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\ 161 N° 5946. - LE CONCOURS DES CREANCIERS D'UNE SOCIETE EN LIQUIDATION. 1. Aux termes de !'article 178 des lois coordonnees, la societe commerciale est, apres sa dissolution, reputee exister pour les be- soins de sa liquidation. Elle conserve sa personnalite juridique. Cette survie fictive est conforme a des associes qui ne trouveraient pas leur compte en assumant immediatement la ges- tion de biens greves de dettes. Mais la solution est surtout justifiee par la protection des creanciers. Leur situation serait particuliere- ment inconfortable s'ils .se trouvai.ent devant une masse informe de biens et de charges relevant de divers patrimoines. lls ont traite avec la societe. II serait anormal que celle-ci s'evanouisse et que sa dissolution les co.ntraigne, pour recouvrer leurs crean- ces, d'interpeller les associes. Mais ii y a plus : la survie fictive evite que le patrimoine social, qui est leur gage, se confonde avec les divers patrimoines des associes. La regle assure ainsi, sur les biens de la societe, le droit de preference des creanciers sociaux. La dissolution n'entame done pas les dettes de la societe a l'egard de ses creanciers. Les droits que ceux-ci possedent sur elle demeurent entiers. Les travaux preparatoires sont tres clairs sur ce point. Au cours de la seance de la Chambre du 19 fevrier 1870, M. LELIEVRE. declarait a propos de !'article 111 de la loi du 18 mai 1873 (!'equivalent de !'article 178 des lois coordonnees actuelles) : « Je pense qu'il est bien entendu que cette disposition s'applique non seulement aux associes mais egalement aux tiers. En consequence, ceux-ci pourront exercer toutes actions contre la societe form.ant un corps moral et ce jusqu'a sa liquidation. Cette observation est necessaire afin qu'il soit bien certain que, jusqu'a la liquidation, c'est la societe elle-meme qui pourrait etre assignee comme corps moral devant les tribunaux comme avant sa dissolu- tion.» Le Ministre de la Justice, M. BARA, lui repondait : (( C'est evident. L'article existe non seulement pour les associes, mais pour les tiers. C'est meme surtout pour les tiers qu'il existe, afin qu'ils puissent assigner la societe. » (1) Le reglement du passif est meme l'objet essentiel de la liqui- dation. La Cour de cassation a rappele a plusieurs reprises que !'o- peration « tend, avant tout, au paiement des dettes sociales dont aucun acte de dissolution ou de liquidation ne saurait affranchir (1) Doc. parl., Chambre, session 1869-1870, p. 515 ; J. GUILLERY, p. 360, no 349. 5946

N° 5946. - LE CONCOURS DES CREANCIERS D'UNE SOCIETE EN · Le reglement du passif est meme l'objet essentiel de la liqui dation. La Cour de cassation a rappele a plusieurs reprises

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N° 5946. - LE CONCOURS DES CREANCIERS D'UNE SOCIETE EN LIQUIDATION.

1. Aux termes de !'article 178 des lois coordonnees, la societe commerciale est, apres sa dissolution, reputee exister pour les be­soins de sa liquidation. Elle conserve sa personnalite juridique. Cette survie fictive est conforme a l'inten~~t des associes qui ne trouveraient pas leur compte en assumant immediatement la ges­tion de biens greves de dettes. Mais la solution est surtout justifiee par la protection des creanciers. Leur situation serait particuliere­ment inconfortable s'ils .se trouvai.ent devant une masse informe de biens et de charges relevant de divers patrimoines. lls ont traite avec la societe. II serait anormal que celle-ci s'evanouisse et que sa dissolution les co.ntraigne, pour recouvrer leurs crean­ces, d'interpeller les associes. Mais ii y a plus : la survie fictive evite que le patrimoine social, qui est leur gage, se confonde avec les divers patrimoines des associes. La regle assure ainsi, sur les biens de la societe, le droit de preference des creanciers sociaux.

La dissolution n'entame done pas les dettes de la societe a l'egard de ses creanciers. Les droits que ceux-ci possedent sur elle demeurent entiers. Les travaux preparatoires sont tres clairs sur ce point. Au cours de la seance de la Chambre du 19 fevrier 1870, M. LELIEVRE. declarait a propos de !'article 111 de la loi du 18 mai 1873 (!'equivalent de !'article 178 des lois coordonnees actuelles) : « Je pense qu'il est bien entendu que cette disposition s'applique non seulement aux associes mais egalement aux tiers. En consequence, ceux-ci pourront exercer toutes actions contre la societe form.ant un corps moral et ce jusqu'a sa liquidation. Cette observation est necessaire afin qu'il soit bien certain que, jusqu'a la liquidation, c'est la societe elle-meme qui pourrait etre assignee comme corps moral devant les tribunaux comme avant sa dissolu­tion.» Le Ministre de la Justice, M. BARA, lui repondait : (( C'est evident. L'article existe non seulement pour les associes, mais pour les tiers. C'est meme surtout pour les tiers qu'il existe, afin qu'ils puissent assigner la societe. » (1)

Le reglement du passif est meme l'objet essentiel de la liqui­dation. La Cour de cassation a rappele a plusieurs reprises que !'o­peration « tend, avant tout, au paiement des dettes sociales dont aucun acte de dissolution ou de liquidation ne saurait affranchir

(1) Doc. parl., Chambre, session 1869-1870, p. 515 ; J. GUILLERY, p. 360, no 349.

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le patrimoine social ou les associes » (2). La prem1ere tache des liquidateurs est d'apurer le passif par la realisation des biens so­ciaux. A tel point que la cl6ture de la liquidation pourrait etre annulee si cette regle etait meconnue (3). Une cl6ture precipitee laissant des dettes en souffrance apres repartition aux associ es serait frauduleuse. La liquidation ne prend fin que lorsque to us les creanciers ont ete remplis de leurs droits ou, si l'actif est in­suffisant pour les satisfaire tous, apres qu'il ait ete affecte en tota­lite a leur paiement. Les associes ne recueilleront que le solde eventuellement disponible.

2. A l'effet d'assurer le paiement des creanciers, le legislate ur a trace une ligne de conduite aux liquidateurs. L'article 184 des lois coordonnees, qui rappelle leur obligation d'apurer le passif, enonce une directive : lorsque les biens sociaux sont insuffisants, les liquidateurs effectueront une repartition entre tous les crean­ciers, proportionnellement au droit de chacun et sous reserve du · respect des sOretes et privileges.

Cette obligation a ete l'objet d'une vive controverse alimentee par la nature conflictuelle de l'hypothese a laquelle elle s'applique. Comment concilier dans les faits une repartition proportionnelle entre les creanciers, qui exige !'amputation de leurs creances, avec la regle affirmee par ailleurs selon laquelle la dissolution n'affecte pas leurs droits sur la societe ? Libres d'exi­ger paiement, de tirer d'un defaut de paiement toutes les conse­quences prevues par le droit commun, voire d'executer leur de­bitrice, Jes creanciers se heurteront necessairement a la volonte des liquidateurs d'assurer une distribution au mare le franc. Si leurs entreprises ne peuvent etre tenues en echec, elles risquent de perturber la liquidation et de permettre ainsi a certains d'ent.re eux d'etre payes au detriment des autres. Or, le legislateur impose precisement aux liquidateurs de veiller a ce qu'il n'en soit pas ainsi ...

* * * (2) Cass. ler decembre 1925, Pas. 1926, I, 88. Voyez aussi : Cass., 20 janvier

1898, Pas., 1898, I, p. 72 ; Cass. 8 mai 1930, Pas., 1930, I, 206; Cass. 7 oc­tobre 1958, Pas., 1959, I, 132.

(3) J. ·RENAULD, Effets de la clOture de la liquidation sur l'existence des societes commerciales, Obs. sous Cass., 22 mars 1962, R.C.J.B., 1963, p. 49 (Voyez les conclusions de M. le Procureur General GANSHOF VAN DER MEERSCH alors avocat general, Pas., 1962, I, p. 807).

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3. Les initiatives des creanciers sont d'abord rec;ues avec fa­veur. Le principe de la survie de la societe apres sa dissolution est nouveau, a tout le mains dans la loi (4). On evite de l'enerver. Les decisions anciennes rappellent que « la consequence de cette fiction est precisement que les societes dissoutes sont, pendant comme avant leur liquidation, tenues a !'execution des engage­ments contractes par elles » (5). Elles repondent -done de leurs dettes sur leurs biens car « le principe que les biens du debiteur sont le gage commun des creanciers est applicable a une societe en liquidation comme a tout autre debiteur » (6). Rien n'empeche done les creanciers les plus diligents de faire reconnaltre leur cre­ance en justice et d'en poursuivre !'execution (7). Cette execution risque-t-elle de nuire aux autres creanciers qui, mains actifs ou simplement parce qu'ils s'en remettent aux liquidateurs pour re­cevoir leur du, s'abstiennent de toute attitude agressive a l'egard de leur debitrice ? Qu'importe : « En reconnaissant a tout crean­cier individuellement le droit absolu d'executer les biens de ses debiteurs, la loi l'a constitue seul juge de l'utilite qu'il pourrait retirer de l'exercice de ce droit, sans qu'il ait a tenir compte de l'interet des autres creanciers » (8). L'entree en liquidation de la societe est un fait etranger a ses creanciers, impuissant a reduire l'integrite et l'autonomie de leurs droits anterieurs.

Sans doute, le legislateur a impose al.Ix liquidateurs !'obliga­tion d'assurer un reglem.ent proportionnel lorsque le passif excede l'actif. Mais ii faut voir dans cette disposition une regle d'ordre purement interne, une directive donnee aux liquidateurs dans l'exercice de leur mandat. Elle edicte le devoir des liquidateurs, organes de la societe charges du paiement. Elle ne modifie pas la situation juridique des creanciers et n'entralne pas la decheance de leurs droits de recours. L'article 117 de la 'loi du 18 mai 1873 (!'article 184 des lois coordonnees actuelles) « determine unique­ment les obligations des liquidateurs vis-a-vis des creanciers de la societe, sans restreindre ni transformer les droits de ceux-ci » (9). La regle est-elle d'ailleurs autre chose qu'un rappel du droit

(4) La jurisprudence l'avait consacre dans les faits avant la loi du 18 mai 1873 (voyez J. GUILLERY, p. 140, no 75).

(5) Bruxelles, 13 janvier 1896, Pas., 1896, II, p. 168. (6) Bruxelles, 11 decembre 1889, Pas., 1891, II, p. 265. (7) Liege, 2 avril 1886, Pas., 1886, II, p. 328, et 12 juillet 1901, Revue 1902,

p. 42 ; Bruxelles, 22 octobre 1912, Belgique judiciaire, 1912, p. 1244. (8) Bruxelles, 23 avril 1895, Pas., 1895, II, p. 367. (9) Liege, 2 avril 1886, Pas., 1886, II, p. 328.

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commun ? L'article 8 de la loi hypothecaire impose aussi une repartition proportionnelle, entre tous les creanciers, du produit de la realisation des biens de leur debiteur lorsque ceux-ci sont insuffisants. Or nul ne soutient que ce texte interdit a un creancier poursuivant d'obtenir paiement integral. La societe en liquidation n'est pas dessaisie de son patrimoine comme elle le serait par la faillite. En !'absence de textes speciaux, qui existent precisement en cas de faillite ou de concordat, ses biens n'echappent pas a l'emprise de ses creanciers (10).

Les travaux preparatoi res de la loi du 18 mai 1873 sont in­voques a l'appui de la solution. Ne lit-on pas, dans le rapport de M. PrRMEZ : « II faut prendre des mesures rigoureuses pour qu'une partie des creances ne soit pas payee aux depens des autres. La responsabilite des liquidateurs est la meilleure garantie a cet egard » (11). La meilleure garantie, cela ne signifie-t-il pas en rea­lite la seu/e garantie : « Qui prefere, exclut » (12) ? Le.s Jiquidateurs

· ne peuvent, sous leur responsabilite personnelle, payer un crean­cier au-dela du dividende de liquidation. Mais on ne peut con­traindre les creanciers a se contenter d'un paiement partiel.

4. On conc;;oit l'embarras des liquidateurs. Mais ils ne sont pas, dit-on, demunis de moyens pour assurer une repartition propor­tionnelle. N'assure-t-on pas, apres avoir affirme le principe du droit d'execution des creanciers, que les liquidateurs (( peuvent faire opposition a la remise au creancier poursuivant des fonds de l'avoir social et arriver ainsi a tine distribution» (13) ? L'observation est erronee. Les liquidateurs sont les organes de la societe et agis­sent en cette qualite. ·Leur opposition ne serait fondee que dans la mesure ou le serait celle de la societe, c'est-a-dire du debiteur saisi. Des lors que le droit d'execution des creanciers est intact, pareille opposition est vouee a l'echec. D'autres, sans doute con­scients de la difficulte, l'evitent -par !'imprecision : « Les liquida­_teurs, ecrit P. WAUWERMANS (14), ont seulement le droit d'interve­nir aux fins de maintenir l'egalite entre creanciers si l'etat de la

(10) MARX, Manuel du liquidateur de societes, no 86; P. WAUWERMANS, p. 525; A. PASSELECQ, Novelles, Droit commercial, t. III (1934), p. 628 et 629; RESTEAU, Societes anonymes, t. IV, no 1971; FREDERICQ, Traite, V, no 746.

(11) J. GUILLERY, p. 144. (12) F. PASSELECQ, Revue, p. 60. 03) Liege, 2 avril 1886, Pas., 1886, ,II, p. 328; Bruxelles, 11 decembre 1889,

Pas., 1891, II, p. 265. (14) P. WAUWERMANS, p. 526.

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liquidation ne permet pas le paiement integral. » A quel titre et par quels moyens ? On ne le dit pas. Certains, plus imaginatifs en­core, suggerent que les liquidateurs reunissent une assemblee des

· creanciers qui, apres examen de la situation, « decidera si la liqui­dation peut etre terminee a !'amiable et dans quelles conditions » (15). Heureuse initiative, mais dont le succes depend du concours et du ban vouloir des creanciers qui, par leur attitude, ant montre qu'ils n'etaient pas disposes a patienter -davantage. L'octroi de termes et delais ne resoudrait rien : l'echeance serait simplement retardee (16).

En fait, ces efforts tendent a concilier l'inconciliable. Les moyens de defense proposes seront vains s'ils rencontrent l'obsti­nation des creanciers poursuivants. Est-ce a dire que les liquida­teurs devront alors baisser les bras ? RESTEAU le laisse entendre : (( C'est aux autres creanciers a veiller, dans ce cas, a la defense de leurs interets en intervenant a la saisie et en exigeant que les de­niers soient partages entre eux. » (17) On voit la un conseil teme­raire. Obligation est faite aux liquidateurs d'eviter que la reparti­tion soit faussee par des initiatives intempestives. Leur abstention, qui laisserait s'installer l'anarchie dans les poursuites, serait fautive.

En realite, la seule issue - et !'issue obligee - pour les li­quidateurs est de faire l'aveu de la faillite de la societe ou de de­mander en son nom un concordat ou le benefice du sursis de paiement (18). Ainsi' seulement, les poursuites des creanciers se­ront arretees et la repartition proportionnelle de l'actif assuree. La solution est dure,- sans doute. Elle peut presenter plus d'in­convenients que d'avantages. Mais les liquidateurs n'ont pas le choix. Elle est cependa'nt inapplicable lorsque la societe dissoute est une societe civile.

* * * 5._ Un premier coup d'arret est donne par un article de M. R. PIRET, publie dans cette revue en 1935 (19). La compensation en­tre creances et dettes de la societe en liquidation est l'objet, limiJe,

(15) Bruxelles, 22 octobre 1912, Belgique judiciaire 1912, p. 1244; P. WAU-WERMANS, p. 526; PASSELECQ, op. cit., no 4783.

(16) Le benefice des termes et delais accordes a une societe en liquidation a parfois ete conteste dans son principe : F. PASSELECQ, op. cit., no 4786. Nous ne partageons pas cet avis.

(17) op. cit., p. 215. (18) F. PASSELECQ, op. cit., no 4783; J. VAN RYN et J. HEENEN, R.C.J.B.

1958, p. 90 et 1962, p. 417. (19) R .. PIRET,· La compensation legale peut-elle etre opposee a une societe

commerciale en liquidation ? Revue 1935, p, 91.

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de l'etude. L'article 159 des lois coordonnees par l'arrete royal du 22 juillet 1913 (!'equivalent de !'article 117 de la loi du 18 mai 1873 et de !'article 184 des lois coordonnees actuelles) n'est-il qu'une simple recommandation aux liquidateurs, tenus de ne faire aucun acte qu'i soit contraire a leur obligation d'assurer un paie­ment proportionnel des creances ? Laisse-t-il vraiment intact le droit d'un creancier d'opposer la compensation legale, c'est-a-dire !'extinction de plein droit de sa dette ~ l'egard de la societe a concurrence du montant de sa creance sur celle-ci ? L'auteur re­pond par la negative. Ce texte impose sans doute une obligation aux liquidateurs. Mais en meme temps, ii donne aux creanciers !'assurance, en cas d'insuffisance d'actif, qu'aucun d'eux ne sera paye au detriment des autres, c'est-a-dire au-dela du dividende de liquidation. II cree, dans le chef de chacun des creanciers, un veritable droit subjectif : le droit a une repartition proportion­nelle de l'actif. Ce droit, les liquidateurs sont charges de le faire respecter. L'article 159 « est la manifestation de .la volonte du le­gislateur de faire regner, des la dissolution, la loi du partage egal entre les creanciers chirographaires ». II est vrai qu'aucun texte ne prevoit, comme en matiere de faillite, le dessaisissement de la societe en liquidation, c'est-a-dire la reservation exclusive de son patrimoine au paiement de ses creanciers. II est vrai aussi que la dissolution n'est pas, par elle-meme, significative de l'insolvabili­te de la 'societe. Mais l'objet de la liquidation - le reglement du passif - et les avatars possibles de la realisation des actifs exigent que la protection des creanciers soit assuree. Elle I' est precisement par la reconnaissance de leur droit a une distribution egalitaire, sous la responsabilite personnelle des liquidateurs. Toute com­pensation opposee par un creancier, qui se trouverait etre en meme temps debiteur de la societe, meconnaltrait ce droit acquis des autres creanciers dans la mesure OU elle permettrait a l'un d'eux d'etre paye au-dela de ce qui lui revient. Or, aux termes de !'article 1298 du code civil, la compensation ne peut porter prejudice aux droits acquis par les tiers. ~a compensation que pre­tendrait opposer un creancier-debiteur a une demande de paie­ment des liquidateurs doit done etre reJetee.

Le danger est reel. Pour les autres creanciers, ii est plus se­rieux qu'une tentative d'execution. Le cheminement de la procedure d'execution d'une societe en liquidation est se­me d'embuches. Sur ce point, M. R. PIRET - hesitant a

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tirer du principe enonce des consequences encore jugees trop audacieuses - s'en refere a la these traditionnelle : la dissolution n'affecte pas le droit de poursuite et d'execution des creanciers mais ce droit risque de se heurter a !'intervention des liquidateurs OU d'autres creanciers s'opposant a la remise des fonds au pour­suivant. Au contraire, !'exception de compensation est une sim­ple defense, aisee et efficace. Les liquidateurs ne peuvent l'ad­mettre et leur vigilance doit etre de regle (20).

* * * 6. L'enseignement porte ses fruits. Par un arret du 23 novembre 1939 (21), la Cour de cassation reconnalt que « les creanciers d'une societe en liquidation ont un droit acquis a ce qu'un creancier isole ne soit pas paye dans une proportion plus forte qu'eux-me­mes grace a la double qualite de creancier et de debiteur qui existerait dans son chef depuis · l'evenement de la mise en li­quidation ». La compensation n'est pas possible lorsqu'elle ne peut s'operer qu'apres dissolution de la societe et meconnaltrait, de ce fait, l'egalite des creanciers. La Cour enonce, a propos de I' article 184 des lois coordonnees : « Que ce texte imperatif im- · plique l'egalite qui doit regner dans les repartitions de l'avoir so­cial entre tous les creanciers chirographaires de la societe et qu'il determine de maniere irrevocable les droits reciproques de ceux­ci des /'instant de la mise en liquidation ; que cette disposition trouve sa raison d'etre dans le fait qu'une societe commerciale dissoute disparaissant par la cl6ture de sa liquidation ne laisse aux creanciers incompletement payes aucune possibilite d'obtenir a l'avenir paiement de ce qui leur reste du ». De ce principe, l'arret deduit la regle suivante : « Attendu que s'il appartient a l'un des creanciers d'exercer une action individuelle contre la societe, no-

(20) Certaines decisions de premiere instance avaient deja rejete la cpm­pensation apres dissolution : Comm. Bruxelles, 15 novembre i902, Revue 1903, no 1435 et observations; Comm. Liege, 26 novembre 1907, Revue 1908, no 1184; Comm. Liege, 20 decembre 1922, Revue 1924, no 2571 et observations P. DEMEUR. Mais la plupart des auteurs et des decisions, qui ne voyaient dans l'article 117 de la loi du 18 mai 1873 (puis dans l'article 159 des lois coordonnees par l'arrete royal du 22 juillet 1913) qu'une directive donnee aux liquidateurs sans effet sur les droits des creanciers, l'admettaient (Bruxelles, 15 novembre 1902, Pand. per., no 1232; Comm. Bruxelles, 2 mars 1907, Jur. comm. Bruxelles, 1908, p. 389 et Revue 1908, no 1133 ; Comm. Liege, 27 novembre 1907, Pas., 1909, III, p. 252 ; Comm. Bruxelles, 20 janvier 1914, Jur. comm. Bruxelles, p. 131 ; J. MARX, op. cit., nos 74, 90 et 99; P. WAUWERMANS, no 977; RESTEAU, op. cit., no 1886).

(21) Cass., 23 novembre 1939, Pas., 1939, I, p. 486, Revue 1940, p. 47 et ob­servations M.F. et F. PASSELECQ.

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tamment afin de faire etablir judiciairement sa creance, cette ac­tion ne saurait aboutir a des actes d'execution qui auraient pour effet de porter atteinte aux droits des autres creanciers et que la loi, par le fait de la mesure de mise en liquidation, a implicitement rendus sans objet ».

On le voit, la Cour confere a sa decision une portee gene­rale. Elle entend tirer logiquement toutes les consequences de !'interpretation nouvelle donnee par M. R. PIRET a !'article 184, qu'elle fait sienne. Ainsi, condamne-t-elle deja les mesures d'exe­cution prises par les creanciers, dans la mesure ou elles permet­traient a certains d'obtenir un dividende superieur au dividende de liquidation. En decidant que l'entree en liquidation de la so­ciete a rendu les actes d'execution de ses .creanciers « implicite­ment sans objet », la Cour reconnalt que I' article 184 contraint les creanciers a s'en remettre aux liquidateurs pour recevoir paiement et leur interdit toute initiative a cet effet sur les biens de la societe. La regle est le corollaire necessaire du droit de chacun d'eux a une repartition proportionnelle, dont le respect doit etre assure par les liquidateurs.

L'arret a suscite un certain emoi. Dans une note, a la fois penetrante et embarrassee, M. F. PAssELECQ a voulu y voir une decision d'espece : « Nous ne pourrions nous resoudre a penser que !'intention de la Cour de cassation, dans son arret ci-dessus du 23 novembre 1939, aurait ete d'operer, sans le dire plus ·net­tement, une revolution complete des errements qui ont ete suivis sans deviation depuis plus de 65 ans en matiere de liquidation par la doctrine et la jurisprudence » (22). La Cour a ete appelee a se prononcer exclusivement, ecrit !'auteur, (( sur le point concret de savoir si une creance de ''la societe, anterieure a la liquidation, pouvait et devait OU non etre compensee par fe /i­quidateur avec une dette sociale devenue exigible seulement apres la liquidation». La portee de !'article 184 des lois coordon­nees n'est done guere modifiee : c'est bien des devoirs et des obligations des liquidateurs qu'il s'agit. La dissolution de la so­ciete demeure un fait etranger a ses creanciers (( qui ont la faculte d'y adherer OU de le repudier ». Le regime de liquidation est ini-

(22) Le· titre de la note, publiee sous l'arret, est eloquent : « Une grave in­novation jurisprudentielle en matiere de liquidation de societes com­merciales ? Quell~ est la portee de l'arret de cassation du 23 novembre 1939 ? » (Revue 1940, p. 51) .

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puissant a modifier leur condition et leurs droits respectifs : « II organise seulement la conciliation de ces droits respectifs aux prises avec l'insuffisance de l'actif, si les cn~anciers veulent bien s'incliner devant la mesure de la liquidation ». Point de droit acquis a une repartition proportionnelle dans le chef des crean­ciers, seulement une obligation pour les liquidateurs ; point de decheance dans l'exercice des recours. La critique est difficilement conciliable avec les termes generaux de l'am~t.

Les juridictions de fond hesitent a s'engager dans la voie ouverte par l'arret (23).

* * * 7. L'arret du 23 novembre 1939 est pourtant le premier jalon d'une construction jurisprudentielle prudemment mais fermement erigee par la Cour de cassation. Le 31 janvier 1964, la Cour con­fi rme cet arret en des termes presque identiques en decidant que la resolution d'un contrat de vente, demandee par le vendeur apres dissolution de la societe acquereuse~ ne peut etre opposee aux autres creanciers de celle-ci. L'entree en liquidation « a pro­voque legalement un concours entre les creanciers de la societe, concours qui, en _vertu de !'article 20, 5°, de la loi hypothecaire, fait obstacle a l'egard des creanciers autres que le vendeur tant a la resolution qu'a la revendication » .(24).

La perte du .droit d'obtenir la resolution de la vente·est enon­cee, en cas de faillite de l'acheteur, par !'article 546 de la loi. sur les faillites. Mais la jurisprudence de la Cour de cassation l'a etendue a tous les cas ou nalt un « concours » entre le vendeur et un ou plusieurs creanciers de l'acheteur et a decide que la de­cheance frappe aussi, en pareille hypothese, la clause contractu­elle de reserve de propriete et la condition resolutoire expresse :

(23) Comm. Bruxelles, 31 octobre 1952, Revue 1954, p. 44 et observations VOSKRESSENKY. Dans le meme sens : Bruxelles, 14 juillet 1953, Revue 1954, p. 156 ; Comm. Bruxelles, 9 mars 1960, Jur. comm. Bruxelles, 1960, p. 248. La regle n'est plus discutee aujourd'hui (voyez notamment civ. Bruxelles, 19 mars 1969, Pas., 1970, III, p. 37, confirme par un arret inedit de la Cour d'appel de Bruxelles). La compensation peut jouer sans obstacle des lors que les dettes reciproques 'sont toutes deux exi­gibles; liquides et certaines avant la mise en liquidation. Elle devrait aussi etre admise, croyons-nous, dans tous les cas oil elle aurait pll

· jouer apres faillite (voyez notamment P. COPPENS, in R.C.J.B., 1974, p. 420). .

(24) Cass., 31 janvier 1964, Pas., 1964, I, p. 593, confirmant Gand, 27 novem­bre 1962, Revue 1963, p. 216; Revue 1966, p. 102 et observl:!itions P.C.; R.C.J.B. 1965, p. 99 et observations P. COPPENS et J. RENAULD.

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ii en est ainsi lorsque l'acheteur a depose une requete en concor­dat ou simplement lorsque le bien vendu a ete l'objet d'une saisie (25). L'article 20, 5°, de la loi hypothecaire determine en effet la situation du vendeur impaye a l'egard des tiers. Or, cet article prevoit la decheance de !'action en resolution, en dehors de l'hy­pothese exceptionnelle ou le vendeur au comptant a pris !'ini­tiative d'une revendication dans les huit jours de la livraison. La seule garantie du vendeur a l'encontre des initiatives des autres creanciers de l'acheteur est son privilege. La disposition est d'or­dre public : toute clause contractuelle y derogeant est sans effet (25 bis).

L'originalite de l'arret du 31 janvier 1964 est de reconnaltre que la dissolution d'une societe fait aussi naltre le « concours ». II y a creation (( d'un etat de chases objecti~ dont le respect s'impose aux creanciers » (26). La Cour confirme q~e « !'action intentee par un creancier ne saurait aboutir a des actes d'execution qui auraient pour effet de leser les droits des a~tres creanciers ». Sans doute, ne lit-on plus dans l'arret que ces actes d'execution sont devenus « sans objet » par le fait de la dissolution de la societe. Mais la solution est bien « que les liquidateurs, responsables envers les creanciers en vertu de !'article 186 de !'execution de leur man­dat, trouveront dans le principe de cette responsabilite un titre suffisant, sinon pour tenir en echec !'execution elle-meme, du mains pour s'opposer a ce que les fonds soient remis au crean­cier poursuivant au dela du dividende qui lui revient » (27). Des la dissol,ution, les droits (( reciproques » des creanciers - c'est­a-dire le droit de chacun d'eux a ce qu'aucun ne soit paye au­dela du dividende de liquidation, en d'autres termes le droit a une repartition proportionnelle - sont proteges. En meme temps, l~s liquidateurs sont armes contre leurs entreprises, sans pour

(25) Cass., 21 mars 1929, Pas. 1929, I, p. 139 ; Cass., 9 fevrier 1933 (deux arrets), Pas. 1933, I, p. 103, avec les conclusions de M. le Procureur Ge­neral P. LECLERCQ; Cass., 23 mai 1946, Pas. 1946, I, p. 205, avec les conclusions de M. le Procureur General L. CORNIL; Cass. 27 mars 1952, Pas. 1952, I, p. 475 avec les conclusions de M. R. HAYOIT de TER­MICOURT, alors Premier Avocat General; Cass. 14 septembre 1961, Pas. 1962, I, p. 68.

(25 bis) La clause resolutoire et la clause de reserve de propriete seront ef­ficaces lorsque le vendeur s'en est prevalu avant la naissance du con­cours. De meme, la r~solution judiciaire pourra etre opposee aux tiers si !'action a ete introduite avant ce moment.

(26) P. COPPENS et J. RENAULD, in R.C.J.B. 1965, p. 113. (27) Ibid.

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autant etre contraints de recourir a la mesure extreme que serait le depot du bilan de la societe ou une demande de concordat ou de sursis de paiement.

* * * 8. Le debat s'anime alors precisement a propos du droit d'exe-cution des creanciers.

L'action en paiement des creanciers chirographaires est-elle paralysee par la liquidation ? La Cour d'appel de Bruxelles ne craint pas d'en affirmer le principe dans un arret du 24 fevrier 1965 (28). Constatant que la realisation de l'actif social par les li­quidateurs ne permet pas d'apurer entierement le passif, la Com refuse d'accorder a un creancier un titre executoire qui risque de leser les autres. Refusant de prononcer une condamnation, la Cour se borne a ordonner « que cette creance sera inscrite au passif chirographaire » de la societe en liquidation. Nous avians critique cette decision qui donne de l'arret de la Cour de cassa­tion du 31 janvier 1964 une interpretation erronee (29).

L'arret · distingue mal les droits qui s'opposent en cas de concours des creanciers. La societe dissoute n'est pas liberee de ses obligations a concurrence du passif qui excede son actif et dont elle ne peut assumer la charge. Ses dettes ne sont pas re­duites. Elle en reste integralement tenue. La situation creee par une liquidation deficitaire n'entame pas le droit des creanciers d'exiger paiement. Le concours se situe en realite au niveau des recours que ses creanciers, impayes, peuvent exercer sur les biens de la so­ciete. L'insuffisance d'actif ne leur permet pas de se remplir de leurs droits, par ailleurs entiers, et les contraint de se partager l'assiette trap maigre de leur gage commun (30).

* * * 9. Par un arret du 30 mai 1968 (31) et, plus ,encore, par un au~

tre du 19 juin 1974 (32), la Cour de cassation a heureusement pre­cise la portee de la regle. Rejetant un pourvoi dirige contre un

(28) Bruxelles, 24 fevrier 1965, Revue 1966, p. 206 et observations P.C. (29) G. HORSMANS et F. T'KINT, in J;T. 1973, p. 457. (30) La Cour d'appel de Bruxelles ne semble guere avoir ete suivie dans

cette voie : Voyez Comm. Bruxelles, 4 janvier 1967, Revue 1969, p. 23; Comm. Louvain, 21 avril 1967, Jur. Comm. Belgique, 1968, p. 657; Civ. Namur, 16 mars 1970, Revue 1970, p. 140 et observations.

(31) Cass. 30 mai 1968, Revue 1970, p. 231 ; cass. Bruxelles, 6 octobre 1966, Revue 1967, p. 231.

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arret de la Cour du travail de Liege, l'arret du 19 juin 1974 decide que «l'egalite qui doit regner dans les repartitions de l'avoir social

. entre les <;:reanciers, chirographaires de la societe, dont les creances sont nees avant sa mise en liquidation, ne s'oppose pas a ce que l'un des creanciers fasse etablir judiciairement sa creance et ob­tienne la condamnation des liquidateurs au paiement de celle-ci »

et rappelle que « le principe de l'egalite des creanciers fait uni­quement obstacle a des actes d'execution qui auraient pour effet de leser les droits des autres creanciers )) .

Le concours entre les creanciers se situe en realite au niveau de !'execution ~forcee de leurs creances. C'est a Ce Stade seulement que l'egalite est exigee. Les litiges suscites par !'opposition des droits en concours, c'est-a-dire des droits de recours des crean­ciers impayes sur des biens insuffisants pour les satisfaire tous, sont naturellement tranches par la juridiction des saisies. lls echap­pent a l'examen du juge du fond, appele seulement a reconnaltre un droit de creance que la liquidation n'affecte pas et a condam­ner la societe debitrice au paiement.

10. C'est ce qu'affirmera plus nettement encore un nouvel arret de la Cour de cassation du 24 mars 1977 (33) : « II appartient au juge saisi de !'opposition d'une societe en liquidation a des actes d'execution faits par un creancier chirographaire dont la creance est nee avant la mise en liquidation de rechercher si ces actes auraient pour effet de leser les droits des autres creanciers et, dans cette mesure, d'accueillir !'opposition ». Les liquidateurs trouvent dans le texte de !'article 8 de la loi hypothecaire et des articles J 84 et 186 des lois coordonnee~ un titre suffisant pour s'opposer a des mesures d'execution qui I permettraient a un cre­ancier de se faire payer au dela du dividdnde de liquidation. Leur obligation d'assurer, sous leur responsabilite personnelle, le trai­tement egalitaire des creanciers leur impose de prendre cette at­titude en meme temps qu'elle la justifie. Mais la contestation se situe au dela de !'action en paiement, au niveau de !'execution de la condamnation. II faut d'ailleurs, pour que la liquidation affecte les actes d'execution, que ceux-ci soient de nature a violer l'egalite qui doit regner entre les creanciers, a prejudicier au droit acquis

(32) Cass., 19 juin 1974, Pas. 1974, I, p. 1076. (33) Cass., 24 mars 1977, en cause societe anonyme Houilleres Unies du

Bassin deJCharleroi en liquidation c/ Michel, Revue 1977, p. 114 cassant Mons, 20 mai 1975, Revue 1977, p. 117.

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par chacun d'eux a une repartition proportionnelle. Un controle est necessaire. C'est le juge de !'execution qui l'exercera.

On a critique, deja, les solutions proposees sous !'empire de la loi du 18 mai 1873 qui devaient permettre aux liquidateurs d'assurer une repartition egalitaire. On a dit pourquoi, seul, l'aveu de faillite OU le depot d'une requete en concordat (OU en sursis de paiement) etait a meme d'assurer ce resultat. A la lumiere de la nouvelle jurisprudence, de la Cour de cassation, certains ant avance l'idee que l'offre des liquidateurs de payer a deniers de­couverts au creancier poursuivant, non le montant integral de sa creance mais le dividende de liquidation, etait la condition a la fois necessaire et suffisante de l'arret des mesures d'execution. Condition necessaire car, selon les termes memes de la Cour de cassation, les actes d'execution ne sont interdits que dans la me­sure ou « ils auraient pour effet de leser les droits des autres crean­eiers », c'est-a-dire de· permettre au poursuivant d'etre paye au­dela de ce qui. lui revient. Logiquement, tout creancier serait done en droit d'executer la societe en liquidation pour autant qu'il se borne ·a recouvrer, par !'execution, le dividende qui lui revient. Force est done aux liquidateurs, pour arreter les poursuites, de desinteresser !'impatient en lui remettant ce a quoi ii a droit. Condition suffisante aussi puisque, desormais, le droit d'execution des creanciers se heurte a cette limite, a ce plafond : point n'est besoin, pour faire echec aux poursuites, d'offrir plus que ce qu'el­les permettent d'obtenir.

Mais la solution n'est pas satisfaisante. II peut arriver que l'e­tat de la liquidation ne permette pas aux liquidateurs d'etablir le. montant du dividende definitif. Des litiges peuvent etre en cours, dont !'issue est incertaine. Comment pourraient-ils faire offre alors au creancier poursuivant ? II se peut aussi que les liquidateurs ne disposent pas de liquidites suffisantes ou soient contraints de con­server les fonds qu'ils detiennent pour couvrir les premiers frais de · liquidation. Le juge de !'execution est alors fonde - et c'est la l'enseignement nouveau de l'arret de 1977 - a interdire dans la mesure qu'i/ apprecie le droit d'execution' des creanciers.

* * * 11. Perseverant dans la voie ainsi ouverte, la Cour de cassa-tion decide, par un autre arret du 24 mars 1977, que dans Jes.

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rapports entre Jes creanciers chirographaires et pour Ja determi­nation de leurs droits reciproques, le cours des inten~~ts de leurs creances est suspendu a la date de la mise en liquidation, en rai­son du concours que celle-ci fait naltre et en vue de permettre la solution egalitaire de la liquidation, lorsque l'actif de la societe ne permet pas le paiement de ces inten~ts (34).

Sans doute, et la decision le rappelle, la societe n'est pas li­beree du paiement des interets : le droitl1 de ses creanciers a un paiement integral est intact. Mais pour le calcul de la repartition au mare le franc de l'actif realise, les creances sont estimees en principal et interets arretes au jour de la liquidation. Ainsi, pas de cause _ preference : les creanciers dont les creances ne pro­duisent pas interet, les fournisseurs impayes par exemp'le, ou produisent un interet moindre ne seront pas victimes d'une li­quidation · prolongee au detriment de ceux qui, conventionnelle­ment, ont impose a la societe un taux eleve, comme les banquiers et les divers bailleurs de _fonds institutionnels. Encore une fois, c'est la volonte d'assurer l'egalite des creanciers qui justifie la solution, et ce, a la date de la liquidation : c'est a cette date que sont determines « d'une maniere irrevocable » les droits des crean­ciers.

La solution se heurte a une objection serieuse. La creance d'interets n'est-elle pas acquise a la dissolution de la societe ? Ne trouve-t-elle pas naissance dans le contrat ? Sans doute elle n'est pas exigible mais le legislateur n'a-t-il pas specialement envisage le paiement des dettes non exigibles ? Le probleme est-ii en reali­te autre chose qu'un simple calcul d'actualisation ? L'egalite des creanciers, que veut assurer la regle du concours, serait-elle me­connue s'il etait tenu compte, dans la repartition, d'interets non echus sans doute, mais dont le droit est acquis au jour de la mise en liquidation ? II est vrai que !'incorporation des interets dans la creance se fait au fur et a mesure de leur exigibilite. Les ajouter au principal, a chaque echeance, augmente chaque fois, au de­triment des autre_s creanciers, le montant sur lequel doit se calculer le dividende de liquidation. La longueur de la liquidation pour­rait ainsi entrainer une discrimination presque insupportable aux depens des creanciers dont la creance n'est pas, a la date -de la

(34) Cass. 24 mars 1977, en cause societe anonyme Charbonnages de Mau­rage en liquidation c/ S.N.C.I., Revue 1977, p. 108, cassant Bruxelles, 6 novembre 1975, Revue 1977, p. 111. -

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dissolution, productive d'interets. II faut que tous les creanciers se trouvent dans la meme situation que si la liquidation etait instan­tanee.

Mais si l'on veut pousser le raisonnement jusqu'au bout, on peut se demander si la creance d'interets, ecartee de la repartition parce que non echue a la date de la liquidation, ne devrait' pas ' etre admise au rang des creances de la liquidation, payables avant toute distribution (34 his) ? Nierait-on qu'elle trouve s_a cause dans les besoins de la liquidation ? N'est-ce pas au contraire le retard de paiement impose au creancier qui a permis de financer les pre­miers frais de la liquidation, d'assurer une repartition ordonnee et egalitaire ? Mais ii faut reconnaltre que la solution serait cho­quante et meconnaltrait davantage l'egalite des creanciers.

La regle vaut, crayons-nous, tant pour les interets conven­tionnels que pour les autres, comme les interets judiciaires ou les interets qu'une mise en demeure fait courir. Elle frappe aussi, na­turellement, les clauses penales de retard qui n'ont pu jouer avant la 'mise en liquidation.

* * * 12. La Cour de cassation a construit la notion technique du « concours » qui permet de resoudre l'antinomie de deux textes qui peuvent paraltre inconciliables : !'article 178, qui preserve dans leur integrite les droits des creanciers de la societe en liqui­dation, et !'article 184 qui les contraint a se contenter d'une re­partition au mare le franc, si l'actif est insuffisant.

Le concours est une situation telle que les droits des crean­ciers, impayes, acquierent la vertu de s'opposer soit. entre eux, soit a d'autres droits susceptibles de leur prejudicier. Mais quels sont les droits qui se trouvent ainsi en opposition ? S'agit-il des droits de creance, c'est-a-dire du droit de chacun des creanciers d'obtenir paiement de son debiteur ? Assurement non. Le droit de creance est un droit personnel. II suppose un rapport entre deux ou plusieurs personnes limitativement determinees. Le lien juridique qu'il cree, le vinculum juris n'existe qu'entre le crean­cier et son debiteur. Selon !'expression de DE PAGE, « le droit de creance s'exerce de l'homme. sur l'homme »- (35). Son objet est

(34 bis) Voyez infra no 15. 1 (35) DE PAGE, t. I, no 127.

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une prestation personnelle, le paiement, a laquelle les tiers de­meurent etrangers; On voit mal a quels autres droits le droit de creance · pourrait se heurter. II ne peut logiquement etre l'objet d'un concours quelconque.

Le concours oppose en realite les droits de recours des cre­anciers qui n'obtiennent pas paiement. Le droit de creance confere au creancier le pouvoir de contraindre le debiteur a !'execution de sa prestation. Cette sanction donne a !'obligation sa valeur pratique, son efficacite. Le droit romain ancien et le droit germa­nique primitif distinguaient deux elements dans la notion d'obli­gation. G. CoRNIL (36) les a appeles : le devoir et !'engagement (debitum et ob/igatio en droit romain ancien ; Schuld ;et Haftung de l'ecole allemande). Le devoir est la satisfaction promise et due par le debiteur au creancier. Pour le debiteur, c'est la dette ; pour le creancier, c'est le droit (et !'obligation) de recevoir paie­ment. L'engagement est la garantie dont beneficie le creancier. C'est l'assujettissement d'une personne OU de biens a !'execution de la dette du debiteur. L'engagement a pour objet soit la person­ne meme du debiteur (nexus) soit une autre personne (obses) soit une chose (pignus). C'est en quelque sorte la mainmise du creancier sur une personne ou sur des biens qui lui permet d'exi­ger, par la contrainte, sinon la prestation promise par le debiteur, 9u mains son equivalent (37). L'evolution du droit et l'adoucisse;. ment des mreurs ant altere la distinction. Les articles 7 et 8 de la loi hypothecaire en portent la trace : le patrimoine du debiteur est le gage de ses creanciers (38). Le droit de creance, droit person­nel, est assorti d'un droit de recours accessoire sur tous les biens du. debiteur. Le concours nalt de la mise en reuvre de ce droit de recours. Le droit de gage general des creanciers n'a, a l'origine, aucune assiette definie. II ne leur assure aucune protection contre l'insolvabilite de leur debiteur, lequel peut disposer a sa guise de ses biens et les soustraire a leur emprise. II reste « un droit even­tuel jusqu'au moment ou ii sera fixe sur un ou plusieurs biens de-

(36) G. CORNIL, Ancien droit romain, p. 72; Obligatio et debitum, melanges Girard, 1912.

(37) C. MARTY et P. REYNAUD, Droit civil, t. II, vol. 1, ed. 1961, p. 9. (38) L'interet de la distinction nous. parait toujours actuel. Elle permet de

mieux comprendre certaines notions comme le concours des creanciers, la distinction entre dettes dans la masse et dettes de la masse en cas de faillite, dettes dans la liquidation ou de la liquidation... Voyez, notamment, Cl. RENARD, Theorie generale des obligations, Novelles, Droit civil, t. IV, no 8 ; MARTY et REYNAUD, op. cit.

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termines, circonstance qui, lui fournissant un objet stable, le fera passer a l'etat de droit parfaitement acheve » (39). Le concours suppose un evenement qui « actualise » le droit de gage general en le fixant. Cette « cristallisation » des droits de recours des creanciers sur le patrimoine de leur debiteur les rend capables de s'opposer les uns aux autres. Les creanciers doivent se partager un actif limite : ce que l'un recueillera sera perdu pour l'autre. C'est done a ce Stade, que do it etre assuree l'egalite imposee par !'article 8 (seconde disposition) de la loi hypothecaire.

Ainsi, l'insolvabilite du debiteur, fUt-elle notoire, ne cree pas le concours. Le fait meme qu'une saisie soit pratiquee par un creancier ne suffit pas non plus, aussi longtemps qu'elle est isolee, a provoquer le « choc » entre ce creancier et les autres : un seul a mis la main sur le bien saisi. Le concours naltra lorsqu'un autre creancier entendra lui aussi, alors que la premiere saisie subsiste, executer sa creance sur le meme bien. II en serait ainsi en cas de nouvelle saisie, par exemple.

13. L'initiative des creanciers, saisissant des elements du patri­moine de leur debiteur, est le premier exemple d'un evenement susceptible de produire le concours. L'execution a pour conse­quence d'asseoir le droit de gage general des creanciers saisissants sur des biens determines. Elle realise !'affectation effective de ces biens au reglement_ des creances pour lesquelles est operee la saisie. Qu'un autre creancier veuille lui aussi executer son debiteur sur les memes biens, par exemple en Se joignant a la saisie OU par la mise en reuvre d'une clause contractuelle de reserve de pro­priete en revendiquant les biens saisis, et les regles du concours s'appliqueront entre ces deux creanciers. Le concours ne de me­sures d'execution est doublement limite : ii a pour objet les seuls biens saisis et n'oppose entre eux que les droits des creanciers poursuivants.

Mais le concours peut s'etablir alors que les creanciers n'ont pas pris !'initiative de mettre sous la main de la justice les biens de leur debiteur. La faillite et le depot d'une requete en concor­dat (de meme que le depot d'une requete en sursis de paiement) ant cet effet. Les creanciers du failli ou du debiteur concorda­taire ant un droit acquis a une repartition proportionnelle des

(39) J. RENAULD et P. COPPENS, op. cit., p. 108.

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biens de ce · dernier, par la liquidation, en cas de faillite ou de concordat par abandon d'actif, selon les modalites des pro­positions concordataires en cas de concordat de remise ou de ter­mes et delais. II s'agit ici d'un concours legal, c'est-a-dire prevu et organise par la loi. Son objet est beaucoup plus large que le concours ne de mesures individuelles d'execution : ii enveloppe la totalite du patrimoine du debiteur et oppose les droits de tous ses creanciers dont la creance est anterieure a sa naissance.

14. L'entree en liquidation d'une societe est un autre exemple de concours. La liquidation a pour objet le reglement du passif. Les liquidateurs en sont charges. lls ont !'obligation d'assurer, en cas d'insuffisance de biens, une repartition proportionnelle. Corre­lativement, les creanciers acquierent le droit a ce qu'aucun d'eux ne soit paye au-dela du dividende de liquidation. II y a done bien creation d'un concours, et d'un concours etendu puisqu'il a, ici aussi, pour objet la totalite du patrimoine de la societe et qu'il oppose les droits de tous les creanciers qui ont cette qualite a la date de la mise en liquidation.

On a qualifie le concours ne de la dissolution d'une societe de concours «de plein droit », par opposition au contours legal ne de la faillite ou du concordat (40). Une intervention du legisla­teur n'est pas requise pour creer le concours, lorsque les biens delaisses par le debiteur se trouvent deja sous un regime tel que les conditions necessaires a la « cristallisation » du droit de gage general des creanciers, condition necessaire du concours, sont reunies. Dans ce cas, le concours nalt « de plein droit » si, par· ailleurs, l'insuffisance des biens met obstacle au paiement integral des creanciers (41).

La mise en liquidation d'une societe a cette consequence. Des la liquidation, chacun des creanciers a un droit acquis a ce qu'aucun ne soit paye au detriment des autres. Les biens de la societe sont confies aux liquidateurs qui ont mission de les reali­ser et d'assurer une distribution egalitaire entre les creanciers du produit de cette realisation. Concours de plein droit et non concours legal : alors que la loi assure, par des regles precises, l'egalite des creanciers en cas de procedure d'ordre apres saisie, de faillite ou de concordat, !'article l84 des lois coordonnees ne

(40) J. RENAULD et P. COPPENS, op. cit., p. 110 .. (41) J. RENAULD et P. COPPENS, op. cit., p. 110.

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. contient aucune disposition semblable. La chose s'explique aise­ment : la liquidation est a elle seule insuffisante a creer le con­cours. La dissolution n'est pas necessairement la consequence de l'impossibilite de la societe de faire face a son passif. Le concours nalt lorsque le paiement integral des creanciers risque de ne pas etre assure. II en est ainsi lorsque l'actif est insuffisant ou, seule­ment, lorsqu'il n'est pas certain qu'il sera suffisant. Tel serait aussi le cas, par exemple, lorsque les liquidateurs sont contraints de con­server une tresorerie suffisante pour assurer le deroulement de leurs operations et que les initiatives intempestives de certains creanciers risquent de leur en lever les fonds necessai res, mettant ainsi ~n peril la poursuite de la liquidation. Dans chacun de ses arrets, la Cour de cassation n'a pas manque de rap·peler que les entreprises des treanciers d'une societe en liquidation ne sont tenues en echec que dans la mesure ou ~lies auraient pour effet

de /{~ser Jes droits des autres creanciers. C'est enoncer la limite des restrictions apportees aux droits des creanciers et, en meme temps, preciser que la liquidation n'est pas, a elle seule, creatrice de concours, mais qu'une condition supplementaire est necessaire. L'arret du 24 mars 1977, en cause Houilleres Unies, a le merite d'expliquer la regle : le juge de !'execution - c'est-a-dire le juge des saisies - apprecie souverainement si les necessites de 'la li­quidation justifient que les droits de poursuite des creanciers soient tenus en echec. La naissance du concours ne trouve pas sa cause dans la loi mais dans une situation de fait laissee a !'ap­preciation du juge.

La distinction entre le concours legal et le concours de plein droit n'est pas academique. Elle permet de preciser les condi­tions _necessaires a la naissance du concours et de modaliser ses effets, en les soumettant au contr6le judiciaire. Mais elle ouvre en meme temps une porte sur d'autres possibilites de concours, en­core inexplorees. On songe ainsi, par exemple, a !'administration provisoire des biens des alienes. L'article 7 de la loi du 7 avril 1964 impose a l'administrateur provisoire !'obligation de payer les dettes de l'aliene. La seule designation d'un administrateur pro­visoire n'a pas pour effet de creer un concours entre les crean­ciers de l'aliene. Si l'admini·strateur provisoire doit acquitter les dettes, la mesure n'a pas cet objet. Elle est destinee a preserver le patrimoine de l'aliene. II peut se faire, toutefois, que le/grand nombre des creanciers et l'insuffisance des biens de l'aliene fas-

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sent naltre le concours. II appartiendrait alors au juge d'apprecier dans quelle mesure les droits des creanciers peuvent se trouver entraves au motif que, dans leur interet meme, l'egalite entre eux doit etre assur~e. Un concours peut ainsi naltre «de plein droit ».

On peut, dans la meme ligne, imaginer d'autres situations de con­cours « de plein droit », dans lesquelles les biens du debiteur sont places sous un statut special : tutelle des mineurs et des in­terdits, sequestre ... (42).

* * * 15. Le concours assure l'egalite entre les creanciers. La re­partition des biens qui en sont l'assiette se fera sans cause de pre­ference, hormis celles prevues par la loi. II determine de fac;on irrevocable, selon I' expression de la Cour de cassation, les « droits reciproques » des creanciers, c'est-a-dire le droit de· chacun d'eux a recevoir sa part dans l'actif, au prorata de sa creance. Le droit ainsi acqwis par tous les creanciers n'est rien d'autre que le droit a l'egalite de traitement. C'est un droit relatif, en ce sens qu'il se determine par rapport au droit identique reconnu a chacun des autres creanciers.

Mais le concours ne reserve pas exclusivement ~e patrimoine du debiteur au paiement des creanciers qui ont cette qualite au jour ou ii se produit. Ainsi, le debiteur dont certains elements du patrimoine sont l'objet d'une saisie ne peut plus disposer des biens saisis. Mais ii reste capable de s'obliger, malgre la saisie. II peut ainsi creer un passif nouveau, posterieur a la saisie. Pour autant que les creanciers nouveaux se joignent au saisissant en temps utile, ils participeront a la repartition. Ni le creancier sai~ sissant ni chacun des autres creanciers qui, apres la saisie, font va­loir des droits sur les biens saisis n'ont I~ certitude que ceux-ci leur seront reserves a eux seuls. Leurs dr9its ne seront fixes qu'a !'expiration du delai de production des creances. Le concours ne trouvera sa solution definitive qu'au jour ou la production de nouvelles creances ne sera plus possible.

(42) Voyez, sur le concours cree par la mise sous sequestre des biens enne­mis : Cass. 9 mars 1950, Jur. Comm. Bruxelles 1950, p. 111 ; Bruxelles, 1 mars 1947, Jur. Comm. Bruxelles 1947, p. 39; Bruxelles, 9 novembre 1949, Rev. Faill., 1948-1949. Nous n'avons pas traite d'un autre exemple de concours, etranger au droit · commercial : le concours des creanciers d'une succession acceptee sous benefice d'inventaire. Le lecteur est invite a se referer, sur cette question, a J. RENAULD et P. COPPENS,· op. cit., p. 114 et s.

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En cas de faillite, la solution du concours est completee par une regle distincte : le dessaisissement. A compter du jugement declaratif, le failli ne peut s'obliger sur son patrimoine. La protec­tion qu'assure le concours est ainsi renforcee par une affectation exclusive de l'actif qui en est l'objet au paiement des rn~anciers dont la creance est anterieure a sa naissance. Les creanciers nou­veaux sont en dehors du concours. S'ils ant traite avec le failll; malgre !'interdiction de !'article 444 de la loi sur les faillites, ils n'auront aucun recours · sur les biens inventories. S'ils ant traite avec les curateurs apres la faillite, ils sont creanciers de la mq.sse. Ils seront payes avant toute repartition. La solution est logique : leur intervention a ete- requise dans l'inten~t meme de la masse, c'est-a-dire des creanciers qui ant cette qualite au jour du juge­ment declaratif. II serait anormal que ceux-ci en profitent sans supporter le passif qui en est la consequence. Les articles 11 ~t 29· des ldis coordonliees sur le concordat judiciaire limitent aussi le concours aux creanciers qui ant cette qualite au jour du depot de la requete. Les creanciers nouveaux y echappent.

Qu'en est-ii en matiere de liquidation de societes ? La loi ne prevoit pas un dessaisissement semblable a celui qui frappe le failli. Mais la societe ne survit, apres sa dissolution, que pour les besoins de sa liquidation. L'article 178, en assurant son existence, limite en meme temps sa capacite. La societe ne peut s'engager, par l'organe de ses liquidateurs, que dans la mes.ure ou la neces­site de la liquidation - c'est-a-dire du paiement des creanciers - l'exige. Les dettes ainsi contractees seront des dettes de la li­quidation. Leur sort est identique a celui des dettes de la masse en cas de faillite : elles beneficient d'un tour de/ faveur par rapport aux dettes des creanciers anterieurs, pour la menie raison. L'arret de la Cour de cassation du 30 mai 1968, cite ci--dessus, a precise les distinction entre dettes dans la liquidation et dettes de la Ii­liquidation. Le seul critere qui permet de distinguer les unes des autres est la date de leur naissance, sans qu'il soit besoin de re­chercher en outre dans quelle mesure les secondes ant ete con­tractees pour les besoins de la liquidation. La solution est done aisee : des lors que la e,reance est nee apres la dissolution. de la societe, son titulaire echappe au concours et acquiert la qualite

. de creancier de la liquidation. Mais elle n'est pas sans danger. Lorsque· la dette trouve sa cause dans une intervention utile a la liquidation, ii est logique que les creanciers la supportent puis-

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qu'e'lle leur est profit. En revanche, si les liquidateurs ant engage la societe dans des entreprises sans rapport avec la liquidation, les creanciers auraient alors a souffrir une preference injustifiee accordee a d'autres. II est vrai qu'ils pourraient faire declarer inopposables a leur egard les operations etrangeres a cette fina­lite, sans devoir recourir necessairement pour ce a la theorie de la fraude (43). I ls pourraient aussi rechercher la responsabilite des· liquidateurs (44).

* * * 16. Le concou.rs oppose done le droit de tous les creanciers qui ant cette qualite a la date de la dissolution de la societe. Une reserve doit etre faite pourtant. La Cour de cassation, dans les ar­rets que nous avons cites, n'a jamais envisage que le sort des creanciers chirographaires. Faut-il en conclure que les creanciers privilegies echappent au concours et demeurent a meme, apres la dissolution, d'exercer leurs droits sur les biens de la societe ?

Nous crayons que le concours concerne aussi les creanciers dont la creance est garantie par un privilege general. L'egalite qu'il veut assurer doit exister entre les creanciers dont le privilege general a le meme rang. II faut eviter aussi que des mesures d'exe­cution prises par des creanciers privilegies generaux ne boule­versent l'ordre des privileges, en permettant a certains d'etre payes par preference a d'autres dont le privilege est d'un rang superieur. Sans assiette definie, le privilege general confere a son titulaire un tour de faveur dans la repartition. Sans doute, sou­meUre les creanciers privilegies generaux au concours ne signifie pas qu'on veuille leur imposer la loi du dividende. C'est !'eviden­ce : leur privilege doit etre respecte. Mais ii faut eviter que la li­quidation soit perturbee et que l'ordre legal des causes de prefe­rence soit mecbnnu par les initiatives de certains d'entre eux. L'au­torite d'un ancien arret de la Cour de cassation peut etre invoquee a l'appui de la solution. Dans un litige dont l'objet etait de fixer la date a laquelle avait pris naissance le privilege du fisc, cette date devant permettre la determination de la creance garantie, la Cour a dedde « que le privilege s'exerce au moment ou se produit

(43) Voyez J. RENAULD et P. COPPENS, op. cit., p. 112 ; J. VAN RYN et J; HEENEN, Traite, t. II, no 1091.

(44) Sur la notion de dettes de la liquidation, voyez J. VAN RYN et J. HEE­NEN, in R.C.J.B. 1973, p. 81.

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le concours entre Jes creanciers privilegies et Jes creanciers chiro­graphaires pour la repartition de la valeur des biens du debiteur ».

(45).

La solution se justifie, sur le plan pratique, par !'importance considerable des privileges generaux dans les liquidations defici­taires. II n'est pas rare qu'ils absorbent la totalite de l'actif. Res­treindre la regle du concours aux creanciers chirographaires est la priver d'une grande part de son utilite.

* * * 17. Ainsi, la dissolution de la societe est a l'origine d'un con­cours entre tous ses creanciers chirographaires et, a notre sens, privilegies generaux, dont la creance est anterieure a la date de_ la mise en liquidation. Ce concours naft de 'la necessite d'assurer une repartition proportionnelle de l'actif, lorsque celle-ci risque d'etre mise en peril par les initiatives des creanciers. Les restrictions qu'il entrafne, dont la mesure est appreciee par le juge, ont ete pre­cisees par la Cour de cassation : interdiction de la compensation et de la resolution de la vente, suspension des mesures d'execution et arret du cours des inten~ts. Ces restrictions n'entament pas le droit des creanciers d'obtenir paiement. Elles ne jouent que dans leurs rapports entre eux et pour la determination de leurs droits reciproques. Ainsi, s'il s'averait, en fin de liquidation, que l'actif permet le paiement de toutes les creances, elle ne se justifie plus. Le ~oncours, ne en cours de liquidation de la crainte d'une insuf­fisance de biens, cesse.

De nature a eviter la perturbation de la liqµidation, la regle n'est pas sans danger. Les droits des creanciers sont confies aux liquidateurs, nommes dans la plupart des cas par la societe debi­trice elle-meme et dont l'activite echappe a tout controle, si ce n'est celui de leur mandante. Est-ii prudent, en !'absence du cadre

(45) Cass., 10 janvier 1935, Pas., 1935, I, p. 101. La solution est certaine en cas de faillite (Cass. 5 juin 1969, Pas. 1969, I, p. 897 ; Bruxelles 19 avril 1971, Pas. 1971, II, p. 229) et s'impose aussi en cas de concordat, malgre le ~exte de l'article 29 des lois coordonnees mruxelles, 29 janvier 1971, Pas. 1971, II, p. 140 ; P. COPPENS, in R.C.J.B. 1974, p. 477).

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legal rigoureux de la faillite ou du concordat et des garanties qu'il

confere aux creanciers, d'assimiler a ce point la societe en liqui­dation a la societe faillie ? Les creanciers risquent de se voir con­

traints de patienter longtemps. lls ne disposent guere de moyens

efficaces pour contraindre les liquidateurs a faire diligence. Le cours des inten~ts de leurs creances etant arrete, le prejudice

peut etre important. La mise en liquidation de la societe l'immu­

niserait ainsi ipso facto contre la declaration de faillite, alors me­me qu'il se serait avere, par hypothese, qr son actif est inferieur a son passif et qu'elle est done incapable de payer ses dettes. On

peut craindre que toutes les societes en difficultes s'empressent

de se mettre en liquidation pour paralyser aussitot les recours de

leurs creanciers et pour s'installer, d'autorite privee, dans une si­

tuation commode, semblable a celle du sursis de paiement ou du

concordat. Et cet avantage, la societe l'obtiendrait par une simple decision qui ne depend que d'elle : le vote de sa dissolution et

de sa mise en liquidation par l'assemblee genera.le. Quel interet

presente encC?re, pour une societe, dans ces conditions, une de­mande de concordat,· a tout le mains lorsque la situation est de­

finitivement compromise et que Jes. propositions concordataires ne pourraient etre que !'abandon d'actif ? Pourquoi s'embarrasser

d'une procedure rigoureuse et se soumettre a un controle judiciai­

re, alors qu'il est aise d'obtenir le resultat, a moindre frais et sans

etre contraint d'exposer publiquement ses difficultes a ses crean­ciers en colere ?

La critique est exageree. L'article 186 des lois coordonnees

decide que Jes liquidateurs sont responsables de !'execution de

leur mandat non seulement a l'egard de la societe mais egalement

envers l~s tiers. Leur situation, de ce point de vue, est done diffe­rente de celle des administrateurs, lesquels ne sont responsables bles a l'egard des tiers, sauf faute. aquilienne, qu'en cas de viola­

tion des lois coordonnees ou des statuts (46). La mission des Ii-

(46) Une controverse recente est apparue sur cette question a la suite de l'arret de la Cour de cassation du 25 mai 1972 (Pas., 1972, I, p. 885). Voyez : J.-L. FAGNART, Chronique de jurisprudence sur la responsa­bilite civile, J.T., 1976, p, 591 ; G. HORSMANS et F. T'KINT, in J.T. 1977, p. 429.

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quidateurs s'exerce en effet non seulement dans l'inten~t de la societe mais aussi dans l'inten~t de ses creanciers : ils sont charges

de leur paiement. II est done logique qu'ils soient responsables, a leur egard, d'une mauvaise execution. Sans doute, les liquidateurs

ne sont pas les mandataires des creanciers puisqu'ils ne sont pas choisis par eux. II reste qu'ils commettraient une faute et engage­

raient leur responsabilite a leur egard s'ils negligeaient !'execution

de leurs devoirs et retardaient ainsi, sans raison, leur paiement.

Cette responsabilite serait le fondement d'une action en dom­

mages et inten~~ts. Elle devrait permettre aussi aux creanciers, si

necessaire, de demander en refere des mesures. provisoires, voire la designation d'un mandataire de justice en remplacement des

liquidateurs incapables.

De plus, les effets du concours sont soumis, en cas de liqui­

dation d'une societe, au controle judiciaire. Le concours n'existe

que dans la mesure des necessites de la liquidation, plus precise­

ment lorsque le respect de l'egalite des creanciers l'exige. C'est

dire que les mesures d'execution ne sont. pas necessairement

suspendues. Elles ne seront tenues en echec que pour autant

qu'elles risquent de bouleverser l'ordre des repartitions et d'as­

surer au poursuivant une situation de faveur. Cette circonstance est appreciee par le juge, ce qui laisse croire que les abus seront

evites.

Enfin, ii serait errone d'affirmer que la liquidation fait obstacle

a la declaration de faillite de la societe. Tout au plus, doit-on ad~

mettre que la situation nouvelle ainsi creee oblige a apprecier

differemment la cessation des paiements et l'ebranlement du cre­

dit de la societe. Le tribunal tiendra compte du concours qui s'est

ainsi produit, du fait que des organes de la societe sont specia­

lement charges, sous leur responsabilite personnelle, d'assurer

!'affectation du produit de la realisation des actifs au paiement des

creanciers. Les necessites de la liquidation et le respect de l'egalite

entre les creanciers justifieront, en cas d'insuffisance d'actif, une

amputation des creances. Des retards de paiement peuvent aussi

s'expliquer. II reste que si la liquidation n'est pas poursuivie avec

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diligence et, a fortiori, si des fraudes sont commises au detriment des creanciers, le tribunal peut declarer la faillite de la societe. L'enseignement de la Cour de cassation n'exclut pas cette solu­tion (47).

Franc;ois T'KINT,

Avocat au barreau de Charleroi Premier Assistant a la Faculte de Droit de l'U.C.L.

(47) La Cour de cassation frangaise s'est toujours refusee a assimiler la societe en liquidation a la societe f aillie et a appliquer les regles du concours. Deux arrets recents, l'un de la chambre civile, l'autre de la chambre commerciale, l'ont rappele en admettant les poursuites indi­viduelles des creanciers (Cass. fr. civ., 17 octobre 1973, Dalloz 1975, J., p. 157 et observations F. STEINMETS) et la compensation entre crean­ces et dettes apres liquidation (Cass. fr. corn., 20 juillet 1976, Revue des Societes, Paris, 1977, p. 75 et observations Ch. ATIAS). Cette juris­prudence se f onde sur le fait que la mise en liquidation d'une societe n'implique pas, de soi, l'insuffisance d'actif. Et s'il s'averait, en cours de liquidation, qu'il en est ainsi, la· procedure de reglement judiciaire ou de liquidation des biens devrait alors se substituer a la procedure de liquidation. II est vrai que la loi du 24 juillet 1966 ne contient au­cune disposition analogue a !'article 184 de nos lois coordonnees. La so­lution ne semble guere contestee par la doctrine, meme si certains, en relevant sori insuffisance, souhaitent une ref orme legislative (voyez

-, notamment : RIPERT et ROBLOT, ed. 1977, t. I, p. 519; F. KRAEMER, Les droit$ des creanciers d'une societe dissoute, Paris, Cujas, 1965, p. 144; M. PEDAMON et 0. CARMET, La compensation dans les pro­cedures collectives de reglement du passif, Dalloz 1976, Chr., XXIII, p, 123).

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N° 5947. - Cour de cassation. - 10 ,mars 1977. Sieg. MM. Baron Richard, pres.; Trousse, cons. rapp., Capelle, Meeus

et Closon, cons; Colard, av. gen. Plaid. : MMes Biitzler et L. Simont.

(Lambert cl de Cooman d'Herlinckhove et S.A. Ets Delhaize Freres et Compagnie Le Lion)

I. Societe anonyme. - Conseil d'administration. - Caractere collegial. -

Ne prive pas du droit d'exposer les dissensions a l'assemblee generale.

II. Declarations ne causant ni prejudice ni doute sur les capacites profes­sionnelles. - Absence de faute.

I. Le caractere collegial du conseil d'administration ne prive ni son presi­dent ni les administrateurs du droit d'exposer a l'assemblee generale les dissensions nees a l'occasion des deliberations du conseil.

II. Lorsque les declarations faites a l'assemblee ne causent aucun preju­dice, n'attentent pas a l'honneur et ne mettent pas en doute les capacites professionnelles, elles ne peuvent etre fautives.

ARRltT

La Cour,

OuY Monsieur le conseiller Trousse en son rapport et sur les conclusions de Monsieur Colard, avocat general ;

vu l'arret attaque, rendu le 24 decembre 1975 par la cour d'appel de Bru­xelles;

Sur le second moyen, pris de la violation des articles 1319, 1320, 1322 du Code civil et 97 de la Constitution,

en ce que la Cour d'appel a considere qu' « a supposer que (le premier defendeur) n'aurait pas fait les declarations qui lui sont reprochees, l'as­semblee n'en eut pas moins connu la demission du, (demandeur) et les motifs de celle-ci, puisque, prenant la parole en dehors de toute impro­visation, mais faisant usage d'un texte ecrit, la mere de ce dernier a elle­meme expose avec force details les motifs de la demission de "certains ad­ministrateurs independants" »,

alors que le demandeur reprochait aux def endeurs devant le premier juge et la cour d'appel, non pas d'avoir expose les motifs de sa demission, tels qu'il les avait lui-meme rediges, mais de lui avoir cause un tort en pronon­~ant a son egard les paroles dont il leur est fait grief dans la citation in­troductive et les conclusions prises en premiere et seconde instance,

alors que ces paroles citees dans l'arret ne reprennent aucunement les motifs propres au demandeur et fondant sa demission, d'une part, et que la convention du 18 novembre 1970 accordait au demandeur des avantages contractuels en contrepartie de son obligation de ne point exposer lesdits motifs, d'autre part,

alors qu'il s'ensuit que la lecture des motifs de la demission de son fils par sa mere, lors de l'assemblee generale saisie de cette demission, n'a pu

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188 nuire au demandeur, en vertu des termes clairs du contrat du 18 novembre 1970,

la cour d'appel, des lors, en jugeant l'action du demandeur non fondee eu egard a la circonstance que les motifs de la demission de ce dernier avaient ete rendus publics par sa mere et qu'ainsi les paroles reprochees par lui aux defendeurs n'ont point eu de relation causale avec un eventuel dommage, a meconnu la foi due aux declarations litigieuses du premier def endeur, a la convention du _18 novembre 1970, a la citation introductive et aux conclusions prises par le demandeur (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil) et a viole !'article 97 de la Constitution :

Attendu qu,'aux termes de l'accord intervenu le 18 novembre 1970 entre la societe anonyme Distrimas et la def enderesse d'une part, et_ le deman­deur, d'autre part, celui-ci renongait a ses mandats d'administrateur et a ses autres fonctions moyennant une indemnite et, correlativement, article 3, «a exposer OU a faire exposer devant l'assemblee generale de la S.A. Delhaize les motifs de sa demission » ; que l'arret, sans violer les termel:? dudit accord, a pu decider en se fondant sur la stipulation susdite, que la defenderesse n'avaitpas pris l'engagement de s'abstenir de toute declaration;

Attendu que l'arret, qui reproduit exactement les passages estimes fautifs par le demandeur, de la declaration faite par le def endeur lors de l'assem­blee generale de la defenderesse le 29 decembre 1970, n'a pas interprete ceux-ci et n'a pu, des lors, violer la f oi qui leur etait due ;

Attendu que la citation introductive d'instance et les conclusions du de­mandeur tendaient en premier lieu a faire dire pour droit que les def endeurs avaient manque a leurs obligations contractuelles et, plus specialement, que le defendeur avait commis une faute quasi delictuelle en faisant les declara­tions dont il s'agit ci-dessus a l'assemb!ee generale du 29 decembre 1970 et, en second lieu, a la reparation du dommage que le demandeur pretendait

· avoir subi a la suite de ces fautes ;

Qu'en rejetant, notamment par le motif que le rnoyen critique, ces de­rnandes comme etant depourvues de f ondement, l'arret n'a pas viole la foi due aux actes susdits de la procedure;

Attendu que le. moyen ne precise pas en quoi l'arret viole l'article 97 de la Constitution ;

Que le moyen ne peut etre accueilli ;

Sur le premier moyen, pris de la violation des articles 54, 67 des lois coor­donnees sur les societes cominerciales et 97 de la Constitution,

en ce que la cour d'appel a decide que « l'expose du premier defendeur, tort bref, a ete fait avec discretion et en termes rnesures, et non point, comme l'a dit a tort le premier juge, en manquant de finesse et de doigte et avec une certaine inelegance ; du reste, qu'on ne voit pas quel prejudice moral ou materiel le president du conseil d'administration de la seconde defen­deresse aurait pu causer au dernandeur en signalant que celui-ci "avait rornpu l'esprit d'equipe du cornite de direction " et " s'etait livre a des cri­tiques destructives de toute !'action de ce comite, voire du conseil d'admi-

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189 nistration " ; qu'en eff et, tout administrateur a le droit le plus strict de n'etre pas d'accord avec la majorite de ses collegues et que, des lors, en prononqant les paroles dont il lui est fait grief, le premier defendeur n'a certes ni attente a son honneur, ni meme mis en doute ses capacites pro­fessionnelles »,

alors qu'en vertu de l'article 67 des lois coordonnees sur les societes com­merciales, les administrateurs f orment des colleges qui deliberent suivant le mode etabli par les statuts et, a defaut de dispositions a cet egard, sui­vant les regles ordinaires des assemblees deliberantes,

alors que le caractere d'organe collectif, presente par un college deliberant, oblige les administrateurs d'une societe anonyme au respect des decisions prises au sein du conseil d'administration et a la majorite requise,

alors qu'il s'ensuit que le droit de contestation par un administrateur de la politique de la majorite doit s'exercer a l'occasion des deliberations du conseil, et non point apres le vote tranchant le debat interne,

alors que ces memes principes gouvernent toute f orme de comite deli­berant emanant du conseil d'ao.ministration et auquel ce dernier aurait de-1e-gue des pouvoirs lui appartenant, en vertu de l'article 54 des lois coor­donnees sur les societes commerciales,

la cour d'appel, partant, en jugeant que l'acte de « rompre l'esprit d'equipe du comite de direction » et de « se livrer a des critiques destructives de toute l'action de ce comite, voire du conseil d'administration » ne consti­tuent aucunement des agissements incompatibles avec les obligations, l'hon­neur et les capacites professionnelles d'un administrateur de societes ano­nymes, a f onde sa decision sur une conception des droits et des devoirs d'un membre du conseil d'administration d'une societe anonyme, contraire au principe de collegialite contenu dans l'article 67 des lois coordonnees sur les societes commerciales dont l'article 54 egalement a ete viole, ainsi que l'article 97 de la Constitution ;

Attendu que les articles 54 et 67 des lois coordonnees sur les societes com­merciales ont pour effet de fixer le caractere collegial du conseil d'admi­nistration de la societe anonyme et de determiner ainsi les conditions de leurs deliberations ; que ces dispositions Iegales ne privent ni les admi­nistrateurs de la societe ni le president de son conseil d'administration du droit d'exposer a l'assemblee generale, dont ils sont les mandataires, les difficultes ou les dissensions nees a l'occasion des delibe;rations du conseil d'administration et, le cas echeant, du comite de direction ;

Attendu que l'arret, sans se . prononcer explicitement sur les droits et devoirs des membres de ces colleges, releve, d'une part, que le demandeur lui-meme avait justifie sa demission «en portant des accusations assure­ment graves contre divers membres de la direction» de la demanderesse, d'autre part qu'il etait impossible pour le def endeur de demander a l'as­semblee generale de revoquer le mandat d'administrateur de la mere du de­mandeur « sans justifier cette demande et, des lors, sans faire allusion aux dissensions qui s.'etaient elevees au sein du conseil et avaient determine la demission de son fils » et, enfin, que la mere du demandeur avait, au cours

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de l'assemblee generale, elle-meme « lu une note contenant les plus im­portantes critiques qui avaient figure dans la lettre de demission de son fils » et «expose avec force details les motifs de la demission de certains " administrateurs independants " » ;

Attendu que, en se fondant sur l'ensemble de ces circonstances, l'arret a pu considerer que le defendeur, en sa qualite de president du conseil d'ad­ministration de la defenderesse, n'avait pas, en faisant les declarations in­criminees par le demandeur, cause de prejudice a celui-ci ni attente a son honneur ou mis en doute ses capacites prof essionnelles et, partant, decider legalement sans violer les dispositions legales visees au moyen, qu'il n'y avait pas de faute commise par les defendeurs, ni dommage dans le chef du demandeur ;

Que le moyen, qui se f onde sur une interpretation inexacte de l'arret, manque en fait ;

Par ces motifs,

Rejette le pourvoi ;

Observations. - Cet arret clot un debat qui suscita quelque passion. Les faits principaux en sont clairement resumes au som­maire de l'arret de la Cour de Bruxelles du 24 decembre 1975 (Revue 1976, p. 46), contre lequel fut forme le pourvoi.

I. Les circonstances qui entourent la demission OU la revoca­tion d'un administrateur ne vont pas sans soulever quelquefois, on le sait, une certaine amertume ou des ressentiments person­nels. II reste que la demission constitue en soi, un acte unilateral, qui n'est pas subordonne a son acceptation prealable par le Con­seil d'administration. La revocation n'est, elle-meme, soumise a aucune limitation, tant ii est vrai que la revocabilite « ad nutum »

des administrateurs ne se conc;oit pas sans la possibilite d'une de­cision qui peut s'averer brutale (Rennes, 25 fevrier 1972, Revue

1972, p. 381).

Seule la maniere dont se traduit, dans chaque cas d'espece, la demission comme la revocation restreint, le cas echeant, la liberte d'appreciation de celui qui les notifie, le comportement de ce der­·nter pouvant etre alors fautif (note COPPENS sub Rennes, 25 fevrier 1972, precite).

II. Dans l'hypothese de la revocation ~ui, en jurisprudence, souieve le plus de problemes, la prudence Jequiert done que l'as­semblee generale n'use de son droit qu'avec circonspection, afin d'eviter que l'honneur ou les capacites professionnelles de l'ad­ministrateur revoque ne soient injustement atteints (FREDERICQ,

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Traite, t. v, n° 422 ~VAN RYN, Principes, t. 1er, ed. 1954, n° 586). L'administrateur revoque serait en droit d'obtenir une indemni­sation lorsque la re.vocation revet I' aspect d'une mesure « vexa­loire » (Cass. fr., 20 mai 1962, D., 1963, 230; - voy. egalement Encycl. Dalloz, Societes, v0 Administrateur, n° 109 et les referen­ces), a fortiori si cette mesure est accompagnee d'une publicite injurieuse, desobligeante oiJ, a tout le mains, inutile et portant atteinte a son honneur (Com. Courtrai, 22 avril 1965, Revue 1965, p. 103. - Qv. Bruxelles, 4 mars 1970, Revue 1970, p. 128).

Ill. Puisque les administrateurs sont revocables ad nutum, ils peuvent a tout moment demissionner dans les memes conditions, a leur gre et sans avoir a verser d'indemnite pour le prejudice cause en cas de brusque depart (DE JuGLART et IPPOLITO, Droit commercial, 2e ed., n° 717, p. 418 - VAN RYN, Principes, t. 1er, ed. 1954, n° 589, p. 388. - VAN 0MMESLAGHE, Le regime des so­cietes par actions et /eur administration, p. 423).

lei aussi ii pourrait leur etre reproche de donner leur demission dans une intention de nuire OU a contretemps. II s'agit la d'une application de !'article 1382 du Code civil (Encycl. Dalloz, Socie­tes, v0 Administrateur, n° 114). Si leur depart paralysait la societe, ils devraient prolonger leurs fonctions jusqu'au jour ou leur· rem­placement est assure.

IV. Dans les limites qui viennent d'etre circonscrites, l'arret an­note precise que les lois sur les societes ne font pas defense aux administrateurs d'exposer a l'assemblee generale les difficultes, voire les dissensions, nees a !'occasion des deliberations du Con­seil d'administration et, eventuellement, du Comite de direction. Le caractere collegial du Conseil d'administration, tel qu'il se de­duit des articles 54 et 67 des lois coordonnees, n'y fait pas obstacle. II est d'ailleurs nature! qu'un mandataire, l'administra­teur, veille a rendre compte 'a son mandant, l'assemblee generale des actionnaires, de la maniere dont ii a rempli son mandat et les difficultes qui sont sur.venues en cours d'exercice.

C'est done a juste titre, que la Cour de cassation a rejete le pourvoi forme en l'espece.

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Francis BAUDUIN, Avocat au Barreau de Bruxelles.

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N° 5948. - Cour d'appel de Liege. -12 avril 1977.

Sieg. : MM. Legrand, pres.; Dechamps et Vandervelden cons.; Charlier, av. gen.

Plaid. : MMes Massaux. et Leroy. (Jeannine Hanlet cl Faillite S.P.R.L. Filatures J. Hanlet)

S.P.R.L. - Societe prete-nom. - Garant possedant presque tout le capital. Commerce personnel. - Production d'une creance contre la societe. -lmpossibilite d'etre creancier.

Lorsqu'il est etabli qu'un associe-gerant, possedant la plus grande part du capital d'une S.P.R.L. et s'y comportant en maitre au point qu'un commerce personnel y est simplement prolonge, il y a extension de la faillite : ce gerant, tenu du passif social ne peut se presenter comme creancier.

ARR:G:T

Vu le jugement rendu le 8 juillet 1976 par le tribunal de commerce de Verviers;

Attendu que l'appel forme par la .demanderesse originaire, Jeannine Han­let-Stalmans (et non «Janine», si l'on s'en refere a l'acte de constitution de la S.P.R.L. « Filatures Joseph Hanlet » - no 4684, annexe au Moniteur belge du 11 mars 1965), en la requete deposee en son nom le 18 aout 1976 est regulier et recevable ;

Attendu que, par decision du 6 decembre 1973, le premier juge a declare ouverte d'office et sur resolution de concordat, la faillite de la S.P.R.L. Fi­latures Joseph Hanlet;

Attendu que l'actuelle appelante, Jeannine Hanlet, a declare etre crean­ciere de la S.P.R.L. a concurrence d'une somme de 5.499.000 francs, dont 699.000 a titre privilegie; que le curateur contesta la creance, pour examen du privilege. revendique; que le 31 janvier 1974, le pre~ier juge a admis au passif chirographaire de la f aillite, la creance de la partie declarante pour un montant de : un franc a titre provisionnel, en vue de la formation du concordat;

Attendu que l'appelante .Plaide que le premier juge etait tenu pas son ju­gement ci-avant rappele du 31 janvier 1974 qui admettait le principe de sa creance;

Attendu cependant que, ne statuant qu'en vue de la formation du con­cordat et sans proceder, vu l'urgence, a une verification exacte de la creance, le premier juge n'a pas decide definitivement · du principe du bien-fonde de la declaration ; qu'il n'a done pas epuise sa juridiction sur la question en litige et que son jugement n'etait pas definitif (C.J., art. 19) ; qu'il n'a done pas autorite de chose jugee (ibidem 24) ;

Attendu que suivant le rapport de !'expert judiciaire Hanlet au juge-de­legue sur la situation de la societe alors en instance de concordat, celle-ci avait une vie sociale propre;

Mais attendu qu'il faut en retenir aussi que

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1) l'appelante possedait la plus grande part du capital social,

2) sa designation en qualite de seule gerante etait accompagnee de pou­voirs depassant largement ceux que requierent !'administration et la ges­tion journaliere au sens de !'article 130 de la loi sur les societes,

3) ce sont les biens personnels de l'appelante qui furent donnes en ga­rantie et· permirent les ouvertures de credit destinees a assurer a la societe des fonds de roulement suffisants, ·

4) c'est l'appelante qui offrit de payer personnellement aux creanciers chirographaires 1.400.000 francs en quatre ans, pour appuyer la requete en concordat, alors que le passif privilegie qui s'elevait a pres de 10 millions pour les seules creances des ouvriers et employes ne pourra pas meme etre couvert a concurrence de 6.394.968 francs (rapport cite page 31) ;

Attendu que ces divers elements entrainent la· conviction que la societe faillie, qui etait d'ailleurs la continuation de l'entreprise paternelle et qui etait echue a l'appelante par succession, etait par elle consideree comme un bien personnel sur lequel elle s'etait f ait reconnaitre des pouvoirs abso­lus;

Attendu que ladite societe etait en realite un simple prete-nom sous lequel l'appelante exergait un commerce personnel ;

Attendu que personnellement tenue du passif de la societe, elle n'est evi­demment pas f ondee a s'en porter creal!ciere ;

Par ces motifs,

Confirme le jugement a quo, sous cette seule rectification que l'action est dite recevable mais non fondee.

Observations. - Voir ci-dessous le jugement a quo qui fut con­firme et se referer a la note sous le jugement du tribunal de com-merce de Bruxelles du 29 mars 1977 (Revue 1977, p. 143).

N° 5949. - Tribunal de commer~e de Verviers. - 8 juillet 1976.

Sieg. : MM. Serpe, f.f. pres.; Ortmans et Wathelet, juges consulaires Plaid. : MMes Massaux et Frederick

(Dame Janine H anlet cl Curateur de la faillite S.P.R.L. Filature Joseph Hanlet)

S~P.R.L. - Faillite. - Caractere fictif de la societe. - Gerant seul associe. - Paiement par le gerant d'un creancier. - lmpossibilite de subrogation. - Rejet d'une declaration de creance de sa part.

Lorsque les faits etablissent qu'une S .P .R.L. a ete fondee fictivement et que les associes n'etaient que des hommes de paille, il y a confusion pa­trimoniale entre le « maitre de la societe » et cette derniere.

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Le maitre de la societe ne peut se porter creancier de la societe et, en ap­plication de ce principe ne peut se pretendre subroge a un creancier qu'il a paye de ses propres deniers. Si ce creancier etait privilegie, il serait «pro­fondement immoral » que le maitre de la societe se place dans une situation prejerentielle par rapport aux autres creanciers.

JUGEMENT

Vu la declaration de creance deposee le 4 janvier 1974 par la partie decla­rante;

Vu la lettre recommandee du curateur, en date du 18 janvier 1974 con­testant la creance declaree ;

Vu le jugement provisionnel du tribunal de ceans, en date du 31 janvier 1974 admettant au passif chirogri;tphaire de la faillite, la creance de la par­tie declarante pour un franc a titre provisionnel ;

Vu les conclusions deposees au greffe le 3 mai 1976, par la demanderesse;

Ou'i, avant tous debats, a !'audience publique du 10 mai 1976, Monsieur Clement Ortmans, · juge-commissaire, en son rapport ;

Ou'i le conseil de la demanderesse et le curateur, Me Frederick, en leurs explications donnees en langue frangaise ;

Attendu que l'action tend a !'admission de la creance de la partie decla­rante au passif privilegie a concurrence de 839.761 F plus les interets au taux de 7,5 % l'an a dater du ler decembre 1975 sur la somme de 1.530.000 F et au passif chirographaire a concurrence de .4.800.000 F, sous reserve de majoration ulterieure ;

Attendu que la societe faillie s'etait vu consentir le 10 avril 1969, par la S.N.C.I., suivant acte de Maitre Ph. de Limbourg, notaire a Andrimont, une ouverture de credit de 3.000.000 F plus accessoires;

Que pour garantir la bonne fin de ce credit, la societe faillie avait don­ne en hypotheque a la S.N.C.I., un batiment industriel sis a Verviers, rue de la Chapelle 62, ainsi qu'un gage sur son fonds de commerce ;

Attendu que la demanderesse, a titre de garantie complementaire, avait donne en hypotheque a la S.N.C.I., a !'occasion du credit ouvert par celle-ci au profit de la societe faillie, divers biens immobiliers lui appartenant per­sonnellement, a savoir deux maisons d'habitation, un batiment industriel et un magasin ;

Attendu que la demanderesse s'est vue dans !'obligation de realiser ces biens immobiliers ;

Attendu que la vente a produit 1.530.000 F, somme qui a ete versee a la S.N.C.I. pour apurer une partie de sa creance a l'egard de la societe faillie;

Attendu que la demanderesse invoque le benefice de la subrogation legale prevue par !'article 1251 du Code civil, et pretend des lors se trouver vis-a­vis de la faillite, exactement dans la meme situation que la S.N.C.I. elle-me­me, c'est-a-dire avec le benefice des garanties que celle-ci s'etait vu accor­der par l'acte du 10 avril 1969 precite ;

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195 Attendu que c'est ainsi que la demanderesse conclut a son admission au

passif privilegie, pour la somme de 1.530.000 F, montant verse a la S.N.C.I. grace au produit de la realisation de ses immeubles personnels

+ 246.556 F, montant des interets, soit 1.776.556 F,

936.795 F, solde debiteur de son compte courant envers la societe faillie,

839.761 F.

Attendu qu'il ressort des elements recueillis au cours de la procedure con..; cordataire et de la liquidation de la faillite :

Que la S.P.R.L. Filature Joseph Hanlet etait la continuation de l'entreprise Filature Joseph Hanlet, dont la demanderesse avait herite au deces de son pere en 1956 ;

Que le capital de la societe etait represente par 600 parts de 10.000 F dont 594 furent souscrites par la demanderesse ;

4 par Mme Aimee Stalmans,

1 par M. Rene Elias,

1 par Mme J. Mister.

Que depuis sa creation, la societe a toujours ete geree par la demanderesse seule, laquelle, aux termes des statuts, avait «tout pouvoir pour agir au nom de la societe » ;

Qu'en 1967, 1968 et 1969, la demanderesse a renonce a ses appointements de gerante, ce qui explique notamment dans le bilan, la presence d'un compte debiteur de la demanderesse provenant de prelevements qu'elle a eff ectues ;

Que l'on a eu recours a l'autofin,ancement ;

Attendu que ces elements revelent :

Que la demanderesse etait associee omnipotente puisqu'elle detenait la quasi totalite des parts sociales (594 sur 600) ;

Que les trois autres associes detenant ensemble 6 parts etaient des « hom­mes de paille » ;

Que l'affaire etait en fait, la propriete de la demanderesse, puisqu'elle en avait herite au deces de son pere et que la societe qu'elle constitua dans Ies conditions precitees, avait un caractere fictif evident, puisqu'il s'agissait, dans la realite des faits, d'une societe unipersonnelle ;

Que la confusion des interets de la demanderesse et de «Sa» societe etait evidente;

Que le destin de la societe dependait de !'infusion d'avances et capitaux personnels de la demanderesse ou de l'octroi de garanties personnelles de celle-ci;

Attendu que les . prelevements que fit la demanderesse, et qui, de son propre aveu, la rendirent debitrice a l'egard de la societe, d'un montant de 1.121.795 F, au moment ou elle sollicita, au nom de celle-ci, un concordat

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judiciaire, demontrent la maitrise absolue de la demanderesse sur l'aff aire qui etait sienne ;

Attendu que le fait de renoncer pendant trois ans a ses appointements de gerante et de se porter caution des dettes sociales est certes a porter au credit moral de la demanderesse, mais si en soi, ces elements ne sont pas necessairement revelateurs d'une confusion de patrimoines, ils revelent, a tout le moins, dans les circonstances predecrites, une confusion d'interets ;

Attendu que si de la comptabilite, dont la tenue fut reguliere, i1 ne peut etre tire d'argument en faveur de la these de la confusion des patrimoines par contre l'exercice par la demanderesse de pouvoirs absolus dans la ges­tion de la societe, le fait qu'elle n'avait effectivement a rendre compte qu'a elle-meme, et la confusion de son credit avec celui de la societe, constituent des arguments convaincants en faveur de cette these;

Attendu qu'eu egard a !'identification de la demanderesse a la societe f aillie, la premiere ne peut etre reconnue comme creanciere de la seconde, · et des lors, la demande d'admission de creance de la demanderesse au pas­sif privilegie et chirographaire de la faillite de la societe ne peut etre regue ;

Attendu qu'il serait d'ailleurs profondement immoral et contraire aux no­tions d'ordre public qui regissent toute la matiere des faillites, de voir la de­manderesse, associee et gerante omnipotente de la · societe faillie se placer, en partie, dans une situation preferentielle par rapport aux autres creanciers, qui doivent etre consideres comme ses victimes et en partie en concours avec eux;

Attendu qu'en sollicitant un credit de 3.000.000 F au nom de la societe dans l'espoir de maintenir celle-ci en vie, la demanderesse a alourdi le pas­sif de la societe ; certes, elle a personnellement paye une part de la creance de la S.N.C.I., mais i1 serait contraire a toutes les regles d'equite; de morale et d'ordre public, de voir la demanderesse, responsable de cet alourdissement du passif, prendre la place privilegiee de la S.N.C.I. et primer ainsi les au­tres creanciers, alors que ceux-ci auraient eu interet a ce que cette ouverture de credit ne soit pas sollicitee et a voir deposer le bilan a l'epoque, car ou bien ils ne seraient pas devenus creanciers (a supposer qu'ils le soient de­venus pendant la periode de survie consecutive a l'ouverture de credit) ou bien, ils auraient eu comme garantie un actif non greve d'une importante creance privilegiee ;

Vu la loi du 18 avril 1851 sur les faillites ;

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matiere judiciaire ;

Vu. le Code Judiciaire,

Par ces motifs,

Le Tribunal,

Entendu, a !'audience publique du 28 juin 1976 M. Hubert Massa, substitut du Procureur du Roi, en son avis ecrit donne en langue frangaise ;

Dit !'action en admission de creance de la partie declarante, non recevable et condamne celle-ci aux depens, liquides en ce qui la concerne a 5.100 F,

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montant de l'indemnite de procedure (art. 1022 C.J.) et non liquides en ce qui concerne le def endeur a def aut de releve depose conformement a l'art. 1021 du C.J.

Observations. - Vair l'arret de la Cour de Liege du 12 avril 1977 (ci-dessus n° 5948).

/

N° 5950. - Cour d'appel de Bruxelles. -'22 juin 1977.

Sieg. : MM. Ruttiens, pres.; Anne de Molina et Terlinden, cons.; De Cant, av. gen.

Plaid. : MMes Andries et Dal. (M.P. et S.A. Realtec cl X ... J

Arrete royal 24 octobre 1934. - Condamnation penale anterieure. -· Fonc­tions d'administrateur. - Interdiction non applicable a un conseiller tech­nique qui en fait ne pouvait engager la societe.

Pour etre punissable du chef d'exercice des jonctions d'administrateur apres une condamnation penale visee a l'arrete royal du 24 octobre 1934, le prevenu eut du exercer en f ait des pouvoirs de direction et aller au de la de ses fonctions ·de conseiller technique.

ARR:ttT

X... prevenu de du 26 septembre 1970 au ler juillet 1972, la prescription de l'action publique ayant ete regulierement interrompue notamment par la commission rogatoire du 29 mai 1975 adressee a M. le juge d'instruction a Luxembourg,

En contravention aux art. ler, 3 et 4 de l'arrete royal no 22 du 24 octobre 1934, avoir illegalement exerce les fonctions d'administrateur, de commissaire ou de gerant,

Avec la circonstance qu'il se trouve en etat recidive legale;

Vu la prevention telle que libellee a la citation ; vu les appels interjetes,

- par le prevenu,

- par la partie civile,

- par le Ministere public,

du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Bruxelles le 20 Jan­vier 1977, lequel :

Condamne le prevenu a une peine de six mois d'emprisonnement et a une amende de 2000 fr x 30 ou 3 mois ;

Le condamne aux frais taxes a 208.379 frs dont le recouvrement pourra etre poursuivi par la contrainte par corps ; en fixe la duree a 3 mois ;

Au civil : deboute la partie civile de son action et lui delaisse les frais ;

Ou'i M. -1e Conseiller Anne de Molina en son rapport ;

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Entendu la partie civile en ses moyens developpes par Me Andries, avocat;

Entendu le Ministere public en son requisitoire ;

Entendu le prevenu en ses moyens de defense developpes par Me Dal, avo­cat; vu les conclusions;

Attendu que les appels ont ete interjetes dans la forme et le delai pres­crits par la loi ;

Attendu que la prescription de !'action publique a ete regulierement in­terrompue par des actes d'instructfon ou de poursuite et notamment par la commission rogatoire du 29 mai 1975 adressee par M. le juge d'instruction de Bruxelles a M. le Juge d'instruction a Luxembourg ;

Attendu qu'il est acquis que le prevenu n'a pas exerce a la S.A. Realtec les fonctions d'administrateur, de commissaire ou de gerant;

Qu'il conteste avoir exerce des fonctions conferant le pouvoir d'engager la societe en exergant les fonctions officielles de « conseiller technique» au sein d'un comite de direction ;

Attendu qu'il est etabli que le prevenu qui connaissait !'interdiction legale dont i1 etait frappe s'etait enquis soigneusement aupres d'un conseil qualifie, en novembre et decembre 1970, de l'etendue des droits et pouvoirs qu'il pou­vait encore exercer dans le cadre de la gestion d'une societe commerciale;

Qu'il n'a jamais voulu signer aucun document engageant celle-ci et a toujours obtenu !'accord des administrateurs quant aux mesures et decisions qu'il leur proposait en sa qualite officielle de conseiller technique ;

Attendu qu'une societe commerciale ne peut agir, contracter des obli­gations et des lors etre engagee que par ses organes ou Ies personnes aux­quelles ces derniers ont delegue certains de leurs pouvoirs ;

Attendu que le prevenu admet avoir fait partie du comite de direction du 6 octobre 1970 jusqu'au mois d'aout 1971 mais soutient ne pas avoir exerce les pouvoirs de direction qui lui avaient ete attribues mais s'etre limite aux fonctions de conseiller technique ;

Attendu que pour etre punissable, le prevenu eut du exercer en fait les­dits pouvoirs de direction mais qu'il a eu soin de s~en abstenir puisque toutes les decisions qu'il a inspirees ont ete prises par ceux qui pouvaient et de­vaient les prendre d'apres Ies statuts ;

Qu'ainsi le prevenu n'a jamais lui-meme exerce le pouvoir d'engager la S.A. Realtec ; I

Que certes i1 s'agissait d'une societe dont ni I 1e volume des affaires, ni leur complexite technique ou commerciale n'exigeaient la constitution d'un comite de direction;

Que !'existence de ce dernier ne s'est justifiee que par le desir de certains administrateurs, en particulier Mlle Munchen, de procurer une situation au prevenu en l'adjoignant a ses collaborateurs Crommelynck et Kuffer;

Attendu que les autres associes formant le groupe dit « d'Ostende » ont pris cette decision de commun accord et ont couvert les initiatives du pre-

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venu agissant en qualite de conseiller technique, ce qui justifiait d'ailleurs en principe l'octroi d'une remuneration et d'indemnites ;

Que leur plainte n'a ete deposee qu'a la suite .du licenciement du pre­venu et d'une demande de paiement d'indemnite de rupture de la part de ce dernier;

Attendu que l'absence d'infraction constatee a charge du prevenu rend la Cour incompetente pour statuer sur les dommages imputes aux f aits soumis a jugement;

Attendu que les requisitions d'informer ont ete donnees au juge d'instruc-tion apres la constitution de partie civile ;

Par ces motifs,

La Cour, statuant contradictoirement;

Vu les articles 11, 12, 16, 24, 31 a 37 et 41 de la loi du 15 juin 1935 ; 211 du C.I.C., 212 dudit Code ; 4 de la loi du 17 avril 1878, indiques par M. le President :

Regoit les appels ;

Met le jugement dont appel a neant ;

Reformant :

Dit la prevention non etablie ; en acquitte le prevenu et le renvoie des fins des poursuites sans frais ;

Se declare incompetente pour statuer sur la demande de la partie civile et la condamne aux frais des deux instances taxes a 209.959 frs; lui delaisse ses propres depens des deux instances.;

Observations. - Le jugement reforme est publie au numero suivant. Le prevenu avait conGlu sur le plan des principes qu'une disposition penale ne pouvait etre appliquee que dans les cas ou ie comportement effectif du prevenu etait strictement compris dans les previsions du texte (Novelles, Droit penal, t. 1er n° 544 et references citees, le d roit penal etant (( hermetiquement clOS )) I

loc. cit. n° 483). « Poenalia sunt restringenda » : un fait ne peut etre puni s'il ne se presente avec une simple similitude par rapport au fait reprime. 11 est egalement de principe que le juge au repres­sif doit prendre l.es termes legaux dans leur sens usuel et normal (cass. 21 novembre 1949, Pas. 1950 p. 175 et la note; cass. 8 juin 1950, Pas. 1950 p. 702 et I~ note; cass. 18 janvier 1954, Rev. droit penal, 1953-1954, p. 613). Le prevenu en deduisait qu'il fallait verifier s'il avait exerce au sein de la societe des fonctions qui iui avaient confere le pouvoir de faire naltre sous sa signature des obligations dans le chef de la societe. Les premiers j uges avaient parle d'un (( pouvoir de fait)) dont le prevenu aurait ete porteur.

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En fait, ii n'avait jamais eu d'autres attributions que celles d'un conseiller technique, les engagements sociaux etant souscrits par les dirigeants de l'affaire.

Voir FREDERICQ, Traite t. V, p. 602 et Handboek p. 652. - VAN 0MMESLAGHE, L'administration des societes par actions, 1960 p. 322. - Bruxelles 6 juin 1974, Revue 1975 p. 226 et la note. -RoNsE, Overzicht, T.P.R. 1964, p. 103. - VAN RYN et VAN OM-

MESLAGHE, Chronique, Revue critique 19,7, p. 336. /

N° 5951. - Tribunal correctionnel de Bruxelles. - 20 janvier.1977.

Sieg. : MM. Dautricourt, pres.; Mme Halsberghe, juge et Mr Carly, juge suppl.; Vauthier, substitut Proc. Roi.

Plaid. : MMes Andries et Dal. (M.P. et S.A. Realtec cl X ... J

Arrete royal 24 octobre 1934. - Condemnation penale anterieure. - Fonc­tions d'administrateur. - Pouvoir de fait d'engager la societe. - Loi pe­nale appli~able.

Celui qui a ete l'objet d'une condamnation penale anterieure prevue a l'arrete royal du 24 octobre 1934 et qui a «le pouvoir de fait d'engager la. societe », exergant « en fait » sous la signature d'un administrateur, la ges­tion journaliere, tombe sous le coup des penalites qui sanctionnent cette decheance.

JUGEMENT

Prevenu du 26 septembre 1970 au ler juillet 1972, la prescription de !'action publique ayant ete regulierement interrompue par des actes d'instruction ou de poursuites, notamment par la commission rogatoire du 29 mai 1975, adressee par M. le Juge d'instruction De Pre a M. le juge d'instruction a Luxembourg,

En contravention aux articles ler, 3 et 4 de l'arrete royal no 22 du 24 octo­bre 1934, avoir exerce les fonctions d'administrateur, de commissaire ou de gerant dans une societe par actions ou une societe cooperative ou des fonc­tions conferant le pouvoir d'engager l'une de ces societes en l'espece, avoir exerce les f onctions officielles de « conseiller technique » qui en realite cons­tituaient des fonctions lui conferant pouvoir de fait d'engager la S.A. « Real­tec » dont le siege social est etabli a Ostende, Vergunningenstraat 6, et le siege d'exploitation a Bruxelles, av. General de Longueville 1, alors qu'il avait ete condamne par arret rendu le 29 juip. 1968 par la cour d'appel de Bruxelles coule en force de chose jugee au moment des faits, a une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis de 5 ans, du chef de faux bilans et usage, banqueroute frauduleuse, abus de confiance et banqueroute simple ...

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vu les pieces de la procedure ;

Vu l'ordonnance du 17 septembre 1976 par laquelle la chambre du conseil de ce tribunal a renvoye le prevenu devant le tribunal correctionnel ;

our les demandes, moyens et conclusions de la partie civile ;

Ou! les explications et moyens de defense du prevenu ;

vu Ies conclusions deposees par le prevenu ;

Ou! Ies resume et conclusions du Ministere Public;

Ou! les repliques du prevenu ;

Attendu que la prescription de !'action publique a ete regulierement inter­rompue par la commission rogatoire du 29 mai 1975. adressee par le Juge d'instruction De Pre au juge d'instruction a Luxembourg;

A. SUR L'ACTION PUBLIQUE :

Attendu que quels que soient les titres et qualites que le prevenu se soit fait attribuer par l'assemblee generale extraordinaire du 26 septembre 1970 de la S.A. Realtec; notamment celui de president du comite de direction et de conseiller technique qui lui est attribue dans la prevention, il resulte des elements du dossier qu'il avait le pouvoir de fait d'engager la societe et exerc;;ait en fait, sous la signature de Crommelynck, la gestion journaliere du siege d'exploitation de Bruxelles;

que le fait de la prevention est done etabli ;

Le tribunal, statuant contradictoirement, condamne X... a six mois d'em­prisonnement et une amende de 2.000 francs portee par application de la loi sur les decimes additionnels a 60.000 frs ;

et PQUVant, a defaut de paiement dans le delai legal, etre remplace par un emprisonnement subsidiaire de trois mois.

Le condamne aux frais de !'action publique, taxes au total actuel de 208.379 francs et dont le recouvrement pourra etre poursuivi par contrainte par corps, dont la duree est fixee a trois mois.

B. SUR L'ACTION CIVILE :

Attendu que !'action civile est recevable, mais qu'elle n'est pas f ondee ;

Qu'il -resulte en eff et du dossier que les pouvoirs dont se plaint la partie civile et dont l'exercice aurait porte prejudice a la societe ont ete conferes au prevenu par l'assemblee generale et qu'en tout etat de cause, il incom­bait aux administrateurs de mettre. obstacle a tout abus de pouvoir ;

Par ces motifs,

Le Tribunal,

Deboute la partie civile de son action civile et lui delaisse les frais.

Observations. - Ce jugement a ete reforme en appel : Cour de Bruxelles, 22 juin 1977 (vdir n° 5950).

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N° 5952. - Tribunal de commerce de Bruxelles. 6 juin 1977.

Sieg. : MM. Bellemans, pres; Van Horen et Blanpain, juges. Plaid. : MMes M. Franchimont, M. Gregoire et P. Coppens

( Duquenne, Detry, Bouillon-Guerard c/ Compagnie Euroutremer, Societe Generale de Belgique, G. Assoignon, L. de Beco, Ch. Papeians de Morchoven, M. Degroof, A. Dubuisson, R. Lippens, G. Regnier, E. Sterkendries, E. Vaes

et R. Vandenput)

Action minoritaire contre la decision d'une assemblee _generale. - I. Rece­vabilite : qualite d'actionnaire lors de l'assemblee dont l'annulation est demandee. --:- II. Recevabilite : impossibilite de demander simultanement l'annulation de la decision et !'allocation de dommages et interets. - Rec­tification en conclusions. - Ill. Vote~ - Droit de l'exercer non seulement dans l'interet general mais aussi pour sauvegarder des interets propres. -Abus de vote. - Exige un element intentionnel et suppose que l'action­naire majoritaire n'a d'autre but que de depouiller les minoritaires. -IV. Apport d'actifs. - ·Decision de politique financiere relevant des organes soc1aux. - Monopole des administrateurs et des majOritaires. - Protection des minorites : distinction entre decisions qui contreviennent aux droits . de la minorite et decisions qui heurtent les projets de celle-ci. - Egalite de traitement de tous les actionnaires de la societe apporteuse. - Action­naire majoritaire ayant une participation plus grande dans la societe fai­sant les apports que dans celle recevant les apports. - lnvraisemblance d'un apport sous-evalue. - Evaluation parallele des avoirs selon les memes criteres et avoirs similaires. Calculs symetriques. - Evaluation des avoirs. - Combinaison de deux criteres : valeur intrinseque et rendement. -Valeur de rendement plus importante dans la pratique actuelle. - V. Action minoritaire contre les administrateurs. - Hypothese d'une faute de gestion simple. - Actio mandati de l'assemblee seule recevable. - Actionnaire individuel : doit demontrer un prejudice personnel distinct du prejudice social qu'il souffre proportionnellement.

I. Un actionnaire minoritaire qui attaque une decision de l'assemblee ge­nerale pour abus de majorite doit etablir qu'il etait actionnaire au moment du vote qu'il attaque. Celui qui acquiert des actions apres les resolutions achete en connaissance de cause.

II. 1l est impossible de la part de l'actionnaire minoritaire demandeur de lancer assignation a la fois pour obtenir l'annulation de l'assemblee gene­rale dont il attaque la decision et pour se faire allouer des dommages-inte­rets pour le prejudice que cette assemblee lui cause. 1l est loisible en con­clusions d'expliquer que l'annulation est poursuivie a titre principal et que les dommages-interets le sont a titre subsidiaire.

III. Le vote peut etre exerce dans l'interet personnel du votant des Zors que l'interet social n'est pas trahi par la sauvegarde de ces interets propres. Pour qu'il y ait abus de majorite il faut des circonstances qui feront preuve que l'actionnaire preponderant n'a agi que dans son interet personnel en faisant fi de l'interet de la societe. L'abus de majorite implique un element

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intentionnel : la volonte de depouiller les minoritaires et de rompre l'egalite des actionnaires.

IV. L'apport des actifs de la societe et leur remuneration par la societe recueillante sont des problemes de politique financiere it trancher par les or­ganes sociaux. Ceux-ci ont le droit d'adopter une formule objectivement valable. La minorite a le droit de faire defendre ses droits mais elle ne peut imposer ses preferences. Lorsque la minorite estime que les actifs ont ete sous-evalues dans l'apport, sa critique devient invraisemblable si les majo-­ritaires avaient une participation plus elevee dans la societe apporteuse que dans la societe recueillante (24,5 % dans la premiere et 7,6 % dans la seconde). La correction des calculs de parite se manifeste aussi dans la sy­metrie des operations des lors · que les actif s des deux societes sont de meme nature et que les criteres d'evaluation sont les memes. 1l est traditionnel de combiner les deux criteres de la valeur intrinseque et de la valeur de rende­ment. La pratique actuelle permet de privilegier la valeur de rendement par rapport it la valeur intrinseque.

v. S'il est suppose que les actifs apportes avaient ete sous-evalues, cette hypothese s'analyserait comme une faute de gestion des administrateurs. Cette faute est absente en l'espece. L'assignatian en dommages-interets contre les administrateurs de la societe attaquee, chacun etant interpelle pour la totalite du dommage invoque, n'est pas recevable. L'actio man­dati appartient a la seule assemblee generale c.-a-d. a la majorite. Pour agir individuellement contre les administrateurs, l'actionnaire devrait de­montrer un prejudice personnel distinct du prejudice general qu'il souf fre en proportion de ses parts. En l'espece, la sous-evaluation des actifs, a la sup­poser etablie - quad non - serait un prejudice commun a tous les action­naires.

JUG EM ENT

Vu l'article 4 de la loi du 15 juin 1935 ;

Vu l'exploit de citation enregistre signifie le 19-7-1973 ;

Vu les conclusions des parties ;

Attendu que la demande principale a pour objet :

a) d'entendre prononcer l'annulation des assemblees generales des 4 et 22 decembre 1972 de la societe d'Euroutremer, premiere defenderesse;

b) d'entendre dire pour droit que la premiere defenderesse, societe Eurou­tremer, n'est pas absorbee par la seconde defencieresse, Societe Generale de Belgique et qu'elle n'est done pas en liquidation ;

c) de voir ordonner la remise des comptes et actifs dans leur etat ante­rieur a la date du 22 decembre 1972;

d) de s'entendre condamner solidairement les def enderesses et les adminis­trateurs de la premiere defenderesse, a payer aux demandeurs la somme de 21.998.437,5 F a titre de dommages-interets, cette somme devant etre majoree des interets compensatoires depuis le 22 decembre 1972, des interets judi­ciaires et des depens ;

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A. Quant aux faits.

I. Attendu que les demandeurs soutiennent qu'ils sont proprietaires d'ac­tions de la Compagnie Europeenne et d'Outremer, en abrege Euroutremer;

Attendu que fin septembre 1972, les conseils d'administration de la So­ciete generale de Belgique, de la Compagnie Financiere du Katanga et de la compagnie Euroutremer annoncerent leur proposition :

1) de faire apporter par Euroutremer a la Compageie Financiere du Ka­tanga toutes ses valeurs actives et passives, a !'exception. de sa participation dans cette societe et d'en recevoir, en contrepartie, des actions Katanga nouvellement emises ;

1

2) de faire proceder a !'absorption par la Sf ciete Generale de Belgique d'Euroutremer dont, a la suite de !'operation decrite sub 1), les avoirs consis'."' taient desormais et exclusivement en actions de la Compagnie Financiere du Katanga, les porteurs d'actions d'Euroutremer recevant, en echange, les parts de reserve de la Societe Generale de Belgique nouvellement emises ;

II. Attendu que !'evaluation des diverses et multiples participations de meme que les propositions d'echange furent approuvees par le commissaire reviseur de chacune des trois societes ainsi que par la Commission Bancaire ;

Attendu qu'un ra:pport special, tres detaille, etabli par le conseil d'ad­ministration des tr-0is societes, motive les operations soumises a !'approba­tion de chacune des trois assemblees generales, decrit les apports et ana­lyse les inethodes d'evaluation appliquees et la remuneration proposee;

Qu'un autre rapport special fut etabli par les commissaires reviseurs des trois societes ;

Qu'il est constant que ces rapports furent envoyes a tous les actionnaires nominatifs des trois societes et tenus a la disposition des proprietaires d'ac­tions au porteur ; qu'en f ait, divers exemplaires de ces rapports furent adres­ses a des actionnaires qui les avaient demandes; qu'en outre ils furent a­dresses aux actionnaires au porteur qui avaient depose leurs titres en vue d'assister a l'assemblee generale ;

III. Attendu que les conditions annoncees pour !'absorption de la compa­gnie Europeenne et d'Outre-Mer par la Societe Generale de Belgique firent l'objet de critiques emanant de certains actionnaires;

Attendu que certains actionnaires reprochaient tant le principe meme de la double operation, qui leur enlevait notamment les interets qu'ils dete­naient indirectement dans les filiales zai'.roises de la S.A. Euroutremer, que la proportion prevue pour l'echange des actions Euroutremer contre des parts de reserve a savoir sept parts de reserve pour huit actions Euroutremer;

IV. Attendu que la Societe generale de Belgique decida de rencontrer ces critiques en offrant aux actionnaires d'Euroutremer qui le souhaitaient d'e­changer leurs actions Euroutremer . contre des actions Katanga sur la base de 1,25 part sociale Katanga pour une action Euroutremer ;

Qu'en consequence l'actionnaire d'Euroutremer pouvait echanger ses ac­tions a son choix contre des actions Katanga ou des parts de reserve ;

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v. Attendu qu'mie premiere assemblee generale extraordinaire d'Eurou­tremer tenue le 4 decembre 1972 n'ayant pas reuni le quorum requis, i1 en fut tenu une seconde, suivant la loi, le 22 decembre suivant ;

Attendu qu'au cours de l'assemblee du 22 decembre, trois resolutions, no­tamment, furent adoptees, a savoir :

a) l'apport par Euroutremer a la Compagnie Financiere du Katanga de toutes ses valeurs actives et passives, sa participation Katanga exceptee, moyennant la remise de 221.768 parts sociales nouvelles de ladite Compagnie;

b) l'absorption d'Euroutremer par la Societe Generale de Belgique moyen· nant la remise de 202.349 parts de reserve nouvelles aux a,ctionnaires de la societe absorbee autres que la societe absorbante ;

c) la dissolution et la mise en liquidation de la S.A. Euroutremer;

Que les trois resolutions furent adoptees a des majorites considerables;

Qu'en outre, a concurrence de plus de 96 % du total des actions d'Eurou-tremer susceptibles d'etre echangees, les actionnaires d'Euroutremer ont ra­tifie l'operation, ce qui est remarquable pour une operation de cette impor­tance;

B. Quant a la recevabilite.

* * *

I. La qualite d'actionnaires des demandeurs ;

Attendu que les quatre demandeurs - qui etaient apparus a l'assemblee generale comme proprietaires de 5.228 actions - apparaissent au proces en se disant proprietaires de 7.125 actions sur un ensemble de 303.000 actions, ce qui represente 2;35 % des actions d'Euroutremer ;

Attendu que les def endeurs observent a juste titre que le droit. d'intenter une action en annulation sur base de la protection des minorites d'action­naires n'est pas attache a l'action quelle que soit l'epoque a laquelle celle-ci a ete acquise ;

Qu'une action au porteur ayant appartenu a quelqu'un qui a approuve une . resolution pourrait etre revendue ulterieurement a un autre qui, grace a la meme action, formerait une demande en justice tendant a annuler cette resolution ; qu'une telle demande ne peut etre re9ue ;

Que pareille demande sera d'autant moins recevable que l'action basee sur l'abus de majorite se fonde sur l'article 1382 du code civil et se prescrit par trente ans ;

Qu'il ne serait pas raisonnable que celui qui aurait acquis, plusieurs an­nees apres qu'une resolution ait ete prise, quelques actions, pourrait deman­der l'annulation d'une decision de l'assemblee generale et/ou des dommages­interets;

Que de plus celui qui acquiert des actions apres que les resolutions ont ete prises, achete en parfaite connaissance de cause et n'a qu'a s'en prendre a lui-meme du prejudice qu'il pretendrait avoir subi ;

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Attendu que les def endeurs soutiennent que les demandeurs ne rappor­tent pas la preuve de ce qu'ils etaient proprietaires des actions actuellement en leur possession, au jour de l'assemblee generale du 22 decembre 1972;

Attendu que les demandeurs repliquent d'abord que pour que leur action soit recevable, il suffit qu'ils soient proprietaires d'une seule action au mo­ment de l'assemblee generale du 22 decembre 1972 ;

Attendu tout d'abord que dans pareille hypothese les dommages-interets pouvant etre reclames seraient reduits a presque rien ;

~Attendu toutefois que l'irrecevabilite de la demande en justice ne doit pas etre prononcee des !ors que les demandeurs se refusent a produire leurs bor­dereaux d'achat ;

Que la preuve de la qualite d'actionnaires des demandeurs peut etre rap­portee par toutes voies de droit et pas seulement par la production des bordereaux ;

Que le Tribunal consictere que les attestations de personnes dignes de f oi demontrent a suffisance qu'avant l'assemblee generale extraordinaire du 22 decembre 1972 :

1) le premier demandeur,. H. Duquenne, etait proprietaire de 2.540 titres (attestation du notaire A. Cordonnier du 17 avril 1975) ;

2) le deuxieme demandeur, L. Detry, etait proprietaire de 2.541 titres (at­testations de la S.C.S. Pitti & Cie) ;

3) le quatrieme demandeur, Fr. Bouillon-Guerard, etait proprietaire de 2.000 titres ;

Attendu par contre que. le troisieme demandeur, M. Duquenne, nee La­motte ne fait en rien la preuve de sa qualite de proprietaire ; qu'elle ob­serve seulement que pour 300 actions !'annexe du proces-verbal de l'assem­blee generale constate que Mr. H. Duquenne a declarer la representer ;

Que la demanderesse ne produit ni bordereau, ni certificat ;

Que sa demande ne peut en consequence etre regue ;

Qu'il importe encore de noter que les quatre demandeurs qui assez cu­rieusement etaient apparus a l'assemblee generale comme proprietaires de 5.228 'titres et qui n'expliquent pas pourquoi, proprietaires de 7.125 titres, ils n'ont pas fait tout ce qu'ils auraient du faire pour disposer de toute leur puissance de vote, negligent d'autre part les chiffres qui sont repris dans les trois attestations versees aux debats ; que le total des titres s'eleve en realite a 7.081 et non a 7.125;

Que tandis que la demande de Mme Duquenne n'est pas recevable, les demandes de MM. Duquenne, De try et Bouillon 'ne peuvent etre regues res­pectivement que pour 2.540, 2.541 et 2.000 titres;

II. Quant a l'exceptio obscuri libelli ; .

Attendu que les deux defenderesses observent que !'exploit de citation pos­tulait a la fois l'annulation des assemblees generales et la condamnatioi:i a des dommages-interets;

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Attendu qu'a supposer que l'intention des demandeurs soit d'obtenir uni­·quement l'annulation des decisions de ces assemblees, une action en even­tuels dommages-interets ne se justifierait que si, nonobstant un· eventuel abus de majorite prealablement constate, l'annulation n'en avait pas ete prononcee;

Qu'en effet l'allocation d'eventuels dommages-interets ne permettrait plus l'annulation des decisions en raison du caractere compensatoire que reveti­rait necessairement cette allocation ;

Que le cumul etait impossible : si l'annulation etait obtenue, du merp.e coup le prejudice tel qu'il est evalue, disparait ; si les dommages-interets, tels qu'ils sont evalues etaient alloues, l'annulation ne se -justifiait plus ;

Attendu que les demandeurs, en conclusions, apres avoir analyse le li­belle de leur citation d'une part en une action en nullite dirigee contre la premiere defenderesse, societe Euroutremer, et d'autre part en une action en dommages-interets formee contre la deuxieme defenderesse, la Societe Generale de Belgique, ainsi que contre les administrateurs d'Euroutremer, ajoutent que l'action en annulation est intentee a titre principal tandis que l'action en dommages-interets est formee a titre subsidiaire;

Attendu qu'il est exact que les demandeurs ont implicitement mais clai­rement enonce, dans la citation, que l'annulation des decisions etait pour­suivie a titre p_rincipal, en rappelant « que toutefois, lorsque cette annula­tion n'est pas possible... le tribunal peut prononcer une condamnation a des dommages-interets » ;

Attendu qu'il convient d'admettre que le caractere sommaire d'une cita­tion par ailleurs claire et complete peut etre repare a !'aide des conclu­sions (R.C.J.B. 1974. p. 95 et refer. citees) ;

Que les autres elements observes par les def enderesses, d:une part la con­damnation solidaire des defenderesses et des defendeurs a payer des dom­mages-interets sans qu'une ventilation ne soit f aite entre Ies quatre deman­deurs, et d'autre part la circonstance qu'une demande en annulation des assemblees generales de la C.F.K. et de la S.G.B. n'est pas formulee, n'em­pechent pas la recevabilite de l'action ; que l'annulation judiciaire des deci­sions de l'Euroutremer - si elle etait prononcee - poserait certes even­tuellement la question de l'opposabilite de l'annulation aux deux autres societe;

C. Quant au fond.

* * *

Attendu que les demandeurs fondent !'action de minorite sur la conside­ration (conclusions page 23) :

« que le contrat de societe n'a pas ete execute de bonne f oi ; qu'on n'a «pas respecte l'egalite existant entre les differents actionnaires et que la « majorite, en l'espece, la Societe Generale de Belgique, et toutes les socie­« tes. et personnes physiques qui lui sont inf eodees ont commis un detourne­« ment de pouvoirs et un abus de droit en faisant prevaloir au mepris des

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208 « interets d'Euroutremer et de ses actionnaires, une solution qui ne se jus­« tifiait que dans l'interet de la Societe Generale de Belgique ; « Que cela resulte du but, de l'objet, de la forme de l'operation employee et « des modalites d'echange » : « - le but de l'operation : que cette operation ne se justifiait certainement « pas dans l'interet d'Euroutremer ; que, le but/ de l'operation s'est opere « uniquement dans l'intere~ de la Societe Generj:tle ; « - l'objet de l'operation : la disparition d'Euroutremer huit ans avant son «terme; « - la forme de l'operation : deux solutions etaient possibles : OU bien la « mise en liquidation et la repartition entre les actionnaires des titres qui « auraient .ainsi constitue son portefeuille, ou bien la solution qui a ete en­« visagee ... parce que c'etait plus conforme aux interets de la Societe Ge­« nerale »;

1) le but de l'operation

Attendu qu'il ne suffit evidemment pas que les demandeurs demontrent que la Societe Generale avait un interet a 11;1. realisation des operations qui ont eu lieu;

Qu'il est clair qu'elle en avait un, sinon elle ne les aurait pas votees ;

Que toutef ois cet interet ne suffit pas pour que le vote qu'elle a emis constitue un abus de droit ;

Qu'il est certain que l'actionnaire peut exercer son droit de vote a l'as­semblee generale non seulement dans l'interet general mais egalement pour sauvegarder ses interets propres (Yv. Schoentjes - Merchiers, R.C.J.B. 1973, page 281) ;

Que les demandeurs, eux ~ussi, sous le couvert de leur qualite d'action­naires, veillent surtout a faire valoir leurs interets ;

Attendu que pour qu'il y ait abus de droit il faut des circonstances de f ait ou aucune erreur d'appreciation n'est possible, des circonstances de fait ou il apparaitra aux juges comme evident que l'actionnaire preponderant n'a agi que dans son interet personnel en faisant realiser une operation par la societe ou il se comporte en maitre (Copper Royer, Traite des societes, t. II, p. 778) ;

Que la question qui se pose en consequence est de savoir s'il apparait com­me une evidence que les operations querellees n'avaient d'autre but que d'a­vantager la Societe Generale qui, a cet eff et, a spolie les actionnaires ;

Attendu qu'Euroutremer et la Katanga etaient depuis plusieurs annees devenues toutes deux des societes a portef euille dont la structure des ac­tifs etait a ce point similaire qu'elles detenaient de nombreuses participa­tions dans les memes societes ;

Qu'avant la mise a l'etude des operations qui ont eu lieu, pratiquement tout le monde constatait que cet edifice complexe devenait difficile a gerer ; que les doubles emplois, par ailleurs, se multipliaient ;

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Que deja a l'assemblee generale de la Katanga, du 17 mars 1972, un ac­tionnaire qui de l'aveu meme des demandeurs n'appartenait pas a la majo­rite, demanda : « quelle est encore aujourd'hui la raison d'etre de la Com­pagnie Financiere du Katanga ? Cette accumulation de frais generaux, ce cumul de tantiemes ne peuvent, bien entendu, constituer la raison d'etre d'une societe a portefeuille ... »

Attendu que la necessite d'une simplification ne fut nullement contestee ;

Que la solution qui, tout naturellement, est venue a l'esprit de tout ac­tionnaire de bonne foi et de tout observateur raisonnable, consistait a re­grouper les deux holdings de tete, C.C.C.I. (devenue entretemps Euroutre­mer) et Cie Financier_e du Katanga, ce qui devait rectuire de moitie la dimension du probleme de la restructurati.on de l'ensemble;

Qu'un tel regroupement etait considere au surplus comme de nature a procurer des economies tant sous la forme d'une diminution de la charge fiscale que par une reduction des frais generaux;

Attendu certes que les actionnaires tout en etant conscients de l'utilite d'une rationalisation pouvaient differer d'opinion sur l'opportunite du choix d'une politique ou d'une f ormule plutot que d'une autre ; que si certains se sont un instant demandes pourquoi la Katanga ne serait pas, elle, liquidee,, plutot que l'Euroutremer, d'autres, notamment les demandeurs, aujourd'hui encore, considerent comme meilleure la solution qui eut consiste a liquider l'Euroutremer ; que d'autres enfin estimaient plus raisonnable de choisir la solution d'un apport et d'ecarter la solution d'une liquidation ;

Attendu qu'il suit de ces considerations, qu'independamment du choix d'une formule de regroupement, que les demandeurs examinent au chapitre de l'objet et de la forme de l'opera.tion, une evidence s'impose des a pre­sent : des objectifs des operations querellees h n'apparait nullement que celles-ci n'avaient d'autre but que d'avantager la Societe Generale qui, a cet effet, aurait spolie les actionnaires;

2) L'objet et la forme de !'operation ;

Attendu que la societe Euroutremer, s'exprimant .a une tres large majorite, a choisi la solution d'un apport et a ecarte la solution d'une liquidation ;

Attendu que l'expert des demandeurs estime que la solution de la liqui­dation etait une meilleure decision ;

Attendu qu'il est certain que l'apport d'actifs par la S.A. Euroutremer a la compagnie du Katanga etait essentiellement une decision economique ;

Attendu que la prerogative d'exercice et le monopole d'initiative pour prendre des decisions economiques appartient au conseil d'administration et a la majorite des actionnaires;

Que l'on ne peut, sous le pretexte de proteger la minorite, reconnaitre a celle-ci un droit acquis d'imprimer sa politique a la societe (Van Ryn et Van Ommeslaghe, R.C.J.B. 1967, p. 378) ;

Qu'aucune societe · ne serait gouvernable, comme d'ailleurs et de maniere plus generale, aucune institution, si les interets qu'elle represente n'etaient pas conduits par la majorite ;

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Que la direction economique de l'entreprise est et doit rester de la com­petence exclusive des organes sociaux ... le juge ne .mettra a neant que des decisions « abusives », c'est-a-dire celles qui contreviennent aux droits de la minorite non a ses aspirations, a ses preferences (Coppens, L'abus de majorite, 1947, p. 249) ;

Qu'au risque de meconnaitre la structure legale de la societe, les tribunaux devront faire preuve d'une circonspection extreme dans un domaine ou do­minent les decisions subjectives qui ne peuvent etres les leurs (G. Horsmans, Revue pratique des societes 1969, p. 67) ;

Attendu d'autre part qu'il importe de ne pas oublier qu'il n'y a de detour­nement de pouvoir que si !'intention de depouiller la minorite est bien eta­blie (Coppens, Revue des societes, 1953, p. 319) ;

Attendu qu'il convient de rappeler qu'il y eut deux operations distinctes l'apport du pqrtefeuille d'Euroutremer (a !'exception de sa participation dans la Compagnie du Katanga) remunere par des actions nouvelles Ka­tanga, la fusion entre les premieres et deuxieme def enderesses, l'a.ctionnaire d'Euroutremer receva1:1t, en echange de ses titres, des parts de reserve de la Societe Generale ;

Attendu que dans !'operation qui consistait a remplacer tous les elements de patrimoine d'Euroutremer :par un autre element de patrimoine, executee de la maniere prevue par la loi, tous les actionnaires d'Euroutremer, tant les demandeurs que la def enderesse ont ete evidemment places sur un strict pied d'egalite, sans possibilite d'abus de majorite ;

Que notamment on ne peut soutenir que la Societe Generale aurait com­mis un abus de majorite en faisant approuver des evaluations avantageant indument les actionnaires, dont elle-meme, de la Compagnie Financiere du Katanga; que c'eut ete en effet contraire a son interet puisqu'elle detenait une participation plus importante dans la S.A. Euroutremer que dans la Compagnie du Katanga ;

Attendu qu'il suit de ces considerations que les actionnaires minoritaires n'ont pas ete spolies par rapport aux actionnaires majoritaires ;

Que tous les actionnaires de la premiere defenderesse se sont retrouves comme ils l'etaient avant !'operation d'apport, dans une situation de par­faite egalite ;

Qu'en consequence on ne voit pas comment, en votant la resolution deci­dant cet apport, la seconde defenderesse aurait pu faire tort aux autres ac­tionnaires d'Euroutremer dont elle partageait le sort ;

Attendu sans doute que les demandeurs soutiennent incidemment que les decisions prisent sacrifient deliberement, uniquement pour des fins d'interet particulier, non seulement les droits des minoritaires, mais aussi l'interet social de la societe Euroutremer ;

Attendu que 1'on ne yoit pas en quoi l'interet social aurait ete meconnu ; qu'Euroutremer et la Katanga etaient toutes deux des societes a portef euille dont le regroupement s'imposait a raison de !'accentuation identique de la

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211 vocation financiere, de leur appartenance commune au groupe de la Societe Generale, de la similitude des portefeuilles et en vue des avantages qui en etaient esperes, tels que le poids plus grand du controle, les economies, une diminution de la charge fiscale etc ...

Que les demandeurs, loin de contester l'opportunite d'un regroupement, optent meme pour la liquidation d'Euroutremer; qu'en conclusions certes, ils font allusion a la disparition avant terme de la societe Euroutremer ; qu'il apparait toutefois des debats que si les demandeurs declarent regretter cette disparition, c'est uniquement en tant qu'elle s'est faite a des taux de conversfon qui leur parurent critiquables ;

3) L'echange 1 Euroutremer contre 1,25 Katanga;

Attendu que l'operation d'echange d'une action Euroutremer contre 1,25 actions Katanga ne resiste a aucune des critiques formulees contre elle;

a) que pour realiser cette operation, une decision du conseil d'adminis­tration eut suffi puisqu'elle consist.e a remplacer certaines valeurs du por­tef euille par d'autres ;

Qu'a fortiori une decision de l'assemblee. generale ordinaire c'est-a-dire prise a la simple majorite des voix eut suffi ;

Que cette decision n'a suscite, lorsqu'elle fut soumise au vote, que 26.479 voix contre, tandis qu'il y en avait 113.469 voix pour;

Que, meme en se plagant sur le terrain choisi ·par les demandeurs, c'est­a-dire. en rie comprenant pas ,la Societe Generale et toute societe ou personne ayant de pres ou de loin, des attaches avec elle, et en prenant comme seu­les voix positives le chiffre qui est avance par les demandeurs eux-memes (selon les calculs, 46.645, 50.733 ou 52.767 voix pour), il en resulte que la premiere resolution, a savoir l'apport du portefeuille Euroutremer a la Ka­tanga eut, de toute. maniere ete votee ;

Que cette operation d'echange a done ete decidee sans qu'il · y ait meme possibilite de parler d'abus ;

Que l'echange a ete approuve par le commissaire-reviseur, et qu'il a regu le nihil obstat de la Commission Bancaire ;

Que l'information des actionnaires a ete la plus totale possible, et beaucoup plus large qu'a l'ordinaire, au sujet des methodes d'evaluation;

Que ces methodes d'evaluation ont ete les memes pour evaluer le patri­moine de l'Euroutremer aussi bien que celui de la Katanga; que des lors, s'il y a eu sous-evaluation des avoirs - quod non - il y a eu sous evalua­

. tion dans les deux societes ;

Attendu que les demandeurs reprochent a tort au rapport de ne pas con­tenir de donnees concretes ;

Attendu que le rapport n'avait pas a les contenir ; que ce qu'il devait indi­quer, c'est ce qu'il a fait ; les methodes utilisees pour evaluer ;

Que les commissaires-reviseurs avaient a verifier si ces criteres avaient ete appliques ; qu'a la page 5 de leur rapport ils precisent qu'ils ont verifie

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212 l'application de ces differents criteres et qu'ils n'ont aucune remarque a for­muler a ce propos; qu'a aucun moment les demandeurs n'ont mis la res­ponsabilite des commissaires-reviseurs en cause ;

Qu'au _reproche de ne pas avoir accepte de communiquer a des action­naires qui le demanderaient, le detail des evaluations, et notamment les va­leurs prises en compte pour certaines participations, le president du conseil d'administration d'Euroutremer repondit a juste titre, le 22 decembre 1972, qu'il est usuel, en la matiere, de se limiter a la communication de rensei-· gnements globaux concernant la valeur relative des apports et/ou des patri­moines en presence ; qu'il ajouta que trois reviseurs d'entreprises, c'est-a­dire les commissaires-reviseurs des trois societes en cause, ont suivi regulie­rement les travaux, ont dispose du detail des evaluations et de toutes les in­formations utiles pour !'appreciation des parites proposees. En toute inde­pendance - celle-ci etant encore renforcee s'il en etait besoin par le fait qu'ils ont agi en college - les reviseurs ont fait rapport et ont conclu au caractere equitable des propositions soumises a l'assemblee;

Attendu que pour !'evaluation de chacun des deux patrimoines la comb1-naison de deux criteres a ete adoptee : le critere du rendement et le critere de la valeur intrinseque ;

Que ces criteres d'evaluation classiques, ont ete coordonnes pour cor­riger leurs resultats partiels, attenues ou ponderes, selon la pratique in­contestee aujourd'hui, puisque les estimations doivent privilegier le critere de rendement ;

Attendu que !'expert des demandeurs, tout en admettant qu'il convenait eff ectivement de choisir les criteres de rendement et de la valeur intrinseque, critique la moyenne ponderee qui a ete etablie et qui consiste a donner un poids simple au benefice le plus ancien, un poids double au benefice de l'exercice suivant et un poids triple au benefice le plus recent ;

Attendu qu'avec raison la premiere defenderesse observe a ce sujet qu'on peut evidemment · differer d'avis au sujet de semblable ponderation mais qu'on ne peut pretendre qu'elle serait fantaisiste et sans justification, autre­ment dit qu'elles serait manifestement abusive, ce qu'exige l'action basee sur l'abus de droit (voir notamment, au dossier des defenderesses, l'etude de la Kredietbank du 17 janvier 1975) ;

Attendu en conclusions qu'il ne resulte nullement du but, de l'objet et de la forme de !'operation ainsi que des modalites d'echange que la Societe Ge­nerale aurait agi, non point dans l'interet raisonnablement compris de la societe et des associes, y compris elle-meme, mais uniquement dans son in­teret personnel ;

Attendu qu'il n'y a des lors plus lieu d'examiner si outre les objectifs, deja constates, tj.e regroupement, de rationalisation I etc., conformes a l'interet social, ou si a travers la realisation de ces ob]ectifs, la Societe Generale a aussi voulu renforcer _son controle sur l'union Miniere;

· Attendu que meme si tel avait ete l'interet de la Societe Generale, ou meme son but unique, il eut fallu que !'operation d'echange fut spoliatrice ;

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213 Attendu en verite que tous les actionnaires ant ete mis sur pied d'egalite ;

Que d'autre part il n'est pas inutile d'observer que s'il avait fallu faire entrer en ligne de compte, dans les calculs d'echange Euroutremer-Katanga, l'indemnisation reclamee par l'Union Miniere au Za'.ire, dans Ja mesure et suivant les estimations, par ailleurs variables, des demandeurs, la valeur re­lative de la Compagnie du Katanga aurait du etre fixee nettement plus haut qu'elle ne l'a · ete, et c'est l'action Katanga qui aurait du etre surevaluee, puisque c'est la Katanga, et non l'Euroutremer, qui etait proprietaire d'ac­tions Union Miniere et Tanganyika ;

Attendu enfin que l'etablissement dE} valeurs intrinseques consolidees; re-: quis par les demandeurs, se serait de toute evidence heµrte a des difficultes

· pratiquement insurmontables, des lors qu'on se trouve en presence de socie­tes financieres quelque peu importantes, diversifiees sectoriellement et geo­graphiquement, la consolidation mettant en cause des dizaines de societes ;

Qu'il suffit en outre de constater que les criteres d'evaluation classiques employes ant ete les memes pour l'evaluation de l'Euroutremer et de la Katanga, et que dans cette premiere operation, tous les actionnaires d'Eu­routremer - et parmi eux tant les demandeurs que la Societe Generale -furent places strictement sur un pied d'egalite ;

Attendu en consequence que le reproche de «spoliation» adresse par les demandeurs a la seconde operation, l'echange action Euroutremer contre part de reserve, n'a pas a etre verifie des lors qu'un choix etait offert entre deux echanges differents et qu'il est acquis que, dans l'un des deux echan­ges, la Societe Generale ne s'est nullement avantagee;

Qu'il echet de rappeler qu'apres l'apport de sa situation active et passive (a l'exception de sa participation en Katanga) a la S.A. Katanga, la So­ciete Generale de Belgique a estime qu'il convenait de placer l'actionnaire d'Euroutremer dans une situation identique a celle qui aurait ete la sienne si la societe avait. ete absorbee par la Katanga ou si sa liquidation avait ete effectivement decidee apres l'operation d'apport a la Katanga;

Que la deuxieme def enderesse a offert a l'actionnaire d'Euroutremer d'e­changer ses titres contre des actions Katanga a raison de 1,25 action Ka­tanga pour chaque action Euroutremer (ou· 5 Katanga pour 4 Euroutremer) ;

Que cette offre etait avantageuse car - ceci n'est pas conteste - le rapport de 1,25 ne tenait pratiquement pas compte des frais et impots qu'au­rait entraines une liquidation effective ;

Que les . def enderesses concluent a juste titre que la premiere operation a ete decidee sans qu'il · y ait meme possibilite de parler d;abus puisque la majorite ·simple etait obtenue, 'meme si la Societe Generale et les action­naires presumes etre ses amis s'etaient abstenus au vote et a ete realisee sans qu'il y ait eu spoliation au profit de certains actionnaires, puisque tous les actionnaires ant ete places sur pied d'egalite; qu'aux demandeurs qui se plaignent, et aux autres, la possibilite a ete offerte de s'en tenir a cette premiere operation ; que s'ils l'ont refusee ils ne peuvent evidemment s'en prendre qu'a eux-rnemes et ne peuvent imputer a la Societe Generale

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un choix qu'ils etaient libres de faire ou de ne pas faire;

Que les critiques formulees a l'encontre des modes d'evaluation retenus pour la seconde operation sont en definitive sans portee et sans interet, puisque les actionnaires d'Euroutremer n'ont en aucune maniere ete obli­ges de participer a cette seconde operation ;

Que ceux qui preferaient conserver des actifs africains pouvaient con­server ce placement sous la forme des actions Katanga ; que l'on sait que le portefeuille Katanga avait un contenu fort semblable au portefeuille Eurou­tremer; que ce qui plus est, les actifs initiaux Euroutremer se retrouvaient en nature dans l'avoir Katanga;

Qu'ainsi done les actionnaires d'Euroutrenier eurent la faculte de se trouver dans l'exacte situation ou ils se seraientl trouves si Euroutremer apres avoir, par une operation juridiquement, comptablement et economiquement inattaquable, et pratiquement inattaquee, apporte ses valeurs actives et passives a la Compagnie du Katanga, avait ete mise en liquidation et aurait reparti entre tous ses actionnaires, sans tenir compte des frais, les 382.391 actions Katanga qui constituaient le seul element de son patrimoine ;

Qu'ayant eu la possibilite de ne pas participer a la seconde operation et de se trouver, apres la premiere operation, dans la meme situation que la Societe generale, on per~:oit mal ce que les actionnaires d'Euroutremer peu­vent reprocher a celle-ci ;

Qu'on l'aperc;oit d'autant moins qu'en ce qui concerne la premiere phase, la Societe Generale et les autres actionnaires d'Euroutremer avaient le me­me interet a ce qu'Euroutremer detienne, apres ses apports a la S.F. Ka­tanga, le plus grand nombre possible d'actions de cette societe et obtienne, pour ses apports, la remuneration la plus elevee; que la Societe Generale avait meme un interet direct a ce que !'action Euroutremer soit evaluee plus haut que !'action Katanga, puisque sa participatiQn dans Euroutremer etait de 24,5 % alors qu'elle n'etait que de 7,6 % en Katanga;

Qu'en consequence, si les demandeurs ne se sont pas decides pour · 1a pre­miere operation, ils ne peuvent s'en prevaloir pour invoquer un prejudice, puisqu'il suffisait qu'ils choisissent la premiere operation pour ne subir au­cun prejudice ; qu'il n'y a done pas eu abus de la majorite, y compris de la Societe Generale, dont les voix n'etaient pas necessaires a l'obtention de cette majorite, et d'autant moins que la Societe Generale qui possectait beau­coup plus d'Euroutremer que de Katanga eut eu interet a valoriser la Ka­tanga par rapport a Euroutremer ;

Que ces considerations eclairent compietement le caractere manifestement mal f onde de I' action intentee par les demandeurs ;

* * * Irrecevabilite de !'action a l'egard des administrateurs de la premiere de-

f enderesse;

Attendu que les defendeurs soutiennent a juste titre que l'abus de pou­voir dont les demandeurs font etat - dont les considerations qui precedent

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ont demontre l'inexistence - ne pourrait guere s'analyser, si les demandeurs avaient raison - quod non - que comme une faute de gestion dans le chef des administrateurs;

Attendu qu'une telle faute de gestion permettrait l'exercice, a l'encontre de ceux-ci, de l'actio mandati, c'est-a-dire d'une action en responsabilite intentee par la societe mandante contre les administrateurs mandates par elle;

Que cette action ne pourrait meme atteindre les administrateurs de fa­c;on solidaire que si la faute de gestion sociale impliquait une violation des statuts ou de la loi sur les societes ;

Que, meme alors, l'exercice de l'action en responsabilite appartiendrait exclusivement a la societe elle-meme, s'exprimant en assemblee generale et non aux actionnaires individuels;

Que « depuis la modification legislative de 1913 et suite a la nouvelle re­daction du texte, i1 convient de decider que des lors que le prejudice invo­que par les actionnaires n'est qu'une partie du prejudice social, l'assemblee generale seule peut decider s'il y a lieu de former une demande en justice » (S. Fredericq, R.W. 1957, p. 545) ;

Que les actionnaires individuellement ne pourraient agir que s'ils demon­traient avoir subi un prejudice personnel distinct de celui qui decoule de leur qualite d'actionnaire (Yv. Schoentjes - Merchiers, Liber amicorum J. Van Houtte, vol. II, p. 849 et svt) ;

Qu'il ne faut pas confondre ce dommage individuel avec celui que subit necessairement chaque associe comme consequence du do·mmage subi par la collectivite dont i1 est membre <Wauwermans, Societe Anonyme, no 376) ;

Qu'en l'espece, i1 est fait grief de mauvaises conditions d'apport ; que s'il en etait ainsi - quod non - ces conditions d'apport eussent ete le lot de tous ; qu'aucun prejudice individuel ne vient done s'ajouter a la partie du pretendu prejudice social, mis en avant par les demandeurs ;

Que !'operation d'apport n'etant ni frauduleuse dans ses intentions, ni spoliatrices dans ses eff ets, le recours des demandeurs contre les def endeurs n'est pas recevable (voir civ. Bruxelles 2e eh., 28 juin 1955, J.T. 1956, p. 71) ;

* * * Quant a la demande reconventionnelle ;

Attendu que reconventionnellement les def endeurs postulent la condam­nation des demandeurs au paiement de dommages-interets pour proces te­meraire et vexatoire ;

Attendu que le fait d'avoir intente une action judiciaire que le tribunal a repoussee ne peut etre considere comme une faute pouvant justifier !'alloca­tion de dommages-interets;

Qu'il en va autrement lorsque ce f ait s'accompagne de circonstances qui revelent, chez son auteur, un esprit de malveillance, ou une legerete dont se serait garde tout homme prudent et reflechi ;

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Attendu qu'il ne resulte pas a suffisance des elements de la cause que les demandeurs orit intente l'action d'une maniere irreflechie, ou par esprit de malice ou de vexation ;

Que l'action dans les conditions ou elle a ete intentee ne presente des lors pas le caractere d'un acte illicite qui eut entraine la condamnation a des dommages-interets;

Par ces motifs,

Le. Tribunal,

Ecartant toutes conclusions autres, plus amples ou contraires;

Regoit les demandes formees par les premier, deuxieme et quatrieme de-mandeurs contre les defenderesses;

Les declare non fondees;

Declare non recevable la demande f ormee par la demanderesse no 3 ;

Declare non recevables les demandes formees par les demandeurs contre les def endeurs ;

Statuant sur la demande reconventionnelle; la declare non fondee ;

Condamne les quatre demandeurs aux depens liquides a ce jour a 12.784 frs a l'egard des demandeurs, defendeurs sur reconvention, a 5.400 frs a l'egard des defenderesses et a 5.400 frs a l'egard des defendeurs.

Observations. - Ce jugement est devenu definitif.

I. Sur l'idee que la gestion n'appartient pas a la mi­norite ni directement ni par la voie d'un recours au tribunal de commerce, on consultera FREDERICQ, t. V p. 697 - COPPENS L'abus de majorite, p. 249. - VAN RYN et VAN 0MMESLAGHE, Revue critique 1967 p. 378 -- RrPERT, Droit commercial ed. 1968 p. 609 - SCHMIDT, Les droits de la minorite p. 145 - SuETENs-BouR­GEors, De verhouding Meerderheid-Minderheid p. 313 - HoRs­MANs, Le juge des referes et le droit des societes, Revue 1969, p. 47. L'opinion de ces auteurs est unanime pour limiter l'ingerence des tribunaux a la protection des droits de la minorite, et pour .re­pousser la verification de la politique economique, commerciale ou financiere de la societe telle qu'elle est con~ue par la majorite et par ses mandataires de gestion. II faut done distinguer les cri­tiques contre la maniere dont la majorite entend conduire les affai res sociales et les pratiques majoritai res qui portent sciemment atteinte a des d roits minoritai res.

II. Sur !'exigence d'un element intclntionnel dans l'abus de majorite, COPPENS, etude Revue 1955, p. ]292 et les references aux divers traites publies a l'epoque; etude Annales de Droit 1956 p. 261 a 263 - SCHMIDT, op. cit. p. 170 a 174. - T'KrNT et GYSE­LINCK, Guide pratique p. 140. - GUYON, note sous Cassation 29

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mai 1972 Semaine juridique 1973 n° 17337. - HouIN, Revue trim. dr. comm. 1972, p. 919. En jurisprudence : Bruxelles 7 fevrier 1939, Revue 1940, p. 157. - Bruxelles 28 fevrier 1952, ibid. 1953, p. 316. - Bruxelles 8 juillet 1954, ibid 1955, p. 285. - Commerce Bru­xelles 21 mars 1960, ibid. 1961, p. 296. - Cass. 24 juin 1965, ibid 1965, p. 124. - Cass. France, 11 octobre 1967, ibid 1969, p. 261. - Bruxelles 13janvier1971, ibid. 1971, p. 116. - Comm. Bruxelles 27 ju in 1973, ibid: 1974, p. 164 et Cass. Fr. 9 janvier 1973, ibid 1973,

p. 146.

Ill. Sur la possibilite d'une expertise pour verifier les calculs de parite lors d'uneJusion : Cour de Paris 17 janvier 1972, Revue 1973, p. 55 (absorption de la S.A. Panhard par la S.A. Citroen) et Cour de Paris, 7 novembre 1972 inedit mais resume a la Rev. trim. dr. comm. 1972, p. 917. Le texte de cet arret est disponible a la Revue pratique des societes. D'une maniere plus generale.: Cass. France 16 octobre 1963, Revue 1964, p. 163 : expertise sur des investissements et des repartitions. Sur un abus dans une liquida­tion par absorption, voir trib. de commerce de Hasselt, 2 avril 1971 Revue 1973, p. 45 et la note.

IV. Sur /'actio mandati intentee par des actionnaires isoles ou minoritaires. Des actionnaires de !'opposition peuvent-ils s'en prendre directement aux administrateurs et leur reclamer -des dommages-i_nterets pour une faute de gestion ? Avant 1913, pa­reille action existait. Elle fut supprimee et la jurisprudence a regu­lierement econduit les minoritaires qui faisaient proces aux ad­ministrateurs. L'action en responsabilite est en effet une action du mandant contre ses mandataires et seule est mandante la societe qui s'exprime par son assemblee generale et qui le fait a la ma­jorite. Pour un prejudice social, !'action doit etre sociale : si le prejudice est commun, seule la societe c.-a-d. l'assemblee gene­rale peut agir. Ce n'est que si le prejudice est individuel que l'actionnaire acquiert un droit propre a agir. Un prejudice propre n'est pas celui qui est constitue par une proportion dans le pre­judice commun. II faut un dommage que l'actionnaire demandeur souffre et que les autres actionnaires ne subissent pas. En doc­trine : FREDERICQ, t. IV, p .. 634, p. 637 et p. 638. - R.P.D.B. v0

Societes anonymes n° 939 et 946. - VAN RYN, Principes, t. ler 1 ere ed. p. 396 et p. 398. - FREDERICQ, Handboek n° 832. - RoNSE T.P.R. 1967, n° 129. En jurisprudence : Commerce Bruxelles, 23

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decembre 1922, Revue 1925, p. 30: - Commerce Anvers, 5 jan­vier 1928, Revue 1929, p. 330. - Commerce Bruxelles, 1er fevrier 1935, Revue 1935, p. 170. - Gand, 12 avril 1954, Revue 1955, p. 37.

I

N° 5953. - Cassation de France. - 27 avril 1977. Sieg. : MM. Bellet, pres.; Pailhe, cons. rapp.; Dullin, av. gen.

Plaid. : MM es Fortunet et Spinosi. (Dame Colonna d' I stria de Cinarca cl Dame Quastana)

Societe de fait. - Elements constitutifs de la societe. - Rupture unilaterale et brutale. - Art. 1869. - Dommages et interets.

Une societe de fait est suffisamment decrite comme telle lorsqu'il y a intention de s'associer, existence d'apports et participation aux benefices et aux pertes. Lorsque l'un des associes met fin d'une fagon brutale au con­trat, la faute qu'il commet doit etre reparee par des dommages-interets (art. 1869 C. civ.).

ARR:itT

La demanderesse invoque a l'appui de son pourvoi les trois moyens de cas­sation suivants :

Premier moyen : «Violation des articles 1832, 1865, 1869 et 1872 du Code Civil, 815 et suivants du meme Code, 7 de la loi du 20 avril 1810, 102 et 103 du decret du 20 juillet 1972, defaut de motifs, defaut de reponse a conclu­sions, manque de base legale, en ce que l'arret attaque, statuant a la suite de la dissolution d'une pretendue societe de fait par la volonte d'une asso­ciee, a condamne cette derniere a payer a sa coassociee la moitie de la va­leur du f onds de commerce de laboratoire d'analyses medic ales exploite en commun, alors, d'une part, que, pour decider de l'existence d'une societe de fait, les juges du fond doivent preciser les circonstances de nature a etablir de la part des interesses une intention de s'associer, l'existence d'apports reciproques et la participation aux benefices et aux pertes, qu'en l'espece, la Cour s'est bornee a mentionner l'existence d'une societe de fait, bien que l'appelante eut fait valoir, dans ses conclusions laissees sans reponses, qu'elle avait seule procede aux apports et que le contrat de societe envisage etait reste a l'etat de projet, et bien que l'intimee eut seulement allegue qu'elle participait par moitie aux benefices et aux charges, ce qui etait insuffisant pour caracteriser l'existence d'une societe de fait, alors, d'autre part et de toutes fagons, que les regles concernant le partage des successions s'appli­quent aux partages entre associes, qu'ayant constate que l'associee ayant demande la dissolution, loin d'avoir emporte les elements du fonds de com­merce, avait offert de les abandonner a sa coassociee, mais que cette derniere ne desirant pas conserver a elle seule le f onds de commerce, la Cour pouvait seulement ordonner la vente du f onds et le partage du produit de cette vente

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entre les deux associees mais non pas condamner l'une d'elles a payer a l'autre sa part evaluee en argent » ;

Deuxieme moyen de cassation : « Violation des articles 1134 et 1869 du Code civil, 7 de la loi du 20 avril 1810, 102 et 109 du decret du 20 juillet 1972, defaut de motifs, manque de base le gale, en ce que l'arret attaque a condamne l'associee d'une pretendue societe de f ait resiliee a payer a sa coassociee 15.000 francs de dommages-interets, au motif que la resiliation unilaterale du contrat de societe par cette associee avait eu pour conse­quence de laisser sa coassociee sans travail pendant cinq mois, alors que la resiliation unilaterale d'un contrat a duree indeterminee ne peut donner lieu a des dommages-interets qu'en cas d'abus dans l'exercice du droit de resi­liation, qu'ainsi, la Cour ne pouvait condamner a des dommages-interets la pa_rtie responsable de la resiliation unilaterale, sans rechercher si cette der­nere avait abuse de son droit de resiliation et le constater eventuellement dans sa decision » ;

Troisieme moyen de cassation

ARRltT

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que selon l'arret attaque, dame Quastana et dame Colonna de Cinarca ont exploite en commun, a partir de f evrier 1968, un laboratoire d'analyses mecticales installe 44 Cours Napoleon a Ajaccio; qu'au debut de l'annee 1971 dame Colonna de Cinarca a fajt fonctionner a son seul profit un nouveau laboratoire d'analyses rnecticales dans la banlieue d'Ajaccio ; qu'au mois d'octobre 1971, elle a informe dame Quastana qu'elle mettrait fin a leur association, a partir du 31 octobre 1971 ; que le ler novembre 1971 dame Colonna de Cinarca a f erme le laboratoire installe en banlieue et a ouvert, sous son nom, un nouveau laboratoire d'analyses medicales, 19 Cours Napoleon a Ajaccio; que dame Quastana l'a assignee en dommages-interets; que la Cour d'appel a estime que la rupture des relations, constitutives · de societe de fait entre dame Quastana et dame Colonna de Cinarca incombait seulement a cette derniere et qu'elle a accorde a dame Quastana des dom­mages-interets;

Attendu qu'il est fait grief aux juges du second degre d'avoir condamne dame Colonna de Cinarca a payer a son associee la moitie de la valeur du f onds de commerce de laboratoire d'analyses mecticales exploite en commun alors que, selon le moyen, d'une part, pour decider de !'existence d'une societe de fait, les juges du fond doivent preciser les circonstances de nature a etablir de la part des interessees une intention de s'associer, !'existence d'apports reciproques et la participation aux benefices et aux pertes; qu'en l'espece la Cour d'appel se serait bornee a mentionner !'existence d'une so­ciete de fait, bien que l'appelante eut fait valoir, dans ses conclusions lais­sees sans reponse, qu'elle avait seule procecte aux apports et que le contrat de societe envisage etait reste a l'etat de projet, et bien que l'intimee eut seulement allegue qu'elle participait par moitie aux benefices et aux char­ges, ce qui serait insuffisant pour caracteriser l'existence d'une societe de

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fait ; que le moyen fait valoir, d'autre part, que, de toute fagon, les regles concernant le partage des successions s'appliquent aux partages entre asso­cies ; qu'ayant constate que l'associee ayant demande la dissolution, loin d'avoir emporte les elements du fonds de commerce, avait offert de les abandonner a sa coassociee, mais que cette derniere ne desirait pas con­server a elle seule le fonds de commerce, la, Cour aurait pu seulement or­donner la vente du fonds et le partage du produit de cette vente entre les deux associees, mais non pas condamner l'une d'elles a payer a l'autre sa part evaluee en argent ;

Mais attendu, en premier lieu, que la Cour d'appel, en excluant les ele­ments corporels du laboratoire du calcul d~ sa valeur non parce qu'ils appar­tenaient a dame Colonna de Cinarca mais parce qu'ils avaient deja fait l'objet d'une liquidation entre les associees, a par ia meme admis implici­tement que dame Quastana avait fait un apport et repondu ainsi aux con­clusions dont elle etait saisfo ; que, par ailleurs, dame Colonna de Cinarca ne contestant pas que les charges et benefices afferents au laboratoire fus­sent partages, la Cour d'appel, qui en outre constatait que la collaboration poursuivie pendant plusieurs annees entre dame Colonna de Cinarca et dame Quastana etablissait l'affectio societatis, a valablement pu deduire de !'ensemble de ces circonstances qu'il avait existe une societe de fait entre les interessees; qu'en second lieu, dame Quastana n'a pas demande la li­quidation de cette societe mais qu'elle a reclame des domtnages-interets en reparation du prejudice que lui avait cause dame Colonna de Circana par la rupture brutale unilaterale de la societe de fait ; qu'ainsi le moyen, qui est mal fonde en sa premiere branche, manque en fait en sa seconde bran­che;

Sur le deuxieme rnoyen :

Attendu qu'il est encore fait grief a l'arret attaque d'avoir condamne dame Colonna de Cinarca a verser des dommages-interets a sa coassociee pour avoir ete privee de travail pendant cinq mois a la suite de la ferme­ture du laboratoire d'analyses expl~ite en commun, alors que, selon le moyen, la resiliation unilaterale d'un contrat a duree indeterminee ne peut donner lieu a des dommages-interets qu'en cas d'abus dans l'exercice du droit de re­siliation; qu'ainsi la Cour n'aurait pu condamner a des dommages-interets la partie respomiable de la resiliation sans rechercher si cette derniere avait abuse de son droit de resiliation et le constater eventuellement dans sa decision;

Mais attendu que la Cour d'appel, tant par les motifs des premiers juges qu'elle a adoptes que par ses motifs propres, a releve que dame Colonna de Cinarca avait mis fin d'.une. fagon « brutale » a ses relations avec dame Quastana, et que cette rupture s'inserait dans t;tne serie de faits imputables a dame Colonna de Cinarca tendant a depouillef dame Quastana de sa part de la clientele commune ; qu'elle a ainsi caracterise la faute . de dame Co­lonna de Cinarca et legalement justifie sa decision ; que le moyen ne peut etre qu'ecarte ;

Mais attendu que la Cour d'appel, en ne retenant, tant par ses motifs propres que par ceux adoptes des premiers juges, comme causes de la dimi-

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nution des benefices du laboratoire commun, que l'ouverture du laboratoire personnel de dame Colonna de Cinarca et « les occupations nouvelles de dame Colonna de Cinarca qui preparait l'ouverture de son laboratoire du 19 Cours Napoleon», a par fa meme ecarte la cause de diminution alleguee par cette derniere et repondu ainsi _implicitement aux conclusions dont elle etait saisie ; que ce moyen n'est pas mieux f onde que les precedents ;

Par ces motifs,

Rejette le pourvoi forme contre l'arret rendu le 7 octobre 1975 par la Cour d'appel de Bastia ;

Observations~ - Vair sur !'application de la regle selon laquelle la societe en nom collectif a duree indeterminee ne peut etre rompue de mauvaise foi :. civ. Turnhout 1.3 mars 1951, Revue 1955 p. 315, note COPPENS. Sur les societes en nom collectif irreguliere~ dites societes de fait : voir Revue 1976, p. 224, Revue 1975, p. 143, Revue 1973, p. 30 et les tables annuelles.

N° 5954. - Tribunal de commerce de Bruges, section d'Ostende. 7 decembre 1976.

Sieg. : MM. Willy Six, pres.; Rofand -Dugardyn et Jacques Bonnevie, juges; Frank De Mot, prem. subst. Proc. Roi.

Plaid. : MMes Van Ootegem et E. Dewulf. (Faillite S.P.R.L. Loonkonfektiebedrijf Vandepitte cl, Joseph Vandepitte)

S.P.R.L. - Faillite de la societe. - Extension au gerant. - Conditions de fait motivant cette extension.

Lorsque le commergant a la tete d'une entreprise deficitaire, fonde une societe dont il devient gerant et pratiquement le seul associe aux seules fins d'imposer des charges a cette societe en la faisant travailler a perte pour lui, que d'autre part les actifs se sont confondus et que l'assemblee generale ne fut pas reunie, l'extension de la faillite sociale doit etre pro­noncee. Une seule masse comprendra les biens actifs et les creanciers · de la societe et de l'exploitant.

JUGEMENT

(traduction)

Vu la citation signifiee le dix-huit aout mille neuf cent septante-six et les conclusions des parties ;

Attendu que l'action tend a etendre la faillite de la ,S.P.R.L. Loonkonfek­tiebedrijf Vandepitte, prononcee le 5 aout 1976, au defendeur, Monsieur Joseph Vandepitte;

Que les demandeurs agissant comme curateurs basent leur action sur le fait que la S.P.R.L. Loonkonfektiebedrijf Vandepitte formerait une societe

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222 factice ou a tout le mains une societe prete-nom pour servir a l'activite commerciale personnelle du defendeur;

Que le def endeur conteste cette these et qu'il essaie de demontrer . que son affaire personnelle qu'il continue a exploiter et la S.P.R.L. en faillite, etaient completement separees l'une de l'autre.

Le def endeur exploite depuis de nombreuses annees une entreprise de confection a Oudenburg.

Il a fonde la S.P.R.L. Loonkonfel~tiebedrijf Vandepitte le 23 decembre 1974, avec son epouse et un membre de la famille, le denomine Calliauw.

Le capital social d'un million de francs fut souscrit par Joseph Vandepitte et par son epouse pour 998.000 francs (chacun 499 parts sociales sur un total de 1.000). Joseph Vandepitte devient le gerant pour toute la duree de la so­ciete.

L'objet social en est la fabrfoation de vetements pour le compte de tiers.

La S.P.R.L. deposa son bilan le 5 aout 1976 pour l'annee 1975 avec men­tion d'une perte de 8.214.226 F, soit huit fois le capital social.

Le meme jour, la S.P.R.L. fit sa declaration de cessation de paiements et fut declaree en f aillite.

Elle signala alors une perte de 14.196.427 francs (voir bilan du 30 juin 1976) tandis que son actif etait insignifiant (6.583 francs).

La plus grande partie du personnel (environ 120 membres du personnel) de l'affaire propre de Vandepitte avait ete transferee a la S.P.R.L. lorsque celle-ci fut constituee.

Quelques jours avant la faillite, tout ce personnel a ete licencie.

Depuis la fondation de la S.P .R.L., l'entreprise - sur le plan de la compta­bilite - a ete divisee en deux :

1) L'exploitation personnelle de Joseph Vandepitte qui, au lieu d'acheter des tissus, de les manufacturer et de les revendre, se limite a acheter des tissus et a les donner a fagonner a la S.P .R.L. pour les v'endre ensuite.

2) La S.P.R.L. qui fait surtout de la confection pour compte de Loonkon­f ektiebedrijf Vandepitte moyennant une retribution horaire et qui paie a Vandepitte une indemnite pour l'usage des locaux et des machines.

Les donnees de l'affaire font croire que la division de l'entreprise Joseph Vandepitte avait pour but de sauver l'entreprise personnelle de la faillite en transferant les plus lourdes charges (personnel de confection) a la societe.

La situation financiere de Vandepitte etait devenue difficile des avant la creation de la S.P.R.L. : plusieurs condamnations pour retard dans les paiements de cotisations a l'O.N.S.S. en temoigrent.

Si la situation financiere personnelle du def~ndeur s'est legerement ame­lioree depuis, cela doit etre attribue aux benefices anormaux qu'il obtenait de la societe qu'il avait fondee, d'une part parce qu'elle confectionnait pour

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223 Iui des vetements a cout tres reduit et d'autre part a cause des versements mensuels de 525.000 F pour !'usage des locaux et du materiel.

Ces decaissements, independamment meme de tous les autres creanciers, meme Ies privilegies, autoriseraient le curateur a revendiquer le rembour­sement (au total 8.400.000 F) eventuellement sur base de !'article 1167 du Code civil, pour autant que .ces paiements aient eu lieu avant la periode suspecte et de demander aussi des dommages et interets pour les fautes et pour Ies infractions a la legislation sur les societes (voir plus loin) qui ont determine les pertes considerables de la societe.

Quand le def endeur et son epouse creerent la S.P .R.L., le troisieme asso­cie - avec 2 parts sur 1.000 - n'a vraisemblablement ete appele que pour satisfaire aux exigences de !'article 119 des lois coordonnees sur les societes commerciales et rien ne laisse supposer une reelle af fectio societatis entre ces trois personnes ; il n'est pas question non plus d'assembiees generales ...

Arbitrairement et sans faire application de !'article 133 des lois coordon­nees sur les societes commerciales, Vandepitte - en tant que gerant - a contracte avec lui-meme et s'est a vantage tres .nettement.

II ne s'est pas davantage conforme a !'obligation prevue a !'article '140 en cas de perte de la moitie du capital.

Sans aucun avantage pour la S.P.R.~., le defendeur a rendu arbitrairement cette societe codebitrice solidaire de sa dette personnelle et importante en­vers la S.N.C.I.

En un mot, le def endeur a agi partout a titre personnel comme si la so­ciete qu'il avait creee n'existait pas.

En outre, lors de l'inventaire, les curateurs ont clairement remarque la confusion materielle entre l'affaire Vandepitte et la societe : la distinction entre les locaux et entre les machines utilisees par le def endeur lui-meme et par la S.P .R.L. n'a pu etre f aite.

La maniere dont Vandepitte a agi durant 19 mois signifie une manceuvre par laquelle la dette de plusieurs millions fut mise a charge de la societe tandis qu'il s'enrichissait personnellement, en etablissant des prix de fagon qui lui etaie.nt comptes a un prix bas et en organisant le paiement d'indem­nites trop elevees, fixees par lui-meme.

Le def endeur a, sous forme d'une societe factice, et a tout le moins en se servant d'une societe comme ecran pour ses activites commerciales person­nelles, agi en maitre absolu et uniquement a son avantage et de cette fagon; confondu les actifs de la societe avec son propre patrimoine.

Comme la f aillite d'une societe en nom collectif implique la faillite des associes (Cassation, 15 decembre 1938, Pas., 1938, p .. 383), la cessation des paiements de la societe factice amene celle du commergant. reel et du maitre de l'affaire parce qu'en ce cas, il ne peut exister qu'une .seule masse faillie (Van Ryn et Van Ommeslaghe, R.C.J.B., 1974, p. 357 et 367).

Le defendeur, dont la situation financiere n'est pas stable (condamna­tions recentes en paiement de cotisations a l'O.N.S.S., citation devant ce

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tribunal par la Algemene Verzekeringsmaatschappij van de Middenstand en paiement de primes echues d'un montant de 496.246 F) demontre par fa qu'il n'est pas en mesure d'apurer le passif de la S.P.R.L. en faillite (plus de 13.000.000 F sans compter les indemnites de licenciement).

La cessation des paiements du commergant veritable auquel s'etend la faillite de la societe factice ou de la societe-ecran est fixee a la meme date que cene de la societe (voir Cass. Fr. 17 janvfor 1967, Revue pratique des societes, 1967, p. 219).

Par ces motifs,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Vu les articles 2 et suivants de la loi du 15 juin 1935 et sur l'usage des langues en matiere judiciaire,

Rejetant tous les autres moyens des parties,

Entendu a l'audience publique du 16 novempre 1976 Monsieur B. Verhelst dans la lecture de l'avis ecrit de Monsieur li\ De Mot, premier substitut du Procureur du Roi, I

Declare l'action fondee,

Dit que la faillite de la S.P.R.L. Loonkonfektiebedrijf Vandepitte, pronon­cee par ce tribunal le 5 aout ·1976, est etendue, en ce qui concerne ses ef­fets et la date de la cessation des paiements, a Vandepitte Joseph, Oscar, August, Charles, commergant, ne a Oudenburg, le 28 mai 1923, domicilie a Oudenburg, Vaa;rtstraat 17, inscrit dans le registre de commerce de Bruges, section Ostende, sous le no. 14.574,

Dit que les deux faillites seront liquidees comme une seule masse,

Designe comme juge-commissaire Monsieur Andre Deryckere, juge en matiere commerciale pres de ce tribunal, et comme .curateurs, Me Jozef van Ooteghem, avocat a Ostende, Avenue· Rogier 23, et Me Erik Denof, avocat a Ostende, rue Peter Benoit, 49.

Ordonne que soit dresse un inventaire sous scenes en presence du juge­commissaire,

Dit que les creances doivent etre declarees dans les vingt jours a partir de ce jour au greffe de ce tribunal,

Dit que le proces-verbal de la verification des creances sera clos le lundi 10 janvier 1977 a 11 heures,

Renvoie les contestations concernant les creances declarees a l'audience du mardi quinze f evrier mille neuf cent septante-sept a neuf heures trente a: la sane d'audience de ce tribunal,

Ordonne l'insertion du jugement, par extrait, dans le « Moniteur Beige » paraissant a Bruxenes et le « Zeewacht » paraissant a Ostende,

Frais a charge de la masse,

Declare ledit jugement executoire nonobstant tout recours et sans caution.

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Observations. - Vair la note et les references sous le jugement du 29 mars 1977 du frib.unal de commerce de Bruxelles, Revue

1977, p. 143.

N° 5955. - Juge des saisies de Malines. - 18 mars 1977. Sieg. : M. J. Lowagie.

Plaid. : MMes De Caluwe et Marynen. (Space Age Plastics Co cl Anstalt Del Sol)

Societe etrangere d'une person!1e. - Ordre public international beige. -lnop­posabilite, devant une juridiction beige, de son acte constitutif.

La societe ou association d'une personne fondee a l'etranger n'est pas nulle au regard du droit belge mais son existence n'est pas opposable aux autres parties plaidant devant une juridiction belge car cette societe est etablie en opposition a l'ordre public international belge.

ORDONNANCE (traduction)

Attendu que la demanderesse ·a fait assigner la def enderesse par exploit enregistre de rhuissier de justice J. B. a Malines du 9 aout 1976 afin d'en­tendre declarer recevable et f ondee la tierce-opposition de la demanderesse ;

En consequence, entendre declarer nulle ou a tout le mains entendre re­tracter le commandement a quo du 23 juin 1976, entendre dire pour droit que le jugement a intervenir aura pour autant que de besoin, valeur de mainlevee a l'egard de la demanderesse, entendre condamner la defenderesse aux depens de l'action en ce compris l'indemnite. de procedure;

Attendu que la demanderesse fait valoir que, par ordonnance de Monsieur le juge des saisies du Tribunal de premiere instance de Malines du 23 juin 1976, une saisie-arret conservatoire fut autorisee a la requete de la defen­deresse entre les mains des huissiers de justice E.M. et H.H. a Malines pour garantie d'une pretendue creance evaluee a 1.000.000 F pour le principal, les interets et les depens ;

Attendu que la demanderesse sollicite par conclusions· d'entendre declarer recevable et fondee la tierce-opposition introduite et en consequence en­tendre annuler, ou a tout le mains retracter l'ordonnance a quo du 23 juin 1976 et dire . pour droit que le jugement a intervenir ·aura, pour autant que de besoin, valeur de mainlevee a l'egard de la demanderesse ;

Attendu que la defenderesse demande par conclusions que la tierce oppo­sition introduite par la demanderesse soit rejetee comme non fondee et par suite debouter la demanderesse de son action et la condamner aux depens ;

Attendu que la demanderesse fait valoir que la requete de la def enderesse tendant a saisie-arret conservatoire est irrecevable vu que la defenderesse ne peut pas ester en Belgique ;

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226 Attendu que la defenderesse pretend qu'elle ne pourrait etre consideree

comme une societe mais qu'elle est une « Anstalt » etablie sur base de !'article 534 du droit des personnes et des societes du Liechtenstein (titre V « Die Anstalten und Stiftungen ») et est done valablement f ondee en con­f ormite a cette legislation de so rte qu'il n'existe aucune contradiction a l'ordre public international belge ;

Attendu cependant qu'il n'est pas relevant en droit belge d'examiner quelle denomination est donnee a un etablissement mais qu'il y a lieu de tenir compte de la realite juridique ; que la position de la def enderesse aboutit a faire reconnaitre la societe d'une personne, tout en lui donnant une autre denomination; que les memes motifs, qui s'opposent a la recon­naissance de la personnalite juridique a la def enderesse sous !'appellation de « societe » s'imposent tout autant quant a cette reconnaissance sous !'appellation d'Anstalt et qu'en consequence, elle ne peut etre acceptee par le droit belge Ooi du 6 mars 1973, 13 ter, 4o - Art. 1832 du Code civil) ;

Attendu qu'en eff et, aux termes de l'arret produit de la Cour d'appel de Bruxelles ell: date du 29 janvier 1975 confirmant sur ce point un jugement du tribunal de premiere instance de Malines du 13 juin 1972, il est declare pour droit qu'une societe d'une personne, fondee a l'etranger, n'est pas nulle au regard du droit belge mais que son existence n'est pas opposable aux autres parties plaidant devant une juridiction belge etant donne que !'article 196 des lois coordonnees sur les societes commerciales reste sans application quand la societe ou association etrangere a ete fondee en op­position a l'ordre public international belge ;

Attendu en consequence que la requete de la def enderesse du 23 juin 1976 tendant a saisie-arret conservatoire doit etre declaree non recevable ;

Attendu que la def enderesse pretend en vain que, d'apres la doctrine, il serait imperieU:x d'introduire la reconnaissance de la societe d'une seule personne, car cela ne change en rien le droit belge actuel ;

Attendu que la def enderesse pretend encore qu'elle a introduit un pourvoi en cassation contre l'arret de la Cour d'appel de Bruxelles du 29 janvier 1975 mais que cela n'emporte aucun eff et suspensif ;

Attendu qu'en consequence la demande est f ondee ;

Par ces motifs,

Disons pour droit que la requete de la detenderesse du 23 juin 1976 doit etre declaree non recevable ;

En consequence que l'ordonnance du 23 juin 1976 par laquelle l'autorisation a ete accordee a la detenderesse de saisir arreter conservatoirement (. .. ) est retractee.

Observations. - Le juge des sa1s1es de Malines rappelle dans ses attendus les deux decisions qui avaient deja ete rendues dans le meme litige et se refere expressement aux arguments y develop-

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- 227 -

pes : Bruxelles, 29 janvier 1975, Revue 1975, p. _91 et Civil Malines,

13 juin 1972, Revue 1976, p. 75.

A la defense de I'« Anstalt del Sol » selon laquelle celle-ci avait

introduit un pourvoi contre l'arret de la Cour de Bruxelles, le juge

des saisies oppose que cette procedure n'emporte aucun effet sus­

pensif.

Est-ce a dire que le juge des saisies s'en remet a l'autorite de

chose jugee ?

On sait que celle-ci s'applique des lors « que la pretention nou­

velle ne puisse etre accueillie sans detruire le benefice acquis de

la decision anterieure » (R.P.D.B., t. II V° Chose jugee, n° 16 et 12,

-- Rapport Van Reepinghen, Ministere de la Justice 1974, p. 48.

- Code judiciaire, art. 23) et sans doute en !'occurrence l'arret

invoque etait bien de ceux « qui vident un point de droit ou de

fa it conteste entre parties » (DE PAGE (t. 111, n° 944), point de d roit

consistant ici dans la question de savoir si I'« etablissement »

etranger pouvait ester devant une juridiction nationale.

Certes, comme l'enseigne DE PAGE (t. 111, n::i 946 b), « un juge­

ment qui statue (. .. ) sur une question de recevabilite de !'action

(. .. ) est un jugement definitif quant a ces points et qui emporte

des lors, chose jugee. Pour qu'il y ait jugement definitif ii faut

mais ii suffit qu'un point determine, qui est conteste, soit vide

entre parties. II ne faut pas qu'il s'agisse de la decision finale sur

le fond du proces ».

Encore faut-il se souvenir que la chose jugee ne peut etre sou­

levee d'office par le juge (Rapport Van Reepinghen, p. 50. - DE

PAGE, ib., n° 942. - Code judiciaire, art. 27, al. 2J. Que !'exception

ait ete soulevee OU non par la partie demandant retractation de

i'ordonnance anterieure, ne ressort pas clairement des termes

de la decision annotee.

Pour le reste, nous nous permettons de renvoyer le lecteur a notre etude dans la Revue de 1976, p. 69 et suivantes.

P. J. H.

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SOMMA IRE

No 5946. - Le concours des creanciers d'une societe en liquidation par Fran-~ois 't KINT . . p. 161

No 5947. - Cour de cassation. - 10 mars 1977. - I. Societe anonyme. -Conseil d'administration. - Caractere collegial. - Ne prive pas du droit d'exposer les dissensions a l'assemblee generale. - II. Declarations ne causant ni prejudice ni doute sur les capacites prof essionnelles. - Ab­sence de f aute . p. 187

No 5948. - Cour d'appel de Liege. - 12 avril 1977. - S.P.R.L. - Societe prete-nom. - Gerant possedant presque tout le capital. Commerce personnel. - Production d'une creance contre la societe. - Impossibi­lite d'etre creancier . p. 192

No 5949. - Tribunal de commerce de Verviers. - 8 juillet 1976. - S.P.R.L. __..... Faillite. - Caractere fictif de la societe. - Gerant seul associe. -Paiement par le gerant d'un creancier. - Impossibilite de subrogation. - Rejet d'une declaration de creance de sa part . . p. 193

No 5950. - Cour d'appel de Bruxelles. - 22 juin 1977. - Arrete royal 24 octobre 1934. - Condamnation penale anterieure. - Fonctions d'admi­nistrateur. - Interdiction non applicable a un conseiller technique qui en fait. ne pouvait engager la societe . p. 197

No 5951. - Tribunal correctionnel de Bruxelles. - 20 janvier 1977. - Arrete royal du 24 octobre 1934. - Condamnation penale anterieure. - Fonc­tions d'administrateur. - Pouvoir de fait d'engager la societe. - Loi penale applicable . p. 200

No 5952. - Tribunal de commerce de Bruxelles. - 6 juin 1977. - Action minoritaire contre la decision d'une assemblee generale. - I. Receva­bilite : qualite d'actionnaire lors de l'assemblee dont l'annulation est demandee. - II. Recevabilite : impossibilite de demander simultanement l'annulation de la decision et !'allocation de dommages et interets. - Rec­tification en conclusions. - III. Vote. - Droit de l'exercer non seule­ment dans l'interet general mais aussi pour sauvegarder des interets propres. - Abus de vote. - Exige un element intentionnel et suppose que l'actionnaire majoritaire n'a d'autre but que de depouiller les. mino­ritaires. - IV. Apport d'actif s. - Decision de politique financiere rele­vant des organes sociaux. - Monopole des administrateurs et des ma­joritn.ires. - Protection des minorites : distinction entre decisions qui contreviennent aux droits de la minorite et decisions qui heurtent les projets de celle-ci. - Egalite de traitement de tous les actionnaires de la societe apporteuse. - Actionnaire majoritaire ayant une participation plus grande dans la societe faisant les apports que dans celle recevant les apports. - Invraisemblance d'un apport sous-evalue. - Evaluation parallele des avoirs selon les memes criteres et avoirs similaires. Calculs symetriques. - Evaluation des avoirs. - Combinaison de deux criteres : valeur intrinseque et rendement. - Valeur de rendement plus impor­tante dans la pratique actuelle. - V. Action minoritaire contre les ad­ministrateurs. - Hypothese d'une faute de gestion simple. - Actio man­dati de l'assemblee seule recevable. - Actionnaire individuel : doit de­montrer un prejudice personnel distinct du prejudice social qu'il souf­fre proportionnellement . p. 202

No 5953. - Cassation de France. - 27 avril 1977. - Societe de fait. - Ele­ments constitutifs de la societe. - Rupture unilaterale et brutale. -Art. 1869. - Domme,ges et interets . . p. 218 .

No 5954. - Tribunal de commerce de Bruges, section d'Ostende. - 7 de­cembre 1976. - S.P.R.L. - Faillite de la societe. - Extension au gerant. Conditions de f ait motivant cette extension . p. 221

No 5955. - Jiige des saisies de Malines. - 18 mars 1977. - Societe etrangere d'une personne. - Ordre public international belge. Inopposabilite devant une juridiction belge, de son acte constitutif . p. 225

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