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342 Notes de lecture Test du modèle auprès des personnes en fin de vie (seconde étude) Cette seconde étude devait tester la robustesse de la première. Le questionnaire a été réduit à 24 items. Le fac- teur « conserver assez d’autonomie » n’a pas été inclus car jugé par l’équipe soignante comme « inquiétant ». Quatre- vingt-un volontaires ont participé. Cette étude confirme la première. Il semble que les personnes en phase terminale ont tendance à vouloir être « actrices » de leur propre fin de vie. Elles adoptent un style motivationnel de combat. Elles souhaitent exprimer leur liberté, leur autonomie et s’affranchir des culpabilités ou émotions sociales pour main- tenir une estime de soi (p. 69—78). Conclusion La prudence s’impose quant aux possibilités de généra- lisation de ces données. La théorie reste une théorie à démontrer. Marcel-Louis Viallard EMASP pédiatrique & adulte, EA 4569 « Médecine, vulnérabilités, éthique, société », université Paris René-Descartes, AP—HP Necker Enfants malades, 149, rue de Sèvres, 75007 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] doi:10.1016/j.medpal.2011.05.001 L’enfant et la mort. Problèmes de clinique du deuil, G. Raimbault. Collection psychologie et pédagogie Dunod (2011 [1995]). p. 212, ISBN: 978-2-10-0558216 Les enfants meurent aussi. Épitecte l’accepte. Camus se révolte. Les familles, les soignants, le chœur antique se résignent, s’effondrent, s’indignent ou se taisent. Mais les faits sont têtus et l’adulte fuit dans l’ambiguïté. Et l’enfant tel qu’en lui-même. . . Des écrivains et des analystes, des scientifiques et des artistes ont voulu traquer sa thématique de la mort, en saisir les distorsions, en traduire par des sym- boles et des mots d’adulte les nuances profondes. La lumière projetée par eux m’a toujours paru déformante : interpré- tation trop doctrinale, attendrissement trop romantique, tentative trop évidente de disculpation. Ce livre est le livre de l’attente de l’agonie et de la mort. Dans le vécu de leur mal, dans l’estompage de leur déve- loppement, dans la dislocation de leur image corporelle, ils présentent leurs mots, leurs phrases, leurs contes et leurs rêves (préface de Pierre Royer). Leur voix, notre silence « Que voulez-vous que je dise ? Les docteurs ne m’interrogent pas, c’est maman qui sait ! » « Tout ce que je peux dire, je le prends dans les mots de maman qui dit. . . ». Ignorance, oubli sont encouragé par les parents : « tu oublieras », « les mots c ¸a reste dedans, c ¸a fait mal ». Le silence est le masque de la position et de la fonction du mou- rant, enfant ou adulte, par rapport aux désirs des vivants. Tout dialogue authentique s’avère insoutenable, personne n’est capable d’entendre le témoignage du condamné, per- sonne ne peut lui répondre. Il est condamné à un silence officiel qui préfigure celui de sa mort. « Tu sais, maman, un jour je partirai très loin et je ne te reverrai plus. . . la pro- chaine fois, tu me mettras un bain très chaud pour que je sois mort. . . ». C’est fatigué que l’enfant fait cette demande à sa mère, demande qui correspond au vœu désespéré du père: « on ne s’en sortira jamais, vivement qu’il soit mort ». Si ce père a le courage d’exprimer ce souhait, c’est qu’il ne doute pas de l’amour qu’il porte à son enfant. Un soi- gnant peut dans un cas désespéré, avoir ce courage, s’il a ce même amour. Ces paroles, les enfants peuvent les penser mais, elles ne peuvent être entendues et recueillies que par ceux, enfants ou adultes, qui acceptent d’entrer dans ces pensées. Si l’enfant ne rencontre que silence ou mensonge, ou personne capable de le rejoindre, lui aussi se tait. Point n’est besoin aux enfants de concepts philosophiques pour aborder la mort, la voir, y penser, l’imaginer, l’accepter, la renforcer (p. 1—4). L’enfant malade, souvent s’inquiète d’une diminution de l’amour de ses parents pour lui, car il est malade, leur donne du souci, exige des soins, des dépenses, car sa souffrance leur fait de la peine et que sa mort les laissera malheureux (p. 19). Se penser nécessaire à l’autre permet de lutter, de vivre (p. 22). Être présent dans la pensée des autres permet de res- ter vivant mais peut aussi entraîner la mort de l’autre par souffrance (p. 23). La mort de l’autre permet à l’enfant d’aborder indirec- tement sa propre mort. Presque tous les enfants (cités dans cet ouvrage) font part des effets de la mort, et plus souvent de la leur, sur les survivants. Leur mort est anticipée comme absence : « je manquerai à mes parents ». Presque tous les enfants ont une connaissance claire de leur mort à venir, tou- jours mise en relation avec leur maladie. Pour eux, la mort se situe logiquement dans le destin des enfants malades qui vont dans les hôpitaux et ne guérissent pas. Cette clair- voyance n’empêche pas les mécanismes de défense contre l’idée de la mort. L’adulte méconnaît le savoir de l’enfant sur la mort, de même qu’il méconnaît son savoir sur la sexua- lité. L’angoisse de la mort n’est pas liée à la disparition, à la néantisation elle-même, mais à l’atteinte du statut nar- cissique (p. 24—27) 1 . Ces mots-là Le déplacement sur d’autres personnages (l’enfant évoque un autre mort, un autre malade) est une tentative de dégagement d’une situation angoissante, l’affirmation d’un certain courage, l’énoncé d’une infinie tristesse, mais aussi 1 Note du rédacteur : pour compléter cette approche et les pistes qu’elle propose, il paraît intéressant à tout niveau de penser et de raisonner la « place » et le « lieu » non seulement de chacun mais de ce qui est dit par exemple, en parcourant le « qu’appelle-t-on penser ? » de M. Heidegger.

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silence est le masque de la position et de la fonction du mou-rant, enfant ou adulte, par rapport aux désirs des vivants.Tout dialogue authentique s’avère insoutenable, personnen’est capable d’entendre le témoignage du condamné, per-sonne ne peut lui répondre. Il est condamné à un silenceofficiel qui préfigure celui de sa mort. « Tu sais, maman, unjour je partirai très loin et je ne te reverrai plus. . . la pro-chaine fois, tu me mettras un bain très chaud pour que jesois mort. . . ». C’est fatigué que l’enfant fait cette demandeà sa mère, demande qui correspond au vœu désespéré dupère: « on ne s’en sortira jamais, vivement qu’il soit mort ».

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a prudence s’impose quant aux possibilités de généra-isation de ces données. La théorie reste une théorie àémontrer.

Marcel-Louis ViallardEMASP pédiatrique & adulte, EA 4569 « Médecine,vulnérabilités, éthique, société », université ParisRené-Descartes, AP—HP Necker Enfants malades,

149, rue de Sèvres, 75007 Paris, France

Adresse e-mail : [email protected]

oi:10.1016/j.medpal.2011.05.001

L’enfant et la mort. Problèmes de clinique du deuil, G.Raimbault. Collection psychologie et pédagogie Dunod(2011 [1995]). p. 212, ISBN: 978-2-10-0558216

es enfants meurent aussi. Épitecte l’accepte. Camus seévolte. Les familles, les soignants, le chœur antique seésignent, s’effondrent, s’indignent ou se taisent. Mais lesaits sont têtus et l’adulte fuit dans l’ambiguïté. Et l’enfantel qu’en lui-même. . . Des écrivains et des analystes, descientifiques et des artistes ont voulu traquer sa thématiquee la mort, en saisir les distorsions, en traduire par des sym-oles et des mots d’adulte les nuances profondes. La lumièrerojetée par eux m’a toujours paru déformante : interpré-ation trop doctrinale, attendrissement trop romantique,entative trop évidente de disculpation.

Ce livre est le livre de l’attente de l’agonie et de la mort.ans le vécu de leur mal, dans l’estompage de leur déve-

oppement, dans la dislocation de leur image corporelle, ilsrésentent leurs mots, leurs phrases, leurs contes et leursêves (préface de Pierre Royer).

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Que voulez-vous que je dise ? Les docteurs ne’interrogent pas, c’est maman qui sait ! » « Tout ceue je peux dire, je le prends dans les mots de maman quiit. . . ».

Ignorance, oubli sont encouragé par les parents : « tuublieras », « les mots ca reste dedans, ca fait mal ». Le

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i ce père a le courage d’exprimer ce souhait, c’est qu’ile doute pas de l’amour qu’il porte à son enfant. Un soi-nant peut dans un cas désespéré, avoir ce courage, s’il ae même amour. Ces paroles, les enfants peuvent les penserais, elles ne peuvent être entendues et recueillies que par

eux, enfants ou adultes, qui acceptent d’entrer dans cesensées. Si l’enfant ne rencontre que silence ou mensonge,u personne capable de le rejoindre, lui aussi se tait. Point’est besoin aux enfants de concepts philosophiques pourborder la mort, la voir, y penser, l’imaginer, l’accepter, laenforcer (p. 1—4).

L’enfant malade, souvent s’inquiète d’une diminution de’amour de ses parents pour lui, car il est malade, leur donneu souci, exige des soins, des dépenses, car sa souffranceeur fait de la peine et que sa mort les laissera malheureuxp. 19).

Se penser nécessaire à l’autre permet de lutter, de vivrep. 22).

Être présent dans la pensée des autres permet de res-er vivant mais peut aussi entraîner la mort de l’autre parouffrance (p. 23).

La mort de l’autre permet à l’enfant d’aborder indirec-ement sa propre mort. Presque tous les enfants (cités danset ouvrage) font part des effets de la mort, et plus souvente la leur, sur les survivants. Leur mort est anticipée commebsence : « je manquerai à mes parents ». Presque tous lesnfants ont une connaissance claire de leur mort à venir, tou-ours mise en relation avec leur maladie. Pour eux, la morte situe logiquement dans le destin des enfants malades quiont dans les hôpitaux et ne guérissent pas. Cette clair-oyance n’empêche pas les mécanismes de défense contre’idée de la mort. L’adulte méconnaît le savoir de l’enfantur la mort, de même qu’il méconnaît son savoir sur la sexua-ité. L’angoisse de la mort n’est pas liée à la disparition, àa néantisation elle-même, mais à l’atteinte du statut nar-issique (p. 24—27)1.

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1 Note du rédacteur : pour compléter cette approche et les pistesu’elle propose, il paraît intéressant à tout niveau de penser et deaisonner la « place » et le « lieu » non seulement de chacun maise ce qui est dit par exemple, en parcourant le « qu’appelle-t-onenser ? » de M. Heidegger.

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l’appel à l’autre. Devant cet appel chacun se révèle impuis-sant (p. 29—31).

Les hésitations à choisir entre la compétence, la sécu-rité d’une part et l’affection dans et par la famille d’autrepart, sont des dilemmes auxquels se heurtent les parentsd’enfants pour lesquels tout espoir est presque perdu(p. 41).

Si les parents sont capables de parler avec leur enfant,de l’entendre, de lui répondre sur le tout et sur les liensqui sont au centre des échanges entre les êtres humains,ils pourront l’accompagner jusqu’au terme. La seule aideque l’on puisse apporter à l’enfant qui va mourir est de luimontrer que l’on est désireux de rester avec lui jusqu’aubout (p. 42).

Ces enfants-là

Le malheur, la tristesse, la solitude sont les agents de mala-die et de mort. Le vœu peut être (dans certains cas) quele futur mort n’ait rien à laisser sur terre (p. 55). C’est larelation à l’autre qui est à préserver, à maintenir dans sonintégrité et que le fait du silence ou du mensonge détruit(p. 57). La mort est essentiellement l’impossibilité decommuniquer avec l’autre et l’impossibilité d’être commel’autre (p. 77).

À quatre ans, à partir d’une certaine durée, la sépa-ration est synonyme de mort, c’est-à-dire que l’enfant nepeut plus, au-delà d’un certain temps, imaginer le retour.Ce temps de séparation, s’il n’est pas expliqué à l’enfant,meublé de paroles, de repères, de personnes qui sont desintermédiaires avec la mère est de durée variable selon lesindividus et l’âge, mais habituellement courte. Il faut quoiqu’il en soit toujours encourager les visites. Si l’enfant perdsa mère, celle qui l’habite, il peut, en effet, se laisser mourir(p. 79—80).

On ne peut vivre que reconnu vivant et en l’acceptant(p. 83). Une vie n’est supportable, aussi intolérable soit-elle, que si elle a un sens, que si elle peut avoir unereprésentation unifiante. Le non-sens, l’accident, le mor-ceau de vie séparée, demandant toujours à être repris dansune image totale de la vie-image de notre vie, autre formepeut-être de l’intégrité de l’image de notre corps (p. 125).

Le sentiment de culpabilité aurait dans certains cas lafonction de transformer la maladie appréhendée d’abordcomme une chasse parfaitement étrangère. La culpabi-lité contenue dans certains fantasmes d’hérédité auxquelss’accrochent les parents est, pour eux, une facon d’essayerde recréer des liens avec cet enfant qu’ils ne reconnaissentplus, facon, pour eux, de se dire : « malgré l’étrangeté de

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a maladie, il est bien à nous puisque nous sommes respon-ables de son état » (p. 129—130).

Être ensemble, ne pas être seul, exige d’être reconnuans ses actes, dans ses pensées, dans ses désirs, dans sesroyances. Être reconnu, pour l’enfant près de la mort,xige qu’il puisse entendre : « moi aussi je suis préoccupéar ta mort — je sais que tu. . . en as peur. . . la désires. . .

’attends. . . voudrait la chasser. . . que tu espères vivre. . .

e que tu vis ne te sépare pas de moi ». L’enfant demande « être ensemble », demande de présence à laquelle uneéponse formelle ne suffit pas, car elle est inapte à éta-lir la communication. Pour que l’ensemble soit, la réponseoit être portée par un désir, celui d’être-là avec l’autre

désir résistant à l’angoisse et à ses effets destructeursp. 133—134).

e la clinique du deuil

résentation de cinq observations d’enfants endeuillés avecnalyse.

Être en deuil. Pouvoir accepter la mort de l’autre,’est accepter un jamais plus de regard, de voix, de ten-resse, supports des échanges avec l’autre, une absence’avenir dans le projet imaginaire commun, le point final

la partition d’un des instruments dans notre symphonieantasmatique.

Le deuil d’un objet d’amour nécessite :de pouvoir se désidentifier de la cause de la mort ;d’accepter sa propre mort future comme destin ;il ne faut pas que la mort ravive une perte antérieurerefoulée, non métabolisée.

Le deuil, quand il est possible, nécessite un certain tempst passe par une phase plus ou moins longue d’idéalisatione l’être perdu, sorte de surinvestissement qui précèdee désinvestissement. Accompli, il permet d’une part,’introspection de l’objet perdu sous forme de souvenirs,aroles, actes, modes d’être communs au mort et à soi,’autre part, l’investissement affectif d’un nouvel objet,e développement d’un nouvel amour (p. 185—195).

Marcel-Louis ViallardEMASP pédiatrique & adulte, EA 4569 « Médecine,vulnérabilités, éthique, société », université Paris

René-Descartes, AP—HP Necker Enfants Malades,149, rue Sèvres, 75007 Paris, France

Adresse e-mail : [email protected]

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