1 Nukada (1972 : 237). 2 Frazer, Tabou et les périls de l’âme, (1890), en particulier « Tabou sur les nœuds et les bagues », trad. française t.1 (1981 : 652-665). Eliade (1952 : 120-163) « Le dieu lieur et le symbolisme des nœuds », (1993 : 233-277) « Cordes et marionnettes ». Durand (1992 : 55, 116-118, 185-88, 370-72). 3 Frazer (1981 : 661).

Musubu, nouer - japethno · 2007-09-11 · contraction de mure 聚, « rassemblement », « groupe », et subu 總 (総 dans sa nouvelle graphie), « unifier », « rassembler »

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Musubu, nouerEn présentant le lien dans le chapitre précédent, nous n’avons pu éviter

d’évoquer le nœud. Lien noué (en-musubi), nœud entre consanguins (yukari-musubi),

serments noués (chigiri o musubu), destins noués (sukuse-musubi), liens sociaux de

ceux que relie (musubu) le partage d’une même information (jô-en)... Liens et nœuds

vont indubitablement de pair, là-bas comme ici. L’action de nouer fait d’ailleurs sans

doute partie des thèmes les plus communs et les plus partagés par toutes les cultures

du monde. Le nœud intervient dans le vêtement, l’architecture, les armes, les outils de

chasse et de pêche, les instruments de musique... Certains spécialistes japonais ont

estimé que l’on retrouvait, quelle que soit la latitude, toujours quatorze sortes de

nœuds, les nœuds essentiels de l’humanité outillée en quelque sorte1. On a d’autre

part montré depuis longtemps l’universalité des correspondances symboliques du

nœud2. « D’une façon générale, nous pouvons dire que, dans tous les cas que nous

avons considérés, le caractère essentiel du nœud ou de la serrure magique est que,

conformément à sa nature physique, il sert toujours d’obstacle, d’empêchement, et

que son influence est malfaisante ou bienfaisante selon que ce qu’il empêche est bon

ou mauvais »3. En bref, résume Eliade (1962 : 247) à propos du nœud et du lien, « on

pourrait dire que leur rôle est d’agencer toute unité vivante, aussi bien le Cosmos que

l’homme ».

Au Japon aussi sans doute... encore faut-il en retracer les modalités. Les

pratiques qu’il faudrait envisager pour faire un tour complet de la question sont

pourtant trop nombreuses pour que nous puissions les évoquer ici en détail. Nous

nous intéresserons par contre à ce qui les sous-tend : le rapport établi dans la langue et

la tradition religieuse japonaise entre nouer et générer. Après avoir passé en revue les

différentes nuances du mot verbal musubu, nous rappellerons quelques pratiques

1 Nukada (1972 : 237).2 Frazer, Tabou et les périls de l’âme, (1890), en particulier « Tabou sur les nœuds et les bagues », trad. française t.1 (1981 : 652-665). Eliade (1952 : 120-163) « Le dieu lieur et le symbolisme des nœuds », (1993 : 233-277) « Cordes et marionnettes ». Durand (1992 : 55, 116-118, 185-88, 370-72).3 Frazer (1981 : 661).

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religieuses anciennes et nous nous attacherons à éclaircir un point qui a fait couler

beaucoup d’encre dans le monde de l’exégèse shintô, celui de l’assimilation, pour

expliquer la genèse de ce monde, entre les premières divinités citées par le Kojiki et

les divinités du lien amoureux.

Les usages communs du nœud

Un échange, un nœudLe Japon est le pays des nœuds. Outre les nœuds utilitaires, nœuds liés à

l’activité des pêcheurs ou aux travaux paysans, à la guerre, nœuds permettant de

garrotter un prisonnier, de mettre en valeur le corps d’une femme4, il a développé, à

partir des nœuds chinois, une panoplie de nœuds ornementaux (sôshoku-musubi 装飾

結び), de nœuds à utiliser dans des occasions rituelles, plus d’une cinquantaine de

types paraît-il, à qui il a donné des noms de fleurs et d’herbes, d’insectes, d’oiseaux,

de poissons ou de coquillages5. Ces nœuds fleurissent durant l’époque de Heian, leur

usage se développe durant celle de Muromachi, dans le sillage du thé et des arts qui

se mettent alors en place, leur utilisation (occasion, statut de la personne associé au

nœud) se fixant pendant l’époque d’Edo. Aujourd’hui au Japon, pas un cadeau formel

ne s’échange sans être recouvert d’un nœud imprimé sur le papier qui l’entoure (le

4 Le Japon semble être aujourd’hui un grand spécialiste de la pratique du « bondage ».5 Si l’on fait exception des motifs préhistoriques, l’un des premiers nœuds ornementaux serait le agemaki musubi, que l’on retrouve sur la ceinture du bodhisattva Gakkô 月光 dans le pavillon du

Sangatsudô 三月堂, au Tôdaiji, et qui date donc de Nara. Pour ce qui suit, nous nous inspirons de Nukada (1972 : 198-200) dont l’ouvrage constitue une somme impressionnante concernant la culture matérielle relative au nœud au Japon. On n’y trouvera cependant, malgré les conseils accordés par ses deux maîtres vénérés, le folkloriste Yanagita Kunio et l’anthropologue Hasebe Kotondo, que très peu de renseignements sur les usages plus rituels ou symboliques du nœud. Quand l’auteur tente une explication, on reconnaît – énième exemple des mésaventures de l’ethnologue en terre civilisée – la traduction japonaise de Frazer, qui, lui, ne parlait pas du Japon. Nukada, qui par ailleurs a publié un livre sur les cordes et un autre sur les paquets, dans la même collection, possédait une telle connaissance des nœuds japonais qu’il a, à plusieurs reprises, servi d’expert scientifique judiciaire afin de tracer le portrait type du criminel en fonction des nœuds constatés sur le lieu du crime. Car, comme il l’explique, chaque type de nœud peut être rattaché à une activité ou une catégorie sociologique.

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noshi-gami 熨斗紙)6, pas un don d’argent ne s’effectue lors d’une cérémonie sans

que l’enveloppe qui contient les billets ne soit entourée de nœuds appropriés à

l’occasion (mizuhiki 水引), pas une lettre ne s’envoie sans qu’un nœud (le signe

shime 〆) ne soit symboliquement tracé sur son envers, bref : pas une relation ne se

noue sans qu’elle ne soit signifiée par un nœud.

6 Sur l’importance de l’échange et la forme des cadeaux échangés, Cobbi, dont (1993 : 103-116) « L’échange des cadeaux au Japon ».

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Cordons rouges et blancs liés en un nœud décoratif (mizuhiki). En haut en vert : « École de Ginza –

Aborder la communication dans la joie ». Sur le nœud, on peut lire ce haiku : « Ah mizuhiki ! aux

cœurs que tu noues, arrive le bonheur » (mizuhiki ya, musubu kokoroni fuku kitaru).

Nouer, assembler, solidifier : musubu

Musubu est transcrit par un caractère (結) dont la clef est, comme pour

en, le fil (糸). Il désigne, comme arrive à l’exprimer de manière à la fois générale

et précise le Grand dictionnaire de la langue japonaise, le fait de « joindre des

choses qui étaient distinctes et les relier l’une à l’autre ». Nouer, lier cordes et

fils, nouer les branches d’un pin, joindre les paumes des mains pour y recueillir

de l’eau (le caractère chinois employé diffère alors : 掬), joindre les doigts et

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« fabriquer une forme » (tel « nouer un mûdra », in o musubu 印を結ぶ7). Les

extensions de sens se prolongent en deux directions proches : rassembler et

donner une forme avec les mains (c’est l’une des explications du nom donné aux

boulettes de riz, o-musubi, que la maman pétrit avec amour pour l’en-cas de ses

enfants), solidifier (ou encore, comme verbe intransitif, se solidifier, se

cristalliser, comme l’eau qui se transforme en glace, koru 凝る), mais aussi

rassembler ses esprits pour conclure ; fermer (fermer la bouche kuchi o musubu

口を結ぶ), et donc conclure, une discussion, un livre8. Musubu semble en fait

pouvoir se définir autant par l’action (nouer) que par le résultat (le nœud,

musubi, musubi-me « œil du nœud »), une confusion d’ailleurs fréquente dans la

langue japonaise. Le dictionnaire Kojien propose, en première définition du

terme, d’insister sur ce dernier aspect. Musubu, c’est avant tout, pour ses

rédacteurs, « rendre une chose qui ait une forme distincte et ferme » (shikkarito

matomatta katachi no aru mono ni suru しっかりとまとまった形のあるものにする).

Dans le domaine des relations humaines, musubu scelle la relation entre deux

personnes, indique la constitution d’un groupe (kessoku 結束) ou d’un lieu de

réunion (shûketsu 集結).

L’explication des rédacteurs du Kojien est en réalité quelque peu biaisée. Elle

ne part pas des sens de musubu, mais de l’explication étymologique qu’en ont donnée

certains savants des études nationales, et notamment Motoori Norinaga 本居宣長,

7 Sur les mûdra, on pourra se référer à Saunders (1960), ainsi qu’à Strickmann (1996 : 24-25 et passim).

8 Selon le Ki-shô-ten-ketsu 起承転結, principe classique de la rhétorique poétique chinoise toujours très suivi dans les textes qui se veulent « bien écrits » en japonais (les éditoriaux de journaux par exemple), musubi, lu ketsu, désigne le dernier temps de l’exposé, celui qui noue ce qui a été énoncé dans les trois étapes précédentes (respectivement « ouverture », « développement », « transformation »).

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comme nous le verrons plus bas. La science étymologique japonaise est en réalité

bien folklorique, nous aurons l’occasion de le redire. Les savants font plus souvent

preuve d’imagination que de principes de dérivation. Nous ne ferons pas mention ici

des divisions du mot en syllabes, chacune censée contenir un sens univoque quoique

mystique. Des explications qui ont émergé depuis le XVIIIe siècle, deux ont

cependant connu un certain succès et nécessitent d’être retenues9. La première est

donc celle reprise par Motoori, qui milite pour le sens d’âme (hi/bi) qui engendre

(musu). Nous reviendrons sur son argument dans la section suivante. Le poids du

maître explique en partie à lui seul que cette thèse soit constamment reprise. La

seconde, défendue par Tanikawa Kotosuga 谷川士清10, voit dans musubu la

contraction de mure 聚, « rassemblement », « groupe », et subu 總 (総 dans sa

nouvelle graphie), « unifier », « rassembler ». Nouer reviendrait donc à générer ou à

rassembler. Nous discuterons plus loin de la proximité de ces sens, lorsque nous

aurons vu plus en détail quelques anciens usages du nœud au Japon.

9 Pour une présentation des différentes explications des savants de l’époque d’Edo, Ono (1942 : 275-288). L’historien de cette période Tokugawa durant laquelle prirent forme les premiers travaux sur la langue et le vocabulaire japonais, Herman Ooms, note (1998 : 244-247) combien le recours à l’étymologie est une « stratégie » fréquente, et scientifiquement peu convaincante. « Etymology (...) is not a knowledge or a science but a discursive procedure that uncovers meaning by allegedly pushing through to an original an motivated language. It tries to convince us by drawing sequences and consequences – illicit ones, in our eyes. (...) Yet, like a spun, etymology produces a sudden flash in the mind, a cutting insight that exudes an aura of proof ». Cette critique pourrait bien-sûr être appliquée à notre méthode, qui nous fait commencer nos chapitres par une présentation de la généalogie de nos concepts. Il nous semble toutefois que dans une perspective anthropologique qui cherche à rendre compte de logiques sous-jacentes, l’étymologie telle qu’elle est pratiquée par les indigènes doit être prise en compte, indépendamment de la réalité historique de l’évolution du mot, au moins dans un premier temps. Il serait pourtant regrettable que cette position empêche, sous prétexte que tout est discours au même titre, de porter un jugement sur la portée de telle ou telle explication. Nous avons choisi de reprendre certaines explications et d’en rejeter d’autres en fonction de leurs résonances respectives dans le discours commun, mais aussi de la relative solidité de leur bricolage.10 Eminent savant des études nationales, proche de l’Ise et du Suika shintô, Tanikawa Kotosuga (1709-1776) est plus particulièrement connu pour son travail concernant le Nihon shoki, ainsi que son dictionnaire, le Wakun no shiori 和訓栞, dont est tiré cette définition.

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manipulations magiques du nœud dans la littérature classique

Le nœud comme offrande

Il n’est guère besoin de beaucoup chercher pour entendre parler de nœuds

dans les premières œuvres de la littérature japonaise. Le Man’yôshû regorge

d’indications concernant des nœuds que l’on noue, les occasions pour les nouer, les

lieux et le contexte11.

Pour vos jours seigneur

et mes jours à moi garder

à Iwashiro

les herbes de la colline

or çà allons les nouer

Kimi ga yo mo wa ga yo mo shiru ya iwashiro no oka no kusane o, iza

musubitena

君が代も我が代も知らむ磐代の岡の草根を、いざ結びてな

Une jeune femme12, s’adresse à son époux et lui propose d’aller « nouer des

herbes ». On comprend que ce geste compose un rite de longévité, ou en tout cas de

protection. Le lieu n’est pas choisi au hasard : Iwashiro est un col marquant la limite

entre les provinces de Yamato et de Ki. Ce col deviendra d’ailleurs un thème, un

« lieu célèbre » (meisho 名所)13, associé justement à l’acte de nouer, au pin, à un vœu

11 La magie du nœud dans le Japon ancien a été présentée maintes fois par Rotermund depuis 1970, et récemment encore (2000 : 76-117), où l’on trouvera notes et traductions de la plupart des poèmes repris ici. La traduction du poème 10 du Man’yôshû, citée ci-dessous, est celle de Sieffert (1997 : 61).12 La rédactrice, la médium Nakatsu-sumera-mikoto pense-t-on, aurait écrit au nom de l’épouse de l’empereur Jomei.13 Sur ce thème, voir infra partie II.

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effectué à la divinité de l’endroit. C’est ainsi que le Prince d’Arima, fils unique de

l’empereur Kôtoku, s’exclame, alors qu’il s’éloigne de la capitale dans un voyage

qu’il pressent être le dernier14 :

Ce rameau de pin

de la plage d’Iwashiro

noué de la sorte

si par chance je suis sauf

puissé-je au retour le voir.

Iwashiro no hamamatsu ga e o hiki musubi, masakiku araba, mata kaeri mimu

岩代の浜松が枝お引き結び、ま幸くあらば、亦還り見む

Dans une requête présentée à la divinité (ici : « veuillez me garder en vie

pendant mon voyage »), parallèlement au geste magique qui consiste à nouer une

branche de pin, le poème constitue une offrande. Il semble en outre avoir été

accompagné de dons plus substantiels. C’est aussi ce que laisse entendre le chant 142

du Man’yôshû, également attribué au Prince d’Arima, et suivant immédiatement le

premier :

Quand j’étais chez moi,

sur un plat s’offrait le riz

or en ce voyage

où d’herbes est mon appui-tête

sur des feuilles de chêne mon offrande.

Ie ni areba ke ni moru ihi o kusa-makura tabi ni shiareba shihi no ha ni moru

家にあれば、笥に盛る飯を、草枕旅しあれば、椎の葉に盛る

14 Poème 141, traduction Sieffert (1997 : 159).

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On sait que cette pratique d’offrande, alliée à un don de poème ou à une

danse, en des lieux bien spécifiques, est extrêmement ancienne15. Les poèmes

s’adressaient à une divinité locale, divinité d’un carrefour, d’un col, d’une rivière, de

la lisière d’une forêt, d’un lieu saint (temple ou sanctuaire), bref sise en une limite. Si

le nom de la divinité n’est souvent pas mentionné, celle-ci participe à la nature du

lieu, et à sa renommée16. Iwashiro, comme nombre de noms de lieux liés à une

efficace divine, deviendra une expression stéréotypée « porte-poèmes » (uta-makura

歌枕) « c’est-à-dire un toponyme tellement abstrait de sa réalité géographique que,

quasi délocalisé, réduit souvent à une simple épithète, il n’avait pour fonction que

d’éveiller des images »17.

On a souvent souligné le danger qu’il y avait à passer outre l’offrande aux

divinités des limites. Celles-ci protègent certes, mais peuvent toujours se fâcher

quand on les néglige. En fit les frais Sanetaka, qui fut jeté de son cheval et tué par une

force supranaturelle pour n’avoir pas effectué ses dévotions à une divinité sur la route

de Kasashima18. Le Man’yôshû avait pourtant prévenu, comme l’atteste ce conseil,

appliqué à un autre lieu il est vrai19 :

Le jour où franchirez

le mont Iwakuni

15 Plutschow (1979) par exemple.16 Plutschow (1979 : 118) parle de tabou du nom de la divinité. L’association entre une divinité et le lieu où elle est « enchâssée » (chinza 鎮座) est en réalité si forte qu’il est rare qu’une divinité soit désignée autrement que par le nom du lieu où s’effectue son culte, d’autant plus rare que les divinités ne sont généralement pas anthropomorphisées, même s’il leur arrive de se révéler parfois sous forme humaine. Nous préférons donc y voir l’expression de la conception du divin au Japon qu’un tabou à proprement parler.17 Berque (1986 : 228).18 L’histoire est célèbre : les poètes qui suivront n’oublieront pas d’offrir leurs respects poétiques ; Plutschow (1979 : 122-123). Pour un exemple similaire, Rotermund (2000 : 98-99).19 Poème 567, traduction Sieffert (1998 : 57).

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qui est en Suha

veillez à faire vos offrandes

car rude en est le chemin.

Suwa ni aru iwakuni-yama wo koemu hi wa tamuke yoku seyo arashi sono michi

周防にある磐国山を越えむ日は、手向けよくせよ、荒しその道

La forme rituelle que prenait le geste d’offrande n’est pas toujours connue

avec précision, mais il semble bien qu’il était courant qu’un nœud soit effectué, et

laissé devant la divinité, avec des herbes, une branche, ou avec des bandelettes de

tissu ou de papier. Ce geste est aujourd’hui l’un des seuls qui soit réalisé

spontanément par nos contemporains quand ils rendent visite à un lieu saint. Or, s’il

n’est pas sans rappeler dans sa forme la pratique de l’établissement d’un lien avec la

divinité que nous présentions dans la section consacrée au en, l’usage du nœud

semble ici reposer sur une logique différente, qui fait appel à une conception de l’âme

que l’on pourrait dire « prébouddhique ».

Nouer les âmes – Tama-musubi

Nouer un nœud devant une divinité. Il y a là bien sûr une pratique proche de

celles que Frazer décrivait : nouant des herbes, une branche, des fils, une bandelette,

le poète empêche un mauvais sort, le courroux de la divinité. Voilà pour l’effet. Mais

le processus réclame une attention plus particulière. En nouant la branche, le Prince

d’Arima prend une parcelle de son âme et l’offre à la divinité d’Iwashiro, explique

Orikuchi Shinobu20. Les folkloristes japonais insistent d’ailleurs sur le trou que forme

le nœud. Celui-ci fonctionne comme un réceptacle, le dépositoire de l’âme en quelque

sorte. Nouer – dit Orikuchi – est une « technique » (gijutsu 技術) qui permet de relier

20 Orikuchi (1956 : 254-256) qui s’adresse paternellement à de jeunes séminaristes du Shintô pour les convaincre de l’importance de cette pratique. Celle-ci peut aujourd’hui paraître relever de la superstition, dit-il, mais de futurs prêtres se doivent d’en comprendre le bien-fondé.

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des âmes. En offrant une partie de son âme, en intégrant une portion de son principe

vital dans la branche de pin, le prince s’unit à la divinité du lieu et peut espérer en

effet, après s’en être éloigné, être poussé à revenir près d’elle. Les deux morceaux

d’âme agiraient comme les pôles d’un aimant attirant à la ré-union21.

Si le geste est religieux donc, on le retrouve très souvent évoqué dans un

contexte relevant de la magie amoureuse22.

La porte de ma mie

ne pouvant passer

je lie des herbes

Que le souffle du vent ne les dénoue pas

car la veux revoir

Imo ga kado yukisugi kanete kusa-musubi kaze fuki tokuna mata kaheri mimu

妹が門行き過ぎかねて風吹き解くな、またかへり見む

Ici empêché (par sa timidité ?) de rencontrer sa belle, le jeune homme noue

des herbes sur le seuil, et s’attache à la demeure, en attendant de pouvoir y pénétrer.

Pour un couple, nouer était gage de fidélité. La femme (ou l’homme, mais les

mentions sont moins nombreuses) nouait les cordons du vêtement de dessous de son

21 Le rite a d’ailleurs été efficace puisqu’on laissa le prince revoir le pin, avant de l’étrangler d’un lien plus néfaste.22 Poème 3056. Notre traduction s’inspire de celles de Sieffert (2003 : 253) et de Caillet (in Rotermund, 2000 : 104).

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amant au moment du départ de celui-ci23 : lui offrant une parcelle de son âme dans le

nœud, elle l’assurait de sa présence spirituelle auprès de lui, protection souhaitée pour

le voyage, et cherchait sans doute également à lui interdire de nouer d’autres liens.

Pour un homme, voyager « cordons noués » signifiait effectuer un trajet en

célibataire, dans la langueur de l’amoureux déplorant, dans le vent solitaire, l’absence

de l’autre24 :

En Awaji

du cap de Noshima

au vent de la plage

je laisse retourner

les cordons que noua ma mie

Awaji no noshima no saki hamakaze ni, imo ga musubishi himo fuki kahesu

淡路の野島の崎の浜風に妹が結びし紐吹き返す

Mais la magie n’empêchait pas toujours l’homme d’être volage, il lui suffisait

de connaître la parade25 :

À cause d’une fillette

23 On retrouve dans le lai de Guigemar de Marie de France (1977 : 27-71) mention d’une pratique proche dans l’art courtois du XIIe siècle. L’amante fait au pan de dessous de la chemise de son amoureux « un noeud que nulle femme ne saurait défaire sans ciseaux ou couteau ». Lui « exige qu’elle le rassure sur sa propre fidélité en portant une ceinture, dont lui-même entoure sa chair nue ». Puis ils s’embrassent « et les choses en restent là » (vers 557-576). L’un et l’autre se donnent le droit d'aimer celui ou celle qui sera capable de défaire la ceinture ou la chemise sans couper ou briser le nœud. Bien des nobles chevaliers et des gentes dames vont essayer d’ailleurs : on est dans une culture du défi et de la compétition. Mais seul l’amant unique et véritable est capable de défaire le nœud, sa prouesse étant moyen de reconnaissance (vers 799-821). Le nœud est ici un symbole au sens le plus étymologique du terme.24 Poème 251, traduction Sieffert (1997 : 249) qui propose de considérer que si le poète laisse les cordons noués se faire retourner par le vent c’est que celui-ci souffle dans le sens d’un retour espéré.25 Poème 3427, traduction Sieffert (2003 : 25).

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mignonne qui est en Tsukushi

en Michinoku

je dénoue les cordons d’une robe

que noua celle de Katori.

Le nœud devient alors une métaphore de cet échange de serments (chigiri)

dont on a dit qu’il était confondu avec les ébats érotiques.

Quoi qu'il en soit, il s’agit, en nouant, d’arrêter, de fixer les âmes. Celles-ci

sont en effet éminemment mobiles, et, si l’on voulait bien en faire l’offrande de

quelques éclats, on craignait aussi qu’elles ne s’échappent subrepticement du corps.

Un amour trop fort était justement l’une des causes réputées d’une perte d’âme

provoquant le dépérissement et la mort. L’amoureux, obnubilé par son amour, risquait

littéralement de perdre ses esprits, de laisser échapper trop complètement son âme qui

ne désirait qu’une chose : rejoindre la bien-aimée. Ainsi s’explique cette réponse –

galante – du séducteur à qui l’amoureuse avait fait dire qu’il était venu la visiter en

rêve26 :

Ce doit être mon âme

qui à trop penser à vous

est sortie

Si, au profond de la nuit, vous l’apercevez,

Liez mon âme27

Omohi amari idenishi tama no arunaran yo bukaku mieba tama-musubi seyo

26 On trouvera d’autres exemples in Yasue (1978 : 186-188).27 Ise monogatari, 110, traduit par Laurence Caillet (in Rotermund, 2000 : 104) qui précise une forme rituelle de nouement de l’âme : « on entonnait trois fois le hitodama o miru uta ou « chant de vision d’esprits humains », puis on nouait ensemble les extrémités des pans du kimono (pour les hommes vers la gauche, pour les femmes vers la droite). On les dénouait trois jours plus tard ». Le rite avait déjà été présenté par Haguenauer (1977 : 339), qui mentionne le terme musubi-todomeru « retenir l’âme en l’attachant », et insiste sur le fait que le nouement des pans de vêtements allait de pair avec la récitation « d’un écrit (...) probablement d’un sûtra tantrique ». La traduction de Renondeau saute la mention du nœud.

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思ひあまり出でにし魂のあるならん、夜ぶかく見えば魂むすびせよ

L’âme dont nous parlons est vue comme un agrégat d’esprits vitaux, les tama

(玉, 魂, 霊 pour les trancriptions les plus courantes), forces résidant dans les êtres

humains comme dans les animaux, les végétaux, les pierres, les objets28. Les tama

sont volatiles, voyagent, se posent ou dépérissent. Leur accroissement ou leur

affaiblissement expliquent la plus ou moins grande force des hommes, leur état de

santé. Donner des tama en offrant des objets censés en contenir (tel était également le

sens des tributs offerts à l’empereur ; Haguenauer (1977) par exemple), transférer des

tama en les nouant à la personne, étaient des gestes qui augmentaient la force vitale

du bénéficiaire, qui permettaient de le protéger donc, mais aussi de mêler son âme à

la sienne, de participer à son existence. Bénéfique, voire désirée dans le cas d’amants,

cette participation peut également être redoutée et s’apparenter à un phénomène de

possession29. Ainsi, si le poème 3766, repris ci-dessous, paraît bien chanter ces gestes

qu’on aime avoir entre amants, le poème qui le suit est plus ambigu et pourrait

montrer le danger, la lourdeur, d’une âme donnée trop fréquemment30.

S’il vous plaît trouver

cet objet à votre goût

portez-le noué

à vos cordons de dessous

28 Nous ne rentrerons pas dans des discussions de spécialistes. Rappelons seulement pour expliquer notre choix du singulier ici cette métaphore de Motoori, qui compare le tama au feu qui peut être faste ou néfaste, et se dédoubler à l’infini sans perdre sa nature de feu ; Motoori (1957 : 552-553), rappelé par Caillet (1991b : 22-23). 29 L’une des scènes les plus célèbres du Genji monogatari raconte ainsi combien mortelle peut être, à son insu, l’âme d’une femme jalouse. Yûgao, traduction Sieffert (1988 : 138-141).30 Traduction Sieffert (2003 : 99). La traduction parrallèle des deux derniers vers du poème 3767 est due à Laurence Caillet (in Rotermund, 2000 : 105). Le commentateur de l’édition japonaise (Man’yôshû, vol. 4, 1975 : 94) propose de comprendre le poème 3766 comme suit : « Si vous m’aimez, accrochez donc cet objet à vos cordons de dessous et pensez à moi sans cesse ». Le mystère concernant l’objet reste entier.

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et pensez à moi sans cesse

Uruwashito omohishi omowaba shitabimo ni yuhitsuke mochite yamazu

shinowase

愛しと思ひし思はば下紐に結ひ付け持ちて止まず偲はせ

Votre âme certes

chaque matin et chaque soir

je la reçois

mais ma poitrine est dolente / mais ma poitrine souffre

tant est dru désir d’amour / de ma hantise amoureuse

Tamashii wa ashita yûhe ni tamafuredo aga mune itashi koi no shigeki ni31

魂は朝夕に賜ふれど、我が胸痛し恋の繁きに

Il existait heureusement des rituels permettant de calmer les âmes trop

violentes, et de les ramener, assagies, bien fixées au sein du corps (chinkon 鎮魂, lu

encore tama-shizume ou tama-furi)32. Des pratiques proches se constatent dans les

rites contemporains menés par des spécialistes du religieux non institutionnel, comme

les médiums33.

31 Haguenauer (1977 : 336) propose : « Matin et soir, je fais le tamafuri ; ma poitrine débordante d’amour ne m’en fait pas moins mal ».32 Nous ne saurions décrire ici l’histoire et la logique complexes de ces rites. On se reportera à Haguenauer (1977 : 300-350) « La danse rituelle dans la cérémonie du chinkon-sai », aux articles de Rotermund déjà cités, ainsi qu’à Macé (1986 : 330-331). Le rituel du Chinkon-sai 鎮魂祭, lié à la

personne impériale et élaboré vraisemblablement vers la fin du VIIe siècle, est souvent présenté comme permettant de mieux appréhender la vision de l’âme qui avait cours à l’époque. Notons qu’il comprenait effectivement un temps dédié au nouement de l’âme (tama-musubi 玉結び) où il convenait

de nouer des fils, dont le « fil pour attacher l’âme », mi-tama musubi ito 御玉結糸 ; Yasue (1978 : 178-181), Haguenauer (1977 : 321-322). D’autre-part, le culte était effectué (jusqu’à la restauration de Meiji) devant les Musuhi no kami, conviés par l’empereur « afin de réintroduire l’énergie vitale des origines au sein du monde des humains » ; Caillet (1991b : 15). Il semble difficile de négliger la proximité attestée ici de musuhi et musubi.33 Pour une discussion de la définition de la possession au Japon, Bouchy (1992, et en particulier p. 242-246 et 252-254) dont le livre est un rare témoignage explicitant comment elle est vécue par les médiums contemporains. Voir également, pour une argumentation plus scientifique, Bouchy (2000, 2001). Pour une explication campagnarde de la conception de l’âme, Caillet (1991 : 26-28).

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Le nœud comme manipulation magique

Le nœud est donc une technique permettant de lier les âmes et constitue un

motif entrant dans un grand nombre de rituels magiques, et en particulier de la magie

amoureuse. Rotermund (2000b : 157) donne quelques exemples de formules

magiques (majinai-uta 呪い歌) employées à cet effet :

Nos ceintures - obi

qui les a, en Hitachi,

liées par un nœud ?

oreillers entremêlés

toi et moi, notre amour

Hitachi obi, tare ka musubite, niitoku ni, makura tokarenu, kimi to waga naka

Hitachi-obi

depuis d’innombrables ères

se transmet ce geste,

quel bonheur de faire ce nœud

pour la première fois

Iku kami no, yo ni tsutaekemu, hitachi-obi, musubi someru ni, au zo ureshiki

Ces poèmes évoqueraient un rituel exécuté autrefois dans le sanctuaire de

Kashima-jingû 鹿島神宮, aujourd’hui département d’Ibaragi, le quatorzième jour du

premier mois, soit lors du petit nouvel-an, afin de déterminer le partenaire d’une

union ou de lier ensemble deux amants. Le desservant du sanctuaire liait un nœud

dans la ceinture (obi 帯) de lin que l’un des amants lui apportait, ceinture sur laquelle

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avait été inscrit préalablement le nom du partenaire. Une femme ne sachant choisir

pouvait, elle, préparer autant de ceintures qu’elle avait de prétendants (il lui fallait

écrire sur chacune d’elles le nom d’un homme ainsi que son nom propre). Elle les

plaçait devant les divinités. La ceinture qui se retournait désignait le nom du gagnant.

Le kannushi liant alors l’obi, établissait ou consolidait le lien entre les deux personnes

qui avaient été désignées comme prédestinées34.

L’influence du bouddhisme ésotérique sur la magie populaire n’est plus à

démontrer. Strickmann, qui s’étonnait de voir de ses propres yeux au Japon des rites

tantriques qui avaient depuis longtemps disparu de leur terre d’origine, note à

plusieurs reprises l’importance du nœud. Il rapporte par exemple (1996 : 114-115

entre autres) que selon le Livre de consécration35, « les incantations (...) devaient être

nouées », c’est-à-dire que l’officiant devait nouer un ou plusieurs fils chaque fois

qu’il prononçait le nom d’une puissance, « en vertu de l’immémoriale pratique

indienne ». D’autre part, si « l’identification, ou l’union, de l’officiant avec la divinité

représente la caractéristique la plus importante du rite tantrique », l’une des

34 Rotermund explique que ce rite semblait déjà être considéré comme une tradition légendaire à la fin de Heian. Le lieu et la pratique était en tout cas si connu que Hitachi-obi 常陸帯 devint un mot-oreiller, comme Iwashiro vu plus haut. Un certain nombre d’éléments (écrire le nom des deux partenaires sur un même charme, nouer un lien, présenter ce lien devant les divinités, nouer différents liens et laisser la divinité désigner lequel est le bon) sont notables dans des pratiques contemporaines qui dépassent le cadre restreint du sanctuaire de Kashima. Notons que le sanctuaire, situé à la limite occidentale du territoire civilisé, est un lieu de culte connu sur l’ensemble du territoire (Butel et Griolet, 1999). Définir la divinité principale est complexe, mais l’on peut penser que son culte se rapporte à celui d’une divinité serpent (Yamamoto Hiroko, 2000 : 120-123). Nous verrons dans la troisième partie que ceci a son importance. Sur le petit nouvel-an, cf. infra, chapitre consacré aux dôsojin.35 Rédigé au milieu du Ve siècle en Chine, le Livre de consécration, est le plus ancien ouvrage à décrire des pratiques magico-religieuses qui connaîtront une réelle popularité ; Strickmann (1996 : 82-87).

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techniques permettant cette union était justement la composition de nœuds36.

S’il semble difficile d’expliquer le Man’yôshû en référence à des pratiques

tantriques, il est très probable que les traditions, si proches dans leur esprit, se soient

superposées et que l’on puisse voir l’influence historique de l’une et de l’autre dans

les rites codifiés à une époque plus tardive, tels ceux que présente Rotermund.

Nouer et générer – musubi/musuhi

Il est possible d’aller plus avant dans notre compréhension du nœud au Japon

en considérant l’assimilation qui a été faite entre la catégorie des divinités que l’on

prie pour être bien noué (musubi no kami) et les premières divinités du Kojiki

(musuhi/bi no kami 産巣日神, 産霊神, 魂神)37. L’affaire a déjà fait frotter beaucoup

d’encre chez les spécialistes japonais. Nous allons essayer de la résumer car elle nous

semble particulièrement éclairante quant à la proximité du nœud et de

l’engendrement.

La genèse selon le Kojiki – Musuhi no kami

36 (1996 : 84). Strickmann établit un rapport – qu’il pense vérifiable très largement en Asie du Sud-Est et en Extrême-Orient – entre les rites de naissance, où le cordon ombilical, coupé, fait l’objet d’attentions particulières, et l’institution d’autres liens, au cours de cérémonies où, par des nœuds, on attache à la vie. Le schéma paraît bien fonctionner au Japon. Sur le cordon ombilical, heso no o 臍の

緒, Caillet (1991 : 20-21).

37 Les caractères choisis pour la notation ne permettent pas de déterminer s’il y avait sonorisation ou non de la syllabe finale. Les avis ont divergé. Les commentateurs contemporains préfèrent lire musuhi contre toute la tradition exégétique qui les précède, des études nationales aux spécialistes du shintô de l’immédiate après guerre. Nous les suivons pour pouvoir mieux distinguer divinités des nœuds et divinités des mythes. Voir également ci-dessous, note 47.

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[The beginning of Heaven and Earth]38

The names of the Deities that were born in the Plain of High Heaven (Takama-

no-hara) when the Heaven and Earth began were the Deity Master-of-the-August-

Centre-of-Heaven (Ame-no-mi-naka-nushi-no-kami), next the Hight-August-Producing-

Wondrous-Deity (Taka-mi-musu-bi-no-kami), next the Divine-Producing-Wondrous-

Deity (Kami-musu-bi-no-kami). These three deities were all deities born alone, and hid

their persons39.

天地初発之時、於高天原成神名、天之御中主神。次、高御産巣日神。次、神

産巣日神。此三柱神者、並独神成坐而、隠身也。

[Shohatsu no kamigami]

Amatsuchi hajimete arawareshi tokini, Takama no hara ni narishi kami no na

wa, Ame no mi-naka nushi no kami. Tsugi ni, Taka mi-musuhi no kami. Tsugi ni, Kamu-

musuhi no kami. Kono mihashira no kami wa, tomoni hitorigami to narimashite, mi o

kakushiki.

[初発の神々]

天地初めて発れし時に、高天原に成りし神の名は、天之御中主神。次に、高御

産巣日神。次に、神産巣日神。此の三柱の神は、並に独神と成り坐して、身を隠しき。

Ainsi commence donc le texte proprement dit du Kojiki, et la création du

monde, par la naissance, ou plutôt l’émergence, l’une après l’autre, dans la haute

plaine céleste, de ce que l’exégèse moderne désignera par l’expression « les trois

divinités de la création » (zôka no sanshin 造化三神). Apparues d’elles-mêmes, par

génération spontanée, celles-ci aussitôt « cachent leur corps » – expression

mystérieuse qui a donné lieu à de nombreuses interprétations – et disparaissent même

complètement du récit. La genèse se poursuit, apparemment indépendamment de cette

première triade.

38 Les intertitres, indiqués entre crochets ici, sont des rajouts au texte original dûs aux commentateurs modernes du Kojiki.39 Kojiki (1997 : 29). Traduction Chamberlain (1990 : 15).

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Le nom de Taka mi-musuhi se retrouve toutefois, sans que l’on sache vraiment

s’il l’on parle de la même chose, lorsque les divinités célestes se donnent pour tâche

de pacifier le monde d’en bas, de fabriquer le pays (kuni-tsukuri 国作り) qui

deviendra le Japon. Il forme alors une paire avec la grande déesse solaire Amaterasu,

avec laquelle il réunit les divinités pour décider des émissaires à envoyer, des mesures

à prendre40.

Notons encore que celui qui inventa le stratagème qui permit de faire sortir de

sa grotte la grande déesse, alors que l’univers était plongé dans les ténèbres, est

Omohikanu no kami 思金神, dont il est précisé qu’il est le fils de Taka mi-musuhi41.

Kamu/Kami musuhi est lui mentionné une seconde fois dans le Kojiki sous le

nom de Kami musuhi no mi oya no mikoto 神産巣日御祖命. Si son action n’est pas

très claire42, il est à noter que sa présence est liée à l’apparition des céréales issues du

cadavre de la déesse Ô-getsu hime no kami, tuée par Susanoo no Mikoto.

Il apparaît encore par trois fois, et semble particulièrement lié au cycle

d’Izumo : c’est lui qui, du ciel, envoie deux divinités pour redonner vie une première

fois à Ô-ana muji no kami, le futur grand maître du pays d’Izumo (Ô-kuni nushi),

assassiné par ses frères jaloux de son succès amoureux43 ; c’est encore lui qui

confirme être le père de Sukuna-biko na no kami, supplément d’âme du même Ô-ana

muji, qui aidera ce dernier à pacifier et consolider le pays d’Izumo44 ; c’est vers lui

40 Kojiki (1997 : 99, 101, 103). Dans le dernier épisode, il porte le nom de Takagi no kami 高木

神, dont il est explicitement dit qu’il s’agit d’un autre nom de Taka mi-musubi no kami.

41 Kojiki (1997 : 64).42 La lecture contemporaine (Kojiki, 1997 : 68) diffère ici de l’interprétation de Motoori reprise par Chamberlain (1990 : 1-17).43 Kojiki (1997 : 79). Nous reparlerons de cette divinité, aujourd’hui l’une des plus célèbres divinités du lien amoureux, au chapitre III.44 Kojiki (1997 : 95).

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enfin que l’on se tourne à la fin du cycle d’Izumo, lorsque Ô-kuni nushi accepte de

remettre le pays apaisé à la descendance céleste45.

Si la présence des Musuhi no kami reste donc discrète, on peut repérer tout de

même une certaine logique dans leurs interventions : présents à l’origine, évoqués

lors de la renaissance de la plaine céleste après la disparition momentanée du soleil,

présidant à la naissance des céréales, ils sont également cités lors des moments

importants de la création du pays sur lequel finira par régner la dynastie. Ils

interviennent donc à des moments clefs de création.

Relativement oubliés dans le système rituel de la cour cependant46, il faudra

qu’ils attendent les savants du XVIIIe siècle pour être remis au centre des débats. Les

philologues expliqueront leur nom, en se basant sur la transcription qu’en donnait le

Nihon shoki (産霊神), comme expression d’une force insigne (霊) qui

engendre (産)47.

45 Kojiki (1997 : 112). Disons, pour faire court, que le Nihon shoki, moins intéressé par les spéculations mythiques, accorde une place bien moins importante aux Musuhi no kami : ils ne viennent pas en première position dans la création du monde ; Kami musuhi n’est plus jamais cité après son apparition, alors que Taka musuhi est impliqué à sa place dans la pacification du pays. Il est par contre fait mention de rites offerts à ce dernier, considéré comme celui qui a donné le pays à la lignée impériale. Sur la différence du regard porté sur la tradition entre Kojiki et Nihon shoki, Macé (1994).46 Orikuchi (1956 : 259) fait remarquer combien leur statut était peu élevé. Les Musuhi no kami étaient célébrés dans un paquet de huit divinités, dont cinq portaient l’attribut « musuhi », Kamu musuhi et Taka mi-musuhi, Iku-musuhi no kami 生産日神, Taru-musuhi no kami 足産日神,

Tamatsume musuhi no kami 玉留産日神, Kotoshiro-nushi no kami 事代主神, Miketsu-kami 御食津

神, Ô-miya no me no kami 大宮売神. Il faut cependant remarquer que c’est devant elles qu’étaient célébrés les rites de nouement lors du Chinkon-sai ; Yasue (1978 : 186-188).47 Les Musuhi no kami n’arrivent pas avant la quatrième version de l’origine du monde proposée par le Nihon shoki. Les noms des divinités sont retranscrits respectivement 高皇産霊尊 et 神

皇産霊尊. Suit cette précieuse précision concernant la prononciation des trois caractères du milieu : 皇

産霊、此云美武須毘, 皇産霊、此には美武須毘(みむすひ)と云う (« les trois caractères du milieu se prononcent mi-mu-su-hi »). Les commentateurs contemporains précisent (Nihon shoki, 1994b : 21, n.17) que le dernier caractère (毘) doit se prononcer <hi> (consonne sourde), alors que le Kojiki a choisi de sonoriser la syllabe (bi).

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Donner naissance, musu

Dans l’analyse du terme musuhi, l’explication de Motoori Norinaga a eu

tellement d’impact qu’elle est devenue explication canonique et mérite d’être

rappelée ici48.

Musu, transcrit avec les caractères 産巣, vient de musu (生 « donner

naissance »). On le retrouve dans les mots musu-ko [« fils », littéralement « enfant

engendré », mais selon les caractères choisis par Motoori « enfant masculin »], musu-

me [«fille engendrée », « enfant féminin »] ou encore quand on parle de la

prolifération de la mousse (koke no musu 苔の牟須). Il désigne l’émergence des

choses. (...). Hi/bi (日) a été transcrit avec le caractère désignant l’âme (霊) dans le

Nihon shoki, ce qui semble particulièrement bien choisi. Il désigne le fait que tout vient

de l’âme insigne (kushibi 霊異) des choses. (...)

Toutes les choses qui existent en ce monde, à commencer par le ciel et la terre,

l’infinité des choses matérielles, des phénomènes, absolument toutes les choses, ont

émergé de par l’âme procréative de ces deux augustes divinités Musuhi.

Musu wa musu nari, sore wa musuko musume, mata koke no musu nado iu musu

nite, mono no nariezuru o iu, (...) hi/bi wa shoki ni musuhi to karetaru tama no ji yoku

atareri, subete mono no kushibi naru o kore to iu. (...)

Yo no naka ni ari to aru koto wa kono tenchi o hajimete yorozu no mono mo koto

mo kotogotoni mina kono futahashira no musuhi no ômikami no musuhi ni yorite

nariezuru.

産巣は生なり、其は男子女子、又苔の牟須など云牟須にて、物の成出るを云、

(略)日は書記に産霊と書れたる、霊の字よく當れり、凡物の霊異なるを比と云(略)

世の中に有とあることは、此天地を始めて、萬の物も事業も悉に皆、此二柱の

産巣日大御神の産霊に資て成出る。

Hi, considéré, en fonction de sa grande apparition dans les noms divins,

48 Motoori (1968 : 128-131).

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comme un suffixe s’appliquant aux divinités, et désignant une force, une âme insigne,

ne fait pas l’objet de discussions contradictoires. Le terme de musu, par contre, a

déclenché de nombreuses explications sur ce qui fait la spécificité de la genèse au

Japon. Motoori en fait l’équivalent de umu, « donner naissance », qui peut se

transcrire effectivement par le caractère 産, utilisé pour rendre la première syllabe de

musuhi49. Dans un texte célèbre daté de 1972, le philosophe Maruyama Masao 丸山

真男 reprenait cette théorie et cherchait à expliquer le fondement de la conscience

historique japonaise en opposant trois modes de génération liés à trois verbes

japonais : tsukuru (« fabriquer »), qui nécessite un créateur et une volonté ; umu

(« donner naissance »), qui fait du monde le résultat d’actes divins de reproduction

sexuée ; naru (« devenir »), qui sous-entend que l’univers est produit par une force

spirituelle qui lui est intrinsèque. Le commencement du Kojiki est alors cité en

exemple de ce dernier mode50.

La même année, Yoshino Yutaka 吉野裕 contestait ce genre d’interprétations

en faisant remarquer que si naru suppose l’existence d’une graine, musu ne réclame

pas cette condition. Il proposait de considérer musu comme une force qui s’étend sans

limite et se réduit sans limite, ce qui expliquerait que le corps des divinités ait été

49 Remarquons que la seconde syllabe est notée 巣, qui désigne le nid, et appartient donc également à la sphère de la procréation. La contraction par chute de la voyelle initiale (umu —> mu) n’est pas rare en japonais ancien ; Kotanski (1986 : 15).50 Maruyama (1996 : 7-16). Pour tenter une comparaison avec nos ancêtres grecs sur la base des définitions stimulantes proposées par Marcel Detienne (1998 : 114-115), tsukuru serait de l’ordre du ktizein (défricher, construire, domestiquer et aménager une terre sauvage, fonder, créer), umu de l’arkhe (« point de départ du mouvement de la chose », « élément premier et immanent de la génération », « chose aussi bien qu’agent »). La plus grande différence restant qu’il n’y a pas d’individualisation de ces concepts comme on le constate dans le monde grec : si musubu peut signifier force qui « meut ce qui meut », il semble impossible de le penser en terme d’être à la volonté réfléchie (prohairesis). D’autre part, alors qu’arkhe semble se rapporter au cœur, à la tête, ou à une partie du corps au-dessus des hanches, en tout cas à ce qui est le fondement du corps humain, le seul organe qui pourrait être mis en relation avec musubu est le sexe masculin, appelé, dans une langue relevant de l’argot érotique, musuko, le fils, dont il n’est pas certain qu’il soit au centre de la vision japonaise du corps.

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caché après leur apparition51. Cette explication nous a souvent été redite, transcodée

en termes de big-bang et de théorie d’un univers s’enflant et se contractant, par les

religieux que nous avons interrogés, de Tôkyô aux pentes du Daisen, en passant par le

mont Tsurugi en Shikoku. Elle semble faire partie d’une glose shintô récente dont

nous n’avons pas retrouvé l’origine exacte.

Derrière la querelle des mots, tous les spécialistes s’accordent toutefois pour

penser que la genèse se fait, dans son premier stade, par émergence spontanée

d’entités qui sont au principe de la création qui s’ensuit. Mais de quel principe s’agit-

il ? Les savants des études nationales ont tenté d’expliquer la trinité première en

faisant appel à des considérations relevant, avouons-le, plus du taoïsme que du Shintô

préchinois qu’ils cherchaient à retrouver. On expliqua donc que la première divinité à

être apparue au milieu du ciel, Ame-no-mi-naka-nushi, se divisa, dans son

mouvement d’engendrement, en deux divinités, l’une masculine (Taka mi-musuhi,

puiqu’elle est la première), l’autre féminine (Kami musuhi, puisqu’elle vient après).

Précision importante, quoiqu’extrapolative : ces deux divinités, quand elles

s’unissent, se fondent en une divinité, Ame-no-mi-naka-nushi52.

Ce serait donc le mouvement entre un principe masculin et un principe

51 Yoshino Yutaka (1972), rapporté par Konma (1997 : 57, n. 13).52 Kotanski (1986 : 20) propose, suite à une complexe analyse dont nous ne suivons pas tous les rouages, de lire le nom de cette divinité « the Spirit Lord Holding-together Everything in Heaven » (Ame no mina kane wusi no kami 天之皆兼主之神), ce qui va bien dans le sens de l’analyse des études nationales. Laurence Caillet, en examinant l’adéquation des mythes au territoire national, et repérant l’apparition de plusieurs couples au commencement du Kojiki, fait remarquer (1991b : 14) : « L’affirmation réitérée de l’unité primordiale par la fiction, littéralement insensée, des « couples de célibataires », ainsi que l’élaboration graduelle des couples à part entière, autrement dit le passage sans rupture de l’un au multiple font entrevoir un principe fondateur de la pensée religieuse japonaise : l’utopie d’une permanence de l’unité et d’une continuité physique du monde » (nous soulignons). Nous reviendrons dans la section suivante sur cette affirmation. L’auteur revient à la charge un peu plus loin (p. 21), après avoir poursuivi son analyse de l’apparition successive des diverses divinités : « Les divinités (...) sont si nombreuses que la structure du panthéon en est occultée. Leur multiplicité engendre d’innombrables subdivisions qui témoignent de l’intime solidarité des différentes parties du monde, justifiant cette continuité physique ».

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féminin au sein d’une même entité qui serait à la naissance de toutes choses. « Le yin

et le yang se nouant, la génération ne cesse jamais, ceci est le grand principe du

monde » explique Ôkuni Takamasa 大国隆正53. Pour Motoori aussi, les deux

divinités composent une paire d’opposés : homme/femme, intérieur/extérieur, ciel/

terre54. Mais si elles créent toutes choses, ce n’est pas par la voie de l’époux et de

l’épouse (fûfu no michi 夫婦の道), par l’effet d’une procréation sexuée donc –

Chamberlain n’aura pas a fourbir son latin –, mais du fait de l’insigne vertu

d’engendrement (musuhi no ô-mi-toku 産霊の大御徳) qui les caractérise55, vertu qui

devient un concept central pour les études nationales. Le Suika shintô 垂加神道 de

Yamazaki Ansai 山崎闇斎 (1618-1682), dont on sait ce qu’il doit à la pensée

chinoise, taoïsme et confucianisme ensemble, précisera de quel engendrement il est

question en développant plus particulièrement l’idée que c’est par assemblage et liage

que les choses sont créées : « musubi awasete mono o nasu » ムスビアハセテ物をな

53 Poète et savant des études nationales de la fin d’Edo, Ôkuni Takamasa (1792-1871) a suivi l’enseignement de Hirata Atsutane 平田篤胤 tout en s’intéressant aux études occidentales. Il s’est fait

connaître notamment par son Explication des anciennes traditions, Koden tsûkai 古伝通解, d’où est tirée cette glose. Cité in Ono (1942 : 278).54 Le hasard fait bien les choses. Tandis que Taka mi-musuhi est associé à Amaterasu dans la haute plaine céleste, Kami musuhi s’occupe justement de la création du pays dans le cycle d’Izumo. L’interprétation est toutefois, on le comprend bien, forcée. Jamais dans les mythes il n’est fait état de ces divinités de cette manière, ni fait mention d’une quelconque sexualisation par ailleurs. Il est vrai que des textes postérieurs mais anciens (le Kogi shûi 古語拾遺 (807) par exemple, Motoori, 1968 : 131) noteront le nom des divinités avec des caractères qui laissent percevoir une différence de sexe.55 Cité in Ono (1942 : 282), lecture incertaine. On trouve dans le commentaire de Motoori du Kojiki-den (1968 : 130) 産霊の御徳 musuhi no mi-megumi, « la grâce de l’âme d’engendrement ».

Quelques lignes plus loin, 御徳 est lu mi-kage, pour un sens proche.

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す56.

Le nœud comme processus d’engendrement – Musuhi/musubi

L’assimilation des termes musu+hi (âme génératrice) et musubi/bu (nœud,

nouer), visible chez Ansai, est aujourd’hui considérée comme fautive. Pourtant, et

même si l’on admet qu’ils sont étymologiquement différents, force est de constater

que leur superposition remonte au moins à l’époque de Heian, où l’on constate que

les Musuhi no kami sont appelés Musuhu no kami, soit en usant d’un mot qui, cette

fois, ne peut plus se décomposer et ne peut se rattacher qu’au mot verbal musubu57.

Ce principe d’association d’idées sur la base d’une homophonie est très utilisé

au Japon, mais toutes les combinaisons ne connaissent pas le même succès. La

réussite de celle-ci résulte certainement de son efficacité explicative. L’homophonie

vient confirmer une combinaison de concepts rendue possible par la perception de

leur proximité. Orikuchi (1956 : 258-259) précise : il n’y a pas naissance de quoi que

ce soit (musu) sans une divinité qui tienne, qui solidifie le paquet d’âmes et le noue

56 Ono (1942 : 279). L’accent mis sur les divinités créatrices par les savants du XVIII-XIXe siècle pose un problème d’histoire des religions complexe, qui laisse entrevoir des enjeux politiques importants. Certains y reconnaissent le désir de ne pas être inférieur à la cosmologie chrétienne (sur les influences – attestées – du christianisme sur la pensée des études nationales, Macé, « Le shintô et le christianisme – Le cas de Hirata Atsutane (1776-1843) », à paraître). L’anecdote suivante, rapportée par Nishida Nagao (1978), montre combien la focalisation sur les Musuhi était politique : à la fin de la seconde guerre mondiale, le bureau des cultes de l’occupant américain a conseillé au sanctuaire d’Ise, sur l’avis du théologien et spécialiste des religions chrétien (par ailleurs traducteur de Frazer) Hiyane Antei 比屋根安定, de remplacer Amaterasu, déesse par trop impériale, par les Musuhi no kami, créateurs du monde, du monde dans son entier. Écrit en 1946, le texte de Nishida avait pour but, à l’inverse, de prouver que c’était les Musuhi qui poussaient à l’impérialisme, et non Amaterasu. Je ne suis pas sûr que sa savante rhétorique soit vraiment convaincante, mais il ne faut pas négliger le fait que des travaux importants concernant les Musuhi ont été effectués pendant la période d’expansion coloniale, et que peu de choses ont été publiées, à notre connaissance, depuis la fin de la guerre. Sur Ansai et le Suika shintô, Ooms (1998 : 194-286), qui remarque justement (p. 195) que la recherche issue de ses travaux a connu son apogée dans les années 1930-1940.

57 D’après Jôdai-go jiten henshû i’inkai 上代語辞典編集委員会 (1967), cité par Konma (1997 : 45).

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(musubi-tsukeru) au corps. Tel est le sens de l’apparition des Musuhi no kami en

début de Kojiki : sans la présence d’une force qui noue les âmes, sans que les âmes ne

soient nouées, les divinités qui suivent ne peuvent rien produire. Le rapport entre

musubi et musu, nœud et engendrement, est ainsi explicité comme celui du moyen au

résultat58.

Si le schéma nœud-engendrement s’éclaire quand on considère la conception

de l’âme (tama), il faut cependant préciser un dernier point. Les termes musuhi et

musubi ont beau montrer la parenté que nous avons dite, ce n’est pas pour autant que

les divinités noueuses des mythes sont considérées comme divinités du lien amoureux

(Musubi no kami). L’assimilation de ces divinités particulières à la catégorie des

dieux présidant aux unions ici-bas est plus tardive, moins toutefois que ce qu’en

disent les dictionnaires, qui indiquent généralement l’époque moderne comme temps

de la confusion59. Deux waka remontant au moins aux X-XIe siècles nous le disent.

Le premier, anonyme recueilli dans le Shûi waka-shû 拾遺和歌集 (1005-1007), assez

simple dans sa forme, ne semble posséder un intérêt que parce qu’il joue justement

sur l’ambiguïté de l’expression « Musuhu/bu no kami », entendue à la fois comme

58 C’était aussi la conclusion de Charles Haguenauer (1977 : 209) dans son cours sur le tama en 1960-61 : « L’étude du terme musubi dans les expressions tama.musubi et tama.tsume.musubi, permet de faire un pas en avant : en effet, si, refusant de le rattacher à un verbe musu (« croître »), intransitif, on y voit la formule nominale du verbe transitif musubu (« lier », « maintenir aggloméré », et, partant, le nom exact de l’agent, empirique ou déjà subtil et spiritualisé, qui liait (au corps, et entre eux) l’ensemble des esprits vitaux et sensoriels qui animait n’importe quel corps vivant, force est finalement de conclure que tama n’a pu désigner que la multiplicité des esprits vitaux dont l’agent ainsi dénommé était censé assurer la cohésion ». La formule est dense, mais tout y est. Notons, pour conclure, que la notion d’âme comme agrégat qui engendre se trouve signifiée par l’une des transcriptions du nom Musuhi no kami, où musuhi est noté par un caractère qui se lit aussi tama, 魂.

59 Ono (1942 : 281).

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« divinité qui engendre » et « divinité des liens amoureux »60 :

En te voyant toi

la divinité des liens / la divinité qui crée

doit être dépitée

Une femme aussi froide que toi

pourquoi donc la fabriquer ?

Kimi mireba musubu no kami zo urameshiki tsurenaki hito o nani tsukuriken

君見れば結ぶの神ぞうらめしきつれなき人を何作りけん

Le poème 204 du Shika waka-shû 詞花和歌集 est sans doute plus explicite

encore, quoique plus complexe dans sa construction. Musubu no kami est ici la

divinité qui engendre les hommes, et leur cœur, mais aussi divinité qui, le liant,

empêche le cœur de « fondre ». L’emploi ici de ce dernier verbe n’est pas sans

rappeler d’ailleurs que l’un des sens de musubu est « solidifier », comme l’on parle de

la solidification des liquides61.

Et ton cœur encore

la divinité des liens

a-t-elle engendré/noué ?

Toi qui de fondre pour moi

demeures éloignée

60 Poème 1265 tiré de la section « Amours diverses » (zôkoi 雑恋) de la troisième anthologie impériale de waka ; Shûi waka-shû (1990 : 368). Nous remercions Andrea Raos qui nous a indiqué cette référence et guidé dans la traduction de ce chant ainsi que du suivant. Ce waka était déjà évoqué par Motoori (1968 : 130) comme preuve de ce que tous les êtres étaient engendrés par les Musuhi no kami.

61 Section amour, 1er volume (Koi jô 恋上), poème dû à Nô’in 能因 (988-?). Cinquième anthologie impériale de poèmes japonais, le Shikawakashû (ici 1989 : 281) a été compilé entre 1151 et 1154.

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kokoro sahe musuhu no kami ya tsukurikemu tokuru keshiki mo mienu kimi kana

心さへ結ふの神や作りけむ解くるけしきも見えぬ君かな

Les deux poèmes, écrits tous les deux avant la moitié du XIe siècle,

probablement bien plus d’un siècle avant pour le premier, mobilisent le même

vocabulaire (on peut penser que Nô’in s’est inspiré du Shûi waka-shû) : musubu est

devenu un kake-kotoba, un mot-pivot, alliant engendrement et nouement62. On

remarque d’autre part la présence du mot tsukuri, dont on se rappelle qu’il désignait

l’un des modes de création du monde. La divinité quant à elle est traitée avec

désinvolture et humour. Elle ne sert que de prétexte à un bon mot fustigeant une dame

peu avenante.

1. 1 :

62 Le kake-kotoba est selon Jacqueline Pigeot (1982 : 110) le procédé selon lequel « il s’agit (...) d’utiliser certains mots (kotoba) se prêtant à double lecture, comme pivots, les syllabes homophones de la fin d’un énoncé et du début de l’énoncé suivant venant s’y « accrocher » (kakeru) l’une à l’autre, en se confondant par télescopage ».

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Musubu, récapitulation

Effectuant un détour par la littérature classique et les mythes, nous avons

essayé de mieux cerner les nuances de ce que l'on entend par « nouer » en japonais.

Le sens matériel nous est immédiat : nous avons nous aussi nos nœuds, des rubans de

cheveux aux lacets de chaussures. Le sens métaphorique nous est tout aussi

compréhensible : nos échanges passent eux aussi par des nœuds de communication,

nous nouons nous aussi des relations, des destins, des amours63. Plus exotique sans

doute est l’idée que l’âme (tama) résulte de la solidification d’un agrégat constitué de

plusieurs âmes (tama) liées ensemble, et plus originales les conséquences de cette

conception de l’âme. On a vu qu’une âme pouvait se nouer et se dénouer, s’offrir dans

un nœud, et qu’à l’inverse le nœud, réceptacle d’une parcelle d’âme, était une

technique pour relier deux âmes. On a précisé comment le nœud, en rassemblant les

âmes, était principe d’engendrement.

Avec la manipulation magique de nœud, prolongement de ce qui précède,

nous nous retrouvons en terrain connu. Nous avons dit ce qu’elle avait d’universelle.

Il nous semble seulement que la culture japonaise, du fait de sa conception de l’âme,

a insisté sur le côté positif du nœud et du lien, et comparativement peu développé les

aspects néfastes, stérilisants, que pointait Gilbert Durand dans d’autres cultures64.

63 Bien que ce langage soit un peu passé de mode, nous le comprenons toujours :« Alceste : Mais l'amitié demande un peu plus de mystère, / Et c'est assurément en profaner le nom / Que de vouloir le mettre à toute occasion. / Avec lumière et choix cette union veut naître; / Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître. Oronte: Parbleu! c'est là dessus parler en homme sage, / et je vous en estime encore davantage: / Souffrons donc que le temps forme des noeuds si doux », Le Misanthrope (1666), acte 1 scène 2. Et le commentateur citant Corneille (L'Illusion comique, v.645-646) : « Un lieu commun de la litterature amoureuse était que le Ciel ... attache ici-bas avec des sympathies / Les âmes que son ordre a là-haut assorties » ; Molière (1973 : 250 et 295 n. 2).64 Durand (1991: 116-118). Eliade (1952 : 151-152), pour sa part, proposait une corrélation étymologique (!) entre lier et ensorceler « dans plusieurs familles linguistiques » : turco-tatar, grec (χαταδεσμοζ : « corde, ensorceler »), latin (fascia, « bande, bandage », et fascinum « maléfice »), roumain, sanskrit. « Toutes ces étymologies confirment que l’action de lier est essentiellement magique. Nous avons affaire ici à une « spécialisation » extrême : ensorceler, lier par la magie, fasciner, etc. ».

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Pour reprendre le motif des nœuds échangés entre époux, le nœud japonais est rite de

protection et souvenir. Il peut être défait dans l’insouciance, au gré du voyage. Le

nœud français est interdiction, défi aux rivaux et indénouable, sauf par l’amant,

unique.

En évoquant le nœud comme en considérant le lien, nous avons été amenés

par nos sources à parler de la relation entre un homme et une femme. Celle-ci

représente, avec le nœud encore, le lieu archétypal de l’activité humaine. Nous avons

croisé plus d’une fois des rites relevant de la magie amoureuse. Le nœud dit ici que la

relation homme-femme est volatile, parfois asymétrique. Qu’elle a souvent besoin

qu’on lui donne naissance et forme, qu’on l’assure, la solidifie. Qu’il y a pour cela

des rites, mais aussi des divinités à qui l’on peut s’adresser, et dont la tâche consiste à

nouer des liens.

Les travaux les plus récents insistent toutefois, nous l’avons dit, sur l’erreur

qu’il y a à confondre, sur la base de leur homophonie, ces divinités du lien et les

premières divinités des mythes. Qu’on se rassure ! Il ne semble pas qu’il y ait jamais

eu de culte populaire vivace des Musuhi no kami comme divinités du lien amoureux.

Si rééducation il y a à faire, c’est donc seulement dans la tête des savants et des

prêtres... Et encore ! Aujourd’hui, alors qu’il s’avère lucratif de posséder une divinité

qui attire les amoureux dans son sanctuaire, les desservants ont, à vrai dire, tendance

à faire la sourde oreille et à essayer d’encourager toutes les correspondances, même

les plus fallacieuses. Solitude des savants... Il existe donc quelques sanctuaires

vénérant les Musuhi no kami et promouvant leur action en tant que divinités des liens.

Nous en avons visité à Matsumoto (Yo-hashira jinja 四柱神社) ou à Nagoya (Takamu

jinja 高牟神社). Ils ont pour caractéristiques de se trouver au centre de capitales

régionales, d’être des lieux officiels du shintô d’État. Le culte, très encadré par le

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desservant principal, se résume à un discours artificiel sans grand fondement

populaire.

Le rapport entre divinités du Kojiki et divinités du lien n’est pourtant pas

stérile. Il nous apprend que « l’association entre le lien noué entre un homme et une

femme (en o musubi) et l’idée que son résultat est l’émergence d’une force

procréatrice (musuhi 産霊), par laquelle une nouvelle vie est liée (musubareru 結ば

れる), c’est-à-dire engendrée par solidification, n’est somme toute pas si curieuse que

ça »65.

On retiendra donc pour la suite que nouer est une manipulation permettant de

tenir des âmes ensemble, mais aussi un processus dynamique et créateur.

65 Konma (1997 : 57, n. 7).

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« Jeu de l’Emousoubi (nœud). Si le nœud se ferme, la jeune fille aura le mari qu’elle souhaite » ; Louis Kreitmann, photo 130/8, No 2-55/11, format 8,5 x 5,5, entre 1876 et 1878. Avec la courtoisie de Madame Petitmengin, Institut des Hautes Etudes Japonaises, Paris.