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N° M1784511 Décision attaquée : 30 juin 2017 de Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris - 4e section Royaume du Maroc C/ X... _________________ Rapporteur : Marie-Noëlle Teiller RAPPORT ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE Décision attaquée : arrêt n° 3 de la quatrième chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 30 juin 2017 Déclaration de pourvoi : 30 juin 2017 PROCÉDURE DEVANT LA CHAMBRE CRIMINELLE : Mémoire QPC : déposé le 29 décembre 2017 Mémoire ampliatif : déposé le 29 décembre 2017 Décision QPC : 27 mars 2018 – non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel Décision au fond : 22 août 2018 – renvoi à l’assemblée plénière PROCÉDURE DEVANT LASSEMBLÉE PLÉNIÈRE : Mémoire QPC : déposé le 17 septembre 2018 Décision QPC : 17 décembre 2018 – irrecevabilité La régularité de la procédure suivie devant la Cour de cassation ne semble pas appeler d’observations.

N° M1784511 Décision attaquée : 30 juin 2017 de Chambre de ... · 14 mars 1984, pourvoi n° 82-12.462, Bull. 1984, I, n° 98). La doctrine apporte elle aussi des éléments de

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N M1784511

Dcision attaque : 30 juin 2017 de Chambre de l'instruction de lacour d'appel de Paris - 4e section

Royaume du MarocC/X..._________________

Rapporteur : Marie-Nolle Teiller RAPPORT

ASSEMBLE PLNIRE

Dcision attaque : arrt n 3 de la quatrime chambre de linstruction de la cour dappel de Paris du

30 juin 2017

Dclaration de pourvoi : 30 juin 2017

PROCDURE DEVANT LA CHAMBRE CRIMINELLE :

Mmoire QPC : dpos le 29 dcembre 2017

Mmoire ampliatif : dpos le 29 dcembre 2017

Dcision QPC : 27 mars 2018 non-lieu renvoi au Conseil constitutionnel

Dcision au fond : 22 aot 2018 renvoi lassemble plnire

PROCDURE DEVANT LASSEMBLE PLNIRE :

Mmoire QPC : dpos le 17 septembre 2018

Dcision QPC : 17 dcembre 2018 irrecevabilit

La rgularit de la procdure suivie devant la Cour de cassation ne semble pasappeler dobservations.

2 M1784511

TABLES DES MATIRES

1 - Rappel des faits et de la procdure...........................................................................5

2 - Les demandes formes par le Royaume du Maroc...................................................7

2.1 - Le moyen soumis lassemble plnire....................................................7

2.2 - La demande de saisine pour avis de la Cour europenne des droits delhomme prsente devant la chambre criminelle...............................................8

3 - La fin de non-recevoir introduite dans le dbat devant la chambre criminelle par lerapport complmentaire................................................................................................10

3.1 - Le rapport devant la chambre criminelle....................................................10

3.2 - Largumentation du Royaume du Maroc....................................................11

3.3 - Sur la recevabilit dun Etat tranger agir devant la juridiction rpressivefranaise par voie de plainte avec constitution de partie civile ou de citationdirecte................................................................................................................12

3.3.1 - La constitution de partie civile dun Etat tranger.........................16

3.3.2 - La citation directe faite par un Etat tranger................................20

3.3.3 - Analyse doctrinale de laction publique et de laction civile..........20

4 - Elments de discussion...........................................................................................23

4.1 - La loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse.....................................23

4.1.1 - Son caractre exclusif..................................................................24

4.1.2 - Etat et notion de particulier au sens de larticle 32....................25

4.1.3 - La diffamation envers les corps de lEtat et les agents publics....26

a - Diffamation envers les corps de lEtat (article 30)...................26

3 M1784511

b - Diffamation envers les ministres, les parlementaires, lesagents publics,... (article 31).......................................................28

4.2 - Lapplication sur le sol franais de la Convention EDH.............................29

4.2.1 - La jurisprudence de la Cour EDH................................................29

a - Les fondements du droit europen des droits de lhomme.....29

b - Le champ dapplication territorial de la Convention EDH........32

c - La nature des obligations issues de la Convention EDH.......33

d - Le titulaire des droits : la notion de personne au sens delarticle 1 de la Convention EDH...............................................35er

e - La qualit pour agir devant la Cour europenne des droits delhomme.......................................................................................37

1 - La notion de groupe de particuliers...........................38

2 - La notion dorganisation non gouvernementale........39

4.2.2 - La jurisprudence interne...............................................................41

a - La jurisprudence administrative...............................................41

1 - Le critre de territorialit du litige................................42

2 - Le critre de la nature des parties...............................42

3 - Le critre de la nature du litige....................................43

b - La jurisprudence civile............................................................48

c - La jurisprudence pnale..........................................................50

4.3 - Le droit daccs au juge et la discrimination au sens de la Convention desauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales....................51

4.3.1 - Larticle 6, 1...............................................................................52

a - Fondement du droit daccs au juge : un droit matrielprexistant...................................................................................53

b - Contenu et limites du droit daccs au juge.............................56

4 M1784511

4.3.2 - Larticle 14....................................................................................5

1 - Rappel des faits et de la procdure

Le 29 dcembre 2015, le Royaume du Maroc, reprsent par son ambassadeuren France, a port plainte et sest constitu partie civile devant le doyen des jugesd'instruction du tribunal de grande instance de Paris du chef de diffamation publiqueenvers un particulier, sur le fondement des articles 23, 29, alina 1 , et 32, alina 1 ,er er

de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse, contre Mme Z..., directricegnrale de la socit Calmann-Lvy, en qualit dauteur principal, M. Y... et Mme X...,pouse Y..., en qualit de complices, la suite de la publication par cette maisonddition, au mois doctobre 2015, d'un ouvrage crit par M. et Mme Y... sous le titreLhomme qui voulait parler au roi, dont plusieurs passages taient jugs diffamatoirespar cet Etat.

Le 13 mai 2016, le procureur de la Rpublique a requis louverture duneinformation judiciaire contre personne non dnomme du chef de diffamation publiqueenvers un particulier et, lissue dinvestigations menes sur commission rogatoire,Mme X..., pouse Y..., a t mise en examen de ce chef.

Par ordonnance du 11 janvier 2017, le magistrat instructeur a, conformmentaux rquisitions du ministre public, dclar irrecevable la constitution de partie civile,au motif que :

le Royaume du Maroc est une personne morale de droit public exerant une puissance

souveraine, autant de spcificits exorbitantes du droit commun, qui ne lui permettent

pas, contrairement aux groupements de droit priv titulaires de la personnalit morale,

d'tre assimil un particulier au se(ns) de l'article 32 alina 1 de la loi du 29 juillet

1881"

Sur lappel du plaignant, la chambre de linstruction de la cour dappel de Paris,par arrt du 30 juin 2017, a confirm lordonnance entreprise en se prononant commesuit :

Considrant que selon l'article 111-2 du Code Pnal, il ne peut y avoir d'infraction

pnale sans fondement lgal ;

Considrant que l'article 111-4 du Code Pnal dispose que la loi pnale est

d'interprtation stricte ;

Considrant que l'article 32 alina 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la base duquel le

Royaume du Maroc a dpos plainte rprime "la diffamation commise envers les

particuliers" ;

qu'il ne peut qu'tre constat que le terme de "particuliers" est totalement antinomique

avec la notion de puissance publique que recouvre celle d'Etat ;

5 M1784511

que la Cour, qui n'a pas vocation combler d'ventuelles lacunes de la loi, ne peut

donc, sans faire un contresens manifeste, tendre au Royaume du Maroc le bnfice

des dispositions de l'article 32 alina 1 ;

qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance ayant dclar irrecevable la constitution de partie

civile du Royaume du Maroc

Le Royaume du Maroc a form un pourvoi en cassation le 30 juin 2017.

Le 29 dcembre 2017, il a dpos un mmoire distinct prsentant une questionprioritaire de constitutionnalit ainsi rdige :

Les dispositions des articles 29, alina 1er, et 32, alina 1 , de la loi du 29 juillet 1881er

sur la libert de la presse, en ce quelles excluent quun Etat tranger, personne morale

trangre de droit public, puisse se prtendre victime de diffamation commise envers

les particuliers, mconnaissent-elles dabord le droit au recours juridictionnel effectif,

ensuite le principe dgalit devant la justice, et enfin le droit constitutionnel la

protection de la rputation qui dcoule de la libert personnelle, tels quils sont

respectivement garantis par les articles 2, 6 et 16 de la Dclaration des droits de

lhomme et du citoyen ?

Par arrt du 27 mars 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ditny avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel ladite question prioritaire deconstitutionnalit, aux motifs qui suivent :

Attendu que les dispositions lgislatives contestes sont applicables la procdure et

n'ont pas dj t dclares conformes la Constitution dans les motifs et le dispositif

d'une dcision du Conseil constitutionnel ;

Mais attendu que la question, ne portant pas sur l'interprtation d'une disposition

constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire

application, n'est pas nouvelle ;

Et attendu qu'aucune des dispositions lgales critiques ne permet un Etat tranger,

pas plus qu' l'Etat franais, d'engager une poursuite en diffamation sur le fondement

de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse, un Etat ne pouvant tre assimil

un particulier au sens de l'article 32, alina 1er, de cette loi ;

Qu'en premier lieu, il n'en rsulte aucune atteinte disproportionne au principe du droit

au recours juridictionnel effectif, puisque ces dispositions protgent les responsables

et reprsentants de cet Etat en leur permettant de demander rparation, sur le

fondement de l'article 32, alina 1er, prcit, dans les conditions qu'elles fixent et telles

qu'elles rsultent de leur interprtation jurisprudentielle, du prjudice conscutif une

allgation ou imputation portant atteinte leur honneur ou leur considration, de sorte

qu'il est opr une juste conciliation entre la libre critique de l'action des Etats ou de leur

politique, ncessaire dans une socit dmocratique, et la protection de la rputation

et de l'honneur de leurs responsables et reprsentants ;

Qu'en deuxime lieu, le principe d'galit ne s'oppose ni ce que le lgislateur rgle de

faon diffrente des situations diffrentes, ni ce qu'il droge l'galit pour des

raisons d'intrt gnral, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la diffrence de traitement

qui en rsulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'tablit ; que tel est le cas,

au regard de la conciliation susmentionne qu'a recherche le lgislateur, de la

diffrence de traitement qui en rsulte, s'agissant du droit d'agir en diffamation, entre

les Etats, quels qu'ils soient, et les autres personnes morales ;

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1672166&CritereTerme=

6 M1784511

Qu'enfin, en troisime lieu, le demandeur n'est pas fond se prvaloir, sur le

fondement de l'article 2 de la Dclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,

d'un prtendu droit constitutionnel la protection de la rputation ;

D'o il suit que la question pose ne prsente pas un caractre srieux ;

Par arrt du 22 aot 2018, la chambre criminelle de la Cour a renvoy leprsent pourvoi devant lassemble plnire.

Le 17 septembre 2018, le Royaume du Maroc a dpos un mmoire distinctprsentant lassemble plnire une question prioritaire de constitutionnalit, ainsirdige :

Les dispositions combines des articles 29, alina 1 , 30, 31, alina 1 , 32, alina 1 ,er er er

et 48, 1, 3 et 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse, desquelles il

rsulte qu la diffrence de lEtat franais qui, notamment par lintermdiaire de ses

ministres, peut engager des poursuites en diffamation sur le fondement des articles 30

et 31 susviss en cas datteinte porte sa rputation rsultant de propos attentatoires

lhonneur ou la considration de ses institutions, corps constitus, administrations

publiques ou reprsentants en raison de leurs fonctions, un Etat tranger nest pas

admis engager une telle action en cas datteinte porte sa rputation par les mmes

moyens, faute de pouvoir agir sur le fondement des articles 30 et 31 de la loi susvise

et faute de pouvoir tre assimil un particulier au sens de son article 32, alina 1 ,er

instituent-elles une diffrence de traitement injustifie entre lEtat franais et les Etats

trangers dans lexercice du droit un recours juridictionnel et mconnaissent-elles par

consquent le principe dgalit devant la justice, tel quil est garanti par les articles 6

et 16 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen?

Par arrt du 17 dcembre 2018, lassemble plnire de la Cour de cassationa dclar irrecevable la question prioritaire de constitutionnalit pose, aux motifs quisuivent :

Vu les articles L. 431-7 et L. 431-9 du code de l'organisation judiciaire ;

Attendu que, lorsque la chambre saisie a fait application de la facult elle offerte par

l'article L. 431-7 du code de l'organisation judiciaire, l'assemble plnire se prononce

sur le pourvoi en l'tat des moyens prsents par les parties avant l'arrt de renvoi, qui

n'entrane pas la rouverture de l'instruction ; que, ds lors, la question prioritaire de

constitutionnalit dpose devant l'assemble plnire, par le Royaume du Maroc, est

irrecevable ;

2 - Les demandes formes par le Royaume du Maroc

2.1 - Le moyen soumis lassemble plnire

Au soutien de son pourvoi, le Royaume du Maroc dveloppe un moyen en troisbranches ainsi rdig :

Violation des articles 2, 6, 16 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de

1789, 6, 13, 14 de la Convention europenne des droits de lhomme, 29, 30, 31, 32 de

la loi du 29 juillet 1881, 111-4 du Code pnal, 2, 3, 591 et 593 du Code de procdure

pnale ;

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1680282&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1688208&CritereTerme=

7 M1784511

En ce que la chambre de linstruction a [...] dclar irrecevable la constitution de partie

civile du ROYAUME DE MAROC du chef de diffamation publique envers un particulier ;

1) Alors que dune part, un tat tranger, personne morale trangre de droit public, est

un particulier au sens de larticle 32 alina 1 de la loi du 29 juillet 1881 ; que, ds lors,er

en retenant, pour dclarer le Royaume du Maroc irrecevable en sa constitution de partie

civile, quil ne pouvait bnficier des dispositions de ce texte, la chambre de linstruction

en a mconnu le sens et la porte ;

2) Alors que dautre part, selon les dispositions combines des articles 61 et 14 de la

Convention europenne des droits de lhomme, toute personne morale, quelle que soit

sa nationalit, a droit ce que sa cause soit entendue par un tribunal indpendant et

impartial ; quen jugeant que le Royaume du Maroc tait irrecevable agir au titre de

larticle 32 alina 1 de la loi du 29 juillet 1881, lorsquil nexiste aucun autre fondementer

permettant un Etat tranger qui se prtend victime de diffamation publique daccder

un juge pour obtenir rparation de son prjudice, la chambre de linstruction a

mconnu les textes susviss et le principe ci-dessus nonc ;

3) Alors quen tout tat de cause, si les dispositions des articles 29 alina 1 et 32 alinaer

1 de la loi du 29 juillet 1881 doivent tre interprtes comme excluant quun Etater

tranger, personne morale trangre de droit public, puisse se prtendre victime de

diffamation commise envers les particuliers, elles mconnaissent le droit au recours

juridictionnel effectif, le principe dgalit devant la justice et le droit constitutionnel la

protection de la rputation qui dcoule de la libert personnelle, tels quils sont

respectivement garantis par les articles 2, 6 et 16 de la Dclaration des droits de

lhomme et du citoyen ; que conscutivement la dclaration dinconstitutionnalit qui

interviendra, larrt attaqu se trouvera priv de base lgale.

2.2 - La demande de saisine pour avis de la Cour europenne des droitsde lhomme prsente devant la chambre criminelle

Devant la chambre criminelle, titre infiniment subsidiaire, dans sesobservations complmentaires n 3 en vue de laudience au fond du 19 juin 2018, enapplication du Protocole n 16 la Convention de sauvegarde des droits de lhommeet des liberts fondamentales, entr en vigueur le 1 aot, le Royaume du Marocer

sollicitait que soit soumise la Cour europenne des droits de lhomme une demandedavis consultatif ainsi rdige :

Larticle 1 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et deser

liberts fondamentales doit-il tre interprt en ce sens quil reconnat les droits et

liberts dfinis au titre I de cette Convention aux seuls justiciables recevables saisir

la Cour europenne des droits de lhomme dune requte individuelle sur le fondement

de larticle 34 de la Convention ?

Si tel est le cas, un Etat non partie la Convention qui se prtend victime directe dune

violation par un Etat membre des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles

entre-t-il dans la catgorie des organisations non gouvernementales au sens de larticle

34 de la Convention et est-il, de ce fait, recevable saisir la Cour europenne dune

requte individuelle sur le fondement de ce texte ?

Sagissant du Protocole n 16, ratifi par la France le 12 avril 2018, il y a lieu deprciser les points suivants :

Larticle 1 du Protocole 16 prvoit :er

8 M1784511

L.-A. Sicilianos, Llargissement de la comptence consultative de la Cour europenne des1

droits de lhomme, RTDH 2014, n 97

F. Sudre, Ratification de la France et entre en vigueur du Protocole n 16. Une embellie pour2

la Convention EDH ? Aperu rapide, Semaine juridique Edition gnrale, 23 avril 2018, n 17, 473

F. Sudre, op. cit.3

Elle porte sur les questions suivantes :4

1) En refusant de transcrire sur les registres de ltat civil lacte de naissance dun enfant n ltranger

1. Les plus hautes juridictions dune Haute Partie contractante, telles que dsignes

conformment larticle 10, peuvent adresser la Cour des demandes davis

consultatifs sur des questions de principe relatives linterprtation ou lapplication

des droits et liberts dfinis par la Convention ou ses protocoles.

2. La juridiction qui procde la demande ne peut solliciter un avis consultatif que dans

le cadre dune affaire pendante devant elle.

3. La juridiction qui procde la demande motive sa demande davis et produit les

lments pertinents du contexte juridique et factuel de laffaire pendante.

Selon larticle 5 :

Les avis consultatifs ne sont pas contraignants.

Ce Protocole prsente la particularit dtre optionnel ou facultatif en ce quil1

nimpose aucune obligation aux juridictions nationales de demander un avis consultatif la Cour europenne. Ainsi que le souligne M. Sudre, visant, long terme, rduirele flux de requtes individuelles portes devant la Cour par le mcanisme prventifquil instaure, le Protocole n 16 sinscrit dans la logique du principe de subsidiarit .2

En ce sens, la procdure diffre de celle de renvoi prjudiciel applicable devant laCour de justice de lUnion europenne (article 267 du trait sur le fonctionnement delUnion europenne), laquelle dit pour droit et dont la dcision simpose dans unsystme dit intgr.

Il a pour objectif dinstaurer une relation de dialogue et de coopration entre lesjuridictions nationales et la Cour europenne des droits de lhomme.

Ainsi que le souligne le rapport de lAssemble nationale [ propos du projet deloi autorisant la ratification du Protocole], cette procdure nest pas destine permettre un examen thorique de la lgislation. A cet gard, M. Sudre observe que3

la demande davis ne peut porter sur la compatibilit avec la Convention dunelgislation qui na pas sappliquer dans ladite affaire et la Cour ne saurait doncprocder un contrle de la lgislation interne dans labstrait.

Par arrt du 5 octobre 2018 (pourvoi n 10-19.053, au rapport de Mme Martinel,auquel on peut se rfrer pour plus dexplications sur cette procdure), lassembleplnire de la Cour de cassation a adress la Cour europenne des droits delhomme la premire demande davis consultatif.4

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1682454&CritereTerme=

9 M1784511

lissue dune gestation pour autrui en ce quil dsigne comme tant sa mre lgale la mre dintention,

alors que la transcription de lacte a t admise en tant quil dsigne le pre dintention, pre biologique

de lenfant, un Etat-partie excde-t-il la marge dapprciation dont il dispose au regard de larticle 8 de la

Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales ? A cet gard, y a-t-il lieu

de distinguer selon que lenfant est conu ou non avec les gamtes de la mre dintention ?

2) Dans lhypothse dune rponse positive lune des deux questions prcdentes, la possibilit pour

la mre dintention dadopter lenfant de son conjoint, pre biologique, ce qui constitue un mode

dtablissement de la filiation son gard, permet-elle de respecter les exigences de larticle 8 de la

Convention ?

J. Dehaussy, Le statut de lEtat tranger demandeur sur le for franais, Journal du droit5

international, 1, 1999, p. 109 129

Le collge de la Grande chambre a accept cette demande au cours de sasance du 3 dcembre 2018.

En revanche, par arrt du 21 novembre 2018 (pourvoi n 18-11.421), lapremire chambre civile de la Cour de cassation a dit ny avoir lieu daccueillir [une]demande aux fins davis consultatif de la Cour europenne des droits de lhomme, enmatire de droit des trangers.

3 - La fin de non-recevoir introduite dans le dbat par le rapport complmentaire

3.1 - Le rapport devant la chambre criminelle

Aux termes dun rapport complmentaire, le rapporteur de la chambre criminelleavait avis les parties de ce quun moyen tait susceptible dtre relev doffice.

Il avait soumis observations une fin de non-recevoir, tire de ce que lesprincipes de droit international rgissant les relations entre Etats feraient obstacle ce que le Royaume du Maroc puisse agir devant la juridiction rpressive franaise.

Pour ce faire, il avait relev que, dans lordre interne, un Etat a comptenceexclusive sur son territoire pour rprimer les atteintes ses propres intrts(comptence de jure imperii) et quun Etat tranger ne peut pas invoquer un droit lexercice de laction pnale devant une juridiction de for franais, si cette action tend protger une prrogative de jure imperii de lEtat tranger. Il avait cit M. Dehaussy :5

Certes les rgles de droit matriel pnalement sanctionnes ne concernent pas, pour

la plupart, les rapports directs entre la puissance publique et les prvenus. Mais

lintervention de la puissance publique, que constitue la poursuite pnale, a pour finalit

de sauvegarder, sur des points considrs comme essentiels, lordre interne tabli dans

l intrt gnral , que lEtat reprsente. En outre, le droit pnal instaure - de par la

nature des sanctions ventuellement prononces - des rapports de puissance publique

entre lEtat et les personnes dont les manquements la loi sont sanctionns

mais galement M. Alland, traitant de labsence de toute voie daction pour un Etattranger en matire diffamation, qui nonce quil est exclure que le droit

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1685860&CritereTerme=

10 M1784511

D. Alland, De la diffamation de lEtat (tranger) Sur quelques aspects de droit international6

public, La Semaine juridique Edition gnrale n 21, 21 mai 2018, 574

D. Carreau, Rpertoire Dalloz de droit international, V Etat, 2010, n 817

international impose que lEtat tranger bnficie dun droit un recours interne . Cet6

auteur souligne que seule serait encourue - rappel fait de la voie dabord diplomatique,privilgie - une responsabilit internationale de lEtat pour navoir pas pris lesmesures de nature sanctionner lauteur de propos diffamatoires.

Examinant les lments de droit international public, il rappelait que M. Carreausouligne que lobligation pour un Etat de protger les intrts des Etats trangersconcerne non seulement l'obligation de respecter leur intgrit territoriale, mais aussileur honneur (d'o la rpression des offenses publiques commises l'encontre dechefs d'tats trangers), leur systme conomique (d'o la rpression dufaux-monnayage mme s'agissant de devises trangres) ou administratif (d'o larpression de la falsification des documents officiels trangers tels que passeports,cartes d'identit, etc.) .7

3.2 - Largumentation du Royaume du Maroc

Le Royaume du Maroc avait conclu au rejet de cette fin de non-recevoir.

En droit interne, il rappelait la jurisprudence selon laquelle un Etat tranger ala possibilit de se constituer partie civile devant les juridictions franaises(notamment : Crim., 13 dcembre 1994, pourvoi n 94-80.766 ; Crim., 8 mars 2017,pourvoi n 15-84.430), sauf sil ne justifie daucun prjudice direct que sa constitutionde partie civile est irrecevable (Crim., 5 mars 2014, pourvoi n 13-84.978, Bull. 2014,crim., n 65 ; Crim., 6 avril 2005, pourvoi n 04-82.598).

Estimant que rien ne justifie une solution diffrente en matire datteintes lhonneur et la rputation, il stait prvalu :

outre de la dcision dj prononce dans le prsent dossier, des arrtssuivants : Crim., 7 mai 2018, pourvoi n 17-83.857 ; Crim., 6 fvrier 2018,pourvoi n 17-83.857, rendus sur le pourvoi form par la RpubliquedAzerbadjan, partie civile ;

de ce que laction en diffamation vise seulement rparer latteinte porte lhonneur ou la considration de lEtat tranger sur le territoire franais,atteinte qui est totalement indpendante des prrogatives de puissancepublique que cet Etat est amen exercer sur son territoire et seulement surcelui-ci.

Sagissant du respect de la Convention de sauvegarde des droits de lhommeet des liberts fondamentales, il avait estim que cette fin de non-recevoir soulevaitune question de principe supplmentaire relative lexigence darticulation entre les

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=79389&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1637384&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1637384&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1553782&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1553782&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1052302&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1674895&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1668862&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1668862&CritereTerme=

11 M1784511

Le Lexique des termes juridiques 2015-2016 (Dalloz, 23 d.) dfinit les deux termes commeme8

suit :

Acte de gestion : acte dordre priv et commercial accompli par un Etat ou lun de ses dmembrements

pour lequel cet Etat nest pas fond opposer son immunit de juridiction pour empcher une action

devant une juridiction dun autre Etat.

Acte de souverainet : acte qui, par sa nature ou ses finalits, participe lexercice de la souverainetdun Etat et pour lequel cet Etat bnficie dune immunit de juridiction devant les juridictions dEtats

trangers.

droits et liberts garantis par ladite convention, dune part, et les principes de droitinternational public, dautre part.

Il avait soulign que la Cour europenne des droits de lhomme avait euloccasion de juger que le droit daccs un tribunal garanti par larticle 6, 1, de laConvention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales nesaurait faire lobjet dune restriction disproportionne, y compris en application dunprincipe de droit international public. Il avait invoqu : CEDH, arrt du 23 mars 2010,Cudak c. Lituanie, n 15869/02 ; CEDH, arrt du 29 juin 2011, Sabeh El Leil c. France,n 34869/05.

3.3 - Sur la recevabilit dun Etat tranger agir devant la juridiction rpressive franaise par voie de plainte avec constitution de partie civile ou decitation directe

En matire civile, ce sont essentiellement des questions relevant du droit desimmunits qui se posent lorsquun Etat tranger est concern. Les initiatives decodification la Convention des Nations Unies sur les immunits juridictionnelles desEtats et de leurs biens du 2 dcembre 2004 ainsi que la Convention europenne surlimmunit des Etats du 16 mai 1972 consacrent le principe de limmunit restreintede lEtat tranger devant les juridictions civiles de lEtat du for. Seuls les actes desouverainet ou dautorit (jure imperii), par opposition aux actes de gestion (juregestionis) , dentits tatiques sont couverts par limmunit. Cette distinction est8

oprante au sein des deux formes dimmunits traditionnellement reconnues lEtattranger : limmunit de juridiction stricto sensu et limmunit dexcution. La pratiquefranaise en la matire rejette la doctrine de limmunit absolue. Contrairement laconception ancienne qui attribuait la qualit dacte de souverainet tous les actesmanant dun Etat, la qualification de ces actes dpend aujourdhui de la nature delactivit exerce et non de la qualit de lexcutant.

Ainsi, en matire dimmunits de juridiction, la Cour de cassation, dans sonarrt du 25 fvrier 1969 (1 Civ., Bull. n 86re ), exclut que la qualit dacte desouverainet sapplique aux activits lies au transport ferroviaire, mme si cesactivits seffectuent sous le contrle du gouvernement :

Mais attendu que les Etats trangers et les organismes agissant par leur ordre ou pour

leur compte ne bnficient de l'immunit de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu

au litige constitue un acte de puissance publique ou a t accompli dans l'intrt d'un

service public ;

https://hudoc.echr.coe.int/fre#{"fulltext":["15869/02"],"languageisocode":["FRE"],"itemid":["001-97878"]}https://hudoc.echr.coe.int/fre#{"fulltext":["15869/02"],"languageisocode":["FRE"],"itemid":["001-97878"]}https://hudoc.echr.coe.int/fre#{"fulltext":["34869/05"],"languageisocode":["FRE"],"itemid":["001-105376"]}https://hudoc.echr.coe.int/fre#{"fulltext":["34869/05"],"languageisocode":["FRE"],"itemid":["001-105376"]}http://srv-cassation/Rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=526823&CritereTerme=

12 M1784511

D. Alland, Manuel de droit international public, PUF, Droit fondamental, p. 529

R. Rivier, Droit international public, PUF, Thmis droit, 3 d., p. 288 et 289me10

P.-M. Dupuy et Y. Kerbrat, Droit international public, Dalloz, 14 d., 2018, p. 147 151me11

[...]

Le transport, mme ferroviaire, entre dans la catgorie des actes de commerce qui ne

sont pas subordonnes de manire ncessaire a l'intervention d'un acte de

souverainet

Dans son arrt du 20 juin 2003 (Ch. mixte, pourvois n 00-45.629 et 00-45.630,s

Bull. 2003, Ch. mixte, n 4), elle prcise :

les Etats trangers et les organismes qui en constituent lmanation ne bnficient de

limmunit de juridiction quautant que lacte qui donne lieu au litige participe, par sa

nature ou sa finalit, lexercice de la souverainet de ces Etats et nest donc pas un

acte de gestion ;

Dans son arrt du 27 avril 2004 (1 Civ., pourvoi n 01-12.442, Bull. 2004, I,re

n 114), elle juge que le critre de la finalit de lacte renvoie notamment aux actesaccomplis dans lintrt du service public :

Mais attendu que les Etats trangers et les organismes ou personnes agissant par leur

ordre et pour leur compte bnficient de l'immunit de juridiction non seulement pour

les actes de puissance publique mais aussi pour ceux accomplis dans l'intrt d'un

service public ;

De mme, en matire dimmunits dexcution, la Cour de cassation considreque celle-ci doit tre carte lorsque le bien a t affect lactivit conomique oucommerciale relevant du droit priv qui donne lieu la demande en justice (1 Civ.,re

14 mars 1984, pourvoi n 82-12.462, Bull. 1984, I, n 98).

La doctrine apporte elle aussi des lments de dfinition.

Selon M. Alland , limmunit de juridiction ne peut tre accorde que pour les9

actes jure imperii, quil dfinit comme les seules activits qui sont spcifiquementpubliques (en droit administratif il serait question de puissance publique ou dactesaccomplis dans le cadre dune mission de puissance publique ou de service public.

De mme, selon Mme Rivier , afin de distinguer les actes de gestion des actes10

de souverainet, il est ncessaire de savoir si le comportement objet de la procduredevant la juridiction trangre est celui dun Etat ayant agi en tant que souverain. Pourlauteur, un comportement qui aurait pu tre celui de nimporte quel particulier,commercial ou industriel, relve de la gestion prive (jure gestionis).

Enfin, selon MM. Dupuy et Kerbrat , les activits de jure imperii sont celles qui11

sont exerces en application directe des comptences de lEtat en tant que souverain,ou, dirait-on en droit interne, dans lexercice de prrogatives de puissance publique.

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=609914&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=609914&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1024012&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1024012&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=566906&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=566906&CritereTerme=

13 M1784511

En revanche, les activits de jure gestionis sont la rsultante dun Etat qui secomporte comme un industriel ou un commerant et que son activit parat relever dela gestion prive.

La mme distinction est applicable lorsque cest lEtat tranger qui agit sur notreterritoire.

En effet, de la combinaison des rgles de droit international rgissant lesrelations entre Etats et de larticle 3 du code civil, il rsulte le dfaut de pouvoir desjuridictions franaises de connatre, en principe, des demandes dun Etat tranger oudun organisme public tranger fondes sur les dispositions de droit public dans lamesure o, du point de vue de la loi franaise, leur objet est li lexercice de lapuissance publique (1 Civ., 29 mai 1990, pourvoi n 88-13.737, Bull. 1990, I, n 123re ).

En revanche, lorsque lEtat tranger nexerce pas son activit de jure imperiimais celle de jure gestionis, la qualit pour agir des Etats trangers est admise.

Cest le sens de la jurisprudence de la premire chambre civile :

1 Civ., 17 mars 1970, pourvoi n 68-13.577, Bull. 1970, I, n 104re : concernantla recevabilit dune intervention des Etats-Unis en remboursement de fraismdicaux, cest--dire sa qualit pour agir :

Sommaire : La subrogation lgale est rgie par la loi de l'institution pour le

fonctionnement de laquelle elle a t cre. Ds lors, en l'tat de l'accident dont un

militaire amricain a t victime en France et de la dcision passe en force de chose

juge dclarant un autre militaire amricain assur une compagnie franaise,

responsable pour moiti, les juges du fond, statuant sur l'intervention des Etats-Unis

d'Amrique en remboursement des frais mdicaux et d'hospitalisation exposs pour le

bless, ont seulement rechercher, pour apprcier si l'Etat requrant tait recevable

intervenir dans le litige, si cet Etat, au regard de la loi fdrale a qualit pour agir. Et

c'est par une interprtation souveraine de cette loi qu'ils retiennent que les Etats-Unis

sont subrogs dans les droits de la victime, appliquant ainsi justement la rgle de conflit

en la matire, laquelle est trangre la fois la loi du lieu du fait dommageable, celle

de la crance et celle du contrat d'assurance.

1 Civ., 2 mai 1990, pourvoi n 88-14.687, Bull. 1990, I, n 91re : sagissant dudroit pour un Etat tranger dassigner devant le tribunal de commerce de Parisdiverses socits en annulation ou en inopposabilit de vente (article 1167ancien du code civil), en paiement de droits de douanes, en restitution demarchandise ou de valeur ou encore de dommages-intrts :

Sommaire : Il rsulte des principes de droit international rgissant les relations entre

Etats que, dans la mesure o, du point de vue de la loi du for, leur objet est li

l'exercice de la puissance publique, les demandes d'un Etat tranger fondes sur des

dispositions de droit public ne peuvent tre portes devant les juridictions franaises.

Toutefois, ce principe peut tre cart, notamment, si, du point de vue du for, les

exigences de la solidarit internationale ou la convergence des intrts en cause le

justifient.

1 Civ., 29 mai 1990, pourvoi n 88-13.737, Bull. 1990, I, n 123re , prcit : aprsavoir nonc quun pourvoi est recevable en tant quil est dirig contre un arrt

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=590904&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=531480&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=590872&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=590904&CritereTerme=

14 M1784511

tranchant la question de savoir si la juridiction franaise a le pouvoir deconnatre de l'action dirige par un Etat et des organismes publics trangerscontre d'anciens dirigeants en raison d'actions ou de fait commis par eux dansleurs fonctions, larrt retient, sagissant dune action en remboursement dunEtat tranger et dorganismes publics trangers, contre un ancien prsident dela Rpublique dHati et dautres :

Sommaire : De la combinaison des rgles de droit international rgissant les relations

entre Etats et de l'article 3 du Code civil, il rsulte le dfaut de pouvoir des juridictions

franaises de connatre, en principe, des demandes d'un Etat tranger ou d'un

organisme public tranger fondes sur des dispositions de droit public dans la mesure

o, du point de vue de la loi franaise, leur objet est li l'exercice de la puissance

publique. Il s'en suit que ds lors que, selon la loi franaise, les litiges relatifs aux

rapports entre un Etat et ses dirigeants, quelle que soit la nature des fautes commises

par ceux-ci, sont ncessairement lis l'exercice de la puissance publique et ne

peuvent trouver leur solution que dans des principes de droit public, une cour d'appel

excde ses pouvoirs en dclarant un tribunal de grande instance comptent pour

connatre de la demande d'un Etat et d'organismes publics trangers en remboursement

de fonds dtourns leur prjudice par leurs dirigeants.

1 Civ., 1 fvrier 2005, pourvois n 02-15.237 et 01-13.742, Bull. 2005, I,re er s

n 53 : dans une affaire pour laquelle lEtat dIsral contestait la comptence,dans un litige lopposant une socit ptrolire iranienne, du juge franaispour dsigner un arbitre en application de larticle 1493, alina 2, du nouveaucode de procdure civile et de laccord entre les parties stipulant une clausedarbitrage, il est jug :

Sommaire : L'impossibilit pour une partie d'accder au juge, ft-il arbitral, charg de

statuer sur sa prtention, l'exclusion de toute juridiction tatique, et d'exercer ainsi un

droit qui relve de l'ordre public international consacr par les principes de l'arbitrage

international et l'article 6.1 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de

l'homme et des liberts fondamentales, constitue un dni de justice qui fonde la

comptence internationale du prsident du tribunal de grande instance de Paris, dans

la mission d'assistance et de coopration du juge tatique la constitution d'un tribunal

arbitral, ds lors qu'il existe un rattachement avec la France. Ayant relev qu'une

socit tait dans l'impossibilit gnrale et durable de saisir les tribunaux tatiques

d'un pays des parties au litige, pour nommer un arbitre aux fins de constitution du

tribunal arbitral, et, que le lien avec la France, mme s'il tait tnu, tait le seul dont elle

pouvait utilement se prvaloir, une cour d'appel en a exactement dduit que ce fait

constituait un dni de justice justifiant la comptence internationale du juge franais de

sorte que, en se dclarant incomptent pour statuer, le prsident du tribunal de grande

instance de Paris avait mconnu l'tendue de ses pouvoirs et commis ainsi un excs

de pouvoir ngatif.

3.3.1 - La constitution de partie civile dun Etat tranger

On rappellera, pour mmoire : Crim., 10 mars 2004, pourvoi n 02-85.285,Bull. crim. 2004, n 64, concernant la rparation du prjudice moral de ltat franais,constitu partie civile dans le cadre de poursuites contre certains de ses agents duservice public des chefs de trafic dinfluence et de favoritisme. La chambre a confirmla recevabilit dune telle constitution et valid la rparation du prjudice moral de cetEtat rsultant du discrdit engendr par le comportement des prvenus :

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1044583&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1044583&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1020529&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1020529&CritereTerme=

15 M1784511

Sommaire : 1) Les juridictions pnales sont comptentes pour apprcier, la suite de

sa condamnation pnale, la responsabilit de l'agent d'un service public raison des

fautes personnelles dtachables de la fonction, lorsque l'Administration exerce, aux fins

de rparation, les droits de la partie civile prvus par les articles 2 et 3 du Code de

procdure pnale ;

2) Si le prjudice moral des collectivits publiques peut se confondre avec le trouble

social, que rpare l'exercice de l'action publique lorsque l'infraction ne porte atteinte qu'

l'intrt gnral, il n'en est pas de mme lorsque cette infraction cause un prjudice

direct leur intrt personnel. Ds lors, justifie sa dcision la cour d'appel qui accorde

l'Etat, constitu partie civile dans les poursuites pnales exerces contre certains de

ses agents des chefs de trafic d'influence et favoritisme, la rparation de son prjudice

moral rsultant du discrdit que le comportement des prvenus a jet sur la fonction

publique toute entire et de l'affaiblissement de l'autorit de l'Etat qui en est rsult.

Il rsulte de ltude de la jurisprudence de la chambre criminelle quil na jamaist oppos un Etat tranger une fin de non-recevoir tire de ce que les principes dudroit international rgissant les relations entre Etats feraient obstacle ce quil puisseagir devant une juridiction rpressive franaise.

Crim., 22 mars 1988, pourvoi n 85-96.001, Bull. crim. 1988, n 137 : cettechambre a eu juger de la recevabilit dune constitution de partie civile formeau nom du ministre de la Dfense de la Rpublique islamique dIran, par unavocat au barreau de Paris :

CASSATION sur le pourvoi form par le ministre de la Dfense de la Rpublique

islamique d'Iran, partie civile , contre un arrt de la chambre d'accusation de la cour

d'appel de Paris du 21 novembre 1985 qui, dans une information suivie du chef

d'escroquerie contre A... B... et C... B..., a dclar irrecevable son appel contre une

ordonnance de non-lieu du juge d'instruction LA COUR, Vu les mmoires produits en

demande, en dfense, en rponse, en duplique et triplique ;

[...]

Sur la recevabilit du pourvoi en la forme :

Attendu, d'une part, que le pourvoi a t form au nom du ministre de la dfense de la

Rpublique islamique d'Iran par un avocat au barreau de Paris qui a produit une lettre

du directeur de "Bureau for international legal service" (BILS) habilit, suivant une

dpche du ministre des Affaires Etrangres, reprsenter en France les intrts du

demandeur et ester la justice ; qu'il s'ensuit que le dclarant dont le pouvoir est

annex l'acte de pourvoi est bien un fond de pouvoir spcial au sens de l'article 576

du Code de procdure pnale ; Que, d'autre part, ledit pouvoir, dat du jour o l'arrt

attaqu a t rendu, invitant expressment le mandataire former un pourvoi en

cassation pour le cas o la chambre d'accusation dclarerait irrecevable l'appel form

par le demandeur dans la procdure l'opposant A... et C..., tablit sans quivoque la

volont dudit demandeur d'exercer un recours en cassation contre l'arrt attaqu, rendu

dans le sens prvu ; Que, ds lors, le pourvoi est recevable ;

Crim., 18 octobre 1994, pourvoi n 93-81.650 : cette chambre a eu connatrede lhypothse dune constitution de partie civile de la Rpublique islamiquedIran dans une procdure pnale des chefs de dgradations volontaires debiens mobiliers ou immobiliers et rbellion, loccasion dune manifestation surla voie publique devant lambassade dIran. Larrt ne porte toutefois que sur

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=578184&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=80344&CritereTerme=

16 M1784511

la contestation, par ltat partie civile, du rejet de ses demandes indemnitairesaprs une relaxe des prvenus.

Crim., 13 dcembre 1994, pourvoi n 94-80.766 : propos de la constitution departie civile de la Rpublique de Panama dans une procdure pnale des chefsde blanchiment du produit de trafics de stupfiants, participation desoprations financires portant sur lesdits produits et recel de trafics destupfiants. Cette chambre a considr que la possibilit dun prjudice et dunlien de causalit direct avec linfraction, condition ncessaire loctroi du statutde partie civile, ne pouvant tre exclue, la constitution de partie civile de cetEtat devait tre dclare recevable :

Vu lesdits articles ;

Attendu que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction

d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au

juge d'admettre comme possibles l'existence du prjudice allgu et la relation directe

de celui-ci avec l'infraction poursuivie ;

Attendu que tout jugement ou arrt doit contenir les motifs propres justifier la dcision ;

Attendu qu'il rsulte de l'arrt attaqu et des pices de la procdure qu' l'occasion

d'une information ouverte des chefs ci-dessus, la Rpublique de Panama s'est

constitue partie civile en faisant valoir que M. N., mis en cause dans cette information,

dtenait, en France, des fonds soustraits son prjudice et y possdait des immeubles

qui avaient t acquis avec de l'argent provenant de trafics de stupfiants ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction dclarant cette

constitution de partie civile irrecevable, la chambre d'accusation se prononce par les

motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en l'tat de tels motifs dont il rsulte que la possibilit d'un prjudice et

d'un lien de causalit direct avec l'infraction ne pouvait tre exclue, les juges ont

mconnu le sens et la porte du principe ci-dessus rappel ;

D'o il suit que la cassation est encourue ;

Crim., 30 novembre 1999, pourvoi n 98-83.203, Bull. crim. 1999, n 278 : propos de la plainte avec constitution de partie civile formule au nom de laRpublique du Congo par le chef de lEtat en exil dans une procdure deschefs, notamment, de complicit de destruction volontaire de biens parexplosion, acte de terrorisme et association de malfaiteurs :

Sommaire : Un chef d'Etat en exil ne peut porter plainte et se constituer partie civile au

nom de l'Etat dont il a t ex-dirigeant si, au regard des principes du droit international

gouvernant les relations entre Etats, il n'a pas tabli sa qualit reprsenter ledit Etat

devant la juridiction franaise.

Crim., 23 juin 2004, pourvoi n 04-81.756 : propos de la constitution de partiecivile de la Rpublique dmocratique du Congo dans une procdure des chefsde faux, usage de faux et complicit. Cette chambre a dclar irrecevable lepourvoi form par cet Etat contre un arrt confirmant une dcision, faute de

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=79389&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=601197&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1030828&CritereTerme=

17 M1784511

justification, par cet Etat, des griefs de larticle 575 du code de procdurepnale.

Crim., 6 avril 2005, pourvoi n 04-82.598 : propos de la constitution de partiecivile incidente de la Rpublique nationaliste de Chine (Tawan) dans uneprocdure dabus de biens sociaux et recel. Larrt a dclar irrecevable laconstitution de partie civile, faute pour Tawan de se prvaloir dun prjudicedirect, susceptible de rsulter des infractions. En effet, pour avoir un intrt agir, il faut tre titulaire dune crance de rparation contre celui qui estpoursuivi pnalement.

Crim., 4 mai 2006, pourvoi n 06-80.480 : cette chambre a eu connatre delhypothse dans laquelle la Rpublique du Congo, partie civile dans le cadredune instruction suivie des chefs, notamment, d'escroquerie, abus de bienssociaux, complicit et recel, contestait la restitution de sommes, en invoquantnotamment les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits delhomme et des liberts fondamentales et 1 du Protocole additionnel n 1 er

cette dernire.

Crim., 24 fvrier 2010, pourvoi n 09-82.857, Bull. crim. 2010, n 37 : proposde la constitution de partie civile de la Rpublique fdrale du Nigeria pourblanchiment aggrav :

Sommaire : Se rend coupable du dlit de blanchiment le ministre d'un pays tranger

qui, ayant peru de compagnies ptrolires des commissions en contrepartie de l'octroi

de concessions ou de licences d'exploitation dans son pays, transfre les fonds ainsi

obtenus sur le territoire national pour les dposer dans des banques et les utiliser pour

l'acquisition de biens immobiliers ou mobiliers, ds lors que de tels faits sont rprims

en France sous la qualification de corruption et que les textes qui dfinissent le dlit de

blanchiment, infraction gnrale, distincte et autonome, n'impose ni que l'infraction

ayant permis d'obtenir les sommes blanchies ait t commise sur le territoire national

ni que les juridictions franaises soient comptentes pour la juger.

Crim., 5 mars 2014, pourvoi n 13-84.978, Bull. crim. 2014, n 65 : propos dela constitution de partie civile de la Rpublique de Guine Equatoriale dans uneprocdure des chefs, notamment, de blanchiment, abus de biens sociaux, abusde confiance, complicit de dtournement de fonds publics et recel. Cettechambre a dclar recevable la constitution de cet Etat, dfaut de prjudice.

Crim., 8 mars 2017, pourvoi n 15-84.430 : la chambre criminelle a statu surla constitution de partie civile de ltat dIsral en tant que lgataire universel,lequel venait aux droits dune personne dcde, victime des infractions d'abusde confiance au prjudice d'une personne vulnrable et de recel. Elle anotamment considr que le prjudice dont faisait tat le gouvernementtranger constituait un prjudice direct et lui permettait ainsi de se constituerpartie civile :

Sur le troisime moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du

code de procdure pnale ;

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1052302&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1100113&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1308558&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1553782&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1052302&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1637384&CritereTerme=

18 M1784511

B. Bouloc, Procdure pnale, Prcis Dalloz, 26 d., 2018, p. 156me12

en ce que l'arrt attaqu a dclar recevable la constitution de partie civile de l'Etat

d'Isral, condamn M. D. et Mme S., payer l'Etat d'Isral, venant aux droits de M. L.,

veuve A., la somme de 250 000 euros en remboursement des sommes dtournes sur

ses comptes, Mme S., tant tenue solidairement avec M. D. au remboursement de la

somme de 33 300 euros ; [...]

Attendu que, pour dclarer recevable la constitution de partie civile de l'Etat d'Isral,

lgataire universel de M. L., veuve A., l'arrt prononce par les motifs repris aux

moyens ;

Attendu qu'en l'tat des ces nonciations, la cour d'appel a justifi sa dcision ;

D'o il suit que le moyen, dont la seconde branche manque en fait, doit tre cart ;

Crim., 7 mai 2018, pourvoi n 17-83.857 : propos de la plainte avecconstitution de partie civile de lEtat dAzerbadjan dans une procdure du chefde diffamation publique envers un particulier. La chambre a procd unecassation sans renvoi et ordonn le retour de la procdure au juge dinstructionsaisi.

3.3.2 - La citation directe faite par un Etat tranger

Les recherches entreprises nont pas permis didentifier daffaires soumises la Cour de cassation relativement une procdure de citation directe mise en oeuvrepar un Etat tranger.

3.3.3 - Analyse doctrinale de laction publique et de laction civile

La jurisprudence de la chambre criminelle peut sexpliquer, notamment, par ladiffrence faite entre la mise en mouvement de laction publique et son exercice.

A la question de savoir qui peut exercer laction publique, la rponse estdiffrente selon que lon choisit le systme accusatoire ou inquisitoire.

M. Bouloc dcrit ainsi lvolution de la lgislation franaise :12

183 [...] A la suite de lvolution historique, au cours de laquelle sest affirm le droit de

poursuite du ministre public, le Code dinstruction criminelle de 1808 avait confi

lexercice de laction publique des fonctionnaires reprsentant le pouvoir social, aux

magistrats du ministre public. Cest le systme de laccusation publique. Du systme

de laccusation prive, il tait rest pourtant un vestige : la partie lse par linfraction

avait le droit de mettre en mouvement laction publique. Il en est encore ainsi dans le

Code de procdure pnale. Bien que lexercice de laction publique soit confi aux

magistrats du ministre public (C. pr. pn., art. 1 , al. 1 ), la victime a toujours le droiter er

de mettre en mouvement cette action (C. pr. pn., art. 1 , al. 2). Et elle exerce ce droiter

en se constituant partie civile au procs pnal, cest--dire en formant devant le juge

rpressif une demande en rparation du prjudice que lui a caus linfraction (C. pr.

pn., art. 80, al. 4, 85 s., 392 et 551).

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1674895&CritereTerme=

19 M1784511

B. Bouloc, op. cit., p. 291 et 29213

Aussi, le Code de procdure pnale (art. 1 ) a-t-il soigneusement distingu la mise ener

mouvement de laction publique qui peut tre faite aussi bien par le ministre public que

par la victime, et lexercice de laction publique qui est rserv au ministre public, dans

le respect du principe dimpartialit (C. pr. pn., art. 31), mme lorsque la poursuite a

t engage sur linitiative de la victime.

184 Exercice et mise en mouvement de laction publique La mise en mouvement

est lacte initial de la poursuite, celui par lequel laction publique est dclenche et qui

saisit la juridiction dinstruction (rquisitoire introductif du Procureur ou constitution de

partie civile) ou la juridiction de jugement (citation directe). Elle est le premier acte de

lexercice ; mais elle ne constitue pas elle seule lexercice. Cest quen effet lexercice

proprement dit comprend lensemble des actes par lesquels laction, une fois mise en

mouvement, se poursuit jusqu la dcision dfinitive. Il consiste dans la direction de

laction et notamment dans les rquisitions prendre en vue de linstruction et du

jugement du procs pnal, et dans lexercice des voies de recours contre la dcision

intervenue.

Lexercice de laction publique appartient exclusivement au Ministre public et aux

fonctionnaires de certaines administrations (C. pr. pn., art. 1 , al. 1 ). Si bien que leser er

sujets actifs de laction publique sont le Ministre public et, dans certains cas

exceptionnels, les fonctionnaires de certaines administrations.

Le mme auteur analyse ainsi laction civile : 13

321 Etant une action en rparation dun dommage priv, laction civile peut, comme

toute action en rparation, tre intente devant un tribunal civil. Mais, comme le

dommage dont on demande rparation nest pas un dommage purement civil par son

origine, mais puise sa source dans linfraction et dans une faute pnale, la victime a la

facult dexercer son action civile devant le tribunal rpressif.

Elle le fait, soit en joignant cette action laction publique exerce par le ministre public

en se constituant partie civile par intervention, soit en mettant elle-mme laction

publique en mouvement, par une citation directe (possible en cas de dlit ou de

contravention), ou par une constitution de partie civile devant la juridiction dinstruction

(en cas de dlit ou de crime).

Le choix qui appartient la victime entre le tribunal civil et le tribunal rpressif, admis

de longue date, rsulte actuellement de larticle 3 du Code de procdure pnale qui

dispose : Laction civile peut tre exerce en mme temps que laction publique et

devant la mme juridiction. Et lorsque la partie lse a ainsi choisi entre la voie civile

et la voie criminelle, son option est, en principe, dfinitive et irrvocable.

322 Permettre la victime de saisir les juridictions rpressives de son action civile,

nest-ce pas compliquer la tche du juge rpressif en lui soumettant des questions

civiles, et risquer de fausser le fonctionnement de la justice pnale par des

considrations purement civiles de prjudice et dtendue de ce prjudice ? Malgr ces

critiques, le droit doption de la partie lse se justifie dans notre lgislation par des

raisons historiques et des raisons pratiques.

Du point de vue historique, cest un vestige du systme ancien de laccusation prive

daprs lequel la mise en mouvement du procs pnal dpendait de laction de la

victime. Du point de vue pratique, permettre de demander rparation devant le tribunalrpressif est une solution avantageuse, tout dabord pour la partie lse qui peut ainsi

remdier linertie du ministre public en mettant en mouvement laction publique, et

20 M1784511

J.-F. Renucci, Droit europen des droits de lhomme, LGDJ, 7 d., 2017, 362me14

qui surtout peut faire juger son action civile plus rapidement et moindres frais que

devant la juridiction civile, en profitant des preuves plus facilement et plus largement

tablies en matire pnale quen matire civile.

Il faut ajouter que la voie rpressive, plus rapide et moins coteuse que la voie civile,

permet la victime de ne se voir opposer lautorit de la chose juge au pnal sur lecivil, quaprs avoir t entendue au cours du procs pnal. En revanche, laction de la

victime, si elle est tmraire, engage plus facilement et plus lourdement sa

responsabilit civile si elle a opt pour la voie rpressive.

Le droit doption est galement une solution avantageuse pour la socit qui bnficie

de laction publique, dclenche ou renforce par lintervention de la partie civile. Enfin,

cette solution est avantageuse pour ladministration de la justice elle-mme, car, en

faisant juger laction civile par le juge rpressif, on vite les contrarits de jugements,

qui seraient dautant plus redoutables que le tribunal rpressif nest jamais li, en

principe, par ce qui a t dcid au civil.

De mme, M. Renucci estime que si :14

Laction civile exerce par voie daction provoque doffice la mise en mouvement

de laction publique : cet effet, pour important quil soit, ne constitue quun aspect de

laction civile par voie daction, laquelle ne perd pas sa nature civile .

* * *

On peut conclure de lensemble de ces lments que le droit dagir en justicedun Etat tranger sur notre sol ne se heurte aucun obstacle gnral et absolu, etque lon peut admettre que le Royaume du Maroc ne met en oeuvre aucuneprrogative de puissance publique en agissant sur le sol franais, dans les dossiersqui nous sont soumis.

4 - lments de discussion

Le pourvoi conduira lassemble plnire examiner :

le droit dagir du Royaume du Maroc sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881sur la libert de la presse, et particulirement en application de larticle 32 decette loi (1 branche) ;re

lapplication de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et desliberts fondamentales au bnfice du Royaume du Maroc, et particulirementdu droit daccs au juge (2 branche). e

Des lments de rflexion sont prsents sur chacune de ces questions.

4.1 - La loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse

Article 29, alina 1 :er

21 M1784511

Toute allgation ou imputation d'un fait qui porte atteinte l'honneur ou la

considration de la personne ou du corps auquel le fait est imput est une diffamation.

La publication directe ou par voie de reproduction de cette allgation ou de cette

imputation est punissable, mme si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise

une personne ou un corps non expressment nomms, mais dont l'identification est

rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, crits ou imprims,

placards ou affiches incrimins.

Article 30 :

La diffamation commise par l'un des moyens noncs en l'article 23 envers les cours,

les tribunaux, les armes de terre, de mer ou de l'air, les corps constitus et les

administrations publiques, sera punie d'une amende de 45 000 euros.

Article 31, alina 1 :er

Sera punie de la mme peine, la diffamation commise par les mmes moyens, raison

de leurs fonctions ou de leur qualit, envers le Prsident de la Rpublique, un ou

plusieurs membres du ministre, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre

Chambre, un fonctionnaire public, un dpositaire ou agent de l'autorit publique, un

ministre de l'un des cultes salaris par l'Etat, un citoyen charg d'un service ou d'un

mandat public temporaire ou permanent, un jur ou un tmoin, raison de sa

dposition.

Article 32, alina 1 :er

La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens noncs en l'article

23 sera punie d'une amende de 12 000 euros.

Article 48, 1, 3 et 6 : Conditions de la poursuite des infractions prcites

1 Dans le cas d'injure ou de diffamation envers les cours, tribunaux et autres corps

indiqus en l'article 30, la poursuite n'aura lieu que sur une dlibration prise par eux

en assemble gnrale et requrant les poursuites, ou, si le corps n'a pas d'assemble

gnrale, sur la plainte du chef du corps ou du ministre duquel ce corps relve ;

[...]

3 Dans le cas d'injure ou de diffamation envers les fonctionnaires publics, les

dpositaires ou agents de l'autorit publique autres que les ministres et envers les

citoyens chargs d'un service ou d'un mandat public, la poursuite aura lieu, soit sur leur

plainte, soit d'office sur la plainte du ministre dont ils relvent ;

[...]

6 Dans le cas de diffamation envers les particuliers prvu par l'article 32 et dans le cas

d'injure prvu par l'article 33, paragraphe 2, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de

la personne diffame ou injurie. Toutefois, la poursuite, pourra tre exerce d'office par

le ministre public lorsque la diffamation ou l'injure aura t commise envers une

personne ou un groupe de personnes raison de leur origine ou de leur appartenance

ou de leur non-appartenance une ethnie, une nation, une race ou une religion

dtermine. La poursuite pourra galement tre exerce d'office par le ministre public

lorsque la diffamation ou l'injure aura t commise envers un groupe de personnes

raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ; il en sera de

mme lorsque ces diffamations ou injures auront t commises envers des personnes

considres individuellement, la condition que celles-ci aient donn leur accord ;

22 M1784511

15

Ass. pln., 12 juillet 2000, pourvoi n 98-10.160, Bull. 2000, Ass. pln., n 8 ; Ass. pln.,12 juillet 2000, pourvoi n 98-11.155, Bull. 2000, Ass. pln., n 8

16

1 Civ., 2 juillet 2014, pourvoi n 13-16.730, Bull. 2014, I, n 120re

E. Dreyer, Pas de protection judiciaire en France pour lhonneur dun Etat tranger,17

Lgipresse, mai 2018, n 356, p. 272

B. Beignier, La loi de 1881 relative la libert de la presse n'ouvre aucune action ni l'tat18

franais, ni un autre tat, La Semaine juridique Edition gnrale n 21, 21 mai 2018, 575

4.1.1 - Son caractre exclusif

Les abus de la libert dexpression, prvus et rprims par la loi du 29 juillet1881, ne peuvent tre rpars sur le fondement de larticle 1382 du code civil .15

Cette jurisprudence a t raffirme maintes reprises depuis les arrts delassemble plnire du 12 juillet 2000, et ces abus ne sont jamais, hors le cas dednigrement de produits ou services , rpars sur le fondement de la responsabilit16

civile de droit commun.

4.1.2 - Etat et notion de particulier au sens de larticle 32

A la question de savoir si un Etat est un particulier au sens de larticle 32 de laloi de 1881, la chambre criminelle a rpondu non dans ses arrts du 6 fvrier 2018(pourvoi n 17-83.857) et des 27 mars 2018 (pourvoi n 17-84.509 et pourvoi n 17-84.511).

Commentant ces arrts, M. Dreyer crit au Lgipresse : 17

Substantiellement, la solution parat simposer compte tenu de la situation particulire

dans laquelle se trouvent les Etats. En effet, leur irresponsabilit pnale et leur immunit

sur la scne internationale font deux des tres part. Ils sont certes dots de la

personnalit morale mais ils disposent de prrogatives ce point exceptionnelles quils

ne sauraient revendiquer la mme protection quun particulier. LEtat offens fait la

guerre, saisit lorganisation des Nations Unies ou proteste par la voie diplomatique ; il

ne saisit pas une juridiction rpressive, a fortiori dans un Etat voisin. La solution prvaut

en France o la loi du 29 juillet 1881 fut adopte, notamment pour rviser la lgislation

antrieure admettant la sanction des dlits dattaque ou de tendance (ceux qui tendaient

protger la Couronne ou le Gouvernement).

Quant M. Beignier, il observe La Semaine juridique Edition gnrale ,18

sagissant des puissances souveraines :

cest bien parce que lEtat franais sexclut lui-mme de toute protection dans la loi quil

dicte sur la presse que, ncessairement, il applique la mme solution aux autres Etats

dont il est partenaire dans le concert des nations

Dans son arrt QPC n 642 du 17 dcembre 2018 (pourvoi n 18-82.737),lassemble plnire de la Cour de cassation a cart toute diffrence de traitement

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=602270&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=602271&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=602271&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1565287&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1668862&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1672076&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1672166&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1672166&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1688209&CritereTerme=

23 M1784511

S. Detraz, Rpertoire Dalloz de droit pnal et de procdure pnale, V Diffamation19

entre lEtat franais et les Etats trangers, qui ne peuvent agir ni lun ni les autres surle fondement de larticle 32 de la loi, dclar applicable lespce.

4.1.3 - La diffamation envers les corps de lEtat et les agents publics

Ainsi que le relve M. Bonnal, dans son rapport dpos avant la transmissiondu pourvoi n 18-82.737 lassemble plnire, il nest pas contestable que seulespeuvent agir sur le fondement des articles 30 et 31 de la loi de 1881 des institutionsou personnes franaises. Le Royaume du Maroc le reconnat lui-mme dans sonmmoire ampliatif (p. 11 : il importe de prciser que seule la puissance publiquefranaise est protge par les articles 30 et 31 de la loi de 1881").

a - Diffamation envers les corps de lEtat (article 30)

M. Detraz crit au Rpertoire Dalloz de droit pnal et de procdure pnale :19

214. Corps de l'tat. - L'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 prsente la particularit

d'incriminer la diffamation commise non pas envers des individus, comme

prcdemment, mais envers les cours, les tribunaux, les armes de terre, de mer ou

de l'air, les corps constitus et les administrations publiques , qui sont des corps

au sens de l'article 29, alina 1er. [...]

215. Cours et tribunaux. - L'tat, c'est donc, en premier lieu, les cours et les

tribunaux . Sont ainsi dsignes, de manire gnrale, les juridictions, judiciaires

comme administratives mais non pas les autorits administratives indpendantes aux

missions comparables , dont l'office est garant de l'tat de droit (CEDH 24 fvr. 1997,

De Haes et Gijsels c/ Belgique, req. n 19983/92 : L'action des tribunaux, qui sont

garants de la justice et dont la mission est fondamentale dans un tat de droit, a besoin

de la confiance du public. Aussi convient-il de la protger contre des attaques dnues

de fondement, alors surtout que le devoir de rserve interdit aux magistrats de ragir .

Comp. CEDH 27 mai 2014, Mustafa Erdogan et a. c/ Turquie, req. ns 346/04 et

39779/04, la critique de l'institution judiciaire est lgitime). L'on observera cependant

que l'article 434-25 du code pnal qui a la prfrence de la pratique incrimine de son

ct le fait de chercher jeter le discrdit, publiquement par actes, paroles, crits ou

images de toute nature, sur un acte ou une dcision juridictionnelle, dans des conditions

de nature porter atteinte l'autorit de la justice ou son indpendance .

216. Armes. - En deuxime lieu, la loi mentionne les armes de terre, de mer ou de

l'air . Peu importe donc le corps militaire en cause, ds lors que l'une des armes,

dans son entier ou en telle ou telle de ses composantes, est vise par la diffamation.

24 M1784511

NB : M. Dreyer, au JurisClasseur Lois pnales spciales (V Presse et communication, Fasc.20

100 : Presse et communication. Diffamations et injures publiques. Diffamations et injures spciales:

envers les institutions ou les serviteurs de lEtat ; raciale ou sectaire, sexiste ou homophobe ; envers la

mmoire des morts ; dans les correspondances circulant dcouvert, n 12) relve que la dfinition selon

laquelle est un corps constitu le corps ayant une existence lgale permanente et auquel la Constitution

ou les lois ont dvolu une portion de lautorit ou de ladministration publique (Cass. crim., 26 avr. 1952:

Bull. crim. 1952, n 106 ; D. 1952, jurispr. p. 492) [...] peut sembler excessivement large. Elle est en effet

susceptible dinclure les armes ainsi que les cours et tribunaux qui doivent, au contraire, en tre

distingus car les modalits dengagement des poursuites ne sont pas identiques dans toutes ces

diffrentes hypothses (V. Cass. crim., 21 juill. 1950 : D. 1950, jurispr. p. 558, rapp. Patin). Faustin-Hlie

proposait une dfinition plus satisfaisante : lexpression corps constitus comprendrait, selon lui, tous

les corps judiciaires ou administratifs auxquels est dlgue une portion de lautorit publique et dont les

membres peuvent se runir et dlibrer. Tels sont le Conseil dEtat, les conseils municipaux, les conseils

gnraux et darrondissement, le conseil royal de linstruction publique, les chambres consultatives du

commerce, les conseils de prfecture, etc. (M. Faustin-Hlie, Trait de linstruction criminelle : d. Ch.

Hingray, t. 3, 1848, 146, p. 123). Actualisant cette dfinition, dautres auteurs ont propos dy intgrer:

les assembles parlementaires, le Conseil constitutionnel, le Conseil suprieur de la magistrature, le

conseil des ministres, les universits et facults (R. Merle et A. Vitu, Trait de droit criminel, Droit pnal

spcial, t. 2, par Vitu : Cujas 1981, p. 1585, n 1959).

217. Corps constitus. - Les corps constitus , en troisime lieu, ont t dfinis20

par la Cour de cassation comme les seuls corps ayant une existence lgale

permanente, et auxquels la Constitution ou les lois ont dvolu une portion de l'autorit

ou de l'administration publique (Crim. 26 avr. 1952, Bull. crim. n 106). La notion est

suffisamment large pour accueillir, outre les corps nationaux (tels les assembles

parlementaires), les corps de niveau territorial, mais la condition qu'ils aient

effectivement une existence reconnue par les textes. Il a ainsi t jug que sont des

corps constitus les communes (Crim. 24 mai 2016, n 15-82.945. Crim. 25 fvr.

2014, n 12-88.172, Bull. crim. n 53. Adde Crim. 7 nov. 1995, n 91-86.474,

Bull. crim. n 338 : un syndicat intercommunal, qui exerce, par le transfert d'une partie

des comptences des communes qui le composent, une portion de l'autorit publique,

et dont le comit qui l'administre forme l'assemble gnrale, est un corps constitu au

sens des articles 30 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 . Crim. 18 mai 1993,

n 91-85.129, Bull. crim. n 184, pour un conseil gnral) et les conseils municipaux

(Crim. 29 janv. 1998, n 95-84.256), mais pas les municipalits (Crim. 8 juin 2004,

n 03-86.209, Bull. crim. n 155 : la runion du maire et des adjoints constituant la

municipalit est une entit dpourvue d'existence lgale qui ne saurait entrer dans les

prvisions de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 . Comp. Crim. 14 mai 2002,

n 01-87.520).

218. Administrations publiques. - En dernier lieu, les Administrations publiques

sont les organes publics exerant une mission de service public et normalement

dtenteurs de prrogatives de puissance publique : prfectures (Crim. 28 mai 2013,

n 12-83.225, se satisfaisant de ce que les tracts litigieux visent des fonctionnaires

prfectoraux , ds lors qu'il s'agissait de mettre en cause non des fonctionnaires

nommment dsigns, ou identifiables, mais l'administration prfectorale raison de

certaines pratiques en matire d'immigration ), Police nationale (rappr. Crim. 12 mai

2015, n 14-80.430, pour l'injure), hpitaux publics (Civ. 2e, 30 sept. 1998,

n 97-10.280, Bull. civ. II, n 249. Crim. 3 juill. 1996, n 94-83.195, Bull. crim. n 283),

tablissements publics grant des maisons de retraite (Civ. 2e, 13 dc. 2001,

n 99-20.204), etc. Les tablissement publics industriels et commerciaux sont en

revanche considrs comme des organismes caractre priv, de par leur objet (Crim.

1er dc. 2015, n 13-80.108 : l'Office de dveloppement agricole et rural de Corse

[ODARC], tablissement public industriel et commercial, immatricul au registre du

commerce et des socits, dont les membres sont rgis par un statut de droit priv, et

qui fonctionne selon les rgles du droit commercial en usage dans les entreprises du

25 M1784511

E. Dreyer, Pas de protection judiciaire en France pour lhonneur dun Etat tranger,21

Lgipresse, mai 2018, n 356, p. 272

E. Dreyer, op. cit.22

secteur priv, n'a pas la qualit d'Administration publique au sens de l'article 30 de la

loi du 29 juillet 1881 ).

Devant la chambre criminelle, M. Desportes rappelle, dans son avis sur laquestion prioritaire de constitutionnalit pose devant elle :

Larticle 30 de la loi du 29 juillet 1881 qui rprime dune peine damende aggrave la

diffamation commise envers les corps constitus et les administrations publiques ne

dsigne que les corps ou administrations franaises. (v. P. Auvret, JCl. Droit de la

communication, Dlits de presse envers les autorits publiques franaises, fasc. 3136)

M. Dreyer, au Lgipresse , souligne de mme quun Etat tranger ne peut21

prtendre aucune protection lorsque la diffamation publique concerne ses tribunaux,armes, corps constitus ou administrations.

b - Diffamation envers les ministres, les parlementaires, lesagents publics... (article 31)

A titre dexemple, au visa de larticle 31 de la loi, ont pu engager des poursuitespour diffamation, parfois couronnes de succs, un haut responsable de la policenationale (Crim., 24 septembre 2002, pourvois n 01-88.674 et 01-88.597, Bull. crim.s

2002, n 174 ; Crim., 10 avril 2018, pourvoi n 17-81.054), un magistrat (Crim., 12 mai2009, pourvoi n 08-85.732, Bull. crim. 2009, n 88) ou un prfet (Crim., 29 mars 2011,pourvoi n 10-85.887, Bull. crim., 2011, n 61).

M. Dreyer, au Lgipresse , prcise que la protection spciale de larticle 3122

est rserve au prsident, aux ministres, parlementaires ou agents publics franais.

A cet gard, il convient de rappeler les deux arrts suivants de la chambrecriminelle :

le premier, dans une action en diffamation engage par des fonctionnairesfranais dtachs auprs du gouvernement marocain, par lequel la Cour decassation a jug que la qualit de citoyen charge d'un service ou d'un mandatpublic, au sens de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881, ne s'applique qu'auxagents investis, dans une mesure quelconque, d'une portion de l'autoritpublique franaise, et non pas aux personnes qui -comme en l'espce- neparticipent pas cette autorit, alors mme qu'un intrt public s'attacherait la mission qui leur est confie ; que, de mme, la qualit de fonctionnairepublic, au sens du mme article, est exclusive d'une position de dtachementauprs d'un gouvernement tranger, ds lors que, par l'effet de cedtachement, le fonctionnaire franais se trouve dsormais plac sous la seuleautorit de ce gouvernement, et que les propos dnoncs comme diffamatoires

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=608433&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=608433&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1673292&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/Rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1251939&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/Rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1251939&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/Rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1405954&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/Rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=1405954&CritereTerme=

26 M1784511

J.-F. Renucci, Introduction gnrale la Convention europenne des Droits de lHomme 23

Droits garantis et mcanisme de protection, Editions du Conseil de lEurope, p. 9

J.-F. Renucci, Droit europen des droits de lhomme, Paris, LGDJ, 7 d., 2017, p. 15 et 17me24

visent l'exercice des fonctions qu'il remplit au service de ce dernier (Crim.,27 fvrier 1964, pourvoi n 63-93.990, Bull. crim. 1964, n 76) ;

le second, dans une action en diffamation engage par un ministre malgache,par lequel la Cour de cassation a jug que cest bon droit [quune courdappel] a dclar que larticle 31 de la loi sur la presse, qui prvoit et punit ladiffamation commise envers un ou plusieurs membres du ministre, nesapplique quaux seuls ministres du gouvernement de la Rpublique franaise, lexclusion de ceux dautres Etats souverains, mme si ces Etats sontmembres de la communaut (Crim., 2 juin 1964, Bull. crim. 1964, n 190).

Enfin, dans larrt du 19 fvrier 2002 (pourvoi n 00-88.289), rendu loccasiondune citation directe pour injure publique dlivre par le prsident du gouvernementde la Polynsie franaise contre M. D..., la chambre criminelle a affirm que larticle31 de la loi sur la presse qui prvoit linjure ou la diffamation commises envers un ouplusieurs membres du ministre ne sapplique quaux seuls ministres du gouvernementde la Rpublique.

4.2 - Lapplication sur le sol franais de la Convention de sauvegarde desdroits de lhomme et des liberts fondamentales

4.2.1 - La jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme

a - Les fondements du droit europen des droits de lhomme

Les droits de lhomme ont t proclams pour protger les individus, en raisonde leur dignit dtre humain contre les abus susceptibles dtre commis par les Etats.Compte-tenu de [leur] importance [...] et de leur nature mme, le principe consacrest celui de leur indivisibilit .23

De nombreux auteurs mettent en lumire le fait que les droits de lhommereposent sur la notion de dignit humaine et sont attachs la qualit dtre humain.

Ainsi, le M. Renucci expose :24

[...] la dignit constitue par excellence le socle des droits fondamentaux. Elle est la

source mme de ces droits et cest en raison de leur nature profonde que les droits de

lhomme ne peuvent reposer sur la seule autorit de lEtat : il sagit de droits que

possde tout homme tout simplement parce quil est un homme. [...]

Ces droits, parce quils sont prcisment des droits de lhomme, sont attachs par

principe la seule qualit de personne humaine : ils ne sauraient donc tre attribus

aux individus par un statut juridique puisquils seraient alors rvocables.

http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=515037&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=515037&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=515151&CritereTerme=http://srv-cassation.cour-de-cassation.justice.fr/rpvjcc/Jurinet/Arret.asp?ID_ARRET=607384&CritereTerme=

27 M1784511

L. Hennebel et H. Tigroudja, Trait de droit international des droits de lhomme, Paris, Pedone,25

2016, p. 68

F. Sudre, Droit europen et international des droits de lhomme, Paris, PUF, 12 d., 2015,me26

p. 15

F. Sudre, op. cit., p. 8327

M. Forteau, Le droit applicable en matire de droits de lHomme aux administrations28

territoriales gres par des organisations internationales, in SFDI & IIDH, La soumission des

organisations internationales aux normes internationales relatives aux droits de lhomme, Paris, Pedone,

2009, p. 7

L. Hennebel et H. Tigroudja, op. cit., p. 30 et 3329

De la mme manire, M. Hennebel et Mme Tigroudja crivent : 25

[...] la discussion sur le droit international des droits de lhomme repose dabord sur

laccord fondamental de limportance de la protection de la dignit humaine. A ce titre,

la dignit humaine peut tre perue comme un principe matriciel, essentiel au sens

premier du terme. Lobjet et le but des droits de lhomme seraient ainsi de protger la

dignit humaine.

Pour sa part, M. Sudre dfinit les droits de lhomme comme les droits etfacults assurant la libert et la dignit de la personne humaine et bnficiant degaranties institutionnelles . Il ajoute que, [a]ttachs la qualit mme de personne26

humaine, les droits de lhomme sont des droits individuels, dont lindividu est titulaire .27

La doctrine souligne galement le fait que les droits de lhomme ont vocation protger les individus contre le pouvoir incarn par lEtat, en lui offrant des garantiescontre les abus de ce pouvoir.

M. Forteau estime ainsi que linspiration philosophique et politique [des droitsde lhomme] les corrle nimporte quel phnomne de pouvoir dont ils ont vocation prvenir les abus .28

M. Hennebel et Mme Tigroudja expliquent, quant eux : 29

Le droit international des droits de lhomme peut tre conu comme une construction

intellectuelle visant [...] penser les rapports entre lindividu et le Pouvoir, mais tout en

dpassant le cadre plus limit dune cit particulire. [...]

Trs concrtement, lide selon laquelle lindividu doit se voir ainsi dot de droits

opposables au Pouvoir devient une revendication politique en partie ralise

formellement par ladoption des dclarations rvolutionnaires des droits de lhomme :

[...] et la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen adopte en France en 1789.

Cette dernire est entirement teinte dindividualisme lorsquelle affirme notamment

que les hommes naissent et demeurent libres et gaux en droits (article 1 ) et er

inspire par Locke que le but de toute association politique est la conservation des

droits naturels et imprescriptibles de lhomme (article 2). [...]

28 M1784511

[Le droit international des droits de lhomme] repose tout entier sur lorganisation de la

relation entre lindividu et le Pouvoir, incarn par lEtat. Ce dernier accepte, notamment

par ses engagements conventionnels, de respecter et garantir des droits et liberts au

profit de toutes les personnes qui sont sous sa juridiction. Le concept juridique de

juridiction formalise en quelque sorte le champ de la relation qui se noue entre lindividu

et lEtat et quil convient damnager.

Le prambule du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est trsclair cet gard :

Les Etats parties au prsent Pacte,

Considrant que, conformment aux principes noncs dans la Charte des Nations

Unies, la reconnaissance de la dignit inhrente tous les membres de la famille

humaine et de leurs droits gaux et inalinables constitue le fondement de la libert, de

la justice et de la paix dans le monde,

Reconnaissant que ces droits dcoulent de la dignit inhrente la personne humaine,

Reconnaissant que, conformment la Dclaration universelle des droits de l'homme,

l'idal de l'tre humain libre, jouissant des liberts civiles et politiques et libr de la

crainte et de la misre, ne peut tre ralis que si des conditions permettant chacun

de jouir de ses droits civils et politiques, aussi bien que de ses droits conomiques,

sociaux et cult