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Nalini Balbir Le monde médian : une peinture cosmologique jaina sur tissu déposée au musée Guimet In: Arts asiatiques. Tome 64, 2009. pp. 27-41. Citer ce document / Cite this document : Balbir Nalini. Le monde médian : une peinture cosmologique jaina sur tissu déposée au musée Guimet. In: Arts asiatiques. Tome 64, 2009. pp. 27-41. doi : 10.3406/arasi.2009.1685 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arasi_0004-3958_2009_num_64_1_1685

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Nalini Balbir

Le monde médian : une peinture cosmologique jaina sur tissudéposée au musée GuimetIn: Arts asiatiques. Tome 64, 2009. pp. 27-41.

Citer ce document / Cite this document :

Balbir Nalini. Le monde médian : une peinture cosmologique jaina sur tissu déposée au musée Guimet. In: Arts asiatiques.Tome 64, 2009. pp. 27-41.

doi : 10.3406/arasi.2009.1685

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arasi_0004-3958_2009_num_64_1_1685

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Résumé en japonais.

RésuméLa cosmologie est un domaine du savoir que les jaina ont cultivé d'une manière très originale. Elle faitpartie des fondamentaux de l'enseignement, et se déploie en multiples traités, où la représentationvisuelle est étroitement associée au texte. Outre les feuillets de manuscrit, on trouve, depuis le XIVe s.dans l'Inde occidentale, de grandes peintures sur tissu qui représentent notamment le monde médian,seul espace où les humains peuvent vivre et progresser jusqu'à la Délivrance. D'où son importancepédagogique. Ce monde médian comporte deux continents et demi et les deux océans qui leur sontassociés (Ahāīdvīpa). Le présent article décrit l'un deces objets (non daté, XVIIIe-XIXe s. ?). Il avait appartenu à Colette Caillat (1921-2007), indianisterenommée, auteure, entre autres, d'un ouvrage magistral sur la cosmologie jaina. À sa mort il a étéoffert à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont elle était membre depuis 1988, et récemmentdéposé au Musée Guimet. La peinture, très détaillée, est accompagnée de nombreuses légendes. Enoutre, elle est augmentée d'un texte continu, très substantiel, et de tableaux annexes disposés sur letour. Elle fournit donc un concentré d'enseignement où l'image et le texte se nourrissent l'un l'autre.

AbstractThe median world : a jaina comologic cloth paiting preserved at the Musée Guimet.Cosmology is a field of knowledge for which the Jains have contributed in an original way. Its principlesare part of the teaching and are given elaborately in a number of treatises where text and visualrepresentations are closely connected. Beside illustrated pages of manuscripts, one also finds inWestern India from the 14th century onwards large cloth paintings representing, especially, the MiddleWorld. This part of the world is the most important, for it is only there that human beings live and canhope to reach deliverance from rebirth. Hence it is important to know what it is. It consists of twocontinents and a half and the two oceans associated with them (Ahāīdvīpa). This paper is meant todescribe one such painting (not dated, perhaps 18th-19th cent.). It had belonged to Colette Caillat(1921-2007), a leading French indologist who wrote a magisterial study precisely on Jaina cosmology.After her death it has been donated to the Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, of which shebecame a member in 1988, and is preserved at the Musée Guimet. This very detailed painting hasdetailed captions, and, on its sides, a substantial text with tables. Hence it is a specially interestinginstance of how visual representation and text support each other in the teaching.

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Nalini Balbir

Le monde median .

une peinture cosmologique jaina sur tissu

déposée au musée Gui met1

Résumé

La cosmologie est un domaine du savoir que les jaina ont cultivé d'une manière très originale. Elle fait partie des fondamentaux de l'enseignement, et se déploie en multiples traités, où la représentation visuelle est étroitement associée au texte. Outre les feuillets de manuscrit, on trouve, depuis le xiv6 s. dans l'Inde occidentale, de grandes peintures sur tissu qui représentent notamment le monde médian, seul espace où les humains peuvent vivre et progresser jusqu'à la Délivrance. D'où son importance pédagogique. Ce monde médian comporte deux continents et demi et les deux océans qui leur sont associés (Adhâïdvïpa). Le présent article décrit l'un de

Abstract

The median world: a jaina comologic cloth paiting preserved at the Musée Guimet

Cosmology is a field of knowledge for which the Jains have contributed in an original way. Its principles are part of the teaching and are given elaborately in a number of treatises where text and visual representations are closely connected. Beside illustrated pages of manuscripts, one also finds in Western India from the 14th century onwards large cloth paintings representing, especially, the Middle World. This part of the world is the most important, for it is only there that human beings live and can hope to reach deliverance from rebirth. Hence it is important to know what it is. It consists of two continents and a half and the two oceans associated with them (Adhâïdvïpa). This paper is meant to describe one such painting (not dated, perhaps 18th-19lh cent.). It had belonged to Colette Caillât (1921-2007), a leading French indologist who wrote a magisterial study precisely on Jaina cosmology. After her death it has been donated to the Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, of which she became a member in 1988, and is preserved at the Musée Guimet. This very detailed painting has detailed captions, and, on its sides, a substantial text with tables. Hence it is a specially interesting instance of how visual representation and text support each other in the teaching.

ces objets (non daté, xvmc-xixe s. ?). Il avait appartenu à Colette Caillât (1921-2007), indianiste renommée, auteure, entre autres, d'un ouvrage magistral sur la cosmologie jaina. À sa mort il a été offert à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont elle était membre depuis 1988, et récemment déposé au Musée Guimet. La peinture, très détaillée, est accompagnée de nombreuses légendes. En outre, elle est augmentée d'un texte continu, très substantiel, et de tableaux annexes disposés sur le tour. Elle fournit donc un concentré d'enseignement où l'image et le texte se nourrissent l'un l'autre.

(Colette Caillât, 1921-2007)

1. Cette peinture avait été offerte en 1988 à Mme Colette Caillât lors de son entrée à l'Institut (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres). Le choix avait été dicté par l'intérêt de la récipiendaire pour la cosmologie jaina, à laquelle elle a consacré un ouvrage magistral (Caillât 1981; version augmentée Caillât 2004). Après le décès de Colette Caillât, survenu le 15 janvier 2007, cette pièce a été donnée à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et se trouve en dépôt au Musée des Arts asiatiques, Guimet. — Une notice sur la vie et les travaux de Colette Caillât figure, par exemple, dans Balbir 2007.

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Fig. 1 : Le triple monde sous forme d'homme cosmique : les sept étages inférieurs représentent les sept enfers, les quatorze supérieurs autant de séjours divins. Au centre figure le monde des humains. Sur la tête, le croissant de lune représente la Siddhi, Perfection de la Délivrance. Le cou est également le siège de divinités. Manuscrit sur papier du Samgrahanlratna de Srïcandra, daté de 1642 apr. J.-C, fol. 28A, British Library Or. 13454. D.R.

Fig. 2 : La triple enceinte comme archétype : représentation plane des trois enceintes du samavasarana, lieu du prêche général des Jina. Manuscrit sur papier du Kalpasùtra, daté de 1445 apr. J.-C, fol. 32B, British Library Or. 13700. D.R.

Depuis plus de mille ans avant notre ère, les écoles de pensée et les cercles religieux indiens s'interrogent sur la place de l'homme dans le monde et replacent l'existence individuelle à un moment donné, dans un lieu donné, au sein d'un cadre cosmologique susceptible d'intégrer la diversité des destinées auxquelles chacun peut prétendre en fonction de ses actes {karman) et de localiser les êtres. Des Upanisad aux Purâna, la tradition brahmanique développe le sujet : le monde est triple, la représentation sous la forme d'un œuf cosmique s'impose2. De leur côté, les jaina forment une communauté identifiable au moins depuis le vi'-v*' s. avant notre ère. En opposition avec certains principes du brahmanisme, critiqués dans l'enseignement de leur maître, le Jina Mahâvïra, à peu près contemporain du Bouddha et enseignant dans la même région, les jaina élaborent un système conceptuel distinct et original. Tout, pourtant, n'y est pas radicalement différent de la tradition dominante du brahmanisme, car, toujours minoritaires, les jaina ont nécessairement subi l'influence du contexte ambiant : ainsi, pour eux aussi, le monde {loka) est triple. En revanche, il n'a ni début ni fin, et n'a été créé par personne, et le système cosmologique cohérent qu'ils ont développé est devenu un signe de leur identité.

Toujours présents dans l'Inde d'aujourd'hui, où ils comptent quelques millions de fidèles, les jaina sont particulièrement actifs dans l'ouest et le centre de l'Inde (Uttar Pradesh, Gujerat, Rajasthan, Madhya Pradesh, Maharashtra). Depuis l'époque médiévale (xnc s.), ces régions, où les communautés marchandes d'obédience jaina ont joué un rôle économique déterminant, sont aussi celles qui ont vu naître un patrimoine culturel et religieux d'une très grande richesse : qui n'a devant le regard les fines dentelles des temples en marbre blanc de Ranakpur, Abu et Shatrunjaya, ou les enluminures aux couleurs vives et captivantes de tel feuillet manuscrit ? Les jaina ont, en effet, mis « l'art au service de la foi » (Caillât 1996) sous les formes les plus variées.

2. Caii.i.at 1981, fig. 12 ; Kirfel 1920, p. 55.

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Les statues ou les images des Jina et des religieux, les scènes de prêche ou d'épisodes légendaires sont des formes attendues de l'expression de la foi religieuse des jaina. Les représentations abstraites ou figurées du monde sont aux fondements de cette foi car elles contiennent en elles, et dans le texte qui les accompagne souvent, des données qui sont source de connaissance. Or les jaina tiennent à ce point : l'adhésion à l'enseignement est un acte en partie rationnel. On choisit de suivre cet enseignement parce qu'on a reconnu la justesse de ses principes.

Selon les jaina, le loka renvoie aux cinq catégories ontologiques de base (âmes, mouvement, repos, matière et espace) qui infusent l'univers. L'espace est le cadre de la perception et de l'action : les êtres, des plus minuscules aux plus développés, s'y meuvent et s'y déplacent, montant et descendant, à mesure de leurs existences dans le tourbillon des transmigrations {samsara). Le monde constitue un système structuré de lieux interdisant fusions et interpénétrations, où les êtres ont chacun une place qui est temporaire. Ils passent de l'humain à l'animal, à l'infernal ou au divin en fonction de leurs actes, tant que ne sont pas réunies les conditions susceptibles de mener à la Délivrance et, de naissance en naissance, descendent ou montent allègrement dans les espaces qui forment le monde. Il se divise en trois étages : supérieur pour différentes variétés de dieux, inférieur, en sept niveaux, pour les êtres infernaux - qui comprennent certains groupes de dieux inférieurs - central pour les humains et les animaux. Les dieux ne représentent aucun idéal : la vie de plaisirs qu'ils mènent aura nécessairement une fin. L'homme cosmique dressé figure couramment ce schéma dans les manuscrits jaina sur papier ou les peintures sur tissu, sans qu'on puisse dire quelle est l'ancienneté d'une telle représentation (fig. 1). Toujours est-il que cette triple division parcourt la conception jaina du monde. Archétypale, elle définit d'autres structures qui apparaissent comme autant de représentations du macrocosme : ainsi, le samavasarana, ou prêche général au cours duquel un Jina parvenu à l'Omniscience s'adresse à l'ensemble de la création, compte trois enceintes ; maquette en trois dimensions en métal ou en pierre située à l'intérieur du temple, il évoque le monde

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Fig. 3 : Maquette contemporaine du Jambûdvïpa, en cours de construction (1980). Autour du Meru qui se dresse au centre, on voit alterner, de part et d'autre, chaînes de montagnes et continents. Le rectangle compartimenté et hérissé de tours représente le Mahâvideha. L'ensemble est baigné par le Lavanasamudra. Hastinapura, Uttar Pradesh, Inde. Cliché Nalini Balbir.

en miniature3. Diagramme plan, il a une forme circulaire identique à celle qui figure les continents de la cosmologie (fig. 2). Autant de réalisations qui renvoient à la forme fondamentale du mandala et à ses nombreuses variantes4.

Textes sur le monde, images du monde

La cosmologie jaina va très loin : elle donne un exemple excellent et extrême des efforts de l'esprit humain pour saisir l'univers sous la forme de schémas idéalisés d'une rare complexité qui offrent un curieux mélange d'observations empiriques et de calculs très poussés, de faits et d'inventivité intellectuelle. Le savoir mathématique (arithmétique et géométrie) trouve là une application particulière car les recensements et décomptes de toute espèce sont un élément fondamental des analyses. Ces dernières se déploient en une multitude de traités, dont le canon svetâmbara (mis par écrit au Ve s. de notre ère) contient les premiers. Rédigés en prakrit de type ardhamàgadhl, le Jïvâjïvàbhigamasûtra décrit la relation entre l'ensemble des êtres vivants {jïvd) et leur situation dans le monde, la Jambûdvïpaprajnapti a pour sujet « l'île du pommier rose » (Jambûdvïpa), ou continent central du monde des humains, tandis que les Sùrya- et Candraprajnapti sont consacrés au soleil et à la lune, et plus largement à tous les

phénomènes célestes. L'enseignement de la cosmologie traditionnelle appartient aux fondamentaux de l'éducation monastique. Il est dispensé oralement par l'intermédiaire des maîtres qui s'appuient sur les livres canoniques susdits, sur les apho- rismes sanskrits du Tattvàrthasûtra d'Umâsvâti (V s.), qui en dérivent, ou sur les réécritures et nouvelles présentations auxquelles ils donnent lieu. Trois ouvrages tiennent la vedette parmi les svetâmbara : le Samgrahanlratna de Srïcandra (xme s.) et le Laghuksetrasamâsa de Ratnasekharasûri (xiv6 s.) sont tous deux en prakrit ; le Lokaprakâsa de Vinayavijaya (xvne s.) est en sanskrit. Le nombre d'exemplaires manuscrits qu'en possèdent les bibliothèques traditionnelles indique leur popularité. D'autre part, la Jambûdvïpasamgrahani (aussi connue sous le nom de Laghusamgrahanî), en prakrit, fait partie des ouvrages au programme des premiers niveaux de l'éducation monastique5. Ces ouvrages étaient et sont étudiés le plus souvent par l'intermédiaire de commentaires ou de traductions littérales en langues vernaculaires (gujerati, hindi), dont le nombre est inépuisable. Aujourd'hui, ce sont les éditions courantes qui les rendent disponibles. Cet enseignement reste d'actualité et les progrès de la science ne suffisent pas à l'ébranler : ainsi, au début du xxe s., le religieux Jinavijaya (1888-1976), connu pour son franc-parler et l'originalité de ses vues, se plaint dans son autobiographie que ses maîtres ignorent absolument les acquis de la recherche et continuent à répéter les principes de la cosmologie traditionnelle

3. Voir à ce sujet Hegewald 2007. 4. Certains catalogues appliquent abusivement ce terme aux peintures cosmologiques jaina, alors que la tradition elle-même ne l'emploie guère.

5. Cort 2001, p. 334 ; traduction anglaise dans van den Bossche 2007. La Brhatsamgrahanï et le Ksetrasamàsa sont, quant à eux, étudiés au sixième niveau.

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Illustration non autorisée à la diffusion comme s'ils vivaient hors du monde6. Dans les trente dernières années, le nombre de maquettes du cosmos à grande échelle disposées en annexe des temples s'accroît régulièrement (fig. 3), afin de continuer à diffuser auprès des nouvelles générations ces principes millénaires, toujours vivaces au cœur des fidèles7.

Au texte, d'une haute technicité, s'ajoute l'image, tentative pour visualiser l'abstrait. Les trois ouvrages cités sont aussi ceux dont il existe le plus de manuscrits illustrés : diagrammes colorés, images d'animaux, de dieux, des supplices infernaux, et tableaux en tout genre notant les calculs ou les classifications sont tenus pour autant d'aides à l'enseignement et permettent de suivre le développement de manière systématique. Ils occupent l'intégralité d'un feuillet, ou seulement un coin de ce dernier8 (fig. 4). Ces cartes du monde circulent parmi les moines : Jinavijaya raconte ainsi comment, intéressé par le sujet, il prend toutes celles qu'il peut trouver, les conserve avec soin et les examine régulièrement pour s'imprégner de leur sens (1976, p. 77).

Par ailleurs, la peinture cosmologique jaina est aussi un genre à part, indépendant d'un texte donné, et à une autre échelle : sur papier ou sur tissu se multiplient des représentations qui se déploient largement sur l'intégralité du support choisi, soignent le décor et le détail, et, le cas échéant, sont enrichies d'un commentaire textuel plus ou moins fourni. Les unes montrent le triple monde (sous forme de géant cosmique). Les autres, bien plus nombreuses, donnent à voir le monde médian {madhyaloka) représenté sous la forme de cercles concentriques successifs. L'abondance de ces images a une explication : le monde médian est celui où vivent les âmes susceptibles de gagner la Délivrance. D'un point de vue didactique, il est donc le plus important, bien que, en taille, il soit le plus petit. Dans sa forme la plus simple, ce monde comporte Y axis mundi, le Meru, autour duquel est figuré le premier continent, le Jambùdvïpa ou île du Pommier rose, entouré du Lavanasamudra (« Océan salé »). Dans son état complet, le monde médian est formé de deux continents et demi, soit le Jambùdvïpa et le Lavanasamudra, puis le Dhâtakïkhanda et le Kâlodadhi (« Océan aux eaux noires »), et la moitié du continent suivant, le Puskaradvîpa, d'où le nom d'Adhâïdvïpa (en gujerati) sous lequel est couramment connu ce type de représentation. Le document étudié ici en est un exemple (fig. 5). Il est impossible de dire à quand remonte l'apparition de cette forme de visualisation car il est rare que ces pièces soient datées9. Aucune n'est vraisemblablement antérieure

Fig. 4 : Le Jambùdvïpa (à gauche) et l'Adhâîdvïpa (à droite). Feuillet de manuscrit de Samgrahanî, Gujerat, xvr-xvn" s. © Ramesh D. Malvania.

au XIVe siècle10. Les données disponibles montrent que la production culmine entre les xvne et le début du xxe siècle dans la région dominante de l'activité jaina svetâmbara : l'Inde occidentale, soit le Rajasthan et le Gujerat d'aujourd'hui, où dominent les groupes monastiques du Tapâgaccha et surtout du Kharataragaccha auxquels se trouvent associés deux Adhâïdvïpa datés (voir Annexe 2). Un recensement de toutes les pièces est hors de portée, car nombre d'entre elles, apparues sur le marché de l'art en Inde et en Occident (où leur parenté avec les mandata les mit à la mode), sont détenues par des collectionneurs particuliers et n'ont fait l'objet d'aucune description publique11.

La peinture du Musée Guimet

La peinture de l'Adhàïdvïpa, désormais propriété de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, en dépôt au Musée Guimet, mesure 142 x 152 cm. Comme d'autres du même type, elle est effectuée sur un tissu de coton de couleur crème. L'objet est en excellent état, malgré quelques tâches brunes éparses. Il a été placé sous un cadre de verre, qui le rend assez lourd. Malheureusement, la pièce a été mal orientée lors de l'encadrement. L'orientation correcte est celle des photographies qui accompagnent cet article : des deux lignes transversales verte et rouge, la verte doit venir en premier à partir du haut (le nord), la rouge ensuite12. Une bordure emplie de jaune ceinture la toile, presque carrée, dans laquelle s'inscrit la peinture circulaire des deux continents et demi. Des sections de texte entourent la peinture en rangs serrés (environ 5 000 mots, 30000 signes ; cf. Balbir 2009). La présence de portions de texte n'est pas unique sur de telles pièces, mais elles sont ici particulièrement fournies. La langue en est un mélange de gujerati et de rajasthani, si l'on excepte trois citations (deux en prakrit, une

6. Jinavijaya 1976, p. 77-78. 7. Comme le montre la photographie reproduite dans van Alphi-n 2000, p. 48. On y voit un moine digambara enseignant la cosmologie à l'aide d'un classeur où sont rangées des reproductions modernes de diagrammes anciens. 8. Ce sont les images issues de tells manuscrits qui illustrent Caillât 1981 et 2004. 9. Voir Annexe 2 pour deux exemples datés, l'un do 1816 (Royal Asiatic Society), l'autre de 1891 (British Library Add. Or. 1812 et 1813), dont le bref colophon indique également le lieu d'exécution : Bikaner au Rajasthan.

10. Shah 1978, Appendice p. 87: "These representations on Patas, i.e. cloth or paper paintings were very popular, though hardly any such patas prior to c. 14"' century A.D. have survived". 11. Voir des éléments d'information dans l'Annexe 2. 12. Voir ci-dessous. Cette erreur n'est pas rare: Pal 1994, n° 98a, la

photographie de la pièce du Wellcome Trust (« 5751 81 i ») et celle du Victoria and Albert Museum (« Cire. 91-1970 ») mises en ligne sur les sites de ces institutions en sont trois autres exemples.

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en sanskrit). L'écriture est une devanagan classique pour l'Inde occidentale. La taille n'en est pas uniforme : moyenne en général, plus petite par endroits. L'encre est tantôt bien noire, tantôt plus claire. L'espace est surrempli, si l'on excepte, à droite, une large bande demeurée vide, et, dans le haut à gauche, un petit espace également resté blanc. Il est probable que l'auteur de la peinture et l'auteur du texte étaient deux personnes différentes. Le premier a pu ménager un espace d'écriture pour le second, qui ne l'a pas exploité complètement. Ce dernier paraît pourtant avoir écrit tout ce qu'il souhaitait : la formule de bénédiction srïr astu//kalyânam astu // subham bhavatu //// « que la prospérité soit ! Que le bon règne ! Que l'auspicieux soit ! », qui termine la partie supérieure droite de l'objet, pourrait indiquer qu'il a volontairement laissé vide le reste de l'espace disponible (fig. 6). Les informations factuelles qu'on aurait pu souhaiter avoir sur le scribe, le peintre, le lieu, la date, et leurs motivations, font malheureusement défaut13. Le texte est noté dans plusieurs directions. Pour en lire tous les compartiments, il faut donc que l'objet soit posé à plat (sur le sol, par exemple) et que le lecteur se déplace autour. Cette situation n'est pas incompatible avec la dénomination de pàta « rouleau », appliquée, par exemple, à YAdhàldvlpa de la Royal Asiatic Society (Londres). L'objet peut fort bien être roulé pour être déplacé, puis posé pour être vu. Si, en revanche, il est suspendu, certaines portions ne pourront en être lues que moyennant des contorsions. Il n'est pas sûr que cela soit un inconvénient majeur, si l'on admet que la peinture est l'élément prioritaire de l'ensemble. Dans le cas présent, cependant, le texte est si développé et si précis qu'il est difficile de ne pas lui attribuer d'importance. D'autre part, dans un enseignement bien conçu, image et texte convergent vers le même but et se renforcent mutuellement. Si les données relatives à la finalité de tels documents sont rares, il est clair qu'ils sont, de la part de leur(s) auteur(s), une preuve de leur propre foi, mais aussi une base pour leur enrichissement personnel. Le colophon du rouleau de la Royal Asiatic Society précise ainsi que, copié par un moine, il est la propriété d'un individu (pandit ? moine ?) et fait pour être lu par lui. En revanche, on manque d'indication qui permettrait de conclure que ces rouleaux faisaient l'objet d'un usage public et solennel (dans un temple, lors d'une fête), sans pouvoir exclure totalement cette éventualité.

La peinture cosmologique jaina est une peinture savante qui repose sur une tradition millénaire. Elle est la visualisation d'un savoir dont tous les éléments sont fondés et doivent être identifiés. Cette préoccupation explique que la plupart des Adhâïdvîpa soient légendes : le texte, présent au sein de la peinture, souvent en écriture de petite taille (difficilement lisible par un autre que son auteur), a tendance à l'envahir. Il donne les noms des constituants, mais aussi souvent des calculs annexes ou des indications supplémentaires. Les éléments figurés sur les Adhâïdvîpa sont

13. Voir ci-dessous Annexe 2 pour les colophon figurant dans le document de la Royal Asiatic Society et dans l'un de ceux du Victoria and Albert Museum.

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Fig. 5 : Le monde des humains : vue d'ensemble de l'Adhàïdvïpa, peinture sur coton (Gujerat - Rajasthan, xvme-xixe s.), Académie des Inscriptions et Belles- Lettres/Musée Guimet. Cliché N. B.

Fig. 6 : Détail du texte montrant la formule de bénédiction qui clôt la première zone de texte. Adhâïdvîpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres/Musée Guimet. Cliché N. B.

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Illustration non autorisée à la diffusion Fig. 9 : Les monts Meru du Dhâtakîkhanda et du demi-Puskara. Adhàîdvîpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 7 : Le monde des humains, peinture sur coton (Rajasthan, daté de 1816) : Londres, Salle de lecture de la Royal Asiatic Society. © Royal Asiatic Society.

Fig. 10 : Détail représentant deux des quatre monts Isvakâra (« en forme de flèche »), symbolisés ici par des statues de Jina, les vases des marées dans le Lavanasamudra et les répliques de la ville d'Ayodhyâ sur les deux parties du Dhâtakïkhanda et du demi-Puskara. La croix rouge représente le Khandaprapàta, un réservoir par lequel passent les rivières. Adhàîdvîpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 8 : Le mont Meru au contre du monde des humains. L'arc de cercle au nord représente deux des montagnes dites « Défenses d'éléphant », entre lesquelles est situé l'Uttarakuru, tandis qu'au sud, en tous points symétrique, se trouve le Devakuru. L'Uttarakuru abrite l'arbre Jambû, le Devakuru l'arbre Sâlmali. Dix lacs baignent ces deux terres. Adhàîdvîpa, Académie des Inscriptions et Belles- Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 11 : Provinces, montagnes et rivères dans le Mahâvideha oriental. Adhàîdvîpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

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Fig. 12 : Animaux marins dans les deux océans du monde des humains, le Lavanasamudra et le Kâlodadhi. Adhâïdvîpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 13 : a. Jina en padmâsana dans le sanctuaire situé à l'angle inférieur droit.

récurrents : ainsi, dans une grande mesure, toutes les pièces se ressemblent (fig. 7). Le nôtre en offre les caractéristiques obligées. Au centre on voit le Mont Meru (sous la forme d'un cercle jaune ; fig. 8). Il constitue le cœur du Jambùdvïpa, où se trouve la terre de Bharata (l'Inde). Le Jambùdvïpa est enserré dans l'océan Lavanasamudra, suivi du deuxième continent appelé Dhâtakïkhanda, de l'océan dit Kâlodadhi (« aux eaux noires »), et de la moitié du continent suivant, le Puskaradvîpa. Il s'interrompt brusquement avec une chaîne de montagnes, figurée par un rempart crénelé, ici de couleur rose, qui marque la limite où s'arrête le monde des humains. Le principe de symétrie domine la cosmologie jaina : la barre de montagne Isvâkàra (« en forme de flèche ») traverse à la verticale le Dhâtakïkhanda et le demi- Puskara, définissant ainsi quatre moitiés dont chacune est la réplique du Jambùdvïpa. Un Adhâïdvîpa ne compte donc pas un seul Meru, mais cinq, ici sous la forme d'autant de petits disques jaunes (fig. 9). Récurrence et répétition ne signifient pas uniformité totale : l'artiste exerce sa liberté dans le détail. La chaîne de l'Isvâkâra est ici symbolisée par quatre Jina en padmâsana (fig. 10), que mentionne le texte d'accompagnement (Balbir 2009, p. 255 et 275), tandis que d'épaisses lignes ou des losanges suffisent à la figurer sur d'autres pièces14.

Le disque du Jambùdvïpa est traversé d'est en ouest par des chaînes de montagnes que les artistes représentent chacune par

14. Représentation figurative comparative à celle-ci : exemples Caillât 1981 et 2004 n° 59, Pal 1994 n° 98b, van Alphen 2000 n° 43 et n° 45 ; non figurative : exemples Caillât 1981 et 2004 n° 54, Pal 1994 n° 98a, van Alphen 2000 n° 42.

une ligne de couleur : ce sont, de haut en bas, symétriquement ordonnées de part et d'autre du Meru, le Vaitàdhya-nord, le Sikha- rin, le Rukmin et le Nîla, puis le Nisadha, le Mahàhimavant, l'Hi- mavant et le Vaitàdhya-sud. Les couleurs qui leur sont attribuées sont en partie fixées. Ainsi, le Nïla, dont le nom signifie « bleu/ vert sombre », est le plus souvent figuré par une double ligne emplie de vert, le Nisadha par une double ligne emplie de rouge. Ces chaînes délimitent des continents, disposés symétriquement, soit, du nord au sud, l'Airâvata, le Hairanyavata, le Ramyaka, l'Uttarakuru (dans le premier arc de cercle), le Devakuru (dans le second arc de cercle), le Harivarsa, le Haimavata, et le Bharata. Les lignes intermédiaires figurent les principales rivières. De part et d'autre du Meru, s'étendent, sous la forme d'un rectangle divisé en seize compartiments, les trente-deux provinces qui constituent le Mahâvideha, terre à la géographie complexe (fig. 11).

Le Dhâtakïkhanda et le demi-Puskara sont les répliques du Jambùdvïpa, parcourus, comme lui, de chaînes de montagnes, divisés en terres, arrosés de multiples rivières. Les quatre losanges rouges, peuplés de couples, que l'on voit au nord et au sud de ces deux continents figurent la ville par excellence, celle d'Ayodhyà, dont ils ont, eux aussi, la réplique (fig. 10).

Les « vases » disposés aux quatre points cardinaux du Lavanasamudra sont un élément obligé de la représentation (fig. 10). Appelés pàtàlakalasa, ils sont à l'origine des marées et contiennent à la fois de l'eau et du vent. Leur total, ici de douze, n'est pas à prendre comme une donnée exacte : les textes d'accompagnement, comme l'ensemble de la tradition, en dénombrent quatre grands et 7784 plus petits. L'artiste

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ICO

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Fig. 14 : Détail de montagnes, de terres et de rivières de la partie nord du Jambûdvipa, accompagnées de leurs noms, de mesures, etc. Adhâïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 13 : b. Jina en padmâsana dans le sanctuaire situé à l'angle supérieur gauche, et deux sections du texte. Adhâïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

déploie sa créativité dans la peinture des animaux marins qui habitent les deux océans : poissons de facture réaliste, mais aussi créatures plus ou moins imaginaires (fig. 12).

Aux quatre orients, les statues de quatre Jina assis en padmâsana dans un sanctuaire sont un thème récurrent dans les figurations du monde des humains (fig. 13), dont le texte accompagnant la peinture mentionne la présence (Balbir 2009, p. 255 et 275). Elles rappellent que la Délivrance et, donc, la naissance d'un Tïrthamkara, maître passeur de gué, créateur de communauté, ne peut avoir lieu hors du madhya- loka. La représentation est ici stylisée : les Jina ne sont pas identifiables précisément. La structure architecturale présente les caractéristiques du temple jaina courant en Inde occidentale : sikhara au sommet duquel claque un fanion. Les Jina sont parés de tous les atours, comme il est d'usage parmi les jaina svetâmbara qui ne voient pas là de contradiction avec le détachement et la perfection absolus que symbolisent ces images.

La peinture est ici de bonne facture. Le foisonnement du monde est visible dans la multitude des éléments qui dessinent une géographie physique élaborée : rivières, terres, pics montagneux, villes, etc. Tous éléments que les peintres ont à cœur d'identifier avec précision, en emplissant les cercles concentriques de noms propres (fig. 14). La symétrie entre les sections du monde a pour corollaire la récurrence des mêmes noms. L'impression dominante est donc celle de la démultiplication d'un modèle unique, plutôt que d'une véritable variété.

Une fois peint l'Adhâïdvïpa, un espace plus ou moins important demeure généralement disponible sur le tour. Cet espace

est susceptible d'être diversement comblé, par de simples motifs ornementaux, par du texte et/ou par des peintures annexes qui font office de décor ou, plus souvent, complètent l'enseignement cosmologique. Un Adhâïdvïpa qui pourrait dater du xv s. (Pal 1994, n° 98a) se signale ainsi par une richesse particulière, où pédagogique et esthétique s'associent étroitement : un homme cosmique {lokapurusa) occupe le coin supérieur gauche15 et rappelle la structure générale de l'univers vu par les jaina tout en soulignant le lien entre microcosme et macrocosme. On voit dans le coin supérieur droit une représentation symbolique du Nandïsvaradvîpa, continent situé hors du monde des humains, le huitième à partir du centre, où les dieux qui célèbrent, entre autres fêtes, la naissance d'un futur Jina, vivent dans la joie. Dans le coin inférieur gauche, une structure à cinq étages, telle qu'on en voit des maquettes dans les temples, représente le Pancameru, soit les cinq Meru (voir ci-dessus), et, sous une forme différente du diagramme circulaire, représente donc le monde médian. Enfin, dans le coin inférieur droit, trône, assis en padmâsana, une statue de Indrabhûti Gautama placée dans un sanctuaire, devant laquelle se tiennent, les mains jointes, un moine, et deux laïcs, un homme et une femme. Premier disciple de Mahàvïra, ce personnage est le détenteur par excellence de l'enseignement dont il assure la pérennité et qu'il incarne. En outre, dans l'Inde occidentale s'est développé un culte particulier en son honneur (Dundas 1998), sur lequel cette représentation attire l'attention.

15. Sur la photographie telle qu'elle est. Mais rappelons qu'elle est mal orientée et devrait être retournée.

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Fig. 15 : L'arbre Jambû, situé en plein centre du Jambûdvïpa, et les temples disposés sur ses branches. Adhâldvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/ Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 16 : Schéma du mont Meru : ses terrasses et ses bois, sa pointe. Adhâïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 17 : Noms et mesures de onze continents et des onze océans correspondants. Adhâldvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Les auteurs de la peinture du Musée Guimet ont fait, quant à eux, d'autres choix, dont l'orientation est plus nettement didactique. Les éléments picturaux annexes y sont schématiques et ne se distinguent guère par une esthétique remarquable.

1) Dans la partie inférieure droite est peint l'arbre Jambû {Jambûvrksa), arbre éponyme du Jambûdvïpa, situé en plein centre, sur l'Uttarakuru. Des sanctuaires abritant des statues de Jina se trouvent au sommet de ces quatre branches ainsi qu'au sommet de la branche maîtresse (fig. 15).

2) La partie inférieure gauche est occupée par un schéma du Mont Meru et des bois qui le couvrent disposés en trois terrasses successives, jusqu'à la pointe (fig. 16). Par ailleurs, huit espaces de taille réduite ont été réservés

à des tableaux ou des diagrammes. Ils se trouvent sur les bords de la toile, encastrés dans le texte continu. L'un d'entre eux (dans le coin supérieur gauche) est demeuré vide, peut-être parce que sa fonction est de séparer les deux zones de texte de la toile. Les sept autres (de haut en bas, de gauche à droite) donnent des informations sur les points suivants :

1) Données numériques relatives à onze des principaux continents et aux onze océans correspondants (fig. 17). 2) Données numériques relatives aux constituants de la chaîne montagneuse des Vaitâdhya où régnent les vidyâdhara (possesseurs de pouvoirs magiques) : villes, portes, rivières, sommets, ceintures (fig. 18). 3) Diagramme en forme de lotus à huit pétales

représentant les quatre directions principales et les quatre directions intermédiaires (fig. 19). Il rassemble les données

numériques relatives au nombre de lotus présents sur chacun des six lacs situés sur les six principales chaînes de montagne. Ils sont associés à plusieurs groupes de divinités, qui peuplent ces lacs, et sont répartis en six cercles concentriques. Leur total est de 12 050 12016. 4) Diagramme circulaire inscrit dans un carré représentant les temples jaina et les Sommets des Siddha (fig. 20). 5) Noms des quatorze principaux grands fleuves et somme de leurs « escortes » {parivâra), c'est-à-dire les affluents qui viennent les grossir tout au long de leur parcours du lac de montagne dont ils naissent jusqu'à l'océan où ils se jettent (fig. 21). 6) Mesures de tous les constituants du Jambûdvïpa. Ce dernier s'étend sur 100 000 yojana d'ouest en est, et sur la même étendue du nord au sud (fig. 22). 7) Tableau relatif aux sept groupes d'îles intermédiaires (Antaradvïpa) du Lavanasamudra (fig. 23) : il donne pour chacun la distance par rapport au rempart du Meru et l'étendue17. Ces images et ces tableaux ou diagrammes sont

complémentaires du texte continu, qui y renvoie par le terme yantra ou yantra-sthàpanâ. Ils récapitulent, doublent ou complètent les données présentées sous forme rédigée. Celles-ci sont nécessairement partielles, tant la cosmologie jaina est foisonnante.

16. Tel est le total traditionnel que donnent toutes les sources. Erreur ou divergence volontaire, pour l'auteur de notre texte il se monte à 12 050 150, nombre écrit à la fois en chiffres et en mots. 17. Des tableaux et diagrammes similaires figurent sur l'Adhàîdvïpa reproduit dans van Alphhn 2000, n° 45 (autant qu'on puisse les lire).

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Fig. 18 : Données numériques relatives à la chaîne du Vaitadhya : villes, sommets, ceintures. Adhâïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 19 : Nombre et localisation des lotus, sièges de divers groupes de divinités, situés sur les six grands lacs. Adhâïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles- Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 20 : Temples jaina et monts des Siddha dans les huit directions. Adhâïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Les tableaux économisent l'espace et évitent la surcharge. De fait, l'auteur du texte est sensible au risque de lourdeur : en quatre endroits, il renvoie le lecteur au Jivajivâbhigamasûtra (voir ci-dessus) pour plus de détails, craignant de devenir trop long. Cette pratique est, en même temps, un moyen pour lui de souligner qu'il s'inscrit dans une tradition plus que respectable. Une autre fois, il invite à se reporter à « un autre ouvrage », sans plus de spécification.

Le texte continu, qui mérite une attention particulière (cf. Balbir 2009), est divisé en plusieurs sections {adhikàra) de tailles très inégales. Les débuts en sont très nettement marqués par des phrases de transition du type « maintenant est décrit ... », les fins par des phrases du type « voilà pour la section sur ... ». Sur la toile, les espaces attribués à chaque section sont souvent délimités par des lignes de couleur rouge, qui, toutefois ne sont pas toujours des frontières étanches (fig. 24). Abordant une multitude de sujets, ce texte équivaut à un véritable traité sur le monde médian, et suit le même cheminement que les ouvrages spécialisés de grande ampleur. En écriture devanâgarï, en une langue mêlant gujerati et rajasthani et en un style discursif souvent proche de l'oral, il ne s'interdit pas les références savantes à la tradition dont il est tributaire : quatre renvois explicites au Jivajivâbhigamasûtra, une citation provenant du Samgrahanlsûtra de Srïcandra, un début très inspiré du Laghuksetrasamâsa de Ratnasekharasûri.

L'espace d'écriture est divisé en deux grandes zones : la première va du coin supérieur gauche au coin supérieur droit de la toile puis se poursuit sur une petite portion de son côté droit jusqu'à la formule de bénédiction. L'image est circulaire ; le texte se déploie aussi en boucle : la phrase précédant la bénédiction (côté droit en haut) renvoie au schéma de l'arbre Jambù, situé, quant à lui, à l'angle inférieur droit. La seconde zone de texte part de cet angle inférieur droit, s'étend sur

l'ensemble du côté inférieur et se poursuit tout au long du côté gauche jusqu'à l'espace blanc. Elle se termine par un colophon de section et trois séries de danda qui marquent une ponctuation forte.

Étant donné la logique habituelle des traités sur l'Adhâïdvïpa et l'orientation de la peinture, il est vraisemblable que la zone supérieure constitue le début de l'ensemble18. En effet, son contenu progresse en allant du plus vaste - le groupe des onze principaux continents et océans - au plus précis, les deux continents et demi et leurs océans, sujet de la peinture. Après une brève section qui définit quelques unités de mesure utiles en cosmologie jaina {utsedhângula, palyopamà), vient la liste des principaux continents (complétée par le tableau n° 1) et une description d'ensemble des principaux d'entre eux. Le Jambùdvïpa est le centre d'intérêt suivant, avec les monts de la chaîne du Vaitadhya (tableau n° 2) et ses rivières. Les six montagnes centrales (Kulagiri) et surtout leurs lacs, peuplés de lotus et de divinités, donnent lieu à force détails. Les terres du Devakuru et de l'Uttarakuru et les autres chaînes de montagne sont passées en revue. Puis est abordée la description de l'arbre Jambû, situé en plein centre du Jambùdvïpa. Cette description se poursuit et s'achève dans la deuxième zone d'écriture. Viennent ensuite le Mahâvideha, les seize chaînes de montagne dites Vasâra, les forêts du Mahâvideha, les quatre montagnes dites « Défenses d'éléphant » du fait de leurs formes effilées qui enserrent l'Uttarakuru et le Devakuru, le mont Meru (hauteur, circonférences, niveaux), les secteurs qui composent le Jambùdvïpa, un décompte du nombre de pics montagneux et d'autres éléments, les mesures des réservoirs

18. L'ordre adopté dans notre document correspondrait ainsi, dans l'ensemble, à celui qu'adopte dans ses chapitres 16 à 23 le Lokaprakâsa, qui peut être considéré comme un classique en matière de cosmologie jaina svetâmbara.

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Fig. 21 : Les « escortes » des quatorze grands fleuves : noms et nombres. Ad hàïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 22 : Tableaux des mesures des constituants formant le Jambûdvlpa, dont l'étendue totale est de 100 000 yojana. Adhâïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 23 : Les sept groupes d'îles intermédiaires : distance par rapport au rempart du mont Meru et étendue. Adhâïdvïpa, Académie des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

des chutes des rivières Ganga et Sindhu, les mesures des pics. Le Lavanasamudra est l'objet d'une description particulièrement détaillée qui traite des vases des marées, des divinités « soutiens de rivage », chargées d'éviter inondation et raz-de- marée, de l'île Gotama dont le maître est le roi Susthita, des 56 îles intermédiaires, des humains qui les peuplent, vivant en paires et subsistant grâce à dix arbres à désir dont ils tirent tout ce dont ils ont besoin19. Suit la description du deuxième continent, le Dhâtakïkhanda, de l'océan qui lui correspond, le Kâlodadhi, et du Puskaradvïpa. Cette zone se clôt par une section dont la préoccupation est de distinguer nettement entre les espaces humains, terres de karman et donc de possibilité de progrès spirituel, et l'espace « au-delà de l'humain », ici hors-sujet. C'est donc une conclusion des plus opportunes pour ce document, concentré d'enseignement à observer aussi bien qu'à lire.

Nalini Balbir, professeur à l'université Paris III,

directeur d'études à l'EPHE, [email protected]

Fig. 24 : Disposition des sections de

texte, côté inférieur. Adhâïdvïpa, Académie

des Inscriptions et Belles-Lettre/Musée Guimet. Cliché N.B.

Fig. 25 : Détail montrant le colophon,

avec la date (1816), angle inférieur gauche

de l'Adhâïdvïpa, Londres, Salle de

lecture de la Royal Asiatic Society.

19. Il en va de même pour les habitants de l'Uttarakuru et du Devakuru. On comprend donc que ces terres ne soient pas dites karmabhûmi, mais bhogabhùmi, « terres de jouissances ».

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Annexe 1 : Liste (provisoire) d'Adhaidvîpa (mars 2009)

Support Caractéristiques iconographiques

Références bibliographiques

Lieu de conservation

Peinture sur coton

Peinture sur tissu

Peinture sur coton

Peinture sur coton

Peinture sur tissu

Peinture sur tissu

Peinture sur coton

Peinture sur coton

Peinture sur coton

?

?

121,9 x 121,9 cm

80 x 63,5 cm

?

?

119 x 117 cm

87 x 87 cm

120 x 120 cm

?

?

Ca. 1400

Non daté. XVIIe S.

Non daté, xvnr s.

Non daté. xWs.

Non daté, xvnr s.

Non daté, xvf-xvif' s.

Non daté, XVIIe' S.

Inde occidentale

Inde occidentale

Inde occidentale

Gujerat, Jamnagar (?)

Rajasthan

Gujerat

Rajasthan

Rajasthan

Inde occidentale

Aux quatre orients figurent des temples, mais les habituelles statues de Jina y sont remplacées par des motifs non figuratifs ; animaux sur le pourtour

Représentation classique, dénuée de trait notable

Homme cosmique (angle supérieur gauche), Nandîsvaradvipa stylisé (angle supérieur droit), Pancameru (angle inférieur gauche), Gautamasvâmin enseignant (angle inférieur droit), style traditionnel rappelant celui des enluminures manuscrites de l'époque Statue de Jina dans un temple faisant l'objet d'un culte joyeux (symbolisé par des danseuses) à chacun des quatre angles, influence moghole perceptible dans le style et les costumes

Statue de Jina dans un temple à chacun des quatre angles

Motif floral aux quatre angles représentant quatre kùta (légende) Peinture foisonnante et richement colorée

Exécution « populaire », relative fantaisie

Qualité esthétique remarquable

--

Petites portions de textes dans trois des quatre angles (illisibles sur la photographie)

Quatre portions de texte latérales (illisibles sur la photographie)

--

Texte de part et d'autre de chacun des temples (détail illisible)

--

--

--

Texte très fourni (mais illisible sur la photographie) et diagrammes

Reproduction en noir et blanc dans COOMARASWAMY 1914 ; repris dans Kirfel 1920, pi. 5

Reproduction en noir et blanc dans Kirfel 1920, pi. 6

Pal 1994, n° 98a, p. 223

Pal 1994, n° 98b

Caillât 1981 & 2004, n° 59

Caillât 2004, n°54

Van Alphen 2000, n°42

Van Alphen 2000, n°43

Van Alphen 2000, n°45

Collection particulière dA. Coomaraswamy

Deccan College, collection 1871/72, n°420

Coll. particulière

Coll. particulière

Coll. Ravi Kumar

Coll. Ravi Kumar

C.D.M., Bruxelles

Musée ethnographique d'Anvers

Rienk H. Kamer, La Haye

Note : toutes les pièces inventoriées dans ce tableau n'ont pu être observées directement. Les lacunes sont celles de leur source bibliographique

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Support iconographique1 Références

bibliographique conservation Peinture sur coton

Peinture sur coton

Peinture sur coton

Peinture sur coton

66,5 x 69 cm

90 x 90 cm

96 x 96 cm

110 x 107,1 cm

Non daté

Non daté

Non daté

Non daté, xrxe s.?

Inde occidentale

Inde occidentale

Inde occidentale

Inde occidentale

Joliment coloré. Esthétique traditionnelle

Esthétique plus moderne qu'à l'ordinaire

Se distingue des autres pièces décrites ici en ce qu'elle représente également, sous la forme d'anneaux concentriques, les continents et océans du monde au- delà des humains, du Puskarasamudra au Nandïsvaradvïpa

Iconographie inventive (les deux océans sont peuplés de créatures semi-fantastiques). La présence d'animaux de part et d'autre des temples figurés aux quatre angles est un trait inhabituel (deux aigrettes bleues et un centaure ; un cheval et un taureau ; un taureau et un lion ; un ]ion/sarabha et un lion blanc). Un Jina assis sur un trône est représenté au centre du Meru, habituellement vide de tout personnage.

Aux quatre angles ; en sanskrit et gujerati

Aux quatre angles ; en sanskrit et gujerati ; référence au commentaire du Laghuksetrasamâsa, citation attribuée au Sthânângasûtra, troisième livre du canon svetâmbara : « Après avoir fendu le monde des humains les eaux qui sortent du Puskara pénètrent dans l'océan Puskara ». Si elle ne paraît pas figurer dans le livre en question, elle apparaît à nouveau dans rAdhàïdvïpa du Wellcome Trust (voir ci-dessous)

Quelques mots de légende

Aux angles, portions de texte en rajasthani, de quelques lignes chacune, donnant les mesures traditionnelles des différents constituants du monde ; citation en prakrit attribuée au Sthânângasûtra, pour laquelle voir ci-dessus à propos de British Library Or. 13937

Balbir 2006, n°369

Balbir 2006, n°370

Balbir 2006, n° 372 et Archer 1981, p. 280-281

-

British Library Or. 13294

British Library Or. 13937

British Library Add. Or. 1814

Wellcome Trust, Londres, « Iconographie collections 575181Î », téléchargeable sur http://ïmages. wellcome.ac.uk/ ;vu sur pièce en mars 2009

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,, ,., ... ... ,. . . Caractéristiques ,., . References Lieu de Support laille Date Origine . .. lexte .. iconographiques bibliographiques conservation

Peinture sur coton

Peinture sur tissu

Peinture sur tissu

Peinture sur coton

54,5 x 55 cm

53 x 50,8 cm

153 x 144,5 cm

95 x 95 cm

Non daté, XIXe S.

Ere Vikrama 1873, ère Saka 1739 = 1816; voir ci- dessous Annexe 2

Daté : ère Vikrama 1901 = 1844 ; voir ci-dessous Annexe 2

Daté : ère Vikrama 1948 = 1891 (voir colophon dans Balbir 2006)

Gujerat

Rajasthan

Exécuté à Deshnok (Rajasthan)

Exécuté à Bikaner (Rajasthan)

Pièce de qualité sans trait particulier

Pièce de qualité, dont l'un des côtés est malheureusement déchiré

Pièce de facture très soignée ; couleurs vives, écriture nette. Bordure florale

-

Aux quatre angles, en huit compartiments

Aux quatre angles, en rajasthani

Aux quatre angles ; en outre, abondantes légendes dans la peinture même ; en rajasthani

Balbir 2006, n°373

Pièce analysée par moi-même en avril 2008 à la demande de Mme Kathy Lazenbatt, bibliothécaire de la Royal Asiatic Society

--

Balbir 2006, n° 371» et 371b

Victoria and Albert Museum Cire. 91- 1970 ; photographie disponible sur http://collections. vam.ac.uk/objectid/ 070207

Royal Asiatic Society, Londres

Victoria and Albert Museum, Londres, cote 6565 (IS), entré en 1879. Non catalogué. Montré par M. Nick Barnard, Conservateur, le 12 mars 2009

British Library Add. Or. 1812 et 1813

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Annexe 2 : Deux colophons d'Adhâîdvîpa conservés en Grande Bretagne

1. L'Adhaidvipa de la Royal Asiatic Society (fig. 25)

Brhat-Kharataragache srïJinacandrasùri-sàsârya-và°-srï 105 sriKusalabhaktajigani tat-sisya vâ° srî 104 srïSûpadhirajïgani tat-sisya pam° pra Tilokacandah Dayâcanda lisatam// sam. 1873 râ varse sàke 1739 pramite Yestha suda 3 dine // //paru, pra srî 105 srî srî Pâsadattajî ro pâta chai sva-vàcanâr- the sisàyo chai, subham bhavatuh //. Copié par Tilokacanda Dayâcanda, disciple de Sûpadhirajîgani, lui-même disiciple de Kusalabhaktagani, lui-même religieux disciple du (pontife) Jinacandrasùri du groupe « Grand Kharataragaccha »20. Le troisième jour de la quinzaine claire du mois de Jyestha (= juillet-août) en l'an 1873 de l'ère Vikrama et 1739 de l'ère Saka (= 1816 apr. J.-C). C'est le rouleau du pandita Pâsadatta, qui est fait pour être lu par lui. Que l'auspicieux règne !

2. MAdhâîdvïpa du Victoria and Albert Museum (« 6565 IS »)

Brhat-Kharataragacchem bha / jam / yu / pra ^ srîJinasaubhàgyasùrijï-vijaya-ràjye samvat 1901 varse miti Poha sudi 11 dine Desanoka-nagare li / pam / Devarâja. Copié par le Pandit Devarâja dans la ville de Deshnok22 le onzième jour de la quinzaine claire du mois de Pausa (= décembre-janvier), en l'an 1901 (de l'ère) Vikrama (= 1844 apr. J.-C), alors que régnait sur le « Grand Kharataragaccha » le pontife Jinasaubhàgyasùri, le chef ambulant de notre ère23.

20. Selon Vinayasàgara 2004, p. 245, ce Jinacandrasûri vécut de 1752 (ère Vikrama 1809) à 1799 (ère Vikrama 1856). Il était donc mort lors de l'exécution du présent document, ayant été remplacé par son successeur Jinaharsasûri.

21. Les syllabes bha jam yu pra sont les abréviations de bhattaraka « pontife », jamgama « mobile, ambulant » (référence à la mobilité continuelle du religieux jaina qui n'est théoriquement sédentaire que durant la saison des pluies), yuga- pradhâna « premier de l'ère », autant de termes élogieux qui s'appliquent au religieux à la tête d'un ordre monastique et sont d'usage courant, en particulier dans le Kharataragaccha. La terminologie et l'imagerie font volontiers de ce maître l'équivalent spirituel d'un roi. 22. Petite bourgade située à une trentaine de kilomètres au sud de Bikaner (Rajasthan). 23. Né en 1775 (1832 de l'ère Vikrama) et mort en 1860 (1917 de l'ère Vikrama), Jinasaubhàgyasùri était originaire du Marwar (Rajasthan), où il eut une activité religieuse importante, mais il se déplaça aussi jusque dans la région de Calcutta où il dispensa son enseignement aux communautés marchandes marwaries qui y étaient installées : cf. Vinayasàgara 2004, p. 247-252.

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Arts Asiatiques Tonic 64 - 2009 41