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Droit, déontologie et soin Juin 2004, vol. 4, n° 2 264 J URISPRUDENCE Notes de jurisprudence Gilles DEVERS Avocat au barreau de Lyon I – Homicide du nouveau-né Cour de cassation, chambre criminelle, 2 décembre 2003 – n° 03-82.840 F Une femme parvenue au terme de sa grossesse est admise dans une clinique pour l’accouchement. La grossesse n’a pas connu de difficulté particulière. Pendant la phase de surveillance qui précède immédiatement l’accouchement, l’enregistrement du rythme cardiaque fait apparaître un tracé anormal qui devient soudain inquiétant au point que la sage-femme prévient aussitôt le médecin accoucheur. Or, celui-ci décide de retarder la césarienne, par une très mauvaise analyse de la situation. La césarienne est enfin pratiquée, mais l’enfant meurt dans les heures qui suivent. Une plainte est déposée par les parents pour homicide involontaire. La cour d’appel d’Aix en Provence, le 7 avril 2003, déclare le médecin coupable de cette infraction relevant que les tracés du monitoring révélait une souffrance fœtale patente et que le retard délibéré du médecin, pour convenances personnes, à réaliser la césarienne était la cause déterminante directe du décès de l’enfant. Dans un arrêt du 2 décembre 2003, la Cour de cassation confirme cette décision de la cour d’appel. Dans cette affaire, deux éléments ne portent pas à discussion. Le tracé du monitoring imposait une intervention d’urgence car la vie de l’enfant était en cause. Cette intervention a été différée pour des raisons d’organisation qui ne relevaient que du médecin. De telle sorte, le principe de la faute est établi. Les parents ont décidé d’agir dans le cadre d’une plainte pénale, ce que l’on comprend compte tenu de la gravité des faits et du comportement de ce praticien. La qualification pénale n’était toutefois pas évidente, eu égard à l’état du droit au terme duquel il ne peut y avoir d’homicide sur l’enfant à naître. Passé quelques débats jurisprudentiels, la Cour de cassation a rappelé qu’un accident survenu au fœtus constituait une faute civile mais pas une infraction pénale à défaut de

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Droit, déontologie et soin Juin 2004, vol. 4, n° 2264

J U R I S P R U D E N C E

Notes de jurisprudenceGilles DEVERS

Avocat au barreau de Lyon

I – Homicide du nouveau-né

Cour de cassation, chambre criminelle, 2 décembre 2003 – n°°°° 03-82.840 F

Une femme parvenue au terme de sa grossesse est admise dans une cliniquepour l’accouchement. La grossesse n’a pas connu de difficulté particulière.Pendant la phase de surveillance qui précède immédiatement l’accouchement,l’enregistrement du rythme cardiaque fait apparaître un tracé anormal quidevient soudain inquiétant au point que la sage-femme prévient aussitôt lemédecin accoucheur. Or, celui-ci décide de retarder la césarienne, par unetrès mauvaise analyse de la situation. La césarienne est enfin pratiquée,mais l’enfant meurt dans les heures qui suivent.Une plainte est déposée par les parents pour homicide involontaire. Lacour d’appel d’Aix en Provence, le 7 avril 2003, déclare le médecincoupable de cette infraction relevant que les tracés du monitoring révélaitune souffrance fœtale patente et que le retard délibéré du médecin, pourconvenances personnes, à réaliser la césarienne était la cause déterminantedirecte du décès de l’enfant. Dans un arrêt du 2 décembre 2003, la Courde cassation confirme cette décision de la cour d’appel.

Dans cette affaire, deux éléments ne portent pas à discussion. Le tracédu monitoring imposait une intervention d’urgence car la vie de l’enfant étaiten cause. Cette intervention a été différée pour des raisons d’organisationqui ne relevaient que du médecin. De telle sorte, le principe de la faute estétabli.

Les parents ont décidé d’agir dans le cadre d’une plainte pénale, ce que l’oncomprend compte tenu de la gravité des faits et du comportement de ce praticien.La qualification pénale n’était toutefois pas évidente, eu égard à l’état du droitau terme duquel il ne peut y avoir d’homicide sur l’enfant à naître. Passé quelquesdébats jurisprudentiels, la Cour de cassation a rappelé qu’un accident survenuau fœtus constituait une faute civile mais pas une infraction pénale à défaut de

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qualification par la loi (Cour de cassation, crim. 25 juin 2002, Bull. n° 116).Dans cette affaire, la victime est un enfant, et non le fœtus. Si le tracé était trèsmauvais dans les derniers instants, il n’était pas possible de conclure à l’arrêt devie du fœtus. Ainsi, un enfant est né pour décéder quelques heures plus tard. Lafaute du médecin, bien réelle, peut être qualifiée d’homicide involontaire.

II – Hépatite C, présomption d’imputabilité

Cour d’appel de Paris, 13 novembre 2003, n°°°° 2001/153059

La loi du 4 mars 2002 a institué une présomption d’imputabilité de lacontamination par le virus de l’hépatite C à l’égard du centre fournisseur deproduits sanguins. La question posée est de savoir si celle loi peut s’appliquerà une instance en cours, ou seulement aux instances nouvelles. La date deréférence est-elle celle de l’engagement du procès ou celle des faits ?Le tribunal de grande instance de Paris avait estimé que la référence était ladate de la procédure. La Cour d’appel de Paris estime, quant à elle, par unarrêt du 13 novembre 2003, que la loi s’applique aux instances en cours.Pour être mise en jeu, la présomption suppose que le demandeur, victime,apporte les éléments permettant de présumer que sa contamination a pourorigine une transfusion. À cet égard, le fait que la victime ne présenteaucun risque de contamination et que l’état sérologique de certainsdonneurs n’ait pu être contrôlés, suffit à caractériser cette situation.L’hypothèse alternative serait une éventuelle contamination nosocomiale,mais qui ne permet pas de prouver le caractère conforme des produitssanguins.

S’agit-il encore de responsabilité ? Incontestablement, ce type de disposi-tions s’inscrit dans la famille du contentieux de la responsabilité civile mais laloi du 4 mars 2002, en créant une présomption d’imputabilité, concrétise un pas-sage de la logique de la responsabilité à celle de l’indemnisation. La loi vise àfaciliter l’indemnisation du patient par ce très favorable régime légal de présomp-tion d’imputabilité. La jurisprudence se montre sensible à cet effort du législateur.La cour d’appel de Paris fait un pas complémentaire au service des victimes, enreconnaissant que ces dispositions s’appliquent aux procédures en cours.

III – Homicide par la perte de toute chance de survie

Cour de cassation, chambre criminelle, 16 décembre 2003, n°°°° 03-81228 F

Un agriculteur blessé par une bête est conduit à l’hôpital public vers17 h 30. Une intervention chirurgicale s’impose, mais le médecin estimecette intervention impossible tant que le patient n’a pas retrouvé un étathémodynamique stable. De fait, l’intervention est différée, mais à 22 h 30,

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l’état du patient s’aggrave brutalement et l’équipe ne peut que constater ledécès. L’autopsie laisse apparaître une rupture traumatique de la rate avecune hémorragie interne.Une plainte pénale est déposée contre le chirurgien pour homicideinvolontaire sur le fondement de l’article 221-6 du code pénal. La courd’appel condamne le médecin au motif qu’en abstenant de pratiquerl’intervention chirurgicale tout de suite, alors que les examensbiologiques et cliniques ont confirmé l’urgence de celle-ci, le médecin acommis une faute. En outre, les capacités de l’établissement etnotamment les produits sanguins présents, permettaient d’entreprendrel’intervention. Ainsi, le praticien a créé la situation qui a permis laréalisation du dommage, ce qui constitue une faute caractérisée lui ayantfait perdre toute chance de survie. La Cour de cassation confirme l’arrêtde la cour d’appel.

L’intervention chirurgicale s’imposait car l’hémorragie interne, si elle nepouvait être exactement mesurée, imposait une réponse rapide. Sans doute, unestabilisation de l’état aurait été préférable, mais cette stabilisation était hypo-thétique compte tenu de l’état de santé du patient, et les experts ont estimé queles dispositifs présents dans l’hôpital permettaient d’engager une efficace priseen charge, y compris par l’apport de produits sanguins. La faute est établie maisla qualification pénale fait difficulté. En effet, la cause première du décès est lecoup reçu par cet agriculteur. De plus, l’état du patient était très grave et l’inter-vention chirurgicale hautement risquée. Pour le médecin rien ne permettaitd’affirmer que l’intervention chirurgicale aurait pu être possible et que le décèsn’était pas inévitable. Le médecin plaidait la perte de chance, laquelle en matièrepénale crée le doute suffisant dans le lien de causalité pour que l’infraction nepuisse être retenue.

La cour d’appel, confirmée par la cour de cassation, écarte cette lecturenon sur le plan du droit mais sur celui du fait. Lorsque subsiste un doute sur lacausalité, il ne peut exister ni blessure volontaire, ni homicide involontaire. Maiscompte tenu des conclusions de l’expert et de l’analyse des faits, la cour estimeque l’attitude des médecins a privé le patient de toute chance de survie. Dès lors,la faute du médecin a participé de manière certaine à la réalisation du décès.Relevons que le praticien se voit reprocher une faute caractérisée, qui était néces-saire pour que la culpabilité soit retenue, dans la mesure où il se trouvait dansune relation de causalité indirecte avec le patient.

Cette affaire laisse apparaître une mauvaise appréciation du risque liée àune méconnaissance des règles de la responsabilité. Le médecin refuse de prendreles risques nécessaires de peur que le patient meure pendant l’intervention chi-rurgicale, car il se croit condamné d’avance. En réalité, il est condamné parcequ’il s’est abstenu, manquant ainsi à son devoir.

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IV – Greffe de la face

Comité consultatif national d’éthique, 6 février 2004, avis n°°°° 82

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a été interrogé par uneéquipe hospitalière à propos de la possibilité de procéder à desallotransplantations de tissus composites, destinés à une reconstruction dela face du visage. La souffrance de ces personnes et le retentissementpsychologique est considérable. Aussi, les perspectives ouvertes par unereconstruction du visage, présentent un réel intérêt. La loi n’autorise pasce type d’allotransplantation, et l’avis du comité consultation nationald’éthique a été sollicité.Le CCNE analyse tout d’abord les conditions de l’intervention, et onrelève deux difficultés majeures, relatives au consentement et à la finalitéde l’intervention. S’agissant du consentement, le CCNE estime, pourl’essentiel, que les techniques sont beaucoup trop expérimentales pour quepuisse être fournie l’information préalable nécessaire à un consentementéclairé. L’opération envisagée est une véritable expérimentation chirurgicale,et c’est pourquoi « à titre de principe on peut considérer qu’aujourd’hui,à propos d’une telle intervention, aucun consentement éclairé ne peut êtredonné ». Par ailleurs, le CCNE discute la question de la finalitéthérapeutique. Or, l’objectif est « d’améliorer la qualité de la vie de lapersonne et non de soigner une maladie, ce alors que d’une part letraitement accompagnant la greffe emporte des effets secondaires graves,et que d’autre part, les conséquences en cas d’échec seraient irréparables ».

La question du prélèvement ne remporte pas davantage l’adhésion duCCNE : « Il paraît inconcevable de demander à une famille éplorée par lamort d’un proche, d’autoriser le prélèvement de la totalité ou d’une partiedu visage de la personne décédée ». La protection du corps se poursuitaprès la mort et le prélèvement ne pourrait être envisagé que s’il y a eu unaccord explicite et réitéré de la personne pour qu’il y soit procédé.

L’avis rendu par le CCNE emporte la plus totale adhésion. Il doit tout d’abordêtre précisé que cet avis ne pourrait être sollicité qu’à titre investigatoire. En effet,ce type d’allotransplantation est écarté par la loi, celle-ci n’autorisant que les trans-plantations d’organes (articles L. 1234-1 et suivants du CSP), ou de tissus, celluleset produits (articles L. 1241-1 et suivants du CSP). Dès lors, sauf à vider la loi deson contenu, on ne saurait assimiler la face du visage à un ensemble composite detissus et encore moins à un amas de cellules. La loi n’a pas tout autorisé, et si desexpérimentations doivent être conduites, elles supposent une extension du cadrelégal. En ce sens, l’avis du CCNE peut servir à éclairer le débat.

Le régime le plus proche est celui des prélèvements d’organes, auquel estassimilé le prélèvement de moelle osseuse, dont le régime de base est défini par

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l’article L. 1232-1 du CSP : « Le prélèvement d’organe sur une personne décédéene peut être effectuée qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques ». Pour leCCNE, l’amélioration pour le patient serait certaine, mais elle ne peut être qua-lifiée de finalité thérapeutique, alors qu’elle va générer la mise en place d’untraitement immunodépresseur lourd, avec d’importants effets secondaires. Demême, ne peut être évoquée la réalité d’un consentement, car la technique estexpérimentale. Enfin, le prélèvement ne pourrait être envisagé sans une démar-che explicite du donneur. La règle du consentement présumé, qui doit être miseen œuvre avec toute la prudence nécessaire, ne peut jouer en l’espèce, s’agissantde techniques inconnues.

L’avis rendu par le CCNE, qui résulte d’une démarche éthique, s’inscrittrès clairement dans l’état du droit.

Se pose dès lors la question des allotransplantations de membres, plusieursfois pratiquées ces dernières années. L’article D. 671-15 a étendu à la notiond’organe celle de moelle osseuse, mais pas à celle de membre. Chacun fera ladifférence entre un organe et un membre. La main n’est pas un organe et ellene peut être considérée comme un ensemble composite de tissus. En outre, sil’avantage attendu dans la vie quotidienne est réel, on ne peut retenir la finalitéthérapeutique, parce qu’il ne s’agit pas de traiter une maladie, et que la greffejustifie la mise en œuvre d’un traitement lourd invalidant, créateur d’effetssecondaires importants. Les équipes hospitalières qui se sont engagées dansle processus n’avaient pas saisi le CCNE, et s’étaient contentées d’une « auto-autorisation », contraire à la loi. Lorsque de nouvelles techniques sont à envi-sager, le droit ne doit pas être nécessairement un obstacle, mais l’évolution ducadre légal est un préalable.