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  Cahiers Caribéens d'Egyptologie n os  3/4 février/mars 2002 Note sur les mythes basaa du Cameroun et la préhistoire saharienne Oum NDIGI Au cours du Colloque international de Barcelone de mars 1996 sur le thème « L'Egypte ancienne, une civilisation africaine » 1 , l'anthropologue français Jean-Loïc Le Quellec a présenté deux communications sur le thème « L'art rupestre du Messak et l'Egypte ancienne : une clé de lecture? ». Au cours de l'une d'elles, intitulée « Pr ésentation de l'art rupestre du Messak (Fezzan,Libye) », Jean-Loïc Le Quellec a projeté une série de diapositives montrant, sur un dispositif rupestre, des « femmes ouvertes » mises en valeur  juste au dessus de l'ouverture des grottes. Tout en soulignant que cette association précise [femme ouverte + grotte ou fissure] ne saurait relever du hasard, et serait donc significative, il a évoqué le mythe basaa, qui donne à l'humanité pour lieu originel  Ngok li.tuba, « la Roche Percée », comme une référence lointaine et probable à ce 1  Dont les Actes ont été récemment publiés :  AULA AEGYPTIACA Studia n°1,Barcelona, 2001,  Africa Antigua - el Antiguo Egipto, una Civilizacion Africana, Actas de la IX Semana de Estudios Africanos del Centre d'Estudis Africans de Barcelona (18-22 de marzo de 1996 ), éditeur : J.Cervello Autuori, Préface de Jean Leclant, communications de A.Anselin, F. Berenguer Soto, M.Bilolo, M.Campagno, J.Cervello Autuori, M.Diaz de Cerio Juan, T.DuQuesne, Ch.Ehret, E.Gonzalez-Gil, L.M. Gonzalvez, F. Iniesta, J.L.Le Quellec, J.L.Menendez Varela, G.Alonso Menenses, A. Montes, A.Muzzolini, O.Ndigi, H.Satzinger 201

Ngidi O. Note Sur Les Mythes Basaa Du Cameroun Et La Préhistoire Saharienne

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La Préhistoire Saharienne

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  • Cahiers Caribens d'Egyptologie nos 3/4 fvrier/mars 2002

    Note sur les mythes basaa du Cameroun et la prhistoire saharienne Oum NDIGI

    Au cours du Colloque international de Barcelone de mars 1996 sur le thme L'Egypte ancienne, une civilisation africaine 1, l'anthropologue franais Jean-Loc Le Quellec a prsent deux communications sur le thme L'art rupestre du Messak et l'Egypte ancienne : une cl de lecture? . Au cours de l'une d'elles, intitule Prsentation de l'art rupestre du Messak (Fezzan,Libye) , Jean-Loc Le Quellec a projet une srie de diapositives montrant, sur un dispositif rupestre, des femmes ouvertes mises en valeur juste au dessus de l'ouverture des grottes. Tout en soulignant que cette association prcise [femme ouverte + grotte ou fissure] ne saurait relever du hasard, et serait donc significative, il a voqu le mythe basaa, qui donne l'humanit pour lieu originel Ngok li.tuba, la Roche Perce , comme une rfrence lointaine et probable ce

    1 Dont les Actes ont t rcemment publis : AULA AEGYPTIACA Studia n1,Barcelona, 2001, Africa Antigua - el Antiguo Egipto, una Civilizacion Africana, Actas de la IX Semana de Estudios Africanos del Centre d'Estudis Africans de Barcelona (18-22 de marzo de 1996), diteur : J.Cervello Autuori, Prface de Jean Leclant, communications de A.Anselin, F. Berenguer Soto, M.Bilolo, M.Campagno, J.Cervello Autuori, M.Diaz de Cerio Juan, T.DuQuesne, Ch.Ehret, E.Gonzalez-Gil, L.M. Gonzalvez, F. Iniesta, J.L.Le Quellec, J.L.Menendez Varela, G.Alonso Menenses, A. Montes, A.Muzzolini, O.Ndigi, H.Satzinger

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  • type de reprsentations et d'associations retrouves sur plusieurs sites du Messak. Notons pour plus de prcision que cest lanctre des Basaa, Hilolomb, qui sortit de la caverne au nord du fleuve ajoutons que le dmiurge basaa se confond avec la figure de lAnctre primoridal kob, variante reduplique intensive kobkob, lAncien des Anciens, dont nous avons mis en vidence (O.Ndigi,1996,49-70) la similarit avec le dieu gyptien Geb, la Terre, gb, variante gbgb, chtonien par dfinition le premier est un homonyme de loiseau crateur kob, un gallinac, le second scrit avec le hiroglyphe de loie ou de la sarcelle, loiseau de Gb (WbV 164, 5)2. Jean-Loc Le Quellec avait dj publi un inventaire serr et document des femmes ouvertes en 1993 dans son ouvrage Symbolisme et art rupestre au Sahara (1993,399-403). Il les y distinguait mthodiquement des sries de vulves rupestres. Ce rapprochement opr par Jean-Loc Le Quellec3 semble du plus grand intert. La moindre de ses implications possibles est l'ventualit d'une ancienne rsidence ou d'un lieu de passage des Basaa au Sahara, et suggre de poursuivre de manire approfondie les recherches relatives l'histoire ancienne des Basaa du Cameroun.

    2 Au Colloque de Barcelone (1996) et dans notre article sur Gb paru dans le Bulletin de la Socit dEgyptologie de Genve (1997,49-70), nous avions puis la comparaison des seules sries gyptienne et basaa. Une comparaison de masse aurait t plus rigoureuse ; aussi, cest selon une mthode diffrente de celles de T.Obenga et de J.Greenberg (O.Ndigi,1998,282), procdant de larges rapprochements sollicitant notamment les reconstructions du proto-bantu que nous avons recouru dans notre thse soutenue quelques mois plus tard. Car les donnes sont l, elles attendent dautres explications thoriques que celles du hasard des comparaisons binaires, des concidences et des onomatopes : *kub, gallinac, est une racine bantu reconstruite par Malcom Guthrie (1971) et A.E.Meeussen (1967). 3 Jean-Loc Le Quellec "Aires culturelles et art rupestre : thranthropes et femmes ouvertes du Messak" in L'Anthropologie, Paris,Tome 99, n2/3, 405-443

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  • J.Mboui, se fondant sur la distinction linguistique de trois sortes de vgtations en basaa, savoir bi.kay, espace herbeux, li.pan, fort, et o, savane, mbamba, immensit dsertique, prcise : Dans leurs mythologies, il est souvent fait mention de ces contres steppiques et dsertiques. Il semble bien que les Basaa aient entendu parler du dsert du Sahara, car n'oublions pas qu'ils sont l'ore de la rgion des savanes, occupant une rgion de transition entre la grande fort quatoriale qui domine sa partie littorale et la savane qui s'avance dj en pays Babimbi sur les frontires du pays Banen-Bafia dans l'actuel dpartement de Mbam 4. S.Nkn note de son ct propos de la mythique Roche Perce originelle : ..Le trou de ce rocher symbolise pudiquement l'utrus et signifie que la femme est la mre de tous les hommes 5, et nous concluons avec lui que Ngok li.tuba est la dsignation euphmique du sexe fminin comme mre des hommes , lun des noms gyptiens de l'utrus, mwt-rmt. Le mythe attribue ainsi pour origine aux Basaa un site chtonien en forme de cavit utrine situ au nord du fleuve qui ne laisse pas dvoquer les sites rupestres similaires trs anciens du Sahara. Lune de ces femmes ouvertes rpertorie par Jean-Loc Le Quellec (1993,403) sur le site de Settafet dans le Messak, suscite notre curiosit : elle est quadricorne. Dans un second ouvrage paru en 1998, Art rupestre et prhistoire du Sahara, Jean-Loc Le Quellec rapproche les femmes ouvertes du Messak libyen, souvent associes des bovins, dHathor boomorphe, atteste ds les dbuts de la civilisation gyptienne.

    4 J.Mboui, Mbog Liaa, Textes et Documents africains, thse de 3 cycle d'ethnologie,t.II,406-407 5 S.Nkn La profondeur du Mbog Basaa la lumire du monde gyptien, mmoire de matrise d'Histoire, p.18

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  • Il compare le dispositif rupestre de Taleshut, organis au dessus dune cavit naturelle au sanctuaire rupestre dHathor Deir el Badari. Lune des grottes consacrees Hathor sur ce site, anciennement dcore de gravures prhistoriques incises, une girafe et une vache (J.L.Le Quellec,1998,459-461), tait jonche de poteries rouges fracasses selon le rite millnaire et bien connu du bris des vases rouges et orne de trois peintures rupestres reprsentant Hathor, la Vache divine, dans le style classique du Nouvel Empire. Par une analyse dtaille dun site o elle procda de nombreuses fouilles, poursuit Jean-Loc Le Quellec, Christiane Desroches-Noblecourt a prouv que louverture de la grotte, haute et troite, reprsentait la vulve divine tourne vers lOrient, et que sa cavit figurait le giron hathorique prparant les dfunts au don de vie, au sein dentrailles chtoniennes remodelant les embryons avant leur accs la vie ternelle 6Les mythes d'origine des fils de la Roche Perce voquent de grandes tendues steppiques, des montagnes, di.ko, et des grottes, et s'apparentent aux reprsentations de l'art rupestre saharien, qui ne s'arrtent pas aux femmes ouvertes du Messak Jean-Loc Le Quellec relve ainsi des emplois similaires de sites semblables chez les Dogons : Lors des rituels soixantenaires du Sigui, les hommes se runissent dans une cavit isole pour ractualiser la formation de lhumanit originelle dans le placenta primordial (1998,459). La rcurrence vivante de ce thme sur le pourtour du Sahara ou dans des rgions plus mridionales o se cultive encore le souvenir mythique despaces subtropicaux mrite une tude plus longue et plus documente que ces quelques

    6 Cf aussi Alain Anselin : Vie, mort et fertilit en Egypte ancienne Hathor et les femmes ouvertes , paru dans la revue dite par Jean Loc Le Quellec, La Mandragore, revue des littratures orales, n5,1999,67-71

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  • notes. Certes, lassociation des deux thmes, roche perce et bovid semble faire dfaut au mythe basaa il est vrai que les mythes vivent, se renouvlent, srodent. Mais les lments que ces courtes notes rassemblent nen posent pas moins le problme du passage, du sjour, des anctres des Basaa au Sahara, ou, au moins attestent de sa connaissance.

    Bibliographie Anselin Alain: Vie,mort et fertilit en Egypte ancienne Hathor et les femmes ouvertes , La Mandragore, revue des littratures orales, n5, 1999,67-71 Erman Adolf and Grapow Herman Worterbuch der Aegyptischen Sprache 1927, Akademie Verlag, Berlin, r-dition de 1982, 13 volumes Le Quellec Jean-Loc Les arts graphiques du Sahara et de lEgypte ancienne : que comparer, in AULA AEGYPTIACA Studia n1, Barcelona, 2001, Africa Antigua - el Antiguo Egipto, una Civilizacion Africana, Actas de la IX Semana de Estudios Africanos del Centre d'Estudis Africans de Barcelona (18-22 de marzo de 1996), diteur : Josep Cervello Autuori, Prface de Jean Leclant, 298 pages Le Quellec Jean-Loc Symbolisme et art rupestre au Sahara, Paris, L'Harmattan, 1996, 638 pages Le Quellec Jean-Loc, Art rupestre et prhistoire du Sahara - le Messak libyen, Payot, Paris,1998,616 pages Le Quellec Jean-Loc Aires culturelles et art rupestre : thranthropes et femmes ouvertes du Messak" in L'Anthropologie, Paris,Tome 99, n2/3, 405-443 Mboui J., Mbog Liaa, Textes et Documents africains, thse de 3 cycle d'ethnologie, ,t.II,406-407 Ndigi Oum Les Basa du Cameroun et l'Antiquit pharaonique gypto-nubienne: recherche historique et linguistique comparative sur leurs rapports culturels la lumire de l'gyptologie Presses Universitaires du Septentrion, 1999, 495+108 pages Ndigi Oum Gb/qb/gbgb/Kob/Kobkob ou le nom du dieu de la Terre et de loiseau crateur mythologique chez les Egyptiens et les Basaa du Cameroun, in Bulletin de la Socit dEgyptologie de Genve,n20,1996,49-70 Ndigi Oum Les basa du Cameroun et lantiquit pharaonique gypto-nubienne, compte-rendu de la soutenance de thse de Doctorat prsente le 13 octobre 1997 lUniversit Lumire de Lyon, sous la prsidence de Jean Leclant et la direction de Jean-Claude Goyon in Ankh n 6/7,1998,281-283 Nkn S. La profondeur du Mbog Basaa la lumire du monde gyptien, mmoire de matrise d'Histoire

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