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Neuf mois pour être père. Chronique d'une attente

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NEUF MOIS POUR ÊTRE PÈRE

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COLLECTION LE PASSÉ RECOMPOSÉ

L'inconscient est hors du temps, il incombe au psychanalyste de l'inscrire ainsi dans le temps de chacun.

Francis PASCHE

Profession bébé, Bertrand Cramer, 1989. Les Adieux à l'enfance, Alain Braconnier, 1990. Les Premiers Liens, T. Berry Brazelton et Bertrand Cramer,

en coédition avec Stock-Laurence Pernoud, 1991. Oubliés des fées, Françoise Weil-Halpern, 1991. Un cri obscur, Denys Ribas, 1992. Journal d'un bébé, Daniel Stern, 1992. Peter Pan ou l'enfant triste, Kathleen Kelley-Lainé, 1992. Bébé blues, Pascale Rosfelter, 1993. La Douleur de l'enfant, Annie Gauvain-Piquard et Michel

Meignier, 1993. Dinosaur Man, Susan Baur, 1993.

DU MÊME AUTEUR

Entre père et fils : la prostitution homosexuelle des garçons, avec Corinne Gauthier-Haman, PUF, « Le Fil rouge », 1988.

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ROGER TEBOUL

NEUF MOIS POUR ÊTRE PÈRE

CALMANN-LÉVY

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ISBN 2-0721-2368-6

© Calmann-Lévy, 1994.

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À Michèle, sans qui ce livre n'aurait pas vu le jour.

À Noé et Jonas.

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Avertissement

Tous les prénoms des histoires cliniques rapportées dans cet essai sont inventés afin de préserver l'anony- mat.

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Préface

Je souhaite que le lecteur pressé ne se laisse pas atti- rer trop vite par l'expression pittoresque dont se sert Roger Teboul tout au long de son livre, qu'il ne cherche pas à trouver, derrière « l'homme enceint », les échos des thèses féministes selon lesquelles l'avenir pourrait permettre aux hommes de reprendre le far- deau de la grossesse. Aux États-Unis on emploie volon- tiers le terme de « grossesse » chez l'homme avec les pregnant husbands ou plutôt les pregnant couples 1 De même l'accouchement est supposé être une délivrance autant pour la mère que pour le père.

Les hypothèses qui prévoient des manipulations génétiques et hormonales pour que les hommes puissent mener une véritable grossesse sont de l'ordre de la propagande des médias. J 'ai d'ailleurs lu une publicité pour un appareil qui se vend en Suisse et qui permet au futur père de ressentir ce que la femme enceinte supporte du fai t de sa grossesse : il s'agit en bref d'un sac d'eau tiède suspendu par les épaules et attaché au ventre; les kilogrammes supplémentaires

1. Pedersen F.A., «Parent-infant and husband-wife inter- actions observed at age of five months in the father-infant rela- tionship », Observational studies in the family setting, New York, Praeger, 1980, p. 71-86.

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ainsi portés donneraient l'illusion d'une grossesse, sans doute plus tolérable que celle réalisée par les manipu- lations dont il a été question plus haut.

En vérité, la lecture de. ce livre a provoqué chez moi quelques réflexions que je me plais à transmettre ici. Je me rappelle l'observation d'un bébé de quatre semaines, Ariane, qui me fut amenée parce qu'elle ne dormait pas du tout1. À la vérité ses parents ne me l'amenèrent pas au cours de la première consultation, imaginant que je ne saurais rien faire de la présence de ce nouveau-né. Ils eurent cependant l'occasion, lors de ce premier contact, de m'exposer les conditions de « leur » grossesse, réalisée pour échapper au chagrin provoqué par leur fils aîné, profondément infirme après s'être noyé et avoir été réanimé. La mère, qui n'avait certainement pas lu les ouvrages de M. Klein, me décrivit la situation de la façon suivante : quand elle avait la tête pleine de soucis concernant son fils, sa poitrine se gonflait et elle ne pouvait prendre sa fille dans ses bras. Son bébé ne pouvait se fouir contre elle que dans les rares moments où elle était à l'aise.

Quant au père il déclara qu'il ne s'était pas senti « engrossé » et que l'accouchement ne l'avait pas « délivré ». En apportant ses soins à Ariane, la nuit, pour soulager sa femme, il ne se sentait que « l'inten- dant » de cette dernière.

Je vis Ariane une semaine plus tard. Sa mère eut l'occasion de me parler de son père, un escroc que sa mère n'avait pas hésité à faire arrêter.

Je revis quelques mois plus tard Ariane et sa famille. Le sommeil de l'enfant s'était rétabli. Son père venait de la reconnaître comme sa fille : un lundi il appela sa femme de son travail et lui demanda comment allait

1. Cette observation a été publiée dans Enfance retrouvée, Paris, Flammarion, 1992.

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« son » Ariane. Je présentais aux parents l'hypothèse selon laquelle il voulait peut-être aussi vérifier ce que faisait «sa» femme le lundi matin. La maman se révolta contre cette Idée : son mari ne pouvait pas être jaloux d'elle : il faisait l'amour pour son plaisir à lui, sans s'occuper d'elle.

À la fin de cette deuxième entrevue je demandai à la mère de m'expliquer les raisons pour lesquelles son fils s'était noyé. Son récit fut le suivant. Elle se trou- vait un samedi dans le jardin de l'immeuble profes- sionnel où ils habitaient et son fils jouait en la présence de ses parents. Survint un collègue de son mari qui déclara que si son fils restait dans ses jupes, il ne deviendrait pas un homme. Il proposa à la mère d'ame- ner le garçon de quinze mois avec lui pour laver sa voi- ture. Après une demi-heure, la mère, ne voyant pas revenir son fils, commença à s'inquiéter. Elle passa devant un bassin où elle crut voir un paquet de linge sale. C'était en fait son fils qui s'était noyé au moment du départ du laveur de voiture. L'enfant fut réanimé dans des conditions tout à fait hasardeuses.

C'est dans ce contexte que les parents reçurent le conseil de faire un deuxième enfant au plus vite. Ils s'exécutèrent. Secrètement ils espéraient ne pas avoir un autre fils alors qu'ils déclaraient tous les deux qu'ils en souhaitaient un. Ils furent très soulagés lorsque Ariane naquit.

En fait la mère s'accusait d'avoir négligé la sécurité de son fils. Elle l'avait remis à un homme imprudent à qui elle pouvait en vouloir, comme d'ailleurs à tous les hommes de sa vie: son mari, même pas jaloux, son premier mari qui l'avait abandonnée et surtout son escroc de père. Je me contenterai d'indiquer ici que la grand-mère maternelle d'Ariane avait dit à sa fille: « ton père est en prison. S'il en sort un jour et s'il te

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rencontre, tu ne le reconnaîtras pas. » C'est effective- ment ce qui se passa lorsqu'un homme dans le village qu'elle habitait chercha à prendre contact avec elle.

En d'autres termes, ce cas témoigne de la condam- nation qui porte, transgénérationnellement, sur tous les hommes-pères et qu'une imprudence d'un collègue du mari de cette jeune femme a déclenchée.

De nombreux auteurs ont cependant montré que les pères, pour s'occuper adéquatement de leurs enfants, devaient accepter l'épanouissement de la partie fémi- nine d'eux-mêmes. C'est ainsi qu'H. et M. Papousek parlent de « parentage intuitif1 ».

L. Frascarolo a présenté à Lausanne une thèse sur ceux qui se font appeler les « nouveaux pères » : leurs interactions avec leurs bébés ne sont pas meil- leures que celles entre les pères traditionnels et leurs enfants. Seule la quantité de ces échanges est en faveur de ceux qui veulent égaler le poids des tâches maternelles. De fait, J. Herzog et moi-même 2 croyons avoir nettement montré que l'influence du père se révèle par les traits de personnalité qui sont les siens et l'action que ces derniers ont sur le comportement du bébé, surtout s'il s'agit d'un gar- çon.

Une des préoccupations les plus récentes à pro- pos du père part de l'étude de la triade qu'il forme avec sa compagne et leur bébé et du passage de la triade à la triadification, puis à la situation trian-

1. H. Papousek et M. Papousek, « Intuitive parenting : a dia- lectic counterpart to the infant's integrative competence », in J. Osofsky (ed.), Handbook of infant development, 2 ed., New York, Wiley and Sons, 1987, p. 669-720.

2. J. Herzog et S. Lebovici, « La Condition paternelle » in S. Lebovici et F. Weil-Halpern (ed.), Psychopathologie du bébé, Paris, PUF, 1989.

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gulaire. Une étude en cours a été présentée par sept auteurs1 :

1 - La triade c'est d'abord être deux plus un. Il s'agit donc de quatre situations, mère plus bébé, père plus bébé, père plus mère et la vraie situation tria- dique, père plus mère plus bébé.

2 - Parmi les sept auteurs cités, E. Fivaz-Depeur- singe et A. Corboz estiment que la situation triadique existe d'emblée, sans qu'elle ait besoin d'être contex- tualisée par le fait initial d'être une dyade plus un.

3 - La triade définie par des relations interper- sonnelles, doit aboutir à des relations intersubjectives et intrapsychologiques. Ce dernier lien implique l'organisation œdipienne où le père, objet d'amour de la mère, sépare cette dernière de son bébé. Du côté de celui-ci, ce processus implique la mise en jeu de la théorie de l'esprit (theory of mind), c'est-à-dire la pos- sibilité qu'a le bébé de prêter des intentions à ceux qui l'entourent: le père est devenu l'étranger, objet pho- bogène de l'angoisse du huitième mois, la première figure nette de la rupture menaçante des liens d'atta- chement.

Dans ces conditions, le processus de paternalisation est lié à un. certain nombre de facteurs :

1 - Le rôle spécifique du père est maintenant déter- miné, du moins dans notre culture.

2 - Dans ces conditions, le père interdit l'inceste, en figurant à la fois les interdictions du surmoi et les idéalisations de l'idéal du moi.

3 - Pour les garçons, il est l'objet des premiers attachements homosexuels.

1. F. Fivaz-Depeursinge, D. Stem, D. Bürgin, J. Byng-Hall, A. Corboz-Warnery, M. Lamour, S. Lebovici, « The dynamics of Interfaces : seven authors in search of encounters across levels of description of an event involving a mother, father and baby », Infant Mental Health Journal, vol. 15, n° 1, 1994, p. 70-89.

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Le père et la mère, au cours du processus de paren- talisation, sont unis, au moins après la naissance de l'enfant, par leur expansion narcissique qui investit le bébé, celui que Freud appelait « sa majesté le bébé ». Si la mère est capable, selon l'expression de Bion, d'une « rêverie » qui permet de détoxiquer les angoisses mortelles du jeune enfant, elle en fait aussi bien le support de ses projections identificatoires 1.

À ces moments, le jeune enfant, grâce à l'union des représentations des soins maternels et le début de son expérience de continuité psychique (le self ou soi) est capable de poursuivre son processus de subjectivation et d'endosser le narcissisme: il s'agit d'un véritable maillage qui caractérise l'interaction narcissique.

Enfin, la mère transmet, par les soins qu'elle pro- digue à son bébé, les traditions culturelles qui défi- nissent les modes d'élevage. C'est cela qui caractérise l'enfant mythique qui plonge ses racines dans les « ombres de la mère »; on sait que la « femme sans ombre » est stérile (R. Strauss).

Il faut aussi tenir compte de la transmission inter- générationnelle des liens d'attachement. Les méca- nismes de celle-ci ont été étudiés, dans la relation d'un enfant d'un an avec sa mère, par M.Ainsworth. De son côté, M. Main a étudié les modalités de la transmis- sion de l'attachement de la mère à son bébé en fonction de son mode d'attachement à ses propres parents. Des recherches actuelles visent à établir les mêmes règles de transmission du père au bébé de dix-huit mois. Ainsi les chercheurs américains définissent-ils cette trans- mission intergénérationnelle et ses « mécanismes inter- nes » suivant un mode génétique. En France, nous

1. B. Cramer et F. Palacio-Espasa, Psychothérapies brèves mère-bébé, Paris, PUF, 1994.

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insistons pour qu'on tienne compte des « fantômes dans la chambre des enfants » selon l'expression de S. Frai- berg1 : c'est à l'origine des interactions entre l'enfant imaginé et ses parents, c'est-à-dire les données histo- riques de la transmission intergénérationnelle et des interactions fantasmatiques 2. Reprenant cet ensemble, D. Stern décrit la situation « d'être avec », qui implique la réalité et les fantasmes, comme la base des enveloppes protonarratives: les éventualités diverses constituent les happenings qui prennent sens dans « l'après-coup ».

Ainsi le père impose un mandat transgénérationnel à ses enfants et constitue de cette façon leur « arbre de vie ». Si l'arbre de vie ouvre ses branches sur la vie (et aussi plus facilement dans les familles élargies), le rôle du père ne condamnera pas le processus d'affilia- tion. Il ne peut en être de même lorsque les branches de l'arbre sont serrées par la rigueur de la transmission du conflit névrotique. Tout se passe alors comme s'il y avait une réelle transmission des modalités angois- s a n t e s d e l ' a t t a c h e m e n t e t d u p r o c e s s u s d e s é p a r a t i o n 3 .

C e p r o c e s s u s d e p a t e r n a l i s a t i o n e t d e f i l i a t i o n a p p a -

r a î t c o m m e d é f i n i p a r u n e d o u b l e f l è c h e : l a f i l i a t i o n v a

d e l ' e n f a n t a u p è r e q u i e s t p a t e r n a l i s é e n r e t o u r . L a

p a t e r n i t é p e r m e t d e d é f i n i r l a f i l i è r e d e f i l i a t i o n . O n

s a i t q u e l e s l o i s f r a n ç a i s e s a c t u e l l e s d o n n e n t u n g r a n d

a v a n t a g e a u x f e m m e s d a n s l e p r o c e s s u s d e p a r e n t a l i s a -

t i o n , e n i n t e r d i s a n t a u p è r e , p a r d e s p r o c é d u r e s a d m i -

n i s t r a t i v e s , d e s e d é c l a r e r l e p è r e . D ' u n a u t r e c ô t é , o n

1. Fraiderg S. & al. (1978), «Fantômes dans la chambre d'enfants », Psychiatrie de l'Enfant, vol. 26, n° 1, 1983, p. 57-98.

2. S. Lebovici, Le Nourrisson, la mère et le psychanalyste, Paris, Bayard Presses, 1983.

3. S. Lebovici, « On intergenerational transmission : from filia- tion to affiliation », Infant Mental Health Journal, vol. 14, n°4, 1993, p. 26-72.

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pourrait évoquer maints exemples où les pères sont véritablement « excités » par la paternalisation d'un rival dans une famille recomposée et utilisent toutes les ressources de la loi pour faire reconnaître un rôle qu'ils n'ont jamais voulu exercer jusque-là. En effet, le père biologique éprouve de la haine contre son rival, le beau-père de l'enfant, qui a réellement ou symbolique- ment tété le sein de la mère.

Rappelons à ce propos que dans les tableaux de la Renaissance il y a deux sortes de charités pour définir le rôle des seins:

1 - Dans la charité romaine, une fille prête son sein à un père affamé par la guerre. Ce thème est illustré dans le roman de Steinbeck Des souris et des hommes où, à la fin du livre, une mère exilée vient de perdre son bébé et sauve son père de la famine en lui donnant son sein.

2 - C'est la charité chrétienne qui irrite les pères biologiques : une mère plantureuse, aux beaux seins. a dans ses bras beaucoup d'enfants qui peuvent en jouir 1.

Le rôle du père biologique est également mis en cause lorsque la grossesse est facilitée par une aide médicale. Dans une observation relatée dans un article sous presse (S. Lebovici et D. Bouaziz), nous racontons l'histoire d'une phobie scolaire grave chez un enfant né après IAD (insémination artificielle par sperme de don- neur). Comme souvent dans ces cas, le père adoptif s'est déclaré impuissant et l'est devenu. À la fin de sa cure, le fils demande à connaître le père qui a donné son sperme. Dans ce même travail, nous relatons briè- vement l'exemple d'un futur grand-père paternel tout

1. S. Lebovici et E. Kestemberg, « Le Sein et les Seins » Psy- chiatrie de l'Enfant , vol. 33, n° 1, 1990, p. 6-36.

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prêt, sur la demande de son fils, à « engrosser » par son don de sperme une belle-fille que l'impuissance de son mari rend stérile. À ma remarque selon laquelle il s'agit d'un acte véritablement incestueux, il me répond devant son fils et sa belle-fille : « Pensez-vous, je n'en dirai rien à ma femme ! »

La description relativement récente de l'identité sexuée ou identité de genre (gender identity) montre qu'elle est, de toute façon, établie très tôt dans la vie de chacun. Ainsi l'homme est-il condamné à être père de père en fils et de fils en père. L'étude des résultats des interventions en vue de transformer le sexe anato- mique d u transsexuels, autorisés à changer d'identité, montre que le fait de s'appeler Mme X ne vous trans- forme ni en femme X ni en mère X. Il s'agit là d'un argument, fondamental selon nous, pour qu'on ne consente pas à donner des enfants aux couples d'homo- sexuel (le) .

Le lecteur comprendra comment le livre de Roger Teboul, riche en exemples cliniques, pouvait susciter ces réflexions sur la condition paternelle. Son auteur fait souvent allusion avec sincérité et discrétion à sa conduite personnelle dans le processus de paternité et de paternalisation. Autrefois le père avait pour fonction essentielle de permettre la vie matérielle de la famille et de transmettre le nom de son père à ses fils. Des études objectives ont montré qu'il ne passait guère plus d'une demi-heure par jour auprès de ses enfants de moins d'un an. Des recherches actuelles sur la condi- tion des pères en France, dirigées par M. Lamour, montrent leur implication dans les soins quotidiens. Tout semble indiquer qu'ils jouent aussi un rôle essen- tiel dans la contextualisation des relations entre la mère et son bébé. Très souvent, lorsque sa compagne

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travaille, ce qui est le cas dans les mégapoles occiden- tales, c'est le père qui doit se séparer du bébé le matin et le retrouver le soir à la crèche : le bébé a donc toutes les chances de l'accuser de se séparer de lui. Nous avons vu bien des pères plus habiles que leurs épouses dans le maniement des couches : ils s'en vantent. Dans d'autres cas, les pères tiennent leurs enfants moins haut qu'auparavant et les placent contre leur sein, ce qui donne l'impression que les enfants se fouissent contre leurs poitrines nourricières.

Ainsi le rôle du père a beaucoup changé. Roger Teboul discute de l'obligation qui leur est faite d'assis- ter à l'accouchement de leur épouse. Il montre le rôle symbolique des pères qui deviennent pères en séparant l'enfant de la mère par la section du cordon ombilical. On peut dire que le père préside ainsi à la naissance extra-utérine de son enfant. Les programmes haptono- miques insistent sur les relations du père avec le fœtus pendant la grossesse. L'objectivité des résultats ainsi mis en évidence reste à discuter. Le livre de Roger Teboul montre, en effet, les vicissitudes du processus de paternalisation qui n'est pas réglé par ces procédés qui tiennent parfois de la recette. Il faut souligner avec lui que sur le plan de la vie inconsciente, le père ne peut s'identifier à la femme pénétrée: il s'agit là du « roc biologique ». On répète toujours que Freud disait que la femme ne pouvait accepter de renoncer au pénis. Il ne faut pas oublier que l'homme ne peut accepter d'être passivement pénétré : tels sont les effets du des- tin anatomique.

L'expérience clinique que l'auteur nous fait partager montre les difficultés du processus de paternalisation et, à travers elles, la nécessité fondamentale de la transmission de la situation œdipienne qui caractérise la vie symbolique de l'humanité. Faudrait-il parler

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maintenant des risques courus par les pères? Le livre de Roger Teboul pourrait nous faire poser la question : « on tue un père? » En tous cas, l'accès de l'homme à la bipédie, il y a quelques millions d'années, a large- ment contribué à la différenciation du rôle des sexes. Dans l'écosystème, quelle que soit la participation des pères aux soins donnés aux enfants, leur fonction sym- bolique ne peut que se distinguer de celle de la mère, faute de quoi les effets du big-bang initial seront mis en cause. C'est une leçon que je crois avoir tirée de la lecture du livre de Roger Teboul dont l'intérêt sera partagé avec le mien par les nombreux lecteurs que je lui souhaite.

Professeur Serge LEBOVICI

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cet événement secret, et l'on comprend pourquoi en reprenant sa biographie.

Abdel est l'aîné de trois enfants. Il a une sœur et un frère. Originaires du Maroc, ses deux parents étaient installés en France au moment de sa naissance. Actuel- lement le couple est divorcé et la mère, comme le père, a refait sa vie. La mère est restée en France où, depuis plusieurs années, elle est remariée avec un homme plus jeune qu'elle qui travaille dans l'hôtellerie. Contraire- ment à son ex-mari, elle n'a pas eu d'autres enfants. Le père d'Abdel, quant à lui, est retourné vivre au Maroc où il s'est remarié et aurait de nombreux enfants. Les circonstances au cours desquelles le couple a divorcé sont dramatiques et, bien qu'elles pèsent sur la destinée d'Abdel, ne seront jamais évoquées au cours de ses deux hospitalisations, mais seulement à distance : le père d'Abdel a poignardé sa mère, en présence de ses enfants. Il s'en est fallu de peu que cette dernière perde la vie. À la suite de cette agression, le père a été incar- céré et les enfants ont été placés jusqu'au rétablisse- ment de leur mère. Abdel n'a jamais revu son père depuis lors, même s'il est allé au Maroc plusieurs fois.

Le jeune homme a été hospitalisé à deux reprises, à trois jours d'intervalle. Chaque hospitalisation dure environ un mois. Sa deuxième hospitalisation est ordon- née d'office, en raison des circonstances qui l'ont précé- dée. À peine sorti de l'hôpital, en effet, Abdel a voulu rencontrer sa compagne, Yasmine, qui travaille dans un ministère. De nouveau délirant, il se retrouve, sans trop savoir comment, dans la salle d'attente du ministre où ses vociférations entraînent son interpellation par deux inspecteurs de police.

À l'occasion de cette seconde hospitalisation, la pro- blématique abordée lors de la première se précise. La mère d'Abdel ne veut pas entendre parler de Yasmine

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qui n'est pas assez bien pour son fils. Elle ne supporte pas d'avoir été tenue à l'écart de cette grossesse et fait tout pour que son fils, qui n'a toujours pas reconnu son enfant, quitte sa compagne. Abdel se trouve dans un dilemme impossible à résoudre, même en appelant à sa rescousse Allah ou le ministre. Car la question est bien là. Lorsqu'un père a commis l'irréparable en essayant de tuer sa femme, comment un fils peut-il le convoquer au moment où il va être père à son tour?

Bien sûr Abdel s'est plutôt bien identifié à son beau- père qui l'a introduit dans le milieu de l'hôtellerie et lui a procuré du travail. Mais cet homme, parce qu'il est lui aussi sous sa coupe, est bien en peine de contrecarrer les plans de la mère d'Abdel qui ne supporte pas de voir son fils la quitter pour une autre femme. Alors la solu- tion délirante devient la seule échappatoire qui per- mette la rencontre avec le père, puisque dans la réalité cette rencontre est impossible.

Les quelques entretiens que nous avons, Abdel et moi, après sa deuxième hospitalisation, tournent autour de la question de l'identification au père. Abdel se compare à moi dans sa façon de se vêtir, évoque les rap- ports de maître à élève et l'homosexualité grecque. Il lui est très difficile, en revanche, de se remémorer l'acte de son père même s'il parle volontiers de lui. Pourra-t-il aller le voir au Maroc pour lui annoncer sa paternité ? Si Abdel caresse cette idée, il est bien loin de pouvoir la réaliser. Finalement, Abdel décide de rompre avec Yas- mine, alors qu'il prétendait renouer avec elle après sa sortie de l'hôpital. Il continue cependant de voir sa fille. Il cesse de lui-même son traitement deux mois après son hospitalisation. Puis nos rencontres s'interrompent. Abdel revient me donner de ses nouvelles un an après sa sortie définitive de l'hôpital, apparemment en bonne santé. Il est sur le point de reprendre un travail de ser-

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veur et entretient toujours des relations avec sa fille qu'il n'a cependant toujours pas reconnue. Comment se réconcilier dans son fantasme avec un père meurtrier pour devenir père à son tour? Telle est la question à laquelle Abdel devra répondre un jour, s'il veut assumer pleinement son rôle de père.

Il est vrai que cette paternité survient assez tôt dans la vie d'Abdel, seulement âgé de vingt et un ans. Elle peut s'interpréter de la part du jeune homme comme un passage à l'acte qui lui a sans doute coûté fort cher mais également permis d'appréhender un tant soit peu la relation père/fils restée jusque-là en suspens. Et sa qualité d'aîné ne lui a sans doute pas facilité les choses.

Paternités fraternelles

Gilbert a un frère aîné, déjà père comme lui et avec qui il entretient de bonnes relations. Sa femme est enceinte de leur deuxième enfant. Ils ont déjà un fils âgé de trois ans. Malheureusement la grossesse se ter- mine mal puisque l'enfant meurt dans l'utérus de sa mère peu de temps avant le terme normal. Lorsque je les rencontre tous les deux, ils sont très tristes. Comme toujours en pareil cas, l'un et l'autre se demandent ce qui a bien pu se passer pendant la grossesse pour qu'elle connaisse une telle issue. Gilbert, étrangement, se sou- vient alors d'un rêve qu'il a fait peu de temps avant l'événement. Il marchait dans la rue et se rendait compte qu'il portait à ses pieds une paire de chaussures usagée qui devait appartenir à quelqu'un d'autre et qui, sans doute, lui avait été donnée par cette personne. L'impression qui se dégageait de ce rêve était plutôt désagréable. Il n'est pas alors très difficile à Gilbert de se souvenir qu'enfant, il portait, comme c'est souvent le

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cas, les chaussures que son frère aîné avait portées avant lui. Et de faire le rapprochement entre la deuxième grossesse de sa femme et sa place de cadet. La situation dramatique dans laquelle ce rêve est relaté ne permettait pas d'aborder plus avant la question de la rivalité fraternelle qui n'en reste pas moins d'actualité au moment de devenir père.

J'ai un frère de trois ans mon cadet avec qui j'entre- tiens d'excellents rapports. Nous ne nous sommes jamais vraiment trouvés en situation de rivalité, du moins avérée. Il semble qu'un partage équitable ait pu se réaliser entre nous au prix de concessions de part et d'autre qui ne sont pas sans conséquence dans la réalité. Mon frère s'est marié et, surtout, est devenu père avant moi, qui plus est d'un fils. Cette chronologie n'aurait sans doute eu aucune signification si, le jour de son mariage, je ne l'avais, avec notre père comme témoin, autorisé à se marier avant moi. Tout comme dans l'his- toire d'Ésaü qui a vendu son droit d'aînesse à son frère Jacob contre un plat de lentilles, j'ai ainsi troqué le mien. Les choses se sont passées en bonne et due forme. Nous avons tous trois signé un document auquel mon frère a absolument tenu à ajouter un codicille qui stipu- lait que je m'engageais à le suivre dans la voie du mariage. Une négociation a eu lieu pour préciser la durée entre son mariage et le mien. Je voulais qu'il soit écrit : « Je soussigné... autorise mon frère... à se marier avant moi, à condition que j'en fasse de même à plus ou moins longue échéance. » Mon frère, qui aurait préféré que la durée soit plus clairement chiffrée, a finalement obtenu que soit écrit : « à plus ou moins brève échéance ».

Ce qui apparaissait comme une blague n'en était pas moins hautement chargé de significations. Et le fait que ce papier soit signé avec la participation de notre père

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n'y est sans doute pas étranger. Car derrière le mariage se profilait bien évidemment la naissance de nos futurs enfants. Lorsque l'on sait que j'appartiens à une culture méditerranéenne où, jadis, l'héritage se transmettait d'abord au fils aîné qui porte le prénom de son grand- père paternel, on comprend que l'enjeu était de taille. C'est donc mon neveu, en position d'aîné dans sa géné- ration, qui est l'héritier et non mon fils, qui est le cadet. D'ailleurs, depuis tous ces événements, lorsqu'on nous rencontre ensemble, mon frère et moi, on a du mal à croire que je suis l'aîné. Et ce n'est finalement pas si mal, après toutes ces années passées à être le plus grand, de se retrouver en position de suivant dans la voie de la paternité.

Pour être complet sur ce chapitre, il me reste à dire qu'à la date de la signature de cette autorisation, je pré- parais l'édition de mon premier livre, publié un an après la naissance de mon neveu et qui a pour titre Entre père et fils. Il est bien évidemment dédié à mon père. Son sujet traite, entre autres, de l'homosexualité père/fils, un des fondements inconscients de la relation père/fils. Le fait d'être l'aîné m'a sans doute rendu la tâche plus difficile et a nécessité un travail plus important pour dépasser cette conflictualité. J'ai le sentiment que la rédaction de ce premier livre m'a permis, au moment où mon frère devenait père, de devenir père à mon tour.

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Conclusion

Devenir père, surtout la première fois, est un passage de la vie d'un homme affectivement chargé. À chaque étape du processus psychique d'accession à la paternité répondent, en écho, des actes perpétrés par le futur père. Cette balance constante entre penser et agir est sans doute le propre de tous les passages de l'existence où chacun se retrouve face à soi-même mais aussi avec des comptes à rendre à ses semblables. Bien sûr, tous ces actes ne sont pas universels, loin de là. En revanche, ils permettent à ceux qui les accomplissent de devenir père, à la manière de certains actes imposés dans des rituels d'initiation de sociétés traditionnelles.

Ces actes revêtent presque toujours un caractère symbolique et sont autant de célébrations individuelles, qui à un père absent, qui à une mère haïe, qui à une enfance empreinte de nostalgie, etc. Ils éclairent, de plus, sur la nature des processus inconscients à l'œuvre chez l'homme enceint. C'est comme s'il devenait néces- saire pour certains d'agir pour penser, précisément lorsque le travail psychique est en panne, ce qui est loin d'être l'exception.

Notre société laisse l'individu libre de ses choix, ce qui parfois lui complique redoutablement la tâche. On pourrait presque dire que toutes ces célébrations sont

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autant de tentatives personnelles pour « bricoler » ce qu'on pourrait appeler un rite individuel. Inutile de dire que l'emploi de ce terme se verra taxer d'aberration conceptuelle par tout bon anthropologue qui se res- pecte. Et pourtant, au regard de l'organisation sociale des grandes villes occidentales et de la place prépondé- rante qui est faite à l'individu, la question se poserait presque...

On a pu voir, tout au long de cet essai, comment se travaille la grossesse chez un homme, que ce soit à par- tir des représentations sociales de ce phénomène aux- quelles il souscrit, ou encore à travers les comporte- ments d'identification à la femme enceinte qu'il adopte, ou enfin par l'aide que lui apportent les professionnels de la grossesse dans leur rôle de passeurs. Cette descrip- tion de l'état d'homme enceint met l'accent sur ce qu'il advient dans la réalité. Mais parallèlement, l'homme enceint pense, fantasme, rêve, se souvient, s'angoisse, autant de termes pour désigner le processus psychique à l'œuvre dans son état. Il apparaît impossible de disso- cier le travail qui s'accomplit dans l'inconscient de l'individu du rôle qu'il convient d'accorder à certains de ses actes. C'est pourquoi j'emploierai, pour décrire le travail de la grossesse chez l'homme, le terme de pro- cessus iniatitique, contraction de processus psychique, pour rendre compte de se qui se passe dans le psy- chisme de chaque futur père, et d'acte initiatique, pour traduire son implication sociale, dans la réalité de l'acte commis.

C'est ce processus initiatique qui, à l'échelle de chaque individu, métamorphose l'homme en père ou la femme en mère, l'adolescent en adulte, de même qu'il rend à l'endeuillé sa place parmi les vivants. Car ces trois situations, comme toutes celles par lesquelles tout un chacun passe dans sa vie, méritent, à mon avis, qu'on

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s'y intéresse dans leur globalité plutôt que de les consi- dérer uniquement sous leur angle purement individuel ou purement collectif.

En écrivant ces lignes, j'ai le sentiment, dans ces affaires d'hommes, d'avoir oublié les femmes. Sûre- ment le sujet s'y prête-t-il. Car se reproduire de père en fils, à l'identique, les exclut de fait. Il est à espérer que les progrès de la procréation médicalement assistée ne permettront cependant jamais aux hommes de réaliser dans la réalité ce qui n'est qu'un fantasme ou, tout au plus dans les sociétés traditionnelles, une construction sociale, pour leur donner l'illusion de posséder le pou- voir procréateur des femmes. C'est en tout cas ce que soutiennent les ethnologues qui tentent par ce biais de comprendre la fonction des rituels d'initiation. Tout comme Freud a parlé de l'envie du pénis chez la femme, ils pensent, en effet, que l'homme envie à la femme sa fonction procréatrice. À partir de cette constatation, certains rituels d'initiation, qui permettent aux jeunes de devenir adultes, se comprennent beau- coup mieux.

Ainsi, chez les Arandas d'Australie, lorsque les gar- çons ont environ dix ans, les initiés masculins les sou- mettent collectivement à un rite qui consiste à les lan- cer en l'air. Ce rite symbolise le détachement des garçons du campement féminin où se déroulaient leurs activités enfantines. Il leur est dorénavant interdit de vivre auprès des femmes. Ils doivent camper auprès des hommes qui les initient à des activités typiquement masculines comme la chasse 1

Ce rite, où le fait de jeter en l'air les garçons symbo-

1. Marika Moisseeff, « L'indépendance entre sexualité et pro- création : un mythe de la culture occidentale », Sexualité, Mythes et Culture, Paris, L'Harmattan, 1990, p. 53-72.

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lise un accouchement, montre que les initiateurs, s'ils ne donnent pas réellement la vie, font naître les initiés au monde social. Il n'y a plus aujourd'hui, dans nos sociétés, de rituels d'initiation qui permettraient aux hommes de fabriquer des hommes comme eux. Il ne leur reste alors, pour marquer cette envie, que de s'impliquer le plus tôt possible dans la fabrication des enfants, d'où l'évolution constatée vers la participation active de l'homme à la grossesse de même qu'aux soins prodigués aux bébés. De nos jours les rôles maternel et paternel auraient donc tendance à se confondre beau- coup plus, encore que...

Tout comme dans certains contes africains où le héros est un mâle qui met bas, il est peut-être envisa- geable de parler d'homme enceint. Mais que les femmes se rassurent, cette expression ne restera qu'une figure de style. Et pour le prouver, voici, en guise d'allégorie, un de ces contes africains rapportés par Denise Paulme dont Araignée est le héros :

L'Araignée enceinte.

L'Araignée et sa femme avaient un enfant. L'Arai- gnée envoyait tous les jours l'enfant faire des commis- sions. « Pourquoi l'en voies-tu toujours en commission? » dit sa femme. Ils se disputaient à ce sujet si bien que l'Araignée dit : « Je suis un mâle, cependant je vais faire un enfant moi-même. Comme cela il sera tout à moi et je pourrai l'envoyer en commission quand je vou- drai. » Puis il appela son camarade pour faire l'amour, mais son camarade eut beau faire, l'Araignée n'accou- cha d'aucun enfant. Un jour qu'il se plaignait de cette impuissance, le margouillat lui dit : « Tu ne connais pas la bonne manière. Va trouver l'iroko et il te mettra un enfant dans le ventre. » L'Araignée alla trouver l'iroko qui lui gonfla en effet le ventre. L'Araignée, contente,

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riait en disant : « Je vais avoir un enfant ! Je vais avoir un enfant ! » Mais elle eut beau aller pour accoucher dans la case située à côté du village, elle ne put faire un enfant et mourut. Son petit frère fut son héritier et sa femme l'épousa.

Et Denise Paulme de conclure :

Araignée est ridicule; mais en s'esclaffant au récit de sa tentative insensée, quel homme, dans l'auditoire, qui ne se moque aussi de lui-même en secret »

Oserai-je ajouter, au terme de cet essai, que l'ironie chez l'adulte, à l'instar du jeu chez l'enfant, est une activité très sérieuse?

1. Denise Paulme, La Mère dévorante : essai sur la morpholo- gie des contes africains, Paris, Gallimard, « Tel », 1976, p. 240- 241.

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Cet ouvrage a été réalisé par la SOCIÉTÉ NOUVELLE FIRMIN-DIDOT

Mesnil-sur-l'Estrée pour le compte des Éditions Calmann-Lévy

en septembre 1994

Imprimé en France Dépôt légal : septembre 1994

N° d'édition : 12030/01 - N° d'impression : 27520

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I l y a q u a t r e a n s R o g e r T e b o u l , p s y c h i a t r e d a n s u n e

m a t e r n i t é , a t t e n d a i t s o n p r e m i e r e n f a n t e t c o n s t a t a i t

a v e c é t o n n e m e n t l e s b o u l e v e r s e m e n t s q u e c e t t e

a t t e n t e p r o v o q u a i t e n l u i . S a p o s i t i o n d ' o b s e r v a t e u r

e n g a g é l u i p e r m i t é g a l e m e n t d e s u i v r e a v e c u n e a t t e n -

t i o n p a r t i c u l i è r e l e s r é a c t i o n s d e s f u t u r s p è r e s q u ' i l

r e c e v a i t e n c o n s u l t a t i o n .

C o n t r a i r e m e n t a u x s o c i é t é s t r a d i t i o n n e l l e s q u i r i t u a l i -

s e n t l e s é v é n e m e n t s l e s p l u s i m p o r t a n t s d e l a v i e d e s

i n d i v i d u s , n o s s o c i é t é s l a i s s e n t à c h a c u n l e s o i n

d ' a f f r o n t e r s e u l c e s p a s s a g e s q u e s o n t la g r o s s e s s e e t

l ' a c c o u c h e m e n t .

U n p e r s o n n a g e i n s o l i t e , p a r t i e p r e n a n t e d e l a g r o s -

s e s s e , a p p a r a î t a u j o u r d ' h u i , « l ' h o m m e e n c e i n t » q u i

p r e n d d u p o i d s , e s t v i c t i m e d ' u n e f a t i g u e i n e x p l i c a b l e ,

a d e s o u d a i n e s e n v i e s d e f u i t e . . .

À t r a v e r s s e s p r o p r e s é m o t i o n s , l e s r é c i t s d e s e s

p a t i e n t s , l e s g r a n d s m y t h e s d e n o t r e c i v i l i s a t i o n , R o g e r

T e b o u l é t u d i e l e s m é t a m o r p h o s e s q u i f o n t d e l ' h o m m e

u n p è r e .

R o g e r T e b o u l e s t p s y c h i a t r e d e s h ô p i t a u x e t e t h n o -

l o g u e . Il e s t l e p è r e d e d e u x g a r ç o n s .

O u v r a g e p u b l i é s o u s l a d i r e c t i o n

d e J a c q u e s A n g e l e r g u e s e t Y v e s M a n e l a .

C o l l e c t i o n « L e p a s s é r e c o m p o s é »

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