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NO 542 - Jeudi 16 Mars 1939 - 1 fr. 75

NO 542 - Jeudi 16 Mars 1939 - 1 fr. 75 · ment entre le signalement de l'homme qu'elle aper-çut devant « La Voulzie » et le même Mouly. Elle dit encore que, invitée à prendre

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7 N

Weidmann, levez-vous donc! ^ ORSQU'IL ENTRA, très droit, la tête haute,

face aux douze jurés qui allaient fixer définitivement son destin, je le vis conforme à tout ce qui fut écrit sur lui. Beau, énigmatique, sombre sans rigueur, capable de plaire aux femmes, de les at-tirer vers les arbres, vers les fleurs,

vers la lumière d'un paysage tendre et discret d'Ile-de -France et de les rejeter tout à coup dans l'éter-nelle nuit, de se priver, d'un coup, de leur grâce et de leur sourire lumineux, par un simple geste de l'index plié s,ur la gâchette d'un revolver, qui vise la nuque blonde, un peu à gauche, à la base du crâne.

Seize mois de cellule l'avaient un peu pâli. Le fauve souple, à l'étrange détente et qui tue presque par besoin, non pour apaiser sa faim, mais pour sen-tir sous ses griffes la chair tendre et rose, mais pour humer l'odeur fade du sang, continuait de vivre sous mes yeux. J'attendais ses bonds, ses détentes inouïes, wn affaissement aussi, toutes les attitudes du tigre dans sa cage. Je guettais tout cela, comme je guettais tous les mouvements de cet autre félin, son défen-seur, Me de Moro-Giafferri.

Derrière moi, dans la tribune du public, où s'en-tassaient surtout des femmes, au-dessus de moi, dans la tribune d'honneur occupée presque exclusivement par des femmes, se remuaient les mêmes pensées.

ùfy jamais je ne vis plus mornes, plus insipides au-diences. Des débats correctionnels offrent plus d'hu-maines luttes.

Par quelle aberration les avocats de Weidmann ont-ils voulu que le tueur se présentât sous les traits ridicules d'un enfant qui passe devant le Conseil de discipline du lycée pour quelque peccadille, qui ne sait que baisser la tête et se taire ? Par quelle aberration ont-ils courbé vers le sol cette tête qui ne tient plus à la vie, déjà ? Par quelle faute a-t-on châtré ce fauve ?

Qu'on m'entende bien : il ne s'agit pas d'exalter un criminel et de jouer le dernier acte de sa vie mons-trueuse, sur le grand mode pathétique. Mais il fallait le laisser lui-même, tel qu'il doit être et ne pas lui enseigner le mutisme et la soumission.

1 1 1 n Vf

Si Weidmann semble s'endormir aux débats il n'en est pas de même de Me Moro, montrant ici Million d'un index

accusateur.

Quelle est"cette histoire ridicule d'un complice qu'on a évoqué dès la première audience, qu'on veut voir surgir de l'ombre et s'accuser de forfaits qui n'appartiennent qu'à Weidmann, le tueur, ce dont celui-ci a si visiblement honte que, malgré ses avo-cats, il ne veut point se faire complice de cette pué-rile invention. Non ! il ne remontera pas le ressort de cette machine de quatre sous, pour enfants trop sages. « J'ai tué Frommer ; j'ai tué I^esobre ; j'ai tué Jean de Koven ; j'ai tué... »

On a pu le réduire à n'être rien qu'un enfant buté ; on ne peut empêcher qu'il pleure lorsqu'on lui parle de la jeune Américaine qu'il étrangla, un soir très doux.

On a pu lui imposer de ne pas combattre ; on ne peut faire qu'il ne tressaille quand Mme Lesobre s'évanouit, quand Mme Couffy sanglote ; on ne peut faire qu'il ne réclame des lettres de sa mère.

— Nous voulons toute la vérité, s'excusent les avo-cats de Weidmann, nous la voulons même contre lui.

Elle aurait surgi bien mieux, avec plus de violence et plus d'exemplarité si l'on avait laissé Weidmann s'étendre dans son action souple, allongée. Mais cette fable grotesque d'un mystérieux animateur, prête à rire, comme l'apparition du traître dans les vieux mélos de 19Ô0.

Deux hommes, au moins, rougissent de ce pauvre jeu qu'on leur faire jouer Weidmann et le grand Moro-Giafferri, qui ne ne lasse pas de répéter qu'il n'y aura ni renvoi, ni incident de procédure, ni demande d'enquête supplémen-taire.

Lorsque le taureau quitte le toril, il est condamné à mort ; à qui donc viendrait l'idée de présenter au toréador un animal empaillé ou, moins encore : une ombre pour qu'il joue, au-tour d'un mythe, un jeu souple et serré comme s'il engageait sa vie à des passes devant le vide ?

Weidmann, Million, Blanc et Colette Tricot, s'a-lignent, face au jury, sur un banc singulier évo-quant le pittoresque des impériales de vieux

tramways...

dans la salle où il dé-fendit Landru voila 18 ans que Me de Moro-Giafferri défend aujourd'hui Weid-mann. Les débats, com-mencés le 10 Mars à 13 heures, se poursuivent sous la présidence de M. Laemlé et en présence de M. Bal-mary, procureur de la Ré-

publique.

Qui donc, désormais, nous fixera sur l'âme de cet assassin terrible puisqu'on lui a donné l'ordre de n'être plus qu'un petit garçon buté, bien sage, bien prudent, bien doucereux ? La tisane de fleur d'oran-ger qu'on veut nous servir dans des tasses de faïence à la place des alcools violents dans des ha'naps d'or que réclamait ce dernier acte de la vie d'un être monstrueux, ne saurait apaiser notre soif de com-prendre tout ce qu'il pouvait y avoir de morbidesse, d'étrangeté mais aussi de tendresse en Weidmann, le tueur, criminel bien -autrement complexe que l'en-fant silencieux qu'on voit à Versailles, création arti-ficielle de défenseurs essoufflés.

Maiius LAHIQUE.

Au rythme des audiences (""■■■ INCONTESTABLEMENT, Weidmann et ses

I complices se sont défraîchis depuis leur 1 ^jP mise « à l'ombre ». Après quinze mois

d'incarcération, le tueur a pris la mine d'un ascète souffrant du foie ; les tempes de Million se sont dégarnies ; Colette et

Jean Blanc ont laissé grossir, c'est-à-dire vieillir, leur physique de rustres sanguins.

Par contre, nous nous faisons l'effet d'avoir rajeu-ni, nous autres, les quatre-vingt-quatre journalistes français et internationaux à qui l'éminent président Laemlé a bien voulu accorder la plupart des bancs disponibles dans la salle des assises de Versailles. Alignés par sept sur chaque banc, nous occupons la double travée séparant le tribunal proprement dit de l'enceinte réservée au public. Devant chaque aligne-ment de journalistes, le dossier du banc précédent a reçu une planche tenant lieu de pupitre. Nous nous trouvons ainsi installés comme à l'école...

Derrière nous s'alignent les trois stalles exiguës où se pressent les curieux qui, après quelle épreuve de patience ! réussissent à avoir accès dans la salle d'audience. Curieuses ces stalles où l'on ne peut que se tenir debout ! Elles évoquent ces box qu'habitent à l'ordinaire des chevaux de courses. Encore ceux-vi ont-ils leurs aises en ces sortes de cachots à hauteur d'appui. Ici, les « spectateurs » ne sauraient mouvoir ni pied ni coude. Il est vrai que, s'ils se trouvent gênés, rien ne les oblige à demeurer...

Au-dessus des stalles où curieux et curieuses ano-nymes ont l'air d'être à l'écurie, se trouve la galerie réservée aux « invités » de marque. Ces invités sont particulièrement représentés par l'élément féminin ; et c'est pourquoi un voile pudique (un tissu vert) a été tendu .contre la balustrade de fer, de façon à faire obstacle à la curiosité des libertins.

Dans le public privilégié qui a la faveur d'occuper la galerie, on braque, de-ci de-là, des jumelles comme au spectacle, vers la « vedette » du procès. Pourtant, cette galerie tient beaucoup moins du balcon de théâ-

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WEiDMÀNN

tre que de la tribune des chantres de quelque temple religieux. Au reste, par son aspect dénudé, la salle elle-même évoque un temple désaffecté.

C'est sous ces fenêtres, à l'opposé de la tribune et des stalles réservées au public, que s'élève (au-dessus du banc de la défense) cette sorte d'impériale d'an-cien tramway, où, intercalés entre leurs gardiens, se tiennent Colette Tricot, Jean Blanc, Million et Weidmann.

Weidmann... Au cours de chaque audience, combien de fois est-il le point de mire de tous les regards ! Il a fallu, cependant, que l'œil s'habitue à le situer sur l'estrade encombrée d'une affluence disparate, car sa silhouette étriquée, assise à contre-jour, sombre de toison, de teint et de costume perd tout relief, parmi les uniformes foncés des gendarmes, les toges noires des avocats et les robes de deuil des parties-civiles.

Mais, s'il faut quelque accoutumance pour remar-quer le tueur, dès le premier coup d'oeil, il n'en est pas de même pour identifier Colette Tricot qui se trouve, et par la place qu'elle occupe et par la toi-lette qu'elle porte, aussi visible qu'un mannequin mis à l'étalage. Dans l'enfilade des « personnages » occu-pant le banc d'infamie, elle est assise au premier plan, par rapport aux journalistes et au public.

Colette, en cette audience du lundi, jouera les premiers rôles. Elle a des déclarations très impor-tantes à faire. Il a fallu suspendre l'audience, tant son trouble était grand. Qu'a dit Colette ? D'abord, que Mouly se trouvait avec Million et Weidmann quand le choix se porta sur « La Voulzie ». Ensuite, pour le meurtre de Lesobre, elle fait un rapproche-ment entre le signalement de l'homme qu'elle aper-çut devant « La Voulzie » et le même Mouly. Elle dit encore que, invitée à prendre le thé chez Mouly, ses regards se portèrent sur de la lingerie brodée et sur un parapluie offerts par Weidmann à Mme Mouly : le linge de corps de Jeanine Keller ! Enfin, deux jours après l'assassinat de Leblond, Mouly est venu à « La Voulzie » et a dit à Weidmann et à Million : « Vous êtes pour quelque chose dans l'affaire Leblond. Colette n'y est sûrement pour rien. Qu'elle rentre dans sa famille! Que Million rejoigne ses grands-parents ! Ainsi, on égarera les soupçons. » On a cherché Mouly dans la salle. Il n'était pas là !...

Le voici. La salle est haletante. Colette reprendra ses accusations. Mouly niera tout. Et Weidmann, sur ses épaules déjà accablées, prendra tout à son compte.

L'auditoire est déçu ; on ne lui a point donné ce qu'il attendait...

En tout cas, si ingénieuse que soit Colette Tricot, dans ses attitudes d'ingénue, ce n'est certes plus jamais Jean Blanc qui se laissera prendre à sa tacti-que ! Lui qui l'a tant aimée, jusqu'à se trouver inculpé, à cause d'elle, de recel de malfaiteur, il l'ignore absolument désormais, bien que le voilà assis près d'elle, devant les juges. Entre les sièges respec-tifs des deux amants de naguère, il n'y a qu'un étroit passage, mais cet espace représente, pourtant une frontière, un abîme infranchissable entre elle et

10 Mars 1939

lui. Tournant obstinément le dos à celle qui lui a coûté si cher, à tous points de vue, Jean Blanc n'a d'yeux et d'oreilles que pour les débats. Encore les suit-il avec une gravité bourrue qui le congestionne visiblement. La rage et la honte, mêlées d'orgueil blessé, se lisent sur ses joues empourprées, ainsi qu'à travers ses lunettes d'étudiant anglais. D'autre part, il a pris pour contenance l'immobilité la plus stricte, le regard et le visage fixement orientés vers la barre des témoins et vers les bancs du jury.

Tout autre est le maintien de Million qui, flanqué de deux gendarmes, se trouve intercalé entre Blanc et Weidmann. A la preemière audience, il avait, lui aussi, cet air grave et profondément irrité qui n'ap-partient plus qu'au seul Jean Blanc ; mais au fur et à mesure qu'il s'est acclimaté à l'atmosphère des assises, Million s'est montré de plus en plus à l'aise. Maintenant, il s'anime, gesticulé avec autant de cabo-tinage que de vulgarité,' lorsqu'il lui faut « s'expli-quer » ; ou bien, il regarde, à la ronde, prend intérêt au travail des dessinateurs et des photographes,

pointe son nez de renard, soit vers le président Laemlé, soit vers les témoins qui défilent à la barre et qu'il écoute, avec plus de curiosité que d'attention, tout en mâchant du bois de réglisse...

A l'ouverture du procès, Million a pu voir entrer dans la salle, au moment de l'appel géné-ral des témoins, son père et le vieil ami de celui-ci le sieur Mouly, qui était devenu égale-ment l'intime de Weidmann. Mais le co-inculpé du tueur ne parût point remarquer l'auteur de ses regrettables destinées. De son côté, Million-le-père n'eut pas le moindre regard pour son fils. Lui, qui, s'il avait été moins « discret » quand il apprit le meurtre de Le Blond, aurait

Au moment où le tueur et ses complices fi-rent leur première entrée dans la salle d'au-dience, Mme Lesobre eut une défaillance aux

côtés de Mme Couffy.

pu faire obstacle aux assassinats de Frommer et de Raymond Lesobre, entra dans la salle d'audience tout hilare, bien qu'il se trouvât en présence de Mme Lesobre. Pourquoi avait-il pris cette expression de jovialité indécente ? Peut-être pour dissimuler maladroitement son embarras ; peut-être aussi para qu'à l'appel du nom de Mouly, il avait pu entendn un anonyme répondre, à mi-voix : « Au bagne !...

Noël PRICOT.

Ceux de l'extérieur 'EST une « vacherie » contre les Six jours, déclara un motocycliste, tout en surveillant de l'intérieur du café la sortie du palais de justice de Versailles. Seulement, ils auront beau faire, leur procès ne tiendra pas l'affiche pendant

trois semaines, et je vais vous le prouver... Je n'ai pas eu l'explication de cette manœuvre déloyale

du parquet de Versailles contre le Vélodrome d'Hiver, le motocycliste venant de se précipiter au devant du reporter photographique, qu'il devait guetter. Ce dernier lui remit aussitôt un paquet contenant les premiers clichés du pro-cès Weidmann pour les transporter rapidement à son journal. #

— Tiens ! l'audience est commencée, fit le garçon du café des Tribunaux. M. Eugène est arrivé dans le box des accusés.

Je dois vous dire que, dans cet établissement avec ter-rasse en « aquarium », on ne connaît pas Weidmann, du moins, il ne m'a pas semblé. Pour tous les habitués, Weid-mann c'est le voisin, c'est « Monsieur Eugène ».

Certes, il faut bien que le personnel donne aimable-ment, aux clients ignorants, quelques précisions sur la cel-lule, les conditions physiques actuelles de M. Eugène, ainsi que l'emplacement exact, devant la porte de la pri-son où, comme pour Landru, sera montée la «bécane » devant mettre fin à sa carrière de tueur, mais tout ceci se passe aux « heures creuses », et avec beaucoup de tact. On ne choisit pas spécialement, pour souhaiter le même sort à Roger Million, le moment de la suspension d'au-dienoe ou Mouly, l'ancien voisin de la Voulzie et le père Million attablés dans « l'aquarium », discutent paisible-ment de leurs petites affaires.

— Je vous en prie, faites l'impossible... Voyons, vous

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Témoins au procès du tueur et de ses com-plices, le père de Million et son ami Mouly (ci-dessus) n'apprécient guère les pho-

tographes...

qui avez tant d'influence ! J'attendrai ce qu'il faudra... je voudrais tant l'apercevoir quelques instants.

Une « mordue »

« L'homme influent » passa un instant dans la salle voisine pendant que la solliciteuse, ayant certes coiffé la sainte Catherine, mais gentille, fraîche dans sa robe de satin noir, prenait place à un guéridon devant un café-crème.

— C'est une parente, un témoin, ou une rescapée ? — Oh ! non, me répondit 'le garçon, je ne la connais

pas. Du moins, je ne l'ai pas aperçue pendant l'instruc-tion. Mais ce n'est peut-être pas pour « Monsieur Eu-gène ».

Mais déjà, l'homme influent revenait l'air affairé. — Alors, madame Germaine, c'est entendu. Attendez-

moi, bien sagement ici. Dès que cela sera possible je viendrai vous chercher.

— Mais dites-moi, demanda encore la dame' Germaine. Est-ce vrai que Weidmann embrasse toujours les petits chats blancs ?

— Ça y est, fit un habitué, c'est encore une « mordue » pour Eugène, j'aurais dû m'en douter !

Maintenant, devant l'entrée du palais de justice, le ser-vice d'ordre Taisait circuler les badauds. Les grands maîtres du barreau et du journalisme étaient à leur poste. Le café allait se remplir, dernier refuge de ceux de l'exté-rieur.

— C'est Colette, dis, chéri, celle qui vient d'arriver en voiture au palais de justice, demanda une toute jeune femme à son compagnon, en entrant dans l'établissement.

— Sans doute, répondit l'homme, tu as bien entendu les agents annonçant aux photographes que Colette était arrivée.

— Alors, dis.moi, pourquoi on lui enlève ses bas à la prison pour la conduire ici. On a peur qu'elle se suicide ?

Ç'en était trop. Mon voisin qui, malheureusement, dégustait juste à ce moment un superbe demi crémant, éclata de rire, causant quelques dégâts à mon veston.

— Excusez, monsieur, si en riant, j'ai un peu « écarté ». Mais avouez que confondre Mme Colette, la célèbre et sympathique femme de (lettres, qui ne porte que des san-dales, avec Colette Tricot, l'inculpée de la bande à Eugène, dépasse un peu les limites permises de l'ignorance.

£e sééheur de larmes...

Le superbe chien du café du Palais, où je m'étais rendu autant pour sécher mon veston que pour changer d'air, m'a paru plutôt chargé du service d'ordre auprès de la caisse, que de l'amusement des petits chats blancs de Weidmann. Je m'y trouvais déjà depuis quelques minutes lorsqu'un client entra en coup de vent, paraissant venir de la salle d'audience.

Amont naguère éperdûment épris, Jean Blanc (ci-contre) marque devant le jury la plus rigoureuse

indifférence à l'égard de Colette Tricot.

— Un pastis-grenadine dans un grand verre, demanda-t-il, et le téléphone.

Il entra aussitôt dans la cabine. Les conversations reprirent bruyamment. Mais la porte s'ouvrit à nouveau.

— Mettez beaucoup d'eau ! ordonna-t-il. Et laissant la porte entr'ouverte, commença une communication télé-phonique :

— Allô... oui, c'est moi, donnez vite une sténo, •pressez, mademoiselle, voyons, Allô ! je commence. Je viens de passer vingt minutes dans la cellule de Weid-mann. Stop. H est très calme. Stop. Au cours de notre conversation il a été pris d'une crise de larmes. Stop. Vous suivez, mademoiselle ? Je disais larmes...

Un silence angoissant régnait dans la salle du café. Même le chien enchaîné sur la banquette s'était redressé, semblant intéressé. Les sympathiques patrons du café s'affairaient au comptoir, ne comprenant pas le silence de la salle près de laquelle était placéè la cabine télé-phonique, et toujours la transmission continuait.

— Après avoir essuyé ses larmes. Stop. Je lui ai refait

son nœud de cravate. Stop. Et à voix basse, il m'a confié...

A la vérité, nous n'avons jamais su ce que Weidmann avait pu confier à cet impressionnant correspondant, lequel revint au comptoir absorber l'apéritif commandé, au milieu de la curiosité générale. Il était devenu l'homme qui avait refait le noeud de cravate de Weidmann.

— Patron, j'ai trois communications et mon apéritif, fit-il d'autorité en réglant à la caisse.

Puis il sortit au milieu de l'admiration générale, se dirigeant lentement vers le palais de justice.

— C'est un type, fit un client. Vous avez entendu son compte rendu. C'est sûremënt le correspondant d'un jour-nal étranger. Qu'est-ce qu'ils peuvent nous rendre ces gars-là, hein ?

Hélas ! non. Le puissant reporter, l'homme qui avait refait le nœud de cravate de Weidmann, n'était qu'un pauvre illuminé qui venait déjà de jouer la même comé-die dans un café voisin. Tenant l'écouteur téléphonique près de son oreille, et alors qu'aucune communication ne lui avait été donnée, il simulait la transmission d'un article sensationnel à un correspondant imaginaire.

Ê)eux wes€apés

Mais justement les inspecteurs Bourquin et Poignant, qu'un sort heureux amenait sous mes pas, venaient prendre leur café avant d'aller déposer contre celui qui avait eu l'intention de les expédier dans un monde sup-posé meilleur.

Je me suis toujours demandé ce qui serait advenu si •Weidmann avait réussi. Il n'y a aucune raison pour que les complicités morales dont il a toujours profité de la part de ceux (et ils étaient nombreux) qui savaient lui fussent supprimées. Combien de crimes auraient été commis ?

On leur a offert une médaille d'argent, puis sentant le ridicule, on leur a attribué la médaille d'or. C'est tout et c'est peu. Dans la police, la Légion d'honneur ne devrait pas être réservée à décorer le drapeau, mais bien quelquefois ceux qui, comme Bourquin et Poignant, ont risqué leur vie pour la société. \

Je me souviens d'un camarade, blessé très grièvement au cours d'une arrestation, auquel j'annonçais que dans quelques minutes on allait lui décerner la médaille sur son lit d'hôpital.

— Elle est en argent ou en or ? me demanda-t-il sou-dain inquiet.

— Mais en or ! voyons, mon vieux. — Alors je suis foutu, me répondit-il tristement. Vous voyez, Bourquin et Poignant, que déjà à cette

époque, dans 'la police, on ne gaspillait pas les déco-rations.

'11 y a, du reste, à la police judiciaire, à Paris, un vieux proverbe qui n'a pas perdu sa valeur : « A partir de la Médaille d'or, surveille ta température. »

III. €>aaene n «if pas visible

L'audience vient de se terminer. Mme Germaine est tou-jours devant son guéridon chargé de trois soucoupes attes-tant ses libations en café-crème. Son verre a la teinte d'une ampoule dépolie.

L'homme influent l'a sans doute oubliée. Elle n'aura pu apercevoir M. Eugène. Elle est toujours aussi charmante.

Si j'osais ? Mais quelle folie, je ne possède pas l'architecture d'un

Weidmann, je ne suis pas davantage spécialement attiré par l'amour des petits chats blancs.

— Vos amis demandent si vous profitez de leur voiture pour retourner à Paris, m'a dit le garçon.

En soupirant, j'ai laissé la jolie abandonnée à son gué-ridon ; j'ai pris la voiture. C'est peut-être moins agréable mais ainsi j'ai plus de chances de rentrer tôt chez moi et d'éviter des histoires conjugales.

René-J. PIGUET. Reportage photographique DETECTIVE.

Marcel CARRIERE.

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A QUI SERA LA PLUS BELLE Sali/ Ranci (ci-contre) la célèbre danseuse nue et la non-moins célèbre nageuse Éléanor Holm (ci-dessous) sont en guerre. Chacune d'elles se croit la plus belle et veut avoir la vedette, être la principale attraction de l'Exposition Universelle de New-York. Elles ne sont pas mal ni l'une ni l'autre, à la vérité. Tâchez, lecteurs, d'être justes et d'être moins torturés que ne le fut Paris quand il voulut attribuer ia pomme à la plus gracieuse des trois Grâces.

Y

#1

SIX MILLIONS de bijoux s'en vont La richissime Mrs Régi-nald Fellowes, fille du duc Decazes, amie du ducde Windsor, la fem-me la mieux habillée de Paris, en aurait été la plus heureuse et serait restée sans histoire si d'habiles malfaiteurs ne lui avaient dérobé pour 6 millions de bijoux. Elle promet 500.000 fr. à qui lui rendra ses joyaux. Détectives ama-teurs, c'est le moment de vous mettre en

campagne...

■MRS

Fort Chabrol à Blaringhem L'expulsion de M. Quille, fer-mier près d'Hazebrouck, père de 5 enfants n'alla pas sans peine. Il fallut 200 gardes mobiles pour venir à bout de

700 paysans exaspérés.

| LE YVCiL/nANN ▼

LYONNAIS Vendredi dernier, à Millery.prèsde Lyon, a eu lieu la reconsti-tution de l'assassinat de Mme veuve Alle-mand, la débitante

j tuée à coups de cou-teau par Balligand et

g Louis Philippe, le I Weidmann Lyonnais.

Tous deux ont fait des aveux complets.

| Notre photo repré-sente l'arrivée à Millery de Charles-

Louis Philippe.

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frs

L ES cloches de la petite église normande sonnaient à toute volée. On mariait la fille au père Langlois. Un beau brin de femme,

l'Elisabeth : 18 ans, des seins déjà lourds, une croupe avantageuse, un visage rieur éclairé de beaux yeux noisette... Le gars Resnouard n'était pas à plaindre. Rien sûr elle ne pos-sédait plus depuis longtemps ce rara avis que Roccace considérait d'ailleurs comme quantité négligea-ble : elle avait couru le guilledou avec des « fleux » différents, mais sa jeu-nesse était fraîche, tentante, ses bras robustes et blancs : cela ferait une solide ménagère. Et c'est ce que pen-sait le Resnouard.

Au bout de six mois de mariage, il s'aperçut qu'il « l'était », et avec abondance. L'Elisabeth avait du tem-pérament. Ce n'était pas sa faute, à cette fille, si son homme, trimant dur la journée durant, ne saluait pas ïe soir venu, avec tout le soin et la vigueur désirables, des charmes qui ne demandaient qu'à lui rendre sa poli-tesse.

D'autres, moins fatigués ou plus ardents, apportaient leurs hommages en douce, le soir, entre chien et chat. Elisabeth se fut contentée de ce ré gime si, hélas ! un malheureux jour, son mari, après une tourlousine épique, ne l'avait flanquée dehors et demandé, aux juges, de sanctionner sa juste et légitime fureur.

Le divorce fut prononcé quelques mois après et rendit la liberté à la jeune femme. Sa valise de fibre rem-plie de quelques robes usées, de cha-peaux fanés et d'objets en vrac brim-balant dans le rectangle sonore, elle débarqua à Paris, voici cinq ans.

t

Rencontre En descendant l'escalier de la gare

Saint-Lazare, elle eut la tête tournée par ce va-et-vient incessant de voi-tures, d'autobus, de gens courant, créant une ambiance trépidante. Son petit sac à main, noir et usagé, ren-fermait toute sa fortune : deux bil-lets de cent francs. Il fallait les faire durer jusqu'au jour où elle aurait trouvé une place.

— Vous attendez quelqu'un, made-moiselle ? ,

Une auto venait de s'arrêter et son conducteur l'interpellait. Il était joli garçon, il avait l'air aimable. Elle n'attendait personne, elle le lui dit.

— Mais, je vous trouverai quelque chose, vous verrez, lui dit-il, quand rapidement, elle eut conté son his-toire. Venez, on va prendre un verre.

Que risquait-elle ? Elle monta dans le cabriolet. Le soir, elle couchait avec Jean Favreau, son nouvel amant. L'aventure lui semblait riante et ines-pérée. Il était plein de délicatesse, cet amoureux, et satisfaisait ses désirs inapaisés depuis quelque temps. Quel rêve ! Il habitait un gentil apparte-ment boulevard des Ratignolles.

— Je m'occupe de la vente de voi-tures, lui avait-il dit laconiquement, répondant à son interrogation.

Huit jours passèrent. C'était pour Elisabeth un conte des mille et une nuits qui déroulait ses fastes pour elle, la petite provinciale qui oubliait la rustique maison des bords de l'Eure et son rustre d'ex-mari.

Un soir, Jean rentra, l'air sou-cieux.

— Des ennuis, mon chéri ? — Oui, les affaires ne gazent pas.

L'essence est chère et les clients pour les bagnoles se font rares.

Il l'attira doucement vers lui, et la tînt jusqu'à la pâmoison.

— Tu sais, Rabeth — il l'appelait ainsi maintenant — il faudrait que tu travailles un peu.

— Mais bien sûr, j'irai au bureau de placement demain. C'est ce que j'avais l'intention de faire quand tu m'as rencontrée.

L'homme soiirit et eut un petit cla-quement de langue.

— Mais non, mais non, on bouffera des clous avec ce. système. Cinq cents francs par mois, c'est ce que me coûte la carrée ici. Il faut que tu sois rai-sonnable et que tu comprennes.

Il la serrait tendrement ; mais ses yeux étaient durs, impérieux, exi-

geants. Elle crut saisir ce qu'il lui demandait.

— Tu n'y songes pas, Jean. Je t'aime, moi.

— Quelle importance cela a-t-il. Il n'est pas question d'amour avec les clients, mais de business.

Elle consentit à la déchéance. Le soir, elle déambulait sur le boulevard des Ratignolles, à proximité du Théâ-tre des Arts. Favreau était descendu avec elle pour lui expliquer le code et la présenter aux copines. Ainsi donc, son principal métier était d'être ma-quereau ! L'élégant vendeur de voi-tures trafiquait de femmes aussi, et surtout !

Un matin, on frappa à la porte de leur appartement.

— Police, ouvrez ! — M..., je suis fait, Il avait, Pavant-veille, volé une voi-

ture devant le Gaumont-Palace et les enquêteurs l'avaient su. On les em-mena tous les deux quai des Orfèvres.

— Tu ne savais rien de son trafic ? — Non, dit-elle avec sincérité. Il ne

me mettait pas au courant de ses affaires.

Pour comble" de guigne, un « mœurs » passait, dans le couloir.

— Mais, je l'ai vue souvent. Elle a l'air de s'expliquer près du pont de l'Europe ou aux alentours du collège Chaptal.

On la mit en carte et lui en prison. Il en récolta pour cinq ans. Elisabeth changea de quartier. Elle alla porter ses pénates dans le secteur de Rarbès.

Un dur Jean Favreau purgeait sa peine en

centrale à Clairvaux. Elle l'assistait comme elle pouvait, maigrement, parce que le trottoir la nourrissait à peine. Elle n'avait pas le cœur à l'ou-vrage. Et les habituées du quartier lui faisaient la vie dure.

Elisabeth, la femme sans homme. Toutes les autres en possédaient, qui dirigeaient les opérations journalières, et leur donnaient une sécurité appa-rente. Elle conservait une fidélité spé-ciale et touchante au prisonnier qui lui écrivait : « Ma petite femme, te marie pas. Attends-moi, Vois Dédé si on t'embête. »

Hélas ! Dédé avait été « fait » lui aussi et sa protection devenait illu-soire.

Un matin, vers 3 heures, elle ren-trait à sa modeste chambre d'hôtel. La soirée avait été mauvaise, dix

Page 7: NO 542 - Jeudi 16 Mars 1939 - 1 fr. 75 · ment entre le signalement de l'homme qu'elle aper-çut devant « La Voulzie » et le même Mouly. Elle dit encore que, invitée à prendre

francs... Même pas de quoi se payer une gratinée et un verre de blanc chez Dupont. Comme elle débouchait près de la rue Surcouf, trois hommes sortirent d'un bistro proche.

— On rentre, la môme, toute seule, dit l'un d'eux. Je vais te faire un brin de conduite. •

A sa façon cavalière et désinvolte de l'aborder, Elisabeth comprit. Rési-gnée, elle se laissa accompagner.

.<— Tu es seule, ici. Il te faudrait un petit homme. C'est pas sain de travail-ler en isolée.

— Le mien est à Glairvaux. Je l'at-tends.

— Ça te passera, ce sentiment. Et puis, t'as pas le droit de turbiner dans ce quartier sans payer l'amende. Les femmes m'ont déjà signalé ta présence ici. C'est pas honnête. T'as jamais en-tendu parler de Louis l'amendier ?

Non, elle n'en avait jamais entendu parler.

—i Eh bien, c'est moi. Il faut que tu « raques » mille francs.

— Je ne les ai pas, bien sûr. — Tu auras des délais. Elle le quitta, un peu angoissée. Il

ne lui offrit pas de la conduire à sa chambre, ce qu'elle n'aurait pu lui refuser, naturellement. Et, songer à changer de coin, pourquoi faire ? Elle commençait à s'habituer.

Quinze jours se passèrent. Elle n'avait plus entendu parler de lui ni aperçu sa silhouette inquiétante^ se profiler la nuit sur l'horizon jaunâtre créé par la lumière blafarde des lam-pes à arc.

— Tiens, te voilà. Elle sursauta. L'homme était près

d'elle, goguenard et sûr de lui. — Viens jusque chez moi. — Docile, elle le suivit. Il habitait

un confortable appartement, 6, Villa Dancourt, loué 6.000 francs par an au nom d'une entraîneuse de dancing, du moins, c'était la profession indiquée sur le bail.

— Ma femme vient d'être faite. Elle en a au moins pour treize mois. Je t'ai remarquée, tu es sérieuse et tu me plais. On va se mettre en ménage.

Refuser ? Elle n'y songea pas. Tant pis.

Et la vie commença, mais quelle dif-férence avec l'ancienne ! Son protec-teur était un dur, mauvais, qui la dérouillait constamment.

ADMINISTRATION — RÉDACTION ABONNEMENTS

3, RUE DE GRENELLE — PARIS (VIe)

Directeur-Rédacteur en Chef : MARIUS LAR1QUE

TELEPHONE : LITTRE 46-17 ADRESSE TELEGRAPHIQUE i DETEC-PARIS

COMPTE CHEQUE POSTAL : N» 1298-37 6 mois 12 mois

France et Colonies 41 » 77 » Etranger. Union postale .... 54 » 99 » Etranger, Autres pays 64 » 119 »

Les règlements de compte et abonnements doivent être établis à l'ordre et au seul nom de « Détective ».

Ce barbeau, dit l'Amendier, distri-buait — son surnom l'indiquait bien — les amendes aux malheureuses. Il avait tarifé le travail d'Elisabeth à cent cinquante francs par jour. C'était une somme difficile à réaliser quoti-diennement.

— Alors, quoi, c'est une paumée que j'ai prise. Tu peux pas te dém... autre-ment que ça ?

Et les coups pleuvaient. Ce Savoyard de vingt-huit ans,

Louis Rérard, jouait au grand chef. Dans le cénacle de la rue Dancourt, il trônait, pontifiait, ordonnait. Les barbeautins l'écoutaient.

— Les femmes, ça ne comprend que les jetons. Après une bonne dérouillée, c'est plus souple. C'est comme le fer battu ou le cuir.

Mais cela n'arrangeait guère les finances de l'association. Les recettes se faisaient de plus en plus maigres.

M. browning parle — Ron, j'ai compris, lui dit-il un

soir. Le tapin, pour madame, c'est fini. J'ai vu cet après-midi Tatave, le placeur de la rue du Faubourg-Saint-Martin. Il a une excellente place pour toi en maison à Saint-Dié. Au moins, là-bas, avec la troupe, tu t'expliqueras peut-être mieux qu'ici.

Elle se rebiffa. Elle ne voulait pas quitter Paris, maintenant moins que jamais. N'avait-elle pas reçu une lettre de Clairvaux. Jean allait sortir pro-chainement et il était plein de ten-dresse.

« Je ne t'ai pas oubliée, ma petite femme chérie, et tu verras comme on va être heureux. »

Rérard la jeta brutalement sur le divan et la bourra consciencieusement de coups.

— Il faudra que tu cèdes, tu en-tends. Je te ferai la croix des vaches si tu n'obéis pas.

Elle promit, sachant qu'il mettrait son idée à exécution. Le lendemain, il avait changé sa destination.

— C'est à Bordeaux que tu iras. Je pourrais mieux te faire surveiller. Le taulier est de chez moi. Alors, fais gaffe.

Le soir il rentra saoul comme les Polognes. Elle lui remit sa recette qu'elle tira de ses bas de soie.

— Soixante balles, tu te f... de moi, rugit-il. Tu as dû en planquer ailleurs. Il lui arracha son sac et se mit à le fouiller. Il lança le rouge, la boîte à poudre, un ticket de métro, un mou-choir à terre, tâtant fébrilement la poche de daim.

Il entendit un petit crissement. — Je savais bien que tu en garais

à gauche des biffetons, triompha-t-il... Ce fut la lettre de Clairvaux qu'il

trouva. Il lut : « Ma petite femme chérie », et la fin : « Ton homme qui pense à toi... »

— Ah, ah ! c'est ainsi. Et après, on me lâchera, oubliant tous les sacri-fices que j'ai faits pour toi... Eh bien, je vais te marquer. Ça te laissera un souvenir.

Mais il se tâta vainement. La lame punitrice avait disparu. Il se précipita vers l'armoire pour y saisir un revol-ver.

Mais, Elisabeth, plus prompte, avait pris dans le tiroir de la table une autre pétoire, un 7/65 tout neuf. Le Savoyard avait un arsenal chez lui. Et pendant qu'il saisissait un petit browning sous la pile de linge, la femme tira.

Une balle traversa les reins, une autre le cœur. L'homme tourna sur lui-même, deux fois, ayant encore la force de crier : « Salope, tu m'as eu », puis il s'effondra pesamment sur la descente de lit.

Elisabeth ouvrit la porte au concierge qui montait, suivi des voi-sins.

— Je l'ai tué, sinon, c'est moi qu'il aurait descendue. Allons chez le com-missaire.

Elle conta au magistrat la scène, n'omettant aucun détail.

On trouva une lettre écrite par Eli-sabeth à ses parents :

« 5 mars. Pardonnez-moi, je vais vous faire de la peine, etc.. »

— Mais, c'était la veille du drame que vous demandiez pardon à vos parents ? Vous aviez donc prémédité votre coup ?

— J'ai confondu la date. Je vous jure que c'est après la scène que j'ai écrit ce mot. Crime ou meurtre, c'est affaire des magistrats. L'insoumise attend la justice des hommes.

Hubert BOUCHET.

L'autre soir, son amant voulut ia défigurer. Elisa-beth Langlois, dans le pe-tit appartement de la villa Dancourt, le descendit à bout portant. Ainsi finit Louis l'amendier, homme

du milieu.

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Page 8: NO 542 - Jeudi 16 Mars 1939 - 1 fr. 75 · ment entre le signalement de l'homme qu'elle aper-çut devant « La Voulzie » et le même Mouly. Elle dit encore que, invitée à prendre

! COÛTE une seconde, fit Marcel, en m'atti-rant dans un coin du bar où l'appareil de T. S. F. au son métallique venait d'interrompre son concert pour diffuser une information urgente.

« On nous signale que le jeune Mau-rice, âgé de 14 ans, a disparu du domi-

cile de ses parents depuis deux jours. Il est de petite taille, vêtu d'un costume... Les personnes susceptibles de fournir des renseignements à son sujet sont priées de téléphoner... Au cas où il serait découvert, lui assurer qu'il peut revenir et qu'aucune observation ne lui sera faite. »

— Tu as compris ? me dit Marcel, qui, depuis plu-sieurs semaines, me pilotait parmi la pègre des ker-messes.

— Quoi ! ce serait le môme de jeudi dernier, celui qui consommait avec « Totor le Compas » et avec lequel il est parti ?

— Dame ! Souviens-toi du signalement, la taille, le costume, les rayures du chandail, la petite cica-trice, etc., tout ce que la T. S. F. vient d'annoncer. Je crois qu'il n'y a aucun doute à avoir. Il a dû le faire « faucher » chez ses parents, car maintenant c'est sa spécialité avec les mômes. Mais, attends-moi un moment, je vais essayer d'obtenir quelques préci-sions. .

Pendant la courte absence de Marcel, je me repré-sentais facilement l'angoisse des pauvres parents. Les premières démarches auprès des professeurs pour apprendre que depuis plusieurs semaines la conduite de leur enfant devenait inquiétante. Les bulletins du mois faussement signés de leur nom. Les cours non suivis, les punitions, etc. Puis, enfin, l'ultime démar-che à la police, au bureau des recherches dans l'inté-rêt des familles, afin de savoir si leur enfant n'avait pas été arrêté sous un faux nom, ou accidenté, car ils n'osent, ces malheureux, songer au suicide. Mais déjà Marcel revenait :

— Oui, c'est bien Totor qui l'a « piqué » mais cela date de plusieurs mois. Dans ces conditions, pour que le gosse ait quitté sa famille, il est fort probable qu'il a dû lui faire commettre un vol assez impor-tant.

Ce triste personnage avait débuté, il y a quelques années, en racolant les jeunes gens à la sortie des cours, pour leur acheter, à des prix dérisoires, les boîtes de compas, à l'époque d'un prix relativement élevé. Il avait alors ses .rabatteurs, qui, lorsqu'ils ne trouvaient pas de vendeurs, se chargeaient eux-mêmes de procurer la marchandise. Jamais on n'avait constaté tant de boîtes de compas dérobées dans les écoles, de là son surnom de « Totor le Compas ».

, — Oh ! fit soudain mon compagnon, je viens d'aper-cevoir « Crevette ». C'est une gosse qui doit sûrement savoir où se trouvent les deux personnages dont nous parlons. Elle est âgée de 14 ans, déjà vicieuse, et elle « rabat » quelquefois pour Totor.

Quelques instants plus tard, « Crevette », petite, rachitique, les cheveux coupés, vêtue très modeste-ment, commandait avec assurance un « chocolat grande tasse » et prenait en souriant deux croissants dans la corbeille.

— Mais tu n'as donc pas déjeuné ? — Oh Ji si, répondit-elle, mais vous savez, comme

ça, à la sauvette. Puis, se tournant vers Marcel, devenue soudaine-

ment inquiète, elle demanda : — Monsieur n'est pas de « la Mondaine », au

moins ? Parce que, vous savez, j'y suis déjà passée ! Les inspecteurs m'avaient suivie et ma mère a été prévenue.

—- Mais non, monsieur n'est pas de la police du moment qu'il est avec moi, fit Marcel. Dis-nous dono de préférence où se trouve le môme qui a été « levé » par Totor le Compas.

— Je ne pourrais pas me mettre sur la banquette, entre vous deux, pour voir ceux qui rentrent dans ce café ?

« Crevette » s'installa suivant son désir. — Le môme qui vous intéresse habite près de

l'Etoile, commença << Crevette ». Et il est de bonne famille, ajouta-t-elle avec des yeux émerveillés. Il y a deux ascenseurs chez lui, vous pensez, hein ! Totor l'a rencontré dans la salle des pas perdus à la gare Saint-Lazare, un jeudi. Il l'a emmené au cinéma et a pris rendez-vous pour faire une ballade le lendemain. Naturellement, le môme a plaqué l'école. Ses parents l'ont su. Il a dû prendre une « trempe ». C'est alors que Totor lui a proposé de partir vers sa propriété de la Côte d'Azur, mais il fallait de l'argent et le môme a dû voler les bijoux de ses parents.

— Mais comment le sais-tu ? Tu ne les as pas revus, je suppose ? demanda Marcel.

— Non, mais je sais qu'il le fait chaque fois. Je sais aussi, ajouta « Crevette », qui voulait donner des précisions afin que l'on ne doutât pas de sa compé-tence, qu'il fait voler dans le sac à main des dames qui viennent en visite chez ses parents, ou même dans le porte-monnaie de la cuisinière. Du rèste, il ife possède pas de propriété dans le Midi. Il emmène le môme dans un hôtel des environs de Paris où il simule un vol, et lui conseille même ensuite de retourner dans sa famille.

— Ta mère ne te dit rien de passer tes après-midi dans les kermesses ou les salles d'attente des gares à regarder les gravures ou les jeux ?

—r Ma mère est seule, elle travaille... et puis quoi, je vais où il y a du monde, de la musique et où il fait chaud.

A ce moment, comme pour mettre une conclusion au cas de Totor, la T. S. F. annonça :

« Les parents du petit Maurice remercient les personnes qui lui ont signalé le passage de leur enfant. Celui-ci vient de réintégrer le domicile fami-lial. »

J'ai su, depuis, qu'au moment où venait d'être lancé le premier appel radiophonique annonçant que les parents pardonnaient la faute du jeune Maurice, ce dernier, après avoir erré près des berges de la Seine dans un but de suicide, avait heureusement manqué de courage. Il était venu se réfugier dans l'escalier même de l'immeuble de ses parents, dans une encoignure près de l'un des ascenseurs qui impresionnaient tant la jeune « Crevette », et où il fut découvert par un des locataires.

Le ** capitaine '* — Tiens, il est déjà sorti de prison « le capi-

taine » ? — Oh ! fit Marcel, il est sans doute tombé sur un

bon jour, trois mois, ce n'est en effet pas cher. En tout cas, cela n'a pas dû le corriger, regarde le cares-ser amicalement le jeune garçon tellement occupé à faire passer une bille dans le trou aux « réserves » qu'il ne s'en aperçoit même pas.

Oui, mais si l'enfant ne s'était pas aperçu des attou-chements du « capitaine », en revanche ce dernier avait remarqué notre présence, car il quitta la ker-messe (où il fait chaud, ainsi que disait « Crevette ») avec l'allure d'un voyageur craignant de manquer son dernier train.

Marcel jeta un regard inquisiteur sur l'entourage, ce qui n'apporta aucune explication à la fuite du « capi-taine ».

Pour satisfaire son vice, il racolait de petits désœu-vrés dans les kermesses pour les emmener ensuite à son domicile. Il fut arrêté alors que trois gamins partageaient sa couche. Un mois de prison par per-sonnage, c'est peu !

— Mon cher, la loi est la loi, déclara Marcel auquel je faisais part de mon étonnement. C'est justement parce qu'ils étaient trois que le « capitaine » a été

condamné, car s'il n'en avait racolé qu'un seul, même de 13 ans et un jour, la police n'aurait eu qu'a lui tirer son chapeau. (C'était évidemment pour Marcel une façon de s'exprimer).' En effet, à partir de cet âge, il n'y a pas délit en l'absence de violences et quand le sujet est consentant.

On se rend compte des inconvénients qu'entraîne cet article de la loi dite « de majorité pénale », qui favorise bien involontairement les corrupteurs, les vicieux, les pornographes, et en général tous ceux qui spéculent sur la misère ou la naïveté des adoles-cents abandonnés à eux-mêmes.

-— Ah ! je comprends, fit Marcel en sortant de la kermesse, le motif du départ « en flèche » du « capi-taine ». Regarde en face, les occupants de la voi-ture ?

Il s'agissait tout simplement des spécialistes de la brigade mondaine, les inspecteurs principaux Boi-leau, Malvoisin et Froment, attendant l'heure pro-pice, « l'heure de la soupe », afin de commencer les filatures et repérer ainsi le domicile des gamins remarqués au cours de leurs surveillances comme acceptant avec facilité, de la part d'inconnus, un spectacle de cinéma ou une promenade en voiture.

— Alors vous préparez un « convoi de piafs » (rafle de mineurs) il me semble ?

En bas, à gauche, le bureau des " Recherches dans l'intérêt des familles ", qui voit bien des dé-tresses. — Ker-messes ! jeux innocents, où échoue trop souvent l'en fance mal surveillée.

Page 9: NO 542 - Jeudi 16 Mars 1939 - 1 fr. 75 · ment entre le signalement de l'homme qu'elle aper-çut devant « La Voulzie » et le même Mouly. Elle dit encore que, invitée à prendre

— Il faut bien, car cela devient urgent Au même instant une voiture venait de s'arrêter,

pour laisser descendre un gamin habitué de l'éta-blissement.

— Tiens, c'est « La Boulange », fit un policier. Couche le môme, nous allons filer la voiture, rendez-vous à la gare de l'Est.

Et lentement, alors qu'un des policiers était des-cendu pour « coucher le môme » (découvrir son domicile), la voiture spéciale de « la Mondaine » allait s'intéresser aux agissements de « La Boulange ».

...Si l'enfant ne revenait plus ? — Je crois que cet individu ne « séchera » plus

longtemps sur le boulevard de Strasbourg, m'avait déclaré Marcel en me quittant. C'est un ancien ouvrier boulanger qui attire les enfants des deux sexes, dans les terrains vagues de la banlieue nord. Après quelques attouchements, il les photographie dans des poses obscènes.

— Mais il n'y a donc jamais eu de plaintes des parents ?

— C'est encore bien plus écœurant ! Les gamins finissent par le connaître, et présentent eux-mêmes de petits camarades. Dernièrement, « la Boulange »

Mais la Mondaine, veille, elle. - Voici, à la terrasse d'un café, en "planque" les inspecteurs principaux Malvoi-sin, Boileau, en compagnie de R.-J. Piguet. — Les

bords de la Seine la nuit, trous d'ombre...

a emmené une fillette ; les inspecteurs de « la Mon-daine » l'ont appris, aussi je crois que ce sera le coup de grâce.

Et si cette fillette n'était plus revenue ? Si son petit corps avait été découvert, le lendemain, dans un sinistre terrain vague ?

Certes, les prévisions de Marcel n'avaient pas tardé à se réaliser. « La Boulange » n'avait pas « séché » longtemps aux abords des fêtes foraines, car moins de quarante-huit heures après, M. le commissaire Chain confrontait l'inculpé avec quelques-unes de ses victimes, car toutes ne pouvaient être identifiées.

Au cours des perquisitions qui suivirent cette arrestation, plus de deux cents photographies, pri-ses tant en plein air que dans des chambres d'hô-tels, furent saisies, ce qui prouve les ravages opérés par ces individus, parmi l'enfance malheureuse.

Fredo « le Placeur », lequel opérait à la Bastille, n'avait pas tardé à « comprendre ». Il fournissait à une clientèle spéciale de vicieux et sadiques, les gamins non surveillés, ou même en état de vagabon-dage, dont il avait déjà éprouvé la « docilité ». Le prix avait été fixé par lui à lô francs, et la présen-tation était aussi invariable que rapide.

— Tiens, toi, le môme, va avec monsieur, c'est un ami à moi.

C'était tout. Le sujet ne demandait pas d'explica-tion, et accompagnait docilement la personne dési-gnée. Seulement, si la loi favorise involontairement le corrupteur, il n'en est pas de même pour l'inter-médiaire, lequel heureusement n'est pas protégé et tombe sous l'inculpation d'excitation de mineurs à la débauche.

C'est pour ce motif que « Fredo le placeur », alors que ses clients continuent à assouvir leurs vices, médite en prison et pour quelques mois, sur cette situation qu'il qualifie d'injuste.

Il en est de même de « Pierre de Clichy » qui, pour les mêmes motifs et sous le prétexte de leur apprendre à jouer du jazz, entraînait les adolescents dans son logement, avant de les « mettre en circula-tion ».

Et comment qualifier ce professeur qui, il y a plu-sieurs mois, avait fait inscrire un de ses sujets dans un patronage, afin de lui faire racoler, les jeudis et dimanches, quelques camarades ? Cet excellent sujet suivait parfaitement les directives données.

— Ne restez pas au patronage cet après-midi, déclarait-il à ses petits copains, venez avec moi chez un riche ami, nous y passerons l'après-midi. Il y a des jeux amusants.

Ces jeux, en effet, devaient être des plus amusants, surtout pour le professeur et ses invités, car le diman-che suivant, M. Chain et ses collaborateurs, faisant irruption dans l'appartement de Montmartre, arrê-taient onze mineurs de 13 à 16 ans, et quatre « in-vités ».

Un convoi de '*piafs" La camionnette venait de s'arrêter devant le 36,

quai des Orfèvres. Un des inspecteurs ouvrit la porte pour la descente de cinq gamins et d'une petite fille.

— Tiens, le « pensionnat Verjus », fit le gardien de planton. A cette heure tardive, la soupe va être froide !

Les cinq gosses suivaient l'inspecteur d'un air indifférent. Seule, la fillette donnait l'impression de chercher une circonstance favorable à la fuite.

— Ne cherche pas, petite, tu n'as rien à craindre ici. Suis tes petits camarades.

— On va prévenir mes parents ? demanda-t-elle. Mais personne ne répondit à sa demande, et quel-

ques minutes plus tard, la petite troupe était assise bien sagement dans une des salles de « la Mon-daine », attendant que les parents veuillent bien venir chercher leurs enfants, et apprendre, par le commissaire, leurs agissements et la nécessité de les surveiller un peu plus activement.

Quelles surprises ces interrogatoires et leurs révé-lations devant les parents ! Je me souviens 4e cette mère paraissant courroucée en apercevant son fils

âgé de treize ans, expliquant les manœuvres aux-quelles il s'était livré dans un cinéma, avec un garçon de café qui l'avait racolé près d'une fête foraine.

— Je lui ai fait ce qu'il m'a demandé, mais il a été obligé avant, de me donner les 15 francs qu'il m'avait promis.

A ce moment, le visage de la mère s'éclaira d'un large sourire.

— Vous l'entendez, monsieur le commissaire, croyez-vous qu'il est « marrant », ce gosse.

Puis, se ravisant, soudainement inquiète : — Et l'argent, où est-il ? — J'ai rigolé avec des copains qui m'avaient indi-

qué le client. — Petit dégoûtant, tu vas entendre à la maison

ce que va dire ton père ! s'écria la mère, indignée. J'ai cru comprendre que cette indignation subite

avait été provoquée bien plus par la disparition de l'argent que par la conduite de son enfant.

Un autre jeune détenu, du même convoi, répondait énergiquement aux enquêteurs :

— Vous ne pouvez rien me faire, tout le m:>nde me connaît, je fais « la torpille ».

Ce qui, dans ce milieu spécial, signifiait qu'après avoir verbalement consenti à satisfaire les désirs de son client, il exigeait le paiement immédiat de la somme promise, pour disparaître aussitôt. Lorsque le client s'apercevait de la manœuvre et essayait de récupérer l'argent, la « Torpille », malgré son jeune âge, pratiquait « la postiche ».

— Voulez-vous bien me laisser, vieux saligaud, vous n'êtes pas de ma famille, ce n'est pas vrai, etc.

Malheureusement, le convoi de « piafs » n'est pas exclusivement composé de ces petits vicieux. Il en existe d'autres très nombreux, dont la situation laborieuse des parents ne permet pas une surveil-lance constante de leur part.

Ces enfants ou adolescents ne sont pas définitive-ment perdus, loin s'en faut ! Et c'est là que l'injus-tice apparaît, avec toutes ses conséquences. Alors que les premiers sont toujours repris par des parents indifférents, les autres, véritables petites victimes, sont, sur la demande de leur famille, confiés à des œuvres dites de redressement.

Tout cela, parce que certains individus dégénérés et sans scrupules, profitant d'un article de loi, peu-vent se permettre de souiller un enfant de treize ans, à la seule condition qu'il n'y ait aucune violence, ni témoin. C'est, je crois, une singulière façon de protéger l'enfance.

H H H Mais, il existe un remède : le relèvement de la

majorité pénale à seize ans, au lieu de treize ans et un jour, comme présentement.

Et c'est tout : de cette façon, les pervertis, les cor-rupteurs, les pornographes qui spéculent ignoblement sur la misère ou la candeur de l'enfance pourront être atteints.

Les pays étrangers se sont du reste déjà protégés. En Suisse, par exemple, la majorité pénale est de quinze à seize ans. De plus, tout employeur d'un enfant au-dessous de cet âge doit aviser le maire et la famille, le jour-même du congédiement.

Si l'on n'adopte pas une méthode analogue, tous les efforts de M. Langeron et de ses services seront vains, malgré la collaboration des forains et direc-teurs de kermesses, auxquels il convient de rendre hommage.

René-J. PIGUET.

Page 10: NO 542 - Jeudi 16 Mars 1939 - 1 fr. 75 · ment entre le signalement de l'homme qu'elle aper-çut devant « La Voulzie » et le même Mouly. Elle dit encore que, invitée à prendre

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J1..., dé Saint-Raphaël : « Tout ce que » J^entreprendls1 me réussit et ma recon-*» naissance sera éternelle... »

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Page 11: NO 542 - Jeudi 16 Mars 1939 - 1 fr. 75 · ment entre le signalement de l'homme qu'elle aper-çut devant « La Voulzie » et le même Mouly. Elle dit encore que, invitée à prendre

LUNDI. — Les malfaiteurs doivent être vraiment désœuvrés pour continuer l'exercice d'une indus-trie si aléatoire et qui rapporte plus de mécomptes que de profits. Ils ont contre eux la conscience uni-verselle, ce qui ne les dérange pas; ils ont contre eux les policiers qui troublent trop souvent leurs plans ; ils ont même contre eux leurs victimes choi-sies qui les dérangent en plein travail, ce qui fut le cas dernièrement pour Henri Viradon, qui se fit proprement assommer, à coups de barre de fer par M. Abraham Schlcmger, chemisier, 54, rue de Paris, à Saint Denis, chez qui il s'était introduit nuitam-ment. Si les victimes se défendent à présent contre les voleurs, si Mercure abandonne ceux-ci, à quel dieu vont-ils se vouer ? Sûrement pas à Téhovah qui, une première fois, arma Samson d'une mâchoire d'âne, pour qu'il défît les Philistins et qui, à Saint-Denis, donna à Abraham Schlanger un cœur de lion et une barre de fer pour qu'il ne consentît point au sacrifice de ses chemises et pour qu'il mît en pièces ses ennemis.

JEUDI. — Au cours d'une récente audience du tribunal correctionnel de Troyes, Claude Larue était poursuivi pour violences contre sa femme.

Un mari qui bat sa femme, rien que de très ordi-naire ; ce qui ne signifie pas que je supporterais un pareil traitement de mon conjoint, soit dit en pas-sant et pour lui.

M. Larue sévissait, en outre, d'une manière plus originale que la plupart des maris brutaux. Avec lui, le bâton et les ciseaux alternaient. Les ciseaux? Eh 1 oui, M. Larue se servait de ciseaux pour cou-per à sa femme autre chose que les cheveux. Et quoi donc ? les poils des aisselles ? Plus bas, nous apprennent les débats. A ce trait, je devine que M. Larue avait des doutes sur la vertu de sa femme, qu'il était jaloux et que la ceinture de chasteté ne se portant plus, il voulait, si j'ose dire, défigu-rer sa femme. Où donc cet imbécile a-t.il pris que les musulmanes, pour être ainsi privées de frisons, sont privées de frissons et aussi des hommages mas-culins ? Quinze jours de prison lui enseigneront que les mœurs chrétiennes ne sont pas celles du Coran.

MARDI. — Il y a des gens qu'on n'arrive pas à contenter. Telle me semble être la gérante d'un hôtel, 9, boulevard Edgar-Quinet. L'autre jour, elle constata qu'un de ses locataires avait déménagé à la « cloche de bois ». Elle grommela, maugréa, grogna. Quand son ire fut calmée, elle pensa qu'il convenait de remettre la chambre en état et pour cela, elle y voulut pénétrer. La porte étant verrouil-lée, elle eut de la peine à ce faire.

Quand elle y parvint, elle trouva deux hommes dans la chambre ; l'un dormait, l'autre se rasait ; tous les deux lui étaient inconnus. Elle se fâcha derechef. Je vous le dis en vérité, il y a des gens insatiables ; fâchée de perdre un locataire, elle était encore fâchée d'en récupérer deux. Insonda-ble mystère de l'humeur féminine ? Pas tellement, car ces deux-là, Edouard Kleber et Cyprien Brand, pouilleux, crasseux et sans un sol vaillant, s'étaient glissés là subrepticement et constituaient une clien-tèle indésirable pour une bonne gérante. Les agents, prévenus, ont trouvé pour Klébef et Brand un domi-cile plus adéquat à leur personnalité : le Dépôt.

SAMEDI. — Hêic [vr

Que deux voisins entre eux, a1

[toujours la g la soil d'envahir et d'étendre ses [droits

:rnenteront tou)ours les meuniers et les rois...

Ainsi disait, sans trop de prétention à la palme Apollon, le gentil poète Manuel. *

aui nous occupe ne touche que des

- "ne les meuniers réglant ses " comme iont les l'usine

d'

Que

tour

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qui

MERCREDI. — Bien qu'elle n'ait que 52 ans, Suzanne Sevestre est déjà titulaire de 52 condam-nations et de 525 années d'interdiction de séjour. Une condamnation et dix années d'interdiction de séjour par an. Qui dit mieux ?

En tout cas, elle est en passe d'améliorer sensi-blement son record puisqu'elle s'est présentée mardi au poste de police de la rue d'Hauteville pour récla-mer qu'on la jette de nouveau en prison sous l'in-culpation^de vagabondage. Elle en avait assez d'être « de la cloche » et de ne manger que les résidus des poubelles auprès desquelles les chiens errants, les rats voraces et les chats subtils lui fai-saient une rude concurrence.

Le commissaire a déféré, après vérifications, à son désir et Suzanne Sevestre est, de nouveau, en cage.

Je la plains d'avoir plus de ventre que d'idéal et de penser davantage à la pâtée pénitentiaire qu'à la coupe de la liberté, si claire, si ruisselante de beauté, même lorsqu'elle est vide.

VENDREDI. — Sur le thème banal de la fidélité des bons chiens, on a tout écrit. Le chien de l'aveu-gle, le chien qui suit la dépouille mortelle de son maître jusqu'au cimetière et qui se laisse mourir de faim sur la tombe, sont de petits exercices de poésie un peu puérile. Les exploits généreux des saints-bernards, des terre-neuve, meublent aussi notre petite armoire sentimentale, à la serrure très simple.

On avait volé sa petite chienne Dolly, un ma-gnifique loulou de Poméranie, à M. Clève, restau-rateur à Boulogne. Il fit tout ce qu'il faut pour la retrouver. Il ht même arrêter le voleur qui nia. L'astucieux commissaire de Boulogne, M. Saint-Royre, pour départager les deux hommes, décida que la bête serait à celui qu'elle reconnaîtrait et qu'elle fêterait. Il assembla douze personnes dans son bureau et fit entrer Dolly. Sans hésiter, elle bondit sur le restaurateur et par ses frétillements de queue, par ses petits aboiements joyeux, par les coups de langue dont elle lui lécha le visage, signifia clairement que M. Clève était son maître.

L'histoire qui iiuu-ucs, gent moins utile que les u..^_ !W-^onds, non à coups de canons ---»«■ d'assignations prête?

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* 5ÏÏ£«£ U « KÏÏSS^t. bien enten ^sTîestruUesse

DIMANCHE. —.Mlle Louisette G..., jeune bonne de 16 ans, pour voir plus souvent l'objet de son amour, un jeune plombier, crevait les conduites de gaz et celles d'eau, qvy3 le jeune plombier réparait. Pendant qu'il travaillait, Louisette Rivait tout loisir d'admirer son bel amour et d'être heureuse. Les filles de pères rigoureux, dans Molière, en eussent usé de cette sorte si le gaz et le chauffage central avaient existé. Molière, chargeait Scapin ou Mas-carille de changer en joie, les tourments de leurs maîtres ; de réduire les belles farouches ou les pères récalcitrants.

Sur le chapitre de l'amour, on peut juger par l'histoire de Louisette qui débarque de sa province, que nos filles n'ont rien à apprendre des philo-sophes ou des écrivains qu'elles fussent de nos jours ou du temps d^Molière. Mais à ce compte, l'histoire deviendra grave, le jour où Mlle Louisette s'éprendra d'un cambrioleur, qui voudra se faire la main sur les bijoux des patrons, d'un poè^ qui voudra leur lire des vers ou d'un guerrier qui vou-dra les lancer dans des batailles...

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cJfie AJOÀI

mamiâjc/uiâ C OMME beaucoup de ses semblables,

•le manuscrit de Mignon fut d'abord un enfant chéri. Il avait donné

tant de mal, puis tant de gloire, à son père, le grand compositeur Ambroise Thomas, qu'avant de mourir celui-ci confia son destin à son neveu préféré, M. René Ambroise-Thomas, violoncelliste distingué et financier non moins distin-gué, puisqu'il fut directeur général de la Banque d'Indochine.

M. René Ambroise-Thomas veilla sur l'existence du manuscrit, plus encore que sur un bilan de fin d'année. Il le couva, comme Harpagon couvait sa cassette. De temps "à autre, pour adoucir ses rudes travaux financiers, pour panser les bles-sures que la vie fait aux, puissants, avec les flèches de l'envie, de la calomnie, de l'ingratitude, il ouvrait son coffre-fort. Et ce n'était point des lingots ou des pierre-ries qu'il caressait de ses mains, fiévreu-ses d'insomnie et d'avoir repoussé tant d'assauts furieux. Non ! ce qui l'occupait, c'était l'ombre que faisaient, devant ses yeux, les feuillets couverts de notes, noir-cis de ratures, de surcharges. Alors, Mignon se prenait à revivre et le grand financier ne voyait plu* les ennemis, ni les colonnes de chiffres, ni les hévéas d'Indo-chine ; en lui montait la musique des cigales s'ébattant sous les oliviers, dans la lumière blonde ; les bohémiens ravis-seurs chantaient à son oreille, fatiguée des tumultes boursiers, les splendeurs du pays où fleurit l'oranger ; il s'émouvait avec Wilhem Meister : « Adieu ! Mignon » ; avec lui, encore, il revivait les beaux jours passés de Mignon, son enfance pure : « Elle ne croyait pas, dans sa candeur naïve...-» Des ailes lui pous-saient ; il montait, montait jusqu'aux sommets d'Àmbroise Thomas ; quelques coups d'ailes encore et voilà que surgis-sait, dans la nuit fiévreuse, la prodigieuse figure de Gœthe, à qui fut emprunté le sujet du livret.

Or, il advint, en 1936, que M. René Ambroise-Thomas eut à fêter, dans un petit village de la Haute-iLoire, le cente-naire de sa belle-mère. C'était un événe-ment heureux, donc, pas besoin du manuscrit de Mignon. La veille encore, il l'avait contemplé et n'avait point pensé à le protéger des malins ou des sots, en l'enfermant dans son ordinaire carcasse d'acier. Le propriétaire, qui ne s'entendait pas avec M. Ambroise Thomas, mit son absence à profit pour obtenir une procé-dure diligentée, pour vider l'appartement et déposer dans les caves de l'immeuble les objets enlevés.

Pauvre Mignon ! de ce moment, le manuscrit ne vécut plus qu'au jour artifi-ciel des ampoules électriques ; il n'eut plus d'air ; les caresses habituelles des mains attentives et aimantes furent rem-placées par les folles cavalcades de Raminagrobis ou les sarabandes, désor-données et plus dangereuses, des rats qui n'hésitaient point à porter la dent sur le précieux vélin, malgré la surveillance de Rodilardus.

Tout ceci ne pouvait durer, à peine de voir disparaître le manuscrit dans le ven-tre des rats. M. Ambroise Thomas demanda cette semaine au juge des réfé-rés, par la voix éloquente et persuasive de M" Théodore Valensi, qu'on lui rendît l'œuvre de son oncle. Le juge ordonna la mise sous séquestre du manuscrit et celle aussi d'un magnifique tableau de Tiepolo, auquel tenait beaucoup M. René Ambroi-se-Thomas. Et l'on reparlera quelque jour de Mignon...

L'empereur Justihien ne fut pas qu'un conquérant. Il améliora les lois en vigueur. Cette partie du plafond de la cour de cassation lui est consacrée.

COMPTES RENDUS D'AUDIENCES par

Simone FRANCE

DANS LA CULOTTE D'UN ZOUAVE... L'honneur du mari

QU'ON veuille bien nous croire. Le k jugement, dont nous allons | reproduire les principaux I passages, a été rendu, le 15 dé-" cemhre 1938, par un tribunal „ faisant partie du ressort de la

cour de raris. C'est un « monument » de jurisprudence qui n'aura peut-être pas l'honneur de figurer dans les recueils de droit (qui sait ?), mais qui mérite cepen-dant de passer à la postérité.

Ce jugement a été prononcé dans une instance en séparation de corps engagée entre un sergent-chef de zouaves et son épouse.

La femme, qui avait pris l'initiative du procès, invoquait contre son mari un unique grief, mais de taille : après plus de deux années de vie conjugale, le ser-gent-chef de zouaves n'aurait toujours eu avec elle « que des rapports intimes in-suffisants, ou mieux, insuffisamment vi-goureux, rigides et fonciers » (sic).

Et à l'appui de cette accusation, elle produisait deux certificats médicaux qui établissaient que l'acte de mariage ne l'avait pu modifier. Elle sollicitait, sub-sidiairement, une expertise afin que fût examinée son anatomie et celle de son mari.

Le tribunal donna tout d'abord son avis sur les certificats médicaux : sans doute les médecins qui les avaient rédi-gés, avaient bien constaté que l'hymen était intact, mais, de là à conclure que rien n'avait été tenté... le tribunal n'osa pas accueillir comme une certitude cette hypothèse douteuse ; d'autant plus que l'hymen présentait une « plicature avec encoche », ce qui semblait bien indiquer « qu'il s'était fait là un travail plus ou moins approfondi. » En somme, une preuve de bonne volonté, mais insuffi-sante, de la part du sergent.

Fallait-il, dès lors, les certificats étant rejetés, accueillir la demande d'exper-tise ?

C'était le point essentiel du débat. Le tribunal refusa d'ordonner l'expertise pour des raisons pertinentes :

... Attendu qu'une expertise de ce genre n'apporterait rien de. plus que les cer-tificats médicaux précités et que, même, viendrait-elle, cette expertise, à démon-trer l'intégrité virginale de la demande-resse, la preuve n'en serait pas pour cela rapportée, que la non consommation du mariage a été le fait du mari plutôt que celui de la femme.

Que justement, l'exiguïté, l'ètroitesse extrême constatées et les vives douleurs qu'elle a déclaré ressentir au simple exa-men du praticien, pourraient peut-être expliquer chez le mari, certaines hésita-tions et même certains découragements dans des efforts louables et bien inten-tionnés, qu'il aurait pu tenter...

— Que de femmes — s'écrie le juge-ment — qui recommandent à l'homme de ne pas les brusquer, et qui sont ensuite bien dépitées de ne l'avoir point été !

Par ailleurs, il faut tenir compte de la protestation indignée du sergent de zoua-ves contre la demande d'expertise qu'il estime aussi contraire à la dignité humaine que déshonorante pour le corps réputé auquel il appartient.

— Et cette expertise, ajoute le tribu-nal, ne serait pas plus concluante pour le mari que pour la femme, et sans doute moins encore.

... Un homme des mieux doués, au point de vue. génêsique, peut très bien avoir des défaillances en présence des experts, quels qu'en soient le nombre et l'autorité, et quels que soient les moyens d'excitation par eux employés...

On voit d'ici la scène et les experts — pontifes très officiels de la Faculté — se livrer à ces jeux de mains qui sont très vilains et qui amènent ceux qui s'y li-vrent à l'ordinaire devant le tribunal correctionnel.

Donc, l'expertise ne sera pas ordonnée. A'u surplus, il faut en revenir aux rè-

gles du Code civil, et l'article 144 de no-tre Code exige seulement pour la validité du mariage, l'union d'un homme et d'une femme. Un point, c'est tout.

L'impuissance n'est pas un motif de divorce.

Quant à affirmer que les deux époux sont de sexe différent, pas de discus-sion : madame a été vue et revue par des médecins ; quant au sergent-chef de zouaves, il a été par divers conseils de révision: reconnu bon pour le service ac-tif, au vu, sans aucun doute possible, dattributs virils, bien apparents et « bene pendentes », comme dit l'ancien droit (re-sic).

Pourquoi, enfin, la femme du sergent, dont les besoins sexuels paraissent si im-périeux, n'a-t-elle pas voulu avoir à leur égard un droit absolu, et n'a-t-elle pas demandé le divorce, afin de retrouver un mari qui puisse les satisfaire ? Le tri-bunal s'en étonne et remarque simple-ment que, séparée de corps, la femme n'en sera pas moins tenue au devoir de fidélité.

Bref, ayant ainsi examiné tous les ar-guments, le tribunal les repousse, déboute la femme de sa demande principale, le sergent de sa demande reconventionnelle, et les renvoie dos à dos (si l'on peut dire), pour nouvel essai loyal dune vie conjugale plus heureuse, qui ne paraît ni impossible, ni même improbable.

Mis au courant de ce jugement, le pre-mier président de la Cour de Paris a fait savoir au président du tribunal qui l'avait rendu, que son avancement subi-rait quelque retard. J. M.

AVEC sa précision et sa fine indul-gence habituelles, le président de Clavel, résume les charges

pesant sur la dame Pauly et son complice, M. Victor. Il s'agit d'un adultère et toutes (es apparences sont contre eux.

LE PRÉSIDENT DE CLAVEL. — Les appa-rences ! Les apparences ! Voyons ! Résu-mons-nous. Dans le constat du commis-saire de police, il est dit que l'apparte-ment de la dame Pauly se compose de trois pièces « en enfilade ». (Rires.)

LE PRÉSIDENT DE CLAVEL (poursuivant). — Dans la chambre à coucher, le lit, défait, avait deux oreillers. Pourquoi deux oreillers, si vous étiez seule ?

LA DAME PAULY (froidement). —- C'est un lit à deux places, mais on n'y est pas deux, obligatoirement

LE PRÉSIDENT DE CLAVEL (implacable). — Dans l'armoire, des vêtements d'homme et de femme étaient mélangés.

LA DAME PAULY. — Et après? Les vête-ments d'homme, c'était ceux de mon mari, dont je vis séparée depuis trois ans.

LE PRÉSIDENT DE CLAVEL. — Que fai-sait, chez vous, M. Victor, à cette heure-là ? A six heures !

LA DAME PAULY. — Des réparations d'entretien. (Hilarité.)

LE PRÉSIDENT DE CLAVEL (à M. Victor). — Quelle est donc votre profession ?

M. VICTOR. — Fumiste. (Hilarité géné-rale.) J'étais venu pour la cheminée qui tirait mal.

LE PRÉSIDENT DE CLAVEL. — Vous aviez, pour vêtements de travail, une tenue originale. Vous étiez en pyjama.

M. VICTOR. — Ce pyjama n'était pas le mien.

LA DAME PAULY. — Non ! C'était le pyjama de mon mari.

LE PRÉSIDENT DE CLAVEL. — Vous feriez mieux d'avouer le concubinage !

A ces mots, les deux prévenus s'inter-rogent du regard... et demeurent sur les positions. L'avocat du mari demande un franc de dommages-intérêts, ce qui prouve qu'il considère comme infime le préjudice. Et il l'obtient, mais, comme nous voilà loin de la femme lapidée de l'Ecriture.

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, qui turent délestés...

Jeux de mains et autres

D ANS un cinéma proche de la Porte Saint-Martin, il se passait des choses très peu convenables.

Des plaintes furent adressées par d'honnêtes spectateurs au commis-saire de police, qui envoya deux ins pecteurs sur les lieux.

Les inspecteurs, dont les yeux per-cent l'obscurité de la salle, virent le spectacle qui ne se déroulait pas sur l'écran, mais à la rangée des fauteuils de balcon.

« Nous avons remarqué — consi-gnèrent-ils sur leur rapport — une femme qui se déplaçait d'un fauteuil à l'autre, de façon à se placer à côté de spectateurs... »

Quatre fois, les inspecteurs virent le manège : « Après quatre déplace-ments, elle proposa ses faveurs à un homme qui les accepta. »

Les faveurs consistèrent en un échange de bonnes manières, toutes manuelles ; la réciprocité est de règle en ces jeux et les mains s'agitaient sous le manteau (c'est le cas de le dire).

Le travail fini, l'homme régla le prix : cent sous. En somme, ce n'était pas trop cher.

Et voilà pourquoi Marcelle G..., qui se prétend « dactylographe » compa-raissait l'autre jour devant la 14' Chambre correctionnelle.

En fait de dactylographie, Marcelle (une grosse fille, aux lèvres charnues) en pratiquait une assez spéciale. Sur le « clavier universel » ses doigts, chaque après-midi, sauf le dimanche, « tapaient » éperdûment.

Le plus grave, c'est que les doigts n'étaient pas seuls à être de la fête. Moyennant un supplément, on avait mieux.

Les inspecteurs n'eurent aucune peine à obtenir de Marcelle cet aveu loyal, ainsi que de surprenantes pré-cisions sur les bénéfices quotidiens que procurait son travail à l'infati-gable dactylographe.

En moyenne, cent francs par jour et même lundi dernier, la veille de son arrestation, cent cinquante francs. On ne peut pas dire que le chômage sévit dans toutes les professions.

Marcelle exprima même un regret aux inspecteurs, au moment où ils l'arrêtèrent : « ...J'allais faire mon sixième client », leur dit-elle d'un ton de reproche discret.

Elle consentit à leur avouer qu'elle avait été déjà arrêtée une fois « comme fille insoumise », charmant lapsus !

Le président de la 14e Chambre, M. Mathieu, a condamné l'insoumise à trois mois de prison. J. M.

Des débats du lundi 6 mars, à la 17* Chambre c o r r e c-tionnelle, je veux tirer, sinon une morale, du moins un en-s e i g n e-

ment pour les hommes : on ne va pas boire à la coupe de volupté, dans un hôtel, rue du Roi-de-Sicile, avec de fortes sommes dans son portefeuille. Le mieux serait de rester sur sa soif ; mais, si les aiguillons de la chair assèchent trop votre gorge, présentez-vous avec juste ce qu'il faut d'argent pour assouvir la fringale de pécune qu'ont, pour vous, messieurs, les belles du trottoir.

Ne faites pas comme M. Frase, l'un des plaignants, qui fut soulagé de son désir charnel, mais aussi de 27.000 francs; ou comme ce petit employé qui venait de retirer toute sa fortune — 14.000 francs — de la caisse d'épargne, et à qui une heure de passe-temps coûta cette somme, ce qui n'est pas un bon placement et ce qui donne des craintes pour le sort des clients de ce futur banquier (car notre jeune homme est employé de banque) ; ne faites pas comme ce troisième plaignant, un étranger, à qui les inculpées soustrai-rent 22 dollars ; ou comme ce chauffeur, qui laissa 650 francs dans la bataille amoureuse ; ou comme ce beau garçon, bien mieux taillé, me semble-t-il, pour re-cevoir que pour donner, et qui pourtant, contre toutes apparences, laissa entre les mains de ces dames 700 francs. Il y a d'autres victimes, mais elles le furent à moindre prix. A celles-ci, le bref séjour à l'oasis, rue du Roi-de-Sicile, ne coûta pas trop cher. Ils sont treize plaignants, et Me Campana, qui défend l'hôtelière, s'étonne de n'en pas compter davantage. A ce trait, vous pourriez en déduire que M" Campana est un incorrigible optimiste, ce qui serait déjà un bel atout dans son jeu de défenseur, car tout bon avocat doit être optimiste et ne pas plaider battu. Ce serait juger superficiellement ce grand maître ; il est optimiste, mais il est sur-tout très malin. Il veut ainsi prouver que sa cliente est rigoureusement honnête et que treize petits entôlages sont peu de chose dans un hôtel si bien achalandé ; que la patronne ne pouvait s'émouvoir pour si peu ; que, dès qu'elle eut connais-sance de ces entôlages, elle mit son hôtel en vente, ne voulant pas être complice de coupables agissements, elle dont le passé est tout d'honneur et de probité, etc. Je vous jure que, dans la bouche de Me Cam-pana, ça fait quelque effet ; on lui confie-rait son coffre-fort sans reçu, à cette bonne hôtesse. Mais les inspecteurs de po-lice sont insensibles à l'éloquence, et ils cherchent à mettre le président de Clavel de leur côté.

— C'était une parfaite organisation d'entôlage, disent-ils, et la patronne y trouvait son compte.

— Oui ! Une véritable industrie, dont elle était présidente du conseil d'adminis-tration avec jolis jetons de présence, si-

non de voyeuse, explique gentiment le président de Clavel.

Et voici maintenant les premiers rôles de l'affaire, celles qui ont le fromage sur l'affiche, mais qui, au dernier acte, au baisser du rideau, n'en montreront nulle fierté, nulle joie.

Eugénie était la racoleuse, Joséphine la fouilleuse ; « Lunettes », la troisième en-tôleuse, n'est pas là, ce qui indigne M* Le Breton, avocat de Joséphine.

Eugénie racolait le client dans la rue. Elle a cinquante-huit ans et des cheveux gris ; ses charmes, peut-être certains sous Félix Faure, sont éteints. Elle pleure comme une fontaine Wallace, sans trêve, à petits jets.

A moi! mes trésors d'indulgence, pour ne pas qualifier congrûment les hommes qui suivaient cette sorcière amollie dans son repaire, avec 27.000 francs dans leurs poches ; à moi ! mon cceur frais ; à moi ! mon amour de l'amour, pour ne pas m'évanouir de douleur et de pitié en pen-sant que cette femme attisait les désirs chez des êtres jeunes et forts. Comment ferai-je, si je continue de la regarder, pour conserver la force de baiser encore une bouche aimée sans penser à l'hôtel sor-dide, rue du Roi-de-Sicile ; comment fe-

Courrier juridique Un lecteur, Montpellier. — Vous

vous étonnez d'avoir reçu la signifi-cation d'un jugement de divorce rendu par défaut contre vous, alors que vous aviez obtenu l'assistance judiciaire pour vous défendre contre la demande de votre femme, et qu'un avoué vous avait été désigné. *

C'est en effet, singulier. Cela s'explique, peut-être par ce fait

que votre demande d'assistance judi-ciaire a été formulée en retard, alors que l'instance en divorce, formée par votre femme, datait déjà de plusieurs mois.

En tout cas, rien n'est perdu : don-nez instruction à votre avoué de faire opposition.

Une vaillante de Nice. — Vous avez eu tort d'écrire à l'expert que vous n'assisteriez pas à son expertise. Ce n'est pas ainsi que vous pourrez défen-dre utilement vos droits. Le rapport qu'il fera risque de vous être défa-vorable et d'entraîner la décision du tribunal.

Revenez sur votre premier mouve-ment d'humeur ; voyez l'expert et ex-pliquez lui votre situation,

Mlle Angelina le M. (Morbihan). — Il serait nécessaire que votre frère se constitue partie civile, en demandant, au besoin, l'assistance judiciaire.

Ainsi, il pourrait éventuellement faire opposition à une ordonnance de non-lieu, car il faut que justice lui soit rendue.

rai-je pour rester enivrée ? Vénus, à moi ! Entre deux hoquets, l'affreuse chose

trouve moyen de s'indigner : — Voleuse, entôleuse, à mon âge !

monsieur le président. — Il n'est pas d'âge pour mal faire;

vous voulez dire que vous devriez être à la retraite. Comptez sur moi ; je vais vous y mettre d'office, tout à l'heure. Et voici la Fouilleuse. Abondants appas,

forte en verbe et haute en couleur, la Fouilleuse serait mieux à sa place sur un dessin de Callot pu dans les brancards d'une voiture de quatre-saisons que dans les hôtels, à jouer les souris. M* Le Bre-ton, son avocat, le fait remarquer.

— Non ! mais regardez-là, monsieur le président ; regardez ma cliente ; vous la voyez en souris d'hôtel ; vous la voyez se glissant telle un elfe ou une sylphide par une porte entre-bâillée, se dissimulant sous une couche occupée, se cachant dans un angle ; vous la voyez, repti-lienne, féline, silencieuse, adroite ? Elle fait bien dans les 80 kilos. Regardez-la...

— C'est ce que je fais, maître, et même je vous dirai que je l'ai assez vue.

M* Le Breton ne se tient pas pour battu. Il prononce une plaidoirie admira-ble d'adresse, bourrée d'esprit.

C'est à « Lunettes », la mystérieuse, qu'il en a. Elle n'est pas là, donc elle est coupable.

— Le juge d'instruction m'a dit de la retrouver. Ce n'est pas mon métier, mais celui des inspecteurs de police. Je sais men pourquoi ceux-ci ne l'ont pas re-trouvée; c'est Lunettes qui a dénoncé ma cliente pour que l'enquête ne révèle pas ses coupables agissements ; elle a pris les devants...

— Et votre cliente a pris l'argent... coupe impitoyablement M. de Clavel.

— Monsieur le président, vous acquit-terez ma pauvre cliente, victime de ran-cunes, de jalousies féminines. Vous ne croirez pas à ces histoires de sommes énormes volées à des clients de passage. Si vous avez l'occasion de passer rue du Roi-de-Sicile, vous verrez comme c'est pauvre, comme c'est sordide.

— Je la connais, maître ; j'en sais même de pires. Nous devons tout con-naître, nous, magistrats, pour essayer dé ne pas trop mal juger...

— Eh bien, monsieur le président, il ne vient pas là de clients à 27.000 francs. De ci, de là, un employé de la perception proche qui vient noyer son désœuvrement et son chagrin de" ne pas voir rentrer d'argent dans la caisse, voilà ce que vous verrez ; et les employés de percep-tion n'ont pas 27.000 francs sur eux. On veut faire retomber sur nos têtes, je ne sais quelles graves et mystérieuses fautes commises par les plaignants. C'est sur ceux-là qu'il aurait été bon d'enquêter lorsque l'affaire était dans son « neuf ». Maintenant il est trop tard. Il ne vous reste plus qu'à faire bonne justice en acquittant Joséphine.

Le président de Clavel, lui, a un autre point de vue. H estime faire bonne justice en condamnant Joséphine, Eugénie et l'hôtelière à 6 mois de prison ferme. Le malheur, pour Joséphine, est que lé pré-sident a toujours le dernier raoW

On se souvient de la mort de l'ancien professeur d'agriculture Mamelle, tué d'une balle de revolver dans des circons- Nous parlons, en tête de cette page, du procès en tances demeurées mystérieuses. Mrae Mamelle, arrêtée, ne cessa d'affirmer : « Mon mari; s'est suicidé » La thèse du restitution du manuscrit de Mignon, saisi par un suicide fut développée, ici, avec une abondance d'arguments et de photos saisissante par René J. Piguet. Mrae Mamelle propriétaire assez peu mélomane. Voici, MrHft.-A.-

vient d'être mise en liberté provisoire.La voici sortant de prison et, à droite, rentrant chez elle, au Castel Bleu. Thomas et Me Th. Valensi, son éloquent défenseur

Page 14: NO 542 - Jeudi 16 Mars 1939 - 1 fr. 75 · ment entre le signalement de l'homme qu'elle aper-çut devant « La Voulzie » et le même Mouly. Elle dit encore que, invitée à prendre

Un jeune sergent d'infanterie de forte-resse transgresse la rigoureuse discipline qui interdit la visite de femmes aux ouvrages militaires. Il y fait venir sa fiancée, un jour qu'il est de garde. Or cette dernière, ser-vante d'auberge, est en réalité une redou-table espionne qui fait partie d'une bande supérieurement organisée. Une ronde décou-vre la fille cachée. Son patron, le restau-rateur Herminger, arrêté, est un des prin-cipaux rouages de cette machine maléfique. Le commissaire Pinsard, chasseur habile et redouté de ces dangereux personnages, vient de faire une découverte à tout le moins ahu-rissante. Dans une énorme meule de foin, située à quelque distance de l'hostellerie d'Hermiger, il trouve une officine moder-nement aménagée {appareils photos, auto émettrice, laboratoire, etc.) et un jeune Al-lemand qui, n'ayant rien d'un dur « se met à table » sans se faire prier.

IV " E hauptmann Muller recevait, à peu près journellement, par la poste, le compte rendu d'agents disséminés sur tout le territoire français. Souvent, les rensei-gnements ainsi fournis présentaient un

caractère d'urgence et il ne pouvait songer à les envoyer par homme ou femme de l'autre côté de la frontière.

« Il avait donc imaginé cette émission musicale, toujours avec les mêmes disques. Voyez, il y en a quatorze : ils étaient tous attribués à un agent. Je veux dire : ce Tannhauser, par exemple, était l'agent Schmidt, qui opère dans la région frontière du sud-est ; ce Tino Rossi : « 0 Corse, île d'amour », cor-respondait à l'agent Rraunwicht, qui surveille les ports de la Côte d'Azur, de Tunisie, dé Corse ; ce Mozart indiquait, à ceux de Francfort, que ce qui allait suivre reproduisait le rapport de l'agent Tel-paum, chargé de tâter le pouls de l'opinion publi-que, de signaler les grèves, l'état d'esprit du peuple, des travailleurs. »

Ainsi, en attendant des rapports écrits, des plans relevés sur papier pelure, le colonel, R... et ses col-laborateurs savaient déjà à quoi s'en tenir.

— Il y a quelque chose qui m'échappe, interrompit le commissaire. Qui m'échappe n'est pas tout à fait exact, mais qui m'intrigue. Je n'ai naturellement trouvé au Relais Bleu que des lettres d'affaires, de fournisseurs, de commerçants. Et ce que nous ra-conte ce jeune homme, dit-il en s'adressant à Pédon, me fait souvenir de certaines lettres émanant de diverses contrées de la France et annonçant l'envoi de marchandises. D'autres encore demandaient, au contraire, d'expédier du vin de Lorraine, de l'Alsace ou du Rhin, en bouteilles, spécifiait-on surtout. Il doit y avoir là-dessous un système de langage chiffré très simple, mais qui nous demandera certainement un travail absorbant et de longue haleine.

« A moins, ajouta-t-il en souriant, que M. Fleis-cher n'éclaire notre lanterne. Il lui en sera tenu compte au règlement définitif. »

Intelligent, subtil, observateur, l'Allemand avait depuis longtemps compris tout le parti qu'il pourrait tirer d'une confession complète

— Je veux bien dire tout ce que je sais. Herr Hauptmann — la vieille discipline rigide le repre-nait, il appelait son chef : monsieur! — possédait une grosse clientèle et il avait besoin, pour la satis-faire, de nombreux produits. Il en recevait effectk vement de diverses provinces et vous trouverez, dans son courrier, des lettres authentiques, émanant d'hon-nêtes fournisseurs, lui annonçant l'expédition de bar-riques, de jambons du Cantal, de figues sèches d'Es-pagne envoyées de Perpignan.

« Mais si vous trouvez des lettres parlant de la qualité ou des défauts de la marchandise expédiée, alors c'est un agent qui désigne ainsi munitions, ouvriers, navires, corps de troupes, etc. Si le haupt-mann n'a pas détruit la correspondance de septem-bre, il y a, cachée entre les lignes de termes com-

(1) Voir DÉTECTIVE n°s 538, 539, 540.

merciaux, une grande partie des mouvements troupes que la France fit effectuer à cëtte épo Il y eut même un menu incident qui nous fit r Le brave facteur qui, tous les matins, pas à bicyclette pour la distribution des lettres, dit un jour à M. Herminger, pendant qu'ils trinquaient en-semble : « Eh bien, vous au moins, à la bonne heure, vous n'y croyez pas à la guerre, sans ça vous*, ne feriez pas venir tant de marchandises. Je vois ça aux factures que vous recevez. »

— Jasmin, dit Pinsard, allez donc jusqu'au Relais Bleu. Dans le meuble situé au premier étage vous trouverez une correspondance en vrac et vous me la rapporterez.

L'inspecteur sortit et l'interrogatoire de Fleischer continua.

— Qui connaissais-tu, en dehors d'Herminger, de Lisa ? As-tu vu quelquefois Herzog ?

— Non, jamais. Je sais .que le hauptmann le ren-contrait parfois à Metz ou à Thionville, mais je ne l'ai jamais aperçu ici. D'ailleurs, il voyageait beau-coup en France. Il est représentant d'une maison de houblon et, je crois aussi savoir qu'il se rendait fré-quemment en Allemagne dans de grosses brasseries, près de Mannheim ou de Heidelberg. Mon rôle, je vous l'ai dit, consistait à maintenir en état le poste émetteur, à développer des clichés et à reproduire sur papier pelure, en écriture extrêmement fine, des tuyaux tout à fait confidentiels.

— Fais voir un peu. L'Allemand montra une longue lanière étroite,

enroulée en spirale autour d'une baguette d'une cer-taine forme.

— Celui qui reçoit ce message, dit-il, enroule la lanière autour d'une baguette similaire, de mêmes proportions, et peut seulement ainsi lire le mes-sage. Ce n'est ni un chiffre ni un code. C'est une méthode que les Orientaux emploient depuis un temps immémorial.

— Et vous expédiez ça par lettre recommandée ou simplement affranchie ? demanda Pédon.

£a poste n Wl pas sûre...

Le jeune homme eut un petit sourire, mi-railleur mi-amusé.

— Non, parce que les documents confidentiels, secrets, ne sont pas en sûreté en procédant ainsi. En effet, enfermés dans de grandes enveloppes avec d'énormes cachets aux quatre coins et au centre, cela ne suffit pas pour que le coutenu ne soit pas violé. Une enveloppe, même avec des cachets cons-ciencieusement confectionnés, n'est pas toujours une protection. Un fil de fer fendu peut être inséré sous le bord de l'enveloppe pour saisir un coin du docu-ment qui s'y trouve. Ensuite, on l'enroule sur le fil de fer et on le retire ainsi. On replace le document de la même façon et la lettre arrive à destination avec son cachet intact.

— Alors, comment cela parvient-il de l'autre côté? — Vraiment, je ne sais pas. Ce que je n'ignore pas,

par exemple, c'est que Lisa était chargée de ce tra-vail, et qu'avec Herminger ils faisaient des gorges chaudes quand ils en parlaient.

Par le périscope avec lequel il jouait parfois, le commissaire Pinsard apercevait le bon Jasmin rou-lant, comme l'obèse de Béraud, sa confortable fu-taille. Il entra dans la ruche géante avec un paquet de lettres multicolores, aux enveloppes à fenêtres, aux écritures diverses, ayant toutes l'honnête aspect de lettres commerciales, issues du cerveau d'un comptable qui veut mettre à jour ses livres de comp-tes.

Aiguillé par les indications de Hans Fleischer, Pinsard, de son œil vif, repéra vite l'ivraie du bon grain.

« Lochard, vins et spiritueux, Saint-Etienne-de-Tinée. — Vous accusons réception 100 bouteilles de Remich. Fameuses. Cinq barriques de Camp Romain, parties. Qualité ordinaire 10°. »

Evidemment, le commissaire, à première vue, na-geait. Mais Hans Fleischer vint à la rescousse.

— C'est Schmidt, le wagnérien. Il annonçait, le 24 septembre dernier, l'arrivée, près de Sospel, sur la frontière italienne, de vingt-cinq régiments venant prendre place dans les nouvelles fortifications. En outre, les cinq barriques indiquaient que cinq régi-ments, d'artillerie légère montaient vers le front.

14

Jamais la surveillance, sur les frontières, n'avait été aussi sévère. Les douaniers, les gendarmes, les gardes mobiles redoublaient de zèle et de méfiance vis-à-vis des voyageurs les franchissant. Rien ne. semblait

devoir échapper à leur sagacité. ■

Schmidt, oberleutnant dans un régiment de Pomé" ranie, est un excellent agent, instruit, qui habite du côté de Nice, à Saint-Paul-de-Vence ou dans ces pa- ( rages, une villa moderne. Il cultive les fleurs et a i l'air d'un monsieur à son aise, vivant sans rien faire, à qui le Midi a été recommandé comme séjour de cure.

Pinsard notait tout cela dans sa tête. HJ D'autres lettrés parlaient encore d'oranges, de ba-

nanes, de demi-muids. Toutes ces appellations cor-respondaient à des choses militaires précises et dont Fleischer donna tout de suite la clé.

Certes, ce service était remarquablement organisé et avec une audace stupéfiante. Les mouvements de troupe, de matériel, de parcs avaient été minutieuse-ment transcrits et soigneusement transmis, l'Alle-mand le confirmait encore une fois de plus.

Par malheur, en dehors des émissions nocturnes qui, naturellement, vantant l'autonomisme ou le re-tour au Vaterland des provinces recouvrées par nous, ne donnaient qu'au compte-gouttes et avec une ex- j trême prudence, et en langage chiffré encore, cer-| tains renseignements urgents, les enquêteurs net savaient pas exactement comment les plans précis,, les renseignements exacts, mis noir sur blanc, pas-saient la frontière.

Car le service de contre-espionnage y est bien fait. Les brigades de douaniers, de gendarmes, de gardes mobiles veillent, et bien.

Pinsard laissa donc en planque Jasmin et son j collaborateur, le commissaire Pédon. Il emmena dans \ sa voiture l'Allemand et le confia aux bons soins ) de la gendarmerie de X... Et il rentra à S... prendre un peu de repos dans son logis.

(Pinsard voit clair

— Je suis resté trois jours, me contera-t-il plus lard, à creuser ma vieille cervelle et à user de mon éloquence persuasive pour savoir, auprès d'Hermin-ger, de Lisa et de cette vieille patte folle d'Herzog — la métallurgie française lui ayant, durant la Grande Guerre qu'il fit dans l'armée allemande, raccourci de dix centimètres la jambe gauche.

« Il était dans sa vigne lorsque nos agents le cueillirent, en train de couper, au sécateur, les sar-ments morts. Il menait la belle petite vie dans ce coin où vient un vin pétillant, un peu dur, mais-avec ce goût de pierre à fusil qui n'est pas à dédai-s gner. Le village apprit son arrestation avec stupeur,

« Pas plus que sa pseudo-nièce, que Ton connais-sait bien dans ce petit bourg, mais qui n'avait jamais

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été sa parente ni celle de de Fleischer qui n'était pas forcé de ne pas croire ce qu'on lui disait, il ne voulut « l'ouvrir ». Je me trouvai devant trois murs, trois têtes de cochon aussi dures que du granit. Grâce à Fleischer j'avais fait lancer l'ordre d'arrestation des agents qu'il m'avait indiqués et qui opéraient dans des secteurs divers. Nous parlerons plus tard des résultats obtenus. Sondé à nouveau par moi et de mille façons différentes,

j le jeune Allemand ne savait plus rien. Il avait vidé tout son sac, on ne pouvait en douter.

« Tout de même, j'avais appris par lui que ses pa-trons mettaient les petites pellicules fines dans une sorte de récipient en caoutchouc, en tout point sem-blable à un bouchon d'encrier d'encre à stylo, c'est-à-dire avec un creux d'un demi-centimètre environ. Mais que diable ! C'était assez difficile à dissimuler sur une personne. Pas de « plan » assez volumi-neux pour renfermer un objet somme toute d'une dimension non négligeable, et ça ne pouvait pas se cacher sous une dent aurifiée ni derrière la dent de sagesse.

« Il y avait là un mystère qui, durant trois jours, m'empêcha, malgré ma fatigue, de dormir. Fleischer m'avait affirmé que j'étais arrivé à temps pour em-pêcher l'envoi de certains documents, particulière-ment importants, envoyés par l'agent de la Côte d'Azur s'occupant des arsenaux, des départs de na-vires, des évolutions d'escadres. Il y notait l'état d'es-prit dans les arsenaux, à bord, le poste de combat des cuirassés, torpilleurs, croiseurs, sous-marins, le premier jour de la déclaration de guerre; en un mot des renseignements d'une telle importance qu'il était de notre devoir d'empêcher qu'ils passassent.

«On venait d'arrêter, d'ailleurs, un jeune officier de marine qui avait tout avoué, sa félonie, les chè-ques touchés, les renseignements donnés contre ces spèces en papier et tout cela pour une femme.

Toujours grâce à Fleischer, j'avais pu, par re-

coupement, établir que les indications transmises à Herminger par le Tino Rossiste Braùnwicht éma-naient de cette femme qui a été condamnée depuis sévèrement, dit-on ; pas assez à mon gré. D'ailleurs, Bratinwicht ne s'était pas contenté d'annoncer les résultats obtenus par une lettre commerciale que j'a-vais d'ailleurs sous les yeux, il avait fait le déplace-ment de Toulon, frontière de Test, pour venir chez Herminger rendre personnellement compte de sa mission réussie. Fleischer, bougeant peu de sa ter-mitière, avait tout de même entendu Herminger en causer avec Lisa, et cela l'avait intéressé, sinon intri-gué, car il faisait son métier pour gagner sa vie et non par patriotisme, comme les autres.

« J'avais demandé une recrudescence de surveil-lance aux postes frontières, aux gares, aux passages en douane.

« J'allais, un jour, voir le directeur des postes du département. C'était un vieil ami avec qui nous avions fait parallèlement nos carrières dans des situa-tions différentes.

« Je lui demandai de compulser le livre des re-commandés, ce qu'il m'accorda bien volontiers. En ai-je lu des : « Echantillons sans valeur, crème à raser, parfums, etc. ». Je/ne mettais d'ailleurs, dans ce travail, aucune espérance et je ne croyais pas, en la circonstance du moins, au dieu hasard, ce dieu qu'on évoque souvent pour nos affaires réussies, mais qui, en réalité est un bonhomme peu visible et pas toujours accommodant et serviable, beaucoup moins qu'on ne le dit.

Les manœuvres d'escadres, les exer-cices en montagnes de nos chasseurs alpins, les déplacements de troupes, l'espion les avait relevés et pensait bien, grâce à son ingénieux strata-gème, — la cachette dans le blai-reau — les transmettre, sans coup férir, à ses chefs... Mais le commis-

saire Pinsard, né malin...

« Naturellement, je ne regardais que les colis à destination d'outre-Rhin, et c'était suffisant, je vous assure. Les Galeries Luxueuses s'avéraient être le plus gros client du guichet des recommandés. En réalité, j'essayais de voir si le nom de quelque des-tinataire n'éveillait en moi quelque souvenir.

« Je tournai les pages en arrière, remontant à quelques semaines et, soudain, un détail me frappa. Tous les quatre ou cinq jours, un colis recommandé, « Parfumerie », était envoyé à Mlle Baumgartner, 6, Friedrichstrasse, à Stuttgart. Aujourd'hui encore, un venait de lui être expédié. Certes, J'étais loin de croire que j'étais sur la bonne piste, et je ne voyais là qu'une attention d'un amoureux ou d'un ami en-voyant à une Gretchen un petit souvenir hebdoma-daire et français.

« Je fermai le bouquin à talons bariolés. J'allai ensuite dans la rue du Maréchal-Foch, où les Galeries Luxueuses étageaient leur architecture moderne. Au-paravant, j'avais demandé au directeur des Postes à quelle heure le départ des objets recommandés avait lieu. « Ce soir à huit heures part le train pour l'Allemagne. D'ici à là, les colis restent dans le bureau. » ,

« Je ne savais vraiment pas pourquoi je lui posais cette question. Je n'avais en tête aucune espérance, vous dis-je.

« Le chef de rayon du magasin, sur ma demande et après l'exhibition de mes titres et qualités, com-pulsa son livre de commandes.

— Oui, en effet, toutes les semaines, une jeune femme, Mlle Alice Vieuvre vient ici acheter une demi douzaine de blaireaux à barbe qu'elle expédie chez une amie, coiffeuse à Stuttgart.

— Blaireaux à barbe, blaireaux à barbe, murmu-rai-je. C'est bizarre. Cela ne vous semble pas étrange, à vous ?

Il haussa Ils épaules. — Vous savez, les clients, il suffit qu'ils achètent.

On ne s'occupe guère de leurs manies. Il n'avait pas terminé que je le laissai en plan

tout pantois et hélai un taxi qui, en vitesse, m'em-menait à la poste centrale.

D'un bond, j'arrivai chez le directeur et lui de-mandai de m'accompagner.

J'ouvris devant lui et sans ménagement, avec fébri-lité, le paquet à destination de Mlle Baumgartner. Six blaireaux, au manche noir, dormaient côte à côte, innocents bourreaux de barbes futures.

Au troisième que je décapitai, séparant le manche des poils, un petit cylindre de caoutchouc, encastré dans l'os, apparut. Je poussai un petit hurlement qui n'est pas dans mes habitudes. Mon ami le postier se demandait si je devenais fou...

Hubert BOUCHET. (A suivre.)

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DETECTIVE ffc Directeur :

MÂflUS LARIQUE

rents ! surveillez vos enfants guettées dans les fêtes foraines, ou dans les kermesses par d'ignobles pour-

voyeurs du yicej Lire, pages 8 et 9, le reportage de notre collaborateur R.-J. PIQUET