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Ensemble de textes théoriques sur les nonLIEUX.
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page 8
IN-CHAMPS
coulisses du banal
Dépassés par l’excès des formes qu’offre aujourd’hui la surmodernité définie par Marc Augé, il faut à nouveau apprendre à regarder l’espace dans lequel nous vivons.
« Le non-lieu désigne deux réalités distinctes mais complémentaires : des espaces répondant uniquement à certaines fins (transit, commerce, transport, loisir) et le rapport que les individus entretiennent avec ces espaces.1 »
La photographie de paysage va alors mettre en évidence ces deux rapports en médiatisant l’individu face à son environnement et la solitude générée par ces ensembles intermédiaires. Elle insiste sur les passages entre les lieux viables ou non-viables, les lieux de transit, dédiés à la traversée (I.B.1).
1 Marc Augé,
Non-lieux,introduction à une anthropologie de la
surmodernité,
Paris, éd. Seuil, 1992,pages 118-119.
QUESTION DE
LA LIMITE ENTRE
LE VIABLE, L’HABITÉ,
LE FONCTIONNEL
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HORS-CHAMPS
coulisses du banal
Interstice, le non lieu a ici un rôle de ‘’tampon’’ entre les diverses parties du tissu urbain et rural. Accueil pour le commerce, l’attente, les services, le non-lieu ici se parcourt et s’abandonne. L’image photographique contribue alors à rendre évidente son existence en tant que tel grâce au cadrage qui l’extrait de notre vision quotidienne désintéressée et fixe cet espace pourtant toujours voué au mouvement. Le non-lieu est donc à la limite du lieu et devient paysage de transit nécessaire à la jonction des territoires habités et parfois lui-même colonisé.
Ces non-lieux modèlent nos espaces quotidiens et remplissent notre environ-nement de ces zones de vide nécessaire, établies par des règles et des contraintes architecturales. Des espaces entiers sont voués à dépérir et se consacrer à remplir ce rôle de transition.
De ce fait, Lucien Chabason note l’existence qu’un paysagisme fonctionnel qui peut avoir sa grandeur et sa beauté : « la ‘’fonction’’ peut aussi remplir une ‘’fonction paysagère’’ et l’approche fonctionnelle du paysage crée des ‘’paysages d’aménagements’’ regroupant les autoroutes définies par le seul critère de la rapidité et de la sécurité de circulation. 2»
Espaces de consommation, de transit, espaces publics et autoroutiers, parkings,désert, aires de repos et chaînes d’hôtels. Ces lieux de passages où le promeneur ne s’arrête pas sans raison ont inspirés de nombreux photographes à traduire leur parcours dans un espace narratif proche de l’esthétique cinématographique.
2Lucien
Chabason, Pour une politique du paysage dans
La théorie du paysage en France
1974-1994 ,
Seyssel, éd. Champ
Vallon, 1995, page 263.
ON ENTRE ICI DANS L’ASPECT URBANISÉ DU NON
LIEU, DANS SA DIMENSION CONSTRUITE ET MISE À
DISPOSITION,CONTREPOINT NON NÉGLIGEABLE DE
TOUTES LES ZONES DE VIDES QUE CELA IMPLIQUE.
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coulisses du banal
Cette photographie qui imite notre vision ‘de la route’ ou ‘de la voiture’, qui capture furtivement certains instants, ne néglige aucun lieu, aucune rencontre, tous parties intégrantes du voyage.
Le travail de Christophe Bourguedieu (né en 1961) renouvelle cet intérêt pour les personnages ou les lieux ne faisant jamais référence à l’identité ou à la constance. Personnes anonymes, rencontrées puis quittées, lieux en suspends, insignifiants - et pourtant bien le seul décor de ces habitants et de ce voyageur - agrémentent ses parcours à travers la Finlande ou les Etats-Unis. Le non-lieu a dans son travail une place importante même s’il est traité dans une approche cinématographique propre à une esthétique fictionnelle d’instants et d’histoires arrêtés par la prise de vue.
« Vu du dehors, l’endroit laisse indécis, comme si l’entre-deux faisait sa particularité entre deux continents, entre deux époques, entre deux atmosphères[…] .Ce territoire pourrait être la forme idéale d’une Europe lointaine, un cadre à peine fictionnel où l’imagination travaille à partir du concret.3». Ancienne région de la
3 Christophe
Bourguedieu, Tavastia , Le Rozel,
éd. Le point
du jour, 2002, texte
introductif.
REGARD
INTRODUCTIF
À L’INTÉRÊT
PORTÉ AUX LIEUX
DE TRANSIT,
ICI LE NON-LIEU
EST CELUI DU
PARCOURS,
LOIN DES IMAGES
FOSSILISÉES
DES PAYSAGES
HISTORIQUES.
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Finlande ne figurant plus sur aucune carte, Tavastia (1998 à 2000) constitue une série sur le parcours mélangeant portraits et paysages de non-lieux. Les humains sont aussi perdus et sans identité que les lieux auxquels ils sont confrontés. Plus tard, dans son voyage à travers la Californie et l’Arizona nommé Eden (2004), il s’intéresse encore à une région inexis-tante sur les cartes : « insituable, on peut donc dire de lui qu’il sont partout. 4» .Référence à l’éden biblique parce qu’ « il échappe au temps, au souvenir, à l’oubli, à la honte, à la culpabilité 5 », il est ici incarné par ces territoires laissés ‘’hors champ’’. Personnages arrêtés dans leurs courses, non-lieux montrés avec insistance, Bourguedieu stoppe dans son parcours et celui des autres ces instants insignifiants de notre environnement immédiat.
L’intérêt pour ces non-lieux peut se traduirecomme une « sorte d’expressivité minime de la pensée, […] un désengagement par rapport au monde.6 » La narration n’est accessible dans les images que par les effets et les répercussions sur les corps et sur le paysage. Les lieux du film sont donc insituables. Ici, rien que du banal, mais montré avec une telle insistance, une telle force de suggestion, que l’objet le plus prosaïque acquiert une étrangeté très propre à faire lisser notre regard vers une angoisse : où sommes-nous ? Que se passe-t-il ? Quelle heure est-il ? 7»
Le non-lieu inspire donc des histoires dont nous n’avons qu’un aperçu, mais il inspire aussi la perte d’identité, et ce flux quotidien qui demande à être saisi par le regard photographique au risque de nous échapper. Le paysage de transit renvoie finalement autant à « une notion de spatialité qu’à la temporalité, aux notions de relations et de connexions qu’à celles de brèches et de trouées 8».
Cette double caractéristique du non-lieu créé par les paysages de transit semble être la réémergence d’un paysage interstitiel. Ce dernier pourrait être défini par la
4Christophe
Bourguedieu, Eden ,
Le Rozel,
éd. Le point
du jour, 2004, texte
introductif.
5Luc Lévesque,
Lieux et Non-lieux de l’art contemporain ,
Montréal, éd. Esse, 2005,
page 40.
REGARD
INTRODUCTIF
À L’INTÉRÊT
PORTÉ AUX LIEUX
DE TRANSIT,
ICI LE NON-LIEU
EST CELUI DU
PARCOURS,
LOIN DES IMAGES
FOSSILISÉES
DES PAYSAGES
HISTORIQUES.
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reconnaissance des espaces proches et des voix de transitions assurant la jonction mais aussi la mise en attente de certains territoires. Les photographes ne tentent pas de reconquérir le découpage des territoires ou l’appropriation des espaces extensifs.
En revanche ils veulent activer par l’image ces non-lieux par l’appréhension des facteurs fonctionnels d’une traversée de l’espace : passages humains, colonisation temporaire, aménagements pour les loisirs, le commerce, accès et autoroutes…
L’enjeu est alors de faire surgir dans notre environnement le plus proche les espacements qui sont imposés par la mise à disposition d’espaces non viables, non habités. L’esthétique accordée au paysage interstitiel n’est plus ici celle du terrain vague mais bien celle d’un paysage transi-toire où l’appartenance de l’homme au lieu devient totalement arbitraire. Nos modes de consommation, de loisirs, et notre vitesse de déplacements nous obligent à vivre de nouveaux paysages.
La photographie explore les références à un réseau de communication extensif et écrasant en pleine incohérence avec l’environnement qui l’entoure. Non-viables, ces lieux côtoient pourtant les habitations, rendant le paradoxe de leur taille et de leur architecture encore plus prégnant. L’approche du non-lieu des paysages de transit opère un déplacement vers le hors-champ,elle s’intéresse à cet espace inqualifiable qui l’avait accueilli le temps de ses déplacements. Ici le non-lieu interroge le spectateur sur les limites du viable face au fonctionnel, sur les limites de l’esthétique du progrès, et sur le paradoxe de tous ces espaces empruntés, traversés et des zones de délaissés qu’ils créent.
Cette représentation du non-lieu amène à transformer en paysage ce qui a toujours fait honte et qui s’est toujours opposé à la préservation de l’environnement.
7Christophe
Bourguedieu, Eden ,
Le Rozel,
éd. Le point
du jour, 2004, texte
introductif.
8Luc Lévesque,
Lieux et Non-lieux de l’art contemporain ,
Montréal, éd. Esse, 2005,
page 40.
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LE NON-LIEU DE
TRANSIT SELON
MARC AUGÉ
REGROUPE TOUS
LES ESPACES
ANONYMES VOUÉS
AU TRANSPORT OU
AU DÉPLACEMENT,
ET LES ESPACES
INVALIDES QUI EN
DÉCOULENT À
LEUR BORDURE.
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Nous pouvons nous demander pourquoi la réémergence de l’intérêt porté aux sites en marge a pris une telle ampleur.
Devant la profusion de réponses possibles autour de ce sujet naît une représentation inexplorée et maîtrisée de nouveaux paysages. Les notions de document et d’art cohabitent aujourd’hui dans une complémentarité très forte rendant la véracité des sujets primordiale.
Parce que le paysage est à la fois la chose et sa représentation, celle des non-lieux participe à leur empaysagement. Quant à la photographie de paysage, elle est le résultat de la transformation des lieux et celui du regard porté par les artistes. Si Alain Roger souligne « l’urgence d’élaborer un nouveau système de
POURQUOI
UNE PRATIQUE
DU NON-LIEU ?
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valeurs et de modèles qui nous permettent d’artialiser […] l’ « affreux pays » que nous sommes voués à habiter 1», les photographes ont déjà contribué à la transformation des valeurs attribuées au non-lieu.
DANS TOUTE REPRÉSENTATION .DE PAYSAGE, « IL Y A PHOTOGRAPHIE LORSQUE L’EXPÉRIENCE DU PAYSAGE EXIGE DE L’ARTISTE UNE IMAGE POUR SE RÉALISER. 2»
La fascination que le territoire exerce sur les photographes demeure un des facteurs déterminants de leur choix de la pratique du paysage. De ce fait, les territoires en marges attirent pour leur singularité et leur évolution rapide. Ainsi, la photographie donne un cadre à l’indéfini, au mouvement (celui de l’altération), à l’illimité (celui de l’interstice) et à l’invisible (celui du transit). Elle permet de voir ce qu’on ne regarde plus et qui devient le corps visible de notre pensée du monde. Au 19ème siècle déjà, les photographies de paysage assurent l’intégration de l’homme occidental dans un espace transformé par les multiples révolutions technologiques et industrielles.
Elle assure toujours aujourd’hui la saisie d’un monde en devenir. La photographie de paysage est un regard montré mais lorsqu’elle décrit un non-lieu, elle reste avant tout une nature regardée. Le bouleversement de plus en plus rapide des paysages et l’accroissement de notre mobilité requièrent une forme maîtrisée d’appréhension de l’espace.
DE L ’ « AFFREUX PAYSAGE »
ÉVOLUTION DELA PERCEPTION
1 Alain Roger,
Mort du paysage ?
dans Court traité du paysage,
Paris, éd. Gallimard,
page 115.
2 Alain Buttard,
La commande photographique
dans Paysages sur commande,
colloque du 16 et 17
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Celle-ci est possible par la photographie car elle constitue un outil facilement adaptable aux nouveaux espaces paysagés. « Au fond n’y a-t-il pas quelque chose de plus ouvertement provocateur ? Car le dispositif de la chambre noire ne consiste-t-il pas à réguler un espace prosaïque pour lui donner, moyennant le format inhabituel, une noblesse contrefaite?1 » Si l’image paysagère certifie la vue, elle permet aussi d’appréhender différemment notre environnement. L’attribution de valeurs esthétisantes propres à la photographie permet une valorisation du non-lieu. Même lorsqu’en 1980, le bilan du paysage français semble symptomatique d’une vision de décrépitude environnementale, il reste néanmoins vrai que, malgré des mesures écologiques, l’intérêt pour le non-lieu n’a pas pour autant diminué. Aujourd’hui, Alain Roger reste « convaincu que loin de s’appauvrir notre vision du paysage ne cesse de s’enrichir. 2»
Sa mort ne semble effective que dans la détérioration, voire la destruction de nos paysages ruraux et de nos espaces naturels. Pour lui, la photographie (celle du paysage vivant) permet de donner des modèles qui nous permettent d’apprécier ce que nous avons sous les yeux.
Il dénonce à la fois notre incapacité à voir et le travail des photographes qui s’est attaché à ne décrire que le paysage sinistre. Il compare alors le rejet perceptif du non-lieu à celui que nous avions auparavant devant la montagne. Désormais, le paysage critique actuel n’est plus celui de l’abjection provocante mais l’éloge du laid pour servir l’empaysagement et la compréhension de l’environnement actuel. Son analyse du paysage de la déjection renonce à définir le regard porté sur les non-lieux comme une volonté de dramatiser notre vision de la nature. Le photographe contemporain participe dans un premier temps à la mort du paysage traditionnel. Le non-lieu et sa représentation cherchent à remplacer la scène pittoresque et le paysage rural du siècle précédent.
1 Michel Poivert
dans BUSTAMANTE,
Paris, éd. Gallimard,
1999, page 168.
2 Alain Roger,
Mort du paysage ? dans Court traité
du paysage,
Paris, éd. Gallimard,
page 114
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Mais il contribue ainsi à la revalorisation du paysage en y intégrant le paysage affreux comme un forme esthétique et acceptable. Ainsi, « la laideur n’est jamais définitive, jamais irréparable, et l’histoire nous montre que l’art peut toujours la réduire, la neutraliser, la métamorphoser. N’importe quel visage de la nature a la possibilité permanente d’être vue comme poétique… 3»
PAR LE PAYSAGE PHOTOGRAPHIQUE DU NON-LIEU, « TOUT CE QUI EST SIMPLEMENT VU, SUGGÉRÉ OU DEVINÉ DEVIENT ÉVIDENT ET PEUT ÊTRE ENFIN REGARDÉ 4».
Le non-lieu n’est pas pour le photographe un sujet dépaysant car il fait parti de notre environnement immédiat. Cependant, le dépaysement s’effectue auprès du spectateur : la photographie transpose notre univers immédiat à celui d’art ou de document. Depuis plus d’un siècle, l’expérience du non-lieu est surtout celle de la perception de paysages intermédiaires à travers la vitre de la voiture ou celle du train. Désormais, cette expérience se fait différemment à travers catalogues et expositions. Le paysage du non-lieu façonné par l’individu qui le traverse ou le dénigre est transformé en objet contem-platif grâce à la photographie. Le temps de sa perception est alors modifié La réémer-gence de nouvelles formes paysagères a pour but de sensibiliser le spectateur à une beauté qu’il n’avait pas envisagée. Si la photographie réanime certains espaces, elle produit une émotion face au paysage et à son esthétisation. L’émotion n’est pas celle de la désolation mais une
SPECTATEUR
POS ITIONDU
3 Daniel Girardin
Un paysage par l’art du regard,
dans Nicolas Faure,
Paysage A
Lausanne, éd.Musée de
l’Elysée, 2005, page 6.
4 Paul Virilio,
Esthétique de la disparition,
Paris, éd. Galilée,
1989, page 70.
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prise de conscience critique et sensible des formes existantes. Il reste important à ce sujet de différencier les deux aspects emblématiques du non-lieu : le non-lieu de transit, paysage commun défini par Marc Augé, et le non-lieu altéré, ou encore paysage intermédiaire défini par Gilles Clément. Dans les deux cas, la position du spectateur n’est pas la même.
À travers les espaces communs présentés par Dominique Auerbacher ou Walter Niedermayr, la photographie offre au spectateur une vision arrêtée de son univers quotidien, et des espaces qu’il traverse par nécessité.
« NOTRE VIE TOUTE ENTIÈRE PASSE PAR LES PROTHÈSES DE VOYAGES ACCÉLÉRÉS DONT NOUS NE SOMMES MÊME PLUS CONSCIENT 1».
L’écran des vitres de la voiture est remplacé par la vision piétonne du photographe. Le non-lieu n’est plus perçu du même point de vue que ses usagers. La vitesse de perception de notre environnement quotidien est ainsi ralentie par le temps de la photographie. Nous ne sommes plus dans l’appréhension de la vitesse filmique engendrée par nos déplacements. Le non-lieu devient visible et accessible. La neutralité (chez Dominique Auerbacher) ou parfois même l’esthétique (chez Walter Niedermayr) des images proposées ne placent pas la représentation du non-lieu dans la dénonciation mais dans la notion de paysage critique.
« Plutôt qu’une dénonciation, un partage entre le bien et le mal, l’enfer et le paradis, l’art critique travaille dans l’ambiguïté, sans être nécessairement un opportunisme
DE TRANSIT
FACEAU PAYSAGE
1 Paul Virilio,
Esthétique de la disparition,
Paris, éd. Galilée,
1989, page 70.
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ni aboutir à une relativisation de toutes les valeurs. 2» Entre fascination et répulsion, la photographie de non-lieu laisse libre le positionnement du spectateur face à un endroit familier. Les Paysages sur catalogues de Dominique Auerbacher nous placent devant un paysage devenu marchandise ou au contraire devant un sujet banal qui évoque le quotidien.
Cette position a pour but de faire prendre conscience par l’autocritique que nous sommes les constructeurs et les destructeurs du paysage actuel. En somme, c’est la manière dont le photographe représente le non-lieu -et non pas le non-lieu lui-même- qui forme le paysage critique.
Si l’espace de transit est photographié sans autant de désolation qu’auparavant, il permet néanmoins de faire prendre conscience de réalités socialespréoccupantes par l’intermédiaire de paysage. Si l’homme n’est pas représenté, le regard extérieur sur ses gestes et ses actions peut suffire à sensibiliser un large panel de spectateurs.
LE ‘JAMAIS VU’ SE DÉPLACE DE LA CONTRÉE LOINTAINE VERS UNE VISION NOUVELLE D’ENDROITS EN APPARENCES INACCESSIBLES MAIS QUI PARTOUT NOUS ENTOURENT.
En ce sens, « la photographie est parfois la seule perception et l’unique expérience que nous avons d’une chose réelle. 3»
Elle atteste la présence du non-lieu.
2 Jean-François Chevrier dans
Jeff Wall, Essais et entretiens
1984-2001,
Paris, éd. de l’Ecole
Nationale Supérieure des
Beaux Arts, 2004, page 32.
INTERMÉDIAIRE
FACEAU PAYSAGE
3 Dominique
Auerbacher, Paysages sur
catalogue,
Vanves, éd. Hazan,
1998, pages introductives.
page 20
IN-CHAMPS
coulisses du banal
Si certains non-lieux sont des espaces ignorés et dénués d’intérêt, la photographie les a rendu visible à travers le cadrage, sorte de vue de la fenêtre reconstituée pour le spectateur.
Sans histoire, ni contenu référentiel,le non-lieu fait appel à ce que Jeff Wall défend : l’expérience esthétique.
Cette perception immédiate d’un paysage permet d’écarter le non-lieu d’une cause à servir absolument. C’est ce que les commandes ont cru trouver en ce type de paysage par l’éloge d’une certaine décrépitude. Dans la photographie contemporaine, le non-lieu n’est plus cette abjection dont il faut se débarrasser absolument. Elle revendique l’intérêt formel et esthétique qu’on y trouve. Une fois cadrées, les qualités indécises et difficilement perceptibles du non-lieu permettent de réfléchir sans dicter nos choix, sans nous convaincre. Les formes paysagères photographiées veulent être montrées comme émotionnellement accessibles avant toute critique.
Si les non-lieux photographiés dans les années quatre-vingt faisaient le constat d’une certaine décrépitude, les images contemporaines, elles, représentent la victime (le paysage) avec autant de neutralité que le criminel (l’homme) -pour reprendre les termes de Jeff Wall à propos de l’Exécution du 3 mai 1808 de Goya. « Il est bien plus difficile de faire une bonne image du mal que d’exagérer les traits d’un criminel pour en faire un monstre. » La comparaison du non-lieu à la représentation du criminel trouve son sens dans la volonté de la part des
PAR CES ESPACES
LE TROUBLEOCCASIONÉ
NOUS POSITIONNE
DEVANT
L ’EXP
ÉRIENC
E
PREM
IÈRE
DE LA C
HOSE
page 21
HORS-CHAMPS
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photographes de faire de ces paysages ingrats une forme digne d’intérêt.
Parce que le non-lieu n’a rien d’historique, il ramène à notre expérience présente, à l’instant où nous nous trouvons devant l’image photographique. Les nouvelles formes du paysage jusque là peu valorisées permettent l’expérience d’une beauté et d’une émotion insoupçonnée. D’après Gilles Clément, le non-lieu est perçu par la société comme un espace de nature, une espace de loisir, un espace improductif ou un espace sacré.
Placé dans le contexte d’une expérience esthétique générée par l’image, le non-lieu définit un rare espace de vie « où les évènements s’engrangent et se manifestent de façon, en apparence, indécidée. » (Nous pensons ici au territoire de Belfort, aux campagnes japonaises, aux banlieues désertiques de Los Angeles…). La présence de photographies de nonlieux permet de transmettre au spectateur l’esprit du ‘’non-faire’’. Le consentement à pratiquer et accepter le non-aménagement de certains espaces délaissés permettra selon Gilles Clément de présenter le non lieu « non comme un bien patrimonial mais comme un espace commun du futur.1 » Finalement, ce que le non-lieu dévoile à travers ses représentations c’est bien nos attitudes de consommation, nos modes de vies et de déplacements, une époque où la consommation d’image atteint sa saturation. Les formes de délaissés étaient aussi fascinantes qu’elles sont aujourd’hui aux yeux du spectateur devenues courantes dans leur environnement proche.
Cette généralisation du sujet a permis de s’éloigner d’une vision marginale du non-lieu et d’aller vers une esthétisation plus aboutie et singulière. La représentation de ces espaces ingrats et des vides causés par de mauvaises gestions de l’espace nous rappelle que ces réalités existent. Si l’esthétique attribuée à ces images nous éloigne de la nostalgie, elle nous montre à quel point nous avons accepté ce paysage.
2Gilles Clément, Le tiers paysage,
Paris, éd. SujetObjet,
2005, page 63.
1 Lucien
Chabason, Pour une politique
du paysage, dans
La théorie du paysage en France
1974-1994, Seyssel,
éd. Champ Vallon, 1995,
page 264.
NOUS POSITIONNE
DEVANT
L ’EXP
ÉRIENC
E
PREM
IÈRE
DE LA C
HOSE
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Il est désormais entré dans le champ d’une expérience esthétique possible.Lucien Chabason conclut que « ces photographies sont des portraits de notre société ». Enfin, « ce sont de tels espaces que nous vivons, de tels paysages2». Dans l’histoire du paysage, sa promotion a souvent accompagné celle de l’individu. Par la suite, la perception du paysage devenue romantique fait état avec égocentrisme de notre état mental et de notre expérience de l’espace.
Mais le paysage n’est pas un pur objet où le sujet se place continuellement dans une relation d’extériorité. Si le non-lieu n’avait pas depuis longtemps été séparé de la vue, de la contemplation, sa représentation aujourd’hui n’existerait pas. Si le non-lieu n’est pas réellement un espace habité il est dépendant de ceux qui le traversent, ou de ceux qui l’ignorent. C’est un espace compté à partir de nous ou de notre absence.
« COMMENT CES PHOTOGRAPHIES AURAIENT-ELLES ÉTÉ POSSIBLES SI LE PHOTOGRAPHE N’AVAIT PAS ÉTÉ MÛ PAR LA CONVICTION QU’AUCUN SUJET, EN FIN DE COMPTE, N’EST INDIGNE, ARTIFICIEL OU DANGEREUX ?1 »
Les qualités critiques que porte en elle la photographie de non-lieux s’opèrent sur un mode oblique, indirect et discret. La complexité du mélange de beauté et de laideur est inventée par le photographe et propose une critique diffuse, sensible et interprétable par le spectateur. Les valeurs esthétiques sont remises en cause par une appréciation possible de ces images contemporaines.
1 Robert Adams,
Essais sur le Beau en
photographie,
Périgueux, éd. Pierre
Fanlac pour la version
française, 1996, page 132
DU BEAU
CHANGEMENTDES RÉFERENTS
page 23
HORS-CHAMPS
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Nul doute que la volonté artistique de non-lieu une harmonie entre la plasticité du paysage et les blessures dela nature. À travers tout le champ photographique du non-lieu, le regard critique prend en compte l’absence du beau, et par là même parvient à l’évoquer. « Le beau s’insinue même sous la forme la plus ténue, là où on l’attend le moins.2 » Nos paysages actuels sont sans cesse confrontés à l’acceptation ou au refus des nouvelles formes qui le constituent.
Les paysages les plus récemment acceptés dans nos cultures sont la mer et la montagne (18ème siècle). La campagne jusque là appréciée et plaisante s’est vu attribuer le rôle de beau paysage. Il est intéressant de constater que les oxymores employées pour définir les paysages affreux des montagnes ou des océans peuvent aisément correspondre à celles attribuées aux non-lieux.
En effet, souvent qualifiés à travers les récits d’horreur délicieuse, leur épouvantable beauté a pourtant fasciné par cette possible appréciation de formes habituellement rejetées. C’est dans ce trouble d’une laideur agréable à regarder que naît le sentiment du beau.
2 Dominique
Auerbacher, entretien avec Yves Abrioux, Non-lieux à
l’oeuvre, dans Paysages sur
catalogue,
Vanves, éd. Hazan,
1998, pages
introductives
page 24
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LE BEAU PAYSAGE SE
TRANSFORME.
LA PHOTOGRAPHIE TRÈS
SPÉCIFIQUE AU NON-LIEU
DONT NOUS AVONS FAIT
L’ÉTUDE PERMET DE
MESURER L’INADAPTATION
DE MODÈLES ANCIENS
AUX PAYSAGES ACTUELS.
ELLE PARTICIPE DÉJÀ
À LA MÉMOIRE
COLLECTIVE AINSI QU’À
LA CULTURE VISUELLE
DES GÉNÉRATIONS FUTURES.
SI ELLE RÉINVENTE
UN MODÈLE DE PAYSAGE
AUQUEL NOUS AVONS
IMPOSÉ DES SCHÉMAS,
page 25
HORS-CHAMPS
coulisses du banal
LA PHOTOGRAPHIE DE
NON-LIEU S’ADRESSE
AUX COMMANDITAIRES,
AUX PAYSAGISTES ET AUX
AUTRES PHOTOGRAPHES
QUI ONT TOUS UN RÔLE
À JOUER DANS
L’ACCEPTATION ET
L’ÉVOLUTION DU PAYSAGE.
NOUS AVONS PU OBSERVER
QUE LES PRATIQUES
INTÈGRENT DE PLUS
EN PLUS TÔT ET DE PLUS
EN PLUS NOMBREUSES L’IDÉE
DE PAYSAGE QUOTIDIEN
ET DE ZONES D’ÉCART
À TRAVERS LA NOTION
DE NON-LIEU.
page 27
HORS-CHAMPS
coulisses du banal
DÉSERT
RUELLE
RASE CAMPAGNE
TERRAIN VAGUE
FRICHE
PONTS
PLAGE
LIEU D
U COMMUN
P A Y S A G E I N T E R M É D I A I R E
SURMODERNE
DÉCORSENVERS
DU
page 30
INTER-CAL_VERT
envers du décor
Photographe contemporain du non-lieu, Nicolas Faure, renouvelle totalement l’ana-lyse critique du paysage par une approche positiviste du non-lieu.
Appréciant déjà par le titre l’espace de tran-sit comme paysage, Paysages A -en réfé-rence à ‘’Autoroute1, A2 ou A4b’’ …- (2005) est une série concluant une quinzaine d’an-nées de pratique du paysage des espaces de transits désincarnés. La nature artificielle et contrôlée vise à recréer un écran entre le non-lieu qu’est l’autoroute et le territoire qu’elle traverse.
De plus, ils sont conçus pour être appré-hendés rapidement durant nos trajets : ils remplacent l’écran de cinéma dont les sièges sont ceux du lieu clos de la voiture. Ici, le rôle de la photographie est primor-diale car elle fait vivre ces paysages que la vitesse de nos déplacements et l’inacces-sibilité physique avaient rendu invisibles. Enfin, il montre ici ce que Georges Perec nommed’infraodinaire : un paysage formé d’éléments si ordinaires qu’ils échappent à notre regard. « Voilà que cette zone se révèle paysage, un paysage qui si l’on se donne le temps de bien l’observer, se révèle à la fois étrange et familier. Familier parce que chacun y reconnaît d’emblée ce qu’il a si souvent vu sans le regarder vraiment, étrange parce que les photographies de Nicolas Faure vous les font découvrir diffé-rent de l’idée que vous en aviez.1 »
Cadrés, mis en perspective et inscrits dans une forme, ces espaces sans limites devien-nent représentation.
1 Paysages
marginaux d’Hans Ibelings
dans Nicolas Faure,
Paysage A ,
Lausanne, éd. Musée de
l’Elysée / Steidl, 2005,
page 10.
JARDINS
DE
VITESSE
page 36
INTER-CAL_VERT
envers du décor
Dans son approche physique, le non-lieu constitue tout ce qui n’est pas définissable comme paysage. Ce dépaysagement est violement combattu ou au contraire défendu par la photographie qui donne au spectateur un cadre à ce qui lui échappait.
Traduction d’une certaine expérience de la réalité, ces paysages peuvent être discrètement dénaturés, ou au contraire résignés dans leur condition de paysage intermédiaire entre ville et campagne. Etant tenus de provisoires et de peu de valeur, ces espaces sont laissés sans surveillance et souvent inqualifiables. Ils représentent enfin la variété innom-brable de nuances qui séparent d’un côté le naturel et de l’autre l’urbain. L’écartèlement physique des territoires regroupe dans les réponses photogra-phiques à la fois les zones de non-lieux générées par les déserts, espaces
1 Natacha
Pugnet dans La Crau ,
Marseille, Images en manoeuvres
Editions,
2004, texte
introductif.
page 37
INTER_CAL_VERT
envers du décor
non-viables, les espaces intermédiaires à l’industrie et au milieu rural, et enfin l’expansion des villes sur les campagnes, sorte de chevauchement des notions précédentes. Éloignement progressif du paysage campagnard ou urbain à celui de sa négation, le désert, les pratiques ici vont tenter de montrer cette volonté de s’ouvrir progressivement à d’autres réponses esthétiques à la problématique du non-lieu contemporain.
Depuis longtemps, l’expérience du pay-sage reste surtout celle de la perception du paysage intermédiaire, paysages im-médiats consommés à travers les vitres de la voiture, devant lesquels on ne s’ar-rête pas, on ne médite pas. L’expansion des villes sur les campagnes née d’un manque de place et d’une nostalgie de la ruralité a fait naître des zones d’habita-tion où
LA VOLUMÉTRIE, L’IMPLANTATION,
LES COULEURS ET LES MATÉRIAUX
NE DIALOGUENT PAS AVEC
L’ENVIRONNEMENT.
La quête du paysage devient alors plus forte. Le photographe qui va chercher à s’arrêter dans ces non-lieux où l’on ne s’arrête plus, veut désormais y imposer le temps de la photographie.
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INTER_CAL_VERT
Conclusion
CETTE SÉRIE GRAPHIQUE EST BASÉE SUR DES PHOTOS
DE NICOLAS FAURE
PAYSAGES A
DÉCOUPÉES EN TRANCHESPAYSAGÈRES
QUI S’ASSEMBLENT AFIN DE RECONSTITUER
UN NOUVEL ENSEMBLE NEUTRE.
Non-LieuxChristelle Ménage
d’après des textes d’ Émilie Vialet
Non-lieux,évolution à travers
la photographie de paysage contemporaine
2006
Achevé d’imprimé sur les presses de l’ESAD,
en juin 2012,
en partie grâce aux bons soins de
Pierre FÆDI,Michel RAVEY,Pierre SPEICH,Silvia DORE,
Bernard BLENY et
Olivier BEIGER