NOTICE SUR LE SABRE DE CONSTANTIN XIV, DERNIER EMPEREUR DE CONSTANTINOPLE,CONSERVÉ A L'ARMERIA REALE DE TURINAuthor(s): Victor LangloisSource: Revue Archéologique, 14e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1857), pp. 292-294Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41744502 .

Accessed: 20/05/2014 21:56

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NOTICE

SUR LE SABRE DE CONSTANTIN XIV,

DERNIER EMPEREUR DE CONSTANTINOPLE,

CONSERVÉ A L'ARMERIA REALE DE TURIN.

L'Armeria reale de Turin est un des plus riches dépôts d'armes historiques d'Europe. Elle est située dans une magnifique galerie qui fait partie des dépendances du palais du roi, et renferme de ma- gnifiques collections d'armes de toutes sortes.

Les principaux monuments conservés dans ce dépôt ne le cèdent en rien, pour l'importance, à ceux du musée d'artillerie de Madrid. On y remarque les armes des princes de la maison de Savoie, une selle de Charles-Quint, un bouclier et un poignard attribués à Ben- venuto Cellini, un fragment d'une aigle romaine, l'épée que Bonaparte portait à Marengo, les aigles provenant des drapeaux qui avaient été confiés par l'empereur Napoléon I" aux régiments pié- montais, enfin des armes ayant appartenu à Tippo-Saïb.

Mais, parmi les monuments qui doivent surtout fixer l'attention des orientalistes figure la riche collection d'armes qu'a formée, pendant un long séjour dans les Indes, un noble piémontais qui en a fait don au roi Charles-Albert, collection qui s'est enrichie, dans ces dernières années, d'armes et d'étendards ottomans, recueillis en Orient par M. le baron Tecco, ancien ministre de Sardaigne en Turquie, et qui les a offerts à S. M. le roi Victor-Emmanuel, pour son Armeria reale. C'est dans cette dernière série, que j'ai eu occa- sion d'examiner tout récemment avec beaucoup d'attention, que se

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NOTÍCE SUR LE SABRE DE CONSTANTIN XIV. 293

trouve un sabre courbe, du genre de ceux appelés Damas , et qui fera le sujet de cette notice.

Ce sabre, ainsi que d'autres armes rapportées de Constantinople par M. le baron Tecco, a été classé par M. Papasian, noble armé- nien résidant à Turin et chargé officieusement par le gouverne- ment d'en dresser le catalogue, parmi les monuments incertains de provenance orientale, et c'est sous ce titre que je l'ai vu, lors de ma visite à Y Armeria, où m'avait précédé de quelques jours M. A. de Longpérier, le savant conservateur des antiques du Louvre, qui a pu aussi examiner cette arme curieuse.

Le nouveau conservateur de cet établissement, M. le major géné- ral Aclis, aide de camp du roi, qui se propose de rédiger un nou- veau catalogue du dépôt qui lui est confié, afin d'y faire entrer la description des monuments qui, depuis peu, sont entrés dans la collection, voulut bien me demander mon avis sur le sabre dont il s'agit, et c'est en l'étudiant d'une manière toute particulière que j'ai été amené à lui donner une attribution queje vais soumet- tre à la sagacité des lecteurs de la Revue.

Avant d'entrer plus avant dans la question, je vais donner la description de cette arme, dont un dessin, exécuté sur un estam- page pris par moi sur le monument même, accompagne cette notice (voyez la planche 312). Le sabre dont il s'agit est une lame courbe damasquinée; la poignée et le fourreau ont disparu, sans doute en raison de la richesse de leur ornementation. 11 ne reste aujourd'hui de cette arme que la lame, qui, comme je l'ai dit, fut apportée de Constantinople par le baron Tecco. Cette arme, ainsi que l'étendard de Mahomet II conservé dans la même collection, avait d'abord été achetée' par un marchand qui était parvenu à se faire céder, par un gardien du Turbeh du conquérant de Byzance, quelques-uns des objets conservés dans cette chapelle funèbre.

Ce sabre porte sur l'un des côtés une ornementation entièrement byzantine : deux cierges, surmontés d'un médaillon représentant la Vierge et l'enfant Jésus, nimbés, vus de face et à mi-corps, exac- tement dans le même style que sur les monuments religieux by- zantins et sur les médailles des derniers empereurs grecs de Con- stantinople, Un peu au-dessus du médaillon, on remarque deux anges soutenant une couronne et trois rubis enchâssés avec art dans l'acier de l'arme, dont les ornements et les figurines conser- vent encore des traces de dorure.

Sur le côté opposé de la lame, on lit une inscription grecque monostique, dont les lettres sont en relief et rehaussées 4'or. Cette

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29 It REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

inscription est précédée d'une croix; en voici le texte avec la tran- scription en caractères ordinaires, ainsi que la traduction :

+CYBACIA£YAHTTHTe'AOrÇ0£OYriANTANA2- Tü}Hr€MONIKAini$WAY0eNTIK(ON$ANTIN(i>

-f- [XptîjTî,] 2!», ßaaitau àr-Tr^í, Xo'ys G:oü, TravTCtvxç, [ßo^0£i] Tw ■}¡ye[/.óvt xml iustm auOéyn) KwvCTavcívw.

« [O Christ ], toi, roi invincible, Verbe de Dieu, maitre âe toute chose ! « [Sois secourable ] au chef et fidèle autocrate Constantin ! »

La légende n'offre pas de difficultés à la lecture ; c'est une invoca- tion au Christ dont le nom est sous-entendu, ainsi que le mot

qu'il faut restituer nécessairement et qui sert à compléter la pensée de l'auteur. Quant au mot aòôsVry], datif de avUvrw, qui pré- cède le nom propre, il est bon de faire remarquer qu'il a passé dans la langue turque sous la forme Efendy, avec la signification de Seigneur et de Monsieur.

Bien que cette arme portât une légende grecque et fût ornée d'emblèmes chrétiens, elle figurait dans le catalogue manuscrit dressé par M. Papasian, à la série des monuments incertains, c'est- à-dire sans attribution déterminée. Cependant le nom de Constan- tin, l'invocation au Christ, la figure de la Vierge, la couronne portée par deux anges, et la provenance même de l'arme, qui, ainsi que je l'ai dit précédemment, était conservée dans le tombeau de Maho- met II, ne m'ont pas permis un seul instant de douter que le sabre que je viens de décrire n'ait appartenu au dernier empereur de Byzance, Constantin XIV Dracosès, qui tomba mort sur la brèche en défendant sa capitale assiégée et prise par les Turcs Ottomans, en 1453. Il est d'ailleurs une circonstance qui, s'il en était besoin, viendrait confirmer cette attribution, c'est qu'il était d'usage, chez les orientaux comme chez les peuples de l'antiquité, de déposer les armeä du vaincu sur le tombeau du vainqueur.

Victor Langlois.

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