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Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

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Page 1: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride
Page 2: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

RECHERCHES SUR LA ZONE ARIDE -XIX NOMADES ET NOMADISME

AU SAHARA

c

< .

Page 3: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Dans cette collection:

1.

II.

III.

IV.

Y.

YI.

YII.

MII.

Ix.

x. XI.

XII.

xm.

Compte rendu des recherches relatives à l'hydrologie de la zone aride Actes du colloque d'Ankara sur l'hydrologie de la zone aride Directory of institutions engaged in arid zone research [en anglais seulement]

Utilisation des eaux salines. Compte rendu de recherches Plant ecology. Proceedings of the Montpellier Symposium / Ecologie végétale. Actes du colloque de Montpellier Plant ecology. Reviews of research / Ecologie végétale. Compte rendu de recherches Wind and solar energy. Proceedings of the New Delhi Symposium I Energie solaire et klienne. Actes du colloque de New Delhi I Energía solar y eólica. Actas del coloquio celebrado en Nueva Delhi Human and animal ecology. Reviews of research / €?colegie humaine et animale. Compte rendu de recherches Guide des travaux de recherche sur la mise en valeur des régions arides Climatologie. Compte rendu de recherches

Climatology and microclimatology. Proceedings of the Canberra Symposium I Climatologie et microclimatologie. Actes du colloque de Canberra Hydrologie des régions arides. Progrès récents Les plantes médicinales des régions arides

XN. Salinity problems in the arid zones. Proceedings of the Teheran Symposium I Les problèmes de la salinité dans les régions arides. Actes du colloque de Téhéran. Echanges hydriques des plantes en milieu aride ou semi-aride. Compte rendu de recherches

Plant-water relationships in arid and semi-arid conditions. Proceedings of the Madrid Sym- posium I Echanges hydriques des plantes en milieu aride ou semi-aride. Actes du colloque~de Madrid I Los intercambios hídricos de las plantas en medios áridos y semiáridos. Actas del coloquio celebrado en Madrid

xv. XYI.

XVII. Histoire de i'utilisation des terres des régions arides

xvm. Les problèmes de la zone aride. Actes du colloque de Paris XM. Nomades et nomadisme au Sahara

XK Changes of climates with special reference to arid zones. Proceedings of the Unesco-WMO Symposium held in Rome 1 Les changements de climat notamment dans la zone aride. Actes du colloque de Rome organisé par l'Unesco et l'OMM [en préparation] Carte bwclimatique de la zone méditerranéenne : notice explicative xxr.

Page 4: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

NOMADES ET NOMADISME AU SAHARA

U N E S C O

Page 5: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Publié en1963 par I'Organisation des Nations Unies pour I'éducation, la science et la culiure,

placa de Fontenoy, Paris - 7' Imprimerie R. Oldenbourg, Graphische Betriebe GmbH, Munich

0 Uneseo 1963 NS. 62/III. 24JF

Page 6: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

A V E R T I S S E M E N T

Ce travail sur les nomades sahariens est collecti$ Réalisé en moins d’un an et demi, il ne saurait être complet. Deux soucis ont guidé sa mise au point.

D’une part ne pas s’éloigner de la réalité concrète observée par chacun: le résultat est une série d’études menées sur le terrain, concernant une région, une population ou une question particulière.

D’autre part il fallait tenter un exposé raisonné de l’ensemble des problames du nomadisme saharien. L’auteur de ces généralités n’ayant été lui-méme en contact qu’avec quelques populations a diì exploiter la documentation écrite. Sur bien des points l’ou- vrage de R. Capot-Rey sur le Sahara français ne saurait être dépassé. Sur d’autres, con- cernant la société et la culture, on a cherché à faire le point d’une documentation très dispersée. Dispersion qu’expliquent la nature du peuplement mais aussi le découpage politique du Sahara et l’étude de celui-ci à partir de cinq universités principales, pos- sédant chacune son équipe et ses publications (Alger, Dakar, Paris’, Rabatl, Tunis). On ne saurait prétendre avoir fait un dépouillement complet; on a voulu seulement indiquer les principales ombres et lumiares concernant l’étude des questions essentielles.

L a dispersion des collaborateurs n’a pas toujours facilité le travail en commun. On s’est eforcé cependant de soumettre chaque chapitre à l’avis de tous et c’est dans ces conditions que les échanges ont été souvent fructueux2. Les dimensions de ce livre ont obligé à une revision et à une réduction des chapitres

IV, Vet VI, première partie, et I, II, III, VI, deuxième partie. Que les auteurs soient remerciés d’avoir consenti d‘importantes modijcations de leurs textes. De celles-ci je porte seul la responsabilité.

CLAUDE BATAILLON

1. ARabat.l’ERESHm’a ouvert sei dossiers et BParis le Centre de hautes Ctudei adminisuatives sur l’Afrique et l’Asie moderne

2.6 partieulier UDC correspondance suivie nvec A. Cauneille a €té extrsmement précieuse à l’auteur dei chapiuei de gdnéralitéi. CiiEABí) m’a autorid B utiliser ici archives cornidErables. Mes remercicmenti vont B ces deux organismes. *

Page 7: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

L I S T E D E S C O L L A D O R A T E U R S

D U P R E S E N T O U V R A G E

Claude BATAILLON, lycée Moulay Abdallah, Casablanca Jean BISSON, faculté des lettres, Alger Robert CAPOT-REY, faculté des lettres, Alger André CAUNEILLE, Caudiès-de-Fenouillèdes, Pyrénées-Orientales Renée HEYUM, Musée de l’homme, Paris Pierre ROGNON, faculté des lettres, Alger Madeleine ROVILMIS-BRIGOL, Pans-Alger Benno SAREL~TERNBERG, Tunis-Paris Charles TOUPET, Institut français d’Afrique noire (IFAN), Dakar Christian VERLAQUE, lycée Gautier, Alger

Page 8: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

N O T E S U R L A R B D A C T I O N

On s’est efforcé d’uniner les textes présentés par des auteurs différents, en particu- lier en ce qui concerne l’orthographe des noms usuels, dont la définition est donnée en note à moins qu’elle ne figure au (( Glossaire )) pour les termes les plus courants, et en ce qui concerne l’orthographe des noms de lieux ou de tribus. Les noms de lieux sont en général tous portés sur les différentes cartes qui accompagnent les cha- pitres. Les noms des principales tribus sont portés à un (( Répertoire des tribus )> qui indique leur emplacement approximatif et leurs caractéristiques principales. On s’en est tenu à une orthographe usuelle de ces mots, en francisant leur utilisation pour les plus courants.

L a plupart des chapitres comportent une bibliographie. Les principaux ouvrages sont décrits et analysés dans la (( Bibliographie générale )) placée à la fin de I’ouvrage.

Dans les études économiques, sauf indication contraire, les prix sont indiqués en anciens francs français. Dans les bibliographies des chapitres, les abréviations suivantes sont utilisées :

BES Maroc: Bulletin économique et social du Maroc, Rabat. BIFAN: Bulletin de Z’lnstitut français d’Afrique noire, Dakar. BLS: Bulletin de liaison saharienne, Alger. Doc. CHEAM: archives du Centre de hautes études administratives sur l’Afrique et l’Asie moderne, Paris. Nous indiquons le numéro de chaque document cité, tou- jours dactylographié.

IBLA: Institut des belles-lettres arabes, Tunis. TIRS : Travaux de l’Institut de recherches sahariennes, Alger.

Dans les notes infrapaginales et les bibliographies de chapitre, les ouvrages décrits à la U Bibliographie générale n, ou précédemment dans le m ê m e chapitre, sont indiqués seulement avec le n o m de l’auteur et l’année de publication.

,

Page 9: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Légende:

0 Région étudiée -.- Frontières politiques L- 100 2 3 4 800 km

FIG. 1. Régions étudiées dans 1'Afrique de l'ouest, numérotées de 1 à 11 (les lettres et les chiffres se rapportent au e Répertoire des tribus p. 181).

Page 10: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

T A B L E D E S M A T I a R E S

AVANT.PROPOS. par C . Bataillon . . . . . . . . . . 13 L e nomade saharien . . . . . . . . . . . . 13 L e milieu saharien . . . . . . . . . . . . . 14 Limites de l’étude . . . . . . . . . . . . . 18

PREMIERE PARTIE . Le nomadisme traditionnel INTRODUCTION . Les populations nomades . . . . . . . . 21 CHAPITRE PREMIER . L a tribu. par C . Bataillon L a consanguinité . . . . . . . . . . . . . 26

Organisation communautaire . . . . . . . . . . 32

. . . . . . . 25

Dimensions des groupes etliens dedépendance . 1 . . . . 29

Physionomie actuelle de la vie de tribu . . . . . . . . 34 37

Attitudes corporelles . . . . . . . . . . . . 31

Repérage dans le temps . . . . . . . . . . . 39

43

CHAPITRE II . Valeurs et attitudes du monde nomade. par C . Bataillon . .

Connaissance de l’espace . . . . . . . . . . . 38

Originalité des rapports humains . . . . . . . . . 40

Formes des échanges commerciaux . . . . . . . . . 43 Evolution des pratiques juridiques . . . . . . . . . 45 Aspects de la religion . . . . . . . . . . . . 46 Organisation d’un Etat: la Senoussiya . . . . . . . . 47

51 Déplacements des campements. et élevage . . . . . . . . 52 Affaiblissement des cadres sociaux . . . . . . . . . 55 Commerce et niveau’de vie . . . . . . . . . . . 56 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . 58

59 L a société touarègue du Hoggar . . . . . . . . . . 60 Les moyens d’existence des Kel Ahaggar . . . . . . . . . 60 Problèmes actuels et perspectives d’avenir . . . . . . . 64

L .

CHAPITRE III . Relations extérieures des nomades . . . . . . .

CIIAPITRE IV . Nomadisation chez les Reguibat L’Gouacem. par J . Bisson .

CIIAPITRE Y . Problèmes des Touaregs du Hoggar. par P . Rognon . . .

Page 11: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

CIIAPITRE VI . L’évolution de la nomadisation en Mauritanie saliiliennc. par Ch.Toupet . . . . . . . . . . . . . . Vie pastorale . . . . . . . . . . . . . . Effets de la colonisation . . . . . . . . . . . Modernisation de la société maure . . . . . . . . .

CHAPITRE VIL . Le nomadisme des Toubous. par. R . Capot-Rey . . . . L a civilisation touboue . . . . . . . . . . . . Les Teda du Tibesti central Les Daza du Borkou . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . .

CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . .

DEUXIÈME PARTIE . Nomadisme et monde moderne

INTRODUCTION. par C . Bataillon . . . . . . . . . . L a croissance démographique . . . . . . . . . .

CHAPITRE PREMIER . Le semi-nomadisme dans l’Ouest libyen (Fezzan. Tripoli- Variété du domaine naturel . . . . . . . . . . . Rapports entre nomades et paysans . . . . . . . . . Les organisations sociales des tribus . . . . . . . . . Fondements du semi-nomadisme . . . . . . . . . Originalité du semi-nomadisme et sédentarisation . . . . . . Les nomades et l’indépendance . . . . . . . . . . L’avenir . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE II . Les Rebaia. semi-nomades du Souf. par C . Bataillon . . . Cycle du nomadisme . . . . . . . . . . . . Ressources agricoles et hameaux de l’oasis . . . . . . . Organisation patriarcale . . . . . . . . . . . Transformations actuelles . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . .

taine). par A . Cauneille . . . . . . . . . . .

CHAPITRE III . Semi-nomades du Nefzaoua. par Benno Sarel-Sternberg . . Les problèmes . . . . . . . . . . . . . Les modes d’existence . . . . . . . . . . . . Perspectives d’évolution . . . . . . . . . . .

CHAPITRE IV . L a sédentarisation autour d’Ouargla. par Madeleine Rovillois-Brigo1 Le genre de vie traditionnel et son évolution . . . . . . . L a sédentarisation et la détérioration des structures traditionnelles . .

CHAPITRE v . Résistance ou décadence du nomadisme. par C . Bataillon . . Valeur du semi-nomadisme . . . . . . . . . . . L a sédentarisation rurale . . . . . . . . . . . . Comparaison des niveaux de vie . . . . . . . . . .

CHAPITRE VI . Nomadisme et économie moderne. par C . Bataillon et Ch.Verlaque Commerce et administration modernes . . . . . . . .

67 69 76 77

81

85 88

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97 99

101 101 102 104 106 108 110 111

113 114 115 118 119 120

123 123 124 133

135 136 139

143 143 145 149

153 153

Page 12: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades sahariens et industrie . . . . . . . . . . . 155 Adaptation des nomades au travailmoderne . . . . . . . 161

Transformations techniques et économiques . . . . . . . 165 Problèmes culturels et sociaux . . . . . . . . . . 170 Nomades et Etats modernes . . . . . . . . . . 175

CHAPITnE VII . Modernisation du nomadisme pastoral. par C . Bataillon . . 165

CONCLUSION. par C . Bataillon . . . . . . . . . . . 179

ANNEXES Répertoke des tribus . . . . . . . . . . . . 181 Glossaire des termes locaux . . . . . . . . . . . 183 Bibliographie générale (choix commenté). par Renée H e y u m . . . 185

T A B L . E D E S I L L U S T R A T I O N S

FIGURE 1 . Régions étudiées dans l’Afrique de l’Ouest . . . . . 8

FIGURE 3 . Répartition des nomades de la région de Tindouf: été 1959 . . 53 FIGURE 4 . Répartition des nomades de la région de Tindouf: après la pluie. FIGURE 2 . Les limites du Sahara . . . . . . . . . . 16

déplacements entre l’été et l’automne 1959 . . . . . 54 FIGURE 5 . Le Hoggar et ses bordures . . . . . . . . . 62 . FIGURE 6 . Nomadisation en Mauritanie . . . . . . . . 68 FIGURE 7 . Nomadisation des Ahel Noh . . . . . . . . 71 FIGURE 8 . Nomadisation des Ahel bou Lobat . . . . . . . 72 FIGURE 9 . Nomadisation des Ladem du Hodh . . . . . . . 73 FIGURE 10 . Nomadisation des Haïballah . . . . . . . . 74 FIGURE 11 . Nomadisme des Daza du Borkou . . . . . . . 89 FIGURE 12 . Libye occidentale (Tripolitaine et Fezzan) . . . . . 103 FIGURE 13 . Les Rebaia dans le Souf . . . . . . . . . . . 117 FIGURE 14 . Sud tunisien: le Nefzaoua et ses abords 125

137

.

. . . . . . FIGURE 15 . Les palmeraies et la sédentarisation des nomades à Ouargla . . Photographies hors texte . . . . . . . . . . . 56

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A V A N T - P R O P O S

par C. BATAILLON

Les nomades sahariens se sont adaptés au plus vaste désert du globe. Ils ont appris à utiliser une végétation naturelle extrêmement discontinue et à en nourrir leurs trou- peaux. Ils ont su aussi se déplacer dans le Sahara et assurer leurs propres transports et ceux des autres grâce à une connaissance détaillée de cet immense pays. Mais, si la mobilité est leur caractère le plus notoire, ils ont aussi réussi, conjointement avec les sédentaires d’oasis, à développer des civilisations qui persistent jusqu’à nos jours.

LE NOMADE SAHARIEN

En dehors des prouesses techniques qu’il accomplit quotidiennement pour sub- sister, le nomade saharien représente une catégorie sociale d’une importance primor- diale dans cet ensemble de pays musulmans dont l’islamisation a justement été le fait des nomades. Ces circonstances lui permettent de revendiquer une noblesse que tout conspire à lui attribuer. I1 prétend se rattacher par ses ancêtres aux compa- gnons du prophète. I1 se considère comme le meilleur et le plus pur représentant de sa foi. Enfin son genre de vie lui a assuré à la fois une indépendance et une prépondé- rance par les armes: origine, affirmation religieuse et situation de fait donnent au nomade l’assurance de sa supériorité.

L a valeur du bédouinismel - badeya - se trouve fondée dans la langue arabe elle- même. L a racine arub sous des formes différentes désigne à la fois le groupe linguis- tique d’origine orientale et le nomadisme: le noble idéal est à la fois d’origine arabe et de vie bédouine. Mais en m ê m e temps, dans la société musulmane traditionnelle, la vie bédouine et sa démesure sont à l’opposé de la vie urbaine pieuse et mesurée. On ignore en fait l’intermédiaire du monde paysan et la ville se méfie du bédouin turbulent, libre et sans respect des autorités morales. Cet être prestigieux perpétue sans façons les coutumes hérétiques d’avant l’islam et ne se plie guère à l’orthodoxie. Cet aspect a séduit plus que tous autres les Européens, qui admirent l’archaïsme persistant de la société nomade saharienne. L a vie séduisante du nomade a une grande valeur pour l’anthropologue car, grâce au morcellement en petites tribus qui forment en un sens des sociétés complètes isolées, une grande variété de coutumes s’est con- servée. C’est cependant l’adaptation au milieu aride qui est le trait majeur de la vie nomade.

1. J. DEUQUE 1960). Les Arabes d’hier b dernoin.Ed. du Seuil, Paris. p.,21; idem (1959). Rewu internoliono& des icienros rocides, vol. XI. n* 1, p. 509. Au contraire. en &gyp- le badaoui eat le mendiant misérable que le cultivateur éloigne de aun champ.

13

Page 14: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades et nomadisme au Sahara

LE MILIEU SAIIARIEN~

L’aridité du milieu se marque à la fois par la discontinuité de la végétation et par l’apparition de plantes caractéristiques adaptées à la sécheresse. Ces plantes forment le plus souvent des buissons OU des arbustes trapus, pourvus de longues racines, au tronc relativement gros par rapport à un feuillage très peu fourni. Ces plantes ne couvrent jamais tout le sol. Elles forment des touffes isolées que séparent des espaces nus. Souvent deux touffes sont éloignées de plusieurs dizaines de mètres. Les limites botaniques de cette steppe raréfiée se définissent ainsi:

A u nord on quitte le Sahara quand disparaît la culture du palmier dattier, en excluant les palmeraies dont les dattes ne mûrissent pas commes celles de Marrakech. On atteint alors des steppes plus denses dont une plante caractéristique est l’alfa (Stipa tenacissima). Cette limite nord s’établit vers l’isohyète de 100 mm. Au sud on quitte le désert quand disparaît le had (Cornulaca monacantha), important

pâturage des chameaux. A peu près à cette limite apparaît le cram-cram (Cenchrus biflorus), plante aux graines piquantes. Selon les régions cette limite botanique s’établit au-delà ou en deçà de I’isohyète de 150 mm. On atteint alors le Sahel (a rivage )) du désert), où la végétation est plus dense. Arbres et buissons sont moins espacés, mais surtout des graminées annuelles prennent de l’importance et forment peu à peu un tapis continu qui pousse et verdit avec la pluie puis se dessèche en une paille jaune. Les limites de ce Sahel vers le Soudan plus humide sont peu nettes : vers 450-500 mm de pluie au Niger. Cette région, essentielle par la densité de ses pâtu- rages, n’est pas incultivable. Sans parler des cultures des bas-fonds humides et des bords de mares où l’on sème pendant la baisse du niveau de l’eau, des cultures de mil sont possibles avec des pluies de 300 mm. Les moyennes de pluie s’éloignent bien sûr beaucoup de la réalité concrète au

Sahara. L a pluie varie considérablement d’une année à l’autre et l’on peut rester jusqu’àvingt mois consécutifs sans aucune pluie digne d‘intérêt. I1 y a donc des années entières complètement sèches, parfois des séries de deux ou trois années trop sèches pour la croissance des plantes. L’eau tombe parfois en longues averses fines, plus souvent, surtout au sud, en grosses averses brutales, qui trempent les campements quelques heures mais dont une faible part seulement s’évapore : l’eau pénètre directe- ment dans le sol ou ruisselle. Une pluie de 10 mm suffit à provoquer des crues dans les oueds (lits de cours d’eau en général à sec) et à faire éclore brusquement certaines plantes éphémères qui forment un tapis de verdure. Les crues durent quelques heures avant que l’eau s’infiltre. L’humidité est complétée sur la côte atlantique par des brouillards et des rosées abondantes, qui profitent à la végétation jusque dans le massif du Zemmour. En toutes saisons ces régions sont favorisées et possèdent une végétation exceptionnellement dense.

L a saison principale des pluies oppose les deux rives du désert. A u sud les plus fortes remontées de la mousson soudanaise vers le nord se produisent au cœur de l’été. Ce sont les pluies (( d’hivernage )) du Soudan. Non seulement leur régularité est assez nette d’une année à l’autre dans le Sahel, mais même la bordure sud du Sahara proprement dit connaît des pluies moins incertaines que les autres régions. Les plus fortes chaleurs se produisent au printemps, avant les pluies; l’hiver est sec mais il est frais, ce qui limite l’évaporation sur les points d’eau comme sur les plantes. A la bordure nord du Sahara le mécanisme des pluies est le même que dans les

régions méditerranéennes. L’eau tombe pendant la saison froide, mais avec des diffé- rences notables selon les régions: sur la façade atlantique, les pluies d’automne sont les plus importantes. A u sud du Maghreb, l’eau tombe surtout à l’automne mais aussi au printemps. En bordure du golfe des Syrtes (Tunisie, Libye), pluies d’hiver

1. L’essentiel de ces paragraphe8 me r6nre A l’étude de R. Capot-Rey (1953). et aus indications de A. Cauneillc.

14

Page 15: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Avant-propos

et de printemps dominent. Mais, pour être utile aux plantes, l’eau doit venir hors des mois assez froids pour arrêter la végétation: l’ouest et le nord-ouest du Sahara (Mau- ritanie, Sahara espagnol, Maroc) profitent normalement des pluies d’automne. Au contraire, plus à l’est l’hiver est plus frais et la poussée de la végétation est tardive: les pluies les plus profitables sont celles du printemps au sud de l’Algérie. Ainsi l’activité végétale principale est plus ou moins longue selon les régions et elle dure plus ou moins longtemps: A l’ouest et au nord-ouest elle se produit en automne et en hiver, mais aucune

Au sud elle se produit en été et se prolonge partiellement en automne. Au nord et au nord-est elle se produit au printemps et s’arrête rapidement avec la chaleur sèche de l’été pour la plupart des plantes. Cette durée plus ou moins longue de la saison des pluies (( utiles explique la valeur

relative des trois régions ci-dessus pour le pâturage du bétail. Les différentes formes de végétation ne peuvent être utilisées de la m ê m e façon par

le bétail. Le fond du peuplement végétal est composé d’arbustes et de buissons, pâturage utilisable en toute saison mais assez sec et peu dense: il faut abreuver le bétail qui s’en nourrit, surtout en saison chaude (printemps au sud, été au nord). D’autre part, au Sahara une pluie brutale fait pousser pour peu de temps un tapis d’herbe fraîche: c’est l’ucheb ou rebea qui n’apparaft que par taches imprévues et éphémères, au printemps au nord et au nord-est, dès l’automne au nord-ouest et à l’ouest du désert. Le bétail qui piture cette herbe verte peut se dispenser de boire. Enfin au Sahel ce tapis d’herbe apparaît en été partout chaque année. Quand il

se déssèche, il laisse une ((paille )) qui peut alimenter des troupeaux à condition de les faire boire. I1 faut signaler que le chameau a besoin de consommer des plantes de région salée. Celles-ci abondent un peu partout au Sahara du Nord, mais sont beaucoup plus rares au sud. On a vu que certains pâturages ne sont utilisabIes que si l’on dispose de points

d’eau: la possibilité de creuser des puits dépend surtout de la nature du relief et des roches qui reçoivent la pluie.

L e relief du Sahara comporte plus de plaines que de montagnes. Celles-ci sont relativement plus hospitalières. En effet elles sont mieux arrosées que les plaines voisines. D e plus, sur les pentes fortes, la pluie ruisselle, se concentre dans les oueds, où après la crue l’eau s’infiltre dans les alluvions: ce sont donc surtout les fonds des vallées de montagne qui sont favorisés. D e plus les principaux massifs sont trop bas ou trop méridionaux pour connaître des froids d’hiver hors de régions très étroites. M ê m e les montagnes modestes ont des pâturages meilleurs que les plaines: à

l’ouest, l’Adrar mauritanien (350 m) et surtout le Zemmour (500 m) sont renommés; au sud l’Adrar des Iforas (600 m) est une enclave du Sahel dont la végétation s’étend ici deux cent kilomètres plus au nord qu’en plaine; enfin à l’est le Dahar tunisien et le Djebel tripolitain (600-900m) et les petits massifs fezzanais ont des vallées favorisées.

Mais surtout la vie n’est possible au Sahara central et sud-oriental que grâce à trois hauts massifs dont des parties importantes dépassent 1 O00 m d’altitude. L e Hoggar (2 900 m), le Tibesti (3 200 m) et l’Aïr (1 800 m) reçoivent au moins 50 à 100 mm de pluie tandis que les plaines voisines n’en reçoivent que 10 à 20. L’humi- dité des fonds de vallées favorise le pâturage, mais permet aussi, par des drains ou des barrages, de capter l’eau de la nappe alluviale pour les cultures, en particulier au Hoggar. Les cratères des anciens volcans du Tibesti forment également des pâtu- rages commodes. Enfin, si l’alimentation en eau de la plupart des oasis du Sahara septentrional dépend, directement ou non, des pluies tombées sur les montagnes nord-africaines, de l’Anti-Atlas aux Nememcha, les crues d’oueds atteignant directe- ment le Piémont saharien profitent directement aux pâturages.

saison n’est aussi brutalement défavorisée qu’ailleurs.

.

15

Page 16: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades et nomadisme au Sahara

16

Page 17: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Avant-prcpos

L a valeur pastorale des plaines peut varier notablement. Les massifs de dunes (ergs) emmagasinent facilement l’humidité et ont parfois en m ê m e temps des puits assez peu profonds et des buissons assez denses. Les plaines et les plateaux caillouteux (regs) n’ont que des buissons espacés souvent assez maigres. L’acheb peut y pousser occasionnellement, souvent dans les dépressions des oueds ou des cuvettes (grara, daia), où l’humidité se concentre. U n sol fin et fertile y permet parfois des semailles de céréales après la pluie. Quand ces plaines recouvrent des roches cristallines ou des schistes, aucune eau profonde n’est à espérer. Au contraire les hamadas, formées d’épaisseurs horizontales de grès ou de calcaires, contiennent en général des nappes d’eau, parfois artésiennes, que des forages profonds peuvent atteindre.

Les plaines sahéliennes, dans l’ensemble bien plus favorisées, présentent les mêmes aspects de détail: abondance de l’eau dans les alluvions des vallées, puits plus ou moins profonds des plateaux de grès ou de calcaires, manque d’eau profonde des régions cristallines‘comme le Gourma au sud de la boucle du Niger. En outre, ici, les fleuves (Niger, Sénégal) et les lacs (Tchad) facilitent l’abreuvage. Dans les creux s’établissent des mares qui durent des mois. Ces mares (guelta) sont en revanche très rares au Sahara.

Selon les possibilités d’abreuvage et de pâturage au cours de l’année, les nomades déplacent leur bétail et leurs tentes selon un cycle annuel de l’élevage plus ou moins fixe’. A l’intérieur du Sahara, surtout dans sa moitié nord, la saison fraîche à partir de

l’automne et surtout le printemps permettent des concentrations de bétail impor- tantes là où la pluie a fait pousser l’acheb. Par exemple, en mars 1959, dans un secteur bien arrosé de la H a m a d a entre EI Golea et Ouarglaz, sur quelque 170 km2 se répar- tissent 169 tentes (eneon 6 personnes au kiIomètre carré). L e bétail doit s’élever 2 2 O00 ou 3 O00 ovins et caprins, un millier de chameaux au moins. Chaque campe- ment groupe 5 à 8 tentes côte à côte et au moins trois cents mètres le séparent du plus voisin campement. Outre les pâturages, on profite à cette saison des truffes comestibles (terfess). Le lait est abondant et m ê m e des semi-nomades3 ou des gens en cours de sédentarisation font paître leur bétail, qu’il n’est pas nécessaire d’abreuver: le puits le plus proche est ici à 40 km et une corvée d’eau hebdomadaire suffit au campement. Mais, dès les premières chaleurs, l’herbe verte se dessèche et il faut à la fois se

rapprocher des puits et se disperser; le pâturage d’été est peu dense et le débit des puits est souvent limité: chacun pourvoit cinq à dix tentes et leur bétail. On s’installe dans une vallée dont les buissons sont assez denses, ou mieux dans un erg où certaines plantes fleurissent en été: les troupeaux sont alors laissés aux bergers par les semi- nomades. Si cette alternance de dispersion et de concentration du bétail est générale, l’ampleur

des déplacements est très variable. Certains nomades ne quittent pas de l’année une vallée dont ils exploitent les pâturages : ainsi au Hoggar, ainsi sur le bord de la Hamada du Dra (Ait Khebbach, sud-est du Maroc) et au pied de l’Atlas saharien si les oueds ont coulé jusqu’à la bordure de l’Erg occidental (Mechfar). Les endroits où se concentrent les eaux de ruissellement ne sont pas seulement recherchés pour le pâturage, mais aussi pour y semer des céréales (jusque dans le Zemmour). Après la moisson, les chaumes servent au bétail.

Dans le Sahel et à la bordure sud du Sahara, le bétail se déplace en été vers le nord et se disperse dans les pâturages verts. Seuls les bovins ont besoin de boire souvent: les mares sont assez nombreuses pour cela. C’est ici l’époque où les éleveurs

1. E n cas de semi-nomadisme, le Miail se déplace ieulement mous la conduite de bergers une partie de l’année. Nous envisageons

2. Enquire du capitaine Barbe commuaiquée par J. Biasoa. 3. O n designe sous ce terme les populations qui mènent la vie nomade une partie de I’aMée el vivent dans dei centres fixes

ici les moyens d’existence des troupeaux.

p o w s’occuper d’agriculture le reste du temps.

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Nomades et nomadisme au Sahara

les moins mobiles se déplacent, où le lait est abondant. A la saison sèche les troupeaux regagnent le sud, où la paille abondante est maintenant sèche, où les mares gardent l’eau plus longtemps. L a fin de la saison sèche, très chaude, oblige à concentrer les bêtes auprès des puits où elles s’abreuvent parfois par milliers. Les premières pluies sont impatiemment attendues et forment une coupure nette dans l’année.

Selon la nature des troupeaux, des différences apparaissent dans les déplacements. Pour les chameaux, les pâturages sahariens sont longtemps utilisables en automne et eñhiver, alors que les bœufs regagnent plus tôt le Sud. L a recherche des pâturages salés, souvent loin du Sahel, allonge encore la migration des chameaux. A u contraire les bœufs se contentent de déplacements de quelques dizaines de kilomètres parfois, avec une simple dispersion pendant les pluies, suivie d’un regroupement autour du puits. De plus, pour ceux-ci surtout, les pâturages marécageux sont recherchés, par exemple dans les (< bourgoutières )) qui se découvrent quand baisse le niveau de l’eau dans le Niger et dans les lacs où ses eaux se déversent pendant la crue (lac Faguibine, par exemple). Ces pâturages sont utilisés surtout au printemps (saison chaude et sèche). Enfin certains éleveurs de chameaux dans l’ouest du Sahara utilisent successive-

ment les pluies d’origines variées. Ils s’enfoncent aux confins du Sahel mauritanien en été, au moment où les pâturages verdissent, puis ils gagnent vers le nord les régions atteintes par les pluies d’automne et d’hiver où la douceur des températures laisse croître l’herbe. Ainsi les Ahel bou Lobatl. Ce dernier exemple montre quelle variété revêtent dans le détail les migrations des nomades. II est de plus évident que d’une année à l’autre la localisation ou l’abondance des pluies feront varier les solutions: les meilleurs éleveurs sont justement ceux qui gardent le plus d’initiative dans leur choix et le plus d’ampleur dans leurs déplacements.

LIMITES D E L’ETUDE

D’ouest en est notre domaine s’étend de l’océan Atlantique à la Libye, à l’intérieur de laquelle la Cyrénaïque est laissée de côté. On a vu que les nomades débordent du Sahara méridional vers le Sahel, que nous avons inclus dans l’étude. Mais au nord, le nomadisme s’étend aussi vers les steppes d’Afrique du Nord. De ce côté nous nous sommes dans l’ensemble limités au Sahara proprement dit, ce qui peut sembler déséquilibré. L a raison principale en est que les mouvements pastoraux sont beau- coup moins importants de ce côté qu’au sud du Sahara. Premièrement, de tous temps, les bastions montagneux fortement peuplés de sédentaires, surtout dans l’Anti-Atlas et le Haut-Atlas au Maroc, dans l’Aurès en Algérie, ont gêné ces mouve- ments. En second lieu la décadence du nomadisme a accompagné la mise en culture partielle des steppes là où elles sont accessibles aux nomades, dans l’Algérois et l’Oranie comme en Tunisie. Enfin depuis cinq ans l’état de guerre a encore réduit les migrations pastorales à la bordure de l’Algérie. Au contraire le Sahel, peu peuplé et peu cultivé, est largement ouvert au nomadisme le plus vigoureux du Sahara, par ses effectifs humains c omme par l’importance de ses troupeaux. Ainsi la civilisation saharienne trouve sa richesse pastorale à sa bordure sud, aussi bien chez les Maures et chez les Touaregs que chez les Toubous.

C’est pourquoi, au nord nous ne dépasserons pas la limite du désert, tandis qu’au sud nous joindrons au Sahara le Sahel2. 1. Voir p. 70. 2. La désignation de In plupart des territolei étudié. ne présente pai de dX6edtfs. II faut pourtant préciser ce que nous désigne- r o m par # départements mahariens e. Ces deux départemenii Lançau (Oasis et Saoura) correspondent, iaufquelques retouches administratives. aux ancieni territoires d u sud de 1’Algke. Voici peu de temps. on disait simplement Sahara algérien ou Algérie pour les désigner. On lea sppelle parfois mahicnant Sahara français. puisque seuls ili dépendent actuellement de ïadminietrationfranpaiae dans le Sahara. Onvoit leiimplicationi de ce# formules: c’est trop ne fonder mur lei limitei admi- nistratives; au contraire R. Capot-Rey incluait en 1953 le Feauin dani son Sahara français et cerïei Ici habitudes d u colonisateur apportée# par 1’Cwle ou ïadministration dani un payi laissent de8 tracei profondes. Nous avons retenu la formule Ia moios explosive.

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P R E M I e R E P A R T I E

Le nomadisme traditionnel

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I N T R O D U C T I O N

Les populations nomades

Trois groupes de populations nomades occupent le Sahara: une forte majorité de gens parlant arabe, puis des Touaregs et des Toubous. Tous ces gens se distinguent nettement les uns des autres par leur langue, leurs habitudes de vie ou leurs cou- tumes et m ê m e simplement par leur costume ou leur tente. Répartis entre 9 unités politiques, sans compter l’figypte non étudiée ici, aucun de ces groupes ne dépend d’un seul Etat.

Les Toubous ont pour foyer principal le massif montagneux du Tibesti et se sont répandus en petit nombre jusqu’au Fezzan, en masses plus importantes dans tout le Sahel de la République du Tchad jusqu’au lac Tchad lui-même. Anthropologie et légendes locales permettent de dire que les Toubous sont une population très ancien- nement installée dans l’Afrique centrale et que leur originalité s’est forgée dans un relatif isolement. Foncés de peau et fins de traits, ils sont différents des noirs séden- taires voisins. Leur langue les isole aussi car elle ne s’apparente à celle d’aucun des peuples d’alentour. Ils utilisent une tente de nattes semi-ovoIde et sont des nomades réputés pour leur mobilité. Bien que leur élevage et leurs campements se déplacent peu, les hommes réalisent d’immenses circuits d’échanges et ont une endurance re- marquable de guides, de montagnards et de guerriers. S’il est facile de distinguer les Toubous des autres nomades sahariens, les premiers

ne forment pas un bloc homogène. Leurs deux groupes dialectaux - Tedas et Dazas - ne se comprennent pas entre eux; les clans sont de toutes petites unités dispersées sur de vastes territoires, sans cohésion politique. Les Toubous apparaissent peu impor- tants en raison de leur faible nombre - environ 200 O00 - et de leur dispersion mais, en contrepartie, ils attirent par la variété et l’originalité de leurs coutumes, que 1’011 connaît d’ailleurs mieux que celles des autres nomades sahariens.

Les Touaregs sont installés dans les montagnes du Sahara central, Hoggar, Tassili, Aïr et Adrar des Iforas; ils occupent aussi largement le Sahel soudanais et nigérien. Dans l’ensemble ils sont de race blanche, m ê m e si de nombreux métissages avec les noirs apparaissent, surtout dans les régions méridionales. Mais aucun caractère anthro- pologique net ne les distingue des gens de langue arabe, blancs ou métissés c o m m e eux. Leur langue, le tarnacheq, fait leur unité et eux-mêmes se disent au Soudan Kel Tumachep, gens parlant tamacheq. C’est une langue berbère, proche surtout de la Tamazirt du Haut-Atlas oriental et du Moyen-Atlas du Maroc, que parlent les Beraber. Les traditions attribuent à ces Touaregs une origine variée: tantôt l’Ouest saharien, tantôt la Libye. Ils utilisent en général une tente de cuir de chèvre et pratiquent un élevage souvent sans grands déplacements, au Hoggar c o m m e au

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Nomades et nomadisme au Sahara

Sahel. Monté sur un méhari blanc, vêtu de bleu sombre et visage voilé, armé de l’épée et du bouclier, le guerrier touareg est une figure de légende. Si l’unité de coutumes et de langue est nette dans le monde touareg, celui-ci se

divise cependant en confédérations plus ou moins vastes, inégalement connues. Les gens du Hoggar et du Tassili forment une infime minorité isolée au sud de l’Algérie et de la Libye, tandis que les Touaregs du Sud groupent plus de 450 O00 pcrsonnes et forment deux minorités importantes au nord des républiques du Soudan et du Niger.

Les nomades sahariens parlant arabe sont largement majoritaires, groupent près d’un million de gens et sont représentés dans les neuf pays riverains du désert. Si l’unité de langue et de civilisation est évidente chez eux, les différences de détail ne sauraient étonner entre des gens très dispersés chez qui toutes les nuances du noma- disme sont représentées. Vêtus de bleu dans l’Ouest saharien, de blanc le Nord, ils utilisent en général une tente noire tissée de poil de chèvre et de chameau de vaste dimension. L e grand nomade Reguibat, chamelier utilisant de très vastes espaces et réduisant au minimum l’encombrement de sa tente, ne ressemble pas au Maure du Sud, peu mobile, pieux et cultivé, riche à la fois par de vastes troupeaux de bovins et par le commerce au Sénégal. Bien différent encore est le semi-nomade du nord et du nord-est d u Sahara, équilibrant savamment les ressources de l’élevage avec celles des palmeraies ou des champs d’orge. Mais tous ont en commun, outre la langue arabe, la fierté d’être nomades et de se réclamer d’une glorieuse origine orientale. fitre arabe est une noblesse autant qu’un genre de vie. En fait le domaine de la langue arabe et de la langue tamacheq ne sauraient être

opposés absolument. L’organisation sociale, les genres de vie, la religion ont des formes semblables chez les uns et les autres. D e plus aucune coupure ne saurait être établie dans les types physiques, puisqu’on sait qu’au moins dans tout l’Ouest saharien, mauritanien ou marocain, la plupart des gens parlant arabe ont pour ancêtres des populations depuis fort longtemps installées là qui, après avoir parlé berbère, ont été acquises à la langue du Prophète. I1 en est parfois de m ê m e dans le nord du Sahara, si les gens réellement venus d’Arabie sont ici plus nombreux. Une région incertaine apparaît à la limite de la Mauritanie et du Soudan, où des groupes variés à la fois par leur langue actuelle et par leur origine réelle ou légendaire se mêlent dans les mêmes confédérations.

Ce sont donc les nuances d’une arabisation plus ou moins accentuée qu’il faudra souvent examiner, m ê m e si la coupure linguistique reste majeure. C’est ainsi qu’en Mauritanie c o m m e au Fezzan et au Tassili, la toponymie est l’image m ê m e de cet entrecroisement : noms berbères et noms arabes sont à peu près aussi nombreux, mais bien des mots appartiennent aux deux langues, à moins qu’un m ê m e endroit

Populations nomades au Sahara

Arabes Touaregs ou berbérophones Toubou8 Total

Maroc Départements sahariens Tunisie Libye Tchad Niger Soudan Mauritanie Sahara espagnol

TOTAL

14 O00 126 O00 3 O00

250 O00 83 O00 4 O00 34 O00 400 O00 24 O00

6 O00 9 O00

3 O00

264 O00 196 O00

- -

- 2 O00

195 O00 3 O00

20 O00 135 O00 3 O00

255 O00 278 O00 271 O00 230 O00 400 O00 24 O00

938 O00 478 O00 200 O00 1 616 O00

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Les populations nomades

possède deux noms, l'un traduisant l'autre. On ne saurait délimiter de secteurs de prédominance d'une langue ou de l'autre, car l'interpénétration est totale. De la même façon, bien des Touaregs du Hoggar sont bilingues. Selon le sujet

abordé, ils passent d'une langue A l'autre et hésitent, bégaient au moment de changer de langue : ces hésitations, cet entrecroisement des deux langues suggèrent les rap- ports entre culture touarègue et arabismel.

1. Moa~~(1947). (Remarque sur la vie mentale et lei geitci denTouaregs de ~ ' ~ ~ ~ ~ ~ ~ D , T I R S . I V . L E B I C H B ( ~ ~ ~ ~ ) ~ N ~ ~ ~ our Im Trana $, BIFAN. X. p. 416. L'étude de i'organlation tribale. des coutume: puii des contacts exténeurs porte iurtout our l'ensemble touareg-arabe. En effet, sur celui-ci n'existe qu'une mosaïque incomplète de documents. A u contraire. les Toubous,peu étudiés ici sad en pasiant,iont eonnun par les recherches en profondeur d e a . Lemur et par la iynthèse de J. Chapelle.

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C H A P I T R E P R E M I E R

La tribu’ par C. BATAILLON

On appelle habituellement tribus les groupes auxquels appartiennent les nomades : l’homme n’appartient pas à une localité, une province ou un pays territorialement délimité, mais à un groupe de gens possédant des ancêtres communs. Si l’on veut définir la chose, il faut décrire un groupe très simple où se trouvent intégrés en une même institution la vie familiale, la communauté politique, le travail collectif et l’ensemble des relations humaines : un tel groupe est nécessairement petit, formé de parents qui se connaissent tous. Les termes2 utilisés en arabe varient selon les régions: Libye et régions ouest

emploient qbila, tandis que la région intermédiaire emploie arch. Les dialectes ber- bères connaissent taqbilt (Maroc) mais aussi, en pays touareg, tadbilt et tegéhé. Ce dernier terme a un sens nettement politique et familial (<( ceux qui ont droit de suc- céder [à l’ancêtre maternel] à la suzeraineté))). Plus vague est le sens d’arref ou taoussit (<( toute collection d’objets ))), signifiant seulement groupement. Souvent, d’autre part, les noms de tribus évoquent soit précisément les fils d’un tel (Ouled, beni) ou plus vaguement les gens de (ahl, ait, keZ)3. Ainsi se pose un problème: quels sont en réalité les liens qui unissent les membres de la tribu et quelle dimension peut-elle ainsi atteindre ?

La réalité nous présente d’abord les (( clans o toubous. Ce terme de la sociologie classique s’adapte bien à ces groupes à l’intérieur desquels le mariage est interdit. Cependant, au-delà on ne trouve pas de (( tribu Q plus vaste constituée. Dans le reste du Sahara les groupes consanguins sont plus ou moins vastes et s’emboîtent depuis la famille patriarcale de 10 ou 20 personnes jusqu’à la tribu, qui dépasse rarement 2 O00 personnes. On se marie souvent à l’intérieur de tels groupes fondés sur la filiation. . Des groupes plus vastes, hiérarchisés par la terminologie administrative en frac- tions, tribus et confédérations, apparaissent, vastes surtout au Sahara méridional, 1. Si le caractère familial de l’organisation tribale saharienne est évident, un autre aspect est la multiplication des groupci auxquels un h o m m e peut appartenir. La complication de ces attaches apparaît psrtidtement en Libye (vou p. 104). Cette imbrieation des noms de groupes et leur caracière arbitraire. stéréotype. a été noté par J.BEBQUE (1953). [e Qu’est-ce qu’une tribu nord-aJXeaine? D. Jhentail de I’hiitoirs vivank. hommage à Lucien Febvre, Paris. A. Colin. t. I, p. 261-271). A u contraire, la simplicité théorique des institutions tribales (ramification d’un arbre généalogique dont chaque rameau possède sa marque de bétail. ses pâturages. sa e patrie D, son aristocratie et son chef) apparaît dans E. E. EVANS P=TCa*aD (1949). [The Sanwsi of Cyrenaieo. Oxford]. Dans le domaine étudié iei on a utilid principalement les ouvrages (décrits A la e Biblio- graphie générale $ de J.CWELLE (1957). NICOLlisEN(1959),~~.LoTae (1944),lePhB DE FOUCAWLD (1951). P. GALLOY (1958). DUBIQ (1953) et i titre de eomparaison les pages de PAWPHILET (1956): (Le territoire des Ouled Sidi Ali ben Aoun. Paris, PUF].

2. L’enquête est loin d‘être poussée (voir le Père de Foucauld). Qbilo, iqbilt (et iadbili 7) peuvent être considérk c o m m e un m ê m e mot.

3. Si ces prélises sont fréquents. bien des groupes qui ont un simple n o m sont réellement familiaux; tandio que l’apparentement réel de vantes groupementi (Beni HiIIal. Ouled Sidi Cheikh) est plus problématique.

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Nomades et nomadisme au Sahara

maure ou touareg. Nous verrons qu’au mécanisme de la filiation s’ajoutent toujours ici des systèmes d’adoption et de dépendance qu’on a pu comparer facilement à la féodalité et qu’ainsi s’organisent des classes sociales voire des castes distinctes’.

LA CON SAN GU IN ITÉ

Bien des groupes tribaux se glorifient de descendre d’un ancêtre célèbre par sa piété ou ses faits d’armes. Cet ancêtre éponyme a un rôle important pour assurer la cohésion du groupement. A u moins dans le domaine proche de l’Afrique du Nord, le recours à un pieux aïeul issu du Sud marocain ou de la Seguia el Hamra est classique. Sa vie se situe vers le XVI’ siècle en général2. I1 n’est pas rare d’ailleurs qu’on explique que c’est I’<< adoption )) de gens d’origine variée ou obscure par l’ancêtre qui a créé la tribu. Si les termes administratifs classent les groupes selon leur dimension, il semble

qu’il n’en est pas de même dans la terminologie locale, qui appelle arch de la même façon les groupes rebaia du Souf, gros d’un millier de gens environ, et le groupe Chaamba, de près de 25 O00 personnes; au point de vue administratif les uns forment des sous-fractions, les autres plusieurs caïdats et une confédération répartie entre EI Goléa, Metlili, Ouargla et le Souf. On peut examiner sur quelques exemples jusqu’à quel point la généalogie rend

compte du groupe tribal. Chez les Rebaia, la famille patriarcale groupe selon les cas 30 à 40 ménages ou seulement 5 ou 6, reliés par une parenté certaine et précisément connue de tous. Les groupes arch plus vastes ont des affectifs variant de 300 à 2 O00 personnes mais ici la généalogie commune est plus mal connue et plus confuse. De plus, des familles appartiennent à I’arch sans remonter à l’ancêtre commun, car elles ont été adoptées; ces familles ont souvent une origine connue (autre tribu nomade du Souf, Touaregs); parfois on sait seulement qu’elles descendent d‘un berger ou d’un esclave. ’

Mais dans la plupart des 14 arch rebaia, dont certaines ont le tombeau de leur ancêtre à un cimetière d’El Oued, c’est la majorité des gens qui sont liés par une parenté réelle, sinon très précise. Enñn l’ensemble des Rebaia revendique une origine commune, vague et lointaine.

L a réalité du groupe familial se retrouve beaucoup moins facilement chez les De- hamna, élément Chaamba de la région d’El Goléa comptant l 300 personnes environ. Ici quatre familles importantes seulement descendent de l’ancêtre du groupe. Celui-ci, Dahman, a vécu vers 1800. Mais à côté de ces familles, 17 autres sont sans lien direct avec l’ancêtre et forment les trois quarts des Dehamna. Quelques-unes se rat- tachent à la généalogie chaamba par des ancêtres bien plus éloignés que Dahman (4 familles Ouled Fredj, 1 Mouhadi). D’autres familles viennent franchement d’ail- leurs (4 familles du Souf, 1 des Ouled Sidi Cheikh...).

L’importance numérique des gens sans lien de sang avec l’ancêtre de la tribu se manifeste aussi dans le vaste groupement des Reguibata. Sur 11 O00 personnes, un tiers environ forme la descendance du chérif Reguibi. Le reste est composé d’alliés agglu- tinés tantôt par vastes groupes qui sont unis par le sang et ont une autonomie comme les Foqra, tantôt par petits groupes dépendant d’un rameau de l’arbre reguibat4, tantôt enfin par famille isolée au service d’une famille reguibat.

Ainsi nous trouvons constant, à tous les niveaux, le mécanisme de l’adoption de petits groupes affaiblis par les familles puissantes. I1 en résulte des réaménagements 1. Ayant renoncé à employer le terme de 4 clan n, trop précii,en dehon du domaine toubou. nous renierons souvent volontairement dana levague en parlant de (groupe,. En fait Ica deux pô1ca iont litlignée ou lignsge,,groupe familial consanguin réuninsant des parenta plus ou moipl proche# ou vagues,et la tcodédérations ou vaste tribu dépassant IC cadre Lamilial pour atteindre au lil li que. Li 4 L-ibu D ou la fraclion B de l’administration cuvent correspondre 1 l’une ou l’autre de ~ e i deus réalités.

2. éIércnce au mouvement maraboutique: BenQnE (1953), !‘AUPHILET (1956). etc. 3. Voir p. 51. 4. Ah1 ou famille.

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La tribu

perpétuels ,autour des arbres généalogiques les plus vigoureux. Quand ils sont assez anciens, les liens de protection ou d’adoption se confondent avec ceux du sang. Les éléments récemment intégrés restent au contraire périphériques et ici réside le germe des discriminations sociales a u sein des groupes tribaux. Si la société reguibat reste assez égalitaire, tout le sud du Sahara touareg et maure connaît un régime qui aboutit à la formation de castes fermées’. Selon sa puissance, militaire surtout, une tribu considérée c o m m e une véritable

famille par ses membres peut donc se gonfler plus ou moins d’apports extérieurs; ce groupe vivant comporte seulement 500 à 2 O00 personnes chez les Rebaia ou les Chaamba; il atteint 11 O00 personnes chez les Reguibat L’Gouacem, dont les clients sont nombreux. Mieux encore l’organisme beaucoup plus complexe et hiérarchisé des Touaregs Kel

Antessar de Tombouctou groupe 27 O00 personnes, mais ici de fortes différenciations internes apparaissent. Si l’on s’en tient cependant en milieu touareg aux groupes réeiiements apparentés, les lignées ne dépassent pas 500 à 600 personnes au Hoggar, peut-être 1 O00 au Sahel soudanais. Eues atteignent plus souvent 100 à 200 personnes seulement.

Dans ces sociétés unies en principe par le sang, les règles de mariage sont nécessaire- ment importantes; elles sont cependant mal connues dans la majorité des cas; aussi bien l’islam, partout présent, ne comporte pas d’impératifs à cet égard, sauf I’inter- diction des mariages entre proches parents, ce qui peut gêner l’aveu de certaines règles ou préférences.

L a prohibition du mariage entre proches parents - et finalement l’exogamie au niveau des clans - est de règle chez les Toubousa. Seuls quelques mauvais garçons ou de pieux personnages plus attachés à l’islam osent transgresser la coutume. Aussi le mariage toubou qui lie des étrangers est remarquable par ses longues et prudentes démarches préliminaires, la minutieuse complexité des dons et contredons qui I’ac- compagnent, l’enlèvement brutal de la fiancée, etc. I1 est frappant qu’ici règne une anarchie souvent décrite: la lignée ne s’organise pas en tribu cohérente, aucune autorité stable ne s’établit au-dessus du ménage conjugal et les enfants s’émancipent tres jeunes. Au contraire il semble bien que le mariage au Sahara touareg relève d’une nette

endogamie, préférant à tout autre le mariage avec des cousins proches. Les exemples étudiés par Nicolaïsen montrent à la fois un système de parenté complexe et des règles de mariage précises. Une distinction s’établit entre l’oncle véritable, frère de la mère, et les autres parents de m ê m e degré appelés père et mère. D e m ê m e parmi les cousins, les descendants de l’oncle véritable et de sa symétrique - la sœur d u père - sont seuls cousins véritables. Trente-huit mariages ont été relevés chez les Kel Ferouan de l’h: 17 unissaient des cousins ainsi définis3 et 31 au total unissaient des parents proches. Au Hoggar les préférences sont aussi précises mais autrement choisies : sur 44 mariages relevés, tous sont consanguins mais en tête amvent les unions avec les cousines, ales ou petites filles des tantes materneiies. En milieu arabophone, si l’idée que les épouses doivent être échangées entre les

groupes existe4, les dictons conseillent fréquemment le mariage des cousins6. En tout cas les quelques exemples convergent pour indiquer seulement une certaine importance des mariageß dana la famille patriarcale ou plus largement dans la lignée plus ou

. moins proche6. 1. Li plupart de ceo élément. sont dus aux renseignement. de A. îauncinc. 2. hAPELLP (1957). p. 274 sq, p. 409, annese III. 3. g Counh rCeL D: 11; a couiina eroieéo classifïcatok D: 6. Li recherche cthnologi e n’avait guère abordé ces p u n t i o ~ pré& dement. ni ca n’nt que Is dictionnaire dulèrs deFoucauld montre que Le paren& a elassifieatoire D. Peut-étre les nomades de langue arabe réserveront-il. il leur tour des découverteil

4. On stigmarise: 4 celui qui a une fille et ne veut pai la donner en mariage; celui qui 05re une calebasse sans la remplir (hoapi- talité ar don du iait); celui qui a un papier et ne peut Is lire*. Cité ar Dwik (1953).

5. Dd(1953): en pays maure; proverbei rebaia, p. 119 (note 3): au Iod; J. BERQUE (1960). Lu Arabe. Chier a demain. Paris. &litions du Seuil. p. 156.

6. PALIPH~~T (1956) et doc. CHEAM 1776. caidat dea O d Ay- (Makta); Souf et El Goléa: exemples relevée par no-.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Dans la steppe tunisienne, chez les Ouled Sidi Ali ben Aoun, sur 111 unions on en relève seulement 10 hors de la tribu. Chez les Ouled Ayar, sur 54 petits-enfants de l’ancêtre commun, 44 sont mariés : 14 dans leur famille paternelle, 13 dans la ((fraction) plus large, 15 dans certaines familles avec quiles alliances sont multiples, 11 seulement hors de tout système.

Chez les Chaamba d’El Goléa, quelques exemples montrent la part d’endogamie à l’échelon familial et tribal. Dans le tableau ci-dessous, on peut considérer le respect d’une certaine endogamie comme un indice de maintien de la cohésion familiale. La (( fraction )) est largement endogame, mais nous savons à quel point elle est composite même si ses membres se sentent réellement parents. Seul le groupe benehohra a éclaté nettement à cet égard: il est composé en majorité de gens détachés par leur métier du groupe traditionnel.

L’éclatement de la famille proprement dite est très limité chez les Belakheal restés strictement nomades; il est plus poussé chez les Benhouad et Benchohra, commer- çants, salariés et militaires en grand nombre: les exceptionnels mariages avec des non-Chaamba relève de la vie militaire des compagnies sahariennes au Hoggar, chez les Reguibat ou à Timimoun. Enfin les Abdelhakem, anciennement fixés en partie et cultivateurs, sont les moins endogames.

F a d e Nombre Proportion des mariages

dans la famille damiafradon born fraction Fraction de ménages

% % % % Abdelhakem Dehamna * 34a 20 75 25 O Benchohra O H Mansour lCb 25 40 60 1 0 Benhouad Dehamna 270 3 1 75 25 ’ 8 Belakheal O Bleamar 2 Id 50 75 25 O a, cultivateum surtout; b, nombreux commerçants.militaires, etc.; e, 40% de militaires et retraités; d, plus de 80% de nomades.

Dans la région du Soufl, nous trouvons à la fois des groupes sédentarisés et des semi-nomades. Chez les premiers on discerne une endogamie marquée des (( fractions )) numériquement nombreuses installées en grosses agglomérations ainsi les Azezla et les Chebabta de Bayada. Des groupes éparpillés par la sédentarisation sont plus ouverts aux mariages avec leurs voisins; c’est le cas des groupes minoritaires de Bayada et des groupes très variés de Robbah.

Chez les seconds, qui appartiennent aux Rebaia2, l’endogamie est respectée vis-à-vis des autres populations du SOUP. Biais entre tribus rebaia les mariages sont relative- ment nombreux. Sur 145 unions relevées les conjoints appartiennent à la même tribu (arch) dans les ‘deux tiers des cas. Ainsi l’endogamie semble fréquente au sein des groupes restés solidement unis,

qui gardent à la fois une allure traditionnelle marquée et une certaine puissance liée à la richesse. Car cette endogamie est remarquable aussi bien chez des gens plus fidèles au nomadisme que chez des riches qui semblent vouloir préserver un patri- moine foncier, voire des gens repliés dans l’orgueil d’une noble tradition guerrière4. En tout cas nulle part nous ne relevons un (( système D de mariages clairement défini et rigoureusement appliqué, formant une véritable institution. A u contraire, on dis- tingue un indice d’a ouverture )) des groupes dans la multiplication des unions exté- rieure~~. Ces éléments d’allure archaïque contribuent bien sûr à la cohésion de groupes

I

I

1. Registres des mariages des communes de Bayada et Robbah; questionnaire aupres dea Rebaia d’El Barnma. 2. Voir p. 118. 3. Six pour cent d‘exceptions. 4. Voir Ouled Yacoub. p. 126. 5. Pauphilet indique que la dot chez lei Ouled Sidi Aii Den Aoun monte à 10 O00 francs pour UII mariage entre cousins. à 50 O00 francs entre gens de m e m e fraction et P 100 O00 íranci bon de la fraction; le riche se dhtachc ainsi du groupe étroit p o u contracter u pour lui-même $ uns lointaine alliance.

28 l i

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La tribu

peu nombreux, menacés cependant par les multiples dangers de la guerre et de la famine. Ainsi l’endogamie est une tendance générale au sein des groupes que nous étudions,

à l’exception des Toubous. O n peut se demander si cela peut comporter des dangers biologiques’. En fait le groupe minimum biologiquement viable est de l’ordre de 500 personnes. Non seulement les démographes constatent des ((isolats de fait )) aussi peu nombreux, et cependant bien vivants, dans les grandes villes de France, mais encore l’endogamie n’est-elle, en réalité, presque jamais totale au sein de lignages qui ne groupent parfois que 200 ou 300 personnes. C’est plutôt sur le plan culturel que cet isolement partiel mérite d’être souligné car il est éminemment favorable au maintien d’habitudes et de coutumes très anciennes et à la dxérenciation permanente de ces coutumes entre petits groupes voisins mais peu liés par les mariages.

DIMENSIONS DES GROUPES ET LIENS DE DEPENDANCE

L‘existence de catégories sociales dépendant les unes des autres apparaît aussi bien en Mauritanie que dans le monde touareg. L a classification semble presque identique dans les deux cas2.

Touaregs Imouchar-Imajeren Ineslimen-Cheriffen Imrad

Enaden t Iklan

Maures Hassani-Arbi Zaoui-Merabtin Telamid-Zenagui-Lahmi Abid Maalemin-Sanaa

Signification Guerriers Religieux Tributaires Esclaves Forgerons

Les guerriers, protecteurs efficaces de leurs dépendants, vivaient des redevances de ceux-ci. Seuls les religieux sont dispensés en général de ces redevances. L’organi- sation de la guerre et du pillage revient à ces guerriers. En pays touareg, au Hoggar surtout, ils semblent avoir la spécialité de l’élevage du chameau car il s’agit bien plus de bêtes de selle et de bât que de troupeaux laitiers3. Les religieux se définissent en général comme ((non guerriers )). L a pratique de

l’islam est plus poussée que chez d’autres et en particulier l’instruction coranique. Cependant un véritable prestige religieux n’apparaît que chez quelques groupes, maures surtout. Les autres semblent avant tout des (( neutres O. Cette catégorie sociale n’est pas représentée au Hoggar. Le statut des tributaires est fort variable puisqu’on les compare tantôt aux (( serfs ))

tantôt aux ((plébéiens O, ce qui semble plus exact. En fait on constate que non seule- ment les redevances qu’ils payent, parfois aux religieux et plus souvent aux guerriers, sont dans chaque cas minutieusement tarifées mais que simultanément le guerrier cherche à obtenir d’autres services avec une brutale désinvolture. Le terme touareg de kel oulli (gens des chèvre^)^ qui les désigne a permis d‘étayer l’hypothèse d’une population de bergers chevriers soumise par de nouveaux arrivants, guerriers et chameliers. Les esclaves (serviteurs) sont des noirs soudanais conquis et transportés plus ou

moins loin. En dehors du grand commerce transsaharien entre les mains de spécia- listes, ils sont rarement vendus par leur propriétaire. Leur statut varie beaucoup, selon qu’ils sont soumis à une obéissance quotidienne en vivant au campement de leur maître, ou qu’ils travaillent pour lui comme cultivateurs dans une oasis ou dans le sahel méridional, ou enfin qu’on leur a confié un troupeau à garder loin du maître ((( esclave de dunes n). 1. S W R E ~ et TASU (1953). 4 Les notions d’isolat et de population minimum n, Popalaiion, vol. 6. no 3. Paris. 2. L m E (1944) et LERICHE (1955). 3. Vou transformations récent es,.^. 21-23. 4. NICOLALSEN (1959). M ê m e distinction chez les nomades de L’oued Dra (Mhamid).

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Nomades et nomadisme au Sahara

Enfin un petit nombre de forgerons, dont l’origine est souvent mal connue, sont indispensables à la fois par leur habileté manuelle, par leurs connaissances médicales qui côtoient la puissance magique et par leur totale liberté d’allure, qui ne va pas sans mépris à leur égard mais qui leur assure des rôles d‘espions, d’entremetteurs, voire d’ambassadeurs. Certains groupes sont de plus spécialisés dans la fonction de poète et de bouffon, attachés surtout aux tentes de guerriers maures.

Dans le détail, ces classements sociaux sont très précis et des groupes intermé- diaires entre ceux que nous avons passés en revue apparaissent. Surtout dans le do- maine nord-africain et en pays maure, on trouve des haratines à côté des esclaves. Les légendes concernant leur origine s’entrecroisent : noirs autochtones soumis par les blancs à leur arrivée ou anciens esclaves affranchis partiellement afin d’obtenir leur travail de façon plus souple. De même, en pays touareg certains tributaires reçoivent une autre dénomination que les Imrad et les légendes concernant leur origine révèlent une situation d’étrangers adoptés ou de métis moins brutalement soumis que les Imrad. Ces arguties dans les distinctions sociales se réfèrent toujours à la naissance et à la

revendication d’une (( noblesse B provenant d’une illustre origine. Si l’illustration dans la guerre est la noblesse la plus classique, la piété d‘un ancêtre en est une autre forme. Peuvent disposer de bénédictions particulières à la fois les descendants du Prophète (chorfa) et ceux d’un h o m m e de Dieu célèbre pour ses mérites ou ses miracles (marabout). I1 arrive qu’on bénéficie de la gloire religieuse de l’ancêtre même sans perpétuer sa piété. Dans tous les cas la noblesse est affaire de pureté de sang, si bien que ces Catégories sociales forment des castes fermées entre lesquelles on ne se marie, pas en principe. Cependant une stricte endogamie concerne bien plutôt les forgerons méprisés que les nobles religieux ou guerriers. Les düïérentes catégories s’agglutinent selon un système d’adoption ou de sou-

mission entre groupes de toutes dimensions. Même pour les esclaves, si ceux qui vivent au campement arrivent à peine à constituer des ménages stables, ceux qui sont cultivateurs ou bergers au loin surtout constituent des (( fractions D qui ne dé- pendent que collectivement de leurs maîtres. Dans tous les cas les vastes groupements sont essentiellement instables : ils ne disposent pas d’institutions particulières et se gouvernent comme des familles. L a cohésion de ces groupes dépend uniquement de l’insécurité et de la guerre; si le danger peut souder des alliances ou faire accepter une domination, ces liens peuvent se rompre à cause d’un meurtre ou d’un rezzou entre gens d’une même tribu. En pays maure la tribu des Ouled Biril, qui atteint 10 O00 personnes, comprend

moins d’un cinquième de nobles de ((sang D. Plus vaste encore est le groupe touareg des Kel Antessar de l’Ouest, confédération de 27 O00 personnes dans le Sahel sou- danais2. Sous la direction d’une famille d’Iguellad (gens qui se veulent d’origine arabe mais qui parlent tamacheq) se sont groupées plus de 40 lignées d’origines différentes; l’administration française a récemment favorisé le morcellement partiel de la con- fédération. Se trouvant au contact du domaine touareg et du domaine maure, celle-ci compte, en plus de la lignée Kel Antessar (moins d’un quart du total), une moitié de groupes religieux de langue tamacheq et le quart restant représente en proportion égale des Imrad touaregs et desMaures. Chaqueélément de cette confédération est d’une importance numérique très variable, de quelques centaines à quelques milliers de gens.

L a dépendance au sein de ces vastes groupes est marquée par des redevances pré- cises, en céréales, produits d’élevage, etc. Elles sont versées le plus souvent de famille à famille ou de fraction à fraction selon une rigoureuse comptabilité. Cependant, dans les groupes fortement centralisés, le chef de l’ensemble (émir maure, amenokal touareg) tend à monopoliser l’ensemble des redevances. 1. Voir p. 69. 2. P. CALLOU (1958), p. 99 et iuivantes.

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La tribu

Dans ces amples édifices politiques il faut souligner l’importance numérique des esclaves: pour certains ils forment une richesse considérable qui risque de disparaitre avec les transformations modernes. Quand ils vivent encore auprès de leurs anciens maîtres, ils en grossissent considérablement la I( tente O, formant une main-d’œuvre disponible pour l’élevage’. L a proportion d’esclaves augmente très nettement du Sahara proprement dit vers le Sahel. On compte en général chez les Touaregs du Hoggar (exceptionnellement 1/2 chez les guerriers) et I/, dans l’Adrar des Iforas. En Mauritanie ‘/4 chez les Kounta et un peu plus du quart intégrés à l’ensemble des nomades du pays. Chez les Touaregs de 1’Ak la proportion atteint 1/3; elle s’élève à 1/2 chez les Iodemeden du Sahel soudanais et nigérien. Les Touaregs du Gourma (partie sud de la boucle du Niger) ont y4 d’esclaves au sein de leurs tribus.

Dans le nord du Sahara les distinctions sociales et les liens de dépendance appa- raissent beaucoup plus 0011s. En effet on ne trouve que des groupes politiques plus petits et en m ê m e temps bien plus homogènes. Bien sûr l’adoption et la protection relaient parfois les liens du sang; mais m ê m e chez les Reguibat nous avons vu qu’on n’aboutissait pas à des castes organisées rigoureusement. D e plus il est rare ici que la dépendance intègre les gens dans une vaste unité politique; ainsi, au Nefzaoua2, certains nomades sont protégés par d’autres nomades (<étrangers O à la région mais font eux-mêmes payer tribut à des villageois. Les liens les plus fréquents unissent en effet les paysans des oasis à leurs suzerains nomades. Les harratines sédentaires avaient en principe une situation de dépendance très étroite.

Dans le Sud marocain, par contre, de véritables traités unissaient des villages du Dra à des groupes nomades Ant Atta. On pouvait y voir une association plutôt qu’une domination3. Si le nomade reste le protecteur, une comptabilité précise établit les droits et les devoirs de chacun.

Différents éléments montrent une société beaucoup plus égalitaire qu’au sud du Sahara. Chez les Ait Atta du Sahara, on voit tous les représentants des groupes familiaux signer un contrat avec des sédentaires. D’autre part, entre groupes, le système d’alliances alternées pratiqué chez les Chleuhs sédentaires de l’Atlas marocain se retrouve, semble-t-il, chez les nomades, tant dans le Sud marocain (Tekna) que dans la Tunisie des steppes et la Tripolitaine. Ainsi est limitée toute prédominance d’un groupe sur ses voisins. Enfin, si l’esclavage a largement existé au nord du Sahara, ses effectifs ont toujours

été beaucoup plus restreints qu’au sud, faute d’un approvisionnement aussi facile qu’en bordure du pays noir, et il n’a que très partiellement fourni la main-d’œuvre de l’élevage nomade, bien qu’il ait souvent peuplé les oasis. D e plus les entraves de l’autorité française à cet esclavage, surtout en Algérie, sont beaucoup plus anciennes et beaucoup plus délibérées qu’au sud.

I1 faut enfin envisager l’importance des pouvoirs turcs d’Alger et de Tunis et plus encore du Maghzen marocain, qui, de longue date, ont voulu contrôler ces ré- gions au nord du Sahara. M ê m e si ce contrôle a rarement été total, il a constamment remanié l’équilibre local et m ê m e s’il ne pouvait contrôler le détail de la vie politique il a empêché la constitution de vastes groupements.

à

i. P. C-OY (1958). Par tente on trouve les chi&ei moyenn suivants:

Personw

Tribu Toiol Serviteur. Bovinr Ovins-coprinr Kel Antessar 0.6 3,4 9.3 60 Tengueriguits 11.3 13.2 26.1 51.4 Kel Haussa 19,s 13.9 48.5 50.9 On voit de quoi dépend la richesas de l’élevage du Sahel. (Lei donn€es de détail manquent en pays maure.)

2. Vou p. 126.127. 3. Un contrat de cet ordre a encore été établi en 1935 d a m Is Dra moyen; il h i t bigné d m rcprhcntants de toutei les lignées (ikhr) de chaque partie. Chez les nomadei, les signataires n’ont nueun titre tandii pue. pour les villageois cbez qui se constitue une uistoeratie. ce iont des cheikh et dei Hadj qui ont signé (Document ERESII. Rabat).

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Nomades et nomadisme au Sahara

Ainsi dans le Sahara septentrional bien des tribus sont restées relativement isolées politiquement, sans qualification spéciale. Dans ce cadre, cependant, la puissance religieuse a pu se développer: en Tunisie les Marazig jouissent d’une vaste influence par leur piété. Mieux encore les Ouled Sidi Cheikh influencent les Chaamba. Mais dans d’autres cas la piété est réservée à des groupes peu puissants pouvant servir de médiateurs et se soumettant volontiers au pouvoir central, comme les Ouled Sidi Ali ben Aoun de la steppe tunisienne.

ORGANISATION COMMUNAUTAIRE

Les biens Chez les nomades, la garde du bétail dans de vastes espaces ainsi que l’abreuvage et la poursuite des bêtes perdues nécessitent une entraide. Si la propriété des animaux est strictement individuelle, un h o m m e seul ne peut s’occuper d’un troupeau. On l’a vu, l’esclavage est un moyen d’augmenter la main-d’œuvre familiale et c’est ainsi que certaines tentes touarègues sahéliennes comptent jusqu’à 15 à 20 personnes.

Mais, en règle générale, plusieurs tentes s’associent pour la garde du bétail et se groupent en unfriq’ plus ou moins stable que l’on trouve aussi bien chez les Reguibat que chez les Arabes du Tchad, où il peut atteindre une cinquantaine de tentes. Le friq regroupe souvent des parents, mais pas nécessairement. Enfin, dans le passé, les nécessités de défense pouvaient obliger tout un lignage à

nomadiser ensemble, ce qui pouvait grouper plusieurs centaines de gens; Nicolaïsen indique qu’au Hoggar un groupe de parents comparable au friq est réuni pour l’élevage des chèvres (2 à 7 tentes). Si le pâturage est suffisant, on réunit toute une portion de lignage (10 à 20 tentes) à cet effet; ce groupe plus vaste est en permanence associé pour l’élevage des chameaux et l’organisation des caravanes. Si la propriété du bétail est individuelle, celui-ci est en général marqué au fer

rouge du signe du groupe qui le possède. I1 en est ainsi dans le elan toubou où ces blasons se multiplient parfois, indiquant les clans maternel et paternel du proprié- taire2. De même chaque lignage a sa marque en pays arabe comme en pays touareg. Ces marques sont distinctes entre les 14 arch des Rebaïa, mais elles se ressemblent et sont des variantes d’un même signe. I1 en est de même pour la plupart des groupes chaamba. I1 est plus rare qu’un vaste groupe confédéral ait un (( feu O signe uniques, mettant tous les troupeaux sous la protection d’une puissance guerrière ou religieuse : ainsi l’organisateur de rezzou saura qu’il s’attaque à un adversaire redoutable quand, par exemple, il reeontre des troupeaux Ouled Biri en Mauritanie. De la même façon certains Chaamba marquent leurs bêtes du signe de leurs protecteurs Ouled Sidi Cheikh. Si les marques multiples correspondent à la diversité des appartenances, à l’inverse, les groupes nobles de Mauritanie, qui ne possédaient guère de troupeaux de rente et vivaient de redevances, n’avaient pas de marque propre; depuis peu ils utilisent la marque de tribus maraboutiques qui dépendaient d’eux.

L a possession des pâturages ou des terres de labour occasionnel non irrigué nous est souvent mal connue car les droits de chacun relèvent de coutumes orales que ne sanctionne pas la loi musulmane. Le colonisateur, au contraire, a parfois délimité le domaine de chacun plus nettement que la tradition. Les labours sont la possession de fractions restreintes et il en est parfois de même des zones montagneuses où le paturage est dense, associé à des ressources de chasse et de cueillette. Ainsi les droits des clans toubous du Tibesti semblent précis c o m m e ceux des lignées touarègues au 1. Lejriq. groupe de tentes, est l’unité de nomadisation. semble-t-il. dans tout le Sahara. Si les lamillcs qui le composent ne sont pas toujours apparentées, c’est le cas là où la société est la plus conaervatrice. Le mot se retrouve en Alg&ie(/erka), PU Tchad chez les Arabes (jerik) et les Daza. II est l’équivalent approximatif d u douar algérien (cercle de tentes, puis hameau), de la m d a (campement au sens de hameau de sédenteriaés) au Soul, du bit de Cyrhialque. Ce groupement, essentiel P la vie pastorale. subsiste seul quand la tribu ou le confédération disparaissent devant le pouvoir central.

2. Voir p. 83. 3. C’est le cai de8 deux conlidérations de8 Rcguibat L’Gouacem et dei Reguitiat Sahel.

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La tribu

Hoggar. Dans ce dernier endroit l’usager donne une part des produits de chasse et de cueillette au possesseur qui n’utilise pas lui-même un secteur. Ainsi souvent la lignée possède un oued ou une portion d’oued.

L’appropriation est plus vague pour les pâturages plus vastes et plus pauvres. On y trouve plutôt des zones d’influence politique, disputées autrefois entre telles ou telles confédérations dont les fractions peuvent maintenant cohabiter. Parfois le colonisateur a mis fin aux querelles en délimitant les terres de chaque groupe. En zone strictement saharienne, au moins de nos jours, les pâturages denses qui croissent après une pluie abondante sur une région limitée (acheb) profitent à tous ceux qui ont connaissance de l’aubaine: on y trouve alors des gens d’origine très variée. L a situation est dinërente en saison sèche et chaude (été dans le Sahara du Nord, prin- temps dans le Sahara du Sud et le Sahel). L’état de la végétation oblige à abreuver fréquemment le bétail: on ne peut donc guère s’écarter d’un puits. C’est ce dernier qui fait l’objet d’une appropriation de la part de celui qui l’a creusé ou qui, simple- ment, l’entretient et le fréquente plus ou moins régulièrement année après année. Là encore il est fréquent que la lignée tout entière revendique l’usage du puits : c’est le cas pour des tribus déjà vastes en Tripolitaine. Ce droit est plus précis en Mauri- tanie sahélienne où un interdit (harm) s’étend à un rayon de 5 à 15 km autour d’un puits; dans ces limites, ovins et bovins peuvent pâturer et s’abreuver tout à la fois, aussi nul ne peut construire un nouveau puits dans la zone interdite sans l’accord des premiers occupants. Ni le commerce proprement dit ni l’organisation des rezzous ne concernent col-

lectivement un groupe tribal; ce sont des opérations relevant de l’initiative indivi- duelle. Cependant, bien sûr, la défense de chacun met en jeu la solidarité tribale.

Le pouvoir

I1 faut remarquer sans doute le faible développement des institutions politiques tribales: la vie sociale reste simple, les questions à régler peu nombreuses. Aussi le pouvoir reste-t-il d’allure familiale, sans parler du domaine toubou où même la solida- rité du clan se passe de direction.

Dans tous les cas le pouvoir personnel ne se développe guère que sous la forme du prestige d’un chef de guerre. Celui-ci est le cheikh (arabe) ou l’amghar (touareg). Ce dernier terme, synonyme assez exact du premier, signifie’ d’abord l’homme grand (e par son âge, plus de 60 ans ))), l’ascendant mâle ((( oncle paternel ou l’homme qui a épousé la mère après la mort du père,), au féminin la mère (et la tante maternelle, etc.); enfin ale maître pour ses serviteurs, le professeur pour ses élèves, le chef ou toute autorité quelconque Q. Ainsi la référence à l’organisation familiale est nette. Le rôle guerrier est marqué chez les Touaregs, où le même mot tobbel désigne le tambour insigne du chef de guerre et le groupe qui se range derrière ce chef.

Dans la désignation de ce chef interviennent à la fois l’élection et l’hérédité. Celle-ci est patrilinéaire et bien ‘définie en milieu arabe, souvent - sinon toujours - matri- linéaire chez les Touaregs. Les hésitations et variantes au sujet de la succession sont nombreuses ici, de telle façon que l’élection prend plus d’importance. Celle-ci est le fait de la jemaa2, assemblée qui discute et choisit le chef dans la lignée glorieuse. Cette institution réunit les chefs de famille, mais on sait à quel point leur définition peut varier. Ainsi le chef de guerre des Touaregs Kel Ferouan de l’Aïr est choisi chez les nobles, mais par les familles des tributaires. L a jemaa n’a guère d’autres occasions d’intervenir. En tout cas c’est une institution rien moins que moderne: elle ne peut décider qu’à l’unanimité en général. On ne peut concevoir de a vote )) mais 1. Dictionnaire du Père de Foucauld (1951). 2. Le terme arabe est utiW p m Ici arabophones comme par lei Touareg.. de m ê m e que le mot khaiiJa. Nicolaben iouligne à

quei point vocabulaire et réalité politique dinèrent peu dei uni aus autres: ainsi le lobbel, tambour de guerre. insigne du pou- vou rendu célèbre par lei Touarcgs. existe m o w ce nom dans lei tribus de langue arabe de Libye.

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Nomades et nomadisme au Sahara

une discussion plus ou moins longue où s’affrontent à la fois le discours et la puissance de fait de chacun, les U meilleurs )) emportant la conviction générale à moins que la crise insoluble ne crée une scission, les moins forts pouvant émigrer. A Ghadamès - chez des sédentaires - tout est mis en œuvre pour assurer l’unanimité de la jemaa. Si on se contente parfois d’une majorité, on peut n’appliquer une décision qu’après un délai pour que la minorité ne perde pas la face en s’inclinant sur le champ. De plus le tirage au sort réglera certaines discussions. Des imprécations assurent I’exé- cution de la décision.

Selon les circonstances, conflits apaisés ou guerre, richesse de plusieurs ou d’un seul, l’influence de la jemaa tient le chef prisonnier ou au contraire celui-ci domine et fait taire ses pairs par sa générosité ou par sa force. L’influence de la jemaa semble ainsi plus forte, en Mauritanie, chez les religieux que chez les guerriers: sans se référer à l’origine berbère des premiers on peut voir là simplement le fait d’une aristocratie riche et pacifique par opposition aux groupes guerriers plus proches d’une monarchie.

L a solidarité tribale joue plus ou moins largement face au meurtre, là où aucune autorité centrale ne pouvait réaliser la paix publique et la punition du criminel. Le reglement le plus fréquent se réfère à la loi musulmane. La diya (indemnité, prix du sang) est exigée par la victime pour une blessure, par ses proches pour un meurtre. En pays touareg ce règlement reste individuel, de famille à famillel. A u contraire, en Mauritanie et chez les Reguibat, toute la tribu participe au versement ou à la réception de l’indemnité, qui est proportionnelle au rang de la victime: 1/2 ou ’la est versé ou perçu par le chef. Le reste est versé par les notables puis tous les autres gens et reçu par la famille de la victime, qui se doit, si elle est honorable, de distribuer sa part de diya. Ainsi la solidarité tribale s’affirme dans un vaste échange. I1 est remarquable que la peine encourue par un voleur soit d’être exclu de cette vaste assurance contre le meurtre.

Chez les Toubous la solidarité du clan s’affirme plus simplement par l’obligation de venger la, victime et un long échange de meurtres, véritable vendetta, peut s’établir entre deux clans. Enfin, au contraire, une minutieuse comptabilité de la solidarité existe chez les Ait Atta du Sud marocain2. Le serment étant le principal moyen de se disculper, l’accusé doit jurer, puis faire jurer pour lui un nombre fixé de co-jureurs se présentant dans l’ordre exact de la parenté de moins en moins proche qui les lie à l’accusé. C o m m e pour le paiement de la diya on peut se faire adopter par un groupe solidaire.

L a solidarité tribale apparaît aussi naturellement à l’occasion des guerres et des rezzous: tout guerrier se doit évidemment de venger et de protéger ses tributaires. Au Hoggar, de plus, il a droit, dans certains cas, à une part du butin fait par ceux-ci, puisqu’il aura à les protéger en cas de contre-rezzou. Ces exemples laissent l’impression d’institutions familiales, parfois distendues au

maximum, plutôt que d’une vie politique proprement dite. Ainsi, en pays maure, où les institutions semblent les plus solides, aucun organisme n’apparaît chargé d’exécuter les peines: ce soin est revendiqué par les émirs, mais confié souvent à un autre chef, ou à la jemaa, ou à un pieux personnage.

PHYSIONOMIE ACTUELLE DE LA VIE D E TRIBU

Si, après avoir examiné les forces qui unissent les tribus, on essaie de voir l’aspect 61~bal qu’elles prennent dans chaque région on s’aperçoit que leur rôle politique et social actuel dépend essentiellement des modalités d’une pénétration administrative

1. NICOLA~~EN (1959). Au Hoggar 100 charnellei pour un homme, 50 pour une femme. Le système InMqUe chez les Kel Ferouan de l’fi. En dehors de ces exemples et de la Mauritanie. celte question reste mal connue pour beaucoup de tribus. Toute la fraction e participe au paiement chez les Reguibat. [LEüOUiD (1959).1

2. DELIGNEVILLE. Doc. CIIEAM 551. Même institution chez les Rcguibat.

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JA tribu

plus ou moins ancienne par les Français. L e pouvoir politique réel de la tribu a pris fin à la suite d’un ou de plusieurs combats. En simplifiant largement, on peut dire que le Sahara algéro-tunisien était conquis dès avant 1900: deux générations se sont écoulées depuis et il est d’autant plus difficile de se représenter la vie politique tra- ditionnelle. Le monde touareg, pénétré peu après, n’a été définitivement soumis qu’après le soulèvement de 1917, désastreux surtout dans l’&. Enfin la coordination des polices du désert de Mauritanie et du Sud marocain n’a été réalisée qu’en 1935 et les grands raids des Reguibat ou des Ait Atta prenaient seulement fin à cette date, tandis que la Libye était en paix dès 1930.

L a paix a rapidement permis aux groupes de s’émietter pour une meilleure utili- sation des pâturages dès que les rezzous n’ont plus été à craindre. Les vastes con- fédérations dont nous avons vu la faible organisation sont devenues de simples noms. D e plus, devant le meurtre devenu plus rare, la solidarité pour la rançon ou la vengeance s’efface devant la volonté du colonisateur d’introduire des punitions individuelles.

Cependant les méthodes coloniales varient: l’encadrement est très faible en Afrique Occidentale et Equatonale française et l’administration y est d’autant plus conser- vatrice. Les protectorats marocain et tunisien sont plus transformés. Enfin, depuis longtemps mais surtout après 1945, l’administration en Algérie s’attaque de plus en plus au détail de l’organisation tribale. D’autre part Ia force de cohésion des tribus n’est pas la m ê m e partout.

Paradoxalement le monde toubou est le moins transformé, car son anarchie m ê m e le met à l’abri. Comment transformer des chefs en fonctionnaires quand leur pouvoir initial est fugitif et s’étend sur des groupements trop petits et trop dispersés pour être reconnus par la colonisation ?

L e Sahel maure et touareg contient un peuplement nomade exceptionnellement nombreux, qui, par sa densité, permet à de vastes confédérations d’être relativement groupées. D e plus la monotonie de cette occupation nomade du pays n’est guère interrompue par des oasis de sédentaires. Enfin l’administration, peu nombreuse, est favorable au contrôle indirect de vastes groupements stables. C’est ainsi que se sont maintenues à la fois les tentes de 15 à 20 personnes et les confédérations qui peuvent dépasser 10 O00 personnes. Cependant le pouvoir instable traditionnel se transforme en chefferie cristallisée par l’administration. Ainsi des remaniements autoritaires ont lieu, souvent en faveur de puissances religieuses et au détriment des guerriers. Ces brutales interventions apparaissent dans la chronologie des Ioulle- meden (Niger). Mais le morcellement de ces ensembles n’est apparu que depuis peu, amorçant l’indépendance des tributaires et le fractionnement des confédérations. L a forte proportion des esclaves pose aujourd’hui seulement un problème longtemps évité au maximum’. N’est-il pas frappant, en outre, que le principe de la diya ait été maintenu dans la colonie du Tchad au moins jusqu’en 1945 ?

Des nuances apparaissent entre la Mauritanie et le domaine touareg. Celui-ci connaît des organisations confédérales moins solides que celle-là, à l’exception du groupe numériquement faible du Hoggar, volontairement centralise par l’administra- tion des territoires du sud de l’Algérie aux mains de l’aménokal. Peut-être cette relative anarchie comporte-t-elle, comme en pays toubou, une force de résistance passive aux transformations2. En tout cas le Nord mauritanien, morcelé par la frontière du Sahara espagnol et prolongé par le Sud marocain relativement sous- administré, est le domaine où l’indépendance des confédérations est sans doute la plus vivace.

L e Sahara du Nord contraste vigoureusement avec la bordure sahélienne. D e tous temps les nomades y ont formé des groupes, modestes pour la plupart, s’intercalant

1. Voir p. 170,171. 2. Nous retrouverom (p. 46) ce caracth archaisant do ia culture touarègue, dom que l’arabisme eiiaie d’orgsniser uno iociété plus vaste où lo pouvoir cot moutenu par Io commerce et l’autorité religieuse. , I

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Nomades et nomadisme au Sahara

entre les populations sédentaires plus nombreuses dcs oasis. L a force de ces sédentaires variait largement d’une oasis à l’autre, en particulier selon les méthodes de culture et d’irrigation. Le pouvoir central contrôlé par les Français a été vite très proche, d’autant plus facilement que les sédentaires sont en majorité. Le morcellement et la soumission des tribus ont été tres poussés en Algérie, où leurs chefs sont devenus simples fonctionnaires plus que partout ailleurs. Enfin c’est en Algérie seulement qu’un état civil moderne s’établit peu à peu chez les nomades et de plus en plus vite depuis quelques années. Cela favorise la famille conjugale aux dépens de la famille patriarcale. De plus, des noms patronymiques sont attribués à des groupes plus res- treints que les vieux lignages des (< fractions )> et le souvenir de leur nom s’effacera plus facilement devant les noms de famille nouveaux groupant trois ou quatre générations au maximum.

Ainsi les groupements réels dans lesquels vivent les nomades se rétrécissent de plus en plus. Certes le lignage, souvent endogame, est plus vivace que la confédération. Mais il n’est plus jamais groupé tout entier au pâturage; l’éleveur connaît réellement les membres des quelques tentes qui composent son friq: quelques dizaines de per- sonnes au plus.au Sahara, cinquante ou cent dans le Sahel. En contrepartie de cet amoindrissement du groupe vivant en commun, il faudra

se demander si de plus vastes horizons sont perçus par les nomades: communauté de l’islam et de l’arabisme ou Etats nationaux1. A l’heure actuelle l’appartenance à la tribu chaamba ressemble souvent plus à un patriotisme (fondé sur de glorieux souvenirs ou des intérêts communs) qu’à un lien familial. La situation évolue dans ce sens chez les Rebaia, qui, autrefois, donnaient le n o m de leur arch et maintenant se disent directement Rebaia.

1. Voir p. 175.

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. C H A P I T R E I I

Valeurs et attitudes du monde nomade par C. BATAILLON

Nous essaierons ici de circonscrire un certain nombre de traits caractéristiques de la vie des nomades sahariens. Bien sûr il faut souvent se garder de présenter tel aspect -même remarquable- comme typique des nomades sahariens. Des manières de s’asseoir ou de s’exprimer, relevées par exemple chez les Touaregs du Hoggar, se retrouvent chez ceux qu’ils ont pu influencer: leurs harratines, voire des Peuls soudanais. Mais souvent ces mêmes traits sont communs simultanément à toute l’Afrique du Nord, au pays maure et peut-être à un domaine qui s’étend à tout le monde de l’islam ou à tout le monde méditerranéen: certains comportements très nets ne sont.cependant pas spéciñques des nomades sahariens ou de certains d’entre eux.

ATT IT u D E s CORPOREL LE s L e D’ Morel note chez les Touaregs du Hoggar l’importance accordée au corps, pour les différentes parties duquel la nomenclature est très riche. I1 remarque chez eux (( la prépondérance de la personnalité physique, la dissimulation, l’impulsivité n. I1 y a en effet à la fois une maîtrise de soi spectaculaire et un brusque passage à la violence dans certains cas.

L a parole est surveillée: un homme noble ne doit pas parler à voix trop forte, il s’impose par sa modération. Des impératifs semblables à ceux-ci, qu’on peut noter chez les Arabes c o m me chez les Touaregs, apparaissent chez les Toubous. L e vête- ment aussi révèle la personnalité et le rang social. Le voile - litham - du Touareg est, bien sûr, profondément original: quelle qu’en soit l’origine il relève à la fois de la pudeur, de la coquetterie et de la dissimulation. L a façon de le porter révèle à la fois l’origine, le rang et l’humeur. L e (( turban )) du Sahara septentrional et du paye maure - chech - porté souvent de façon à dissimuler à la fois la tête, le cou et les oreilles - parfois la bouche - est avant tout une protection contre le vent de sable, c o m m e le litham. Mais il permet aussi de souligner les jeux de la physionomie.

Tous ces éléments, bien peu étudiés systématiquement, composent une attitude impassible que bien des sédentarisés cherchent à conserver et que les gens de modeste origine veulent imiter.

CONNAISSANCE DE L’ESPACE

I1 est à peine nécessaire de souligner combien la connaissance exacte de vastes domaines est nécessaire aux nomades. A cet égard la densité de la toponymie dans des pays dépourvus de toute empreinte agricole peut surprendre. Elle révèle une

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Nomades et nomadisme au Sahara

connaissance exacte de paysages souvent très monotones : plaines immenses ou répé- tition à première vue identique des cordons ou des pyramides de dunes. Ainsi, en pays maure, les pitons isolés (inselberge) sont personnifiés et regardent vers le sud-ouest. Ils ont un dos, des épaules, des joues, un visage, un cou, etc. Ainsi peut-on rapidement donner des indications concernant un relief à un homme qui ne l’a jamais vu.

Dans le Sahel mauritanien, on a pu relever dans les dunes de 1’Iguidi une soixan- taine de toponymes et dans la plaine de 1’0gol une cinquantaine, sur respectivement 450 km2 et 1 200 km2 environ. Ces toponymes, arabes ou berbères, désignent, outre des puits, les différentes vallées, les dunes, la végétation. L a nomenclature des points d‘eau est fort importante, d’autant plus qu’à ceux-ci sont souvent associés les noms des ancêtres enterrés à proximité, marquant la permanence d’un groupe à cet endroit et ses droits à l’occuper. Les tombeaux isolés sont aussi des traits marquants du paysage: amas de pierres, ou parfois de branchages dans les régions de dunes.

L a connaissance de l’état du pâturage aussi est essentielle pour les nomades. En particulier la brusque poussée des plantes herbacées après la pluie (acheb, robea) doit être repérée à temps. Des éclaireurs renseignaient les famiiles ou fractions et l’éclatement de la solidarité de tribu gêne maintenant cette recherche du pâturage. L’évaluation de la pluie tombée se fait en creusant un trou dans le sable mouillé jusqu’à la partie profonde restée sèche. Ces connaissances, comme bien d’autres, sont codifiées en dictons, par exemple chez les Chaamba d’El Golea: le trou de patte de chèvre (5 cm), la tige du doigt (9 cm), la main (20 cm) sont insuffisants. Mais une pluie d’un avant-bras (25 cm) permet aux arbres de reverdir, une demi-coudée fait pousser l’acheb, puis un peu plus les truffes (terfess); enfin le sable mouillé sur la longueur du bras promet que l’été lui-même restera vert. Les traces du bétail égaré sont le moyen de le poursuivre; le sol nu garde les em-

preintes, surtout s’il est sableux, tant que le vent ne souffle pas. Si certains sont réputés pour cette interprétation des signes, n’importe quel berger connait le nombre de bêtes d’un troupeau, sa composition et peut-être ceux à qui il appartient en lisant les traces rencontrées. Au Souf, pays de sable, les traces humaines ont ainsi pris la valeur d’une preuve

juridique dans la coutume locale : elles permettent l’identification d’un voleur non seulement par la forme de son pied mais aussi par sa démarche. Par ce moyen, les faits et gestes de chacun sont connus de tous et moins que jamais l’homme peut se croire loin de la surveillance ou de la protection du groupe entier.

Ainsi, par les noms, les nuances de la végétation, les traces des bêtes et des gens, de vastes secteurs de pâturages ne sont en rien des pays vides pour les nomades qui les fréquentent. L a dimension des régions familieres est beaucoup plus vaste pour les hommes habitués aux caravanes que pour les bergers. Parmi les premiers se détachent les guides professionnels, chez qui on a parfois voulu déceler un Bens spécial de l’orientation. L a mise au point la plus sûre à cet égard est celle de J. Cha- pelle, qui souligne les qualités des Toubous sans prétendre qu’ils soient d’une autre nature que les guides arabes ou touaregs: ((. . . Le nomade vit en état d’orientation . . . sans que le raisonnement intervienne à chaque instant . . . I1 s’oriente au soleil, à la lune, aux étoiles, d’après les aspects du terrain, la nature du sol ou de la végé- tation . . .)) Si l’astuce, le raisonnement, etc., interviennent dans les cas difficiles, il est certain que l’habitude de se repérer ((automatiquement, à tout moment par rapport aux points cardinaux caractérise les nomades. L’histoire de l’homme des- cendu au fond du puits et indiquant que ce dernier est déterioré (( à l’ouest )) est aussi classique que celle du chauffeur plongé dans son moteur qui demande qu’on lui passe la clef anglaise posée (< au sud O.

Cependant ce repérage par les points cardinaux varie notablement selon les ré- gions. Cela est dû en somme à ce que les directions gardent un caractère concret et ne se prolongent pas à l’infini. Certes une orientation conformc à celle des géographes

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Valeurs et attitudes du monde nomade

existe dans l’Erg oriental et le Souf: là les repères principaux sont le levant et le couchant (cherg et gharb). On garde le nord dans le dos (dahra) et le sud devant (guibla).

I1 semble plus fréquent qu’on s’oriente face à la direction de la prière (guibla), en particulier en pays chaamba et sur les hautes plaines de Djelfa. On fait ainsi face a u sud-est, laissant le dos au nord-ouest (dahra). Ainsi le cherg est au nord-est, le gharb au sud-ouest. Mais ces directions ont un répondant concret: à ElGolea, le dahra représente avant tout les pâturages du Mechfar, la guibla la hamada hostile vers le pays touareg, le cherg la chebka du Mzab, etc.

seule direction (( abstraite )) étant l’est sans pâturages (cherg), on distingue d’autre part le rivage riche en pâturages (sahel), le Sud marocain et son centre commercial de Goulimine (teZZ), enfin le pays du mil et du fleuve Sénégal (guibla). Ces termes indiquent plutot des quadrants que des directions précises.

Le système devient à la fois plus concret et moins régulier en pays maure, où, la‘

. R E P G R A G E D A N S LE TEMPS

Dans un pays où l’homme lettré reste une exception, les connaissances collectives sont transmises oralement en formules stéréotypées apprises par cœur. I1 en est ainsi de la généalogie qui permet à chacun d’affirmer la noblesse de son sang. I1 est remar- quable que les ancêtres lointains - et célèbres - soient souvent mieux connus que les parents plus proches dont on a pu entendre parler directement m ê m e si on n’en a pas un souvenir personnel direct. Les chronologies ou ((listes d’années )) propres à un groupe sont des documents

exceptionnellement intéressants pour l’analyse de la vie nomade. Chaque année porte un nom, se référant à l’événement le plus important; ainsi sait-on U ce qui a frappé)) un groupe donné àun moment de son histoire. Aussi bien est-ce souvent lelieu où le groupe a trouvé ses pâturages cette année-là qui est noté, ce qui permet de suivre une histoire de la vie pastorale, de constater sa plus ou moins grande régu- larité, d’établir son évolution. D e plus, une fois le n o m prononcé, les anecdotes secon- daires reviennent à chacun, commentant et enrichissant le souvenir de l’événement principal. Les hommes âgés sont capables de réciter - chapelet en main - jusqu’à plus de cinquante années de chronologie, mais plus souvent vingt ou trente seule- ment. Cette connaissance résulte de nombreuses répétitions et l’ordre exact ne peut être établi que par une récitation complète, le début étant souvent mieux connu, car il est récité depuis plus longtemps et s’est solidifié dans les mémoires. Le récitant peut rarement situer une année isolée, ou reprendre le cours des années après une interruption. Ainsi s’est constituée une connaissance en partie indirecte et apprise d u passé, sans le secours de l’écriture.

Une chronologie est valable pour un groupe plus ou moins vaste selon l’importance des groupements de pâturage: elle indique pour une tente ou une lignée, rarement pour une tribu entière, les emplacements annuels d u nomadisme. Les événements politiques, au contraire, sont plus souvent communs à un vaste ensemble.

Les nomades du Sud tripolitain et du Fezzan ne rattachent pas leurs chronologies aux événements internationaux (c’est ainsi que la guerre, en 1914-1918 ou en 1939- 1945, les a peu frappés) mais aux événements locaux (combats, rezzous, accidents, etc.). Les querelles intertribales sont notées de m ê m e que les calamités (tremblements de terre, famines, maladies, etc.). La principale rubrique demeure celle du pâturage, du vent et de la pluie. On note en particulier les pluies exceptionnelles de mars, ou d’été, les plantes abondantes certaines années, etc. D e la m ê m e façon les tribus Rebaia du Sud, dans l’Erg oriental, ne signalent les événements politiques (de Tri- politaine) que pour 10 années sur 46 relevées: les autres concernent les événements du pâturage.

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Nomades et nomadisme au Sahara

A u contraire, les chronologies relevées chez les guerriers touaregs marquent de tout autres préoccupations. A côté des calamités naturelles qui reviennent souvent, marquant l’alternance des famines et des épidémies avec les périodes de pâturages abondants, les faits politiques prennent une grande importance. Chez les Kel Ahaggar et les Taïtoq, guerriers du Hoggar, on constate un progrès de la langue arabe dans les termes employés (noms propres surtout). L a période 1860-1900 relate 34 fois des rezzous contre 20 fois les événements du pâturage, famines, etc.’ I1 en est à peu près de même jusqu’en 1913. De cette date jusqu’en 1924, rezzous, pénétration française et politique sénoussiste s’entremêlent. Enfin, de 1924 à 1941, à part quelques rixes et un rezzou des Reguibat, les voyages de l’aménokal et l’arrivée de marabouts arabes, l’essentiel est consacré à la vie d’élevage dontla description se morcelle : chaque fraction tend à avoir sa chronologie. L’évolution est comparable chez les Oraghen-Kel Ajjers, où nous trouvons, de 1907 à 1930, 9 fois les interventions européennes, et 12 fois la politique locale pour 10 fois les événements de l’élevage; de 1931 à 1943 l’élevage devient la seule préoccupation, sauf trois fois OU sont relatés les faits et gestes des Européens.

Enfin la chronologie des Touaregs Ioullemeden (confédération du Sahel nigérien) montre la pénétration française (1900-1909), suivie d’une période calme, puis la révolte (1917-1918), suivie de la (( paix française O, marquée par ses recensements administratifs et ses vaccinations de bétail (12 années) ou ses aléas climatiques (7 années). Ici l’administration est proche et les migrations trop restreintes, trop régulières et trop dispersées pour mériter de donner leur nom à l’année.

ORIGINALITE D E S RAPPORTS HUMAINS

L a dispersion des hommes sur de vastes distances, les risques causés par la nature hostile qui menace de mort par la faim et la soif, ceux causés par l’insécurité et l’état de guerre permanente entre voisins, ont nécessité à la fois le respect d’une hospitalité étendue et un système de précautions quand on aborde un étranger. Ce rituel a sur- vécu aux rczzous. J. Chapelle montre la méfiance observée par deux Toubous qui s’abordent: les salutations sont échangées (( de loin )). En outre il montre que l’hospi- talité ne prend pas ici le caractère cérémonieux qu’elle a ailleurs. Chez les gens par- lant arabe, la multiplication des salutations, véritable échange de bénédictions, con- traste avec le court (( bonjour )) des gens d’oasis qui se côtoient chaque jour. Le long dialogue de politesse des nomades s’explique par la nécessité de se présenter, de $e renseigner, mais aussi par le besoin d‘éviter tout embarras à la conversation, grâce aux formules apprises: ainsi la dignité du maintien est assurée de toute façon. Enfin l’affirmation répétée que grâce à Dieu tout va bien pour la santé, la famille et les biens de chacun développe un climat d’optimisme et de gratitude confiante envers l’kternel. D’autre part l’hospitalité arabe est célèbre par son faste: c’est un devoir mais aussi l’occasion d’affirmer son prestige et son rang. Le thé, introduit en un demi- siècle dans tout le Sahara, est servi aux hôtes selon un cérémonial qu’on retrouve partout.

Entre proches, les obligations de respect et de pudeur sont strictement délimitées par les liens de parenté. I1 semble qu’en pays toubou le respect envers le père soit moins paralysant que chez les Arabes. Dès la circoncision, vers quatorze ans, l’enfant est son maître et même jusque-là la contrainte paternelle est légère: on a noté la faible organisation patriarcale qui semble liée à ces traits de l’éducation. Au contraire, le respect du père est poussé fort loin en pays arabe: un homme ayant dépassé vingt ans évite souvent encore de manger et de fumer devant son père. I1 évite même de s’asseoir, interrompt son récit à l’arrivée de son père et ne parle que si on l’interroge. Le fait que le père vit souvent loin de la tente pour la surveillance des troupcaux ou 1. Certaines a n d e s portent deux noms: on diupoue ainsi de plu de hiti relaté, que d’anntei énumérées.

4, O

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Valeurs et attitudes du monde nomade

les besoins du commerce le sépare du jeune garçon élevé uniquement par les femmes. Que la solidité du pouvoir patriarcal se relie à ces formes d’éducation est probable. En pays touareg, le contraste est frappant entre le respect paralysant envers

certains et la grande liberté d’allure d’autre part. Les beaux-parents sont entourés d’un respect craintif, comme chez les Reguibat ou les Toubous (chez ceux-ci on refu- sera même de les nommer). Plus généralement les hommes âgés gênent par leur présence la liberté d’allure des jeunes. Celle-ci est au contraire très large entre eux. Certes la réclusion des femmes n’existe ni chez les nomades ni chez les paysans parlant arabe mais seulement à la ville; cependant Ia liberté entre sexes est plus poussée chez les Touaregs: hommes et femmes non mariées participent à des réunions musicales et poétiques auxquelles s’associent des flirts extrêmement libres. L e tinde, au Tamesna, s’interrompt chez les Kel Rela à l’arrivée de l’aménokal, chef de la lignée, et celui-ci s’abstient donc d’y assister. Ainsi l’ensemble de la vie sociale du nomade est formée de relations personnelles,

de liens concrets entre individus. Ce caractère direct marque aussi les rapports avec le milieu naturel : àla faible emprise aur celui-ci semble correspondre en contrepartie une multiplication des liens et des attitudes de commande entre individus, parents ou non. Si les institutions politiques sont rudimentaires, chacun est tenu de se situer dans la collectivité par les noms de ses ancêtres. Bien sûr, ces traits qui font la ri- chesse et la séduction dela vie nomade pour qui l’aborde-et son intérêt pour l’anthro- pologue - sont liés à la faiblesse numérique des groupes. Chacun vit face à face avec l’ensemble des membres de la société à laquelle il appartient. Ce côté profondément attachant de la vie nomade saharienne - que l’on retrouverait dans la plupart des sociétés dites primitives - a pour contrepartie l’immobilisme figé et le caractère stéréotypé des rapports entre les hommes: on verra‘ que les possibilités d’adaptation au monde moderne semblent les plus faibles chez les groupes restés les plus fermés - et les plus originaux.

BIB LIO CRAPEI IE

Des éléments très dispersés ont été notés, mais les lacunes restent énormes. Pour les Toubous, J. CHAPELLE (1957) aborde à peu près tous les aspects. Pour les Touaregs, voir surtout NICOLABEN (1959); MOREL (1947); a Remarques sur la vie mentale et les gestes des Touaregs de l’Ahaggar 3, TIRS, IV.

Le corps MOREL (1947).

L’espace LERICHE (1948), a Note sur les Trarza 3, BIFAN, X. MONTEIL, V. (1949), 8 Toponymie et astronomie chez les Maures D, Hesperis, 1-11, Rabat. BROSSET, Ch. (1928). a La rose des vents chez les nomades sahariens D, Bulletin du Comité d’études

CAUNEILLE. A. (1960), 4 Les Chamba d’El Golea e, inédit. REGNIER (1939), cité dans: EYDOUX (1946). Renseignements oraux de Pierre BATAILLON. I1 faucirait savoir ce qui reste du sens de guibla-Mecque et de dahra-dos. Pas d’indications à ce

scientifiques et historiques de I’AOF, vol. IV, p. 666.

sujet chez? Toubous et les berbérophones.

Le temps CAIIO BAROJA. J. (1955). Rei, arques de MOREL (1947).

1. Cf. p. 162-164.

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Nomades et nomadisme au Sahara

DATAILLON, P., 4 Les Rebaia du Sud D, inédit. NICOLAS, F. (1950). Rapports humains LENOBLE (1954). Premières écoles de campemen en Mauritanie, Doc. CIIEAM 2350. CIIABROLLES, M. (1952). a Essai do portrait des Touaregs de l’Adrar des Ifoghas D, BLS, t. III.

LECOINTRE,J.(1957),4LesTouaregs auTamesna#, BLS, t. VIII,n027. Rien sur l’hospitalité touarègue.

Conclusion LEVI-STRAUSS, C. (1958). Anthropologie structurale, Plon, Paris, p. 400-403.

no 11.

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C H A P I T R E I I I

Relations extérieures des nomades

En dépit de l’isolement géographique, du morcellement politique et du particularisme des coutumes, les nomades sahariens ne sont pas restés enfermés dans leur archaïsme. L’indispensable commerce et la guerre ont suscité des échanges matériels sur de lon- gues distances, en m ê m e temps que l’islam intégrait plus ou moins profondément les individus à une vaste communauté.

Certes le maintien des traditions est puissamment défendu par les femmes, dont le prestige est plus grand en milieu touareg qu’en milieu arabe. Mais, si la femme touarègue jouit en particulier d’une stricte monogamie, la situation n’est en fait pas très différente en milieu maure. Chez les Reguibat, en particulier, il est habituel de fixer une dot trop élevée pour que l’époux puisse en payer la totalité; après verse- ment partiel on le dispense du solde contre l’engagement de ne pas prendre de seconde femme sans l’accord de la première.

L a coupure linguistique reste importante et le milieu tamacheq est plus clos, plus compact que le milieu arabophone. L a langue arabe a un remarquable pouvoir assimilateur, car elle est transmise parl’écriturel. Elle pénètre avec la vie commerciale comme avec la vie religieuse et juridique. Elle est ainsi directement liée à l’organi- sation d’un pouvoir d’atat.

FORMES D E S %CRANGES COMMERCIAUX

Le commerce se développe d’abord chez les nomades hors de toute spécialisation professionnelle. L a tradition du souk, marché périodique en un endroit déterminé, n’existe, semble-t-il, ni en pays touareg, ni chez les Toubous, ni chez les Maures. C’est une institution surtout paysanne, essentielle dans les montagnes nord-africaines et favorisée d’ailleurs par le pouvoir des Etats. Ell eapparaît, souvent depuis long- temps, comme un moyen de rencontre entre nomades et sédentaires et son organisa- tion hebdomadaire semble habituelle dans toutes les oasis du Sahara septentrional. Si ces marchés hebdomadaires ont été répandus depuis que la paix règne, c o m m e à Tamanrasset, ce n’est pas une forme classique du commerce entre les nomades. Au contraire, les échanges périodiques ont un rythme plus lent. Ils apparaissent

intenses dans dea fêtes annuelles comme les choujjune du Sud marocain, à la fois fêtes maraboutiques et foires. Au Sahara méridional, les échanges s’intensifient à

1. Les caractères tihar pourl’órriture du tamacheq, d’un usage surtout poétique. sont pratiqués essentieüernent par les femmes et demeurent sani ap lieation utile. IL ne comportent en particulier pas de chifies. A u Iioggar, l‘arabisation dee noms de penonne a oommcnJdès IC XVIO siècle.

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Nomades et nomadisme au Sahara

l’occasion des grands rassemblements. C’est la guatna, séjour d’automne des Maures à l’oasis, pendant la récolte des dattes - des rassemblements analogues existent chez les Toubous. C’est aussi le groupement sur les pâturages salés à la fin de l’été chez les Ioullemeden (Touaregs du Niger). Enfin les caravanes de sel (azulai) sont l’oc- casion d’échanges multiples.

Sans sortir de la vie courante, chaque famille a besoin d’assurer son ravitaillement par caravanes, surtout si elle dépend de l’extérieur pour son approvisionnement en céréales. A côté des semi-nomades ayant leurs cultures, ou des grands éleveurs reguibat qui, traditionnellement, se nourrissent principalement de lait, la recherche de ravitaillement mène souvent les gens fort loin. Le cycle de l’achabu entre le Tell et le Sahara associait la recherche des pâturages d’été - et du travail salarié - avec les transports de blé échangé contre des dattes, chez les Said Otba d’Ouargla par exemple. Au contraire la recherche du mil au Soudan et des dattes au Tidikelt par les Touaregs du Hoggar était indépendante des déplacements des troupeaux; de la même façon les Toubous ont de multiples échanges organisés par chaque famille. En plus du simple ravitaillement, les circuits assurent des bénéfices commerciaux: le Tibesti vend des chèvres; le Fezzan et les oasis de Koufra, des dattes et des pro- duits de traite; le Borkou, du sel et des dattes; les pays du Tchad, du beurre, du mil, des cotonnades. Ce trafic reste diffus, sans organisation ni spécialisation. On peut remarquer que certains nomades bien pourvus, purs éleveurs cependant,

se passent d’activité commerciale, comme les riches éleveurs Ioullemeden dans le Sahel touareg, qui ont en abondance le bétail et les esclaves cultivateurs de mil. Chez les Kel Antessar de Tombouctou, le commerce reste aussi secondaire.

Mais certains groupements se sont spécialisés dans le commerce de caravane. On est frappé par la vocation de certaines populations et par l’incapacité de certaines autres. On a pu chercher là un don ((racial) de certains: ce seront les Arabes dans le Sahara méridional - mais à l’inverse les Chleuhs parlant berbère ont le même (( don >) au Maroc . . . I1 semble qu’on puisse noter la faiblesse commerciale à la fois chez des guerriers disposant d’une situation prépondérante par la force - comme les Touaregs Ajjers dont l’incapacité it discuter, voire à dissimuler, dans les débats commerciaux est notée - et chez des groupes exclusivement éleveurs tirant une richesse suffisante de cette activité - comme les confédérations touarègues du Sahel. AU contraire, des populations minoritaires, obligées à plus de souplesse, peuvent

établir à leur profit de véritables monopoles commerciaux: ainsi, pour le commerce du sel, l’azalai de Taoudéni est principalement entre les mains des Berabiches et des Kounta, peu nombreux et récemment installés. Les Kel Antessar se désintéressent de ce trafic et se contentent souvent de louer aux premiers des chameaux de bât. I1 se trouve que, dans le Sahel soudanais et nigérien c omme au Sahara central,

ces minorités actives sont de langue arabe en pays touareg: gens du Touat ou du Tidikelt au Hoggar, Kounta dans le Sahel. La progression de ceux-ci est notée par- tout; ils obtiennent des droits de pâturage mais en même temps assurent le commerce de colportage auprès des campements touaregs.

Enfin le caractère neutre des groupements maraboutiques leur assure des contacts commerciaux faciles. Tout c o m m e bien des souks nord-africains sont protégés par un sanctuaire et une famille pieuse, bien des circuits commerciaux sont exploités par des tribus de nuance religieuse. Les Touaregs Iforas de l’Adrar, qui sont spé- cialisés dans la vente de moutons au Touat, sont sans traditions guerrières et dirigés par des familles maraboutiqucs. De leur côté les Kounta sont un groupe religieux.

L a région saharienne où la tradition du grand commerce était la plus large est sans doute l’ouest. Mais là encore certaines populations, pénétrant du Maroc vers la Mauritanie, dominaient l’organisation commerciale, comme les Ouled Bou Sbaa et les Tekna. Leurs circuits ont été largement désorganisés par l’essor des Reguibat, guerriers et éleveurs de chameaux, au début du xxe siècle.

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Relations extérieures des nomades

Ainsi arabisme, piété et activité d’échanges s’entremêlent et se soutiennent, sans qu’aucune règle précise ne préside à la vocation commerciale d’un groupe donné’.

EVOLUTION DES PRATIQUES JURIDIQUES L e prestige de l’arabe, langue écrite et langue religieuse, se fait sentir dans l’évo- lution des coutumes locales. C’est ainsi que l’aménokal des Touaregs du Hoggar correspond avec ses subordonnés par des messages écrits en langue arabe. D e m ê m e les commerçants de Ghadamès, obligés par leur commerce de connaître, outre leur dialecte berbère, le tamacheq, 1’ haoussa et l’arabe, rédigent en arabe les actes des jemaa des quartiers de la ville, sans abandonner dans ces textes la numéro- tation locale. Parfois des mots berbères locaux sont transcrits dans ces textes en caractères arabes: ainsi tout ce qui se rapporte au notariat fait pénétrer la langue arabe2.

Tout natureliement l’homme de religion, qui est seul capable de rédiger l’acte écrit, fait pénétrer dans les coutumes locales la loi musulmane (ehr&), ne serait-ce que pour faire coïncider les faits avec le vocabulaire arabe correspondant, dans la rédaction comme dans son esprit. C o m m e par ailleurs la piété et la neutralité de l’homme de religion en font un arbitre de choix, la pénétration du chrâ au cœur des coutumes dispose de puissants moyens. C’est en fait un effort pour imposer l’ordre citadin en face du désordre bédouin. Le cadi, en Mauritanie, est désigné par le chef de la tribu ou l’émir; parfois la charge est en fait héréditaire dans une famille mara- boutique.

Les contacts avec les voisins peuvent rapprocher la coutume de l’orthodoxie musulmane: les Ait Atta du Sahara côtoient au souk des religieux (chorfa, merabtin) et au pâturage des gens parlant arabe (Doui Menia, etc.). C’est l’assemblée générale du groupe qui décide parfois des modifications en direction de la morale musulmane surtout. Plus spectaculaire est l’intervention du chef de la tribu Kel Gossi (Touaregs de Gao), qui, après un pèlerinage à La Mecque, fit modifier en 1945 la règle de suc- cession. Enfin des confusions apparaissent au détriment de la pratique ancestrale : ainsi entre Co-jureurs traditionnels et témoins chez les Reguibat. Le droit pénal est le plus atteint par les transformations politiques, qui sont allées

vers une centralisation du pouvoir: en pays toubou, les chefs, dès avant la paci- fication puis sous l’administration française, ont cherché à remplacer la vendetta par l’indemnité (diya). D e même, sous l’influence sénoussiste, les blessures ont été soumises par ces chefs à une tarification précise. Partout ailleurs, le principe de la diya était admis comme substitut de la vengeance et l’administration française en a longtemps maintenu la pratique. Ce n’est qu’après 1945, au Sahel, qu’elle a cherché à introduire le système de peines français, tandis qu’en m ê m e temps, dans les terri- toires du sud de l’Algérie, l’administration militaire, assez autonome, s’est trouvée remplacée par un encadrement civil qui en principe appliquait strictement la loi française.

Les coutumes successorales ont aussi évolué sous l’influence des religieux; à cet égard les transformations du système matrilinéaire touareg sont les plus impor- tantes. L a succession au pouvoir d’un chef défunt est, nous l’avons vu, soumise à la dis-

cussion de la jemaa. Mais chez les Kel Ferouan de l’Aïr, il y a hésitation entre lignée paternelle et lignée maternelle alors que la tradition tenait compte de la descendance maternelle. Celle-ci s’est maintenue dans l’Aïr, chez les Kel Geres et au Hoggar. Au contraire la descendance paternelle prévaut ailleurs, en particulier chez les Ioulle- meden et les Iforas.

f ’

1. Voir p. 153-155. 2. On se rapproche de ia synthèse relevée par J. Berque dans le Haut-Atlas occidental: actes notarié. transcrits du &euh es

caractères arabes.

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Nomades et nomadisme au Sahara

I1 semble que la succession des biens distingue la transmission d’un patrimoine déjà reçu par héritage de celle des biens acquis individuellement, par exemple chez les Kel Ahaggar, les Kel Ajjers, les Kel Rheris du Gourma. Dans la première catégorie on range les droits d’usage sur une région et les redevances de tributaires ainsi que les troupeaux. Pour ceux-ci, au Gourma, héritent par ordre les frères, neveux, cousins germains (dans la lignée maternelle et par ordre d’âge). Tout morcellement réel de l’héritage est évité par un droit de garde du troupeau accordé au plus proche héritier. Le butin mais aussi les dons et salaires reçus - pour une femme sa dot - forment les biens (( acquis personnellement O. Ici l’évolution, antérieure à la conquête française, va du droit de choisir son héritier à une désignation automatique des enfants du défunt: mais ces biens, hérités désormais, reviennent à la premiere catégorie. Une prépondérance accrue de la lignée paternelle sans morcellement du patrimoine néces- siterait une stabilité des mariages inconnue dans la région.

ASPECTS DE LA RELIGION

Ce sont les différents aspects de l’islam, religion de l’ensemble du Sahara, qui méritent le plus d’attention, même si de multiples pratiques antérieures se sont maintenues partout, surtout quand il s’agissait de cultes liés aux ancêtres ou au terroir, ou de pratiques libérant directement une force magique.

Traditionnellement les nécessités mêmes de la vie nomade font une faible place à la pratique religieuse. Le pèlerinage ne prend de l’importance que récemment chez les groupes qui se sédentarisent (Nefzaoua). Le jeûne, souvent négligé autrefois, est plus souvent observé maintenant. L a priere, habituelle en milieu maure, frappe c o m m e un trait récent d’évolution chez les guerriers touaregs du Hoggar, qui de- viennent dévots en vieillissant dans l’inaction.

Mais il faut garder présent à l’esprit la multiplicité des formes de l’islam. Tout ce qui cimente la société autour d’un pieux personnage, le marabout, se développe chez les nomades sahariens. Le marabout peut se distinguer par sa pratique de la religion, mais peut tenir simplement ses bénédictions de son origine, surtout s’il est descendant du prophète (cherif, pluriel chorfa); il est remarquable alors seulement par sa robus- tesse et sa liberté d’allure. Le pieux marabout peut s’adonner à l’étude et attirer des disciples (telamid), qui viennent apprendre la religion et le droit à ses côtés. Il peut aussi rassembler sous sa protection ou SOUS son arbitrage un groupe cohérent qui devient une tribu puissante. Plus tard sa descendance en garde la direction et les bénéfices. I1 peut enfin assurer aussi la diffusion d’une ((voie O mystique de l’islam (çoufisme) et s’intégrer au réseau des confréries, dont les affiliés peuvent occuper des relais sur une route commerciale. Ainsi l’aspect des groupements religieux varie considérablement. Un pôle serait

la piété maure, qui a trouvé sa place exacte dans la société locale. Ses hommes sont des lettrés, observant les rites, développant leur pacifique influence. L’autre pôle serait la violence mystique qui atteint des gens moins habitués à la pratique religieuse, c o m m e les Touaregs soulevés contre l’infidèle en 19171 ou les gens du Sud marocain, qui ont semblé reprendre au début du xxe siècle la tradition militante du marabou- tisme du XVI’ siècle. Le rôle de paix du marabout est net au Sahara septentrional, où au droit d’asile

traditionnel la zaouia de Kenadsa a substitué récemment l’arbitrage des conflits du travail et le secours aux mineurs de charbon. En Mauritanie, l’influence du cheikh Sidia a fondé la tribu des Ouled Biri en même

temps que la zaouia de Boutilimit. I1 appartenait à la voie qadria et sa famille a SU conseiller la paix avec les Français. Après sa mort en 1869 la famille s’est peu à peu

1. Le mouvement s’étend des Ajjers P l’Ah sous Ia poussée icnoussisie mais n’atteint pas directement lei Ioullemeden, révoltés un an avant pour des raisons locales.

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Relations extérieures des nomades

divisée (162 descendants directs) et la tribu a perdu de sa cohésion (1 600 familles), tandis que l’enseignement baissait (100 tentes se pressaient encore pour écouter la parole de son fils). Ses descendants se partagent les redevances recueillies auprès des fidèles noirs et l’un de ceux-là recueillait en 1980, en quatre mois de tournée au Sénégal, 200 O00 à 300 O00 francs.

L’enseignement de la religion peut rarement être très poussé chez des éleveurs nomades. Seuls les campements riches et assez gros peuvent entretenir un tuleb (maître d’école), soit chez des chefs importants au Sahara, soit plus facilement en pays sahélien, où l’enseignement coranique s’est développé chez les Ioullemeden. C’est encore en Mauritanie que nous trouvons les seuls enseignements d’un niveau élevé, capables de former un cadi ou un taleb. L a célèbre zaouia de Chinguetti n’avait déjà plus qu’une dizaine d’étudiants en 1937 et peu à la fois étaient capables de suivre les cours supérieurs. Ce déclin s’explique par la rudesse de la vie d’étudiant: le prestige du lettré diminuant, les vocations ont manqué (l’étudiant ne se mariait souvent qu’à trente ans, ses études terminées). D e plus les disciples vivaient en partie d’aumônes fixées par la coutume, qui ont manqué de plus en plus avec le déclin commercial de Ia Mauritanie. Ces zaouias, réellement nomades souvent, représen- taient une culture comparable sinon égale à celle des grandes universités musulmanes traditionnelles’.

L a valeur politique du maraboutisme a pu être très variable, tantôt apaisant les conflits et aidant l’inévitable pénétration européenne, tantôt prenant ia tête de mouvements explosifs contre les étrangers. Les Kounta sont à eux seuls un exemple de la gamme des influences possibles. Kounta désigne à la fois les descendants du cheikh Sidi Mohamed ben el Mokhtar el Kounti, mort en 1811, et les disciples de la zaouia qu’il a fondée. I1 est lui-même affilié à la voie mystique qadria dont plusieurs branches sont influentes dans l’Ouest saharien. Mais, de plus, disciples et descendants ont formé un vaste groupe tribal qui s’est implanté depuis le Touat en direction du Sahel maure, puis soudanais et nigérien.

Dans le Sud marocain les Kounta apparaissent comme les rivaux politiques des Ma el Ainin au début du xxe siècle. Originaires comme ceux-ci du foyer mystique du Zcmmour et de la Seguia el Hamra, ils organisent pour la guerre sainte, successive- ment le Tidikelt et le Sahara central, puis Tabelbala et les Art Khebbach, groupant plusieurs centaines de tentes. Changeant leur foyer de place selon les circonstances, ils mèneront la lutte contre les Français, et leurs rezzous en direction des pays soumis, surtout vers le Soudan, sont soutenus jusqu’en 1935 par les Ait Khebbach. , D’autre part le groupe kounta s’est infiltré pacifiquement en pays sahélien dès le XVIII~ siècle et a fourni aux Touaregs à la fois leurs chapelains et leurs colporteurs. L e réseau commercial kounta s’appuie sur les affiliations religieuses: un commerçant trouve toujours des courtiers-logeurs prêts à l’aider. L’essentiel du trafic d u sel de Taoudeni, qu’ils considèrent comme leur propriété, est entre leurs mains. Ils vendent aussi du mil, du bétail, des produits importés. Ainei se répand l’influence d’un groupe par la langue arabe et par le commerce pacifique appuyé sur le prestige religieux. Celui-ci permet à l’occasion de nourrir les plus vastes desseins d’une politique vio- lentea.

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ORGANISATION D’UN ETAT: LA SENOUSSIYA

L e cheikh maraboutique ou le chef de guerre ont bien sûr essayé de stabiliser leur pouvoir en m ê m e temps qu’ils l’étendaient dans l’espace. Cependant il est rare qu’au-dessus des lignées familiales plus ou moins vastes apparaisse autre chose que des confédérations sans grande cohésion.

1. Ainei Chinpetti désigne la Mauritanie daru Is monde musulman. 2. Ainsi la c o M c des Ma el Ainin eu Sahara occidental ou la tribu mareboutique der Ouled Sidi Cheikh vere 1880.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Les émirs maures et les aménokals touaregs ont essayé de solidifier leur pouvoir. L’émir de Trarza, par exemple, disposait essentiellement d’un réseau de redevances assez stable. A l’inverse des chefs maraboutiques, son bétail était peu abondant. Sa richesse, redistribuée à ses clients, était formée de taxes variées sur les tributaires; elle n’a pas survécu à l’intervention française. Les confédérations touarègues ont rarement réalisé un pouvoir centralisé, chaque

noble cherchant à discuter plus que tout autre le pouvoir de l’aménokal. La familiarité des rapports entre l’aménokal du Hoggar et les hommes âgés de sa lignée - les Kel Rela - exclut toute subordination. Ce chef de guerre ne peut guère transformer sa puissance en une institution stable: les redevances comme le système de la diya lui échappent plus qu’à l’émir maure. Certains groupes touaregs, comme les Iforas, se passent de chef de guerre, tandis que la méfiance envers celui-ci aboutit dans l’Aïr à confier le sultanat d’Agadez à un h o m m e toujours choisi hors des lignées matrilinéaires, puisque ce sultan héréditaire d’origine noire ne peut épouser que des femmes noires à l’exclusion de toute noble touarègue. Il semble que la puissance exceptionnelle de l’aménokal des Kel Ahaggar soit due à la faiblesse numérique de ce groupe, qui ne comporte pas de religieux et peu d’esclaves. Cette puissance est aussi en partie une légende, en partie une réalisation des français, qui pendant, longtemps ont favorisé ia centralisation des redevances.

L a tentative la plus poussée d’un vaste Etat saharien est celle d’origine religieuse de la Senoussiya. Ce mouvement a été comparé avec raison au wahabisme, qui aboutit à la naissance de l’Arabie saoudite. Du point de vue religieux, le senoussisme’ forme une confrérie analogue aux autres voies mystiques mais se veut surtout un regroupement des confréries existantes, auxquelles le senoussiste peut adhérer en même temps. Cette volonté œcuménique alliée à un puritanisme assez strict veut s’opposer autant aux Turcs et au sultan du Maroc qu’aux Européens. Mais le carac- tère pacifique de la propagande comme la tolérance des cultes maraboutiques locaux assurent la souplesse de la pénétration senoussiste.

Cette souplesse d’adaptation à la religiosité des Sahariens s’allie à une organisation administrative centralisée unique, œuvre d’El Mahdi, fils du fondateur, dont l’apo- gée date de la fin du XIXO siècle. Si la confrérie s’est purement et simplement sub- stituée à 1’Etat turc en Cyrénaïque, ailleurs elle a créé des zaouias dans tout le Sahara central jusqu’au Tchad et a fait de Koufra sa capitale. La zaouia, centre de la pra- tique religieuse, a des fonctions multiples. C‘est une école dont les élèves vont ensuite répandre la foi chez eux, à moins qu’ils ne restent pour un petit nombre à la zaouia c o m m e affiliés militants (ikhonan, mot à mot: frères). C’est un refuge pour les voya- geurs, lieu de bienfaisance et gîte d’étape pour les caravanes, placé à un point com- mercial important. Plus ou moins riche, la zaouia est commandée par un membre de la famille senoussiste ou par un affilié de confiance, la centralisation du pouvoir à Koufra étant très stricte.

L’influence politique est établie prudemment dans les tribus, où la confrérie est révérée plus pour ses bénédictions immédiates que pour ses positions doctrinales. C’est pour défendre ce vaste domaine que le senoussisme s’est fait belliqueux, contre les Français au sud, plus encore contre les Italiens au nord; par le senoussisme, l’activité commerciale a été largement favorisée - sans exclure le trafic des esclaves - pendant un demi-siècle, au Sahara central et oriental.

Ici c o m m e au niveau de la tribu, il n’y a pas d’institutions stables. Mais les échan- ges lointains tissent des réseaux nombreux, bien que fragiles. On constatera qu’à cet égard une évolution est visible: si, pour quelques commerçants ou quelques chefs, les liens extérieurs ont pris de l’ampleur, bien des bergers sont coupés maintenant

1. Son fondateur, Mohamed ben Ai¡ ea Senoussi el Khatibi el Idrissi el Ilassani, d’une famille de Mostaganem, eat mort en 1859 après avoir mia sur pied ia doctrine. répandue d‘abord en Arabic puis en Cyréndque.

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Relations extérieures des nomades

des échanges commerciaux modernisés, tandis qu'avec l'appauvrissement et la dis- persion, toute possibilité de culture musulmane disparaît, sans être souvent rem- placée pour autant par une culture moderne. Ainsi la fragilité de la civilisation des nomades lui laisse peu de chances dans le monde actuel'.

B I B LI o G RAP II I E

Les questions abordées sont très inégalement connues. On n'a développé les indications que pour les points les moins connus.

Commerce CIIAPELLE (1957); LOTHE (1944); CAPOT-REY (1953); CHABROLLES, M. (1952); e Essai de portrait des Touaregs de l'Adrar des Iforas ß, BLS, III, 11. PALES, L. (1950). Les sels alimentaires: sels minéraux . . . , Dakar, Gouvernement général de I'AOF, 107 p.

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1. Les posBibiütés commerciales oû'ertes aux nomades sont envisag8es p. 153-155; leur acch B une culture moderne (scolarisation) p. 172-175.

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C H A P I T R E I V

Nomadisation chez les Reguibat L’Gouacem’ par J. BISSON

Le n o m de Reguibat s’étend à deux vastes confédérations parentes du Sahara occidental. Ceux de la côte atlantique (Sahel) se distinguent de la branche L’Gouacem qui nomadise plus à l’est. Ces confédérations sont nées au xV siècle du cherif Sid Ahmed Reguibi, dans la région de l’oued Dra inférieur (Maroc). Malgré son caractère religieux, c’est par la guerre que la confédération L’Gouacem a étendu son domaine sur une surface supérieure à celle de la France. Elle n’en fut maîtresse qu’au début du xxs siècle, après avoir éliminé les Ouled Bou Sbaa.

Ces nomades, qui opèrent les plus vastes déplacements du Sahara, pénètrent des régions aussi hostiles que l’Erg Chech mais sont attirés plus encore par la moyenne Mauritanie et même par le Sahel. Cette extraordinaire expansion territoriale s’est accompagnée d’un gonflement des effectifs de la confédération, triplés par l’adoption de groupes tributaires de toutes dimensions; ainsi, aux ahel (lignées) (( de sang )) regui- bat se sont adjoints des groupes (( de nom )) reguibat, qui dépendent de la confédération entière, ou seulement d’une de ses lignées, ou enñn d’une Reuie f a d e . D e par son expansion - dans l’espace et dans le temps - la confédération n’a pu consolider cette hiérarchie en castes stables. C‘est ainsi que dès la tardive implantation française en 1934, deux groupes avaient rompu leurs liens avec la lignée dirigeante de sang regui- bat, I’ahel Sidi Allal: d’une part, leurs parents de la branche cadette, peu glorieuse mais fort riche, les Lebouihat; d’autre part, les tributaires Foqra, nombreux et doués d’une forte cohésion malgré le mépris que leur devait une origine médiocre. Aucun nomade ne se nourrit aussi largement du lait de ses bêtes et n’a aussi peu

de liens avec les sédentaires que les éleveurs reguibat; ils effectuent avec leurs trou- peaux les mouvements les plus longs et les plus variés - 300 ou 1000 km selon l’année pour les riches éleveurs de chameaux - surtout en territoire mauritanien. Plus au nord, au carrefour de la Seguia el Hamra espagnole, du Maroc et du départe- ment saharien de la Saoura, on trouve des éleveurs plus modestes et moins mobiles qui possèdent surtout des chameaux dans le Zemmour, plutôt des moutons ailleurs.

C’est parmi ces derniers nomades que notre enquête de décembre 1959 a été menée. Des conditions de pluviosité exceptionnelles ont permis l’étude des déplacements de près de la moitié de la confédération (plus de 4000 personnes sur 10 O00 à 12 000). Habituellement, l’extrême dispersion des campements dans une région dépourvue de centres sédentaires empêche toute constatation d’ensemble.

1. L’enquête, rédiSeo avec l’aida du capitains Giiiinrd et du lieutenant EaU6 (Tindouf), du lieutenant Monnier (Iguidi) et du lieutenant Rostand (Aouinet Legrna). n CJ possible grha & des pluies abondantci déterminant uns concentration crecptioniiells des campemenu.

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Nomades et nomadisme au Sahara

DEPLACEMENTS DES CAMPEMENTS ET ÉLEVAGE

L a nomadisation reguibat associe en permanence un petit groupe de tentes en un campement, le frip, qui est la véritable unité de l’économie d’élevage. I1 réunit en moyenne cinq tentes, soit quelque vingt-cinq personnes. Ce sont ces friq dont les mouvements ont pu être cartographiés pour l’année 1959. Les régions de pâturages fréquentées ont une valeur inégale. Le reg du Yetti est

un pays désolé et presque dépourvu de puits. I1 n’est utilisable qu’après une pluie qui transforme les dépressions (daia) en mares temporaires. L a hamada de Tindouf est tout aussi inhospitalière. Les points d’eau ne se multiplient que dans les oueds plus ou moins creusés, comme au pied de la falaise du Hank ou surtout parmi les affluents de la Seguia el Hamra. Enfin, l’erg Iguidi, surtout dans sa partie nord, est exceptionnellement humide.

Campements d’été

L a carte indique l’extrême dispersion des campements; ceux-ci doivent s’établir à proximité des points d’eau,.qui sont tantôt des puits permanents tantôt des oglat temporaires creusés dans un lit d’oued: ainsi sont occupées les vallées du Sud-Est et celles de la Seguia el Hamra espagnole. Les campements les plus disséminés se trou- vent dans l’erg Iguidi, dont les pâturages et l’eau peu profonde sont favorables. Au contraire, regs et hamadas sont totalement inhabités.

Campements d’hiver

L a grande variété des déplacements chez les Reguibat s’explique par l’irrégularité des pluies : la carte indique l’addition exceptionnelle de deux pluies d’abondance variable en août et en octobre. Dans les régions deux fois arrosées pousse l’herbe (roóea) la plus abondante dès la fin de novembre; les friq envoient quelques éclaireurs reconnaître les pâturages: en creusant le sol humide ils constatent l’importance de la pluie; puis, les familles viennent se concentrer sur les secteurs les plus favorables - ici surtout le reg du Yetti, généralement inutilisable. L’abondance de l’herbe permet à de nombreux friq de s’installer à proximité les uns des autres si bien que, non loin des puits d’El Haiainia et de Dou Ameima, on ne quitte jamais de vue un ou plusieurs friq à la fois. Même après la dévastation de l’herbe par des vols de sauterelles, les régions où il a plu restent favorables car les daia y contiennent de l’eau. La marche à la pluie effectuée par les friq atteint ici fréquemment 200 k m , mais plus souvent moins de 100.

L a région proche du puits d’El Haiainia, qui dispose de pâturages abondants, est occupée par dix friq, soit 47 tentes. Ces éleveurs disposent globalement dans la région de 250 chameaux et 500 moutons environ. Ceux-ci ne permettent ni de longs déplace- ments ni l’exploitation de pâturages sans point d’eau: ces nomades ne s’aventurent jamais à l’est de l’erg Iguidi. A l’exception de deux éleveurs qui possèdent 70 et 100 moutons, la plupart ont un cheptel modeste de 20 à 30 moutons et de 5 à 15 chameaux. Ces éleveurs peu fortunés ont moins d’une dizaine d’esclaves au total, et un forgeron, maalem, capable de ciseler un bijou ou de réparer un vieux fusil, d’abattre un chameau ou de tanner une peau, de consolider une selle ou de pratiquer une circoncision.

Vie des éleveurs L’étude d’un friq composé de six tentes appartenant i la lignée de sang reguibat des Sellalka nous précise la vie des éleveurs. Le groupe est venu, après l’été, de l’oued el Hamra vers les pâturages proches du puits d’El IIaiainia. Les tentes sont à quel-

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Nomadisation chez les Reguibat L'Gouacern

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Nomades et nomadisme au Sahara

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Nomadisation chez lea Reguibat L’Gouacem

ques mètres les unes des autres, ouvertes face au sud. Au total, 33 personnes noma- disent en commun. Parmi elles on compte 22 enfants, en général présents au cam- pement. Les ménages en comptent de 5à 7.

L e bétail pâturant aux alentours du friq se compose de 38 chamelles ou chameaux - ceux-ci, peu nombreux, sont utiles aux transports, tandis que la vraie richesse des troupeaux est représentée par les chamelles. Tout ce bétail est en liberté, dans un rayon de 5 à 10 km du friq; cependant une dizaine de charnelles qui ne s’éloignent jamais des tentes donnent chacune de 3 à 4 litres de lait par jour,

Gardé par trois enfants, le gros du troupeau est constitué de 120 moutons ou chèvres qui reviennent deux fois par semaine au camp. Enfin, le friq dispose de deux ânes qui font la navette entre le camp et les daia où l’on puise l’eau.

C’est vraisemblablement toute la richesse du friq, car les tentes ont un aspect modeste, mais on n’oserait l’affirmer car la coutume de la rnéniha veut que l’on prête ses chameaux ou chamelles à d’autres tentes pauvres, ce qui est une cause de la dispersion si fréquente des troupeaux et doit rendre prudent dans les évaluations de cheptel.

Ainsi trouvons-nous un campement modeste - ce sont les plus nombreux dans la région - constitué de tentes d’une m ê m e famille, à l’exception d’un vieillard venu demander l’hospitalité du friq: ce n’est pas la règle, car il existe une très grande diversité d’origine tant à l’intérieur m ê m e d’un friq que dans une m ê m e zone de nomadisation.

AFFAIDLISSEMENT DES CADRES SOCIAUX

L a hiérarchie ancienne qui opposait Reguibat de sang et de n o m s’est effritée à tous les niveaux et l’autorité acceptée pour la conquête guerrière des pâturages est remplacée par l’individualisme, qui permet la meilleure utilisation des troupeaux dès lors que règne la sécurité. L a confédération L’Gouacem s’est désarticulée en raison des interventions directes

des autorités de Tindouf auxquelles chaque groupe pouvait faire appel. Ainsi, à l’intérieur m ê m e des tributaires Foqra émancipés qui groupent 480 tentes, l’ahel Lemjed, possédant ses propres pâturages, s’est rendu indépendant; cette lignée de 135 tentes était la plus importante et la plus riche des 13 ahel des Foqra. L’ahel était encore un groupe nomadisant en c o m m u n vers 1920, ce dont les

hommes mûrs se souviennent nettement. L e cheikh commandant la lignée était alors seul reconnu par l’administration, mais son rôle politique s’est amoindri depuis. Ses abus d’autorité à l’occasion du rationnement des produits importés pendant la seconde guerre mondiale ont amené l’administration à s’adresser directement au chef de tente, reconnaissant ainsi l’existence de la f a d e plus restreiute. L e cheikh n’a plus que l’autorité douteuse du collecteur d’impôts, à moins que par sa personnalité il ne s’impose comme arbitre écouté. Mais la dispersion des tentes est telle qu’il ne dis- pose plus d’aucun pouvoir de décision concernant les déplacements pastoraux ou les ventes de bétail.

Les friq sont les seules unités vivantes actuellement. Pas plus que les ensembles de friq qui se réunissent sur un pâturage favorable, ils ne coïncident avec les liens familiaux traditionnels. Ainsi, les friq rencontrés près du puits d’El Haiainia appartiennent en majorité aux

Foqra, dont c’est le domaine de nomadisation habituel. Mais au moins trois ahel de ce groupe ont des représentants sans qu’aucune lignée n’y soit au complet. D e plus le tableau suivant (p. 56), montrant l’origine sociale de sept friq, fait apparaître la variété des groupes Reguibat nomadisant ici. I1 n’y manque que deux éléments de sang reguibat, l’ahel Sidi Allal et I’ahel Belgacem ou Brahim, et un de n o m reguibat, les Sellam, qui tous sont composés de riches chameliers vivant en Mauritanie. Deux tentes de la confédération des Reguibat Sahel sont m ê m e présentes.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Mais les friq eux-mêmes participent à ce mélange social. Quatre d’entrc eux sont homogènes; ainsi, celui des Sellalka, étudié ci-dessus; correspond à quatre générations d’une seule famille: les six tentes appartenaient au chef de famille, à sa mère, à ses trois fils, enlin à un vieillard ayant demandé l’hospitalité. Mais trois autres friq sont hétérogènes, unissant des gens de sang reguibat et des tributaires en une communauté d’élevage, unique. Ainsi, après la disparition de la hiérarchie traditionnelle en ce qui concerne l’éle-

vage, c’est le friq qui assure la vitalité du nomadisme chez les Reguibat. Cette unité élémentaire de la vie communautaire est essentielle: à l’inverse, là où la tente vit isolée, comme sur les hautes plaines d’Algérie, on voit décliner l’élevage nomade.

Composition des friq reguibat (r6gion d’El IIaiainia)

Tribun Numéro des Lip Nombre

par tribu I II III IV v VI VI1 de Cnractéristiquei

De sang reguibat Ahel Sidi Allal Lignée dirigeante

chameliers O Ahel Belgacem ou Brahim Chameliers O

Ahel Lahcine ou Ahmed 8 1 9

Sellalka 6 2 8 Lebbouihat Groupe autonome 2 2

De nom reguibat Sellam Chameliers O Foqra 4 4 3 1 4 1 6 Oulad Sidi Ahmed 1 1 Hameïdnat 5 5 Reguibat Sahel 2 2 - - - - - - - Nombre de tentes par friq 6 8 4 4 5 8 8

COMMERCE ET NIVEAU DE VIE

Problème des débouchés: Maroc et Algérie

Traditionnellement, les Rcguibat L’Gouacem orientaient leurs échanges vers le Maroc, auquel ils demandaient vivres et tissus et où ils vendaient leur bétail, leur laine et le sel de la Sebkha de Tindouf. Goulimine a toujours été le grand marché de vente pour les chameaux du Sahara atlantique et en particulier pour ceux des Re- guibat: 500 bêtes s’y vendaient chaque semaine en bonne année’. Vers l’Algérie, ce commerce se réduisait à l’achat des tapis du Djebel Amour que l’on trouve sous les tentes Foqra et à la vente de quelques chameaux sur les marchés du Touat et parfois du Gourara.

Cette orientation vers le Maroc est actuellement interrompue, principalement parce que les Reguibat sont en froid avec les Ait Oussa marocains, dont ils craignent un rezzou à la faveur de la semi-anarchie qui règne dans ces confins.

Aussi, pour suppléer à la fermeture des marchés du Sud marocain, l’administration a cherché une réorganisation du commerce; des centres d’administration saharienne nomades (CAS) ont procédé à des ventes de produits importés auprès des gros rassem- l.L’6conomis pwforole iaharionn8, 1953, p. 45.

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A Cheb enjeur. Páturage de printemps au nord d'Ouargla; tente mekhadma. [Photo Petit. mars 19581

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.'.i- f- .- I. .<

L'eau uu Zfoggar. Lc puits, non coíïré, est derrière ï h o m m e qui remplit les outres (guerbu) cn peau tic chèvre. Iìégion do Tin Mas, Tefedest. [Photo Cerl, dic~mlire 19rYl

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nbreuuuge des churneaux. Région de Gara Djehilet, département de la Saoura, confins de la Mauritanie. [Phoio Uekker. avril 1960

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Cérémonie du thé. Tente reguibat, niat6ricl classique marocain (tliéièrc, platcau et verres). L e geste de verser haut répand le bruit et I'odeur du Lreuvagc. [Photo IJekker. avril 19UO]

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Femme et enfunt reguibat. Finesse de traits et vêtement drapé classique de la femme en cotonnade bleue. Photo Dekkcr. septembre 1960

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InLirieur loubou. Case de nattes du Ilorkou. La femme ougna possède à la fois des sacs de cuir décorés de cauris et des caisses importées, des poteries décorées et des cuvettes de fer émaillé. [PI,OLO cari1

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Sourires d'enJunls reguibuí. Détail de la tente: les bandes tissées (Jij) sont cousues rôte à côte. [Photo J. Disqon. dbcemlrs 19591

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i

Sédeninrisolion. Campement de Said Otha dans la région d‘Ouargla juxtaposant la tente et l’abri- hidonville. L e dénuement résulte ici d’un arrêt particulihrement hrutal du nomadisme.

[Photo Petit, avril 195û]

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Nomadisation chez les Reguibat L’Couacern

blements de tentes près d’El Haiainia et de l’oued el Hamra. D’autre part, pour orienter la vente du bétail vers l’est, un chouflune (foire) s’est tenu à Bou Bernous, au nord-est de l’Iguidi, en avril 1959; les ventes y ont été modestes.’ Plus important est le courant qui s’est dessiné en direction du Touat: il a porté sur plusieurs ceni taines de chameaux par mois.

Les oasis consommant des chameaux de boucherie sont celles où le niveau.de vie commence à augmenter rapidement1 par suite de la présence de nombreux travailleurs sur les chantiers. Au contraire, dans les oasis les plus riches (EI Golea), la viande de chameau n’est plus que la nourriture du pauvre. Ainsi, l’élévation du pouvoir d’achat ne permet qu’un temps l’accroissement des ventes. Si le ‘courant vers l’est ne peut prendre une grande ampleur, en revanche, tôt. ou

tard, les ventes reprendront en direction du Maroc, tant vers le sud que vers les villes: Tant de liens sont noués avec ce Sud marocain si proche que, dès le retour ¿le relations normales, chameliers et marchands reprendront les très vieilles routes des portes du Djebel Bani. . Pour les récentes années de pâturages abondants, on ne peut affirmer que les Reguibat L’Gouacem souffrent de mévente, car ils sont fiers de leurs troupeaux et répugnent à vendre leurs bêtes2. Mais que survienne une sécheresse comme’celleä des’ années 1949-1950 ou 1956-1957 et l’absence du débouché marocain risque .de se faire sentir.

. , > . . . .

t‘ 1 , Elévation du niveau de vie

En contrepartie de ces difficultés commerciales, certaines ressources nouvelles favorisent les Reguibat. Certes, l’exploitation du minerai de fer de Gara Djebilet n’est qu’un projet: des expériences en cours permettront de juger des aptitudes des Reguibat. Mais l’administration du cercle de l’Ouest saharien verse annuellement quelque 15 millions d’anciens francs de salaires aux Reguibat employés sur les’ chantiers, dans les CAS et c o m m e militaires.

Globalement, on peut affirmer que le niveau de vie de ces nomades est élevé, en s’en tenant à l’état sanitaire exceptionnellement satisfaisant chez ces éleveurs nourris très largement de laitages. Mais à cette consommation de produits locaux s’ajoutent. de plus en plus des importations dont le volume est plus facile à vériñer depuis que tous les échanges passent par Tindouf.

L’usage du thé et du sucre se répand rapidement, en m ê m e temps que la con- sommation de céréales augmente et que dans celle-ci le blé (farine ou pâtes alimen- taires) remplace l’orge. Les chiffres du tableau ci-dessous indiquent une incontestable aisance, en tenant compte de la consommation modérée de céréales là où les laitages gardent toute leur place.

Nourriture importée chez les Reguibatl

Quantité par tente

Loealisation Nombre de tentes Uréales Th6 Sucre Valeur monétaire totale

k k kg milliers de francs

- - EI Haiainia 47 1.29 7 Oued el IIamra 135 39 10 130 54 1. D’après des relevés mensuel des ventes effectuées p m deux CAS. Ceru-ei proeuraient BUS nomades des facili& commerciales qui ont sûrement ECCN leur consommation.

I. J. BIssors (1960). e Evolution récente des onais du Gourara (1953-1959) m, TIRS, XIX. 2. J. L.AEñiñAUD (1952). p. 300.

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Nomades et nomadisme au Sahara

CONCLUSION

Dans les départements sahariens bouleversés par l’activité des pétroliers ou par les multiples interdictions militaires, les nomades Reguibat L’Gouacem constituent une exception. On peut dire qu’ici le nomadisme conserve toute sa vitalité sans que l’on décèle des signes de déclin.

Certes, il existe bien quelques pauvres tentes en lisière du ksar de Tindouf, mais elles sont peu nombreuses et ceux qui, ruinés après la sécheresse de 1956-1957, avaient été obligés d’abandonner la vie nomade ont pu reconstituer leur cheptel. Pour l’instant, on ne peut parler de crise et le contraste est grand avec la bordure

de l’Erg occidental ou.le pied des monts des Ksour, où l’on ne verrait pas des tentes aussi bien entretenues, des enfants aussi beaux, des regards aussi détendus . . . Cepen- dant, plus qu’ailleurs, faute de ressources d’appoint, la vie de plusieurs milliers de nomades est ici à la merci d’une sécheresse, d‘autant plus qu’il s’agit de petits éle- veurs de moutons surtout, qui ne peuvent effectuer de longs déplacements. Ils devraient se résigner à les abattre ou à les vendre en cas de sécheresse prolongée. Mais OU vendre ces troupeaux si les marchés marocains demeurent interdits, où aller chercher des pâturages de secours si demeure interdite la vallée de l’oued Dra qui restait le dernier recours en 1950 7

Une fois encore, aux incertitudes du climat s’ajoutent celles de la situation poli- tique pour peser sur l‘avenir de ces populations nomades. I1 est cependant certain que les Reguibat L’Gouacem restent les nomades des départements sahariens qui ont su le mieux conserver avec succès leur genre de vie.

.

BIBLIOGRAPHIE

Outre les titres décrits à la bibliographie générale, on peut citer: CAUNEILLE, A. (1946). Etude sur les Reguibat 3, doc. CHEAM, dactylographié. LARRIBAUD, J. (1952), a Tindouf et le Sahara occidental *, Archives de i’lnstitut Pasteur d’Algérie, XXX.

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C H A P I T R E V

Problèmes des Touaregs du Hoggar par P. ROGNON

Le Hoggar représente sans doute l’un des milieux naturels les plus hostiles du Sahara. Seuls les massifs montagneux de 1’Atakor et de la Tefedest, où l’aridité s’atténue, abritent dans les fonds de vallée, et parfois sur les pentes, une végétation buissonnante qui, bien qu’intermittente, est plus favorable à la vie nomade.

Dans l’isolement de ces montagnes s’est conservé un groupe humain extrêmement original, les Kel Ahaggar, infime fraction de l’ensemble touareg, puisqu’ils sont estimés à 5 O00 environ, alors qu’on en dénombre, au sud, environ 460 O00 au Niger et au Soudan. Cependant, lesTouareg8 du Hoggar, retranchés du monde arabe au nord par la muraille presque inhabitée des Tassili, isolés des Maures à l’ouest par l’immense désert d u Tanezrouft et des Toubous à l’est par la plaine inhabitable du Tafassasset, ont conservé presque intacte une civilisation dont l’équilibre très fragile est particulièrement menacé aujourd’hui au contact du monde moderne.

Nom dei îribui Population Eiciavm Parcoum CaraetCriitiquei

Nobles Kel Rela 300 350 Indéterminé; Lignée de

Tdtoks 30 - Id. Refoulés vers le Niger Tedjeleh Mellet 30 - Id. - Refoulés vers le Niger

chez les imrad l’aménokal

Tributaires Dag Raii Adjoun Télé

Ait Loen Kel Tazoulet Ibardjien Kel Olet - Kel Tefedest -

Kel Inrar, etc. Kel Amguid, etc. Iss ak a m ar e n

Tedjehe n’Eh

300 200 Atakor 600 200 Sud-Atakor

250 - Nord-Tassili Nord et ouest

du Hoggar

Imrad; riches éleveurs Statut favorable d’caiiiésr des Kel Rela Imrad Imrad Imrad Imrad

Imrad Imrad

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Nomades et nomadisme au Sahara

LA SocIfiTfi TOUARÈGUE DU HOGGAR

Les Ahaggar sont une des confédérations les plus particularistes et les plus typiques de la culture touarègue. E n particulier, le caractère matrilinéaire de la filiation, im- portant pour l’héritage comme pour la transmission du pouvoir, s’est maintenu in- tact. De la même façon, les règles strictes de l’honneur et de la bienséance sont res- pectées soigneusement: plus qu’ailleurs on craint de déchoir par une activité indigne de la caste à laquelle on appartient ou par un geste déplacé.

L a simplicité de la société ahaggar est aussi très nette, opposant les nobles et les tributaires (irnrad). E n effet, il n’y a pas ici de classe maraboutiquc, maia des reli- gieux isolés, Arabes ou Iforas. De même, les esclaves ne sont qu’un millier, bien traités et rarement affranchis. Le pouvoir politique est entre les mains des nobles guerriers qui perçoivent des

redevances (tioussé) de leurs tributaires. Les Kel Rcla sont la principale tribu noble de la confédération. Leur situation a été consolidée par les Français (en particulier aux dépens des Taitoks); ils nomment parmi eux l’aménokal, qui centralise un pou- voir important. Les imrad, plus ou moins riches, versent une redevance symbolique surtout aux Kel Rela; l’aménokal reçoit cette redevance et la redistribue en partie à ses proches au cours de réceptions. Contrairement aux nobles, qui font paître leurs troupeaux dans tout le Hoggar, ils possèdent leurs pâturages délimités; très grand est leur attachement aux vallées qu’ils détiennent et où seuls ils ont des droits de chasse et de cueillette. Si les tribus de 1’Atakor et du Hoggar méridional sont assez riches, celles du nord et de l’est sont beaucoup plus misérables.

Surtout depuis 1917, les Ahaggar ont étendu leurs pâturages au sud, vers le Ta- mesna, région à demi sahélienne jusqu’alors traversée seulement par les rezzous.

LES M O Y E N S D’EXISTENCE DES K E L AHAGGAR

Jusqu’au début de ce siècle, les Touaregs tiraient de l’état d’insécurité une bonne part de leurs revenus. Les rezzous fournissaient des ressources épisodiques mais im- portantes sous forme de butin, et d’autre part l’état d’insécurité assurait aux nobles une redevance modeste mais régulière payée par les imrad en échange de leur protec- tion. I1 ne subsiste aujourd’hui que la redevance qui, payée en nature, a l’avantage de ne pas se dévaluer. Par exemple, la riche tribu des Dag Rali paye chaque année 4 plats (guessa) de blé par jardin, 6 bouteilles de beurre (bottas), 6 outres en peau de chèvre (guerbas) et prête 10 brebis comme impôts sur ses troupeaux. Enfin, elle verse 12 sacs de dattes (rnezoued) lors du retour. des caravanes.

,

Les véritables ressources des Touaregs sont actuellement de trois sortes.

Les troupeaux

Les Kel Ahaggar possèdent deux sortes de troupeaux: d’une part, des chameaux (10 O00 à 12 O00 environ) et d’autre part du petit bétail, presque essentiellement des chèvres, qui peuvent chercher leur nourriture sur les pentes escarpées des montagnes, tandis que les moutons, peu nombreux, se cantonnent sur le pourtour, au Tamesna ou dans les Iforas. Les moutons, en effet, se contentent mal de pâturages aussi maigres et irréguliers, et succombent lors des années seches. D’ailleurs, la sede race ovine adaptée n’a pas de toison laineuse mais de longs poils raides: aussi l’élevage du mouton perd-il son principal intérêt. Les chèvres noires fournissent la principale ressource alimentaire : le lait (en

moyenne, un litre par bête et par jour, parfois deux), qui est consommé frais ou transformé en beurre (I’oudi est un beurre liquide, cuit avec une herbe spéciale qui assure sa longue conservation). Le lait est plus rarement transformé en un fromage

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Problèmes des Touaregs du Hoggar

extrêmement dur, qui se conserve très longtemps; mais cette technique est employée surtout chez les Touaregs de l’Aïr. Les jeunes chevreaux mâles fournissent l’essentiel de la consommation en viande des campements. Enfin, les Touaregs utilisent les poils de chèvre pour la confection des cordes et les peaux pour celle des outres et des tentes. La tente touarègue est formée par un assemblage de peaux tannées et cousues qui repose sur des piquets et qu’on peut donc facilement étendre à volonté pour l’agrandir ou se protéger du soleil et du vent. O n pourrait penser que cette tente très rudimentaire a pour principal avantage sa légèreté et sa simplicité per- mettant de fréquents déplacements; en fait, les campements touaregs se déplacent fort peu, à l’intérieur d’une zone restreinte, par exemple le long d’une vallée. Ainsi, le campement de I’aménokal se déplace d’environ 80 km le long de l’oued Tit, près d’Abalessa; ceux des Adjoun Télé, d’environ 50 à 60 km. Ces déplacements sont fonction des possibilités de pâturage pour les chèvres; le petit bétail fournit, en effet, l’essentiel des laitages et demande le plus de soins.

Tandis que les chèvres sont toujours gardées par des bergers, les chameaux ont besoin d’espace pour pâturer et sont laissés dans une semi-liberté. On entrave seule- ment leurs deux pattes antérieures avant de les lâcher dans une vallée où l’on a re- connu des pâturages. Après un ou plusieurs jours, la recherche et le rassemblement du troupeau sont une opération difficile, car il faut retrouver chaque bête à la trace. Le chameau ne peut pâturer en troupeau comme le petit bétail, les buissons qu’il recherche étant souvent assez dispersés, tel I’ararnas (Atriplex halirnus) dans les oueds.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le Hoggar, qui assure toute l’année la subsistance des chèvres, ne fournit qu’épisodiquement un pâturage suffisant pour les chameaux. En moyenne, trois ou quatre années sur cinq sont trop sèches et il faut envoyer les troupeaux de chamelles vers le sud, à plus de 800 k m du Hoggar, dans les Iforas et surtout au Tamesna. On ne garde au pays que quelques chameaux de bât pour les relations entre campements. Chose étonnante en effet, même les années les plus sèches, on trouve la plupart des tentes à leur emplacement habituel, habitées par les femmes, les enfants et les vieillards. Ils subsistent grâce aux quelques chèvres qui ont résisté à la sécheresse et grâce aux provisions accumulées dans les greniers. Les ânes, indispensables pour toutes les corvées d’eau et de bois, remplacent les chameaux absents pour la plupart des déplacements et des transports. Lorsqu’ils peuvent confier les chamelles à un esclave ou à un imrad, les hommes restent volon- tiers au campement. Curieux nomades, attachés à leur pays au point de préférer se séparer pendant des mois ou des années de leurs troupeaux, avec toutes les pertes que cela comporte (production du lait, risques du voyage, vols), plutôt que de les suivre vers les pâturages assurés du Sud! Lorsqu’il a plu suffisamment sur le Hoggar pour que l’on puisse prévoir quatre à six mois de pâturage, on envoie un esclave chercher les troupeaux, ce qui représente une vingtaine de jours pour le trajet alier et autant pour le retour. Ainsi, en septembre 1959, I’amghar des Dag Rali a fait remonter dans l’dtakor un troupeau d’une centaine de chamelles.

Chaque tribu a sa zone de repli vers le sud: les Kel Inrar dans le nord-est des Iforas, les Ait Loen au nord-ouest de l’Aïr, mais la plupart des grandes tribus en- voient leurs chamelles au Tamesna, où elles sont confiées aux tribus du Sud, sous la forme d’un prêt: les gardiens reçoivent le lait, mais les jeunes chamelons sont marqués au signe de la tribu prêteuse. Ainsi les Dag Rali, qui sont les plus riches propriétaires de chameaux du troupeau du Hoggar) prêtent la plupart de leurs bêtes, ce qui leur permet de répartir les risques. Les tribus du Tamesna font des déplacements atteignant 150 km, en hiver vers

les pâturages de djirdjir (Schouwia purpurea), qui engraissent les chameaux, en été vers les pâturages salés. Le troupeau des Kel Ahaggar s’élevait ainsi à 800 chameaux en 1938, tous au Tamesna; en 1955, ils en possédaient 7 550 au Tamesna et 4 500 au

;

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Nomades et nomadisme au Sahara

I In Salah

4' . Amguid 80

L é g e n d e - Rebord abrupt de plateau (Tassili). Limites des régions montagneuses. O 50 100 15OLm

FIG. 5. Le Hoggar et ses bordures.

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Problèmes des Touaregs du Hoggar

Hoggar. Cependant, entre les mains des Peulhs I3oror0, qui forent leurs propres puits, l’élevage bovin du Tamesna concurrence dangereusement les tribus du Hoggar, con- sidérées comme étrangères et payant une taxe de pacage à la République du Niger.

Les caravanes

Autrefois, à cause de l’état d’insécurité, les grandes caravanes évitaient le Hoggar et passaient plus à l’est, par Djanet. Depuis 1896, semble-t-il, devant la diminution de leurs ressources, la plupart des tribus touarègues ont développé un trafic qui leur est propre: au lieu de louer leurs chameaux ou d’effectuer des transports pour le compte de commerçants des grands souks, elles ont organisé un commerce à leur profit, mais, n’ayant pas de ressources locales à échanger, elles se sont spécialisées dans le commerce du sel, qu’elles vont chercher dans l’dmadror, au nord-est du Hoggar, et qu’elles vont vendre aux Noirs de la zone sahélienne, où il est préféré à celui de Bilma. C’est un commerce de troc: en 1938, une charge de sel s’échangeait contre 5 à 8 charges de mil mais, actuellement, par suite de la dévalorisation du sel, le rapport s’établit autour de 1 charge de sel pour 4 charges de mil.

Ce sont généralement des esclaves qui, en avril-mai, conduisent la caravane vers l’Amadror, soit 600 à 800 km aller et retour de dur parcours. Au retour, ils s’arrêtent dans les campements pour reposer leurs bêtes et repartent, souvent avec des Touaregs, pour le Tamesna, soit 600 à 700 km, où ils font halte un ou deux mois. Enfin, après 500 à 600 km, la caravane atteint le Damergou, où s’effectue l’échange. L a distance parcourue depuis les mines de sel est d’environ 1400 à 1600 km, soit près du double de celle parcourue par 1’Azalaï d’Agadès. Ils achètent, au retour, des selles, des armes, des sandales ou des fromages secs dans l’Aïr, qu’ils rapportent au souk de Tamanrasset. Une caravane comprend généralement une centaine de chameaux, mais 1 chameau sur 4 ou 5 seulement porte la charge de sel (50 à 60 kg). On estime que 3000 à 4000 chameaux participent chaque année à ce trafic, ce qui représente un sérieux déclin depuis quelques années, car on en comptait 5 O00 à 6 O00 en 1938 et 4000 ou 5000 en 1946l. Une activité commerciale de type aussi archaïque ne subsiste aujourd‘hui que grâce à la protection de l’administration, qui interdit aux camionneurs le transport du sel, laissant ce revenu aux nomades. Au retour, le mil est emmagasiné dans de petits greniers individuels en terre

battue qui rappellent beaucoup les greniers soudanais, car les Touaregs sont con- sommateurs de mil. Alors que les centres de culture du Hoggar produisent des céréales d’hiver (blé et orge) sur d’assez grandes surfaces, le mil, céréale d’été, n’est cultivé que sur quelques petits carrés où il voisine avec des légumes. Les Touaregs, qui trouvent le blé échauffant, préfèrent le vendre, ou plutôt l’échanger. Aussi un autre courant caravanier emportait4 traditionnellement une partie de la récolte de blé vers Djanet et surtout vers le Tidikelt, OU le grain était échangé contre des dattes, puisque les palmiers sont très rares et très mal entretenus au Hoggar. Celies-ci sont dénoyautées sur place pour diminuer leur poids. Mais ce courant d’échange a beau- coup plus souffert que le précédent: des pistes carrossables ont doublé les pistes caravanières, et le transport des dattes et du blé par camion n’est pas interdit mais seulement contingenté. Alors que les caravanes de sel sont généralement organisées par plusieurs campements, voire par toute une tribu, les caravanes de blé com- prennent en moyenne une dizaine de chameaux et sont organisées individuel- lement. Ainsi le Touareg, en dehors des produits de son troupeau, se nourrit de mil qu’il

échange contre du sel, et de dattes qu’il échange contre du blé. Le sel est extrait par les esclaves du campement, tandis que le blé est cultivé par les métayers dans les centres de culture.

1

1. M c i de 1938: rapport du capitaine Fiorimond; chiffrei de 19461 rapport du capitaine Cousin au CAEAM.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Les centres de culture

Les centres de culture (arrem) sont de création récente. V u l’aridité du climat, la culture ne peut être pratiquée que par des sédentaires qui creusent des foggaras dans les lits des oueds pour chercher l’eau dans la nappe alluviale. C’est un travail pénible, confié à des esclaves affranchis et surtout à des IIarratines venus du Tidikelt sur- peuplé et qui sont les métayers des Touaregs. I1 existe deux sortes de contrat: le khamessat traditionnel et l’uriZ, de plus en plus pratiqué aujourd’hui. Dans le premier cas, le Touareg fournit le jardin et la foggara aménagée à ses frais, les outils, les graines de semence et du mil pour la nourriture de son métayer jusqu’à la récolte; en échange de quoi il touche, lors du partage, les 4/5 de l’orge et du blé récoltés. Dans le second cas, le Touareg ne fournit que le jardin et la foggara et la moitié de la semence, mais ne touche que la moitié de la récolte de céréales.

Ayant peu confiance en ses khammès, le Touareg vient généralement s’installer auprès du centre de culture au moment de la récolte (en avril). Les centres de culture ne représentent qu’une très faible surface réellement cultivée (670 ha environ en blé et en orge), se situent surtout sur le pourtour de 1’Atakor et ne fournissent de revenus importants qu’aux tribus des Kel Rela, Dag Rali et Adjoun Télé. Les autres tribus ne tirent que de très faibles ressources de leurs jardins et sont plutôt caravanières.

Ainsi, avec des fortunes diverses, grâce à la multiplicité des sources de revenu, les Touaregs ont réussi à créer dans un pays aussi défavorisé une forme d’économie assez cohérente. Ils assuraient ainsi la subsistance du groupe, sans toutefois atteindre la richesse. En 1946, un Touareg disposait en moyenne, par an, de 145 kg de grain ou de dattes et de 1200 francs pour ses divers achats (thé et sucre)’.

Cet équilibre économique demeurait très fragile, et toute modification, même partielle, risquait de détruire l’ensemble et d’entraîner un brutal dépeuplement du pays. On a pu croire intacte cette société où la pénétration française a été tardive et incertaine jusqu’en 1920 et où les transformations économiques sont restées très limitées, vu l’extrême médiocrité des possibilités agricoles et minières (le Hoggar, dépourvu de pétrole, n’a connu que de petites missions de prospection minière). Or, malgré cela, elle est en cours d’évolution.

PROBLEMES ACTUELS ET PERSPECTIVES D’AVENIR

Protégés par l’administration, les Touaregs ont continué à mener la même vie insouciante et libre de toute contrainte, mais leur situation se transforme actuelle- ment en raison du déclin, lent au début, puis de plus en plus rapide, de leurs sources de revenu: Les troupeaux du Hoggar suffisent à peine à nourrir les campements et ne per-

mettent guère de gains. Seuls quelques chameaux sont vendus à la boucherie de Tamanrasset; d’autres, très rarement, sont loués à des touristes.

Le trafic caravanier rencontre une concurrence de plus en plus menaçante de la part des camionneurs, depuis la création du réseau routier transsaharien par Taman- rasset (après 1920), puis de pistes secondaires jusqu’au cœur de 1’Atakor (1952).

Pour encourager l’agriculture, l’administration a depuis peu décrété que désormais tout cultivateur qui défricherait une terre vierge en deviendrait le propriétaire. L’évolution ne s’est pas fait attendre, à Idelès, par exemple, où les Harratines commencent à déserter le centre de culture pour aller aménager des jardins à leur seul profit. Les Touaregs ont de plus en plus de difficulté à trouver des métayers.

En 1960, le tribut lui-même a été officiellement supprimé, mais la mesure est trop récente et les imrads semblent désireux de continuer à verser ce tribut qui leur vaut la bienveillance et la protection de l’aménokal.

1. R. C~wr-Rer (1953). p. 364.

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Problèmes des Touaregs du Hoggar

Enfin, l’abondance du gibier, signalée par certains rapports du début du siècle, a fortement diminué, par suite du remplacement de la chasse à courre, à l’aide de chiens et de lances, par la chasse au fusil.

Tandis que ses ressources diminuent, les besoins du Touareg augmentent. L’instal- lation de nombreuses boutiques à Tamanrasset lui a fait connaître toutes sortes d’objets nouveaux (lampes électriques, étoffes, aliments, etc.) qui sont en train de modifier ses habitudes de vie frugale, et lui font sentir sa pauvreté. Sans doute l’introduction de formes nouvelles d’économie a-t-elle créé des emplois

nouveaux, mais ceux-ci ont tous été accaparés par les autres éléments de la population: Les Mzabites monopolisent tout le commerce moderne et possèdent camions et boutiques, tandis que les Arabes du Nord, plus instruits, occupent les postes d’ouvriers spécialisés, de chauffeurs, ou, par exemple, de postiers.

Enfin, les Harratines ou les Noirs affranchis sont les seuls à accepter les emplois de manœuvres sur les chantiers: durant l’hiver 1959-1960,415 d’entre eux étaient employés au Bureau de recherches minières et sur les pistes.

Or, malgré le frein mis par l’administration, certains esclaves des campements touaregs tentent aussi de s’enrôler sur les chantiers. C’est sans doute la plus lourde menace qui pèse sur les Kel Ahaggar, car ils risquent de perdre rapidement tous leurs bergers, leurs caravaniers et leur personnel domestique.

Comment remédier à cette menace, qui risque de ruiner toute l’activité nomade ? Déjà sont tentées ou projetées des solutions nouvelles. On projette de donner une valeur réelle à un élevage dont l’état actuel est une adaptation, ingénieuse, certes, mais bien peu rentable, à des conditions particulièrement difficiles. Pour cela il faudrait obtenir des pâturages suffisants pour éviter l’envoi des chamelles au Ta- mesna. Dans ce but, le Hoggar a été choisi pour tenter une expérience qui pourrait transformer les conditions du nomadisme : il s’agit de provoquer des pluies artificiel- les à partir des concentrations relativement fréquentes de nuages sur 1’Atakor. D’autre part, l’observatoire de Tamanrasset a mis sur pied un réseau assez serré de pluviomètres dans l’dtakor, qui pourra, entre autres résultats, permettre de ren- seigner les Touaregs sur les quantités de pluies tombées et peut-être d’orienter leur organisation coutumière de mise en défense des pâturages. Ce sont là des projets, mais leur grand intérêt provient de ce qu’ils n’exigeraient pas une totale modification du genre de vie et une sédentarisation à tout prix.

Certains Touaregs pauvres de l’Est ou même certains Issakamarène à Idelès se mettent à la culture lors des années sèches, quand leur troupeau a été décimé, mais ils l’abandonnent lorsqu’une saison pluvieuse permet de reprendre la vie nomade. D’autres vont même travailler sur les chantiers. Mais il s’agit là de cas isolés, car le travail manuel reste toujours pour le Touareg le signe d’une totale déchéance.

D’autre part, les premiers efforts de scolarisation au Hoggar ont porté sur les campements touaregs, avec la mise sur pied d’écoles nomades. Malheureusement l’effectif scolarisable se réduit, pour un instituteur de campement, à une dizaine d’enfants, ce qui rend l’opération extrêmement coûteuse. Et pourtant les résultats furent décevants dans les classes nomades, alors que les jeunes Noirs des centres de culture font des progrès plus rapides. Deux écoles nomades fonctionnent au campe- ment de l’aménokal et au Tamesna, mais l’effort de scolarisation porte aujourd’hui principalement sur les centres de culture. I1 y a d’ailleurs contradiction entre la vie du campement et l’instruction moderne, comme le montrent les rares exemples de jeunes Touaregs instruits à l’école nomade: ils cherchent des emplois de secrétaire à la mairie, de chef magasinier dans une compagnie minière, de gendarme, etc., toutes fonctions qu’ils ne peuvent trouver qu’à Tamanrasset, où 4 ou 5 d’entre eux tra- vaillent actuellement. En apparence du moins, les Kel Ahaggar restent ces beaux types de nomades

popularisés par les romans et la publicité touristique, avec leur costume indigo,

6.5

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Nomades et nomadisme au Sahara

agrémenté parfois de voiles blancs les jours de fête, leur litham sombre rabattu Bur le visage, la takouba pendue au côté, figures énigmatiques auréolées du prestige d’une race fière et jamais asservie. Mais cette façade cache en réalité de profonds change- ments. Le groupe ethnique perd sa cohésion car la langue est supplantée par l’arabe ou le

français dans les relations extérieures. La riche poésie épique disparaît avec la guerre. Enfin, les Touaregs, peu prolifiques, voient se multiplier les Harratines et les Arabes qui immigrent au Hoggar et ont une plus forte natalité.

L a société demeurait figée dans les rapports de force du début du siècle. Mais peu à peu la considération tend à passer des plus forts (Kel Rela) aux plus riches (Dag Rali, gens du Tameena) à l’intérieur du groupe touareg. Fait bien plus important: dans l’ensemble du Hoggar, les ((inférieurs B de l’ancienne hiérarchie et les étrangers sont en train de dépasser leurs anciens maîtres en richesse et en valeur technique.

Dans l’ordre économique, les Touaregs avaient réalisé une adaptation ingénieuse aux conditions naturelles et aux possibilités stratégiques de leur pays: la guerre et l’élevage, puis l’élevage, le commerce et l’agriculture, assuraient à l’ensemble du groupe une vie frugale. Aujourd’hui, des conditions nouvelles remettent cet équilibre en question. Les Touaregs seront-ils balayés par de nouveaux groupes humains plus dynamiques

et moins paralysés par une tradition aristocratique ? La vie nomade, qui faisait jadis leur force, devient une des causes de leur infériorité car, trop attachés à cette vie libre et dégagée de toute contrainte, ils s’adaptent difficilement à la vie sédentaire et au respect de contraintes modernes.

Les problèmes des Touaregs du Hoggar ne sont donc pas seulement d’ordre eth- nique, social et économique, mais encore, dans une certaine mesure, d’ordre psycho- logique. Les Touaregs ont comme tous les nomades une mentalité particuliere qui les rend pour la plupart indifférents à la transformation des idées et des mœurs qu’ont entraînée les révolutions techniques et la vie moderne au Sahara.

BIBLIOGRAPHIE

Outre les titres décrits B la bibliographie générale, on peut citer, du point de vue surtout ethnographique: BLANGUERNON. C. (1955), Le Hoggar, Paris, Arthaud, 208 p., pl.. cartes, in-8”. DUBIEF, J. (1942), 6 Les chronologies des Kel Ahaggar et des Tatoq B, TIRS, I, p. 07-132. - (1956), a Les Oûraghen des Kel Ajjer. Chronologie et nomadisme B, TIRS, XIV, p. 85-137. FOLEY, H. (1930), Mœurs et médecine des Touaregs de l’Ahaggar; Alger, Imprimerie La Typo-

LHOTE, H. (1947). Comment campent les Touaregs, Paris, J. Susse, 162 p., ill., pl., cartes, in-8”. MoIfEL, M. H. (1941), *Essai sur la longévité et les causes de mortalité chez les Touaregs de

- (1947), 6 Remarques s u la vie mentale et les gestes des Touaregs de l’Ahaggar e, TIRS, XV,

MOUNIER, It. (1942). a Le travail des peaux chez les Touaregs Hoggar D, TIRS, I, p. 133-169,

SANLAVILLE, P. (1957). 6 Les centres de culture de l’Ahaggar ,,Revue de géographie de Lyon, Lyon,

litho, 123 p., pl., cartes, bibliogr., in-8’.

l’Ahaggar Q, Archives de l’Institut Pasteur d’Algérie, Alger, XE, 4, p. 454-464.

p. 127-144.

bibliogr.

p. 333-342.

66

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C H A P I T R E V I

L’évolution de la nomadisation en Mauritanie sahélienne

par CE. TOUPET

Avec la Cyrénaïque et l’ancienne Transjordanie, la Mauritanie est sans doute le seul pays au monde dont la population soit en très forte majorité nomade. Sur environ 700 O00 personnes, près de 500 O00 vivent de la nomadisationl. D e plus, la population urbaine ne représente que 7% du total, ce qui est le chifïre le plus faible de tous les $hats de l’Afrique de l’ouest. Aussi la majeure partie du gouvernement central n’est-elle pas issue des couches citadines, mais est au contraire recrutée parmiles chefs de tribu habitués à vivre les problèmes de la nomadisation. Enfin, ce n’est que tout récemment que l’industrie a pénétré en Mauritanie. L a société maure résulte de l’influence dominante prise sur le peuplement berbère

ancien par les conquérants arabes Beni Hassan arrivés du Sud marocain a u XIP siècle. Si la langue arabe s’est imposée, les Beni Hassan ont dominé le pays incom- plètement; le mouvement maraboutique du XVP siècle aboutit à la création de puis- santes tribus berbères d’origine. Au total, ces derniers détiennent l’émirat du Tagant, tandis que ceux de Trarza, Adrar et Brakna sont aux mains de Beni Hassan.

L e système de castes hiérarchisées aboutit à l’organisation la plus solide du Sahara. Cependant, m ê m e ici, le système est extrêmement fluide. Les guerriers et les mara- boutiques forment deux castes dirigeantes qui ne sont jamais qu’une minorité a u sein des groupes tribaux qu’ils ont rassemblés. Les premiers, vivant de la protection par les armes, ont plus pâti de la sécurité actuelle que les seconds dont le prestige plus stable est une source de richesse considérable.

L a grande majorité des nomades blancs (beidune) est composée, au sein des tribus, par les pasteurs tributaires (renuga). I1 s’y ajoute les deux castes spécialisées et peu nombreuses des forgerons (maalemin) et des griots, chantres-musiciens. L a minorité noire intégrée aux tribus est formée d’esclaves ou serviteurs employés au campement ou dans les cultures, et d’harratines, affranchis mais non indépendants, qui sont surtout cultivateurs. L a proportion des Noirs vivant dans les tribus est mal connue, un peu plus du quart chez les Kounta de Moudjeria2.

Les redevances payées par les tributaires ou les harratines s’adressent en général précisément à une tente de guerriers, comme la horma ou à une tente de religieux comme la gubodt3. Mais certains prélèvements se font au profit de l’émir, c o m m e le dixième de la récolte du mil. Les bénéficiaires se doivent de redistribuer tout cela à leur entourage, famille et clientèle.

1. Y compris 100 O00 Noh ddentairei. 1. Recensement du résident Fugetts en 1951. 3. un QOUlOlI PU‘ tent0 tributah et p u M.

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Nomades et nomadisme au Sahara

I I

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-, O

N,

I FIG. 6. Nomadisation en Mauritanie.

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L’évolution de la nomadisatwn en Mauritanie sahélienne

L a variété de statut à l’intérieur d’une tribu apparaît par exemple chez les Ouled Biri du Trarza’: 300 familles de descendants de l’ancêtre Biri; 500 familles d’étrangers 4 nobles 1); 200 familles d’étrangers associés pour le paiement de la diya; 300 familles d’étrangers tributaires; 220 familles d’harratines; 90 familles de maalemin.

Mais, bien souvent, cette architecture est temporaire; non seulement un groupe de familles peut changer de protecteurs nobles, ce que l’administration française a favorisé au profit des religieux et au détriment des guerriers, mais aussi un groupe peut changer exceptionnellement de caste, comme le groupe de maalemin Ouled Rgueg annobli par l’émir du Trarza. A cette variété de la composition sociale des tribus s’ajoutent les multiples nuances

dialectales qui les différencient ainsi que les nombreuses affiliations aux confréries religieuses rattachées aux principales 4 voies )) mystiques de l’islam. Cependant, la stabilité d’ensemble de la société maure apparaît surtout dans la solidité du nomadisme pastoral, surtout au Sahel.

VIA PASTORALE

Pluies et paturages

Adossée au tropique du Cancer, limite ultime des pluies tropicales d’été, et soumise aux alizés desséchants, la Mauritanie sahélienne peut être limitée au nord par riso- hyète 50 mm, qui rejette dans le Sahara tout le nord de l’Adrar, et au sud par l’iso- hyète 500 mm, qui correspond grosso modo à la frontière mauritano-soudanienne où apparaissent brusquement les beaux champs de mil en culture sèche étendus autour des gros villages concentrés des Sarakolé. Sur plus de 600 O00 km2, à peine 1% est consacré en bonne année aux palmeraies et aux cultures de décrue qui cernent les berges des oueds et des mares temporaires.

Vers le nord, les moyennes annuelles s’abaissent de 250 à 50 mm, mais les écarts annuels sont considérables: Atar a reçu 31 mm en 1928 mais 247 mm l’année précé- dente; la saison des pluies est réduite à quelques fortes ondées, espacées souvent de plusieurs semaines, incapables d’entretenir la végétation temporaire qu’elles ont fait naître. Dans le Sud, où les moyennes annuelles augmentent de 250 à 500 mm, les pluies sont mieux réparties et la saison pluvieuse s’allonge: à Nouakchott, Boutiiimit, Tidjikja, elle débute en juillet2, mais à Aleg, Moudjéria, Kiffa, Aioun el Atrouss, en juin, et eníin, au sud-est, entre Sélibaby et Néma, en mai.

Les variations annuelles, bien qu’atténuées, demeurent une menace pour les éle- veurs; dans le H o d h ou le Tagant, certaines années, la saison sèche se prolonge jusqu’au 15 août: les troupeaux sont chassés jusqu’au Soudan, ou m ê m e décimés.

L e paysage dominant est la steppe de graminées à acacias: elle se dégrade vers le nord en touffes isolées de hâd (Cornulaca monacantha) et de sbât (Aristida pungens) et s’enrichit vers le sud de nombreuses espèces soudano-deccaniennes pour former un tapis continu de hautes herbes d’où émergent les acacias, les combrétacées, les asclépiadacées, les capparidacées, le techot et m ê m e le baobab et le dumbu annoncia- teurs des savanes souda ni en ne^^.

L a composition des troupeaux varie donc selon la latitude. Dans le Sahel méridio- nal règnent les bovins, qui se contentent aisément de la paille subsistant la plus grande partie de la saison sèche; ils doivent être abreuvés chaque jour et leurs faibles possibilités de déplacement exigent des points d’eau rapprochés; enfin, ils ne peuvent aller dans les dunes. Ils ne dépassent guère I’isohyète 200 mm. Moutons et chèvres, plus rustiques, plus mobiles, attaquant les feuillages quand l’herbe manque, se

1. Dnsrs (1953). p 147. 2. Now WOD. choui comme début dei pluies le premier m o u durant lequel les précipitationi sont en moyenne supérieures 110 mm. 3. A. nibiica. A. aénégd. A. fha. A. raddiena; C. aculcaium; Caloiropia procara; Lapiadenia apariurn;Maerna craaaiJolio; Borcio icnegalenaia; Balanitu mgypiiaca; Adamonia digiiaia; Sclerocarya birrea.

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Nomades et nomadisme au Sahara

contentent d’un abreuvage tous les deux jours en période chaude. On les rencontre en nombreux troupeaux indisciplinés dans tout le Sahel. Dès les confins du Sahara règne le chameau. I1 ne peut vivre dans les régions trop

arrosées du Sud, où pullule la tabourit’. I1 trouve dans le Nord ses aliments préférés: le had, le sbât, l’aouaraj (Calligonum comosum) et l’askaf salé. I1 est capable, au repos, de ne pas boire pendant une semaine et sa grande sobriété lui confère la mo- bilité nécessaire pour parcourir de vastes espaces sans eau.

L a règle générale des pasteurs sahéliens est de se contenter des pâturages méri- dionaux en saison sèche (hiver) et de rechercher les pâturages les plus septentrionaux en saison humide. Le mouvement des campements et des troupeaux affecte ainsi une forme pendulaire d’ampleur variable selon que l’année est plus ou moins plu- vieuse. Depuis une quinzaine d’années, les déplacements sont de quelques dizaines de kilomètres dans le Sud et atteignent 200 k m dans le Nord. Les parcours sont pro- priété collective des fractions. Par exception, enfreignent ces droits: les Reguibat au nord en année sèche et au sud les Peuls qui s’infiltrent en Mauritanie. Dès qu’ils possèdent des terrains de culture et des palmeraies, les pasteurs maures

sont tentés d’y effectuer des séjours aux périodes de récolte. Ils deviennent des semi- nomades. Leurs pérégrinations sont toujours dominées par le balancement des pluies mais affectées aussi par l’emplacement des champs et des palmeraies. Surtout le rythme du déplacement est différent: tandis que le nomade pur, très mobile, aban- donne un pâturage dès qu’il est rasé par ses troupeaux, le semi-nomade effectue plutôt une série de stations qui peuvent durer plusieurs mois sur des pâturages abondants. Les déménagements moins fréquents, la densité des pâturages de paille du Sud et la possession de provisions de dattes et de mil autorisent le rassemblement de campements de grande taille. Si les nomades, aux franges du Sahara, se dispersent en une multitude d’infimes campements familiaux de quelques tentes, au contraire la moyenne des campements de semi-nomades sahéliens est d’une trentaine de tentes et les grands groupements autour d’un émir ou d’un marabout célèbre peuvent atteindre une centaine de tentes, vivant plus des redevances que des ressources rurales directement.

L’élevage est si essentiel en Mauritanie, le cheptel est tellement l’équivalent du capital, que les Maures qui ont échappé à la vie nomade - citadins, commerçants ou fonctionnaires enrichis - achètent avec leurs gains des troupeaux qu’ils confient à des bergers. Cependant, les pasteurs ont de faibles capacités techniques. Si le choix des pâturages et la recherche des animaux égarés exigent des sens aiguisés, la sé- lection du bétail et l’entretien du pâturage n’existent pas, et les bœufs sont moins bien soignés que par les Peuls. De même, les champs ne sont pas gardés contre le bétail, et même les harratines qui les cultivent temporairement vivent sous la tente et ne sont en rien des paysans.

Exemples de nomadisation Les quatre exemples portés sur les fig.7,8,9 et 10 montrent le cycle annuel parcouru par les Ahel N o h (i), grands chameliers, les Ahel bou lobat (2), à la fois chameliers et bouviers, les Ladem (3), semi-nomades bouviers, et les Haïballah (4), semi-nomades bouviers ayant des cultures importantes. Chez tous ces éleveurs on distingue les trois périodes de l’année, saison sèche froide de l’hiver, saison sèche chaude du printemps, où l’abreuvage et l’alimentation du bétail sont le plus difficile, et saison humide d’été, la plus facile. De plus, les nomades qui possèdent des palmeraies y passent la gatna, période de récolte des dattes en fin de saison chaude et sèche (juillet). Les campements sont peu nombreux chez les chameliers Ahel Noh - 10 à 12 tentes - plus importants dans les autres cas - une trentaine de tentes chez les IIaïballah. 1. Mouche porteune d’une v&étA de txypano#ornieie.

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L'évolution de la nomadisation en Mauritanie sahélienne

Cuesta- - - - _ _ - - - - - - --c.C E Duner - - - - __ - - - - ---.

Campement de saison siche froide k 1 1 printemps, - - ___ C I I raison humide - --i ( et de fin de raison sèche chaude)

II

I I

A x e de nornadiration - - - - LI I K m O 10 20 SO 40 5OKn

FIG. 7. Nomadisation des Ahel Noh.

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Nomades et nomadisme au Sahara

i iebord du plateau _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ erraina de culture- _ _ _ _ _____a luita aal;. O

:amp.ment de gatno- _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ A II II .abon humide-----A

II II I I &he froide--A

II I I II II chaude-A

tin;ra;re charneliera- - - - _I - bouviers- _ _ - - - __--- II

Km.0 10 20 30 40 50Km. L 1

FIG. 8. Nomadisation dcs Ahel bou lobat.

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L’évolution de la nomadisation en Mauritanie sahélienne

\ \ \

/ / ( Z O N E DES ADOUABAS

FIG. 9. Nomadisation des Ladern du IIodh.

O AÏOU N - EL -AT R O uss

Mare _ _ _ _ - - _ _ _ - - - - - - - - _ _ _ - Terrains de culture- _ _ _ _ _ -E campemen1 de saison hum;de--A

II I I I I sache froidc-b

I I I I II II chaude-b

Axe ¿e nomadi?aiion _ _ _ _ _ _ _ _ _ . .

tmO 10 20 30 40 SOKm I I I I I I

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Nomades et nomadisme au Sahara

/

Mare d'épandage- - - - ---E Rebord du plateau--- - _-_- For& d'acacias- - - _ _ _ - --E Terrains de culturo- - - _ _ - E c a m p e m e n t d e gaba,---- - B

I I de saison hum;de---- 4 II II II riche froide---/!

II I I I I I I chaude--L , .

Axe d e nomadisation--

Km.0 2 4 6 8 IOKI L I ' I I 1

FIG. 10. Nomadisation des HaTballah.

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L’évolution de la nomadisation en Mauritanie sahélienne

Les chameliers parcourent de grandes distances. Lorsque les bons pâturages se succèdent, ils ne montent même pas la tente et suivent chaque jour la marche des troupeaux (1). Le cycle chamelier s’inverse chez les éleveurs (2) qui atteignent, très au nord, les régions de pluies d’hiver. Ce très long parcours des chameaux est accom- pagné seulement par les bergers, jeunes nobles ou serviteurs, tandis qu’ici les familles, peu mobiles, suivent seulement le déplacement des bovins. Les déplacements des éleveurs de bovins, de moutons et de chèvres sont modestes

(2, 3 et 4) et assez simples par eux-mêmes. Mais ils s’associent aux stations néces- sitées par les cultures. Les tribus qui ont des palmeraies y passent la gatna (2 et 4), à la fois pour profiter des ombrages, se gaver de dattes vertes (Z’blah) et faire pro- vision de dattes mûres. Les éleveurs s’intéressent aux cultures de décrue seulement pour assister à la récolte du mil et prendre leur part (3 et 4). L’intégration de l’élevage nomade et des cultures est particulièrement complexe

chez les Haïballah (4), fraction des Kounta ayant pour domaine principal la vallée de Tamourt en Naaj. Le cycle annuel, commencé pendant la gatna à El Fejha, se poursuit sur les pâturages de plateau pendant les pluies, puis plus au nord, à proxi- mité des cultures de mil qu’on récolte en saison sèche froide, pour se terminer dans la forêt d’acacias, seule ressource pour le bétail en saison sèche et chaude.

Attirance des pays du sud

Tous les témoignages concordent pour mettre en évidence un vaste mouvement de la population maure du nord vers le sud. L a raison la plus claire est que, les tribus maures venant du Sud marocain, les dernières arrivées ont poussé les premières vers le sud; encore au cours du xxe siècle, la grande tribu des Ouled bou Sbaa a glissé le long de la côte, de l’oued Dra au Tiris; elle est maintenant solidement installée dans le Guebla (ouest) mauritanien’. Mais, à l’intérieur même de la Mauritanie, on constate une migration du Sahara

vers le Sahel; ainsi, un certain nombre de familles Reguibat se sont installées en moyenne Mauritanie, des riches pour y jouir d’une vie moins rude, des pauvres parce qu’ils n’avaient plus les moyens de faire face aux exigences de la vie au désert. De même des tribus maraboutiques c o m m e les Ideybousat et les Kounta qui, à la fin du ~ 1 x 0 siècle, nomadisaient dans le Tiris ont recherché une sécurité politique et climatique plus grande au Tagant ou dans le Hodh2. En continuant son mouvement vers le sud, une tribu maure risque de disparaître

car elle atteint la zone des grandes endémies tropicales auxquelles des organismes habitués à la sécheresse purificatricc du Sahara n’offrent aucune résistance. Le pro- verbe dit bien: le pays des Noirs tue les Blancs3. Ce mouvement pastoral vers le sud est prolongé par l’attraction du Sénégal, qui n’a fait que croître sous l’administration française.

D’une part, l’influence des grands marabouts maures (Quadriya et Tidjaniya) s’exerce sur les populations de Sénégambie parmi lesquelles ils effectuent des tour- nées de redevances fort rémunératrices. Beaucoup de Maures se sont ainsi installés dans les villes du Sénégal et surtout à Dakar4. D’autre part, le Sénégal offre aux éleveurs de Mauritanie un marché très appré-

ciable. Par exemple, un commerçant torkoz visite les campements de pasteurs et achète à crédit, selon le barème des prix pratiqués dans le Tagant, des troupeaux de bœufs, de boucs et de moutons (presque exclusivement des mâles). I1 les confie à un berger qui les mènera en cinq ou six semaines, afin de ne pas les fatiguer, sur les - 1. H. 2. Boiaicm~. 1948. 3. BOUE~Q. 1938. 4. Selon lo reoenaement effectué par le S e M c e des statistiquei en 1955. Dakar compte 5 455 Meure., dont 19% y vivent tem-

(1939). a Ler tribw du Sahel mauritanien et du Rio de Oro. II Lei Ouled bou Sbe v, BiJan. 2-3. p. 387-629.

porairement. Il m’agit emicntieiicment de petirs c o m m q n n u et de bouchers1 nur 470 bouchers, 215 mont d’origine maure.

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Nomades et nomadisme au Sahara

grands marchés du Sénégal: Louga, Diourbel, Thiès et surtout Dakar. Aux bouchers maures de ces centres ‘il vend ses bêtes à un cours beaucoup plus élevé que celui du Tagant. De retour, il rembourse les pasteurs, en tissus et autres articles européens, à un cours naturellement avantageux, et réalise un double bénéfice. I1 organise deux voyages par an, l’un à la fin de l’hivernage, l’autre avant la Korité (fête musulmane de l’Aïd el Kebir). Même en comptant le déchet du bétail pendant le trajet, qui peut atteindre 20%, et le salaire du berger (6 O00 francs par voyage, plus le prix du retour en camion), il reste un bénéfice considérable’.

EFFETS DE LA COLONISATION

L’implantation d’une administration française a provoqué des transformations profondes: la sécurité a modifié les rapports de force des différentes catégories so- ciales; la vie urbaine a été favorisée. I1 est certain, en outre, que la population s’ac- croît rapidement, beaucoup plus vite pour les Noirs, harratines ou serviteurs, que pour les Blancs, au moins dans le sud du pays2.

Vie agricole et exode de la main-d‘œuvre L a pacification a contribué à peupler le Sahel aux dépens du Sahara. Tout d’abord, l’attraction des ports, l’essor du trafic automobile et aérien, ont ruiné les caravanes chamelières qui étaient une ressource considérable pour les nobles. Dans tout le Sahel les chameaux disparaissent, remplacés par les bovins. En 1900, une chamelle valait trois fois plus qu’une vache, de nos jours, à peine un peu plus qu’une vache. L’élevage des bovins (et aussi des ovins et des caprins) était au contraire favorisé par une politique efficace de forage de puits profonds et assez rapprochés pour permettre l’exploitation rationnelie complète en particulier dans le Trarza et le Hodh.

Cependant, l’administration, inquiète de constater ce glissement des populations vers le sud, entreprit de les ((fixer)) par le développement des cultures. Si ce but ne fut pas atteint, les palmeraies ont été multipliées. Ainsi, de nombreux chefs de frac- tioli, encouragés par des prêts, créèrent, dans le Tagant, I’Affollé, l’Assaba, des palmeraies qui sont aujourd’hui en pleine production. La construction de barrages de culture de décrue, dont on a voulu inconsidérément faire la panacée contre tous les m a u x de l’économie maure, a contribué à mieux nourrir les populations et, dans une certaine mesure, à les retenir dans le Sahel.

Il est indéniable que ces impulsions administratives accommodées de prêts et d’aide technique ont précipité le passage de la nomadisation à la semi-nomadisation. Toutes les observations que l’on peut faire en Mauritanie vont dans le sens des conclusions de J. Dresch à propos de l’essor du peuplement en zone sahélienne3. Mais cette transformation, qui aboutit à un nouvel aménagement du Sahel, pose aux Maures le redoutable problème de la main-d’aune. Si les Maures ne croient pas déchoir en soignant eux-mêmes leurs chameaux, ils

répugnent par contre à s’occuper des bovins, des ovins et des caprins, qu’ils confient à des bergers. De même, certains nobles estiment honorable de planter des palmiers, voire de les soigner, mais ils considèrent comme inconcevable de semer du mil. Ainsi, les 70 O00 tonnes de mil qui font vivre la Mauritanie sont exclusivement produites par des serviteurs et des harratines, piliers de l’économie maure.

Avec la pacification, ces serviteurs ont pris peu à peu conscience de leur situation et la plupart se sont enfuis au Soudan ou au Sénégal, où ils deviennent socialement libres. Cette émigration revêt deux formes : émigration saisonnière ou émigration dé-

1. TOUPET (1958). p. 97. 2. Accroissement annuel de 1.5 “1.. dei premiers, de i i/w des ieconda. (Document de travail de la Mission socidconomique du

3. J. DUESCH (1959). a L i transformations du Sahel nigdrien e, Acto geographica. juin 1959. fase. 30. p. 3-12.1 carte. 3 photon. Sénégal.)

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L’évolution de la nomadisation en Mauritanie sahéîienne

finitive. L’émigration saisonnière, qui est essentiellement liée au rythme du travail, est surtout le fait des harratines. De juiiiet à janvier, ils cultivent champs et palme- raies et, de janvier à juillet, ils vont travailler sur le fleuve, à Dakar, à Nioro, à Ba- mako même, les hommes sur les chantiers, comme manœuvres, les femmes comme pileuses.

Cette émigration temporaire, admise par les nobles, qui en tirent de l’argent, s’est peu à peu transformée en émigration définitive et l’exemple des harratines a été suivi par les serviteurs. I1 est impossible de chiffrer ce vaste mouvement; nous avons visité dans le Tagant de nombreux campements où ne restent que quelques servantes : tous les hommes ont définitivement émigré. Ainsi risque de se désagréger une société dont on peut percevoir déjà certains signes de déclin.

Désorganisation de la société et urbanisation Avec la sécurité, les redevances traditionnelles ont perdu leur raison d’être et ont été rachetées par les tributaires. Guerriers et marabouts ont ainsi perdu des revenus. En même temps l’enseignement religieux a périclité.

L’affaiblissement de la solidarité tribale a orienté vers les postes administratifs de nombreux isolés, ce qui a déterminé un essor des villes. Mais, si les nomades étaient attirés par l’espoir d’une vie sans risque et d’un salaire, de petites villes purement administratives n’ont pu employer tout le monde: de nombreux oisifs ont pris l’habitude de vivre aux dépens des fonctionnaires ou des commerçants. Ces derniers se multiplient en nombre excessif et grèvent lourdement l’économie du pays par l’usure et la pratique de bénéfices excessifs. Ainsi, sans progrès technique, l’urbani- sation n’est guère souhaitable. Une viiie administrative moyenne comme Tidjikja n’emploie pas plus de 200 manœuvres et ses maisons se transforment vite en taudis où les maladies se multiplient.

i\lODERNISATION DE LA SOCIETE MAURE

L’industrie peut être un remède efficace au sous-emploi tout en accentuant la tendance à la sédentarisation. E n Mauritanie, les perspectives restent modestes. A plein régime de production, MIFERMA (Mines de fer de Mauritanie, Fort-Gouraud) ne fera appel qu’à quelque quinze cents travailleurs qui feront vivre environ 10 O00 personnes. Le piquetage et la construction de la voie ferrée Fort-Gouraud-Port- Etienne engendrent néanmoins la fixation de camps de travailleurs avec leurs fa- milles; des nomades de la baie du Lévrier se montrent disposés à se sédentariser1. I1 sera très instructif de suivre le développement de ce double mouvement d’industria- lisation et de fixation.

La scolarisation, en plein essor, peut être un facteur décisif dans l’évolution de la nomadisation en Mauritanie. I1 convient de distinguer les écoles urbaines des écoles de campement, dont le remarquable développement est récent. Les premières s’adres- sent presque exclusivement à des enfants de citadins; c’est ainsi qu’à Moudjéria, en novembre 1959, sur un total de 141 élèves (cours préparatoire, cours élémentaire, cours moyen) on ne compte que 21 enfants issus de familles guerrières - encore est-ce grâce à un effort tout récent de l’émir du Tagant - et seulement 5 enfants venus de campements maraboutiques. Tous les autres sont fils de forgerons, de harratines et surtout de fonctionnaires africains. I1 semble donc actuellement que l’école est essen- tiellement ouverte aux enfants du village et.qu’elle accentue le divorce entre la société nomade et la société citadine. , ,

Dans toute la subdivision de Mouùjéria, peuplée d’environ 18 O00 nomades, on ne recense qu’une école de campement avec trois classes et trois écoles avec une classe.

1. Renmcigncment communiqué par M. Y. Mersadier. . -

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Nomades et nomadisme au Sahara

Mais ce déséquilibre est en voie d’être comblé rapidement; les chefs traditionnels ont perdu beaucoup de leur prévention à l’égard d’un enseignement laïc dont ils jugeaient ia concurrence catastrophique pour l’enseignement maraboutique. Le m ê m e chef de tribu qui, il y a dix ans, n’envoyait à l’école que des fils de serviteurs ou de forgerons parce que l’administrateur lui réclamait un certain nombre d’élèves, y envoie au- jourd’hui ses fils et ses neveux. Les gens de l’Adrar et du Trarza, plus évolués que ceux du Tagant ou du Hodh, acceptent même que leurs filles fréquentent l’école. Trois facteurs ont facilité l’essor scolaire: l’accession de la Mauritanie à I’indé-

pendance, exigeant de nombreux cadres rompus aux disciplines occidentales; une politique judicieuse de la part de la Direction de l’enseignement qui a consisté à dis- penser dans la m ê m e école l’enseignement de l’arabe, confié à des maîtres diplômés, et l’enseignement du français et des disciplines modernes, confiés à des instituteurs; la multiplication des écoles de campement enfin, qui permet aux enfants de rester dans le cadre de leur famille. Les remarquables progrès de cet enseignement nomade permettent que la scolarisation ne s’oppose pas automatiquement à la nomadisation. Tout au plus avons-nous noté que la plupart des écoles nomades étaient installées à des lieux de ralliement des campements, et qu’elles pouvaient devenir le point de cristallisation d’un futur village.

Malgré l’existence de facteurs nouveaux de transformation, la nomadisation et surtout la semi-nomadisation demeurent le mode d’aménagement le mieux adapté au pays, ce qui ne veut pas dire que des efforts considérables ne doivent être entrepris pour réformer les techniques et les conceptions sociales. Les éleveurs maures ne pratiquent ni la régénération des pâturages ni le stockage du foin. I1 est certain que, faute de ces techniques, bien des semi-nomades, qui ont l’habitude chaque année de retrouver les mêmes pâturages aux mêmes saisons, se privent ainsi d’une ressource considérable. I1 semble que la technique de la conservation fourragère ne soit incom- patible ni avec le régime de l’appropriation tribale des terrains de parcours, ni avec une nomadisation qui comporte des stations prolongées toujours aux mêmes endroits.

Encore faut-il que la Mauritanie bénéficie enfin de recherches zootechniques et de recherches de grande ampleur sur les fourrages. I1 est indispensable d’expérimenter ces techniques dans une station d’essai qui reste, hélas! à construire en zone sahélienne, avant de les diffuser avec quelque chance de succès parmi les éleveurs nomades; cette diffusion ne pourra réussir que si l’on s’efforce de former des cadres mauritaniens issus des tribus, qui soient des agents de vulgarisation. Dans ce domaine, presque tout est encore à faire. D’autre part, il est bien évident que le mouvement légitime d’émigration des travailleurs ne fera que croître si les élites mauritaniennes ne veulent pas offrir aux travailleurs noirs qui ont fait leur richesse une participation dans la dignité à l’élaboration Z u n e Mauritanie nouvelle.

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L'évolution de la nomadisation en Mauritanie sahélienne

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C H A P I T R E V I 1

Le nomadisme des Toubous par R. CAPOT-REY

A u sud-ouest de la Libye vivent des populations que les Arabes désignent sousle n o m de Toubous et qui s’appellent elles-mêmes Teda dans le massif du Tibesti, Daza dans les plaines qui l’entourent, ces derniers étant plus connus sous le n o m arabe de Goranes. Les deux groupes teda et daza ont des parlers distincts, mais très voisins; ils mènent un genre de vie semblable; ils possèdent en commun beaucoup de traits de civilisation matérielle et de vie sociale; ils constituent une des grandes unités eth- niques du Sahara. Le domaine toubou s’étend sur quatre Etats différents: Egypte, Libye, Tchad et

Niger, depuis les a oasis perdues )) du désert égyptien, Arkenou et Ouenat, jusqu’au Kaouar et au Manga, depuis le Fezzan méridional jusqu’au Bahr el Ghazal. Sur cet immense domaine, à peine inférieur à celui qu’occupent les Touaregs dans le Sahara central, les Toubous sont moitié moins nombreux que ceux-ci car, même si on leur rattache des groupes linguistiquement différents comme les Bideyat de 1’Ennedi et les Zaghaoua du Ouadaï, on n’arrive pas tout à fait à un total de 200 O00 individus, les groupes les plus nombreux étant ceux qui habitent hors du désert, en zone sahé- lienne, tels les Kecherda du Bahr el Ghazal, qui représentent à eux seuls le quart de la population touboue.

Ces concentrations sahéliennes mises à part, il s’agit d’un peuplement extrême- ment dilué, inégalement réparti, mais ne présentant pas de contrastes aussi accentués que ceux qui existent, dans le Sahara du Nord, entre les oasis et le Sahara au sens que donnent à ce mot les autochtones, la steppe désertique. L a population sédentaire du Borkou ne représente pas le dixième de celle du Fezzan; nulle part on n’y rencontre de densités supérieures à 10 habitants à l’hectare, comme cela est courant dans les Ziban, dans le Souf ou dans la Saoura. En revanche il n’existe pas ici de désert absolu comparable à 1’Edeyen de Mourzouk ou au Tanezrouft; le Ténéré lui-même, au sud de Dilma, était, jusquà une époque récente, traversé par les rezzous toubous et il offre encore dans sa partie méridionale de beaux pâturages à chameaux. Une circulation aux buts divers, pastorale, commerciale, familiale - on serait tenté de dire touristique tant il y a de fantaisie dans les déplacements - diffuse un peu de vie dans des régions qui comptent parmi les plus arides de la planète.

LA CIVILISATION TOUBOUE L’origine de cette population est obscure et sa place, par rapport aux deux grandes races qui se partagent le Sahara, difficile à définir. Par la couleur de la peau, qui va du bistre clair au noir d’ébène, le nez épaté, les lèvres épaisses et éversées, les Toubous

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Nomades et nomadisme au Sahara

semblent de prime abord appartenir à la race noire et l’explorateur Barth les avait rapprochés des nègres du Kanem, qui parlent une langue voisine du tedaga-dazaga. Mais tous les traits du visage ne sont pas négroIdes, surtout chez les femmes, et le moins prévenu distinguera immédiatement les Goranes du Tchad des Noirs qui vivent au milieu d’eux.

Avant I3arth d’autres voyageurs européens, frappés précisément par la finesse de certains traits du visage, avaient considéré les Toubous c omme des Blancs, parents des Berbères. Tel était déjà le sentiment des auteurs arabes du moyen âge: Makrizi tenait pour des Berbères les Bedjah, qui sont peut-être les ancêtres des Bideyat, les actuels habitants de l’Ennedi, et Léon l’Africain rangeait les Berdeoa, les Teda de Bardaï, parmi les Berbères, à côté des Targa (Touaregs) et des Lemita (Ajjers). Mais les civilisations des Touaregs et des Toubous diffèrent profondément et jusqu’à la conquête française les deux peuples n’ont jamais cessé de se faire la guerre. Plus récemment les anthropologues ont repris le problème en s’appuyant sur des

mensurations et sur l’étude des groupes sanguins. Ces recherches ne sontpas encore très avancées, mais il semble bien qu’à ce point de vue encore les Toubous se différencient nettement des Touaregs alors qu’ils présentent des traits communs avec les peuples de couleur, jaunes, noirs ou négroïdes; c o m m e les actuels Boshimen ou comme les néolithiques du type de l’homme d’dsselagh. On pourrait alors les considérer comme les descendants des anciennes populations qui ont laissé comme traces les gravures du Tibesti, les peintures de 1’Ennedi et les innombrables tessons de poterie dont sont jonchés les rivages du Grand Tchad. A ce groupe primitif sont venus s’ajouter des pasteurs hamites émigrés des déserts de Nubie ou du Soudan (c’est à eux que s’est d’abord appliqué le n o m de Goranes), tandis que d’un autre côté le métissage avec les nègres de la cuvette tchadienne tendait à faire prédominer les caractères noirs. Enfin des migrations répétées dans les deux sens ont assuré le brassage de ces trois éléments. Autant il est difficile de définir une race touboue, à plus forte raison de préciser ses

rapports avec les autres races de l’Afrique, autant les traits de civilisation qui la caractérisent sont évidents. Un Toubou peut être grand ou petit, de peau claire ou foncée, il peut ressembler à un Touareg, à un Arabe, à un lhhiopien ou à un Nègre soudanais, il est toujours nomade; les quelques sédentaires que l’on rencontre dans les palmeraies du Tibesti sont l’exception qui confirme la règle. (( Nomades noirs du Sahara)), telle est la définition qu’en donne un des hommes qui les connaît le mieux, le colonel Chapelle; à condition de bien mettre la majuscule là où elle est, et de ne pas se montrer trop exigeant pour la coloration de la peau, il y a là une définition qui mérite d’être conservée. Dans un désert où les pasteurs, Arabes, Maures, Touaregs, sont des Blancs, l’existence d’une population nomade qui n’appartient pas à la race blanche constitue une remarquable exception.

Ces nomades élèvent des bœufs dans la zone sahélienne où le sol est couvert d’une végétation à peu près continue, la savane à mimosées, et des chameaux dans la zone désertique où la végétation se réduit à des buissons épineux, des arbres clairsemés dans les oueds et des taches de prairie quand il a plu. La différence principale entre les deux systèmes d’élevage réside dans le fait que le bœuf, assuré de trouver dans le même secteur le pâturage et l’eau, l’été aux mares, l’hiver aux puits, se déplace peu; les migrations se ramènent en somme à une dispersion des troupeaux et des tentes en saison de pluies, suivie d’une concentration autour des puits en saison sèche. En réalité lcs choscs sont un peu plus compliquées parce que les conditions de

l’élevage dépendent de la température autant que des précipitations. En dehors de la saison sèche et de la saison des pluies, il existe des saisons intermédiaires aux- quelles les noms de printemps et d’automne, chargés de tout le contenu de couleurs et d’odeurs qu’ils ont dans la zone tempérée, ne conviennent absolument pas. Le Gorane distingue donc entre l’été et l’hiver une saison chaude - plus chaude que le cœur de l’été - et sèche, mais où l’hydrographie et la végétation conservent le bénéfice 82

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Le nomadisme des Toubous

des tornades de l’été, de sorte que les troupeaux peuvent rester dispersés, et entre l’hiver et l’été une saison sèche déjà très chaude - la plus chaude de l’année - la mau- vaise saison pour les troupeaux à qui font défaut à la fois le pâturage vert et les abreuvoirs faciles.

Les chameaux, au contraire, dont il importe de varier la nourriture et qui suppor- tent la marche mieux que les bœufs, effectuent des déplacements considérables entre des pâturages d’hiver situés au milieu du massif de dunes vives, et des pâtu- rages d’été qui occupent les plaines régulièrement arrosées du Bahr el Ghazal, de 1’Egueï et du Mortcha. Cependant, ces déplacements des Goranes n’atteignent jamais l’ampleur et la régularité de ceux des Arabes du Nord ou des Maures.

Beaucoup de ces nomades possèdent des palmiers dans les oasis du Tibesti, du Djado, du Kaouar ou du Borkou; mais ils ne les cultivent pas eux-mêmes; l’entretien des arbres, réduit à peu de chose puisque ceux-ci ne sont pas arrosés, et la culture des jardins retombent sur les sédentaires, le plus souvent des Noirs, les Kamadja, des- cendants de captifs amenés du Ouadaï ou du Kanem. En règle générale le nomade toubou ne se manifeste dans la palmeraie qu’au moment de la récolte des dattes; il n’en est pas de m ê m e de sa femme, qui a souvent la charge d’un jardin et qui dans ce cas demeure à la palmeraie. A ces ressources s’ajoute la cueillette des coloquintes, dont les graines séchées sont

écrasées pour en faire de la farine, et des graines de graminées sauvages. Jadis les rezzous et les sommes extorquées aux caravanes permettaient en outre aux nomades de se procurer tout ce que le Q caillou O ne produisait pas. Aujourd’hui les rezzous ont cessé et les Toubous, devenus transporteurs pour leur propre compte, vont vendre leurs chèvres au Fezzan et leurs chameaux à Koufra, ou bien ils apportent sur les marchés du K a n e m et du Ouadaï les dattes en excédent dans les oasis et ils en rap- portent le mil qui forme avec le lait et les dattes la base de leur nourriture. Beaucoup plus que les mouvements de troupeaux, qui n’ont pas ici une direction déterminée, ce sont ces déplacements pour la récolte des dattes ou l’approvisionnement des campements en mil qui scandent la vie des Toubous.

Le système d’élevage extensif que pratiquent les populations du désert s’accom- pagne dans tout le Proche-Orient et le Sahara du Nord d’une organisation sociale qui repose sur la tribu. Ici le seul groupement unanimement reconnu est le clan. Entre la tribu et le clan la différence porte sans doute sur l’importance numérique - la plupart des clans tedas ne comptent que deux ou trois cents personnes - mais plus encore sur la nature du lien qui unit les individus. Le clan est la réunion des hommes et des femmes qui ont des intérêts communs et qui se considèrent c o m m e solidaires les uns des autres. I1 existe des clans anciens, attachés au souvenir d’un ancêtre commun, et des clans qui se sont formés. récemment autour d’un chef de bande, à la suite d’une guerre ou d‘une migration. L’administration ne connaît que des cantons, terme équivoque qui désigne tantôt, au Tibesti, une circonscription territoriale, tantôt, au Borkou et dans l’Ennedi, une petite unité ethnique, exceptionnellement un clan. L’emblème du clan, le blason (urbi) est imprimé au fer rouge sur les cha- meaux et sur le ânes, non pas tant pour permettre aux propriétaires de reconnaître leurs bêtes - précaution bien inutile avec des hommes qui les reconnaissent rien qu’à leurs traces - mais, comme le dit justement Ch. Le Cœur, pour mettre leur troupeau sous la protection du clan tout entier; ainsi, dans une mer où la course est la règle, un pavillon respecté couvre la marchandise.

I1 existe de la sorte deux modes de propriété: une propriété collective de clan, de caractère vague, (( presque mystique >) (Ch. Le Cœur) et une propriété individuelle parfaitement définie. En principe chaque clan possède une vallée ou un groupe de vallées. Les étrangers y sont admis, mais sous certaines conditions: il leur est interdit par exemple de couper les branches des acacias pour faire brouter les chèvres ou de récolter les graines sauvages avant que le clan propriétaire ait commencé la cueillette.

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Nomades et nomadisme au Sahara

E n fait, comme les membres du clan sont toujours dispersés, comme il n’existe pas de lieu qui soit habité par des individus appartenant à un seul clan - le né lui-même (équivalent de l’arabe ferik ou friq: campement de quelques tentes) est hétérogène - cette propriété de clan apparaît plutôt morale. L a propriété individuelle, au con- traire, qu’elle s’applique au troupeau, au mobilier de la tente, aux sources, aux pal- miers ou à la terre, dans la mesure où celle-ci est arrosée et clôturée, confère à celui qui la possède le droit exclusif de vendre, de louer moyennant redevance, de trans- mettre aux héritiers. Rien de plus éloigné du système collectiviste que cette économie OU tout ce qui a une valeur, en dehors des pâturages, des ouvrages d’hydraulique pastorale, des salines et des natronières, fait l’objet d’une appropriation individuelle.

L a dispersion des membres du clan, leur appauvrissement ou leurs discordes, enfin et surtout l’existence d’une administration régulière et d’une police enlèvent aujourd’hui son utilité et son efficacité à la solidarité clanique: le blason n’est plus qu’un titre de noblesse. L a seule cellule qui reste encore vivante est la famille, non pas la grande famille patriarcale comme chez les Arabes ou les Maures, mais la famille réduite aux parents, enfants et grand-parents; encore ces derniers ont-ils générale- ment une habitation distincte, une petite tente de nattes élevée à côté de celle du chef de famille. Sous l’influence des missionnaires de la Senoussiya, qui de Koufra se sont répandus,

à la fin du XIX~ siècle, dans tout le nord du Tchad, les coutumes touboues tendent à s’aligner, en ce qui concerne le mariage et les héritages, sur le droit coranique. La succession se fait en ordre patrilinéaire et les filles ne reçoivent que la moitié de la part des garçons. Néanmoins la femme touboue n’apparaît pas du tout en situation humiliée. Assurée de la protection de ses parents et de son clan, lequel n’est pas, en règle générale, le clan de son mari’, elle commence par demeurer dans le campement de ses parents jusqu’à la naissance de son premier enfant; ensuite son mari peut l’emmener dans son campement; mais elle continue de gérer ses biens propres, de posséder ses palmiers, ses chèvres, quelquefois son silo à dattes; quelle femme au monde possédant la clé du coffre ne traite pas d’égale à égal avec son mari ? En outre, lorsque celui-ci est propriétaire d’un jardin dans une oasis, il y installe son épouse, qui, pendant tout le temps où le mari est absent, a la responsabilité de la culture et de l’arrosage. Ravalée au niveau de la femme arabe, la femme touboue possède en réalité, sinon le vernis de la femme touarègue, du moina sa liberté d’allure et sa fierté. Avec des qualités viriles et, en plus, une espèce de charme sauvage auquel les hommes, même Arabes ou Touaregs, ne restent pas insensibles, la femme touboue constitue, au même titre que l’homme, l’armature de la famille.

En définitive le monde toubou se caractérise par la faiblesse et la précarité des liens sociaux. Aucune hiérarchie entre des tribus nobles et des tribus vassales, comme chez les Touaregs, aucun privilège pour les marabouts et les chorfa, c o mme chez les Arabes. Certains clans ont réussi à faire reconnaître leur autorité par d’autres, sans que cela se traduise parle versement d’un tribut annuel.Les clans eux-mêmes ne reconnaissent pas l’autorité d’un chef permanent et héréditaire; il y a seulement des individus qui imposent quelque temps leur ascendant ou leur astuce; le derdé, que nous avons ,tendance à considérer comme le sultan du Tibesti parce qu’il est issu du clan le plus puissant, celui des Tomagra, n’a d’autre autorité que celle que nous lui concédons, autorité d’un arbitre et non d’un chef, puisqu’il est dépourvu de tout moyen coercitif.

L a vie municipale est absente, les oasis n’étant que des agglomérations très lâches de tentes de nattes ou de maisons de pierre, inhabitées la plus grande partie de l’année. 11 existe bien des lieux de prière, cercles de pierres où l’on Egorge une chèvre à l’occasion d’un mariage ou pour obtenir la fin d’une sécheresse, et, depuis peu de 1. Cependant l’endogamie est admise lorsque les époux ne sont pas parenti. Lei exemples de mariage à l’intérieur du elan. sans être fréquenta. ne iont pai exceptionnels.

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Le nomadisme des Toubous

temps, des mosquées dans les principales oasis; mais l’attrait qu’elles exercent sur la population est très faible. L’obligation où se sont trouvés les hommes de se dis- perser pour exploiter au mieux le désert, jointe à la volonté de n’aliéner à aucun prix leur liberté, les conduit à vivre à l’état moléculaire. Si les mêmes contraintes s’imposent à l’ensemble du monde toubou, elles se font

sentir inégalement dans les massifs et dans les plaines; de même les transformations techniques et économiques présentes y sont inégalement ressenties suivant l’impor- tance qu’avaient acquise les transports chameliers. Deux exemples pris l’un dans le massif du Tibesti, l’autre dans les plaines du Borkou, illustreront ces différences.

LES TEDA DU TIBESTI CENTRAL

Le massif qui est situé au cœur du monde toubou, massif que ses habitants appel- lent simplement tou (la montagne), offre aux hommes des ressources variées, mais précaires. Les hauts plateaux couverts de laves ou tarso sont à l’ordinaire complète- ment nus; s’il pleut, les ravineaux s’y couvrent d’une végétation assez fournie de graminées qui constituent un excellent pâturage, mais les pluies sont rares et irréguliè- res; il se passe quelquefois plusieurs années sans que les troupeaux aient l’occasion de monter sur les tarsos. Les grandes vallées intérieures, Zoummeri et Bardagué, rem- plies d’alluvions à travers lesquelles s’écoule une nappe pérenne, portent tantôt des peuplements clairsemés d’acacias, tantôt une jungle de tamaris et de roseaux; on peut y faire paître quelques, chèvres, mais non y entretenir des troupeaux; en re- vanche ces vallées où les sources abondent se prêtent à la culture; une douzaine de palmeraies permettent à des familles de cultivateurs d’y vivre sans se déplacer. Plus favorisées encore sont les vallées du versant sud et sud-ouest, qui possèdent à la fois des pâturages d’arbres et des pâturages d’herbes, des sources, des puits et des mares. Enfin, à l’endroit où les oueds sortent du massif s’étendent de grandes plaines de piémont occupées en partie par des dunes; leurs vastes peuplements de zri (Cornu- laca monacantha), la had du Sahara arabe, constituent les meilleurs pâturages à chameau. Entre ces plaines périphériques, les vallées intérieures et les vallées exté- rieures, des relations se sont établies qui ont fait l’unité ethnique du Tibesti.

Dans le district du Tibesti vivent environ 8 O00 personnes, en grande majorité Teda. Les captifs qui cultivaient le pays avant l’occupation française ont pour la plupart quitté le massif et il ne reste pas plus d’une cinquantaine de familles Kamadja destinées, semble-t-il, à s’assimiler au milieu tedal; au rebours de ce qui se passe au Borkou, le groupe Kamadja paraît ici en voie de disparition.

Ces populations se partagent entre le nomadisme, le semi-nomadisme et la vie sédentaire, suivant une proportion qu’il est difficile de préciser. En 1952 le chef de district avait dénombré, pour un total d’environ 1270 familles, 410 familles présen- tes en permanence dans les palmeraies; mais il n’avait pas distingué les semi-nomades, chez qui une personne de la famille, généralement la femme, reste à demeure auprès du jardin. Une enquête effectuée dans le canton de Bardai en octobre 1960, à un moment où il restait encore pas mal de nomades dans les palmeraies, a donné les proportions suivantes: un tiers de nomades, un tiers de semi-nomades, un tiers de sédentaires. La proportion des nomades aurait été plus forte dans le canton de Zouar, où il n’existe qu’une demi-douzaine de villages, et surtout dans le canton de Wour, où il n’en existe pas un seul. Dans l’ensemble du Tibesti, les deux tiers au moins de la population n’ont pas d’habitat fixe ou bien, quand ils en ont un, ils n’y résident pas la moitié du temps. Le nomadisme des Teda se rapproche à certains égards de celui des Touaregs du

Nord, Ahaggar ou Ajjers. C o m m e ceux-ci ils possèdent des chèvres, des chameaux 1. I1 arrive ainsi qu’un Kamadja épouse une Tcda ou qu’il prenne le blason de ion ancien pairon. II y a en eUet dei Kamadja qui possèdent dei chameaux et même quelques-uns qui passent une partie de l’année avec eus au plturage.

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Nomades et nomadisme au Sahara

et des ânes. Le nombre des animaux recensés s’élevait, à la fin de 1959, à 10 304 chèvres, 4 036 camelins et 2 335 ânes, soit une moyenne de 6,4 chèvres, 2,5 came- lins et 1,3 âne par tente (de 5 personnes). I1 serait vain d’attribuer une grande valeur à ces chiffres car le recensement du bétail, qui est toujours chose délicate chez les nomades, devient ici impossible à cause de la dispersion des troupeaux. Cependant il apparaît bien que le nombre des chameaux, même si on le suppose inférieur de moité à la réalité, atteint à peine le minimum nécessaire pour mener la vie nomade; les Teda sont sans doute, de tous les nomades sahariens, les plus mal lotis à cet égard. Non moins remarquable est la faible proportion des chamelles et des chamelons

dans le troupeau, surtout si on la compare à celle de leurs voisins Daza. Le troupeau des Teda compte en gros 25% d’animaux de selle, 25% de chamelles et de chame- Ions, 50% d’animaux de bât. La plupart des jeunes naissent au Borkou méridional ou dans 1’Ennedi et c’est là que les Teda viennent les acheter pour les conduire non dans le massif, mais en bordure de celui-ci. Les principales zones d’élevage sont en effet, au nord les plaines de Taanoa, au sud les dunes de Yourka et surtout les vallées du versant méridional: Zouarké, Enneri Sherda, Enneri Maro, Enneri Domar, Enneri Misky. Un certain nombre de Teda du clan Tomagra ont leurs troupeaux beaucoup plus au sud, au Toro, et ils doivent être plutôt considérés avec le Borkou.

Dans cc8 pâturages habituels, les chameaux ne sont pas gardés; ils reviennent d’eux-mêmes de temps en temps au puits, où ils sont abreuvés par les nomades pré- sents. De même il n’existe pas, sauf exception, de migrations saisonnières; certains troupeaux des Taizera descendent l’été de 1’Enncri Maro dans les dunes de Yourka; d’autres, qui se tiennent d’ordinaire dans 1’Enneri Djcï, descendent dans 1’Enneri Maro lorsque viennent les froids, mais le mouvement n’est pas général. C’est seulement lorsqu’il a plu, généralement à la fin de l’été, quelquefois au printemps, apri% des pluies méditerranéennes d’hiver, que les chameaux et les chèvres sont conduits sur les tarsos; notamment sur ceux qui s’étendent entre le Toussidé et 1’Emi Koussé: Tarso Tamertin, Tarso Tiri, Tarso Koubeur, Tarso Loa, Tarso Emesson. Là les bêtes se font de la bosse tandis que les hommes se livrent au ramassage des graines de plantes sauvages ou à la cueillette des plantes médicinales edesrou (Artemisia

Mais, avant même que le froid ait chassé les troupeaux, les nomades laissant les bêtes aux bergers, se rendent aux palmeraies, où ils possèdent presque tous des pal- miers plantés par leur grand-père, leur père ou par eux-mêmes; il y a là une tradition qui paraît bien se perpétuer. Les nomades du canton de Bardai ont leurs palmiers surtout au Zoummeri; ceux du canton de Zouar dans les hautes vallées des enneris méridionaux à Goubone, à Dcbassar, à Tegaham, à Ohodoui; ceux du canton de Wour, à Madigué et surtout au Zeila (Fezzan) et au Djado. Cette propriété nomade est extrêmement dispersée : une demi-douzaine d’arbres ici, deux ou trois ailleurs, sans compter les palmiers des parents, de la femme et des enfants, qui font l’objet de droits distincts; un Teda ne déclarait4 pas que (( des palmiers, il en avait partout )). Jamais les troupeaux ne rejoignent les nomades à l’oasis; ils n’y trouveraient rien à manger, seuls peuvent y vivre les bourricots, qui paissent dans les roselières, ainsi que les chèvres et les moutons, qu’on soutient avec des noyaux de dattes écrasés. Une fois la récolte des dattes finie - elle ne se termine qu’à la fin d’octobre dans

les plus hautes palmeraies - les nomades chargent leurs provisions sur des chameaux venus spécialement à cet effet, ou, si les pistes de la montagne sont trop dures, sur des ânes et ils rejoignent leurs campements. Pas pour longtemps: dès les premiers froids ils repartent en expédition, non pas, comme jadis, en expédition de pillage, mais en expédition commerciale. Le but de l’opération est de se procurer un supplé- ment de nourriture et un peu d’argent frais. Pour cela le Teda choisit quelques chèvres et il les conduit dans des oasis, Sebha ou Koufra, où l’on manque toujours de

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judafca).

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Le nomadisme des Toubous

viande, et là il les échange contre des étoffes ou du mil. Parfois l’opération est plus compliquée: le nomade vend ses chèvres au Tibesti m ê m e et ne rend d’abord à Bilma pour acheter des dattes aux Kanouri; après quoi il part au-devant de l’azalaï touarègue, la grande caravane qui apporte le mil aux salines et à Fachi, et il troque ses dattes contre du mil; ainsi, pour se procurer quelques charges de mil, il aura parcouru 1200 km et traité avec trois populations différentes. Une autre opération du m ê m e genre porte sur le sel du Borkou. Des nomades du Tibesti se rendent pendant l’hiver à Bedo, petite saline du Borkou où des sédentaires extraient le sel; ils achètent ce sel aux Donza, puis se rendent à Maro et à Moussori où ils l’échangent contre du mil. Les relations avec la Libye sont moins étroites qu’autrefois à cause de la nécessité du laissez-passer; elles n’en demeurent pas moins actives parce que les marchés du Fezzan sont mieux approvisionnés. Au total ces singuliers pasteurs passent plus de la moitié de l’année loin de leurs

bêtes; ou bien ils se font remplacer auprès d’elles par une femme ou un enfant, ou bien ils les laissent en liberté. Quand on sait les soins affectueux dont les autres nomades entourent leurs mehara, et la place que tiennent ceux-ci dans la poésie touarègue, on est surpris que les Teda se désintéressent de la nourriture de leurs cha- meaux presque autant que de celle de leurs bourricots. Nomades, la plupart des Teda le sont foncièrement par leur goût des voyages et leurs déplacements incessants; mais, alors que les vrais peuples pasteurs, Arabes, Touaregs, Peuls, se déplacent pour faire paître leurs troupeaux, des troupeaux qu’ils accroissent pour le plaisir autant que pour le profit qu’ils en tirent, les Teda n’élèvent que le strict nécessaire, mais en lui demandant le rendement maximum. D u fait que le propriétaire du troupeau est absent les trois quarts du temps, ce

genre de vie n’est déjà plus le pur nomadisme pastoral. L e semi-nomadisme est atteint lorsqu’une partie de la famille demeure à la palmeraie pour y cultiver un jardin. L’entretien de celui-ci est généralement confié, depuis qu’il n’y a plus de cap- tifs, à une femme, mère ou épouse dunomade, qui peut se faire aider par un associé (deheurda); le système du métayage, sous sa forme fezzanaise ou algérienne, dans lequel le propriétaire s’en remet entièrement de l’entretien du jardin à un khanmès, est très rare chez les Teda. On rencontre aussi une autre forme de semi-nomadisme dans laquelle le propriétaire lui-même se partage entre le troupeau et le jardin, entre la case de nattes et la maison de pierre. Arrivé à la palmeraie à la fin de juin, il sème le mil, récolte les dattes, ensuite le mil, puis il regagne son campement; presque jamais il ne fait une culture d’hiver. A u fond c’est un cultivateur saisonnier, c o m m e l’étaient jadis chez nous beaucoup de populations de la montagne. Enfin il existe des Teda authentiques, appartenant à des clans d’origines diverses,

les uns autochtones (Zouia), d’autres d’origine daza (Foctoa) ou bideyat (Terintere), qui sont fixés dans une palmeraie où ils mènent la m ê m e vie que les Kamadja. Ils possèdent des palmiers, un ou deux jardins qu’ils cultivent eux-mêmes, lorsqu’ils en ont le courage, enfin quelques chèvres qu’ils font garder par un enfant dans un enneri voisin. S’il pleut, ils montent au tarso faire la cueillette des graines de colo- quinte ou de guinchi (Panicum turgidurn), mais ils n’y montent pas tous les ans. Quelques-uns se sont sédentarisés à la suite de la perte de leurs troupeaux; d’autres semblent n’avoir jamais mené Ia vie nomade; du reste certaines techniques agrico- les en usage à Aozou comme les terrasses de versant ou le petit puits à balancier (ndeha) destiné à élever l’eau des sources, qui rappelle curieusement le système du teskemt au Gourara, ne sont certainement pas des acquisitions récentes. Si pauvres que soient les Teda sédentaires, ils ne le sont pas beaucoup plus que

les nomades. L’insuffisance et le mauvais état du cheptel, le défaut d’entretien des palmeraies, le déficit de la production agricole - laquelle représente à peine 20 à 25 kg de céréales et 12 kg de dattes par an et par habitant - ont conduit à une sorte de nivellement des conditions de vie. Une des raisons de la dispersion des clans et,

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Nomades et nomadisme au Sahara

au sein d’une même famille, de l’éloignement de ses membres, réside dans l’impossi- bilité où se trouve le Teda de nourrir tous les siens; le semi-nomadisme, en pareil cas, est une assurance contre la famine. De cette précarité des ressources résulte aussi - bien que la relation inverse ait

parfois été soutenue - l’anémie démographique de ce peuple. Les jeune gens se marient tard parce qu’ils n’ont pas de quoi payer la dot; le nombre moyen d’enfants nés vivants par ménage est de 3,5l, sur lesquels plus du quart meurent en bas âge. Cepen- dant, d’après les recensements officiels, la population serait passée de 5 311 personnes en 1940 et 6 357 en 1952 à 8 O00 en 1959. Une augmentation de 50% en vingt ans serait déjà considérable dans le Sahara duNord; ici elle apparaît au moins surprenante. On pourrait croire qu’une économie aux ressources aussi précaires ne résisterait

pas à la pénétration européenne; il n’en est rien. L’automobile n’a guère affecté ici le genre de vie traditionnel parce que le principal courant de transport contourne le massif en touchant simplement Zouar et parce que les camions ne transportent pas les dattes et le mil qui constituent le fret par excellence des nomades. On note bien la diminution des caravanes vers le Fezzan et vers Koufra, l’abandon partiel des pâturages les plus éloignés (Toro), un repliement sur les vallées centrales et méridionales du Tibesti, mais il ne s’agit pas encore d’une sédentarisation en masse, tout au plus d’une sorte de Aoculation autour des postes, des boutiques et des nou- velles mosquées. Ce qui est perdu par le nomadisme est gagné non par les cultivateurs, mais par les commerçants et les oisifs. Les deux écoles de Bardai et de Zouar, qui distribuent l’enseignement à une centaine d’enfants, tous externes, ne sont pas encore capables de former des jardiniers ou des artisans. Le principal facteur d’évolution réside donc dans les garnisons, mais elles n’exercent qu’une action imperceptible sur les nomades. En raison de son éloignement, de la dispersion de ses membres et de sa mishe

même, le monde teda échappe plus longtemps qu’un autre à l’action des facteurs de transformation.

LES DAZA DU BORKOU

Le district administratif du Borkou comprend deux régions différentes : au nord, un ensemble de vallées morcelées en petites cuvettes cernées par les dunes, mais exemptes de grosses agglomérations de sable; au sud, des plaines étendues, le Djou- rat et le Bodelé, qui sont le fond d’anciens lacs desséchés occupés aujourd’hui par de grands massifs dunaires. Dans la première région l’existence d’une nappe phréa- tique peu profonde et la fréquence des sources ont permis l’établissement de palme- raies au milieu des peuplements naturels de doums. Dans la seconde, l’extension des dunes et la teneur de la nappe en carbonate de soude interdisent la culture; en revanche la présence d’une végétation abondante, sinon variée, le grand nombre des puits et la facilité qu’on éprouve à y abreuver les troupeaux, la qualité même de l’eau légèrement natronée sont autant de conditions favorables pour l’élevage.

Trois groupes de nomades daza, les Arna, les Kokorda et les Anakazza, se parta- gent ce domaine pastoral; un quatrième, formé de semi-nomades, les Donza, pratique à la fois la culture dans les petites palmeraies du haut Borkou et l’élevage dans les plaines du Borkou méridional (voir fig. 11). Au total les quatre groupes représentent environ 15 O00 personnes, auxquelles il faut ajouter 1500 Teda Ouria qui noma- disent dans une autre direction. Le district comptant au total 20 O00 habitants, l’élément nomade occupe une place prépondérante.

Seuls parmi les nomades les Teda Ouria ont de gros troupeaux de chèvres (10 chèvres en moyenne par tente); les trois autres groupes sont surtout des chameliers

1. Cela en &pit d’une polygamic nssez LCquentei 13% des Teda interrogés avaient deux ou trois femmem.

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Le nomadism der Toubous

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qui possèdent, d’après leurs déclarations, de 10 à 12 chameaux par tente, en réalité probablement le double. La-dessus la proportion des chamelles est remarquablement forte; leur nombre atteint presque trois fois celui des mâles, indice de conditions exceptionnellement favorables à la reproduction. Le système d’élevage des Daza est fondé sur l’exploitation de pâturages distincts

en saison sèche et en saison des pluies, pâturages qui ne sont pas forcément très éloignés les uns des autres, mais où les conditions d’abreuvoir sont différentes. Le troupeau des Anakazza, par exemple, se disperse en saison des pluies, dans le Mortcha, une grande plaine à soubassement cristallin où il n’existe pas de puits, mais qui est arrosée tous les ans par la mousson. A partir de la mi-juillet le sol se couvre d’une prairie de graminées dont la plus connue est le ndéré (eram-cram); des feuiiles pous- sent aux branches des épineux, transformant un réseau barbelé en un bouquet de verdure; en même temps des mares se forment dans le lit des oueds qui descendent de 1’Ennedi et du Ouadaï. Pendant trois mois les bêtes trouvent partout du pâturage et boivent aux mares sans que les bergers aient besoin de tirer de l’eau. A la fin d’octobre la prairie a séché, seules les grandes mares conservent de l’eau. Une fois ramassées sur le sol les graines de certaines plantes sauvages qui leur fournissent un complément de nourriture, les campements partent au Djourab où existent de vastes peuplements de rri et de nayogou, notre drinn algérien. A u début, comme il ne fait pas chaud et que les touffes de la steppe sont moins serrées qu’en zone sahélienne, le troupeau doit se disperser et les tentes s’écartent des puits, quitte à envoyer de temps en temps une corvée à l’abreuvoir; ensuite, à mesure que la chaleur monte, bêtes et gens se rapprochent du puits pour passer sans trop de dommage les trois mois pénibles qui précèdent les premières tornades. Mais, avant même que celles-ci aient éclaté, les nomades, confiant leurs bêtes

aux bergers, sont partis, souvent avec femmes et enfants, pour prendre part à la récolte des dattes dans les palmeraies. La plupart d’entre eux y possèdent des pal- miers, qui ne sont pas arrosés mais simplement fécondés, une fois l’an, par un Ka- madja; plus de la moitié des palmiers du Borkou appartiennent ainsi à des nomades ou à des semi-nomades. Mais même ceux qui ne possèdent pas de palmiers mettent un point d’honneur à être du voyage; c’est une occasion de voir du monde, de faire une cure de dattes fraîches, de s’enivrer quelque peu au nérissé (alcool de dattes), quelquefois - bien que la piété n’étouffe pas en général les Toubous - d’aller faire leurs dévotions sur la tombe d’un saint. Chaque groupe a ainsi son pôle d’attraction: Faya-Largeau pour les Anakazza, Kirdimi pour les Kokorda, N’Gour M a pour les Donza, Gouro pour les Teda Gouroa. Après quoi, à la fin d’octobre, la bourse vide - car c’est l’époque où il faut payer l’impôt - et les chameaux chargés de dattes, les nomades regagnent leurs campements.

A u x Anakazza, qui pour ne pas être de grands nomades - leurs déplacements atteignent au maximum 200 à 250 km - n’en sont pas moins de purs nomades, s’opposent les semi-nomades donza. Les troupeaux de ceux-ci se trouvent en majeure partie au Djourab, où ils effectuent de courtes migrations analogues à celle que nous venons de décrire; de même les hommes reviennent aux palmeraies pour la récolte des dattes. Mais ici la famille est divisée ou bien certains de ses membres restent toute l’année à l’oasis pour semer et arroser, blé en hiver, mil en été; ou bien chaque h o m m e à tour de rôle a la charge du jardin ou celle du troupeau. Le changement dans le genre de vie se traduit immédiatement dans l’habitat; à côté des cases en nattes qui ont remplacé la maison de pierre il y a environ cinquante ans, s’élèvent de petits greniers cylindriques en pierre ou en banco; le nomade emporte ses provisions de dattes, le semi-nomade les enfouit dans un silo, à l’abri des chèvres et des termites. En somme le semi-nomadisme représente ici le plus souvent une assurance contre les risques de sécheresse prolongée, quelquefois une acquisition récente due à la pacification, jamais une forme de dégradation du nomadisme.

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Le nomadisme des Toubous

Nomades ou semi-nomades, les Daza pratiquent l’élevage du chameau parce qu’ils en tirent profit; non seulement ils disposent du lait de leurs nombreuses cha- melles et peuvent vendre les chamelons à leurs voisins arabes moins bien partagés, mais les chameaux trouvent un emploi assuré comme animaux de bât, le transport étant demeuré ici une des fonctions essentielles du nomadisme. Les caravanes sont assurées de trouver du fret à l’aller comme au retour. A u départ elles chargent des dattes, dont la production est excédentaire, et surtout du sel, que les nomades achètent dans les petites salines du Borkou septentrional et de I’Ounianga et dont les pays noirs, la chose est bien connue, sont toujours demandeurs; au retour elles rapportent le mil. Des tribus arabes voisines, les Ouled Sliman de 1’Egueï. les Mhamid de Biltine, participent à ce trafic; mais, à la différence de celles-ci, qui par raison de sécurité circulent en petites caravanes, les Goranes, qui se sentent chez eux, se dépla- cent individuellement, n’emmenant avec eux que deux ou trois chameaux chacun.

Pour être moins spectaculaire que celle des grandes azalai touarègues, cette cir- culation diffuse n’en est pas moins pour les nomades une importante source de profits. Une enquête effectuée en 1955 par le chef de district de Faya avait cherché à évaluer le revenu d’une famille anakazza; elie était arrivée à cette conclusion que chaque individu nomade disposait journellement de 500 grammes de dattes, 180 grammes de mil et 4 litres de lait et, en outre, d’une petite somme d’argent pour payer l’impôt, acheter une ou deux pièces d’étoffe et boire un peu de thé. Ces esti- mations ont été revues et la ration alimentaire réelle d’un Anakazza ramenée à 250 grammes de dattes, 180 grammes de mil et 2 litres de lait, ce qui représente encore 2 717 calories, alors que, dans le Sahara du Nord, d’après les évaluations les plus sérieuses, la ration alimentaire d’un nomade de Laghouat ne dépassait pas, à la même époque, 1800 calories. L’avantage du Sahara méridional n’est pas contes- table. I1 est confirmé, du reste, par les coups de sonde qu’on a pu donner dans la démographie de ce canton: le nombre moyen des naissances par famille est supérieur à 5, le nombre des enfants vivants à 3; la proportion des enfants de moins de dix-huit ans par rapport à la population totale du canton est de 32%. Aussi, jusqu’en 1956 la situation des nomades du Borkou pouvait passer pour

satisfaisante; en tout cas rien ne trahissait chez eux le désir d’abandonner leur genre de vie traditionnel. Depuis lors différents événements sont venus infirmer ces vues optimistes. Tout d’abord le cheptel a été éprouvé par une série d’années sèches et, en ce qui concerne les chameaux, par la maladie du charbon. Plus durables sont les effets de la dévalorisation croissante du sel indigène, devant la concurrence du sel importé d’Europe par Lagos ou Douala. Le sel du Borkou, qui atteignait Maroua, au Cameroun, il y a trente ans, ne dépasse pas aujourd’hui Massakory, à 125 km au nord-est de Fort-Lamy; le sel de I’Ennedi, qui, en 1952, arrivait à Fort-Archam- bault, revient aujourd’hui plus cher que le sel marin à 400 km au nord de ce point; les petites salines sont abandonnées, les autres voient leur aire de vente sans cesse réduite. A défaut de sel les nomades peuvent toujours charger des dattes, dont la production augmente régulièrement et dont la demande se maintient active. Mais, depuis quelques années, les camions ont fait leur apparition sur les pistes qui relient Largeau aux marchés du Ouadaï et du Batha. Achetés à bon compte par des commer- çants libyens, chargés au-delà de toute limite, conduits par des chauffeurs aussi robustes que leurs machines et sans prétentions, ces véhicules peuvent concurrencer le chameau, même pour les marchandises pondéreuses, parce qu’ils reviennent de Largeau généralement à vide. Le tonnage transporté par camion à la descente est encore faible mais il y a là une menace qui pèse sur les prix. Toute l’économie nomade s’en trouve affectée; en février 1958, à Abéché, fait sans précédent, un bœuf gras et un chameau de quatre ans se sont vendus presque au même prix. Enfin on ne peut pas négliger l’action de l’administration; par le simple fait qu’elle est rivée à une oasis, elle fait pencher la balance du côté des sédentaires; jusqu’à ces toutes dernières

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Nomades ei nomadisme au Sahara

années l’hôpital et l’école sont demeurés en fait le privilège des habitants de Largeaul. O n comprend ainsi que, dans ce pays où le nomadisme était vivant et prospère, on assiste depuis 1956 à un stationnement prolongé des nomades dans les palmeraies, à la création de nouveaux jardins, à une floraison de maisons, bref à un commen- cement de sédentarisation.

Certes il ne faut rien dramatiser; il s’agit de symptômes plutôt que de crise aigüe. Le recensement de 1959 accuse, par rapport à celui de 1955, pour les quatre cantons qui nomadisent au Djourab et au Bodelé, une augmentation de 6% du cheptel camelin, preuve qu’il n’y a pas pour l’instant déclin de l’élevage; de même le nombre des ovins et des caprins et même celui des bovidés ont augmenté, ce qui semble bien l’indice d’une élevation du niveau de vie. L a construction de maisons est sur- tout le fait de sédentaires ou de semi-nomades qui jusqu’à présent vivaient sous la tente de nattes; rares sont les nomades qui ont abandonné celle-ci, plus rares encore ceux qui se sont mis à la culture. On plante volontiers des palmiers parce que c’est une spéculation qui rapporte et n’exige à peu près aucun effort; à la rigueur on les enclot et on creuse un puits pour arroser quelques planches de mil ou de légumes; mais la culture par excellence, celle du blé, demeure l’apanage des vieux sédentaires. On ne saurait parler, à l’heure présente, au Borkou, d’une crise du nomadisme.

Ceci dit et le phénomène ramené à ses proportions exactes qui sont celles d’une tendance à la régression et non d’une sédentarisation accélérée comme dans le Sahara d u Nord, on ne voit pas comment, à la longue, les bénéfices laissés par les transports chameliers ne cessant de diminuer, le niveau de vie de ces nomades ne pourrait pas sc détériorer. Une augmentation tant soit peu importante du cheptel bovin est exclue par le manque de pâturages appropriés. Pour l’instant l’accroissement du nombre des palmiers et de la production des dattes compense la diminution des ventes de sel. Reste à savoir combien de temps l’élevage du chameau pourra résister aux conditions économiques actuelles; la réponse dépendra du développement des transports automobiles.

1. En 1959 u n internat a ¿té ouvert, qui pourra recevoir. en 1961.120 enfants de nomades; le pluo da scolarisation de la région prévoir m ê m e 300 lita. En outre. pour mieux atteindre les nomadeo.on ie propose d‘ou+ deux nouvelles écoles (sans internat), l’une à Koro-Toro. dani le domaine des Anakazza. l’autre P ICirdimi.centrc de ralliement dei Kokorda; maii il est h craindre que cela n’incite lei parenti à prolonger leur séjour 1 I’oa~ii.

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C O N C L U S I O N

U n tableau complet de la vie des nomades exclusifs nécessiterait une étude des Touaregs du Sud*. On peut se demander pourquoi on s’en tient alors au centre, à l’ouest et au sud du désert, à l’exclusion de sa bordure nord. C’est, bien sûr, parce que là seulement la vie nomade est conservée (( à l’état pur O (ou à peu près). Certes des pâturages favorables expliquent cette vigueur du nomadisme au Sahel, chez les Maures, les Touaregs ou les Daza, mais aussi chez les Reguibat du Sahara occi- dental. Au contraire, bien maigres sont les pâturages du Tibesti ou plus encore ceux du Hoggar. C’est que le nomadisme traditionnel est, autant qnn’u mode d’élevage, un style de relations à longues distances, dont l’aspect politique et guerrier est bien mort mais dont l’aspect commercial subsiste par endroits seulement: la faible péné- tration européenne au sud du désert et, jusqu’à ces dernières années, au Hoggar a maintenu des circuits d’échanges dont les nomades étaient les maîtres. Ainsi une vie nomade prospère exige, en plus de l’élevage, les ressources de cara-

vanes qui ne restent fructueuses que dans les régions isolées, au Sahara méridional surtout. On voit que le nomadisme, qui contenait une vie politique d’un certain style et comporte encore une organisation commerciale, est concurrencé globalement par la pénétration des transports modernes, qui apportent directement les méthodes commerciales et indirectement le pouvoir d’fitat de l’occident.

1. L e m tramformationi sont envisagée8 p. 165 et iuiv.

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D E U X I È M E P A R T I E

Nomadisme et monde moderne

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I N T R O D U C T I O N

par C. BATAILLON

L’importance des liens de solidarité ou de dépendance dans la société nomade est trop forte pour que la seule présence politique du colonisateur n’ait pas atteint déjà profondément la vie des tribus. Ainsi une administration qui se voulait en général conservatrice de la société saharienne a bouleversé bien des choses avant m ê m e qu’aucune tentative de modernisation du Sahara intervienne. En fait, les Européens sont intervenus de trois façons interdépendantes. D’abord la présence administrative a transformé en histoire déjà légendaire les combats qui étaient la vie m ê m e de la tribu; cela s’est répercuté sur les rapports avec les agriculteurs, l’organisation commer- ciale et la démographie même. Ensuite les salaires payés par l’administration ou certaines industries modernes ont offert de nouvelles ressources aux Sahariens. Enfin, il est possible d’aider techniquement l’élevage nomade. On comprend facilement que le bouleversement politique commence partout dès

la conquête, vieille parfois de plus de cinquante ans. Au contraire, l’afflux de capi- taux est localisé à certains secteurs, depuis quatre ou cinq ans seulement. Quant aux améliorations de l’élevage nomade, elles relèvent en grande partie d’un avenir hypothétique.

I1 n’est pas nécessaire de décrire longuement les bouleversements résultant de la seule (( présence B européenne. Nous avons déjà vu comment se nuance l’amoindris- sement de la vie de tribu’. Si certaines redevances disparaissent, atteignant les ressources du nomadisme, c’est plus encore leur raison d’être qui est confisquée à certains nomades. Très vite, les ressources du grand commerce ont disparu: les poussées de violence précédant la pénétration européenne les avaient déjà amoindries. Seul le commerce traditionnel du sel dépasse maintenant les échanges de ravitaille- ment local. Encore est-il menacé par la concurrence des transports modernes, parti- culièrement au Hoggar2. En m ê m e temps, les besoins des nomades en produits importés se sont accrus. En particulier, le commerce du thé, anglais à l’origine, s’est étendu à l’ensemble du Sahara. Le thé est devenu indispensable, avec le sucre, aux cérémonies de l’hospitalité. L a préparation et la consommation sont soumises à des rites précis qui semblent à peu pr8s les mêmes partout et que tous les voyageurs ont décrits. L’habitude du thé s’est répandue d’abord chez les gens aisés pour devenir un besoin général depuis moins de vingt ans. En fait, les étapes de pénétration sont encore mal connues3. Le thé s’est souvent répandu à partir du Maroc - au Souf, 1. Voir p. 35.36. 2. Vou p. 63.64. 3. LEUCEE, BIFAN. xm. p. 868. xv. p. 731. BATAILLON (1955). p. 99. YI%GE. BES Maroc. j a m . 57.

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Nomades et nomadisme au Sahara

on le connaît grace à des Fassis d’Alger - mais l’approvisionnement est vite devenu oriental - Ghadamès (depuis Tripoli) puis Gabbs. En Mauritanie, l’influence commer- cialc marocaine est évidente. Celle-ci, il y a un siècle, atteignait le Touat (et de li Tombouctou) et Ouargla, Actuellement, le thé fait partie du commerce de gros normal arrivant des deux rives du Sahara.

L’élevage, ressource principale des nomades, a d’abord été facilité par la sécurité. Ainsi le Tamesna est beaucoup plus occupé par les Touaregs depuis que la sécurité règne. Mais vite les limites des nouveaux paturages sont atteintes tandis que la paix favorise l’accroissement du nombre des hommes comme celui des troupeaux.

Les tribus ont résisté aux transformations, d’autant mieux qu’elles gardaient dcs ressources plus variées. Si, dans le Sahel, on peut escompter parfois encore une expansion de l’élevage, ailleurs, c’est l’agriculture qui s’est développée pour compen- ser les pertes de ressources des nomades. Parfois, ayant perdu leur cheptel, les éle- veurs se sont trouvés brusquement obligés de chercher dans la culture de quoi sub- sister; une sédentarisation brutale a rarement été une amélioration de leur sort. Au contraire, plus les attaches agricoles sont anciennes, mieux cette reconversion a pu se faire. C’est pourquoi l’étude du semi-nomadisme se révèle essentielle; il est tradi- tionnellement fréquent au nord du Sahara et il a permis parfois une sédentarisation progressive, sans choc brutal. Les semi-nomades semblent m ê m e les seuls éleveurs capables d’utiliser actuellement les pâturages médiocres du Nord et du Nord-Est saharien. Ainsi, au Sahara septentrional, où la décadence pastorale est la plus forte, il faut étudier avant tout les formes d‘association de l’élevage et de la culture, leur évolution depuis cinquante ans et l’adaptation, le conservatisme ou le désarroi variable selon chaque tribu.

L’invasion de l’économie moderne chez les nomades eux-mêmes n’a guère été importante que dans les départements sahariens, et cela depuis cinq ou six ans sur- tout. L a naissance de formes de travail nouvelles, infiniment mieux rémunérées que les tâches traditionnelles, a touché les sédentaires bien plus que les nomades. Mais les salaires multipliés de l’administration ou des sociétés privées, surtout minières, ont remis en question le fragile équilibre qui s’était parfois reconstitué entre ressour- ces de l’agriculture et ressources pastorales, l’infériorité économique du nomade apparaissant une fois de plus. Les profits du commerce modernisé ont été partagés aussi inégalement entre nomades et sédentaires. On constate partout les faibles aptitudes des nomades à envisager des métiers nouveaux sans pouvoir très souvent expliquer la chose. En se fondant sur les quelques réalisations positives, il faudra voir à quel prix

une modernisation du nomadisme peut trouver sa place dans une économie moderne et comment des nomades peuvent devenir des éleveurs: nous envisagerons les chances d’une telle transformation surtout dans la bordure sahélienne du Sahara; les ressour- ces pastorales sont ici abondantes et la société nomade encore vigoureuse. Seule une évolution technique, mentale et politique profonde laisse des chances aux nomades des Etats d’Afrique noire.

Certes, la sédentarisation agricole, la recherche d’emplois de l’économie moderne ou la modernisation de l’élevage sont apparues conjointement à des degrés divers dans l’ensemble du Sahara. Nous serons cependant amenés à regrouper autour du problème central de chaque région les éléments annexes. En particulier, les formes de semi-nomadisme, la sédentarisation agricole et la recherche d’emplois nouveaux transforment ou abolissent dans tout le nord du Sahara le nomadisme traditionnel.

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Deuxième partie: introduction

LA CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE

L a situation démographique des nomades est nécessairement mal connue’, surtout là justement où l’intervention de la médecine européenne est négligeable.

Pour l’ensemble des Sahariens, la situation traditionnelle semble être une natalité assez élevée (dont nous verrons les nuances possibles), mais surtout une mortalité fort élevée et irrégulière dont le souvenir apparaît dans les chronologies tribales : les années de guerres, d’épidémies ou de famines alternent avec les années de pros- périté. Ces incertitudes ont été réduites dès la pacification qui supprime guerre et rezzous, diminue les risques de famines en facilitant les achats lointains. C’est ainsi la mortalité adulte qui a diminué d’emblée. . Mais de fortes inégalités dans l’alimentation, d’une région à l’autre et surtout d’une classe sociale à l’autre, peuvent influer sur la mortalité infantile: des différences entre esclaves-cultivateurs ou forgerons d’une part, maîtres touaregs de l’autre, peuvent s’expliquer ainsi, combinées aux conditions sanitaires liées au climat qui défavorisent alors les maîtres blancs aventurés au sud du Sahel par rapport à leurs esclaves noirs. Cette situation, variée dans le détail, permet un accroissement démographique lent au sud du Sahara. Au nord du Sahara surtout, l’intervention bien plus tardive de la médecine

moderne a permis de diminuer plus ou moins fortement la mortalité infantile. Les vaccinations, en particulier contre la variole, ont supprimé les épidémies. C’est donc l’accroissement du nombre des enfants survivants - et non directement celui de la natalité, dans tous les cas élevée - qui détermine ici l’essor démographique. Les centres urbains administrés et vaccinés les premiers arrivent naturellement en tête de cette évolution.

L’intervention de l’hygiène moderne atteint progressivement la population d’agri- culteurs sédentaires et bien plus difficilement la population nomade. On peut trouver parfois une mortalité infantile aussi élevée dans certains villages reculés que chez les éleveurs. Cependant une différence semble exister en général entre les uns et les autres.

Les quelques exemples recueillis dans le Sahara du Nord sont assez semblables les uns aux autres. L a plupart ont été relevés dans le Souf et représentent des degrés divers de sédentarisation et de modernisation. L a comparaison entre les semi-noma- des de la région d’El Goléa (Hassi el Gara) et ceux de Réguiba montre une situation équivalente. Ce dernier centre du Souf comporte une population semi-nomade ou récemment sédentarisée, atteinte depuis peu par l’hygiène moderne. Cette population peut être considérée comme douée d’un taux de natalité de 44 O/oo, la mortalité don- nant une espérance de vie actuelle de quarante-sept ans. U n groupe analogue fraî- chement sédentarisé (Ouled Ahmed) avait un taux d’accroissement plus faible en 1948. Ce taux d’accroissement plus faible se trouve actuellement chez des popu- lations non sédentarisées, soit à Réguiba (Bir Bachir, Rebaia du Nord), soit à Amiche (Rebaia du Sud). I1 semble que le centre urbain d’El Oued ait un taux d’accroissement supérieur à celui de Réguiba, bien que la proportion de la population de moins de vingt et un ans soit un indice médiocre.

D e ces éléments dispersés, retenons plutôt, pour le Sahara du Nord, le faible écart entre nomades et sédentaires - dans une région où l’on passe insensiblement des uns est aux autres, il est vrai - et l’impression que lef acteur prédominant dans les variations le degré d’influence médicale moderne et non un comportement spécifique des nomades.

1. L’analyse des quelques documenta dont noun dbposions a 616 faite par M. BLaben 1 l’Institut national d’études démogra- phiques de Paris (INED). En rCgle générale. l’indice d’un recensement exact &ide daru m e proportion P peu prh égale d‘ùommei et de femmes. En psrticulier. plus la proportion de femmes de quinze 1 cinquante ans est faible. plus les omissioni volontalti sont nombreuses. Les relevés utilidi sont souvent satinfaisants. sinon exacu, pour les enfants. Le chilfre le plus important P connaître est la proportion d’enfanu de moine de cinq ans. On ne Is possède eependant pas toujow. Dans notre tableau, on a été obligé de mettre en parallèle des données non homogènes: proportion des individus de moins de onze mi moins de quatone ans et moins de vingt et un QIU selon les cas. Des éléments de renseignementa eomplémentales se trouvent aux pages 76 (Mauritanie). 88.91 (Toubous). Remarquable guide sur ces probl€mes: E. NAMGUI (1960). l’étude des popula- tions dans des pay’ i statistique incomplbte. Paris. Mouton et Cie.

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Nomades et nomadisme au Sahara

O n peut cependant, dans certains cas, se demander si les nomades n’ont pas une natalité plus faible que les sédentaires du Sahara septentrional, en dehors de la mortalité infantile assurément plus élevée des premiers. D’une part, la tradition de mariage tardif des filles voici cinquante ans, chez les Chaamba d’El Goléa, est relevée par Cauneille: les familles auraient attendu que la fille atteigne vingt à trente ans pour conclure le mariage, alors que partout, actuellement, celui-ci se fait plutôt avant quinze a d . D’autre part, pour les hommes, la vie de berger pratiquement peu compatible avec une vie familiale normale est réservée aux jeunes dans la mesure où ce ne sont plus des esclaves qui assurent la garde des troupeaux.

Dans la vie nomade traditionnelle, la fondation d’un foyer est donc difficile à l’homme jeune, surtout s’il est pauvre: le prix élevé de la dot peut retarder lui aussi le mariage, par exemple chez les Toubous du Tibesti. Dans ces conditions, la séden- tarisation, surtout si elle s’accompagne d’une diminution des contraintes exercées par la famille ou la tribu sur les jeunes gens, peut être un facteur secondaire d’accrois- sement de la natalité.

Quoi qu’il en soit, l’accroissement démographique des nomades est un fait récent, beaucoup plus accentué au nord qu’au sud du Sahara. I1 ne peut que bouleverser l’équilibre économique des éleveurs nomades, car les pâturages disponibles ne s’éten- dent pratiquement plus : un surplus de population incapable de vivre de l’élevage apparaît, depuis plus de vingt ans, au Sahara du Nord. Des transformations écono- miques sont alors impératives et elles rejettent hors de la vie nomade au moins une partie de l’excédent de la population. Les mêmes transformations sont certainement en cours actuellement au Sahara méridional.

Composition démographipue

0-5 ans 0-10 ans 0-20 ans du groupe Antléc Population Caracrérietiqua

Sahara du Nord 1960 Eloued 1960 Réguiba

1960 Hi-el Gara 1948 O d A h m e d 1960 Rebaia du Sud 1960 Rebaia du Nord

Sahara du Sud (Soudan)

1952 Chioukhane

1952 Kel Serrere

1954 Kounta

1960 Tou boii-Daza

Sédentarisés, urbains Semi-nomades et sédentarisés

Id. Id.

Semi-nomades Id.

Total Nobles Iklan Forgerons

Nobles lklan Forgerons Nomades Serviteurs affranchis Serviteurs sédentaires Semi-nomades

Total

% 50

% % - - 19 32 48 - 33 47 16 29 50

47 - 29 42

0-15 BPI 0-18

- -

% % 22 - 23 20 - 25

- - -

27 - 25 - - 28 - 34 - 11 - 25 - 32

23 - -

17 O00

9 O00 300

2 O00 7 O00 1 O00

2 367 1140 1067 160

3 124 820

2 136 168

1800 700

3 500

-

-

-

1. II faut atteindre des milieux urbains beaucoup plui transforméi pour trouver aciuellement une prédominance de mariages conclua après rige de vingt ans pour lei 6Ues.

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Page 103: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

C H A P I T R E P R E M I E R

Le semi-nomadisme dans l’Ouest libyen (Fezzan, Tripolitaine)

par A. CAUNEILLE

Le semi-nomadisme de l’ouest de la Libye présente une exceptionnelle -complexité, dans le Sud tripolitain et le Fezzan’, pour deux principales raisons. D’un côté, la variété du milieu naturel permet d’associer sur le domaine d’une seule tribu plusieurs sortes de pâturages complémentaires mais aussi différentes cultures. D’un autre côté, la variété du peuplement, Fncipalement de langue arabe ou touarègue, mais aussi noir et toubou, a permis un jeu très complexe des associations politiques. En outre, ce semi-nomadisme et ces jeux politiques sont d’autant plus vigoureux actuellement que l’occupation coloniale italienne réelle a été plus tardive, ce qui a laissé la vie nomade intacte presque jusqu’à maintenant.

V A R I É T ~ DU DOMAINE NATUREL

Le semi-nomadisme dispose ici de deux régions riches en eau: au nord, le Djebel et la côte du golfe des Syrtes; au sud, les oasis du Fezzan. A u sud de la plaine - non désertique - de la Djeffara s’étend la falaise du Djebel tripolitain, morcelée à l’est vers Homs, plus puissante à l’ouest vers la frontière tunisienne où elle se prolonge. Le revers de cette montagne forme un plateau doucement abaissé vers le sud. Si le Djebel est assez sec à l’ouest, il est de plus en plus humide vers l’est et il se couvre d’oliviers et de céréales, surtout depuis Gharrian. De nombreuses tribus semi-nomades ont villages et cultures dans cette région montagneuse.

Plus à l’est, la Syrte maritime est riche surtout par les pâturages denses de ses nombreux oueds. Les réserves de pâturages abondantes de cette région prédésertique permettent aux éleveurs de se contenter de faibles déplacements. Au sud de la Libye, les grandes oasis du Fezzan ont des ressources agricoles ex-

ceptionnellement favorables, tout comme le Djebel du Nord. C’est une région basse, en partie occupée par les ecleyen, vastes massifs dunaires. Souvent, en bordure de ces dunes, les nappes d’eau sont très peu profondes; en puisant à celles-ci on arrose de nombreux jardins de céréales et des palmiers. Parfois même, l’eau affleure en des marécages plus ou moins salés; à la bordure s’étendent des <( forêts >> de palmiers peu entretenus, où la médiocre production de chaque arbre est compensée par l’étendue des palmeraies. Ainsi, parallèlement aux cultures irriguées du Chati, s’étend la pal- meraie sauvage du Zellaf. Si les cultures irriguées sont l’œuvre surtout des vassaux ou des serfs des semi-nomades, ceux-ci s’occupent souvent eux-mêmes des palmiers

1. D e celte étude. Ics Toubous du Fezzan et Ici nomades de la Djeiiara sont exclui. Au contraire. les Touaregs Ajjem, à cheval sur la frontière politique entre Libye et département français des Oasi.. soni pria dans leur cmemble.

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Nomades et nomadisme au Sahara

et leurs villages s’échelonnent dans toutes les vallées fczzanaises où ont convergé Touaregs, Arabes et Toubous. A l’ouest du Fezzan, le Tassili des Ajjers et lcs massifs voisins forment un milieu

très morcelé dont les vallées et les dépressions sont, selon les cas, des pâturages, des terres de labours ou des lieux de palmeraies irriguées comme Ghat et Djanet.

Entre le Djebel et la côte au nord et le Fezzan au sud, le pays est fort inhospitalier: c’est la Hamada el IIomra, plateau légèrement caillouteux, dépourvu en général de ressources en eau. De même sont à peu près vidcs, au sud du Fczzan, les régions plates appelées serir, au terrain mou, où les pas s’enfoncent. Cependant, la Hamada el Homra est loin de former un obstacle continu au nord du Fezzan. Les vastes espaces que les gens du djebel appelent guibla (le Sud) et ceux des Syrtes le (chaut pays )) présentent diverses ressources. En premier lieu, tous les sites présentant des vailées dessinées, où les pluies ruis-

sellent et se concentrent, ont des pâturages d’arbustes et de buissons assez denses: les principales vallées ou oudian’, Sofejjine, Zemzem et Bey, forment avec leurs affluents de bons pâturages à l’est de la Hamada el Homra, qui n’a elle-même de végétation que dans quelques bas-fonds argileux. Plus à l’ouest, la région de Derj est aussi favorisée par ses oudian. En second lieu, la présence de puits rend utilisable, au nord de la Hamada, la

région des collines de 1’0uassa. Enfin, la région intermédiaire entre Syrte et Fezzan présente de petits massifs montagneux dont les vallées sont autant de pâturages dans le Gargaf, le djebel Fezzan mais aussi autour de petites palmeraies de la Jofra et dans les djebel Soda et Oueddan. Si les tribus nomades se partagent âprement les ressources des oudian, des petits

massifs situés au nord-est du Fezzan et des petites palmeraies, elles appuient princi- palement leur économie sur les richesses agricoles du Nord ou sur celles du Fezzan et, si possible, sur les deux. Si bien que le domaine de chacune s’allonge principalement du nord au sud: pour les unes, les possessions s’étendent entre le Djebel - pays de céréales, d’oliviers, de riches pâtures d’oueds - et le Fezzan occidental - pays des palmeraies mais aussi des dunes qui constituent de bons pâturages d’été pour les chameaux. Pour les autres, les possessions s’échelonnent entre l’est de ce même Fezzan et la Syrte, pays des pâturages d‘oueds abondants. En fait, sedes les confédérations puissantes ont réussi à s’établir du nord au sud

jusqu’aux deux rives de ce désert de l’ouest libyen. Les tribus peu puissantes se contentent des ressources du nord ou de celles du Fezzan. E n outre, au sein d’une tribu ou d’une confédération, il est rare qu’une fraction ou qu’une famille utilise plus d’une portion de territoire: elle nomadise à partir de la rive nord ou de la rive fezza- naise, ou à partir d’un point intermédiaire. Toujours est-il qu’on peut distinguer deux groupes de tribus: celles qui s’établissent entre la Syrte et le Fezzan, et celles dont le domaine va du Djebel au Fezzan.

RAPPORTS ENTIIE NOMADES ET PAYSANS

Si la complexité de vie de nos éleveurs s’explique principalement par uni: dis- position des ressources facilitant un glissement continu vers le semi-nomadisme et la sédentarisation et par la variété des formes d’association et d’affrontement entre les tribus, il faut tenir compte aussi des rapports qu’elles établissent avec la forte popu- lation paysanne de la région.

Si, dans le domaine étudié, 95 O00 âmes sont teintées de nomadisme, il reste une majorité paysanne formant deux groupes très différents qui occupent principalement le Djebel et le Fczzan. 1. Ouadi, plur. oudian, est la forme libyenne de ousd.0~ dit les oudian sa- précision pour lei grandes vallées (Sofejjine, Zernzem Dey). les Oudien Derj, eta.

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Page 105: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Le semi-nomadisme dans l'Ouest libyen (Fezzan, Tripoliîaine)

FIG. 12. Libye occidentale (Tripolitaine et Fezzan).

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Page 106: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades et nomadisme au Sahara

Les paysans du Djebel sont des villageois blancs réfugiés dans ces montagnes c o m m e bien d’autres en Afrique du Nord. C o m m e à Ghat et Ghadamès ils ont souvent gardé leur dialecte berbère. Ils 8e séparent des gens de tribu parfois aussi par leur religion, car certains sont restés des hérétiques de l’islam - ibadhites - malgré les persécutions. Avec ces paysans opiniâtres les nomades ont souvent été en guerre. En tout cas ceux-ci n’ont pas soumis les sédentaires qui ne travaillent les oliviers de0 absents que selon des contrats précis. Les villages fortifiés permettent d’ailleurs de se défendre contre les pillages et les tribus nomades elles-mêmes possèdent de tels villages. Au contraire, le Fezzan a subi une oppression permanente des tribus attirées par

ses palmeraies. Peuplé en partie peut-être de populations brunes très anciennement installées, mais principalement de descendants d’esclaves importés par les nomades, il a été l’objet d’un partage entre grands groupes (Arabes, Touaregs et Toubous), mais aussi fort minutieusement entre les tribus qui, par exemple au Chati, possèdent chacune son village, ses jardins irrigués et ses palmeraies, mais aussi ses paysans asservis chargés de la culture. En outre, les grandes expéditions de pillage (fellaga) ont laissé le pays sans défense, car ses fortifications ou gucer sont en ruine, et souvent dévasté et appauvri. Cela n’a pas empêché bien sûr un intense métissage entre culti- vateurs noirs et tribus semi-nomades implantées au Fezzan. Les contacts entre paysans et tribus sont, bien sûr, complétés par des échanges

commerciaux; ainsi, les Touaregs vendent au Fezzan leur bétail, mais aussi celui qu’ils rapportent du Niger en même temps que des tissus, des sandales et des selles. Les tribus arabes implantées au Djebel en apportent de l’huile et des céréales. In- versement, le Fezzan exporte surtout des dattes, troquées parfois à un prix très dé- favorable car on exige jusqu’à douze mesures de dattes pour une de blé. En même temps que la propre activité agricole des nomades, ce sont ces multiples

rapports avec les sédentaires qui facilitent la sédentarisation car les éleveurs connais- sent de longue date l’usage de la nourriture et des vêtements des sédentaires tout c o m m e ils utilisent des maisons semblables dans leurs séjours près des cultures: c’est la maison de pierre, voûtée ou souterraine, dans le Djebel, ou la hutte de palmes (zerióa) au Fezzan.

LES ORGANISATIONS SOCIALES DES TRIBUS

Les tribus de la Libye occidentale présentent une variété d’institutions imbriquées beaucoup plus grande que celles de la Cyrénaïque par exemple. Cela dépend en partie du fait qu’ici arabisme et nomadisme règnent sans partage, tandis que là ces éléments s’associent aux forces paysannes, à un fond berbère sédentaire ou nomade ainsi qu’au pouvoir d’gtat de Tripoli. Les éléments qui font la cohésion tribale sont classiques. Si le pouvoir est patriarcal

et les liens de parenté essentiels, ils ne cimentent de façon exclusive que des groupes tenus à part comme les Ibadhites du Djebel. Partout ailleurs la tribu réunit plusieurs lignées par alliance ou clientèle. Elle a son passé glorieux, son emblème qui marque les chameaux, son cri de guerre, sa chronologie orale. Elle possède en commun un domaine de pâturage, des terres de labour et des villages de serfs qu’elle protège ou un centre sédentaire qu’elle habite. Seules des tribus dispersées, composées de bergers surtout (ruouiyu), sans doute restes d’anciennes confédérations, sont dépourvues de vastes alliances, comme les Rebaia, qui s’émiettent jusqu’en Cyrénaïque à l’est, mais que nous retrouvons concentrés en un fort groupement dans le Souf plus à l’ouest1. Si chaque tribu est petite2, des organismes confédéraux variés les réunissent. Tout

d’abord, la confédération des Touaregs Ajjers est une hiérarchie de tribus nobles, 1. Voir p. 113. 2. Six miiie deux cents personnel pour la tribu des Megarha et 2 350 pour les €lassaouna (Cheti oriental BU Fezzan); mais, 10 O00 pour lei Zentan, grande tribu allant du Djebel au Chari occidental. (Voir le tableau de la page 105.)

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L e semi-nomadisme dans l’Ouest libyen (Fezzan, Tripolitaine)

Ressources des principales tribus

Tribu Parcours Laboun occarionnek Cultures permanentes Pnrrie dbngine

Imanghassaten

Oraghen

Zentan

Rojeban, Haraba, IIaouamed ( h a - bese du Djebel) Zoueyd, Goueyda Hotmân (arouba du Chati avec les Hassaouna et les Megarha) Hassaouna

Megarha

Aouled bou Sif et Mechachia (Merabtine) Ourfella

Guedadfa, Aoulad Sliman

D’Oubari vers les Oudian Derj D e Ghat et de l’Ouadi el Aje1 d u Fezzan vers l’Am- sak et le Tassili Du Djebel occiden- tal au Chati occi- dental

Du Djebel à la Hamada el H o m r a

Derj Ouadi el Ajel, Derj; - Bordure et vallées Ghat, Djanet, -

Chati occidental

du Tassili Ouadi el Ajel

Ouassa, têtes des Djebel Zentan, Village de Oudian Mizda el Gueria, Zentan

Chati occidental, Derj Sinaouen

Oudian Derj Djebel occidental - et Djebel

Du Chati aux Djebel Fezzan Chati occidental Oudian et Gargaf

Du Chati oriental au Djebel Fezzan Du Chati oriental à la Syrte et à el Gueria Du Djebel central à Chouiref

D e Beni Oulid et de la cate des Syr- tes aux moyens Oudian D e la côte des Syrtes à Zella et à ia Jofra

Djebel Fezzan

Oued Bey et affluents

Ouassa, Oudian Zemzem et Sofej- jine Moyens et bas Oudian, oueds des Syrtes (Tamet et Jaref) Oueds des Syrtes: Tlal et Jaref; Haraoua

Chati oriental - Chati oriental, Chouiref et Zellaf, Bouanis Brak

Djebel central, - Mizda, Chati orien- tal et Zellaf Djebel oriental, Beni Oulid Beni Oulid, Jofra, Sebha, Bouanis, Fezzan sud-oriental Zella - Jofra

maraboutiques et vassales’, sans centralisation véritable. Au contraire, des tribus arabes ou tobbel sont centralisées: une poussière de petits groupes obéit a la tribu mère, par exemple chez les Aoulad bou Sif, qui nomadisent entre le Djebel central et les Oudian. D’une façon très différente, des tribus s’associent sur un pied d’égalité, par deux ou trois, e n souvenir d’une ascendance c o m m u n e ou par serment, c o m m e les Ourfelia (voisins des Aoulad bou Sif) et les Guedadfa qui pâturent entre les oueds de la Syrte et le Fezzan oriental, unis par le rachat d’une dette des premiers par les seconds. Enfin, des confédérations c o m m e les Zentan2 unissent parfois, sur un modèle qu’on retrouve dans le Sud marocain, deux groupes opposés d e tribus q u e sépare parfois une origine différente, un premier groupe étant (( berbère )) et le second ({ arabe )): d e u x chefs se partagent le pouvoir, ce qui permet bien des opportunismes, car les conflits internes s’effacent en cas de danger c o m m u n . Parfois, cette division se com-

1. Lcs principalea tribun noble# sont les Imenan. les Orsgben, lei Imenghnsaaten. 2. Chez ceux-ci quatre tribus oc disent Aouiad Dou& d’origine berbère, et cinq tribus se disent Aoulad Bebol d’origine arabe.

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Nomades et nomadisme au Sahara

plique par l’interposition d’un parti neutre maraboutique, comme chez les Ourfella, qui se disent gens (< d’en haut O ou (( d’en bas B, séparés par les gens du (( milieu )).

I1 n’est pas toujours simple de distinguer de ces affrontements à l’intérieur d’une confédération les ligues ou çoffs qui regroupent des tribus distantes les unes des autrcs, lesquelles se soutiennent mutuellement pour résister à leurs voisins directs. Schématiquement, on trouve par exemple un camp composé des tribus de la côte des Syrtes (çosf el bahr), des deux tribus Aoulad bou Sif et Mechachia qui occupent le Djebel central et les cours moyens des Oudian (çoff Merubtine), de la tribu des Megarha qui nomadise au nord-est du Fezzan, et enfin des Berbères sédentaires et hérétiques du Djebel occidental. Tout naturellement s’opposent à ceux-ci les tribus allant du Fezzan oriental au Djebel oriental et au ((haut de Syrte D (çoff el foguil en dispute avec le çoff o2 bahr et avec les Megarha) aliiées à celles du Djebel occidental, c o m m e les Zentan, souvent en conflit avec leurs voisins merabtine ou avec les pay- sans hérétiques. 11 n’est guère utile d’insister sur le fait que l’entente est plus facile avec un groupe éloigné qu7avec un voisin envers qui les griefs s’aigrissent à propos de pâturages et plus encore à propos de labours. Les rapports entre tribus sont encore compliqués par l’intervention du pouvoir

turc. Celui-ci investit d’un pouvoir de police et exempta d’impôts les Megarha et de petites tribus fezzanaises du Chati qui, ensemble, constituèrent l’aroubu du Chati (groupe arabe ou nomade) administrativement divisé pour les expéditions et réqui- sitions des turcs en cinq éléments.

Enfin, par-delà les tribus, les réseaux confrériques ont organisé l’islam souvent fruste et fanatique des nomades. Mais, au contraire de la Cyrénaïque, où le senous- sisme a su intégrer toute la vie politique, ici l’organisation senoussiste n’a eu raison ni des oppositions de çoíïs, ni de la méfiance des sédentaires du Djebel et du Fezzan.

Après avoir examiné ces multiples institutions, chacune étant très fragile par eile- même, on conçoit à quel point les nomades se sentent enserrés dans un réscau d’aìlian- ces qui protègent et dont on peut subtilement tirer parti.

FOND EM E NT S D U 9 E M I - N O M A D I S &I E Les tribus de Tripolitaine et du Fezzan associent toutes élevage nomade et cultures, ce qui oblige à partager l’année entre les stations auprès des cultures et les déplace- ments avec les troupeaux, selon des modalités très variées qui dépendent de l’im- portance relative de chaque ressource pour un groupe donné. Selon les cas, il en résulte une tendance plus ou moins nette à la sédentarisation. L’élevage et les cul- tures occasionnelles de céréales après les pluies se pratiquent conjointement et posent des problèmes de limites entre tribus voisines où les disputes s’exacerbent. L a station dans des villages représente à Ia fois une possibilité d’habitat pendant l’été, une sur- veillance des jardins irrigués et des arbres fruitiers, oliviers ou palmiers que l’on y possède, et enfin un travail agricole que l’on pratique quand on ne dispose pas pour cela de paysans asservis.

Pâturages et labours

Les chronologies orales des tribus perrncttent de repérer les régions habituellement ou exceptionnellement occupées par les troupeaux et les tentes de chacun. On s7aper- çoit que les grandes confédérations occupent tout le pays, tandis que les groupes plus modestes se contentent d’une portion limitée à l’intérieur du domaine d’une puissante tribu. Exceptionnellement, les tribus de Tripolitaine et du Fezzan2 ont pu

1. Ourfella. Cuedadin. Aouiad Sliman. 2. Ellei iont CnwnCrCci PU talleeu ci-deiiui. avec leur8 ressources; chacune OCCU ant une bande de terrain nord-ud. on les n

rangdei approximativement d’ouest en est. c’est-à-dire depuis celles du Djebef occidental et d u Fezzan occidental juaqu’à celles de 1s cttc dei Syrtes et du Fezzan oriental.

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Le semi-nomadisme dans l’Ouest libyen (Fezzan, Tripolitaine)

nomadiser jusqu’en Tunisie et jusqu’à Ouaou en Namous en direction du Tibesti. Chacun préfère pâturer dans son domaine et ainsi les Ourfella donnent leur n o m à

leur domaine de parcours; mais, en annéc sèche, on peut être accueilli par des amis de çoff plus favorisés. Mais les rivalités de pâturages sont fréquentes. C’est ainsi que les grandes tribus Zentan et Ourfella s’allient pour interdire aux Merabtine les pâturages des Oudian à l’exception de deux puits de l’oued Sofejjine. Parfois, ces limites sont reconnues d’un commun accord: ainsi les Touaregs Ajjers ne dépassent pas vers l’ouest le méridien de Edri. Les régions bien connues et souvent fréquentées sont aussi les terres de labours occasionnels si la pluie est suffisante; ainsi s’établit la part (< nomade O du cycle annuel: on gagne en automne les régions arrosées par les premières pluies et on y laboure. Le printemps est la saison la plus agréable en cas de pluie copieuse, car le lait abondant permet d’offrir l’hospitalité aux cousins séden- tarisés. Mais bien vite, dès le mois de mars, la sécheresse atteint aussi bien le pâturage que les céréales semées à l’automne. I1 faut moissonner en hâte, parfois c o m m e chez les Megarha, cueillir des provisions de fourrage qui permettent de prolonger le pâtu- rage de printemps. Pendant l’été, une partie des semi-nomadcs confient leurs trou- peaux à des bergers: les chameaux sont envoyés de préférence dans les dunes (Zellaf du Fezzan) tandis que moutons et chèvres pâturent les buissons des Oudian, du Djebel, ou des montagnes du nord-est du Fezzan.

Pour les labours permis par une pluie abondante dans un oued, chaque famille de la tribu délègue un de ses hommes, muni de la charrue et de l’attelage nécessaire, pour participer au partage; le président de la jemaa répartit les parts de terres mesurées en G journées d’attelage )) entre les présents, selon un tirage au sort: un h o m m e tournant le dos à l’assemblée désigne les parcelles, ou bien il jette des pierres les yeux bandés. Le chef qui a présidé au partage désigne une petite force de police - 10 à 30 hommes - qui réglera les querelles et fera respecter les récoltes. Si deux moitiés opposées de tribu s’affrontent à propos de semailles, on peut avoir recours à un ((jugement de Dieu)), chaque groupe désignant 5 ou 10 champions qui s’affrontent au bâton jusqu’à ce que le sang coule et qu’on puisse désigner un vainqueur.

L a récolte est hâtivement moissonnée à la faucille dentelée avant que le vent sec fasse tomber le grain des épis. L a moisson est conservée parfois sur place, dans des puits garnis de vannerie de graminées, parfois dans les maisons des villages. Si une tribu admet assez facilement des voisins sur ses pâturages, elle se réserve

strictement son patrimoine collectif de terres de labours et les conflits sont plus aigus dans ce domaine : ainsi les jugements administratifs départageant les Megarha de leurs voisins Riah dans l’oued Bey sont sans cesse remis en question.

Villages et cultures

Si certaines tribus1 habitent leurs tentes toute l’année, la majorité cependant pos- sède des villages2 où l’on réside en été, pendant que seuls les bergers gardent les troupeaux. Certains de ces villages n’abritent que des semi-nomades et sont vides en hiver et au printemps; d’autres sont occupés en permanence, au moins par une minorité de sédentarisés de la tribu ou de paysans. Ainsi, les Zentan ont des villages non seulement dans le Djebel et au Chati (Edri) mais aussi dans les régions d’estivage intermédiaires. Certains de ces villages ont une importance spéciale pour la tribu: ainsi le village de Zentan, dans le Djebel, est la ((patrie O de la tribu et la majorité des fractions y possèdent un quartier. Pour les Ourfella, c’est le village de Beni Oulid qui a une importance semblable. Si bien des tribus passent la plupart des étés dans leurs villages, presque toutes

possèdent des cultures irriguées et surtout des arbres fruitiers. Dans le Djebel, ce

1. Merabline, Cuedadt. Aouiad Slim811 et, en partie, Oraghen et Imangbassatcn. 2. Zentpn. Arabei du Djebci, Arouba du Chari. OurLüe.

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Nomades et nomadisme au Sahara

sont les oliviers, les figuiers et les champs de céréales. Partout ailleurs, la principale ressource est donnée par les palmiers, en particulier ceux du Fezzan, cultivés et arrosés périodiquement comme au Chati, ou semi-sauvages comme au Zellaf. Mais les champs irrigués du Fezzan sont aussi cultivés en céréales variées (orge ou blé, l’hiver; sorgho ou mil, l’été).

Les nomades sont en général de piètres cultivateurs: au Djebel, ils ne taillent pas leurs oliviers et se contentent de récolter et de presser les olives. Les arbres poussent sans mesure, à moins d’une association avec les paysans. A u Fezzan, ils récoltent leurs dattes et, à la rigueur, fécondent leurs palmiers. Mais, pendant leur séjour d’été sous les huttes de palmes, ils surveillent surtout leur métayer, qui irrigue (djebbad). Dès avril, il faut compter et partager la récolte de blé et d’orge, puis les dattes sont mûres entre juillet et novembre. A ce moment, même les nomades dé- pourvus de propriétés viennent acheter leurs dattes au Fezzan. Si l’on connaît la variété des ressources agricoles et pastorales des tribus, il est

facile de caractériser les tribus établies entre Tripolitaine et Fezzan. Tout à l’ouest, les Touaregs Ajjers (Imanghassaten et Oraghen) sont très morcelés et répondent mal au schéma qui prédomine chez les autres. La disposition des Zentan est classique- ment celle d’une grande tribu guerrière appuyée à la fois au Djebel et au Fezzan, riche en oliviers en particulier. A u contraire, les Arabes du Djebel et l’drouba du Chati n’ont qu’un point d’appui sédentaire, au nord ou au sud: ce sont en général des groupes à tendance sédentaire marquée. Vers l’est s’établissent ensuite les Me- rabtine, analogues aux Zentan mais moins riches et manquant d’oliviers. Puis les Ourfella, Guedadfa et Aoulad Sliman étendent aussi leur domaine du nord au sud: l’utilisation de la côte des Syrtes leur assure non plus des ressources agricoles mais des pâturages meilleurs que tous autres.

O RIG I NA L I T É DU SE BI I - NO Y A D ISM E ET S fi D E N T A R I SAT I ON

Les conditions particulières aux semi-nomades de Tripolitaine et du Fezzan sont en permanence la variété des ressources agricoles en face de la médiocrité des pâtu- rages; depuis peu le contraste s’accentue par les nouvelles facilités d’irrigation face à la difficulté de trouver des bergers pour les troupeaux. Les difficultés de l’élevage tiennent au climat: le froid de l’hiver est vif sur la

Hamada el Homra (- 5’ minimum), ce qui retarde la végétation. En outre, celle-ci est gênée en mars par les vents de sable, puis grillée par la chaleur dès le milieu d’avril. Mais depuis peu, en outre, la surcharge des pâturages se fait sentir dans un pays en- tièrement partagé entre les tribus. Parallèlement à l’augmentation du bétail, la paix a apporté l’accroissement démographique des hommes, que les troupeaux ne peuvent plus nourrir.

D’autre part, la condition des bergers est ingrate et leur recrutement est de plus en plus difficile; si les Ourfella ont l’habitude de laisser les troupeaux sans surveil- lance en été (henila), ailleurs on doit se contenter de la main-d’œuvre familiale pour l’élevage.

A u contraire, la vie agricole sédentaire du Djebel, du Fezzan et des oasis secondaires encadre de très près les régions de pâturages, ce qui a de tous temps facilité les con- tacts. De plus, la modernisation de l’irrigation, par le forage de puits artésiens, a libéré la culture du puisage à la main par le djebbad. Ce dernier a souvent émigré vers le littoral et vendu la parcelle de jardin que l’administration lui avait attribuée. L’agriculture irriguée devenue plus facile tente évidemment les semi-nomades. En fait, au sein d’une même tribu une grande diversité apparaît entre les genres

de vie des différentes familles. Chez les Megarha, par exemple, on distingue des semi-nomades surtout éleveurs dans la région de Chouiref, des semi-nomades surtout cultivateurs se déplaçant à faible distance du Chati - mais aussi de riches éleveurs 108

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Le semi-nomadisme dans l’Ouest libyen (Fezzan, -Tripolitaine)

sédentarisés - dépendant de leur berger et des sédentaires le plus souvent fort pau- vres puisqu’ils ont perdu leur troupeau. Ainsi, l’abandon du nomadisme est souvent une question de niveau de vie, supérieur à la moyenne ou au contraire très bas.

Les conditions de la sédentarisation relèvent d’éléments contradictoires; bien des choses concourent à valoriser la vie sédentaire: l’école et l’administration au village, l’attrait citadin du nationalisme et de l’islam moderniste, mais aussi, pour le berger c o m m e pour le caravanier, l’intérêt des salaires de soldat, de policier du désert ou même de manœuvre. Les économies sont placées dans l’achat de palmiers ou de maisons citadines, ce qui accroît la fixation des anciens nomades. Cependant, le prestige du désert reste Mvace: au printemps, les sédentarisés s’efforcent de passer quelque temps sous la tente dans les pâturages verdoyants, pour y profiter du lait et du bois abondant, ramasser les terfess et chasser la gazelle.

Les essais de culture collective par une tribu nomade autour d’un puits artésien n’ont pas été un succès pour l’administration du Fezzan: conçue pour permettre le maintien du semi-nomadisme grâce à l’entraide au pâturage c o m m e à l’oasis, l’ex- périence s’est heurtée à l’individualisme des agriculteurs et à leur manque d’initia- tive pour réorganiser un élevage à longue distance. D e plus, un équilibre solide néces- siterait de cultiver un produit de valeur supérieure à la médiocre datte du Fezzan. Ainsi l’avenir économique des nomades est assez sombre tant que l’aménagement

du semi-nomadisme ne sera pas réalisé, car l’éleveur, évidemment illettré, ne trouve guère de métier salarié hors de l’armée. Cependant, les ressources du semi-nomade sont nettement plus élevées que celles du djebbad ou celles du berger, ainsi que le montrent les chiffres suivants1:

Revenu annuel du djebbad Blé (1/6 de la récolte: 225 kg), 13500 millièmes libyens; orge (1/6 de la récolte: 16 kg), 800; mil (1/6 de la récolte: 133 kg), 6650; légumes, luzerne, 8000; dattes de palmiers irrigués (100 kg), 1500.

Le revenu annuel du djebbad se monte donc à 30450 millièmes libyens (soit 417,16 nouveaux francs).

Revenu annuel du berger Le revenu fixe du berger se décompose comme suit: 2 vêtements de dessus (jerd), 12000 millièmes libyens; 3 chemises, 2250; 2 bonnets (taguiyu), 200; sandales, 1200; dattes (300 kg), 4500; soit une somme totale de 20150 millièmes libyens. A ce revenu fixe il faut ajouter un revenu variable:

a) Pour garder 20 à 40 chameaux le berger reçoit un chamelon, soit 10000 millièmes; dans ce cas son revenu total annuel se monte à: 20 150 + 10 O00 = 30 150 millièmes (41 305 francs).

b) Pour garder 150 chèvres, il en reçoit 6, soit une somme de 24000 mill“ iemes; son revenu total annuel est alors de: 20150 f 24000 = 44 150 millièmes (60485 francs).

c) Pour garder 150 moutons, il reçoit 6 agneaux, qui répresentent une somme de 30000 millièmes; dans ce dernier cas son revenu total annuel devient: 20 150 + 30 O00 = 50 150 millièmes (68705 francs).

f

Revenu annuel du semi-nomade équilibré Le revenu du semi-nomade s’établit comme suit: dattes (2500 kg), 37500 mill“ iemes libyens; agneaux (5), 25000; chamelon (i), 10000; céréales irriguées (1500 kg), 73000; céréales occasionnelles, 53000; soit une somme totale de 200 500 millièmes libyens (274665 francs).

1. Lc budget du djebbad est établi d’aprtß un manuncrit du capitaine Godart.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Ainsi, le djebbad est le plus défavorisé: il vend ses céréales, vit de dattes et s’ha- bille de friperie. Le berger est mieux pourvu, d’autant que son alimentation com- porte du lait, qui n’est pas comptabilisé. Les gardiennages de bétail pour quelques mois sont d’ailleurs mieux payés. Quant au propriétaire semi-nomade, sa situation est infiniment meilleure, mais seule une amélioration du sort de ses employés - djeb- bad et berger - lui épargnera la perte de son genre de vie, faute de main-d‘œuvre.

LES NOMADES ET LIINDEPENDANCE L a paix italienne fut accueillie par les sédentaires c o m m e une délivrance, tandis que les guerriers nomades, las de leur impuissance, essayaient d’oublier leurs querelles OU avaient émigré - vers le Tchad pour les Ourfella, Guedadfa-Aoulad Sliman, vers le Sud tunisien pour les Zentan-Rojeban. Le Sud tripolitain et le Fezzan, épuisés, n’aspiraient qu’à la tranquillité et ont assisté passivement à l’administration franco- anglaise qui a suivi.

C’est dans cette atmosphère que l’idée d’indépendance a été jetée par les citadins de Tripoli, lesquels, à partir de 1943, ont fondé divers partis politiques, agrégats de partisans autour S’un chef de clan, qui Be mirent à répandre les formules du nouvel évangile : unité, indépendance, union avec la Ligue arabe. Rapidement réduits à deux partis - l’un conservateur, fédéraliste et réclamant la prépondérance tripolitaine, l’autre unitaire, républicain ou à défaut senoussiste - ils se plaquèrent curieusement sur les çoffs nomades. Si les nomades ne pouvaient concevoir une puissance supérieure à leur confédé-

ration, à moins que ce ne fût un Etat secoué de révoltes comme aux jours sombres des Turcs, les sédentaires, plus instruits, plus réceptifs, groupés dans des villages, auprès des écoles, autour des postes de radio et des journaux, concevaient une (( unité islamique 9 sous un pouvoir fort qui maintiendrait les nomades dans le calme. C’était particulièrement le cas des sédentaires du Fezzan, qui émigraient souvent à Tripoli, y prenaient des goûts citadins et se dirigeaient tout naturellement vers les partis revendicateurs, voire extrémistes, lesquels leur insufflaient des idées égalitaires et démocratiques. Les nomades, à l’inverse, n’ayant que mépris pour ((les enfants de la rue)), suivaient leurs chefs de çoff qui les menaient vers le parti prosenoussiste ou conservateur. Dans le Djebel, le souvenir de la lutte arabo-berbère était trop proche pour que les Berbères du Djebel, désireux de paix, ne s’alliassent pas aux conserva- teurs. Ce besoin de calme et de fédéralisme, joint à un ultra-nationalisme citadin, cx-

plique que les constituants libyens aient choisi, le 2 décembre 1950, une Libye fédé- rale et monarchique dont le roi est Mohammed Idris es Senoussi. A u premicr abord, les partisans du Senoussi voulaient dépendre directement de lui, tandis que les con- servateurs, qui ne voyaient dans ce monarque qu’un chef de confrérie comme les autres, redoutaient un retour au passé de 1915-1916 et devenaient par contrecoup hostiles au pouvoir personnel et favorables à la prépondérance des assemblées.

La sagesse d’Idris I”‘ et le désir de paix des Libyens ont fait que l’indépendance s’est installée sans heurts graves et que petit à petit apparaissent des générations qui auront peut-être oublié leur appartenance passée à des çoff. L’organisation nouvelle a été caractérisée par une diminution des impôts directs (assimilés par les nomades au tribut), par une augmentation notable des impôts indirects et par une pléthore de fonctionnaires. Si d’un nomade on peut faire un bon soldat ou un policier du désert, le sédentaire le supplante en tout ce qui demande un peu d’instruction, car le nomade est toujours illettré. Dans le service des administrations provinciales, voire fédérales, le rôle des nomades sédentarisés, qui avaient pu fréquenter les écoles de village, est devenu prépondérant, car leur présence rassurait les sédentaires tout en calmant l’orgueil des nomades, outrés de ce que, dans cette révolution ((citadine )), une place de premier plan ne leur eût pas été reconnue.

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Le semi-nomadisme dans I’Ouest liùyen (Fezzan, Tripolitaine)

Depuis l’indépendance, le budget libyen est alimenté par les ressources locales (douanes surtout), par la location de bases aux Anglo-Américains et grâce à l’aide technique de l’ONU. Les dépenses extraordinaires ont pris un caractère excessif (capitale à EI Béda, route Tripoli-Sebha, etc.) au détriment du développement écono- mique. Si le roi Idris conserve au fond de son cœur une grande affection pour les nomades,

nombreux sont ceux qui les considèrent comme un anachronisme doublé d’un danger politique. Des améliorations économiques ont été entreprises par des, agences spé- cialisées, mais toutes dans le domaine agricole et non spécifiquement au profit des nomades. En tout état de cause, le fond du problème du, semi-nomadisme n’a pas été abordé.

L’AVEN IR L a découverte de pétrole dans le sous-sol libyen a soulevé l’enthousiasme et on espère que la Libye deviendra un nouveau Koweit. Les dix-sept compagnies pétro- lières s’arrachent le personnel de secrétariat et utilisent au stade de la recherche de nombreux manœuvres. Les nouveaux salaires attirent vers les chantiers les prolé- taires (djebbad ou bergers) et les petits éleveurs ou propriétaires. L a conséquence de ce bouleversement est la diminution de l’élevage et l’abandon de la culture irriguée au ‘Fezzan. Sortis de leur cadre ancestral, ces prolétaires, insouciants du lendemain, sont détribalisés et, ou bien iront grossir les rangs des chômeurs des villes, ou bien erreront sous les palmiers à ruminer leurs rancccurs.

L a Libye espère ,que les bénéfices du pétrole couvriront annuellement le budget fédéral; si les nationalistes souhaitent alors se délivrer de la tutelle étrangère, d’autres, plus prudents, voudraient développer le pays et en particulier l’agriculture et I’éle- vage. Pour le moment, la politique du laisser-faire aboutit à l’émigration des pro- létaires qui <( ont perdu l’amour de leur pays 01; pour les retenir, il faudrait résoudre un problème ardu: rendre rentables l’élevage et l’agriculture en zone saharienne de façon à élever le niveau de vie du berger et du djebbad à la hauteur de celui du m a - nœuvre. I1 faudrait introduire de nouvelles races de palmier, de nouvelles cultures dont le produit soit vendable sous un faible volume, améliorer la petite hydraulique agricole (norias, éoliennes, pompage électrique, etc.), développer avec précaution l’artésianisme, sélectionner les races d’élevage, prévenir les années de sécheresse par des luzernières, forer des puits collectifs pour les nomades, créer des fermes expéri- mentales, des écoles d’agriculture . . . L a modification des contrats en vigueur dans un sens plus favorable à la main-d’œuvre s’impose; en un mot, il faut faciliter le semi-nomadisme pour lequel ce pays semble avoir une vocation.

Données statistiques approximatives

Cuibh-Cùadumès Syrie Fezzan Djunet (Ajjer) Total arrondi

Population totale 59 400 26 O00 51 603 5 121 145 O00 Nomades 76 O00 14 117 2 918 95 O00 Sédentaires 9 400 37 4886 2 203 50 O00

Chameaux 31 175 Moutons 59 957 Chèvres 38 690 Anes 4 313

Palmiers 45 270 Oliviers 40 O00

1943 6 244 2 509 14 205 - 16868 } 13267 8 495

427 6 534 998

- 1 350 O00 37 200 - - 1. Chant noltPlgiqus de Sémigrnnt femzanair.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Mais tout cela demande des plans à longue échéance et la volonté de réussir. L’ère du pétrole, qui vient de s’ouvrir, semble plutôt incliner tout le monde vers la facilité et l’abandon du désert.

B IBLIOCRAPHIE

Outre les titres décrits à la bibliographie générale, on peut citer: CAUNEILLE, A. (1958), a Le nomadisme des Guedadfa, tribu de Tripolitaine (Syrte) e, BLS, IX. - (1960), e Les Goueyda d’ouenzerik, tribu du Fezzan I), BLS, xxxvx~x. DUBIEF. J. (1948). 4 Les Ifoghas de Ghadames B, IBLA, XI. - (1950). (i Les Imanghassaten a, IBLA, XIXI.

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C H A P I T R E I I

Les Rebaia, semi-nomades du Sod’ par C. BATAILLON

Les Rebaia forment un groupe de 14 O00 semi-nomades; ils possèdent et cultivent des palmiers dans la région du Souf et ils nomadisent plus de la moitié de l’année, avec leurs troupeaux, dans le nord, l’est et le sud-est de l’Erg oriental.

Ces Rebaia du Souf ont eu moins que toute autre tribu un rôle glorieux dans l’histoire. C‘est assez humblement qu’ils se sont associés aux paysans des oasis. Actuellement, ils sont seuls à soutenir opiniâtrement leur vie semi-nomade parmi les tribus sédentarisées de la région qui se sont tournées vers la culture du palmier et ont créé de vastes plantations. Avec les Reguibat, les Rebaia sont un des plus gros groupements nomades au Sahara du Nord. Le Souf est un pays de refuge où les nomades ont afflué et se sont progressivement

attachés, grâce aux facilités d’une agriculture sans irrigation. Celle-ci a favorisé leur sédentarisation progressive. Les chroniques orales situent à peu près l’arrivée de ces tribus entre le XI^ siècle et le XVIII~ siècle; les plus anciens arrivés sont, bien sûr, les plus sédentarisés.

L a ville à laquelle les nomades se sont en général attachés est El Oued: plusieurs groupes, et en particulier trois tribus Rebaia, y ont le tombeau de leur ancêtre, et longtemps c’est surtout autour de cette d i e que les nomades ont possédé des pal- miers. Mais, depuis trois quarts de siècle au moins, les plantations de palmiers se sont

multipliées rapidement au Souf: ces plantations sont bien plus l‘œuvre des tribus en voie de sédentarisation que de paysans anciennement sédentaires. Les tribus Trouds ont alors peu à peu abandonné la vie nomade ainsi que la majorité des Ouled Ahmed. Les tribus plus récemment implantées au Souf - les Rebaia sont ici les plus nombreux - ont persisté dans l’élevage. Ainsi, ces nouvelles palmeraies comptent une minorité d’éleveurs, un cinquième à Reguiba et un quart dans le Nord-Est entre Behima et Hassi Khalifa. Cette proportion atteint deux cinquièmes au sud du Souf, dans la région d’Amiche où les plantations ont été plus lentes. Au total, on compte au Souf, sur 100 O00 habitants environ 17 O00 semi-nomades. Les Rebaia sont originaires de Libye; dans ce pays, des groupes de bergers Rebaia

sont encore dispersész. L’aïeul de ceux du Souf, Khaled ben Reguiat, a dû s’enfuir et ses descendants réfugiés ont conclu des pactes avec les occupants des oasis pour pouvoir y accéder. Des alliances ont ainsi été conclues avec des villageois à Kouinine 1. Now avo- utilis6 largement Ici docummti CtablM par MM. Pierre Batdion et R. Eoelie; d’autre part. de nombreux rep- neignementi provienuent de YM.Pb. du Jonchay (Magrane). Lachaud (Amichc).Viubouzc (Reguiba) et Faure (El Oued).

2. k CAUNEULX (1954). conidth .ur place.

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Nomades et nomadisme au Sahara

et à Debila, ou bien avec des tribus nomades c o m m e celles des Ouled Ahmed. Les Rebaia cherchaient principalement à obtenir le droit de camper et d’acheter les palmiers qui complètent leurs ressources d’élevage.

Les tribus du S o d

Tribu Nombre Date de venue au Souf Genre de vie actuel

Trouds

I Ouled Djamaa Acheche Chebabta Azezla

Ouled Ahmed 1 55 O00 X N ~ siècle Sédentarisés

m e siècle Sédentarisés en générai

XVIP et Semi-nomades XVIIP siècles

XVIIP siècle Semi-nomades I Rebaia 14 O00

Guettatia Fer j ane } 3000 Chaamba

La tribu des Rebaia

Nom dei arch Pâturage Hameaux

Nord Ouled Iladjadj, Messabih, Nord de l’Erg oriental, Zioud, Ouled Zegzaou, pied des Nememcha Behima, Hassi Khalifa Alaouna, Ouled Aissa

sua Ouled Belloul, Atahira, La- ghouat, Fouaiz, Chouachine, l’Erg oriental Aouahmed, Maatig, Reguiat

Régions de Reguiba, Debila,

Dahar tunisien, sud-est de Sud d’El Oued’ Amiche

CYCLE DU N O M A D I S M E

Semi-nomades, les pasteurs du Souf passent au moins deux à quatre mois d’au- tomne aux palmeraies, au moment de la récolte des dattes. Pendant ce temps, des

. bergers isolés gardent et abreuvent le bétail. Puis les départs s’échelonnent de dé- cembre à février vers les pâturages de printemps, composés d’herbes annuelles pous- sant selon l’abondance des pluies de saison froide mais se multipliant après la fin des semaines de gel. Ce pâturage d’acheb est essentiellement variable par son abon- dance et sa localisation. En bonne année, des troupeaux et des familles peuvent se concentrer en un secteur restreint favorisé. C’est l’époque de production du lait, pen- dant laquelle la servitude du ravitaillement en eau n’est à redouter ni pour la famille ni surtout pour le bétail. Dès la fin de mai, les troupeaux se nourrissent aux dépens d’arbustes beaucoup plus dispersés, dont certains fleurissent en été. A ce moment commencent les retours vers l’oasis. Mais le travail d’abreuvage du bétail est astrei- gnant pour les bergers, dont les troupeaux sont obligés de s’éparpiller à cause de la faible densité du pâturage et du débit limité des puits. On trouve cependant des troupeaux atteignant trente chameaux.

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Les Rebaia, semi-nomades du Souf

Si ces trois moments de l’année sont partout distincts, les pâturages du Nord et du Sud diffèrent cependant. Les tribus du Nord passent à la bordure nord des chotts la saison de I’acheb et estivent dans les vallées débouchant des montagnes Nememcha, que les Rebaia remontent de plus en plus depuis un demi-siècle et où il faut garder le bétail avec vigilance. L a surveillance militaire du pied des montagnes est venue restreindre actuellement le pâturage des uns, empêcher pour d’autres le retour au Souf à l’automne. Les Rebaia ignorent les labours, comme tous les gens du Souf, sauf exception.

Les tribus du Sud vivent principalement dans l’Erg oriental; on les trouve très à l’est, sur le Dahar tunisien à l’époque de l’acheb, pauis dans l’Erg, près des puits, en été. A cette époque, le bétail n’est pas gardé et il vient de lui-même à I’abreuvage, d’autant plus facilement que chacun s’installe si possible, chaque été, au m ê m e puits. Avec les Chaamba et les Guettatia, ce sont plus de 5 O00 nomades dont les troupeaux ne quittent guère l’Erg.

Dans l’ensemble les Rebaia sont des bergers, non des chameliers. Ils parcourent de longues distances mais ont peu de bêtes: la moyenne, par famille de six personnes, serait de moins de deux chameaux, sept chèvres et sept moutons. $levage de pauvre, sans aucun doute, où la famille ignore parfois la tente, faute surtout de moyens de la transporter. Si d’anciens nomades ruinés qu’on rencontre en mars au Souf s’abritent encore parfois sous une tente, ce n’est pas toujours le cas au pâturage. Après l’ap- pauvrissement des années 1944-1945 (sécheresse) et 1947 (vent de printemps), et jusqu’en 1953 on ne voyait pratiquement plus de tentes. Elles sont plus fréquentes en 1959 quoique nullement nécessaires: non seulement le berger isolé n’en a pas, mais bien souvent une famille qui ne peut la transporter se contente, au printemps de protéger le campement d u vent par une haie de branchages, en été d’éviter le soleil par un abri de branchages (zeriba), fait parfois de palmes.

Cependant, au moins jusqu’aux deux dernières années, on trouve peu de traces de fléchissement dans le nomadisme rebaia. Après la crise très grave des années 1944-1947, une reprise a eu lieu; des familles ruinées ont reconstitué un troupeau minimum et les familles restées à l’oasis au printemps sont rares. L a crise sociale actuelle est plus grave; m ê m e si l’émancipation des bergers esclaves autrefois achetés à Ghadames a été de pure formel, le recrutement s’est trouvé tari. Mais actuellement les salaires de l’armée ou du pétrole ont rendu l’embauche d’un berger impossible. L’élevage ne tient que par le travail de la famille elle-même, tant que ses fìls con- tinuent à préférer le troupeau familial au salaire individuel infiniment plus rémuné- rateur. U n appoint traditionnel de l’élevage est le ramassage du bois, d u crottin de cha-

meau et de l’herbe destinée aux chèvres des sédentaires. Au Souf, ces ventes animent particulièrement le souk d’El Oued. Ces ramassages ont été valorisés, surtout pour le bois dont le prix a triplé depuis sept ans; il sert en effet à chauffer les fours à plâtre, multipliés par l’essor d u bâtiment. I1 en résulte un progrès très rapide de la dévastation des arbustes, surtout le long de la route de Biskra, où le transport de bois se fait maintenant en camion.

RESSOURCES AGRICOLES ET HAMEAUX DE L’OASIS

Les caractères particuliers de la culture du palmier au Souf en facilitent la pratique aux semi-nomades. Cependant, ils se trouvent souvent associés à des cultivateurs à qui ils ont parfois acheté des arbres ou qui les aident à les soigner. C’est la récolte des dattes qui, à l’automne, attire les éleveurs au Souf. Ils y ont leurs campements et leurs hameaux où ils se sédentarisent, parfois associés, là encore, aux cultivateurs.

1. R. LELIELLZ (1957), Lm Noirs du Sauf, rupplément au Bullefin ¿e liabon saharienm.

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Nomades et nomadisme au Sahara

L’agriculture est représentée pour les semi-nomades par la culture du palmier en bourn, c’est-à-dire sans irrigation. Les jardins sont creusés de plusieurs mètres dans le sol, pour permettre à l’arbre de boire directement à la nappe phréatique proche. L’existence de grosses palmeraies non irriguées rappelle le Fezzan et leur intérêt est évident pour les nomades : en dehors de la fécondation au printemps et de la récolte à l’automne, aucun travail permanent d’irrigation n’oblige à être sur place. Si la domination de khammès, harratines ou non, est une solution agricole classique de nomade riche - en général guerrier - le palmier bour convient aux modestes bergers du Souf. Si le travail de creusement exigé ici par les plantations est gigantesque, il a été admis par des gens pauvres vivant dans une économie où l’on ne concevait pas de rentabilité du travail. Mais surtout, ce genre de travail ne lie pas en permanence l’homme au sol comme l’irrigation, même si son raffinement technique a un aspect paysan.

L’espèce la plus courante est la datte ghars, conservée écrasée et tassée dans des peaux de mouton. L a production annuelle d’un arbre bien soigné dépasse 40 kg. A ces dattes de consommation locale s’ajoutent de plus en plus les deglet now, destinées au marché européen; mais il est typique que la proportion de cette dernière espèce soit minimum dans les palmeraies appartenant aux semi-nomadesl. On évalue la propriété des Rebaia à 40 O00 arbres, c’est-à-dire 16 par famille. Cette toute petite propriété est analogue à celle des purs cultivateurs, anciens nomades ou non.

L a propriété agricole est strictement individuelle; cependant, la méthode de culture oblige à s’associer ou du moins à s’entendre pour de multiples travaux, les voisins possédant des palmiers dans deux jardins mitoyens ou à l’intérieur d’un m ê m e jardin. L a coutume locale règle minutieusement le passage, le droit de déblayer ou de creuser le sable pour planter de nouveaux palmiers, etc. I1 est important, dans ces conditions, de constater l’imbrication des propriétés de plusieurs tribus, ce qui est le cas général. On trouve chaque tribu semi-nomade associée par le voisinage avec l’une ou l’autre des tribus sédentarisées, Trouds ou Ouled Ahmed.

Les exemples les plus frappants de cette association sont visibles dans la région d’Amiche, où les jardins contenant plus de 50 ou 100 arbres sont partagés entre des dizaines de propriétaires. Dans l’exemple présenté au tableau suivant on constate facilement le lien entre les Trouds sédentarisés chebabta et les semi-nomades Rebaia.

Propriété dans u11 jardin d‘Amiche (moyenne: 8 palmiers par propriétaire)

Chebabta h e & OuiedAhmed Rebain Ferjane Told

Nombre de propriétaires 10 1 1 9 2 23 Nombre dc palmiers 77 4 3. 89 18 191

En règle générale, l’habitation, lors du séjour d’automne à l’oasis, est la tente ou la zeriba. On plante la tente chaque année a u m ê m e emplacement. Mais, le plus souvent, depuis fort longtempsa chaque famille possède une pièce magasin - dar khzin - généralement rectangulaire, de 5 x 2,50 m; là s’enferment la provision de dattes récoltées, le blé acheté au souk, etc., voire éventuellement la tente rendue inutilisable faute de chameau pour le transport. Souvent, à l’automne, on établit une clôture de palmes autour du magasin et la tente montée dans cet enclos est à l’abri des regards. En cas de sédentarisation, un mur remplace souvent la haie et réunit plusieurs dar khzin: on dispose ainsi d’une maison à plusieurs pièces ouvrant sur une cour centrale, plan classique de l’habitation du sédentaire.

1. Un deglel now m u r dix (moyenne gbérsle du Sour: 2.5 #ur 10). 2. Au m o b up mieïlc d’aprb I’explornteur Duveyrier.

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Les Rebaia, semi-nomades du Souf

E L

L i g e n d e

4 Village OU hameou.

Palmeraies des villogeoia.

0 Palmeraies des semi-nomadcs. II O

Rebaio du Nord, 100 hab. Reboio du Nard moina de 100 hab. Rebaia du Nord 300 hob. Reboio du Sud 100 hob. Rebaia du Sud 300 hob. lambes d'ancêtres des tribus Reboia.

A

A Y

W

Amiche

Nezlet el Chaambo

A

0 ' 1 2 5 km ,

. . . FIG. 13. Lea Rebaia dans le Souf.

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Page 120: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades et nomadisme au Sahara

Mais la construction de grandes habitations neuves, à cour centrale, semblables à celles des sédentaires, est souvent le fait de nomades aisés. En particulier, des mili- taires bâtissent une maison plutôt dans un but de prestige que comme habitation, car on monte encore la tente à côté, réellement habitée à l’automne par la famille c o m m e l’exigent les vieilles gens: on se moque à ce sujet des Rebaia et des Chaamba surtout. Les hameaux’ des semi-nomades réunissent en général les membres d’une famille

patriarcale ou d’une tribu en un groupement de maisons assez serrées. Ainsi, dans la région de Reguiba, les Rebaia occupent à eux seuls les trois hameaux de Bir Bachir, Djeikh et EI Aoueissa sans presque se mêler aux sédentarisés de la région. I1 en est de même, dans la région d’Amiche, au hameau de EI Bamma. C’est le campement de la tribu rebaia des Reguiat et de leur cheikh, Bachir. I1 y a là très peu de maisons d’habitation et presque uniquement des magasins. On trouve aussi des hameaux où vivent les membres de tribus associées2. Le cas

le plus net concerne Djama Mida, ail nord du village de Debila. Une famille de ce village est venue là bâtir ses maisons, puis, vers 1900, sa mosquée, et, à ce moment, 152 ((tentes )) rebaia ont construit leurs magasins le long d’une rue du hameau, que les villageois gardent la plus grande partie de l’année. En effet, on ne trouve sur place, au printemps, que 4 ou 5 tentes ou zeriba installées dans les jardins. I1 s’agit de nomades sans troupeaux ni palmiers, n’ayant pas même d’enfants capables d’aller au pâturage ramasser du bois ou du crottin de chameau. Une association semblable unit, dans le hameau voisin de Djedeida, des semi-nomades rebaia et des sédentarisés chebabta et azezla.

Parfois, autour d’un sanctuaire, des semi-nomades de tribus variées viennent grouper leurs habitations afin de profiter des bénédictions d’une famille marabou- tique. L a sédentarisation est ainsi plus rapide qu’ailleurs dans le hameau aggloméré autour de la zaouia du tombeau Sidi Limam, à Amiche. Plus anciennement, le village de Bayada s’est constitué par la sédentarisation maintenant complète de Chebabta et d’Azezla auprès d’une zaouia de la (( voie )) Tidjania.

* .

ORGANISATION PATR IAR CA LE

L’édifice social repose avant tout sur les liens du sang et il est plus solide chez les Rebaia que chez les autres tribus du Souf. On saisit ce système patriarcal à différents étages. Le ménage - la ((tente )) - est, bien sûr, le groupement de base. I1 compte 6 ou 8 personnes, chiffre exceptionnel, sans que la proportion d’enfants soit spécialement élevée, au contraire3, car souvent trois générations vivent en commun. L a famille patriarcale groupe un certain nombre de ménages dont les hommes sont apparentés. C’est dans un même hameau qu’elle campe à l’automne, dépose ses provisions et se sédentarise éventuellement. Tous ses membres ont une idée claire des liens généa- logiques qui les unissent et peuvent réciter la liste de leurs aïeux communs. On trouve jusqu’à 43 tentes dans une f a d e zioud; en revanche, des lignées (< faibles D, morcelées ou décimées par l’événement, groupent moins de 5 tentes.

L a tribu (arch) est une unité plus vaste que la famille patriarcale, mais, au fond, de même nature. Les éponymes des quatorze tribus rebaia ont parfois un tombeau connu. En réalité, à ce niveau, à côté de gens aussi solidement liés entre eux par le sang qu’à l’intérieur de la famille patriarcale, d’autres sont franchement considérés c o m m e adoptés. Néanmoins le schéma généalogique s’applique réellement à la majo- rité des tribus rebaia qui semblent former un groupe exceptionnellement stable en

1. Cem hameaux i’appeüent dei neda (on dit Nezlet kgtouta. etc.), ce mot signifie nonnaiemenl: campement. 2. C. BATAILLON (1955). p. 50. 3.43%. Le chifie de 6 pernonnei par tente est celui de In tribu dem Ouled Hadjadj; on trouve 8 pernonnei chez lei Zioud.

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Les Rebaia, semi-nomades du Souf

face de l’usure qui atteint d’autres unités’. Leur nomadisme exclusivement pastoral est lié sans doute à cette stabilité sociale.

I1 est remarquable que les détails de filiation. et d’adoption apparaissent à I’occa- sion de I’établissement d’un état civila qui précisément va figer et détruire en partie cette organisation. En effet, les familles adoptées reçoivent un n o m patronymique particulier et se séparent ainsi de la tribu, cependant que les rameaux apparentés ont chacun leur nom.

Enfin, l’appartenance à l’ensemble des Rebaia relève aussi de caractères patriar- caux. L a marque du chameau est un m ê m e signe dont une variante correspond à chaque tribu. Si des liens généalogiques particuliers unissent précisément certaines tribus entre elles, une origine commune vague est revendiquée par les 14 tribus rebaía.

L a solidité persistante de l’organisation tribale s’accompagne fréquemment de mariages entre proches parents, donc d’une endogamie de la tribu ou de la famille patriarcale. L a chose est souhaitée en théoriea et réellement pratiquée4 aussi bien chez les Trouds sédentarisés que chez les Rebaia. C’est en tout cas pour ces derniers que le mariage hors de la tribu est le plus rare.

Ce qui fait l’originalité de la confédération, c’est qu’elle est restée semi-nomade face aux Trouds largement sédentarisés et aux gens des villages. I1 en résulte la reconnaissance d u cheikh des Reguiat comme cheikh el orf(chef de la tradition) par tous les Rebaia comme par les autres nomades du Souf. Il applique la coutume et non le chrci pour les contrats de bergers.

TIIANSFOBMATIONS ACTUELLES

Dans les départements sahariens, les Rebaia sont sans doute ceux des nomades qui étaient restés le plus en marge du monde moderne, avec les Reguibat. L a société s’était peu transformée, car sa base économique restait stable: le semi-nomadisme étant ancien, l’extension des palmeraies et le brassage subséquent du peuplement n’avaient pas bouleversé le rythme traditionnel. En un sens les Rebaia n’ont pas été sédentarisés justement parce qu’ils étaient semi-nomades. Le déclin d u commerce saharien a dû les atteindre moins que des Guettatia ou des Chaamba du Souf, qui comptaient plus de marchands d’esclaves riches et bien organisés5; ceux-ci ont subi une perte grave quand s’est tarie la traite depuis Ghadamès. Au contraire, les bergers rebaia restaient assez à l’écart du grand commerce et des vastes intrigues politiques. Ainsi n’ont-ils guère été appauvris. Seule la guerre récente ne les a pas laissés en marge des bouleversements.

L’évolution est beaucoup plus ancienne pour les autres groupes semi-nomades du Souf, depuis longtemps en contact avec le monde moderne. A Reguiba et à Magrane comme à EI Oued, les Trouds se sont fixés peu à peu, depuis une ou deux génerations au moins, devenant cultivateurs ou commerçants; ils émi- grent temporairement vers la Tunisie ou le Tell constantinois. Dans ces secteurs, les Rebaia sont restés à part, malgré leur juxtaposition aux autres groupes. Depuis peu leur intégration à la vie locale est en cours, en vertu de la réforme communale. En revanche, Amiche était resté beaucoup plus isolé, aussi bien pour les Rebaia que

1. On ler comparerait volontiers aux Reguibat en leo op osant aux Cbaamba. L’usure et la AinterprCtdon oont encore p h internei chez les viiiagcoii du Souf (C. BATAILLon (i%$ p. 36. Kouinine). chez qui leo iégcndeo d’adoption dénotent un frano dbir de créer un groupe conianguin comme ocde forme de relation imaginable; au contraire, les Azeda et Chebabta.dden- tari& en grande partie. ont une disposition analogue i celie des Rebaia. .

2. Le chou de l’état civil doit se leire souvent entre: a) Is nom, connu de tous, d’un andire célèbre portant un surnom typique mais ceux qui s’y rattachent oont nombreux et lu généalogies incertaines; b ungroupr conionpin réduit plil. homogbe mais celui-ei n’a souvent qu’un nom banal (z ben x ben x) peu favorabis i la cr6)alion d’un patronyme.

3. Proverben rebaia : *Pétri# ta propre qiie, ton pint aura bonne tenue e; 4 Celui pour qui I’oncle n’a pas engendré ne oe mariera

5. R. LESELLE (1957), p. 7. $!.” 4. oup. 28.

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Nomades et nomadisme au Sahara

pour les autres. C’est donc pour l’ensemble de la population de cette région que la lente évolution antérieure s’est brusquement accélérée.

Politiquement la transformation n’est donc pas la même partout. Dans les secteurs nord-ouest et nord-est, des communes ont été créées, qui englobent toute la popu- lation d’un groupe de hameaux et de villages et les Rebaia sont représentés propor- tionnellement à leur nombre dans le conseil municipal. En tout cas les tribus sont ainsi démembrées pour l’ensemble des Rebaia du Nord. De plus, la guerre a particu- lièrement atteint ces régions (nord du Souf ou pâturages en direction des Nememcha). L a situation traditionnelle reste mieux préservée à Amiche où s’est créée une com- mune nomade des Rebaia du Sud; un conseil municipal unit des jeunes à la jemaa traditionnelle et la représentation de chaque sous-groupc est respectée.

L’essor démographique semble un événement récent chez les Rebaia. A cet égard les semi-nomades diffèrent peu des sédentaires. Cependant, chez ceux-là, la pro- portion de jeunes est légèrement inférieure à celle des sédentaires: même si elle a diminué, la mortalité infantile doit rester plus élevée chez les nomades. De plus, le manage tardif des jeunes gens utilisés comme bergers par leurs familles est une raison probablel.

Depuis peu de temps l’émigration atteint, encore modestement, la population nomade. Le passage de la vie de berger à celle de salarié moderne se fait directement dans certains cas et là réside la nouveauté. Néanmoins, l’importance de l’émigration est bien proportionnelle à la sédentarisation des groupes d’Amiche: Trouds en tête puis, plus modestement, Ouled Ahmed et bien peu de Rebaia. A Reguiba, I’émigra- tion est bien plus importante.

La possibilité de quitter la vie de berger s’ouvre de plus en plus largement à tous, anciens esclaves ou fils de propriétaires de troupeau. Le nomade est mieux préparé en fait à certains emplois au Sahara: ainsi trouve-t-on 106 salariés rebaia dans les entreprises du Sahara2, contre 22 en France et 5 travaillant aux ponts et chaussées. L’adaptation aux dures conditions du Sahara se trouve ainsi valorisée. U n autre emploi lucratif - depuis longtemps pratiqué par les Chaamba - est l’engagement militaire dans les méharistes: 250 Rebaia en profitent, alors qu’il n’y en avait presque pas voici quatre ans.

Ainsi, la guerre elle-même, qui a décuplé les effectifs militaires locaux, profite directement aux nomades de l’Erg. Les incidents locaux sur la frontière tunisienne fermée à la contrebande autorisent parfois de fructueuses indemnités quand sont atteints les troupeaux dont, nous le savons, les pâturages sont à cheval sur deux pays.

Enfin, des besoins naissent des récents contacts avec la vie moderne. Pour des gens d’un niveau de vie très bas, les transformations de l’alimentation et même du vêtement restent très limitées. Ce sont surtout des dépenses de luxe qui attirent: les maisons se sont multipliées partout, la radio pénètre au moins sous les tentes du Nord et surtout au village, même à Amiche. En quelques années, l’horizon des noma- des peut s’élargir.

CONCLUSION

Caractères originaux

Le semi-nomadisme des Rebaia apparaît particulièrement stable jusqu’à mainte- nant. Si l’on cherche quelles bases ont permis cette stabilité durable, deux aspects semblent essentiels: les formes de l’agriculture du Souf et l’homogénéité d’un groupe comportant peu d’inégalités sociales. En dehors dc la récolte d’automne, pôle clas-

1. L’isolement dei bergera eat trb pousd: on en trouve parfol au pâturage qui ne connaissent pas lei oasis du Souf; d’autres

2. i i a d Mcssaoud. 46; région d’Edjeleh. 28; pipeline Edjeleh-Gabès. 32. n‘y sont pas i k depuis des annéeo.

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Les Rebaia, semi-nomades du Souf I

sique du semi-nomadisme, la culture n’est pas contraignante à date fixe. Les modes d’association avec les groupes sédentarisés facilitent les travaux délicats à date exacte, tels que la fécondation des palmiers. On peut penser que l’accroissement des cultures pour les Rebaia, la sédentarisation pour les Trouds ont pu se faire sans choc brutal, la culture étant connue depuis longtemps. Un problème reste cependant: après 1947, par exemple, les troupeaux rebaia se sont reconstitués peu à peu, alors que des Ouled Ahmed cessaient toute vie nomade. L a chose s’est produite’en d’autres occasions, depuis 50 ans, pour les Trouds. L a vitalité plus grande du nomadisme chez les Rebaia serait donc à expliquer. Elle réside peut-être dans le fait qu’il s’agit d’un groupe nomade très cohérent et assez nombreux a m v é récemment au Souf.

L a simplicité du groupe social, assez égalitaire, est un autre élément de stabilité. Les 14 tribus rebaia se ressemblent, formées d’éleveurs qui n’ont jamais eu de rôle important dans le grand commerce ni dans la vie politique du Sahara: ni richesse ni pouvoir ne sont nés chez des gens chassés, en somme, vers la zone refuge de l’Erg oriental. Pour les Rebaia, le nomadisme consistait presque uniquement en élevage : il a p u rester intact tant qu’il n’a pas été concurrencé par des ressources plus lucra- tives au Sahara même.

Possibiliiés d’avenir

L a sédentarisation agricole au Souf n’apportait pas d’amélioration du niveau de vie, étant donné le coût humain de la culture locale du palmier; au plus pouvait-on attendre de la culture plus de sécurité que de l’élevage. Ainsi peut-on dire que ce sont les nomades en surnombre qui se sont sédentarisés, m ê m e si la coupure des groupes reste à expliquer - Rebaia restés nomades, Trouds largement sédentarisés. Si le groupe sédentaire s’était proportionnellement accru depuis trois quarts de siècle, la vie pastorale demeurait solide. L a concurrence de l’économie moderne semble actuellement beaucoup plus redoutable. Jusqu’à nouvel ordre, l’élevage no- made reste limité comme ressource et les salaires des bergers ne peuvent s’élever beaucoup. En regard, l’armée ou les compagnies pétrolières proposent des salaires considérables pour le pays. 11 faut donc prévoir des difficultés pour u n élevage qui ne peut déjà plus recruter de bergers salariés aux conditions habituelles.

L’agriculture du Souf a apporté des solutions partielles. L a datte d’exportation reste rentable malgré la hausse des salaires ruraux, mais, surtout, l’homme fait vivre sa palmeraie grâce à d’autres ressources. L a culture du palmier est rarement un moyen d’existence exclusif et des cultures annuelles plus rentables se sont dévelop- pées. Au contraire, il est plus difficile de savoir comment l’élevage peut rester ren- table. L’aisance générale a multiplié la consommation de viande au Souf, qui devient importateur. Les prix sont certainement favorables aux éleveurs, ce qui facilite le maintien du troupeau. Celui-ci peut rester, associé au ramassage du bois, un élément appréciable parmi d’autres ressources pour une famille d’éleveurs qui disposerait en m ê m e temps d’un salaire et d’un revenu agricole.

Mais un élevage devenu ressource secondaire résisterait-il à l’une des catastrophes périodiques qui l’atteignent, sécheressc ou vent de printemps ? Dans le but de créer des réserves fourragères, l’idée d’un forage artésien à Bir Jedidl a été émise et reste discutée; sa réussite dépendrait d’une gestion souple et rentable. Si des prêts de fourrage en année difficile ne sont pas compensés les années favorables par des rem- boursements puis par des investissements en réserves fourragères de la part des. nomades, on tombe dans l’assistance pure et simple. I1 faudrait en m ê m e temps des moyens de distribution s’étendant à de vastes régions de circulation particulierement difficile.

1. A 120 km au mud-est d’El Oued. Prix du forage: 100 mil li^^ de Lanci.

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C H A P I T R E I I I

Semi-nomades du Nefzaoua par BENNO SAREL-STERNBERG

LES P R O B L ~ M E S

Deux modes d’existence se confrontent, s’opposent et, à la limite, tendent à se fondre au Nefzaoua: l’agriculture stable d’oasis et le nomadisme pastoral. Ce- pendant, le plus souvent il n’y a pas de solution de continuité entre nomades et sédentaires. Sans doute les Ghrib n’ont pas de village et certains d’entre eux s’arrêtent seulement pendant deux ou trois mois en automne, autour de l’oasis de Zarcine, dans des zeriba reconstruites chaque année. Dans ce cas, entre nomades et travail- leurs des oasis il y a une différence sensible. Mais si, par exemple, on compare les oasiens sédentaires avec les Marazig de Douz Gharbi, fraction d’une vieille tribu nomade, on a une impression tout autre. En effet, sur une population qui comprend près de 600 familles, 50 tentes seulement partent chaque année en nomadisation. En m ê m e temps, à Douz Gharbi, tout comme dans les cheikhats sédentaires la majo- rité des familles labourent, les années où il a plu, les terres collectives au nord du Chott. Pour distinguer nomades et sédentaires on est en fait amené à évoquer le passé de chaque groupe, la réalité ethnique, tout un monde d’habitudes et d’atti- tudes et particulierement d’attitudes envers le travail de la terre.

I1 est certain que les anciens nomades sédentarisés de fraîche date connaissent un malaise profond. Ceux qui possèdent un lot irrigué sont de médiocres travailleurs. Mais le plus souvent les anciens nomades forment autour de l’oasis une population miséreuse dont l’année de travail se réduit à deux ou trois mois. Tous aiment rap- peler par des chants, des tournures de langage, des histoires que les anciens ra- content, les temps de la nomadisation. Chez la plupart on peut encore trouver la tente toute délabrée qui n’a plus servi depuis des années. En fait la vie actuelle des anciens nomades ne manque pas d’être accompagnée d’un grave sentiment de dé- chéance.

Pour les nomades comme pour les sédentaires c’est le contact avec l’occident qui a constitué l’épreuve décisive. L e pays entier - gens des oasis et gens du désert - a été bouleversé. Mais, tandis que pour les paysans oasiens la grande affaire restait l’irrigation, les soins à apporter aux palmiers et aux carrés de légumes, pour les nomades le sens m ê m e de leur vie tendait à se détériorer. C’est que les sédentaires étaient requis par une relation stable avec le milieu naturel, tandis que les nomades étaient à chaque instant amenés à tisser et à maintenir autour d’eux des rapports multiples et fragiles avec les autres groupes humains. Pasteurs, ils étaient en effet également caravaniers-commerçants, guerriers-protecteurs intéressés des populations sédentaires, voire bénéficiaires d’anciennes redevances maraboutiques. Pour I’oasien, le travail, la ténacité devenaient nécessairement les qualités maîtresses. Tandis que

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Nomades ct nomadisme au Sahara

pour le nomade le courage, le savoir-faire dans les relations humaines, le sens de l’honneur et du prestige étaient les valeurs qui éclipsaient toutes les autres.

Tout naturellemcnt les Européens étaient plus portés à reconnaître le mode de vie des oasiens que celui des nomades. Mais en dehors même de cette reconnaissance - probablement décisive - l’introduction de techniques modernes, le tracé de fron- tières politiqucs, l’établissement de la paix, fût-elle militaire, défavorisèrent comme dans tout le reste du Sahara ia vie nomade. Et cependant que la population des oasis, qui augmentait de deux fois et demie en soixante-quinze ans, voyait quintupler le nombre de ses palmiers’, la population nomade, qui peu de chose près augmentait dans les mêmes proportions, perdait le bénéfice des caravanes et celui des diverses redevances versées par les sédentaires. Sans doute les nomades augmentaient-ils leur capital troupeau. Mais, comme nous le verrons, il s’agissait d’un fonds instable pouvant se réduire des trois quarts en l’espace de deux ans.

I1 serait certes nécessaire de nuancer le tableau que nous venons de tracer. Les travailleurs des oasis n’ont pu profiter pleinement, il s’en faut, de l’expansion des cultures et de la paix, alors que certains nomades, après s’être opposés par les armes aux Européens, s’adaptaient, pénétrant dans la nouvelle administration, ou acqué- raient des lots dans les palmeraies et, s’insérant dans la structure sociale de l’oasis, engageaient des khammès pour les cultiver. Certains travaillaient eux-memes leurs lots, mais plutôt mal, nous l’avons noté. Toutefois, cette évolution ne sauvait de la misère qu’une minorité.

Ainsi le problème du nomadisme dans le Nefzaoua peut-il être défini comme celui d’une population qui a vu réduire ses ressources, celui également d’hommes qui ne sont plus reconnus, qui voient se déprécier leurs anciennes valeurs, qui, devant re- noncer à la vie passée, ne peuvent cependant en adopter une autre, par manque de préparation et de possibilités objectives.

LES MODES D’EXISTENCE

Milieu humain et milieu naturel

L e Nefzaoua - administrativement les territoires des délégations de Douz et de Kehiliz - peut etre divisé en trois zones: une zone de terres de labour au climat steppique au nord du Chott Fedjedj, de part et d’autre du Djebel Chareb; une se- conde zone, celle des oasis, au sud du Fedjedj, comprenant la Bahira, petite plaine entre les monts Tebaga et le Chott, ainsi que les contreforts sud du Tebaga jusqu’à une ligne passant par EI Fouar, Sabria et Douz; enfin, au-delà, vers le sud, jusqu’à Ghadamés, s’étend la zone du nomadisme. Celle-ci peut elle-même être divisée en trois secteurs: le premier comprenant le nord et le centre du Nefzaoua, jusqu’à en- viron 200 km au sud du Chott, formé de terres gypseuses et sablonneuses, terres souvent salées mais susceptibles d’entretenir un troupeau clairsemé; le Sud-Est en- suite, secteur recouvert en grande partie de dunes mouvantes - limite est du Grand Erg oriental - qui empêchent la constitution d’un tapis végétal; l’Est enfin, secteur à végétation maigre sur dômes pierreux. (Voir fig. 14.)

Chacune des tribus nomades possède un port d’attache dans la zone des oasis ainsi que des terres collectives au nord du Chott, en dehors bien entendu d’une aire de nomadisation au sud. Le rythme de vie de tous les groupes du Nefzaoua, nomades ou sédentaires, est,

sinon semblable, tout au moins parallèle. C’est en effet celui de la cueillette des dattes, des moissons et des labours, du croît du troupeau.

1. En 1883. il y avait au Nerinoua uelque 10 O00 ddentairei et 8 O00 nomadei. Actuellement, sur 50000 habitants. il y a environ 22 O00 nomadei et 28 O00 %dentaires. Le nombre dei palmiera était de 160000 en 1883. il est actuellement de 800000.

2. La délégation de Kebili a une iuperficia sans Ici chotts) ce 270 450 hectarei. une population totale de 28 O00 habitants. dont 4 O00 nomadei ou nouveau^ s6dentaues. bour Doua lei ehiffree eorrespondanta eout de 2 978 200.22 O00 et 18 000.

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Semi-nomades du Nefzaoua

FIG. 14. Sud tunisien: le Nefzaoua et ses abords. 125

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Nomades et nomadisme au Sahara

En octobre, le début de la cueillette rassemble les nomades autour des oasis. I1 s’agit pour quelques-uns de surveiller la récolte, pour la plupart d’acheter des dattes bon marché. AU mcme moment cependant, les années où il a plu, une partie des familles nomades ou sédentaires s’en vont labourer au nord du Chott; ils s’y re- trouvent en juin, à la moisson.

L a cueillette finie et les ghraras, lesjij, les dalous’ réparés ou remplacés, on repart: dès le mois de février on est prêt. Le tout début du printemps, c’est la période où le Sahara fleurit, c’est également la période où l’on commence à sevrer les chevreaux, les agneaux, les jeunes chameaux et où il faut pouvoir leur offrir un pâturage frais. Cette période de nomadisation durera quatre ou cinq mois environ, jusque vers le mois de juin, lorsqu’il faudra aller moissonner au nord du Chott.

Parfois, lorsqu’ii a plu, telle fraction nomade sèmera au cœur du Sahara même, au pied des collines, dans des impluviums. Les nomades ne resteront pas l’été entier au Sahara. En effet, contrairement à l’habitude d’il y a vingt ou trente ans, ils interrompront leur course et - sauf pour ce qui est des Ghrib - reviendront à l’oasis pendant les deux mois de plus forte chaleur. Les années où ils ont semé au Segui ou au Chareb, ils laisseront paître les chaumes par les bêtes pendant quatre ou cinq semaines avant de retraverser le Chott. Le cycle de l’année sera clos après que le bétail aura repris en septembre et octobre le chemin du Sahara. Ils ne seront plus accompagnés cette fois que par les seuls bergers collectifs, souvent anciens nomades au service des sédentaires, amenant avec eux une partie des bêtes des oasiens. Ce qui sépare nomades et sédentaires réside en grande partie dans la mentalité,

dans l’attitude envers le milieu naturel et envers les hommes. Les nomades s’adaptent passivement au milieu naturel tandis que les sédentaires des oasis, par l’irrigation, par les brise-vents tendent à le transformer. En échange, si leur manière de durer consiste à se soumettre à la nature, les nomades ont souvent tenté de dominer d’autres groupes humains. I1 y a dans la vie nomade un aspect des rapports avec le milieu naturel qui est leur activité pastorale et un autre aspect qui, avant le protectorat, était commerce, guerre, maraboutisme. Dans quelle mesure l’une et l’autre de ces activités contribuaient-elles à assurer l’équilibre d’ensemble du groupe 1 Nous le verrons, cette question prend de l’importance lorsqu’on veut saisir l’évolution ac- tuelle de chacun des groupes nomades vers la sédentarisation.

Physionomie des groupes. Chaque tribu du Nefzaoua se différencie par un trait caractéristique des tribus voisines. Les Ouled Yacoub formaient avant le protectorat une sorte d’aristocratie guerrière. Les Marazig sont une tribu maraboutique rigoriste. Les Ghrib une tribu de pasteurs chameliers remarquables par la sobriété de leur vie. Les Adhara, à cause de leur misère, sont considérés comme les parias du Sahara tunisien. Seuls peut-être les Sabria n’ont pas de trait distinctif si ce n’est d’avoir été confédérés tantôt avec les Ghrib, tantôt avec les Marazig et de réunir certains des traits de ces deux dernières tribus. Ce sont les Ouled Yacoub, tribu de 3 O00 à 4 O00 âmes, qui se sont le mieux adaptés

à la vie sédentaire parmi les nomades du Nefzaoua. La plupart des familles Ouled Yacoub, nous l’avons noté, possèdent des parcelles de palmeraie cultivées par des khammès étrangers à la tribu. Un certain nombre quittent toutefois leurs ports d’attache en mars. Leur zone de nomadisation s’étend vers le nord-est. En juin, ils traversent le Chott pour faire la moisson dans le Segui. Ils nomadisent ensuite vers le centre et vers le nord de la Tunisie, d’où ils reviennent vers septembre en emportant du grain.

Tribu d’origine arabe, descendant des Hilaliens, les Ouled Yacoub sont les seuls à pratiquer une endogamie sévère. Avant le protectorat, toute une série de villages

,

1. Lei ghrarar sont de grands sacs iisds en poil de chbvre et de chameau. L e i jiij mont Ici bandes comïitutivei dei tentei. Ghrarnr et ûij diffèrent de tribu A tribu suivnnt l’alternance des rayure#. Les dolour sont dei icaux de cuir nerveat P puiser de l’eau.

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Semi-nomades du Nefzaoua

sédentaires leur payaient tribut et leur sphère d’influence dépassait le Nefiaoual. Par suite de leur division en deux çoffs, une partie des Ouled Yacoub s’allia aux Français en 1883 tandis qu’une autre partie leur résistait. Mais bientôt l’ensemble de leurs dirigeants s‘adaptèrent à Ia nouvelle situation et toute la tribu profita de l’extension des palmeraies. Sans doute, la vie patriarcale continue chez les Ouled Yacoub et elle est marquée en premier lieu par l’organisation de la famille. Cependant, c’est leur tribu qui est la plus pénétrée par les mœurs capitalistes. Propriétaires de parcelles plantées en dattes deglet nour, ils disposent de moyens financiers et nombre d’entre eux se sont installés commerçants à Kebili, à Nega et dans d’autres villages.

L’exemple des Ouled Yacoub est celui d’une tribu nomade dont les ressources avaient comme origine, pour une grande part, la domination d’autres groupes. Le système social changeant, ils ont su s’adapter, mettant à profit leur habitude de direction. C’est cette adaptation qui les a mis sur la voie de la sédentarisation.

L e cas des Ghrib - 2 O00 âmes environ - se place à l’opposé de celui des Ouled Yacoub. Tribu chamelière de Berbères sahariens aux mœurs frustres, tièdes musul- mans d’autre part, ils ont toujours vécu dans UD. certain isolement. Avant le pro- tectorat, ils versaient des redevances à leurs voisins algériens, les Chaamba, qui en échange leur permettaient de participer aux caravanes vers le sud2. Ces caravanes constituaient, un des éléments de leur équilibre économique. Un autre élément était le revenu des parcelles de palmeraie, minuscules il est vrai, qu’ils avaient achetées aux sédentaires de l’oasis de Zarcine, sédentaires devenus par la suite leurs khammès.

Les Ghrib sont la tribu la moins atteinte par la modernisation. Ils nomadisent au sud du Chott Djerid et nombreux sont ceux qui n’ont pas de tente mais dorment en s’enveloppant dans leur burnous. Avant la sécheresse de 1947-1948, leurs troupeaux étaient nombreux et ils ne se groupaient autour de l’oasis que de novembre à janvier. Actuellement, la plupart interrompent leur course en juillet-aôut. Mais les Ghrib sont la seule tribu du Nefzaoua où une minorité,importante demeure huit ou neuf mois d’afñiée au désert. C’est aussi la tribu qui a le mieux reconstitué son troupeau après 1948. Le cas des Ghrib est celui d’une tribu isolée relativement peu atteinte par la modernisation.

Les Adhara - 3 700 âmes environ - forment également une tribu de pasteurs3 et leur sobriété forcée était au moins égale à celle des Ghrib. Mais, sauf à de rares époques où leur pâturage était abondant sur le Dahar, ils n’ont jamais atteint l’équilibre et l’autonomie des Ghrib. Les Marazig, chez qui, dès avant le protectorat, ils s’enga- geaient comme bergers, les traitaient et les traitent encore avec une condescendance mêlée de moquerie4. Est-ce, en dehors de leur pauvreté, parce que les Adhara ne peuvent se vanter d’une origine commune tant soit peu glorieuse et qu’ils forment une tribu composite contenant d’anciens sédentaires chassés naguère de Ghadames ? Ils possédaient quelques petites palmeraies ensablées et, lorsque le protectorat entre- prit des forages de puits artésiens, créant de toutes pièces des oasis, ils se convertirent presque tous à la vie semi-sédentaire et, fait rare dans le désert, ils exploitèrent eux- mêmes leurs parcelles dès le début.

Les Marazig forment la tribu la plus nombreuse du Nefzaoua; 9 O00 âmes environ, attachés à Douz et à EI Aouina.

1. P. MOREAU 194 2. P. MOREAU 11943: ibid. p. 106. 3. II y a une cinquantaine d’améu. certaines &actions ndhara vivaient de chauo. (--REY (1953). p. 207.) 4. Voici un porlrait moqueur de8 Adhara, écrit par un pobtc .abria mai8 frbqucmment ciré par les Marazig:

4 Le pays NeEaoua D, IBLA, p. 104.

a A toi qui ne sais voir, p&e un signalement du Edhn I Le voici décrit par le menu:-Si l‘homme rencontr6 porte pour vête- ment la robe débrdée, issant l’e aule 1 nu - Si c’est pour un chiiïon qu’on prendrait mon turban trop wurt pour derober son oreille P la vue - Sì son haïk vieux sa0 aux troua béanta - Laisse passer h msnchs au travem- Si la lerme B 8.3 joue outte 1 goutte descend - S’il a la chique en bouche, en exprime IC ju. - Si sa pantoutle est pour ne8 orteil itrictemcnt - fa remeiia percée et mes taloni exclus, - II est file d’Adhara. C‘eut 8Gr. fakn serment - Chameau ave0 ion poarien que la langue en plus1 D (Traduit pax G. Boais (1951). p. 179.)

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Nomades et nomadisme LIU Sahara

Les Ifarazig constituent une sorte d’aristocratie religieuse tout c o m m e les Ouled Yacoub constituaient autrefois l’aristocratie militaire du Sud tunisien. Leur attache- ment à leurs ancêtres marabouts est profond et leur piété réelle. Beaucoup, parmi les Marazig, et c’est une foi enracinée depuis des siècles, sont persuadés que leur tribu contient à chaque génération 80 marabouts vivants. Cette conviction et, de même, la pureté de leurs mœurs - il n’y a pas de voleurs chez les Marazig! - les a amenés à se considérer quelque peu comme un peuple élu. Le nomadisme lui-même prend chez eux une coloration morale et religieuse. Sidi Marzoug, l’ancêtre santon de la tribu, n’avait-il pas affirmé : (( Je mènerai mes fils loin des terres humides qui font l’homme un esclave étouffant

sous l’affront! Plutôt leur honneur sauf et ventre à moitié vide que ventre repu au prix d’humiliations ! B Le souvenir des grands marabouts de la tribu est maintenu vivace par mille légen-

des où le miraculeux foisonne et qui, racontées en nomadisation ou aux veillées d’hiver, sont écoutées avidement par tous. Les tombeaux des marabouts de la tribu, situés à DOUZ, sont un lieu de pèlerinage et le prestige de ces saints, la foi en leur, pouvoir, dépassent le rayonnement de la tribu marazig. Dans les mosquées de DOUZ, vivent en priere un certain nombre de vieillards de la tribu, saints hommes entourés d’une auréole due à leur vie exemplaire, dont l’autorité morale est incontestée. Ces patriarches, qui assurent encore une certaine unité de la tribu, sont consultés pour toutes les affaires de la vie quotidienne. Lorsqu’on leur soumet des litiges, ils re- courent parfois au serment devant le tombeau de sidi Mahjoub prêté par les deux adversaires. L a légende dit qu’il n’y a pas de cas où l’imposteur ne se soit alors dé- masqué et n’ait été châtié. Ce monde prérationaliste où le divin est quotidiennement présent est en voie de

désagrégation. Sa crise, comme celle des autres tribus, est d’abord matérielle. Les Marazig étaient une tribu de pasteurs mais en même temps de caravaniers. Connais- sant bien le Coran, ils fournissaient des mouedebs1 aux tribus voisines. Et pendant les années où la sécheresse tuait le bétail ils pouvaient s’adresser avec quelque insis- tance aux oasiens, leur demandant les dons que leur origine sainte leur permettait d’exiger. Toutes les ressources non pastorales ont aujourd’hui disparu c o m m e ont disparu également - nous reviendrons là-dessus - les ressources que l’artisanat domes- tique leur fournissait.

Chaque fois, après les sécheresses de 1936-1937, de 194,0-1941, de 1947-1948, ils ont reconstitué leur cheptel mais non entièrement et, de désastre - la sécheresse tuait parfois les quatre cinquièmes du bétail - en reconstitution partielle, les Marazig perdirent également une part de leurs ressources pastorales et devinrent des nomades dématés. Ils postulèrent alors les lots irrigués que l’administration pouvait allouer grâce à l’agrandissement de l’oasis de Douz. Mais les Marazig ne furent pas aussi favorisés que les Ouled Yacoub et une petite partie seulement des postulants obtinrent satisfaction. Beaucoup se firent alors khammès chez les pro- priétaires marazig. Cette crise des Marazig, qui, de crise économique, devenait une crise de mode de

vie et de pensée, devait éclater de manière nouvelle à la génération suivante. La tribu connut une crise politique grave entre 1943 et 1945 avec l’équipée de quelques centaines de jeunes gens qui se laissèrent recruter en tant que fellaghas par les puis- sances de l’Axe. I1 faut voir dans l’aventure de ces fellaghas de 1943 une volonté des jeunes de se mêler au siècle, protestant par-là contre la tradition de la tribu, qui était d’ignorer tout ce qui n’était pas son propre passé et son mode de vie.

A u cours de cet après-guerre, et surtout depuis l’indépendance, un nombre gran- dissant d’enfants marazig restés dans l’oasis ont été scolarisés. A mesure que ces

1. Maiires d’école coranique.

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Semi-nomades du Nefzaoua

enfants approcheront de l’âge adulte, la crise marazig prendra sans doute un autre caractèrel. En général, les groupes ont perdu leurs ressources extrapastorales, or l’élevage

actuel ne leur permet pas de subsister. Les Ghrib forment un cas limite de tribu chamelière. Les Ouled Yacoub ont su conserver un mode de vie privilégié après l’établissement du protectorat, abandonnant les armes et acquérant des lots irrigués, pénétrant dans l’administration, dans le nouveau mécanisme d’échanges, etc. L a crise des Marazig et des Sabria2 est probablement la plus profonde. Groupe fermé sur lui-même, convaincu de sa supériorité, les Marazig ont particulièrement souffert de leur déclassement. I1 est probable, en revanche, que les Adhara, qu’on peut considérer c o m m e des nomades n’ayant jamais connu un véritable équilibre dans la vie nomade, s’adapteront à leur nouvel état de paysans oasiens transhumant au printemps.

Problèmes internes des groupes nomades et contacts avec le monde extérieur

L a vie des tribus nomades du Nefzaoua était caractérisée, c o m m e celle de tous les groupes traditionnels, par une remarquable unité intérieure. Unité entre vie écono- mique, vie sociale, vie de famille, qui s’intégraient fortement dans un tout: la tribu ou la fraction. Certes, le groupe n’était pas marqué uniquement par l’harmonie et par la solidarité mais encore, contradictoirement, par l’inégalité. Il y avait au sein de chaque fraction des riches et des pauvres. Bien souvent, entre les premiers et les derniers s’établissaient des relations ambiguës, tout à la fois de dépendance et de protection patriarcale, les pauvres étant bergers chez les riches. Malgré tout, le mode de vie des uns et des autres était le même. Tous nomadisaient et le départ en nomadi- sation était collectif. Collectif également le départ pour les semailles d’automne. Arrivée au nord du Chott, la fraction se réunissait et discutait sous la direction des chefs traditionnels le partage annuel de la terre entre les attelages. , Toute cette vie n’a pas disparu, loin de là; elle persiste parfois de manière très vivace au sein de petits groupes de 5, 6, parfois 10 ou 12 familles apparentées. On part toujours ensemble pour le Sahara, on campe ensemble et ((les cordes des tentes s’emmêlent)) c o m m e disent les Marazig, ce qui signifie qu’on n’a pas besoin de se gêner, que les femmes peuvent se découvrir.

Cependant, les tribus et les fractions se sont émiettées. L a plupart des chefs tra- ditionnels autour de qui se cimentait l’unité de groupes plus larges ne nomadisent plus, ayant acquis des lots assez importants, étant devenus commerçants ou ayant pénétré dans l’administration. Un chef de famille nomade, lorsqu’il est n o m m é cheikh, se trouve presque toujours retranché de sa communauté, car il doit rester près du centre administratif. Dès ses débuts, le protectorat favorisa les sédentaires. A population presque égale,

la somme prévue pour l’extension des oasis, pour les recherches de sources artésien- nes, a toujours été au moins dix fois plus importante que celle destinée aux amélio- rations pastorales. Les nomades appelaient la méfiance des nouvelles autorités et les

1. Voici UTL tableau donnant quelques indications nur la seolarkstion au Netzaoua: Pourunrage da scolarisaiion

Délégaion Eflaiifs molaires 1958-1959 1957-1958 . 1958-1959 Garpons Fillei Toial Garfona Filles Toial Garfona Filles Toid 823 180 1003 32,9 4.3 17.1 47.8 8,6 26.8

2123 ’ 41.1 4.8 23.5 44.1 11.8 28.5 Tunisie - - - 41.9 22.1 32.1 41.5 26.1 81.3 E& 1686 ’ 431

- Cc tableau ne donnant pan Is détail par cheikhat. on ne peut distinguer entre nomadea et uédentaires. Nous VOM w cependant que la délégation de Doua comprend une grande majoriré de nomades et de nédentarida de Laîche date et que c’eit le contraire our la délégation de Kebili. La différence entre IC t a u de scolarisation entre 1951-1958 et 1958-1959 à Doua i’explique par ouverture de nouvelles tcolca (en tout 13 écoles comprenant 68 classei). La diE6rcnce entre IC taux de 8coQri.ation dea 6iica.

A Kebili d’une part, à D o w d’autre part, marque IC cnractèrc plu traditionnel dei p ~ p u l a t i ~ ~ de D o w . 2. k a Sabna - quelque 3 300 âmes - seraient d’origine ruabberbue. Leur campement d’hiver. ce sont les petites palmeraies de Sabria. El Fouar. Aouinet, Raja. Leur aire de nomadisation io trouve tout au sud d u Nefaoua.

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Nomades et nomadisme au Sahara

villageois, au contraire, leur sollicitude. Cependant, les nouvelles autorités ne pou- vaient pas ne pas apprécier le sens de l’organisation, de la hiérarchie, l’habitude du commandement de certains individus et spécialement chez les Ouled Yacoub, dont bien des chefs nomades passèrent dans le cadre de la nouvelle administration. Celle-ci favorisait les sédentaires, avons-nous précisé: en fait, elle favorisait encore davantage la sédentarisation. Les Ouled Yacoub obtinrent la moitié des nouveaux lots de la région de Kebili. Mais les Marazig se virent également allouer des lots dans l’oasis de Douz. Les Adhara, dont les points d’attache étaient insignifiants, virent naître un village et une oasis portant leur nom. Les Sabria profitent également dans une moindre mesure de la nouvelle situation. Seuls les Ghrib, dont beaucoup, nous l’avons vu, étaient déjà nantis de petites parcelles de palmeraie, sont à l’écart de ce véritable <( rush n vers les lots irrigués.

L a presque totalité des Ouled Yacoub et la majorité des nouveaux propriétaires marazig engagèrent des khammès pour la mise en valeur de leurs lots. Une partie des Sabria également. Seuls les Adhara les exploitent eux-mêmes. Tous les khammès des Ouled Yacoub sont actuellement étrangers à la tribu, ceux des Marazig pour moitié environ. Les Adhara recrutent tous les khammès dans leur tribu même. Les rapports entre khammès et propriétaires sont empreints le plus souvent d’une

grande âpreté. U n khammès de Douz reçoit en échange de son travail de la pro- duction de dattes deglet nour, l/,, à l/, sur les dattes allig, Ilr, sur les dattes communes; I/, sur les fruits et les légumes. De plus, le khammès reçoit une prime annuelle variant entre 4 et 6 dinars ainsi qu’un mouton pour la fête de 1’Aid. En plus du travail dans le jardin, le khammès doit au propriétaire des journées de corvée personnelle. C’est un fait que, pour compléter un salaire qui leur permet à peine de vivre, bien des kham- mès cueillent des dattes et des légumes en dehors de leur part et que les propriétaires, parfois aussi pauvres que leurs khammès, multiplient contrôles et chicanes. Les litiges sont pratiquement réglés par l’administration. Ainsi, les anciens rapports de type patriarcal se voient couvrir par d’autres rap-

ports qui tiennent à la fois du servage et du capitalisme, voue du dirigisme administra- tif. L a mentalité des nouveaux propriétaires, tout en s’adaptant à la situation, reste cependant une mentalité de nomades, ne serait-ce que par le mépris du travail de la terre et du faire-valoir direct. Les rapports entre propriétaires de troupeaux et bergers restent en revanche

patriarcaux au sein des groupes qui nomadisent encore. Les propriétaires, quoique ayant des bergers, suivent eux-mêmes leurs troupeaux. Parfois le berger, étranger à la f a d e du propriétaire, fait partie de sa tente. Le plus souvent il s’agit d’un jeune homme, fils d’une famille de nomades pauvres, qui peu à peu se constitue lui-même un troupeau et travaille pour plusieurs propriétaires. Le berger est payé essentielle- ment en nature: il est nourri; au printemps il profite du lait; il reçoit annuellement un houli (pièce de laine de 4,5 x 1,5 m), une gandourah, une paire de sandales. I1 a droit à un nouveau-né pour 25 mères. De plus, il touche une prime en espèces: 4 à 6 dinars pour un berger de moutons et de chèvres, davantage pour un berger de cha- meaux. Les rapports tendent à se modifier, à ressembler à ceux qui existent entre khammès

et propriétaires de palmeraie, lorsque le berger travaille pour des nomades sédenta- risés ou pour des sédentaires. Le salaire en nature diminue alors et le salaire en espèces augmente.

Cependant, bien d*autres nomades dématés qui n’ont pu obtenir ni parcelle ni place de khammès vivent autour de l’oasis. Souvent, surtout chez les Adhara, ces nomades appauvris sont partis vers Gabès et vers le centre de la Tunisie pour chercher du travail; dans la très grande majorité des cas, ils ne se sont pas adaptés et sont revenus. Seuls les Ghrib fidèles à leur vocation de chameliers n’ont cherché ailleurs que des places de berger; une trentaine d’entre eux travaillent dans la région de Gabès.

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,

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Semi-nomades du Nefzaoua

Sans doute plus d’un tiers des anciens effectifs nomades vivent actuellement en marge et de la vie sédentaire et de la vie nomade: ils travaillent dix à quinze jours par an sur un chantier de chômage, ils cueillent de-ci de-là une charge d’herbe ou de bois dans l’oasis et la vendent au souk; les femmes élèvent quelques poules et écoulent les œufs; ils amènent leurs rares chèvres ou brebis au Sahara, ramassant en même temps des arbustes ou des épineux qu’ils vendent clandestinement, sous forme de charbon de bois, ou encore qu’ils transforment en goudron, remède souverain contre la gale des troupeaux.

Les caravanes vers Ghadamès et vers Tripoli n’existent plus. Seuls les Ouled Yacoub transportent encore à dos de chameau, entre le sud et le nord de la Tunisie, un peu de dattes et un peu de grain. En échange nombre d’anciens nomades Be sont établis commerçants sur les souks de Dow et de Kebili. Et c’est là qu’un contact s’établit encore entre nomades du Nefzaoua et montagnards du Tamezrat - appor- tant huile et figues - et du Demmer - qui vendent du thym, de l’armoise, du gené- vrier. Là encore les nomades rencontrent les vendeurs de meules d’El Guetar et les vendeurs de grain venus des Beni Zid, voire de la Tripolitaine. Jusqu’à la guerre d’Algérie venaient d’au-delà de la frontière des pasteurs Troud et Rebaia apportant des chèvres et des chameaux.

I1 est malaisé de mesurer le degré de modernisation ou d’ouverture à la moderni- sation des différentes tribus. Voici cependant un tableau qui réunit quelques données, valables pour l’année 1959, communiquées par les cheikhs de la délégation de Douz’:

’ @antit6 par cheikhat

Doux el Garbi D o u el C h b i El Aouina Sabria Aàhara Ghrib

Fonctionnaires Artisans

Maçons Tailleurs Forgerons Menuisiers Cordonniers

Boutiquiers Epiciers ’

Bouchers Coiffeurs Cafetiers

Total Depuis trois ans

Voitures Total Depuis trois ans

Bicyclettes Vélomoteurs Charrettes Hadj

Total Depuis trois ans

Radio

25

6 6 2 2 - 20 4 2 2

30 20

1

2

1

14 4

- -

10

5 6 1 1 - 6 3 1 1

7 4

2 - - - 3

6 4

15

5 5 - - 5

12 1 1 1

6 2

1 1 3 1 2

9 6

1

7 7

. . 1. Lei mémci d o m & # n’ont pu êue rusemblées pour In Ouled Yaooub. dont lei finetiona Bout trop dispenéei.

131

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Nomades et nomadisme au Sahara

Ce tableau, dont les chiffres doivent être considérés simplement comme ordres de grandeur, confirme le caractère traditionaliste de la tribu des Ghrib en m ê m e temps que leur faible degré de sédentarisation: aucune radio, aucune voiture, aucune bou- tique, aucun artisan, etc. Le tableau marque en m ê m e temps la rapide évolution des Adhara, leur modernisation depuis leur récente sédentarisation. Le nombre des ma- çons dans chaque cheikhat est de m ê m e à mettre en rapport avec le degré de sédenta- risation. L e nombre particulièrement important de boutiques et d’échoppes d’arti- sans de Douz s’explique en partie par l’existence du marché hebdomadaire. Le nombre important de pèlerins à L a Mecque depuis trois ans s’explique probablement par un renouveau des liens avec l’islam depuis l’indépendance de la Tunisie. L e troupeau des différentes tribus a toujours subi d’importantes fluctuations.

Précisons qu’en 1929 - une bonne année - les quelque 15 O00 nomades du sud du Nefzaoua (en dehors des Ouled Yacoub) possédaient environ 50 O00 ovins et caprins et quelque 2 500 chameaux. Mais la sécheresse de 1947-1948 ne laissa vivants que 15 O00 ovins et caprins et 1 800 chameaux. Les tribus connurent alors la misère noire. Malgré tout le troupeau se reconstitua en partie jusqu’en 1954, année où il souffrit d’une nouvelle diminution. Depuis 1956, il s’accroît de nouveau. Le troupeau des Ouled Yacoub a subi les mêmes fluctuations que le troupeau des tribus du Sud. Le troupeau étant continuellement en reconstitution, on ne vend guère d’animaux, plus spécialement pour ce qui est des chameaux, qui constituent un élément de prestige. . Toutes les familles nomades ont droit, nous l’avons noté, à une parcelle de terre de labour au Ségui ou au Charebl. I1 faut cependant qu’un membre de la famille soit présent au partage annuel et il faut également disposer d’un attelage, en dehors de la semence et de l’araire. Or près du tiers des nomades ne possèdent plus de bêtes de labour. Ils peuvent alors s’associer avec un autre exploitant plus fortuné auquel ils cèdent généralement le tiers de la récolte. Ils peuvent également devenir khammès chez d’autres exploitants. En effet, quelque 20% des ayants droit engagent des khammès pour la culture de leurs lots.

Filer et tisser la laine a cessé d’&tre une opération lucrative pour les femmes: elies n’y gagnent que 40 ou 50 millièmes tunisiens par jour. En effet, le goût des acheteurs a changé et, de plus, ce sont les intermédiaires qui recueillent la majorité des béné- fices.

L a vie du nomade sédentarisé se distingue de celle du sédentaire, son voisin, par l’organisation de sa famille. L a vie de celui-ci est proche, par certains côtés, de celle du citadin. Sa vie familiale est séparée de son travail. On ne voit en effet pas de femmes dans l’oasis et, lorsque les sédentaires sont à la moisson au nord du Chott, leurs femmes ne les accompagnent pas. Les femmes nomades, en revanche, partagent de plus près la vie de leurs compagnons. Elles partent en nomadisation; au campement elles effectuent la corvée d’eau et de bois; parfois elles ont des kilomètres à parcourir. Aux labours elles n’accompagnent pas les hommes mais, à la moisson, on peut les voir travailler la faucille à la main.

L a maison du nomade qui vient de perdre son troupeau et qui reste à l’oasis est une simple zeriba de branchages, le toit étant recouvert de terre. Mais, si son séjour dans l’oasis se prolonge, il renforce également les murs avec de la terre. L’étape suivante, c’est la maison en pierre. Elle n’a pas de cour entourée de hauts murs. C’est une simple pièce rectangulaire large de 2 m, haute de 2,5 m à 3 m et longue de 6 à 8 m. Mais il arrive que 6 ou 7, plus rarement 10 ou 12 maisons du m ê m e type se soient groupées de sorte qu’elles forment 3 côtés d’un grand rectangle ouvert sur un côté. Ce sont les maisons de la m ê m e famille au sens large du terme; parfois une ancienne petite fraction s’est rassemblée ainsi. Les femmes circulent librement dans l’espace entre les maisons, comme naguère, lorsque ((les cordes des tentes s’emmê-

1. II erbte Cgalcrnent d‘autrei terrei de labour collectives, IIIOiIM étendues que ecUes du Ségui et du Chareb: dans IaBahira (au mud du Djebel Tebaga), dans la cuve~tc du Tda. d’autres euh, limitrophem dei territoirei dea Ben Zid et dei Maunata.

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Semi-nomades du Nefzaoua

laient )), et de mille manières on maintient les souvenirs de la nomadisation. Néan- moins, la vie est maintenant différente et, lorsque les hommes travaillent dans l’oasis, les femmes ne les accompagnent plus. Lorsqu’un ancien nomade propriétaire d’un lot de palmeraie a acquis une certaine aisance et se fait construire par un maçon une maison identique à celle des sédentaires - c’est le cas notamment pour bien des Ouled Yacoub - on peut dire alors qu’il a renoncé à la vie nomade. PER S PE CT IV E S D’ ÉV O LUT I O N

Nous avons vu comment les nomades ont perdu presque toutes leurs ressources non pastorales et comment, de catastrophe en redressement partiel, ils ont perdu également une bonne partie de leurs troupeaux. L a sédentarisation, dans la plupart des cas, n’est qu’une sédentarisation de la misère, un repliement forcé sur l’oasis, qui connaît elle-même la crise, non pas une crise mettant en péril son existence, certes, mais bien une crise de surpeuplement. On comprend que, le plus souvent, I’adapta- tion est très malaisée. Dans le centre de la Tunisie, la sédentarisation a demandé 2 ou 3 générations sur des terres de labour alors que la céréaliculture, rappelons-le, n’est pas étrangère au nomade. En revanche, il n’y a pas d’agriculture plus éloignée de son état d’esprit que le maraîchage et l’arboriculture irriguée. I1 est facile de comprendre l’angoisse que connaît la société nomade du Nefzaoua, laquelle se voit menacée de dissolution ou, au mieux, d’une survie misérable.

Laissée à elle-même la société nomade continuera de se détériorer. Or, il ne faut pas se leurrer, sa disparition approfondirait la crise dont souffre le Sud tunisien tout entier: crise de surpeuplement, crise également d’une agriculture qui ne réussit pas à harmoniser travail de la terre et élevage. L a seule mise en valeur possible du Sahara tunisien est en ce moment celle de l’élevage nomade. N’oublions pas, d’autre part, que l’alimentation des oasiens souffre d’une carence en protéines animales et que leur sol s’appauvrit continuellement en humus, lequel, actuellement, ne peut être mieux renouvelé que par l’engrais animal.

Une consolidation d’une partie du nomadisme semble possible. Le moyen serait une amélioration des conditions pastorales: création de nouveaux points d’eau per- mettant un élargissement des zones de nomadisation; en cas de grave sécheresse, il faudrait organiser, comme cela a déjà été fait mais de manière défectueuse, la trans- humance motorisée vers les pays du Tell. I1 faudrait enfin procéder à une améliora- tion des races camelines par une sélection de la monte, voire par l’insémination arti- ficielle.

I1 est infiniment probable que la mentalité des nomades évoluerait alors mais il lui faudrait sans doute deux ou trois décennies pour devenir celle d’un groupe d’éle- veurs vivant de leur produit, ce qui aurait comme conséquence, entre autres, que l’élevage camelin cesserait d’être un but en soi, un instrument de prestige.

Cela ne signifie nullement que le mode de vie traditionnel, en tant que type de rapports entre hommes, soit condamné BOUS tous ses aspects. Le mouvement coopéra- tif tunisien devrait étudier une formule permettant aux éléments communautaires vivaces au sein de cette société patriarcale de s’épanouir en se renouvelant.

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C H A P I T R E I V

La sédentarisation autour d’Ouargla par MADELEINE RovrLLoIs-BnrcoL

L’oasis d’Ouargla est le point d’attache de quatre tribus arabes nomadisant sur son territoire: les Beni-Thour, les Chaamba Guebala et Boussaid, les Mekhadma, et les Said Otba, qui groupent plus de 18 O00 âmes. Leur genre de vie comporte toujours des liens étroits avec les Berbères sédentaires des ksours d’Ouargla, Ngoussa, Chott, Hadjadja, Rouissat et Sidi-Khouiled, peuplés d’environ 15 O00 habitants.

Ces quatre tribus nomades descendent toutes des envahisseurs hilaliens, dont l’arrivée s’échelonne, selon la tradition, du milieu d u XI’ au milieu d u XII’ siècle. Les premiers à apparaître sont, en 442 de l’hégire (1050)’ les Hamyan, dont seraient issus les Chaamba, venus d’El Golea et de Metlili sous la conduite d’El Mansour le Hammadite. Puis les Beni-Thour, descendants de Ba-Safian el Thouri, l’un des compagnons de Sidi Okba, arrivent du Djerid par le Souf et disputent Ouargla au Hamyan. Les Mekhadma sont signalés dans la chronique d’Abu Zakarya dès la fin du XIIe siècle tandis que les Said Otba datent leur arrivée du 580 de l’hégire (1184). Ces deux dernières tribus sont d’ailleurs ennemies, quoiqu’elles se réclament toutes deux d’un ancêtre commun, Rabi’a ben EI Otbi, contemporain du prophète, fondateur de la grande tribu des Said.

Cette hostilité est liée à l’existence des çoffs, extrêmement puissants, dont l’origine est religieuse et politique. A Ouargla, deux çoffs rivaux groupaient nomades et séden- taires : le çoff gharbi (de l’ouest), comprenant Chaamba et Mekhadma, étroitement affilié à la secte des Oulad Sidi Cheikh, allié aux Beni-Thour, à Chott, Hadjadja, Sidi Khouiled et aRouissat, ainsi qu’aux Beni Sissinel, le çoff chergui (de l’Est), unissant les Said Otba, affiliés à la confrérie Kadria, Ngoussa et les Beni Ouagguine.

Les Beni Brahim, quant à eux, changeaient facilement de camp ou servaient d’arbitres. L’importance des liens religieux est soulignée dans une autre tradition, qui date l’arrivée des nomades du début d u XVII’ siècle seulement; 1602 est en réalité Ia date à laquelle Mouiay Alahoum, fils du sultan de Fez, devint sultan d’Ouargla, tandis que le renouveau religieux parti du Maroc au XVI’ siècle atteignait en m ê m e temps Ouargla.

Ces rivalités de çoffs ne se traduisent plus sur le plan militaire; elles survivent cependant à la paix. L’ancienne dépendance du jardinier ou du commerçant séden- taue à l’égard du nomade guemer et transporteur caravanier ne s’est pas trans- formée en estime mutuelle; mais les liens traditionnels se marquent encore par des mariages, des ententes commerciales ou des contacts de khammessat. D e m ê m e les campements des tribus aux abords de la palmeraie, dans les zones soigneusement 1. LM Beni Sissine. les Beni Oungguins et les Beni Brahim *ont Ei tribus sédentaire8 d’Ouargla.

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Nomades et nomadisme au Sahara

délimitées par la coutume, sont toujours installés dans le prolongement des terres du quartier ou du ksar allié.

L a sédentarisation affectant certaines tribus depuis presque un siècle a pris, ces dix dernières années, une ampleur imprévue, mais laisse subsister, encore très vi- vaces, ces haines ou ces alliances, témoins - parmi d’autres - de la survivance des structures traditionnelles. Dans cette étude de la crise du nomadisme seront décrits en premier lieu les carac-

téristiques du genre de vie traditionnel des tribus arabes d’Ouargla et IC processus par lequel les ressources de la palmeraie peuvent, d’appoint qu’elles étaient, devenir souvent essentielles pour ces tribus. Un second volet exposera les différents aspects du phénomène de sédentarisation et la destruction progressive du genre de vie et des structures ancestrales du monde nomade.

LE GENRE DE VIE TRADITIONNEL ET S O N %VOLUTION

AU désert Le nomade d’Ouargla passe neuf mois au plus dans le désert, car il possède générale- ment des palmiers à l’oasis et le cycle de ses migrations doit respecter la halte d’au- tomne à la palmeraie. Durant trois mois, de début septembre à fin décembre, le troupeau reste donc sous la seule garde des bergers. Au commencement de l’hiver, l’arrivée des pluies provoque le départ dee tentee. Ayant accompli toutes les pratiques rituelles, la fraction inaugurale (les Amarat, par exemple, chez les Said Otba) prend la première le chemin du désert, suivie à quelques jours du reste de la tribu. Si l’on excepte les Said Otba, dont nous verrons plus loin le tracé migratoire origi-

nal, la première étape pour les tentes est généralement la vallée de l’oued M y a au sud-ouest d’Ouargla, où l’acheb est précoce. Puis les tribus se dispersent dans leur zone de nomadisation propre: les Mekhadma vers l’ouest, sur la hamada en direction du Mzab (oued Metlili), les Beni-Thour dans la région des Haoudhs, au sud-est, jusqu’à Hassi Messaoud, les Chaamba plus à l’est ou au nord, les Guebala au sud de la piste Ouargla - Fort Lallemand, les Boussaid au nord de cette même piste, les Oulad Smail d’El Dour Ngoussa ne dépassant pas 30 km au nord et 50 km au nord-est de cette oasis.

Ces trois tribus possèdent chameaux et chèvres mais, alors que leur chcptel se chiffrait en 1924 à 12 O00 camelins ct 14 O00 ovins et caprins, il dépassait à peine, en 1945, 5 O00 chameaux et autant de petit bétail. I1 n’atteint même plus actuelle- ment 2 O00 et 3 O00 bêtes. Les deux tiers sont d’ailleurs propriété des Chaamba; les Mekhadma et surtout les Beni-Thour possèdent presque uniquement des chèvres. Les Said Otba occupent une position à part. Leur migration annuelle.les amenait,

avant 1956, dans le Sersou et, peut-être, la paix revenue, reprendront-ils le tradition- nel chemin qui, par Ngoussa, Zelfana, le Mzab, Laghouat, les conduisait jusque dans la région de Tiaret où les hommes s’employaient à la moisson ou à la récolte des lentilles en attendant que les moutons puissent pâturer les chaumes. Cet estivage dans le Tell permettait aux Said Otba d’entretenir un important troupeau de mou- tons (2 O00 environ) et d’utiliser leurs chameaux (3 500 à 4 000) au transport de denrées traditionnelles : dattes et grains. Actuellement les nomades du cercle administratif d’Ouargla ne doivcnt pas dé-

passer Zelfana à l’ouest et leurs déplacements sont également surveillés vers l’est. C’est un coup définitif porté au trafic caravanier qui faisait jadis la prospérité des tribus et les rendait indispensables aux commerçants sédentaires. Ce trafic avait déjà €ortement décliné depuis les années 1920-1930, période de mise en service des transports automobiles vers Touggourt et Ghardaia. La contrebande du thé - intro- duit en 1910-1911 à Ouargla - et du sucre par Gabès continue jusqu’en 1937. Actuelle- 136

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La sédenîarisation autour d'Ouargla

+LIc Falaise limitant 1. plateau (baten). a b ::> Dunes.

-....: Sebkha (terres salées). UIID Palmeraie irriguée. A Zone de sédentarlsation.

Noms des tribus : C = Chaamba ; M c Mekhadma ; SO = Said Otba;

@TT Plantation en b w r a) anciennes b) récentes.

6 Ksar. ......

B = Beni Thour.

FIG. 15. Les palmeraies et la sédentarisation des nomades a Ouargla. 137

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Nomades et nomadisme au Sahara

ment, les seuls transports camelins concernent la contrebande d’armes; encore n’est- elle importante que plus au nord. Privé de ses débouchés traditionnels, le troupeau camelin a considérablement décru. L’élevage pour la boucherie n’est en effet qu’un pis-aller pour le nomade, qui considère ses bêtes comme un capital et retrouve sa véritable vocation lorsque la demande de méhari par les militaires redevient impor- tante.

L a nomadisation au désert a ainsi changé d’aspect. Les déplacements, qui, pour des raisons de défense, se faisaient jadis par fraction ou tout au moins par ensemble d’une dizaine de grandes tentes (30 à 50 personnes), ne s’effectuent plus maintenant que par petits groupes de 2 ou 3 tentes abritant de 6 à 10 personnes. Souvent même, chez les nomades les plus riches, le troupeau reste continuellement sous la garde de bergers; la tente ne va plus au désert qu’au printemps, pour profiter du lait des cha- melles et de la cueillette des terfess. Le rayon de nomadisme normal dépasse rarement 50 km autour d’Ouargla.

Nombreux enfin sont ceux qui gagnent maintenant le désert en camion (le caïd des Chaamba Boussaïd transporte ainsi toute sa fraction au lieu d’estivage) et qui reviennent en camion-stop s’approvisionner à Ouargla ou s’embaucher chez les pétro- liers. Le nomade, à l’image du sédentaire ou, mieux, de l’Européen, voit ses besoins s’accroitre tandis que ses ressources pastorales ne cessent de diminuer. La nécessité de trouver des activités de remplacement le ramène donc vers la palmeraie.

A l’oasis

Le nomade d’Ouargla n’a jamais été exclusivement pasteur. I1 revient périodique- ment à l’oasis pour surveiller ou faire la récolte des dattes, en même temps qu’il s’approvisionne. Les tribus nomades possédaient, en 1882, à Ouargla, 142 300 pal- miers; en 1946, un relevé officiel mentionne.115 670 palmiers en rapportl. Les pal- miers sont diversement situés: soit dans la palmeraie irriguée, et ils sont alors géné- ralement entretenus par des khammès, soit dans la zone de culture sèche en bour, où ils sont plantés par les nomades eux-mêmes.

L a première forme de propriété est la plus ancienne: les nomades ont leurs palmiers dans les jardins des quartiers alliés. Ainsi les Said Otba possèdent des arbres à Ngoussa, aux Beni Brahim et aux Beni Ouagguine, les Mekhadma aux Beni Sissine. C‘était, jusqu’aux efforts de revivification entrepris en 1958, une vieille palmeraie chaotique et presque incultivable, où la baisse de la nappe artésienne due au forage de nouveaux puits obligeait à creuser des seguias à 3 m au-dessous des jardins. Les Beni-Thour ont des deglet nour dans la palmeraie récente qui porte leur n o m (et dont en fait presque la moitié appartiennent à des juifs, des Soufi ou des Ibadhites d’Ouargla ainsi qu’à des Mzabites). Les Chaamba ont des jardins aux Beni-Thom ainsi qu’autour de Chott et d’Hadjadja. Les créations nouvelles en faire-valoir direct indiquent une première modification

d’activités, car elles astreignent les nomades à des tâches de sédentaires. Les planta- tions en bour augmentent régulièrement, bien que leur rendement soit très inférieur à celui de bons palmiers irrigués (maximum de 50 à 60 kg contre 1 à 2 quintaux); la palmeraie irriguée d’Ouargla est ainsi entourée d’une auréole de bour, plantés au hasard de petits points d’eau, ou systématiquement, comme aux Beni-Thour, en- foncés de 50 c m dans le sol pour atteindre la nappe phréatique. A B a Mendil il faut faire sauter la croute superficielle calcaire et les trous de chaque

arbre atteignent 2 ou 3 m de profondeur. Au contraire, à El Bour Ngoussa, ce sont de véritables ghouls, analogues à ceux du Souf mais de dimensions plus réduites: 5 ou 6 m de creux et 10 à 20 palmiers. Ainsi furent créées successivement les planta-

1. Le8 sédentaires en ponddiient. P ce8 deux dates. 293 950 el 300 250.

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L a sédentarisation autour d’Ouargla

tions de Frane vers 1885, de Hassi Debiche vers 1925, Oglet 1’Arba en 1948, Hassi Miloud à la m ê m e date et Bour el Archa plus récemment encore.

Ces plantations deviennent donc le lieu de campement des nomades propriétaires, qui doivent évacuer le sable, féconder, fumer et récolter. Rapidement ils construisent une maison et l’on voit apparaître une agglomération de sédentarisés au voisinage des palmiers. Ces plantations sont donc un stade important dans le processus de sédentarisation.

Dans ces deux cas, cependant, le palmier n’intervient au départ qu’à titre de complément de ressources et n’empèche en rien l’Arabe de nomadiser. Au contraire, lorsque le nomade cultive lui-même régulièrement son jardin irrigué, on peut affirmer qu’il est devenu un sédentaire. Ce cas est partic,ulièrement bien illustré chez les Mekhadma, dont certains sont sédentarisés depuis plus de quatre-vingts ans. Tel ancien militaire retraité entretient avec amour une dizaine de planches de

légumes et céréales et 8 palmiers. Tel autre, à la fois propriétaire et khammès de 5 cousins ou alliés, réunit sous ~a compétence près de 130 palmiers et s’enrichit de la vente des dattes et surtout des cultures sous-jacentes pratiquées avec soin. Tel autre enfin, réputé le meilleur jardinier d’Ouargla, habitant une maison troglodyte à Hassi Miloud, a créé de toutes pièces, voici quatre ans, un jardin de 500 m2, creusé a u tra- vers de la croûte calcaire et défendu du vent de sable par des murs de pierre. I1 arrose avec un khelkhuz (puits à balancier) ses planches de pastèques, courgettes, poivrons, navets, aubergines, oignons, échalotes, luzerne et orge, qu’il vend a u marché d’Ouargla. Souvent, d’ailleurs, piqués d’émulation, ces Arabes jardiniers manifestent plus d’initiative que les ksouriens routiniers. Mais ces cas, bien que symptomatiques, sont encore relativement rares.

L a fixation au sol et la transformation d u nomade en cultivateur est donc possible et c’est dans cette direction que s’est orientée l’administration française. Les services du paysannat ont tenté de donner aux nomades sans ressources des moyens de vivre. Deux secteurs d’amélioration rurale (SAR) ont été créés en 1955 et en 1958 aux Mekhadma et aux Said Otba et intéresseront respectivement 88 et 45 hectares (dont 51,5 et 13 réalisés en avril 1960). Ils ont pour but de distribuer à des familles choisies par avance et dont les hommes travailient actuellement aux CAR, des lots de 1 hec- tare, soit 99 palmiers en plein rendement.

Ces lots étaient calculés pour permettre à une famille de 6 personnes d’égaler le niveau de vie des ksouriens à condition de déployer assez d’initiative pour cultiver légumes et fourrage et élever du petit bétail. Mais actuellement, les salaires distribués par les pétroliers faisant rapidement monter le niveau de vie d’une partie de la population, les besoins s’accroissent sans arrêt et le revenu des propriétés rurales constituées par les SAR ou la caisse d’accession à la propriété rurale (CAPER) de- vient rapidement insuffisant. Ainsi l’activité agricole reprend son caractère d’appoint. L a solde militaire ou le

salaire gagné sur les chantiers des travaux publics ou des forages pétroliers fournissent l’essentiel des ressources. Mais comment s’exprime dans le temps et dans le paysage cette sédentarisation dont le contexte vient d’être ainsi défini?

LA SEDENTIRISATION ET LA DÉT~BIORATION D E S STRUCTURES TRADITIONNELLES

L a sédentarisation de certains nomades d’Ouargla est un phénomène assez ancien: des familles Beni-Thour sont fixées à Rouissat depuis de nombreuses générations et la tradition leur attribue la fondation du ksar. Plus récemment, de nouvelles agglomé- rations ont été créées au campement des Beni-Thour (1850), des Mekhadma (1870), des Chaamba (vers 1900) et, depuis trois ans seulement, des Said Otba, aggloméra-

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Nomades et nomadisme au Sahara

tions dont l’aspect diffère entièrement de celui des ksour par le plan, la structure et la forme des constructions.

Le nombre de nomades actuellement fixés dans la cuvette d’Ouargla est impossible à préciser. Si l’on compte le nombre de maisons des différentes agglomérations de nomades, on aboutit au chiffre de 9 O00 à 10 O00 sédentarisés, soit la moitié environ de la population nomade. En fait, la proportion de sédentarisés varie nettement selon les tribus: le phénomène subit d’autre part, ces dernières années, une très nette accélération. Une étude du processus de sédentarisation nous permettra de mieux saisir ses différentes étapes et de préciser la valeur exacte qu’il convient d’attribuer à ces chiffres.

L a sédentarisation paraît débuter parfois par la fixation de quelques familles nomades dans les maisons du quartier sédentaire allié: ainsi les Beni-Thour à Rouis- sat, les Said Otba aux Beni Brahim et aux Beni Ouagguine. Ce sont généralement les notables de la tribu, qui restent à l’oasis la presque totalité de l’année pour y assurer leurs fonctions administratives. Dans d’autres cas, le card et les cheikhs pré- fèrent habiter hors du ksar et se font construire, au lieu de campement, une maison à l’imitation de celle du beylick, qui témoigne de leur autorité: ainsi le caïd des Mekhadma et ceux des Chaamba.

Dans un cas c o m m e dans l’autre quelques constructions permanentes existent en outre au campement, mais ce ne sont que des entrepôts à provisions (rnaghzen) ou des salles de réception, et non des pièces d’habitation. Lorsque le phénomène de sédentarisation proprement dite s’amorce, c’est-à-dire lorsque les parents des notables, les militaires en retraite viennent à leur tour s’installer près de l’oasis, les bâtiments existant forment souvent le noyau autour duquel viennent s’agglomérer quelques éléments nouveaux d’habitation; cela est vrai surtout pour les maisons de notables et pour les pièces de réception, tandis que les maghzen de la tribu restent généralement isolés. Enfin, la sédentarisation s’accélérant, les campements se transforment en villages.

Quels sont alors l’aspect et la fonction de ces nouvelles agglomérations ? A première vue, les constructions se font dans la plus grande anarchie; il n’y a pas de grands alignements, les espacements sont les plus divers, la seule unité est fournie par le type des maisons. A cet égard, les hameaux mekhadma sont assez typiques: les mai- sons sont dispersées par petits groupes sur toute la frange ouest de la palmeraie, dissimulées au creux de petites dunes ou derrière un bouquet d’arbres. Les hameaux Beni-Thour semblent un peu mieux organisés avec l’ébauche de quelques rues. En fait, il existe un ordre traditionnel extrêmement rigoureux auquel obéit la

structure de ces agglomérations. Les tout récents hameaux Said Otba en donnent une excellente illustration. L a maison est bâtie a u lieu exact où s’élevait la tente; souvent elle débute m ê m e par un simple enclos autour de cette tente. Or, au campe- ment, les tentes sont groupées par fractionet, à l’intérieur de chaque fraction, les tentes sont généralement alignées selon une direction fixe, et largement espacées les unes des autres. Notons tout de suite que cette structure, si visible aux Said Otba (tribu sédentarisée récemment), est beaucoup moins rigide pour des agglomérations anciennes où l’organisation tribale s’est déjà relâchée. On ne constate donc dans ces agglomérations aucun souci d’urbanisme en soi ou

d’occupation systématique du terrain, mais au contraire une grande aération, l’ab- sence de m u r mitoyen entre familles différentes, beaucoup plus d’hygiène que dans le ksar surpeuplé. L a maison du nomade est d’ailleurs totalement différente de la maison à terrasse et cour centrale des Ouarglis. Son principe de construction est fort simple: pierre tendre et plâtre sont les seuls matériaux utilisés, à l’exclusion des poutres de palmier et généralement des fers ii T qui n’apparaissent que chez les riches. L’édifice est couvert soit de ghorfas (voûtes en berceau) soit, beaucoup plus communément, de coupoles, à la manière de celles du Souf. I1 est rare que le nomade

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L a Sédentarisation autour d’Ouargla

construise sa maison en une seule fois. I1 commence d’abord par entourer sa tente d’un enclos où sont parqués chèvres et moutons. Puis il accole à l’intérieur de cette enceinte une ou plusieurs pièces, selon ses besoins, chaque pièce étant généralement destinée à abriter l’un des ménages de la tente. Si la famille s’étend, la cour sera bientôt totalement entourée de constructions. Ainsi voit-on se créer, à côté de ksour berbères, des agglomérations arabes où les

structures traditionnelles sont aussi fortes qu’au temps où la tribu nomadisait, puis- qu’elles commandent aussi bien la répartition et le mode d’habitat que les fonctions mêmes de ces villages. Ceux-ci ont rarement un marché propre et leur population s’approvisionne aux ksour d’Ouargla et à Rouissat principalement. Les interdits de caste sont toujours extrêmement vivaces: les Saïd Otba, par exemple, n’ont ni for- geron ni boucher, et dépendent des castes spécialisées des sédentaires d’Ouargla.

L a sédentarisation apparaît done dans une première phase c o m m e la fixation dé- finitive sous les murs d’Ouargla du campement autrefois saisonnier, sans que soit détruite l’organisation tribale ni remises en question l’autorité du chef de famille, l’obligation des alliances au sein de la fraction, l’ensemble des structures tradition- nelles du monde nomade. Chez les Said Otba, par exemple, Ie mouvement, déclenché depuis trois ans, n’a pas encore mis en cause l’intégrité de la société nomade.

Mais il est une seconde étape, déjà atteinte dans les agglomérations d’anciens sédentarisés, chez les Mekhadma, par exemple, où les structures elles-mêmes sont touchées. S’il est concevable d’améliorer la situation du nomade en voie de sédentari- sation en lui permettant d’accéder à la propriété rurale, il ne paraît guère possible de lutter contre cette déterioration sociale. Celle-ci est due aux contacts de plus en plus fréquents avec le monde européen.

Les structures traditionnelles sont préservées plus longtemps dans le monde ksou- rien, où le cadre de vie reste inchangé. L’habitat en c o m m u n imposé par la sur- population sauvegarde l’autorité du père et l’intransigeance de la mère quant à I’ob- servation des pratiques rituelles. Dans le monde nomade, elles semblent se dégrader plus vite et nombreux sont les militaires qui, jeunes encore, se font construire leur propre maison, gagnés à l’individualisme européen.

D e plus, les dernières mesures administratives, qui associent Mekhadma et Sand Otba au sein d’une m ê m e municipalité, ne tiennent pas compte de la vitalité des çoffs. Beni-Thour et Chaamba ont élu c o m m e maire l’ancien caïd des Chaamba Boussaïd et les Beni-Thour ont ainsi l’impression d’être asservis à leurs anciens alliés. Si cette division est maintenue, elle ne manquera pas d’accélérer la détériora- tion de la tribu, en attendant que le nomade se sente une â m e d’administré. Ainsi la sédentarisation ancienne, accompagnée de plantations en bour, est due à

un appauvrissement grave mais n’a comme conséquence que la destruction d u genre de vie. Au contraire, la sédentarisation récente (depuis 1950) est provoquée par l’at- trait de salaires que ne sauraient de loin procurer un petit troupeau ou un jardin. L’apport d’argent liquide permet parfois l’amélioration de la nourriture courante mais le plus souvent l’achat d’objets non indispensables, typiques de l’attrait maté- riel représenté par la civilisation européenne.

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C H A P I T R E V

Résistance ou décadence du nomadisme par C. BATAILLON

V A L E U R DU SEMI-NOMADISME

I1 est rare de trouver au Sahara des nomades totalement dépourvus de liens avec l’agriculture. Si l’on examine les groupes de grands éleveurs, on voit qu’ils possèdent un port d’attache. Les Reguibat, avant leur expansion de chameliers, étaient surtout éleveurs de petit bétail dans le Zemmour. Ils pratiquaient des labours occasionnels. 11 leur reste au moins un attachement sentimental pour cette région. D e la m ê m e façon, les montagnes du Hoggar et de l’Ab sont mieux connues et mieux occupées que d’autres régions par les Touaregs ou le Tibesti par les Toubous : le lien avec la terre est ici de cueillette plus que d’agriculture.

D’autre part, si l’on exclut certaines tentes reguibat vivant exclusivement de laitage, l’acquisition de produits agricoles attache la quasi-totalité des nomades sahariens à des centres agricoles, quel que soit le lien avec les paysans, esclavage, vassalité ou simple commerce. Dans tout le nord du Sahara, depuis longtemps, les nomades ont des lieux de garde pour leur provision de dattes ou de grain: à Ouargla, ils ont utilisé les ksar puis ont bâti eux-mêmes des magasins. I1 en est de m ê m e à EI Goléa et au Soufa. Mais le prélèvement régulier (achat ou redevance) sur les agriculteurs et la mise en

réserve des produits en un endroit fixe ne sont que des liens très limités avec l’agri- culture et ne signifient en rien un affaiblissement de la mobilité de l’élevage. En fait les nomades qui prélèvent leurs produits agricoles sur autrui s’opposent

assez nettement à ceux qui les cultivent eux-mêmes. Traditionnellement, les Chaamba utilisent la première solution: leurs propriétés agricoles sont cultivées par des esclaves, à moins que les redevances globales de tout un ksar ne remplacent un loyer individuel. Les deux formes sont souvent bien voisines. D e la m ê m e façon, Touaregs et Maures du Sahel font cultiver la terre par leurs esclaves, beaucoup plus étroitement attachés à leurs maîtres que les cultivateurs dépendant des Chaamba. On voit facilement combien la p6nétration européenne a désorganisé ce type de rapports entre nomades et cultivateurs. C o m m e bien des groupes du Sahara septentrional, les Chaamba ont dû affronter ce problème depuis cinquante ans. Les nomades sahéliens l’affrontent actuellement. Mais ils ne sont pas pour autant en voie de sédentarisation: ils restent éleveurs et confient leur ravitaillement en céréales à une caste de cultivateurs dont la liberté ne peut que s’accroître par rapport aux anciens maîtres3. 1. Ce développement regroupe les wncluiiooi de8 chapitres I, U. N et iv de la ieconde parlie. En outre, de8 erernpin mont p h en particulier A EI Goléa. d'après deux travaux inédit. de Geneviève Capot-Rey et de A. Ciuneille et d’aprb Ica notei de l’auteur damnt d’avril 1960.

2.R. --REY (1956)).~Crcniendomesti<yeict grenim tonifiés auSahara.La cam duCouraraD.TIRS.xiv. lerct2etrimestre 1956. p. 138-159.

3.Voir p. 171.172.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Les nomades cultivant eux-memes n’ont pas été menacés de la meme façon. Ils révèlent une stabilité économique souvent remarquable; plus égalitaire, leur organisation sociale est bien moins vulnérable. En cffet, d’une part, les semi-nomades peuvent continuer à nomadiser avec des troupeaux restreints, car ce n’est qu’une part de leurs ressources et ils ne sont pas nécessairement ruinés, quand bien même ils n’ont que quelques betes. Mais, d’autre part, si les échecs de l’élevage les amènent à se sédentariser, ils seront moins dépaysés, moina dénués de tout et moins isolés sociale- ment dans l’oasis que les purs éleveurs atteints de la même façon.

Le labour de terres non irriguées pour y cultiver des céréales, orge surtout, est pratiqué par un grand nombre de nomades de la bordure nord du Sahara. On utilise ainsi occasionnellement les fonds d’oued ou toute dépression où le ruissellement con- centre l’eau de pluie. Si les qualités chimiques des sols peuvent être remarquables, il est exceptionnel que la quantité de pluie et sa répartition dans la saison permettent une récolte correcte. I1 semble que, dans les steppes assez humides, les labours em- piètent sur ce qui aurait été un pâturage de printemps (acheb-robea) particulièrement dense. En tout cas, ces pâturages sont souvent contigus aux lieux de labours et les cultures de céréales n’interrompent pas le cycle annuel de déplacement du bétail. De plus, les chaumes sont pâturés par le bétail après la moisson. Ces labours sont impor- tants aussi bien au Sahara occidental (Dra inférieur, Séguia el Hamra, voire Zemmour) qu’en Libye (Oudiane de Tripolitaine). I1 faut remarquer que certains nomades du Nord saharien ignorent complètement cette agriculture: ceux du Souf n’ont guère de terres propices mais les Chaamba d’El Goléa ont à leur disposition les épandages d’oued de la bordure nord-ouest de l’Erg occidental (Mechfar), où leur bétail pâture sans qu’eux-mêmes labourent.

Quoi qu’il en Boit, ces cultures occasionnelles ne sont pas un élément de fixation des nomades; elles ne concurrencent pas directement le travail de l’élevage. L’arbori- culture, au contraire, crée un lien permanent avec la terre et nécessite des travaux plus ou moins absorbants, mais en tout cas renouvelés chaque année régulièrement à date fixe. Certains nomades possèdent ainsi les techniques d’authentiques paysans.

L a culture non irriguée du palmier dattier est certainement particulièrement adaptée à l’établissement d’un semi-nomadisme équilibré. Cette culture (( en bour )) dépend d’ailleurs de conditions hydrologiques exceptionnelles : on ne trouve une nappe d’eau à tres faible profondeur (quelques mètres, 10 à 15 au maximum) qu’à certaines bordures d’erg (Souf, Ouargla, Fezzan) ou certains bas-fonds (Fezzan). La suppression de l’irrigation pour ces arbres qui atteignent directement la nappe phréatique évite un travail permanent que le nomade ne peut évidemment fournir, E n dehors de la récolte, seule la fécondation de printemps se situe nécessairement à date fixe; d’ailleurs on la confie souvent à des paysans sédentaires ou à des parents sédentarisés.

forêt 9 semi-sauvage des palmiers fezzanais sont très bas (5 à 15 kg de dattes par arbre fécondé). Les nomades possèdent peut-être le tiers des 800 O00 palmiers en production du Fezzan et un semi-nomade riche peut récolter plus de 20 quintaux de dattes par an. Au contraire, les cultures soignées - et fumées - du Souf, imitées à Ouargla, rapportent beaucoup plus (50 à 100 kg par arbre). Dans ce cas, une technique paysanne poussée est nécessaire mais sans astreindre le culti- vateur à un travail permanent. Les semi-nomades d’Ouargla ont peut-être 50 O00 palmiers ainsi cultivés, ceux du Souf en possèdent à peu près autant. Ces derniers récoltent en moyenne 8 à 10 quintaux par famille (propriété moyenne: 18 palmiers). Mais, sans doute, la moitié des palmeraies du Souf (250000 arbres sur 500000) appartiennent aux 55 O00 sédentarisés récents, dont les ancêtres étaient semi-nomades voici deux à quatre générations; la culture en bour a permis que ces vastes trans- formations aient lieu progressivement et sans heurts brutaux.

L a culture irriguée du palmier dattier est, bien sûr, plus astreignante: qu’il faille puiser l’eau ou seulemcnt profiter à son tour de l’eau courante (puits artésiens ou

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Les rendements de la

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Résistance ou décadence du nomadisme

foggara) qu’on répartit dans son jardin, le cultivateur est tenu à une présence à peu près permanente. Des soins assidus sont encore plus nécessaires au jardinage des cultures annuelles, planches de céréales ou de légumes. En fait, ici, il y a nécessaire- ment distinction entre cultivateurs et éleveurs : soit entre maîtres et serviteurs, soit entre familles d’une même tribu, soit à l’intérieur de chaque famille; on parlera de semi-nomadisme ou de sédentarisation selon qu’on envisage individu, famille ou population globale; seul le sens d’une évolution révèle alors la stabilité d’un élevage juxtaposé aux cultures ou sa disparition progressive face à ces dernières.

Retenons en tout cas que, plus les ressources d’un groupe sont variées, mieux il peut garder sa stabilité. A cet égard, l’exemple des Zentan de Tripolitaine est remar- quable: ces semi-nomades de l’Ouest tripolitain cultivent et irriguent des oliviers et de l’orge dans le Djebel au nord, du blé et des palmiers dans le Chati (Fezzan) au sud. Ils possèdent, bien sûr, des palmiers bour dans cette région. Enfin, des labours occasionnels dans les Oudian du centre de leurs territoires de nomadisation com- plètent leurs ressources agricoles, associées à celles de l’élevage.

I1 est évident que, pour les semi-nomades, les périodes de l’année passées à l’oasis sont à la fois celles où l’élevage produit le moins de lait et celles où les principales récoltes ont lieu. Un fait très général est l’attrait des oasis pendant la récolte des dattes, à l’automne, même pour les nomades qui ne cultivent ni ne possèdent de palmiers, mais achètent seulement des dattes. On retrouve ce fait aussi bien au Sahara du Nord qu’en Mauritanie (Guatna). Ce séjour à l’oasis commence parfois dès juin ou juillet, quand le lait du troupeau

se fait rare et que l’attrait des ombrages augmente. C’est l’endroit où les familles résident l’été - oasis ou pâturage - qui permet de situer les groupes semi-nomades et éventuellement leur évolution vers la sédentarisation. Pour les Chaamba du sud de l’Erg occidental (Tinerkouk), éleveurs cependant, l’impossibilité de contacts avec l’oasis en été peut être catastrophique: c’est ainsi que l’interdiction militaire de tra- verser l’Erg occidental en 1958-1960 a empêché des familles de se procurer les légumes de l’oasis au moment où le lait se fait rare, causant des cas de scorbut, surtout chez des enfants.

Pendant le séjour des familles à l’oasis, la surveillance des troupeaux doit être assurée. Laisser pâturer les bêtes près des cultures est une solution médiocre: les pâturages sont ici surpeuplés et appauvris par le ramassage du bois à brûler. On peut au contraire confier le bétail à un berger à qui échoit le travail absorbant de l’abreu- vage. La surveillance proprement dite est réduite pour les bêtes non laitières. Si celles- ci pâturent un terrain qu’elles connaissent depuis longtemps, elles reviennent d’elles- mêmes se faire abreuver au puits dont elles ont l’habitude. Cette semi-liberté estivale du troupeau (hemila) se trouve pratiquée par les Chaamba d’El Goléa, c o m m e par les éleveurs du Souf.

LA ~ÉDENTARISATION R U R A L E

C’est le plus souvent la perte brutale de son troupeau qui force l’éleveur à se séden- tariser. On a vu que les pâturages disponibles sont totalement utilisés au Sahara du Nord. Les quantités d’herbe disponibles varient beaucoup d’une année à l’autre. De plus, une série d’années particulièrement dures a atteint la bordure nord du Sahara: ce fut particulièrement la sécheresse de 1945-1946 (sur les hautes steppes de bordure surtout), suivie de celle de 1947-1948 dans le Sahara du Nord-Est: 1947 fut l’(( année du vent )) dans l’Erg oriental, où les brebis affaiblies par la faim se laissèrent couvrir de sable au pied des dunes pendant les tempêtes de sable du printemps . . . Les ovins, comme toujours les plus touchés, furent détruits jusqu’aux 314 (Souf, Nefzaoua) ou même aux 9/10 (Laghouat). Les chèvres résistèrent mieux (moins de 40% de perte au Souf dans les mêmes années), ainsi que les chameaux (50% de perte).

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Nomades et nomadisme au Sahara

A la suite de ces années exceptionnellement dures, la reconstitution du cheptel a toujours été lente et les chiffres les plus hauts n’ont pas rejoint ceux des meilleures décennies précédentes. Souvent, plutôt que vers les villages d’agriculteurs, les nomades ruinés ont afflué vers les villes administratives, dont ils espéraient des secours. Cependant, la stabilité plus grande des ressources agricoles a laissé les semi- nomades dans une situation moins dramatique; ils avaient le choix, dans une certaine mesure, entre la conversion à l’agriculture exclusive et un repli en attendant de pouvoir reprendre la vie nomade, une fois les troupeaux en partie reconstitués: i cet égard, le chiffre de 3 à 5 chameaux par tente semble le minimum indispensable au déplacement d’une famille, avec sa tente et son matériel de campement, ainsi qu’à son ravitaillement en vivres et en eau. Les risques de l’élevage nomade sont compensés à la fois par un prestige plus ou

moins vivace et par des profits rapides - éphémères souvent. En outre, si les faibles ressources agricoles d’une famille ne lui assurent à l’oasis qu’une existence dure et humiliée, le désir de retourner à l’élevage s’accentue. A la limite, la cure de lait de printemps sera profitable même à celui qui la doit à la seule hospitalité d’un parent possesseur de troupeaux. On profite à la même saison de la récolte des truffes (terfess). Des exemples individuels de reprise du nomadisme ont été constatés chez les Chaam-

ba d’El Goléa. U n berger isolé peut se contenter de posséder 1 chameau et 7 chèvres. Une famille peut spéculer opiniâtrement et augmenter son troupeau en onze ans (1929-1940) de 2 à 50 chameaux et de 10 à 200 ovins, être ruinée dans l’année néfaste de 1945 . . . et repartir nomadiser en 1952 avec 1 chameau et 4 chèvres. Une reprise du nomadisme aussi spectaculaire - et plus large - concerne les Rebaia du Souf, prati- quement tous retournés à l’élevage avec un bétail très limité. Plus que l’attrait d’une spéculation pour des individus isolés, on peut voir ici le résultat d’une cohésion restée vivace à l’intérieur du groupe tribal. La reconstitution du troupeau n’a pour- tant été amorcée ici, après la catastrophe de 1945-1947, que vers 1953-1954. Les interventions administratives exceptionnelles peuvent créer des difficultés.

Ainsi l’Erg occidental a été, pendant plus de deux ans, interdit aux nomades à cause des difficultés de surveillance d’une région de dunes: les pâturages d’été ont ainsi manqué en particulier aux nomades d’El Goléa.

L’augmentation des ressources agricoles peut aussi, bien sûr, favoriser la séden- tarisation. Les cultures de palmiers bour exigent un travail considérable au moment de la plantation (Souf, Ouargla) et s’accroissent lentement. Elles ne déterminent qu’une sédentarisation progressive. Au contraire, l’eau des puits artésiens est brus- quement disponible à la suite du forage et ceux qui savent en acquérir une part peuvent créer des cultures rapidement. La sédentarisation est, dans ces conditions, plus attirante que là où il faut puiser l’eau d’irrigation. Des nomades ont été ainsi fixés partiellement ou totalement à El Goléa, à Ouargla, dans le Sud tunisien (Nef- zaoua).

L a mainmise sur les parts d’eau par certains groupes plutôt que par leurs voisins n’est pas toujours facile à expliquer. A u Nefzaoua, l’influence politique traditionnelle des Ouled Yacoub en a fait les principaux bénéficiaires des jaillissements artésiens. A El Goléa, la famille Abdelhakem possède une part importante de la palmeraie

irriguée par les puits artésiens de Hassi el Gara. Elle habite symboliquement à côté du puits qui a fait sa fortune, au centre de la palmeraie, les autres groupes de la région ayant au contraire leurs hameaux à la périphérie de l’oasis. Les Abdelhakem forment la lignée la plus puissante des Dehamna, dont l’ancêtre cst réputé avoir le premier planté des palmiers à Hassi el Gara, un bon siècle avant le forage artésien. Sans doute, ici encore, la situation prédominante de la lignée lui a permis d’acquérir l’eau quand le puits a été foré par les Français.

L a palmeraie d’El Goléa montre toutes les formes d’attache agricole qu’on peut rencontrer chez les Chaamba: d’anciens esclaves et des immigrés du Gourara sont

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Résistance ou décadence du nomadisme

encore kbammès des propriétaires chaamba et vivent souvent non au hameau mais dans les jardins. D’autre part, l’expansion agricole a transformé une partie des Chaam- ba en semi-nomades, l’autre partie en cultivateurs sédentaires. Toutes les transitions existent entre l’éleveur et le paysan chaamba, tous les degrés de richesse et de misère accentuant les différenciations au sein de la tribu. D e plus, la possession de la terre et des palmeraies est indépendante de celle de l’eau, tandis que l’utilisation de celle-ci relève de l’initiative du cultivateur, propriétaire ou khammès. Enfin, la situation de ce dernier a été grandement améliorée depuis que les chantiers pétroliers de la région ont raréfié la main-d’œuvre, habituée maintenant à une rémunération de niveau européen de l’ordre de 1 O00 francs par jour.

Mieux que la propriété de la terre, celle de l’eau différencie les Chaamba sédentaires des Chaamba semi-nomades: on trouve en moyenne, pour les premiers, des parts. d’eau de soixante-dix minutes, pour les seconds des parts de quarante minutes. Cette eau est louée dans une plus forte proportion par ceux-là (3/4) que par ceux-ci (2/3), qui cherchent moins à s’approprier l’eau d’irrigation. En parcourant la palmeraie d’El Goléa on rencontre tout d’abord des jardins mal soignés, peu ou non irrigués; souvent Ia propriété s’y morcelle à quelques palmiers qui appartiennent à un nomade; mais aussi parfois l’on trouve plus de 50 arbres qu’un nomade laisse presque à l’abandon (les palmiers sont seulement fécondés); il peut manquer, soit d’eau, soit de capitaux pour payer la main-d’œuvre, soit du désir d’augmenter sa récolte. On trouve d’autre part de grands jardins soigneusement entretenus, les cultures

annuelles variées et les arbres fruitiers composant avec les palmiers les (( trois étages D classiques. La propriété appartient en général à toute une famille aisée ou riche, restée groupée en fait dans l’indivision. Certains membres s’occupent effectivement de la culture, travaillant de leurs mains, employant un khammès surveillé de près ou plutôt embauchant des ouvriers à la journée. U n fils est parfois éleveur nomade, ou du moins surveille par de fréquentes visites les troupeaux de la famille confiés à un berger.

I1 est assez rare de voir des cultures soignées sur une petite parcelle. C’est alors parfois le propriétaire lui-même qui cultive, Chaamba effectivement sédentarisé devenu paysan, acheteur et loueur d’eau. Mais il est plus fréquent de rencontrer, au milieu de jardins semi-abandonnés, un îlot de cultures intensives, à cheval sur plusieurs parcelles de propriété et n’occupant qu’une portion de celles-ci: c’est l’œuvre d’un khammès nègre ou originaire du Gourara qui ne possède rien parfois. Tenace, rusé sans doute’ii utilise l’eau et la terre de ses maîtres à son gré, soigne ses propres cultures et néglige leurs palmiers. L’augmentation du prix de la main-d’ceuvre consolide sa position; on sent que ses rapports avec le Chaamba, traditionnellement de respect pour l’un et de dédain pour l’autre, se sont transformés: sourire condescendant de l’ancien maître, réserve de l’ancien esclave. Ainsi la vie du Chaamba, nomade et maître de l’oasis, s’est transformée graduelle-

ment par une part d’activité agricole croissante. Mais aussi ses rapports avec la main-d’œuvre se modifient depuis peu, car l’ensemble des hommes disposent de plus en plus de ressources extérieures à la vie pastorale et agricole du pays. Ainsi le cas assez exceptionnel d’une sédentarisation de riches montre la part des

initiatives individuelles ou de la chance de chacun, Les circonstances de la séden- tarisation tantôt maintiennent la cohésion tribale traditionnelle, tantôt déterminent un émiettement de l’ancien groupe.

Le nombre de personnes composant la tente est l’indice d’une transformation plus ou moins poussée de la famille; l’enquête de Merlet à Laghouat1 est significative à cet égard. Chez les sédentarisés, on peut opposer la famille pauvre, étriquée, et les isolés (moyenne: moins de 3 personnes par famille) au groupe patriarcal riche et restécohérent (moyenne: 8 à 10 personnes). Au contraire, chez les nomades on trouve 1. MEEL= (1957). TIRS.

,

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Nomades et nomadisme au Sahara

peu de différence de richesse, des familles toujours nombreuses (moyenne: 7 person- nes) et jamais d’isolés. Des chiffres aussi élevés se trouvent chez les Kel Antessar de Tombouctou. Dans la région de Reguiba (Souf) la famille tombe en moyenne à moins de 6 personnes, y compris chez les semi-nomades les plus pauvres. A u contraire, des Rebaia semi-nomades assez riches ont des familles de 8 personnes, des sédentaires assez riches des familles de 7 personnes. Enfin, à El Goléa, région beaucoup moins traditionaliste, on trouve moins de 5 personnes chez les Abdelhakem en partie séden- tarisés et riches, moins de 4 personnes dans une lignée demeurée largement nomade et plus pauvre. Ainsi l’émiettement de la famille est signe de pauvreté plus que de sédentarisation. Mais au moins faut-il, pour rester nomade, une cohésion minimum. On ne trouve pas de nomades isolés: ils s’agglutinent à la tente du fils, du cousin ou du neveu. D’autre part, l’habitat des semi-nomades ou des sédentarisés récents révèle ce qui

est resté de la cohésion à une plus vaste échelle. A Ouargla, l’implantation des agglo- mérations des tribus révèle un maintien intact des groupes étroits comme des plus larges, les quatre grandes tribus ayant chacune son secteur de sédentarisation dans lequel chaque lignée reste groupée.

C’est le groupement de la lignée familiale de quatre ou cinq générations qui reste seul solide chez les nomades sédentarisés d’El Goléa ou du Souf. E n effet, tandis que les tribus plus vastes s’éparpillent souvent entre plusieurs palmeraies, ce groupe restreint construit un hameau unique fortement aggloméré, séparé par un espace vide du hameau d’une autre lignée familiale. Ainsi, celle-ci confirme sa grande stabilité par rapport aux organisations politiques confédérales, beaucoup plus fragiles.

Mais cette communauté de voisinage est bien moins solide que celle du groupe d’éleveurs: en effet, la propriété rurale est individuelle en terre irriguée comme en arboriculture sèche. Si une solidarité apparaît entre voisins, elle n’est pas aussi indispensable que dans l’élevage. Plus que pour les terres de culture, c’est pour les droits de bâtir qu’on constate la revendication de tout un groupe désireux de se réserver un quartier de village ou l’espace entourant un hameau. En tout cas, cette relative cohésion de l’ancien groupe tribal est d’autant mieux

conservée que la sédentarisation a été lente et précédée d’un semi-nomadisme équili- bré. Mais les inégalités sociales sont toujours plus fortes chez les cultivateurs: la propriété stable permet une accumulation persistante de richesses sûres. Le gros propriétaire de terres risque parfois des spéculations d’élevage: les profits sont ici bien plus rapides. Mais en cas de perte de troupeau, son capital agricole reste intact. En même temps, la surabondance de main-d’œuvre agricole est souvent le résultat de la sédentarisation de petits nomades ruinés; la situation du khammès est aggravée c o m m e celle du manœuvre à la journée dont le salaire s’abaisse’. Pour les purs éleveurs, au contraire, il est très difficile de devenir riche : les irrégulari-

tés du climat menacent toute accumulation de bétail. D’ailleurs, celle-ci ne change guère le niveau de vie du propriétaire; il dispose de lait en plus grande abondance, sans doute, mais ne puise qu’au minimum dans son capital, qu’il laisse croître. De plus, la surveillance effective du propriétaire est nécessaire pour que son berger ne s’enrichisse pas à ses dépens. A la limite cette situation de fait est officialisée par la coutume maure (reguibat surtout) qu’on retrouve chez les Touaregs du Hoggar: le troupeau de chamelles qu’un riche ne peut garder ou faire garder effectivement est confié en meniha à un pauvre, qui dispose de la totalité du revenu et du croît pendant la durée du pret. Ainsi la richesse instable se transformait chez les nomades en puissance sur les hommes: une telle solution n’est plus possible aujourd’hui. En conclusion, l’extrême variété des conditions de la sédentarisation dépend surtout

des conditions agricoles et des traditions internes de chaque tribu. O n voit les Chaam- 1. En 1953, au SoUr. lei ialeirei de manœuvre dcacendaient jusqu’ii 75 francs par jour à EI Oued, oh lei nebsin ~ i n h avaient afflué. Aiiieuri. lei idairei dépannaient encore 100 francs.

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Résistance ou décadence du nomadisme

ba garder leur cohésion en se sédentarisant, trouver de nouvelles ressources, s’adapter avec une souplesse remarquable. A u contraire, les Rebaia du Souf r e s t e n t solidaires, mais pour reconstituer opiniâtrement un troupeau misérable et reprendre la vie traditionnelle. Les conditions mêmes de l’élevage sont moins diverses : l’incertitude des profits est partout, comme les risques de catastrophe. I1 faut quitter le Sahara septentrional pour le Sahel et la côte atlantique si l’on veut trouver d e s conditions d’élevage nettement plus favorables.

Dans les départements sahariens, le débat entre cultivateurs et éleveurs est tranché par la concurrence de nouvelles ressources. Ainsi, chez les M e k h a d m n sédentarisés d’Ouargla, sur 195 personnes questionnées, en majorité manœuvres, 8 veulent devenir cultivateurs et 28 veulent acquérir ou améliorer des propriétés agricoles tandis que 13 veulent devenir éleveurs et 25 acquérir du bétail. Chez t o u s les autres, des désirs plus modernes dominent1.

COMPARAISON DES NIVEAUX DE VIE’

Le niveau de vie des éleveurs est assez souvent supérieur à celui des culti- vateurs. Surtout du point de vue de l’alimentation et du genre de vie (et non du capital possédé) une certaine égalité règne chez les nomades, tandis q u e , chez les sédentaires, la différenciation est bien plus poussée. Les ressources de l’éleveur nomade échappent plus facilement à l’enquêteur que

celles du cultivateur. Tout d’abord, la consommation du lait, qui n’est u n e nourriture presque exclusive que chez certains Reguibat, est rarement évaluée. Sa valeur en argent n’existe pas, sauf chez les Toubous, car les autres nomades ne vendent pas de lait: ils le donnent à leur hôte ou le boivent. Ensuite, il est difficile d e connaître le troupeau appartenant à un éleveur: les données fiscales sont nécessairement très inférieures à la réalité. Il en résulte qu’on ne peut évaluer le croît annuel de ce troupeau, variable d’ailleurs selon l’état des pâturages. Les chèvres, qui avortent en mauvaise année, ont au contraire une double portée en très bonne année. Et, sur c e croît annuel, la part utilisée est variable, qu’il s’agisse de bêtes consommées, pour les fêtes plus que dans la vie courante, ou des animaux vendus ou échangés contre d’autres produits. Enfin, les bénéfices des transports s’ajoutent aux produits de l’élevage.

Pour les cultures du semi-nomade, il est facile de connaître les revenus d e l’arbori- culture, tandis que les labours occasionnels représentent une production très irré- gulière.

I1 faut renoncer à comparer des revenus globaux comptés en argent dans un do- maine aussi vaste et aussi morcelé que le Sahara. A u plus peut-on faire des remarques sur l’alimentation. Encore vaut-il mieux s’en tenir à la comparaison de régions assez semblables ou d’exemples où les éléments connus sont les mêmes, Le tableau ci-après permet d’affirmer la supériorité du niveau de vie des nomades

sur celui des sédentaires au Hoggar, dont les harratines sont tout aussi misérables que ceux de Tabelbala, à l’ouest de la Saoura. Au Borkou,il faut tenir compte d’une importante consommation de lait chez les nomades, de l’ordre de 3000 à 4000 litres par an, équivalent en calories de 6 à 8 quintaux de céréales, qui permet un meilleur équilibre alimentaire. Enfin, la comparaison entre le H o g g a r et le Borkou montre le niveau de vie nettement plus élevé des Sahéliens par rapport aux Sahariens. Les budgets des Kel Antessar de l’ouest, Touaregs sahéliens du Soudan, montrent

une vie dépendant plus exclusivement de leurs troupeaux: des familles traditionnelles consomment seulement 250 kg de céréales (mil) et pas de dattes, et dépensent annuel-

l. La Mekhadnm. Paria. 1960. 2. D’nprb: R. CAPOT-REY (1954). Lo luire des Alpérieru conire la faim. Edit. du SecrCtariat mocial d’Alger; id. 1960), Rappori

Uncsco; P. GALLOY (1958); MEBLET (1957). TIRS (Laghouat); ci-dessus, p. 109 (Libye); notei de l’auteur <.Sou&

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Noniades et nomadisme au Sahara

Revenu annuel de familles de cinq personnee

A l d e Localisation Genre de vie CCrCalei Dattes Total Rcvcnus’ Lait

Lg kg fiMCi

1946 ~ 1 0 g g ~ Sédentaire 520 3000 - 1946 Hoggar Nomade 750 6000 + 1953 Tabelbala Sédentaire 180 330 510 - - 1955 Borkou Sédentaire 700 700 1400 4000 - 1955 Borkou Nomade 320 450 780 5000(?) -t 1.Ventes de bétail. eto.

l e m e n t moins que les Touaregs nomades du Hoggar. Des familles plus touchées par la vie moderne consomment encore seulement 400 kg de mil mais beaucoup de thé et de sucre. En revanche on peut évaluer que ces familles consomment au moins 10 O00 litres de lait (équivalent alimentaire de 20 quintaux de céréales).

Année Région Genre de vie Céréalei Dattei Revenu Lait Total évdui en argent

~________

kg kg Lana íranci Revenu annuel de familles de cinq personnes

1960 Libye 1960 Libye 1960 Libye 1952 Souf 1952 Sod

Salaires bradiiionnels en

1960 Libye

1960 Libye 1952 S o d 1952 Souf

Semi-nom. riche 2 500 Nomade riche - Nomade pauvre - Semi-nom. moyen - Sédent. moyen -

nalure

Berger -

Berger - agricole -

Tireur d’eau 400

Manœuvre

2 O00 50 80

1800 900

300

100 500

-

45 O00 100 O00 65 O00

90 O00 -

- - - -

+ + + + -

+ - + -

275 O00 101 O00 66 O00 85 O00 112 O00

41 000- 70 O00 41 O00 40 O00 (?)

35 O00

L e niveau de vie des semi-nomades dans le Souf et en Libye est supérieur à la fois à celui des sédentaires et à celui des nomades exclusifs. L a possession de palmiers dont la production est assez stable est un élément fort important. Le niveau de vie des Libyens semble plus élevé que celui des éleveurs et des cultivateurs du Souf. La rémunération de la main-d’œuvre est assez semblable, pour l’élevage et pour

la culture, au Souf et en Libye. I1 faut noter que le salaire du berger, qui bénéficie en outre de la consommation de lait, est plus élevé que celui de l’ouvrier agricole et que la situation générale apparaît plus prospère en Libye. Enfin la situation relative des nomades et des sédentaires est bien connue à Laghouat.

R a m c n E e s pour comparaison au chiffre de 5 personnes, les familles sédentaires ont des xevenus parfois inférieurs à 40 O00 francs (16% des gens d’un quartier pauvre) et parfois supérieurs à 250 O00 francs (17% des gens d’un quartier riche). Au contraire, dans u n groupe de nomades les revenus s’échelonnent entre 50 O00 francs et 85 O00 francs (73% des cas), dans un autre groupe entre 60 O00 francs et 75 O00 francs (80% des cas): l’homogénéité des revenus y est donc remarquable en comparaison des contrastes trouvés chez les sédentaires.

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Résistance ou décadence du nomadisme

I1 faut noter que tous ces revenus sont I( traditionnels )>: ils indiquent les niveaux de vie impliqués par l’agriculture et l’élevage au Sahara. Dans les secteurs où les salaires modernes sont proposés, ceux-ci créent des revenus très largement supérieurs. Devant cette concurrence, les salaires agricoles puis ceux des bergers ont augmenté très rapidement: de 100 à200 francs par jour’ils sont montés jusqu’à 1 O00 francs dans certains secteurs des départements sahariens touchés par les recherches pétrolières, c o m m e EI .

Goléa. O n saisit à quel point les bouleversements récents sont plus intenses que ceux qui ont modifié depuis cinquante ans les rapports entre l’élevage et l’agriculture.

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C H A P I T R E V I

Nomadisme et économie moderne par C. BATAILLON et CE. VERLAQUE

Si le semi-nomadisme ou la sédentarisation, pour des raisons climatiques, s’imposent à toute la bordure nord du Sahara, l’économie moderne est soumise à la fois a u découpage des frontières et aux hasards de la prospection minière: les régions les plus touchées correspondent aux départements sahariens à la fois parce que les résultats de la recherche pétrolière y sont fructueux1 et parce que les circonstances politiques et militaires y ont accru considérablement la masse des salaires payés par i’etat.

Face à ces transformations, sédentaires et nomades ont essayé concurremment d’avoir part aux ressources nouvelles : la question essentielle est d’expliquer pourquoi les premiers ont beaucoup mieux réussi que les seconds. On imagine sans peine que les cultivateurs, pratiquant un travail manuel régulier et quotidien malgré la variété du calendrier agricole, se plient facilement aux formes du travail moderne. D’autre part, les contacts plus anciens et plus intenses des sédentaires avec les Européens expliquent une adaptation plus souple aux méthodes de travail de ces derniers. Enfin, pour les sédentaires, partout où ils représentaient autrefois une caste inférieure soumise aux nomades, une transformation du travail - et des ressources - par l’écono- mie moderne a pu représenter surtout une promotion, alors que, pour les anciens suzerains, toute transformation venue des Européens a commencé par une déchéance. Mais, à l’inverse, la participation traditionnelle au commerce et au pouvoir politique

a servi les nomades dans certains cas. A ce niveau les contingences se multiplient, entrecroisant les traditions de chaque tribu et la position que cette dernière a prise au moment de la pénétration coloniale; les groupes dominants se sont parfois repliés sur eux-mêmes, parfois adaptés aux nouvelles possibilités de profit.

COMMERCE ET ADMINISTRATION MODEIINES~

Le nombre des Sahariens qui ont bénéficié des transformations est ici néces- sairement limité. On peut surtout décrue un certain nombre de réussites individuelles ou collectives.

L’exploitation des axes commerciaux du Sahara a connu des fortunes diverses depuis la pacification. Dans tous les cas, les échanges principaux s’orientent selon les méridiens et unissent les bordures nord et sud du désert. Bien entendu les liens commerciaux se doublent d’une propagation de la foi religieuse et des idées: nous en

1. La rechcrche cit plun récente en Libye et les bouleversements économiques y sont moini bien connus. 2. Cette section a pour auteur C. Batniibn.

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hTornades et nomadisme au Sahara

avions vu un exemple de style traditionnel avec le Senoussiya, unissant la Libye et le Tchad.

L e commerce d u Sahara occidental n’a pas été monopolisé par quelques individus. I1 est pratiqué par de nombreuses populations maures, même si la renommée des Tekna et des Ouled bou Sbaa est grande sur la route de l’Ouest. De ce commerce il faudrait parler au passé car les habitudes d’acheter IC thé, les produits fabriqués et les tissus sur les marchés du Sud marocain et en particulier à Goulimine n’ont pas resisté à l’actuelle imperméabilité des frontières entre pouvoirs espagnol, français, marocain et mauritanien. Vers 1938, ce commerce avait u n aspect fort original: les vendeurs de bétail du Sahel maure étaient attirés vers le Sénégal, proche et facilement accessible, et non vers le Maroc. Ainsi les bénéfices amassés dans le commerce Maroc-Mauritanie (thé, etc.) puis Mauritanie-Sénégal (bétail) étaient en partie transportés SOUS forme de chèques par les commerçants maures s’embarquant de Dakar pour Casablanca et gagnant de là le Sud marocain pour effectuer une nouvelle traversée du Sahara vers le sud. De ce grand commerce subsiste la péné- tration des commerçants maures au Sénégal, boutiquiers, maquignons et bouchers. A part une contrebande limitée depuis Casablanca et Villa Cisneros, les importations mauritaniennes proviennent de Dakar. Cette orientation est favorisée depuis quinze ans par le développement des réseaux routiers et aériens vers cette ville.

L e commerce du Sahara central, normalement moins intense, est pour une forte part entre les mains des Chaamba de Metlili (Mzab). Ceux-ci représentent les 9/10 des commerçants opérant entre le Sahara septentrional et le Hoggar ou la bordure sud d u désert (Soudan, Niger et Tchad). L’explication de cette spécialisation presque exclusive est fort malaisée. Les contacts de ces Chaamba avec leurs voisins mzabites sont probables. L’imitation de religieux (Merabtin) de Metlili a été également invo- quéel. En tout cas ce commerce prospère intéresse un miliier de Chaamba, parents proches

ou lointains d’une cinquantaine de commerçants. Si leur réussite est remarquable, elle peut inquiéter: dans de nombreux centres (Touat, Tidikelt, Hoggar), ils mono- polisent le commerce à leur profit exclusif. Leur influence intellectuelle peut être importante et l’on cite souvent le rassemblement qui se fait autour du poste de radio de la boutique’. . .

L a fortune la plus remarquable est celle d’dkacem Hadj Ahmed,évaluée à500 millions ou un milliard. Avec sa famille, il commerce à Adrar (Touat), Timimoun (Gouarara), Tamanrasset (Hoggar), Gao (Soudan), Niamey (Niger); il utilise six camions trans- sahariens, deux cars destinés à l’organisation du pèlerinage de La Mecque; il est l’exploitant de la ligne d’autocars Adrar-Timimoun-El Goléa. Le point de départ de cette fortune remonte à un oncle négociant en dattes à Timimoun et vendant à une clientèle nomade qui s’étendait du Sud marocain (Ant Khebbach) au Hoggar. Les transports sud-nord ont eu la primauté vers 1942 (achata de tissus en Nigeria); après une période difficile, les échanges nord-sud (tabac, tissus, radios, bicyclettes) ont équilibré ceux du sud vers le nord (arachides, cafés, moutons). Ce grand commer- çant prône, dans l’éducation de ses enfants, dans ses positions religieuses et dans son influence politique, un arabisme moderne et prudent. Ainsi, les nomades chaamba semblent donner naissance à une grosse bourgeoisie appartenant à l’islam moderne2.

C’est encore chez les Chaamba qu’on trouve l’exemple d’une remarquable adap- tation aux transformations de l’administration du désert. Depuis E. F. Gautier, on connaît l’importance du recrutement chaamba dans les compagnies méharistes, instrument de la pacification puis de la police du Sahara. Voici dix ans, ces troupes spécialisées, d’organisation très souple, étaient la seule forme de l’administration 1. R~C~VIEII (1939). 2. Sur ce commerce moderne: CMIDA~BE (1957). (I Les axes sahariens a, Doc. CHEAM 2187; REYNAUD (1957). (I Les commerçants

transsahariens (Metlili) #, Doc. CHEAM 2753; DUPAS (1938). (I Commerca caravanier.. . (Maures) #, Doo. CIIEAM 1357; LEMOYNE. # Pénétration des Maures en Afrique occidentale #, Doc. CIIEAM 1009.

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Nomadisme et économie moderne

connue par les nomades. C’est ainsi que le Sahara tunisien était en partie contrôlé par des troupes recrutées chez les Chaamba.

I1 va de soi qu’en dehors de cette spécialité militaire, la majeure partie des bureaux de l’administration a employé des sédentaires, les premiers à utiliser la langue et l’écriture du colonisateur.

NOMADES SAHARIENS ET INDUSTRIE^

Jusqu’à une époque récente, c’est beaucoup plus la transformation du com- merce que celle de l’agriculture qui a entraîné l’évolution et le déclin du nomadis- me. Quant à l’industrie moderne, elle n’est qu’une toute dernière venue dans des secteurs localisés du Sahara. Son influence s’est manifestée sur des populations qui étaient déjà en voie de profonde transformation; l’industrie a recruté sa main-d’œuvre dans des milieux très diversement touchés par la modernisation. Les formes traditionnelles du travail artisanal sont en déclin, ce qui a accru la

main-d’œuvre disponible dans tous les cas. D’un côté, les salines (à Taoudeni, à Bilma et dans 1’Amadror) perdent leur clientèle progressivement devant la concurrence des marais salants de la côte d’Afrique occidentale. De l’autre, l’artisanat textile, travail en général féminin, s’est restreint aux besoins familiaux devant la concurrence des tissus européens. L’industrie minière est apparue tardivement à la bordure nord du Sahara, avec les

gisements de phosphates algériens et surtout tunisiens dans la région de Gafsa, les gisements de charbon de Kenadsa-Bechar, dans le Sud oranais, et enfin les gîtes métallifères disséminés dans le sud de l’Anti-Atlas marocain. Une part de ces exploi- tations n’intéressait les Sahariens que s’ils émigraient de leur domaine, si bien qu’avant 1952 l’intérieur du désert ne connaissait les formes modernes du travail industriel que par les chantiers administratifs temporaires destinés à la création ou à l’entretien de pistes et de bâtiments. C’est ainsi que, dans les territoires du sud de l’Algérie, en 1954, la répartition professionnelle de la population était la suivante : industrie primaire, énergie, 3 196 travailleurs; industrie de transformation (artisanat textile, bâtiment), 10 096; agriculture, élevage, 270 835.

Dans ces conditions, les travaux de prospection puis d’exploitation du pétrole ont été particulièrement spectaculaires, créant en quelques années des emplois nouveaux dans les régions les plus reculées et bouleversant toute la vie économique. Les permis de recherche ont couvert tout le Sahara, les forages ont commencé en 1952, le pétrole exploité dans les départements sahariens a été transporté à la côte en 1958, celui de la Libye en 1961.

.

Rôle des indusiries extractives

Le développement de l’industrie extract& modifie globalement l’économie des populations sahariennes. I1 a accéléré la substitution d’une économie monétaire à une économie de troc. Le versement de salaires incomparablement supérieurs à ceux que peuvent procurer en général les autres ressources sahariennes a entraîné le développe- ment du commerce local puisque le pouvoir d’achat d’une fraction de la population augmentait. La création de routes et le camionnage ont été stimulés dans les relations locales comme à grande distance. Une augmentation générale du coût de la vie s’est d’ailleurs manifestée.

Devant ces bouleversements, les nomades ont été les plus démunis. Cependant, de même qu’ ils avaient été attirés par l’agriculture, ils l’ont été aussi par ces nouvelles ressources, bien plus favorables que les revenus de l’élevage nomade. Ce sont les

1. Cnte icetion pour auteur ch. Verlaque.

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Nomades el nomadisme au Sahara

chantiers pétroliers qui ont pénétré le plus loin dans IA désert et, en 1960, ils offraient un emploi à environ 5 O00 travailleurs. Si les bouleversements économiques survenus sont considérables, l’installation des

chantiers peut néanmoins se réaliser sans heurts directs avec les nomades proches, contrairement aux créations agricoles, qui réduisent les terrains de parcours d’élevage, prélevent de l’eau et multiplient les conflits à propos de la protection des récoltes. Ainsi le développement du district pétrolier de Hassi Messaoud n’a affecté en rien l’élevage des Chaamba d’El Oued ou d’Ouargla. On notait même, en mars 1960, le fait que l’ouverture d’une piste dans l’Erg oriental pour les besoins d’une équipe sismique de la CPA avait favorisé le développement du nomadisme le long de cet axe, qui rendait la pénétration plus facile. Et, dans les parages des vieux puits à eau qui coexistent avec les (( arbres de Noël O des puits de pétrole de Hassi Messaoud, on pouvait toujours rencontrer des nomades, m ê m e en 1960, qui n’hésitaient pas à se procurer aux chantiers les marchandises qui leur manquaient. Le conflit qui éclate constamment entre nomades et agriculteurs à propos de la terre ne semble donc pas exister dans le cas de l’implantation d’une industrie extractive.

Le travail salarié de l’industrie présente, pour l’éleveur, bien des avantages en comparaison de l’agriculture. I1 peut lui procurer immédiatement l’argent nécessaire et lui épargner les difficultés de la mise en culture d’une terre. Enfin qu’il soit, horaire, hebdomadaire ou mensuel, il présente un intérêt supplémentaire : la vie traditionnelle n’est interrompue que temporairement. Nous trouverons exceptionnellement, dans le Sud marocain, des propriétaires de mines - les Ait Khebbach - soucieux d’une exploitation permanente de leurs gisements de plomb mais, en fait, le nomade cherche rarement un emploi de longue durée. Le chantier pétrolier n’oblige pas l’ouvrier à se fixer; les mines de phosphate et de

charbon sont, au contraire, des lieux de résidence fixes. Mais, mrtout, le salaire versé échappe très largement aux contraintes collectives. Si des groupes plus ou moins étendus maintiennent leurs habitudes communautaires à l’oasis, l’ouvrier est un isolé: les famiiles ne sont pas admises sur les lieux de forage tandis que bien des hommes partent seuls vers les mines de phosphate ou de charbon. Si bien que, partant en congé ou quittant son emploi, il dispose pour lui-même des sommes économisées.

L’emploi dans les industries minières est extrêmement instable en raison du carac- tère du travail lui-même, mais aussi du fait du personnel. Les chantiers de forage sont nécessairement temporaires et leur durée même demeure en partie imprévisible, du fait des aléas de la prospection: c’est ainsi que la région d’El Goléa a été abandonnée par les compagnies pétrolières après des recherches infructueuses, ce qui a laissé sans emploi un certain nombre de travailleurs. En outre, la plupart du temps, le travail est interrompu en été. D’autre part, à l’exception des mines de phosphate, très prospères, les autres exploitations fixes (charbon et plomb) ont, selon l’activité industrielle et les cours mondiaux, une production très variable, qui affecte l’effectif employé par ces entreprises. Devant ces fluctuations de la demande de main-d’œuvre, les Sahariens et surtout les nomades sont les plus démunis car, à l’exception de quelques originaires d’El Goléa anciens élèves de l’école des Peres blancs, ils n’ont aucune formation professionnellel. Employés surtout comme manœuvres, ils sont les premiers licenciés dans tous les cas. Mais le comportement de la main-d’œuvre accroît cette instabilité: plus qu’un

autre le nomade considère le salaire gagné comme un appoint i ses ressources habituel- les. I1 cesse en général le travail au bout de quelques mois pour rejoindre sa famille. Ces problemes d’emploi se présentent, bien sûr, en des termes variables selon la nature des entreprises.

1. Les concesaions d’exploitsiioo péirolihre en 1961 prévoient Ia formation de main-d’œuvre locale par les sociátéi.

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Nomadisme et économie moderne

L’artisanal minier du Tafilelt

Ce type d’exploitation a l’intérêt particulier de réaliser une transition entre le travail traditionnel des salines, par exemple, et l’entreprise industrielle moderne, ce qui a permis à la tribu des Ait Khebbach, sans moyens techniques ni capitaux, d’intégrer à sa vie économique cette ressource nouvelIe. II s’agit de l’extraction du minerai de plomb - 16 O00 t en 1958l - dans la région du Tafilelt, et en particulier dans les secteurs de Taouz (12 200 t), de Rissani (1 800 t) et d’Alnif (2 200 t). Les formes d’exploitation demeurent diverses: la mine de Mfis a été exploitée sous une forme industrielle. Mais l’essentiel est une exploitation artisanale de puits creusés à faible profondeur selon des règles précises, le long des filons. Le travail est tantôt le fait d’ouvriers associés aux propriétaires par des contrats collectifs ou individuels, tantôt le fait du propriétaire lui-même. En février-mars 1959, sur environ 2 140 puits, 1 300 étaient en activité, exploités par 2 680 artisans propriétaires, dont 1290 tra- vaillaient effectivement à cette date, et par 2 780 artisans ouvriers. Parmi les populations intéressées par cette exploitation, les Ait Khebbach, Berbères

semi-sédentarisés, et surtout les Doui Menia, Arabes nomades, nous intéressent plus particulierement.

Les Ait Khebbach constituent l’élément le plus méridional des éleveurs et guerriers Beraber, de langue berbère (tamazirt). Ils ont prouvé leur cohésion et leur dynamisme dans leur opposition à la pénétration française, puis se sont repliés dans une économie semi-nomade de petits éleveurs de chèvres, labourant occasionnellement les fonds humides. Ils ne connaissaient qu’une exploitation sporadique du plomb pour leur propre usage, fondant des bailes et quelques ustensiles. Vers 1948, alors que commence l’exploitation industrielle du plomb à la mine de Mfis, ces Ait Khebbach se mettent à creuser des puits sur les filons plombifères, sans égards pour les titulaires légaux de permis. Se concentrant autour de Taouz, ils se vouent progressivement à l’exploitation minière, qui devient pour eux une activité exclusive alors qu’elle n’était au départ qu’une activité d’appoint. Ce passage à une activité industrielle s’est accompagné d’une sédentarisation

affectant aussi bien l’habitat que le genre de vie. Dix pour cent des Ait Khebbach vivent encore sous la tente; 20% possèdent à la fois tente et maison; 70% sont fixés au ksar de Taouz, alors que, voici quinze ans, les 2/3 des gens étaient semi-nomades. D e plus, la société traditionnelle s’est différenciée, et pauvres et riches se distinguent de plus en plus. L a classe sociale la plus basse semble avoir perdu toutes ses racines rurales pour s’engager dans les puits ou, sans moyens d’existence et de subsistance, vivre du pain des autres. Elle doit représenter 1/5 de la tribu. L a plus grande part des Ait Khebbach s’est également débarrassée de sa propriété ancestrale mais a maintenu quelques terrains irrigués dans les palmeraies. C’est la classe dirigeante qui a certainement agrandi ses ressources agricoles en achetant des terres et des troupeaux (jusqu’à 60 chameaux), tout en se consacrant presque exclusivement à l’exploitation minière. Enfin, la tribu a gardé son oligarchie et ses coutumes, tout en imposant un véritable code d’artisanat minier et en tirant au mieux profit de ses nouvelles acti- vités. En comparaison des Ait Khebbach l’adaptation des Doui Menia est beaucoup

moins poussée. C’est une tribu de la région de Bechar qui nomadise normalement sur les hamadas de la frontière algéro-marcocaine. Celle-ci est devenue actuellement une barrière infranchissable pour les nomades. L’événement politique a atteint le domaine pastoral et brutalement dégradé l’économie de la tribu, qui s’est trouvée acculée à une sédentarisation rapide et non amenée à une Iente adaptation.

L a fraction des Doui Menia &ablie en territoire marocain est évaluée à 3 O00 per- sonnes. Elle a vu dans l’ouverture de la mine de Mfis l’aubaine immédiate permettant 1. DL p o w cent de In production marocaine.

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Nomades et nomadisme au Sahara

de remédier à la crise de l’élevage nomade. Les hommes se Sont engagés comme salariés, accédant directement à une forme industrielle du travail; en effet, l’hostilité des Ait Rhcbbach, qui se considèrent comme propriétaires des régions riches en plomb, a empêché les Doui Menia de tenter eux-mêmes un travail artisanal autonome, sauf exceptionnellement, Les salaires perçus ont conduit les familles à se débarrasser de la plus grande partie de leurs troupeaux.

Mais la situation des salariés est loin d’être stable: la société exploitant la mine de Mfis a cessé son activité à la fin de 1959 en raison de la faible rentabilité de la mine. Si bien que les plus pauvres des Doui Menia en sont réduits au ramassage tout superficiel des (( patates de plomb )), auquel se livrent hommes, femmes et enfants. Ce problème mis à part, nous sommes en présence d’un phénomène de sédentarisation

industrielle assez bien réussi, avec toutefois une évolution plus favorable chez les Ait Khebbach, tribu semi-nomade très cohérente, plus attachée à son territoire que les nomades Doui Menia.

Notons enfin que cette exploitation procure un niveau de vie encore assez bas, puisque le revenu annuel de l’artisan ouvrier est évalué à 70 O00 francs et celui du propriétaire à environ 120 000 francs. Ces chiffres Sont légèrement supérieurs aux revenus traditionnels de l’élevage et de la culture; ils s’ajoutent en fait à ceux-ci et permettent de doubler le revenu moyen de quelque 20 O00 habitants. Mais ces reve- nus sont fort bas en comparaison des salaires des entreprises modernes, surtout des forages des départements sahariens.

Charbon et phosphate à la bordure nord du Sahara Nous groupons ici l’étude des entreprises minières qui Sont en principe les plus stables. Cependant, leur situation frontalière pose des problèmes particuliers à une main-d’œuvre en partie saharienne provenant de régions plus ou moins lointaines. L’extraction du charbon dans la région de Colomb-Béchar a attiré au premier chef des Doui Menia. Le gisement se trouve en effet au milieu des terrains de par- cours de cette tribu, et la même évolution qui a conduit une fraction d’entre eux à s’engager comme salariés à la mine de plomb de Mfis en a conduit la plus grande partie à s’embaucher comme salariés dans les houillères du Sud oranais.

Mais la production du gisement, après être passée de 14 865 t en 1938 à 303 O00 t en 1954, s’est stabilisée aux alentours de 300 O00 t jusqu’en 1956, année à partir de laquelle la production a décliné pour n’atteindre qu’environ 150 O00 t en 1958. Les conséquences de ce déclin sur l’emploi de main-d’œuvre, et plus particulièrement de la main-d’œuvre musulmane composée essentiellement de Doui Menia, sont fort importantes. En 1954, d’après les chiffres du recensement, 3 196 musulmans étaient employés à

l’extraction du charbon. Ce chiffre est tombé en septembre 1960 à 1257 salariés, d’après un état du personnel que les Houillères du Sud oranais ont bien voulu nous communiquer. Le tableau ci-dessous nous indique l’origine et l’utilisation de ces 1 257 travailleurs.

Main-d’œuvre musulmane utilisée par les Houillères du Sud oranais à la date du 26 septembre 1960

Origine Mmceuwes Demi-ounien Ouvrim sr>cciaiiséi Total

Sahariens (surtout Doui Menia) Algériens des régions voisines Autres Algériens Kabyles Marocains des régions voisines Autres Marocains

TOTAL - 158

371 153 29 18 11 2 33 14 14 17

9 465 213

- 7 -

411 935 46 93 12 25 41 88 38 69

47 31 579 1257 - -

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Nomadisme et économie moderne

Les Doui Menia constituent ainsi et de loin l’essentiel de la main-d’œuvre musul- mane. Celle-ci comporte un nombre appréciable d’ouvriers spécialisés. L a proportion de manœuvres recrutés parmi les Sahariens (39,6y0) est supérieure à celle des m a - nœuvres recrutés parmi les autres régions (29,2y0). Cela peut être mis sur le compte de la plus grande facilité à trouver sur place les manœuvres qui constituent une sorte de (( volant )) de main-d’œuvre, plutôt qu’à une faculté d’adaptation moins bonne chez les Sahariens. Enfin, la baisse de l’emploi des dernières années correspondant au déclin de la

production nous permet de souligner encore une fois le problème de la stabilité de l’emploi. Cette baisse d’emploi est d’une gravité particulière pour les Doui Menia; la mine représente en effet, à la suite du déclin du nomadisme, leur ressource principale et elle s’accompagne d’une sédentarisation irréversible. Dès lors, si la mine n’offre plus ses salaires, le nomade devra-t-il et pourra-t-il se tourner vers l’agriculture ou le commerce ? Nous pensons plutôt que le résultat sera une émigration plus lointaine à la recherche d’un emploi industriel en Algérie ou en France.

L’exploitation des mines de phosphate dans le Sud tunisien a attiré du Sahara une main-d’œuvre en majorité originaire du Souf, mais aussi du Djerid tunisien et de Tripolitaine. Ces immigrants du Souf sont venus d’abord seuls, retournant périodi- quement dans leur famille. D e plus en plus les familles ont rejoint les ouvriers, qui se sont stabilisés à la mine. Enfin, la fermeture de la frontière algéro-tunisienne tend à couper les contacts entre les émigrés’ et leur région d’origine. Les chefs de famille émigrés dans les trois centres miniers (Redeyef, Moulares, Metlaoui) étaient environ 1900 en 1953; en 1959, quelque 16 O00 personnes originaires du Souf sont fixées auprès des mines. Tous les hommes ne travaillent pas à la mine: certains sont com- merçants ou maçons. Cependant, les salaires de la Compagnie des phosphates de Gafsa sont la ressource essentielle: ainsi dans le centre de Redeyef, qui employait 750 originaires du Souf en 1955. Le travail, payé à la journée, est, naturellement, fort incertain. D e plus, il est dangereux dans les galeries, ou pénible à cause de la pous- sière dans les usines de séchage. Cela explique que le quart des ouvriers soient recrutés parmi les tribus nomades du Souf. En effet, l’émigration du Souf s’est modifiée depuis trente ans. Elle était d’abord

composée de villageois, mais ceux-ci ont vite cherché ailleurs des emplois moins durs et plus rémunérateurs. Des hommes des tribus en voie de sédentarisation, Troud pour la plupart, sont venus les remplacer: plus frustes, sans qualification professionnelle et n’ayant que leurs bras pour s’embaucher comme manœuvres, ils se sont contentés des emplois miniers dédaignés par les villageois.

Les régions d‘exploitation pétrolière

On les trouve dans les départements sahariens, dans deux régions où les pro- blèmes de main-d’œuvre sont différents: autour de Hassi Messaoud, dont les gros centres de peuplement saharien de l’Oued Rhir du Souf et de Ouargla sont proches, et autour d’Edjeleh, dans une des régions les moins peuplées du Sahara, à la frontière libyenne.

L a région de IIassi Messaoud est celle qui emploie le plus de monde. L a très faible proportion de nomades employés par les entreprises est le fait dominant. En 1957, la Societé nationale de recherches et d’exploitation des pétroles en Algérie (SNREPAL) avait embauché 216 auxiliaires et, parmi ceux-ci, seulement 27 employés originaires de tribus nomades, surtout de la région d’Ouargla: les Said Otba, en pleine crise pasto- rale - fournissaient le plus gros contingent. Au printemps 1960, la proportion de nomades employés par la m ê m e société était tombée au-dessous de 1/10; quelques Rebaia du Souf étaient embauchés.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Il est certes difficile de connaître l’activité et les ressources précises des hommes que l’on embauche. Cependant, les renseignements concernant le personnel de la CFPA corroborent les chiffres précédents : sur 396 personnes embauchées, 25 se déclaraient éleveurs nomades et 153 appartenaient à des tribus nomades, bien entendu en voie de sédentarisation.

D’une façon générale, le personnel embauché reste rarement plus de quelques mois dans l’entreprise, ce qui rend vain de fixer globalement le chiffre des employés - nomades ou non à l’origine - qui travaillent dans un secteur donné. On peut cepen- dant estimer à environ 150 le nombre des travailleurs employés au printemps 1960 qui sont passés directement de la vie pastorale nomade au travail des chantiers. Ce chiffre est très faible en proportion des 3 269 personnes recensées dans la région de Hassi Messaoud.

Dépourvus de qualification professionnelle, les nomades travaillent presque tous c o m m e manœuvres. Les seuls travaux plus spécialisés où ils sont employés sont ceux de cuisiniers, serveurs, etc., au service du personnel européen, à la rigueur celui de graisseurs de camions. Cependant, les salaires perçus sont extrêmement élevés en comparaison des revenus ou salaires de l’élevage et de l’agriculture. Le minimum horaire est de 150 francs et la plupart des auxiliaires gagnent en fait mensuellement 36 O00 francs. Cependant, l’attrait évident de ces revenus n’a pas tenté également les gens de la région. I1 est remarquable que les Chaamba, dont la tribu est de tradition militaire, n’aient pas cherché à s’embaucher dans les chantiers.

Beaucoup plus isolée, la région d’Edjeleh emploie une quantité bien moindre d’ouvriers. La Hamada el Homra et le Tassili des Ajjers sont très faiblement peuplés, de Touaregs principalement. Le groupe d’oasis fortement peuplé le plus proche est le Tidikelt. Ainsi s’explique le recrutement de la Compagnie de recherches et d’exploi- tation des pétroles auSahara (CREPS). Elle a opéré àproximité duTidikelt sans obtenir de résultats; elle employait, bien sûr, la main-d’œuvre des oasis. Mais ses chantiers de la région d’Edjeleh employaient aussi en 1957 une forte proportion de sédentaires du Tidikelt, qui ont ainsi émigré à près de 800 km de chez eux. Au contraire, le recrute- ment dans la région était faible - 53 employés sur 215 - et parmi ce personnel on ne trouvait qu’une quinzaine de Touaregsl. L a plupart des sociétés travaillant près d’Edjeleh recrutaient proportionnellement aussi peu de nomades trouvés sur place. En 1960, la proportion de nomades touaregs employés par les sociétés pétrolières n’a fait que diminuer, tombant à 2 ou 3%. Ces sociétés - et en particulier la CREPS - cherchent de plus en plus à stabiliser une main-d’œuvre venue de loin qu’on essaie de spécialiser: les gens originaires d’El Goléa sont en particulier recherchés pour leur formation technique. A l’inverse, certaines sociétés qui n’effectuent qu’un travail très temporaire dans

une région recrutent bien plus sur place, et s’adressent ainsi aux nomades. C’est le cas de la CGG, spécialisée dans la prospection géophysique, et de la société Colas, com- pagnie de camionnage: en 1957, la première employait 18% de personnel touareg et la seconde 42 %. Ces chiffres s’expliquent évidemment par l’impossibilité de recruter au loin un personnel très vite congédié. De la même façon, la Société des grands travaux de Marseille, travaillant aux aménagements préparatoires pour la pose du pipe-line Edjeleh - La Skhirra, a recruté temporairement un grand nombre de ma- nœuvres: c’est là que la moitié des Rebaia du Souf venus chercher fortune dans la région ont trouvé à s’employer.

Ainsi, l’emploi des nomades - principalement touarcgs - est l’exception pour les sociétés travaillant autour d’Edjeleh. Les employeurs leur reprochent non une incapacité au travail mais une lenteur à s’accoutumer à leur emploi aggravée par la faible persévérance dans celui-ci, qu’ils quittent plus fréquemment que d’autres. Ils ne coupent d’ailleurs pas les liens qui les unissent au milieu traditionnel, dont les 1. D’apre8 lei indicationi du R. P. Arnauld (1957).

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Nomadisme et économie moderne

chefs prélèvent parfois une partie du salaire; le travail est accepté par certains Touaregs afin d’acquérir des chameaux, par d’autres afin de constituer la dot qui permettra à l’homme de se marier. Au chantier, les particularismes sont souvent préservés: les harratines du Tidikelt

sont tenus à part autant par les Touaregs que par les gens des tribus d’Ouargla. L e logement des travailleurs sous des tentes de 8 personnes facilite ces distinctions, compliquées par celles qui résultent du métier exercé: manœuvres, graisseurs ou valets de chambre ne cohabitent pas. D’autre part, les sociétés évitent le dépayse- ment de leur personnel en accordant des congés atteignant trois mois et en fournissant une nourriture traditionnelle cuisinée par les ouvriers, à base de pâtes alimentaires, semoule, thé, etc., à quoi s’ajoutent quelques conserves; ce sont en somme les conditions de vie aménagées aux troupes méharistes que l’on retrouve là. Aux vivres s’ajoute le salaire en argent, qui était, en 1957, de l’ordre de 555 francs par jour. En conclusion, les nomades sont normalement plus attirés par les salaires industriels

que par ceux de l’agriculture, incomparablement plus bas. D e plus, le profit est ici immédiat, contrairement à celui d’un travail agricole pratiqué à compte personnel. Cependant, ces nomades sont embauchés moins que tous autres par les sociétés en raison de leurs difficultés d’adaption et de leur instabilité. Ainsi, pour eux plus encore que pour les sédentaires s’imposent une formation professionnelle et l’attachement à l’emploi pratiqué.

Le degré de sédentarisation atteint par les nomades est extrêmement important pour juger de l’emprise et de l’attrait de l’industrie d’extraction. Des nomades dont la vie est restée traditionnelle, comme les Reguibat et les Touaregs, ne sont prati- quement pas touchés par la sédentarisation industrielle.

I1 faut donc tenir compte du rapport qui existe entre le déclin économique du nomadisme et l’attrait que peut présenter l’activité industrielle. I1 peut y avoir un déclin progressif; dans ce cas la sédentarisation industrielle va de pau avec la séden- tarisation agricole et l’émigration: c’est le cas des nomades du Souf ou d’Ouargla. Si le déclin est brutal, causé par un événement extérieur, la sédentarisation industrielle affecte le groupe ou une fraction importante du groupe dans son ensemble: c’est le cas des Doui Menia.

ADAPTATION DES NOMADES A U TRAVAIL MODERNE^ Deux raisons rendent difficile la conversion du nomade au travail moderne: il lui faut d’abord concevoir ce travail, ensuite l’accepter: on ne s’étonnera pas de trouver une adaptation bien plus aisée chez les semi-nomades cultivateurs que chez les éleveurs ou les suzerains, qui ignorent et méprisent le travail manuel.

Dans des groupes profondément et anciennement pénétrés par l’économie et la société modernes, cette adaptation est, bien sûr, fort complexe. C’est le cas des Chaamba d’El Goléa, dont la souplesse est décidément remarquable. Au sein d’une m ê m e lignée, voire $une m ê m e famille, on a su associer à l’élevage les ressources des cultures, les salaires de l’armée et, plus récemment, ceux des multiples organismes publics ou privész. Le groupe qui occupe l’oasis la plus excentrique d’El Goléa (Hassi el Gara) représente une population un peu inférieure à 3 O00 habitants, dont moins d’un quart de Noirs anciens esclaves et d’émigrés du Gourara (tous sédentaires). Plus des trois quarts de la population appartient donc à plusieurs groupes chaamba, en totalité nomades iI y a deux ou trois générations. L a répartition professionnelle des chefs de famille chaamba est actuellement la suivantea: éleleveur nomades, 132; militaires 1. Cette section n pour auteur C. Bataillon. 2. Sociétés de prospection. de transport, bureaux de I’adminiitraïion, emplois des travaux publia. du Secteur d’amélioration nirnle, de l’aéroport. etc. Sur un autre plen. l’engagement d’un membre d’une Inmilie dann l’armée française n’exclut pan la participation d’un n u m membre P i‘organieation militaire du nationalisme aIgCrien.

3, D’après Is reccmemeat de l‘automne 1959, Cpoque où les nomad- rénident B l’omis. ce 9.; permet des renieignemcnu précin à leur égard. Le chiffre den cultivnleun est peut-être trop élevé car on y m clasd certains cbefn de famille dont la profession n’est pai connue.

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Nomades et nomadisme au Sahara

ouretraités fixés,54; cultivateurs, 159;ouvriers,employés etcommcrçants,94; total,439. I1 faut remarquer l’importance des métiers (< modernes D et leur très grande variété;

en effet, sur 94 employés et commerçants, 15 seulement travaillent dans des sociétés pétrolières, considérées souvent comme les principales distributrices de salaires. D’autre part, les cultivateurs autrefois asservis aux Chaamba accèdent aussi, pour plus de la moitié d’entre eux, à des fonctions très variées. Enfin, même chez les éleveurs nomades, ce sont pour un quart d’anciens militaires pensionnés restés fidèles A l’élevage, mais vivant en partie de leur pension stable.

La leçon des Ait Khebbach de Taouz, dans le Sud-Est marocain, est bien différente: ce groupe a su se réorganiser de façon autonome à l’égard des transformations de l’économie et du pouvoir. Bénéficiant de conditions techniques exceptionnelles pour une exploitation minière (filons de plomb très superficiels et très dispersés), ce groupe a su participer dans son ensemble aux profits des mines, et cela sans changer son organisation traditionnelle. La forte cohésion au niveau des lignées et des familles s’est maintenue : la famille patriarcale groupant trois générations reste la cellule vivante, tandis que la propriété des puits de mine est souvent collective, entre les mains de familles ou de lignées plue larges. Le salariat, très souple, reste traditionnel: il associe la main-d’œuvre aux propriétaires, qui souvent travaillent eux-mêmes. On oppose volontiers cette autonomie1 d‘une tribu de siba traditionnelle au désar-

roi de leurs voisins Doui Menia, arabophones de tradition maghten, plus habitués à attendre fortune des rapports avec un pouvoir central supérieur. Cette autonomie n’exclut pas le repliement: les Ait Khebbach sont piètres commerçants et laissent ainsi échapper une part des bénéfices de leur artisanat. Et leur méfiance envers le pouvoir fait envisager l’essai d’une coopérative de vente du plomb non chez eux mais chez les Doui Menia, en plein dénuement.

Dans tous les cas un curieux destin transforme les derniers grands razzieurs des années 1935 en modestes chevriers aux ressources précaires (1947)’ puis en artisans mineurs avisés (1959), menacés à la fois par la baisse des prix mondiaux des matières premières et par l’épuisement des gisements. Si l’on s’interroge sur les capacités des nomades sahariens d’accéder aux emplois

de l’industrie moderne, on constate que le problème majeur est celui de la péné- tration plus ou moins grande de la culture et des habitudes du monde moderne intro- duites par les Européens2. C’est, en fait, cette pénétration qui est mesurée par I’appli- cation en milieu saharien des tests utilisés en psychologie industrielle. A juste titre, en effet, les praticiens ne prétendent en rien jauger la capacité innée de telle ethnie au travail industriel, mais seulement la part de l’acquis d’origine européenne.

Cette pénétration des habitudes européennes est réalisée par plusieurs moyens. Le plus simple est l’emploi lui-même, sur un chantier ou toute autre entreprise. Là apparaît, sous la pression du travail à accomplir, l’idée de la vitesse imposée pour une tâche, ou tout au moins celle d’un rythme régulier à soutenir quotidiennement. L a scolarisation plus ou moins poussée, la vie militaire - même dans les conditions très spéciales des compagnies méharistes - modèlent les individus de façon beaucoup plus poussée. Néanmoins, toutes ces approches de la société européenne ont en commun un apprentissage plus ou moins complet de la langue parlée par le colo- nisateur.

L a plus ou moins grande souplesse d’adaptation au travail moderne fait apparaître trois catégories : les sédentarisés arabophones s’opposent aux gens de culture touarègue et aux individus de genre de vie nomade. 1. Conversation avec M. Mcnncsson (1959). 2. Résultats dei investigation. du centre PROHUZA, d’une part i Ouargla (en 1958-1959). consignés dans Ler Mekliodmo (1960). d’autre pari à Tamanrasset en 1960, consignés dani un rapport dactylograpbicprovisoue du Centre de psychologie industrielle. obligeamment communiqud par PROIIUZA (dan. ce texte. comparaiaon avec Ouargla). Edin, J.Pm: 4 L’attitude de la population et Is problhc de l’éducation au Sahara 8, colloqueUnesco,mai 1960. Lcs tests efleciuk i0uargl. portenisur 400 personnei (dont une vingtaine de nomades): ceux de Tamanrasset porient sur 146 personnee (73 barratineo, 35 Touaregu. 38 arabi&; 28 nomades, sur le mai).

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Nomadisme et économie moderne

U n niveau assez élevé d’adaptation apparaît d’abord, de façon assez homogène, chez les sédentarisés agriculteurs d’Ouargla, les arabophones immigrés du Nord à Tamanrasset et les harratines de Tamanrasset. Dans ces différentes populations partiellement adaptées à la culture européenne, la réussite aux tests varie dans le détail selon la formation individuelle. L’école, y compris l’école coranique en langue arabe, m ê m e fréquentée peu d’années, habitue à concevoir un travail et, en particulier, à la nécessité d’exécuter celui-ci en temps limité. Mais, à moins de considérer des élèves ayant eu une scolarité complète - jusqu’au certificat d’étude - l’adaptation reste ici fragmentaire et, en somme, incohérente; au contraire, la contrainte de la vie militaire façonne bien plus complètement le comportement des individus. Si les différences de méthodes d’éducation appliquées par l’école et par l’armée sont éviden- tes, en outre celle-ci s’adresse à des adultes de personnalité plus stable que les adoles- cents dont l’école s’occupe. Enfin, les possibilités d’adaptation sont accrues par la fréquentation de milieux différents de celui où l’on a vécu: l’émigration temporaire vers de petits centres - ou plus encore vers de grandes villes - est un facteur d’adap- tation, d’autant plus nettement que cette émigration fait connaître des lieux plus pénétrés de culture européenne. Mais sans doute aussi le simple fait de connaître u autre chose )) que son milieu d’origine rend plus réceptif aux apports extérieurs.

L e comportement des Touaregs face aux tests pose le problème d’une éventuelle incapacité ethnique à s’adapter au monde extérieur. En fait, plus qu’à tous autres, l’idée d’un travail leur est étrangère. Mais de plus, la conviction de posséder une vie satisfaisante, qui ne saurait être perfectionnée, est très fréquente ici; elle ne saurait étonner chez des ((nobles qui ont en outre été confirmés dans leurs privilèges et ad- mirés par leurs vainqueurs européens. Ainsi est-ce un refus d’assimiler une culture étrangère inutile plus qu’une incapacité à le faire. Cette cohésion de la culture toua- regue semble en rapport avec l’éducation traditionnelle : l’enfant, sevré très tard (deux à cinq ans), vit avec les femmes jusque vers sept ans. I1 arrive à la stabilité de l’adulte plus tôt que l’enfant d’Ouargla, dès quatorze à dix-sept ans au lieu de dix- huit à vingt ans. Pour les enfants touaregs, plus mûrs, la scolarité transforme moins le comportement: elle est sans doute moins approuvée aussi par la famille qu’en milieu arabophone. D e plus, l’éducation familiale, qui impose surtout à l’enfant un code de l’honneur, semble plus stricte chez les Touaregs que chez les Arabes du Sahara septentrional.

Dans leurs perspectives d’avenir, les enfants touaregs scolarisés1 affirment leur confiance en l’existence traditionnelle: ils envisagent l’élevage nomade ou la vie nomade des compagnies sahariennes. Au contraire, les jeunes harratines ou les jeunes arabophones sont attirés par les professions administratives, le commerce ou le camionnage.

Les nomades et semi-nomades sont évidemment, de tous les individus soumis aux tests, les moins adaptés. Bien entendu, les notions de travail régulier, de temps d’exécution leur sont étrangères. A la limite, certains tests utilisés leur sont totalement inadaptés : seules certaines épreuves d’observation et de coup d’œil révèlent leur acuité sensorielle, qui n’étonne pas. Néanmoins les différences entre nomades et semi-nomades d’une part, sédentarisés d’autre part, n’apparaissent pas très consi- dérables à Ouargla. Ce sont les nomades touaregs qui seuls sont réellement étrangers aux tests proposés: plus encore que leur genre de vie, leur culture serait en cause.

Dans le travail scolaire, certaines particularités des élèves de famille semi-nomade par rapport aux sédentarisés apparaissent aussi bien àOuargla qu’au Souf2. A Rouissat (Ouargla) les jeunes nomades sont plus 4 éveillés )), plus près de la nature, plus (( conser- vateurs )) et en m ê m e temps (( plus fiers et moins disciplinés n que les jeunes sédentaires.

1. Enquêtei icolairn de MM. Bellin (BLS. mara 1958 et septembre 1960) et Barrire BU. juin 1959). 2. Reiueigncmcnb do M. Lapone. directeur de l’école de Rouissat (Ouargla), et de d. Bénnrd (El Oued). A El Golia la coupure’ ethnique (Chaamba face aux Noh) est trop importante pour laisser piace aus nuances du geme de vie.

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Nomades et nomadisme au Sahara

A Magrane (Souf), on insiste sur des capacités d’attention et de régularité dans l’effort, peut-être dues à une meilleure condition physique. D’autre part, l’originalité des jeunes nomades apparaît dans des ((récits libres O des élèves. Mais dans l’ensemble le milieu est assez homogène et les différences entre semi-nomades et sédentaires sont de détail: il n’y a pas de coupure culturelle ou de différences de castes comme à Taman- rasset. Au total les capacités d’adaptation au monde moderne semblent se relier non à telle

particularité culturelle, mais à la plus ou moins grande souplesse de l’organisation sociale. Les Ait Khebbach, groupe cohérent, replié sur lui-même, se sont organisés de façon autonome, gardant leur structure sociale tout en renouvelant leurs ressources. Au contraire, l’adaptation des Chaamba ou des Mekhadma d’Ouargla s’est faite pour chaque individu au prix de la disparition de l’originalité ethnique et de la cohésion sociale du groupe. Sans vouloir juger laquelle de ces deux solutions est la plus sou- haitable, on conçoit l’énorme différence qui les sépare. Au demeurant, ce débat ne sera pas le plus important si on envisage l’avenir des

nomades sahariens : beaucoup moins que l’agriculture, les entreprises ou les adminis- trations modernes représentent une source de travail stable pour des individus nombreux: c’est hors du Sahara et par l’émigration qu’on peut accéder massiveme nt à ces emplois; l’embauche des sociétés pétrolières est toujours temporaire, liée à la période de prospection et de forage. L’administration et l’armée ont multiplié leur personnel dans les départements sahariens: si les salaires de l’atat ont considéra- blement accru la prospérité des bénéficiaires, une telle inflation dépend trop des ressour- ces extérieures pour ne comporter aucun danger. En définitive, c’est la possibilité d’insérer l’élevage nomade lui-même dans l’économie moderne qui reste le problème majeur.

B I B L IO G RAP II IE

Tafilelt MENNESSON (1959). Rapport dactylographié adressé au Service des mines, Rabat. Etude essentielle résumée ici.

Béchar PIGEOT, général. Etudes. BATAILLON (1955). Sud tunisien. BRUNET, R. (1958). *Un centre minier de Tunisie: Redcyef i). Annales de géographie, nu 363, p. 430-446. Paris, A. Colin.

VANNEY, J. R. (1960). a Note sur l’émigration des Souda a. BLS, 38. BONNET, capitaine. a IIassi Messaoud D. Rapport du chef du Centre d’administration saharienne de Hassi-Messaoud.

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C H A P I T R E V I 1

Modernisation du nomadisme pastoral par C. BATAILLON

L a transformation du nomade en éleveur semble la forme de modernisation la plus facile à réaliser. Bien qu’elle intéresse à priori l’ensemble des nomades, cette solution est la moins souvent envisagée. Sans parler du scandale social et de l’anachronisme économique de ce mode de vie pour beaucoup de gens, il est vrai qu’il est extrê- mement difficile de déterminer des modifications améliorant sans le détruire un sys- tème fermé sur lui-même et à certains égards parfait.

C’est cependant par l’amélioration pastorale que passe l’utilisation des pâturages sahariens, qui forment une rcssource alimentaire, si maigres soient-ils. L’importance de la production de viande des nomades est d’autant plus grande qu’elle est destinée en partie aux cultivateurs des oasis ou des bordures du Sahara. Enfin l’abandon résolu des pâturages sahariens serait un recul du monde habité: toute la connaissance du pays accumulée par ses habitants disparaîtrait, alors qu’elle peut être indispensable à ceux qui voudraient utiliser son sol selon des méthodes modernes - minières ou autres. Une amélioration de l’élevage nécessite l’ouverture de l’économie nomade et cette

ouverture ne va pas sans de profondes transformations sociales. Or les espoirs du technicien se portent nécessairement sur le Sahel, bordure sud du Sahara, et il s’agit justement des régions les moins pénétrées par le monde moderne. L a consolidation des chefferies par le colonisateur n’a guère transformé la société de tribu. Ainsi les problèmes sociaux surgissent précisément là où la richesse de l’élevage donne toutes ses chances à une modernisation. Sans négliger les réalisations ou les besoins d’autres régions sahariennes, nous envisagerons surtout ici les problèmes du Sahel touareg (dans les républiques du Soudan et du Niger) -laissé en grande partie de côté dans les pages précédentes - car c’est ici qu’on a le plus d’espoir de voir se maintenir une vie pastorale modernisée.

TRANSFOIIB~AT IONS TE CIIN IQUE S ET É CO NOMIQUES

I1 faut d’abord voir ‘quelle est la relative richesse du Sahel - touareg surtout au Soudan et au Niger, mais aussi bien maure à l’ouest,,toubou et arabe à l’est. C’est une région dont le peuplement sédentaire est exceptionnellement faible, à l’exception des berges des fleuves et des lacs. Le peuplement nomade y est, par contre, exception- nellement dense. L a densité kilométrique, extrêmement variable, bien sûr, s’éche- lonne entre 1 et 3 pour les nomades. A la bordure nord du Sahara on trouve plus fréquemment 0’1 à 1’5.

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Nomades et nomadisme au Sahara

Mais c’est surtout l’importance du bétail par rapport à ce peuplement qui est frappante. O n estime que la richesse moyenne de l’éleveur égale celle du cultivateur quand la famille possède 50 bovins. Or partout la richesse moyenne dépasse ce chiffre. Elle est évaluée au Niger (Tahoua) à 40 bovins, 200 ovins et caprins et 10 chameaux. Dans la boucle du Niger (Soudan) un éleveur moyen possède 1 chameau, 100 bœufs, 100 moutons; un éleveur riche atteint 300 bœufs. Les évaluations de P. Galloy sont plus nuancées et plus modestes, car elles s’inspirent des documents fiscaux. Dans la région de Tombouctou elles distinguent les Maures - éleveurs cha- meliers assez modestes (moyenne: 5 à 10 camelins, 30 à 50 ovins et caprins par famille) - des Touaregs - bouviers dont les Imrad sont plus riches que les religieux ou les guerriers (44 bovins et 180 ovins et caprins contre 20 à 30 bovins et 50 à 100 ovins et caprins). De toute façon on est loin des 3 à 5 camelins, 20 à 30 ovins et caprins, fréquents au Sahara septentrional.

Certes les pâturages sahéliens sont différents de ceux du Sahara: il faudrait com- parer avec les steppes bordant celui-ci au nord, où l’on trouverait non seulement une charge pastorale plus forte mais surtout une sédentarisation agricole accentuée liée à un peuplement humain beaucoup plus dense. Ainsi le privilège du Sahel est celui d’une région peu peuplée disposant de pâturages abondants, conditions néces- saires d’un nomadisme riche.

L’amélioration technique de l’élevage nécessite des aménagements dont le plus facile à réaliser est l’intervention d’un service vétérinaire: c’est, tout comme les premiers éléments de la médecine pour les hommes, la réalisation la moins coûteuse. L a vaccination massive du bétail - comme celle des hommes - est en voie de réali- sation au Sahel. A u Sahara proprement dit, la dispersion des troupeaux est un obs- tacle certain mais non infranchissable. La multiplication des points d’eau se réalise aussi largement et nous arrêtera un moment. L’amélioration du pâturage, au con- traire, n’a pu être réalisée jusqu’à présent, et semble fort difficile. De la même façon on ne peut obtenir que le bétail soit exploité et vendu de façon rationnelle qu’en bouleversant complètement les habitudes économiques des éleveurs.

Aménagement de puits L’abreuvage du bétail se fait en général à des puits aussi peu profonds que possible. On ne peut guère dépasser une cinquantaine de mètres (plus de 70 mètres cependant en certains points du Sahel nigérien ou tchadien, Azaouad ou Batha). Au-delà, le puisage de l’eau est trop long ou trop pénible. La corde qui soutient le seau est en effet tirée soit à bras d’homme, soit par une bête (chameau, bœuf, âne) au moyen d’une poulie. Traditionnellement les puits sont propriété d’une fraction ou d’une famille. Dans le Sahel soudanais (Azaouad) chaque puits est muni de plusieurs fourches, destinées à accrocher ia corde; chacune appartient à une famille de la fraction propriétaire du puits.

L a distance entre deux puits d’abreuvage doit être aussi faible que possible (elle est de 20 à 30 k m dans 1’Azaouad). E n effet les bovins ne peuvent parcourir, au cœur de la saison chaude et sèche (avril) lus de 10 à 20 km pour aller s’abreuver2. En zone saharienne les puits s’écartent bien plus: un troupeau de chameaux peut parcourir jusqu’à 50 km pour s’abreuver tandis qu’on ne saurait dépasser 30 k m avec le petit bétail. Si la densité du pâturage dans un rayon raisonnable limite le nombre de bêtes

qu’un puits peut abreuver, inversement le débit de celui-ci limite à son tour le bétail dont on peut charger le pâturage. Selon la nature plus ou moins poreuse des roches qui contiennent la nappe utilisée, les débits varient considérablement. Ainsi, dans

’ P

1. D’aprèa J. Cabus. 2. D’eprèi Brémaud et Pagot. Barth6 estime que, dnna 1’Aznouad.les troupeaux bérabiche peuvent exploiter un diamètre de 50 km autour d’un puits.

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Modernisation du nomadisme pastoral

les sables de l’Erg oriental, la nappe d’eau est assez superficielle - souvent moins de 10 m. Mais, dans ces sables peu poreux, les puits n*ont que des débits de 6 à 10 litres-minute et, malgré la faible densité des pâturages de l’Erg, il arrive que deux puits soient creusés à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, un seul étant insuffisant. Les puits du Fezzan ont un débit supérieur, allant de 20 à 100 litres- minute’. Enfin de très gros puits de la région de Tahoua (Sahel nigérien) débitent jusqu’à 300 litres-minute. D e telles quantités d’eau sont à la limite de ce que le bétail peut utiliser s’il dispose d’un pâturage sahélien abondant: on peut y abreuver jusqu’à 6 O00 bovins et 50 O00 ovins2. Ainsi les débits importants ne peuvent être utilisés par un bétail trop nombreux sans menace de surpâturage.

Le creusement des puits a, de tous temps, été le fait des éleveurs ou de leurs escla- ves. Ouvrages plus ou moins solides, partiellement coffrés ou non dans leur partie haute pour éviter les éboulements, ils appartiennent évidemment au groupe - plus ou moins large - qui en a assuré le forage, voue à ceux qui l’ont redécouvert et réamé- nagé après qu’il se soit éboulé ou qu’il ait été abandonné3. Certains groupes ont montré plus d’initiative que d’autres. Ainsi les Kel Antessar (Tombouctou), d’abord colonisateurs de I’Azaouad, ont ensuite poussé leurs forages dans le Gourma, réputé dépourvu de nappe d’eau. D’autre part les puits sont parfois achetés; ainsi les Peuls, qui progressent jusque dane le Tamesna, à l’ouest de l’Aïr, y achètent des puits aux Touaregs. A ces réalisations des éleveurs eux-mêmes s’est ajoutée l’œuvre coloniale, remar-

quable dans ce domaine, au Sahara comme au Sahel. Ainsi 40 points d’eau de gros débit ont été creusés par l’administration dans la région de Tahoua. Au Niger aussi, des forages sont actuellement financés par l’organisation commune des régions saha- riennes (OCRS)4. Des projets analogues, financés par la FAO, sont en partie réalisés (10 puits) dans le Batha, au Tchad. Pour un budget national ou international, il s’agit de sommes relativement modestes, puisque des forages dhne cinquantaine de mètres sont évalués entre 2’5 et 8 millions de francs CFAS.

L’idée d’une aide à l‘élevage grâce à des forages artésiens a pu être avancée: ce sont des réalisations coûteuses et peu adaptées. En effet des puits atteignant plusieurs centaines de mètres, réalisés grâce à un matériel mécanique, sont plus coûteux que des ouvrages modestes et exigent des débits importants pour paraître rentables: on ne se contente de débits de 500 litrea/minute que pour des forages de prospection. Pourtant ce débit minimum est supérieur aux possibilités d’utilisation pour le bétail, m ê m e au Sahel. Si bien qu’on ne peut envisager de telles installations que là où la paille est abondante, à condition de compléter le puits par plusieurs dizaines de kilo- mètres de canalisations divisant le débit obtenu en trois ou quatre points d’abreuvage. En conclusion mieux vaut aider, avec ou sans perfectionnement, la petite hydrau-

lique locale que prétendre se livrer dans ce domaine à de ((grands travaux)) plus spectaculaires. L’aide financière apportée à un éleveur ne disposant pas du million nécessaire à un forage modeste a plus de chances de donner un puits réellement adapté aux besoins de l’élevage. En tout cas l’extension des pâturages disponibles grâce aux puits nouveaux a été

importante au Sahara (dans le centre de l’Erg oriental, par exemple) et plus encore à sa bordure sud (Tamesna) et au Sahel: c’est ici, en particulier au Tchad, que de vastes espaces deviennent utilisables en saison sèche (<( paille n sèche nécessitant l’abreu- vage du bétail) alors que le bétail ne pouvait y pâturer qu’en saison pluvieuse. En dernière extrémité, là où aucune nappe d’eau n’est utilisable, l’approfondissement

1. J. DESPOIS (1946). p. 139. 2. REEB (194ôa). Un bovin, selon In mabon, absorh 10 litem (août) B 30 litre8 d’eau (swil). 3. Dani I’haouad. parfoM. on trouve Ia mainmise mur d’anciens puits touaregs par les Bkabiche progreooant ven 1s mud-cbt. 4. Renseignements commupiquéi par cet organisme en iaptcrnbre 1960. U ne touche qu’su financement dei travaux. non

5. Premier chinre au Niger (DRE~CE. 1959); second su Baths (LOYANCE. 1956). ’

leur réalisation technique.

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Nomades et nomadisme au Sahara

de mares ou de puisards recueillant l’eau de pluic peut être favorisé, comme au Gourma (Soudan), mais cette dernière solution ne concerne que le Sahel.

Les pâturages

Deux moyens principaux d’amélioration de la végétation naturelle semblent pos- sibles: la transformer ou la remplacer par des plantes cultivées. Dans les deux cas on se heurte à la fois aux habitudes des éleveurs et à l’hostilité du milieu naturel. Seule une meilleure utilisation de la végétation naturelle telle qu’elle est semble par- fois possible.

L’amélioration du pâturage naturel - par élimination de certaines espèces ou mul- tiplication de certaines autres - n’a jamais été tentée et semble fort difficile. De même la reconstitution de la végétation en aménageant le terrain appartient à des régions non sahariennes, comme les travaux de banquettes des montagnes méditer- ranéennes. Déjà la bordure de l’Atlas saharien au nord du désert ne semble pas susceptible d’aménagement et serait abandonnée à l’usage de terrains de chasse par les techniciens’. Seule l’amélioration des pâturages sahéliens reste théoriquement pos- sible.

C’est aux habitudes des nomades que se sont heurtées les tentatives de culture et de mise en réserve de fourrages. A l’exception de quclques Tripolitainsa, qui ré- coltent de l’herbe au printemps pour prolonger quelque temps l’usage du pâturage, de telles pratiques sont totalement ignorées par les nomades sahariens. Un essai de culture de luzerne a été tenté à la bordure nord du Sahara algérien dans le cadre d’un secteur d’amélioration rurale3. Cette expérience n’a pas été favorisée par la guerre. Quoi qu’il en soit, les luzernes cultivées, destinées à servir de réserve d’appoint à l’élevage ovin nomade, ont été principalement vendues pour un élevage à l’étable aux ksouriens les plus proches. De la même façon, des réserves fourragères sont sou- haitables pour l’élevage ovin des Beni Guil du Maroc orie~tal~. Mais, si l’on veut éviter que les nomades soient simplement (( assistés )) par 1’Etat pendant les années noires, il faut obtenir que, plutôt que débiteurs insolvables, ils acceptent d’être créanciers de la station fourragère, à laquelle ils achèteraient des luzernes de réserve en année prospère en prévision des sécheresses futures . . . Une telle organisation sup- pose, bien sûr, que l’éleveur envisage la rentabilité de son capital, limite volontaire- ment le nombre de têtes qu’il possède et s’assure contre l’avenir. De telles spéculations ne peuvent être conçues actuellement par de nombreux nomades.

Beaucoup plus facile semble être la préservation partielle de la végétation naturelle pour obtenir son utilisation la meilleure. La possibilité de mise en défens temporaire des pâturages dépend évidemment des espaces disponibles pour le bétail. Si le centre (Hoggar) et la bordure nord du Sahara ont sans doute des pâturages surchargés - car la multiplication du bétail avec la paix est assez ancienne - au contraire le Sahel proprement dit mais aussi l’Aïr disposent de ressources assez larges, en partie inutilisées. On estime au Sahel occidental que la végétation se reconstitue normalement après

son utilisation pastorale, sauf autour des régions de cultures. Le Gourma (Soudan) est sous-exploité, faute de points d’eau; l’Azaouad, au nord de Tombouctou, semble pouvoir entretenir en moyenne 10 bovins au km2; il nourrit seulement 4 bovins et 15 ovins, ce qui laisse une marge importante. La région de Tanout (Niger), qui peut supporter 12 bovins au km2, n’en a que 4,8 en 1958. Enfin de vastes espaces à l’est de Fort-Lamy (Tchad) sont utilisables à condition d’y forer des puits.

1. MONJAUZE (1960). Solution doctrinale au problème polioral.. ., rapport P l’Unesco. 2.4 Les Megarha ), p. 107. 3. Secteur d’nm6lioration rurale du baut Mzi. prbi de Laghouai, utibnnt l’eau d’un barrage d’inffroûus. TIRS (1957). xV. p. 163. 4. Renseignemenu ornux dui P M. Memelison (1959).

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Modernisation du nomadisme pastoral

Ainsi dans le Sahel une politique d’utilisation alternée des pâturages pour éviter leur dégradation ne semble pas utopique. Elle dépend d’autant plus de la multipli- cation des points d’eau que localement la végétation est détruite autour des puits surchargés. Cette destruction est plus marquée là où les nomades se sédentarisent, usant toujours des mêmes parcours autour d’un puits unique.

L a mise en défens des pâturages semble plus difficile au Sahara du Nord, sur- chargé de troupeaux. La principale possibilité semble une meilleure utilisation des plantes temporaires (acheb) qui se développent après la pluie: une préservation de quelques semaines avant l’utilisation par les troupeaux d’une zone de forte pluie reconnue permettrait à l’herbe de se développer au maximum. Aussi bien cette préservation est pratiquée par les tribus touarègues du Hoggar. Ce droit de pâturage est réglé par les possesseurs de chaque vallée.

Les arbustes sahariens forment un pâturage permanent, indispensable surtout l’été, qui, théoriquement, pourrait aussi être amélioré par mise en défens temporaire. Cela s’est trouvé réalisé pour des raisons militaires dans l’Erg occidental, interdit .

pendant plus de deux ans aux troupeaux. L a végétation, au printemps 1960, avait largement profité de ce repos et permettait aux nomades à nouveau admis d’y pro- fiter d’un pâturage d’été facile. Mais, en contrepartie, les nomades et leur bétail avaient, depuis deux ans, notablement souffert de la suppression du parcours de l’Erg. Ainsi on ne peut sans danger préserver l’avenir du troupeau quand sa sub- sistance immédiate n’est pas assurée.

Commercialisation du bétail

L a valeur du troupeau s’accroît annuellement au Sahel d’un quart pour le petit bétail (chèvres et ovins), de 7 à 10% seulement pour les bovins et sans doute autant pour les camelins. Le bénéfice annuel, bien sûr incertain, est souvent ajouté intégrale- ment au capital par l’éleveur. Bien des raisons expliquent ce désintérêt pour la réali- sation d’un profit. Sans parler du prestige que suscitent les troupeaux importants, les besoins de vendre sont limités, surtout chez les éleveurs riches, pour qui l’accraisse- ment du bétail est la forme la plus normale de thésaurisation.

Souvent l’éleveur estime avoir avantage à vendre ses bêtes sans précipitation: le bœuf de neuf ans vaut 14 O00 francs CFA et celui de quatre ans 8 O00 francs seule- ment, alors que l’herbe ne coûte rien!‘ En outre les bêtes âgées sont considérées comme plus résistantes en cas de sécheresse. Enfin le petit bétail, moutons et chèvres, est utilisé c o mme monnaie d’échange et sert normalement à se procurer des marchan- dises ou de l’argent, tandis que le gros bétail, bovins et chameaux, forme un capital stable qu’on cherche à accroître. Ainsi des améliorations des conditions pastorales dans le Sahel peuvent déterminer un accroissement du troupeau, surtout bovin, sans que les ventes de bétail s’en trouvent augmentées.

Cependant la possibilité de vendre ou d’utiliser les bêtes est la principale question à résoudre si l’on prétend moderniser l’élevage. L’utilisation du chameau comme bête de somme est en déclin, au Sahara septen&ional surtout. Au sud, où les trans- ports modernes sont beaucoup moins développés, les chameaux gardent leur place pour les transports hors des itinéraires aménagés. Ce sont néanmoins les ventes de viande qui peuvent le mieux se développer et devenir les plus lucratives. Le plus souvent on est cependant loin d’une organisation favorable à l’éleveur. Dans la plupart des cas le bétail doit parcourir à pied la distance qui le sépare du marché de consommation. Pour le Sahel maure, Dakar n’est éloigné que de 500 k m , ce qui reste relativement modeste. Au contraire le bétail du Sahel soudanais et nigérien destiné à la Côte-d’Ivoire ou au Ghana doit parcourir 1200 à 1 500 km. Celui du Tchad est encore plus éloigné des pays consommateurs et c’est là qu’on envisage 1. BaeuW; P A C ~ (1960). p. 39.

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Nomadei et nomadisme au Sahara

le plus souvent des exportations par avion. Dans un voyage de 1200 km à travers un pays plus humide le bétail subit des pertes et chaque bête arrive amaigrie, per- dant jusqu’au quart de son poids initial. Une amélioration des transports de bétail, épargnant en même temps un long voyage à l’éleveur, semble possible. I1 faudrait alors abattre le bétail près de la région productrice au lieu de transporter ia viande sur pied.

Les conditions de vente du bétail peuvent aussi être améliorées avec la qualité de celui-ci. Au Niger, au nord de Filingué, une tentative de sédentarisation de l’élevage est organisée. On propose également de réaliser une ferme pilote dans l’Azaouak1. D e la même façon la FAO organisait en 1956 un ranch près de Djedaa, au Tchad, destiné à l’engraissement de 70 O00 bovins. Tous ces éléments orientent vers une association entre un élevage extensif u naisseur D

qu’il faudrait compléter par des centres d’embouche, d’abattage et d’expédition du bétail.’ Si les éleveurs étaient intéressés à ces réalisations, l’amélioration des ventes de viande se ferait à leur profit.

L’élevage proprement saharien est trop limité pour permettre en général des ex- portations importantes. Si, à l’intérieur du désert, les ventes de moutons de l’Adrar des Iforas vers le Touat, ou vers le Nord-Ouest saharien, se maintiennent, l’élévation du niveau de vie des sédentaires de la bordure nord pose des problèmes nouveaux. Certaines régions comme le Souf importent du bétail sur pied venu du nord2: ainsi le bétail élevé par les nomades ne suffit pas à la consommation locale. I1 faut faire la part de la très grande irrégularité du chiffre des troupeaux comme de celle des pâturages disponibles : une année pluvieuse faisant suite à des hécatombes de trou- peaux verra les nomades sans possibilité de vente.

L a seule région saharienne disposant de bétail à vendre vers l’Afrique du Nord est le Nord-Ouest, où les troupeaux de chameaux des Reguibat se vendent normale- ment au Maroc pour la boucherie. Les difficultés frontalières ont supprimé les ventes à Goulimine, qu’on estimait en moyenne à 20 O00 chameaux par an. I1 semble que les revenus procurés en particulier par l’armée aux Reguibat du département de la Saoura aient rendu moins urgentes les ventes de bétail en année de pâturage favo- rable. Ainsi l’idée de faire de Tindouf un gros centre d’abattage - voire de congélation de viande - se heurterait aux difficultés de se procurer du bétail3. On voit donc que l’élevage nomade prospère que l’on peut aider techniquement et

moderniser économiquement est avant tout sahélien. Le succès des réalisations tech- niques dépend d’abord de la transformation du nomade en un éleveur désireux de vendre ses produits. Les conditions climatiques exigent le maintien du nomadisme, plus ou moins aménagé, pour troupeaux mais; en même temps, l’ouverture de I’éco- nomie des nomades nécessite une transformation sociale globale qui n’est pas cncore réalisée.

P n O B L E M E S CULTURELS ET SOCIAUX

La modernisation de la société nomade du Sahel est une nécessité. Dans cette région où la société traditionnelle est presque intacte, l’espoir d’une transformation qui ne serait pas une désagrégation reste possible. Cependant les facultés d’adaptation des différents groupes semblent très variables. A u Soudan, par exemple, la minorité maure arabophone semble bien plus souple que la majorité touarègue. D’autre part, chez ceux-ci, les Kel Antessar sont souvent cités pour leurs initiatives: pionniers autrefois dans I’Azaouad, actuellement au Gourma où ils forent des puits, ils assurent en même temps leurs ressources en céréales par une politique d’implantation agricole

1. Rapport de Is société PROHUZA adress6 a L’OCRS. rédigé par J. Petit. 2. Pr¿i d’un tien de la consommation locale. soit 104 millions de frmnw our 344 en 1959. 3. Voir p. 56. 57. Voir aluni: A.MiCNm (1940) e Ln roule moutomi¿re ioudano-algérienne *. Archives de I’Iniiitui Pmieur, Alger, XVIII (3). p. 352.357.

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Modernisation du nomadisme pastoral

de leurs anciens esclaves sur le lac Faguibine. Leur acceptation de la scolarisation, leur pénétration dans l’appareil politique et administratif sont aussi remarquées. On peut souligner qu’il s’agit d’une confédération dont la position est ambiguë: ils sont d’origine maure mais parlent en majorité le tamacheq. Leur tradition en fait à la fois des religieux et des guerriers.

L e problème servile

L a disparition de l’esclavage est un fait accompli dans l’ensemble chez les Toubous, dont les kamadjas ont acquis réellement leur indépendance. O n est loin d’une telle évolution chez les Maures et les Touaregs du Sahel. Chez ces derniers, la très forte proportion d’esclaves rend la question particulièrement difficile à régler.

L’évolution a commencé avec la révolte de 1917, après laquelle l’administration coloniale a favorisé les libérations. Cependant les esclaves, mieux traités qu’autrefois, mais surtout préservés des rezzous après 1928, ont connu un essor démographique qui dure encore et qui est largement supérieur à celui de leurs maîtres blancs. D’une façon générale l’administration n’a pas cherché un bouleversement complet au profit des esclaves, surtout entre 1939 et 1945. D e m ê m e la nouvelle administration de la République soudanaise a évité une solution brusque. On l’a vu1, la proportion d’esclaves dans les tribus augmente du Sahara vers le

Sahel, mais varie également selon les catégories sociales: le maximum est atteint chez les guerriers, les chiffres étant plus faibles chez les religieux et les tributaires. Les religieux, cependant, ont souvent mieux su éviter la fuite de leurs esclaves. Enfin ceux-ci ne représentent que 10 à 20% des petites tribus maures du Soudan. L’émancipation s’est accentuée depuis quinze ans, d’abord en consolidant les fa-

milies d’esclaves, ce qui se marque par une inscription à part dans les recensements. Puis on a constitué de la m ê m e façon des fractions autonomes d’anciens esclaves à l’intérieur des tribus. Enfin on a cherché à assurer leur indépendance économique, soit par l’attribution de bétail, soit par la mise en culture de terres. Ainsi, dans une fraction Kel Antessa3 qui comptait à l’origine 90% d’esclaves, on a organisé trois groupes: le premier comprend les anciens maîtres nomades et les esclaves restés à la tente de ceux-ci (254 personnes dont 68% d’esclaves). Le groupe possède 1’3 bœuf et 15 ovins ou caprins par tête. Le second est composé d’anciens esclaves devenus éleveurs indépendants, presque aussi riches que les maîtres d’autrefois (451 personnes possédant 0,7 bovin et 12 ovins ou caprins par tête). Le troisième (104 personnes) est formé d’anciens esclaves devenus cultivateurs.

Cette évolution n’a pas été la même dans tout le pays touareg: elle s’est déroulée selon les initiatives locales de l’administration mais aussi selon la souplesse et le réalisme des maîtres. Si l’émancipation administrative et juridique est en général acquise, il est plus rare que la situation économique des anciens esclaves soit assurée: les anciens uesclaves de duness ont pu facilement se constituer un troupeau. Les autres dépendent du bon vouloir du propriétaire. L a réussite agricole des Kel Antessar de l’Ouest semble exceptionnelle, puisque la moitié des esclaves de la tribu ont été sédentarisés en accord avec les notables.

Les cultivateurs sont administrativement groupés en débés, plus ou moins stables et formant un ou plusieurs hameaux. Les terres possédées par la tribu sont principale- ment en bordure du lac Faguibine, alimenté par la crue du Niger. Son niveau varie considérablement selon la saison, laissant des terres fertiles et humides lors de la décrue. L’attribution de la terre se fait en mesurant une certaine largeur de rive et la surface correspondante dépend de l’importance de la crue et de la décrue. L a terre est attribuée soit à une famille touarègue soit à l’ensemble de la chefferie;

1. Voir p. 31. 2. h a Ounnkcdemeit.

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Nomades et nomadisme au Sahara

dans tous les cas elle est cédée en métayage à un ancien esclave appartenant ici obli- gatoirement à la tribu. Les Kel Antessar ont su entretenir des rapports assez souples avec leurs métayers pour éviter l’exode de cette main-d’oeuvre.

Ainsi, dans ce cas, l’évolution sociale s’est réalisée à l’intérieur de la tribu, sous le contrôle des notables et de la chefferie, qui ont ainsi résolu le difficile problème de leur ravitaillement en céréales. D’autres tribus, au contraire, se méfient de ces trans- formations qui assurent l’autonomie de leur main-d’œuvre, ou bien elles compro- mettent leurs ressources en céréales par leur âpreté dans les partages. O n peut se demander ce que devient la société touarègue dans cette évolution. Les

pessimistes parlent de sa disparition, de l’inévitable submersion des Blancs par les Noirs dans le Sahel. I1 faut sans doute distinguer plusieurs éléments. Certes la société aristocratique traditionnelle, fortement hiérarchisée et reposant sur l’esclavage, ne peut subsister. De plus le mouvement démographique actuel favorise largement les anciens esclaves noirs; dans tous les cas le métissage des Touaregs sahéliens est de longue date fort accentué. Mais les Noirs anciennement razziés et réduits en esclavage ont été intégrés dans la société touarègue. I1 est fort important que l’on puisse parler à leur égard de ~Touaregs noirs)). Tout d’abord ils ont acquis la langue de leurs maîtres, leurs coutumes et leurs idéaux. Ils se voilent de la même façon. Et surtout l’émancipation qu’ils souhaitent n’est pas de retourner à leurs groupes sociaux d’ori- gine mais d’égaler leurs maîtres. La sédentarisation agricole semble essentiellement adoptée par eux faute de posséder un cheptel et sous la pression des anciens maîtres. Ainsi c’est sur leur vocation d’éleveurs nomades, héritiers de la culture touarègue, qu’il faut insister. Entre leurs mains repose le maintien de la tradition pastorale, de la connaissance des points d’eau, des pâturages et des méthodes d’élevage: c’est cet aspect de la civilisation touarègue qui a le plus de chances de subsister.

La scolarisation Les possibilités et les réalisations scolaires en milieu nomade permettent de montrer assez précisément comment la culture moderne pénètre chez les éleveurs et s’adapte à leur milieu ou se heurte à la culture traditionnelle. Les difficultés matérielles d’une organisation moderne appliquée aux nomades apparaissent aussi.

A u nord du Sahara, aucun enseignement spécifiquement nomade n’a été organisé, ce qui ne saurait surprendre. Tout d’abord les effectifs sédentaires des oasis, bien groupés et majoritaires, sont plus faciles à scolariser, ce qui a semblé le plus urgent. De plus les rythmes du semi-nomadisme ne permettent guère de compromis avec l’année scolaire, puisqu’ils entraînent la présence à l’oasis en été et surtout en automne, la dispersion sur les pâturages en hiver et surtout au printemps. La pression exercée sur les élèves pour obtenir leur présence régulière les a obligés de choisir entre l’école et la nomadisation. De plus la sédentarisation plus ou moins rapide a fait accéder a l’école les enfants des tribus, comme à Ouargla ces dernières années, comme chez les nomades de Beni Abbès qui, en 1959, ont parfois renoncé à nomadiser pour assurer la scolarité des enfants.

A u Sahara méridional et au Sahel, les nomades forment au contraire la grosse majorité de la population: on a donc pu leur porter plus d’intérêt. De plus l’aristo- cratie est tout entière nomade et ce sont ses fils qu’on a voulu atteindre tout d‘abord par l’école. Celle-ci est aussi plus facile à organiser matériellement: des campements importants, surtout au Sahel, permettent de réunir des effectifs suffisants pour une classe. L a dispersion des tentes en saison humide correspond au vacances scolaires habituelles et il est ainsi plus facile de s’adapter au rythme de l’élevage.

La scolarisation n’a pas atteint les Toubous au Tchad: il n’existe que quelques &coles sédentaires (à Faya, à Fada, etc.), qui accueillent plutôt les enfants des fonc-

.

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Modernisation du nomadisme pasïoral

tionnaires que ceux des éleveurs. Au Niger, la scolarisation s’est développée récem- ment chez les nomades, sous forme d’internats assez semblables à ceux organisés au Soudan. On envisage actuellement de les compléter par des écoles de campement. Deux solutions apparaissent en effet: réunir Spécialement les élèves d’une tribu en un internat plus ou moins nombreux (solution soudanaise) ou disperser les moniteurs dans les campements disposant d’effectifs suffisants (solution de Mauritanie et du Hoggar).

Quoi qu’il en soit, la nécessité d’organiser une scolarité moderne est liée à la dé- cadence de l’enseignement traditionnel là où il existait. L’école coranique semble de règle chez les Maures, parfois connue mais assez rare chez les Touaregs (un peu plus de 200 élèves vers 1940 chez les 40 O00 Ioullemeden de l’Est). L’enseignement secon- daire et supérieur n’atteignait les nomades qu’en Mauritanie: la zaouia de Chinguetti est un souvenir, tandis que celle, plus récente, de Boutilimit a été transformée en médersa franco-arabe, puis en école secondaire moderne. Les nomades du Soudan fréquentaient un peu les centres de Boutilimit et de Mederdra, en Mauritanie, et celui de Tombouctou, plus proche, dont les élèves étaient surtout sédentaires. Au Soudan la scolarisation des nomades s’est organisée à partir de 1947, sous

forme d’internats regroupant les élèves d’une tribu, installés dans des paillotes. Pen- dant la période de transition entre administration française et administration sou- danaise, en 1957, les écoles ont été regroupées en gros internats, parfois installés dans des bâtiments en dur: si cette solution favorisait le recrutement des maîtres, elle dépaysait les élèves et un retour aux écoles dispersées s’est amorcé depuis pour les premières années de scolarité.

Située près du campement du chef, l’école se déplace une ou deux fois par an. Dix à vingt familles viennent camper à son emplacement. L a tribu fournit des vaches pour l’alimentation en lait des élèves. Sous la forme d’une dizaine d’écoles groupant chacune 80 élèves en trois classes,

environ 800 élèves étaient accueillis vers 1958 dans les ((écoles nomades B du Soudan. I1 faut remarquer que cela n’a été réalisé que sous la pression permanente de l’ad- ministration, qui a fait admettre la scolarité comme une imposition atteignant un nombre fixé de fils de notables dans chaque tribu; c’est ainsi que l’échec scolaire n’était admis qu’en cas d’incapacité exceptionnelle et qu’autrement l’élève redoublait au besoin pour atteindre le niveau scolaire nécessaire. Les sédentaires noirs ont, au contraire, rapidement accepté l’école.

Les élèves recrutés ont donc été d’abord fils de notables. O n n’a admis que depuis peu les fils d’anciens esclaves. Les difficultés de recrutement et le comportement scolaire varient selon les catégories sociales. Les Maures sont plus ouverts que les Touaregs, les religieux moins réticents que les guerriers, et leurs enfants ont été par- fois rompus par l’école coranique à une discipline d’élève. Enfin la scolarité n’a été acceptée réellement que par les seuls Kel Antessar, qui fournissent une part impor- tante de l’effectif scolarisé. En général les jeunes nomades ont l’esprit vif et obtiennent les mêmes résultats

que les Noirs, mais ils sont ((paresseux O, admettant difficilement un effort régulier. L’enseignement, en langue française, est le m ê m e que celui du reste du Soudan. M. Combelle a cependant adapté au Sahel un manuel de lecture conçu pour la savane; de plus 1 ’ ~ étude du milieu

Le recrutement des maîtres a comporté d’abord des moniteurs venant du pays noir sédentaire, acceptés, semble-t-il, par les familles, puis des anciens élèves nomades recrutés sur place, le plus souvent originaires des Kel Antessar, en 1957. Des diree- teurs français contrôlaient plusieurs écoles jusqu’en 1958. En fin d’études les élèves retournent à leur campement, à moins qu’ils ne reçoivent

l’enseignement secondaire, parfois jusqu’à Bamako. Aucune orientation spécialement adaptée à l’élevage n’a été envisagée: en effet le but est, avant tout, la formation de

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aide à rendre cet enseignement plus concret.

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Nomades et nomadisnie au Sahara

cadres administratifs. 11 en est sans doute de m ê m e dans la République soudanaise, pour qui la langue française est un élément d’unité important. Dans ces conditions le développement des écoles nomades semble assuré. En Mauritanie l’organisation scolaire pour les nomades date de 1950 et atteignait,

en 1954, 400 élèves répartis dans 20 classes (l’enseignement primaire de Mauritanie comptait alors au total 4 600 élèves et 135 classes). La scolarité nomade dure deux ou trois ans, puis l’élève peut terminer ses études dans une école de village compor- tant un internat.

Ici l’école est attachée à un campement - de petits nomades en général. Elle sc déplace sur de faibles distances et reste un ou deux mois au m ê m e emplacement, L a classe a lieu sous une tente, utilise un matériel limité mais comporte des tables. L’usure causée par les déplacements est rapide. L’horaire, fixe en principe, laisse piace à l’école coranique tôt le matin, ce qui peut fatiguer les élèves. Au départ le recrutement suscite les mêmes difficultés qu’au Soudan. I1 semble

cependant que les familles se laissent plus facilement forcer la main, malgré une certaine honte devant l’innovation, particulièrement chez la femme, qui a le senti- ment qu’on lui arrache un fils qu’elle a le devoir d’élever. Plus tard l’enfant sera en- couragé dans son travail scolaire. Parfois l’hostilité d’un religieux du campement gêne le recrutement. Celui-ci est plus facile ailleurs, dans des tribus qui commercent activement avec le Sénégal ou qui fournissent déjà des fonctionnaires à l’ktat. L’école dépendant étroitement du campement, son chef ouvrira la voie si un jeune h o m m e de sa famille peut y être n o m m é moniteur. Une liaison directe n’a pu être établie avec l’enseignement traditionnel car l’école coranique est souvent confiée à plusieurs (( précepteurs >), tandis que l’enseignement arabe secondaire occupe complète- ment ses élèves. Les élèves, appartenant à toutes les catégories, y compris les esclaves, se destinent en général à l’administration et envisagent moins que les Touaregs de rester au campement.

Les moniteurs et les maîtres sont issus du milieu nomade maure. Ils sont à la fois isolés dans leur métier et fortement dépendants du campement qui les reçoit, où ils comptent souvent des parents. Seul à connaître le français qu’il enseigne, le maître isolé a besoin d’un soutien - ou d’un contrôle - assuré par des inspections fréquentes - 4 ou 5 fois par an en 1953. I1 garde ainsi contact avec le monde extérieur, avec ses habitudes rigides d’horaire et de méthode, bien éloignées des rythmes de la vie pas- torale. Jusqu’à présent exclusivement donné en langue française, qui est celle de l’administration mauritanienne, l’enseignement pourrait être arabisé plus ou moins vite selon le désir de l’ktat.

L’enseignement secondaire et supérieur moderne atteint sans doute plus de noma- des en Mauritanie qu’ailleurs, puisqu’une quinzaine d’étudiants maures se répar- tissent entre les universités de Dakar et de Paris’. Au Hoggar enfin, une scolarisation des nomades est apparue en 1949, d’abord mal

accueillie à cause de l’exemple soudanais, puis au contraire très intégrée à la vie des chefs nomades, dont l’instituteur devient un peu le précepteur, groupant un petit nombre d’élèves et attirant l’intérêt des parents comme celui des enfants. Trois classes sont créées, groupant 45 enfants et 19 adultes. I1 est certain que le recrutement est gêné par la petite dimension des campements. En conclusion les problèmes d’une scolarité des nomades sont délicats. Si l’on

accuse l’internat éloigné des tentes de dépayser l’élève et de le rendre incapable de retourner à son milieu nomade, on reproche à l’école de campement de nécessiter un encadrement coûteux pour peu d’élèves et de rester dans un milieu clos sans s’ouvrir assez au monde moderne. En fait il est plus facile au Sahel qu’au Sahara de trouver une solution de compromis.

1. Renaeignementa de M. Vincent Monteil. 1960.

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Modernisation du nomadisme pastoral

’ L e contenu de l’enseignement est sujet de débats lui aussi. Si la langue française s’impose à l’heure actuelle du Soudan au Tchad, la langue arabe ne pourra s’imposer en pays arabophone - comme en Mauritanie - qu’en formant des cadres encore à créer. D’autre part l’enseignement primaire prépare à la vie moderne - du fonction- naire ou de l’émigrant - mais non à une vie pastorale modernisée. Aucun enseigne- ment technique n’a été envisagé dans ce domaine et l’adaptation n’est guère facile, hors l’enseignement de rudiments d’hygiène vétérinaire.

Ce n’est pas sans raison que M. Petit propose au Niger, non un simple plan de scolarisation, mais la création de (( centres communautaires D associant développement technique de l’élevage et enseignement général, celui-ci destiné aussi aux adultes afin d’éviter la coupure entre le milieu traditionnel et une nouvelle génération scola- risée.

NOMADES ET ETATS MODERNES

Encadrés pendant plusieurs décennies par une administration en majorité fran- çaise, dont les méthodes variaient d’ailleurs selon les régions, les nomades font partie actuellement, pour la plupart, d’fitats de création toute récente.

Des frontières qui n’étaient qu’administratives sont devenues politiques et cer- taines sont contestées. Mais, surtout, elles sont devenues plus imperméables et rien ne saurait gêner plus gravement le commerce des nomades. Par leur position géo- graphique les Toubous et les Reguibat, à cheval sur trois ou quatre lhata, sont les plus menacés par d’éventuelles fermetures de frontières. D e plus un simple coup d’œil à une carte politique montre que les délimitations n’ont en aucun cas tenu compte des terrains de parcours des tribus. Des difficultés réelles sont apparues pour l’élevage des Doui Menia, coupés par la frontière algéro-marocaine, et aussi pour celui des Rebaia du Sud, habitués à utiliser, en plus des pâturages algériens, ceux d u Dahar tunisien. I1 faudrait que l’ignorance des frontières par les nomades soit tolérée, ce que seule une entente très souple entre Etats voisins peut rendre possible.

L’année 1958 a été marquée par une tentative d’organisation commune dea régions sahariennes (OCRS) s’étendant sur les anciens territoires du sud de l’Algérie et les portions sahariennes d’AOF et d’AEF. L e rôle de cet organisme a été jugé trop politique par certains. L’organisation se veut actuellement purement financière et ses crédits vont presque uniquement aux départements sahariens. En effet, si des problèmes communs aux différentes régions du Sahara peuvent mériter un finance- ment uniforme, il est vite apparu que chaque portion du désert dépend avant tout d’un pays riverain, dont l’influence économique est prépondérante et qui ne veut en aucun cas se défaire de territoires que la prospection minière mettra en vedette un jour ou l’autre.

L a notion d’lhat et le nationalisme sont beaucoup plus accessibles aux sédentaires qu’aux nomades. Cela s’est fait sentir, par exemple, dans le Bani (Sud-Ouest maro- cain), où les harratines des oasis, surtout, ont participé à la lutte politique pour l’indépendance. L’attitude plus récente des nomades de cette région montre leur moindre souci de l’unité nationale. Cette situation s’explique facilement par la pré- sence manifeste à l’oasis d’une administration centralisée, qui applique des décisions lointaines, et par une scolarisation plus poussée, qui rend plus accessible aux idéo- logies modernes, nationales o u musulmanes. Au contraire, le nomade, ancien maître, est plus facilement conservateur. Ses

sentiments patriotiques peuvent se fixer sur la confédération glorieuse à laquelle il appartient, par-delà les liens familiaux qui l’y rattachent : peut-être faut-il inter- préter ainsi, actuellement, la gloire d’être Chaamba. I1 ne faut pas négliger cependant la puissance de la radio pour la diffusion des idées politiques modernes; mais l’écoute des émissions peut orienter le nomade fort loin de l’administration dont il dépend.

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Nomades et nomadisme uu Sahara

Aujourd’hui, les deux foyers les plus puissants de l’islam - et de l’arabisme - sont la Libye et le Maroc, l’influence de ce dernier au Sahara occidental étant déjà ancienne. Lcs nouvelles qui en proviennent sont commentées avec intérêt jusqu’à Tombouctou. L’Etat libyen, uniGé autour de la famille senoussiste, étend son prestige au Sahara oriental. Les liens économiques du désert avec se3 rivages sont plus immédiatement contrai-

gnants. L’organisation des transports et de l’administration met les nomades sous la dépendance de I’Etat, mais leur installation vers une frontière largement ouverte leur assure souvent un traitement de faveur. Les nomades demeurent une charge financière pour les Etats. C’est ainsi que les deux pays où le nomadisme est le plus développé, la Mauritanie et la Libye, sont les plus éloignés de l’équilibre budgétaire’. Le problème politique posé par les nomades est différent dans chaque Etat. A u

nord du Sahara, ils forment une minorité intégrée par la langue, la religion et les coutumes dans lee quatre pays riverains. Ils représentent le quart de la population en Libye et sont majoritaires en Cyrénaïque. Plus qu’une coupure entre nomades et sédentaires on trouve des différences entre gens de tribu et gens modernes. La masse nomade ne fait qu’accroître le poids du traditionalisme dans le pays.

Dans les trois pays nord-africains, l’intégration des nomades est très poussée car la destruction de la vie tribale, en Algérie et en Tunisie surtout, est fort avancée en m ê m e temps que la sédentarisation se développe. A u sud de l’Algérie une coupure administrative est apparue avec la création de deux départements auxquels on ré- serve le n o m de Sahara français; à l’exception du Hoggar, l’orientation de ces régions vers l’Algérie est indéniable, par leur économie en particulier. Sur la rive sud du Sahara, les nomades posent aux trois pays noirs des problèmes

analogues. L a minorité touboue au Tchad est sûrement fort loin d’un sentiment national, dans un Etat dont l’unification n’a pas été poussée très loin jusqu’à mainte- nant. Le Niger, qui possède le plus gros groupe touareg, est dans le même cas. Le problème est mieux connu au Soudan, dont la modernisation est plus avancée2. Ici la minorité touarègue ((blanche )), moins de de la population, occupe plus de la moitié nord du pays. Le principe de l’unité nationale a été très vivement affirmé par le Soudan mais on n’y a pas cherché de solution brutale aux problèmes particuliers des Touaregs; l’administration par les chefferies de notables n’a pas été bouleversée et aucune mesure d’ensemble n’a atteint les anciens esclaves noirs. I1 faut noter en outre que la religion unit les Touaregs à d’autres Soudanais, tandis qu’aucune uni- té politique ne s’est jamais trouvée réalisée dans le monde touareg.

L a Mauritanie est le seul Etat saharien dont la population nomade soit majori- taire. Eile possède au contraire une minorité noire sédentaire au sud, anciennement atteinte par l’école et l’administration moderne. D’autre part une émigration d’an- ciens esclaves vers le Soudan ou le Sénégal menace parfois les tribus maures. Celles-ci, plus ouvertes au monde extérieur que les Touaregs, forment cependant un Etat traditionaliste, avec lequel tranchent la nouvelle capitale de Nouakchott et son lycée. Les besoins de cadres modernes sont évidents. A la limite nord du pays se présente la situation politique la plus floue du Sahara. A cheval sur le Maroc, le Sahara espagnol, le département français de la Saoura et la Mauritanie vivent les tribus reguibat, fort éloignées d’une stricte dépendance envers un Etat. Mais d’autre part l’orientation économique de l’élevage et du commerce mauritaniens se fait principalement vers Dakar et le Sénégal.

1. L. Mauritar6.e ne couvre par mes recettes que 15% de iei dbpensei courantes; lei projeti miniem (MIFERMA) mont imponnnti

2. J. DIJPWIB (1960). a Un problème de minorid. lei nomades dans I’fitat soudanais #, L’AJriqw el l‘hie, 2e trimestre 1960, na 50. pour cette ramon.

176

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Alodernisation du nomadisme pastoral

BIBLIOGRAPHIE

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fique outre-mer.

loque Unesco, avril 1960.

serviteur est utilisé plus souvent.)

La scolarisation Niger : PETIT, J. (1960), Compte rendu de mission au Niger, PROIIUZA. Hoggar : BMGUERNON (1957), L’éducation au Hoggar, Doc. CHEAM 2779. Soudan: Conversations avec MM. Combelle (sept. 1960) et Raynaud (août 1960). Mauritanie: BEYRIES (1935). Note sur l‘enseignement en Mauritanie, Doc. CHEAM 2476. LENOBLE (1954a), Enseignement français en pays maure, Doc. CHEAM 2454. L E N O B ~ (1954b), Les écoles de Campement en Mauritanie, Doc. CHEAM 2350.

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Page 176: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

C O N C L U S I O N

par C. BATAILLON

Si l’on fait le .bilan des connaissances utilisées dans ce travail, on remarque les lacunes relatives de la documentation concernant le Sahara méridional et le Sahel au Soudan et au Niger. Là où les chances de l’élevage nomade semblent les’meil- leures, les études sont les plus clairsemées. Si l’adaptation de cet élevage à l’économie moderne est à envisager le plus souvent à l’opposé de brusques miracles agricoles ou miniers, cette solution n’a guère été envisagée pratiquement. O r c’est au Sahel qu’elle dispose de plus d’atouts, dans un milieu relativement hospitalier. L a prospection scientifique de ce domaine semble donc la plus urgente, quitte à adapter ensuite les techniques à des milieux encore plus arides. I1 ne faut pas avoir trop d’illusions cependant sur l’intérêt économique de l’élevage

nomade, m ê m e s’il est modernisé: à l’échelle mondiale, les ressources alimentaires qu’il représente sont trop modestes pour que les investissements y soient aussi ren- tables que ceux qui s’adressent ailleurs à l’agriculture. Du point de vue régional? cependant, les nomades apportent leur contribution à l’alimentation en viande des oasis, des paysans noirs et des villes d’Afrique occidentale. Ils tissent en outre un réseau commercial local et servent de transporteurs hors des itinéraires routiers ou ferroviaires. En contribuant aux relations régionales comme transporteurs, certains groupes, dont les Toubous sont le meilleur exemple, contribuent à humaniser des régions inhospitalieres. Ainsi, modestement, les nomades contribuent à la vie de régions pauvres.

Le débat sur la valeur sociale du nomadisme saharien prend plus d’ampleur. Très nettement s’opposent les partisans d’une stricte intégration nationale, favorables à la sédentarisation, et les partisans de l’autonomie ethnique - et, dirait-on, des va- leurs ethnologiques - que possèdent les nomades. J. Berque montre nettement la signification de ces deux points de vue’.

Les premiers insistent sur une modernisation technique, une élévation souhaitée du niveau de vie et une intégration complète dans la vie des Etats grâce à la séden- tarisation. Les seconds insistent sur les valeurs sociales et morales des sociétés no- mades - qui, au demeurant, s’accrochent à leur passé et souhaitent le préserver - et mettent en avant le rôle économique du nomadisme. Les objections ne manquent pas dans les deux sens. Dans de nombreuses régions les possibilités techniques d’une sédentarisation restent à découvrir et celie-ci laisserait à l’abandon des ressources naturelles réelles. A l’inverse on peut se demander ce qui n’est pas encore mort ou I. J. BERQUE (1959). Rwus iniernoiionola der Icienesi iOCide1, vol. XI, u* 1, Induction. p.515-518. En unsens Ica discucaioiu s o o h i reflètent cc débat: imposer I’enseipcment moderne tel quel. sou peine do hisser les nomadm 1 l’état de réservo ethnologique $ou sdapter celui-ci 1 un milieu spécial. avec les difficultii et contradictions que noug VOM vues.

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Page 177: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

nimades et nomadisme au Sahara

près de mourir des coutumes des nomades quand ceux-ci sont inclus, qu’ils le veuil- lent ou non, dans des société globales d’ores et déjà profondément transformées. D e m ê m e on remarquera que les premières solutions sont avancées en général par lea citoyens sédentaires de pays où l’intégration des nomades est à réaliser, tandis que les secondes sont celles de spécialistes extérieurs, européens, dont la compétence ethnologique est d’ailleurs profonde.

L a synthèse avancée par J. Berque met au premier plan la nécessaire intégration nationale et demande que soit préservé de la culture nomade ce qui peut l’être - nous pensons avant tout à un sens de l’espace, à une capacité de vaincre un d e u difficile par la solidarité du groupe. Avec optimisme, J. Berque souligne que ia re- cherche des sciences humaines elle-même peut aider à cette synthèse et diminuer le gaspillage humain au cours des transformations. Sous un autre angle c’est le m ê m e problème qui est abordé par C1. Lévi-Strauss‘.

I1 avance que le progrès des civilisations s’est fait par le contact de cultures diffé- rentes, chacune étant indispensable aux syntheses ultérieures : en un sens l’unification culturelle d u monde serait la fin du progrès culturel. Mais, en m ê m e temps, I’isole- ment culturel d’un peuple, c’est sa stagnation, et il est tout aussi infécond. L’auteur opte résolument pour les échanges - c’est-à-dire, ici, pour l’introduction de la civili- sation matérielle née en Occident - m ê m e si la société moderne est de beaucoup la plus forte.

Optimiste lui aussi, il avance que la victoire technique de l’occident ne signifie pas l’élimination des autres civilisations mais une transformation où leurs apports se font sentir sous des aspects imprévus et suscitent de nouvelles formes de civilisation qui se forgent à un niveau que nous ignorons. Dans cette perspective on peut re- marquer qu’en Europe le monde moderne n’a pas tué toute la civilisation paysanne. D e la m ê m e façon, du nomadisme peut être préservé un 4 sens de la terre D bien diffé- rent de celui du paysan mais tout aussi irremplaçable.

Les Etats peuvent apporter une aide technique jusqu’à présent assez limitée, réaliser une scolarisation dont l’adaptation est malaisée et faciliter l’intégration de l’élevage nomade dans l’économie moderne. Au-delà, c’est aux nomades eux-mêmes qu’il faut souhaiter de trouver leur vie au milieu des bouleversements.

,

1. Dans Le racisme &ani le icience, Pari#, Calürnsrd-Unesco, 1961.

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R E P E R T O I R E D E S T R I B U S

On trouvera ici les tribus souvent citées dans le texte. Les indications données, très approxima- tives, sont seulement destinées à aider le lecteur non spécialiste. Le chiffre ou la lettre entre pa- renthèses renvoient à la carte de la fi-pre l. Seuls les principaux endroits où ces tribus sont citées ont indiqués.

Ait Aua. Confédération de Berbères beraber débordant du Haut-Atlas marocain sur le Sahara. Ait Khebbach (10). Groupe Art Atta, chevriers en grande partie sédentarisés (mines de plomb);

Ahaggar (Kel). Voir Hoggar. Ajjers (Kel) (a). Confédération touarègue nomade et semi-nomade; 3 O00 individus dans le départe- ment des Oasis, 2 O00 en Libye. Voir p. 46,104.

Antessar(KeZ) (11) de 1’Ouest.Vingt-sept miile individus. Cette confédération deTouareg3 sahéliens, surtout bouviers, comprend aussi les Kel Antessar de l’Est (45 O00 individus). Tribu à la fois guerrière et maraboutique, partiellement arabophone, ayant exceptionnellement évolué. Voir

4 O00 individus. Vou p. 157,158 et 162.

p. 27,30,167, 170-173. Beni Guil (b). Moutonniers du Maroc oriental. Berabiche (e). Chameliers arabophones, 6 O00 individus. Voir p. 44. Chaarnba (6, 8, 9). Confédération de semi-nomades; 30 O00 individus environ, dont 10 O00 séden- tarisés. Implantés au Sod, à Ouargla, EI Goléa, Metlili (Mzab), etc. Chameliers utilisant l’Erg occidentaletl’Ergoriental.Voirp.26,28,38,100,113 et Buiv., 135et suiv., 146etsuiv., 154,155,161.

Doui Menia (10). Nomades et semi-nomades, 4 500 individus dans le département de la Saoura, dont 1500 sédentarisés (mines de charbon),et 3000 auMaroc (mines de plomb).Voirp. 157-159.

Ferouan (Kel) (f). Tribu touarègue semi-nomade de l’fi; 8 O00 individus. Voir p. 27,45. Gossi (Kel) (g). Tribu touarègue de Gao; 4 O00 individus. Voir p. 45. Hoggar (Kel Ahaggar) (2). Confédération touarègue de 5 O00 individus, plus 1 500 au Niger. Vou

Iforas (d). Quinze mille Touaregs du Sud, moutonniers de l’Adrar, maraboutiques. Voir p. 44. IouZlerneden (e). Grande confédération touarègue du Sahel, surtout bouviers; 30 O00 individus au

Kounta (i). Confédération à lien maraboutique, éleveurs chameliers et commerçants originaires du

Murazig (7). Neuf mille semi-nomades maraboutiques sédentarisés, dans le Nefzaoua, Sud tuni-

Megarho (j). Cinq mille cinq cents semi-nomades libyens (Fezzan et hauts de Syrtes).Voir p. 106 et

Mekhadmo (8). Tribu la plus sédentarisée d‘Ouargla; 5 O00 personnes.Voir p. 135 et miv., 162,164. Oragherc. Une des principales tribus nobles des Ajjers. Vou ce mot. Ouled Ayar. Tribu de la steppe tunisienne (Matar). Voir p. 28. Ouled Diri (k). Tribu maraboutique maure (Boutilimit); 16 O00 individus, bouviers 6~rtOUt.

p. 27, surtout 59 et suiv,, 174.

Soudan, 43 O00 au Niger. Voir p. 44,173.

Sud marocain; 22 O00 individus au Soudan, 28 O00 en Mauritanie. Vou p. 44.47.

sien. Voir p. 128.

SlliV.

Vou p. 46.

181

Page 179: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

. Ouled bou Slaa (1). Tribu de commerçants chameliers; 3 O00 individus en Mauritanie. Voir p. 154. Ouled Sidi Ali ben Aoun. Tribu maraboutique de la steppe tunisienne. Voir p. 28. Ouled Sidi Cheikh (m). Tribu maraboutique dcs monts des Ksour; 6 500 individus. Voir p. 32. Ouled Yucoub (7). Tribu guerrière sédentarisée au Nefzaoua (Sud tunisien). Voir p. 126. Rebaia (6). Semi nomades du Souf; 14000 chevriers et moutonniers.Voir p. 27,28,104,113 et euiv. Reguibat (1). Confédération de grands chameliers du Sahara occidental. Les Lgouacem sont

10 O00 dans le département de la Saoura; les Sahel 5 O00 à 6 O00 en Mauritanie et au Sahara espagnol. Voir p. 34,45,51 et miv.

Rheris (Kei) (h). Tribu touarPye du Gourma (au sud du fleuve Niger). Bouviers fortement métissés; 3 500 individus. Voir p. 46.

Said Olla (8). Nomades d'Ouargla les plus récemment atteints par la sédentarisation; 4 O00 indi- vidus. Voir p. 135 et miv.

Tekrta (p). Confédération du Sud-Ouest marocain comprenant nomades et sédentaires, berbéro- phones et arabophones; 50 O00 individus. Voir p. 154.

Toubous (4). Nomades du Tibesti et du Tchad. Voir p. 29 et surtout p. 81 et euiv. Troud (6). Tribus sédentarisées en majorité au Sod. Vou p. 113. Zentan (9). Tribu libyenne semi-nomade (entre le Djebel et le Fezzan); 8 200 individus. Voir p. 105 et euiv.

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Page 180: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

G L O S S A I R E D E S T E R M E S L O C A U X '

Achab. Migration estivale des nomades sahariens vera les hautes plaines et le Tell. Acheb. Végétation herbacée apparaissant après la pluie dans une région limitée. Ahel. 4 Les gens de *, groupe familial (Reguibat). Amenokal. Chef d'une confédération chez les Touaregs. Arabe, arbi. A la fois arabe de langue et nomade par le genre de vie. dealai. Caravane transportant du sel au Sahara méridional. Bow. Culture non irriguée (en particulier culture du palmier). Cheikh. Ancien, chef (voir p. 33) d'une tribu ou d'une fraction. Cheikhot. Circonscription administrative commandée par le cheikh (Tunisie). Cher$, chorfa (pluriel), chergfen (tamacheq). Personnage religieux faisant remonter Bon origine à

Choit. Pâturage salé bordant une sebkha. Par extension: sebkha. ÇofJ Ligue à i'intérieur d'un groupement ou couvrant toute une région. Chrû. Droit coranique, par opposition avec les coutumes locales. Daia. Dépression fermée où se rassemblent les eaux de ruisseiiement et pouvant être mise en

De& nour. Espèce de datte destinée i l'exportation. Diya. a Prix du sang I), rançon versée par le meurtrier (et son groupe) à la victime (et son groupe). Emir. Chef de tribu ou de confédération (Mauritanie). Erg. Massif de dunes. Foggara. Galerie (en général souterraine) drainant l'eau d'une nappe vers un jardin situé en

Gatna. Rassemblement auprès de la palmeraie au moment de la récolte des dattes (Mauritanie). Guelta. Mare permanente. liurratines, hartani (singulier correct). H o m m e libre de condition inférieure; population de couleur

qui cultive les oasis. Hadj. Pieux personnage ayant accompli le pèlerinage de L a Mecque. Hassan. Maure d'origine arabe. Hassuniya. Dialecte arabe de la Mauritanie. Iklan. Esclaves chez les Touaregs. Imrad. Vassaux d'une tribu noble chez les Touaregs. Jemaa. Assemblée (en général des notables ou des chefs de famille). Khammès. Métayer au cinquième, jardinier dans les oasis. Khammessat. Régime agricole ci-dessus. Ksar, ksour (pluriel). Village saharien fortifié. Maghten. Pouvoir d'gtat (Maroc). Marabout (forme francisée), merubtin (pluriel correct). H o m m e de religion, groupe tribal religieux.

'

Mahomet.

culture.

contrebas.

1. Les d6Iîniniriona mont en majorid tirées du Sahara frongair. de R. Capot-Rey. 1953. p. 491-494.

183

Page 181: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Oued. Dépression de vallée, thalweg (en génhral riche en piturages). RCZZOU. Expédition de pillage. Robea. Voir acheb. Sahel. Rivage. Désigne: a) le littoral mauritanien; a) la bordure sud du désert en direction du Sebkha. DEpression fermée à fond salé. Semi-nomades. Nomades ayant une activité agricole qui les tient dans un centre fixe une partie de

Siba. Non-obéissance au pouvoir d’ztat (Maroc). Souk. Marché périodique (en général hebdomadaire); quartier commerçant. Terfess. Truffe du désert (ilelianthenurn lippi). Tobbel. Tambour de guerre, confédération militaire. Zeriba. Hutte de branchages ou de feuilles de palmier.

Soudan, caractériste par sa végétation. Nous utilisons surtout ce second sens.

l’année.

184

Page 182: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

B I B L I O G R A P H I E G f i N g R A L E

Choix commenté par RENEE HEYUN

Cette bibliographie ayant un but essentiellement pratique, nous avons présent é les ouvrages dans un ordre régional. Le nombre des notices étant limité, nous avons dû omettre les auteurs arabes. ainsi qu'un certain nombre de livres relativement anciens et dont les conclusions ont été utilisées ultérieure- ment. Il nous est apparu, au cours de la lecture de ces travaux, que tous les spécialistes dont nous citons les ouvrages expriment leur respect et leur sympathie pour cette belle réussite humaine en un milieu aussi déshérité. Des compléments de bibliographie détaillés (non commentés) se trouvent aux pages suivantes:

Elémenis ethnologiques variés, p. 41; Commerce, droit religion et Etat, p. 89; Reguibat, p. 58;Touaregs du Hoggar,p. 66; Mauritanie sahélienne; p. 78;Tripolitaine et Fezzanp. 112; Niveaux de vie,p. 149; Commerce modeme,p. 154; Salariat industriel p. 164; Problèmes économiques de i'élevage (sahélien), p. 177; Esclavage au Sahel,p. 177; Scolarisation des nomades, p. 177. Ont paru récemment: Essai de bibliographie du Saharafrançais et des régions avoisinantes,par le

commandant Blaudin de Thé, Paris, 1960; e Orientation bibliographique SUT la Mauritanie B, par Ch. Toupet, Bulletin de l'Institut français d'Afrique noue, t. xxr, By 1-2, 1959.

OUVRAGES GÉNÉRAUX

BARTH, H. (1860-1861). Voyages et découvertes dans Z'Afrique septentrionale et centrale pendant les années 1849 ù 1855. Traduction de l'allemand par P. Ithier. Paris, A. Bohné. 4 vol., pl., cartes, in-8'.

H. Barth, un des premiers explorateurs européens, a rapporté de ses voyages â travers la Libye, le Tchad, le Niger et jusqu'à Tombouctou, une documentation extrêmement importante et toujours valable pour les études concernant les Touaregs et les Toubous.

BOMLL, E. W. (1933). Caravans ofthe olá Sahara. London, Oxford University Press. 300 p., pl.,

Depuis l'antiquité le Sahara a été en contact avec le commerce oriental et européen et en a subi, même indirectement, les influences. L'auteur étudie les grandes routes des caravanes et leurs convoyeurs nomades, ainsi que les impacts politiques venus du nord et du sud. I1 examine le rôle des nomades dans l'évolution de la civilisation du Soudan et ses liens avec le Maghreb à travers le Sahara. Dans le chapitre intitulé a Les rois pasteurs D, l'auteur analyse les qualités psychologiques et politiques des nomades.

BRIGGS, L. C. (1958). The living races of the Sahara desert. Cambridge, Maas., Peabody Museum. XII + 217 p., ill, pl., cartes, tabl., bibl., in-4". (Papers of the Peabody Museum of Archaeology and Ethnology. Harvard University, vol. 28, no. 2.)

cartes bibl., in-8".

185

Page 183: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades et nomadisme au Sahara

Résumé des connaissances actuelles SU le peuplement humain du Sahara et SUT sa pré- histoire. Une importante partie est consacrée à l'anthropologie physique et à la pathologie. Biblio- graphie abondante, comportant toutefois quelques lacunes.

CAPOT-REY, R. (1942). Le nomadisme pastoral dans le Sahara français. Travaul: de l'institut de

Etude d'ensemble et premier essai d'une classification du nomadisme saharien. Les daérents types de migration. Les étapes de la sédentarisation. En dernier lieu une étude sur les transformations survenues dans les différents types de nomadisme pour chacune des grandes tribus sahariennes. Cette classification a été complétée par l'auteur dans son ouvrage Le Sahara français.

-. (1953). L'Afrique blanche française. T. II. Le Sahara. París, Presses universitaires de France.

Ouvrage magistral, indispensable pour toute étude SUI- le Sahara. L'auteur trace les iimites du désert en indiquant au nord et au sud des zones de transition saharo-steppiques et étudie le milieu physique et la géomorphologie. La seconde partie est consacrée au milieu humain, à la démographie, aux problèmes linguistiques et aux genres de vie des sédentaires et des nomades. Etude de la vie dans les oasis, des migrations pastorales et complément de la classification du nomadisme. Dans la troisième partie sont exposés l'œuvre française et les difficultés rencontrées ainsi que les problèmes de la mise en valeur intégrale du Sahara. Une très importante biblio- graphie complète cette œuvre.

recherches sahariennes, Alger, t. 1.. p. 63-86, carte.

564 p., pl., cartes, bibl., in-8".

CARO BAROJA, J. (1955). La historia entre los nómadas saharianos. Archivos del Instituto de

L'intention générale de toute narration historique est, chez les nomades, de chercher à rehausser l'unité sociale et la lignée particulière. L'histoire des origines est parée d'éléments surnaturels, qui donnent un caractère sacré à la lignée. L'auteur distingue cinq genres tradition- nels: a) les annales, listes d'années dont chacune a un nom, rappelant un fait majeur; b) les chansons de geste, qui connaissent un grand développement aux époques de confit; c) les généa- logies; d) les narrations à but moralisateur et didactique; e) la satire sociale et historico-culturelle. I1 faut souligner le sens du concret chez le nomade et son réalisme extraordinaire dans la narration historique. Les chronologies des tribus ont été étudiées surtout par A. Cauneille et par J. Dubief; de

celui-ci: e Les Beni Thour et les Mekhadma. Chronologie et nomadisme D. (Bulletin de liaison saharienne, Alger, t. 6, no 20, 1955, p. 45-72, cartes.) Voir aussi, ci:dessoys, Pays maure, et p. 66 et 112.

DESPOIS, J. (1949). L'Afrique blanche française. T. I. L'Afrique du Nord. Avant-propos par

Excellent ouvrage SUI les populations du Maghreb. La troisième partie est comacrée aux nomades et aux différents types de nomadisme, plusieurs paragraphes concernent particulière- ment les nomades sahariens estivant dans le Tell.

Estudios Africanos, Madrid, año 8, n." 35, p. 58-67.

J. Dresch. Paris, Presses universitaires de France. XVI, + 624 p., pi., cartes, bibl., in-8".

L'économie pastorale saharienne. (1953). Note documentaire no 1730, carte no 58: 4 Le Sahara

Le coordinateur de ce travail est G. Salvy. Les notices et statistiques démographiques et économiques intéressent essentiellement le Sahara français et la Libye. La carte au 1/5 O00 000, première de ce genre, représente les populations nomades suivant leur groupe linguistique et leur importance, ia nature et l'emplacement des troupeaux, les oasis, les mines et les courants commer- ciaux.

EYDOUX, ILP. (1946). L'homme et le Sahara. Paris, Gallimard. 207 p., pl., cartes, bibl., in-8'. Etude particulièrement bien documentée, qui présente clairement les problèmes humains et les efforts d'adaptation au désert des populations nomades: Maures, Touareg8 et Toubous.

des nomades *. Paris, présidence du Conseil. 67 p., carte repl., h.-t., tabl., diagr., in-4".

FEILnERG, C. G. (1944). La tente noire. Krabenhavn, Nordisk Vorlag, 255 p., ill., pi., cartes, bibl., in-4". (National-museets skrifter, etnografisk raekke, 2.)

186

Page 184: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Biùlwgraphie gkdrale

Histoire, distribution et différentes formes de la tente noire. dont l'origine doit se situer en Asie. L'auteur consacre une grande partie de son ouvrage à l'étude détaillée de la tente saharienne et de ses éléments, illustrée par de nombreux dessins.

GABUS, J. (1955-1958). A u Sahara. T. I. Les hommes et leurs outils. Neuchâtel, L a Baconnière,

Cet album de très belles photographies commentées traite de l'organisation des marchés dans le Sahara du Sud, des techniques artisanales et de la parure.

-. T. 2. Arts er symboles. Ibid. Ili., pl. en cod., cartes, bibl., in-4". L'auteur étudie et analyse les motifs décoratifs d'un très grand nombre d'objets usuels maures et touaregs. e Tous ces motifs, qui conservent leur sens de magie pure d'appels aux dieux ou aux esprits sur le sable, sont les éléments fondamentaux des décors sahariens. D Ouvrage magnifiquement illustré.

IBN KEALDOUN. (1925-1934). Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de Z'Afrique

L a description, par cet historien exceptionnel, mort en 1406, des races berbères de l'Afrique du Nord et de l'invasion des Beni IIilal et des Beni Solaym est capitale pour la compréhension de l'implantation actuelle de toutes les tribus du Sahara.

MERNER, PA. (1937). Das Nomadenturn im nordwestlichen Afrika. Stuttgart, J. Engelhorn.

Essai de synthèse des différents types de nomadisme en Afrique du Nord et au Sahara. Les données géographiques, ainsi que la régularité des parcours et la nature d u cheptel, conditionnent les quatre types de nomadisme établis par l'auteur. I1 distingue: nomades d u désert ( Wüstennomaden); nomades complets (Vollnomaden) ; semi-nomades (Halbnomaden) et nomades montagnards (Bergnomaden). Chacune de ces formes est analysée dans des études régionales. Un dernier chapitre est consacré à l'administration française et à son attitude envers le nomadisme.

MONOD, TE. (1937). Méharkes. Explorations au vrai Sahara. Paris, Editions Je sers. 300 p., ill.,

L'auteur, qui a fait de nombreuses explorations en Mauritanie et au Sahara central, en qualité de naturaliste et de géologue, en donne le récit captivant et instructif d'après ses notes et ses observations et présente ainsi un petit manuel précis, détaillé et amusant à l'usage d u saha- rien.

MONTEIL, V. (1959). L'évolution et la sédentarisation des nomades sahariens. Revue internationale

Se basant sur des études récentes, l'auteur examine les causes et le processus qui mènent à la sédentarisation une bonne partie des nomades sahariens, et passe en revue les possibilités qu'offrent une stabilisation rurale et le travail sur les chantiers. L e premier problème à résoudre est celui dela scolarisation. M.Monteil met en garde contre le 4 réalisme D des technocrates et contre les effets désastreux d'une sédentarisation non tempérée d'a humanisme D. L a seule solution satis- faisante est e une politique du nomadisme qui s'engage à fond vers l'exploitation extensive des pâturages D,

SCELMIDT-NIELSEN, K. (1955). Rapport préliminaire sur les recherches concernant la physiologie

Conclusions des recherches faites sur le chameau à Beni-Abbès, 1954-1955. L e temps que le chameau peut rester sans boire dépend des conditions extérieures: l'époque de l'année, la quantité de travail fourni, la teneur en eau de sa nourriture. Son taux de déperdition est très faible et, m ê m e en cas de déshydratation intense, le volume du plasma demeure pratiquement constant. Sa capacité d'ingestion d'eau peut atteindre en dix minutes presque un tiers de son poids. I1 trouve une grande protection contre l'évaporation d'eau dans sa possibilité de thermo- régulation, qui lui permet d'élever sa propre température jusqu'à 40°C 6/10 et de diminuer ainsi la différence de température avec le milieu ambiant. Cf. F. Bernard, 4 Les recherches d u professeur Schmidt-Nielsen sur la physiologie du chameau D. (Travaun de i'Instirut de recherches sahariennes, t. 13, 1955.)

108 p., ill., pl., cartes, bibl., in-4".

septentrionale. Traduction par M. E. de S h e . Paris, P. Geuthner. 4 vol., in-8".

79 p., tabl., bibl.. in-8".

carte h.-t., in-8".

des sciences sociales. Paris, Unesco, vol. 11, no 4, p. 599-612, bibl.

d u chameau. Paris, Unesco, document NS/AZ/216.

187

Page 185: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades et nomadisme au Sahara

STEPPES ET D E S E R T S DU N O R D - E S T

AGOSTINI, E. DI. (1917). Le populazioni dellu Tripolifania. Notizie etniche e storiche. Vol. I. Testo, Vol. II. Tavole. Tripoli, Governo della Tripolitania, Ufficio politico-militare, 2 vol., in-4".

Notice magistrale mais déjl vieille de toutes les tribus et villes tripolitano-fezzanaises. avec un essai d'interprétation des origines des habitants.

BELARDINELLI, Colonel A. (1937). La Ghiblu. Tripoli, Tipolitogafia del RCTC della Tripoli-

Etude d'histoire militaire intéressant les tribus situées entre le Djebel tripolitain et le Fezzan, depuis 1600 environ jusqu'h la fin de la conquête italienne.

BORIS, G. (1951). Documents linguistiques et ethnographiques sur une région du Sud tunisien

Ces études d u dialecte et des coutumes se composent de dix textes (transcription en regard), suivis de leur traduction. Les sujets traités sont: *Les nouvelles de la pluie,, a Le départ pour les labours et le partage des terres collectives D, e Au marché des Marâzig 3, L a nomadi- sation #, # L a tournée des cultures et des pâturages au mois de mars fi, a L'expert en chameaux D, < L a caravane du Tell 8, 4 Les cérémonies dumariage #, e Danslamaisondu Nasr fi, a Lanoce des moutons fi.

CAUNEILLE, A. (1954). L e nomadisme des Megarha, Fezzan. Travaux de l'Institut de recherches

L'aire des Megarha s'étend sur les provinces libyennes de Tripolitaine et du Fezzan. Cette distribution correspond à peu près à deux genres de vie différents: nomades et sédentaires, et à des luttes de çoffs. Les Megarha sont la tribu la plus puissante du Fezzan. Du nomadisme pur, la tribu a passé au semi-nomadisme et elle a une forte tendance ?i se sédentariser. Une chronologie des stations annuelles met en évidence les mouvements saisonniers de 1872 à 1948.

- (1955). Les Hassaouna, tribu du Fezzan. Bulletin de liaison saharienne, Alger, na 19,p. 31-48, Spécialiste de l'étude des nomades, l'auteur examine le cas des IIassaouna, confédération de cinq tribus d'origines diverses du Chati (vallée nord d u Fezzan). D'après la liste d'années retracée depuis 1878, leur zone de nomadisation normale se situe dans le Djebel Fezzan, dans les villages du Chati et dans la Zellaf. Depuis 1895-1896 ils passent les étés dans les villages, 5 l'excep- tion de quelques bergers. A partir de 1930 les troupeaux s'éloignent de moins en moins des villages; les Hassaouna se sédentarisent et la confédération se désintègre. Toutefois l'esprit de corps de la tribu reste vivace.

- (1957). L e nomadisme des Zentân. Tripolitaine et Fezzan. Travaux de l'Institut de recherches L a tribu des Zentân s'étend sur les provinces libyennes de Tripolitaine et du Fezzan. u L e nomadisme des Zentân est un nomadisme bourgeois, qui se résume à la sortie de printemps et ?i la rentrée d'été dans les villages de l'aire de nomadisme. 8 Si la population s'accroît, elle se stabilisera faute de pâturages. Les tribus du Nord possèdent des oliviers, celles du Sud des palmiers; ces deux cultures se complètent. L'idée de patrie et l'esprit de corps sont très prononcés. U n e liste d'années indique les zones de nomadisation entre 1890 et 1948.

DESPOIS, J. (1935). Le Djebel Nefousa (Tripolitaine). Etude géographique. Paris, Larose,

L e Djebel Nefousa, au sud de la Petite Syrte, bordé des steppes désertiques de la Djeffara et du Dahar, est peuplé de Berbères dont une importante fraction a maintenu le schisme musulman ibâdite, au prix de luttes incessantes. L e djebel a servi de refuge. I1 est habité par deux groupes: arabophones orthodoxes et berbérophones ibâdites, totalement opposés et m ê m e hostiles. Les conditions géographiques obligent la population, en majorité villageoise, à une vie semi-nomade.

- (1946). Mission scientifique au Fezzan, 1944-1945. Géographie hzimaine. Alger, Institut de L'auteur s'intéresse particulièrement au gcnre de vie des sédentaires, 5 leurs cultures, et a la composition de leurs villages. L'autcur étudie les imbrications nomades et sédentaires et traite aussi des niveaux de vie des populations, en comparant lcs diverses classes sociales.

188

tania. 275 p., in-8".

(Nefzaoua). Paris, A. Maisonneuve. XVI + 272 p., pl., carte, in-8'.

sahariennes, Alger, t. 12, 20 sem., p. 41-67, cartes, tabl., bibl.

cartes, plans, bibl.

sahariennes, Alger, t. 16, 2' sem., p. 73-99, ill., cartes, tabl., bibl.

XI + 349 p., ill., cartes, in-8".

recherches sahariennes, 1946. 268 p., pl., cartes, in-8".

Page 186: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Bibliographie générale

EVANS-PRITCHARD, E. (1949). The Sanusi of Cyrenaico. Oxford, Clarendon Press. 240 p., pl.,

L a description d u pays précède l'étude des migrations pastorales et des structures sociales et politiques des Bédouins de la Cyrénaïque. L a plupart sont des semi-nomades qui ont des terrains de labour où ils cultivent principalement l'orge. L e senoussisme date du milieu d u xnce siècle. Il est particulièrement cohérent et organisé en Cyrénaïque, parce que extrêmement bien adapté au nomadisme et au système tribal des Bédouins. L'auteur fait l'historique de son déve- loppement et décrit en détail les opérations militaires italiennes. '

SERAN, J. (1950). Des conditions de vie dans le Sahara tunisien. Cahiers Charles de Foucauld.

L'auteur note la zone de parcours des Marâzig entre le Chott Djerid et Ghadamès; leur organisation en tribu maraboutique, leur artisanat. L a ruine des Marâzig par la réquisition de la laine et du bétail pendant la guerre et quatre années consécutives de sécheresse en ont amené un grand nombre d'entre eux ?I partir pour les mines du Nord. L'auteur propose certaines mesures pour améliorer le sort des populations marâzig.

cartes, bibl., in-8".

Paris, no 18, p. 85-103.

RÉGIONS DU NORD ET PIEDMONT SAHARIEN

BATAILLON, C. (1955). Le Souf. Etude de géographie humaine. Alger, Institut de recherches saha-

Monographie exhaustive des modes d'existence des sédentaires et semi-nomades d u Souf. Les nomades, dont une partie sont en voie de sédentarisation complète, ont des palmiers mais ne restent au Souf que pendant la saison des dattes et repartent avec leurs troupeaux. L'éclate- ment du groupe familial peut être aussi une cause de sédentarisation, toujours suivie de détribalisation.

BRIGOL, 11. (1957). L'habitat des nomades sédentarisés à Ouargla. Travaux de l'institut de recher-

Des facteurs économiques, psychologiques et sociaux sont les causes d'une sédentarisation commencée vers 1888 pour les Beni-Thour.Les habitations different beaucoup de celles des oasiens: construites bien en dehors des ksour, à i'écart des palmeraies, sans terrasse et beaucoup plus espacées, elles rappellent, avec leurs coupoles, les constructions du Sod. L e plan évoque la tente avec son enclos de djerid. L a culture est devenue un nouveau métier, qui n'offre pas de revenu suîñsant. Un nomade sédentaire peut parfois devenir jardinier mais il ne mérite en aucun cas le n o m de cultivateur.

FERRY, commandant (1950). L a danse des cheveux. Travaux de l'Institut des recherches saharien-

L a danse des cheveux est pratiquée dans le Souf par tous les nomades, mais désavouée par les sédentaires embourgeoisés. On la retrouve en Tunisie et en Tripolitaine. Elle est dansée unique- ment par des jeunes femmes non mariées et accompagnée par le chant des hommes. Choix des poèmes chantés à l'occasion de ces danses.

FRAGUIER. Colonel DE (1953). L a crise du nomadisme et de l'élevage sur les hauts plateaux al- gériens. Travaux de l'institut de recherches sahariennes, Alger, t. 9, l- sem. p. 71-97, diagr.

Etude sur le déclin d u nomadisme dans la région de Géryville. Parmi les causes perma- nentes de ce déclin on peut citer la centralisation d'une administration faite pour des séden- taires mais appliquée aux nomades, la perte d u sens de la collectivité et la disparition d u patriar- cat. Il faudrait établir une législation spéciale, adaptée aux nomades, ainsi qu'une rééducation des populations, pour susciter un retour à la vie et au travail collectifs.

Les Mekhadmo. &tude sur l'évolution d'un groupe humain dans le Sahara moderne (1960). Pans,

Enquête effectuée au moyen d'une méthode de tests psychotechniques par le Centre d'études et d'informations des problèmes humains dans les zones arides (PROHUZA). Les Mekhad- m a sont une tribu en voie récente de sédentarisation. 4 Aujourd'hui tout le monde a un toit. D L a plupart des enquêtés déclarent préférer la culture des palmiers aux travaux des chantiers;

189

riennes. 140 p., dì,, pl., cartes, bibl., in-4". (Mémoires, 2).

ches sahariennes, Alger, t. 16,2esem. 1957, p. 181-197, plan.

L

nes, Alger, t. 6, p. 101-142, p?.

Arts et métiers graphiques, 224 p., pl., ill., cartes h.-t., tabl., diagr., bibl., in-4".

Page 187: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades et nomadisme au Sahara

bon nombre partent encore, pendant lea bonnes années avec des troupeaux. Lea enquêteurs insistent sur la nécessité de rénover i’élevage et d’encourager ia culture des jardins et des pal- meraies.

REGNIER. Y. (1939). Les petit-fils de Touameur. Les Chaâmba sous le régime français. Leur trans- formation. Paris, Domat-Montchrestien, 184 p., pl.. carte repl., bibl. in-8”. (Etudes de sociologie et d’ethnologie juridiques, 19).

Description détaillée et vivante de la vie quotidienne de nomades arabes à nomadisation res- treinte.Les Chaâmba,parmi lesquels se recrutent surtout les pelotons méharisteS.se fixent deplus en plus dans les oasis et s’occupent eux-mêmes de leurs palmeraies. Beaucoup deviennent commer- çants, d’antres s’appauvrissent. Perturbations profondes dans leurs structures sociales et leur psychologie de nomades.

SUTER, K. (1951). Schnee und Regen in der algerischen Nord-Sahara. Erde. Berlin. H. 1, 1951-

Quand les pluies ont été abondantes, les nomades qui avaient été forcés de se h e r dans les oasis reprennent leurs migrations. U n e avance en bétail est consentie par les riches commerçants des oasis; ces avances payées, nomades et commerçants restent associés à parts égales. I1 en est de m ê m e des cultures que le nomade entreprend alors.

1952, p. 14-17, pl.

REGION DU NORD-OUEST SAHARIEN

AWM, capitaine (1947). La structure politique et sociale de l’oued Dra. Paris, Centre de hautes

Histoire des relations des ksour avec les Aït Atta et leurs &és, qui leur fournissent des détachements de protection. Les Ait Atta sont en voie de sédentarisation à cause des ressources des palmeraies. L’auteur explique les a stades D par lesquels doivent passer les nomades pour être admis au sein des villages et l’organisation politique et sociale de ces derniers.

Les rapports des nomades et des sédentaires dans la région sont aussi évoqués par Jacques-Meunié D.: 4 Les oasis des Lectaoua et des Mehamid. Institutions traditionnelles des Draoua D. Hesperis, Rabat, t. 34, 30-4” trim. 1947. p. 397-429, iil. cartes.

CAPOT-REY, R. (1952). Transformations récentes dans une tribu du Sud oranais. Annales de

Les migrations pastorales des Doui Menia ont un caractère particulier: restant fidèles à la tente, ils s’absentent de leur ksar pendant les trois quarts de l’année, mais ensemencent tous les ans les mêmes maader. I1 s’agit donc de semi-nomadisme non c o m m e étape vers la séden- tarisation mais c o m m e adaptation aux conditions géographiques de la région. Les houillères voisines ont attiré u n grand nombre d’hommes qui y vivent avec leurs familles. Ils partent, avec l’assentiment de la direction, faire les semailles et, dès qu’ils ont assez d’argent, ils achètent des moutons et repartent avec leur tente. Le travail à la mine peut coexister avec le nomadisme.

FRAGUIER, colonel DE (1959). Les problèmes humains du Sahara sud-oranais (département de la Saoura, pays des Reguibat exclu). Paris, Comité d’action scientifique de la défense nationale. 107 + IX p., diagr., bibl., in-4’. (Cahier no 4.)

Problèmes de ces groupes nomades: perte du sentiment collectif, nécessité de la dispersion des troupeaux. L’auteur constate que: t Depuis notre arrivée un vent de sédentarisation a soufflé sur un sol qui ne peut nourrir son h0mme.e

JOLY, F. (1951). Les Ait Khebbach de Taouz, Maroc sud-orientai. Travaux de Z’lnstifut des

La majorité des Ait Khebbach, tribu berbère, s’est fixée dana les Kem-Kem. Ils passent au semi-nomadisme, mais i’aridité d u pays interdit une sédentarisation généralisée: i’équilibre entre cultures et pâturages sera toujours indispensable. I1 faudrait améliorer les cultures et réorganiser i’agriculture fourragère.

MENNESSON, E.: KREZDORN,F. J. (1959). Les mines de plomb du Tafilelt. Rapport dactylographié

études administratives sur l’Afrique et l’Asie moderne, 20 p. (No 2 039.)

.

géographie, Paris, no 324, p. 138-142, U.

recherches sahariennes, Alger, t. 7. p. 129-159, cartes.

adressé le 19 mars 1959 au Service des mines, Rabat.

Page 188: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Biblwgraphie générale

1. La société et l'économie de la région, montrant les mérences entre les ht Khebbach, petits nomades en voie de sédentarisation, les Ait Atta, sédentarisés, et les Doui Menia, nomades coupés par la frontière.

2. L a technique et les conditions sociales de l'exploitation du plomb, dans des mines arti- sanales surtout. Solide organisation des Art Khebbach, à qui le commerce du produit échappe cependant.

MONTEIL, V. (1948). Notes sur les Tekna. Paris, Larose, 59 p., pl., cartes. (Institut des hautes études

Le cœur de tout le pays tekna est l'oued Noun, autour duquel gravitent l'histoire et la vie de la population. Certaines tribus sont semi-nomades ou grand-nomades, avec des zones de parcours qui s'étendent de Villa Cisneros à Tagounit et d'Ifni à 1'Jyidi. Langue et coutumes changent avec les tribus et leur emplacement géographique.

marocaines, Rabat, Notes et documents, n" 3.)

SAL=, G. (1949). La crise du nomadisme dans le Sod marocain. Paris, Centre de hautes études

L'auteur étend son exposé à tout le Nord-Ouest saharien. La 4 crise interne D du nomadisme est provoquée par le 4 croit D du bétail, depuis la pacification: il ne tient pas compte des possibi- lités des pâturages; la 4 crise externe D est provoquée surtout par la limitation du nomadisme vers le nord.

administratives sur l'Afrique et l'Asie moderne, 20 p. (NO 1563.)

SPILLMANN, G. (1936). Les dit Arto du Sahara et la pacification du haut Dra. Rabat, F. Moncho, 177 p., pl., cartes, bibl., in-8". (Publications de l'Institut des hautes études marocaines, Rabat

La confédération groupe environ 38 O00 âmes, montagnards ou sahariens, sédentkres ou nomades. Ils possèdent tous un 4 port d'attache D, en général des magasins, construits auprès du campement habituel, où logent aussi leurs serviteurs; une partie seulement de la f a d e part avec les troupeaux.

TERIUSSON, lieutenant (1931). Etude sur la tribu des Arib. L'dfriqoefrançaise, bulletin mensuel

Les hib sont une tribu saharienne de 400 tentes, d'origine arabe, fixée maintenant autour du Dra. Ils étaient bons caravaniers mais le trafic s'est ralenti avec la conquête. Les Arib ont un droit coutumier, juxtaposé aux prescriptions coraniques: la dip n'est pas admise.

t. 29.)

du Comité de l'Afrique française, Paris, nos, p. 444-455.

PAYS M A U R E

BONNET-DWEYRON. F. (1951). Carres de réleuage pour le SénégaZ et la Mauritanie. Paris, Office de

Lea limites des régions étudiées sont, au nord, le 200 parallèle et, à l'est, un peu au-dela d'Aroun-el-Atrouss. Les échelles des 18 cartes varient ,de 1/5000 O00 à 1/500 000. Deux cartes ethniques et démographiques 4 montrent les rapports entre l'élevage et le milieu humain D. Les cartes relatives au bétail et aux mouvements saisonniers font ressortir la différence entre transhumance et nomadisme, la première étant définie par l'existence d'un village stable et par l'importance des cultures. D'autres cartes concernent la consommation en viande et les courants commerciaux.

la recherche d'outre-mer. 37 p., 11 f, in-4".

BORIUCAND, colonel, P. (1948). La nomadisation en Mauritanie. Travaux de I'lnstitur de zecher-

Les conditions climatiques permettent de diviser la Mauritanie en trois zones: La Basse Mauritanie reçoit une pluie relativement abondante, on y élève bœufs et moutons et les déplace- ments sont restreints; la Moyenne Mauritanie reçoit moins de pluie, si l'on va au-devant de ia pluie, on choisit les zones de parcours pas uniquement d'après leur richesse, mais aussi d'après les habitudes des tribus. La Haute Mauritanie est fréquentée uniquement par des chameliers grands nomades; les pâturages demandent des déplacements rapides de plusieurs centaines de kilomètres.

ches sahariennes, Alger, t. 5, p. 81-93.

191

Page 189: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Nomades et nomadisme au Sahara

DROSSET. D. (1932). Les Nemadi. Afrique francaise, bulletin mensuel du Comité de l’Afrique

Les Nemadi sont musulmans, mais, ayant secoué les entraves sociales, leur orthodoxie est plutôt discutable; ils parlent la hassania mais avec des déformations. Ils chassent I’adax et l’oryx, dont ils vendent la viande séchée aux oasiens, mais depuis quelques dizaines d’années, il s’est fait une raréfaction des points d’eau et donc, du gibier, ce qui contribue à la dispersion des Nemadi.

CARO BAROJA, J. (1955). Estudios saharianos. Madrid, Instituto de Estudios Africanos, 332 p.,

Analyse de la vie nomade, politique, économique, religieuse et sociale, et des changements imposés par la pénétration européenne; problèmes économiques causés par la suppression de l’ancien état de guerre continuelle entre tribus.

CAUNEILLE, commandant A. (1950). Les nomades reguibat. Travauz de i’institut de recherches

Les origines des Reguibat. Leur évolution d’agriculteurs et moutonniers en grands nomades chameliers. Toute la vie des R. Lgouacem se déroule en fonction des besoins des tiou-, peaux; dès que la pluie, qu’entoure une série de rites et de sacrifice, est annoncée, la jemaa envoie des éclaireurs en vérifier la valeur, et on vivra sur les pâturages par groupes de 4 ou 5 tentes jusqu’à leur épuisement. Les chamelles laitières restent auprès de la tente du propriétaire, un berger part avec le gros du troupeau, dont il a toute la responsabilité. Une liste des tribus, le cycle annuel des parcours, en agrandissement constant, terminent cette étude pénétrante.

-; DUBIEF, J. (1955). Les Repibat Lgouacem. Chronologie et nomadisme. Bulletin de l’Institut

Chronologie des Reguibat depuis 1884. D’abord modeste tribu de pasteurs, ils recherchent de nouveaux terrains de parcours et se heurtent aux Ouled Delim et aux Tadjakant. Ils ne redeviennent de pacifiques pasteurs qu’en 1935, u capables d’exploiter des régions considérées jusqu’alors comme des déserts absolus *. Leurs zones de nomadisme s’étendent de plus en plus. En cas de sécheresse ils se replient vers le Maroe ou vers le Soudan mais ils sont de plus en plus attirés par le Sahel soudanais.

DUBIE, P. (1953). La vie matérielle des Maures. Dans: M6langes ethnologiques, Dakar, Institut

Ouvrage le plus complet sur la vie matérielie des Maures. Après un aperçu général sur le pays maure, l’auteur analyse en profondeur l’organisation économique et sociale et le pouvoirpoliti- que de deux campements de petits nomades en Moyenne Mauritanie; la tribu des marabouts Saih Sidia, de Doutilimit, et celle, guerrière, des émirs du Trarza. L’organisation des campements, les méthodes d’élevage, le droit coutumier et la répartition des ressources sont valables pour la plupart des tribus maures à nomadisation restreinte. Après avoir examiné les problèmes de l’agriculture, du commerce et de la sédentarisation, l’auteur souligne l’importance des Maures dans l’économie de l’Afrique occidentale et signale les domaines vers lesquels leurs activités méritent d’être dirigées.

GABUS, J. (1951). Contribution à l’étude des Nemadi, chasseurs archaques du Djouf. Bulletin de la Société suisse d’anthropologie et d’ethnologie, Neuchâtel, vol. 28, 1951-1952, p. 49-83, pl.

La tribu des Nemadi, qui ne compte guère plus de 250 à 300 individus, est établie engrande partie 5 la limite orientale de l’Adrar. Les Maures traitent les Nemadi avec mépris, parfois avec violence. L’hypothese la plus vraisemblable est que les Nemadi sont les derniers survivants de chasseurs sahariens du néolithique ou du mésolithique, auxquels se sont attachés des éléments maures déclassés.

LERICHE, A. (1955). Notes sur les classes sociales et sur quelques tribus de Mauritanie. Bulletin de

La société maure comprend deux classes dirigeantes: les guerriers et les marabouts. L’auteur cite les différents termes désignant chacune de ces classes, ainsi que celle des tributaires blancs, des noirs, des serviteurs et des forgerons. I1 établit ensuite une liste des différentes tribus arabes et berbères et indique leurs origines.

192

française, Paris, Renseignements coloniaux, no 9, p. 337-346, carte.

ill., pl., carte, in-8”.

sahariennes, Alger, t. 6, p. 83-100, carte.

français de l’Afrique noire, Dakar, sér. B, t. 17, no’ 3-4, p. 528-550, carte, bibl.

français d‘Afrique noire, p. 111-252, cartea, tabl. (Mémoires, no 23.)

Z‘institutfrançais d’Afrique noire, Dakar, sér. B, t. 17, nas 1-2, p. 173-203.

Page 190: Nomades et Nomadisme au Sahara : Recherches sur la zone aride

Bibliographie générale

LESOURD, commandant (1959). Note sur le droit coutumier des neguibat. Travaux de Z'lnstitut

L e droit coutumier n'est pas uniquement en usage chez les berbérophones; les nomades arabophones d'E1 Oued appliquent aussi I'o'rf. Le plaignant reyibat a le choix entre deux juridictions: celle de la jemaa, qui observe le droit coutumier, et celle du cadi, qui juge d'après la loi coranique. Les Reguibat appliquent le droit coutumier principalement aux affaires pénales, telles que meurtres, coups et blessures, volontaires ou non. L a réparation des offenses se règle en chameaux et,le cas echéant, avec l'aide de la fraction ou m ê m e de toute la confédération. Ce droit régit aussi le régime de la propriété, sauf la succession.

de recherches sahariennes, Alger, t. 18, lm-2e sem., p. 213-220.

MONOD, TE. (1958). Majabat aLKoubrâ. Contribuiion cì rétude de l'e empty quarter e ouest-saharien. Dakar, Institut français d'Afrique noire. 406 p., ill., pl., cartes, bibl., in-4". (Mémoires no 52.)

L'ouvrage de Th. Monod est un dossier de documentation sur cet immense territoire stérile de 250 O00 km2, du Sahara occidental au nord-est de la Mauritanie. L a Majâbat n'a été traversée que par de rares voyageurs. Elle a en outre permis de nombreux 8 transits D de rezzou d u nord. En ce qui concerne son peuplement, tla Majâbat est actuellement vide ... Si divers groupes de chasseurs y pénètrent bien chaque hiver, le nomadisme y est interdit, ou possible seulement dans ses parties les plus marginales. D

MONTEIL, V. (1952). Essai sur le chameau au Sahara occidental. (Etudes mauritaniennes, Saint-

L'auteur examine le vocabulaire (en Mauritanie) concernant le chameau et tout ce qui s'y rapporte, chants des razzieurs inclus. Le matériel technologique et linguistique présenté est celui utilisé par les Tekna, Reguibat et Maures, soit plus d'un demi-million d'individus.

Louis, n"2.) 132 p., ill., pl., bibl.

PAYSTOUAREG

ALGER. MISEE DU BARDO. (1959). Collections ethnographiques. Publiées SOUS la direction de L. Balout. . . Album no 1: Touareg . . . Préface de R. Capot-Rey . . . Paris, Arts et métiers graphi- ques. 176 pl. en noir et en cod., in-4".

Répertoire descriptif et illustré de la remarquable collection du Musée du Bardo, dont l'ensemble d'ethnographie touarègue réuni par hl. Reygasse a constitué le noyau. I1 importait, pour la connaissance de la civilisation de l'Ahaggar, que l'inventaire en soit établi.

CLAUZEL, J. (1960). Evolution de la vie économique et des structures sociales du pays nomade au Nord du Soudan de la conquête française à l'autonomie interne. CIIEAM, 6 février 1960,

Exposé synthétique en trois tableaux: situation traditionnelle, transformations dues à la colonisation, situation à la naissance de 1'Etat soudanais. Vues optimistes sur la situation écono- mique mais difficultés d'admettre des transformations profondes dans la société touarègue. Cet article est utilement complété par celui de J. DUPUIS: a Un problème de minorité: les

nomades dans l'Etat soudanais B (L'Afrique et l'Asie, 2' trim. 1960, no 50), où l'auteur montre les rapports difficiles du nouvel Etat et de sa minorité touarèye.

Contribution à l'étude de Z'Air (1950). Paris, Larose, 562 p., pl., cartes, bibl., in-4". (Mémoires

Recueil d'études ethnographiques et de préhistoire; étude des trois grandes 4 souches toua- regues (Itesen, éleveurs moyens; Kel Ouï, à l'économie mixte; 4 grandes tribus autonomes D, purs nomades); confréries et centres maraboutiques; matriarcat et patriarcat (les deux systèmes coexistent, suivant la confédération), etc.

28 p.

de l'Institut français d'Afrique noire, no 10.)

DUVEYRIER, H. (1864). Les Touareg du Nord. Paris, Challamcl, XXXIV + 499 + 38 p., pl., carte

Henri Duveyrier, le premier Français qui ait séjourné parmi des Touaregs (1860 et 1861). rapporte de ses explorations, qui l'ont conduit à El Goléa, Laghouat et El Oued, d u Fezzan jusquà Ghat, des renseignements qui gardent encore toute leur valeur sur l'origine, l'organisation politique et sociale, le genre de vie et les mœurs des Touarcge des Ajjcrs et de l'Ahaggar.

h.-t., in-4".

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Nomades et nomadisme au Sahara

FOUCAULD, CH. DE. (1951). Dictionnaire louaregfrançais. Dialecte de l'Ahaggar. Paris, Imprimerie

L'œuvre la plus importante du Père de Foucauld, indispensable aux ethnographes et sociologues qui s'intéressent aux Touaregs. L'auteur a recueilli pour ce dictionnaire la langue des nobles Kel Ahaggar, Kel Ajjer et Taïtoq. Les mots sont groupés sous l'indication de la racine dans un ordre alphabétique, L'indication de la racine est suivie du mot le plus important du groupe et accompagnée de sa notation en tifinagh et de commentaires exhaustifs linguistiques et ethnographiques.

GALLOY, P. (1958). Nomadisation et sédentarisation dans les cercles de Goundam et de Tombouctou. Mission d'étude et d'aménagement du Niger, études de géographie humaine. I vol.: 140 p. + I vol.: notes et annexes + 33 cartes. Rapport ronéotypé.

Etudes de géographie humaine unique dans le Sahel, passant en revue successivement le cadre pastoral, l'organisation sociale traditionnelle (exemples statistiques), les rythmes et la variété de la vie pastorale, et les échanges extérieurs des nomades. U n e monographie plus détailiée de la tribu des Kel Antessar, à propos de la sédentarisation agricole de ses serviteurs, montre l'originalité et les facultés d'adaptation de cette tribu.

nationale, 1951-1952. 4 vol., ill., pl., carte, in-4'.

LIIOTE, H. (1944). Les Touareg du Hoggar. Paris, Payot, 415 p., pl., cartes, bibl., in-Il". Ouvrage d'ensemble le plus substantiel sur les Touaregs du Hoggar. L a partie la plus importante, l'ethnographie, traite de la langue, de la chasse et de la pêche, de la strncture sociale, des cultes anciens, religion et croyances, de la guerre et des remou.

NICOLAISEN, J. (1954). Some aspects of the problem of nomadic cattle breeding among the Tuareg of the Central Sahara. Geografisk tidsskrift, K~benhavn, vol. 53, p. 62-105, iìi., carte.

Etude approfondie des divers moyens de subsistance chez les Touaregs du Nord. Les résultats de ses enquêtes permettent à i'auteur de conclure que la domestication des chèvres et des moutons a d û se développer dana une civilisation qui connaissait une agriculture primitive, dont on trouve encore certaines traces chez les Touaregs d u Nord.

-. (1959). Political systems of pastoral Tuareg in Air and Ahaggar. Folk, Kabenhavn, vol. 1.

Après avoir analysé de façon claire et précise les systèmes de parenté, l'organisation poli- tique et les structures sociales des KelAk et Kel Ahaggar, l'auteur recherche l'origine des systèmes politiques des Touaregs. Les légendes d'origine, la distribution de certains traits culturels laissent supposer que la division par classes et le sytème politique proviennent de deux cultures différentes caractérisées par les nobles, éleveurs de chameaux, et les éleveurs de chèvres. tribus vassales. L'auteur pense que les ancêtres des Touaregs nobles ont introduit le chameau au Sahara, proba- blement avant la première invasion arabe, et il est probable q u e leurs systèmes politiques ont subi l'influence arabe. L'histoire de l'organisation politique touar6gue et celle des Arabes devraient être étudiées conjointement.

NICOIAS, F. (1947). L a transhumance chez les Iullemmeden de l'Est. Travaux de l'Institut de

Les Touaregs et les Arabes du Dinnîk sont essentiellement pasteurs, mais non pas nomades & grands parcours. En hivernage ils partent pour les pâturages salés du Nord, à Tegguidda n' Tisemt. Ces transhumances sont l'occasion d'étalage d'élégance et de richesses. Le retour vers le sud s'effectue vers novembre-décembre.

p. 67-131, ill., tabl., bibl.

recherches sahariennes, Alger, t. 4, p. 111-126, carte.

-. (1950). Tamesna. Les Ioullimeden de l'Est ou Touareg Kcl Dinnîk. Cercle de T'âwa, colonie du

Ces (r Notes de linguistique et d'ethnographie berbères, dialectes de la tamáfòg-taullòm- métr sont le résultat de quatre années de vie nomade passées avec les Ioullemeden. Grand ouvrage consacré aux populations nomades, aux techniques et industries, à l'organisation sociale et politique, aux croyances et religions, suivi d'un tableau des tribus et d'un index des a feux v. L'auteur souligne le fait que l'organisation tribale et sociale se dissout au contact de notre civilisation. I1 faudrait restaurer l'autorité de l'aristocratie à la place de celle des chefsreligieux, augmenter les points d'eau et ouvrir aux nomades des débouchés commerciaux.

Niger. Pans, Imprimerie nationale, 279 p., pl., cartes, tabl., bibl., in-8".

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Bibliographie générale

PAYS TOUBOU

ARBAUMONT. J. D'. (1954). Le Tibesti et le domaine Teda-Daza. Bulletin' de l'Institut frangais

Après avoir délimité le territoire dans lequel évoluent les Toubous, l'auteur donne la nomenclature des différents clans, suivant les régions, puis étudie les clans téda, les mariages entre clans, l'importance relative de la polygamie, la hiérarchie des clans. Leurs pays d'origine, leur époque d'arrivée au Tibesti, les principaux interdits, leur habitat. Désignation des chefs coutumiers au Tibesti et au Borkou, islamisation et influence du senoussisme.

. d'Afrique noire, Dakar, sér. B, t. 16, no 3-4, p. 255-306, cartes, diagr.

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CHAPELLE, J. (1957). Nomades noirs du Sahara. Paris. Plon. 449 p.. ill., cartes, bibl., in-8". Somme des expériences de l'auteur parmi les tribus nomades du Sahara, synthèse de toutes les études concernant les Toubous, populations nomadisant aux confins de la Libye, du Tchad et du Soudan. Théodore Monod en a donné, dans le Bulletin de l'IFAN (t. 21, no 3-4, 1959) une pénétrante analyse. Les Toubous sont étudiés dans la perspective de leur milieu naturel et sous tous les aspects de leur culture, à tant d'égards dignes de survivre aux facteurs de dégradation de la civilisation industrielle moderne.

KRONENBERG, A. (1958). Die Teda von Tibesti. Wien, P. Berger. XIII + 160 p., pl., carte, bibl., . in-8". (Wiener Beiträge zur Kulturgeschichte und Linguistik, Bd. 12.) Monographie orientée surtout sur la culture sociale, et les conceptions religieuses et juri- diques. Plus particulièrement l'influence de l'islam et le syncrétisme des représentations préis- lamiques qu'on retrouve encore dans les légendes et les sacrifices. L'auteur couclut par l'opinion que leur civilisation, dans sa forme actuelle, ne remonte pas à plus de quatre cents ans.

LE CUXIR, CIL (1935). Le Tibesti et les Téda. Une circoncision. Journal de la Société des Afri-

Ce rite de passage relève de la civilisation bédouine. Sur un petit nombre de types se base une variété infinie de rites; si les Téda le jugent opportun, ils en empruntent à leurs voisins. 8 Mais si les détails sont interchangeables, la façon dont ils s'organisent est propre au Tibesti ... parce qu'on y retrouve cette circulation incessante des hommes et des biens, et cette solidarité dans l'éparpillement qui sont liées aux conditions géographiques autant qu'à une structure S0Ciale.D

canistes, Paris, t. 5, fasc. 1, p. 41-60.

-. (1950). Dictionnaire ethnographique t éda. Précédé d'un lexique français-téda. Paris, Larose,

Le lexique français-téda est complété par les mots correspondants daza. Le dictionnaire ethnographique est une magistrale étude de la culture matérielle et des coutumes touboues, illustrée de dessins, de 140 photographies et de nombreuses cartes. Charles Le Cœur, ethnologue éminent, fut un des meilleurs connaisseurs des Toubous. Chacun de ses ouvrages ou articles enrichissent nos connaissances de cette civilisation de e liberté et d'orgueil D.

210 p., ili., pl.. cartes, in-4". (Mémoires de l'Institut français d'Afrique noire, no 9.)

-. (1951). Méthode et conclusion d'une enquête humaine au Sahara nigirro-tchadien. Dans: Ir. Conférence internationale des africanistes de l'Ouest. Comptes rendus. Paris, t. 2, p. 374-381.

tl'anarchie touboue est en premier lieu le produit naturel d'un pays où l'homme n'a ni grand besoin ni grand-peur de son semblable. D Le mépris pour le genre de vie des sédentaires est un effet du sentiment de i'honneur, qui est le stimulant de l'anarchie touboue et aussi le principe régdateur. Mais ce sentiment de l'honneur est essentiellement négatif: 8 La honte est dans tous les domaines le terme moral fondamental des Toubous. D

-; LE C a m , M. (1956). Grammaire et tedes téda-daza. Dakar, Institut français d'Afrique noire.

Grammaire comparative du téda et du daza, dans laquelle l'auteur réussit ?I souligner la mentalité touboue; lexique français-téda-daza, comportant des éléments de comparaison avec le kanouri, et textes téda ou daza, avec la traduction juxtalinéaire, presque toujours suivie d'une version libre. Les textes sont surtout des chants, contes, récits de traditions sur les clans, la vie quotidienne, les enfants, rites et fêtes.

394 p., carte, in-4'. (Mémoires, no 46.)

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