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A LI B I S Polar, Noir & Mystère Au sommaire : 145 Camera oscura (XIV) Christian Sauvé 159 Encore dans la mire Martine Latulippe Norbert Spehner François-Bernard Tremblay L E VOLET EN LIGNE Gratuit N ˚ 15 L’ A NTHOLOGIE PERMANENTE DU POLAR

N 15 Gratuitefforts précédents et livre non seulement un excellent film, mais aussi une vision très particulière de ce qu’il est maintenant possible de faire avec les nouveaux

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ALIBISPolar, Noir & Mystère

Au sommaire :

145 Camera oscura (XIV)Christian Sauvé

159 Encore dans la mireMartine LatulippeNorbert SpehnerFrançois-Bernard Tremblay

LE VOLET EN LIGNE

GratuitN˚ 15 L’ANTHOLOGIE PERMANENTE DU POLAR

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Alibis est une revue publiée quatre fois par année par Les Publications delittérature policière inc.

Ces pages sont offertes gratuitement. Elles constituent le Supplément enligne du numéro 15 de la revue Alibis.

Toute reproduction – à l’exclusion d’une impression unique en vue de joindrece supplément au numéro 15 de la revue Alibis –, est strictement interdite àmoins d’entente spécifique avec les auteurs et la rédaction.

Les collaborateurs sont responsables de leurs opinions qui ne reflètent pasnécessairement celles de la rédaction.

Date de mise en ligne : juin 2005

© Alibis et les auteurs

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Camera oscura( XV )

Le printemps 2005 fut un curieux mélange de nouveau etd’ancien, de traditionnel et d’innovateur. Les adaptations étaienttrop fidèles et les films originaux avaient un air de déjà-vu…Qui plus est, l’été cinématographique est arrivé en même tempsque les tulipes, alors que les studios hollywoodiens continuentde présenter des blockbusters de plus en plus tôt pour éviter lacohue estivale. Est-ce un accident si le box-office cumulatif de2005 s’annonce comme étant le plus mou depuis 2000? Voyonssi quelque chose mérite l’attention dans cette cuvée printanière.

La métropole du viceIl n’y a vraiment qu’un film incontournable ce trimestre-ci,

et c’est Sin City [Une histoire de Sin City], l’adaptationcinématographique de la bande dessinée du même titre. RobertRodriguez a établi sa réputation avec des films imparfaits, maisaudacieux et à la fine pointe de la technologie (Spy Kids 3D,Once Upon A Time In Mexico). Cette fois, il va au-delà de sesefforts précédents et livre non seulement un excellent film, maisaussi une vision très particulière de ce qu’il est maintenantpossible de faire avec les nouveaux outils à la disposition desréalisateurs.

Rodriguez utilise la technologie digitale pour donner au filmun look très particulier, calqué sur la bande dessinée d’origine.Des comparaisons BD/film disponibles ici et là dans Internet(http://www.filmrot.com/images/sincity-comparisons/sincity.html)vous montreront, côte à côte, des images virtuellement iden-tiques. Un savant usage d’effets spéciaux (certains provenant dela boîte québécoise Hybride) et une volonté inébranlable de

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respecter le matérield’origine font en sorteque Sin City peut pré-tendre être l’adaptation laplus visuellement fidèlejamais réalisée. (L’auteurFrank Miller est mêmecocrédité comme réali-sateur, la BD ayant servide plan de tournage.)

Mais au-delà desimages, Sin City réussitégalement à préservertoute l’atmosphère de labande dessinée, ce quin’est pas une mince af-

faire lorsqu’on connaît labrutalité de l’œuvre ori-ginale. Miller n’utilise passimplement les clichés dumode hard-boiled ; il s’ycomplaît et les multipliepar dix. Ceux qui sont àla recherche d’un pharemoral dans ce film res-teront sans candidat : ici,tous les hommes sont desbrutes et toutes les femmessont des p…

Sans concession, SinCity présente à l’écran dunoir distillé avec panache.

La narration mur à mur est bourrée de déclarations torturées etde clichés renforcés. (En raison du contenu stylistiquement richedes dialogues, assurez-vous de voir le film dans la langue aveclaquelle vous êtes le plus à l’aise : trop souvent les répliques dedurs peuvent faire sourire – et ruiner l’effet – quand on n’est pashabitué à l’idiome.) La distribution étonnante (comptant au

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Photos : Dimension Films

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moins une demi-douzaine de noms familiers) se prête aima-blement au jeu, incarnant des archétypes avec brio et entrain. Lefilm est surtout filmé en noir et blanc, fort en contraste, avec deséclats de couleur (souvent rouges) pour souligner certains élé-ments visuels. Sur le plan narratif, Sin City est construit en troishistoires qui se succèdent dans un même univers, la structureinusitée n’étant pas sans rappeler Pulp Fiction.

Et, comme Pulp Fiction, Sin City s’adresse carrément auxauditoires bien avertis. Peu importe ce que 2005 nous réserve,Sin City restera sans doute le film le plus violent de l’année.Aucune exagération n’est requise pour dire que le sang écla-bousse les personnages du film. Même les spectateurs les plusblasés grimaceront devant certaines scènes particulièrementviolentes. Vous aurez été mis en garde.

Mais ce genre d’excès fait partie des intentions du projet :repousser un peu plus les limites de ce que l’on imagine enpensant à un film. En empruntant sa grammaire cinémato-graphique à la bande dessinée, Sin City réussit également àmultiplier la vitalité de son exécution. Pour les amateurs avertis,voici une œuvre délicieuse, à regarder avec un plaisir constant.

Un bijou !

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Photos : Dimension Films

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Le danger des adaptations trop fidèlesSin City est un cas d’exception ; il s’agit non seulement

d’une adaptation fidèle, mais aussi d’une œuvre cinémato-graphique pleinement réussie. Il est fréquent de rencontrer demauvaises adaptations sans intérêt qui gaspillent toute la forcedu matériel d’origine, mais il est plus rare de voir des adap-tations tellement fidèles qu’elles en viennent à refléter les faillesde l’œuvre d’origine… Curieusement, c’est le cas de deux filmsdu dernier trimestre.

Le premier, Hostage [Otages de la peur], semble à pre-mière vue être un thriller tout à fait typique. Une prise d’otage,un policier avec des problèmes personnels, des rebondissementset l’intervention d’une tierce partie pour compliquer les choses :des éléments familiers, agencés de façon légèrement différente.Avec Bruce Willis dans le premier rôle, le film ne peut éviter lescomparaisons avec les autres thrillers décidément bien moyensqui ont jalonné la carrière de l’acteur entre ses grands succès.Est-ce que quelqu’un se souvient encore aujourd’hui de LastMan Standing, Color of Night ou bien Mercury Rising ?Hostage, au titre si général, s’ajoutera-t-il à cette liste ?

Le doute ne se dissipe jamais tout à fait. Le chef de policeJeff Talley (Willis) se trouve confronté à une prise d’otage dansla petite ville où il travaille. On tombe facilement dans le rythmeconfortable d’un thriller strictement conventionnel. La situation

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Photo : Miramax

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a beau se compliquer alors que les preneurs d’otage attirentl’attention de gens très puissants, on n’a guère l’impression des’éloigner des sentiers battus. Le crime organisé est impliqué ?Haussement d’épaules. Les ravisseurs utilisent la famille deTalley pour l’obliger à résoudre la situation selon leurs désirs ?Peu importe.

Hostage n’est pasun mauvais film, maison n’y trouvera riend’exceptionnel nonplus. Et c’est exacte-ment l’impression quedégage le roman deRobert Crais dont esttiré le film. L’écriturede Crais est aussidénuée d’artifices quela réalisation strictement professionnelle de Florent Emilio Siri.Il y a beau avoir des changements mineurs à l’intrigue, auxpersonnages et à la finale (pourquoi faut-il que même les adap-tations cinématographiques les plus fidèles chambardent letroisième acte ?), on garde la même impression : une œuvremoyenne, compétente, un peu longue et nullement mémorable.

Si on peut accuser Crais d’écrire du matériel trop terre à terre,ce n’est absolument pas le cas pour Clive Cussler, qui sembleredoubler d’audace à chaque roman. Sahara n’est pas le plusinvraisemblable de ses livres, mais allez donc dire cela à unauditoire après un film où des aventuriers sont à la recherched’une épave de cuirassé sudiste en plein milieu du désertafricain, affrontant guerre civile et péril environnemental global !

Ce n’est pas la première œuvre à porter le héros fétiche deCussler à l’écran, mais un quart de siècle après Raise TheTitanic !, il y a fort à parier que le public cible de ce film n’auraaucun mauvais souvenir de la tentative précédente ! Ce qui estparadoxal, cette fois, c’est que l’adaptation est relativementfidèle même si chaque personnage est mal incarné : MatthewMcCaunaughy est trop jeune et mince pour jouer Dirk Pitt. SteveZahn, même s’il vole toutes les scènes dans lesquelles il se trouve,n’est assurément pas assez italien pour jouer Al Giordano.William H. Macy est trop frêle pour incarner Jim Sandecker.

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Photo : Miramax

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Quant à Rainn Wilson,eh bien, on aurait dû direau scénariste que le nerdde service de NUMAest Hiram Yaeger, pasRudy Gunn.

Mais peu importe cepinaillage de fan ob-sessif : Sahara parvientau moins à rendre la folie

loufoque des aventuresde Pitt et compagnie.Le scénario est complè-tement invraisemblable,il dépend d’une série decoïncidences hideuses,défie toutes les lois dela nature, reste bourréde péripéties arrangéesavec le gars des vues ;pourtant, le film réussità conserver un charme bon enfant qui plaît du début à la fin.Réalisé avec des moyens à la mesure des ambitions d’unvéritable film d’aventures (120 millions de dollars US, dit-on),Sahara livre la marchandise requise d’un blockbuster à granddéploiement.

Là où ça pourrait se corser pour des spectateurs qui n’ontpas l’habitude des penchants loufoques de Cussler, c’est que lecinéma pardonne moins les audaces invraisemblables. C’est unechose d’expliquer un concept improbable en cinq pages, c’en estune autre que d’en disposer en quatre répliques et trente se-condes. Il ne faudrait surtout pas parler aux critiques et spec-tateurs qui se plaignent des invraisemblances du film de l’intriguelincolnesque qui n’est pas passée du livre au film!

Mais ce que Sahara démontre peut-être plus que tout, cesont les limites des romans de Cussler lorsqu’on tente de lesaborder sous un autre angle que celui du roman d’aventures.Sahara étant le neuvième livre d’une série qui dépend presquetoujours de la même formule, le choc du contact entre le film etun public qui ne s’est pas habitué, livre après livre, à tolérer les

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Photos : Paramount

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points faibles de la série, peut être assez brutal. Après tout, ce nesont pas que les fans qui verront le film… et eux-mêmes risquentd’être contrariés par la distribution maladroite des rôles. Déci-dément, avec les adaptations, il est difficile de plaire à tout lemonde!

Quand de bons réalisateurs commettent des filmsordinaires

Ridley Scott et Sydney Pollack n’ont plus à faire leurs preuves.Le premier a Alien, Blade Runner et Gladiator (entre autres !)à son actif. Le deuxième, qui célébrera bientôt cinquante ans decarrière, peut compter sur The Three Days Of The Condor,Tootsie et The Firm (entre autres !). Chaque nouveau film deleur part risque d’être remarquable. Mais un réalisateur avec unecarrière parfaite, ça n’existe pas. Dans l’environnement holly-woodien, même un film moyen est une victoire. C’est doncdécevant, mais également prévisible, de constater que leurs filmsles plus récents sont si… ordinaires. Ce n’est pourtant pas commes’ils étaient dépourvus d’intérêt. Un complot pour assassiner unchef d’État, ce n’est pas rien ! Recréer l’époque des croisades aaussi un certain piquant visuel. Mais dans les deux cas, les filmss’égarent en cours de route, oublient leur mission principale eten montrent juste assez pour nous donner l’impression de ne pasavoir perdu notre temps.

Dans le cas de The Interpreter [L’Interprète], notre intérêtest éveillé dès les premières minutes. Pour la première fois, unfilm a pour décor levéritable édifice desNations Unies. Onnous y entraîne en cou-lisses pour examinerla vie d’une traductricede haut niveau. Puis,l’engrenage de l’intri-gue s’active alors quecette traductrice (NicoleKidman) entend acci-dentellement une conversation suggérant l’assassinat imminentd’un chef d’État sur le parquet de l’Assemblée Générale.

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Photo : Universal Pictures

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Dans l’environnement géopolitique actuel, les Nations Uniesapparaissent souvent comme un ensemble de bonnes intentionsque le monde ignore allégrement. Cette impression n’est pasatténuée par les décors très rétros de l’Assemblée Générale.Dans le film, même ladiplomatie interna-tionale a perdu toutson charme pour lesagents du ServiceSecret chargés de pro-téger les dignitairesétrangers. C’est sansenthousiasme que l’und’eux (Sean Penn)accepte de prendrel’enquête en charge et de protéger l’interprète.

Dans l’heure qui suit la mise en situation, The Interpreters’essouffle. Il s’agit en partie d’un pari mal calculé pour trans-former un film à suspense en drame soi-disant sérieux. Kidmanet Penn ont beau être des acteurs bien cotés, la tendance du filmà leur laisser le champ libre finit par prendre toute la place. Pourêtre efficace, un thriller se doit de faire monter la tension ou biend’aller de l’avant. Pendant les longues scènes dramatiques quijonchent ses 90 premières minutes, The Interpreter ne fait nil’un ni l’autre, sapant toute la bonne volonté initiale de l’audi-toire.

Heureusement, ça ne s’achève pas sur cette note. Ce n’estpas un hasard si l’intérêt du film remonte abruptement lors d’unescène à suspense méticuleusement bien construite, alors qu’unebonne partie des personnages convergent vers un autobus bondé,avec une bombe en prime… C’est dans une séquence de la sorteque l’on mesure les talents de Pollack et qu’apparaît le miraged’un film beaucoup plus intéressant. Les dernières minutes,moyennement bien menées, permettent un atterrissage en douceurà un film assez inégal.

Le film est réalisé avec compétence, mais il est parfois tropimbu de ses vedettes pour atteindre son plein potentiel. Malgrétout, The Interpreter reste au moins une cote au-dessus duthriller hollywoodien moyen en termes d’intelligence et de matu-rité. Mais s’il est difficile d’être trop négatif à l’endroit d’un film

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Photo : Universal Pictures

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somme toute bien fait, on n’osera pas non plus démontrer tropd’enthousiasme.

Un sort semblable afflige Kingdom Of Heaven [LeRoyaume des cieux], et ce, malgré un sujet plein de potentiel :les croisades ! Ici, l’action commence vers 1184, alors qu’unjeune forgeron français se retrouve happé par les circonstanceset dépêché à Jérusalem, où il deviendra très rapidement unchevalier, un favori du roi, l’amant d’une femme d’influence etle parfait gentleman-fermier. Le tout mène, suivant la nouvelletradition des films épiques historiques, à une scène de combatd’une ampleur rendue possible uniquement grâce aux effetsspéciaux générés par ordinateur.

Cette bataille finale, le siège de Jérusalem, vaut certai-nement la peine d’être vue. Une affaire de remparts, de toursd’assaut, de trébu-chets, d’épées et deflèches enflammées !On peut facilementimaginer Ridley Scottlire cette partie duscénario et accepterde prendre en chargele projet seulementparce qu’il s’agit d’undéfi technique sédui-sant. L’ampleur de laséquence a de quoi impressionner ; heureusement, l’exécutionest à la mesure des ambitions du scénario.

C’est le reste du film qui pose problème. La mise ensituation semble à la fois interminable et trop rapide. Dans la

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Photo : 20th Century Fox

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hâte du scénariste de transformer en héros un homme valeureuxet ordinaire, le film prend trop de temps à établir des élémentsévidents, puis bâcle le déroulement d’événements assez com-pliqués. Des rumeurs planent au sujet d’un scénario de 240 pages(le double d’un scéna-rio habituel) et d’uneversion du film quiatteindrait les quatreheures. Peut-être quela version disponiblesur DVD offrira uneexpérience plus com-plète. En attendant, onreste un peu débous-solé.

Ce n’est pas comme si le film était sans valeur, même enfaisant fi de la séquence du siège : Ridley Scott a toujours été unréalisateur avec un bon sens visuel et Kingdom Of Heavencomporte sa part de plans intéressants, accompagnée d’uneconfrérie d’acteurs tous très compétents. Entre autres bonsmoments, on retiendra le sanguinaire Reynald (Brendan Gleeson),qui déclare solennellement à la veille d’un massacre : “I am whatI am. Because someone has to be.” [« Je suis qui je suis. Carquelqu’un doit l’être. »] Qui plus est, le film s’avère remarqua-blement équitable lorsque vient le moment de comparer lesparties opposées. Ici, chrétiens etmusulmans sont sur un piedd’égalité en matière de légitimitémorale. Le blâme peut être imputéà tout le monde, et particulièrementaux chevaliers templiers. Ce n’estsans doute pas un hasard si lepersonnage le plus intéressant dufilm se révèle être le Saladin deGhassan Massoud.

En matière de véracité histo-rique, on aura compris que KingdomOf Heaven ne fait ni mieux ni pireque le reste des films épiques his-toriques : simplification des évé-

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nements (deux cents ans d’histoire en un peu plus de deuxheures !), personnages fictifs, anachronismes et moralité déci-dément contemporaine ne sont que quelques-unes des entorsesque ce film fait à la véritable histoire des croisades. Une bonnepartie de ces ajustements sont nécessaires pour construire unfilm accessible à un grand public… mais cela n’encouragera pasles historiens à dire de bonnes choses sur le film.

Finalement, ce sont les spectateurs qui auront à décider cequ’ils penseront du film. Malheureusement pour les producteurs,ces mêmes spectateurs commencent à se lasser de la vaguerécente des films épiques historiques lancée par… oui, Gladiator,de ce même Ridley Scott. Troy, King Arthur et Alexandern’ont pas tous été de francs succès, et Kingdom Of Heaven estsans doute destiné à un sort similaire. Dans les quatre cas, lamême recommandation s’applique : admirez les scènes debataille et passez rapidement à travers le reste. Même de bonsréalisateurs ne peuvent pas faire de miracles avec des scénariosqui s’égarent en trivialités.

Détour par Hong KongCamera oscura s’intéresse habituellement aux films en salle,

de façon à ce que la chronique réussisse à commenter lesprimeurs arrivant tout juste en vidéoclub. Mais de temps entemps, certains films ayant connu une sortie en salle trop brèvepour figurer dans notre sélection méritent d’être soulignés.

C’est le cas d’Infernal Affairs, un thriller policier chinoisqui, malgré une sortie en salle limitée à Los Angeles et NewYork, a néanmoins connu une bonne distribution sur DVD à lafin 2004. Quand un film américain sort uniquement en vidéo, ilnous est permis decraindre le pire. Maisdans le cas d’un filmétranger, tous les parissont ouverts. Et le faitqui s’impose aprèsseulement quelquesminutes, c’est qu’In-fernal Affairs n’arien à envier aux polarsaméricains.

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Photo : Miramax

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Le cinéma po-licier de Hong Kong atoujours été fascinépar les ressemblancesentre le crime orga-nisé et les forces del’ordre, faisant mêmedu sujet un de sesthèmes majeurs. Lesassassins répondent àun code d’honneurqui n’est pas étrangeraux lois que tâchentde faire respecter lesdétectives. Des liensétranges se tissententre les policiers etles truands qu’ils pour-chassent. Les talentsnécessaires sont trans-férables d’un métier àl’autre et la différenceentre gentils criminels et policiers brutaux est souvent minime.

Cette idée atteint son paroxysme dans Infernal Affairs, unpolar où non seulement la police a réussi à introduire un agentdouble dans les rangs d’un puissant cartel, mais où le cartel aégalement réussi à infiltrer un agent au sein des forces poli-cières. Après une opération où tout tourne mal, on a ainsi droit àune scène d’une puissance inouïe où policiers et criminels seregardent de chaque côté d’une table de conférences, sachantfort bien qu’ils ont un allié devant eux et un traître derrière.

S’active donc le jeu du chat et de la souris. Multipliant lavaleur ironique de l’intrigue, les deux agents doubles se verrontchargés de découvrir leur identité respective. Il y aura des retour-nements tragiques, surtout quand le policier agent double seretrouve soudain incapable de prouver sa véritable identité…

À l’exception de quelques longueurs dramatiques, InfernalAffairs étonne et répond aux attentes de n’importe quel amateurde drame policier. Le jeu entre criminels et policiers n’est passans rappeler Heat, alors que la finale utilise une image qui sera

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familière à ceux qui ont vu L.A. Confidential. On retrouve dansce film au moins une demi-douzaine de scènes mémorables, letout appuyé par une réalisation assurée. Surprise : le film nes’aventure pas trop souvent dans des scènes d’action, préférantle suspense et les retournements. Qui plus est, la finale ne cherchepas le happy end à tout prix, donnant un poids encore plus dra-matique aux événements.

Hélas (ou heureusement, selon vos préférences), Hollywoodn’est pas resté longtemps insensible à l’impact du film et s’affaireprésentement à la production d’un remake intitulé The Departed.Tous les espoirs sont permis, cependant, étant donné que MartinScorsese est aux commandes et qu’il est accompagné de LeonardoDiCaprio, Matt Damon, Mark Wahlberg, Alec Baldwin et JackNicholson. Arrivée au cinéma prévue en 2006. Qui vivra verra…mais en attendant, pourquoi se priver du plaisir d’un bon filmdéjà disponible sur les tablettes de votre vidéoclub?

Bientôt à l’afficheLe cinéma pour adultes disparaît alors que l’été arrive. Si les

bandes-annonces du techno-thriller Stealth ou de la comédied’action Mr & Mrs Smith promettent beaucoup, qui sait vraimentce que nous réservent les blockbusters de la saison estivale 2005?Mis à part une paire de thrillers dont on ne sait toujours rien etdont on peut espérer le meilleur comme le pire (Red Eye etDomino), il restera toujours l’arrivée en Amérique du Nord duthriller français Haute Tension.

En attendant, bon cinéma!

■ Christian Sauvé est informaticien et travaille dans la région d’Ottawa. Sa fascination pour le cinémaet son penchant pour la discussion lui fournissent tous les outils nécessaires pour la rédaction decette chronique. Son site personnel se trouve au http://www.christian-sauve.com/.

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Massacre à NankinBel exemple de synchronicité… Alors

que dans l’actualité récente Japonais et Chinoisse crêpent le chignon à propos d’atrocitésnipponnes (ni mauvaises ?) commises lorsdu conflit sino-japonais qui a précédé la SecondeGuerre mondiale, Tokyo, de Mo Hayder, quitraite du massacre de Nankin en 1937, tombecomme par hasard dans ma boîte aux lettres!

Rappelons d’abord les faits. Comme certainsAllemands après la guerre (Les camps? Quelscamps? Des atrocités? Quelles atrocités?),les Japonais souffrent d’une étrange et gênanteamnésie collective ou, pire, de révisionnismeaigu. Entre autres, ils ne se sont jamais excuséspour le massacre de près de trois cent millecivils chinois lors du sac de Nankin en 1937.Pendant plus d’un mois, la soldatesque del’Empire du Soleil Levant s’était livrée à des

exécutions de masse, des tortures innom-mables et des viols en série sur une populationsans défense. On comprend que les Japonaisd’aujourd’hui veuillent oublier cet épisodepeu reluisant de leur histoire, mais de là àtrafiquer les livres d’histoire et à nier lesfaits, il y a un pas… qu’ils ont, semble-t-il,allégrement franchi.

Or donc, dans le roman de Mo Hayder,nous faisons la connaissance de Grey (ellen’a pas d’autre nom), une jeune étudianteanglaise, spécialiste du conflit sino-japonais,détentrice d’un terrible secret, qui débarque àTokyo pendant l’été de 1990. Son objectif :contacter un Chinois expatrié, le professeurShi Chongming, qui a été témoin du mas-sacre. Non seulement il aurait vu se commettreun acte spécifique, d’une cruauté inhumaine,mais il aurait en sa possession un film de16 mm, jamais diffusé, témoignant de ces

ENCOREDANS LA MIRE

deMartine Latulippe, NorbertSpehner, François-Bernard

Tremblay

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ENCORE DANS LA MIRE A L I B I S 15

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tout droit d’un cauchemar de Stephen King.Il y a une intrigue sentimentale complètementtordue, déjantée, malsaine au possible et tousces protagonistes cachent de terribles, voired’horribles secrets qui nous seront révélés entemps et lieu, notamment quand le passé rat-trapera tous les personnages principaux. Enfait, rien ne nous sera épargné dans ce romanqui, selon l’expression convenue, n’est vrai-ment pas fait pour les âmes trop sensibles.

Magistralement sadique et diablementréussi ! (NS)TokyoMo HayderParis, Presses de la Cité (Sang d’encre), 2005,430 pages.

Sa Majesté Karin !Halldis, une femme âgée qui vit éloignée

de tout, est sauvagement assassinée. ErrkiJohrma, une espèce d’idiot du village, êtrefragile souffrant de problèmes psychologiqueset véritable oiseau de malheur souventprésent sur les lieux des crimes commis dansla région, est aperçu rôdant près de la fermed’Halldis au moment du drame. Le corps dela victime est à peine refroidi que déjà lessoupçons se portent lourdement vers unmeurtrier tout désigné : Errki. Pourtant, lecommissaire Konrad Sejer a l’impression quequelque chose ne colle pas… Sans compterque la psychiatre d’Errki est persuadée queson patient ne peut tout simplement pas avoircommis ce crime.

Voilà un bref résumé de Celui qui a peurdu loup, Prix des libraires norvégiens en1997. Sur la quatrième de couverture, onprésente Karin Fossum comme « la reine ducrime en Norvège », rien de moins (le DailyMail a été le premier à baptiser l’auteure ainsiet l’appellation a été allégrement reprisedepuis!). Celui qui a peur du loup est le premierroman de Fossum que je lis et je dois avouer

atrocités. Pour survivre à Tokyo, Grey va tra-vailler comme hôtesse dans un club spécialiséoù elle rencontre un étrange vieillard en fau-teuil roulant qui s’avère être le puissant yakuzaJunzo Fukui, toujours accompagné de NurseOgawa, de sexe indéterminé, un personnagemonstrueux qu’il ne faut surtout pas regarderou provoquer. Selon le professeur Chongming,le chef yazuka possède le secret de la lon-gévité. Il fait un marché avec Grey : elles’arrange pour découvrir le dit secret, enéchange de quoi elle pourra visionner le filmtant convoité. Mais pour ça, il faudra queGrey pénètre dans l’intimité du puissantgangster et déjoue la surveillance maladived’Ogawa.

Le titre original du roman, c’est The Devilof Nankin… Un titre bien plus éloquent quece piètre Tokyo, pour un roman extrêmementnoir, d’une violence et d’une étrangeté totales.La reconstitution des événements de Nankinest magistralement morbide, dangereusementfascinante. Quant aux personnages, ils sortent

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qu’il s’agit d’un très bon polar, qui laissepenser que la reine en question n’a pas usurpéson titre !

D’emblée, la structure du roman s’annoncemouvante, intrigante, comme si elle épousaitl’esprit d’Errki, une pensée qui est tout sauflinéaire. Pourvu de deux intrigues parallèles– d’un côté, un whodunnit plus classique ; del’autre, une situation absurde où un braqueurde banque prend un otage… qui s’avèrerecherché par la police pour meurtre ! –, leroman se lit d’une traite. Les deux intriguesse rejoignent habilement en cours de lecture,et les personnages, tous marqués par unegrande solitude, ont une belle compositionpsychologique, ils semblent plus vrais quenature. Les scènes décrivant la folie, la psy-chose, sont particulièrement troublantes, tandisque les diverses descriptions apparaissentsouvent comme autant de tableaux que l’onvoit nettement.

Karin Fossum présente dans ce romanKonrad Sejer, un inspecteur hanté par la mortde sa femme, un personnage fort mais pourtant

très vulnérable, qui n’est pas sans rappeler leWallander de Henning Mankell, tant par safaçon de penser que par cette lassitude pesantequ’il semble porter sur ses épaules. Ma prin-cipale réserve quant à Celui qui a peur duloup tient un peu à Sejer, toutefois, ou plutôtà une idylle naissante de ce dernier, puisqu’onnous refait le coup de l’enquêteur triste séduitpar la jolie et intelligente psychiatre… Uneimpression de déjà-lu! Autre aspect qui risquede déranger certains mordus de polar : onpeut voir venir la fin sans trop de mal…mais personnellement, cela n’a en rien di-minué mon plaisir de lecture ! (ML)Celui qui a peur du loupKarin FossumParis, JC Lattès, 2005, 365 pages.

Delirium pas très mince !Ken Bruen est la nouvelle coqueluche des

amateurs de romans noirs britanniques dansla veine de Robin Cook et cie. Dans Deliriumtremens, cet auteur irlandais (né en 1951 àGalway) nous présente son nouveau héros,Jack Taylor, un ancien flic de la Garda Siochana,viré pour alcoolisme sévère et parce qu’ilavait flanqué son poing sur la gueule d’unpoliticien mal embouché qui contestait unecontravention méritée (moment de jouis-sance extrême !). Toujours dans la brumemais bardé d’un sens de l’humour aussi blindéqu’un gilet pare-balles, Taylor écume les pubsdes quartiers populaires de Galway en y traînantsa misère (c’est un éternel fauché, of course)et son mal de vivre. Et, une page sur deux,quand ça n’est pas un paragraphe sur deux,il picole, éclusant des hectolitres de poisonsdivers, puis dégueule, puis re-picole, puis…Hips ! Excusez-moi… tout en promettant,bien sûr, de s’amender dès que possible. Ona même droit à un séjour mémorable dansun centre de désintoxication.

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(més)aventure, et cela même si ses enquêtesne sont pas passionnantes outre mesure.Z’auriez pas deux aspirines? (NS)Delirium tremensKen BruenParis, Gallimard (Série Noire), 2005, 314 pages.

Pour faire écho à UmbertoLe voici, le roman que l’on annonce comme

le successeur au trône du Da Vinci Code. Ils’agit de La Règle de quatre, dont le ro-mancier Nelson DeMille a dit : « Si ScottFitzgerald, Umberto Eco et Dan Brown s’étaientréunis le temps d’un roman, ils auraient écritLa Règle de quatre. » Le faible niveau demodestie accompagnant ce roman est inver-sement proportionnel au battage médiatiquequi a entouré la sortie du livre, l’éditeur MichelLafon allant jusqu’à imposer aux journalistesun embargo (jusqu’au 7 mars 2005) sur unlivre paru en édition originale un an plus tôt !

Le Songe de Poliphile, c’est la seulechose vraie qui existe dans ce roman. Chef-d’œuvre de Manuce, l’Hypnerotomachiapoliphili du moine Francesco Colonna, undominicain, est constitué de 234 feuilletscomprenant 171 gravures évoquant l’art desjardins, les fêtes de cour et des scènes érotiques.Il est considéré comme le plus beau livre dela typographie occidentale et François 1er,Charles Quint, Philippe II ainsi que Henri VIIIauraient possédé leur propre exemplaire descinq cents publiés. Le livre est un peu énig-matique en tant que tel puisqu’il est écritdans une langue qui mélange le latin et l’ita-lien, parsemée d’hébreu, de grec, d’arabe etmême d’hiéroglyphes. Quant à l’auteur, il futdémasqué lorsqu’on découvrit l’acrosticheformé par les premières initiales de chacundes chapitres : « Frère Francesco Colonna aimaPolia d’un grand amour ».

Princeton. L’année tire à sa fin et il est tempspour les finissants de remettre leur thèse. Dans

Moi qui ai habituellement une sainte hor-reur de ces intrigues éthyliques mettant enscène de lamentables épaves au cerveau grilléet dont le foie crie au secours, je me suis sur-pris à traverser ce livre, et même à y prendreun certain plaisir malgré les vapeurs d’alcoolomniprésentes. L’enquête policière se précisequand une femme, assez jolie, supplie JackTaylor d’enquêter sur la mort de sa fille quise serait soi-disant suicidée. Entre deux beu-veries et milles gueules de bois mémorables,Taylor essaie de mener à bien cette missionqui s’annonce plus délicate, plus surprenanteque prévue. Même qu’à un certain moment,Taylor ressent quelque chose qui pourrait êtrede l’amour…

Une grande partie de l’intérêt de ce livreprovient du style de Bruen. Delirium tremensest un polar écrit, avec une plume trempéedans le Jameson, peut-être, mais écrit, çamérite d’être souligné. Par ailleurs, Jack Taylorest un personnage complexe pour lequel onéprouve à la fois attirance et répulsion. Onespère donc le retrouver dans une prochaine

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une des résidences du campus, quatre amisvivent au rythme des découvertes que deux desleurs font sur l’Hypnerotomachia Poliphili.Paul et Tom se vouent jour et nuit à des re-cherches intenses sur ce manuscrit italien datantde la renaissance, éclaboussant au passagela vie de plusieurs sur le campus. Mais effrayépar les pouvoirs incroyables du livre, ayantpeur de connaître le même sort que son père,un chercheur qui a passé plus de temps auprèsd’un livre que des membres de sa famille etqui en est mort, Tom laisse Paul seul à sesrecherches au moment où ce dernier fait desdécouvertes hallucinantes… et d’autres plushorribles. À la veille de déposer ses travaux,Paul trime encore sur le dernier code qui luipermettra de mettre à jour le mystère entourantun des plus grands livres de l’histoire. Jusqu’àce jour, personne n’a encore réussi à percerses énigmes. Les professeurs et étudiants quis’y sont consacrés deviennent si obsédés parses révélations qu’ils finissent par se décon-necter complètement de la réalité. Mais l’his-toire bascule quand un collaborateur de Paul,un bibliothécaire, est assassiné.

Pourquoi la règle de quatre? Parce que lescodes pour déchiffrer Le Songe de Poliphilefonctionnent avec le chiffre 4, parce que lesprotagonistes sur qui repose l’histoire sont aunombre de 4, et que ce roman est écrit à quatremains… et d’autres choses, peut-être. Enfin,toutes ces réponses. L’énigme que proposentles deux auteurs américains est intéressante,mais il faut de la patience pour y arriver. Enfait, il faut aux deux auteurs près de 150pages (sur 367) de mise en place avant deproposer un peu d’action. À partir de ce point,on plonge littéralement dans cet univers defranche camaraderie universitaire en compagniede Tom, le narrateur qui joue fréquemmentavec la vitesse de son récit qui apparaît souventen flash-back. Ces derniers servent bien ànous faire découvrir l’histoire de l’Hypnero-tomachia poliphili et de toutes les recherchespassées et présentes qui ont entouré le livre.

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C’est l’écriture efficace et bien structuréedes jeunes auteurs qui a attiré mon atten-tion, bien au-delà de tout le bruit médiatiquequi a entouré le roman et qui, à mon avis, estexagéré. Car au bilan, que reste-t-il ? Un bonroman doublé d’une bonne intrigue, certes,mais rien qui réinvente la littérature. Il resteque les inconditionnels du Da Vinci code etdu Nom de la rose y trouveront leur compte.(FBT)La Règle de quatreIan Caldwell et Dustin ThomasonNeuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2005, 367 pages.

Tempête de clichés !Je les appelle les polars-gadgets. Ils surfent

sur l’air du temps, avec des thèmes convenus,rebattus, comme par exemple les histoires deserial killers, les avocasseries, le coupableinnocent, le meurtre maquillé en suicide etautres airs connus. On y trouve beaucoup de

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coïncidences heureuses, des deus ex machinasen veux-tu en voilà, et leurs intrigues sont àpeu près aussi crédibles que les promessesde nos politiciens tous partis confondus. Beau-coup sont écrits par des avocat(e)s (mais oùtrouvent-ils le temps?), de préférence amé-ricains. On les lit d’une traite, sans se casserla tête et, quelques heures après notre lecture,on les a oubliés ou on les confond avec ceuxlus à un autre moment. Bref, ce sont desobjets de consommation, des passe-temps,des bouquins de plage. Sans plus. Ceci étantdit, il y en a des bons, des moyens et desexécrables… Le Tueur des tornades, de latrès américaine Alice Blanchard, se situe quelquepart entre les moyens et les bons !

Nous sommes en Oklahoma, un état danslequel la chasse aux tornades est devenue unloisir d’État, au même titre que l’ornithologieou la cueillette des champignons, mais enplus dangereux, on en conviendra. Après unetempête dévastatrice qui s’est abattue sur uncoin de pays (quelqu’un peut-il m’expliquerpourquoi il y a toujours des habitations sur la

trajectoire des tornades et cela malgré lataille immense du territoire ?), le bilan estlourd. Une famille est retrouvée morte dansles décombres de sa maison. Mais sur place,le shérif Charlie Grover constate que les dé-pouilles portent de bien étranges blessures.L’autopsie va révéler que tous ont perdu lavie empalés sur des débris… que quelqu’una pris soin d’aiguiser comme des couteaux.Dans la bouche de chaque cadavre, une denta été arrachée et remplacée par une autred’origine inconnue.

Quand le shérif apprend que des décèssemblables, tous reliés à des tornades, ontété signalés au Texas, il réalise qu’il a affaireà un tueur en série qui s’y connaît en météo,un spécialiste extrêmement doué, capable deprévoir la formation et la trajectoire de ce phé-nomène naturel pourtant réputé imprévisible.Pour traquer ce tueur un peu spécial, Groverdoit faire appel à des chasseurs de tornades,des passionnés assez fous pour se jeter aucœur des tempêtes. C’est là toute l’originalitéde cette histoire.

Il est clair que la romancière a privilégiél’action. Le rythme est soutenu, le vent soufflefort et, par moments, ça décoiffe! Par contre,la psychologie des personnages est à peineesquissée. L’élément technique est intéressantsans être envahissant. Malgré cela, on n’ycroit pas une seconde et il n’est pas très difficiled’identifier le coupable dont les motivationsrelèvent du cliché extrême : le pauvre serialkiller battu par un méchant papa veut se dé-fouler ! Alors, il tempête… Mais ça n’estjamais que du vent. Mais j’y pense… En1991, Anne Wingate avait publié un polarintitulé The Eye of Anna dans lequel il étaitquestion de l’ouragan Anna dévastant unepetite ville côtière du Texas. Parmi les dé-combres, des cadavres, mais tués d’étrangefaçon… Mais il est vrai qu’au Texas, les tor-nades, tempêtes et autres ouragans sont desphénomènes fréquents. Alors, on n’insisterapas… (NS)

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Le Tueur des tornadesAlice BlanchardParis, Belfond (Nuits noires), 2005, 374 pages.

Photo finish et autres clichés !Je suggère à nos piètres politiciens, plus

souvent occupés à vider nos goussets qu’àles remplir, de voter un beau jour une loiutile, dite de salut public, qui obligerait tousles polardeux tâcherons de ce monde et duQuébec, à lire, au moins une fois dans leurpetite vie, les deux premiers chapitres ou lesvingt premières pages d’un roman de HarlanCoben, histoire de leur apprendre ce qu’est lehook, l’hameçon, c’est-à-dire ce petit quelquechose de terriblement efficace qui piège lelecteur et l’oblige à continuer sa lecture mêmes’il est deux heures du matin ! Comprenons-nous bien… Harlan Coben écrit des polars-gadgets (voir ma critique du Tueur des tor-nades), mais ils sont souvent excellents, les

meilleurs dans cette catégorie. Qu’on enjuge…

Grace Lawson, heureuse en ménage depuisdix ans, récupère des photos de famille qu’ellea fait développer. En ouvrant le paquet, elledécouvre, insérée dans les clichés récents,une photo vieille de vingt ans, sur laquelleelle reconnaît son mari. Qui a glissé cettephoto dans le paquet et pourquoi? Mystère…Intriguée, elle la montre à son compagnon etlà, tout bascule. Monsieur prend ses grandsairs, claque la porte, monte dans sa voitureet disparaît. À partir de ce moment, la vie decette ménagère sans histoires va sombrerdans le cauchemar.

En maître habile du suspense, Coben dis-tille l’information goutte à goutte en prenantsoin de constamment relancer l’attention. Aufil des chapitres, alors que Grace tente decomprendre ce qui se passe, vont se succéderdes traques, des disparitions, des assassinats.Évidemment, tout cela est lié à quelque chosequi est arrivé dans le passé. Pour le lecteuréberlué, c’est un véritable parcours du com-battant qui l’attend, à travers une intrigue deplus en plus complexe, un peu emberlificotéepar moments, avec beaucoup (trop) de per-sonnages, dont un tueur sorti tout droit d’uneBD trash. Pour une fois, la finale (point faiblede nombreux récits de ce type) est plutôtréussie, le romancier ménageant une dernièrerévélation, un dernier coup de théâtre plutôtinattendu, dans la grande tradition de cegenre d’intrigue. Pour passer un bon momentsans trop se casser la tête. Mais ça prend dusouffle… (NS)Juste un regardHarlan CobenParis, Belfond, 2005, 396 pages.

Salut Galarneau !De retour d’un congrès une journée plus

tôt que prévu, Pierre Vaugeois décide, sans

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prévenir sa femme de son arrivée, de filertout droit au bar de danseuses comme il le faitrégulièrement avant de rentrer à la maison –son couple ne va pas bien depuis longtemps.Mais il se trouve qu’elle est justement là, safemme. Oui, juste là, sur la 116 avec savieille Ford tempo blanche dont l’aile avantdroite est toute cabossée. Mais, ma parole !pourquoi est-elle aussi loin de la maison etpourquoi rentre-t-elle dans ce parking du MotelRiviera? Pierre, qui commence à être inquiet,décide de la suivre mais garde tout de mêmeses distances. Sa femme a-t-elle une vie endehors de lui ? Y a-t-il deux Ford Tempoblanches avec l’aile droite cabossée dans laville de…? Impossible. Ça ne peut pas êtreelle ! Mais si. Surprise ! Tel est pris qui croyaitprendre et Pierre Vaugeois comprend qu’il estcocu en voyant ce type au crâne dégarni quidescend de la bagnole et va cueillir à la ré-ception la clé de la chambre d’hôtel. Décidantd’espionner le couple adultère, Pierre se sta-tionne plus loin, près de l’autoroute – en

cette soirée de brouillard et de pluie, il vacauser par mégarde un carambolage monstreau moment où le couple repart vers une autredestination. Ne voulant pas perdre de vue laTempo de sa femme, Pierre Vaugeois commetun délit de fuite et ne se doute pas qu’à partirde ce moment, sa nuit va se transformer enenfer.

Les éditions JCL ont une fois de plus eul’œil juste en misant sur ce premier roman deGérald Galarneau. L’auteur, malgré une his-toire plutôt banale, possède l’art du romancierpopulaire dans sa plus pure tradition, ce quiest rare. Si le procédé fonctionne, il y a toutde même quelques irritants. D’abord, faisonsremarquer qu’une Ford Tempo n’est sûrementpas une voiture sous-compacte, ce qu’on répètepeut-être dix fois dans le livre. Puis il y a beau-coup de répétitions inutiles de termes – crachinest employé pas loin d’une vingtaine de fois.Enfin, notons que le personnage de la jeunepremière en fait un peu trop – cette jeunepolicière qui sort de Nicolet est trop perspicaceavec les seuls éléments qu’elle a en main –,n’est pas Hercule Poirot qui veut et cette facilitéagace à la longue.

Mais qu’importe, le suspense est haletantet on veut traverser le roman d’un bout àl’autre sans vouloir être dérangé. (FBT)Motel RivieraGérald GalarneauChicoutimi, JCL (Couche-tard 18), 2005, 260 pages.

Match showPhilippe Huet est un ancien journaliste

amoureux de littérature. Il a publié des romansnoirs de style simenoniens qui se déroulenttoujours au Havre et dans ses environs.

Fred est un préretraité du journalisme.Malgré la soixantaine – qu’il ne fait pas –,les femmes le trouvent toujours très séduisant.Comme Viviane, une jeune, riche et bellefemme mariée de qui il est l’amant depuis

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déjà plusieurs années. Mais Fred s’ennuie. Ildécide de s’adonner au bookcrossing, cetteactivité qui consiste à abandonner volontai-rement dans un lieu public un roman quel’on a aimé pour en faire profiter quelqu’und’autre. Fred choisit ce jour-là un romand’Antoine Blondin que lui et Max, son amirécemment décédé, ont toujours aimé : L’Hu-meur vagabonde. La demoiselle qui le ra-masse n’est pas sans rappeler à Fred Delmanyun amour de jeunesse qui a mal tourné : elles’appelait Brigitte. Il décide de suivre cellequ’il surnomme l’inconnue d’Antoine (Blondin)à travers la ville du Havre. Fred suivra cetteinconnue et sa sœur jusque dans un desquartiers les plus délabrés de la ville, où ellesrépètent avec une troupe de comédiens popu-laires dirigée par Gabriel Pignol, une vieilleconnaissance de Fred. Afin de se rapprocherde celles qu’il aime épier, Fred, à la demandede Pignol, s’engage comme souffleur dans latroupe de théâtre. La mort de la belle Viviane,assassinée par son mari jaloux à Cuba, vientcependant brouiller les cartes alors que lesflics débarquent au théâtre pour questionner lebeau Fred. La présence de la police sembleembarrasser Pignol et les deux sœurs, quin’oublieront pas d’entraîner avec eux un FredDelmany qui aurait mieux fait de rester dansles beaux quartiers de la ville.

Roman d’atmosphère. Roman sur la mélan-colie, roman de l’homme qui refuse de vieilliret qui doit sans cesse combattre l’ennui et ledécès des proches, de même que le quotidienqui rappelle inévitablement le passé sur lequell’être se rabat. C’est aussi une belle écrituredans un cadre pittoresque, mais qui devientvite noire – l’auteur nous y plonge à piedjoint vers la fin. L’Inconnue d’Antoine appa-raît aussi comme un roman un peu machiste.Histoire d’homme dans la soixantaine qui setape constamment des jeunes femmes, fa-tales inévitablement, en manque de sexe,fantasme d’homme vieillissant qui désirecombattre les apparences… Et il y a ce mythe

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de la femme énigmatique, qui sonne un peucliché dans tout ce décor, quand même ado-rable et d’une rare sensibilité. (FBT)L’Inconnue d’AntoinePhilippe HuetParis, Rivages (Thriller), 2004, 197 pages.

Sur une fausse note !L’abbé Poitevin est retrouvé mort juste

avant l’office qu’il devait présider. Fierté desrésidants de Saint-Louis-en-l’Île (Paris), l’égliseattirait chaque dimanche, depuis un certaintemps, le Tout-Paris. Loin d’être la cathédraleNotre-Dame, Saint-Louis-en-l’Île se distinguaitpar un abbé possédant un grand talent d’ora-teur et par l’extraordinaire musique de lanouvelle jeune violoniste qui venait de s’yinstaller. Plusieurs visiteurs arrivaient d’ailleursplus tôt pour profiter du récital. L’ancienneélève du conservatoire, Julie, très douée, apréféré faire vibrer les cordes tendues de sonnouvel instrument dans une église plutôt que

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de poursuivre un enseignement qui ne luivalait plus que jalousie de la part de ses col-lègues et de ses professeurs. Et tout ça àcause du son de la pucelle. La pucelle, c’estle nom que porte le Stradivarius de Julie. Unviolon qui lui a été offert par un artiste peintreparisien. Mais qui est donc cet artiste qui offrede si généreux cadeaux? Pourquoi l’ex petitcopain de Julie, un voyou, apparaît-il soudai-nement partout ? Pour l’inspecteur Mercier,le meurtre de l’abbé Poitevin ne sera pasfacile à résoudre. En plus, il y a Dédé qui vientde s’évader de prison et qui a promis de fairela peau à Gisèle, la jolie prostituée et indic.Mais au-delà de tout ça, tout le monde sembleêtre tombé amoureux de Julie et du son del’instrument qu’elle manie avec le plus grandtalent. Quand même le commissaire division-naire semble envoûté, on comprend qu’il y abien des pistes à suivre.

Les Violons du diable a reçu en 2005 lePrix du Quai des Orfèvres fondé en 1946 et

destiné à couronner chaque année le meilleurmanuscrit policier inédit présenté par un écri-vain de langue française. Bon an mal an, leprix récompense des œuvres… inégales. Àpreuve, l’œuvre de Sylvie M. Jema, la récipien-daire de l’an dernier, était bien supérieure àcelle de cette année. Il ne faut pas se lecacher, dans le cas du roman de Jules Grasset,le travail d’édition a été fait à moitié. L’auteurprend le mauvais pli de donner trop d’impor-tance à des personnages (secondaires) dontil oublie l’existence par la suite. C’est le casde Pignol, par exemple, dont on ne sait trops’il est le personnage central ou un simpleadjoint et qu’on ne revoit plus du livre par lasuite. Puis il y a cette fin abrupte dans laquellele lecteur se sentira un peu floué – le com-missaire aurait dû venir régler des comptes.

Remarquez, ces commentaires n’enlèventrien à l’écriture tout à fait agréable de ce romandont les maladresses, toutefois, laissent desmarques. (FBT)Les Violons du diableJules GrassetParis, Fayard, 2004, 251 pages.

Dix petits nègresEmmanuel Pierrat est avocat. Il a beaucoup

publié : des fictions (Le Dilettante), des essaissur l’édition, des dictionnaires et des essaissur la sexualité, et un nombre importantd’ouvrages juridiques. Avec son titre façonAgatha Christie (Dix petits nègres), Les Dixgros blancs se présente avant tout, tant parsa jaquette que par son titre, comme un polarhumoristique.

Moustique. Une île privée des Caraïbesoù il ne fait pas très bon vivre depuis quelquetemps, surtout si vous êtes une vedette. Eneffet, après Mick Jagger, c’est David Bowieque l’on retrouve raide mort… juste avantde buter sur le cadavre d’Elton John. Mais ily en a d’autres qui sont présents, comme

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Lou Reed et Laurie Anderson. Comme il n’y apas vraiment de police sur l’île et que cettedernière est isolée du reste du monde en raisond’un ouragan, tout le monde se met à pani-quer. Surtout le personnel, des métis et desNoirs qu’exploitent les riches stars de Mous-tique. Seul Prosper Boniface, le médecinoriginaire de la Guadeloupe, semble vouloirs’improviser inspecteur. À l’aide de vieux livresde médecine légale datant du début du siècle,il commence son travail, autopsiant ici et làet menant son enquête petit bout par petitbout jusqu’à la résolution de l’affaire.

Outre l’île isolée et les morts, rien à voiravec le talent d’Agatha Christie. Le romand’Emmanuel Pierrat me fait plus penser auxhistoires du personnage de Peabody (Le serpentà plumes) et, encore là, le personnage créé parPatrick Boman possédait une certaine origi-nalité, contrairement aux Dix gros blancs.

En fait, ce roman rate sa cible de plusieursmètres et s’il s’annonce d’abord comme unroman humoristique, le contenu a peine à noustirer un sourire. Côté polar, c’est le désastre.

L’auteur préfère raconter le passé de cette îledes Caraïbes plutôt que d’installer un suspensequi ne vient pas ou qui fuit dès le deuxièmechapitre. Côté intrigue, là aussi on repassera,Pierrat révélant maladroitement le coupable unpeu avant la fin du roman.

C’est à se demander comment Fayard peutencore laisser passer ce genre de roman.Faudra voir comment Patrick Raynal, qui aquitté la Série Noire pour venir relancer lacollection « Fayard noir », saura s’entoureret prendre ses appuis afin que le polar quis’y publie soit d’un niveau plus décent. (FBT)Les Dix gros blancsEmmanuel PierratParis, Fayard, 2005, 207 pages.

Banzaï au SinaïÂgé de 80 ans, Elmore Leonard vient de

publier The Hot Kid, son 40e roman, une his-toire de gangters se passant dans les années30. En même temps, en traduction, la SérieNoire réédite d’anciens titres comme HommeInconnu no 89 et Le Don Quichotte du Sinaï,devenus introuvables, alors que chez Rivageson nous propose un roman inédit, TishomingoBlues et un recueil de nouvelles intitulé Quandles femmes sortent pour danser. Avant de seconsacrer au polar, Elmore Leonard a d’abordété un auteur de westerns mémorables (5étoiles!) comme Hombre et Valdez is coming,adaptés de façon magistrale au cinéma parMartin Ritt et Edwin Sherin respectivement.De grands moments de cinéma! Un critiquedu Publishers Weekly a dit des récits de cevétéran qu’ils étaient de qualité comparableà ceux d’Ernest Hemingway, qu’il écrivait demeilleurs dialogues que George V. Higgins,bref que c’était un des meilleurs auteurs depolars américains vivants. Outre ses westerns,plusieurs récits policiers de Leonard ont étéadaptés à l’écran, notamment par QuentinTarantino. Ceci étant dit, question d’univers,

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d’ambiance, je n’ai jamais été très emballépar les polars d’Elmore Leonard. Ces livressont peuplés de petits truands minables, com-binards, dont les pérégrinations criminellesme laissent plutôt froid. Heureusement, l’actionne manque pas, les dialogues (sa marque decommerce) font mouche et une fois embarquésdans le récit, on ne regrette pas sa lecture.

Dans Le Don Quichotte du Sinaï, unroman d’à peine 200 pages, Elmore Leonardnous propose un récit d’aventures qui res-semble beaucoup à un western, sauf que çase passe de nos jours et que le désert duNegev a remplacé les étendues arides del’Arizona ou du Nouveau-Mexique. À la veillede prendre sa retraite, angoissé par cette pers-pective peu réjouissante, le sergent Davis, ducorps des Marines, un soldat d’élite et hommed’action, se trouve mêlé à une sombre ma-gouille impliquant quelques gangsters et degrosses sommes, le tout sur fond d’intriguesentimentale. Poursuites, bagarres et fusil-lades se succèdent jusqu’au final explosif, letout mené à un rythme d’enfer. Pas de grandes

considérations sociologiques ou psychologiquespour retarder une intrigue strictement bâtiecomme un scénario de film et entièrementtournée vers l’action. Ça se lit vite (évidem-ment), on passe un bon moment et voilà !De la lecture de divertissement, dans la pluspure tradition du genre.

Elmore « Dutch » Leonard sait raconter unehistoire. Pour apprécier toute l’étendue deson talent de conteur et la diversité de soninspiration, on peut aussi lire neuf de ses récitsregroupés dans Quand les femmes sortentpour danser, qui contient des histoires crimi-nelles, des récits westerns et des nouvelles« hors » genre comme « Traîner au BuenaVista ». Le dernier texte, intitulé « Tenkiller »est un mini-roman dont le héros, cascadeur deson état, a quelques problèmes dans ses rap-ports amoureux. Bref, du concentré de Dutchà son meilleur ! (NS)Le Don Quichotte du SinaïElmore LeonardParis, Gallimard (Série Noire), 2005, 204 pages.

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Quand les femmes sortent pour danserElmore LeonardParis, Rivages (Écrits noirs), 2005, 192 pages.

Michael Simon: un émule de James EllroyCommençons par l’énoncé d’un paradoxe :

ce roman n’est pas mauvais, bien au con-traire, mais il nous laisse pourtant sur notrefaim. Dans Dirty Sally, de l’Américain MichaelSimon, on a un début sur les chapeaux deroue, un personnage principal comme on lesaime, de l’action, de l’action et encore del’action, un brin de romance bien intégré àl’ensemble, bref tout ce qu’il faut pour satis-faire le client. Mais, et c’est là que le bâtblesse, on a aussi une nette impression dedéjà lu. Si vous êtes un amateur de romanpolicier occasionnel seulement, vous aveztoutes les chances de beaucoup apprécier ceroman. Ce sera moins le cas si vous êtes unamateur assidu, car alors vous ne serez guèresurpris.

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Une prostituée inconnue (Dirty Sally) estassassinée dans des conditions atroces, unjeune militant des droits civiques est écrasépar un autobus municipal dans un accidentqui sent le traquenard, Dan Reles, un flic in-tègre et curieux, mène l’enquête et se heurteà un establishment hostile, alors que lapanique s’installe dans les hautes sphères dupouvoir. Il me semble qu’on a là un scénarioassez convenu, à quelques variantes près.Dan Reles étant du genre cabochard, prêt àsouffler sur les braises, on sait que son en-quête sera pleine d’embûches, que des flicscorrompus lui mettront des bâtons dans lesroues et que tout sera pour le mieux dans lepire des mondes. Et le dénouement est sur-prenant, pour ne pas dire frustrant. Seulenote vraiment originale : l’action de ce thrillernoir se passe à Austin, au Texas ce qui a faitdire à James Ellroy, le mentor de cet auteur,que Michael Simon avait fait pour le Austindes années 80 ce que lui-même avait entre-pris pour le Los Angeles des années 50.

Michael Simon est un ancien acteur de-venu dramaturge qui a également travaillépendant cinq années en tant qu’officier chargédu contrôle judiciaire au Ministère de la jus-tice d’Austin. James Ellroy en a fait son poulainet ce nouveau venu dans le monde du polaraméricain s’est retrouvé sur les listes desbestsellers dès son premier roman. (NS)Dirty SallyMichael SimonParis, Flammarion, 2005, 326 pages.

Barry vaut bien une messeTokyo Blues, de Barry Eisler, met le lecteur

dans une position bien embarrassante… Eneffet, John Rain, le personnage principal dece récit, est un tueur à gages spécialisé dansles morts naturelles. En tant que lecteur,nous allons donc « sympathiser » un peu,beaucoup, malgré nous avec un criminel qui

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combats mortels. Adapté à l’écran, nul douteque Tokyo Blues ressemblerait à un hybridede film noir et de kung-fu. John Rain est unhomme d’action qui nous entraîne sur sonchamp de bataille favori : les ruelles obscuresde Tokyo, ses avenues grouillantes, ses barsà hôtesse et autres lieux de perdition exo-tiques Il y rencontrera un nouvel amour en lapersonne de Naomi, une métisse aux yeuxverts.

Au menu, bagarres, poursuites, rendez-voussecrets, fréquentations douteuses, complotset duel final entre deux experts du combat àmain nue. On ne s’ennuie pas, mais la morale,on la cherche encore, car Rain, faisant fi de ses« principes » sacrés, élimine une femme !Notons que La Chute de John R. est disponibleen édition de poche, chez Pocket. (NS)Tokyo BluesBarry EislerParis, Belfond (Nuits noires), 2005, 388 pages.

En fait, pas grand-chose !Andréa Camilleri est Sicilien d’origine. Il a

pratiqué les métiers de metteur en scène, deréalisateur de télévision et de scénariste. C’esttardivement qu’il s’est fait connaître commeromancier, entre autres avec sa série des en-quêtes du commissaire Montalbano. Fayardprésente ici son tout premier roman écritentre 1967 et 1968, mais qui fut publié seu-lement en 1978. Mal diffusé, il est rééditéen 1998. Il s’agit de sa première traductionen langue française.

Le vieux Vito mène une existence paisibleplutôt solitaire. Propriétaire d’un petit poulaillerqui lui permet de s’arracher une vie de misère,seul son vieux copain Masino, le tenancier dubar de la petite bourgade sicilienne où il vit,a sa confiance. Mais la journée où il essuiedeux coups de feu sur le pas de sa porte, lavie de Vito bascule. Qui peut bien en vouloirà cet être déjà solitaire et isolé? L’adjudant

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a un tableau de chasse impressionnant et quiest la terreur des gangsters sadiques, des poli-ticiens véreux, des agents doubles, troubles,et autres lie de la société. Moyennant rému-nération, vous pouvez engager Rain pouréliminer quelqu’un. Votre cible (toujours unecrapule) aura un accident. Les flics n’y verrontque du feu. Mais attention… John Rain ades principes : il ne tue ni femmes ni enfants.Son ex-petite amie, dont il a tué le père, ledécrit ainsi : « J’ai compris qui tu étais. Tu nefais pas partie du monde réel. Du moins pastel qu’il est pour moi. Tu es une sorte de fan-tôme, une créature condamnée à vivre dansl’ombre. Et je me suis aperçue que quelqu’uncomme ça ne méritait pas la haine ».

Après les événements dramatiques survenusdans La Chute de John R., premier roman dela série, Rain a décidé de prendre sa retraite.Mais, air connu, son passé le rattrape, il ades dettes. La mafia japonaise et la CIA, sesanciens employeurs, se rappellent à son bonsouvenir. Sa nouvelle cible désignée estMurakami, un terrifiant yakuza expert en

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Corbo, lui, n’hésite pas à recouper les coupsde feu entendus en pleine nuit avec le ca-davre d’un berger retrouvé le même jour.

Ce roman d’Andréa Camilleri n’est pasfacile d’approche. Dès les premières pages,on se bute à un parlé régional pas facile dutout et à des expressions pour lesquelles lelecteur possède bien peu de référents. L’his-toire est assez banale et renferme peu desqualités recherchées dans un polar. L’intrigueest là, mais l’auteur nous en détourne cons-tamment pour mieux nous la remettre sousle nez tout à coup, et le suspense n’est effi-cace qu’à la fin, quand on nous amène enfinle dénouement.

Dans une postface intéressante, Camillerinous apprend que ce roman a constammentété repoussé de publication en publicationpour des raisons de changement de collection,d’intérêt soudainement moindre des éditeurs,bref pour toutes sortes de bonnes raisons (sic)qui n’avouent pas, en fait, que ce texte n’étaitpeut-être tout simplement pas assez bien

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pour être publié. Et ce même si on en a tiréune adaptation en trois épisodes pour la télé-vision en 1978, réalisée par Pino Passalacquaet intitulée La Main sur les yeux.

Il faut donc voir ce roman comme un do-cument inédit et intéressant pour les fans incon-ditionnels de Camilleri, qui en seront quittespour une courte préface et une postface bienéclairante sur les ambitions de ce « premieressai ». (FBT)Le Cours de chosesAndréa CamilleriParis, Fayard, 2005, 159 pages.

Si vous cherchez des histoires…Roland Lacourbe est un de mes antholo-

gistes favoris. Aux éditions de l’Atalante,dans la collection « Insomniaques et ferro-viaires », il a fait paraître 25 histoires dechambres closes, une antho exemplaire etinégalée, 30 recettes pour crimes parfaits,susceptible de vous donner des idées noires(mais pratiques), Eaux mystérieuses et mersinfernales, 20 défis à l’impossible et, dans lamême veine que cette dernière, Vingt pasdans l’insolite qui, dans la logique tordue dutitre, comporte 21 récits.

Le livre est divisé en quatre grandes parties:aux frontières de l’irrationnel, chez les magi-ciens, l’ange du bizarre, passés improbableset futurs incertains, parties séparées par unentracte. Le dit entracte est une nouvelle deJ. Barine (pseudo de Paul Gayot et PascalDourcy, membre de l’OuLiPoPo) dans laquellel’auteur va transgresser systématiquementles vingt règles de Van Dine afin de concevoirscientifiquement la plus mauvaise nouvellepolicière jamais écrite ! Avec bien entendu unrappel des fameuses règles et des commen-taires de l’auteur.

Ces excursions dans l’insolite, où le fan-tastique ne semble jamais bien loin, sont autantde tours de force parce que leur originalité

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Ici, réunis autour de Mme Clark, on re-trouve Lawrence Block, Stanley Cohen, DorothySalisbury Davis, Mickey Friedman, JoyceHarrington, Susan Isaacs, Judith Kelman,Warren Murphy, Peter Straub, Whitley Strieberet Justin Scott. Avec au sommaire des spécia-listes de l’horreur comme Strieber ou Straub,la vie de famille risque d’être mouvementéeet on peut être certain que ça va saigner !Contrairement à l’antho de Lacourbe, celle-ciest toute nue : aucune présentation ni desauteurs ni des textes avec juste une maigreet inutile intro de M. H. Clark. Dommage !Ces récits de bonne facture mériteraient unpeu plus d’attention. (NS)Vingt pas dans l’insoliteRoland Lacourbe (dir.)Nantes, L’Atalante (Insomniaques et ferroviaires),2005, 580 pages.Meurtres en familleThe Adams Round TableParis, Albin Michel, 2005, 400 pages.

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est que leurs auteurs donnent toujours uneexplication rationnelle à des événementsbizarres, incongrus ou fantastiques. C’est ainsique j’ai (re)découvert avec plaisir la nouvelled’Helen McLoy, « Le Miroir obscur » (dont ona fait un roman par la suite) et sa curieuserésolution. Comme toute anthologie de bonnetenue, le choix des auteurs est varié avecprésence obligatoire de quelques auteurs-fétiches de Lacourbe : John Dickson Carr, PaulHalter, Edward D. Hoch, Joseph Commings(deux récits), René Reouven et quelquesautres. Petit supplément fort apprécié : avecLacourbe, les récits sont encadrés, les auteurs etles textes présentés, alors qu’une bibliographievient compléter le tout, comme il se doit.

Meurtres en famille est la sixième antho-logie thématique regroupant douze nouvellesà suspenses inédites et publiée par les auteursappartenant à la Adams Round Table (dirigéepar Mary Higgins Clark). On se souviendraque depuis quinze ans, Mary Higgins Clarkréunit chaque mois les plus grands maîtresaméricains du suspense chez Adams, le célèbrerestaurant new-yorkais, afin d’imaginer lesintrigues les plus machiavéliques (on me ditqu’ils ont changé de resto depuis…).