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No 94 Le droit à la communication : Rapport sur l’état de la question

No 94 Le droit à la communication - unesdoc.unesco.orgunesdoc.unesco.org/images/0005/000503/050335fo.pdf · distribution des livres dans la région, 1967 53 Satellites de télécommunications

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No 94 Le droit à la communication : Rapport sur l’état de la question

Podobtenir l’autorisation de reproduire en tout ou en partie les études et documents d’information, prière de s’adresser à l’office des Publications de 1’Unesco. Les cahiers déjà parus, dont les titres sont énumérés ci-après, sont disponibles chez les agents généraux de 1’Unesco dans les différents États Membres, ainsi qu’au Secteur de la communication, Unesco, place de Fontenoy, 75700 Paris.

Les titres suivants ont été publiés en anglais et en français. Les titres marqués d’un astérisque ont été publiés également en espagnol

Numéro

23 Les programmes culturels radiophoniques - Quelques expérien- ces, 1956

27 Les auxiliaires visuels dans l’éducation de base et le développe- ment communautaire, 1959

29 Comment réaliser des films à peu de frais, 1960 30 Le développement des moyens d’information en Asie, 1960 34 Le rôle de la coopération internationale dans la production

cinématographique, 1961 35 Répertoire mondial du cinéma. Institutions s’intéressant aux

films éducatifs, scientifiques et culturels, 1962 36 Les méthodes d’encouragement à la production et à la distribu-

tion des films de court métrage destinés à une exploitation commerciale, 1962

37 Le développement des moyens d’information en Afrique. Presse, radio, film, télévision, 1962

38 L’éducation sociale par la télévision, 1963 40 Etude sur la création de centres nationaux de catalogage de films

et de programmes de télévision, 1963 41 Les communications spatiales et les moyens de grande informa-

tion, 1963 42 L’influence de la télévision sur les enfants et les adolescents.

Bibliographie annotée 44 Catalogues de courts métrages et de films fixes : liste sélective.

Edition 1963 45 La formation professionnelle en matière d’information, 1965 46 Les journaux ruraux multicopiés, 1965 47 Des livres pour les pays en voie de développement (Asie, Afri-

que), 1965 48 La radiodiffusion au service du développement rural, 1966 49 La radiodiffusion-télévision au service de l’éducation et du déve-

loppement en Asie, 1967 50 La télévision et l’éducation sociale des femmes, 1967 51 Une expérience africaine de tribune radiophonique au service du

développement rural, Ghana - 19460965 52 La promotion du livre en Asie. Rapport sur la production et la

distribution des livres dans la région, 1967 53 Satellites de télécommunications pour l’éducation, la science et la

culture, 1968 54 Le film de 8mm pour le public adulte, 1969 55 L’emploi de la télévision pour la formation technique supérieure

des salariés. Premier rapport relatif à un projet pilote en Pologne, 1969

56 La promotion du livre en Afrique. Problèmes et perspectives, 1969

57 Le scénario du film de court métrage, 1969 58 Vers le libre échange culturel, 1969 59 Les moyens d’information dans la société. Nécessité de dévelop-

per la recherche, 1970 60 La radiodiffusion par satellites, 1971 61 Les principes de la coopération culturelle, 1971

Numéro

62 Le rôle de la radio et de la télévision dans l’alphabétisation, 1971 63 Les moyens d’information dans un monde de violence, 1971 64 Le rôle du film dans le développement, 1972 65 La pratique de la grande information. Quelques enseignements

tirés de la recherche, 1972 66 Guide des communications par satellites, 1972 67 La télévision et la formation technique supérieure des travail-

leurs, 1973 . 68 Les Institutions cinématographiques. Etudes du Conseil interna-

tional du cinéma et de la télévision (CICT), 1973 69 Les moyens d’information dans un contexte africain, 1973

*70 La télévision circule-t-elle à sens unique. Revue et analyse de la circulation des programmes de télévision dans le monde, 1974

71 Aanatomie d’une Année internationale : l’Année du livre 1972, 1975

72 Développer l’habitude de la lecture, 1975 73 La formation des professionnels de la communication, 1975

*74 Système nationaux de communication, 1975 75 La technologie et l’accès aux médias, 1975

*76 Vers des politiques réalistes de la communication, 1976 77 L’information audiovisuelle transculturelle, 1976

*78 La planification de l’utilisation des satellites à des fins éducatives, 1977

*79 Les problèmes économiques de l’édition des livres dans les pays en voie de développement, 1977

80 L’étude des médias dans l’enseignement, 1977 *81 Les émissions radiodiffusées vers l’étranger et la compréhension

internationale, 1978 c *82 Le livre dans les pays multilingues, 1978 *83 Les conseils nationaux de la politique de la communication, 1979 *84 image, rôle et condition sociale de la femme dans les médias, 1979 *85 Valeurs et principes dans la communication entre cultures diffé-

rentes, 1979 86 Mass Media. Codes of Ethics and Councils, 1980 87 Communication in the Community, 1980

*88 Le journalisme rural en Afrique, 1981 *89 Le projet brésilien SACI/EXERN. Etude analytique de cas, 1981 *90 Les médias communautaires et le développement, 1981 93 Les nouvelles de l’étranger dans les médias : La couverture de

l’actualité internationale dans 29 pays h 94 Le droit à la communication : Rapport%ur l’état de la question 95 Le développement de l’information dans les pays arabes. Besoins

et priorités

Le droit à la communication : Rapport sur l’état de la question

par Desmond Fisher

ISBN 92-3-201991-4 Édition anglaise 92-3-101991-o Édition espagnole 92-3-301991-g Publié en 1983 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture Composé et imprimé dans les ateliers de Wnesco SQ Unesco 1984 Printed in France

Préface

A sa vingtième session (1978), la Conférence générale de 1’Unesco a adopté une résolution par laquelle elle invitait le Directeur général à encourager les études approfondies sur le concept du droit à la communication. Pour donner suite à cette résolution, I’Organisation a entrepris un certain nombre d’activités, notamment des réunions d’experts, des études sur certains aspects de ce concept et la consultation de groupes spécialisés. Toutes ces activités visaient une meilleure compréhension d’une notion qui est relativement nouvelle.

En 1980, la Commission internationale d’étude des problèmes de la communication allait formuler la recom- mandation suivante : “Les besoins d’une société démocra- tique dans le domaine de la communication devraient être satisfaits par l’élaboration de droits spécifiques tels que le droit à être informé,.le droit d’informer, le droit au respect de la vie pnvée, le droit de participer à la communication publique - qui entrent tous dans le cadre de ce nouveau concept qu’est le droit de communiquer. A l’orée de ce que l’on pourrait appeler une ère nouvelle en matière de droits sociaux, toutes les implications du droit à communiquer devraient faire l’objet d’études approfondies.”

Le présent ouvrage est un essai de synthèse des opinions et espoirs exprimés (à plusieurs réunions organisées par 1’Unesco et d’autres organisations ainsi que dans les publica- tions de plus en plus nombreuses consacrées à la question. Il a pour objet de faire mieux connaître le concept, de manière à encourager des discussions sur une base plus étendue, qui déboucheraient éventuellement sur une définition plus claire et plus complète du droit à la communication et sur une brève description de ses éléments constitutifs.

L’auteur, Desmond Fisher, est directeur du Broadcasting Development de la RTE, radiotélévision nationale irlandaise. Il s’intéresse vivement à l’étude du concept du droit à la communication et a participé à divers débats sur la question.

* * *

L’auteur est responsable du choix des faits et de leur exposé dans la présente publication ainsi que des opinions qui y sont exprimées, lesquelles ne représentent pas nécesstie- ment le point de vue de Wnesco.

Table des matières

Introduction ................................................................................ 1. La société de l’information .............................................................. 2. Besoins et droits ........................................................................... 3. Liberté de l’information ................................................................. 4. Communication ou information ? ..................................................... 5. Les études .................................................................................. 6. Droits et libertés ........................................................................... 7. A la recherche d’une définition ......................................................... 8. L’individu et la société ................................................................... 9. L’individu dans la société ................................................................

10. Du concept à l’action ..................................................................... 11. Les instances internationales ........................................................... 12. Droits et ressources ....................................................................... 13. Les implications ........................................................................... 14. Et maintenant?. ........................................................................... 15. Appendices .................................................................................

A. Réunion d’experts sur le droit à la communication : Stockholm, mai 1978, Rapport final, Unesco CC-7WCONF.630 ..........

B. Réunion d’experts sur le droit à la communication : Manille (Philippines), octobre 1978, Rapport final, Unesco CC-8O/WS/47 .............................................

C. Réunion du groupe d’étude sur le droit à la communication : Londres, mars 1980, Rapport final, Unesco CC-8O/WS/48 ..................

D. Réunion du groupe de travail sur le droit à la communication : Ottawa, septembre 1980, Rapport final, IIC ...................................

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Introduction

Le droit à la communication est à la fois une idée et un idéal. C’est une idée dans la mesure où ce droit n’en est qu’au stade conceptuel et n’a encore fait l’objet d’aucune définition. Il reste encore à se mettre d’accord sur ses éléments constitutifs et la manière dont ils sont en cor- rélation. Aucune expression concrète de ce droit ne se trouve dans les législations nationales, ni dans les accords et conventions internationaux.

C’est un idéal, car ses partisans travaillent à son élabo- ration, à sa définition et à sa promulgation en tant que droit fondamental de l’homme.

Cela ne veut pas dire que le droit des êtres humains à communiquer entre eux soit rejeté en tant que concept philosophique et moral ou que l’exercice de ce droit soit, d’une manière générale, dénié dans la pratique. Si ce droit n’est pas expressément énoncé, c’est, du moins en partie, parce qu’on le considère comme acquis. Comme le droit à la vie, il est si fondamental, qu’il se passe de toute déclaration.

Il existe d’autres raisons pour que ce droit ne soit pas formellement reconnu.

Ce droit englobe tout un ensemble de libertés et de prérogatives qui en découlent dans le domaine de la com- munication et de l’information. Certaines de ces libertés sont déjà acceptées et, dans bien des cas, consacrées par les législations et constitutions nationales et par des conventions internationales ; d’autres font encore l’objet de discussions actives dans les instances internationales. Le rapport entre ces libertés est difficile à définir et, en fait, on n’a pas tenté jusqu’à présent de rapprocher ces différents droits en matière de communication afin de déterminer s’ils peuvent être considérés comme les aspects divers d’un seul et même principe.

En second lieu, l’exercice des libertés et prérogatives en matière de communication qui pourraient sembler constituer autant d’éléments d’un droit général à la communication s’accompagne de réserves et de restrictions. Si l’on procla- mait ces libertés en précisant en même temps leurs limites, on pourrait donner l’impression de restreindre le droit à la communication plutôt que de le défendre.

Enfin, la reconnaissance du droit à la communication se heurte à une double opposition suscitée par des consi-

dérations d’ordre idéologique contraires. Il y a, d’une part, ceux qui n’y voient qu’un nouvel aspect d’une campagne concertée contre les moyens “occidentaux” de communi- cation et, de l’autre, ceux qui considèrent qu’elle remettrait en cause le fait que dans les Etats socialistes l’accent est mis sur les droits de la collectivité.

Le concept du droit à la communicatin n’en pose pas moins un problème très actuel. Dans le monde entier, des experts de la communication étudient cette notion et s’efforcent de parvenir, si possible, à un accord sur une définition propre à figurer dans les futurs instruments nationaux et internationaux ayant trait aux libertés en matière de communication.

L’institut international de communications, ancien Institut international de radiotélévision, a encouragé ses membres à étudier ce concept et une grande partie du terrain a été défrichée par l’East-West Communication Znstitute de l’Université de Hawaï à Manoa (Honolulu).

En 1974, la Conférence générale de 1’Unesco autorisait le Directeur général “à analyser le droit à la communication”, et l’unesco inspire et contribue à financer des études en cours sur le sujet.

Le présent ouvrage s’inscrit dans le cadre de ces études. Il a pour objet de retracer la genèse du concept du droit à la communication depuis qu’il a été avancé publiquement pour la première fois, en 1969, de faire le point de la réflexion sur la question et de suggérer, dans la mesure du possible, les prochaines étapes du travail à accomplir pour définir ce droit.

L’auteur du présent ouvrage a sur certains aspects du problème ses convictions personnelles, qui sont profondes et qui, dans certains cas, vont à l’encontre des vues expri- mées par certains de ses collègues au cours des débats. Mais il s’est efforcé honnêtement de faire montre de mesure et d’impartialité dans l’analyse et l’exposé des divers points de vue exprimés dans les études publiées jusqu’à présent sur le droit à la communication comme il convient à un citoyen d’un pays qui resta neutre pendant la deuxième guerre mondiale et qui n’appartient à aucun bloc militaire ou idéologique.

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Note

La plupart des citations faites dans les pages qui suivent sont tirées de documents de 1’Unesco ainsi que d’essais et d’articles réunis dans deux livres qui contiennent l’essentiel des textes publiés jusqu’à présent sur le droit a la communication. Il s’agit des ouvrages suivants :

Harms, L.S., Jim Richstad and Kathleen A. Kie (eds.). Right to Communicate: Collected Papers. Honolulu: Social Sciences and Linguistics Institute, University of Hawaii at Manoa, 1977,

Harms, L.S. and Jim Richstad (eds.). Evolving Perspectives on the Right to Communicate. Honolulu: East-West Center, East- West Communication Institute, 1977.

Dans la suite de ce travail ces deux publications seront désignées par les titres de ColZected Papers et Evolving Perspectives respectivement.

Desmond Ficher est directeur du Broadcasting Development de la RTE, radiotélévision nationale irlandaise, et rédacteur en chef de l’lrish Broadcasting Review.

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1. La société de l’information

Depuis le commencement du monde, certaines périodes ont été marquées par des changements qui ont profondément bouleversé la condition humaine. Bien des étapes de l’évolu- tion qui nous ont conduits à notre stade actuel de dévelop- pement physiologique, psychologique et sociologique se perdent dans la préhistoire. L’histoire, par contre a été le témoin du passage de l’humanité d’une existence nomade basée sur la chasse à une vie communautaire et sédentaire basée sur l’agriculture, et ensuite, de l’avènement de la société industrielle des deux derniers siècles.

Aujourd’hui, nous passons de la société industrielle à ce que les sociologues appellent la société de l’information. L’accent était mis sur les industries de transformation et les services ; il l’est désormais sur le traitement de l’information, c’est-à-dire l’élaboration, le transfert et le stockage de l’information. On estime que plus de la moitié de la popu- lation active des Etats-Unis est d’ores et déjà employée à ce type de travail. Le secteur des communications est celui qui connaît de nos jours l’expansion la plus forte.

A chaque transformation fondamentale du mode de vie correspond un changement des structures politiques et sociales. Les familles nucléaires se sont groupées pour former la tribu nomade. La sédentarisation a entraîné l’apparition successive des Etats-cités, des domaines féodaux, des principautés et duchés, des royaumes et empires, des Etats nations et des blocs de puissances. L’industrialisation a conduit à la croissance des villes et des syndicats, à l’enseignement pour tous et aux systèmes démocratiques d’aujourd’hui. La science et la technique ont évolué paral- lèlement aux structures socio-politiques, quand elles ne contribuèrent pas à les transformer.

L’explosion de la communication - phénomène des temps modernes - entraînera vraisemblablement des changements d’une dimension comparable. Les conditions technologiques ce ces changements sont déjà réunies. Les ressources de la communication étaient si rares que leur détention signifiait la concentration du pouvoir et de l’influence en quelques mains; or, elles seront sans doute bientôt tellement abondantes qu’on ne pourra plus parler de rareté ou d’exclusivité. En fait, le “mariage” de l’ordinateur avec le système de communication, qui est la base de la société de l’information, ouvre de telles possibilités d’accroissement de la capacité de créer, traiter, distribuer et stocker l’information, que d’aucuns craignent une saturation de l’information ou une pollution par I’information.

La capacité de faire face aux énormes quantités de données dont on dispose aujourd’hui se traduira inévita- blement par un changement qualitatif du processus de la communication même et donc de ses répercussions socio- politiques. Les circuits actuels de transfert de l’information

n’y survivront pas. Il ne sera plus nécessaire ni même possible d’appliquer tout l’arsenal des mécanismes de contrôle qui s’imposaient lorsque les ressources en matière de communication étaient rares. Les communications de masse sont appelées à perdre de leur importance, comme on peut déjà le constater. Dans de nombreux pays, les journaux éprouvent de la difficulté à survivre. Presque partout, du moins dans les pays occidentaux, on assiste à une disparition du monopole de la radiodiffusion. Les matériels de com- munication miniaturisés permettent déjà à de petits groupes de communiquer entre eux. Au rythme actuel du progrès, la liaison directe entre deux personnes, quelles qu’elles soient, sera techniquement possible dans un avenir prévisible.

En attendant l’aube de cette ère qui ouvrira de nouvelles possibilités en matière de communication, on reconnaît de plus en plus que les disparités existantes dans la détention des techniques de communication sont non seulement injustes mais également dangereuses. L’écart entre nations riches et pauvres en matière de communication atteint une ampleur critique. Cela sape les efforts entrepris pour amé- liorer la circulation de l’information dans le monde. En effet, la revendication de la libre circulation apparaît comme une manoeuvre pour renforcer la position écono- mique dominante des nations riches en ressources de la communication alors que l’action menée pour équilibrer les échanges dans l’intérêt des nations dotées de ressources insuffisantes est interprétée comme une tentative de contrôle et de censure. Les initiatives prises pour créer un meilleur système mondial de communication quelle que soit la définition qu’on puisse en donner dans les diverses parties du monde, se sont, de ce fait, enlisées dans l’affrontement politique et idéologique. En particulier, l’avènement du Tiers Monde en tant qu’élément important de la scène géopolitique a mis en relief le déséquilibre des ressources de la communication et suscité la revendication d’une répartition plus équitable de la capacité technique de participer au transfert croissant de l’information.

Toutes ces considérations ont suscité des préoccupations nouvelles et urgentes concernant les libertés en matière de communication. Sans la liberté et la capacité de com- muniquer, comment l’humanité pourrait-elle, au niveau de l’individu comme à celui de la collectivité, développer toutes ses virtualités ? Comment la paix, la prospérité, le progrès seraient-ils possibles s’il existe une disparité considérable et croissante entre les ressources de la com- munication dans les différentes parties du monde? Si les nations qui ont réalisé la liberté politique restent éco- nomiquement défavorisées faute de ressources suffisantes en cette matière, peut-on affirmer que l’ère coloniale est vraiment révolue ?

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Les définitions et formulations existantes des libertés en matière de communication ne portent pas la promesse d’une quelconque solution. Liberté d’information et d’expression, liberté de la presse, circulation libre et équilibre de l’information - toutes ces notions qui ont fait l’objet de débats approfondis et sont parfois sanctionnées dans les accords internationaux se sont révélées insuf: fisantes. Il existe à cela un certain nombre de raisons :

1. On apprécie mieux aujourd’hui l’importance fonda- mentale de l’acte même de communiquer aussi bien dans l’épanouissement de l’individu que pour le bien-être de la société dont il fait partie.

2. On en est venu à reconnaître que la philosophie de la communication qui a cours, ainsi que les politiques et pratiques actuelles en matière de communication, procèdent d’un nombre restreint de points de vue et de traditions culturelles bien définies et que les autres points de vue et les autres cultures doivent être prises en compte pour élaborer des principes plus généraux.

3. La prise de conscience croissante de l’interdépendance non seulement des individus mais aussi des communautés, des régions et des nations fait ressentir avec une plus grande urgence la nécessité d’une meilleure compréhen- sion des besoins mondiaux en matière de communication ainsi que des droits et des devoirs y afférents.

4. Grâce aux progrès de la technique moderne, la pénurie qui caractérisait naguère le potentiel de la communication fait progressivement place à une abondance relative, encore qu’inégalement répartie.

5. La nécessité reconnue d’instaurer un nouvel ordre économique et un nouvel ordre de l’information dans le monde suppose l’élargissement des définitions exis- tantes des droits en matière de communication en fonction de l’évolution des besoins et des circonstances.

Qu’il faille reprendre l’énonciation faite précédemment des droits et libertés en matière de communication et la développer de façon à tenir compte de ces réalités et consi- dérations nouvelles, cela est devenu une nécessité urgente. Tandis que la technologie de la communication évolue, qu’il est de moins en moins nécessaire d’exercer un contrôle et de plus en plus difficile de le faire dans la pratique, que les besoins des individus et des sociétés en matière d’information

deviennent plus urgents et que s’ouvrent des possibilités nouvelles de créer un plus juste équilibre des ressources internationales de la communication, de grands change- ments sociaux sont prévisibles ou du moins envisageables. Ces changements, vont-ils intervenir ? Ou plutôt, de quelle manière vont-ils intervenir? Cela dépendra de la mesure dans laquelle les ressources nouvelles seront rendues dis- ponibles et de l’existence des libertés sociales et politiques permettant de les utiliser.

Tout cela dépend de la manière dont seront définies, formulés et appliquées les libertés essentielles en matière de communication. L’énoncé de ces libertés s’est révélé insuf- fisant ou inacceptable. La liberté d’opinion et d’expression telle qu’elle figure dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ne présente pas un caractère suffisamment fondamental, car elle met l’accent sur le contenu plutôt que sur le processus de la communication et donne l’impression d’une communication à sens unique allant de l’émetteur de l’information au récepteur. Des formules plus récentes, telles que celles de “libre circulation de l’information” et du “circulation Iibre et équilibrée de l’information”, se sont empêtrées dans des considérations idéologiques, et les efforts tendant à les définir ont été déjoués. Le concept, relativement nouveau, du droit à la communication, (il a été énonce pour la première fois en 1969) offre un moyen de sortir de cette impasse. Il exprime un principe philoso- phique plus fondamental et a une portée plus large que les formules adoptées précédemment pour les droits en matière de communication. Il procède de la nature même de la personne humaine comme être de communication et du besoin humain de communiquer, au niveau de l’individu et de la société. Il est universel. Il met l’accent sur le processus de la communication plutôt que sur le contenu du message. Il suppose la participation. Il suggère un échange mutuel dans le transfert de l’information. Enfin, ce concept repose sur l’idée que la recherche d’une répartition mondiale plus juste des ressources nécessaires à la communication constitue un devoir moral ou humanitaire.

Le concept du “droit à la communication” est donc considéré par ceux qui le prônent comme plus fondamental, plus complet, plus chargé de sens et vraisemblablement plus efficace que les formulations antérieures.

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2. Besoins et droits

Pour Albert Camus, “la liberté, c’est la chance d’être meilleur” 1. Dans son élégante simplicité, la formule porte en germe les idées qui sont la base du progrès humain et la source de tous les efforts de définition des droits fondamentaux et des libertés fondamentales de l’homme.

La vie est croissance. L’histoire de l’homme, depuis la poussière ou le limon protoplasmique jusqu’à une quel- conque noosphère teiIhardienne qui constituera son point d’aboutissement, est faite de progrès, d’améliorations, de réalisation d’un potentiel. Comme l’a prouvé Darwin, cette croissance dépend d’un choix, de la possibilité de choisir entre plusieurs solutions ou, comme le dit Camus, “la chance d’être meilleur”. La liberté est donc la possibilité de faire ces choix qui contribuent au progrès de la vie et à la croissance de la race humaine. Comme le disait le poète, juriste et homme d’Etat américain, Archibald McLeish, qui fut l’un des fondateurs de 1’Unesco : “La liberté est le droit de choisir ; le droit de créer pour soi-même les possibilités de choix.”

Les droits et libertés de l’homme sont donc déterminés par ses besoins. Ils correspondent à ce dont l’homme a besoin pour développer pleinement ses virtualités pour réaliser complètement son humanité.

Certains droits sont fondamentaux. Le droit à la vie, à l’alimentation et à l’abri sont des droits évidents. Sans la vie il n’y a pas d’existence ; sans alimentation et sans abri, la poursuite de cette existence ne saurait être garantie.

D’autres droits ont des contours moins précis. La liberté de l’individu, la liberté de pensée, l’égalité sans distinction de race ou d’origine sont inscrites dans la Déclaration universelIe des droits de l’homme et des libertés fonda- mentales de la Charte des Nations Unies. Non pas parce qu’elles sont indispensables à la vie, mais parce qu’elles sont nécessaires à la croissance de l’être humain, à son épanouissement complet. Elles garantissent “la chance d’être meilleur” évoquée par Camus.

Il est certain que l’histoire de l’humanité abonde en exemples de négation des droits fondamentaux de l’homme. Il n’en est que plus nécessaire de proclamer ces droits. Ce besoin se fait particulièrement sentir actuellement dans le domaine de la communication.

La vie dépend de la communication. Les réactions chi- miques des éléments de la cellule la plus simple, l’activité nucléaire de l’atome, la transmission de la force vitale - tout cela exige la communication sous une forme quelconque. Plus un être vivant se situe à un échelon élevé de l’évo- lution, plus ses besoins et ses capacités de communica- tion augmentent. L’homme, qui est au sommet de cette échelle - du moins tant qu’on n’aura pas prouvé l’existence d’êtres plus intelligents - a les besoins les plus grands et les capacités les plus grandes.

La communication est nécessaire à l’individu. On ne se connaît que par rapport à une autre personne : en tant que l’enfant de quelqu’un, en tant que parent, ami ou ennemi. Enfermez un nourrisson en le coupant de tout contact humain pendant des années ; lorsque vous le libére- rez, l’adulte qu’il sera devenu ne saura pas qui il est. Ce n’est que par l’échange avec autrui - la communication - que l’on connaît sa propre personnalité.

La communication est aussi le fondement de toute société. Les individus ont besoin de communiquer pour pouvoir vivre ensemble. Sans communication, il ne peut y avoir ni coopération ni paix : la vie communautaire repose sur la communication.

L’histoire de la civilisation est l’histoire de la communi- cation. L’invention du langage, de l’écriture, de l’imprimerie du télégraphe, de la radio et de la télévision, jusqu’à ce qu’on appelle aujourd’hui l’explosion de la communication, constituent autant de jalons de l’histoire de l’humanité qui correspondent à de nouvelles étapes de son évolution, à de nouvelles possibilités de choix.

En effet, la communication - le transfert de l’infor- mation - peut être utilisée à des fins bonnes ou mauvaises, comme tous les dons humains. De tout temps et dans toutes les sociétés, I’information a été le pouvoir. L’omniscience est l’équivalent de l’omnipotence ; celui qui sait tout est aussi celui qui peut tout. Les puissants sont ceux qui détiennent l’information et contrôlent les mécanismes de transfert de l’information - les moyens de communica- tion. Les progrès de la démocratie s’accompagnent d’une démystification des mécanismes de la communication aboutissant à une plus large distribution du pouvoir que confère la détention de l’information et des moyens de communication, et en fait on pourrait soutenir qu’ils en sont pour l’essentiel la conséquence. Meilleure est l’infor- mation et plus elle touche de gens, meilleure est la société et plus solide son assise démocratique.

Dans ce contexte, les historiens de demain - non les écrivains d’aujourd’hui - pourront apprécier combien profonde aura été l’influence de trois phénomènes modernes sur la vie de l’humanité. Ces trois phénomenes sont les suivants :

1. Croissance explosive de la science et de la technologie, notamment dans le domaine des ordinateurs et des communications.

2. Décentralisation de la communication et, par voie de conséquence, redistribution du pouvoir que confère la détention de l’information et des moyens de la trans- mettre et de la recevoir.

1. Albert Camus, Actuelles.

3. Prise de conscience croissante de l’interdépendance des individus, des cultures, des nations et des peuples sur ce qu’Adlai Stevenson appelait “ce vaisseau spatial qu’est la Terre”, et, en conséquence, de la nécessité d’instaurer un nouvel ordre international dans les secteurs clés des relations humaines.

Sous leur forme la plus actuelle, ces facteurs datent de la seconde guerre mondiale dont ils sont les conséquences. Ce conflit fut marqué par des progrès sans précédent en communication et l’utilisation de celle-ci pour des attentats d’une virulence jamais atteinte contre les vies et les libertés humaines. Il en est résulté une redistribution du pouvoir à l’échelle mondiale en même temps qu’on se rendait compte que la solidarité mondiale s’imposait plus que jamais des lors que la race humaine détenait la capacité de s’anéantir elle-même. D’où une réactivation vigoureuse des efforts pour définir et promulguer les droits et libertés de l’humanité et améliorer les mécanismes de l’ordre économique et

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social afin de garantir la survie et le progrès de l’humanité. Toutefois, la nouveauté de la situation n’était pas aussi

clairement perçue au lendemain de la seconde guerre mon- diale qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les Nations Unies et leurs institutions spécialisées se plaçaient dans une pers- pective différente quand elles entreprirent d’étudier le problème des droits de l’homme en 1946. L’accent était mis alors sur la liberté d’information plutôt que sur la liberté de communication.

Avec du recul, on peut affirmer que cette optique était trop étroite. En mettant surtout l’accent sur l’évaluation quantitative des ressources en matière de communication plutôt que sur le contenu du message et sur le processus de communication lui-même, le débat sur la liberté de l’information devait forcément se politiser et aboutir à une impasse. Peut-être le concept du droit à la com- munication offrira-t-il un nouveau point de départ et des possibilités nouvelles.

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3. Liberté de l’information

Dès l’origine, les Nations Unies ont reconnu l’importance des libertés relatives à l’information dans l’édification d’un monde meilleur. A l’article 55 de la Charte, les Etats membres des Nations Unies sont invités à favoriser “le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales”, et par la résolution 591 qu’elle a adoptée en 1946, l’Assemblée générale rappelait que :

“La liberté de l’information est un droit fondamental de l’homme et la pierre de touche de toutes les libertés à la défense desquelles se consacrent les Nations Unies.”

La Déclaration universelle des droits de l’homme, approu- vée par l’Assemblée générale le 10 décembre 1948, adopte un point de vue identique. Aux termes de I’Article 19, le principal du point de vue des communications :

“Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expres- sion, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les infor- mations et les idées par quelques moyens d’expression que ce soit.”

L’activité des Nations Unies dans le domaine des com- munications s’est progressivement concentrée à Wnesco, qui a mis l’accent dès le début des années soixante sur la corrélation étroite entre développement et communication.

La comparaison des ressources régionales en matière de communication a mis en évidence des inégalités considérables entre les différents pays. C’est à partir de là qu’on a établi les “standards minimaux de 1’Unesco” qui devraient servir de base au développement des moyens de communication.

Ce système prévoyait que chaque pays devait s’efforcer d’atteindre, pour cent habitants, dix exemplaires d’un journal quotidien, cinq récepteurs de radio et deux places de cinéma. Ces chiffres ont été considérés en fait comme le point de départ du développement de la communication.1

Cette attitude était fondée sur l’idée qui prévalait à l’époque que l’existence des moyens de communication était suffisante en soi. On a constaté par la suite qu’il y avait des considérations plus importantes - le contenu de la communication, l’accès aux systèmes de communication et le drojt de les utiliser. L’accent nouveau était manifeste dans l’introduction au projet de programme et budget pour 1969-1970 dans laquelle le Directeur général de l’Unesco déclarait notamment :

“L’information, sous son double aspect : la documen- tation, qui est mémoire, et la communication, qui est échange d’expressions et de stimulations, est essentielle à la vie spirituelle et à la mission de Wnesco... Les progrès réels de l’Une.sco doivent se mesurer avant tout à ce qu’elle peut faire pour mettre à la disposition de

tous et de chacun un savoir et un réseau de communi- cation l’un et l’autre universels.“2

En même temps, de nombreux travaux de recherche sur le déséquilibre international en matière de transfert de l’information rriontrbrent- que la plus grande partie de l’infor- mation diffusée dans le monde émanait de quatre agences de presse occidentales, qu’elle concernait principalement les pays occidentaux, qu’elle reflétait les vues occidentales et que, quand elle traitait d’autres parties du monde, elle les envisageait avec l’optique occidentale. Ces travaux mettaient en évidence le même phénomkne de dépen- dance vis-à-vis d’un nombre limité de sources pour les pro- grammes de télévision, les films et les livres. La place ainsi accordée à des valeurs exogènes paraissait représenter une grave menace pour l’identité culturelle des pays en développement.

Un commentateur résumait en ces termes les critiques que suscitait cet état de choses :

“Les moyens de communication sont trop puissants-leur pénétration est trop vaste et trop efficace. Ils expriment et imposent un point de vue étranger à des nations qui s’efforcent de se doter d’une image moderne et indépendante et pèchent par manque d’exactitude et d’objectivité - qualités sur lesquelles repose pourtant leur prétention à la prééminence.“3

A mesure que se multipliaient les critiques à l’encontre de ce qui était perçu comme une information à sens unique, on en vint à considérer comme insuffisante l’ancienne notion de “liberté de l’information”. Un nouveau concept, celui de la “libre circulation de l’information” lui fut substitué mais celui-ci fut à son tour abandonné en faveur d’un concept plus large, celui de la “circulation libre et équi- librée de l’information” qui figure au programme de la dix-huitième session de la Conférence générale de l’Unesco (1974).4

1. Cf. Que savons-xous sur la communication ?, document de recherche no 9 de la Commission internationale d’étude sur les problèmes de la communication, Unesco, p. 4.

-2. Introduction au projet de programme et budget pour 1969-1970 quinzième session de la Conférence générale de Wnesco, p. 105, Paris, 1968.

3. Rosemay Righter, Whose News?, Politics, the tiess and the Third World, Londres 1978, p. 23.

4. On trouvera une analyse très complète de la position de 1’Unesco sur les libertés de la communication dans le document de re- cherche no 8 de la Commission internationale pour l’étude des problèmes de communication de I’Unesco, intitulé De la Zibertéde l’information à la circulation libre et équilibrée de l’information.

11

Deux ans plus tard, la Conférence générale réunie à Nairobi approuvait un plan de cinq ans aux termes duquel :

“La plus haute priorité doit être accordée aux mesures visant à réduire l’écart existant dans le domaine de l’information entre les pays développés et les pays en développement et à aboutir à une circulation interna- tionale de l’information plus libre et mieux équilibrée.”

Elle priait également le Directeur général d’examiner tous les problèmes de la communication dans la société moderne compte tenu des progrès techniques ainsi que de l’évolution récente des relations internationales dans toute sa complexité et toute son ampleur. C’est alors que fut créée la Commission internationale d’étude des pro- blèmes de la communication, sous la présidence de M. Sean MacBride, ancien Ministre irlandais des affaires étrangéres et lauréat du prix Nobel et du prix Lénine.

Deux ans plus tard, à Paris, la Conférence générale de l’unesco, à sa vingtième session, exprimait son inquiétude devant le caractère peu satisfaisant du système de communi- cation actuel dans le monde et préconisait l’instauration d’un nouvel ordre mondial de l’information et de la com- munication plus juste et plus équilibré.

A mesure que le débat progressait, il était devenu évident que le modèle de communication qui avait été généralement accepté était trop étriqué. Améliorer la circulation de l’information ne signifie pas seulement accroître le volume de l’information qui fait l’objet du transfert ou celui des moyens techniques disponibles, ou améliorer le contenu de la communication. L’accès et la participation étaient consi- dérés comme des facteurs essentiels de la communication au service de la culture, du développement et du progrès humain. On commença à reconnaître que la communication impliquait le dialogue et la réciprocité, et la nécessité de libertés en matière de communication - le droit à la communication - se manifesta progressivement.

Le rapport final de la Commission MacBride, qui constitue l’examen le plus détaillé de l’ensemble des problèmes de communication publié au cours des dernières années, tra- duit bien ce nouvel état d’esprit. Il résume l’évolution de la réflexion sur les droits en matière de communication et exprime la conviction que le concept du droit à la

communication peut permettre de progresser de la manière suivante :

“La communication, de nos jours, est considérée comme une question de droits de l’homme. Mais ce droit est de plus en plus envisagé comme le droit de communiquer, et va au-delà de celui de recevoir la communication ou d’être informé. La communication est donc envisagée comme un processus bidirectionnel, dont les participants - individuels ou collectifs - entre- tiennent un dialogue démocratique et équilibré. Cette idée de dialogue, par opposition au monologue, est au cœur de beaucoup d’idées contemporaines, qui conduisent à la reconnaissance de nouveaux droits de l’homme.

Le droit à communiquer est un prolongement logique du progrès continu vers la liberté et la démo- cratie. A chaque époque, l’homme a lutté pour se libérer des pouvoirs qui le dominaient, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou religieux, et qui tentaient d’entraver la communication. Ce n’est que par des efforts fervents et infatigables que les peuples ont obtenu la liberté de parole, de la presse et de I’in- formation. Aujourd’hui, la lutte continue pour étendre les droits de l’homme et rendre le monde des communi- cations plus démocratique qu’il ne l’est actuellement. Mais la présente étape de la lutte met en jeu de nouveaux aspects du concept fondamental de liberté. L’exigence d’une circulation bidirectionnelle, d’un échange libre, de possibilités d’accès et de participation, ajoutent une nouvelle dimension qualitative aux libertés succes- sivement conquises dans le passé. L’idée du droit à communiquer élève tout le débat sur la “libre circu- lation” à un niveau supérieur, et promet de le faire sortir de l’impasse où il a été maintenu pendant les trente dernières années.“5

Dans les chapitres qui suivent est retracée la genese de ce nouveau concept qu’est le droit à la communication.

5. Voix multiples, un seul monde, Rapport de la Commission inter- nationale d’étude des problèmes de la communication, Unesco, Paris, 1980, p. 215.

12

4. Communication ou information?

Pendant que se poursuivait aux Nations Unies et à 1’Unesco le débat sur les libertés dans le domaine de l’information, parut un article qui allait se révéler fécond. Dans cet article, Jean d’Arcy avançait la notion de droit à la communication. Les propos tenus dans la phrase liminaire sont admirable- ment directs, sans ambages ni accommodement :

“La Déclaration universelle des droits de l’homme qui il y a vingt et un ans pour la première fois établissait en son Article 19 le droit de l’homme à l’information aura un jour à reconnaître un droit plus large : le droit de l’homme à la communication.“1

D’Arcy partait de l’idée que les moyens de communica- tion ont toujours déterminé les structures politiques et sociales et que la personne ou le groupe qui contrôle les communications contrôle effectivement la société. Tant que les moyens de communication étaient limités, le commun des hommes acceptait que des chefs religieux, des hommes politiques ou des particuliers en aient le contrôle. Les outils de la communication déterminaient les structures de la communication et la détention de ces outils conférait le pouvoir.

Or, à l’heure actuelle, les outils de la communication changent et ils sont d’un usage beaucoup plus généralisé. Plus ils sont disponibles, plus les structures de la communi- cation et toutes les structures de la société doivent changer pour s’y adapter. D’Arcy écrivait à ce sujet :

“Car, aujourd’hui, les peuples savent, et s’ils sont plus difficiles à gouverner, c’est peut-être que l’instrument de communication, d’information et de participation qu’on leur offre ne correspond plus au monde actuel et à l’avance de sa technique.“2

Et concluait :

“Si nous voulons bien nous souvenir que les structures sociales sont édifiées pour les hommes et que toute tentative de les maintenir lorsqu’elles sont périmées se solde par un échec violent, c’est vers des possibilités de communication infiniment élargies, vers un véritable droit de l’homme à la communication sous toutes ses formes, que nous acheminent le satellite de radiodif- fusion et les techniques qui lui sont associées. Sur cette voie, les délais ne comptent pas, si longs soient-ils, seule la volonté d’aboutir compte.“3

Plus de dix années se sont écoulées depuis que la notion de droit à la communication a été ainsi avancée publique- ment pour la première fois. A certains égards, l’idée de d’Arcy venait à son heure. Les discussions au sein des Nations Unies et de I’Unesco sur la liberté de l’information et la libre circulation de l’information - notion qui pré- sentait de nombreux points communs avec le droit à la communication - allaient bientôt être dans une impasse en

raison des conflits idéologiques et des manoeuvres politiques. Un moyen qui permettrait d’en sortir serait utile. Le droit à la communication apparut à certains comme offrant cette possibilité, alors que pour d’autres, elle ne faisait que compliquer les choses. Bien que d’Arcy appartint au personnel des Nations Unies - il était alors Directeur de la Division de la radio et des services visuels du Service de l’information des Nations Unies à New York - son initia- tive reçut un accueil mitigé. Bon nombre de ceux qui par- ticipaient déjà aux études et débats des Nations Unies sur la liberté de l’information et la libre circulafion de I’informa- tion craignaient que l’apparition du nouveau concept ne complique et prolonge leurs délibérations. Cette inquiétude a été exprimée d’une manière nuancée par Lakshamana Rao, qui demandait en 1975 pourquoi il était nécessaire d’aller au-delà des concepts de liberté de l’information et de libre circulation de l’information qui avaient déjà fait l’objet de tant d’études préliminaires, pour adopter une nouvelle formule très voisine et qui contenait une bonne partie des mêmes éléments, ce qui entraînerait inévita- blement d’autres controverses et ne pouvait que retarder une action efficace.

“Que s’est-il passé depuis 1948,” demandait Rao, “pour justifier un revirement presque complet dans notre manière d’envisager les objectifs ambitieux qui sont les nôtres dans le domaine de la circulation de l’information ? Qu’est ce qui nous a amenés peu à peu, mais peut-être inéluctablement à remettre complètement en question les bases sur lesquelles tout l’édifice était contruit? Pourquoi une institution spécialisée des Nations Unies qui compte à son actif plusieurs accords destinés à faci- liter la libre circulation de l’information dans le monde entier est-elle aujourd’hui celle-là même àjuger nécessaire de repartir à zéro et d’entreprendre des études pour étudier plus ou moins la même question libellée d’une manière différente : ‘Le droit à la communication ?’ A supposer que la nouvelle formule soit quelque peu plus large et plus profonde que celle qui l’a précédée, il me semble néanmoins - si j’ose me hasarder sur un terrain que de plus sages que moi ont généralement évité - que la libre circulation de l’information est peut-être l’élément le plus important du concept du droit à la communication.“4

1. Revue de Z’UER, no 118 (1969), pp. 14 à 18. (M. d’Arcy est actuellement membre du Haut conseil français de l’audiovisuel et Président de l’Institut international de communications.)

2. Lot. cit. 3. Lot. cit. 4. Y.V.L. Rao, “Information Imbalance in Asia” in Collected

Papers, p. 59. Aujourd’hui M. Rao est l’un des fonctionnaires de lTJnesc0 qui travaille le plus activement à encourager les travaux sur le concept du droit à la communication.

13

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, alors qu’il était quasiment impossible de démêler l’information de la propagande, et dans le climat de la “guerre froide”, cette position était légitime. Sa faiblesse, qui apparaît mieux rétrospectivement, était de définir la liberté d’infor- mation essentiellement en termes passifs : c’était le droit de chaque personne d’être informée. La circulation de I’infor- mation était envisagée à sens unique, de l’élite vers la masse, du centre vers la périphérie, du haut vers le bas. C’était l’ère des moyens de grande communication contrôlés par 1’Etat ou par de puissants intérêts privés et d’une techno- logie qui devait connaître bientôt un essor révolutionnaire.

Aujourd’hui l’information est perçue différemment. Ce n’est pas le contenu du processus de l’information qui est pris en compte, mais le processus lui-même. Le progrès technique des moyens de communication a mis la capacité de communiquer à la portée d’un beaucoup plus grand nombre de personnes. Les mass-médias font place aux “mini-médias”, et peut-être bientôt aux médias person- nalisés. La communication n’est plus perçue simplement comme réception passive mais comme participation active. Elle doit être à double sens et reposer sur les principes de la réciprocité et de la participation, pour reprendre les termes utilisés dans les discussions sur le droit à la communication.

Au lieu de considérer le droit à la communication comme un élément ou l’équivalent de la Liberté d’information, il semble donc plus fécond d’y voir un concept beaucoup plus large, embrassant, en plus de tous les droits en matière de communication qui se rattachent déjà aux notions de liberté et de Libre circulation de l’information, plusieurs autres idées nouvelles. Même si elle n’apporte rien de plus, cette nouvelle approche fournirait au moins une chance de sortir de l’impasse où se sont enlisées les discussions sur les formulations précédentes. Comme l’ont souligné Harrns et Richstad :

“Le problème des implications de 1’Article 19 peut désormais s’énoncer ainsi : comment convient-il de développer les ressources mondiales en matière de

14

communication - tant le personnel qualifié que les techniques et moyens appropriés ~ pour permettre à chacun d’exercer son droit à la communication d’une manière équilibr’ee, sur une base de réciprocité et de participation ?“5

Il faut néanmoins reconnaître que le remplacement des concepts de liberté de l’information et de libre circulation de l’information par celui de droit à la communication risque de compliquer le débat et de retarder la reconnais- sance internationale des droits dans le domaine de la com- munication. Pomorski a fait remarquer, à juste titre, que le concept de la libre circulation se prête mieux que celui du droit à la communication à des sanctions juridiques.6

En même temps, il est évident que les formules pré- cédentes ont peu de chance d’être acceptées ou ne le seront qu’après des délais interminables. Elles n’envisagent pas les droits en matière de communication dans toute leur portée, ni ne reposent sur cette hypothèse utile que l’exercice du droit de communiquer devrait être étroitement lié à une répartition plus juste des ressources en matière de communication. La plupart de ceux qui ont participé à l’examen de la question conviendraient sans doute que le concept de droit à la communication est beaucoup plus riche et beaucoup plus complet et qu’il reprend tous les droits et libertés contenus dans les formules précédentes tout en les dépassant pour englober d’autres aspects im- portants de la question.

Le problème est de se mettre d’accord sur une définition qui exprime tout ce qu’implique le droit à la communication.

5.

6.

L.S. Harms et Jim Richstad : “Right to Communicate : Human Rights, Major Communications Issues, Communications Policies and Planning”, in Collected Papers, p. 96. Jerzy Mik&owski Pomorski; “tic Right to Communicate: Emcrging concept and international policy” in Euolving Pers- pectives, pp. 39 à 5 1.

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5. Les études

En l’absence de toute instance appelée formellement à l’orienter et à l’appuyer constamment, l’étude du concept du droit à la communication a progresse par à-coups en fonction de l’intérêt intermittent manifesté par des par- ticuliers ou des organisations comme l’Institut international de communications et 1’Unesco. L’évolution de la question depuis la publication de l’article de d’Arcy est évoquée en détail dans l’ouvrage de Richstad, Harms et Kie.1

D’Arcy lui-même devait écrire coup sur coup deux autres articles, et ses idées influençèrent les études de la Commission canadienne des télécommunications. L’un des principaux rapports de la Commission contenait ce que Richstad, Harms et Kie appellent “probablement la première grande étude sur les paramètres du droit à la communi- cation”. Ce rapport, intitulé Instant World, citait la liberté de la connaissance et la liberté de parole parmi les privilèges les plus précieux d’une société démocratique et poursuivait en ces termes :

“Envisagés globalement, le droit d’entendre et d’être entendu, d’informer et d’être informé, peuvent être considérés comme les composantes essentielles du ‘droit à la communication’ . . . L’exercice du ‘droit à la com- munication’ constitue un objectif souhaitable pour toute société démocratique, car ainsi chaque individu saurait qu’il a le droit d’être informé et d’être entendu en quelque endroit de son propre pays qu’il réside, travaille ou se déplace.“2

D’Arcy étant membre de l’Institut international de radiotélévisions, devenu depuis l’Institut international de communications, il était normal que cet organisme s’intéresse à ses idées. L’Institut choisit comme thème de sa réunion annuelle tenue à Nicosie (Chypre) en octobre 1973 “L’homme et le droit à la communication”.

Invité à rédiger l’exposé principal, d’Arcy y mettait en lumière un des aspects du droit à la communication qui devait susciter le plus grand désaccord au cours des débats ultérieurs :

“Les libertés successives résultent de la tension entre le besoin de communiquer de l’individu et le besoin de la société ,d’établir ses propres réseaux de communication et d’expression.“3

Au cours des discussions sur le droit à la communication, une question suscita la plus vive controverse : où réside ce droit? Dans l’individu ou dans la communauté (société, région ou nation) dont l’individu fait partie ? Cette question pose des problèmes de Droit, dans les relations internatio- nales, et dans l’image que chacun se fait de la condition humaine. Rien n’indique que ses problèmes seront résolus facilement ou rapidement.4

D’Arcy concluait par une prévision :

“Trois cents ans se sont écoulés entre l’invention de Gutenberg et la reconnaissance du droit qui y corres- pond : la liberté d’expression. Il n’a fallu que trente ans, après l’apparition des moyens de grande information, pour que la communauté universelle proclame le droit de l’homme à l’information. Dans des délais relativement courts, l’essor des outils technologiques perfectionnés aboutira à la formulation d’un nouveau droit : le droit de l’homme à la communication. Un nouveau mode de réflexion s’impose. Une philosophie nouvelle et une nouvelle approche des problèmes de la communication conduiraient à des études visant à restructurer les sys- tèmes de communication tant nationaux qu’interna- tionaux. Proposer dès aujourd’hui que soit un jour reconnu aux individus et aux nations le droit à la com- munication ouvrirait de nouveaux horizons dans certains domaines : Je pense au projet de déclaration et de convention sur la liberté d’information que les Nations Unies examinent actuellement, aux problèmes d’accès et de participation à la communication, à l’échange multi- latéral de l’information et à la préservation de l’héritage culturel . . . telle est la proposition que je tiens à faire aujourd’hui”5

Au cours de l’été 1974 de premiers efforts furent faits pour organiser et intégrer l’étude du droit à la communica- tion. E. Lloyd Sommerlad, qui venait de quitter la direction de la Division de la libre circulation de l’information et des politiques de la communication de l’Unesco, collabora avec Harms et Richstad à la rédaction d’un “document justifica- tif” de deux pages sur le droit à la communication ; les auteurs déclaraient notamment :

“La communication est un processus humain fonda- mental non seulement au niveau des communautés locales mais aussi de la communauté mondiale en train de naître. Le processus de la communication humaine imprègne toutes les institutions sociales et est à bien des égards indispensable au progrès humain. En conséquence, on se rend de plus en plus compte que chacun doit avoir droit à la communication.“6

1. Jim Richstad, L.S. Harms et Kathleen A. Kie, “The Emergence of the right to Communicate” in Collected Pupers, pp. 112 à 136.

2. Instant World, Information Canada, 1971, p. 3. 3. Jean d’Arcy, “The Right of Man to Communicate”, in Collected

Papers, pp. 45 à 52. 4. Voir chapitres 8 et 9. 5. Op. cit., 52. p. 6. Op. cit., 118. p.

15

Les auteurs du document constataient que d’autres droits, comme le droit à la liberté de l’information et à la liberté d’assemblée, étaient partiellement acquis. D’autres droits étaient en cours d’examen. 11 leur apparaissait essen- tiel de définir dans le cadre d’une approche multiculturelle les grandes lignes du droit à la communication avant que des droits partiels et parfois incompatibles ne soient codifiés.

En 1974, sur l’initiative de la délégation suédoise, la Conférence générale de l’unesco, à sa dix-huitième session, autorisait le Directeur général à étudier et à analyser le droit à la communication en consultation avec les organes com- pétents des Nations Unies, les Etats membres et les organi- sations professionnelles et à faire rapport à la Conférence générale, à sa dix-neuvième session, sur les mesures supplé- mentaires qu’il convenait de prendre.7

En conséquence, le Directeur général de l’unesco adres- sait aux Etats membres et aux commissions nationales auprès de l’unesco une lettre où il déclarait notamment :

“A un moment où l’on prend de plus en plus conscience de l’importance fondamentale de la communication dans une société démocratique, les technologies nouvelles offrent des possibilités d’expansion et de transformation des systèmes de communication, ainsi que des occasions de participation et d’interaction au niveau communau- taire et au niveau national. Depuis qu’a été adoptée, en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme, des changements technologiques ont ajouté de nou- velles dimensions au droit à l’information proclamé à 1’Article 19, de sorte qu’il est aujourd’hui nécessaire de procéder à une étude approfondie de ce qu’on appelle le droit à la communication.

Comme on l’a dit lors des débats qui ont eu lieu à la Conférence générale, il s’agit-là d’un nouveau concept. La communication, a-t-on fait observer, devrait être un processus à double sens impliquant le droit d’informer comme celui d’être informé - un dialogue entre les gens et un courant libre et équilibré d’information entre les nations. On a reconnu que le droit à la communication devrait être fondé sur les besoins présents et futurs de l’homme en matière de communication, et qu’il devrait faire partie intégrante des politiques de la communication formulées par les Etats membres.“8

En 1975, le droit à la communication fit l’objet de discussions très approfondies pendant quatre jours, à l’occasion de la réunion annuelle de l’Institut international de radiodiffusion (l’actuel IIC), à Cologne (République fédérale d’Allemagne). Le groupe de travail estima qu’il valait mieux ne pas tenter de définir le droit. Il en a établi plutôt une “description”, libellée comme suit :

“Tout le monde a le droit de communiquer. C’est un besoin fondamental de l’homme et la base de toute organisation sociale. C’est un droit qui appartient aux individus et aux collectivités, à l’intérieur de celles-ci et entre elles. Il est reconnu internationalement depuis longtemps, et son exercice doit évoluer et s’élargir constamment. Compte tenu de l’évolution des sociétés et du progrès technique, des ressources humaines, éco- nomiques et techniques adéquates devraient être mises à la disposition de l’humanité tout entière pour satis- faire son besoin de communication active et réciproque et pour l’application de ce droit.“9

C’est en grande partie à la suite de la réunion de Cologne que furent compilés les textes qui allaient constituer les deux ouvrages les plus importants dans ce domaine. Ces ouvrages, mentionnés dans l’introduction et abondamment

16

cités dans le présent ouvrage, sont respectivement intitulés Righ t to Communicate: Collected Papers, publié sous la direction de L.S. Harms, Jim Richstad et Kathleen A. Kie par l’Institut de sciences sociales et le linguistique de l’Université de Hawaï à Manoa et Evolving Perspectives and the Right to Communicate, publié sous la direction de L.S. Harms et Jim Richstad par l’East-West Center de l’East- West Communications Institute de cette même université. La lecture de ces deux ouvrages est indispensable pour quiconque s’intéresse à ce sujet.

A sa vingtième session (1978) la Conférence générale de l’unesco adopta une résolution autorisant le Directeur général “à mener des activités contribuant à la promotion de la recherche sur les mesures destinées à garantir les droits de l’homme”. Elle l’invitait, par ailleurs, à “encou- rager les études approfondies et les échanges de vues sur le concept de droit à la communication à la lumière des principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme”.Iu

Pour donner suite à cette résolution, 1’Unesco a organisé une série de réunions sur divers aspects de la question. La première de ces réunions a eu lieu en 1978 à Stockholm. Selon le rapport final, il semblait généralement reconnu que le droit à la communication n’est pas un principe juridique établi mais un concept qui évolue. Les parti- cipants ont formulé en ces termes un certain nombre de suggestions et de propositions concernant la suite des travaux :

a>

b)

c>

4

e)

n

Le concept du droit à la communication doit continuer à faire l’objet d’études, de recherches et d’analyses approfondies dans divers cadres culturels. En cherchant à élaborer une définition maniable du droit à la communication, il est recommandé d’étudier de près tous les droits connexes et voisins qui pourraient être englobés ou mentionnés dans la définition du droit à la communication lui-même, et notamment d’éventuels nouveaux droits tels que le droit à la sélection de l’infor- mation et le droit à la création conjointe de l’information. Toute nouvelle étude et, en particulier, touslesefforts de mise en pratique du droit à la communication, devraient privilégier les principes fondamentaux de l’accès et de la participation. Comme les aspects internationaux du droit à la commu- nication ne figuraient pas à l’ordre du jour et n’avaient été étudiés que superficiellement, il a été suggéré qu’une autre réunion internationale d’experts (catégorie VI) soit organisée pour les examiner, notamment dans la perspec- tive d’un nouvel ordre international de la communication. Un groupe de travail de l’unesco devrait être chargé de poursuivre l’étude du concept du droit à la communi- cation en vue de préciser le champ de ses applications possibles, tout en gardant à l’esprit les réalités du droit international. Les recommandations de la présente réunion devraient être prises en considération lors des conférences inter- gouvernementales de l’unesco sur les politiques de la communication en Asie, en Afrique, etc., ainsi que lors des conférences portant sur les politiques dans des domaines connexes, tels que l’éducation et la culture.11

7. Résolution 4.121 (chapitre IV) adoptée par la Conférence générale, en 1974, à sa dix-huitième session.

8. Lettre du Directeur générai CL/2440, 1976. 9. Institut international de radiodiffusion, Conférence annuelle

de 1975, 22 à 23. p. 10. Résolution 4/1.1/1, 1978. 11. Réunion d’experts sur le droit à la communication, par. 71,

Unesco CC-78/Conf. 630, Nov. 1978. Voir Appendice A.

Le rapport intérimaire de la Commission MacBride, publié quatre mois après la réunion de Stockholm, donna une impulsion nouvelle aux travaux sur le droit à la com- munication. Dans ce rapport, la Commission déclarait que “le droit individuel de communiquer, de transmettre et de recevoir des informations devrait constituer un droit fondamental de l’homme ” 12 Elle préconisait également un . examen plus approfondi du concept, déclarant notamment :

“Ce concept du ‘droit à communiquer’, dans lequel s’articulent les notions de liberté, de responsabilité, d’équilibre, d’accès et de participation, tend à se substi- tuer aujourd’hui à celui de liberté de l’information, pourtant relativement récent, qui englobait déjà ceux de liberté d’expression et de liberté de la presse.

En dépit de l’ambiguïté qui relève du concept du droit de communiquer et qui implique une interrelation de la communication en double sens, ‘donner et recevoir’, celui-ci met en jeu plusieurs libertés fondamentales non seulement au niveau des individus mais aussi au niveau des sociétés et nations.

Ne conviendrait-il pas d’examiner les moyens propres à réduire le fossé qui sépare les spéculations intellectuelles dont ce droit est l’objet et les réalités pratiques de la communication dans le monde d’aujourd’hui? L’enjeu en vaut la peine si la reconnaissance de ce droit peut constituer un pas en avant vers l’instauration d’un nouvel ordre mondial de l’information.”

D’autres réunions d’experts sur le concept du droit à la communication furent organisées par l’Unesco à Manille (octobre 1979) Londres (mars 198U), Ottawa (septembre 1980), Strasbourg (septembre 1981) et Bucarest (février 1982).13

La Réunion d’Ottawa procéda à un réexamen de la “description” du droit à la communication approuvée à la réunion de l’IIR/IIC de Cologne en 1975 et décida de rechercher une définition améliorée. On se mit d’accord sur la formule suivante :

“Tout le monde a le droit de communiquer. La commu- nication est un processus social fondamental qui permet aux individus et aux collectivités d’échanger des informa- tions et des opinions. C’est un besoin fondamental de l’homme et la base de toute organisation sociale. Le droit de communiquer appartient aux individus et aux communautés dont ils font partie.“14

Entre temps, dans son rapport final, la Commission MacBride avait développé les idées qu’elle avait exposées dans son rapport intérimaire sur le droit à la communica- tion. Elle avait ajouté à ses recommandations le paragraphe suivant :

“Les besoins d’une société démocratique dans le domaine de la communication devraient être satisfaits par l’éla- boration de droits spécifiques tels que le droit à être informé, le droit d’informer, le droit au respect de la vie privée, le droit de participer à la communication publique - qui entrent tous dans le cadre de ce nouveau concept qu’est le droit de communiquer. A l’orée de ce que l’on pourrait appeler une ère nouvelle en matière de droits sociaux, toutes les implications du droit à commu- niquer devraient faire l’objet d’études approfondies.“15

A l’heure actuelle, le travail sur le concept du droit à la communication est surtout le fait de Wnesco, qui a inscrit cette question à son programme en cours, et de l’Institut international de communications, qui a récemment reçu une subvention de 1’Unesco pour d’autres études dans ce domaine.

- -

12.

13. 14.

15.

Rapport intkrimaire sur les problèmes de communication dans La société moderne. Unesco CC-CIC-78/WS/39, septembre 1978, par. 14, p. 44. Voir appendices B, C et D. Groupe de travail sur le droit à la communication, Ottawa, septembre 1980, Rapport final, p. 2. Voix multiples, un seul monde, par. 54, p. 330.

17

- ..--

6. Droits et libertés

Il existe d’importantes différences entre les pays, les cultures et les systèmes idéologiques sur le problème des droits de l’homme. Ces droits existent-ils ? En quoi consistent-ils ? Comment les définit-on? Quels sont les éléments qui les constituent ? Qui ou quel en est le sujet? Comment les distinguer des libertés ? Sont-ils du ressort du droit international? Quant et comment peut-on y apporter des restrictions ?

Le mot “droit” lui-même pose un problème fondamental. En anglais, comme dans un certain nombre d’autres langues, le même mot sert à exprimer deux idées, la loi et la justice. Justinien, dans le Codex Justinianus, distingue entre un droit public et un droit privé ou individuel : Publicum jus est quod ad statum rei Romanae spectat ; privatum quod ad singubrum utilitatem pertinet. 1 Avec son esprit de finesse habituel, Saint Thomas d’Aquin établit une distinction entre le “jus” de l’homme de loi et le “justum” du mora- liste ; le titre officiel du Ministre irlandais de la justice fait appel aux deux mots gaéliques “dli” (loi) et “ceart” (droit ou justice).

Dès qu’on engage un débat sur un droit de l’homme dans un cadre international ou multiculturel, il est donc important de déterminer si les deux notions distinctes que recouvre le mot anglais “right”, à savoir la loi et la justice, se retrouvent toutes deux dans le mot allemand “recht”, le mot espagnol “derecho”, le mot portugais “direito”, le mot français “droit”, le mot russe “pravo”, etc.

Cette distinction entre les deux notions est importante pour déterminer le statut légal d’un droit de l’homme dans les divers systèmes juridiques au niveau national et inter- national. Si un “droit” est simplement énoncé dans un texte de loi, il est évident qu’il appartient aux Etats de décider de l’appliquer ou non. S’il s’agit d’un droit fonda- mental, d’une condition nécessaire au développement de la vie humaine et au fonctionnement normal de l’être humain et de la société à laquelle il appartient, alors l’Etat n’est pas habilité à le méconnaître ou à le limiter, comme il n’est pas habilité à méconnaître ou à limiter le droit à la vie même.

Dans le droit à la communication il y a manifestement les deux notions de loi et de justice. Ce droit est générale- ment reconnu comme valable du point de vue de la justice. Par définition, un être humain doit, pour être humain, communiquer ; en conséquence, le droit à la communica- tion est un droit fondamental de l’homme et devrait être énonce comme tel. La seule objection est formulée par ceux qui estiment que la communication est une caractéristique tellement fondamentale de la nature humaine qu’il serait erroné de classer le droit à la communication parmi les droits de l’homme au même titre que les libertés de réunion, d’opinion, d’expression, etc. Kaarle Nordenstreng, de l’Université de Tampere (Finlande) a soutenu :

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“Le droit à la communication est une notion qui, d’une certaine manière essentielle, définit un être humain ; c’est une qualité principale de ce que nous entendons par être humain, et non pas simplement une condition ou une disposition particulière ayant trait à la nature humaine et au comportement humain. La notion de communication est tellement fondamentale, qu’on risque de la vulgariser et de la banaliser en la définissant en termes de “droit à la communication”.2

Il semble toutefois qu’il s’agisse d’une opinion minori- taire, pour ne pas dire quelque peu excentrique. Comme le fait remarquer Don R. Le Duc :

“Il semble que le droit fondamental de la plupart des nations modernes reconnaît est même garantit déjà à tout citoyen, en termes très généraux, le droit à la communication ou une forme quelconque de liberté d’expression.“3

Mais les opinions divergent quand il s’agit de donner au droit à la communication une expression juridique. Selon certains, il est vain de consacrer un texte de loi à ce droit puisqu’on ne peut en garantir l’exercice universel et absolu. C’est ainsi que Pomorski qualifie un tel projet d“‘utopique”. Tout en reconnaissant que :

“tout législateur a le droit de faire de ‘mauvaises’ lois, c’est-à-dire des lois qui restent lettre morte parce qu’elles ne comportent aucune mesure d’application ou parce que de nombreuses exceptions en limitent la portée, ou encore des lois qui, lorsqu’elles sont appliquées, ont, sur le plan social, davantage d’effets dégatifs que prévu”.4

L’auteur se demande s’il est opportun de faire de telles lois.

Ce qui peut justifier la codification du droit à la commu- nication, c’est que la reconnaissance d’un droit a pour corrolaire la reconnaissance des devoirs correspondants. Ce qui est droit pour l’un est devoir pour l’autre, celui-ci étant appelé à garantir les conditions dans lesquelles celui-là peut exercer le droit. La responsabilité de Y‘autre” ne peut être définie et garantie que par la loi.

Peut-être un droit se conçoit-il mieux en tant que “liberté”. A moins qu’il n’y ait une différence entre les

1. Institutiones Justiniani, Livre 1, Titre 1, 4. 2. Rbsumé de l’intervention de Kaarle Nordenstreng à la réunion

d’experts de 1’Unesco “Towards a definition of the right to communicate” ; Stockholm, 8 - 12 mai 1978.

3. Don R. Le Duc : “The right to receive communications: A thought worth entertaining” in Evolving Perspectives, pp. 157 à 167.

4. Op. cit., p. 44.

deux concepts. D’après Cocca5, le “droit” implique une norme qui doit être respectée sans aucune réserve, dériva- tion ou atermoiement. C’est une prérogative qui découle de la nature intrinsèque du sujet du droit et de la nature même de ce droit. Cela implique, comme il a déjà été indiqué, que les autres n’ont pas la faculté de dénier ce droit et sont expressément tenus de le respecter et d’assurer les conditions propices à son exercice.

Un droit exprime un besoin permanent. S’il fait l’objet d’un déni ou d’une restriction l’existence même du sujet s’en trouverait affectée. Les êtres humains ne peuvent être privés de leur droit à la vie et continuer à exister : on ne peut pas non plus les priver de leur droit à la communi- cation sans porter atteinte à leur dignité humaine et refuser d’admettre leur humanité même.

Le concept de liberté est plus limité, car il implique que le sujet peut choisir de s’en prévaloir ou non, sans que son choix diminue en rien sa situation d’être humain. En outre, la seule obligation des tiers est de s’abstenir d’entraver l’exercice d’une liberté ; ils ne sont en rien tenus de favo- riser cet exercice.

Le “droit à la communication” est donc un concept beau- coup plus fondamental que la “liberté de communiquer”.

On peut également se demander si, en anglais, l’expression “the right to communicate”6 est la meilleure formule pour énoncer le concept. Pourquoi pas “the right of com- munication” ? Certains soutiennent que cette dernière formule est trop statique, qu’elle se réfère davantage au contenu de la communication qu’à l’acte de communication lui-même. C’est pour quoi la plupart de ceux qui traitent cette question dans la langue française préfèrent l’expression “droit à la communication” à “droit de la communication”, et en allemand, “das Recht zu Kommunizieren” à “das Recht auf Kommunication”. Cocca fait remarquer à juste titre que l’expression espagnole “el derecho a communicarse” (littéralement, le droit de s’exprimer) montre clairement que c’est l’action de communiquer plutôt que le contenu de la communication même qui est ainsi décrit.7

Les risques de confusion entre droits et libertés se précisent lorsqu’on en vient à déterminer le contenu de la définition du droit à la communication. D’une façon générale, il semble que l’on reconnaisse qu’il s’agit d’une notion-cadre embrassant toute une gamme de droits et de libertés dans le domaine de la communication. Certains de ces droits et libertés ont déjà été définis et parfois consacrés par les législations nationales. D’autres sont encore à l’étude et font l’objet de discussions ; d’autres encore n’ont peut-être même pas été identifiés jusqu’à présent.

Ceux qui travaillent dans ce domaine ne se dissimulent pas la difficulté et la complexité de leur tâche. Ils savent qu’ils ne parviendront pas rapidement et facilement a trancher d’un seul coup le nœud gordien où sont enchevêtrés les nombreux aspects du concept. Martelant évoque ce dilemme en ces termes :

“La plupart des auteurs reconnaissent que la vieille notion de ‘liberté de l’information’ est quelque peu périmée au même titre que le principe du ‘laisser-faire’ en économie. Ils s’accordent à penser que le droit à la communication devrait à la fois mettre l’accent sur l’égalité de tous les partenaires, garantir une information multiculturelle et réciproque et inclure le droit tant passif qu’actif à la communication, pour permettre le plus haut degré possible d’information en retour, de participation et d’accès. Selon le mot de Bert Cowlan, ‘la communication est une action qui s’exprime le mieux par un verbe’. Par contre, il semble que tout

le monde ne mette pas l’accent et ne concentre pas son attention sur les mêmes aspects du droit à la com- munication. L’accent varie selon que l’on se situe dans un contexte national ou international ; que I’on place la société ou l’individu au centre du processus du déve- loppement et de celui de la communication ; selon que l’on cherche à supprimer la pénurie des ressources ou à protéger les individus contre la saturation de l’infor- mation ; selon qu’il est primordial de satisfaire les besoins fondamentaux de tous en matière d’information ou plutôt de les mettre à l’abri d’abus et d’une manipu- lation qui pourraient être le fait du pouvoir arbitraire et efféné des moyens de grande communication et que l’on s’attache surtout à garantir un droit universel à la com- munication ou on se préoccupe également de prévoir le droit de ne pas communiquer et de ne pas être l’objet de la communication.“8

Pour les rédacteurs du rapport de la “Télécommission” canadienne Instant World, “les droits d’entendre et d’être entendu, d’informer et d’être informé” sont les “compo- santes essentielles” du droit à la communication.9

Pour Hindley, les éléments d’un droit général à la com- munication sont les suivants :

1. Le droit de parler 2. Le droit d’être entendu 3. Le droit à une réponse 4. Le droit de réponse 5. Le droit d’écouter10

A cette liste Cocca ajoute les éléments suivants :

6. Le droit de voir 7. Le droit d’être vu 8. Le droit de s’exprimer par l’écrit ou l’imprimé 9. Le droit de s’exprimer par un moyen artistique

10. Le droit à la sélectivité (concept que Cocca préfère à l’expression “droit à la non communication” utilisée par d’autres auteurs pour exprimer le droit au respect de la vie privée ou “droit de ne pas être informé”)11

Dans sa communication au symposium organisé par la Fondation Hanns Seidel en mai 197812 Cocca s’est efforce de regrouper certains de ces concepts en distinguant trois étapes dans l’évolution de l’aspiration des hommes à com- muniquer entre eux :

a) Le droit de communiquer, perçu comme liberté d’opinion et d’expression.

b) Le droit de communiquer élargi, qui comprend la liberté d’informer les autres et d’être informé soi-même, en particulier grâce aux possibilités offertes par les moyens de grande communication.

c) Le droit à la communication perçu comme une capa- cité d’interaction et de dialogue, un moyen d’accès et de participation, qui implique des obligations et des responsabilités.

5. Aldo Armando Cocca : “The Right to Communicate: An cvolutive concept for a new persona1 and social dimension of a fundamental human right” in Evolving Perspectives, pp. 22 à 37.

6. Expression utilisée dans le titre de la version anglaise. 7. Op. cit., passim. 8. Tomo Martelant, Collected Papers, Avant-propos, p. viii. 9. Instant World, Information Canada, Ottawa, 1971, p. 3.

10. Henry Hindley : “A Right to Communicate? A Canadian approach” in Evolving Perspectives, pp. 119 à 121.

11. Lot. cit. 12. A A Cocca, . . “Direct Satellite Broadcasting of Radio and

Television” in Freedom of Information - a Human Right, Hanns Seidel Stiftung, Munich 1978, pp. 71 à 73.

19

Une analyse préliminaire permettait à l’auteur de distinguer trois catégories fondamentales :

a) droits de l’individu ; b) droits des moyens de communication ou médias (y

compris ceux des professionnels) ; c) droits des communautés locales, nationales et inter-

nationales.

Pour les individus, on considérait que les droits les plus importants étaient les suivants :

- la liberté d’opinion et d’expression ; - le droit d’être informé ; - le droit d’informer ; - la protection de la vie privée ; - la liberté de mouvement ; - le droit de réunion ; - l’accès aux sources d’information ;

Les droits spécifiques des institutions étaient les suivants :

- l’accès aux sources d’information ; - la liberté d’opinion et d’expression ; - le droit d’informer ; - le droit de publier ; - la liberté de mouvement ; - le respect du secret professionnel.

Les droits en matière de communication considérés comme particulièrement importants dans les rapports d’un pays avec l’extérieur étaient les suivants :

- le droit d’informer ; - la circulation libre et équilibrée de l’information ; - la préservation de l’intégrité culturelle ; - les échanges culturels ; - la liberté d’opinion et d’expression ; - le droit d’être informé ; - le droit de rectification ; - le droit de réponse.13

Dans son rapport final, la Commission MacBride énumère parmi les droits de l’individu à la communication :

QI

b)

Cl

la

Le droit de savoir, c’est-à-dire d’être informé et de chercher comme chacun l’entend toute information souhaitée, en particulier quand elle concerne sa vie, son travail ou les décisions à prendre, aussi bien individuel- lement qu’en tant que membre de la communauté ; le refus de communiquer une information ou la divulgation d’une information fausse ou dénaturée constituent une infraction à ce droit. Le droit de transmettre à autrui la vérité telle qu’il la voit sur ses conditions de vie, ses aspirations, ses besoins et ses doléances ; il y a infraction à ce droit chaque fois que l’individu est réduit au silence par intimidation ou sanction, ou lorsqu’on lui refuse l’accès à un moyen de communication. Le droit de discuter : la communication devrait consti- tuer une ouverture à la réponse, à la réflexion et au débat ; ce droit garantit la libre acceptation des actions collectives et permet à l’individu d’influencer les décisions prises par les responsables.

A ces droits fondamentaux devrait s’ajouter le droit à vie privée. L’individu a souvent besoin d’être protégé

contre les intrusions dans sa vie privée, vis-à-vis desquelles il peut être sans défense quand elles s’appuient sur le pouvoir de la technologie moderne.14

La simple énumération des droits et libertés considérés comme faisant partie du droit à la communication donne une idée de la richesse et de la complexité de ce concept et de la difficulté d’en donner une définition viable qui soit à la fois complète et intelligible.

13. Op. cit. 14. Op. cit., p. 139.

20

7. A la recherche d’une définition

Les efforts visant à mettre au point d’un commun accord une définition du droit à la communication ont été entravés par le fait que deux approches opposées sont en présence. Il y a, d’une part, ceux qui veulent que la définition établisse l’essence du concept en tant que droit fondamental et inviolable de l’homme. Ils souhaitent à cette fin que ce droit soit énoncé de façon aussi claire, aussi simple et aussi dénuée de complications, de réserves et de descriptions que le droit à la vie ou le droit à la liberté. Pour eux, c’est seulement ainsi que I’on pourra souligner I’importance de ce droit et faire apparaître le refus de le reconnaître comme allant à l’encontre des besoins les plus profonds de l’homme.

Il y a, d’autre part, ceux qui veulent une définition aussi large que possible. Ainsi, dans son rapport final, le groupe d’étude qui s’est réuni à Londres en mars 1980 affirme que le droit à la communication devrait apparaître comme une “notion dynamique et souple”, qu’il devrait notamment “tenir compte de la diversité des flux de l’information dans la société et de leur objet social, expri- mer des valeurs sociales positives et consacrer le rapport entre la communication et le développement”. Ce droit, ajoute le rapport, devrait “être conçu de façon à prendre en considération les différents niveaux de la communi- cation” - l’individu, les groupes sociaux, les institutions, la nation, la région et l’échelon international. 1

Il va sans dire qu’aucune définition ne peut, à elle seule, faire des miracles. Le droit à la communication n’est pas une panacée qui guérira les maux de l’humanité. Il ne va ni résoudre les problèmes du développement, ni favoriser une circulation plus équilibrée de l’information, ni améliorer la répartition nationale ou internationale des ressources en matière de communication. Il ne va pas assurer la paix mondiale, promouvoir l’éducation, ni éliminer les handicaps qui pèsent sur le Tiers Monde. Ceux qui cherchent à utiliser la notion de droit à la communication soit pour justifier la promotion de l“‘impérialisme culturel” soit pour combattre cet “impérialisme”, soit encore pour des raisons économiques et politiques, la prostituent à des fins qui, si nobles soient-elles, ne devraient pas être liées à ce droit fondamental de l’homme.

Lors de la réunion d’experts de 1’Unesco sur le droit à la communication, qui s’est tenue à Manille en octobre 1979, M. Francisco S. Tatad, Ministre philippin de l’infor- mation a exprimé le sentiment général. Soulignant qu’il serait très difficile de condenser en un seul principe toutes les normes que l’on s’efforce d’énoncer dans le domaine de la communication moderne, il a déclaré :

“Même tel qu’il a été défini, lors des premières discus- sions de l’Unesco, le concept du “droit à la communi- cation” est déjà encombré d’une foule de considérations

au nombre desquelles figurent l’écart entre pays dévelop- pes et pays en développement en matière de communi- cation, l’accès et la participation au processus de la communication, les responsabilités des médias et des responsables de la communication, la souveraineté des Etats, etc. Ce que nous craignons le plus, c’est la défor- mation de sens que risque de subir ce concept lorsque nous aurons enfin réussi à le définir en une seule phrase et le risque plus grand encore, en voulant le formuler en des termes assez généraux pour arriver à un consensus international, de le vider ainsi de son sens.“2

Toutefois, malgré les difficultés, M. Tatad a rappelé aux experts “qu’il s’agit en fait d’exposer une conception normative qui englobe tous les aspects (juridique, moral, technologique) et tous les niveaux (individuel, national et international) de la communication. Nous devons tenter de mettre au point une définition de principes qui reflète une vue planétaire des besoins, des problèmes et des possibilités en matière de communication ; s’il s’avère nécessaire de la préciser, nous devrons le faire, ne serait-ce que pour éviter ce qui s’est produit pour d’autres droits de l’homme, que leur définition a vidés de leur substance par excès de généralité et manque de précision”3 a-t-il dit.

Il est sans aucun doute justifié de tenter, avant de mettre au point d’un commun accord une définition du droit à la communication, d’intégrer dans un concept global toutes les préoccupations exprimées et toutes les considérations retenues à la réunion de Londres ainsi qu’au fil des débats et dans les documents consacrés à cette question.

Toutefois, si cette intégration est nécessaire au stade conceptuel, d’aucuns estiment que tenter de la réaliser dans la définition même du droit à la communication irait à l’encontre du but recherché.

La définition du droit à la communication ne peut être élargie pour englober toute la gamme des libertés - liberté d’expression, liberté d’opinion, liberté d’information, liberté de la presse, liberté des journalistes, etc. ~ qui entrent en jeu dans la communication. Toutes n’ont pas la même importance du point de vue philosophique. Certaines sont plus fondamentales que d’autres. Certaines admettent des restrictions et des exceptions, d’autres non. Essayer de les inclure toutes dans la même définition ne ferait qu’embrouiller les choses et réduire la valeur du droit dont découlent ces libertés.

1. Voir Appendice C. 2. Francisco S. Tatad, Communications in a new key: a normative

approach, p. 7. 3. Lot. cit.

21

Fisher préconise une nette distinction entre les diverses composantes du droit à la communication de façon que le droit fondamental lui-même ne soit pas dévalorisé :

“Si le droit fondamental de l’homme, les libertés qui en découlent et les prérogatives qui sont nécessaires, dans la pratique, à l’exercice de ce droit et de ces libertés ne sont pas hiérarchiquement différenciés, s’ils sont tous noyés et fondus dans la même définition ou dans la même description, l’affirmation du droit lui-même est affaiblie. Il en est ainsi, car dans une définition globale du droit, on serait amené à prévoir des limitations éventuelles de l’exercice des libertés et des prérogatives qui en découlent, et ces limitations seraient, d’une certaine manière, censées s’appliquer au droit fondamen- tal lui-même. Il vaudrait beaucoup mieux énoncer le droit en termes absolus en tant que noyau inviolable et préciser à part les libertés qui en découlent, les préro- gatives, qui, dans la pratique, sont nécessaires à leur exercice, les circonstances qui pourraient justifier la limitation de cet exercice et l’étendue des limitations justifiables.“4

C’est la même approche qui est adoptée dans un docu- ment de travail de 1’Unesco , la notion de droit à la commu- nication y est envisagée à quatre niveaux :

a) Un droit universel à la communication : droit de l’homme global et général, respectant toutes les cultures, valable dans toutes les sociétés et à tous les niveaux, et considéré comme un objectif à long terme.

b) Des droits spécifiques en matière de communication : ensemble de droits que l’on peut définir et sur lesquels on peut agir, et qui fournit le cadre d’un examen technique des prérogatives et de l’application pratique d’un droit général.

c) Responsabilités en matière de communication : une personne ne saurait exercer un droit sans tenir compte de l’incidence de cet exercice sur d’autres personnes . . . Aux droits doivent correspondre des responsabilités, ceux qui exercent des droits en matière de communica- tion sont responsables de leurs actions devant la société, dans l’intérêt général.

d) Problèmes de communication : dans toute société, une série de problèmes et de possibilités dans le domaine de la communication sera étudié en permanence, concernant les processus, politiques, activités, ressources, structures, législation, etc. à quatre niveaux différents - Etat, col- lectivité, individu et institution . ..5

L’approche hiérarchisante bénéficie de l’appui de la commission internationale de juristes, qui reconnaît deux catégories distinctes de droits de l’homme. Les droits primaires, comme la liberté de croyance religieuse et le droit des membres d’une société de choisir leur propre gouvernement, sont universels et inviolables. Les droits secondaires, comme la liberté de parole, de réunion et d’association, ne figurent pas parmi les droits fondamentaux de l’homme, car ils ne sont pas absolus et peuvent être limités.6

Dans une approche hiérarchisante, le droit à la com- munication serait établi, en tant que droit fondamental de l’homme au centre (ou au sommet, selon la vision conceptuelle) d’une série de droits et de libertés secondaires découlant de ce droit fondamental. Ces droits secondaires protégeraient l’application pratique du droit à la communi- cation, mais seraient soumis à des restrictions et à des limitations.

22

Dans cette conceptualisation, le droit a la communi- cation serait considéré comme le noyau d’un ensemble de libertés interdépendantes dans le domaine de la com- munication. Graviteraient autour de ce noyau la liberté d’opinion, la liberté d’expression et la liberté d’informa- tion qui ne sont pas absolues en soi, mais qui représentent les principaux domaines de l’activité humaine dans lesquels s’exerce le droit fondamental à la communication.

Les libertés secondaires ou dérivées, ~ liberté d’opinion, liberté d’expression et liberté d’information ~ s’exercent elles aussi, dans la pratique sous diverses formes : liberté de la presse, absence de censure, indépendance de la radio- télédiffusion, droit des journalistes de protéger leurs sources, droit d’accès à l’information etc. A leur tour, ces libertés engendrent des prérogatives - le journaliste est en droit d’avoir accès à l’information et aux sources d’information, le citoyen, de répondre, le lecteur de journaux d’attendre une gamme d’opinions différentes et le sujet peut prétendre à un “gouvernement ouvert” etc.

Si le droit à la communication doit être universellement respecté en tant que droit fondamental de l’homme, il s’exerce dans la pratique sous forme de libertés et de prérogatives secondaires, lesquelles peuvent être limitées. Ainsi, les libertés d’information, d’opinion et d’expression, qui gravitent autour du droit à la communication, sont, dans leur essence, inviolables. Toutefois, dans la pratique, leur exercice qui se traduit notamment par la liberté de la presse, la liberté d’association, l’accès à l’information, l’indépendance de la radiotélédiffusion, est soumis à des restrictions et à des limitations.

Comme le dit Samuel Handel, “le simple fait est que, pour avoir un sens dans une société organisée, la liberté doit être un amalgame ou une hérarchie de libertés et de contraintes.”

Ainsi, dans le paragraphe 1 de son Article 10, la Conven- tion européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’expression (notamment “la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière”). Or, cette liberté est limitée au paragraphe 2, ainsi libellé :

“L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines forma- lités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.”

-

4.

5.

6.

Dcsmond Fisher, “The Right to Communicate: A philosophical framcwork for the debate” in Evolving Perspectives, p. 96. Dans “Towards a definition of the right to communicate: an expert meeting”, Unesco CC/78/CONF. 630/2, p. 19. II s’agit d’un document de travail élaboré pour la réunion d’experts sur lc droit à la communication tenue à Stockholm en mai 1978. Cf. “The legislature and the Rule of Law”, document de travail établi pour la première commission de la Commission interna- tionalc de juristes, New Delhi, 1959. Cité dans The Rule ofLuw in Free Society, rapport sur le Congrès de New Delhi, Genève, Commission internationale des juristes.

La vraie pierre d’achoppement est la définition de ce que sont notamment l’intérêt général, l’ordre public et la moralité publique. Des restrictions injustes peuvent être imposées à la jouissance des libertés par des Etats qui invoquent l’intérêt général pour justifier la répression et la suppression des droits de l’individu. Cette justification a trouvé un écho dans le rapport du congrès de la Commission internationale des juristes tenu à New Delhi :

“Les libertés de parole, de réunion et d’association ne sont pas absolues. Leurs restrictions sont justifiées par la nécessité de concilier la revendication de l’exer- cice de ces droits faite par différents individus, et le critère par lequel cette conciliation peut être effectuée seleve de la loi, qui doit veiller a ce que la condition et la dignité de l’individu dans leur ensemble soient respectées.“7

Voilà qui introduit une notion importante dans l’examen du droit qu’a une société de limiter ou de restreindre cer- taines libertés telles que la liberté d’expression et la liberté d’opinion. Cela revient à dire que le seul critère acceptable pour cette limitation est la protection d’un droit primaire, qu’il s’agisse du droit à la vie, de la liberté de religion, du droit à l’autodétermination ou, s’il est classé dans cette catégorie, du droit à la communication. En d’autres termes, les prérogatives qui découlent de la liberté d’expression peuvent être limitées, mais le critère de cette limitation est la protection d’autres droits supérieurs ou égaux, y compris, peut-être, la liberté d’expression d’un autre individu. C’est sur cette base que l’on peut juger les actes des gouvernements ou des sociétés qui limitent l’exercice des libertés dans le domaine de la communication.

7. Op. cit., p. 213.

23

8. L’individu et la société

L’un des plus grands obstacles à un accord sur une définition du droit à la communication tient aux diver- gences politiques et idéologiques quant au Siege des droits de l’homme.

Jusqu’à la Révolution française, la tradition européenne, fondée sur la philosophie grecque et la morale chrétienne, voyait dans les droits de l’homme un attribut de l’individu. Ces droits étaient considérés comme inhérents à la personne humaine, et non concédés par 1’Etat. L’Etat avait pour fonction soit de s’abstenir totalement de légiférer dans les domaines où les droits de l’homme entrent en jeul, soit de fournir les mécanismes de régulation par lesquels les droits de l’individu puissent s’exercer et les conflits tenant à la revendication de leur exercice puissent être réglés.

La Révolution française a, bien entendu, proclamé “les droits naturels et imprescriptibles de l’homme”. Mais elle a aussi établi que “le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ; nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.“2 Il était inévitable que l’on en vienne à assimiler l’Etat à la nation et à rejeter l’idée de droits de l’individu par opposition à la société, de droits du citoyen par opposition à YEtat, qui est la base de l’autorité de la loi dans la tradi- tion ancienne.

Aujourd’hui, cette notion de suprématie de 1’Etat a cours dans de nombreux pays : les libertés appartiennent collectivement à la société, et non individuellement aux citoyens. La société, sous la forme de l’Etat, formule le consensus des citoyens, définit l’intérêt général et garantit les libertés.

Les pays socialistes soutiennent que les communications au niveau national relèvent entièrement de la compétence de chaque Etat, alors que les communications internationales doivent être fondées sur les principes du droit international.

Par ailleurs, le point de vue socialiste est que les droits en matière de communication devraient être envisagés dans leur application pratique et non dans l’abstrait. C’est pourquoi les théoriciens socialistes insistent sur la collecti- visation des droits de l’homme et récusent, y voyant une expression du “libéralisme bourgeois”, l’opinion selon laquelle le sujet de ces droits est l’individu.

Dans l’optique opposée, soutenir que les droits de l’homme dérivent de l’individu suppose que l’on reconnaît que ces droits ne peuvent être abrogés ou limités que dans l’intérêt de l’ordre public ou du bien commun, et ce, uniquement lorsque l’on peut prouver que l’exercice d’un droit par un individu entrave l’exercice par d’autres individus du même droit ou d’un autre.

La différence entre ces deux points de vue se reflète dans la législation existante concernant la liberté d’expres-

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sion. Les quelques exemples de législation nationale et internationale qui suivent illustrent le point de vue selon lequel l’individu est le siège du droit.

A son Article 11, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen promulguée en 1789 garantit que “la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.”

Aux termes de 1’Article 19 de la Déclaration univer- selle des droits de l’homme (1948) “tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression”.

A son Article 10, la Convention européenne des droits de l’homme (1950) déclare que “toute personne a droit à la liberté d’expression”.

A l’article 19 (paragraphes 1 et 2) du Pacte interna- tional relatif aux droits civils et politiques (1966) il est dit que, “nul ne peut être inquiété pour ses opinions” et que “toute personne a droit à la liberté d’expression”.

Dans les constitutions de nombreux Etats, les dispositions relatives aux droits de cette nature reflètent la primauté accordée à l’individu.

Ainsi, on relève dans la Constitution autrichienne (Article 13) que “toute personne a le droit, dans les limites de la loi, d’exprimer librement son opinion par oral et par écrit, sous forme imprimée ou par image”’

La Constitution du Danemark (Article 77) stipule que “chacun a le droit de publier ses idées, par voie de la presse, par écrit ou par la parole, sans préjudice toutefois de sa responsabilité devant les tribunaux”.

Dans la Constitution de la République fédérale d’Allemagne (Article 5, paragraphe l), il est dit que “chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par écrit et par l’image, et de s’informer librement aux sources généralement accessibles”.

La Constitution italienne (Article 21) reconnaît “a tous le droit de manifester librement leur pensée par la parole, par les écrits et par tous les autres moyens de diffusion”.

1. Cf. Premier Amendement à la Constitution des Etats-Unis d’Amérique concernant la liberté de religion : “Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice.”

2. Article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du ci- toyen, 1789.

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Tous ces textes juridiques reconnaissent que l’individu est le sujet ou le siège du droit à la communication. L’opi- nion opposée ~ c’est de la société, et non de l’individu, que dérive ce droit - se reflète dans la législation des pays socialistes.

Ainsi, la Constitution de l’URSS garantit aux citoyens a) la liberté de la parole, b) la liberté de la presse, c) la liberté des réunions et des meetings, d) la liberté des cor- tèges et manifestations de rue. - (Chapitre X, Article 125)

Aux citoyens de la République populaire de Chine, la Constitution garantit la liberté de parole, de presse, de réunion, d’association, de cortèges et de manifestations de rue. - (Chapitre III, Article 87)

La Constitution yougoslave garantit la liberté de la presse et des autres moyens d’information, la liberté d’association, la liberté des réunions et autres rassem- blements publics. - (Chapitre III, Article 40)

Il existe entre les deux notions des différences fonda- mentales, peut-être même irréductibles. La première notion, en reconnaissant un droit, limite l’autorité de l’Etat ; la seconde fait de l’Etat le garant et, partant, l’arbitre des libertés. Dans la première le droit réside en l’individu, dans la seconde, il émane de groupes informes tels que “la société”, “toutes les personnes” ou “les citoyens”. L’une reconnaît comme absolus les droits de l’individu, l’autre nuance la garantie des libertés. Ainsi, dans les articles de la Constitution soviétique cités plus haut, la liberté d’expression et la liberté de la presse sont garanties “conformément aux intérêts des travailleurs et afin d’affer- mir le régime socialiste”. Après avoir garanti la liberté dans le domaine de la communication la Constitution yougoslave ajoute que “nul ne peut user de ces libertés et de ces droits pour détruire les bases du système socialiste démocratique institué par la Constitution, mettre en danger la paix, la coopération internationale dans l’égalité en droits et I’indé- pendante du pays”.

Ce conflit entre les deux conceptions ~ l’une faisant de l’Etat la source et le protecteur des libertés fondamentales, l’autre voyant dans les droits de l’individu une limite à l’autorité de l’Etat - découle d’un conflit fondamental concernant la nature de l’homme et de la société. Il est à la base de la lutte idéologique entre l’est et l’ouest.

11 est aussi au coeur du débat actuel sur le droit à la communication. Dans son rapport, le groupe de travail sur le droit à la communication crée par la réunion de l’Institut international de radiotélédiffusion (devenu aujourd’hui l’Institut international de communication) qui s’est tenue a Cologne en 1975, a commis l’erreur de tenter de minimiser des contradictions fondamentales. Notant que le droit à la communication attribué à l’individu est “parfois opposé” au droit attribué à la collectivité, il déclare :

“Il n’y a pas nécessairement conflit important entre les deux notions, sauf que dans les pays où ils sont considérés comme dérivant de la collectivité ces droits sont exercés par l’intermédiaire des gouvernements, qui en sont le dépositaire. Dans cette optique, le droit des individus à la communication ne peut s’exercer que dans la mesure où il n’entre pas en conflit avec l’ordre social et politique établi.“3

On ne résout pas les problèmes en faisant semblant de croire qu’ils n’existent pas. Malgré l’optimisme du groupe de travail de Cologne, il y a bel et bien un conflit

important entre les deux points de vue sur la source du droit à la communication. On s’accorde généralement à penser que l’individu et la collectivité ont l’un et l’autre un droit à la communication. Mais les opinions divergent sur le point de savoir si ces droits sont du même ordre. Le droit de l’individu existe-t-il uniquement du fait que l’individu fait partie d’une société dans laquelle réside le droit fondamental? Ou la société a-t-elle un droit à la communication qui découle, et par conséquent, est tribu- taire du droit de l’individu à la communication ?

Le premier point de vue a été clairement exprimé en ces termes par M. Wolfgang Kleinwachter, de l’Institut des études internationales de l’Université Karl-Marx de Leipzig :

“La communication entre les personnes physiques et morales, c’est-à-dire individus, organisations, institutions de communication de masse ou groupes au sein d’une société donnée, reléve de la compétence de l’Etat... En ce qui concerne le droit à la communication, seul l’Etat peut garantir ce droit tant aux individus qu’aux insti- tutions et aux groupes au séin d’une société donnée.“4

Beltran et Fax de Cardona partagent pour l’essentiel, ce point de vue. Pour eux, la liberté de communication de l’individu est limitée par les droits collectifs du milieu social :

“Ainsi, de façon générale, mais surtout en cas d’incom- patibilité ou de conflit, les droits de la société (soit dans son ensemble, soit définie par ses groupements majoritaires) en matière de communication devraient prévaloir sur ceux de l’individu.“5

D’Arcy affirme qu”‘il y a certainement pour les sociétés comme pour l’homme, un droit spécifique à communi- quer.“6 Toutefois, il ne laisse pas entendre que l’un ait la préséance sur l’autre, les deux droits étant considérés comme des forces égales engagés dans une tension créatrice.

“Nous trouvons ainsi deux forces à l’œuvre : celle d’une part qui, pour son existence même, pousse l’indvidu à affirmer son droit à la communication, formant ainsi, par la communication établie avec ses semblables, une société, celle d’autre part qui pousse la société ainsi formée à élaborer, pour son fonctionnement et son expression même, des modes de communication chaque fois plus élaborés conduisant à des structures sociales de plus en plus évoluées. De la tension qui s’exerce entre le besoin de l’individu de communiquer et le besoin de la société d’établir ses propres circuits de communication et d’expression, de la tension entre les deux droits à commu- niquer, celui de l’individu et celui de la société, naissent les droits, devoirs et libertés successifs”7, écrit-il.

3.

4.

5.

6.

7.

Institut international de radiotélédiffusion, Rapport du Congrès annuel, 1975, p.22. Wolfgang Kleinwachter, “Inter& and international aspects of the right to communicate”, document présenté à la réunion d’experts sur le droit à la communication qui s’est tenue à Stockholm, 8-12 mai 1978, sous les auspices de PUnesco, p. 2. Luis Ram~iro~ËI~ran~. et Elisabeth Fax de Cardona, “Com- munication rights: a Latin American Perspective” in Evolving Perspectives, p. 149. Jean d’Arcy, “Le droit de l’homme à communiquer”, Commis- sion internationale d’étude des problèmes de la communi- cation, document no 36, p. 2. Ibid.

25

Dans son rapport final, la Commission MacBride n’établit pas de distinction entre le droit de l’individu et celui de la société. Elle se borne à déclarer :

“Nos conclusions sont fondées sur la ferme conviction que la communication est aussi bien un droit fondamen- tal de l’individu qu‘un droit collectif qui doit être garanti à toutes les communautés et à toutes les nations.“8

Pour sa part, Fisher soutient avec force que le droit de l’individu est fondamental et que les droits de la société en découlent. Il s’en tient à l’opinion selon laquelle :

“le droit à la communication est essentiel à l’individu pour le développement de son potentiel humain et doit donc être considéré comme un droit de l’homme appar- tenant à la même catégorie que le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à la religion etc. Le détenteur de ce droit doit donc être l’individu.“9

Et il poursuit :

“Une grave confusion résulte des tentatives pour faire accepter l’idée que le même droit - ou un droit ayant le même degré d’importance humaine fondamentale - doit appartenir à une collectivité, une nation ou une région. Ces groupes peuvent avoir, ils ont en fait, un droit à la communication. Mais ce droit n’est pas le même - du moins n’est pas du même degré - que celui dont jouit l’individu.“lu

26

Ces considérations l’amènent à appuyer l’idée d“‘une hiérarchie de droits, de libertés, de responsabilités et de prérogatives.”

“A la base de cette hiérarchie serait le droit de l’individu à la communication et qui se traduirait par un ensemble de libertés, de prérogatives et d’obligations dévolues à l’individu et à la société de différentes façons pour que le droit puisse être librement exercé et élargi”11 , ajoute-t-il.

On peut prédire sans grand risque de se tromper que si l’on ne trouve pas un moyen quelconque pour concilier ces points de vue opposés, le débat sur le droit à la communica- tion s’enlisera. Dans le chapitre suivant, quelques domaines possibles de compromis seront examinés. S’ils offrent la moindre perspective d’un rapprochement des vues de l’est et de l’ouest en la matière, ils devraient être bien explorés.

8. 9.

10. 11.

Op. cit., p. 316. Desmond Fisher, “Le droit de l’homme à communiquer. 1 - Le concept. 2 - Vers une définition”, document no 37. Commis- sion internationale d’étude des problèmes de la communica- tion, Unesco, p. 15.

Ibid. Desmond Fisher, “The Right to Communicate: A philosophical framework for the debate”, in Evolving Perspectives, pp. 99 et 100.

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9. L’individu dans la société

A la controverse au sujet du siege du droit à la communi- cation on ne devrait pas attribuer un intérêt purement philosophique. Que l’on considère ce droit comme émanant de l’individu ou de la société, ou des deux à la fois, la déci- sion aurait des répercussions importantes sur l’interprétation des législations nationales et des traités internationaux dans l’hypothèse où ce droit finirait par y être incorporé.

Cependant, dans la pratique, il est impossible d’envisager l’individu détaché de la société dans laquelle il vit. L’indi- vidu ne fonctionne que dans une société ; la société n’existe pas sans les individus qui la composent. Comme l’écrit Ruth Benedict :

“La société au sens plénier du terme... n’est en aucun cas une entité distincte des individus qui la composent. Aucun individu ne peut atteindre même le seuil de ses virtualités sans une culture à laquelle il participe. De même, aucune civilisation ne renferme le moindre élément qui ne soit en dernière analyse la contribution d’un individu.”

Aussi, dans sa mise en pratique, le droit à la communi- cation ne concerne-t-il pas seulement l’individu et la société mais l’individu dans la société. On fera un grand pas en avant si l’on introduit dans le débat sur le droit à la com- munication cette notion, car elle permettra de rapprocher les points de vue. Ruth Benedict ajoute :

“C’est principalement parce qu’on admet depuis toujours qu’il existe un conflit entre la société et l’individu que Timportance particulière accordée au comportement culturel est si souvent interprétée comme un refus de reconnaître l’autonomie de l’individu... Ce n’est pas en mettant l’accent sur les antagonismes mais plutôt sur l’intéraction féconde entre l’individu et la société que l’on élucidera le problème de l’individu.”

Il s’agit de trouver un juste milieu entre, d’une part, ceux qui soutiennent, comme B.F. Skinner, que “si l’on tient à considérer les droits de l’individu comme bien suprême alors, toute la structure de la société s’effondre” et, d’autre part, ceux qui souscrivent à la profession de foi sui- vante de Julian Huxley :

“Je suis convaincu que c’est l’Etat qui existe pour l’épanouissement de I%ndividu et non l’individu pour le développement de I’Etat.”

Comment promouvoir, protéger et développer le bien de l’individu en même temps que celui de la société selon les circonstances et les exigences du moment? Certaines sociétés, à certaines époques, mettent l’accent sur l’indi- vidualisme ; d’autres, en d’autres temps, insistent sur les besoins de la collectivité. L’histoire des pays qui ont récem- ment accédé à l’indépendance montre que, dans les premiers

temps de la liberté, l’accent est mis sur les besoins collectifs de la société ; à mesure qu’une société se développe, elle peut se permettre d’accorder une plus grande liberté à l’individu. Comme l’a dit le grand juriste américain Abe Fortas :

“L’homme et son histoire, c’est d’abord l’acceptation et I?mposition de contraintes nécessaires à la vie commu- nautaire ; c’est ensuite l’émancipation de l’individu a l’intérieur de ce système de contraintes nécessaires.”

Edmund Burke, fils de l’Irlande qui s’est illustré dans la politique britannique l’a encore mieux dit :

“Pour posséder la liberté, iI faut la limiter. Dans quelle me- sure ? En tout état de cause, ilest impossible de le préciser. Cependant, tout corps responsable devrait s’attacher en permanence à déterminer le minimum - et non le maximum - de contraintes avec lesquelles la com- munauté peut vivre. La liberté est en effet un bien à améliorer - et non pas un mal à amoindrir. Ce n’est pas seulement un bien privé insigne dont on est comblé ; c’est une source de vie et d’énergie pour l’Etat lui-même, dont la vitalité et la vigueur sont à la mesure de la liberté qui se trouve dans cet Etat.“1

Comme on l’a souligné dans le dernier chapitre, il convient d’explorer toute approche qui offre l’espoir de sortir de l’impasse en déterminant la source primaire du droit à la communication.

La première de ces possibilités réside dans la distinction établie précédemment entre un “droit” associé à la notion de loi et un “droit” associé à la notion de justice. La justice qui découle des droits fondamentaux de l’homme serait considérée comme immuable et ne pouvant faire l’objet d’aucune réserve, alors qu’une loi apparaîtrait plutôt comme une disposition juridique pouvant faire l’objet de réserves.

La deuxième possibilité est d’établir une distinction entre “droits” et “libertés”. Si l’on admet que les droits sont inhérents à l’individu alors que la liberté d’exercer ces droits est déterminée par la société, de différentes manières, selon le moment et les circonstances, il y aura peut-être une marge d’accord ou de compromis.

Ce raisonnement rejoint l’observation de Ploman selon laquelle la notion de droits de l’homme telle qu’elle est codifiée dans le droit national et international a progres- sivement évolué. Examinant certains aspects de la législation Internationale relative aux communications, il constate que,

1. Edmund Burke in “Letter to the Sheriffs of Bristol”.

27

si l’on se place d’un point de vue chronologique, on voit se De la même maniére, on peut soutenir que le droit à la dessiner “quelques tendances intéressantes” : communication est absolu mais que la liberté d’exercer ce

droit ne l’est pas. le nrinciue sur leauel renose la Convention internationale des télécommuni’cations (initialement, en 1865, Conven- tion internationale des télégraphes) est que des Etats entièrement indépendants conviennent de coopérer dans certains domaines bien définis ;

- après la seconde guerre mondiale, une place est accordée à l’individu dans le droit international public (Charte des Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme, etc.) ;

- le Traité de 1967 sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique inspire des instruments ultérieurs dans lesquels se traduisent des notions mo- dernes de droit international : l’interdépendance des Etats est à nouveau reconnue et une nouvelle notion apparaît, celle d’humanité, qui va au-delà des concepts traditionnels du droit international tels que celui de nation-Etat ;

- la ratification par de nombreux pays d’instruments comme la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) semble indiquer que les Etats acceptent des.obligations nouvelles et positives au nom de principes moraux communs.2

Toutefois, les problèmes que pose la question des droits de l’homme n’ont pas que des causes idéologiques. Ploman a souligné à juste titre qu’il arrive souvent que les différences passent pour avoir un caractère politique, alors qu’elles tiennent en fait à la diversité des comportements juridiques. Il affirme que j même dans la tradition juridique occidentale, il existe des différences manifestes entre les systèmes fondés sur le droit romain et ceux fondés sur le droit coutumier, eux-mêmes étant différents du système fondé sur le droit nordique. Il se pourrait que des différences plus marquées encore existent entre ces systèmes et d’autres systèmes fondés sur le droit islamique, hindou ou chinois.3

A cet égard, on peut établir un parallèle avec un arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis aux termes duquel la liberté de religion revêt deux aspects : la liberté de croire et la liberté d’agir. Dans cet arrêt la Cour déclare que “la première est une liberté absolue, ce qui, par la nature des choses, ne saurait être le cas de la seconde.“4

La troisième possibilité de parvenir à une vue commune est suggérée par Cocca. Pour lui, le droit à la communication “correspond à l’homme ; c’est un droit de la personne. Partant de l’homme, il s’étend aux collectivités mais non pas aux institutions. L’homme est toujours le sujet du droit par excellence. De l’homme, le droit s’étend à la collectivité, puis, de là, à l’humanité, son ultime sujet.“5

Cocca fait remarquer que la notion d’humanité est une notion juridique reconnue comme telle par les Etats depuis une quinzaine d’années. L“‘humanité est au-dessus de tout”, écrit-il ; “elle a atteint le niveau juridique le plus élevé . . . c’est la personne qu’on trouve en demiere analyse.” Il évoque “un cercle ainsi formé : homme-société-commu- nauté internationale-humanité”, les droits de l’humanité se traduisant par la notion de jus humanitatis.

Peut-être l’idée de l’humanité étant le siège ultime du droit à la communication apportera-t-elle une réponse au dilemme. Elie va dans le sens de ceux qui désirent situer ce droit dans l’individu et non dans la société. En même temps, elle ne limite pas ce droit à l’individu, ce que ne pourraient accepter ceux qui estiment que la société, telle qu’elle est représentée par l’Etat, est le sujet de tous les droits et que l’individu n’a que les droits que l’Etat lui accorde.

Il ne fait pas de doute que toute la controverse au sujet du siège du droit à la communication est l’un des points les plus épineux du débat. Si l’on arrive à le régler, la principale pierre d’achoppement aura disparu et la tâche qui consiste à parvenir à une définition du droit et d’obtenir qu’elle soit sanctionnée par la législation nationale et inter- nationale s’en trouvera facilitée de beaucoup.

2. Edward Ploman, “Present international framework of the Right to Communicate” in Collected Papers, p. 80.

3. Op. cit., p.79.

4. Cantwell v. Connecticut, 1940. Voir texte de l’arrêt dans McGrath, Church and State in American Law, Milwaukee, 1962, pp. 219 à 281.

5. Op. cit., p. 28.

28

10. Du concept à l’action

Le rapport de la réunion d’experts organisée en 1972 par I’Unesco sur les politiques et la planification de la communication contient une définition du courant de l’information. Elle est très importante du point de vue du droit à la communication.

“Pour comprendre la communication moderne, il faut dépasser le modèle vertical périmé, celui du courant à sens unique d’information. 11 importe tout autant de savoir quel usage le public veut faire des moyens de communication de masse que de demander ce que ces moyens peuvent faire au public. La communication doit être considérée comme un processus multilatéral où la communication est possible non seulement d’un individu à plusieurs individus, mais aussi d’un individu à un autre, de plusieurs individus à un seul individu ou de plusieurs à plusieurs.“1

Adopter ce raisonnement équivaut à mettre l’accent sur les moyens d’encourager et favoriser ces échanges horizon- taux, le mécanisme de la communication cessant d’être considéré uniquement en termes de flux vertical à sens unique, depuis l’élite vers les masses, du centre vers la périphérie, des riches en matière de communication vers les pauvres. Dès lors, le droit à la communication doit être envisagé comme le droit de l’individu à communiquer avec un aussi grand nombre de ses semblables que le lui permettent ses propres capacités et les ressources dispo- nibles. De ce droit de l’individu découle le droit des com- munautés, des sociétés et des nations à communiquer entre elles.

Deuxième constatation qui découle de la déclaration de 1’Unesco ce n’est pas seulement le contenu de la commu- nication, mais son mécanisme même et l’usage qu’en font les communicateurs qui sont importants. Cet aspect de la communication, sur lequel on s’est très .peu penché jusqu’à présent, constitue pourtant une donnée essentielle du point de vue de tous les êtres humains pour qui la communication est un besoin fondamental.

Il ne suffit donc pas de reconnaître l’existence d’un droit universel à la communication. Si la nécessité de com- muniquer est un élément fondamental de l’existence humaine, c’est-à-dire de l’existence en tant qu’être humain capable de réaliser pleinement ses possibilités, le droit à la communication doit pouvoir être exercé dans la pleine mesure du possible compte tenu des limites et des restric- tions inhérentes à toute situation concrète. Cela impose par conséquent à toute personne, collectivité, nation ou instance internationale reconnaissant l’existence de ce droit l’obli- gation de garantir les conditions de son exercice. Comme l’affirme De Sola Pool :

“Un droit est une traite tirée sur autrui, qui lui impose l’obligation de faire ou de fournir quelque chose.“2

Au niveau national, la reconnaissance d’un quelconque droit à la communication impose ipso facto à 1’Etat I’obIi- gation de créer les conditions dans lesquelles les libertés et les prérogatives qui découlent du droit lui-même peuvent, dans la pratique, être exercées. C’est l’argument avance par Rao et Kwan Siu qui demandent que l’on détermine les droits en matière de communication à l’aide de paramètres moins restrictifs admettant que les notions de liberté de parole et de liberté de la presse sont désormais dépassées. Ils ajoutent :

“Aujourd’hui, les moyens d’acquérir ces libertés sont tout aussi importants. Auparavant, la règle implicite voulait que I’Etat reconnaisse ces libertés en n’adoptant aucune loi qui en entraverait l’exercice. Mais cela a cessé d’être considéré comme suffisant : désormais, on de- mande à 1’Etat non seulement de défendre ces libertés mais aussi de définir les moyens pour qu’elles s’exercent d’une manière plus équitable.“3

Dès lors, on peut se demander ce que doit faire l’Etat. La réponse est double. Dans une première étape, il faut que chaque Etat reconnaisse l’existence et la validité du concept du droit à la communication.

On entend par là que l’Etat doit reconnaître que la com- munication est un besoin humain fondamental, nécessaire au développement de toutes les possibilités de l’individu en tant qu’être humain, et qu’elle constitue par conséquent un droit fondamental de l’homme.

Dans une seconde étape, l’Etat doit traduire dans les lois les libertés qui constitutent le droit à la communica- tion - libertés d’opinion, d’expression et d’information - et reconnaître dans la pratique les prérogatives qui découlent de ces libertés - liberté de parole, liberté de la presse, indépendance de la radiodiffusion, “gouvernement ouvert”, etc.

Cette conception présente des avantages et des inconvé- nients. Elle revient à faire du droit à la communication dans sa simplicité première un droit fondamental de l’homme, inviolable en toutes circonstances, sans alourdir le concept de tout un assortiment de libertés et de prérogatives relatives qui, dans la pratique, pourraient, selon les circonstances ou le lieu faire légitimement l’objet de restrictions ou de limitations. Le droit à la communication serait donc

1. “Rapport de la réunion d’experts sur les politiques et la plani- fication en matière de communication”, COM/MD/24 (Unesco, 1972).

2. Ithiel de Sola Pool, “Scarcity, Abundance and the Right to Communicate” in Evolving Perspectives, p. 175.

3. Y.V. Lakshmana Rao et Lu-Tan Kwan Siu, “1s Asia alone in its ambivalence?” in Evohing Perspectives, p. 66.

29

considéré de la même manière que le droit à la vie, qui constitue le premier des droits de l’homme. Il serait sim- plement énonce sans être assorti de la proclamation des libertés et prérogatives qui en découlent, ni des restrictions et limitations légitimes de ces libertés et prérogatives.

En abordant le probième sous cet angle on évite les dif- ficultés mentionnées au chapitre 7, où l’on a fait valoir que ce serait aller à l’encontre du but recherché que de s’efforcer de faire entrer dans la définition du droit à la communication tout ce que certains des partisans de ce droit se soucient d’y mettre.

D’un autre côté, cette approche présente un grave inconvénient : en effet, une définition limitée au simple énoncé du droit à la communication serait trop vague et trop générale pour avoir une quelconque portée pratique. Même si elle était acceptée et adoptée par tous les Etats,

et ne pourrait s’agir que d’une déclaration très générale n’ayant aucune valeur contraignante.

Cette critique est fondée. Le seul moyen d’éviter à la fois les généralisations bien pensantes et une définition tellement saturée de considérations et de restrictions qu’elle devien- drait tout aussi inopérante serait d’adopter une définition en deux parties. La première obligerait les Etats à recon- naître le droit global à la communication ; la seconde les obligerait à garantir l’exercice effectif de ce droit au moyen des libertés et prérogatives déjà mentionnées, étant bien entendu que celles-ci pourraient être limitées ou suspendues le cas échéant pour des raisons valables.

Ainsi ferait-on la distinction nécessaire entre les aspects primaire et secondaire du droit à la communication, garan- tissant le droit fondamental tout en autorisant des limita- tions justifiées des libertés et prérogatives qui en découlent.

30

11. Les instances internationales

Une fois la notion de droit à la communication en tant que droit fondamental de l’homme reconnue en droit interne, il serait plus facile d’envisager de l’intégrer au droit interna- tional. L’approche de Le Duc est intéressante à cet égard. Il constate en effet que le droit à la communication n’est mentionné dans aucun des grands recueils de principes légaux universellement reconnus. Chaque nation a résolu les problèmes specifiques que lui a poses au cours de son histoire la liberté de parole sans se préoccuper de consensus philosophique ou d’universalité. Il n’existe en conséquence aucun ensemble cohérent de concepts juridiques nationaux dont on pourrait s’inspirer pour dire le droit international en matikre de communication. Il en conclut que :

“Si l’on veut qu’un corps de doctrine juridique à portée universelle se constitue dans le domaine de la com- munication en droit international, les chercheurs doivent commencer par dégager les structures qui permettront de transformer chacune des valeurs nationales implicites en matière de communication en une série de principes explicites de jurisprudence. Etant donné que la plupart des litiges de droit international semblent porter davantage sur les droits liés aux moyens de grande communication que sur le droit à la communication de l’individu, on pourrait dans un premier temps s’orienter exclusivement vers les moyens de communication qui véhiculent des messages à caractère public plutôt que privé.“1

Malheureusement trois obstacles majeurs au moins s’opposent à l’introduction du concept du droit à la com- munication dans le droit international. Le premier tient à la division du monde en camps opposés. Comme l’écrit Blumenwitz :

“Compte tenu des divisions de la communauté interna- tionale - entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud - le droit international ne peut plus guère énoncer de vérités cohérentes, bien établies, et en quelque sorte incontestées dès qu’on aborde la sphère de la haute politique. Or, dans la mesure où elle ressortit à la politique des moyens de grande communication, la liberté d’information représente l’un des aspects les plus politisés des rela- tions internationales. A une époque où le recours à la force dans les relations entre Etats est presque univer- sellement dénonce, les moyens de communication de masse sont devenus les instruments de l’affrontement idéologique, seul moyen légitime pour essayer de modi- fier le statu quo.“2

En second lieu, il n’existe à présent aucune tribune internationale permettant à un individu de contester la législation nationale. La Cour internationale de justice de La Haye arbitre entre les Etats; et si la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg peut

être saisie des plaintes des individus contre les Etats, c’est que les pays membres de la CEE ont ratifié des lois natio- nales autorisant cette procédure.

Le Duc a mis en évidence les limitations du droit inter- national en ce qui concerne l’individu :

“Depuis l’ouvrage de Hugo Grotius, De jure Belli ac Pacis (1625), est généralement admis par les experts juridiques internationaux que ce sont les nations et non pas les individus qui sont les vrais sujets du droit international. C’est pourquoi la proclamation de certains droits inhérents aux individus considérés en tant que citoyens de leur propre nation était une idée révolution- naire du point de vue du droit international ; car comme le souligne William W. Bishop Jr., dans International Law (New York: Prentice-Hall, 1953) p. 209, ‘A l’heure actuelle, la manière dont un Etat traite ses propres ressortissants ne doit normalement poser aucun problème de droit international et ce traitement ne saurait donner à l’individu l’occasion de faire valoir des droits en vertu du droit international’. Les Nations Unies ont cherché à contourner cet obstacle en faisant de leurs ‘déclarations relatives aux droits de l’homme’ des traités, qui sont donc applicables en droit international par toutes les nations qui les ont ratifiés. Cela se défend sans doute en théorie, mais les nations se sont toujours montrées extrêmement réticentes à ratifier des traités qui leur dictaient leur conduite sur un point quelconque de politique intérieure.“3

Troisièmement, il n’est pas possible, en l’état actuel des choses, de considérer le droit à la communication comme un principe universellement admis. La liste des instruments et accords internationaux en matière de com- munication au sein des sociétés est impressionnante, comme on le verra plus loin, mais il ne s’ensuit pas que le droit à la communication soit suffisamment reconnu pour prétendre l’ériger en principe de droit international.

La liste des accords internationaux en matière de com- munications qu’on va lire a été établie par les délégations de l’Argentine, de l’Autriche, de la Belgique, de la Répu- blique fédérale d’AIlemagne, de l’Indonésie et de l’Italie, pour la cinquième session du Groupe de travail des satellites

1. Op. cit., p.160.

2. Dieter Blumenwitz, “La liberté d’information en droit intema- tional public”, dans Liberté de l’information - un droit de l’homme. Hanns-Seidel-Stiftung, Munich 1978, p. 14.

3. Op. cit., note 2, p. 167.

31

de radiodiffusion directe des Nations Unies, Genève, (1974). EIle est divisée en quatre parties4 :

1. Nations Unies

2.

3.

4.

et

Charte des Nations Unies (1945) Traité sur les principes régissant les activités des Etats

en matière d’exportation et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique (1967)

Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats (1970)

Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) Pacte international relatif aux droits civils et politiques

(1966) Déclaration sur le renforcement de la sécurité internatio-

nale (1970) Convention relative au droit international de rectification

(1952) Résolutions 110 (II), 381 (V), 424 (V), 841 (IX),

1236 (XII), 1301 (XIII), 1721 D (XVI), 1815 (XVII), 1962 (XVIII), 2222 (XXII) et 3182 (XXVIII) de l’Assemblée générale, et résolution 756 (XXIX) du Conseil économique et social.

Union internationale des télécommunications Conventions internationales en matière de télécommu-

nications (Montreux, 1965, et Malaga-Torremolinos, 1973)

Règlement des radiocommunications Document fmal de la Conférence administrative mondiale

des télécommunications spatiales (1971) Recommandation sur la libre transmission des informa-

tions (Montreux, 1965)

Unesco Résolution 7.22 sur l’élimination des obstacles à la libre

circulation des informations (III, Beyrouth, 1948) Déclaration des principes directeurs de l’utilisation de

la radiodiffusion par satellites pour la libre circulation de l’information, l’extension de l’éducation et le développement des échanges culturels (1972)

Autres documents (de portée régionale) Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme

(Bogota, 1948) qui a précédé de quelques mois, à l’échelle du continent américain, la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Convention européenne des droits de l’homme (1950) Arrangement européen pour la protection des émissions

de télévision (Strasbourg 1960, amendée en 1965) Pour completer cette liste, on citera certains instruments textes internationaux pertinents recenses par Edward

W. Ploman à l’intention de la réunion de l’Institut interna- tional de radiodiffusion à Cologne (1975) :

Acte constitutif de l’unesco (1945) Résolution 59 (1) de l’Assemblée générale (1946) Convention internationale sur l’élimination de toutes

les formes de discrimination raciale (1965) Pacte international relatif aux droits économiques,

sociaux et culturels (19 66) Proclamation de Téhéran (1968)

Selon Cocca,

“tous ces instruments et documents tendent à favoriser la prise de conscience universelle nécessaire pour trans- former la liberté de l’information et la libre circulation

de la communication au sein des sociétés en principe de droit international.“~ D’autres ne partagent pas cette façon de voir. Ils pré-

féreraient que le droit à la communication fasse l’objet, au même titre que d’autres droits de l’homme, d’accords internationaux car ces droits ne seraient plus alors du domaine réservé des Etats, ce qui veut dire que toute violation exposerait ceux-ci à des critiques et à des pres- sions internationales dont l’efficacité est atténuée, font-ils observer, par les réactions internationales d’hostilité à l’apartheid et la condamnation universelle de la politique d’apartheid par l’opinion internationale en Afrique du Sud, par exemple. Deux autres raisons d’ordre pratique sont fréquemment avancées pour ne pas proclamer ce droit. La première, c’est que le déséquilibre mondial en matière de technologie de la communication ne permet pas de garantir l’universalité du droit à la communication. Pour ceux qui défendent ce point de vue, la proclamation du droit à la communication risquerait d’élargir l’écart techno- logique entre les nations. La deuxième objection d’ordre pratique est que des centaines de millions de personnes dans le monde entier ont un niveau d’éducation trop bas pour leur permettre de retirer un avantage quelconque de cette proclamation.

Ceux qui pensent que le droit à la communication devrait être défini et promulgué réfutent ces arguments, estimant que les écarts entre nations en matière de techno- logie et d’éducation finiront par se combler avec le temps et que la reconnaissance internationale du droit à la com- munication ne peut qu’accélérer ce processus dans la mesure où elle met l’accent sur la nécessité de partager les ressources internationales en matière de communication pour faire face aux besoins nationaux.

La disproportion des ressources pédagogiques et techno- logiques des différents pays n’en met pas moins en évidence le problème de ce qu’on appelle “l’impérialisme culturel”. Il est tentant pour certains pays et organisations de chercher à utiliser les techniques, les circuits et les libertés en matière de communication pour s’assurer un avantage politique ou commercial ou les deux à la fois. On risque donc de voir les nations riches du point de vue de la communication imposer leurs valeurs idéologiques et culturelles aux pays moins bien pourvus.

Il faut distinguer, ce qui n’est pas toujours facile, entre les réflexes légitimes de défense des intérêts nationaux face à la pénétration d’informations et de valeurs culturelles étrangères et la censure pure et simple au service d’une politique ou d’une idéologie.

De ce point de vue, le concept de droit à la commu- nication est très ambigu. En effet, on peut l’invoquer pour justifier la suppression de tout obstacle à la péné- tration des informations en provenance de l’extérieur. Mais on peut aussi se prévaloir de la liberté de choisir l’information que l’on souhaite recevoir et qui est inhérente au droit à la communication, pour refuser certaines formes de communication.

Devant l’explosion de la communication - alors que l’information circule désormais sans frontières et que l’apparition des satellites de radiodiffusion directe est

4. Ibid. pp. 25-6. 5. Ibid. p. 26.

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imminente, certaines nations pourront être tentées pour des raisons idéologiques de contrôler les flux d’information, de prendre des mesures pour parer au risque de saturation, de mettre en place de nouveaux systèmes de brouillage, en bref, d’enrayer le progrès technique, à l’image du roi saxon Canute, qui prétendait faire reculer la mer. Tous les précédents historiques tendent à prouver qu’une telle action n’aurait qu’une portée limitée, le temps que de nouvelles techniques soient mises au point pour tourner ou déjouer les interdictions. Il existe un autre risque plus grave : c’est que dans leur refus légitime du déferlement d’informations jugées douteuses et indésirables, ces nations fmissent par rejeter l’idée même de droit à la communication, parce qu’elles y verront une remise en cause, non seulement de leur autorité vis-à-vis de leurs propres ressortissants,

mais aussi du droit de légitime défense de leur société contre les risques d’invasion culturelle et politique.

Il n’y a pas grand chose à faire pour éviter qu’on ne rejette le concept du droit à la communication en s’ap- puyant sur de tels arguments, et rien ne garantit non plus que ceux qui admettent théoriquement le droit soient disposés à l’accorder en pratique.

Tout ce qu’on peut espérer c’est que le droit à la com- munication sera sanctionné par les législations nationales et reconnu en pratique par un nombre suffisamment important d’Etats pour lui donner le même poids moral qu’un accord international, si bien que l’opinion publique mondiale forcera progressivement à s’aligner sur eIle les nations qui refusent d’en adopter le principe ou ne l’appliquent pas de façon satisfaisante.

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12. Droits et ressources

Certains participants aux débats sur le droit à la com- munication, tout en approuvant le concept philosophique, se demandent à quoi sert de proclamer un droit universel si une bonne partie, pour ne pas dire la majorité des quatre millions d’habitants de notre planète, n’ont ni les ressources, ni la liberté, ni les capacités nécessaires pour l’exercer.

Pomorski est l’un de ceux qui reconnaissent que tout individu a droit à la communication, mais qui soulignent qu’à l’heure actuelle ce droit ne peut être exerce que par ceux qui détiennent le pouvoir économique.1

D’autres, comme Le Duc, estiment que le droit à la communication restera toujours une expression abstraite du droit naturel ou qu’il constitue en soi quelque chose de trop général pour se prêter à l’analyse.2

En revanche, certains auteurs estiment que si l’exercice ou le respect de ce droit ne peuvent être garantis, il est inutile de continuer à en distiller le contenu philosophique. Ils préfèrent mettre l’accent sur la modification des struc- tures de la société, de façon à permettre l’application pra- tique du droit à la communication. Telle est par exemple l’opinion de Beltran et Fox de Cardona :

“... Il serait vain d’élaborer et d’affiner les définitions des libertés et droits relatifs à la communication si les struo tures sociales ne permettent pas que les libertés et droits soient généralement respectés dans la pratique.“3

Certains auraient tendance à voir là une sorte de démis- sion, liée à l’idée de déterminisme social exprimée par Campeanu dans sa conclusion :

“Ce n’est pas la manière dont les gens communiquent qui détermine les structures sociales ; ce sont les struc- tures sociales qui déterminent la manière dont les gens communiquent .“4

Ceux qui refusent ce déterminisme reconnaissent qu’il y aura toujours des obstacles - juridiques, économiques, politiques et idéologiques - au plein exercice du droit à la. communication, qu’on choisisse de le situer dans l’individu, la société ou les deux à la fois. Mais ils pensent que le fait de se mettre d’accord sur une définition ne peut que favoriser l’évolution progressive des sociétés nationales de la collectivité internationale dans le sens souhaité. Quant à décider si c’est la société qui doit changer d’abord ou si le fait de définir le droit à la communication contribuera à la modifier, voilà une question qui évoque le débat sur le point de savoir si c’est l’œuf qui a précédé la poule ou le contraire. Comme l’écrit Ithiel de Sola Pool :

“Il n’y a pas moyen de satisfaire toutes les demandes d’accès aux principaux médias. La somme des aspirations individuelles à communiquer avec autrui est sans com- mune mesure avec les ressources disponibles en matière

de communication. Il est inévitable que les gens se sentent frustrés en constatant que leur liberté de com- muniquer ne peut se traduire par un droit d’accès à la tribune de leur choix. Il n’empêche qu’une politique sociale appropriée peut améliorer et élargir considéra- blement les possibilités de communication entre les gens. Tel est l’objectif légitime de ceux qui s’interrogent sur le droit à la communication.“5 D’autre part, la rareté ou la répartition inégale des

ressources en matière de communication ne constitue pas forcément un obstacle insurmontable à la poursuite de cet objectif. En premier lieu, les ressources ne sont plus aussi limitées qu’elles l’étaient. Le progrès technique est en train de développer les possibilités en matière de commu- nication à un rythme stupéfiant, et même s’il est vrai que l’on constate encore un déséquilibre très marqué et de moins en moins acceptable dans la répartition de ces ressources, rien n’empêche d’envisager, comme le fait de Sola Pool, l’opposition d’une société dans laquelle l’ensemble de la population, et non plus les deux ou trois pour cent actuellement privilégiés, aura davantage accès aux moyens de communication.6 Deuxièmement, s’il faut attendre pour définir le droit à la communication que les ressources dans ce domaine soient équitablement réparties sur l’ensemble du globe, on risque d’attendre longtemps. Comme dit le proverbe, le mieux est l’ennemi du bien. On aurait tort de rejeter une bonne solution parce qu’elle ne fournit pas une réponse parfaite au problème. La per- fection n’est pas de ce monde.

Ali Shummo, qui représente les pays les moins favorisés du point de vue de la communication, adopte un point de vue plus nuance tout en affirmant que le droit à la com- munication ne devrait pas être limité mais total, chacun ayant la même possibilité de l’exercer, il ajoute :

“Nous ne pouvons, et ne devrions pas nous servir de ce prétexte pour exiger que les autres cessent de progresser tant que nous ne disposerons pas des mêmes moyens technologiques qu’eux. Mais nous attendons des cher- cheurs des pays développés qu’ils se penchent sur ce problème et qu’ils s’efforcent d’amener leurs sociétés à reconnaître que l’amélioration des systèmes de commu- nication des pays en développement est une nécessite . . .

1. Op. cit., p. 46.

2. Op. cit., p. 160. 3. Op. cit., p. 131.

4. Pave1 Campeanu, “A sociologist’s view of the Right to Com- municate” in Evolving Perspectives, p. 237.

5. +ocit. ,e.pylJ6. 6. Lot. cit., p. 117.

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Le droit sacré à la communication cesserait dès lors d’être entaché d’injustice et de préjugés ; cela rassurerait ceux qu’inquiète la disproportion entre leur droit à la com- munication et celui des habitants des pays développés.“7

Tout au long de leur réflexion sur ce sujet, Harms et Richstad ont souligné la relation étroite qui existe entre les droits, les ressources, la politique et la planification en matière de communication.

“Nous nous rendons compte maintenant que les droits en matière de communication sont des droits ‘stériles’ sans un développement et une répartition adéquats et équitables des ressources dans ce domaine.“8

C’est là une remarque qu’il importe de prendre en considération dans l’élaboration d’une définition ELU droit a la communication. Elle permet peut-être de convaincre les pays qui voient dans cette démarche une menace pour leur souveraineté culturelle et politique, qu’elle peut également relancer les efforts en vue d’organiser plus équitablement les ressources mondiales en matière de communication et de canaliser ces ressources là où elles sont le plus nécessaires. Toutefois, Fisher n’accepte pas volontiers l’idée d’assortir la définition du droit à la com- munication de ce qu’il qualifie de :

“Recommandation humanitaire quant au partage des ressources humaines, économiques et techniques qui serait nécessaire pour que le droit à la communication se concrétise véritablement dans le monde entier.“9

Selon lui, le droit d’accès des communautés et des sociétés aux ressources en matière de communication n’a pas la même importance fondamentale que le droit de l’individu à la communication. Il conclut en ces termes :

“Logiquement, si cette recommandation était défen- dable du point de vue philosophique, elle aurait dû être exprimée comme une prérogative des sociétés qui découle du droit à la communication de l’individu. Si elle ne l’est pas, il aurait fallu l’exprimer dans un autre contexte que celui d’une déclaration relative’ à un droit de l’homme.“lO

Il faut trouver un compromis qui permette d’éviter d’inclure dans la définition du droit à la communication elle-même des recommandations sur la répartition plus équitable des ressources dans le domaine considéré tout en soulignant l’obligation des pays nantis de contribuer acti- vement à cette fin.

7. Ali Mohammad Shummo, “The Right to Communicate as seen in developing countries”, in EvoZving Perspectives, p. 255.

8. L.S. Harms et Jim Richstad, “Right to Communicate: Human rights, major communication issues, communication policies and planning”, in Collected Papers, p. 107.

9. Desmond Fisher, “The Right to Communicate: A philosophical framework for the debate”, in EvolvingPerspectives, p. 89.

10. Op. cit., p. 99.

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13. Les implications

Le droit à la communication, tel qu’on l’envisage, est avant tout un concept philosophique et moral. C’est le principe dont se réclament les efforts entrepris pour obtenir que ce droit soit accepté comme un droit fondamental de l’homme et sanctionné en tant que tel aux niveaux national et international.

En même temps, cette sanction aurait manifestement, dans la pratique, d’importantes conséquences pour la société ainsi que des implications d’ordre socioculturel économique, juridique, politique et autres. C’est précisé- ment la préoccupation suscitée par ces implications plutôt que par des considérations d’ordre philosophique et moral, qui a entravé et retardé un accord sur une définition du concept lui-même.

Cette préoccupation est compréhensible. Le droit à la communication englobe une gamme bien plus étendue en matière de communication que les formules antérieures, lesquelles n’ont pas recueilli une adhésion générale à cause de l’incertitude qui pèse sur leurs conséquences pratiques. La nouvelle définition se heurtera inévitablement à une opposition encore plus forte.

Cette opposition vient de deux principales positions idéologiques. Les nations “occidentales” se méfient de la notion de droit à la communication, qui, selon elles, fait partie des propositions relatives à un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication et à l’égard des- quelles elles éprouvent une grande suspicion. Elles craignent des développements qui pourraient être utilisés pour justifier des restrictions imposées aux agences de presse occidentales, à la commercialisation des fdms, et des programmes de télévision occidentaux dans les pays moins développés, ainsi qu’à l’exploitation de systèmes de trans- mission de données et d’autre technologies nouvelles.

Dans certains pays socialstes et certains pays du tiers monde l’opposition à ce droit est dictée par le fait que ces pays craignent qu’il ne puisse être utilisé pour justifier le maintien de l’énorme déséquilibre qui marque la circulation de l’information et l’importation, sans restriction, de la technologie et l’information occidentales, et partant de valeurs occidentales.

Pour sortir de cette impasse il n’y a pas d’issue facile, et les positions en apparence inconciliables prises jusqu’à présent dans le débat sur le contenu philosophique du droit à la communication traduisent les désaccords qui existent sur les implications pratiques. Et, étant donné que les hommes politiques et autres dirigeants se préoccupent davantage des conséquences pratiques que de la notion philosophique, le fait que l’on ait prêté relativement peu d’attention au premier aspect est un grand obstacle à un accord général sur le droit à la communication.

Il est vrai, comme on l’a noté plus haut,1 que plusieurs auteurs ont recensé les éléments qui, selon eux, constituent

le droit à la communication, indiquant ainsi dans leurs grandes lignes les implications pratiques vraisemblables. Toutefois, ces listes traduisent surtout les principales préoccupations de chacun de ces auteurs eux-mêmes. Pour l’un, le droit à la communication exige que l’on donne le pas à la radiodiffusion rurale sur la télévision urbaine ; pour l’autre, c’est le droit de vivre en paix ; pour un troisième, cela comprend le droit à une aide au dévélop- pement. Toutes ces questions sont importantes, mais comment les envisager comme partie intégrante du droit à la communication ? Telle est la difficulté.

On ne saurait élargir indéfiniment le droit à la com- munication pour qu’il englobe tous les objectifs des plus hétéroclites, quoique souhaitables, qui lui sont imputables. Il faut d’urgence trouver une voie moyenne parmi les intérêts divergents et déterminer les implications pratiques du droit ; sinon, le concept demeurerait une construction philosophique à l’état embryonnaire.

Par bonheur, on relève quelques signes de progrès. Le plus prometteur est que le droit à la communication est désormais accepté, dans le programme en cours de Wnesco, et, de plus en plus, dans les milieux universitaires et dans ceux de la recherche en matière de communication, comme une notion qui mérite d’être approfondie. Par ailleurs, quand bien même on réussirait à écarter ou à différer indéfiniment le débat sur l’aspect philosophique du droit à la communication, le progrès de la technologie nouvelle de la communication impose ses propres urgences, exposant au grand jour la question des incidences pratiques.

C’est que, dans le monde d’aujourd’hui, l’adoption et la mise en œuvre par un pays d’une politique nationale de la communication deviennent de plus en plus indispensables, non pas simplement à son progrès économique mais même à sa survie en tant qu’entité culturelle et politique. Dans le présent contexte, peu importe le contenu de cette politique ; il peut même s’agir d’une décision de refuser complètement d’avoir quoi que ce soit à faire. Le fait est que, quelle que soit la décision prise par la société à son égard, cette techno- logie est de telle nature qu’elle affectera dans une certaine mesure les libertés en matière de communication de cette société.

Dans certaines sociétés la technologie nouvelle peut contribuer dans une bonne mesure à assurer à tous des libertés plus étendues en matière de communication, à faciliter I’accès et la communication interactive et à multi- plier les possibilités d’épanouissement humain par l’échange d’informations et d’opinions. Dans d’autres pays, l’adoption partielle de cette nouvelle technologie peut produire l’effet contraire en réduisant, par exemple, le volume des ressources

1. Voir chapitre 6.

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disponibles pour les moyens de communication plus anciens, tels que le téléphone ou les journaux, qui conviendraient peut-être mieux à telle ou telle société.

Bien que les conséquences pratiques de l’application du droit à la communication n’aient pas été suffisamment étudiées, il ressort des textes qui traitent de ce problème, que certains domaines appellent un examen.

1. Implications socioculturelles

La communication est intimement liée à la culture de chaque société, à la fois en tant que force créatrice et agent du changement. Avec le développement rapide de la technologie nouvelle de la communication, des boulever- sements culturels sont possibles et probables. Déjà on peut en constater les effets dans les immenses progrès accomplis dans l’éducation, dans l’échange quasi-instantané des nouvelles et dans le fait que les gens peuvent assister et, en un sens, participer aux grands événements (tels que les missions spatiales, les crises internationales ainsi que les fêtes et cérémonies, au moment même où ils se déroulent.

Dans nombre de pays, l’implantation de systèmes de grande communication, suivie de leur action uniformatrice, a affaibli les cultures locales et régionales tout en créant une plus vive conscience nationale. Le même phénomène, avec ses avantages et ses inconvénients se manifeste à une échelle internationale : à travers le monde, sur les écrans de cinéma et de télévision, prédominent les nouvelles et les programmes récréatifs provenant d’une gamme limitée de sources.

Lorsqu’on situe le droit à la communication dans la perspective de l’évolution de la technologie nouvelle, on risque de considérer la technologie elle-même comme un tout, à accepter sans réserve ou à rejeter sans exception. Il est évident que c’est à la technologie de s’adapter aux besoins de la société et non à la société de répondre aux exigences de la technologie. La nécessité de protéger les valeurs d’une société contre l“‘impériaIisme culturel” est patente, mais il est plus facile d’énoncer le problème que de le résoudre. Le droit à la communication ne signifie pas qu’un pays doive accepter que sa propre culture soit submergée par des valeurs importées; dans ce cas, le droit à la communication, c’est le droit qu’a une société de communiquer selon ses besoins propres et de se protéger contre des systèmes de valeur importés qui saperaient ses propres formes culturelles d’expression.

II est certainement difficile de dire où finit cette pro- tection légitime et où commence la censure, comme l’a fait remarquer M. Amadou-Mahtar M’Bow, Directeur général de l’unesco, dans l’allocution qu’il a prononcée devant la Conférence intergouvernementale sur les politiques de la communication en Afrique, qui s’est tenue à Yaoundé (Cameroun) en juillet 1980. Appelant l’attention sur la manière dont l’évolution des communications peut conduire à un affaiblissement des formes d’expression nationales et locales, et sur la nécessité d’une synthèse de la technologie nouvelle et des techniques anciennes, il a notamment déclaré :

“On ne saurait assez souligner à cet égard les effets que comporte pour l’individu comme pour les sociétés l’envahissement de modèles uniformes de comporte- ment qui affaiblit la communication interpersonnelle et menace l’humanité tout entière d’une irréparable perte de substance culturelle. Il est certes hors de question de renoncer aux avantages de la technologie contemporaine, mais il faut opérer les articulations nécessaires entre les

formes vivantes de communication interpersonnelle et communautaire et les médias de masse. Une telle sym- biose dont on reconnaît de plus en plus la nécessité ne peut réussir que là où les formes traditionnelles de communication ont conservé signification et vigueur.“2

M. M’Bow évoquait tout particulièrement l’impact socio- culturel des valeurs que représentent les moyens de grande communication sur les systèmes de communication inter- personnelle, qui demeurent les principales formes de communication dans le monde. Sa remarque vaut néan- moins pour tous les rapports qui peuvent s’établir entre les anciennes techniques et les technologies nouvelles de la communication. La tâche qui incombe à chaque société est de déterminer de quelle manière elle pourrait s’adapter sans excès aux formes nouvelles tout en gardant ce que les anciennes ont de valable. Citons, à ce propos, ces vers du poète irlandais Ferguson :

“... L’homme aspire à lier son présent au passé de son pays, et à vivre à nouveau dans l’intimité de ses Peres”.3

Ce problème ne concerne pas uniquement les pays qui, sur le plan économique, se trouvent encore au stade du développement. Il concerne pareillement certains pays qui, comme l’Irlande et le Canada, du point de vue économique, sont relativement bien places au palmarès international. L’écrivain canadien Harold Irmis a montré comment les changements qui interviennent dans la technologie de la communication peuvent ébranler les fondements de la culture d’un pays; et le Ministre canadien des communi- cations, pour sa part, a récemment déclaré :

“Notre pays étant encore en développement, nous veillons à ce que notre souveraineté et notre identité nationales ne soient pas entamées par une application inconsidérée des technologies qui ferait peu de cas du tissu économique et social du pays.“4

Les conséquences que pourrait avoir sur le plan social et culturel la mise en pratique du droit à la communication sont, comme on peut le constater, parmi les facteurs qui influent le plus sur l’attitude d’une société à l’égard de ce droit lui-même.

2. Implications économiques

Un grand problème a été identifié par de nombreux cher- cheurs : il est vraisemblable que le droit à la communication reste une idée philosophique qui ne se prête pas à l’applica- tion parce que de nombreuses sociétés ne sont pas économi- quement en mesure de la mettre en pratique.5 Ces auteurs ne s’inquiètent pas seulement des technologies nouvelles mais aussi des structures globales des télécommunications modernes.

Amadou-Mahtar M’Bow DG/80/18 Unesco, Paris, 25 août 1980, p. 3.

Samuel Ferguson, “Measgedra”, The Poems of Sir William Ferguson, Dublin 1880, p. 42.

Francis Fox, Ministre canadien des communications, “Les communications et le dialogue nord-sud : un lien vital”, allocu- tion prononcée à la Conférence annuelle de l’IIC, Ottawa, septembre 1980, p. 3.

L.S. Harms, professeur à l’Université de Hawaï et un de ceux qui ont le plus écrit sur le droit à la communication, a qualifié de “droits stériles” les Libertés en matière de communication qui ne sont pas assorties de ressources suffisantes. Voir page 247.

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Ainsi, le Centro de Telecomunicaciones para el Tercer Mundo (CETTEM) (Centre de télécommunications pour le tiers monde) a identifié cinq obstacles à l’utilisation des télécommunications pour la croissance économique, sociale et culturelle du tiers monde. Il qualifie la structure et les systèmes actuels d’inéquitables, non égalitaires, non ouverts à la participation, inefficaces et non pluralistes :

“Inéquitables, car la structure des télécommunica- tions se présente plutôt comme un avoir qui est le privilège de quelques pays que comme un droit inné de la majorité.

Non égalitaires, car le volume des messages que transmettent les systèmes de télécommunications et le sens dans lequel ils sont transmis privilègient quelques pays. Les pays du tiers monde sont foncièrement récep- teurs plutôt qu’émetteurs de l’information.

Non ouverts à la participation, car les pays et les usagers du tiers monde n’ont quasiment aucun droit de regard sur la planification, la gestion et la programmation des systèmes de télécommunications. Les décisions relatives aux investissements sur tel ou tel type de tech- nologie des télécommunications ne tiennent aucun compte des besoins fondamentaux des petits pays ni de leur situation. Elles sont prises en fonction du gros usager qui caractérise les pays riches.

Inefficaces, car les technologies disponibles ne com- portent en général aucun mécanisme de rétroinformation. Le dialogue étant de ce fait impossible, la qualité du contenu éducatif, informatif et culturel s’en ressent.

Non pluralistes, car on est tributaire de quelques technologies et les options en matière d’information, d’éducation et de culture sont donc limitées, indépen- damment des restrictions politiques ou idéologiques qui peuvent exister par ailleurs.“6

Auteur d’ouvrages internationalement connus sur les problèmes de la communication, Antony Smith souscrit aux vues du CETTEM. “C’est un fait de plus en plus reconnu que la structure de l’information conditionne en un sens la viabilité d’un pays”, écrit-il.7

“L’insistance nouvelle avec laquelle, dit-il, les pays du tiers monde réclament une restructuration des méca- nismes de communication internationale s’inscrit dans la lutte qu’ils menent pour maîtriser leur développement économique. La seule réalisation qu’aient accomplie jusqu’à présent nombre de ces pays a été l’indépendance politique ; si le progrès économique qui devait suivre n’a pas suivi, c’est que ces pays n’ont pas pu, au lendemain de leur indépendance prendre en main eux-mêmes l’information . . . Aujourd’hui on entend davantage soutenir que les mécanismes de l’information, s’ils sont contrôlés de l’extérieur, ne font qu’enfermer le pays récepteur dans une situation de dépendance peut-être plus désespérée qu’avant.“8

On se rend mieux compte de la nécessité d’agir d’urgence pour remédier à cette dépendance croissante. Dans son rapport final, la Commission MacBride recommande “l’ap- plication progressive de mesures nationales et internationales qui favorisent l’instauration d’un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication” et “d’accorder à la coopération internationale relative au développement des communications une priorité égale à celle accordée à d’autres secteurs (santé, agriculture, industrie, sciences, éducation, etc.) étant donné que l’information est elle aussi fondamentale pour les progrès individuels et collec- tifs et pour le développement global.“9

Dans ce contexte, l’accent mis sur le droit à la communi- cation en tant que concept philosophique et moral est à la base des recommandations relatives au transfert des ressources en matière de communication des nations nanties aux nations démunies. Comme on l’a souligné plus haut, à tout droit reconnu à quelqu’un correspond pour les autres la responsabilité de créer les conditions nécessaires à son exercice, alors qu’une liberté suppose seulement que rien ne soit fait pour en gêner l’exercice.

L’une des applications immédiates de ce droit dans les circonstances actuelles correspondrait à une revendication faite par les pays en développement, à savoir un partage plus équitable des ressources naturelles limitées, telles que le spectre électromagnétique et l’orbite géostationnaire, ce que recommande la Commission dans son rapport MacBride. r”

Mais les implications du droit à la communication ne concernent pas au premier chef, ni même nécessairement, les moyens de grande communication. Etant donné que le droit est universel, il s’applique à toutes les sociétés à tous les stades de développement, y compris celles dans lesquelles, pour des raisons économiques, sont seules possibles la communication interpersonnelle ou la communication au moyen de techniques moins modernes. Dans ce cas, cela implique que chaque société doit reconnaître qu’il lui appartient de garantir à ceux qui la composent le droit de communiquer par tous les moyens qui sont disponibles dans les circonstances du moment, quels qu’ils soient.

Il faut en déduire que les principales implications du droit à la communication pour ce qui est des technologies nouvelles ne concernent pas tant la disponibilité et la prolifération des nouveaux systèmes et dispositifs que les services de communication et les rapports humains nouveaux qu’ils rendent possibles. L’augmentation excep- tionnellement rapide des voies de communication, le fait que certains pays contournent des systèmes qui tombent en désuétude, tels que les liaisons télégraphiques, et passent directement de systèmes primitifs à des systèmes de pointe en brûlant l’étape intermédiaire, l’adoption de la commuta- tion par paquets et de la communication numérique, le “mariage” de l’ordinateur avec les communications, les nouveaux procédés d’échange d’informations (vidéotex interactif, télétexte, câbles de liaison, cassettes, satellites de transmission en direct), tout cela accroît la capacité de communication, facilite la participation, I’accès et la communication à double sens, ouvrant ainsi des possibi- lités nouvelles de progrès humain et d’échange d’infor- mations entre les nations et à l’intérieur de chacune d’elles.

Devant cette évolution les responsables demandent à juste titre quel serait le coût des technologies nouvelles. I-a réponse qui s’impose est que les éléments nouveaux de la technologie de la communication ne conviennent pas tous à toutes les sociétés et que l’adoption par un pays d’un ou de plusieurs systèmes nouveaux doit correspondre à ses besoins et à ses capacités. Le droit à la communication n’exige pas l’adoption de la technologie nouvelle ; il ne garantit pas non plus les ressources requises à cette fm.

6. CETTEM, San José, Costa Rica, première année, no 1,1980, p. 1.

7. Anthony Smith, “The Geopolitics of Information”, Londres, 1980, p. 174.

8. Ibid., 27 p.

9. “Voix multiples, un seul monde”. Unesco, Paris, 1980. Partie V, Section A.V. par. 66 et 67, p. 333.

10. Ibid.. p. 321.

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C’est l’essor de la technologie nouvelle qui met en relief la nécessité de définir le droit à la communication, et non pas le contraire.

3. Implications d’ordre juridique

Dans le domaine juridique, à l’échelon national et interna- tional, les implications du droit à la communication sont évidentes. Un droit est une notion tant juridique que philosophique et morale, puisque c’est la reconnaissance, d’une part, de la liberté d’agir de l’individu et, d’autre part, de la responsabilité qui incombe expressément à la société de garantir l’exercice de cette liberté. Mais on est aussitôt amené à se demander dans quelle mesure telle société ou tel système politique reconnaît les droits de l’individu en tant qu’individu plutôt que membre d’une collectivité. Ce problème a été traité aux chapitres 8 et 9.

Evoquant “des différences d’opinions fondamentales qui existent quant au rôle de l’Etat en matière de communi- cation”, la Commission MacBride énonce un critère utile :

“Le cadre juridique devrait en principe protéger et encourager le pluralisme ; il devrait permettre à tout individu d’obtenir l’information et les idées de diverses sources et de choisir librement entre elles.“11

Dans son rapport la Commission indique un certain nombre d’entraves à la liberté d’information, que le droit à la communication proscrirait à coup sûr, notamment :

“... La violence physique et les mesures d’intimidation, les législations répressives, la censure, la constitution de listes noires de journalistes, l’interdiction de livres, les monopoles résultant de mesures politiques, les obstructions bureaucratiques, les obstructions de carac- tère judiciaire, telles que les audiences à huis clos ou les lois relatives aux outrages à magistrat, les privilèges parlementaires et les obstructions résultant de pratiques professionnelles.“12

Beaucoup de législations nationales en matière de com- munication ont été établies à une époque où la technologie était très différente de ce qu’elle devient aujourd’hui. Dans la plupart des pays le gouvernement détenait le monopole des systèmes du courrier, du télégraphe et du téléphone. Il était souvent de même pour la radiotélévision, et ce n’est que de nos jours que prend fin dans une grande partie de l’Europe occidentale, le monopole d’Etat sur la radiotélévision.

Des éléments nouveaux tels que la télévision payante, la télévision par câble, la transmission directe par satellite et le vidéotex interactif, bénéficient d’apports de l’Etat aussi bien que de sources privées, si bien que les anciennes dispositions relatives à la propriété, et partant, les structures juridiques sur lesquelles elles reposent, ne s’appliquent plus. Mais les structures de la communication et les systèmes juridiques correspondants diffèrent tellement d’un pays à l’autre que .la sanction du droit à la communication entraînerait des conséquences différentes pour chacune de ces structures.

Tant que ce droit ne sera pas sanctionné à l’échelon international, il ne saurait y avoir aucune base sur laquelle l’établir en tant que principe de droit international. Les problèmes en jeu trouvent une illustration dans les obser- vations faites par deux experts soviétiques. Dans une observation sur le rapport final de la Commission MacBride, Sergei Losev déclare :

“Le droit de communiquer est trop largement débattu, bien qu’il n’ait jamais été internationalement reconnu, de même qu’il n’est pas reconnu au niveau national dans aucun des pays représentés au sein de la Commission. En même temps, le problème de l’élaboration d’un droit international dans le domaine de l’information et de l’échange d’informations n’a pas été convenablement analysé.“13

De son côté, Youri Kolossov, dans un document présenté à la réunion d’experts sur le droit à la communication qui s’est tenue à Manille sous les auspices de 1’Unesco en octobre 1979 a tiré les conclusions suivantes :

“1. L’avis selon leauel il existerait une ‘liberté d’infor- mation’ dans les relations entre Etats ne trouve aucune expression concrète dans les lois existantes en matière d’information. Dans le système de principes et des normes qui réglementent l’utilisation des moyens de grande communication, le droit d’informer est assorti d’obligations expresses ; il s’ensuit que la ‘liberté d’in- formation’ ne saurait être reconnue comme un principe de droit international public.

la

2. Juridiquement parlant, le ‘droit à la communication’ tient du droit national (interne) ; cette notion ne saurait donc être utilisée dans un système de droit international public.

3. Dans l’élaboration d’un droit de l’information inter- nationale de masse, l’utilisation de la notion de ‘droit à I’information’ serait plus approprié.

4. Le droit à l’information est déterminé par des facteurs politiques, sociaux et techniques, qui influent néces- sairement sur son contenu.

5. La nature et l’étendue du ‘droit à l’information’ devraient être définies dans le contexte de la mise au point et de la codification progressives des principes et des normes qui régissent l’usage international des moyens de grande communication. On peut considérer cette codification comme l’équivalent, sur le plan juri- dique, de l’instauration d’un ‘nouvel ordre international de l’information’.” 14

En raison des divergences de vues sur la place du droit à communication dans le droit international, il est peu

vraisemblable que l’on puisse parvenir bientôt à un accord. La situation est telle que la Commission MacBride l’a résumée dans son rapport :

“L’idée de ‘droit à la communication’ n’a encore reçu ni sa forme définitive ni son plein contenu. Loin d’être déjà, comme certains semblent le vouloir, un principe bien établi, dont on pourrait dès maintenant tirer les conséquences logiques, il n’en est qu’au point où l’on réfléchit à toutes ses implications et où on continue à I’enrichir. Ce n’est qu’après avoir exploré à 1’Unesco et dans les nombreuses organisations non gouvernementales intéressées toutes les applications possibles de cette

11. Op. cit., p. 259.

12. Ibid., p. 170 - 171.

13. Ibid,. p. 346.

14. Youri Kolossov, “The Ri&t to Communication in Internatic- naI Law”, Unesco IM/RICOM/DP/3, p. 10.

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hypothèse que la communauté internationale pourra décider quelIe est sa valeur intrinsèque. Il faudra recon- naître, ou refuser, l’existence d’un droit nouveau, qui pourrait s’ajouter et non pas se Aubstituer, aux droits de l’homme déjà acquis”15

4. Implications politiques

C’est au niveau politique que les répèrcussions sociocultu- relles, économiques et juridiques du droit à la communi- cation prennent tout leur relief. Les divisions idéologiques qui partagent le monde entre est et ouest, nord et sud, contrarient tous les efforts entrepris pour parvenir à un accord sur le concept de ce droit, sans parler des efforts visant à obtenir que ce droit soit universellement sanctionné et promulgué. Où en sont les choses, il semble certes qu’il sera difficile de rapprocher les vues ouest-européennes des vues socialistes, tant sur la validité du concept que sur les vastes problèmes plus généraux de la communication qui ont fait l’objet d’amples débats ces dernières années.

D’un autre coté, les énormes progrès accomplis dans la technologie de la communication et l’interdépendance croissante qu’ils rendent non seulement possible meis inévitable, permettent de penser que l’on trouvera, d’une manière ou d’une autre, une voie pour aller de l’avant. Au fur et à mesure que des politiques nationales en matière de communication seront adoptées, des principes communs apparaîtront, et il est probable qu’une approche commune s’en dégagera progressivement.

Les arrangements internationaux qui découlent des travaux de la Conférence administrative mondiale des radiocommunications (CAMR) et de l’Union interna- tionale des télécommunications (UIT) contribueront eux aussi à une plus grande concertation à l’égard des problèmes de la communication et des possibilités qu’elle offre.

Enfin, les efforts redoublés pour instaurer un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication créeront un climat propice à l’examen du droit à la com- munication.

Pour reprendre les termes du dernier paragraphe de l’avant-propos du rapport de la Commission MacBride :

“Il est essentiel de donner à tous les hommes et à toutes les femmes, dans tous les milieux sociaux et culturels, la possibilité de participer à l’effort de réflexion collective qui est ainsi engagé. Car il faut que s’épanouissent les idées neuves et que se multiplient les initiatives, pour secouer les forces d’inertie ; et qu’avec l’avènement d’un nouvel ordre mondial de la communication, chaque peuple puisse apprendre auprès des autres, tout en leur faisant connaître la façon dont il appréhende sa propre condition et la vision qu’il a des affaires du monde. Alors l’humanité aura franchi un pas décisif dans la voie de la liberté, de la démocratie et de la solidarité.“16

Le débat sur le droit à la communication pourrait être le catalyseur de cette évolution. 15. Ibid., p. 215-216. 16. Lot. cit., p. XIV.

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14. Et maintenant?

De toute évidence, il faudra examiner la question plus avant et poursuivre le débat avant de pouvoir évaluer de maniére appropriée tous les éléments du droit à la communication et ses implications pratiques. Quelques uns de ceux qui sont le plus étroitement associés à cette tâche se résignent à un travail de longue haleine. D’Arcy, le père du concept, n’a-t-il pas déclaré dès le départ :

“Sur cette voie, les détails ne comptent pas, si longs soient-ils ; seule la volonté d’aboutir compte.” ?l

En même temps, il semble que les divergences de vues sur certains aspects du débat, tels que la liberté de la presse et le rôle de l’Etat, tiennent à des attitudes idéologiques et doctrinaires, et qu’aucune discussion supplémentaire, si laborieuse soit-elle, ne permettrait de les surmonter.

Ce dont on a manifestement besoin, c’est une “boussole” qui guide le débat vers une conclusion ou un genre de conclusion ou du moins vers un point où se dessinent les grandes lignes de la définition recherchée.

Il n’y a guère de doute que le concept s’est beaucoup étoffé depuis que Jean d’Arcy l’a énoncé pour la première fois. Certes, on peut objecter que ce qui de prime abord semblait.un concept relativement simple s’est étiolé, comme la verdeur première des résolutions d’Hamlet “à l’ombre pâle de la pensée”. Il est certain que les éléments d’ordre éthique, psychologique, sociologique, politique et culturel ~ qui depuis 1969 sont venus se greffer à ce concept, de par leur poids, de le faire sombrer dans un océan d’exigences contra- dictoires et de considérations n’ayant aucun rapport avec la question.

De l’analyse des points de vue avancés jusqu’à présent dans le débat sur le droit à la communication se dégagent les grands points suivants :

1. Le concept d’un droit de l’homme à la communication est bien fondé. Nul ne conteste l’existence d’un tel droit : Les seules divergences d’opinion qui se manifestent ne touchent qu’à la question de savoir si le fait de la définir en tant que tel le banaliserait. Il semble que, d’une manière générale, on convienne que l’effort visant à parvenir à un accord sur une définition de ce droit et d’obtenir qu’elle soit sanctionnée par le droit national et international devrait être poursuivi.

2. Il y a désaccord au sujet du siège de ce droit. Certains y voient un droit dérivant de l’individu et ensuite, mais seulement ensuite et à titre secondaire, de la société ; d’autres estiment que la société est le siège primaire de ce droit, l’Etat étant habilité à limiter le droit dans l’intérêt général. D’autres encore préconisent un com- promis aux termes duquel le sujet du droit serait l’indi- vidu dans la société ou l’humanité dans son ensemble.

3. Il y a aussi désaccord sur le contenu de ce droit. Certains veulent que la définition englobe tous les droits et libertés afférents au droit à la communication, les limitations et les restrictions apportées à l’exercice de ces libertés, ainsi que des dispositions relatives à la répartition des ressources en matière de communication, à l’utilisation correcte de la communication, à la finalité sociale de l’information, etc. D’autres estiment que la définition du droit à la communication devrait être une simple déclaration d’un droit de l’homme et qu’il conviendrait de laisser à une autre instance (à un niveau inférieur) le soin d’énoncer les libertés et prérogatives en matière de communication, de préciser les circonstances dans lesquelles elles peuvent légitimement faire l’objet de restrictions, et de préconiser une répartition plus équi- table des ressources nécessaires à la communication.

4. Il y a incertitude quant à la manière de poursuivre les études sur ce concept. Certains estiment qu’on ne devrait pas chercher à clore le débat et qu’il faudrait encourager d’autres études. D’autres sont convaincus que le moment est venu de reprendre la trame du débat et de se mettre d’accord sur une définition. Martelant a noté à cet égard :

“On ne sait pas au juste sur quoi va déboucher l’effort entrepris - sur une déclaration ou une convention internationale -, ou sur un accord international dans une autre forme.“2

Cocca estime qu’il n’est pas nécessaire pour le moment de définir ce droit. Pour lui, il conviendrait mieux de concevoir une instance qui étudierait la question et mettrait au point le concept. On s’efforcerait ensuite de le définir. A son avis, une définition provisoire limiterait, à ce stade, non seulement le champ de l’action mais aussi celui de la réflexion.3

Le Duc paraît oppose à toute tentative de définition. Il écrit :

“Le droit à la communication ne constitue pas une doctrine unique et monolithique ; c’est plutôt un terme descriptif recouvrant un certain nombre de droits individuels spécifiques en matière de communication.“4

La définition adoptée par un nombre relativement res- treint de personnes lors de la réunion du groupe de travail qui s’est tenue à Ottawa, en septembre 1980, pourrait,

1. Jean d’Arcy, Revue de l’UER no 118 B (1969), pp. 14 à 18. 2. Tomo Martelant, Collected Papers, Préface, p. IX. 3. Luc. cit., passim. 4. Luc. cit., 165. p.

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toutefois, recueillir l’adhésion générale. Comme on l’a indiqué plus haut, le texte approuvé était le suivant :

“Tout le monde a le droit de communiquer. La com- munication est un processus social fondamental qui permet aux individus et aux collectivités d’échanger des informations et des opinions. C’est un besoin fonda- mental de l’homme et la base de toute organisation sociale. Le droit à la communication appartient aux individus et aux communautés dont ils font partie.“5

La définition suggérée offre, à tout le moins, un nouveau point de départ pour une autre tentative officielle visant à aboutir à un accord général sur une formule qui puisse être soumise à I’Unesco et à d’autres organismes inter- nationaux pour examen et sanction éventuelle.

En attendant, il faut que des réponses soient apportées aux questions suivantes :

(i) Peut-on convenir que le concept d’un droit de l’homme à la communication est bien fondé ?

(ii) Qui est le sujet de ce droit? Est-ce l’individu ou la société ? Est-ce à la fois l’individu et la société ? Est-ce l’individu dans la société? Cela implique-t-il qu’il existe des droits distincts ? Si c’est le cas, ont-ils tous le même degré d’importance ?

(iii) Convient-il de proclamer purement et simplement le droit à la communication ou vaut-il mieux chercher une définition qui embrasse tous les autres aspects des libertés et des responsabilités en matière de communi- cation, notamment les aspects juridique, sociologique et humanitaire ?

(iv) Convient-il d’encourager les participants au débat à pousser plus avant leurs recherches et leurs observations, ou bien est-il temps de commencer à conduire ce débat vers une définition acceptée d’un commun accord?

Tels sont les points principaux sur lesquels il serait peut-être utile de sonder les participants au débat dans la perspective de leurs activités futures. Bien entendu, à

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propos de chacun de ces points des questions bien plus précises sur divers aspects détaillés du problème se poseront, selon l’attitude adoptée vis-à-vis de la question principale.

Le droit à la communication attend toujours d’être défini sous tous ses aspects, et surtout d’être sanctionné par les instruments nationaux et internationaux. Mais l’idée a fait son chemin dans différents pays et parmi les spécialistes de disciplines et de milieux différents. Petit à petit, le concept a pris corps, et il figure désormais dans de nom- breux programmes et activités des Nations Unies et de 1’Unesco qui sont en cours.

La promulgation du droit à la communication voit ainsi son échéance s’éloigner, mais le facteur temps demeure sans doute, malgré tout, ainsi que le prévoyait d’Arcy, d’une importance secondaire. Si l’on considère la somme d’activités enthousiastes qu’a suscitée ce concept, on est en droit d’en conclure que la volonté d’aboutir existe bien.

Ceux qui travaillent à la réalisation de cet objectif ont trouvé un encouragement dans le fait que, dans son rapport, la commission MacBride ait demandé que ce concept fasse l’objet d’études approfondies :

“Les besoins d’une société démocratique dans le domaine de la communication devraient être satisfaits par l’éla- boration de droits spécifiques tels que le droit à être informé, le droit d’informer, le droit au respect de la vie privée, le droit de participer à la communication publique - qui entrent tous dans le cadre de ce nouveau concept qu’est le droit de communiquer. A l’orée de ce que l’on pourrait appeler une ère nouvelle en matière de droits sociaux, toutes les implications du droit à commu- niquer devraient faire l’objet d’études approfondies.”

C’est en réponse à cet appel que ces pages ont été écrites.

5. Voir page 66.

Appendice A

Réunion d’experts sur le droit à la communication

(Stockholm, 8-12 mai, 1978)

Rapport final

Le présent rapport final est une version légèrement modifiée du projet de rapport soumis par les rap- porteurs à la séance plénière de clôture de la réunion. Les participants avaient chargé le Secrétariat de l’unesco de prendre note des observations faites au sujet de ce texte et d’en envoyer une version révisée à tous les participants et observateurs. Cette version révisée a suscité des remarques additionnelles de la part de quelques participants. Le Secrétariat en a également tenu compte en établissant le présent rapport final - sans perdre cependant de vue le fait que le rapport devait être un reflet aussi fidèle que possible des débats de la réunion elle-même.

Introduction

1. Cette réunion d’experts avait pour principal objet “d’examiner certains des problèmes majeurs qu’implique le concept du droit à la communication . . . ainsi que de clarifier et de définir de façon plus précise ce concept relativement nouveau, notamment eu égard à ses applica- tions possibles au niveau de l’individu, de la communauté et de la nation”.

2. Les participants, dont la liste figure à l’annexe 1, étaient des spécialistes de divers aspects de la communica- tion qui, pour le plus grand nombre, avaient pris part aux débats antérieurs et écrit des ouvrages sur le droit à la communication et qui appartenaient à divers pays du monde. Assistaient également à la réunion des observateurs d’organisations non gouvernementales. Tous les partici- pants étaient invités à titre personnel.

3. La réunion a été ouverte par M. Erland Bergman, secrétaire général de la Commission nationale de la Suède pour l’unesco, qui a souhaité la bienvenue au Secrétariat de l’unesco à Paris, a indiqué dans ses remarques liminaires que cette réunion constituait la première étape d’un projet de programme sexennal. L’Unesco s’est fixé pour but, a-t-il expliqué, de promouvoir la réflexion sur ce concept de favoriser sa compréhension, d’examiner les points d’accord et les points de désaccord et, de manière générale, de faire progresser les travaux dans ce domaine. Le programme adopté par la Conférence générale de 1’Unesco à sa dix- neuvième session (1976) prévoit, outre des réunions d’ex- perts, l’exécution d’un certain nombre de recherches approfondies visant à creuser les principaux aspects du problème, et la publication des documents de travail et des

débats des réunions, ainsi que des résultats des recherches. M. Rao a aussi remercié la Commission nationale de la Suède pour I’Unesco de prêter ainsi son concours en accueillant la réunion et a exprimé sa gratitude aux représentants des organisations internationales non gouvernementales pour l’intérêt qu’elles portent aux activités de l’Unesco, la part qu’elles y prennent et le soutien qu’elles leur fournissent.

4. Les participants ont élu Président, M. Bengt Gustafsson (Suède) et Vice-Président, M. Ali Shummo (Soudan). M. L.S. Harms (Etats Unis) et M. Tomo Martelant (Yougoslavie) ont été choisis pour exercer en commun les fonctions de rapporteur. A compter du troisième jour, les participants se sont répartis en trois groupes de travail qui ont été pré- sidés respectivement par MM. G. Anim (Ghana), A.A. Moemeka (Nigeria) et 1. Kolossov (URSS). Les rappor- teurs de ces groupes ont été MM. A.A. Cocca (Argentine), D. Fisher (Irlande) et S. Siagian (Indonésie).

5. Les participants étaient saisis d’un document de travail traitant des principales questions inscrites à l’ordre du jour et de plusieurs documents d’information établis par des participants, parmi lesquels un document présenté au nom de la Commission nationale de la Suède pour 1’Unesco. L’Unesco, auteur du document de travail principal, avait beaucoup emprunté, pour l’établir, aux deux anthologies de la pensée contemporaine sur le droit à la communication publiées sous la direction de M. Stan Harms et de M. Jim Richstad. On trouvera en annexe la liste des documents pertinents de 1’Unesco et autres qui ont été mis à la dispo- sition des participants lors de la réunion, ainsi que des textes qui ont été cités au cours des débats.

6. Dans l’ensemble, les débats se sont déroules’ conformé- ment à l’ordre du jour établi par le Secrétariat de l’Unesco. Après la présentation du document de travail et un débat sur l’acception actuelle du concept du droit à la communi- cation, les participants sont passés à l’examen assez détaillé de ce que ce concept recouvre lorsqu’il est appliqué à l’in- dividu, à la communauté et - a des groupes d’intérêts parti- culiers et, enfin, à la nation. Avant cela, il avait été expliqué aux participants que 1’Unesco se proposait d’organiser ultérieurement une réunion d’experts qui serait presque exclusivement consacrée aux aspects internationaux du concept. Toutefois, comme on le verra plus loin, les parti- cipants ont été absolument incapables de séparer nettement les niveaux auxquels le droit à la communication pourrait être étudié et appliqué. Qui plus est, ils n’ont pas non plus jugé possible d’exclure de leurs débats les aspects internatio- naux de la question et de les laisser de côté pour une réunion ultérieure. Le représentant de 1’Unesco leur a donné l’assurance que cela pourrait en fait se révéler utile, car l’Organisation disposerait ainsi de bases pour établir l’ordre du jour de la prochaine réunion envisagée.

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Le concept du droit à la communication

7. A la fin du débat général sur le concept du droit à la communication et sur son acception actuelle, trois points de vue distincts ont semblé se dégager :

a) le point de vue selon lequel le droit à la communication est un concept philosophique valable qui peut et doit servir de base à la définition d’un nouveau droit de l’homme ;

b) le point de vue selon lequel la communication est si inhérente à la condition humaine qu’il est philosophi- quement inutile, voire erroné, de la définir comme étant un droit de l’homme ;

c) le point de vue selon lequel un débat philosophique sans fin sur le fait de savoir s’il convient ou non de définir le droit à la communication comme étant un droit de l’homme serait inopportun pour des raisons d’ordre pratique autant que politique, et il importait de centrer les efforts sur la promotion de la reconnaissance et de la mise en pratique de certains aspects fondamentaux du processus de la communication, et tout particulièrement de “l’accès”et de la “participation” à la communication.

8. Tous les participants ont toutefois été d’accord pour estimer que le débat avait fait apparaître une dimension nouvelle de la politique de la communication ; la nécessité de prendre note de l’apparition d’un nouvel ordre de la communication dont les composantes clés - l’accès et la participation - demandent à être développées au maximum.

9. Les participants semblent avoir été généralement d’accord pour estimer que le droit à la communication n’est pas un principe juridique établi mais un concept qui évolue, et qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus sur l’aboutissement que cette évolution peut ou doit avoir. Plusieurs avis différents ont été exprimés à ce sujet.

10. L’une des thèses est que le besoin de savoir et d’in- former, le besoin d’échanger des idées et de donner son opinion ainsi que le besoin de protéger les traits marquants de sa culture sont tous indispensables pour vivre. Faute de savoir, de comprendre et d’être convaincu de la nécessité d’agir, l’homme ne peut progresser ni physiquement, ni mentalement, Et si l’homme ne progresse pas, la nation ne le fait pas d’avantage. Le progrès et le développement justifient donc le droit de chacun à la communication.

11. Un participant a indiqué qu’en Afrique, on consi- dère le droit à la communication non pas comme un droit en soi, mais comme un droit qui tient à la nécessité de promouvoir le développement physique et mental de l’individu, de faciliter une coexistence intelligente entre les individus et les communautés et de favoriser le dévelo- pement national.

12. Pour un autre participant, peut-être n’est-il pas réaliste d’espérer faire l’unanimité sur le sens à donner à l’expression “droit à la communication” et “nous faudra-t-il nous résigner à admettre que des divergences de vues wntinueront à nous séparer dans l’avenir, tout en rewn- naissant la nécessité de poursuivre le débat au moins tant que l’on ne sera pas parvenu à un accord général sur la nécessité fondamentale d’une participation accrue de la population’aux activités de communication dans leur pays”. Le droit à la communication exige non seulement des garanties constitutionnelles, comme tous les autres droits de l’homme, mais aussi une transformation radicale des politiques et des conceptions actuelles de la communication.

13. Un participant a estimé que ce serait peine perdue de “chercher à tout prix un terrain d’entente” au stade actuel, car il faut d’abord préciser les différentes perspec-

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tives - socio-économiques et politiques notamment - dans lesquelles se situent les problèmes inhérents au droit à la communication. Ensuite seulement pourrait-on voir si un terrain d’entente commence à se dégager et étudier ce qu’il serait possible de faire.

14. Le concept du droit à la communication a donc généralement été perçu comme comprenant un certain nombre de composantes, parmi lesquelles le droit à la participation à la communication, le droit d’informer, le droit de recevoir des informations, le droit d’accès aux ressources nécessaires à la communication, etc. Pour de nombreux participants, une ou deux de ces composantes apparaissent primordiales comme, par exemple, l’infor- mation au niveau rural. Les préférences et priorités accor- dées à telle ou telle composante semblent liées à l’origine culturelle des participants, à leur profession, à leur expé- rience pratique, etc.

15. Un participant a, en quelque sorte, résumé cette idée en déclarant que la notion de droit à la communication semble, de toute évidence, embrasser plusieurs droits différents se situant à des niveaux différents et intéressant des domaines différents de la communication. Une étape ultérieure des travaux devrait donc peut-être bien être d’énumérer ces droits, de les analyser et de les évaluer afin de déterminer dans quelle mesure une expression unique telle que “droit à la communication” peut couvrir convena- blement tout l’éventail des droits dans le domaine de la communication.

16. Le droit à la participation est peut-être celle des composantes clés qui a été la plus discutée. (L’opinion a également été émise que I’on aurait peut-être intérêt à substituer cette notion au concept actuel du droit à la communication, car elle paraissait de nature à pouvoir être plus facilement acceptée par toutes les sociétés et à tous les niveaux.) La nécessité d’une participation active au processus de la communication a été uniquement reconnue. En revanche, des avis différents ont été émis au sujet de la portée du droit à la participation. Pour les uns, ce droit est un principe unique qui doit s’appliquer du niveau local au niveau international. Pour d’autres, il s’agit d’un droit qui s’applique pleinement dans certains contextes comme, par exemple, pour les groupes d’intérêts parti- culiers, mais seulement dans certaines limites dans d’autres, comme le domaine des relations internationales. Un partici- pant a souligné que la participation engendre l’exercice effectif du droit à la communication au niveau de la com- munauté. Un autre a fait remarquer que le droit à la partici- pation n’est pas synonyme de droit à la communication. Il n’en est qu’un élément. Il a été estimé que “le degré suprême de la participation est l’autogestion”.

17. Le droit d’accès aux ressources nécessaires à la com- munication a été jugé constituer une autre composante clé du droit à la communication, indispensable à sa mise en pratique. Il est étroitement lié à l’existence des ressources nécessaires à une communication fondée sur le dialogue et sur la participation. Il implique I’accès au “matériel” autant qu’au “logiciel” en matière de communication . . . Tout aussi capitale est l’accessibilité des médias de la wmmunication. Elle est si fondamentale qu’il ne peut y avoir d’exercice effectif du droit à la communication en son absence.

18. La plupart des participants ont estimé que les droits à l’information - plus souvent désignés par les termes utilises à PArticle 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme - constituent également des composantes essentielles du droit à la wmmunication. Un participant a

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toutefois fait remarquer que le champ d’application de ces droits n’est pas le même à tous les niveaux, et notamment au niveau national et à l’échelle internationale. Ces dif- férences sont dans une certaine mesure consacrées par le droit. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) contient aussi des dispositions (Ar- ticles 19 et 20) à ce sujet. A son avis, il était prématuré de conclure à la suffisance ou à l’insuffisance de ces disposi- tions. Plusieurs autres participants ont souligné l’importance particulière des droits à l’information dans la situation actuelle caractérisée par le déséquilibre international de l’information.

19. Un participant a rappelé que le débat sur le droit à la communication est né du sentiment que la définition du droit à l’information donnée à 1’Article 19 de la Décla- ration universelle des droits de l’homme est désormais insuffisante, dans la mesure où elle semble suggérer “un droit à sens unique sommet-base, centre-périphérie, insti- tution-individu, culture dominante-culture plus faible, nation nantie en matière de communication-nation démunie en la matière”.

Droit à la communication et développement social

20. Les participants ont estimé que toute société interprète le concept du droit à la communication en fonction du milieu social, économique et culturel qui lui est propre. Le stade de développement général - écono- mique, social et culturel -joue un rôle déterminant dans la nature, l’ampleur, la forme et les limites de l’exercice du droit à la communication.

21. Pour certains, le degré d’exploitation et d’avance- ment des ressources d’un pays et le niveau de ses réalisa- tions économiques, sociales et culturelles sont en rapport étroit avec la formulation et la mise en pratique du droit à la communication dans le contexte national, lesquelles dépendent dans une large mesure de la détermination et de la constance avec lesquelles la société s’efforce de rendre la vie sociale et le système social véritablement démocratiques. Il convient donc d’encourager et de promouvoir des proces- sus tels que I’accès, la participation et l’autogestion, qui sont organiquement liés au concept du droit à la communication.

22. La plupart des participants et des observateurs ont reconnu que la mise en pratique du droit à la communication exige la formulation et l’application d’une politique claire en matière de communication. Le document présenté par la Commission nationale de la Suède pour 1’Unesco donne des exemples de mesures politiques qu’appelle la mise en pratique du droit à la communication dans les secteurs de la culture et de l’éducation de manière générale et dans le cadre d’une politique de subventions à la presse, en particulier. Un participant a cité le pool des agences de presse des pays non alignés comme exemple de résultats donnés par une politique conforme au droit à la communication.

Nature de la communication

23. La question de la nature de la communication a été débattue à diverses reprises. De l’avis général, si le processus de la communication est fondé sur le dialogue et la partici- pation, il présente un autre aspect fondamental : l’échange d’informations. Les participants ont estimé que la commu- nication comprend les mass médias, mais qu’il s’agit d’une

notion bien plus large. Le rapport entre le processus et le contenu de la communication est un point qui demanderait à être étudié.

24. La communication, a-t-on fait valoir, doit être consi- dérée dans ce contexte comme englobant tout, c’est-à-dire comme comprenant non seulement la technologie des mass medias, mais aussi tous les types de structures et de proces- sus de la communication existant dans la société. En outre, dans la communication, la notion d’échange est fondamen- tale. II faut savoir que, malgré les progrès énormes de la technologie de la communication, les relations tradition- nelles et le contact direct continuent à jouer un rôle primor- dial dans la communication sociale.

25. Le document de travail, par exemple, montre que le changement essentiel qui s’est produit dans le concept de la communication est qu’au lieu d’être perçu comme un transfert vertical d’informations se faisant uniquement dans le sens fournisseur-récepteur, on l’entend maintenant comme étant un processus horizontal fondé sur la partici- pation et le dialogue. Considérée jusqu’ici davantage comme un moyen d’informer et d’influencer les hommes, la com- munication commence à être envisagée comme un processus d’interaction sociale reposant sur un échange équilibré d’informations et de connaissances.

26. Maints participants ont estimé que ce changement introduit des facteurs qui présentent une importance fondamentale pour le droit à la communication : la com- munication considérée comme interaction, l’idée d’un processus d’échange ou de partage équitable, la possibilité de dialogue, et la participation active au processus de la communication. De l’avis général, dès lors qu’elle est considérée comme interaction, la communication s’accom- pagne, pour les communicateurs, de la nécessité d’écouter autant que de parler. La notion d’interaction souligne le caractère horizontal plutôt que vertical du courant de communication. De l’avis de certains, c’est peut-être l’indi- cation d’une certaine “démonopolisation” - voire “dépro- fessionnalisation” - des médias.

27. La communication perçue comme un processus d’interaction et de participation sociale, transcende la technologie des mass médias. Les mass médias ne doivent plus être considérées que comme constituant un élément des structures multiples que comporte le processus de la com- munication sociale. C’est particulièrement important dans les pays en développement où non seulement la technologie de la communication est étrangère, mais où son adoption sans discernement, sans adaptation aux structures de la communication existantes risque de faire plus de mal que de bien.

28. Les participants ont reconnu qu’outre la technologie des mass médias, d’autres structures de la communication traditionnelles, et propres à la société, ne paraissent pas, dans les pays en développement, avoir été suffisamment adaptées aux exigences du développement social et écono- mique. Ils ont noté que, selon des études scientifiques, les mass médias n’ont pas toujours une influence directe sur la population. Leurs effets sont tempérés par plusieurs facteurs et, notamment, par d’autres structures de la communication.

29. Les pays en développement encore démunis sur le plan technologique devraient donc explorer plus systéma- tiquement les possibilités que leur offrent les structures traditionnelles de la communication pour renforcer le dialogue et la participation dans le processus de la com- munication sociale.

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30. A ce propos, les participants ont pris note d’exem- ples d’interconnexions établies entre les structures tra- ditionnelles et la technologie de la communication dans certaines régions du monde et ont recommandé que les autres pays les étudient.

31. Les participants ont accordé une valeur particulière à la conception de la communication en tant que processus fondé sur le dialogue et la participation. Elle apporte la justification éthique de la revendication de l’accès au processus de la communication et de celle de la redistri- bution des ressources pour rendre la participation possible aux pays, aux collectivités, aux groupes et aux individus qui ne disposent pas des moyens de procurer cet accès.

32. De l’avis d’un participant, il est largement admis que nous sommes encore loin de vivre la communication comme un dialogue, et non pas comme l’imposition unilatérale d’idées et de notions. Il circule aujourd’hui dans la société trop d’idées reçues et délibérément fabriquées comme des produits en vue d’être consommées par une masse anonyme de consommateurs et non d’être débattues avec des inter- locuteurs. Trop de personnes se voient ainsi nier le droit à la parole et sont soumises à une violence qui, sans être physique, est tout aussi déshumanisante que l’agression physique elle-même.

Droits et libertés fondamentales de l’homme

33. La communication, dans cette acception large et globale, présente un rapport avec l’idée des droits de l’homme. De l’avis de la plupart des participants, ce rapport est évident et communication et droits de l’homme sont des notions parfaitement compatibles.

34. Certains ont estimé que la communication est davantage qu’un droit de l’homme, comme cela a été récemment affirmé dans des instruments internationaux ou dans des documents consacrés à ce sujet. La communi- cation est un processus intrinsèque de l’être humain qui transcende la notion sociale de “droit” telle qu’elle est appliquée à la communication. La notion de “droit” est le cœur et la source de la liberté. La liberté est dynamique, elle n’existe que dans l’action et évolue constamment par l’exercice du libre choix. La liberté ne peut exister dans le néant.

35. Le droit à la communication, selon un participant, est un droit de l’homme, mais “est aussi davantage que cela”. Il embrasse de nombreuses libertés fondamentales intéressant non seulement l’individu, mais aussi le groupe et la nation, et doit trouver son expression appropriée au niveau international dans les relations entre Etats, nations, sociétés et cultures.

36. Fondamentalement, au centre du droit à la commu- nication, il y a l’homme, considéré non pas abstraitement, mais en tant qu’être humain concret, vivant dans un milieu social avec d’autres hommes. L’homme en tant qu’être social, ne peut être libre que dans la mesure où tous les autres hommes sont libres et pour autant qu’ils le sont. En ce sens, il ne saurait y avoir de liberté absolue, illimitée, en raison de l’interdépendance mutuelle des hommes. La nature de cette interdépendance définit la dimension réelle de la liberté et donne le cadre dans lequel elle se situe.

37. 11 s’ensuit qu’il y a aussi des limites au droit à la communication. Mais en définissant et en mettant en pratique le droit à la communication, la société doit tout faire pour créer des dimensions et des possibilités égales pour tous. Le droit à la communication doit tenir la place

d’honneur dans l’éventail des libertés fondamentales et doit tout couvrir.

Droit à la communication et groupes sociaux

38. Selon un participant, le droit à la communication est indispensable à l’être humain pour qu’il puisse exploiter ses possibilités, et doit donc être considéré comme un droit de l’homme au même titre que le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à la religion, etc. Mais chercher à établir que la communauté, le groupe, la nation ou la région ont le même droit - ou un droit présentant pour l’homme une importance aussi fondamentale - risque d’être source de grave confusion. Ces groupes peuvent avoir et ont droit à la communication. Mais leur droit n’est pas le même - ou du moins ne se situe pas au même niveau - que celui de l’individu.

39. Un autre participant a estimé que la tâche à accom- plir est non seulement d’informer la population de ses droits en matière de communication et de trouver des voies qui lui permettent de les exercer, mais aussi de lui apprendre à user effectivement de ses droits. Il a émis l’avis qu’une étude plus approfondie des structures de la communication dans la communauté permettrait peut-être de clarifier ce problème. II se pouvait, par exemple, que les groupes d’intérêt se révèlent être pour l’individu un moyen efficace d’exercer son droit à la communication.

40. En effet, en tant que membre d’un groupe lié par des opinions, des croyances et des attitudes communes à l’égard de questions déterminées, l’individu a plus de chances d’être entendu dès lors qu’il prend conscience de son droit à la communication et est encouragé à l’exercer. L’adhésion à un groupe de cet ordre n’allant pas sans devoirs et obligations, celui qui en est membre ne se borne pas à poursuivre des fins égoïstes. Les groupes d’intérêt peuvent donc jouer un rôle influent dans le processus de la communication si on les encourage de façon adéquate.

41. Les participants ont été d’accord pour estimer que les groupes sociaux doivent avoir droit à l’accès et à la par- ticipation au processus de la communication.

42. L’accent a aussi été mis sur la nécessité d’accorder une attention spéciale au droit à la communication des diverses minorités - nationales, ethniques, religieuses et linguistiques. Dans ce contexte, le droit à la communication pouvait être considéré comme acquis aux groupes minori- taires et/ou aux membres de ces groupes.

43. Les groupes nationaux, ethniques, linguistiques et religieux ont droit à l’existence, au respect et à l’affirmation de leurs caractéristiques nationales, culturelles, linguistiques et autres propres, et au bénéfice de la pleine égalité avec le reste de la population, quelle que soit leur importance numérique.

44. Tous ces droits doivent être reconnus sans distinction aucune d’origine nationale, ethnique ou raciale, de langue ou de religion. Dans une large mesure, l’exercice de tous ces droits peut et doit être assuré par la communication. Le droit à la communication contribue donc intrinsèque- ment à assurer les droits intégraux des minorités. L’exercice de ces droits - droits de l’homme et libertés fondamen- tales - s’assortit aussi de devoirs et d’obligations de la part de la population majoritaire. Le droit à la communication des minorités présente donc à cet égard deux aspects marqués : le droit lui-même et les devoirs correspondants.

45. La portée et la définition de ces droits demandent à être étudiées plus avant.

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Impact de la technologie

46. Les participants ont estimé qu’il ne faut pas faire une place exagérée à la technologie dans la conceptualisa- tion des processus de la communication, parce que les struc- tures de la communication comprennent d’autres éléments importants que la technologie. Il est cependant apparu difficile de ne pas tenir compte des incidences sociales et culturelles du progrès technologique qui, par ailleurs, ne sont pas sans influer sur la formulation du droit à la communication.

47. Les découvertes et les innovations sont les forces motrices qui provoquent et favorisent les mutations sociales et, de ce fait, elles ont d’importantes conséquences pour la vie sociale et culturelle. Le progrès technologique exige une certaine modification des caractéristiques existantes des institutions de communication et de la structure sociale. Une transformation importante de la technologie de la communication a nécessairement des répercussions sur l’ensemble du réseau et du système de communication et finit par marquer la vie culturelle et sociale dans son ensemble.

48. Le droit à la communication en tant que concept dynamique doit donc a) tenir compte de la nécessité, en particulier dans les pays en développement, d’adapter plus complètement et plus systématiquement les structures de la communication traditionnelles et propres à la société, ainsi que de concevoir des modes de connexion avec la technologie de la communication (les médias) ; b) s’adapter à l’évolution de la technologie et à l’évolution des institu- tions sociales qui en résulte ; c) prendre en considération les changements et évolutions qui pourront survenir à l’avenir sous l’effet du progrès scientifique et technologique.

49. D’autre part, il importe que le concept du droit à la communication, tel qu’il sera établi, influence et guide le choix et l’adoption de la technologie la plus appropriée, choix et adoption qui doivent se faire en ayant constamment à l’esprit les incidences sociales et culturelles de chaque formule envisagée. A ce propos, un participant a indiqué, à titre d’exemple, que le seul espoir de parvenir à un exercice effectif du droit à la communication en Afrique rurale- réside dans l’utilisation de la radio. La question qui se pose est alors la suivante : comment, à l’aide de la radio et compte tenu des maigres ressources disponibles, obtenir les meilleurs résultats possibles ? La réponse consiste à définir une stratégie appropriée en matière de programmes et les voies et moyens de produire des programmes de bonne qualité, pertinents et appropriés ; et à concevoir un système pratique de collaboration et de coordination entre les institutions et des modes d’interaction entre les pro- ducteurs des programmes et leur auditoire.

Droit à la communication et Nouvel ordre international de la communication

50. Les participants à la reunion ont reconnu que la circulation de l’information dans le monde est actuellement gravement déséquilibrée. Le rétablissement de l’équilibre exige un échange plus intense d’informations fondé sur des possibilités égales, le respect mutuel et l’adoption de principes équitables de coopération internationale.

51. Plusieurs participants ont exprimé I’option que l’exercice du droit à la communication marquerait une étape importante dans la voie de l’instauration d’un nouvel ordre international de la communication et que, par suite,

dans le cadre du nouvel ordre international de la commu- nication, on aurait tout à la fois une chance réelle et de larges possibilités de corriger les déséquilibres qui existent au niveau de la circulation internationale et de l’échange de l’information. Un participant a toutefois estimé que ce concept ne serait pas applicable aux relations inter- étatiques en matière d’utilisation des mass médias et que, faute de l’existence d’un “ordre international de la com- munication”, il ne paraît pas possible de pousser plus loin l’étude de la notion d’un nouvel ordre international.

52. L’adoption effective du droit à la communication exigera, tout à la fois, la mise au point de structures nouvelles en matière de communication et une transformation - peut- être même une transformation radicale - des structures en place dans ce domaine, notamment de celles des grands mass médias. Les participants ont été unanimes sur ce point. Ils ont d’autre part estimé que la mise en place des structures nouvelles requises dans les communautés démunies en matière de communication nécessitera une coopération internationale et un échange plus équilibré de “logiciel” et de “matériel”, propres à réduire le fossé entre les “nantis” de la communication et les autres. De l’avis général, la mise en pratique du droit à la communi- cation ne sera pas chose aisée, mais tous doivent disposer des outils nécessaires à cet effet.

53. Les participants ont ainsi jugé urgent que soient adoptés, aux niveaux national et international, des pro- grammes visant à accroître les ressources dont disposent les régions les plus démunies en matière de communication. La politique, la technologie et les modalités de fonctionne- ment du système retenues doivent être celles qui répondent le mieux aux besoins globaux de chaque région ou pays considéré et sont propres à assurer les plus larges possibilités d’accès et de participation à la communication.

54. Un participant a fait valoir que, dans le nouvel ordre de la communication, le problème politique majeur est de mettre, à la disposition de l’homme, des ressources qui répondent à ses besoins en matière de communication, d’une manière qui tienne compte des dimensions multi- culturelles d’un droit à la communication. Au stade actuel, une formulation plus précise de ces dimensions du droit à la communication faciliterait l’adoption d’une ligne de conduite pour la mise en pratique de ce droit.

55. Un autre participant, admettant qu’il existe un déséquilibre, a déclaré que, permettre son maintien, c’est favoriser la suspicion entre les nations et retarder l’avène- ment du monde harmonieux que tous les hommes appellent de leurs vœux. Corriger le déséquilibre actuel en donnant aux nations en développement des possibilités accrues de communiquer avec les pays développés (où leurs points de vues seraient écoutés et leur culture comprise et appréciée) est bien entendu une tâche colossale et complexe.

56. Il a été suggéré de commencer à rechercher des solutions conformes aux principes du droit à la communica- tion, au déséquilibre actuel des relations internationales en matière de communication, dans le cadre de la Conférence administrative mondiale des radiocommunications (WARC) que l’Union internationale des télécommunications doit convoquer en 1979, en demandant le réexamen des alloca- tions de fréquences et des tarifs des télécommunications ; en aidant les pays en développement à former des spécia- listes des médias; en aidant les pays en développement à se doter d’une infrastructure de production de médias appropriée ; et en mettant au point des accords de coopé- ration internationale dans le domaine des mass médias, fondés sur le principe de l’égalité.

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57. Plusieurs participants ont déclaré que, si un nouveau droit à la communication est adopté dans le cadre d’un nouvel ordre de la communication, tout un train de mesures politiques devrait être élaborées et appliquées aux niveaux mondial, national et sous-national. Par bonheur, les activités déployées dans le domaine de la politique de la commu- nication commencent à donner naissance à ce que l’on pourrait appeler - du moins faut-il l’espérer - une science en matière de politiques de la communication. Telle qu’on la perçoit généralement, cette nouvelle science est sensible aux valeurs, axée sur les problèmes concrets et ouverte à toutes les méthodes. En d’autres termes, on peut difficile- ment la ranger sous une des étiquettes en usage dans les universités ou les institutions : elle procède de ses propres prémisses.

58. Il a aussi été fait valoir que, pour instaurer un équi- libre non seulement au niveau de la circulation de l’infor- mation, mais aussi en matière de méthodes de recherche, il sera nécessaire de concevoir de nouvelles méthodes de recherche sur les politiques de la communication inspirées des traditions intellectuelles de plusieurs régions en dévelop- pement. Malgré le travail de longue haleine que les hommes de science de plusieurs régions auront vraisemblablement à accomplir à cet effet, la mise au point, ne serait-ce que d’une nouvelle méthode de recherche sur les politiques de la communication propre à faciliter l’étude des aspects qualitatifs d’un problème mondial de la communication tel que celui posé par le déséquilibre de l’information, justi- fierait le temps et les efforts qui lui auraient été consacrés.

Communication entre Etats

59. Sans nier le caractère global du concept du droit à la communication quelques participants ont estimé qu’il y a peut-être une distinction à faire entre la communication entre Etats et la communication entre individus. Un parti- cipant a fait remarquer que, dans le monde contemporain, l’unification des législations nationales en matière de mass média reste un objectif extrêmement problématique.

60. Pour plusieurs participants, il devrait être possible d’appliquer aux relations internationales, dans le domaine de la communication de masse, des principes généralement admis du droit international, comme le principe du respect de la souveraineté nationale.

61. L’utilisation des mass médias au niveau international pourrait exiger l’élaboration de certains principes de base. Il a été estimé qu’il serait peut-être réaliste d’entamer le processus de leur élaboration au niveau régional. Quelques participants n’ont toutefois pas jugé impossible que certains principes fondamentaux concernant les relations internatio- nales puissent être élaborés à l’échelle mondiale et adoptés dans un climat de compréhension mutuelle. Ces deux approches ne sont pas nécessairement contradictoires.

62. Un participant a fait observer que les sociétés transnationales jouent un rôle particulièrement déterminant. Nombre des aspects indésirables de la technologie moderne se sont implantés dans les pays en développement comme suite à la. mainmise progressive des sociétés transnationales sur les marchés locaux. La pollution de l’information est née pour une large part des efforts incessants que ces sociétés déploient pour inciter la population à acheter et à consommer leurs produits. La destruction des modèles culturels dans les sociétés périphériques tient dans une grande mesure à la volonté des entreprises multinationales de transformer le monde en un immense marché par une

publicité mondiale à moindres frais. Force est donc de se demander dans quelle mesure on peut progresser dans la voie de la reconnaissance effective d’un droit à la commu- nication si on ne cherche pas à transformer la structure transnationale actuelle. En résumé, le concept du droit à la communication n’a de sens que s’il implique un effort pour venir à bout des contraintes structurelles et écono- miques qui restent des aspects essentiels du système du marché international.

63. De l’avis d’un participant, il se pourrait que la mise en place d’un nouvel ordre international de l’information oblige à repenser ou réorganiser les efforts tendant à l’ins- tauration d’un nouvel ordre économique international, les deux étant étroitement liés, notamment pour ce qui est des infrastructures des médias dans les pays en développement.

Résumé et conclusions

64. La plupart des participants et des observateurs ont estimé que le droit à la communication, en tant que concept, pose des problèmes très délicats. Pour certains, il s’agit d’un concept qui reste trop vague. De l’avis d’un observateur, il ne rend pas compte du caractère omni- présent de la communication. Pour un participant, le fossé est profond entre l“‘utopie” que représente le droit à la communication et les réalités “concrètes” de la commu- nication actuelle. Pour un autre observateur, la question critique est comment assurer l’équité et l’égalité dans tous les domaines de la communication.

65. De l’avis de la plupart des participants et obser- vateurs, le concept du droit à la communication pose des problèmes importants et embrouillés qui demandent à être étudiés dans une perspective plus large que celle que peut donner un contexte culturel unique, une disciplique unique ou une expérience professionnelle dans un domaine unique. Tout en reconnaissant les problèmes délicats soulevés par certains de ses aspects, les participants et observateurs ont néanmoins jugé ce concept riche d’espoirs et de promesses.

66. Les débats ont fait très fortement ressortir l’impor- tance de la communication. Un participant a fait observer que la communication crée la société et un autre que, pour être, l’homme doit communiquer. Le problème extrême- ment délicat que pose la formulation d’un droit de l’homme à la communication a été mis en relief. Enfin, le fait que la mise en pratique du droit à la communication exigera pendant assez longtemps le développement de ressources propres à satisfaire les besoins de l’homme en matière de communication a également été fortement souligné.

67. En résumé, le droit à la communication a été jugé être un concept multiculturel dynamique et sujet à évolution. Dès le début des réflexions sur la question, un effort a été fait pour donner à ce concept les plus larges dimensions culturelles. Le concept est dynamique par l’accent qu’il met sur le dialogue et la participation comme fondements de la communication. D’autre part, il continue à évoluer et à se transformer au fur et à mesure des études et des débats dont il fait l’objet.

68. La communication est désormais envisagée comme étant foncièrement un processus d’interaction et de par- ticipation. Pour les uns, le droit à la communication est enraciné dans le mode d’interaction sociale qui forme la base de l’accès et de la participation, un droit à la parti- cipation étant jugé primordial par certaines perspectives culturelles; pour d’autres, c’est le droit de répandre et de recevoir des informations aux niveaux national et

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international qui apparaît essentiel. Dans d’autres cas encore, l’élément capital est jugé être le droit au respect de la vie privée ou de la culture individuelle. Une conception multiculturelle du droit à la communication, qui prend en considération diverses composantes de ce droit, est donc propre à répondre aux intérêts culturels différents.

69. L’exercice d’un droit a des incidences au niveau de la liberté et de la responsabilité. La tension née des revendi- cations en matière de liberté et de responsabilité conduit alors à formuler une politique de la communication, soit implicitement dans le cadre de la culture, soit explicitement par l’adoption de textes législatifs en la matière.

70. Le problème de la mise en pratique du droit à la communication se pose dès le stade de la formulation de ce droit. Quelle que soit la formule envisagée, il apparaît indispensable de développer les moyens de communication et de mettre à la disposition des hommes des ressources propres à répondre à leurs besoins. Quant à la mise en pra- tique de ce droit, elle ne pourra se faire que dans le cadre d’un nouvel ordre de la communication et de l’information.

Suite des travaux

71. Les participants à la réunion ont formulé un certain nombre de suggestions et de propositions concernant la suite des travaux :

a) Le concept du droit à la communication doit continuer à faire l’objet d’études, de recherches et d’analyses appro- fondies dans divers cadres culturels.

b) En cherchant à élaborer une définition maniable du droit à la communication, il est recommandé d’étudier de près tous les droits connexes et voisins qui pourraient être englobés ou mentionnés dans la définition du droit à la communication lui-même, et notamment d’éventuels nouveaux droits tels que le droit à la sélection de l’infor- mation et le droit à la création conjointe de l’information.

c) Toute nouvelle étude et, en particulier, tous les efforts de mise en pratique du droit à la communication, devraient privilégier les principes fondamentaux de l’accès et de la participation.

d) Comme les aspects internationaux du droit à la commu- nication ne figuraient pas à l’ordre du jour et n’avaient été étudiés que superficiellement, il a été suggéré qu’une autre réunion internationale d’experts (catégorie VI) soit organisée pour les examiner, notamment dans la perspective d’un nouvel ordre international de la communication.

e) Un groupe de travail de I’Unesco devrait être chargé de poursuivre l’étude du concept du droit à la communi- cation en vue de préciser le champ de ses applications possibles, tout en gardant à l’esprit les réalités du droit international.

fi Les recommandations de la présente réunion devraient être prises en considération lors des conférences inter- gouvernementales de 1’Unesco sur les politiques de la communication en Asie, en Afrique, etc., ainsi que lors des conférences portant sur les politiques dans des domaines connexes, tels que l’éducation et la culture.

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Appendice B

Réunion d’experts sur le droit à la communication

(Manille, Philippines, 15-l 9 octobre 1979)

Rapport final

Le présent rapport final est une version légèrement modifiée du projet de rapport soumis par les rap- porteurs à la séance plénière de clôture de la réunion. Les participants avaient chargé le Secrétariat de Klnesco de prendre note des observations faites au sujet de ce texte et d’en envoyer une version révisée à tous les participants et observateurs. Le Secrétariat a également tenu compte en établissant le présent rapport final des remarques additionnelles de la part de quelques participants.

Une réunion d’experts sur le droit à la communication a été organisée par l’unesco à Manille en octobre 1979 en collaboration avec la Commission nationale des Philippines pour 1’Unesco.

Cette réunion avait essentiellement pour objet d’étudier les problèmes prioritaires que soulèvent les aspects interna- tionaux du concept du droit à la communication et faisait suite à une réunion similaire qui s’était tenue à Stockholm en 1978 et qui avait examiné certains des problèmes majeurs qu’implique ce concept.

La réunion a été ouverte par le conseiller Pedro F. Abella, secrétaire général de la Commission nationale des Philippines pour l’unesco, qui, après avoir souhaité la bienvenue aux participants et aux observateurs, a déclaré :

“Cette réunion a été convoquée par 1’Unesco en vertu d’une résolution adoptée par la Conférence générale au cours de sa dernière session autorisant le Directeur général à mener des activités contribuant à la promotion de la recherche sur les mesures destinées à garantir les droits~ de l’homme conformément aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette résolution invitait le Directeur général à encourager les études approfondies et les échanges de vues sur le concept du droit à la communication. Ce concept étant nouveau, il demande à être précisé et c’est la raison pour laquelle l’unesco a invité d’éminents spécialistes à en discuter et à en préciser les différents aspects.”

Le représentant de l’unesco, M. Lakshmana Rao, a souhaité la bienvenue aux participants au nom de l’organi- sation et a déclaré :

“A Stockholm, nous avons étudié le concept de droit à la communication essentiellement à trois niveaux - indi- viduel, communautaire (y compris les groupes d’intérêts particuliers) et national. Nous avons laissé à la présente

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réunion le soin de discuter des dimensions internatio- nales de ce concept, que nous nous efforcerons de définir de manière concrète.”

S. Ext. S. Tatad, Ministre de l’information de la Repu- blique des Philippines, ouvrant la séance, a exposé le dilemme actuel en matière de communication. Dans son allocution, il a de nouveau plaidé en faveur de l’instauration d’un nouvel ordre mondial de l’information et a exposé les mesures que, selon lui, un tel changement appelle :

“Je pense qu’il faut avant tout repenser entièrement la philosophie de la communication - sous tous ses aspects et à tous les niveaux . . .

Même tel qu’il a été défini, lors des premières discus- sions de KJnesco, le concept du “droit à la communica- tion” est déjà encombré d’une foule de considérations au nombre desquelles figurent l’écart entre pays développés et pays en développement en matière de communication, l’accès et la participation au processus de la communi- cation, les responsabilités de médias et des responsables de la communication, la souveraineté des Etats, etc.

Ce que nous craignons le plus, c’est la déformation de sens que risque de subir ce concept lorsque nous aurons enfin réussi à le définir en une seule phrase et le risque plus grand encore, en voulant le formuler en des termes assez généraux pour arriver à un consensus international, de le vider ainsi de son sens.

Le problème est loin d’être simple, Nous devons, me semble-t-il, ne jamais perdre de vue le pluralisme des valeurs qui existe dans notre monde, la diversité des systèmes et les différents types de situations. Mais nous devons aussi arriver au point où nos idées et nos valeurs se rejoindront et où nous pourrons nous rendre compte de l’importance et des possibilités que recèle la communication.

Nous devons enfin - et ceci est un deuxième point important - être conscients de ce que la communication peut avoir de bénéfique et de fécond, car nous courons aussi le danger de vouloir donner du droit à la communi- cation une définition qui nous incite à le restreindre au lieu d’en faire un instrument de la libération de l’homme.

Nous devons, dans notre conception du droit à la communication, reconnaître franchement et sérieusement qu’au-delà de l’équilibre, nous pouvons promouvoir le développement des peuples; qu’au-delà de la coopéra- tion et de la compréhension internationales, il y a l’épanouissement des cultures et qu’au-delà de la com- munication en tant qu’institution responsable il y a toutes ses virtualités que nous pouvons libérer.”

Les participants ont élu président S. Ext. Franciso S. Tatad (Philippines) et MM. Narayana Menon (Inde) et Erland Bergman (Suède) aux fonctions de rapporteurs.

Au cours du débat sur l’exposé principal, un participant a appelé l’attention de la réunion sur le déséquilibre existant dans la circulation de l’information et a déclaré que certaines nations industrialisées étaient préoccupées avant tout de perpétuer leurs propres stéréotypes et qu’elles utilisaient les médias pour imprégner fortement les pays en développement de certains aspects de leur propre culture.

LE COLLOQUE DE PUNE

Il a été fait référence au Colloque de Pune (Inde) qui a eu lieu en juillet 1979 et qui a été suivi de très près par la réunion d’experts de Stockholm. Les participants à ce Colloque avaient essayé de voir comment avait évolué le concept du droit à la communication depuis le jour où cette expression importante était apparue pour la première fois il y a dix ans : le droit d’informer et d’être informé, la transformation des droits à l’information en une prise de conscience de l’importance de tous les problèmes touchant à la communication ; la distinction subtile entre droits et liberté, le concept de liberté, avec toutes les possibilités qu’il renferme et les responsabilités qu’il implique. Les participants se sont référés au Préambule de la Déclaration de l’unesco où il est dit :

“La Iiberté de l’information exige nécessairement que ceux qui jouissent de ses privilèges aient la volonté et le pouvoir de ne pas en abuser. L’obligation morale de rechercher les faits sans préjuger et de répandre les informations sans intention malveillante constitue I’une des disciplines essentielles de la liberté de l’information.”

Le Colloque a ensuite traité la question posée par M. Sean MacBride : “Comment le droit à la communi- cation - avec tout ce qu’il implique sur le plan moral et juridique - peut-il devenir une nouvelle forme de pensée et d’action dans tous les domaines de la communication ?”

Rappelant les débats sur le droit à la communication qui avaient eu lieu dans sa propre région depuis la réunion de Stockholm de 1978, un participant a signalé qu’ils n’avaient guère été animés. Il lui a semblé que le sentiment qui l’emportait chez ceux qui participaient à l’étude et aux discussions sur les problèmes de la communication était que le concept du droit à la communication n’était pas des plus faciles à définir.

Les conclusions à tirer du Colloque de Pune - en ce qui concerne le droit à la communication - pouvaient se résumer de la manière suivante :

- le droit à la communication pouvait renforcer le senti- ment d’identité culturelle, qui est essentielle à l’atta- chement de l’individu à son groupe ou à sa nation;

- le droit à la communication stimule l’innovation ; - les opinions différentes existant dans une société pour-

raient s’affronter grâce au droit à la communication dont chacun jouirait et non pas seulement une minorité. Les pouvoirs en place doivent se féliciter de ce que les principaux courants de pensée puissent ainsi s’exprimer ;

- le droit à la communication stimule également chez l’individu le désir de mieux connaître les milieux écono- miques et politiques - ce qui stimulerait également l’efficacité au sens large du terme.

Les participants ont souligné que ce droit est vide de sens s’il ne peut s’appuyer sur des moyens éducatifs, techniques et financiers, faute de quoi il risque de se limiter à quelque chose de purement gratuit, entièrement détaché

de la réalité. Dans de nombreuses régions du tiers monde, a dit un participant, on ignore même ce que représentent les droits fondamentaux de l’homme.

Un participant a alors proposé que soit abordée la question des droits et de la liberté. La liberté n’est pas synonyme de licence et tous les participants ont été d’ac- cord pour considérer que l’exercice de la liberté implique le sens du raisonnable qui s’acquiert dans la libre confron- tation d’opinions. Il faut lui donner l’occasion de s’exercer. C’est à la société de créer les droits et c’est aux Etats et aux gouvernants de les appliquer avec l’appui de l’opinion internationale et mondiale.

LA LIBRE CIRCULATION DE L’INFORMATION ET LE DROIT A LA COMMUNICATION

L’un des participants a fait une distinction entre le concept du droit à la communication et celui de libre circulation de l’information, et a déclaré que, selon lui, cette distinction n’était pas claire pour tout le monde.

On dit souvent du concept de libre circulation de l’infor- mation qu’il est “un écran de fumée idéologique destiné à cacher le fait que la circulation est en fait à sens unique”. II signifie en réalité la liberté pour “les forts d’exploiter les faibles”. Le droit de la communication est un concept plus large qui va bien au-delà, par ses implications et ses dimensions, du concept de la “libre circulation”.

L’un des participants a émis l’opinion que le droit à la communication ne pouvait s’appliquer que dans les limites du territoire national. Ce droit, dont tout homme doit pouvoir bénéficier, ne peut être étendu au-delà des frontières de l’Etat-nation. Pour pouvoir être appliqué à des pays dont les cultures et les régimes politiques sont différents, il doit être inscrit dans une politique de com- munication, qui reconnaît l’interdépendance de plus en plus étroite des nations qui ont considéré la communication comme l’un des facteurs essentiels de la démocratisation.

Un autre participant a déclaré que le système interna- tional de la communication était actuellement en état de crise. De plus en plus, le monde entier prend conscience de la nécessité de remédier au déséquilibre actuel par une action radicale qui modifiera fondamentalement les struc- tures de la communication au niveau international. En fait, le nouvel ordre international de la communication fait partie intégrante du nouvel ordre économique mondial. La lutte pour un nouvel ordre international est une lutte pour un nouvel ordre économique aussi bien que pour un nouvel ordre social et culturel et pour un nouvel ordre dans le domaine de la communication. La décolonisation et l’éman- cipation de chaque société forment un tout économique, politique, culturel et mental. Dans ce changement radical, la communication jouera un rôle primordial car elle est en puissance l’un des principaux facteurs de promotion, d’accélération et de catalyse du développement social. La lutte pour l’instauration d’un nouvel ordre de cette nature sera nécessairesment longue et difficile. Le concept du droit à la communication ne doit pas demeurer un concept philosophique ou purement abstrait ; ce doit être un concept dynamique qui conduise à un changement radical sur le plan social.

Le même participant a également formulé quelques suggestions sur la suite à donner à la présente réunion. Il faudrait d’abord, estime-t-il, porter ses conclusions à la connaissance de la Commission internationale d’étude des problèmes de la communication. L’Unesco devrait

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ensuite élaborer et appliquer un nouveau programme qui prévoirait notamment la création d’un fonds spécial de développement de la communication et celle d’un centre Unesco de recherches sur la communication. (Ces sugges- tions n’ont pas été approuvées par tous les participants. L’un d’eux s’y est même vigoureusement oppose, estimant que ce n’était pas à cette conférence d’émettre une telle proposition et qu’il préférerait quant à lui la création d’un organisme international indépendant.)

LA TECHNOLOGIE MODERNE

Il ne faut pas, si l’on veut qu’une véritable circulation à double sens devienne une réalité, que les nouvelles tech- niques de communication aboutissent à la disparition des formes traditionnelles de diffusion de l’information et de communication entre les hommes. S’il n’existait pas aupa- ravant de système de communication “à double sens”, cela était dû en partie à la situation de pénurie qui caractérisait la communication entre les hommes. La situation s’est modi- fiée avec le temps et l’on se trouve au contraire aujourd’hui dans la situation d’abondance. Mais, comme dans le passé, les pouvoirs établis, les responsables politiques et écono- miques s’efforcent de mettre la main sur les techniques nouvelles. Ils représentent donc par eux-mêmes un obstacle à la mise en place d’un système de communication à double sens.

Il ne faut pas voir dans la nouvelle technologie un simple “gadget” réservé au monde riche. Ce sont au contraire les peuples dits du tiers monde qui seraient les premiers à en bénéficier si elle était utilisée à bon escient.

Parlant du rapport entre la technologie et la communi- cation, l’un des participants a demandé que l’on cesse de penser en termes de médias de masse.

Il faut éliminer le déséquilibre actuel de la circulation de l’information et du matériel culturel et le remplacer par une situation plus équitable. Il est fréquent que le développement des moyens de communication dans les pays techniquement peu avances repose sur les réalisations du monde développé. Une telle situation serait acceptable si le contenu même de la communication - ou plus exacte- ment de l’information - n’était pas lui aussi dominé par les valeurs du monde développe. Certains pays en développe- ment par exemple se trouvent entièrement aujourd’hui sous l’influence du consumérisme occidental. Ceci amène parfois leurs gouvernements à prendre des mesures pour protéger leurs propres citoyens. Certains participants, en désaccord avec ces mesures, ont estimé qu’elles étaient tout aussi déplorables que la domination exercée par les sociétés transnationales de communication. Le but, en dernière analyse, est d’affranchir l’homme de la rue de toutes les influences qui sont de nature à nuire au développement de son identité culturelle, et le droit à la communication pourrait jouer à cet égard le rôle de catalyseur et même de “force révolutionnaire”.

Les participants ont également débattu de la notion de “culture” et sont tombés plus ou moins d’accord sur la défiiition anthropologique proposée par l’un d’eux, selon laquelle la culture est ce qu’un individu ou, en une société ou une nation pense, fait ou possède, qu’elle est un bien qui se lègue, se transmet et se communique. Il existe donc, au plan d’une même société, une égalité entre les différentes cultures, qu’on les considère comme la culture d’une majorité et celle d’une minorité, tout comme il existe au plan mondial une égalité entre les cultures de certaines régions du monde ou de certains pays.

De nouvelles structures de communication doivent être mises en place, en particulier dans les communautés dépourvues de ressources, et celles qui existent doivent être transformées. Il faut notamment revoir le rôle des sociétés transnationales.

GROUPES DE TRAVAIL

La Conférence a ensuite décidé de se scinder en deux groupes de travail comme le prévoyait son ordre du jour, afin d’étudier en profondeur certains aspects précis du concept de droit à la communication, en s’intéressant en particulier à ses dimensions internationales.

Le groupe de travail 1 s’est consacré aux aspects socio- culturels et éducatifs du droit à la communication et le groupe de travail II à ses prolongements juridiques et économiques. En plus du document de base, du texte de l’allocution du Ministre de l’information et de l’exposé de M. Youri Kilossov sur “le ‘droit à la communication’ en droit international”, qui avait également été préparé pour cette réunion à la demande de l’unesco, les groupes de travail disposaient d’un certain nombre de documents rédigés par plusieurs participants.

Les projets de rapport des groupes de travail ont été examinés en séance plénière avant d’être définitivement mis au point.

ASPECTS SOCIAUX, CULTURELS ET EDUCATIFS

Le groupe a défini et examiné les problèmes critiques qui, en matière de droit à la communication, concernent l’acti- vité sociale, culturelle et éducative des Etats-nations et a recommandé des mesures qui doivent assurer une meilleure compréhension de ce concept.

A. LES PROBLEMES SOCIOCULTURELS CONCERNANT LE DROIT A LA COMMUNICATION

Les débats ont porté essentiellement sur :

1. la domination exercée par la culture médiatisée des pays puissants et technologiquement avancés sur les médias des pays à faible technologie ;

2. la publicité intensive faite autour des biens de consom- mation fabriqués à l’étranger (matraquage par l’image) qui enracine dans l’esprit des populations locales des goûts et des préjugés allogènes ;

3. le recours à des techniques publicitaires insidieuses qui visent à faire croire que les produits de consommation importés, même s’ils sont de qualité médiocre, sont préférables aux produits locaux qui sont de meilleure qualité et moins coûteux ;

4. des émissions de télévision et des. films qui, sur les plans socioculturel et éducatif, ne peuvent convenir à des nations technologiquement peu développées, parviennent, grâce à la qualité de leur production et à d’habiles techniques de commercialisation, à sup- planter les programmes et les films locaux qui, bien qu’ils soient culturellement adaptés aux objectifs du pays en matière d’éducation, sont malheureusement moins bien faits sur le plan technique ;

5. la désorientation culturelle et sociale de la jeunesse du tiers monde qui souffre de la pollution culturelle due soit à des programmes où il est fait appel aux bas instincts de l’individu soit à des émissions de télévision qui glorifient la violence ;

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6. la création des faux “modèles” qui focalisent l’attention du public sur des individus douteux et que l’on fait passer pour des “héros” ou des “anges” grâce à des artifices publicitaires (par exemple, le syndrome du “superstar”) ;

7. la part du lion que les sociétés transnationales de com- munication se sont taillé dans les pays du tiers monde et la façon dont cela a eu pour effet de plonger les popu- lations de ces pays dans un état de léthargie sociale et culturelle, et de créer par conséquent chez elles un sentiment de passivité, d’apathie et d’impuissance qui a découragé leur créativité et leur esprit d’innovation et a fait obstacle à leur développement social et culturel.

Les problèmes d’éducation - En matière d’éducation, le problème réside dans l’insuf-

fisance des moyens de communication qui est due à la pauvreté des pays. L’enseignant n’a à disposition qu’un tableau noir et de la craie. Le manque de livres, de pério- diques, d’aides audiovisuelles, etc., qui sont nécessaires à l’enseignement des valeurs humaines fondamentales, se fait durement sentir.

~ Les programmes scolaires sont encore marqués par les vestiges de l’époque coloniale qui détournent l’action nationale de ce qui devrait être sa véritable finalité et qui constituent des obstacles redoutables au dévelop- pement (la primauté par exemple des langues étrangères dans les programmes que les étudiants considèrent comme inadaptée à leurs propres aspirations).

- La plupart des ouvrages scientifiques, y compris dans certains cas les manuels scolaires, étant rédigés en anglais, en français ou dans d’autres langues étrangères, les enfants des pays en développement ont du mal à les comprendre et à les assimiler, ce qui rend le processus d’apprentisage des connaissances doublement difficile.

- La traduction des ouvrages techniques et scientifiques dans les langues du tiers monde est souvent un travail difficile car il faut respecter la réglementation interna- tionale qui régit les droits de reproduction et dont la violation est sévèrement sanctionnée. (Lorsque les droits de reproduction sont accordés, la traduction peut encore être gênée par l’absence de symboles équivalents dans les langues de ces pays.)

B. PROPOSITIONS ET RECOMMANDATIONS Après avoir récapitulé les problèmes socioculturels et éducatifs du droit à la communication exposés en (A) ci-dessus, le groupe de travail a émis plusieurs propositions et recommandations.

Ces recommandations ont pour but de combattre les effets néfastes des médias étrangers sur les pays du tiers monde dans le domaine culturel et de donner réellement corps au concept de droit de la communication qui concerne chaque Etat-nation dans tous les domaines et notamment dans celui de la culture.

1. Production locale de films, de programmes de radio et de télévision qui soient compétitifs sur le plan de la qualité et ramènent à eux le public local, en particulier la jeunesse actuellement aliénée. A cette fin, il est demandé aux gouvernements et aux services nationaux concernés de faire en sorte que l’accent soit mis sur le professionnalisme, les codes de déontologie, la qualité technique et artistique des programmes, et leur utilité sociale. Il faudra également se conformer aux objectifs nationaux pour les domaines éducatif, social et culturel.

2. Dans la mesure du possible, les livres, périodiques et médias éducatifs devraient être produits localement, en accordant de l’importance aussi bien à la “forme” qu’au “contenu”.

3. Rendre vie aux médias traditionnels et indigènes (par exemple les conteurs, les tam-tams, etc.) qui, sous I’assaut des médias étrangers, ont été relégués à l’arrière-plan.

4. La localisation et la décentralisation des installations et des activités de communication, y compris le choix de leur contenu et de leur présentation, sont des ingrédients essentiels du droit à la communication.

5. Il est recommandé d’étudier le système occidental de rémunération qui repose sur la compétitivité et le mérite individuel ; l’adoption systématique de ce système de rémunération ou de systèmes similaires risquerait de conduire à une stratification, fondée sur l’élitisme et le culte de la personnalité, et compromettrait les chances d’une action collective dans l’élaboration de programmes de développement nationaux.

6. Il conviendrait de créer des organismes consultatifs, semi-publics ou indépendants, qui seraient habilités à imposer, dans le domaine des médias, des orientations politiques reflétant le consensus général.

7. En ce qui concerne la pénurie de livres produits au plan local, il a été recommandé que les gouvernements financent la publication d’ouvrages écrits par des auteurs locaux ; ces ouvrages correspondraient mieux aux objectifs nationaux en matière d’éducation, et en parti- culier au patriotisme des populations et aux objectifs de développement du pays (le groupe de travail a cité comme exemple la commission chargée d’appliquer le projet de développement de l’éducation aux Philippines ; cet organisme officiel finance et soutient de sa propre initiative les auteurs locaux en publiant des manuels destinés à l’enseignement primaire et secondaire, des ouvrages de renommée internationale, ainsi que des manuels pour les enseignants, écrits en anglais et dans la langue du pays).

8. Le groupe de travail a ensuite discuté des systèmes de communication et d’information destinés à protéger et à préserver les valeurs culturelles qui favorisent le déve- loppement national. Les participants ont estimé que les médias devraient être utilisés pour promouvoir la coopération, la compréhension et la bonne volonté entre les peuples.

a) Conscients des effets néfastes des médias trop “sen- soriels” sur la capacité d’acquisition des connaissances de l’homme, et en particulier sur son apprentissage de la lecture et de l’écriture, le groupe a recommandé que soient recherchés les moyens de les combattre.

b) Il a également recommandé que, pour stimuler l’esprit de création et d’innovation, des prix soient décernés sur une base régionale à des auteurs locaux d’ouvrages imprimés, de programmes de radio et de télévision ou de films de qualité exceptionnelle, et qui représentent un enrichissement sur le plan culturel.

c) Le groupe a recommandé que, pour aider à réduire le décalage et les écarts culturels qui existent entre les pays où la technologie de la communication évolue très rapidement et les pays du tiers monde qui ne peuvent combler par leurs propres moyens ces retards, il soit créé un mécanisme international qui étudie cette question et formule un certain nombre de critères concrets.

d) Les études à faire sur les transferts de technologie qui seraient appropriés et utiles (et également peu

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coûteux et souhaitables) entre les pays développés et les pays en développement pourraient être entreprises avec l’aide de Wnesco.

e) Les organismes gouvernementaux et non gouverne- mentaux doivent également s’efforcer d’encourager la presse (parlée et écrite) à consacrer régulièrement un temps d’antenne aux activités de l’Organisation des Nations Unies et de 1’Unesco.

J) Le groupe a suggéré que 1’Unesco augmente la docu- mentation concernant les exemples de structures de communication (organes de décision et de planifica- tion), les modèles d’accès et de participation à la communication, et l’utilisation de la communication pour le développement national. Il a examiné un organisme de communication de ce type (en Yougos- lavie) qui comprend des représentants des divers secteurs d’activité chargés de définir la politique à suivre.

g) Le groupe a recommandé que I’Unesco prenne l’initiative d’une recherche sur les résultats et les prolongements des enquêtes et sondages effectués par les sociétés multinationales sur les moyens de pénétrer les marchés locaux.

h) Le groupe a estimé que le dilemme en matière de communication transculturelle réside dans le fait que la culture importée n’est pas toujours mauvaise et que certains de ses éléments peuvent même être positifs. Mais il faut voir jusqu’à quel point la péné- tration peut être tolérée et dans quelle mesure il faut protéger et préserver les cultures locales. L’im- portation d’une culture étrangère doit être. examinée à la lumière des croyances des systèmes de valeurs du pays. Des études devraient être entreprises dans ce domaine.

i) Il a également été suggéré que lTJnesc0 organise un forum international pour étudier les problèmes concernant le droit des groupes et communautés ethniques à faire connaître leurs points de vue.

i) Des études doivent être faites sur l’influence qu’exer- cent le processus de prise de décision, les valeurs culturelles et les croyances, notamment en chargeant les responsables des industries de la communication de poursuivre les recherches sur cette question.

ASPECTS JURIDIQUES ET ECONOMIQUES

A. RECHERCHE D’UNE DEFINITION Le second groupe de travail, qui s’était consacré aux aspects juridiques et économiques du droit à la communication, a estimé qu’il devenait urgent de donner de ce droit une défi- nition correcte et que cette définition devrait comprendre les éléments suivants.

Le droit à la communication est un droit individuel aussi bien qu’un droit social essentiel à l’épanouissement de la personne humaine et de la collectivité. Il est donc l’un des droits fondamentaux de l’homme et doit à ce titre être inclus dans le texte de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Il se situe à la fois au niveau national et au niveau international.

Il implique des devoirs et des obligations pour l’individu, le groupe et la nation.

Il présuppose l’allocation de ressources appropriées, à tous les niveaux.

Les nations, en tant qu’entités souveraines, jouissent du droit à la communication, ce qui signifie qu’il doit exister

un courant bilatéral dans leurs relations internationales. Le droit à la communication doit être placé SUT le même

plan que les autres droits dont jouissent les Etats souve- rains : le droit à l’autodétermination, à l’indépendance, à I’égalité et à la propriété.

1. La nécessité d’inscrire et de garantir le respect du droit à la communication dans le droit international est une nécessité impérieuse étant donné le grave déséquilibre qui existe aujourd’hui dans ce domaine et qui privilégie exclusivement les pays de haute technologie. La défini- tion de ce droit constituera le cadre futur d’un nouvel ordre mondial de l’information.

2. Le fait que les médias sont “transnationaux” par essence et supranationaux par leur rayon d’action soulève des problèmes d’interférence au niveau international, mais l’exercice du droit à la communication devrait être fondamentalement compatible avec l’exercice de la souveraineté des autres Etats.

3. L’exercice du droit à la communication comporte des devoirs et des obligations de réciprocité, de respect et de tolérance mutuels. Ce droit et les obligations qu’il implique valent pour tous les partenaires qui intervien- nent dans le processus à tous les niveaux.

4. Le droit à la communication devrait tenir compte des facteurs sociaux, culturels, économiques et du milieu dans les différentes sociétés concernées.

5. Les décisions d’ordre technologique qui impliquent l’exercice du droit à la communication et qui ont des conséquences sociales, culturelles et politiques impor- tantes ne devraient pas s’inspirer uniquement de consi- dérations techniques ou économiques. Dans le domaine de la coopération internationale, les gouvernements devraient donner aux techniciens les directives politiques appropriées.

B. PROPOSITIONS ET RECOMMANDATIONS

Sur le plan juridique

1. Au niveau national, adopter en matière de communi- cation une législation et des orientations politiques qui permettent à tous ceux qui sont concernés d’exercer effectivement le droit à la communication.

2. Créer des organismes nationaux, régionaux et internatio- naux chargés de planifier le développement de la com- munication, d’exercer un contrôle et de statuer sur les questions découlant de l’application du droit à la com- munication, cette activité faisant partie intégrante du processus de la communication.

3. Elaborer des codes de déontologie à des différents niveaux afin de promouvoir et d’encourager l’exercice du droit à la communication et de faciliter l’arbitrage en cas de différends.

Sur le plan économique

Au niveau national :

1. Pour les gouvernements, considérer comme prioritaires les investissements portant sur les infrastructures de la communication.

2. Appeler l’attention des gouvernements sur les effets restrictifs qu’ont certaines taxes ou certains tarifs nationaux sur le droit à la communication. Lorsqu’ils se fondent uniquement sur des considérations finan- cières, ces taxes et tarifs font obstacle à la communica- tion, et en dernière analyse à l’expression de l’identité locale et nationale. Entreprendre une étude comparative sur cette question.

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3. Les conseils chargés du développement de la commu- nication devraient prendre en considération non seule- ment la planification des médias de masse, comme cela s’est fait dans le passe, mais aussi les modes traditionnels de la communication ainsi que les possibilités offertes par les médias de groupe (presse rurale, stations de radio locales, etc.) pour l’exercice du droit à la communication. Evaluer le coût du fonctionnement des médias de groupe et leur efficacité.

4. L’exercice du droit à la communication est pour un pays un processus continu qui s’inscrit donc nécessaire- ment dans une perspective à long terme. Les prévisions concernant l’allocation des ressources doivent par conséquent se faire sur une base également à long terme.

Au niveau international :

1. Pour parvenir à l’équilibre Nord-Sud, dégager des res- sources grâce à une nouvelle répartition des fréquences. Pour améliorer encore cet équilibre, faire en sorte que les nations à faible niveau technologique aient davantage de possibilités de se doter d’équipements de communica- tion adéquats.

2. Revoir les tarifs internationaux qui ne tiennent pas compte des valeurs politiques, sociales et culturelles et constituent par conséquent un obstacle à l’excercice du droit d’un pays à la communication.

3. Inviter les pays développés à modifier leur optique de la communication à l’égard des pays du tiers monde, et à abandonner une politique généralement axée sur la “surcommercialisation” au profit d’une politique plus réaliste et mieux adaptée.

4. Dans certains cas, la législation et les accords sur les droits d’auteur peuvent faire obstacle à l’exercice du droit à la communication. Procéder à une étude ap- profondie de cette question.

5. L’informatique, cette technologie qui se généralise aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, comme le montre le développement rapide des banques de données, pose des problèmes très sérieux en ce qui concerne la vie publique et privée des individus, et les activités officielles ou non des groupes et des nations. Se préoccuper de façon prioritaire des influences bonnes ou mauvaises que l’informatique peut avoir sur le droit à la communication et faire en sorte que l’étude de cette question débouche sur les orien- tations politiques et des réglementations appropriées.

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Introduction

Appendice C

Réunion du groupe d’étude sur le droit à la communication

(Londres, mars 1980)

Rapport final

En coopération avec l’Institut international des communica- tions, 1’Unesco a convoqué à Londres, du 3 au 5 mars 1980, un Groupe d’étude sur le droit à la communication. Le Groupe a tenu six séances avant de rédiger un rapport qui a été soumis à lTJnesc0.

Lors de sa séance d’ouverture, le Groupe a approuvé à l’unanimité la proposition visant à confier à Mme Jadwiga Pasteka le soin d’assurer la présidence.

Le représentant de l’Unesco, M. Lakshmana Bao, a brosse un tableau des activités de l’llnesco concernant le droit à la communication avant d’indiquer l’objet de la réunion du Groupe d’étude. Ce dernier était chargé d’ap- précier le chemin parcouru sur la voie d’une meilleure compréhension du concept, d’examiner les rapports des réunions d’experts organisées sous les auspices de l’unesco à Stockholm (en 1978) et à Manille (1979), et de déterminer enfin les domaines qui devront faire l’objet de travaux ultérieurs en la matière. On attendait du Groupe qu’il “dresse une liste succincte d’activités (et spécialement d’études) dont pourrait s’inspirer 1’Unesco et d’autres organisations spécialisées intéressées lors de l’élaboration de leurs programmes futurs dans ce domaine”1

Comme base de ses travaux, le Groupe a mis en lumière la nécessité d’adopter une démarche et un cadre de caractère prospectif, apte à répondre aux besoins des différents pays et de la communauté internationale non seulement aujour- d’hui mais aussi dans les années à venir. Prévoir est toujours une entreprise difficile et aléatoire ;-cependant, les membres du Groupe se sont accordés à penser que les individus et les sociétés devront connaître dans les années à venir une interdépendance de plus en plus étroite à tous les égards : interdépendance croissante des pays, des problèmes et des politiques et des mesures nationales et internationales.

Le Groupe est parti de l’idée selon laquelle la communi- cation est une activité fondamentale de l’homme : “Commu- nication est synonyme de communauté ; sans communica- tion, il ne saurait y avoir de société organisée et viable.”

C’est pourquoi le Groupe a estimé que la notion de droit à la communication appelait une étude plus approfondie destinée à favoriser sa promotion et son incorporation aux politiques et aux législations relatives à la communication.

Le Groupe a également été d’avis que l’analyse de la notion de droit à la communication devrait viser à établir une description complète et un cadre conceptuel qui faci- litent l’acceptation générale de ce droit. En guise de première mesure dans cette voie, le Groupe, à ce stade, a considéré le droit à la communication comme une “notion cadre” qui tout à la fois recouvre et transcende les concepts tradition- nels appliqués à tout ce qui touche à la communication et à I’information.

Origines du droit à la communication

Il se peut que le droit à la communication ne soit pas un droit entièrement nouveau, mais il devra l’être dans ses fondements s’il veut relever le défi du monde contemporain.

Des raisons évidentes expliquent l’apparition et le développement de la nouvelle notion de communication, du nouveau droit à la communication dans la société ainsi que dans les relations internationales. On trouve tout d’abord le formidable progrès de la science et de la techno- logie de la communication, qui touche toutes les régions du globe. EnsuiIe, la prise de conscience croissante du rôle de la communication dans la société et de son dévelop- pement ainsi que de la nécessité d’une politique de la com- munication cohérente et intégrée. Puis le fait que l’on a de plus en plus conscience de l’interdépendance des sociétés, des nations et des cultures. Enfin le réveil du tiers monde, qui suscite de nouvelles revendications pour un ordre international plus juste et plus équitable, non seulement dans le domaine économique, mais aussi dans les domaines des relations sociales, de la culture, de l’éducation et de I’information.

On s’accorde à penser aujourd’hui, semble-t-il, surtout dans les milieux qui s’y intéressent, que le nouveau droit à la communication se doit avant tout de souligner l’égalité de tous les partenaires dans le processus de communication, sur le plan national comme à l’échelon international, qu’il doit incorporer les divers flux multiculturels de l’informa- tion, et qu’il doit embrasser non seulement le droit à être informé mais aussi le droit à informer, de façon à assurer au mieux I’information en retour, la participation, l’accès et Y‘autogestion”.

Le Groupe a ensuite axé ses travaux autour des trois grandes questions suivantes :

A - Pourquoi a-t-on revendiqué le droit à la commu- nication ?

B - Que doit-on entendre par droit à la communication ? C - Comment doit-on développer le droit à la commu-

nication ?

A. Le pourquoi du droit à la communication

Pour atteindre l’objectif vise qui est de faire accepter le droit à la communication en tant que nouvelle règle, il y a lieu d’expliquer clairement les raisons de l’apparition de cette notion et de répondre à la question de savoir pourquoi

‘ce nouveau concept devrait retenir l’attention de la commu- nauté internationale et des gouvernements nationaux et appeler des mesures de leur part.

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Pourquoi le droit à la communication? Le Groupe s’est efforcé de répondre à cette question en examinant les trois points suivants : l’incidence de l’évolution sociale et techno- logique sur la situation de la communication ; l’inefficacité constatée des concepts traditionnels ; et la nécessité de nouveaux concepts qui répondent aux préoccupations et et aux situations actuelles.

1. Incidences des changements sur la situation de la com- munication. Le droit à la communication doit être placé dans le cadre de la lutte pour plus de démocratie et de liberté en matière de communication comme dans d’autres secteurs. Les changements qui interviennent actuellement dans le domaine de la communication ap- pellent un développement correspondant de notions, de politiques et de législations qui reflètent mieux la situation actuelle et qui soient ouvertes sur I’avenir. A cet égard, il y a heu tout particulièrement de tenir compte des considérations suivantes :

(i) Les effets du progrès technologique qui se sont traduits par des profonds changements dans l’ordre actuel de la.communication et par l’introduction de nouveaux systèmes et de nouveaux services. Cette évolution a conduit non seulement à un accrois- sement quantitatif mais aussi à un changement qualitatif des modes de communication sociale ; elle touche par conséquent l’organisation et la conduite des activités dans tous les domaines de la vie, qu’il s’agisse du travail ou des loisirs. C’est ainsi qu’on a tendance à passer d’une pénurie à une abondance potentielle de moyens, ce qui a d’importantes conséquences sur l’organisation et l’utilisation des systèmes de communication.

(ii) Associé au changement social, le progrès techno- logique a profondément modifié les structures de la communication. Les modes de communication interpersonnelle ont été complétés et influences par des modes successifs de “communication de masse” ; les techniques actuelles offrent une plus grande souplesse et un plus grand choix d’utilisa- tions, en particulier au niveau du groupe et de l’individu.

(iii) En même temps, l’attitude à l’égard de tout ce qui touche à la communication et à l’information a connu de profondes modifications; la communi- cation est maintenant reconnue comme un proces- sus social fondamental : sans communication, il ne peut y avoir de communauté viable.

(iv) L’évolution des attitudes à l’égard de la communi- cation et de ses structures n’est pas sans rapport avec d’autres grandes transformations sociales : la montée de la démocratie, la diffusion croissante du pouvoir politique et économique et les revendi- cations en faveur d’une plus grande participation du public, transformations que doivent traduire les nouveaux concepts relatifs à la communication.

(v) De façon analogue, les concepts de base utilisés dans le domaine de la communication doivent prendre en considération la transformation des relations internationales amorcée avec le mouvement de décolonisation.

(vi) Dans cette perspective, les notions et les règles en vigueur dans le domaine de la communication devraient aussi répondre au réveil du tiers monde ainsi qu’aux récents développements et aspirations exprimés dans le cadre de l’instauration du nouvel ordre économique international ainsi qu’aux revendi-

cations en faveur d’un nouvel ordre mondial de la communication.

2. L’inefficacité constatée des concepts traditionnels :

(i) Les facteurs indiqués plus haut ont modifié dans les milieux spécialisés les concepts traditionnels tels que la liberté de l’information, la liberté d’opinion et d’expression, la libre circulation de l’information, etc. qui ont été dépassés par les événements. Ces concepts, de même que les règles qui s’y rattachent, sont antérieurs à la révolution de la communication et à la transformation de l’ordre international.

(ii) Dans leur application, ces concepts ne se sont pas révélés capables d’assurer à la circulation de l’infor- mation l’équité et l’équilibre souhaitables du point de vue social ; au contraire, on admet généralement que la situation actuelle est marquée par de graves déséquilibres sur les plans national et international.

(iii) En conséquence, ces notions traditionnelles telles que la libre circulation de l’information sont de- venues des sujets de controverse et d’affrontement, ce qui a réduit sensiblement leur utilité.

3. La nécessité de nouveaux concepts. Il y a lieu d’élaborer de nouveaux concepts capables d’embrasser et de trans- cender les concepts actuels, que ces concepts prétendent à une consécration universelle ou qu’ils ne soient acceptés que partiellement. Cette disposition a été exprimée dans les travaux en cours concernant le droit à la communi- cation, qui correspondent aux préoccupations et aux orientations souhaitées suivantes :

(i) Il est nécessaire de préciser, d’élargir et de développer les notions traditionnelles comme la “liberté de l’information” afin de dépasser la forme des grands organes d’information et de renforcer la tendance à la démocratisation et à la participation du public.

(ii) La prise de conscience croissante du rôle fondamen- tal de la communication dans la société et de son développement a conduit à la consécration de la nécessité de notions plus générales comme le droit à la communication, qui peuvent être étroitement liées à l’élaboration de politiques conscientes et cohérentes en matière de communication.

(iii) La notion du droit à la communication transcende les notions traditionnelles en ce sens qu’elle s’articule autour du caractère central de l’homme et des dimensions globales de la société ; la grande place accordée à l’individu correspond aussi à la volonté d’aller au-delà d’une approche orientée vers les grands organes d’information.

(iv) La notion de droit à la communication peut aussi être étroitement liée aux aspirations relatives à l’instauration d’un nouvel ordre international de l’information.

(v) Le droit à la communication est conforme au caractère changeant de l’ordre de la communication et de l’information. Ce caractère dynamyque est reflété par le fait que I’accent est mis sur le proces- sus, ce qui écarte toute possibilité de lui attribuer un caractère statique.

B. Qu’est-ce que le droit à la communication?

Le Groupe s’est ensuite efforce de répondre aux questions suivantes : qu’entend-on par droit à la communication, que doit recouvrir cette notion et quelles limites doiton éventuellement lui futer ?

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Ayant estimé que l’analyse des droits à la communication n’a pas encore atteint le stade qui permettrait à cette notion de faire l’objet d’une acceptation générale, le Groupe a décidé que la meilleure marche à suivre consisterait à indiquer certains des principaux éléments qui pourraient faciliter les travaux ultérieurs qu’il y a heu d’entreprendre en la matière. A cet effet, le Groupe a souligné le caractère primordial des éléments ci-après :

(i) Le droit à la communication doit tout d’abord apparaître comme une notion dynamique et souple pouvant convenir à toute une gamme de situations et de besoins socio-économiques ainsi qu’aux systèmes, moyens et services de la communication nouveaux et à venir. Il ne peut donc pas être hé à telle ou telle structure socioéconomique ou niveau de dévelop- pement technologique. Il doit s’agir d’une notion universelle.

(ii) Le droit à la communication devrait reposer sur une notion positive et large ainsi que sur l’idée, dûment reconnue, que la communication intéresse tous les domaines de la vie.

(iii) Le droit à la communication devrait tenir compte de la diversité des flux de l’information dans la so- ciété et de l’objet social de ceux-ci.

(iv) La notion de droit à la communication est donc censée exprimer des valeurs sociales positives dont la plus importante concerne la recherche de meil- leures conditions sur les plans de la démocratie, de la participation et de l’accès du public, de l’éga- lité et de l’autogestion.

(v) En particulier, le droit à la communication devrait consacrer le rapport entre la communication et le développement, ainsi que le rôle que joue la com- munication en axant le développement sur la pleine réalisation des possibilités de l’homme et la promo- tion de la participation de la population à l’œuvre de développement.

(vi) Le droit a la communication doit mettre en relief le caractère réciproque du processus de la com- munication, de même que la nécessité d’assurer à celui-ci des structures non seulement verticales mais aussi horizontales.

(vii) La meilleure image du droit à la communication est celle d’une combinaison des droits qui ont été consacrés sous diverses formes sur le plan interna- tional, comme le droit à vivre en paix, le droit à la culture et à l’éducation, le droit au développement. Plus précisément, le droit à la communication devrait également reconnaître et englober les droits traditionnels en matière d“‘information”, tel que le droit de donner et de recevoir des informations ainsi que le droit à la vie privée.

(viii) Le droit à la communication devrait également être conçu de façon à prendre en considération les différents niveaux de la communication; en tant que première étape dans cette voie, le Groupe a propose de considérer les niveaux suivants : - l’individu, - les divers groupes sociaux, - les institutions et les organismes sociaux des

secteurs privé et public, - la nation, - la religion, - et, enfin, l’échelon international.

(ix) Pris dans son ensemble, le droit à la communication renferme aussi les notions de devoirs et de respon-

sabilités. Non seulement les droits à inclure mais aussi les devoirs et responsabilités correspondants doivent faire l’objet d’une analyse approfondie sous l’angle des divers niveaux auxquels le concept s’appliquerait.

(x) L’étude du droit à la communication doit s’inscrire dans le cadre du droit international et des instru- ments internationaux ainsi que des conventions, pactes, etc.

Comment développer et promouvoir la notion de droit à la communication?

Après s’être interrogé sur les raisons et sur le contenu du droit à la communication, le Groupe s’est posé la question de savoir comment la notion de droit à la communication devrait être développée, comment elle devrait être exprimée et quelques actions complémentaires pourraient être recom- mandées à cet égard.

Généralités

(i) Ayant opté pour l’expression “droit à la communi- cation” par souci de commodité, le Groupe a insisté sur le fait que ce choix ne saurait impliquer une prise de position quant à la façon dont cette notion devrait être exprimée. Vu la nécessité d’assurer l’application de cette notion dans divers contextes socio-économiques, le droit à la communication ne devrait pas être considéré sous le seul angle des dispositions juridiques possibles. Bien au contraire, de par sa richesse et sa portée, le concept devrait revêtir selon toute vraisemblance un grand nombre de formes différentes, parmi lesquelles : - les directives ou des orientations de politique

générale, - des programmes sociaux, - des plans et des projets de développement, - des dispositions juridiques. L’analyse des meilleures formes d’expression des différents aspects du concept devrait se faire en relation à la fois avec les diverses situations socio- économiques et culturelles et les différents niveaux d’application.

(ii) Le Groupe a également estimé que les travaux destinés à développer et à promouvoir la notion de droit à la communication devraient apparaître comme un processus évolutif à long terme. A l’instar d’autres grandes questions d’actualité inter- nationale (comme le droit de la mer) dont l’étude est conditionnée par les nouvelles connaissances scientifiques et sociales et I’évolution technologique rapide, les études relatives à l’élaboration du droit à la communication pourraient bien être considérées comme une forme d’activité éducative, faisant appel non seulement aux organisations internationales et aux autorités nationales mais aussi aux ressources intellectuelles des universités et des autres institu- tions de recherche dans toutes les parties du monde.

Propositions spécifiques

Le Groupe à étudié toute une série de propositions concer- nant les mesures complémentaires à prendre.

58

(i) Le Groupe a estimé qu’il serait utile d’encourager la Conférence générale de I’Unesco de 1980 à adopter une résolution qui a) recommanderait que soit consacré le droit à la communication et b) recom- manderait des mesures complémentaires.

(ii) Le Groupe a recommandé que des mesures complé- mentaires soient prises selon des modalités appro- priées aux fins des activités suivantes : - description exhaustive du droit à la commu-

nication ; - étude approfondie du rapport entre le droit à la

communication et les autres droits reconnus dans ce domaine ;

- analyse du lien entre le droit à la communication et la notion de Libre circulation ;

- étude du rapport entre le droit à la communica- tion et le nouvel ordre international de l’infor- mation ;

- étude de l’incidence du droit à la communication sur le développement socioculturel ;

- étude de la corrélation entre le droit à la commu- nication et le nouvel ordre économique ;

publication par l’unesco d’un ouvrage sur l’état actuel de la compréhension du droit à la commu- nication et ses incidences pour l’avenir.

Conclusion

Enfin, le Groupe a estimé son souhait unanime d’inviter le Directeur général de 1’Unesco à intensifier l’action menée par l’Organisation pour élargir la compréhension de la notion de droit à la communication, en encourageant une étude approfondie des incidences économiques, sociales et culturelles de l’adoption de ce droit par la communauté internationale.

Le Groupe a également estimé que tous les Etats membres de 1’Unesco devraient être invités à procéder à un examen critique de leurs systèmes de communication et à étudier la possibilité d’introduire la notion de droit à la communi- cation dans leurs politiques de la communication.

59

Appendice D

Droit à la communication Groupe de travail

(Ottawa, 11 et 12 septembre 1980)

A l’occasion de la Conférence annuelle de l’Institut inter- national de communications (IIC), un Groupe de travail a tenu deux séances sur le droit à la communication, les 11 et 12 septembre 1980, en coopération avec l’unesco.

Parmi les documents dont était saisie la réunion figuraient notamment le rapport du Groupe d’étude de Wnesco, qui s’était réuni à Londres en mai 1980, une étude établie par M. Desmond Fisher à l’intention de 1’Unescc et intitulée “The Right to Communicate: A concept in search of a definition”, et un document de travail de I’IIC.

La réunion a permis aux participants de procéder à un large échange de vues sur les activités passées, la situation présente et l’orientation des travaux futurs. On trouvera ci-après un résumé des principaux points de la discussion.

1. Au cours des dernières années, l’étude des droits de l’homme a connu un nouvel élan. Cette tendance s’est traduite par la mise au point de nouveaux concepts dans le domaine des droits de l’homme, l’un des premiers ayant été celui du droit à la communication. Le Groupe de travail a cependant exprimé sa conviction que le droit à la communication ne devrait pas être noyé dans d’autres notions nouvelles qui ont été avancées dans ce domaine, telles que le “droit à la solidarité”. Le droit à la communication devrait être considéré, à l’avenir, comme un concept autonome, connu pour promouvoir la formulation des droits spécifiquement afférents à la communication et à I’information.

Ce renouveau d’intérêt pour la notion de droit à la communication s’est manifesté dans un certain nombre d’instances. La notion a été évoquée lors des conférences intergouvernementales de 1’Unesco sur les politiques de la communication ; le rapport de la Commission MacBride s’y réfère expressément et elle a manifestement inspiré en grande partie les délibérations de la Conférence de 1’IIC à Ottawa.

2. Dans le document qu’il a établi, Desmond Fisher a rap- pelé brièvement l’origine et l’évolution de cette notion, ainsi que l’action menée jusqu’à présent dans ce domaine. Il ressort également de ce document que des lacunes restent à combler dans l’analyse des incidences de cette notion sur les politiques et la planification. Il faut donc poursuivre les travaux, surtout en ce qui concerne les aspects technologique et économique.

3. Les participants ont admis que l’une des difficultés majeures était l’absence d’accord sur la définition de notions aussi fondamentales que celles de la “communi- cation” et de l“‘information”.

Toutefois, étant donné qu’il y avait accord sur certains principes de base du droit à la communication, le Groupe de travail a décidé de s’efforcer d’élaborer une nouvelle définition, en l’améliorant par rapport aux

précédentes tentatives, notamment celles faites aux réunions antérieures de I’IIC. Il a été convenu que l’on avait besoin d’une définition à la fois brève et nette propre à servir de point de départ aux travaux futurs et de référence aux responsables des politiques.

Après un débat prolongé, le Groupe de travail est convenu de la formule suivante :

“Tout le monde a le droit de communiquer. La commu- nication est un processus social fondamental qui permet aux individus et aux collectivités d’échanger des infor- mations et des opinions. C’est un besoin fondamental de l’homme et la base de toute organisation sociale. Le droit à la communication appartient aux individus et aux communautés dont ils font partie.”

Il a également été convenu que cette définition serait transmise à un certain nombre d’experts intéressés, afin qu’ils formulent des observations à son sujet.

4. Le Groupe de travail a, par ailleurs, examiné les rapports entre les nouvelles technologies de la communication et le droit à la communication ainsi que l’incidence de ces technologies sur le plan social et économique.

D’une façon générale, on s’est accordé à reconnaître que les nouvelles technologies de la communication, de par leur potentiel, sont de nature à donner au droit à la communication une plus grande portée, pour ce qui est de l’accès, de la participation et de la communi- cation à double sens. Toutefois, il y aurait lieu de faire preuve d’une grande prudence dans l’application de ces technologies et services nouveaux à des contextes socioéconomiques et culturels différents. Le choix et le transfert de la technologie devraient s’opérer en fonction des besoins déterminés de l’individu et de la collectivité.

Dans la conception des systèmes et services de com- municaton, il faudrait tenir compte des schémas de communication rendus possibles par l’application des nouvelles technologies. Il importerait donc au plus haut point d’envisager les incidences du droit à la com- munication des le stade de la conception et d’associer des concepteurs de systèmes à l’analyse du droit à la communication et de ses répercussions.

5. L’introduction de techniques nouvelles a permis de nouveaux services et de nouvelles utilisations qui tendent à estomper les distinctions traditionnelles entre les

catégories de services et, par voie de conséquence, entre les structures institutionnelles et juridiques fondées sur ces catégories. En particulier, on a soulevé la question de la distinction classique entre les services de télécommuni- cation de point à point et les services de radiodiffusion, ou, d’une façon plus générale, entre les services avec et sans destinataire. Cette évolution est l’une des raisons principales pour lesquelles s’est fait ressentir le besoin

60

d’un nouveau concept tel que celui du droit à la com- munication, qui soit mieux adapté à la situation actuelle que les concepts traditionnels fondés principalement sur des considérations relatives à la presse.

4

Il a été également admis qu’indépendamment de la démarche conceptuelle adoptée, la mise en pratique du droit à la communication impliquait le recours à un moyen de communication et que chaque moyen com- portait une résistance et des distorsions qui lui sont propres.

b)

La réflexion sur les aspects philosophiques et concep- tuels est certes importante pour progresser dans l’analyse du concept du droit à la communication et dans son acceptation, mais elle doit aller de pair avec une étude pratique et concrète des aspects technologiques et

4 /

économiques. Il faudrait également envisager les mesures à prendre

pour que le droit à la communication soit plus largement reconnu à l’échelle internationale et intergouvernemen- tale. Si l’accord s’est fait quant au but ultime, à savoir que le concept du droit à la communication devrait être codifié dans un texte juridique international, il reste encore à préciser les délais d’exécution, l’organisme responsable et les modalités des travaux préparatoires.

6. En ce qui concerne les activités futures, les suggestions ci-après ont été formulées :

Le Groupe de travail a accueilli favorablement l’idée d’une publication de 1’Unesco sur le droit à la com- munication. II a formulé l’espoir qu’elle comprendrait des éléments nouveaux qui seraient de nature à aider les responsables des politiques et les planificateurs à mettre en application le droit à la communication.

Pour ce qui est des études à entreprendre à l’avenir, le Groupe de travail a estimé qu’elles devraient porter en priorité sur les incidences technologiques et économiques du droit à la communication. L’IIC et, à titre individuel, les membres concernés, sont prêts à coopérer avec 1’Unesco à ces projets.

L’Institut continuera à agir par l’intermédiaire d’un groupe de travail compose de ceux de ses membres qui se sont activement intéresses à la question. Les participants ont recommandé que le Professeur Stan Harms assume les fonctions de coordonnateur du groupe, qui se réunira à l’occasion de la Confé- rence annuelle de l’IIC en 1981 ; dans l’intervalle, le groupe travaillera par correspondance. Il aura notamment pour tâche de poursuivre l’examen des aspects conceptuels compte tenu de la nouvelle définition suggérée à la réunion d’Ottawa, et d’étudier les incidences technologiques et économiques du droit à la communication.

61

PUBLICATIONS DE L’UNESCO : AGENTS GÉNÉRAUX

Albanie Algérie

Allemagne (RCp. féd.)

Antilles françaises

Argentine Autriche Belgique

Benin Brésil

Bulgarie Canada

C&e-d’ivoire Danemark

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États-Unis d’Am&ique Finlande

France Gh”” Gréce

GuinCe Haïti

Haute-Volta Hongrie

Inde

Indonésie

Irak Ira”

Irlande Israel Italie

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Luxembourg Madagascar

Mali Ma*“c

Maurice Mauritanie

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Niger Norvége

Pays-Bas

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Portugal Rép. arabe syrienne

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Roumanie Royaume-Uni

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URSS Yougoslavie

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N. Sh. Botimcve Naim Frashcri, Ttttuu. Institut p.&dagogique national, I 1, rue Ali-Haddad (ex-rue Za&cha), A~oen. So&t& nationale d’édition et de diffizsion (SNED), 3, bd Zirout-Youcef, A~oen; Office des publications univenitaires (OPU), 1% rue Abou-Nouas, Hydra, ALOER. S. Karger GmbH, Karger Buchhandhmg, Angerhofstr. 9. Postfach 2, D-8034 GERM~IUN”/MÜNCHEN. « Le Cou&r», &&dilion allcmandc, onglnisc, rrpagnolc cl française : M. Herbert Baum, Deutscher Unesco-Kurier Vertricb, Besalstrasse 57, 5300 BONN 3. Pour Ier cartes scienlifiqucr sculctncnl : Geo Center, Postfach 800830, 7”“” SlTrrTOART, 8”. Librairie « Au Boul’Mich », I, rue Perrinon. et 66, avenue du Parquet, 972”” FORT-DE-FRANCE (Martinique) ; Librairie Carnot, 59, rue Barbk, 97100 Por~~e-~-Pt~ns (Guadeloupe). Libre& El Correo de la Unesco, Edilyr, S.R.L., Tucumin 1685, 105” BUENOS Ames. Buchhandlung Gerold and CO., Graben 31, A-101 r WIEN. Jean De Lannoy, ~“a, avenue du Roi, 1060 BRUXELLES, CCP 0w-0070823-13. Librairie nationale, B. P. 194. PORTO Nov”. Fundaçao Getilio Vargas, Serviço de Publicaçoes, caixa postal g.o5a-ZC-oa, Praia de Botafogo 188, RIO DE JANEIRO (GB). Hemus, Kantora Literatura, bd. Rousky 6, SO~~JA. Éditions Renout” Limitée, 1182, rue Sainte-Catherine-Ouest, MONTRÉAL, Que. H3H lM7. « MAM », Archbishop Makarios 3rd Avenue, P.O. Box I 722, NICOSIA. Librairie populaire, B. P. 577, BRAZZAVILLE; Librairies populaires B POINTE-NOIRE, Lot~s”~“, NKAYI. MAKABANA, OWEND”, olmss” et IYPPONDO; Commission nationale congolaise pour PUnesco, B. P. 493.

Librairie des Presses de l’Unesco, Commission nationale ivoirienne I ->“UT I’Unesco, B. P. 2871, ABIDJAN. Munksgaard Expert and Subscription Service, 35 Nerre Segade, DK 137” KBBENHAVN K. Unesco Publications Center, I Talaat Harb Street, Cama. Mundi-Prensa Libres S.A., apartado 1213, CastellO 37, MA”RI”-r ; Ediciones Liber, apartado 17, Madgalena 8, O~orinnoa (Vizcaya); Donaire, Ronda de Outeiro 20, apartado de correos 341. LA CORUAA; Libreria Al-Andalu. Roldana t y 3. SEVILLA 4; Libre& Castells. Ronda Universidad, 13, BARCELONA 7. Unipub, 345 Park Avenue South, New YORK, N.Y. I”“I”. Akateeminen Kiriakauooa. Keskuskatu. I. ““1”” KESINKI 1”. Suomalainen Kirjakauppa OY, Koivu- vaarankuja 1, 01640 V&~A 64. Librairie de l’unesco, 7. place de Fontenay. 757”” Paris; CCP Paris I 2598-48. Librairies Sogalivre & LIBREVILLE, PORT-GENTIL et FRANCEVILLE. Grandes librairies d’Ath&nes (Eleftheroudakis, Kauffinan, etc.). Commission nationale guinbenne pour I’Unesco, B. P. 964, CONAKRY. Librairie A la Caravelle, 26, rue Roux, B. P. 1 I I, PORT-AU-PRINCE. Librairie Attie, B. P. 64, Ou~“~ouoou; Librairie catholique « Jeunesse d’Afrique », Ouaoa~o”oou. Akad&niai Konyvesbolt, Vdci U. 22, BUDAPEST V. A.K.V. Konyvtarosok Boltja, N&pk8ztBrsasag utja 16, BUDAPEST VI. Orient Longman Ltd. : Kamani Marg, Ballard Estate, BOMBA~ 400038; 17 Chittaranjan Avenue, CALCUTTA 13; 36” Anna Salai, Mount Road, MADRAS 1; 5-g-41/1 Bashir Bagh, H~o~~~~~-500001 (AP) ; 80/1 Mahatma Gandhi Road, BAN”AL~~~-560001; 3-5-820 Hyderguda, HY”ERA~AD-500001. Sots-d&bts : Oxford Book and Stationery CO., 17 Park Street. Calcutta 700016; Scindia House, New’ nr>l.m 110001: Publications Section. Ministrv of Education and Culture, Ex. AF0 Hutments, Dr. Rajendra, Prasad Road, New Deun ~,“ooI: . Bhratara Publishers and Booksellers, 2g Jl. Oto Iskandardinata III, JAMRTA. Gramedia Bookshop, Jl. Gadjah Mada log, J~KARTA. Indira P.T., Jl. Dr. Sam Ratulangi 37, JAKARTA Posa~. McKenzie’s Bookshop. Al-Rashid Street, BAOHDAD. Commission nationale iranienne pour I’Unesco, avenue Iranchahr Chomali no 300, B. P. 1533, TEHERAN. Kharazmie Publishine and Distribution CO.. 28 Vessal Shirazi Strect, Enghe’lab Avenue, P. 0. Box 31411486, TéHÉRAN. The Educational Company of Ireland Ltd., Ballymount Road, Walkinstown, DUBLIN II. A.B.C. Bookstore Ltd., P. 0. Box 1283, 71 Allenby Road, TEL Avm 61000. Licosa (Libreria Commissionaria Sansoni S.P.A.). via Lamarmora 45, casella postale 552. ~“121 FI~~N~E. Agency for Development of Publication and Distribution, P. 0. Box 34-35, TRIPOLI. Eastern Book Service Inc., 37-3 Hongo 3-chome, Bunkyo-ku, TOKYO I 13. Jordan Distribution Agency, P. 0. B. 375. AMMAN. Librairies Antoine A. Naufal et Freres, B. P. 656, BEYROUTH. Librairie Paul-Bruck, PP, Grand-Rue, Luxeu~ouno. Commission nationale de la République démocratique de Madagascar pour I’Unesc”, B. P. 331, Awr~~a~anwo. Librairie populaire du Mali, B. P. 28, BAMAKO. T~urcs les publications : Librairie « Aux Belles Images », 281,, avenue Mohammed-V. Rasa~ (CCP 68-74).

« Lc Courrier » sculmsnt (pour 1~s rnscignnnls) : Commission nationale marocaine pour l’éducation. la science et la culture, 19, rue Oqba, B. P. 420, AODAL-RABAT (CCP 324-45) ; Librairie des Écoles, 12, avenue Hassan-II, CAW.BLANC.4. Nalanda CO. Ltd., 3” Bourbon Street, PORT-LOUIS. Gralicoma, I, rue du Souk X, avenue Kennedy, NOUAKCHOTT. British Library, 3”. boulevard des Moulins, MONTE-CARLO. Institut” National do Livra e do Disco (INLD), avenida 24 de Julho ~!X?E, r/c e 1.0 andar, MAPUTO. Librairie Mauclert, B. P. 868, NIAMEY. Tooulcr Ier publicnlionr : Johan Grundt Tanum, Karl Johans gate 41-43, OSLO r.

Universitets Bokhandelen, Universitetszentret, P.O. Box 307, BLINDEUN OSLO 3. Keesinrr Boeken B.V.. Postbus 1118, 1”“” BC A~srenoaa<; Dekker and Nordemann NV, P. 0. Box 197, IOOO AD Abwr~noaat. Ars Polona-Ruth, Krakowskie Przedmiescie 7. 00-068 W~~szaiua. ORPAN-Import, Palac Kultury, “O-go1 WaRszAw.4. Dias & Andrade Ltda., Livra& Portugal, rua do Carme 70, LISBOA. Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement, B. P. 704, D.uas. Librairif es internationales ou Buchhaus Leipzig, Postfach 14”. 7”r Lewzr”. Le secrétaire général de la Commission nationale de la Rkpublique-Unie du Cameroun pour 1’Unesco. B. P. r600, Y*““rroÉ: Librairie des éditions Clé. B. P. 15”~. YAOUNDÉ: Librairie Saint-Paul. B. P. 761. Y~ou~oé: Librairie Aux Messageries, avenue de la Liber&, B. P. 5921, DOUALA; Libr&e Aux’Fares Rbunis; B. P. 53 ,46, DOUALA. Ilexim, H. M. Statjonery ôffic

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[B] CC/82/XVIII/94 F

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ISBN 92-3-201991-4