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NOBLESSE PROVENÇALE ET MARINE AU XVIIIe SIECLE Monsieur de Lyle-Taulanne, capitaine de vaisseau retiré avec brevet de chef d'escadre, écrivait en 1780 dans son château de Taulanne 1 : «En 1731, mon père demanda pour moi à M. le cardinal de Fleury, 1'" ministre du royaume une lettre de Garde de la marine au département de Toulon. Il en eut une réponse favorable. Je me destinais à servir le roi et l'état sur la mer. Dès le mois de novembre 1731 je fus à Toulon accompagné d'un seu l domestique, François Bompart, qui ramena à Taulanne les chevaux. Je fus loger chez Madame la comtesse de Vence, ma tante, soeur à ma mère ct épouse de M. le comte de Vence, capitaine des vaisseaux du Roi (... ) qui m'accueillit et me logea chez elle pendant huit mois. En janvier 1732, j'eus une lettre de la garde marine (... ) je fus donc reçu dans cette compagnie et au printemps je fus embarqué sur le va isseau du Roi L'Heureux pendant cinq mois (... ). Je fus très peu incommodé de la mer et je me déterminais à poursuivre le service pour pouvoir m'y rendre utile et parvenir aux honneurs attachés à ce corps» 2. Le début de ce journal peut nous servir d'introduction; il résume en effet assez bien la carrière d'un gentilhomme provençal dans la marine au XVIII', Ces officiers de marine SOnt souvent mal connus, parfois ignorés. En dehors de Forbin, Grasse, Suffren, d'Entrecasteaux que l'on retrouve dans toutes les histoires de la marine depuis deux siècles, le public ne connait point les noms des Beaussier, Barras, Brovès, Fabry, Glandevès et de tant d'autres amiraux provençaux. Ils sont à peine évoqués dans les ouvrages des et XX e siècles. Quand ils SOnt mentionnés, les erreurs de nom, de prénoms, de famille, les manques d'indications bibliographiques sont nombreux l. de Lyle, seigneur de Taulanne, Garron, Séranon, Le de Lyle-Taulanne (1716-1795), garde-marine (1732), enseigne de vaisseau (1748), capitaine de vaÎsseau (1757), brigadier des Armées (1765), retiré avec provisions de chef d'escadre (1777), chevalier de Saint Louis (1750), de Joseph et de Suzanne de Grasse-Mouans. 2. Journal du 3. Ainsi dans la Provence Historique Fascicule 158- 1 989

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NOBLESSE PROVENÇALE ET MARINE AU XVIIIe SIECLE

Monsieur de Lyle-Taulanne, capitaine de vaisseau retiré avec brevet de chef d'escadre, écrivait en 1780 dans son château de Taulanne 1 : «En 1731, mon père demanda pour moi à M. le cardinal de Fleury, 1'" ministre du royaume une lettre de Garde de la marine au département de Toulon. Il en eut une réponse favorable. Je me destinais à servir le roi et l'état sur la mer. Dès le mois de novembre 1731 je fus à Toulon accompagné d'un seul domestique, François Bompart, qui ramena à Taulanne les chevaux. Je fus loger chez Madame la comtesse de Vence, ma tante, sœur à ma mère ct épouse de M. le comte de Vence, capitaine des vaisseaux du Roi ( ... ) qui m'accueillit et me logea chez elle pendant huit mois. En janvier 1732, j'eus une lettre de la garde marine ( ... ) je fus donc reçu dans cette compagnie et au printemps je fus embarqué sur le vaisseau du Roi L'Heureux pendant cinq mois ( ... ). Je fus très peu incommodé de la mer et je me déterminais à poursuivre le service pour pouvoir m'y rendre utile et parvenir aux honneurs attachés à ce corps» 2.

Le début de ce journal peut nous servir d'introduction; il résume en effet assez bien la carrière d'un gentilhomme provençal dans la marine au XVIII' ,

Ces officiers de marine SOnt souvent mal connus, parfois ignorés. En dehors de Forbin, Grasse, Suffren, d'Entrecasteaux que l'on retrouve dans toutes les histoires de la marine depuis deux siècles, le public ne connait point les noms des Beaussier, Barras, Brovès, Fabry, Glandevès et de tant d'autres amiraux provençaux. Ils sont à peine évoqués dans les ouvrages des XIX~ et XXe siècles. Quand ils SOnt mentionnés, les erreurs de nom, de prénoms, de famille, les manques d'indications bibliographiques sont nombreux l.

~uis-Auguste de Lyle, seigneur de Taulanne, Garron, Séranon, Le de Lyle-Taulanne (1716-1795), garde-marine (1732), enseigne de

vaisseau (1748), capitaine de vaÎsseau (1757), brigadier des Armées (1765), retiré avec provisions de chef d'escadre (1777), chevalier de Saint Louis (1750), de Joseph et de Suzanne de Grasse-Mouans.

2. Journal du 3. Ainsi dans la

Provence Historique Fascicule 158- 1989

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516 FREDERIC D'AGAY

Ces ouvrages et les traditions maritimes de la France voudraient faÎ re croire qu 'en dehors de la Bretagne il n 'y a pas eu d 'officiers de marine, à part quelques Provençaux brillants qui, selon le bailli de Mirabeau « portent leur pétulante vivac ité partout » mais demeurent des exceptions~.

Il n 'en est rien: tout au long du xvnr siècle la Provence a donné au Royaume 1.140 officiers de marine s. Le chiffre est imponant: il fait des Provençaux, incontestablement, l'élément provincial le plus important au sein de la marine royale : un officier sur cinq ou sur six es t provençal.

Ce recensement est encore plus important sous le règne de Louis XVI : à la vei lle de la Révolution les Provençaux représentent: un tiers des amiraux, un sixième des chefs de division, un dixième des capitaines de va isseau, un quart des majors et lieutenants de vaisseau, 14 % des élèves de la marine. Au total 21 % des officiers de marine sont provençaux 6. Vouloir en retirer gloire et vanité serait bien dans le sentiment que l'on impute à notre nation de Saint Simon à C hateaubriand. Il est plus instructif de chercher à savoir comment et pourquoi on est arrivé à cette situation, cette prédominance. Quels sont les éléments qui Ont favorisé cette rencontre des Provençaux et de la mer?

Les liens géographiques naturels sont connus, les antécédents historiques également: Marseille port des galères. le développement de la lutte contre les barbaresques par l'ordre de Malte où la langue de Provence tient sa place, la nouvelle organisation de la marine par Richelieu et la création de Toulon, port de guerre. Mais au XVIII' siècle, alors que s'ouvre une période de pleine décadence de la marine royale après les heures de glo ire de la fin du XVII ' , que le corps des galères agonise, pourquoi entre-t-on dans la marine? Les lettres de garde de la marine se procurent-elles facilement? M. de Lyle­Taulanne nous résume, par le récit de son entrée dans la marine les condi tions matérielles, puis les conditions morales : l'attache familiale semble impor­tante au départ j appartenir à la noblesse c'est appartenir un réseau. Il faut savoir de qui il est composé, comment il s'organise. Mais surtout quel est le moteur? Le besoin de servir depuis Louis XIV est primordial ; Lyle-Taulanne veut servir le Roi et l'Etat, se rendre utile et parvenir aux honneurs. Le mot est lâché; la noblesse provençale veut faire carrière dans un corps à elle et accéder aux grades, pensions et autres prérogatives attachées à ces honneurs. Et pour les non-nobles ce sera un moyen de parvenir à la noblesse, de participer à cette marche en avant des «gens» provençales, tenaces, ambi­tieuses et déterminées.

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NOBLESSE PROVENÇA LE ET MARll'iE 517

T - L 'ENTREE DANS LA MAR INE

Colbert et ses successeurs ont d'abord puisé dans le corps des galères et celui des chevaliers de Malte, pour constituer un corps d'officiers de marine à partir des gardes de la marine institués en 1670 et 1683. Jusqu 'à la création des élèves de la marine par le maréchal de Castries en 1786, ce sera la principale voie d'accès à la marine royale.

On sait que les Gardes de la marine devaient être nobles ou du moins produire un certificat de noblesse visé par l' Intendant de la province. C'était à la fo is dérisoire Ct insuffisant. Dérisoire, parce que des famill es J'obtenaient qui manifestement n 'avaient aucune noblesse ; insuffisant, car même noble il fallait des recommandations pour obtenir ces fameuses lettres. Le cardinal de Fleury en tant qu'ancien évêque de Fréjus, avait connu beaucoup de genti ls­hommes provençaux qui ne manquent pas de le sollicite r ; Outre Lyle­Taulan ne, nous savons par leurs papiers que les Lyle-Call ian et leurs cousins Giraud d 'Agay 1 y eurent recours .

Il faut dont être gentilhomme, mais les références aux services de ses aïeux som importants. François de Giraud d 'Agay 8 « obtint des bontés du Roi une place de garde de la marine au départemem de Toulon le 13 de févr ier 1730, en récompense des services cominuels de ses ancêtres de père et de mère, et je fus employé la même année sur les vaisseaux du Roi à Toulon .. '.

Madame de Perrot du Bourguet, née Trullet écrit au ministre qu'elle est l'épouse « d'un capitaine de vaisseau retiré et veuve d 'un premier mariage de Mouriès, conseiller à la cour des comptes, dont la noblesse es t constatée; sollicite pour Mouriès, son fils né de son premier mariage un cert ificat de la compagnie des gentilsho mmes destinés à servir dans la marine C .. • ) ses aïeux mate rnels Ont des titres encore plus intéressant pour obtenir la faveur qu 'elle ose espérer C . .. ) mon père et mon grand-père som l'un et l'autre capita ines de vaisseau après avoir mérité les faveurs du Roi par leur sang répandu plusieurs fois » 10 .

On fait appel quelquefois à un protecteur puissant à la cour, Madame de Venel sollicite le duc de Brancas-Cereste qui lui écri t en 1738: « Je suis charmé, Madame, que mes sollicitatio ns auprès de M . le comte de Maurepas aient procuré une place de garde marine à M. votre fils » ". Les Venel ont

7. Joseph-Ignace de Lyle, seigneur de Callian et Roquebrune dit le comte de Lyle (1713 - ap rès 1792), garde-marine (1732), enseigne de vaisseau (1741), lieutenant de vaisseau (175 1), capitaine de vaisseau (1 757), brigadier (1766), retiré avec provision de chef d'escadre (1778), chevalier de Saint Louis.

8. François de Giraud, seigneur d'Agay, La Garde-Freinet et La Moure (1715-1798), garde-marine (1730), enseigne de vaisseau (1738), lieutenant de vaisseau (1746), capitaine de vaisseau (1756), brigadier des armées navales (1765), cheva lier de Saint Louis.

9. Mémoire de M. d'Agay à J'Assemblée nationale, Archives d'Agay (Var), VI, A. 10. Archives du Grand Canadeau (Var) . M"" du Bourguet était la petite fille d'Antoine

TruUet (1650-1717), capitaine de vaisseau, chevalier de Saint Louis, et la fill e de Jacq ues Trullet (t 1749), lieutenant de vaisseau, chevalier de Saint Louis, anobli par Lettres patentes de 171 8.

Il. Archives du Grand Canadeau (Var).

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5/8 FREDERIC D'AGAY

également le prince de Bauffremonr commc protecteurs. C'est une nécessité au XVIII", d'autant plus importante pour les Provençaux qu ' ils som éloignés de la cour et que le voyage de Paris et de Versai lles est cher et difficile. Il faut donc un rclais j c'es t souvent un parent, comme le maréchal du Muy et son père, pour les Giraud d'Agay. Mais il y a alors des liens de clientèle à "italienne. M. d 'Agay père sollicite M. du Muy pour toutes ses affaires et les carrières de ses enfants; en revanche, M . du Muy charge M. d 'Agay, à Draguignan, de surve iller la gestion du marquisat du Muy, de le rense igner sur la vic locale. Le duc de Liancourt et la princesse de Galléan soutiennent les Colonia : ce SO nt des amitiés politiques et philosophiques. Quand on n'a pas de protecteurs - ou que les siens ne sont pas en vogue - on se plaint : « je n'ai pas l'honneur d 'être employé parce que je n'ai ni parents, ni am is acmellement à la cour ,. écrit Lylc-Taulanne en 1763 II . Jarente, l'évêque d'Orléans qui intervient pour des dizaines d 'offic iers de marine ironise en marquant à Choiseul -Pras lin: « Dans ma quali té de citoyen de Marseille, M. le duc, je suis écrasé de demandes pour vous» Il. C'est que les Provençaux n'étaient pas foule à la cour, et quand une famille comme les Jarente réussissait à s'y implanter on avait immédiatement recours à leur influence.

Ce qui compte avant tout c'est d 'ê tre un enfant du corps, donner les références d 'un père, oncle ou cousin marin. Tous les candidats ne manquent pas de le signaler. Le marquis de Les tang-Parade écrit à Choiseul pour lu i demander une place de garde-marine: « Je la demande avec d 'autant plus de raison que le marquis d'Albert, mon oncle est mon chef d 'escadre, mon frère a été tué dans un combat contre les Anglais, étant aide-major» 1

4• L yle­

Taulanne, on l'a vu es t le neveu du comte de Vence, sa mère et sa grand-mère SOnt de la famille de Grasse. M . de Vento des Pennes «a eu trois oncles dans le corps des galères; le commandeur des Pennes, chef d 'escadre servit avec tant de distinction au siège de Malaga qu ' il mérita une pension et des lettres de M. de Pontchartrain » I~.

C'est ainsi qu'on voit peu à peu des dynasties de marins se créer et ce langage se renforce plus on avance dans le siècle. M. de Roux de Bonneval accueillant à son bord le jeune Pierre-André de Giraud d'Agay en 1787, écrit

12. Archives de Saint Ferréol (Var). 13. Archives de la Marine, C ' 49. Il est vra i que l'o n trouve dans les dossiers personnels

de la série- C' un grand nombre de recommandations émanant de Monseigneur de Jarente-La Bruyère, évêq ue d'Orléans, di recteur de la feuille des bénéfices. Malgré cela, ses deux frè res ne firent pas de brillantes carrières dans les galères

14. Archives Lestang-Parade, Musée Granet, Aix-en-Provence. Son oncle- est Antoine d'A lbert du Chaine, marquis de Fos (1686-175 1), chef d'escadre, chevalier de Saint Louis, membre associé de l'Académie des Sciences; son frère, le chevalier Antoi ne de Lestang­Parade (1716-1748), mort au combat sur le Magnanime.

15. Archi ves de la Marine, C' 342. La famille de Vento a donné neuf officiers de- marine au XVIII' dont deux chefs d'escadre: Gaspard de Vento, marquis des Pennes (t 1705), grand prieur de Tou louse. et H enri de Vento, marquis des Pennes (1663- 1738).

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NOBLESSE PROVENÇALE ET MARINE 519

à son père. le brigadier des Armées navales: «Il était bien juste qu'après nous avoir quiné, vous nous remplassassiez dans le corps par un autre vous-même» l b

Plus de mille officiers sur 1.140 SOnt nobles et 967 sont gardes-marines; ce qui ne veut pas dire que les officiers qui ne SOnt pas passés par les gardes-marines ne soient pas nobles ni même que les autres soient entrés directement dans les gardes-marines.

900 SOnt entrés directement dans le corps, tel Lylc-Taulanne ou le chevalier de Coti gnon, Nivernais, qui le raconte si plaisamment dans ses Mémoires 17, 70 ont exercé une activité auparavant: des pages du Roi, de la reine et des princes. des soldats, des officiers d'infanterie, d'artillerie, des mousquetaires. « Le sieur de Cogolin, cadet a l'honneur de vous représenter qu'il a commencé à servir en 1718 dans le régiment royal des vaisseaux ( .. . ) en 1720 il est entré garde-marine» 18 . Le célèbre amiral de Barras de la Penne avait débuté en 1669 comme page de la Reine. En 1673, « au sortir de page, le Roi lui-même eut la bonté de me destiner à servir sur mer. li fit sa campagne sur les galères en qualité de garde de l'Etendard» 19 , Le chevalier de Pilles était entré à la Petite Ecurie en 1692, «au sortir de page il entra dans les mousquetaires gris où il fit une campagne en Flandres et au sortir de ce corps il vint à Marseille où MM. le marquis de Forville et le commandeur des Pennes, ses oncles, tous deux chefs d'escadre le destinèrent à servir sur les galères» 20 . Les plus nombreux sont ceux qui Ont été volontaires pour une ou deux campagnes, embarqués avec leur père ou un parent, avant d'obtenir dcs lettres de garde de la marine, ce qui apprenait le méticr et évitait des frais d'études et de collèges.

Saurin de Murat embarque en 1752 «en qualité de volontaire sur la

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520 FREDERIC D'AGAY

rarcanne montée par M. de Chailus, lieutenant de viasseau"!', Vento des Pen es écrit au ministre en demandant à prendre sa retraite « qu 'i l peut reculer la date de ses services jusqu'en 1725, puisqu'i l une campagne de volontaire sur la galère que commandait son père

Si presque touS les officiers de marine SOnt nobles ou cnfaIHs d'officier de marine, arrivés par le rang pour la plupart, c'est être le fi ls d'un officier de marine qui donne la qualité d'enfant du corps et qui permet de se faire recevoir garde de la marine comme les Truguet, Beaussier, Pallas, C lavel et tant d'autres Toulonnais non-nobles.

Ce n'est pas à leur propos qu'éclatent les plus violents conflits; c'est avec les nouveaux nobles ou avec ceux qui réussissent à passer à travers les mailles du filet. En 1758, deux affaires éclatent à Toulon, coup sur coup. M. de Viguier est tué en duel ; et le lendemain M. de Rozel, par un jeune aixois, Sextius d'Arnaud ! ) . 1< Ces deux aventures, explique le comte de Carné­Marcein, commandant la compagnie des gardes de la Marine, SO nt une suite de la répugnance qu'aura toujours le corps de voi r glisser de temps en temps quelques nouveaux nobles dans nos compagnies, surtOut quand ils som de Tou lon ou de cette province et reconnus comme tels du public » !~. Il conclut en demandant au ministre d'exiger des preuves au moins centenaires de noblesse pour être reçu garde de la Marine. M. d'Arnaud, fils d'un consul d'Aix, petit-fi ls d'un secrétai re du Roi, fut à son arrivée à Toulon l'objet du moqueries de la part de ses camarades qui dirent à Carné q u'on s'était moqué de lui en lui faisant recevoir le Sr Arnaud, fils d 'un bourgeois d 'Aix. La famille d'Arnaud dut prouver sa noblesse, récente mais certaine, mais Sextius fut contraint de qu itter Toulon pour Rochefort, pour ne pas servi r dans une vi lle où demeurait le frère de Rozel. Par lettre confidentielle, Carné demanda même au ministre de ne jamais le placer sur les bateaux de Toulon !S.

U ne autre série de fami lles était en butte à toutes sortes de tracasseries à cause de leur noblesse, les fami lles comtadines. Le comte de Carné-Marcein se plaint du Comtat-Venaissin, pays 1< où il est le plus diffici le de vérifier Je véritable état des fami lles, par la liberté que le prince y laisse à chacun de se qualifier comme bon lui semble. Cela mériterait, Monseigneur, que le com­mandant les gardes de la marine de Tou lon, fu t pourvu d'un ordre du Roi qui l'autorisâ t à rejete r toutes les preuves de noblesse du Comtat-Venaissin

22. Archives de la Marine, C' 342 23. François~J ean·Bapt iste-Sexlius d'Arnaud (1740· 1825), garde-marine (1757), enseigne

de vaisseau (1769), lieutenant de vaisseau ( 1777), reti ré avec commiss ion de capitaine de vaisseau (1785), chevalier de Saint Louis et de Cincinnat i.

24. Lettre du comte de Carné~Marcein, Archives de la Marine, 5', 2 décembre 1758 25. Id. Lettre du 5 décembre 1758. Sextius d'Arnaud se rendit à Rochefort en janvier

1759. Carné avait déjà hésité à recevoir d'Arnaud: .. J'aurais admis rout de suite le Sr Sextius d'Arnaud, qui me parai t un joli sujet bien né et bien élevé, si je pouvais recevoir de mon chef un anobli de si fraîche date, sans m'exposer à la censure du corps qui se plaint qu'on ai t admis quelq uefois trop faci lement des gens qui ne devaient poin t y entrer tandis qu'on a refusé des places à des gen tilshommes qui le postulaient ,. 29 mai 1757, C' 8.

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NOBLESSE PROVENÇALE ET MARI NE 521

qui ne seraient pas constatées par des contrats et actes en forme qui établissent que ces familles nous présentent des sujets conStamment qualifiés nobles dans cc pays au moins depuis un siècle ct demi » ! ... .

Les familles comtadines , en effet, devaient paraître bien étranges au Breton de vieille souche qu 'était le comte de Carné : tout gros bourgeois de vi llage y prend la particule, un nom de terre, se qual ifie noble, envoie son fils se faire recevoi r docteur à Avignon et le tou r est joué 27 , Le Saint Père ou le roi de France confirmait ou non la noblesse de ces fam illes ; nous avons plusieurs exemples de gardes-marines comtadins n'ayant manifestement aucune noblesse.

En 1768, M. de Colo nia, avocat général à Aix, se plaint à Choiseul de ce q ue « le commandant de MM . les gardes de la Marine du département de Toulon a élevé des difficultés sur l'état des preuves que l'ai fourn i pour la réception de mon frère» la. N'ayant aucun principe de noblesse, la fam ille de Colonia, originaire de Brignoles - longue lignée d'avocats, tandis q u'une autre branche fournit des commissaires de la marine à Toulon - réussit pourtant à pénétrer dans le second ordre: Colonia cadet est finalement reçu dans le corps et l'aîné, ensuite maître des requêtes puis Intendant, se fit dispenser de droit de marc d'or de noblesse.

D 'un aut re côté, M. de Carné, si exigeant, avait pourtant dé li vré un certificat de noblesse pour les gardes-marines en 1757 à M. Durand de la Motte, d'une viei lle lignée bourgeoise de Dragui gnan, fieffée et vivant noble­ment: elle sera refusée dans les assemblées du second ordre en 1789. Par contre, les Audibert-CaiUe du Bourguet à qui est réfusée une place dans les gardes-marines et à Saint-Cyr, voteront avec la noblesse en 1789. L'on revient au tissu de parentés , de relations et de protection .

Les 70 officiers qui n'ont pas débuté leur carrière comme garde de la

---z6.En effet, dans notre thèse figurent tous les officiers originaires de Provence, du Comtat Venaissin, de la principauté d'Orange et du comté de N ice, ces trois dernières provinces démembrées de l'ancienne Provence au Moyen Age. Les familles de cette magna provincia se recoupant très souvent, il était difficile d'écarter, par exemple, les Sade ct de prendre les Piolenc, ou de ne pas retenir tel rameau niçois des Grimaldi et des Durand. De plus, ces familles ont, outre les parentés, une communauté d'origine et de vie trop particulière pour ne pas les assimiler à la noblesse provençale. Nous avons pris le parti également de considérer comme provençales les familles établies en Provence au XVII' et au XVIII' et qui y sont demeurées, avec des alliances, des fiefs, des biens en Provence. ou qui Ont été convoquées dans les assemblées de la noblesse provençale tels les Colbert et Le Maistre de Beaumont, parisiens, les Barenrin, Drée, Beauquaire, les italiens Gotho et Marquèse. les polonais Zbonsky de Passebon. Nous n'avons pas retenu ceux qui se fixa ient à Toulon de façon épisodique, comme La Poype· Vertrieux, pourtant élu député de la noblesse de Toulon en 1789, marié à une Beaussicr, les Rochemore, etc.

27. On sait que l'université d'Avignon avait la prétention d'anobl ir les docteurs qu i y étaient reçus, selon certaines règles encore mal connues.

28. Lettre de M. de Colonia à Choiseul , Arch ives de la Marine, C' 71. Le postulant est Joseph-François de Colonia, (1753-1789), garde-marine (1768), enseigne de vaisseau (1777), lieutenant de vaisseau (1780), chevalier de Saint Lou is. Sa veuve se remaria au vice-amiral MOTard de Galle, comte de l'Empire.

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marine, se répartissent ainsi: 15 sortis du rang, 14 volontaires, 13 venaO[ du commerce, I l ayant servi dans l'arti llerie, les bombardiers, les bru!ôts, l a pilotes, 4 ayant servi dans l'infanterie ou la cavalerie, et 3 écrivains de la marine.

Si les pilotes. les mousses ou les officiers au commerce som tOus ro turiers, les volontaires et mili taires comprennent de nombreux genti lshommes dans leurs rangs. Ainsi, le chevalier d 'Espinassy «a fait les deux campagnes de 1745 à 1746 sur le vaisseau l'Oriflamme ( .. . ) en qualité de volontai re faisant fo nction d 'enseigne" . En 1747, il fU[ no mmé lieutenant de frégate N. Ils SOnt

tout de même une minorité qui a passé l'âge d 'être garde de la marine, dont les lettres nc som jamais parvenues, des mauvais caractères envoyés se défo uler

Cette voie est J'accès par lequel passent les familles bourgeoises de Toulo n, des fils d 'officiers de plûme, de rejetons de dynasties de capitaines et patrons marchands des villes côtières. Une fois parvenus aux grades d'offic ier, décorés - voi re anoblis par leur grade ou Lettres patentes - leurs enfants seront à leur tour reçus garde de la marine.

En 1788, on refuse à M. Duveyrier, lieutenant de la maréchaussée de Provence une place d'élève au collège de la marine d'Alais, car il n'est pas noble. En janvier 1790, il écrit au commandeur de Glandevès pour lui demander de prendre son fil s. Mais là encore il est refusé: les derniers élèves du collège d 'Alais étaient à la fois nobles et enfants du corps; ce SOnt ceux qui furent pris en priori té )1.

I! n'y avait pas tous les ans le même contingent de marins ou de places offertes. Les entrées au service des Provençaux se répartissent en tro is périodes « de pointe » :

- la première va de 1680 à 171 0, avec une plus grande série entre 1690 à 1700. C'est la pleine période des guerres de Louis XIV, la créa tion des gardes de la marine où les Provençaux SOnt nombreux .

- La deuxième va de 1741 à 1765, et surtout de 174 1 à 1750, période pendant laquelle 135 provençaux ent rent dans la marine. C'est cette générat ion qui sera ce lle des grands marins de règne de Louis XVI. Ent rée dans le creux de la vague, pendant les guerres de successio n d 'Autriche Ct de Sept Ans, cette génération connaîtra la gloire. D e 1751 à 1760, il Y a encore l OS Provençaux.

- La troisième période se situe entre 1771 et 1 780 ; elle correspond à

29. André-Antoine, chevalier d'Espinassy (1719-?), volontaire (1745), lieutenant de frégate (1747), d'art illerie à la Ma rtiniq ue (1750), enseigne de vaisseau et de pan (175 l ), lieutenant de vaisseau (1762), retiré avec commission de capitaine de vaisseau en 1777, chevalier de Saint Louis. Archives de la marine, C' 100.

JO. « Le garde-marin e, une fo is ad mis à la compagnie doit etre entretenu au port par ses parents qui versent la pension de leu r enfant au trésorier de la marine" Michel VERGE, .. Un enseignement éclairé au XVIII' siècle ... , in Rev ue historique, n° CCLXXVIII , p. 52.

J I. Archives de Vaut ubière (Bouches-du-Rhône), il s'agit du fUtur baron Duveyrier et de l'Empire, tri bun.

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la guerre d'indépendance américaine, où l'on a tant eu besoin d'officiers -issus du commerce, certains demeureront dans la Royale - et dont les éclats Ont suscités beaucoup de carrières (110 reçus).

Il y a trois générations de marins ayant servi au XVIIIe et les trois générations forment dans leur famille ou dans leur clan des réseaux familiaux en forme de pyramide qui vont s'élargissant de plus en plus vers la fin du siècle 31.

II - LES RESEAUX FAMILIAUX DES MARINS

Les 1.140 officiers de marine provençaux étudiés sont répartis en 425 familles différentes. Il y a plusieurs officiers par famille. De même on peut estimer les famil1es nobles en Provence au xvnr entre 400 et 500: on est ainsi tenté de dire que chaque famille noble a participé à ce mouvement. C'est sans compter avec cet apport des non-nobles dont nous avons déjà parlé et qui s'élève tout de même à 10 %.

La moyenne familiale s'établit à 2,68 officiers par famille. Elle s'obtient en tenant compte du petit nombre de familles qui donnent plus de cinq officiers. L'étude de ces familles et de ces chiffres est la plus significative.

3 familles ont donné 25 officiers chacune, les Castellane, les Pontevés et les Villeneuve; 2 familles, 18: les Grasse et les Thomas. Viennent ensuite les Sabran, 15, les Barras, Beaussier, Raousset, 13, les d'Albert, 12, les Forbin, Il, les Glandevès, 10.

Donnent 9 officiers: les familles de Cuers, de Grimaldi, de Tressemanes, de Vento.

Nous trouvons ensuite 9 familles ayant donné 8 officiers, 3 familles ayant donné 7 officiers, 8 familles ayant donné 6 officiers, 15 familles ayant donné 5 officiers. Au total 49 familles forment 440 officiers de marine, soit 38,6 % du total des officiers provençaux, tandis que les familles ne représentent que Il,5 % du total des familles.

Pour résumer, plus de 10 % des familles fournissent près de 40 % des officiers de marine. C'est un chiffre important et qui mérite qu'on s'y arrête. On peut l'affiner en ne considérant que les 12 premières familles qui ont donné 10 officiers et plus : soit 200 officiers, qui représentent 17,5 % du total. Parmi ces 12 familles, nous trouvons 7 familles de la plus ancienne noblesse de Provence: Castellane, Pontevés, Villeneuve, Grasse - ce sont mêmes les 4 premières - Sabran, Barras et Glandevès; puis 2 familles anoblies au XV~ siècle, les Forbin et les Thomas, 1 famille agrégée à la noblesse au XVI~, les Raousset, les Beaussier, de Toulon.

Si l'on prend l'ensemble des familles ayant donné plus de 5 officiers, il y a 44 familles nobles:

~ plupart de nos officiers sont regroupés dans 60 tableaux familiaux qui regroupent ces réseaux.

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- II familles d'o rig ine chevaleresque ou féodale (ce lles ci tées + les Gri-maldi, Raymond d'Eoulx, Flotte et Clapiers).

- 7 fam illes ag régées à la no blesse avant 1500. - 7 familles agrégées à la noblesse au XVI' siècle. - 7 fa m illes parlementaires aixoÎses. - 2 fam illes agrégées à la noblesse au XVII' siècle. - 3 fami lles anobl ies au XVIII' siècle. - 3 fami lles d'origine étrangère (Marquèsc, Colbert , Le Maist re de Beau-

mont).

Les 5 fam illes non-no b les à l'o rigi ne, mais que la marine a ano b li sont les 5 fami lles tO ulonnaises les p lus significatives :

- Bcaussier, noblesse militai re XVIIIe e[ maintenu noble. - Gineste, anobl is par Lettres patentes en 1758. - Clavel , anoblis par Lett res paccntcs en 1787. - Burgues. anoblis par brevet de chef d'escadre. - Terras, anobl is par Lettres patentes en 1767.

Au tota l dans ce tableau, il y a 11 fa milles toulonnaises j s'ajo utem aux 5 déjà citées, les Cuers, Thomas, Ripert-Baudouvin, Nas de Tourris, Chabert et Saqui. Elles consacrem la supériorité de Toulo n au XVII I' : la vi lle vit de la marine et des mari ns, des officiers d 'épée et de plûme. II y Il d'a illeurs, peut-être, plus de fami lles de plûme q ue d'épée et des anobl is dans les deux catégories. Sur les 21 fa milles toulonnaises anoblies à Toulon au xvrrr, 4 le som par grade d'officier général après 1750, 4 par charges et 13 par Lettres patentes : des officiers, des ingénieurs, des constructeurs, des commissaires.

Sans do ute ces anoblissements Ollt été plus impo rtants au XVII' siècle, grâce aux maintenues ct aux recherches de noblesse entreprise par Louis XIV: elles ont permis d'offi cialiser la noblesse de tous ceux qui s'étaient agrégés au second ordre depuis un certain nombre d'années et de générations ct à Toulon, grâce à des services dans la Marine. Au XVIII ' , comme elles n'existem plus, il fam avoi r recours aux Lettres patentes, aux charges anoblissantes - la faveu r d u souverain et la fortune - puis au mérite seul après l'édit de 1750 qu i institua la noblesse mil itaire conférée aux offi ciers généraux )J .

Cette suprématie toulonnaise s'accompagne du décl in des Marse illais j les grandes dynas ties de galères Ont, sinon d isparu, du moins bien retréci. D emeu­rent les Montol ieu, Vento, Le Maistre de Beaumont, Marquèse, Village. Les Valbelle qui Ont dominé la marine et la Provence au siècle précédent n'en sont plus, de même que les Fortia. Le décl in du corps des galères a entraîné

33. Vidal de Lhéry, que le ministre ne veut pas faire chef d'escadre, cc grade que pour se hisser à la noblesse est ano bli par Lettres patentes. Collomp de Seillans réclame un brever de chef d'escadre pour acquérir la transmissible il ses enfants, car son beau-père qui est fort riche ne lu i que dans l'espérance que son gend re devenant officier général Seillans n'est pas gentilhomme), le beau-père trompé dans son attente annonce remari"r". Il obtint son brevet en 1786. Archives de la marine, C' 71.

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une désaffection des Marseillais. Si l'on prend le [Oral des deux siècles, les trois familles ayant donné le plus d'officiers sont les Forbin (33), les G rasse (26) et les Tho mas (30) H . La suprématie des familles très anciennes ne do it pas surprendre : elles sont composées de très nombreux rameaux qui compren­nent 10, 12 , 15 chefs de branche. Ces noms sont connus dans le Royaume et à la cour : ils sont les premiers à bénéficier des lettres de garde-marine, ct avec l'appui de leu r parenté entendent parvenir au faîte des honneurs. Ces noms sont des références qu 'on rappelle dès qu 'on le peut, Le chevalier de Baudouvin se dit « d'une noble et ancienne fa mille alliée aux anciennes fam illes de Provence, par sa mère qui était G landevès ct par son aïeule qui était Castellane et qui a perd u au service de la marine deux p roches parents du même nom )) 35 . Madame de Grasse dans sa supplique au ministre en 1725 lui fa it remarquer que « route la noblesse de France qui tient à cette maison et à celle de Castellane s'intéressa pour elle » . Un grand nom, tel celui des Vintimille, raconte Mathieu Molé dans ses mémo ires faisait rout : « il plaçait à la cour, ( .. . ) même il n'y cédait à aucun autre>) 36.

Pour les branches restées en Provence, certaines fo rt pauvres, encombrées d'enfan ts, tous les cadets SOnt chevaliers de Malte - sauf s' il y a eu une trop grosse mésall iance à Marseille - une grande part ie servira dans la Marine. C'es t un débouché naturel quand les patrimoines n'assurent plus de légitimes suffisantes, quand les cano nicats ne se multiplient pas. Il ne faut pas oublier que l'entretien d'un chevalier de Malte avant d'avoir obtenu une commanderie coûte cher. Là aussi il n 'y a pas de bénéfices pour tous.

Les Thomas, Raousset, Forbin, SOnt aussi des familles prolifiques qui o nt beaucoup de cadets à placer. Les Thomas, toulo nnais sont traditionnelle­ment marins. Les Raousset, depuis leurs alliances Vintimille se poussent beaucoup. Q uant aux Forbin , leur rang en Provence est des premiers; depuis le cardinal de Fo rbi n-Janson beaucoup sont paris iens. Le bai lli de Forbin, lieutenant général, au XVII\ le comte de Forbin-Gardanne et deux autres chefs d'escadre dominent ce tableau familial très soudé.

U ne famille comme les Raimondis - hui t officiers - agrégés à la noblesse aux xvr et xvrr siècles, est apparentée aux amiraux de Glandevès et au comte de Brovès, et l'un des leurs, major général de la marine est mon à la H ogue en 1692 fa isant rejaillir sa gloi re sur sa famille.

Ce clan des G landevès est le plus important dans tou te la Provence du XVIIIe siècle. D ans le tableau qu 'on peut dresser au tour des trois premiers officiers de marine de cette famill e - dont un lieutenant général et un chef d 'escadre, les deux baillis de Glandevès - et de leurs cousins germains Villeneuve-Vence et C hailan de Moriès-Castellet on regroupe 42 officiers de

34. Chiffres cités par C.F. MORDAQ ... Familles de marins », in Neptunia , nO 1947, J' trimestre 1977.

de la Victor-Berna rd de Ripert de Baudouvin (1702- 1783), Loui s.

MU.LE, ',ouv,,.,,,d',," témoin de la Révolution et de l'Empire, Genève, 1943.

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marine: un vice-amiral (Bruny d'Entrecasteaux). deux lieutemants généraux (G landevès et Brovès), quatre chefs d'escadre, quatre contre-amiraux et sept capitaines de vaisseau. La tradition maritime s'ancre dans ces familles Ct si "on ne peur rappeler un nom illustre, on se vante des services des siens.

Jacques de Cuers-Cogolin écrit au ministre en 1744; « Je suis enseigne de vaisseau, petit-fils d'un officier général ct commandant la marine à Toulon, servant dans le corps de père en fils depuis sa création jusqu 'aujourd'hui sans interruption. avec l'estime générale et l'approbation de tout le corps; tous mes ancêtres, Monseigneur, SOnt mOrts au service couverts de blessures et ne ffi'ont laissé pour fonune que la bonne volonté de les imiter» " , La veuve de M. d'Heureux faisait le panégyrique de sa belle-famille au maréchal de Cast ries: « La famille d'Heureux, Monseigneur, peut prouver plusieurs siècles de services, soit sur les galères, ou dans la marine puisque le père à mon mari est mort capitaine des galères et a été l'un des premiers chevaliers de Saint Louis lors de sa création de l'ordre» .1 8 ,

On est Provençal et marin, c'est une surenchère. Le marquis de la Valette, fils d'un lieutenant de vaisseau mort jeune, petit-fils d'un chef d'escadre représente à Choiseul en 1761 que sa famille a toujours servi dans la marine, Le président d'Arbaud-Jouques ne craint pas d'affirmer à Sartines en 1770. «Je finis cette longue lettre, par mon compliment le plus empressé sur le succès de la marine du Roi. Indépendamment de la part que j'y prends comme tout bon Français, il n'y a point de famille, dans cette province, plus anc ienne­ment et plus vivement attachée à ce corps que la mienne » 39 ,

Nous avons ainsi vu comment on entre dans la marine. qui y entre, il nous reste à entrevoir leur carrière.

III - L 'HONNEUR ET LA FORTUNE

En examinant ce corps des 1.140 officiers de marine provençaux du XVIIIe siècle, on s'aperçoit que les carrières sont soumises aux hasards des naufrages et des combats, mais que l'avancement est beaucoup moins influencé par les familles de cour qu'à l'armée: la marine n'intéresse pas ceux qui entendent viv re à Paris et Versailles six mois par an et pour laquelle il faut montrer un peu d'aptitude en dehors du courage.

Les Provençaux qui se glissent dans la marine parviennent à des grades élevés dans une assez forte proportion,

du

Il se trouve 82 amiraux, dont 3 vice-amiraux, 14 lieutenants généraux,

39. Musée Arbaud (Aix), 93-A-3

(1639-1700),chef Notre-Dame du Mont

les d'Heureux Ont été officiers de marine du début

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65 chefs d'escadre, auxquels il faut ajouter les 28 amiraux de l'Empi re et de la Restauration, soit un (mal de 110 amiraux, près d'un officier sur 10.

- 44 brigad iers des armées navales et chefs de d ivision.

- 175 capitaines de vaisseau et de galère .0, grade équivalent à celui de colonel clans J'armée.

305 offic iers som parvenus à un grade équivalent ou supérieur à celui de colonel: je ne sais pas si on trouve 10 P rovençaux colonels dans l'infanterie et la cavalerie à la même époque.

La très grande partie des officiers de l'armée royale part avec le grade de capi ta ine, pas toujours avec la croix de Saint Louis. Les lieutenant-colonels sont déjà rares, les colonels et les maréchaux de camps, honoraires pour la plupart en deho rs des Castellane et Vintimille. Les carrières sont bloquées pour nos Provençaux, qui, on l'a déjà di t, sont loin de cette cour où il faut sans cesse solliciter. La marine représcme pour ces méridionaux une chance de parvenir aux honneurs du général ou d 'un commandement; outre les chiffres déjà cités 17 officiers qu ittent la marine comme major de va isseau, 13 capitaine-lieutenants de galère, 7 capitaines de frégate, soit encore 47 grades supérieurs; de plus, 310 terminent lieutenants de vaisseau ou à un grade éq uivalent.

A ceci s'ajoutent d 'autres honneurs: 508 SOnt chevaliers de Saint Lo uis, dont 22 commandeurs Ct 8 grand 'Croix, 2 chevaliers des O rdres du Roi (Suffren, Vintimi lle), 12 chevaliers de Saint Lazare Ct Notre-Dame d u Mont Carmel, 71 chevaliers de C incinnatus , 6 décorés d 'ordres étrangers.

250, environ, sont chevaliers de Malte - et donc ne peuvent recevoir à ce titre la croix de Saint Louis - et parviennent à des dignités à J' intérieur de l'ordre: 35 commandeurs, 17 baillis, 5 grands prieurs de Toulouse et Saint G illes, 2 généraux des galères de Malte (Mirabeau et Suffren) " .

La marine a été pour eux un moyen de parvenir à des honneurs, qu i s'accompagnent parfo is de pensions accordées sur le Trésor royal, les Invalides, l'ordre de Saint Louis, la Marine.

- 40 de plus de 3 .000 livres. - 51 de plus de 2.000 livres. - 87 de p lus de 1.000 livres. - 180 de plus de 500 livres. - 138 de moins de 500 livres.

40. Le corps des galères entre dans notre étude, même si c'est un corps indépendant de la marine royale: sa suppression en t 748 et le fai t que les officiers des galères Ont pu con tinuer à servir sur les vaisseaux rendait cene assimilation nécessaire. Une étude particulière lui sera cependant consacrée.

41. Nous ne repertori ons pas dans notre étude les officiers de marine au service de Malle - comme le commandeur de Mazin général des galères de la Religion - ou au service du pape - tel le bailli de Blacas·Carros, capitaine des navires de S.S. et gouverneur de Civitavecchia - s'ils n'ont jamais servi en France.

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Elles se répart issent en 336 pensions de ret raite et 166 pensions de serviœ. Si l'on considère que 334 officiers sont morts au service, que 11 0 ont q uittés la marine comme gardes de la marine, ç'es t-à-dire n'étant pas suscept ibles de toucher une pension, et que 250 officiers provençaux étaient en poste en 1789 (ct qu ' ils n"ont donc jamais pu liquider leurs pensions de retraites), on retrouve des retraites en bonne proportion . S'y ajourent des grat ificat ions - 11 7 -accordées par le souverain et les ministres.

Ces pensions SOnt de bo ns compléments pour les chefs de fami lle dont il doublent quelquefois les revenus et fo rment pour les cadets, parfois le plus clair de leur revenu. L'habitude se prend de les rendre rcvcrsibles aux veuves, aux enfants, aux neveux; mais c'es t encore dans de faibles proportions et ces reversions ne s'accordent qu'aux amiraux ou héros méri tants, aux grands noms ou des familles bien appuyées en cour.

Ce dom on ne parle pas, le sujet tabou de la Royale, c'est le commerce, la pacotille, la contrebande, les prises. Il semble qu'elles aien t enrichi certains officiers. Jean-Joseph de Vencl écrit à sa mère: « Un homme qui commande un vaisseau ne doit pas revenir sans avoir au moi ns gagné 20.000 fran cs» ; il compte bien gagner 10.000 francs en marchandises en allant en Amérique. Pourtant le jeun e Thomas-Chateaneuf es t cassé et renvoyé « pour pacot ille» l! .

Les colonies SOnt un attrait formidable pour épouser des filles de ri ches planteurs, opportu nités inespérées pour des cadets condamnés au céli bat en Provence: se mar ier, deven ir riche, se fixer aux îles, fai re souche. Les dots américa ines font rêver notre jeune Venel qui écri t à sa mère qu 'i l veut imiter le petit BeaussÎer: \< pou r moi, je suis dans l' intention de me marier aussi à l'Amérique; pour cet effet, M. du Rouret, qu i se charge de mo n établissement moyennant les connnaissances qu'il a dans ce pays là vous pr ie de lu i envoyer une procuration qui est une chose nécessaire. Je vous parle sans plaisanter. C royez-vous que je ferais mal si je trouvais quelqu'un qui me donnât 500.000 écus? » ~ J .

Voi là tour ce qui attire, au-delà du goût de la mer et de la naviga tion, pour entrer dans la marine. Après les cadets, les chevaliers de Maire, ce sont les chefs de fami lle eux-même, puis leurs enfants qui veulent profiter des leçons, des consei ls el des relations de leurs aînés. Même si la gloire et la fo rtune n'ont pas été à la hauteur de 50 ans de peines et de tracas passés sur mer, si l'on est que brigadier au lieu de chef d 'escadre, si l'on ne touche que 1.800 livres de sa pension de 3.600 livres, on écrit à la fin de son livre de raison, comme l'amiral de Lyle-Taulanne : « Je recommande à mes descen-

1746. Jean-Joseph de Vend (1724-1792), avait épousé la sœur d(' M"" du Bourguet

Le Thom"-'Ch",,,um,uf, enseigne de vaisseau fUI jugé par le conseil guerre le 4 mars 1773 pour de pacoti lle ollver(cmcnt C't rC't iré d u service.

Après six mois de prison, il fut envoyé au régimC'nt dC's colonies à l' Ile de France 4J.Arr:hivt's du Grand Canadeau (Var), 1747.

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dants et aux mâles que Dieu voud ra me donner d'être toujours soumis au Roi ( ... ) j'espère Ct sans en douter que mes descendants en feront de même que par le passé. Mes aïeux ont toujours été très pauvres, je consei lle d'acquérir des biens par la voie du service mili tai re, de l'honneur, de la probité» H,

D es biens, M. de Lyle-Taulan ne, qui n'en avait guère hérité en transmit à ses héritiers à sa mort pour 380.000 francs après avoir fait bâtir le beau château de Taulanne, tout en restant honnête et probe 45,

C'est une raison de plus de faire de la marine une chasse gardée pour les Provençaux à qui on pourrait appliquer ce texte de Jacques Aman: « Issus du même milieu social, appartenant à des fami lles traditionnellement liées au service du Roi sur mer, fréquemment unis par des liens de parentés ou d'alliance ( .. ,), Elevés pour beaucoup d'entre eux dans une ambiance maritime dès leur enfance, entrés fort jeunes dans les compagnies des gardes, suivant ensuite une carrière qui n'était exempte, ni de sacri fices, ni de dangers, on peut comprendre qu'ils aient estimé avoir une vocation particulière, une sorte de droit acquis à fournir normalement des officiers à la marine royale» 46.

Frédéric d'AGAY

Paris , C.N.R.s., 1989, p.llS. dit XVllr siècle, Genève,