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Noémie Kukielczynski

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Mémoire sous la direction de Sandr ine Is raë l -Jost

Je Jure que ce que J’avance est inexact

Remerciements :Luc et Anne Bourgeois, Sandrine, Aline, Nina, Ju, Bernard, Ammar, Élisa, Olivier Deloignon, familli-amor, Neil, Marcus.

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avant tout

C’est la possibilité qui est attrayante, cette zone où rien n’est encore arrêté. Si le lecteur fait le choix d’ouvrir ce livre au hasard, en éliminant les autres possibles, il se crée une lecture unique, propre à lui-même. Si le lecteur poursuit le jeu, qu’il lise le texte suivant ou qu’il relance les dés, rien n’est joué. La seconde page sera différente pour chacun, et le nouveau texte éclairera le premier d’un jour nouveau. Tant qu’il ne sait pas bien où cela s’achève, que le doute persiste, l’imaginaire est convoqué, et l’attention sur le qui-vive.Chacun peut se frayer un chemin à travers ces textes. Par cela-même, le livre est en devenir constant dans l’esprit de celui qui le lit, et ça me fait rêver.

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Préambule

Après un enchainement de rencontres, je suis arrivée en Égypte pour 6 mois. Être une jeune femme blanche qui cherche à briser son statut de touriste est loin d’être évident.

Quand tu te retrouves en Égypte la veille d’une révolution, puis au cœur de celle-ci, et que tu décides de rester après l’effervescence aussi ; ça te fait réfléchir.Alors quand tu es assignée à résidence pour ta propre sécurité, tu écris. Quand tu attends (et c’est souvent), tu écris. À ces moments-là ça bouillonne, tu écris vite, aussi vite que tu penses, et tu fixes les évènements, les questions, les idées, les conversations.

Puis tu y repenses. Tu apprends à connaître les gens, tu comprends mieux la situation, tu réfléchis. Le raisonnement, à peine esquissé plus-tôt, s’étaye, et, synchronicité aidante, tu découvres exactement les documents ou les personnes qu’il te faut pour avancer. Alors tu choisis un des textes, c’est le moment de le pousser plus loin, tu l’ajustes, le re-écris.

C’est avec la même liberté qui m’a permis d’activer ces textes que j’ai décidé de les offrir au lecteur. Ce livre a une forme qui résulte de la manière dont j’ai travaillé. Un ouvrage qu’on ouvre au hasard, qu’on effeuille à l’envie.

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Ces textes sont majoritairement au présent, car ils sont réactualisés en permanence. Pendant leur maturation 3 grandes familles se sont distinguées : - des textes sur ma manière de travailler, - des réflexions problématiques, - et des histoires qui racontent le contexte. Le lecteur pourra trouver sur la tranche supérieure du livre un signe distinctif pour ces 3 groupes.

LA MANIÈRELES QUESTIONSLES HISTORIETTES

Les mots à consonnance arabes qu’on trouvera dans le texte en italique, sont expliqués dans le glossaire (p. 99).

Les personnes que j’ai rencontrées, et qui ont une importance dans les textes, sont présentées ci-après afin de faciliter la lecture.

Allons-y.

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rencontres

élisa martin

Artiste peintre française, elle est ma précieuse coéquipière lors de ce voyage.

ammar abu bakr

Artiste peintre et graffeur égyptien, assistant à la Faculty of Fine Art de Louxor. C’est notre ange gardien durant toute notre période égyptienne. C’était la seule personne que nous connaissions lors de notre arrivée à Louxor. Nous l’avons rencontré à Strasbourg un an plus tôt, grâce à Roger Dale (peintre), Otto Teichert (directeur de l’ÉSAD) et Mustafa alZanati (imprimeur helvetico-égytien).

assem abd elHamid

Poète égyptien aux allures d’hashishin et compagnon de quête soufi d’Ammar.

Wafi

Anarchiste égyptien, ingénieur en agronomie à Qéna. C’est l’éminence grise qui réfléchit aux actions à mener dans le sud de l’Égypte. Il cherche à mobiliser la foule pour renverser le gouvernement, puis à sensibiliser les égyptiens à la politique. C’est une tâche rude quand l’enseignement actuel de l’islam (à tendance wahhabiste et salafiste) affirme qu’être contre le dirigeant est un pécher.

amin aldisHnaWi

Cheikh soufi le plus connu du Sud de L’Égypte et ami d’Ammar, Assem et Hossein.

Hossein

Un des meilleurs flûtiste ney égyptien. Il réside à Louxor et joue pour Amin lors des Nuits soufis.

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res

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aHmad & fatima

Journaliste égyptien indépendant au Caire. Il est marié à une anglo-irakienne qui étudie l’ethnologie. Ce sont eux qui nous ont accueillies avec nos 5 compagnons dans leur appartement le 11 février 2011.

cHristine

Consule honoraire de France. Elle est en charge du sud de l’Égypte. Elle est aussi la directrice de la Maison des Potiers à New Gourna, dans laquelle Barakat travaille. Elle est aussi l’infirmière de tous les habitants qui le souhaitent.

Hanifa

Monteur en cinéma, c’est le jeune frère d’Ammar. Par le passé, Hanifa, de son vrai nom Ahmed Bakr, était un Frère Musulman intégriste. Puis il s’est aperçu qu’il gâchait sa vie et celle de sa famille, alors il a quitté la confrérie, et a rejoint la voie des soufis.

meHdi

Psychanaliste iranien résidant à Poitiers, en France. Il a été pendant plusieurs années le compagnon de ma mère. Nous avons vécu avec lui et sa famille.

mqrPhotographe américain qui parcourt l’orient depuis 10 ans.

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Antonio Gramsci, (traduit littéralement de l’italien), elle est extraite d’une Lettre à son frère Carlo écrite en prison, le 19

décembre 1929.

« Je suis pessimiste avec l ’intelligence, mais optimiste par la volonté »

(Cahiers de prison, Gallimard Paris, 1978-92).

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la Place

J’aurais pu parler de l’Orient sans y mettre le pied, mais je préfère me laisser déranger sur place. Comme le reporter polonais Ryszard Kapuściński le dit :

« Il se peut que la pensée naisse dans le mouvement. Changer d’endroit, changer de visages humains agit beaucoup sur ma pensée et m’incite à la réflexion. »

Ryszard Kapuściński, Autoportait d’un reporter, textes choisis par Krystyna Strączek, feux croisés\plon, 2008.

Édition originale : Wydawnictwo Znak, Cracovie, 2003.

Afin de raconter l’ailleurs, de partager la passion qui me porte, j’ai besoin de me plonger dans la situation. En restant plusieurs mois dans ce quotidien étranger, je commence à percevoir la culture égyptienne, et à m’y immiscer. Avec le déracinement, s’affine la sensibilité. Afin de me laisser surprendre, j’ai refusé de regarder les photos des autres, d’écouter leur ressenti, d’explorer l’Égypte en amont. Je n’ai pris de renseignements que le strict nécessaire. Je souhaitais le choc des cultures, du non identifiable. L’exception est pour la langue arabe, quelques cours avant le départ, une connaissance sommaire de l’alphabet afin de me permettre l’écoute sur place. Des échanges simples mais directs avec les égyptiens ont ainsi été possibles, sans plus de traduction obligatoire. Ainsi, sur place, je reçois tout, je m’imprègne de la situation et je tente de m’y adapter. Et très rapidement je rentre dans l’intimité de l’étrange. Pour m’intégrer je dois bouleverser mon comportement, alors je deviens le caméléon. J’essaie de me calquer sur les gens que je côtoie.

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* débile dans le sens idiot. Cet état de fait est lié au systême corrompu qui sévit en Égypte. En effet, un homme capable ne dépassera pas le statut d’assistant, alors qu’un idiot sera un émissaire parfait, car au moins il comprend qu’il ne doit sa place pas au mérite mais à son mentor, auquel il devra des services.

Mais je me heurte à mon ignorance des règles implicites : la place de l’homme et de la femme, du professeur et de l’étudiant, du riche et du pauvre. Il est souvent difficile de deviner qui détient réellement le pouvoir. (Ah bon ? n’est-ce pas systématiquement l’homme, le professeur, le riche ?) - Non. - Derrière les apparences, la femme despotique se cache à la maison, l’homme à la veste râpée fait affaire avec le gouverneur, celui qui est amical pille l’hôpital avec ses hommes, le professeur souvent incapable est le jouet débile* du gouvernement, ...

Chaque instant est une découverte, une remise en question de ce que je croyais acquis. Et chaque pas, que j’effectue au hasard, me permet de comprendre un peu plus en profondeur cette culture, dont je n’effleure pourtant que la surface.

Et tout en me formant à ce pays, je pose sans cesse des questions. Pourquoi ne doit-on pas sortir sur le balcon sans voile sur les épaules ? Pourquoi doit-on tenir la chandelle aux amoureux ? Pourquoi est-ce dangereux pour notre ami le potier quand nous restons dormir chez lui ? Pourquoi l’art égyptien est-il aussi lourd qu’une pyramide ? Pourquoi les filles ne veulent pas se risquer à nous accompagner hors des horaires 12h-18h ? Pourquoi cette femme a-t-elle vendu son enfant ? Pourquoi Barakat ne se marie-t-il pas ? Pourquoi ce sont les jeunes qui ont amorcé la révolution ? Pourquoi ce sont des enfants qui ont fait fuir la police ? Pourquoi n’y a-t-il pas de librairie à Louxor ? Pourquoi la police demande-t-elle du bakshish ? Avec mon regard de française, j’épouse la situation et je la laisse se présenter avec tout ce qui me la rend incompréhensible.

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J’aime donner la parole. Ce qui me rend tributaire de l’autre, de ce qu’il voudra bien partager. Je préfère la place de l’équipier à celle du leader, je suis celle qui écoute. J’attends jusqu’à ce que l’échange soit mûr. C’est un nœud de possibilités, sans forme, sans direction, sans autre public que mon oreille, où déjà la voix s’estompe. Mais j’aurai le dernier mot, autoritaire en douceur, car le contenu est alors en ma possession, comme un souvenir. Une conversation, un échange, brassent des idées et du sentiment qui, après un instant, s’évaporent. Sans enregistrement il n’en reste rien de tangible. Je matérialise cet échange comme il m’apparait le plus pertinent. Sous une forme propre à exprimer cette histoire qui m’a émue, et que je souhaite partager à mon tour. Sous forme de livre, de vidéo, de son, ou d’objet, que m’importe de garder une ligne plastique homogène ?

Par exemple mes conversations sur la religion avec mes camarades musulmanes m’ont fait prendre conscience de l’importance de la prière. Le décalage horaire entre chaque pays où un musulman vit et suit la charia, crée une prière continue qui tourne autour de la terre. Une vision à donner le vertige, à presque entendre cette psalmodie aussi envoûtante que les vagues dans un ressac. Ces conversations, qu’elles m’ont offertes, ont bouleversé ma compréhension de la prière.

J’essaie à présent de trouver un moyen de partager ce sentiment. D’intervenir dans l’espace afin de faire ressentir la profondeur, la beauté immatérielle de cette action simple, qu’on ne peut entendre qu’avec l’esprit, et qui consiste en ce que chaque musulman vient ajouter ponctuellement sa voix à la prière ubiquiste.

donner

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Je considère cette approche de travail comme une prise de risque à part entière. En effet, d’Égypte j’ai manqué ne rien ramener. Chaque pièce a été le sujet d’angoisse, de discussions parfois houleuses, mais j’accepte la possibilité de l’échec. Ne pas être maître de la situation a son piment. L’échange humain n’en est que plus profond en cas de réussite.

Je travaille en ce moment avec des tricoteuses à Strasbourg. Je suis allée à leur rencontre afin de leur proposer un projet. Elles sont douze femmes à conclure un pacte d’échange avec moi. Peut-être la pièce que nous préparons arrivera à terme dans deux mois, peut-être pas. Nous nous donnons entièrement à la tâche. Avec elles et moi, il y a treize raisons d’être à l’heure, treize aussi de ne pas l’être. On verra bien.

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cryPtomicon (et mon père)

Il y en a qui savent ce que leurs parents font. Il y en a d’autres qui s’en fichent. Et il y en a qui, comme moi, essaient de savoir, sans y parvenir. Quand je raconte ce que fait mon père, on dirait un conte. La réalité n’a rien à envier à la fiction.

Il y a le cadre de l’armée. Un cadre sûr, immuable. Il en fait partie. Dans cet espace où tout est défini, sur l’uniforme qui fixe la hiérarchie de celui qui le porte, il y a le nom en scratch, il y a les armes, les plaques sur les bureaux austères, et partout la rigueur de pensée des gens de l’armée. Le temps est minuté et sur les tableaux blancs des salles, il y a les diagrammes d’action et les plans point par point.

Mais de temps à autre, mon père brouille les pistes. Je n’ai jamais bien compris ce qu’il faisait. Ce qu’il fait encore. Hier, il mettait fin à toute question avec un « Secret OTAN », secret défense. Quand il revenait de ses missions, ma soeur et moi nous apprenions qu’il avait fait on ne sait quoi en Serbie, Macédoine, Afghanistan, Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, il invoque le « Secret Invalides », secret d’état. Quel secret ?

Il disparait. Il brise la certitude tranquille, alors j’affirme le potentiel d’imaginaire qui se développe dans cet espace de non-savoir.

Quand je suis allée le voir dans son nouveau bureau, j’ai passé le contrôle d’identité, les différentes portes magnétiques, puis j’ai vu des salles remplies de machines qui vomissaient des listes de chiffres sur des languettes de papier sans fin. Des hommes et des femmes relisaient très rapidement ces milliers de chiffres. Je suis passée près d’un

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énorme coffre fort dont l’entrée était une porte blindée avec des manivelles et des codes numériques. Dans son bureau, sur un meuble, je pouvais palper les machines mythiques comme énigma, qui générait des codes pendant la guerre. Il m’a parlé vaguement de fusée et de satellite. Peu après, il disparaissait en Guyane, Italie, Californie.

Absence / SilenceQu’est ce qu’il fabrique ?Au fond, je ne veux pas savoir.

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al bassit

À chaque fois qu’Élisa et moi, nous retrouvions Ammar, à la terrasse d’un café (seul lieu admis où il pouvait nous rencontrer sans persiflage) je regardais son carnet de dessins. Au fil des pages de l’un d’eux (car il les remplit si vite qu’ils se renouvellent sans cesse), j’ai lu :

Plus je l’écoutais me parler du sens de ce nom d’Allah, un des 99, plus je m’y plongeais. AlBassit est une notion complexe du rôle d’Allah qui se rapproche de « Aide toi et le Ciel t’aidera ». Il signifie : Celui qui aplanit le terrain. Celui qui facilite la tâche. Celui qui, dans sa miséricorde, comble les canyons et abîme les montagnes. À condition que le croyant fasse le premier pas.

AlBassit est le nom d’Allah qui exprime au plus près mon état d’esprit, ou celui que je souhaite réaliser. Je le conçois comme un mot à répéter afin de se rappeler à quel point nous sommes libres dans nos choix. Chacun de nos actes modifie ce qui semblait tracé jusqu’alors.

Utilise la force des choses. Laisse toi porter par le mouvement. Si tu pousse simplement dans le bon sens, leur force fera tout avancer. Un non agir qui se marie bien avec « se laisser porter par la chance ». Profite des instants de rencontre. Vis au jour le jour. On verra bien.

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* concrétion = réunion de parties en un corp solide.

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olivier babin (et Jodorowski)

Je suis à la biennale de Lyon en 2007. Après avoir traversé une salle tapie de tôle ondulée dans la cacophonie, je tombe en arrêt devant un diamant. Il est encastré dans une niche, et repose dans un écrin blanc. Il est protégé par une glace. Aucun intérêt. Je tourne les talons.

Mais il y a ce cartel... Un vrai roman, plus grand que la pièce elle-même. Simplement dans le paragraphe de « composition » :

Ce qui compte, c’est de le dire ! Je suis prompte à croire, mais paradoxalement j’applique le principe du scepticisme à presque tout ce que je vois. Quand il s’agit de la parole d’un artiste, je doute automatiquement, et pour le cas de ce diamant j’espère presque qu’il ment. Car avec ce cartel Olivier Babin nous offre un espace de songe - j’imagine 7 œuvres monumentales composées de matériaux de récupération, incinérées à grand feu dans les règles du métier, et dont le charbon résultant est aspiré méticuleusement et solidifié par concrétion*, pour enfin être taillé par un professionnel « en brillant », acquérant ainsi une valeur monétaire importante.

Perfect Day, 2007Monkey business (Zoo Galerie, 2004)Diamant de synthèse obtenu à partir des cendres de crémation d’une sculpture en 7 éléments exposés à la Zoo Galerie en 2004, intitulée Die sieben Tage, et exposé par la suite sous la forme d’un élément séparé et sous le titre D-Daytaillé en brillant, certificat d’authenticité 0,25 carat.Courtesy O.B.; Triple V & Galerie Frank Elbaz, Paris.

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Dès que le visiteur lit le cartel, le diamant se dote d’une histoire, d’un passé, d’une singularité. Cet objet, somme toute banalisé, reproduit partout à des fins commerciales « glam’ & strass », est assez déplacé dans une exposition d’art contemporain. Je mets déjà en doute son authenticité. Mais plus l’histoire qui l’accompagne est « grosse », plus la présence de ce diamant, ici et maintenant, est jubilatoire. Ce qui m’importe c’est qu’Olivier Babin émette la possibilité que ce que nous voyons là n’est pas ce qu’il semble être : un simple strass dans un écrin, mais une pièce très complexe pour la compréhension de laquelle l’imaginaire est convoqué. C’est une pièce excessivement simple et qui, en devenir constant dans l’esprit de celui qui la regarde, me fait rêver.

J’aime faire l’expérience de ce qui a une matérialité certaine, mais dont l’image complète ne se construit que par la force de l’esprit.

…..........................................................................................Le cheval de Troie de Jochen Gerz est construit à travers les différents étages d’une galerie. On ne peut le voir entier. Ici quatre poteaux de bois, là une masse énorme à travers laquelle on soupçonne l’artiste de dormir, puis l’étage au dessus, le dos de planches, accompagné d’un nouveau poteau qui doit être le cou du cheval de bois, l’esquisse de l’angle de sa mâchoire...

Le dessin de la foudre dans la vallée de Nazca (pour en choisir un parmi les géoglyphes du colibri, du condor, du singe,...) est gravé dans la terre. On ne peut le voir que d’un avion – objectif, favori des touristes au Pérou. On ne sait pas comment ce peuple (Nazca : entre 200 av. J.-C. et 600 ap. J.-C.) est parvenu à tracer si grand la forme de la foudre

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et à graver la terre si profond que rien n’y pousse plus.

La prière qui fait le tour de la Terre portée par les voix en décalé de tous les musulmans du monde. On en entend pourtant qu’une à la fois, déjà composée de mille voix à l’unisson. Celle du pays voisin commencera avec le décalage horaire. Écoute.

…..........................................................................................C’est la possibilité ouverte à l’esprit qui est attrayante, cette zone où rien n’est arrêté, l’attention reste totale.

…..........................................................................................Je pense que c’est ce même doute, teinté de provocation, qui a attiré les collectionneurs successifs des boîtes de Manzoni, les merda de artista. Ils ne pouvaient être sûrs de la bonne foi de l’artiste. Les boites auraient pu être vides. Bernard Bazile est parti à leur recherche afin de les interroger sur le rapport qu’ils entretiennent avec ces œuvres. Lui-même, en 1993 à Marseille, est allé jusqu’à ouvrir celle qu’il avait empruntée à l’artiste Ben.

Pour moi, par cet acte de « profanation », toutes les boîtes sont mises en défaut. À cet instant, l’espace d’ombre, de non-savoir qu’elles protégeaient disparaît.

Bernard Bazile, « Les collectionneurs de Merda d’artista » Editore: Institut d’art contemporain, Villeurbanne, 2004.

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le son du PaPier

Je n’ai longtemps voulu dessiner que sur un papier qui réagissait à mon attaque.J’aime un papier qui bruisse, qui se rétracte, qui ondule sous mon geste. Qui change quand il sèche et qui proteste quand je le manipule. Aucune pitié pour le support. Il doit se plier à moi, c’est un combat. Je me garde de sacraliser le dessin. Si je le révère trop, que je n’ose plus lui faire mal, c’est que je deviens économe, sans générosité.

Les gens sont en général choqués par cette manière sans déférence avec laquelle je manipule aussi les livres : agressive, selon eux. Dans leur idée je devrais les manipuler avec douceur et précaution. Je les violente, les gribouille, les tords et les corne. Comme le papier, ils doivent bruire. Me rappeler leur matérialité et s’imprégner de vie. J’annote le livre que j’entraine avec moi. Il doit vivre le même voyage. Je le bariole, le remplie de marques pages-images, de réflexions, d’adresses, de croquis. Il est écorné et souvent déchiré, les pigments de sa couverture souffrent. Il se transforme, il vit.

Quand j’ai découvert les livres du Moyen Age, tant occidentaux qu’orientaux, j’ai été séduite par le grand vide autour du texte. Cet espace, qui m’est avant tout esthétique, permet l’écriture en marge. La glose. C’est le lieu où le dialogue entre soi et la pensée de l’auteur peut prendre place. Une alchimie de murmures y opère. Comme lors des multiples réécritures de l ’Encyclopédie, Rousseau et les autres, y ajoutaient des modifications et extensions. Alors entre deux livres d’occasion, je préfère celui qui murmure.

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les mots tabous

« Dans les pays où existe une censure, on se bat pour exprimer au maximum ce que l ’on veut. Dans les pays où règne la liberté d’expression, la liberté du journaliste est limitée par les intérêts du journal pour lequel il travaille. »

Ryszard Kapuściński, Autoportait d’un reporter, textes choisis par Krystyna Strączek, feux croisés\plon, 2008, p.39.

Édition originale : Wydawnictwo Znak, Cracovie, 2003.

En prenant une certaine distance, je peux étendre cette déclaration de Ryszard Kapuściński, (par lui appliquée au Journal), à toute structure possédant un pouvoir qui excède le notre. Ainsi, au quotidien, je suis confrontée à cette censure. Lors d’une conversation durant le genèse de mon livre Téhéran, à cause du deuxième mot, qui est arabe, je subis cette censure. « Si je ne te connaissais pas je penserais que tu es d’extrême droite », me déclare x, « tu ne devrais pas écrire ça, retire-le. »Que répondre à cela ? C’est une censure au nom de la liberté, au nom de la défense des minorités. Une hypocrite ouverture d’esprit qui cadenasse, qui me la boucle.C’est peut-être le politiquement correcte, ce que j’appelle « les bonnes pensées du moule d’acier ». Avec cet esprit, un mot devient porteur de concepts négatifs, donc proscrit.Quel mot dois-je employer alors ? Rebeu, pour un métisse arabe, change-t-il réellement quelque chose ? Suis-je obligée d’intégrer un morceau d’Histoire afin qu’il n’y ait pas de notion péjorative dans le mot arabe ? Ou dois-je signaler

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grâce à un astérisque que je n’ai pas un ton péjoratif dans ce paragraphe ? De la même manière, si je dis juif, on m’accuse d’antisémitisme. Ne parlons même pas de la gêne que provoquent les mots noir ou black, handicapé.

Je retrouve un système que je pensais issu de la fiction uniquement, la « double pensée » de Georges Orwell. Nous vivons un 1984 en réalité. Le but implicite est-il comme dans le roman de ne plus en parler, de ne plus débattre ? Refuser la différence, ou l’ignorer afin de ne plus laisser la possibilité à chacun d’avoir sa propre opinion ?

La gymnastique mentale de dire « oui » quand on pense « non », et de malgré tout comprendre correctement, est omniprésente dans la vie courante. Ce système de « double pensée », je l’ai souvent relevé en Égypte plutôt qu’en France, car j’étais plus détachée, plus critique. Pour l’expérimenter, c’est simple : il suffit d’écouter un programme télévisuel et de le comparer avec son propre vécu, loin de la corniche dorée réservée aux touristes. Vous pouvez analyser cet état de fait à posteriori, grâce au film de Katia Jarjoura. Écoutez d’un côté les discours du gouvernement égyptien ainsi que les propos recueillis auprès des passants avant la révolution, et de l’autre côté, la parole libérée des activistes et surtout, celle des égyptiens en général, après la chute de Moubarak. Ils expriment enfin la réalité de la situation sans plus avoir à se conformer au « double langage » du gouvernement de Moubarak par crainte de représailles.

Good bye, Moubarak ! - Un film de Katia Jarjoura.« À la veille du soulèvement, Katia Jarjoura a filmé la campagne et le déroulement des élections législatives

manipulées par le régime. De passionnantes chroniques prérévolutionnaires qui dressent le portrait politique de la

société égyptienne. »Vidéo-reportage (France, 2011, 71mn)

diffusé initialement le mercredi 21 septembre 2011

à 20h40 sur arte.

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Marc Godfrey, p.22 de l’essai « Politique/Poétique : le travail de Francis Alÿs », extrait du catalogue, Francis Alÿs, A history of

Deception, rédaction Marc Godfroy, catalogue de l’exposition du même nom au Wiels, à Bruxelles, publié en collaboration

avec Tate Entreprise Ltd, Tate Publishing et Tate Trustees, traduction de Zoé Derleyn et Anne-Thomas-Lemoisne,

éditions Lanoo, Tielt, 2010.

Il {Francis Alÿs} est attiré par des lieux « irrésolus », notant lui-même que « là où tout semble fonctionner parfaitement selon des règles propres, je ne ressent aucun empressement à m’investir. »* il est cependant bien conscient que lorsque son travail répond de façon efficace aux « inquiétudes » d’une collectivité donnée, ce n’est pas simplement par le fait d’une réponse sensible à la situation rencontrée mais bien le résultat d’une convergence fortuite entre les préoccupations du moment au coeur de sa pratique et la nature particulière de la situation.**

*et ** « Blind Date : A Conversation between Francis Alÿs and Cuauhtémoc Medina », 98 Weeks/Beirut Every Other Day,

Beyruth 2009.

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l’art doit-il être Politique ?

Une question que posait Sirine Fattouh en 2006. Elle était chargée de cours à l’Université Paris 1. C’est une palestinienne.

L’art politique ? Je le refusais en bloc, je me le représentais à cette époque uniquement sous la forme de performances extrêmes, gores ou de mises en danger volontaires (Chris Burden, Vito Acconci). Je m’en défendais en tremblant de rage. C’est de l’art ça ? David Nebreda est-il un artiste, ou un fou piloté par sa propre mère ? Valie Export, vraiment ? La Sécession Viennoise ? Wim Delvoye et sa Cloaca ? À cette époque, j’ai essayé de trouver des interprétations à cette forme de travail artistique que je jugeais outrancière. Ces œuvres répondaient pour moi à une logique de surenchère dont le slogan serait : choquez-moi, choquez-moi ! Grâce à la lecture de Paul Ardenne, Esthétique de la limite dépassée, j’espérais trouver une thèse, une antithèse et une synthèse qui me permettraient d’envisager ces productions comme des oeuvres d’art. Je n’y ai trouvé qu’une apologie de ce qui me faisait horreur. Une compilation jouissive de viols filmés, de scènes scabreuses, d’extraits de la série Jackass,... Il écrit :

« L’entrée dans l ’âge moderne puis la modernité consacrent, en Occident, une véritable culture de la dégradation. {…} Il va s’agir plutôt, patiemment et résolument, de détruire l ’homme : sinon lui-même, du moins

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son image. Pourquoi ? Parce que le moi est haïssable, selon la formule pascalienne. Parce que le moi, alors, se proclame libre, et libre en conséquence de se vandaliser, de se délecter de sa souillure, de faire de ses turpitudes un spectacle euphorisant, sur le mode du « lâchez tout » (le modèle dada, à la postérité prodigieuse). »

Extrême, esthétique de la limite dépassée, Paul Ardenne, Éditions Flammarion, 2006, Paris, p. 106

J’ai raturé ce livre, arraché les pages les plus odieuses, mais je l’ai conservé. À cette époque je préférais un art sans risque, qui se nourrissait d’art. Je privilégiais le Beau en soi, celui qui élèverait, et l’artiste, et le spectateur. Mais petit à petit, dans ma recherche lancinante de Pourquoi ? , j’ai pu dissocier politique et extrême. J’ai découvert une pièce de Jochen Gerz qui écrit, en 1974, de manière répétée leben (vie en allemand) à la craie sur le plancher d’une salle. Au bout de cette salle, il a accroché un texte (dont je ne connais pas le détail, car je n’ai vu qu’une documentation photographique sommaire de cette action). La curiosité du spectateur effacera ces vies, foulées au pied. Pas de surenchère. Le message est clair, le background culturel hérité de la seconde Guerre mondiale vient compléter le dispositif (c’est un artiste allemand qui est né en 1940 à Berlin). Le travail du spectateur est de s’imprégner de cette œuvre, de la laisser résonner avec sa propre histoire. Puis, le travail politico-poétique de Francis Alÿs, a fait fondre la résistance que je tentais vainement de cultiver. La ligne verte, une performance filmée en 2004 m’a particulièrement touchée. C’est un acte d’une simplicité extrême : marcher le long de la séparation appelée la ligne verte, qui coupe Jérusalem en deux, tout en laissant couler un pot de peinture évidemment verte. Au spectateur d’élaborer.

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Le malaise dans lequel je me trouvais pourtant toujours me questionnait. Je m’efforçais à faire le tri entre la propagande, la facilité des clichés et la licence poétique. J’ai alors commencé à répéter savoir pour le péril économique mondiale, mais l’ignorer. Une phrase que j’écrivais n’importe où, comme une obsession.

Puis, inexorablement, avec la réalisation de Téhéran en 2009, un livre bavard qui traite de l’Iran, je mettais les pieds dans l’actualité de la Révolution Verte*. Je souhaitais raconter, donner au lecteur matière à réfléchir sur sa propre position par rapport au monde. Avec la question finale « si je devais quitter mon pays, où irais-je ? » j’espérais le sensibiliser à propos du « confort d’être français », C’est une chance, qu’on réalise peut-être uniquement lorsqu’on est confronté aux difficultés innombrables que rencontrent des individus d’autres nationalités. Par exemple, lorsqu’un iranien souhaite aller voir sa famille en Angleterre. Ou simplement retourner dans son propre pays et être assuré d’en revenir. Ou un iranien en France qui souhaite travailler. Un israélien qui se voir refuser tout visa vers les pays arabes, et inversement... ou simplement discuter avec un français qui travaille dans le pétrole et qui fraude à sa manière. Il possède deux passeports, un pour l’Amérique, un pour les pays pétroliers. Ainsi il s’évite les journées perdues à la douane américaine. Il s’agissait de rendre le lecteur modeste, en l’amenant à réaliser l’effort mental qui consiste à se mettre « à la place de ».

En me rendant en Égypte, en janvier 2011, je ne savais pas à quoi m’attendre. J’allais là-bas sans a priori, prête à recevoir ce que les rencontres m’offriraient. C’était le moment.

Cinq jours après mon arrivée, la révolution d’Égypte a éclaté ! Le Printemps Arabe a surpris tout le monde, y compris ses acteurs. Mon intérêt pour l’actualité s’est éveillé et n’a jamais été aussi aigu. Ainsi, c’est comme si la révolution égyptienne était arrivée juste à temps pour me plonger dans cette situation inquiétante où chaque action est politique. Alors, dans ce contexte, quelle serait ma place ?

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foreigner sHield

Être dans les protestations et ne pas comprendre.On peut nous dire n’importe quoi. Quand on croit soutenir les « bons », on apprend que c’était le parti opposé.Quand on croit que tout s’est bien déroulé, on apprend qu’Ammar encore une fois a fait des siennes, seul face à la foule. Sur la place Abu ElHaggag, il y a un prêcheur autoproclamé sur un podium. C’est un frère musulman. Il profite de la confusion de la révolution pour s’approprier les esprits. Ammar, dans la manifestation, lui tire sur la galabieh et le fait descendre de son perchoir. « We want to hear egytian people now, not muslims ! If you speak in islamic way, go away ! It’s time for revolution, not for religion fight !». Après quoi, Ammar vient se réfugier près de nous, à l’extérieur de la foule. Nous sommes son bouclier d’étrangères.

mqr est un photographe documentaire américain. Il arpente le Moyen Orient depuis dix ans. Il revient sur ses pas régulièrement et mesure les changements.Quand il est près de Gourna, le village détruit par le gouvernement égyptien, une manifestation éclate au milieu des quelques maisons colorées qui restent. Il se presse pour prendre des photos. Quand il revient, je lui demande « Do you understand what they are standing for ? », car malgré ses venues fréquentes, il ne parle pas arabe.

Il me répond qu’un ancien habitant du village lui a expliqué dans un anglais douteux sa version de l’évènement. Bien que mqr essaie de se renseigner objectivement autant qu’il le peut sur la situation, c’est la parole de cet homme (par Allah c’est vrai, sur ma vie je jure !) qui constituera la légende de ses photos.

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C’est une lourde responsabilité que de légender ses images. J’apprends à me méfier de ces témoignages déterminants.

Avant jamais je ne les aurais mis en doute. Mais la confusion est là. mqr vendra cette image et ces quelques mots deviendront une vérité imprimée.

http://mqrphoto.com/

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*le gouverneur est le chef d’une circonscription administrative. Ici, il s’agit de celle dont le centre est Louxor.

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gourna

Il y a 200 ans des bandits égyptiens ont trouvé refuge au pied de la Montagne Sacrée. Là où les morts reposent et où la justice n’ose pas aller affronter les anciens dieux.

Gourna est le village de leurs descendants. Il s’assoie sur le flanc de la Montagne, de l’autre côté du Nil, en face de Luxor. Les familles ont prospéré en creusant. Chaque maison est construite sur l’entrée d’une tombe qui regorgeait de trésors. Des générations de pillage les ont vidées. Mais la montagne recrache toujours quelques antiquités. Beaucoup de familles de Gourna ont connus une fortune ponctuelle et subite.

…..........................................................................................NEW GOURNA

À la suite d’une décision du gouverneur*, Gourna, le village aux mille couleurs, doit être rasé. Les habitants invoquent l’aide de l’UNESCO, qui s’interpose entre les bulldozers et les façades. Une dizaines de maisons seulement seront épargnées.

La zone a été désignée « archéologique » car les habitants doivent cesser de piller le patrimoine culturel. Le gouverneur de Louxor leur a proposé un logement neuf par famille, en brique et en béton, ainsi qu’un dédommagement. L’appât du gain les a finalement sorti de leurs maisons ancestrales.

Une action similaire avait échoué deux générations plus tôt, à laquelle nous devons la construction du magnifique village en briques de terre de l’architecte Hassan Fathy. Considérées comme l’apanage des pauvres (contrairement aux cubes de ciment symboles du progrès nassérien) ces maisons furent ignorées par les habitants de Gourna. La

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seule famille qui a choisi d’intégrer les maisons de terre est celle qui, le 4 février 2011, nous offrit refuge lors de La nuit de la blue jackett.

Craignant que, ne voyant pas le dédommagement payé, les villageois ne reviennent, le gouverneur a lancé les bulldozers sur Gourna, dès le départ de ses habitants. Depuis cinq ans ils réclament leur dû, volent et emportent ce qui reste de leurs anciennes demeures. Qui une fenêtre peinte, qui une lourde porte sculptée, qui une poutre faitière. …..........................................................................................

Gourna laisse les touristes photographier ses vestiges sur le chemin de la Vallée des rois, tandis qu’à New Gourna après la révolution, les habitants se précipitent pour détruire les maisons de briques d’Hassan Fathy. Ils sont las de devoir à leurs frais constamment les réparer après les pluies. D’être incapables de construire un appartement pour leurs enfants sur les dômes de terre trop fragiles. Le plus simple est de casser. L’équipe d’Ammar et d’Assem pour la protection du patrimoine appelle à nouveau l’UNESCO pour qu’elle s’interpose.

Q

www.fathyheritage.comfr.wikipedia.org/wiki/Hassan_Fatthy

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la vérité

le rôle de la frontière, du sentiment d’appartenance.

La vérité, ce territoire, où le doute n’existerait pas, on le voudrait commun à tous, mais le point de vue de chacun accommode la vérité. En s’intéressant aux faits, on choisit son viseur, mais aussi son aveuglement. La compréhension entre les uns et les autres est ardue , dès lors que pour chacun, le centre de la carte du monde est différent. Chacun parle d’où il vient. Je me dois de relativiser dès que je pense au point de vue.

Suzanne, une amie allemande étudiante en histoire, m’a narré la semaine de cours qu’elle a suivi en Israël. Les règles des guerres sont redimensionnées à leurs concepts, à leurs efforts pour former la conviction d’une nation dans l’esprit de leurs jeunes. L’Histoire racontée par l’Université Hébraïque de Jérusalem n’est pas la même que la nôtre. (A développer et préciser avec Suzane quand elle reviendra du Guatemala)

En Égypte, le général Kleber est haï. C’est son assassin dont la statue reste, dont le nom est donné à maintes rues. Alors qu’à Strasbourg c’est le général qui trône, appuyé sur un sphinx égyptien au centre de la place Kleber et dans le musée historique de la ville.

« Et le 11 novembre est-il fêté aussi en Allemagne ? » me demande Mickaïl, le patron turc du restaurant grec. À vrai dire je ne sais pas, je ne m’étais jamais posé la question. La frontière délimite le gagnant et le perdant. Peut être que grâce à l’entente franco-allemande, à tous ses efforts de rapprochement, bientôt nous fêterons ensemble nos morts et nos vivants !

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L’origine influe sur la valeur des faits. Non que je cherche la vérité à tout prix, je crois qu’elle est contextuelle. Elle est aliénée subordonnée à un espace-temps, à une Histoire, elle même produite par une nation pour son peuple, dans le but, probablement, de flatter la fierté de chacun, de créer un certain nationalisme lisible dans les manuels d’Histoire. La révolution d’Algérie n’a pas existé dans mon parcours scolaire, ni la Commune. Je me demande à quoi ressemble le programme d’Histoire en Allemagne.

Ça me rappelle une affaire de rires et de confrontations entre Ammar, l’Egyptien arabe, et un ami nubien, plus égyptien que lui, car d’une communauté plus ancienne. L’un traite l’autre de nouvel arabe, inconstant au sang bouillant, de faux égyptien ; l’autre de noiraud, d’africain, de chiffe molle. Tout cela dans le rire. Il n’empêche, l’histoire du sang est très présente dans les esprits. D’autres parlaient plus tôt des espagnols du sud comme de gens proches d’eux, car descendants d’arabes. La conquête musulmane de la péninsule Ibérique se déroule dans les années 711-732 ! « c’est du sang arabe qui bout dans leurs veines ! » clame Wafi, musulman anarchiste de Qéna, « Federico García Lorca, c’est un arabe ! ».

Mais si Ammar n’est pas un vrai égyptien pour son ami d’origine nubienne, alors qu’il descend d’autant de générations au sang « pur » , comment puis-je être française ? Nul besoin de remonter loin dans l’arbre généalogique, mes grands parents sont polonais. Ma famille un jour a décidé de venir, d’épouser la France. Mon nom Kukielczynski n’a rien de français. C’est vrai, mais je suis française. Je voudrais parfois être d’ailleurs, mais j’appartiens à la France. Mon sang est européen et ma nationalité l’unifie.

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Dans une émission à la radio j’apprends avec un certain soulagement, dans un contexte de nationalisme croissant, que les Francs le sont devenus par adhésion. Ils ne sont pas nés Francs par le sang, les différents royaumes qui peuplaient cette terre ont rallié les puissants Francs. Ils ont pris la décision d’être français.

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raWaga

Le schéma est classique. Une femme entre quarante et soixante ans. Un égyptien d’une vingtaine d’années. Ils se promettent sur la corniche. Le bras flasque et grillé des dames contre le corps gonflé des gigolos. Ils s’exhibent. Le verbe est haut, en anglais avec des accents variés. L’Égyptien est fier, son sourire carnassier. Il provoque. Chacun fait le bonheur de l’autre. Les regards des amis autour cachent à peine leur avidité. Personne n’est dupe.

…..........................................................................................Ah oui vous l ’avez rencontrée ? Mhh, elle a du culot celle-là. Elle doit un billet d’avion à l ’Etat français.Elle a rencontré à Metz ce musicien égyptien que vous savez. Il était en tournée. Elle a tout abandonné. Le restaurant, son mari et son fils. Elle est restée un an à peu près, chez lui, à Louxor. Avec sa femme, oui. Et puis un jour je l ’ai trouvée dans la rue. Elle n’avait pas mangé depuis trois jours. Elle a tout perdu. Je me suis arrangée pour lui faire débloquer des fonds, avec les assistantes sociales, j’ai tout remué. Et je l ’ai faite rapatrier. Elle ne devait pas remettre les pieds sur ce territoire sans avoir réglé sa dette. Je suis en charge de son dossier, je sais qu’elle n’a rien remboursé.

- Et la voici l’été suivant, de retour.

…..........................................................................................Christine reçoit un appel provenant de France. C’est une dame paniquée.

Madame la consule mon compagnon m’a appelée. J’ai reçu une convocation du tribunal de Louxor. Il m’a dit qu’une voiture viendrait me chercher demain. J’ai pris mon billet, j’arrive ce soir.

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Madame n’y allez pas. Restez chez vous demain. C’est la révolution, le tribunal est fermé. Et nous sommes en Égypte ! Si vous étiez convoquée, jamais une voiture ne viendrait vous chercher.

Allo madame la consule. J’y suis allée quand même. Ils m’ont fait signer des papiers en arabe. Je vous les apporte.

Vos papiers c’est pour céder vos possessions à votre compagnon. L’acte de propriété du terrain était déjà faux. Ce n’est pas votre nom dessus mais celui de votre « juge ». Et la maison est maintenant au nom de votre compagnon. C’est pourtant du sens commun de ne signer que des papiers que vous pouvez lire ! Avec le peu qu’il vous reste, je vous conseille un avocat du Caire. J’ai confiance en lui. Il est cher mais honnête. Si vous voulez limiter les dégâts contactez-le au plus vite.

Allo madame la consule. J’ai appelé votre avocat. Il était trop cher. J’en ai pris un autre. Avec lui j’ai acheté un nouveau terrain, et nous commençons les travaux le mois prochain.

Madame ne m’appelez plus jamais.…..........................................................................................

Aux alentours de Gourna, ça fait 200 ans que c’est leur business.

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Politique Journalisme

« […], le reportage d’auteur, dont le principe consiste à approfondir le problème, à le filtrer à travers sa propre personnalité, à le polir, n’est pas fini. Pour cela, il y aura toujours un besoin. »

Ryszard Kapuściński, Autoportait d’un reporter, textes choisis par Krystyna Strączek, feux croisés\plon, 2008, p.44,.

Édition originale : Wydawnictwo Znak, Cracovie, 2003.

Être traitée de journaliste ou de militante m’ulcère. Je souhaite ne pas me mettre au service de quelqu’un.Ne pas vendre de l’information.Rester intègre et sensible.Accepter l’indépendance de la vérité (l’impossibilité de la posséder).La proclamer comme telle.Je jure de l’inexactitude de l’information que je donne.Je ne suis pas une journaliste.J’ai d’autres moyens de communication.

…..........................................................................................

POLITICIEN, ENNE n. (angl. politician).Personne qui fait de la politique, qui exerce des responsabilités politique. -(souvent péj.) Des politiciens sans scrupule. ◊ adj. Qui relève d’une politique intrigante et intéressée. La politique politicienne.

Le petit Larousse COMPACT 1992, p. 800 sous la direction de Daniel Péchoin et François Demay

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Je découvre par cette définition que « politicien ≠ homme politique ». Un amalgame pourtant admis par les gens que je fréquente, même par mon père. Le terme « politique » est teinté de crasse, pour moi, comme pour la plupart des gens de ma génération. Nous sommes désabusés par le comportement des politiques, des dirigeants, de ceux qui incarnent le pouvoir, bien que sûrement pas au point de tout faire chavirer comme les Egyptiens, les Tunisiens, et les Libyens. Que mon livre s’appelle « Téhéran » ou que mes revues réalisées sur place ou au retour se nourrissent de l’actualité en Égypte, la manière dont je traite ces sujets n’est ni politique, ni journalistique. …..........................................................................................

Q leitmotiv Extraits-toi du carcan. Relance les dés, combat le déterminisme de ton éducation. Provoque la réflexion. Mets-toi en position d’innocence. La naïveté est une arme. C’est un combat de chaque instant. Il est tellement plus facile de détruire la subtile balance de l’entendement à coup de « ça devrait être comme ça », que de construire, d’élaborer avec les différentes voix sur un fait. Alors, dès que tu te rends compte que tu juge le monde, que tu te mets en position de supériorité, lâche prise. Et cet effort, tu le recommences en boucle. leitmotiv Q

Mouche à Miel mouche iranienne qui se prend pour une abeille, elle se déguise avec des rayures et fabrique du miel,Mouche à Miel, mouche à merde sublimer la merde en miel, la merde en or, Mouche à Miel, mouche à merde, fouille merde  l’expression péjorative familièrement donnée au journaliste, Mouche à Miel la sublimation de l’actualité à travers le regard de l’artiste c’est la revue dessinée :Mouche à Miel / revue – carnet d’Égypte. Une publication sérigraphiée sporadique qui cherche à détruire le « moule d’acier de la bonne pensée ».

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Dans ma petite boite marquetée iranienne, le bijou a surgi, revenu de loin. C’est une bague de famille. Traditionnellement, elle est portée par leur chef. Elle est en argent gravé et sertie un grenat. La pierre de sang cliquette car elle bouge dans sa monture. C’est un don que Mehdi avait fait à ma mère. Cette bague vient d’une histoire à quatre, et des fois bien plus. Lorsque Mehdi, ma mère, ma sœur et moi étions une famille, au sein de sa famille. Elle me rattache en France à des bribes d’histoires de l’ailleurs, à des vérités obscures issues de l’Iran qui se trouvent à la limite entre le songe et le souvenir.

C’est lui qui nous a présenté l’Orient. À une période où, encore enfant, en devenir, j’ai tout reçu. Me construisant avec, sans m’en soucier. Puis ils se sont séparés et je l’ai doucement oublié. Mon intérêt s’est re-éveillé bien plus tard. Les paradoxes travaillaient. Je suis retournée le voir. Quand je lui annonçais que je partais pour Strasbourg, il me dit Je connais bien, j’y ai appris le français. Comment était-il arrivé en France ? Et pour quelles raisons ? Je suis réfugié politique. Ai-je bien vu les marques du fouet un jour sur son dos ? Fardin, son ami, me dit que de toutes manières, c’est une réalité que chaque iranien vit au contact des autorités.

Ces questions politiques souterraines sont mêlées au souvenir de la liesse des fêtes iraniennes à Poitiers. Car à travers cette bague, c’est aussi l’ambiance particulière à l’îlot des expatriés que je retrouve. C’est un concentré de culture iranienne, celle des intellectuels qui ont fuit. Cette bague prolonge le mythe de Samarcande, de l’Iran magnifique du temps de l’empire Perse. À elle seule,

la boîte à biJou de meHdi

(Pourquoi l’orient ?)

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elle ressuscite le poète Omar Khayam, la liberté de pensée des années 70, avant la Révolution Islamique. Elle est le certificat d’authenticité de tous ces récits, de ces évènements. Tout cela, je l’avais oublié.

Neuf ans plus tard, à Strasbourg, j’ai rencontré de jeunes iraniens. Une autre histoire. Ils ont grandi dans l’Iran de l’ayatollah Khomeini et du président Ahmadinejad. La liberté que leurs parents ont connue, n’est pour eux qu’un Eden illustré par des photographies d’époque. Ils regardent vers l’Occident actuel en se demandant comment leur pays a pu changer à ce point. Ces Iraniens-là sont entre-deux, ils vivent à Strasbourg mais leur esprit est à Téhéran. Ils sont en transit. Ils résistent à ce régime qui sape toute réaction rebelle, à leur manière : en racontant. Ils ne soupirent pas après un Iran disparu, ils résistent au présent. Ils se compromettent à travers les réseaux sociaux surveillés. Ils cyber-hurlent, car ils sont trop loin pour partager sur place la résistance active de leurs compatriotes. Et j’écoute.

YOU ARE UNDER SURVEILLANCE (by Saba Niknam)

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« Je crois que cette volonté inavouée de perpétuer l ’accomplissement de tâches inutiles repose simplement, en dernier ressort, sur la peur de la foule. La populace, pense-t-on sans le dire, est composée d’animaux d’une espèce si vile qu’ils pourraient devenir dangereux si on les laissait inoccupés. Il est donc plus prudent de faire en sorte qu’ils soient toujours trop occupés pour avoir le temps de penser. »

Georges Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres. p. 162-163, Éditions 10/18, 2001, titre original : Down and Out in Paris

and London, Eric Blair, 1933, Editions Ivréa, Paris, 1982, pour l’édition française.

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ProPagande

Nous avons été plusieurs fois confrontées à des journalistes égyptiens. Je parle de confrontation car le média s’imposait à nous. Comme pour les photos que tout le monde souhaitait prendre avec nous, pas de possibilité d’y échapper, une sorte de prise d’otage. Nous ne saisissions pas bien quel était leur but. Devant la caméra, sur la place Abu El Haggag, après notre action publique, nous étions retransmis en direct (je crois) sur une chaine régionale. L’interview était inconfortable, et ressemblait plus à un jeu de téléphone arabe.Arabe > anglais > français > anglais > arabe.Journaliste > ammar > élisa et moi > ammar > journaliste.

« Elle peut te poser n’importe quelle question, ce qui compte c’est que tu répondes ce que toi tu as envie de partager. C’est ton créneau d’expression. », nous a soufflé Ammar afin que nous puissions parler librement. Il n’y avait pas d’obligation pour répondre aux questions incompréhensibles de la speakerine. De toute manière, la déformation devait atteindre son paroxysme à travers toutes les traductions. Nous pouvions en effet dire à Ammar ce que nous voulions en anglais approximatif, qui à son tour pouvait bien dire en arabe ce qu’il souhaitait à la speakerine, qui elle même a conclu ce qui lui chantait.

…..........................................................................................Pendant le long retour en train, entre Le Caire et Louxor, le poète Assem m’a prêté son carnet de note. C’est un petit objet précieux où il a consigné le début de son livre. « Tersem ! », l’image du tapis est déjà là dans mon esprit, le premier d’un groupe de cinq, le seul dont le dessin est arrêté. Je lui confie. C’est un homme très pieux, le premier homme que j’ai vu prier sur un tapis. Il s’exclame aussitôt que je lui rend sont petit livre « Allah !

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Allah ! », signe d’extase et de joie. Les mois suivant je ne le voie pas. La situation est critique dans sa position d’activiste. Comme Ammar, il disparaît pour se faire oublier. Je n’ai de nouvelles d’eux que par le biais de FaceBook, dont l’usage est un acte politique d’opposition. Quelle est ma surprise en surfant sur ces pages en arabe que je ne comprends presque pas, de voir apparaître mon dessin ! Je le retrouve dans un album photos de Mohamed Graber, un ami d’Ammar. En cherchant la racine de l’image à travers les liens, je découvre que ce dessin a été adopté en tant qu’image de profil par un parfait inconnu.

Plus tard, je demande à Ammar de me traduire le commentaire en arabe. Je suis citée en tant qu’ « artiste française », mais pas nommée. L’inconnu est en fait le frère d’Assem, qui a accueilli toute l’équipe, quand ils nous ont quittées. Passionné par l’histoire de notre expédition sur la Place Tahrir, il a pris mon dessin en photo, et se l’est approprié. Ainsi, de « j’aime » en « partager », mon dessin griffonné, par la médiation d’internet est devenu une image publique. Je n’ai plus aucune prise sur elle et chacun l’interprète hors contexte. C’est étonnant d’observer une image prendre vie. C’est dérangeant, dans la mesure où l’intimité de cet échange et son sens se sont évaporés, mais en même temps cela m’a honorée.

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le Pays arabe le Plus sale

24 Janvier 2011

Des iraniens m’avaient prévenue, l’Égypte a mauvaise réputation. Le temps de l’Égypte «capitale culturelle du Moyen-Orient», lieu d’échange à la pointe des sciences et du raffinement, n’est plus. Dans les pays arabes, elle ne rayonne plus que par l’Université al Azhar, qui produit des docteurs en religion pour l’étude de l’Islam. Ainsi que pour son coton, qui d’ailleurs appartient à des groupes étrangers.

Deux heures après notre arrivée en Égypte, Ammar nous avait prévenues :« You have to know something : here systeme is no systeme ».

En fait j’aime ça. Cette saleté ambiante signale que tout est possible. Tout ce qui est cassé fonctionne, avec rien.On peut tout trouver avec plus ou moins de mal. Si tu en as envie, c’est comme si c’était fait. Un atelier, au fond, ça n’est rien qu’un espace, et le minimum pour bricoler. Pas besoin de machine miraculeuse. Les bazars sont partout. La poussière, la saleté, l’usagé. Et ce joyeux bordel fonctionne à son rythme.

…..........................................................................................LA FAUTE

« You know, the government made them bad. Government is bad. Egyptian people are very good. That’s not our fault. »

« I’m a teacher, in physic-chimy, I have no work cause of the government.

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You hurt my friends. Yes, I have friends with boat, 50 Egyptian Pounds each to cross to the temples, OK ?I’m your friend, I just want to help you, that’s not my business, you know ? 50 ? Yes ? 50 ? 45 ? Yes ? »

Les lieux publics sont dégradés. Volés, saccagés.Les seuls endroits où une civilité improbable est conservée sont les microbus.

…..........................................................................................7 mars 2011

Hier je l’ai dégueulé. Trop de difficultés partout. L’impossibilité de faire. Être traitée comme une pute, comme un porte-feuille sur jambes.

Sans le sésame qu’est Ammar, seule la face obscure de l’Égypte se montre. Le coeur des gens est clos et l’hostilité est à peine recouverte par des sourires vendeurs. Dès que la pellicule est émoussée, les canines sortent et l’égyptien enfreint l’espace intime. L’esprit est retors, les actions blâmables. Cours vite ou cries en frappant fort, khallas !

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« To give you a flavor, one email question answered on a Saudi satellite channel was whether the faithful should clean themselves with paper or water after using the toilet. The sheikh responded, « It is forbidden to use toilet paper if water is available, » then went on to suggest that some combination of the two was likely the best option. Part of the question focused on wether what you did in the bathroom was being monitored by a higher being, and the sheikh assured the viewers that toilet protocol might indeed affect your chances of entering paradise. The problem was that if you were not thoroughly clean for prayer, then your supplications wouldn’t count and hellfire loomed. »

Neil MacFarquhar, Excerpt from « The media relations department of Hezbollah wishes you a happy birthday »,

PublicAffairs, New York, 2009.

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Je t’ai rien demandé

Scènettes quotidiennes en Égypte.

Le felouquier / Agnès Élisa CécileSur la corniche, ma comparse Élisa accueille sa famille.Ils voguent au calme sur le Nil.

Le felouquier impose le don de lui-même.On ne sait que trop bien ce qu’il attend en retour. Khalas ! Cesse ! Élisa lui a dit non 3 fois,Il continue, tant pis pour lui.La situation se déséquilibre, le felouquier a trop donné : un repas chez sa mère, une visite du désert, du temps, des cadeaux,...Il attend en retour ce qu’Agnès ne donnera pas : ses filles.Va-t-en ! Tu savais que ça ne fonctionnerait pas.

Christine / Les villageois.Au village de New Gourna Christine s’occupe depuis 10 ans des malades. Elle veut les aider contre leur gré.Ils profitent de tout ce qu’ils peuvent, les soins, les médicaments, le matériel,et à la moindre alarme, ils la volent. La violent.Son jardin a déjà été détruit 3 fois, ses médicaments disparaissent, les sorts de mauvais oeil l’accompagnent, ses contrats de propriétaire sont des faux.Mais elle s’acharne. Elle donne encore et encore, au détriment d’elle-même.

La plus part des gens ici s’imposent.Ils s’imposent, alors on prend.Et le reste est laissé de côté.Usé, jeté.

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Personne ne doit se plaindre.Le deal était fait, à peine compris, déjà accepté.Tu n’avais qu’à ne pas venir.

Je t’avais rien demandé, ça marche dans les deux sens.

Chacun vole à l’autre une part. Les zones de sécurité sont bafouées. Ce sont des rapports violents. Un reste des colonies. Une différence de races entre l’homme du pays et celle du touriste.Je n’y croyais pas, je l’ai appris sur place.

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14 Juillet

Pendant le 14 juillet, on a trinqué à la République française. On a trinqué à notre vieille révolution sanglante. En se souvenant de toutes les horreurs et les rechutes qui ont suivi. Et à ce à quoi elle ressemble aujourd’hui.On s’est demandé quand est-ce que les égyptiens aussi feront des feux d’artifices si onéreux, pour une simple commémoration.Vendredi prochain, l’Égypte sera sur Tahrir. Les activistes se sont donné rendez-vous sur la place où la révolution égyptienne a commencé. Ammar a déjà acheté ses billets de train Louxor-Le Caire pour rejoindre la place le 22 juillet. Cette fois, les activistes n’ont pas choisi une date en rapport avec la police comme le 25 janvier, la ridicule « fête de la police ». C’était un « hommage » au 25 janvier 1952, quand les hommes de la police ont affronté à Ismaïlia les forces d’occupation britannique (je viens de l’apprendre car personne n’en parlait sur place). Le gouvernement, qui se maintient en place grâce à cette police corrompue et omniprésente, en a fait un jour férié cette année. Mais tous les égyptiens, soit 80 millions d’individus, exècrent et craignent à la fois cette police qui les rackette à longueur de journée. L’Etat, en célébrant le 25 janvier, a commis un ultime outrage envers son peuple. La colère étant à son comble, que rêver de mieux qu’un jour férié aussi insultant afin de liguer la foule ? C’est ainsi, entre autres raisons, que le 25 janvier est devenu le jour de la révolution égyptienne. Aujourd’hui, la nouvelle date dont je parle (le 22 juillet 2011) rappelle le putsch militaire contre le roi Farouk le 23 juillet 1952. Depuis, l’armée n’a pas quitté le pouvoir. À travers Nasser, Sadate et Moubarak, qui en sont issus, l’armée n’a cessé de gouverner dans l’ombre. C’est du moins ce que les têtes de la révolution du sud de l’Égypte, les activistes Wafi,

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Ammar, Assem, et les bloggeurs croyaient. À présent c’est sûr.Après le départ de Moubarak, l’armée ne se cache plus : elle dirige l’Égypte. Elle est soutenue par la police et, dans l’ombre, par la police secrète, ainsi que par les hommes d’affaire corrompus et les intermédiaires véreux. Ammar nous avait raconté la situation : les activistes se méfient de tous. La police secrète est constituée d’un égyptien sur quatre. Il existe dans chaque ville un espace caché dédié à la détention et à la torture. Un dossier de renseignements est constitué pour chaque égyptien, qui peut à tout moment être retourné contre lui. Les téléphones sont sur écoute ; ainsi Ammar reçoit régulièrement des appels anonymes qui décrivent ses faits et gestes avec une précision alarmante. Le but étant bien entendu de l’intimider, de saper son moral. Ahmad, journaliste indépendant du Caire, qui nous avait accueillis lorsque nous sommes montés sur la place Tahrir, ne peut plus rentrer chez lui. Les hommes de main du gouvernement provisoire l’attendent dans son immeuble. À force de drames, d’histoires abracadabrantes, nous pensions qu’Ammar virait paranoïaque. Mais j’avais déjà vu des détails dérangeants : sur leurs mobiles, les égyptiens reçoivent des SMS adressés par l’armée. Des messages d’exhortation à la passivité, qui dénoncent les « agitateurs » comme la réelle menace pour le peuple d’Égypte. La traduction d’un des messages que j’ai reçu sur mon mobile égyptien en mars 2011 est : « Restez calme à présent, les hors la loi qui persistent à perturber l ’ordre public empêchent la bonne marche du gouvernement provisoire, les réformes en sont ralenties ». Impossible de croire que les manifestations pacifiques des activistes sont la cause du boycott des réformes par l’armée... Depuis le retour, j’ai écouté plusieurs émissions, vu beaucoup de reportages, sur France culture, Arte, CNN et Al-jazeera. Chaque point est vérifié, documenté.

Aujourd’hui vendredi 14 juillet, je trinque à la santé de la révolution. Qu’elle ne meure pas sous la répression.

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blue Jackett

La nuit de la blue jackettpendant la fuite.Ce ne sont pas des images qui me viennent, mais des mots.L’envie de gratter le papier,jusqu’à la table.Graver le bois,le brûler,et le diffuser à tous les vents.

…...........................................................LA NUIT DE LA BLUE JACKETT

Ammar nous a dit : « you can watch safely from the balcony of Snack Time. Take pictures, bring your camera, we need them. » Nous sommes prêtes à l’heure de la prière ce vendredi là, le 4 février 2011.Comme d’habitude, dès que les haut-parleurs éructent le dernier Allah wo akbar, la foule jaillit des deux mosquées de la place Abu el Haggag. Les banderoles surgissent de sous les galabieh, les hommes hurlent des slogans. Nous ne comprenons pas l’arabe à cette époque. Mais ce petit rassemblement n’a rien à voir avec celui prévu par Ammar. Où sont tous les partisans anti-Moubarak ? Une voiture 4x4 flambant neuve est couverte du drapeau à l’aigle. Elle fanfaronne autour du rond point, devant les vingt manifestants. Une caméra de télévision les filme, sûrement en plan serré, pour un effet de foule et de défilé de voitures. Déçues, nous attendons un signe d’Ammar, une explication.Soudain il appelle. Tout bascule. Sa voix est tendue, il parle bas et vite. - « I need a T-shirt. », - « all right, what size ? »,

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- « no ! Now ! Quickly ! They have my brother ! ».

Nous plions bagage le plus vite possible ; laissons la moitié de nos affaires au Snack. Et courrons rejoindre Ammar, alarmées par sa voix.On le trouve dissimulé dans une ruelle avec des lunettes de soleil. Elisa lui donne sa veste bleue, moi mon écharpe. Nous échangeons les lunettes et les sacs. Il faut réagir vite, on ne comprend pas tout, mais il faut fuir. Nous devons jouer les touristes et lui le gentil guide égyptien. Nous sommes son bouclier d’étrangères. Nous marchons vite en direction de l’embarcadère. Ammar veut rejoindre Gourna, en face. Coups de téléphone. Il sue. C’est la première fois que je le vois dans un état pareil. C’est ça qui m’inquiète, il est blanc. On traverse le Nil en lunch, puis nous prenons le premier taxi. Téléphone. Le refuge sera au Marsam Hôtel. Presque arrivés, téléphone, il change d’avis. Nous faisons demi-tour, il s’énerve. Téléphone. Pas de blague, pas de sourire. Nous sommes aussi blêmes que lui. Nous entrons dans le quartier de New Gourna conçu par l’architecte Hassan Fathy. Ammar est accueilli en frère par le géant, nous l’avons vu une fois avant, sans savoir son importance. Aujourd’hui, lui seul est considéré comme un ami sûr. Il porte une machette au poing. Après un bref salut, les deux sont pendus au téléphone.Ils nous oublient. Nous échouons dans un coin, nous attendons. L’agitation ambiante nous a terriblement inquiétées. Nous attendons. La situation est flottante, indéterminée. La femme de l’homme nous amène à manger. Malgré l’angoisse, notre hôte trouve le moyen de se moquer d’Ammar qui nous traduit : « he just said this blue is suitable for me. I told him what you did, I’m glad to look like a girl and to be safe because of you. ». Ammar joue la fille à merveille dans le gilet bleu d’Élisa, ça nous détend un peu. L’homme fume sa chicha et nous questionne. Nous sommes jeunes, combien de présidents avons-nous

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* Présidents de la France : Mitterrand (1981-1995), Chirac (1995-2007), Sarkozy (2007-2012) ; présidents de l’Égypte : Nasser (1954-1970), Sadate (1970-1981), Moubarak (1981-2011)

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connus ? Mitterrand, Chirac, Sarkozy*. Notre hôte est trois fois plus âgé que nous. Il n’a connu qu’un peu Sadate, puis 30 ans du règne de Moubarak. Ammar lui, n’a connu que ce dernier, il a 10 ans de plus que nous. Alors oui, notre hôte continuera à protester. Il aidera ceux qui protestent. Pendant l’attente je reçois un appel de France. C’est Tatia, de Strasbourg. Internet est coupé à Luxor, elle s’inquiète, je ne réponds plus aux mails. D’habitude je la rassure en riant. Mais cette fois l’adrénaline n’est pas tombée. Je ne comprends presque rien de la situation, mise à part que nous avons frisé la catastrophe. J’ai ressenti la peur d’Ammar. Je prends conscience avec violence de la gravité des événements. Rien n’est assuré dans ce contexte, lorsqu’on se lève contre le gouvernement ici, la sécurité n’existe pour personne.

D’autres hommes arrivent. Certain que nous avons croisés plus tôt, la plupart nous sont inconnus. La nuit tombe, la conversation est animée. Ammar commence à nous expliquer, « they catch my brother, they give him to the police ! I told him not to come ! (sic)». Ils ont voulu éviter une confrontation entre les deux camps de manifestants et...L’oncle surgit alors dans la cour intérieure, avec Hanifa le frère d’Ammar, libre. C’est le soulagement. Tout le monde s’embrasse, se serre dans les bras. Ammar frappe son frère en riant, en criant, c’est hystérique. Nous rencontrons enfin Hanifa dont nous ignorions jusqu’à l’existence quelques heures plus tôt. La discussion se poursuit de plus belle. Nous écoutons, nous dessinons, j’enregistre. D’autres gens entrent. La folie se calme, le ton devient sombre. Il y a, rassemblées dans cette cour, toutes les têtes de la révolution du sud de l’Égypte. Celles qui fabriquent les secrets, celles qui dirigent les actions de la foule ici. Il y a un homme qui me fait peur. Il a un grand turban, des yeux jaunes,

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le teint cireux. Un bracelet de prière qu’il ne cesse d’égrainer. Il porte une galabieh. Il a une aura de conspirateur. Il me terrorise tellement que je l’imagine responsable de l’échauffourée. À cause de son air de prince des voleurs, de chef de la secte des hashishin, je le filme afin de conserver des traces, s’il trahit.

Pendant que tous se détendent, Ammar continue ses explications :

À la fin de la prière de midi, ce vendredi, le groupe dirigé par Ammar allait entrer sur la place Abu El Haggag pour manifester contre Moubarak. En chemin ils apprennent que les pro-Moubarak les avaient devancés. Ils décident de manifester ailleurs. Tous les hommes montent dans des microbus. Ammar et Hanifa se séparent alors. Ammar nous décrit une ambiance étrange. À un signal, plusieurs personnes se jettent sur lui en l’appelant bandit. Il s’enfuit dans la confusion alors que la masse se mobilise. Il voit son frère emporté, livré aux policiers. Tout en nous appelant, il court.Selon lui et ses amis, c’est l’œuvre de la police secrète. Infiltrer les groupes, distribuer de l’argent, acheter des partisans et désigner l’ennemi à abattre. Une manière de donner l’impression aux crédules qu’ils agissent pour le bien de la communauté, tout en gagnant leur mois de salaire en 2h. Ammar et Hanifa se ressemblent beaucoup. Pendant cette période troublée, ils ont renforcé ce trait en adoptant la même coupe de cheveux et de barbe. Ammar se savait surveillé. À cause, ou grâce à cette ressemblance, les agresseurs ont attaqué les deux frères. La confusion a permis à Ammar de fuir. Voyant Hanifa en danger, il a appelé son oncle. Il ne l’avait pas contacté depuis plus de dix ans. Mais ici, la famille est plus respectée que la loi. Celui-ci travaille régulièrement avec la police. Il a forcé l’autorité crapuleuse à relâcher Hanifa avant la torture.

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À la fin de la nuit nous voyons partir Ammar, ses compères et son frère. Un microbus-taxi les emmène.

« Now we have to work, to know what we can do, now. The situation is bad for me in Luxor. It’s not only the secret police, but the people as well. I need them to forget me, I need to disappear for a while, I’ll call you. Take care ».

Sans nous dire où il va, ni pour combien de temps.

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* écriture du nom d’Amin qui permet de trouver des images sur Google image. ** Amin le cauchemar de la ville de Dishna. Il y a 20 ans, lors d’un concert soufi, il a, dit-on, accidentellement tué un danseur. La famille éplorée lui a dès lors interdit de chanter à Dishna. Ce soir, cette même famille a décidé que le Dieu juste avait rendu coup pour coup, en écourtant la vie de son fils Ali. Ils jugent qu’Il a plongé Amin dans une peine bien plus grande qu’eux. En Égypte, la 40e nuit après un décès, est la nuit du pardon. Durant cette nuit la famille du défunt reçoit les inconnus qui viennent s’excuser de la mort survenue. C’est une nuit religieuse, un imam scande des textes choisis du Coran, le silence et le recueillement sont partout. Quelques jours auparavant, contrairement à la coutume de silence, les anciens ennemis d’Amin sont venus lui demander de chanter.

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Les soufis préparent leur Nuit. Les rues sont occupées. Ils disposent les tapis au sol et recouvrent les murs de tissus chatoyants. « Allah est grand » et d’autres slogans cousus à la main les ornent. Chaque arrivée d’électricité est prétexte à ajouter des guirlandes d’ampoules colorées. Les soufis dressent la scène et son décors de Kaaba noire et or. Des piles de chaises rouges passent de mains en mains. Des gamins grimpent aux poteaux électriques. Ils sectionnent, soudent, emberlificotent. Le son doit être fort. Pas de régisseur, pas d’ingénieur son, seuls les décibels comptent. Crache le son.

Ammar, Hossein le joueur de flûte nay, Élisa et moi, nous rendons dans la ville de Dishna. C’est une nuit particulière, la 40e après le décès d’un enfant. Une immense fête se prépare en son honneur. Le cheikh Amin al Dishnawe* est à la fois le père de l’enfant, le chanteur soufi le plus connu d’Égypte et le cauchemar de la ville de Dishna.**

Quand nous arrivons nous devons nous tenir la main, de peur d’être séparés pas la foule. Je sens l’électricité dans l’air. Les rues sont remplies d’hommes bien avant la nuit. Le mot se répand : Hossein le flûtiste est arrivé avec Ammar. Ce sont les amis proches d’Amin le cheikh. Il ne chantera pas tant qu’ils ne seront pas là. « Mettez vos voiles, et ne regardez que par terre. Ne répondez pas. Ne dites rien. Laissez moi faire. », nous presse Ammar.

disHna La 40e nuit

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* Il est rare que l’espace des hommes nous soit refusé. Nous sommes plus ou moins considérées comme des hommes en tant qu’étrangères.

On vient nous chercher. Nous traversons la foule. Les bras se tendent, les gens se battent pour accueillir et nourrir Hossein, Ammar et leurs hôtes. La foule peut nous happer à tout moment. La famille d’Amin nous rattrape, elle nous ouvre la voie vers sa maison et sa table.

Nous allons avec les femmes. Nos amis disparaissent. Nous faisons irruption dans la veillée funèbre. Le jeune fils d’Amin est mort quarante jours plus tôt, il a été élevé au rang saint de cheikh enfant. Une tombe coiffée d’un dôme vert a été érigée dans le cimetière des soufis. Après 20 ans de silence dans sa propre ville, les anciens ennemis d’Amin le prient ce soir de chanter pour son défunt fils. Sur le même pallier que les femmes, Amin est seul assit dans un réduit. Il est tout en blanc, échevelé. Ses jambes sont croisées et sur ses genoux s’éparpillent des feuilles de papiers maculées d’une écriture fébrile. Il fume et écrit encore, sans plus s’arrêter. Il entre en transe. Il ne nous voit pas, n’entend plus personne. Dans quelques heures il chantera. Nous sommes comme ivres, désorientées. Nous n’avons pas l’habitude d’être avec les femmes*. Nous partageons ces derniers instants avant le chant. Elles resteront cachées, et suivront les hommes de leurs balcons, sans se faire voir.

Nous avons emmené des cahiers blancs, une caméra et des outils. Ammar discute avec la famille d’Amin. Nous ne pouvons rien faire depuis ces mêmes balcons. Les frères d’Amin nous proposent alors un autre point de vue, où nous serons en sécurité aussi. Ils nous escortent en faisant des détours, pour que nous ne soyons pas vues. Les yeux rivés au sol, nous avançons. Nous faisons brusquement demi-tour, puis nous entrons dans la maison en construction d’Amin et sa famille proche. (L’autre est à toute sa famille). On nous en confie les clefs.Le festival va commencer, la caméra et les crayons sont prêts.

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Le son crache. La foule à nos pieds fourmille. Les volets sont clos. Nous ne devons pas nous montrer avant le début. Au moment où l’attention des soufis sera complètement absorbée, nous pourrons sortir la tête. Ammar craint leurs réactions. Toute intrusion d’un élément étranger peut faire chavirer la célébration. Cette foule est imprévisible, sanguine.

La voix vibrante d’Amin pénètre enfin chaque membre de l’assemblée. Le mouvement s’impose de lui-même. Insensiblement nous nous balançons tous. La transe collective commence.C’est comme sur Tahrir à l’heure de la prière : une jubilation extatique. Une foule unie dans la respiration jusqu’à l’enivrement. Rageusement les crayons attaquent le papier. Fiévreusement afin de capter, presque avec désespoir, cet instant.

Il est unil faut trouver le souffle de l’incantation.

Whoua Whoua ha d ha

événement : Le cheikh soufi Amin est en transe, la main gauche sur le visage. Son turban se balance. Le voile qui le surmonte glisse peu à peu. Une rumeur monte. Du balcon, je vois un noyau bien gardé qui fend la foule vers la scène. C’est un grand turban. Ceux qui l’aperçoivent se mettent à le suivre. Ils se ruent sur lui. Avec peine il atteint la fosse. Les musiciens le soulèvent et le poussent aux côtés d’Amin. Il y a tant de bras, de mains, la confusion règne. Amin n’entend ni ne voit. Hossein lâche sa flûte et secoue Amin. La transe est coupée nette. L’homme au turban le prend dans ses bras. C’est l’étouffement. Puis il déploie une large étoffe verte et en enveloppe Amin.

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L’homme embrasse encore le cheikh et disparaît. Amin prie, la foule se referme sur le turban. Amin est perturbé. Les musiciens reprennent seuls.

L’homme au grand turban est un des nombreux descendant de Mahomet. Il a toujours ignoré Amin le soufi, le dissident. Le tissu vert était un cadeau en l’honneur du défunt Ali, le fils d’Amin. Cet instant de reconnaissance était aussi une scène d’auto-promotion selon Ammar.

Amin chante depuis cinq heures à présent. Le zikr possède Dishna.Soudain la voix change. Allah wo akbar ! Il est trois heure du matin, c’est la prière du matin. Après cette dernière parole scandée, Amin disparaît de la scène. Il court pour en descendre. Un flot de galabieh le suit, éperdu. Les mains se tendent pour l’attraper. Ses musiciens le protègent. Des soufis barrent la route de leurs corps, dans l’espoir de frôler ou d’embrasser Amin. C’est la guerre. Chacun veut toucher l’homme en état de grâce.

En un instant la ville est vide. Les hommes sont dans les mosquées. Les chaises, que des vieillards fourbus avaient disposées en cercle, sont abandonnées. La rue est apaisée. Le jour se lève.

Les mêmes gamins grimpent aux poteaux électriques frisés de câbles. Les guirlandes d’ampoules multicolores tintent dans leurs bras et sont posées sur l’âne qui attend.Un autre âne et son chargement traversent les tapis couverts de poussière.

La magie s’en est allée avec Amis et ses soufis.Ha !Un attaché case en galabieh traverse la rue.

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glossaire

allaH Wo akbar : signifie en arabe « Dieu est {le} plus grand ». Cette formule est parfois mal traduite par : « Dieu est grand ». Elle est employée dans de nombreuses circonstances. En Égypte elle signale le début de l’appel à la prière. Elle est notamment expression de joie et de louange.

albassit : un des 99 noms d’Allah, celui-ci signifie « Celui qui étend Sa générosité et Sa miséricorde ». Voir le texte nommé AlBassit pour approfondir le sens de ce nom.

alJazeera : chaîne de télévision qatarie crée en 1996 et basée à Doha. En octobre 2001, le président égyptien Hosni Moubarak en visite dans ses modestes locaux aurait dit : « C’est donc de cette boîte d’allumettes que vient tout ce vacarme ». En 2008, la chaîne compte entre 35 millions et 40 millions de téléspectateurs quotidiens dans le monde. Dès le début de la révolution en Égypte, la chaîne AlJazeera a été coupée par le gouvernement égyptien. Les locaux de la chaîne au Caire rencontrent à nouveau des obstacles depuis la chute du gouvernement. Le SCAF (Supreme Council of the Armed Forces, l’organe militaire qui gouverne l’Égypte) accuse AlJazeera d’exercer illégalement (la chaîne ne pouvait en effet pas présenter d’autorisation officielle puisque le gouvernement Moubarak la lui avait retirée) et l’a donc à nouveau coupée un temps.

baksHisH : pot de vin qu’on trouve à tous les niveaux. Du policier à l’épicier, du juge au portier, et ainsi de suite.

cHaria : terme utilisé en arabe dans le contexte religieux. Il signifie : « chemin pour respecter la loi {de Dieu} ». La charia codifie à la fois les aspects publics et privés de la vie d’un musulman, ainsi que les interactions sociétales. Voir

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une loi extrême(ment drôle) à la page 77 « Fatwa ».

flûte ney : flûte orientale traditionnelle. En bambou, elle n’a pas de bec.

galabieH : vêtement traditionnel d’homme couramment portée dans le sud de l’Égypte. C’est une robe ample en laine ou en coton qui protège de la chaleur.

HasHisHin : ordre d’ismaélien nizârites, qui existait en Perse et en Syrie entre 1092 et 1275. Sous la direction d’Hassan-i Sabbah, les hashishin ont pris possession de plusieurs montagnes et bâtiments, dont la forteresse d’Alamut. Le nom « assassin » proviendrait du mot arabe « hashishi », soit : consommateur de hashish. La légende dit que les puissants venaient demander les services de cette secte. Elle dit aussi, que malgré sa dissolution les hashishin seraient toujours actifs.

kaaba : grande construction cuboïde recouverte de velour noir et d’écrits brodés en fil d’or. Elle se situe au sein de la Masjid al-Haram (« La Mosquée sacrée») à La Mecque. Elle protège une pierre noire sacrée qui existait bien avant le culte musulman. C’est avant tout vers cette pierre que les musulmans se tournent pour faire leurs prières quotidiennes (ainsi lorsqu’ils se trouvent à La Mecque les prières se concentrent vers la Kaaba).

kHalas : argot égyptien pour « stop, ça suffit, arrête ». Généralement terme dit, puis hurlé.

leitmotiv : une phrase, une formule qui revient à plusieurs reprises dans une œuvre littéraire, un discours, etc. Apparu au xixe siècle le mot est emprunté à la langue allemande.

luncH : petit bateau à moteur couvert que les passeurs utilisent pour faire traverser le Nil.

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microbus : système de minibus en Égypte. Ce sont des Toyota ou des Peugeot dont le trajet est mystérieux pendant les deux premiers mois de séjours. Il n’y a pas d’arrêt définis ni de signalétique afin de comprendre leur fonctionnement. Chaque chauffeur personnalise son véhicule à force de moquette poilue orange fluo, d’autocollants, de mobiles islamiques et de néons multicolores. raWaga : argot égyptien pour « étranger ». Ce terme est péjoratif.

révolution islamique : autre nom pour La Révolution iranienne de 1979. elle a transformé l’Iran en une république islamique, renversant le shah et l’État impérial d’Iran.

révolution verte : autre nom pour la « Révolution Twitter». Ces protestations postélectorales iraniennes, ont commencées le 13 juin 2009 en soutien au candidat de l’opposition Mir-Hossein Mousavi, ainsi qu’en réaction au résultat de l’élection présidentielle. L’élection gardait au pouvoir Mahmoud Ahmadineja, accusé d’avoir fraudé les élections. Les manifestations ont lieu à Téhéran et dans d’autres grandes villes d’Iran et du monde. La police et la milice paramilitaire Basij les ont violemment réprimées, tirant parfois à balles réelles dans la foule. De nombreux récits corroborent la violence de la répression qui s’est abattue sur tous ceux qui ont dénoncé la réélection du président sortant. Au total, plus de 150 personnes auront été tuées par le régime, des milliers auront été arrêtées et torturées, dont des centaines violées en prison par les agents du régime.

soufisme : en arabe {tassawuf}, est une quête religieuse spirituelle, mystique, et ascétique de l’islam. C’est une voie

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intérieure (Batin) apparue avec la révélation prophétique de l’Islam. Le soufisme a pris ses racines initiales dans l’orthodoxie sunnite essentiellement. C’est un élan de l’âme loin des règles doctes de l’Islam. Son discours est contemplatif et son esthétique verbale est poétique. Cette branche de l’Islam, qui aime à la fois les sunnites et les chiites, croie au siège du Dieu dans chaque coeur. Elle prône une lecture du Coran mystique et philosophique. Le soufisme aime les arts, à travers lesquels il atteint une essence purifiée.

tersem : en arabe, impératif du verbe dessiner.

zikr : répétition rythmique du nom de Dieu. Dans l’islam, le zikr désigne à la fois le souvenir de Dieu et la pratique qui avive ce souvenir. Il est au cœur de la pratique du soufisme. Il existe deux zikr : le solitaire et le collectif, sans qu’il y ait d’opposition entre les deux. La transe, qui résulte de la répétition collective d’un des noms d’Allah (scandé selon une respiration savante), a souvent été perçue comme l’aboutissement recherché, par les observateurs. Les initiés, eux, la considèrent comme n’étant pas le but à atteindre. Le zikr s’accompagne souvent de l’usage d’une sorte de chapelet, le {sebha}.

Toute les traductions sont de l ’auteure, élaborées à partir de son expérience et

vérifiées avec Wikipédia anglaiset français.

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avant tout

Préambule

rencontres

la Place

donner

cryPtomicon al bassit olivier babin le son du PaPier

les mots tabous

alÿs l’art doit-il être Politique ? foreigner sHield gourna la vérité raWaga Politique-Journalisme la boîte à biJou de meHdi georges ProPagande le Pays arabe le Plus sale fatWa Je t’ai rien demandé 14 Juillet blue Jackett disHna

glossaire

sommaire bibliograPHie

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sommaire

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Farid-ud-Din’ Attar, La conférence des oiseaux, adapté par Henri Gougaud, d’après la traduction du persan de Manijeh Nouri-Ortega, Éditions du Seuil, 2002, Édition originale : Manteq al-tayr

Bernard Bazile, Les collectionneurs de Merda d’artista, Éditeur Institut d’Art Contemporain, 2004 Villeurbanne

Rachid El Daïf, Passage au crépuscule, traduit de l’arabe (Liban) par Luc Barbulesco et Philippe Cardinal, Actes Sud, 1992, Édition originale : Fusha mustahdafa bayna al-nu’ as al-nawm, Dar Mukhtarat, Beyrouth, 1986

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bibliograPHie

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Amin Maalouf, Les jardins de lumière, biographie romancée du prophète Mani, Éditions Lattès, 1991

Amin Maalouf, Samarcande, biographie romancée du poète et savant Omar Khayam, Éditions Jean-Claude Lattès, 1988

Georges Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres, Éditions Ivréa (fonds Champ Libre/Gérard Lébovici), Paris, 1982, Édition originale : Down and Out in Paris and London, Éric Blair, 1933

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Ladislav Novák de Trebíc, Livre de recettes, traduit du tchèque par Etienne Cornevin, Clémence Hiver Éditeur, 1997 Marseille

Catalogues

« A story of deception », Francys Alÿs, edited by Mark Godfrey, Klaus Biesenbach and Karryn Greenberg, is published in North America by the MOMA New York on the occasion of the exhibition from May 8 – August 1, 2011, First published 2010 by order of the Tate Trustee by Tate Publishing, London

« Islamophilies – l ’Europe moderne et les arts de l ’Islam », Rémi Labrusse, catalogue accompagnant l’exposition « Le génie de l ’Orient – l ’Europe moderne et les arts de l ’Islam », présentée au musée des Beaux-Arts de Lyon, du 2 avril au 4 juillet 2011, Éditions d’art Somogy, Paris/Éditions Musée des Beaux Arts de Lyon, 2011

Expositions & Parutions

« The Lebanese Rocket Society », Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, 11e Biennale de Lyon, 2011

« Situation Z », proposition de Stephen Wright, du 10 novembre au 10 décembre 2011, Marseille

Entretien avec Sébastien Derriere, astronome à l’Observatoire Astronomique de Strasbourg

« L’âge d’or des sciences arabes », Institut du Monde Arabe, Paris, exposition du 25 octobre 2005 au 19 mars 2006.

Spectacles vivants

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« Radio Muezzin », mise en scène Stefan Kaegi (Rimini Protokoll), théâtre / Suisse, Allemagne, joué du 3 au 5 décembre 2009 au Maillon-Wacken de Strasbourg, en arabe surtitré, Production Hebbel am Ufer Berlin, Goethe Institut Égypte, en coproduction avec Athens Festival, Bonlieu Scène Nationale, Annecy, Festival d’Avignon, steirischer herbst festival Graz, Zürcher Theater Spektakel.http://mutualise.artishoc.com/maillon/media/5/radio_muezzin.pdfhttp://www.theatre-video.net/video/Conference-de-presse-du-20-juillet-1513?autostarthttp://www.arte.tv/fr/2151166,CmC=2773674.html

Festival de musique Éxil, Strasbourg

« Kim Jong lI - Der ewige Sohn (Le Fils éternel) », Spectacle de Manuel Bürgin et fax an max, Suisse, joué le dimanche 7 juin 2009 au tns de Strasbourg, en allemand surtitré, Production 2009 Cie fax an max, Bâle, en coproduction avec go, Theaterproduktionen, Kaserne Basel, Theater Winkelwiese, Zürich et Schlachthaus Theater Bern.http://www.goethe.de/ins/fr/lyo/pro/plaquette.premiere_basse_def.pdfhttp://www.youtube.com/watch?v=4iFq51B1l5s

Festival de Bouche à Oreille, 15 juillet au 15 août chaque année, par l’ucp-Métive et le cerdo, mission de collecte et diffusion de la culture orale / http://www.metive.org/

Radiographie & ambiance musicale

« Comment le Wahabisme est devenu le visage de l ’Islam ? », émission « Culture d’Islam », France Culture,

« Le printemps arabe 2/4 », émission « Sur les docs », 21.06.11, France Culture, documentaire de Joseph Coufavreux et Jean Philippe Navarre, retour en Égypte 3 mois après leur première venue le 25 janvier 2011, (re)écoute le 16 août 2011

« La police politique de Moubarak : anatomie d’une peur », émission

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« Sur les docs », 22.06.11, France Culture, (re)écoute le 16 août 2011

Ahmed Fouad Negm et Cheikh ImamLe Trio JoubranFawzy al AyediGregory Jolivet/Julien Padovani/Olivier Thillou : Le grand barouf

Vidéographie

Baba Aziz, réalisé par Nacer Khemir, français/tunisien, novembre 2006/1h36mn

Tahrir, place de la Libération, film documentaire de Stefano Savona, Égypte/Italie/France, 91 mn

Les cerf-volants de Kaboul, (The kite runner, 2007), drame réalisé par Marc Forster, anglais, pachtoun/ DVD février 2008/2h02mn

Tate Modern Yolu, (Road to Tate Modern), Erkan Ozgen & Şener Özmen, 2003, Istanbul, vu au musée d’art contemporain d’Istanbulhttp://erkan-ozgen.blogspot.com/2008/01/road-to-tate-modern.html

El Fagoumy, (The ranter, 2011), inspired by the diary of Ahmed Fouad Negm, written & directed by Essam El Shamaa, produced by Hussein Maher, vu à Alexandrie en arabe. Trailer : http://www.dailymotion.com/video/xirkcn_www-4eme-

net-elfagomy-trailer_shortfilms

Play, d’après Samuel Beckett, réalisation d’Anthony Minghella, 2001, avec Alan Rickman, Kristin Scott-Thomas, Juliet Stephenson, vu lors de l’exposition Beckett à Beaubourg, 2007)

Le roi et l ’oiseau, réalisation de Paul Grimault et textes de

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Jacques Prévert, France, 1980 / 87mn

Webdocumentaires & Sites

Artcile 11 http://www.article11.info/

Slavs and Tatars http://www.slavsandtatars.com/

Soufis D’Afghanistan: Maître et Disciple (première partie), Soufis D’Afghanistan: Au Cœur des Confréries (deuxième partie), documentaires d’Arnaud Desjardins, INA/1974, Alizé Diffusion/2006 / http://www.dailymotion.com/video/x5tmob_doc-soufis-d-afghanistan-i-maitre-e_news#rel-page-4

Tahrir, je chante ton nom – La musique au coeur de la révolution égyptienne, Hussein Emara et Priscille Lafitte, rfi / france24 / monte carlo arabe, (re)diffusion le 23 février 2011http://tahrirmusique.france24.com/index-fr.html

Mona Hatoum, émission « L’art et la manière », arte, (re)diffusion le 17 août 2011

Katia Jarjoura , Good bye, Moubarak ! , Vidéo-reportage (France, 2011, 71mn) diffusé initialement le mercredi 21 septembre 2011 à 20h40 sur arte.

Je cherche à utiliser le théâtre comme un piédestal pour y mettre la vie, pour que la vie se regarde soi-même.

Les Inrockuptibles, n°553)

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Sans conclusion, car le voyage ne fait que commencer.

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