Note REDOR Septembre 2015

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    Quand le FMI et lOCDE dcouvrent que les ingalitssont un frein la croissance.

    Dominique REDORSeptembre 2015

    Le FMI et lOCDE ont publi en Juin 2015 deux tudes sur les ingalits individuelles derevenus1. Ces deux tudes portent sur la priode qui va du dbut des annes 1980 2010.Celle de lOCDE concerne les 31 pays qui appartiennent cette organisation (pourlessentiel les pays les plus dvelopps du monde), celle du FMI une centaine de pays : lesmmes que prcdemment, mais aussi les pays mergents, et certains des pays les moinsdvelopps du monde. Les deux tudes confirment, aprs beaucoup dautres2, que lesingalits de revenus aprs impts et aprs transferts sociaux (allocations chmage,familiales, prestations de sant, retraites finances sur fonds publics) ont fortementaugment, y compris au dbut des annes 2000, et au cours des premires annes de lacrise (2008-2010). De plus, les deux tudes montrent, bases de donnes et travauxstatistiques et conomtriques lappui, que ces ingalits, en augmentation constante, ontt un frein la croissance conomique pour lensemble des pays concerns.

    Il est remarquable que des pays aussi diffrents par leur niveau de dveloppement aientsuivi des volutions convergentes quant aux ingalits de revenus, et leurs effets sur lacroissance. Elles trouvent leur origine dans louverture grandissante de ces conomies quiont adopt, sous lgide des grandes institutions conomiques internationales les prceptescommuns du libre-change et du laissez-faire. Les investissements des pays les plus richesvers les pays mergents, la mondialisation des grandes entreprises industrielles et de

    services, et des marchs financiers ont progressivement impos dans les pays considrsleurs normes, leurs contraintes et leurs hirarchies.

    LOCDE est un organisme qui conseille les pays membres, ceux-ci tant en principe libresde suivre ou pas les recommandations qui leur sont faites. En revanche le FMI est un maillonessentiel de la finance mondiale. Il a impos depuis des dcennies aux pays qui sont sousson assistance financire, des restrictions trs fortes aux finances publiques, restrictionsqui ont t appliques indistinctement aux dpenses dducation et de sant. Or le FMI etlOCDE dsignent aujourdhui linsuffisance des investissements publics en ducation etsant comme les principaux facteurs des ingalits sociales et conomiques qui, de plus,constituent des freins la croissance. Mais que lon ne se mprenne pas, ces tudes ne sontpas crites sous forme dautocritique, bien au contraire. En prambule de la note de

    discussion du FMI, il est inscrit, comme laccoutume, que cette tude ne reprsenteque les opinions de leurs auteurs (conomistes employs par le FMI), mais pasncessairement celle du Fonds montaire. On peut sattendre ce que la politique definancement du Fonds ne change pas, mme si ses effets sont perus comme trs ngatifs,y compris par ses propres experts.

    1Pour le FMI: E.Dabla-Norris, K.Kochhar, N.Suphaphiphat, F.Ricka, E. Tsounta (2005) : Causes and

    consequences of income inequalities : a global perspective IMF, Staff discussion note, June . Pour lOCDE:

    OECD (2015), In it together : why less inequality benefits all, OECD Publishing, Paris. Les deux tudes sontdisponibles sur le site du FMI dune part, et de lOCDE dautre part.2Certaines de ces recherches sont rfrences la suite de notre contribution.

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    Pour lavenir, certains facteurs vont dans le sens du maintien de la situation actuelle, voiredune aggravationdes volutions constates depuis plusieurs dcennies. Ils tiennent ltatdes rapports de force conomiques et politiques dans les pays concerns.

    Dans leur langage technocratique, les deux tudes avancent que lingalit daccs lducationprovient des imperfections des marchs financiers qui ne permet pas tousles individus de financer leurs tudes. En clair, laccs lenseignement, particulirement auniveau suprieur, dans certains pays dvelopps, et surtout dans les pays mergents etmoins dvelopps, nest accessible quaux familles du haut de la hirarchie des revenus.Celles-ci nont aucune difficult financer les tudes suprieures de leurs enfants. Ellesprlvent les financements ncessaires sur leur capital personnel. Pour les familles du basde la hirarchie des revenus et du capital, les ressources personnelles sont insuffisantes ouinexistantes, et le secteur financier (les banques) ne prte pas, ou des conditionsinsoutenables.

    Les deux institutions rappellent que laugmentation des ingalits sobserve tout dabord auniveau du march du travail avec une augmentation des carts de salaire qui serait lie

    aux besoins croissants en travailleurs trs qualifis du fait de lvolution technologique.Aucun rapprochement nest fait avec linsuffisance des investissements dans lducationsuprieure, cependant dnonce comme une des principales causes de laugmentation desingalits. Et pourtant, ce sont bien les lacunes des systmes dducation suprieure, dontsont exclus les classes faibles revenus, qui sont lorigine de la hausse des salaires despersonnes les plus qualifies. Dans des marchs du travail de plus en plus libraliss, otout est fait pour imposer la loi de loffre et la demande, loffre de travailleurs trs qualifissortant des systmes dducation suprieure est fortement contrainte, ce qui permet auxplus diplms, issus des classes aises, daccaparer ce que les deux institutions appellentpudiquement la prime de qualification . Ceux qui dtiennent le capital (quelle quen soit saforme : immobilire, financire) sont les plus aptes financer leurs investissements enducation, ce qui en retour les place en haut de lchelle des salaires. Le processus est

    cumulatif, capital financier et capital humain (lducation) se renforcent lunlautre au niveauindividuel, et accroissent les revenus des plus riches, alors que ceux des autres classesstagnent, voire rgressent.

    En conclusion de leurs analyses, le FMI et lOCDE recommandent une augmentation desdpenses publiques dans le secteur de lducation et de la sant, et plus gnralement destransferts de revenus. Ces ressources supplmentaires devraient tre obtenues parlaugmentation des impts sur les plus riches, et notamment sur les dtenteurs du capital(Thomas Piketty serait-il pass par l ?). Cest le chemin oppos quont suivi la plupart despays du monde depuis les rvolutions reaganienne et thatchrienne du dbut desannes 80, et la rcente crise na rien chang aux politiques fiscales dans les paysdvelopps, mergents et en voie de dveloppement, bien au contraire. La concurrence

    fiscale vers le bas, y compris en Europe (Royaume-Uni, Irlande, Luxembourg), est bienrelle. Cest de plus une menace agite par les conservateurs de tous les pays qui veulentsopposer laugmentation des transferts et des impts. Les paradis fiscaux, qui ont caustant de ravages depuis trente ans, sont prsent critiqus dans les dclarations officielles,et lOCDE et le FMI sont chargs de mettre en uvre la lutte contre lvasion fiscale, maisla partie est loin dtre gagne.

    Or, le principal problme est le chacun pour soi. Puisque lanalyse est focalise sur lesinvestissements en ducation qui devraient tre mieux rpartis entre les individus du haut etdu bas de la hirarchie des revenus, il faut souligner les effets catastrophiques, pour lacroissance et les ingalits des pays les moins avancs, du braconnage , et du pillage des cerveaux par les pays les plus riches. Avec un cynisme, et un comportementprdateur dont il nest jamais question dans les deux tudes prcdentes, les Etats-Unis, leCanada, le Royaume-Uni, et dautres parmi les plus dvelopps de lOCDE, attirent les

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    cerveaux forms dans les pays moins avancs, affichant mme parfois, sans complexe etsans vergogne, un droit dentre qui est trs lev, et permet de slectionner certainsimmigrants qui sont supposs devenir des entrepreneurs. Le pays dorigine de lexode perddes cerveaux, et (ou) des capitaux qui doivent tre ncessairement investis dans le paysdaccueil . Si lon se place du ct des pays les moins dvelopps, il faut savoir, parexemple, qu la Jamaque, pour conserver un mdecin dans le pays, il faut en former cinq.Pourquoi ce gouvernement, et bien dautres placs dans la mme situation, financeraient-ilslducation face au braconnage international des cerveaux?

    Une organisation internationale, ne devrait-elle pas tre charge, titre de compensation, detransfrer des pays riches vers les pays pauvres les ressources financires correspondantau pillage des cerveaux ? Cest une mission que lconomiste dorigine indienne J.Bhagwatia propos, ds les annes 70, de confier lONU. Une ide, qui jusqu prsent, na pasdpass le cercle des dbats acadmiques. Pourtant cette taxe rduirait les ingalits derevenu national entre pays, les ingalits lintrieur des pays bnficiaires, grce laugmentation des investissements publics dans les systmes dducation, et aurait doncun effet en retour bnfique sur leur croissance.

    Rfrences.

    Bhagwati J.N. (ed) (1976), Taxing the Brain Drain: A Proposal(vol.1), North Holland.

    Domingues Dos Santos M. (2006), Attraction des lites et exode des cerveaux : les enjeuxconomiques dune concertation entre pays dorigine et pays daccueil, La Documentationfranaise, Horizons Stratgiques, n.1, pp 18-27.

    Landais C., Piketty T., Saez E. (2011), Pour une rvolution fiscale : un impt sur le revenupour le 21 me sicle, Seuil.

    Piketty T. (2008), Lconomie des ingalits, Collection : Repres, La dcouverte (6 medition).

    Piketty T. (2013), Le capital du 21 me sicle, Seuil.

    Stiglitz J. (2015), La grande fracture, d. Les Liens qui librent.