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DU VENDREDI 19 AU JEUDI 25 SEPTEMBRE 2014 - N O 100 - 3 € ANTICIPER Drones, caméras, robots… la French Tech cartonne dans la sécurité industrielle. P. 24-25 ENTREVUE Denis Payre (Nous citoyens) : « Le fonctionnement de l’État doit changer de fond en comble ». P. 35 INNOVER Du navigateur qui indique la plus belle route à la vertèbre imprimée. TOUR DU MONDE P. 22-23 LE PHÉNIX… OU LES 100 DERNIERS JOURS DE FRANÇOIS HOLLANDE Un récit de politique- fiction sur la fin du quinquennat. Pages 4 à 9 L 15174 - 100 - F: 3,00 « LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. » ENTREPRISES NON, APPLE NE TUERA PAS LES BANQUES Apple Pay, le service de paiement mobile, se déploiera en accord avec les banques. Du gagnant-gagnant ? P. 26 MÉTROPOLES DES PME AUX ETI, RENNES ACCOMPAGNE SES CHAMPIONS Forte de 160 ETI et de nombreuses PME d’excellence, la région déploie une vision économique à long terme et lui consacre 110 millions d’euros par an. Tour de la Bretagne dynamique. PAGES 29 à 33 PORTRAIT ISABELLE RABIER Elle a levé des fonds pour déployer sa ligne de cosmétiques et son réseau de vendeuses à domicile. P. 38 Malgré une majorité frondeuse et fragile, le trio Hollande-Valls-Macron va-t-il enfin s’attaquer aux réformes structurelles pour déverrouiller la croissance ? Notre dossier et les points de vue de : Laurence Parisot, Bruno Lasserre, Alain Rousset, Jacques-Antoine Granjeon, Jean Peyrelevade, Patrick Artus, et Pierre-Yves Cossé. © BERTRAND GUAY / AFP - ANTOINE ANTONIOL / AFP - CHARLES PLATIAU / REUTERS Sont-ils prêts à tout pour débloquer la France ? Édition spéciale - numéro 100 PAGES 4 à 21 et 34 à 36

numéro 100 débloquer la Francestatic.latribune.fr/private/weekly/2014/20140919.pdf · Pages 4 à 9 L 15174 - 100 - F: 3,00 « LA TRIBUNE S ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE

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DU VENDREDI 19 AU JEUDI 25 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - 3 €

ANTICIPERDrones, caméras, robots… la French Tech cartonne dans la sécurité industrielle. P. 24-25

ENTREVUEDenis Payre (Nous citoyens) : « Le fonctionnement de l’État doit changer de fond en comble ». P. 35

INNOVERDu navigateur qui indique la plus belle route à la vertèbre imprimée. TOUR DU MONDE P. 22-23

LE PHÉNIX… OU LES 100 DERNIERS JOURS DE FRANÇOIS HOLLANDEUn récit de politique-fiction sur la fin du quinquennat. Pages 4 à 9

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ENTREPRISESNON, APPLE NE TUERA PAS LES BANQUESApple Pay, le service de paiement mobile, se déploiera en accord avec les banques. Du gagnant-gagnant ? P. 26

MÉTROPOLESDES PME AUX ETI, RENNES ACCOMPAGNE SES CHAMPIONS

Forte de 160 ETI et de nombreuses PME d’excellence, la région déploie une vision économique à long terme et lui consacre 110 millions d’euros par an. Tour de la Bretagne dynamique. PAGES 29 à 33

PORTRAITISABELLE RABIER

Elle a levé des fonds pour déployer sa ligne de cosmétiques et son réseau de vendeuses à domicile. P. 38

Malgré une majorité frondeuse et fragile, le trio Hollande-Valls-Macron va-t-il enfin s’attaquer aux réformes structurelles pour déverrouiller la croissance ?

Notre dossier et les points de vue de : Laurence Parisot, Bruno Lasserre, Alain Rousset, Jacques-Antoine Granjeon, Jean Peyrelevade, Patrick Artus, et Pierre-Yves Cossé.

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Sont-ils prêts à tout pour

débloquer la France ?

Édition spéciale - numéro 100

PAGES 4 à 21 et 34 à 36

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Apple : la fin  d’un tempsIl n’y a pas de révolution iPhone 6 ou Apple Watch. Il y a la fin d’une époque qui s’étire. Le smartphone se décline dans des formats variés, de la montre à la phablette. Il peut même utiliser la surface de la main comme écran, ou la paume comme clavier. Bref, il se décline. Il peut être lunette ou bague, vêtement ou stylo. Le smartphone se caractérise par ses fonctions actuelles : c’est un récepteur et distributeur d’informations. À partir de données objectives pouvant aller jusqu’à des données de santé, le big data permet la déclinaison vers une information personnalisée.

La prochaine révolution est la « moodtech ». Mood désigne l’humeur d’une personne. On n’est plus dans l’objectif, on est dans le ressenti. La « moodtech » apportera la meilleure compréhension de soi. Dans l’immédiat ce sont des données objectives interprétées qui dévoilent l’humeur. Ces données sont dans la construction de son visage, sa perception du moment, la voix, le regard, l’écriture, le rythme cardiaque, la température de la peau et bien d’autres données musculaires, de mouvements, de gestes, de respiration. Bref, des données objectives interprétatives comme le font les morphopsychologues, par exemple. Ces informations recueillies deviennent une banque de données personnelles et personnalisées qui contribuent à mieux se connaître. La « moodtech » fournit les interprétations courantes comme les interprétations plus pointues en fonction des attentes et demandes : rencontre, visite, sport, repos, etc.Le smartphone va devenir un… « moodphone », un « coachphone ». Bien sûr, il ne remplacera pas son compagnon, son maître, son… coach, dont le propos sera plus affiné et sans aucun doute plus pertinent. Mais ce compagnon, maître ou coach, n’est pas toujours présent. Le « coachphone », si.Les fabricants de mobiles tournent autour du projet, les concepteurs d’applications aussi. Ils n’en sont pas loin. Les smartphones à six caméras sont prêts. Les capteurs de mouvement aussi. Les analyseurs de voix sont sur le bon chemin. La « moodtech » avance en ordre dispersé. Il suffit qu’elle s’organise. Or, lorsque l’on voit l’importance du marché de la « connaissance de soi », voire en aboutissement celui de l’« estime de soi », on imagine aisément l’attente autour de la « moodtech ». C’est d’Apple que l’attente pouvait être la plus naturelle. Comme dans de nombreux marchés, c’est un nouvel acteur qui surprend les anciens. Pourquoi pas un fabricant de robot humanoïde ? Un fabricant de « moodbot » ?… Je repars en plongée. Rendez-vous la semaine prochaine… pour démontrer l’inverse.

SIGNAUX FAIBLES

L’ouvrage le plus récent de Philippe Cahen : Les Secrets de la prospective par les signaux faibles, Éditions Kawa, 2013.

PAR PHILIPPE CAHENPROSPECTIVISTE

@SignauxFaibles

DR

ÉDITORIAL

Éloge de la « phobie administrative »

Mars 2015. Dans une France blo-quée par les grèves, Fran-çois Hollande, confronté à une impasse

politique avec les frondeurs de son ex-majorité, décide de dissoudre l’Assem-blée nationale, et à l’issue de législatives marquées par la poussée des extrêmes, confie à un Premier ministre issu de la droite la conduite d’un gouvernement d’union nationale… Tel est l’argument de la fiction politique que nous vous propo-sons, dans ce dossier du numéro 100 de La Tribune Hebdo consacré aux blocages français.Fiction ? Oui bien sûr, puisque même fragile et réduite, la majorité relative qui a accordé mardi sa confiance à Manuel Valls ne l’empêchera pas, s’il le souhaite, d’avancer. Après tout, de 1988 à 1991, Michel Rocard a pu mener quelques réformes décisives malgré une majorité relative au Parlement : création de la CSG et du RMI, baisse de l’impôt sur les sociétés, négociation du traité de Maastricht…La vraie fiction, finalement, serait d’imaginer un François Hollande qui aurait réussi ! Réussi à inverser la courbe du chômage, à ranimer la croissance, à faire retrouver à la France son AAA… Le chemin est encore long. Malade, la France de 2014 ? Le diagnostic ne fait aucun doute et le mal est d’abord et avant tout dans les esprits. Jamais le

pays n’a semblé aussi divisé, fracturé entre des intérêts particuliers sur la défensive, au point de faire oublier le sens du collectif et de l’intérêt général. « Le problème de la France, c’est d’abord elle-même ». Sur Europe 1 mercredi 17 septembre, le nouveau jeune premier de Bercy, Emmanuel Macron, a nommé la maladie. En évoquant, maladroite-ment, les « illettrées » du groupe GAD ne pouvant passer leur permis, il a aussi mis l’accent sur une réalité, la mauvaise santé de notre système scolaire.Il faut donc agir et avancer. Mais, jusqu’où le gouvernement Valls II vou-dra-t-il et pourra-t-il aller ? La France de 2014 verra sa dette dépasser les 2000 mil-liards d’euros et les 100 % du PIB. Cela a-t-il permis de vaincre le chômage de masse ou de rendre les gens plus heu-reux ? Le refus de regarder la réalité en face a fait surtout perdre du temps.Pour autant, les conditions politiques ne semblent pas réunies pour voir François Hollande engager un « Grand Soir » à la Schröder. Une lueur d’espoir vient du changement, tardif, de logiciel en Europe, où la croissance semble enfin redevenir une priorité. Avec un euro moins fort, une Europe qui réinvestit et une Allemagne un peu moins rigoureuse, il sera sans doute plus facile pour la France de mener des réformes, sous réserve que cela ne serve pas d’excuse à ne plus rien faire pour réduire une dépense publique record.À condition d’éviter le piège de la rue, et d’ouvrir une vraie négociation entre

des syndicats et un patronat prêts à jouer le jeu, il y a donc un espace pour avancer dans la libération des énergies. Le scénario du choc salutaire étant poli-tiquement risqué, place à la réforme en pente douce. Ce qu’il faut, selon Macron, c’est « faire une série de petites réformes, de petits déblocages », pour sti-muler la croissance. Le nouveau ministre a visiblement vite compris qu’il ne servait à rien d’agiter des totems, telles les 35 heures. Il veut mener à son terme la loi sur la croissance, qui devrait arriver au Parlement début 2015, avec au menu le déverrouillage du travail du dimanche, des seuils sociaux et des pro-fessions réglementées. Même s’il est illu-soire d’attendre un choc de la baisse des tarifs des notaires, constater que ceux-ci n’ont pas varié depuis 1978 en dit long sur l’immobilisme français. Emmanuel Macron était alors âgé de 1 an…Les réformes les plus utiles sont rare-ment celles qui font le plus de bruit médiatique. Parmi celles-ci, la plus importante, celle qui pourrait vraiment changer les choses, porte un nom : sim-plifier. Simplifier pour alléger les contraintes qui pèsent sur les entre-prises et leur font passer plus de temps à des tâches administratives qu’à se développer et à conquérir de nouveaux marchés. Un éphémère ministre a cru bon de plaider la « phobie administra-tive » pour justifier le non-paiement de ses impôts. Il ne faudrait pas, pour le bien du pays, que cette maladie-là devienne contagieuse ! ■

PLUS D’INFORMATIONS SUR LATRIBUNE.FR

UN NOUVEAU QUOTIDIEN NUMÉRIQUE

Les racines de la crise financière de 2008, puis de la crise économique qui a suivi, sont profondes et l’on sent bien qu’elles peuvent résister longtemps aux vieilles recettes et aux ajustements à la marge. Pour en venir à bout et entrer dans une nouvelle époque, il faudra prendre le risque de l’innovation économique, mais aussi politique et sociale. Notre conviction, à La Tribune, est qu’il y a peu à attendre des lieux de pouvoir traditionnels, aujourd’hui souvent coupés des réalités. Les solutions d’avenir prendront leur source dans les territoires, dans les métropoles, là où se fait l’économie réelle, là où les acteurs publics, entreprises et citoyens savent travailler ensemble à de nouveaux modèles. La Tribune veut croire

à cette renaissance économique. Elle veut être le média qui accompagne ce mouvement, en France comme à l’étranger.C’est pourquoi chaque jour à 19 h 00, à partir de mardi 23 septembre, La Tribune proposera à ses abonnés une nouvelle formule de son quotidien numérique, « le premier quotidien économique des métropoles », accessible sur mobile et sur tous les écrans. Sa présentation vous permettra un accès plus direct et plus facile, tant à l’essentiel de l’actualité économique nationale et internationale de la journée, qu’aux quatre thèmes éditoriaux que nos abonnés privilégient : l’innovation ; le numérique ; le développement des métropoles ; et bien sûr les idées nouvelles de l’économie, qui font l’ADN de La Tribune depuis bientôt trente ans.Pour être à l’heure au rendez-vous de mardi prochain 19 h 00, et découvrir le premier numéro, rendez-vous dès maintenant sur notre site laTribune.frMerci d’être fidèle.

JEAN-CHRISTOPHE TORTORADIRECTEUR DE LA PUBLICATION

@jc_Tortora

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PAR PHILIPPE MABILLE

@phmabille

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TENDANCESLA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

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L’ÉVÉNEMENT4 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

LES FAITS. Avec le vote de la confiance au gouvernement Valls II, François Hollande entre dans une nouvelle étape de son quinquennat, peut-être pas la dernière comme le laisse sous-entendre notre scénario de politique-fiction (lire pages 5 à 9). LES ENJEUX. Comment débloquer un pays crispé autour d’un socle de mesures politiquement acceptables, économiquement efficaces et socialement justes ? La nouvelle équipe gouvernementale affronte une responsabilité historique, sur fond de crise politique et morale.

A vec une croissance en panne, presque à l’arrêt, des résultats franchement calami-teux sur le front du chômage et des défi-cits, publics et exté-rieurs, la France

mérite-t-elle le qualificatif d’« homme malade » de l’Europe que l’on entend par-tout dès que l’on franchit les frontières ? Une chose est sûre, la France de 2014 inquiète, non seulement parce qu’elle donne le sentiment d’avoir décroché du train euro-péen, mais aussi et surtout parce qu’elle ne donne pas, ou pas encore, l’impression d’en avoir pris toute la mesure.Avant l’été, avant que François Hollande n’achève son virage social-démocrate en se séparant de tous les ministres qui refusaient d’entrer dans sa ligne, l’ex-commissariat au Plan, rebaptisé France Stratégie, avait publié, sous la signature de son patron, l’écono-miste Jean Pisani-Ferry, un énième rapport sur la France dans dix ans, tentant d’appor-ter un diagnostic « objectif » de notre situa-tion, dans un louable effort de projection dans l’avenir. Parmi les innombrables ques-tions qui se posent, l’une d’elles, passée curieusement assez inaperçue, lançait un pavé dans la mare : « Avons-nous encore les moyens de notre modèle social ? »Question actuelle s’il en est, à l’heure où un gouvernement de gauche « décomplexée », orientée sur une ligne franchement pro-entreprise (pour ne pas dire libérale, puisqu’il paraît qu’en France c’est un gros mot), affirme, avec Manuel Valls à Matignon et Emmanuel Macron à Bercy, vouloir accé-lérer le pas des réformes, au nom justement du sauvetage dudit modèle français. Pour les uns, celui-ci est notre « emblème » ; pour les autres, il est « notre fardeau ». Ce modèle que, paraît-il, le monde entier nous envie doit être entendu dans sa définition la plus large : la protection sociale (maladie,

retraite, chômage, famille, accidents du tra-vail), plus une multitude de prestations sous conditions de ressources, plus la réglemen-tation du travail, la politique du logement, l’éducation et la formation. Ce modèle redistributif, l’un des plus géné-reux au monde, est financé par un ensemble de recettes publiques, impôts et cotisations, mais rencontre deux limites. Son finance-ment, d’abord, qui a longtemps reposé sur la croissance, est fragilisé par les pressions déflationnistes actuelles. Si l’on croit à la thèse selon laquelle l’Occident est entré dans un cycle de croissance et d’inflation très faibles, voire, de stagnation séculaire (au sens de Robert Gordon), alors, il y a tout lieu d’être très inquiet car le modèle français est condamné à plus ou moins brève échéance. Sauf à être profondément revisité.Une deuxième critique porte non pas seule-ment sur son coût, mais sur son efficacité. Reposant sur un contrat implicite avec la classe moyenne, qui le finance parce qu’elle en bénéficie, le modèle français est certes l’un des plus coûteux, mais pas celui qui produit les meilleurs résultats en termes de lutte contre les inégalités. C’est globalement vrai des inégalités monétaires (la France a un des meilleurs indices de Gini des pays dévelop-pés), mais pas des inégalités en matière d’éducation, de logement et surtout d’emploi, notait le rapport France 2025. Pire, le risque est aujourd’hui de faire le constat que ce

modèle favorise un chômage de masse. Parce que visant trop large, il rate finalement sa cible prioritaire, à savoir ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi. C’est le procès fait par Emmanuel Macron, avant qu’il ne devienne ministre, dans son entretien au Point, lorsqu’il s’inquiète du décalage entre « droits for-mels » et « droits réels » des travailleurs.

UN PROGRAMME HORS SUJET ET HORS DE PROPORTION

À l’heure où le gouvernement Valls II, conforté in extremis mardi par une majorité certes étroite et relative, affirme vouloir accélérer le tempo des réformes, cette réflexion sur la croissance et la capacité de la France à sauvegarder son modèle social est évidemment décisive. Au nom de la croissance et de l’emploi, François Hollande a engagé la gauche dans une politique de l’offre, pro-entreprise, politiquement et éco-nomiquement risquée. Pour libérer les éner-gies, le gouvernement, sous le vocable « simplifications », met le cap sur quelques réformes symboliques pour déverrouiller le pays : relèvement des seuils à partir des-quels certaines obligations sociales s’im-posent aux entreprises ; augmentation, dans certaines zones touristiques, du nombre de dimanches et de soirs où le travail est per-mis ; allégement des contraintes pour accé-

der à certaines professions réglementées (professions du droit, de la santé).Autant de gadgets qui occuperont sans doute l’espace médiatique et visent, de façon louable, à créer un environnement plus pro-entreprise. Mais en dehors du choc positif sur la confiance des patrons et entrepre-neurs, ce programme demeure encore lar-gement hors sujet et hors de proportion avec ce qu’exigerait une réelle volonté de débloquer la France. La question des 35 heures est refermée avant même d’avoir été ouverte ; celle du code du travail et de son inadaptation à un monde où les cycles économiques et technologiques sont de plus en plus rapides n’est pas même abordée. Quant à la concurrence, la façon dont la gauche a cédé à la corporation des taxis contre les VTC en dit long sur sa capacité à affronter les groupes de pression.La balle des réformes est de facto renvoyée aux partenaires sociaux auxquels il est demandé, une fois de plus, de négocier, sur les retraites complémentaires ou l’assu-rance-chômage. Mais, coincé entre les posi-tions de plus en plus extrémistes du Medef, le conformisme de syndicats sur la défen-sive, même les plus réformistes, et une majorité frondeuse, le trio Hollande-Valls-Macron semble loin d’être en mesure d’ac-coucher du programme à la Schröder dont certains rêvent tout haut. Blocages, vous avez dit blocages… ■

Blocages, vous avez dit blocages…

Le président le plus impopulaire de la Ve RépubliqueCote de confiance des présidents de la République depuis 1978.

01-01 01-02 01-03 01-04 01-05 01-06 01-07Mois/Année de mandat Source : TNS Sofres

10%

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13%

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50%

60%

70%

F. Hollande 2012N. Sarkozy 2007V. Giscard d’Estaing 1974 F. Mitterand 1981 F. Mitterand 1988 J. Chirac 1995 J. Chirac 2002

PAR PHILIPPE MABILLE

@phmabille

Mardi 16septembre, le gouvernement

Valls II a obtenu la confiance

de l’Assemblée nationale, mais à une majorité

étriquée de 269 voix (contre 306

en avril, et pour une majorité

absolue de 257), tandis

que 244 députés ont voté contre.

31 députés PS se sont

abstenus. © Gonzalo Fuentes /

Reuters

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LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

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DIMANCHE 15 MARS 2015, DANS LA SOIRÉE, AU PALAIS DE L’ELYSÉE

Depuis la publication, l’été précédent, du feuilleton du Figaro « Hollande s’en va », la réalité s’acharnait à rattraper la fiction. Sa majorité était en miettes, la croissance en berne et les finances publiques dans un état calamiteux. Dans la tourmente, il avait fait le choix de la social-démocratie, mais il lui en coûtait. Ses pourfendeurs appelaient cela le social-libéralisme. « Foutaises », avait cher-ché à le rassurer son ami Jean-Pierre. « La frontière droite-gauche n’est plus pertinente. Il y a le camp de la réforme et celui de la conser-vation, fût-elle maquillée en populisme. C’est aussi simple que cela », avait asséné le secré-taire général de l’Élysée. Simple ? Voire.Quand, au mois d’août, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon s’étaient mis à ruer un peu trop fort dans les brancards, il leur avait sim-plement montré la porte. Et les deux che-vaux fous avaient quitté l’écurie gouverne-mentale, suivis par la belle Aurélie. Sur quoi était venue la trahison de Valérie, cette « ambitieuse » qu’il avait portée au firmament et qui n’avait pas hésité à bafouer les règles pour assouvir son désir de vengeance. « Cin-quante nuances d’aigrie  », avait moqué Le Canard… Il éprouvait pour eux plus de compassion que de colère. La fuite et la transgression n’étaient pas la liberté. Philip-

pulus, le chroniqueur mystère du Figaro, se trompait. Il ne s’en irait pas, dût-il jouer son pays contre son parti. Avec « Valls 2 », il savait qu’il s’aventurait sur des terres dan-gereuses. Il ignorait alors encore à quel point. À présent, il savait et il était prêt.Il sortit dans le jardin en direction de la rose-raie, foulant le sol détrempé d’un pas léger. Il ne s’était jamais senti ni aussi seul ni aussi fort. Sa décision était prise. Il s’autorisa à se repasser le film des semaines passées, sans craindre d’être saisi par la peur de perdre le contrôle, comme si souvent dans le passé.Les sondages calamiteux, la montée de Marine Le Pen. Tout cela n’était rien à côté de l’engrenage qui s’était enclenché à Mar-seille. En septembre, la Commission euro-péenne avait demandé le remboursement de 200 millions d’euros d’aides… et celui de 220 autres était en suspens. Aucun gouver-nement n’avait jamais eu le courage de se

débarrasser de ce boulet. Il lui était retombé sur le pied. Il n’avait même plus le choix, entre la paix avec Bruxelles au prix de la guerre sociale, et la paix sociale au prix de la guerre avec Bruxelles. Emmanuel Macron avait imposé le redressement judiciaire. Il l’avait laissé faire. Après tout, on l’avait mis là pour ça. Un seul investisseur s’était pré-senté : Xinmao, le même groupe chinois qui avait tenté deux ans plus tôt de mettre la main sur le fabricant de fibres optiques Draka. Cela n’avait pas été du goût des syn-dicats. Sur le Vieux Port, novembre s’était terminé dans une atmosphère insurrection-nelle. Le personnel de la compagnie avait défilé aux côtés de milliers de jeunes révol-tés par le pilonnage de Gaza par l’armée israélienne. « HOLLANDE M’A TUER », scandaient-ils d’une même voix. Deux poli-ciers avaient fini noyés dans le port. Le Pre-mier ministre lui avait présenté sa démis-sion. Il l’avait refusée.Cela avait été le début d’un embrasement national. Sur ce, la fonde était repartie de plus belle. Les ténors du parti qui lui avaient prêté main-forte pour voter la confiance au gouvernement «  Valls  2  » dosaient leur loyauté à l’aune de ses ambitions présiden-tielles. Le front des « anciens » s’était relâché au moment des discussions budgétaires, au point que l’État avait failli commencer 2015 sans budget ! Les coups de semonce de l’Ély-sée étaient restés vains, jusqu’à un certain vendredi 5 décembre.À 19 heures, une explosion avait fait sauter les grilles de la porte 5 du chantier naval STX, à Saint-Nazaire. Depuis la suspension de la vente des Mistral à la Russie, la car-casse du Sébastopol attendait, inachevée, dans un bassin. STX n’avait pas trouvé de nouveau commanditaire. Et le Vladivostok mouillait dans la rade de Brest. Au moment où le mystérieux collectif « Où souffle le Mistral » revendiquait l’attentat, une autre nouvelle tombait sur le fil des agences annonçant la dégradation de la note fran-çaise. C’était la troisième fois en deux ans. « Les conditions politiques et sociales ne nous semblent pas réunies pour mettre en œuvre les mesures destinées à libérer le potentiel de crois-sance, préalable indispensable à la baisse du chômage », avait commenté un économiste de Standard and Poor’s. Sinistre coïnci-dence. « Ceux qui jettent de l’huile sur le feu devront un jour rendre compte au peuple. Les intimidations ne nous font pas peur », avait déclaré le président On ne savait pas très bien qui il visait, de l’agence de notation ou des poseurs de bombe qui avaient revendi-qué l’attentat.« Emmanuel, dis-moi franchement, est-ce que nous avons quelque chose à craindre en dehors du désagrément d’être traité comme des écoliers par ces illustres arrogants qui ont laissé pourrir le système pendant des années ? », avait-il alors demandé à son ministre de l’Économie. « Pas grand-chose », avait répondu l’ancien banquier d’affaires. « La France ne s’est jamais financée à un prix aussi bas », expliqua-t-il

avec cet art de la pédagogie qui lui avait per-mis de faire son chemin, de Rothschild jusqu’au sommet de l’État. « Tant que le sys-tème financier croule sous les liquidités et que nous gardons le cap, il n’y a rien à craindre. »L’avertissement de l’agence s’était révélé salutaire car elle avait également abaissé d’un cran ou deux la note d’une vingtaine de grandes villes françaises. Dans un parlement où 80 % des députés étaient également des élus locaux, cela avait provoqué une onde de choc. Comme par miracle, une dizaine de frondeurs avaient soudainement rejoint l’enclos de la majorité et voté le budget en session extraordinaire. Un 24 décembre. « Joyeux Noël, Monsieur Hollande ! », avait titré Libération. « Quelle bande d’opportu-nistes ! Petite fronde, petite guerre » : tel était le fond de sa pensée.Dans les semaines qui suivirent, le Trésor avait continué ses émissions de dette, sans problème. L’argent ne coûtait plus rien. L’analyse de Macron tenait la route. Le pré-sident se félicitait de son choix. Son jeune ministre rassurait les marchés. Cristallisant l’hostilité de la gauche, il servait de surcroît

de bouclier à Valls. Et l’ancien secrétaire général adjoint avait pris l’habitude de reve-nir régulièrement au Château débriefer le président. Au fond, sa vocation était celle d’un homme de l’ombre, plus que d’un ministre. Mais en ce soir de février où il avait sollicité une nouvelle entrevue, son regard clair, souligné de cernes inhabituellement sombres, avait perdu sa rassurante sérénité.« Nous allons vers des moments difficiles », avait-il commencé.– Il y a un mois tu me disais pourtant qu’il n’y avait rien à craindre.– C’était il y a un mois. Depuis la Réserve fédérale a accéléré son tapering.– Son quoi ?– Disons qu’elle a commencé à refermer le robinet.– Et ?– Et pour le dire vite, les taux vont remonter.– Il y a deux semaines, Trichet m’a dit qu’on ne rejouerait pas le scénario de 1994, que la FED avait préparé les esprits, que le marché anticipait…Mille neuf cent quatre-vingt-quatorze. Les investisseurs qui désertent. Des taux

Le Phénix… ou les 100 derniers jours de François HollandeQuoi de plus stimulant qu’une fiction pour tenter de prévoir le futur d’un quinquennat qui prend des allures de désastre pour la gauche. Un récit où la réalité dépasse parfois l’imagination, comme le départ d’Arnaud Montebourg du gouvernement. Selon un sondage IFOP pour le JDD, plus de huit Français sur dix ne veulent pas revoir François Hollande à l’Elysée en 2017. Mais la prévision est un art difficile, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir…

FLORENCE AUTRETCORRESPONDANTE À BRUXELLESRETROUVEZ SUR LATRIBUNE.FR SON BLOG « VU DE BRUXELLES »

DR

SUR LE VIEUX PORT, NOVEMBRE S’ÉTAIT TERMINÉ DANS UNE ATMOSPHÈRE INSURRECTIONNELLE

FICTION

JEAN-MARC PAUILLUSTRATIONS

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obligataires à plus de 8 %. Il avait fallu revoir le programme d’émissions à la

baisse. Ce n’était vraiment pas le moment.– C’est aussi ce que j’ai pensé. Mais il y a apparemment du nouveau. Les Chinois pro-fitent de l’occasion pour mettre la pression. Ils sont en train de brader les États-Unis comme l’Europe et de ramasser tout le reste. Ils ont peut-être lancé leur offensive finale sur le système de Bretton Woods. Nous ne sommes plus simplement en train de sortir d’un cycle. S’ils sont décidés à sortir de l’hégémonie du dollar, nous allons changer de monde.– Tu es sûr de ça ?– Sûr, non. C’est impossible à vérifier. Mais il y a des mouvements étranges sur le mar-ché depuis quelques semaines. À un mois de l’assemblée de printemps du FMI, peut-être qu’ils cherchent à faire monter la pression. C’est une prise de pouvoir… par le marché.– C’est ironique.– Assez, oui. C’est le monde.– Et que peut-on faire ?– …Le jeune ministre se taisait. « Il a réponse à tout. Si un jour il ne répond pas à une de tes questions, c’est qu’il a une idée », l’avait averti Jean-Pierre quand il le lui avait présenté. Depuis, il avait eu de nombreuses fois l’occa-sion de le vérifier. Il attendit donc que Macron accouche de son idée. Elle était audacieuse, risquée, radicale. Cette histoire de swap de dette géant était une idée de ban-quier. Elle le dérangeait. La prochaine tom-bée obligataire était en avril. Il avait un peu de temps. Et puis qui disait que le locataire de Bercy ne se trompait pas, pour une fois ?Et il avait d’autres soucis. L’épée de Damo-clès d’une motion de censure était désor-mais suspendue au-dessus du gouverne-ment. « Batho et Duflot ont des comptes à régler avec toi. L’UMP n’a plus rien à perdre et de toute façon Valls chasse sur leur terrain », avait résumé Jean-Pierre. Arnaud Monte-bourg, l’enfant terrible du PS, avait choisi le moment de la crise budgétaire pour lancer son « CAMIC », le « Collectif des Antidé-presseurs et des MIlitants de la Crois-sance ». Après avoir été la risée des édito-rialistes, il avait réussi à coaliser divers mouvements hétéroclites, à commencer par les Bonnets rouges qui commençaient à virer à l’orange révolutionnaire. Le retour du « démondialisateur » suscitait une suren-chère anti-européenne à gauche.La tension sociale n’avait cessé de monter jusqu’à ce funeste mercredi 9 mars, où syn-dicats de salariés, agriculteurs, activistes du CAMIC avaient appelé à une manifestation géante « pour l’emploi et la souveraineté ». « @Montebourg Emploi et Souveraineté = Travail et Patrie. Ça ne vous rappelle rien ? », avait tweeté Stéphane Le Foll, le dernier des hollandais. Invoquer Vichy était aussi astucieux qu’in-quiétant. Au moment où le porte-parole du gouvernement balançait son bon mot, la manifestation avait commencé à virer à la tragédie. Parti de la Bastille, le cortège syndi-cal remontait le boulevard Saint-Germain vers l’Assemblée nationale quand il avait été

attaqué par des bandes venues des quais de Seine. Des centaines de milliers de personnes avaient refoulé vers le boulevard Raspail. Là, la foule des manifestants était tombée sur les barrages de CRS qui protégeait le quadrilatère des ministères entre rue du Bac, rue Saint-Dominique, boulevard des Invalides et rue de Sèvres. Des manifestants, passablement émé-chés, s’étaient réfugiés dans les murs du Bon Marché où ils avaient commencé à prendre à partie un groupe de clients chinois en leur criant « RENTREZ CHEZ VOUS, BACK HOME ! ». La direction paniquée avait fait évacuer le magasin côté rue de Sèvres et abaissé les grilles. Quand des rumeurs de tabassage du côté de l’église Saint-Germain avaient commencé à circuler, la foule avait été prise de panique. Il était trop tard pour disperser la manifestation dans l’ordre. Au lieu de rompre le barrage de CRS pour laisser s’évacuer le flot des manifestations rue de Babylone, Matignon avait cru bon de les ren-forcer. La fille d’une institutrice bretonne avait fini écrasée contre les grilles du grand magasin de luxe de Bernard Arnault.Des images de désolation et de vitrines cas-sées avaient tourné en boucle sur les chaînes d’infos toute la soirée. La petite Jodie était devenue une sorte de martyr national. Marine Le Pen était partout, dénonçant « les forces du désordre ». « Quand l’État se retourne contre ses propres enfants, la barbarie menace », disait-elle. L’Intérieur soupçonnait une connexion entre les fauteurs de trouble et les services d’ordre du parti frontiste, sans pouvoir l’établir. Les CRS avaient été tenus pour responsables. Il avait fallu se défaire du fidèle Jean-Marc Falcone, le patron de la police nationale. Rappelé d’urgence d’un déplacement en Corse, Patrick Calvar, dont la haute silhouette avait jadis eu le don d’apaiser le président, s’était montré tout sauf rassurant. Il y aurait d’autres manifes-

tations. Les alertes à la bombe se multi-pliaient. Marseille, Lille, Brest étaient les principaux foyers à risque, lui avait dit le patron de la sécurité intérieure.Le Premier ministre était arrivé dans la soirée au Château après une éprouvante réunion de crise… et avec une nouvelle lettre de démis-sion dans la poche. Le président était résolu à la repousser autant que la première. Et qui d’autre ? Dans l’après-midi, avec son acolyte Jean-Pierre, l’un des rares dont il savait qu’il ne nourrissait pas d’ambitions personnelles, ils avaient passé en revue quelques options. « Fabius ? ». « On en a déjà parlé. Il m’a dit : “Il y a des choses qu’on ne refait pas.” » « Sapin ? ». « J’ai besoin de lui là où il est. » « Le Drian ? » « Idem. » « Najat ? » « Trop verte. Tu la vois présider un conseil des ministres ? Tous ces machos vont la massacrer. » « Ségolène ? » Un ange était passé. Puis il avait lâché : « Elle ne me fera pas ce cadeau. » Le secrétaire général regrettait d’avoir posé la question. Comment détendre l’atmosphère ? « Taubira ? », lâcha-t-il soudainement inspiré. Il avait mis dans le mille : le président éclata de rire.Valls arriva sur ces entrefaites, blême. C’était un battant, mais les événements de l’après-midi l’avaient bouleversé. « Martine ne demande que cela », avait-il insisté. Pour qu’il en soit à proposer la maire de Lille pour lui succéder, celle qu’il accusait sept ans plus tôt de fraude électorale, « Mme 35 heures », cette passion française qu’il avait échoué à déverrouiller, il fallait que la situation fût grave. De toute façon, le président n’avait aucune intention de sortir de son chapeau une « anti-Valls » pour Matignon comme il avait nommé un « anti-Montebourg » à Bercy. Il était trop tard. Au PS, tout le monde se préparait pour une primaire en 2016. La bataille de la présidentielle avait commencé deux ans plus tôt quand la présidente du Front National avait commencé à caracoler

en tête des sondages et à le menacer de « se soumettre ou se démettre ». L’air de rien, tout le monde s’était calé sur cette perspective. La loi des anticipations autoréalisatrices, dont on connaissait les effets dévastateurs dans la finance, s’apprêtait à faire exploser le marché politique. « Manuel, tu dois rester », avait conclu le président. Et Valls avait repassé la Seine sans broncher.Et pour couronner le tout, ce dimanche matin, il avait fallu sacrifier au rituel de la visite à Berlin pour préparer le sommet qui devait se tenir jeudi à Bruxelles. Quand il vivait avec Ségolène, il aurait fait n’importe quoi pour se soustraire aux rituels domini-caux. Mais à ce moment précis, il en était presque venu à les regretter. La chancelière l’avait une fois de plus honoré de sa « liste de courses », cette manière si particulière qu’elle avait d’énumérer des demandes minuscules sans jamais tout à fait abattre ses cartes. Elle ne céderait rien sur les réformes. Ou pas grand-chose. Elle le lui avait fait comprendre lors d’une longue promenade à pied dans un Tiergarten enneigé, bouclé pour l’occasion.« Que se passe-t-il chez toi ? », lui avait-elle demandé très directement. « Les Français ont peur », avait-il répondu. Puis, elle : « Et toi, tu as peur de leur peur ? » Peur de leur

DES IMAGES DE DÉSOLATION ET DE VITRINES CASSÉES AVAIENT TOURNÉ EN BOUCLE SUR LES CHAÎNES D’INFOS TOUTE LA SOIRÉE

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peur ? Il n’avait pas répondu. Angela restait inexorablement hermétique à la logique de Ve République. Elle comptait sur lui pour reconstituer sa majorité. Il le savait désormais impossible. Le suffrage des Fran-çais l’avait investi d’un immense pouvoir, un pouvoir plus grand qu’elle n’en aurait jamais. Comme ses prédécesseurs, il s’était surpris à bénir ces institutions taillées sur mesure pour celui qui avait été l’homme à abattre de la gauche pendant tant d’années. Me voilà gaulliste, pensa-t-il avec amusement. À son tour, il prendrait le pays à témoin.Sur le chemin du retour vers l’aéroport, en plein Mitte, ce quartier où s’effaçaient len-tement les traces du Mur, sous l’assaut des promotions immobilières, la voiture avait longé les hauts murs du nouveau siège du BND, les services de renseignement exté-rieurs allemands. Ce n’était pas un immeuble, c’était tout un pâté de maisons, sorti de terre en quelques années. Il lui était alors revenu à l’esprit cet entretien qu’il avait eu quelques semaines plus tôt avec le patron de la DGSE. Bernard Bajolet était venu demander des crédits, qu’il n’avait pas, pour

moderniser la caserne de l’avenue Mortier. Il s’était justifié en évoquant les investisse-ments de ses confrères allemands. L’Alle-magne avait visiblement des ambitions. Et elle était prête – mais avait-elle le choix ? – à jouer le jeu européen.Devant elle, il avait évoqué la relance de l’Europe de la défense. Créer un vrai pôle européen au sein de l’Otan et des Nations unies. Le moment était venu d’abattre son joker, de mettre sur la table la puissance de son pays. La puissance, contre du temps, contre les moyens de terminer le virage qu’il avait commencé à imprimer à l’été précédent. Il lui manquait, à elle et à ce Bundestag « aussi provincial que puissant », comme l’avait quali-fié jadis un ambassadeur, tout à la fois la mémoire et la culture de l’intervention. L’Al-lemagne était riche d’une universalité cultu-relle, pas politique. Il lui offrait de la partager. Il était renvoyé à cette question embarras-sante : entrerait-il dans l’Histoire comme le président sous lequel son cher pays avait perdu le privilège d’avoir été rangé parmi les puissances victorieuses en 1945 ?Le même jour, Montebourg était l’invité de Jean-Jacques Bourdin. « On est en pleine mas-carade », avait-il dit sur BFM. « Ce n’est plus une présidence c’est une régence ! Anne d’Au-triche gouverne depuis Berlin, Mazarin dicte ses conditions à Francfort », visant Angela Merkel et Mario Draghi. Puis de conclure, fier de son bon mot : « Et à Paris, le souverain attend dans son château que l’on décide pour lui. »« Monsieur Montebourg, en juin dernier, je vous demandais si vous aviez votre lettre de démission dans votre poche. Maintenant que vous avez quitté le gouvernement, les Français aimeraient savoir si vos amis préparent une motion de cen-

sure. » « Je n’ai plus de mandat, mais je suis du côté du peuple », avait été sa seule réponse.À midi, l’enfant terrible du PS laissait un message sur son portable pour offrir ses ser-vices à Matignon. Se poser en Grand Condé à 8 heures, sur les ondes… et se vendre comme le nouveau Mazarin une heure plus tard ! Il ne doutait de rien. Le manque du pouvoir lui faisait perdre le sens des réalités. Montebourg à Matignon, c’était franchir un pas supplémentaire vers l’abîme. Le dégoût et la raison dictaient au président une même réponse : le silence.La politique avait toujours été pétrie d’un mélange de vanité et d’ambition. Et il se connaissait assez pour savoir qu’il n’était pas une exception. Mais depuis qu’il avait fêté ses 60 ans, il se sentait de plus en plus en décalage avec cette génération de jeunes quinquas aux dents longues que rien ne pou-vait arrêter. Peut-être était-il responsable, avec ceux de sa génération, de cette dérive. Peut-être avait-il lui aussi trop calculé, trop tergiversé, trop aimé le pouvoir. À présent, il lui restait à imprimer sa marque sur l’His-toire, ce bain chimique où les événements et les hommes versaient tour à tour d’iné-gales doses de grandeur et de petitesse… et à sauver son quinquennat.Une neige mouillée s’était remise à tomber sur le parc du Château. Il prit la direction de la terrasse qu’inondait la lumière jaune des lustres en cristal. Michel Sapin l’attendait à l’intérieur. Il éprouva le réconfort de se sen-tir entouré. Le pouvoir avait fait de lui un homme seul. Mais il ne l’avait pas changé : il ne serait jamais un solitaire.« Alors, Riga ? », demanda-t-il à son ministre qui rentrait d’un conseil informel dans la

capitale lettone. « Comme d’habitude. Schäuble m’a gratifié d’un regard désolé que je ne lui connaissais pas. Quant à Pierre, je ne l’ai pas trouvé très en forme. Il m’a parlé longue-ment du tintement sinistre des cloches du Dôme, du calvinisme et de je-ne-sais-quoi. » Bruxelles avait rendu Moscovici mélancolique. « Tu sais que Marie-Charline l’accompagne dans ses déplacements, le week-end ? C’était la condition sine qua non pour qu’elle lui suive à Bruxelles. Il m’a dit qu’elle n’arrêtait pas de se plaindre du froid… », avait continué le ministre. « Tu as vu les conclusions du conseil ? »Dans le mail du directeur du Trésor reçu la veille figuraient en gras les ajouts apportés au projet de conclusions du Conseil Ecofin pendant la séance de travail : « Le Conseil a bien pris note de la dégradation de la notation française et ne s’attend pas à ce qu’elle ait un impact sur son coût de financement. Conformé-ment à l’article 126 (7) du traité, il demande par ailleurs aux autorités françaises d’apporter à la Commission des précisions sur les mesures addi-tionnelles qu’il entend prendre pour tenir ses engagements de consolidation budgétaire tout en veillant aux conséquences sociales et aux éven-tuels effets récessifs de telles mesures. » Elles étaient précédées de cette remarque de Bruno Bézard : « Le ministre s’est bien battu. » « Ils sont prêts à attendre 2016. Mais on n’échap-pera pas à un “pacte de responsabilité 2.0”. En revanche, Wolfgang a donné son feu vert pour déduire un tiers des dépenses de défense du défi-cit. Une grosse dizaine de milliards. En y ajoutant deux points de TVA sociale, ce sont 26 milliards de déficit qui pourraient s’évaporer. Un gros 30 %. » De quoi épargner à tout le monde le désagrément de perdre la face. Sur ce, Jean-Pierre Jouyet arriva, presque souriant. Ils étaient heureux de se retrouver tous les trois. Que de chemin parcouru depuis l’époque de la promotion Voltaire et de Coëtquidan ! Le secrétaire général de l’Élysée rentrait de sa mission à Sablé-sur-Sarthe.Leur plan avait commencé à prendre forme au terme d’une réunion de crise qui avait viré au conciliabule nocturne. Le patron du contre-espionnage était formel. En 2017, « les conditions sont réunies pour : petit un la guerre sociale, petit deux une redistribution sans pré-cédent de la carte électorale », avait expliqué le fils de gendarme. Il fallait agir vite, avant que les comités de gauche aient le temps de s’organiser et tant que Sarkozy, poursuivi par les affaires, en était réduit à annoncer son retour… sans pouvoir le faire. L’alliance Juppé-Raffarin-Fillon, nouée au moment de l’affaire Bygmalion, avait fait long feu. Le premier s’était installé à la tête du parti gaul-liste, ou de ce qu’il en restait. Le FN se pré-parait pour les législatives, mais il lui fallait encore douze mois au bas mot, assurait la DGSI. Si le trio Cambadélis-Désir-Guigou réussissait sa campagne, le PS s’en sortirait avec 150 sièges. L’UMP pouvait en espérer tout juste autant…« Il est partant ? », demanda Hollande. « Je crois que tu l’as convaincu », répondit l’an-cien ministre de François Fillon. Le pré-sident n’aurait jamais pensé que l’escapade sarkozienne de Jean-Pierre, qui l’avait privé pendant des années d’une précieuse amitié, lui fournirait un jour la clé de sa survie. « Mais il a posé une condition. Il veut choisir lui-même les ministres UMP. Il m’a dit : “Je ne veux pas d’un gouvernement d’ouver-ture, mais d’une grande coalition.” À l’alle-

« ANNE D’AUTRICHE GOUVERNE DEPUIS BERLIN…ET À PARIS, LE SOUVERAIN ATTEND DANS SON CHÂTEAU QUE L’ON DÉCIDE POUR LUI »

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mande », avait ajouté Jouyet. Fillon, après s’en être arrangé avec le nouveau président du parti, Nicolas Sarkozy, empêtré dans ses « affaires », leur avait promis d’apporter les députés UMP à un gouvernement d’union nationale, contre Matignon. Le reste de l’Assemblée allait être dispersé comme jamais entre Front national et extrême gauche. Et on pouvait toujours compter sur les Verts pour s’auto-dissoudre. D’ailleurs la jeune garde laissait savoir qu’elle était prête à rallier une majorité bicolore contre les nationalistes de droite et la gauche souverainiste.« Je les entends déjà », avait dit Jean-Pierre. Ils vont dire : « Il se prend pour Chirac. » « Ou pour Louis XIV », s’amusa Hollande. Et le secrétaire général de l’Élysée de pour-suivre : « Schröder a dit un jour qu’il rentre-rait dans l’Histoire pour deux choses : ses réformes du marché du travail et le “non” à George W. Bush au moment de la guerre en Irak. Toi ce sera pour avoir provoqué un chan-gement de régime. »Il était tard. Les trois amis se quittèrent de bonne humeur, légèrement grisés par ce secret qu’ils partageraient encore quelques heures. Le président retourna à son bureau, prit une feuille blanche et déboucha un stylo. « Mes chers compatriotes, après consultation du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale, j’ai décidé de dissoudre l’Assemblée nationale… » Il aurait bien le temps de les avertir le lendemain… Sur son bureau, il avait conservé le message de vœu du patron du renseignement : ad augusta per angusta.

ÉPILOGUE. DIMANCHE 7 MAI 2017

Les réunions de rédaction du quotidien Le Monde n’avaient jamais été une prome-nade de santé. Mais les deux années qui venaient de s’écouler s’étaient avérées par-ticulièrement éprouvantes. Le journal repro-duisait en son sein la lutte entre la social-démocratie et la gauche historique. Le choix hollandais divisait. Plus d’une fois l’éditoria-liste avait apporté son soutien au tandem

ENTRETIEN – Jean Peyrelevade

« IL FAUT INSCRIRE L’ENTREPRISE DANS LA CONSTITUTION »

Banquier d’affaires aujourd’hui, ancien directeur adjoint

du cabinet de Pierre Mauroy sous le premier septennat de François Mitterrand, ex-président de Suez, de l’UAP et du Crédit lyonnais, Jean Peyrelevade dresse dans son dernier livre le procès des origines profondes de la névrose française. Et livre quelques pistes originales pour relever le pays, avec une gauche enfin de son siècle.

Vous décrivez un modèle français à bout de souffle. Est-ce vraiment le cas ?Je pense que les Français ne se rendent pas compte à quel point leur modèle est unique parmi les pays développés. Ni à quel point il est historiquement daté. Et donc usé, à l’heure de la mondialisation. Nous vivons encore avec une vision d’un État souverain qui gouverne et régit même la totalité des aspects de la vie en société. L’économie y est une annexe du politique, dont elle procède. Il y a donc une contradiction, de plus en plus marquée et visible, entre notre modèle historique, érigé en système, et la réalité du monde tel qu’il fonctionne désormais, avec la montée en puissance des pays émergents, de la Chine, l’importance accordée à l’innovation, la rapidité des échanges. De là vient, oui, je le pense, la névrose profonde des Français, qui sont, pour leur pays, le peuple le plus pessimiste du monde développé.

Quels sont les blocages qui nous empêchent de nous adapter ?J’en vois trois principaux. Le premier c’est le fait que l’État souverain s’arrête aux frontières. Dès lors que l’on pratique l’échange, nous sommes obligés de renoncer à l’exercice de notre souveraineté et de discuter avec des partenaires libres, et pour lesquels notre conception de l’État est une sorte d’étrangeté. Franchir les frontières, c’est donc déjà abandonner une partie de notre modèle. D’où la tentation de la fermeture.Deuxième blocage, que je développe dans le livre : à partir de la deuxième moitié du xixe siècle, la vie intellectuelle française est dominée par la théorie marxiste, dont je démonte tous les syllogismes. L’un de ses axiomes est quel’entrepreneur ne sert à rien ! Il est présenté comme un exploiteur, qui fabrique de la plus-value sur le dos des travailleurs. Ainsi, le lieu même de la création de richesse, l’entreprise, est, du

point de vue français, jugé comme illégitime. Les racines de ce mal français sont profondes. L’entreprise, étant un lieu de pouvoir intermédiaire qui échappe au souverain, que ce soit le roi ou le peuple, est critiquable par sa nature même. Que dire, dès lors, de l’entrepreneur qui s’est enrichi… Le troisième blocage en est la conséquence logique. C’est Jaurès, aujourd’hui icône aussi bien de la gauche que la droite, ce qui me fait rire, qui déclare : « L’humanité est passée de l’anthropophagie à l’esclavage, de l’esclavage au servage, puis du servage au salariat », horizon ultime de l’exploitation marxiste de l’homme par l’homme. Cette vision domine encore la politique française, jusque dans la Constitution. La liberté contractuelle n’y est pas reconnue. C’est unique au monde, et explique pourquoi notre code du travail est devenu aussi lourd et aussi complexe, avec ses 3 800 articles !

Pour en sortir, vous proposez une nouvelle « constitution économique… » C’est-à-dire ?C’est une façon de provoquer le débat. La Constitution est le texte fondamental, qui fixe les normes permanentes de la vie en société, les valeurs qui s’imposent même au législateur. Je montre dans le livre comment le Conseil constitutionnel, avec le peu de libertés d’interprétation que lui donnent nos textes, s’est efforcé de défendre à plusieurs reprises la liberté d’entreprendre. Mais c’est un combat. Notre Constitution reconnaît l’État, les pouvoirs publics, le gouvernement, le président, et même depuis 1946 sous l’influence du Conseil national de la résistance, les syndicats et les collectivités locales. Les droits des salariés sont constitutionnellement reconnus, mais leur interlocuteur, l’entreprise, n’existe pas. Quel paradoxe et quel aveu ! Elle est une sorte « d’ombre noire » dont on définit les contre-pouvoirs, signe qu’on la considère comme dangereuse. Je propose donc simplement de mettre l’entreprise, comme lieu de création de la richesse produite, dans la Constitution au même titre que les autres acteurs. Et si on ne le fait pas, je demande pourquoi !Quand Manuel Valls s’écrie

devant les patrons à l’université du Medef « J’aime l’entreprise », j’applaudis des deux mains. Mais pourquoi ne pas aller au bout de cette démarche de refondation de notre logiciel en rompant avec la vision franco-française de l’entreprise vue comme un adversaire ? La gauche est encore prisonnière de ses dogmes et la droite, plus souvent nationaliste ou bonapartiste que libérale, est complètement absente sur ce terrain. Depuis Guizot, nous n’avons pas eu un seul homme politique d’envergure ayant affirmé une vision libérale de l’économie. Et depuis Tocqueville (1830) et jusqu’à Raymond Aron, aucun intellectuel important ne se réclame de cette démarche. Quand un homme politique de gauche crie « Vive l’entreprise », il fait

tomber un tabou. Mais la citadelle est encore debout, et c’est ce combat-là que j’attends, avec espoir, pour la présidentielle de 2017. Ce qui est frappant, aujourd’hui, en ces temps de crise et de mutation, c’est le décalage entre la lucidité du peuple sur ce qui nous entrave (ce que montrent les enquêtes d’opinion favorables aux réformes), et la réalité des corporatismes qui se lèvent à chaque fois qu’on envisage de changer les choses. Cette lucidité est une lueur d’espoir. Ce qui manque, c’est l’explication générale de ce que l’on veut faire. Seule une vision globale affichée de manière explicite permettra de faire accepter les réformes et de sortir enfin de cette schizophrénie, que j’appelle la névrose française. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE

Histoire d’une névrose, la France et son économie, Jean Peyrelevade, Albin Michel (218 p., 18 euros).

Hollande-Fillon… et les rédacteurs aux adversaires des réformes. Cela avait été le cas au moment de créer le contrat de travail unique qui rétablissait un peu d’équité sur le marché du travail, ou quand il s’était agi de faire converger les régimes de retraite publics et privés, tout en relevant l’âge de départ à 65 ans. Le sujet le moins contro-versé n’avait pas été le lancement en 2016 de la négociation sur le traité sur la commu-nauté européenne de défense. L’idée de mettre le siège français au conseil de sécurité des Nations unies dans la corbeille avait déclenché une guerre sainte. Le retourne-ment avait eu lieu fin 2015. Le krach obliga-taire annoncé par Macron, qu’il avait main-tenu à Bercy, n’avait pas eu lieu. Les Chinois s’étaient contentés de placer Zhu Min à la tête du Fonds monétaire international quand sa directrice générale avait finalement jeté l’éponge. Pendant l’été 2015, les investisseurs étaient revenus sur le marché de la dette française et les carnets de commandes des champions nationaux avaient commencé à enfler grâce au plan d’investissement géant lancé depuis Bruxelles par Jean-Claude Junc-ker. La gauche du parti avait sombré dans des querelles de personnes, comme le président l’avait prévu. Au point que Cambadélis avait renoncé à organiser une primaire.Et désormais, le peuple avait parlé. La réé-lection du président contre Marine Le Pen à 54 % mettait finalement tout le monde d’accord. En une de l’édition spéciale élec-tion du journal du soir, l’éditorial était sobre-ment intitulé : « Le Phénix. » ■

CETTE FICTION VOUS A PLU !

Écrivez votre fin alternative et soumettez-la à la rédaction de La Tribune à l’adresse suivante : [email protected]

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« SEULE UNE VISION GLOBALE ET EXPLICITE PERMETTRA DE FAIRE ACCEPTER LES RÉFORMES »

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LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

Dans l’inconscient col-lectif français et euro-péen de cette année 2014, la France appa-raît comme une forte-resse immobile au cœur d’un continent en mouvement. Le

centre de cet immobilisme, c’est son sup-posé refus des « réformes structurelles », autrement dit du basculement franc dans une politique centrée sur l’offre et la réduc-tion de la dette. Cette image est-elle juste ? Sans doute, mais en partie seulement.D’abord, il est faux et caricatural d’affirmer que la France est absolument rétive aux « réformes ». Un regard rétrospectif montre qu’elle a beaucoup évolué depuis trente ans dans le sillage d’un mouvement général euro-péen. Depuis les années 1980, la France a largement déréglementé sa vieille économie administrée. Sans être le Royaume-Uni de Margaret Thatcher, l’Hexagone a ainsi connu une vaste libéralisation de son secteur finan-cier, qui a vu disparaître les agents de change et progresser l’économie de marché. Sur le front social, les grandes protections salariales ont été supprimées, notamment l’échelle mobile des salaires en 1982 sous François Mitterrand, ou l’autorisation administrative de licenciement, en 1986 avec Jacques Chirac version Madelin. La France n’a alors pas été en « retard » par rapport à certains de ses voisins. Pour preuve, la Belgique par exemple a conservé une échelle mobile des salaires. Il n’y a donc pas un refus ontologique de la France des « réformes ».Du reste, depuis, le pays n’a cessé de conti-nuer à se transformer. Il a vécu une réforme quasi permanente de son système de retraite à partir du début des années 2000. Le mar-ché du travail a été régulièrement libéralisé, à l’image de ce qui s’est fait dans d’autres pays : annualisation du temps de travail en contrepartie des 35 heures, facilités renfor-cées pour recruter en CDD, possibilité – depuis le dernier accord interprofessionnel de 2013 – pour les entreprises en difficulté de négocier des baisses de salaires et des hausses de temps de travail… Là encore, il

semble difficile de plaider l’immobilité. Pour autant, la France est sans doute allée moins vite et moins loin que beaucoup d’autres pays européens. En Allemagne ou en Scan-dinavie, et plus récemment dans les pays du sud de l’Europe, la libéralisation du marché du travail a été bien plus prononcée.

DES RÉFORMES À L’ÉNORME COÛT POLITIQUE ET SOCIAL

Surtout, la France est restée longtemps à l’écart de la réduction du coût du travail et peine à combler ses déficits publics. Jusqu’à présent, cependant, la France disposait d’un atout, les puissants stabilisateurs automa-tiques de son haut niveau de protection sociale. Le choix fait, à droite comme à gauche, de réformer moins a permis d’amor-tir les chocs. Au prix d’une croissance plus faible, mais plus régulière, assise sur la consommation des ménages, cela a permis de limiter les dégâts en cas de crise. On se souvient ainsi que la contraction du PIB n’a été « que » de 3,1 % en 2009, dans le sillage de la crise de Lehman Brothers, alors que la récession a atteint 5,1 % en Allemagne. Mais la reprise a été beaucoup plus vigoureuse outre-Rhin.

Avec l’entrée des pays du sud, l’Espagne et l’Italie, dans le cycle des réformes, la pres-sion sur la compétitivité française est désor-mais beaucoup plus forte. D’autant que le pays peine à faire monter en gamme son appareil productif et à maintenir un secteur industriel fort, dont le poids a été divisé par deux en dix ans, à 11 % du PIB.Le moment serait donc venu, si l’on écoute ce que dit le gouvernement Valls, de se plier à ces « réformes structurelles » ? Peut-être, mais les expériences européennes montrent que ce choix doit être manié avec précau-tion. Il y a des coûts et des risques impor-tants à bien mesurer. Certes, Mario Draghi a, le 3 septembre, rappelé que « l’absence de croissance était aussi un risque ». Mais, un regard européen montre que le coût princi-pal est d’abord politique. En Allemagne, les réformes Hartz de 2003-2005 ne se sont pas faites dans l’harmonie que l’on décrit parfois. Des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, particulièrement dans l’est : ce sont les « manifestations du lundi » qui reprenaient une méthode utilisée avant la fin de la RDA. La SPD de Gerhard Schröder a payé le prix fort pour ses réformes : un tiers de son élec-torat s’est détourné de lui et l’ancien chan-celier a longtemps été fort peu populaire outre-Rhin. Mais c’est évidemment dans les pays du sud de l’Europe que l’on voit plus clairement les conséquences de ces poli-tiques. Les partis traditionnels reculent par-tout. Ce coût explique certainement l’hési-tation du personnel politique.Viennent ensuite les conséquences sociales. En Allemagne, la pauvreté n’a pas explosé comme on l’entend souvent, mais la préca-rité de l’emploi est devenue courante et les inégalités ont très fortement progressé. En Grèce, la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est passée de 27,6 % en 2010 à 34,6 % en 2013. Si la France décide de renoncer à une grande partie de ses stabilisateurs automatiques, elle devra assumer une progression des inégalités. Là aussi, c’est un danger pour une démocratie fragilisée par un chômage de masse, surtout des jeunes non qualifiés. Enfin, il y a la ques-tion de la méthode et du calendrier. Si les crises sont souvent des moments graves où des réformes sont décidées, ce sont aussi des périodes assez peu propices pour les appliquer. Leur caractère naturellement déflationniste (il s’agit de réduire l’écart

d’inflation avec les États plus compétitifs) fait peser un danger considérable de dépres-sion et d’explosion du chômage. Lorsqu’elles sont appliquées en bas de cycle, sans l’apport d’une politique contracyclique, la note peut être salée : un chômage fort et des struc-tures économiques en lambeaux. Le cas de la Grèce, où la chute cumulée du PIB a été de 25 %, est un exemple frappant, mais les effets positifs durables des réformes en Italie et en Espagne, où les PIB se sont contractés de 10 %, restent à démontrer.

L’ALLEMAGNE, UN FREIN AUX RÉFORMES… EN FRANCE

En réalité, là où les réformes peuvent se tar-guer d’un certain succès, c’est lorsqu’elles se sont faites dans des conditions favorables et avec des politiques d’accompagnement. Les pays scandinaves dans les années 1990 ont ainsi profité à la fois de dévaluations qui ont soutenu la demande interne et d’une reprise rapide, à partir de 1995, des investissements technologiques et du commerce. En Alle-magne, Gerhard Schröder a, en 2003, négocié avec Jacques Chirac une suspension de fait du traité de Maastricht pour pouvoir contre-balancer les effets de ses réformes. Lorsque ces dernières sont entrées en vigueur, l’Alle-magne a bénéficié de la reprise mondiale.Autrement dit, la France, dans la situation actuelle, ne peut réaliser de façon raisonnable des réformes que si elle est soutenue de l’extérieur : soit par délai raisonnable dans le respect des règles européennes de réduction des déficits ; soit par un euro moins fort et un vaste plan de relance au niveau du continent. L’incapacité de l’Europe et particulièrement de l’Allemagne à offrir ce cadre nécessaire aux réformes structurelles a été jusqu’ici un frein à la mise en place de ces réformes. C’est, du reste, la position désormais offi-cielle des gouvernements français et italien. Mais le risque principal serait que l’on exige de ces gouvernements à la fois des réformes structurelles et une accélération de la conso-lidation budgétaire. Dans ce cas, ne rien faire pourrait coûter moins cher.Reste enfin la question des structures des économies. Lorsque l’Allemagne a entamé son processus de réforme, elle demeurait une puissance industrielle et exportatrice. Jouer sur le coût du travail dans les services permet-tait de dynamiser les marges et de maintenir une inflation faible, assurance d’une certaine modération salariale. Mais dans une écono-mie peu industrialisée et peu ouverte vers l’extérieur, ce processus conduit à une spirale déflationniste qui détruit une grande partie du tissu industriel. Seul un retour des inves-tissements étrangers peut alors faire repar-tir la machine. Et cela prend beaucoup de temps. L’exemple grec est le cas d’école de cette erreur. La France, désormais désindus-trialisée, doit se méfier de ce danger. Sans compter que si tous les pays actionnent en même temps le levier des réformes, alors une compétition nocive au moins-disant sur le coût du travail peut se déclencher. Ce qui causerait alors une guerre à la compétiti-vité par la déflation, quand jadis on menait le même combat à coup de dévaluations inflationnistes. ■Source : Eurostat

La France s’éloigne du cœur européenDette publique et déficit public dans la zone Euro, en % du PIB, en 2013.

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La France est-elle une exception en Europe ?

RÉFORMES

La France est jugée « immobile » en matière de réformes au regard du reste de l’Europe. Mais cette vision est-elle juste ? Et comment expliquer ce « retard français » ?

ROMARIC GODIN

@RomaricGodin

Au printemps dernier, une cinquantaine de manifestations contre la politique d’austérité européenne se sont déroulées à Madrid et dans plusieurs autres villes d’Espagne© JAVIER SORIANO / AFP

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I 11LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

LA TRIBUNE – Quel regard portez-vous sur la situation économique actuelle ?LAURENCE PARISOT – L’économie fran-çaise est dans un état préoccupant. Mais le plus grave, c’est que les Français ont perdu confiance en la capacité de notre pays à rebondir. Ils sont d’autant plus anxieux qu’ils ne voient pas quelles pourraient être les solutions pour sortir de la crise.

Ce pessimisme vous inquiète ?Oui, car il paralyse. On dit souvent que croissance rime avec confiance, mais l’in-verse vaut également. Bien sûr, certaines situations personnelles sont très délicates. L’augmentation continue du nombre de demandeurs d’emploi est terriblement anxiogène. Mais l’économie tricolore a de nombreux atouts à faire valoir et il faut bien arrêter l’autocritique ! Je note avec satisfaction que la France a cessé de perdre des places au classement de l’attractivité établi par le Forum économique mondial, grâce à l’accord sur le marché du travail de janvier 2013. C’est un début.

Selon vous de quel mal principal souffre le pays ?Le problème est certes économique. Mais il est aussi politique. Ayant vu les choses avec la double casquette de présidente du Medef et de chef d’entreprise de l’IFOP, j’en suis arrivée à la conviction que notre premier problème est institutionnel. Dans le monde actuel, il faut aller vite. Or nos institutions, très solides – et c’est l’œuvre du général de Gaulle –, ne permettent pas de réagir convenablement dans un monde incertain où s’enchaînent les crises financières et géo-politiques. Il faut de nouveaux mécanismes qui laissent du jeu aux différents acteurs. En Allemagne ou en Suisse, la structure fédé-rale des États permet de ne pas concentrer l’ensemble des pouvoirs dans les mains d’un seul homme, comme en France. Je salue sur ce point la réforme territoriale, portée par le président de la République. Elle est importante et courageuse, mais il ne faut pas s’arrêter là. Les nouvelles régions devront se penser différemment et se placer dans une dimension européenne.Le mode de scrutin français entraînant une bipolarisation de la vie politique empêche aussi le vote de certaines réformes : provo-quons un débat institutionnel sur ces ques-tions qui dépassent le clivage droite/gauche et trouvons de nouvelles majorités ! Ce sera, de plus, nécessaire pour lutter contre la montée des extrêmes, notamment du Front National !

En déployant une politique de l’offre, le gouvernement a-t-il pris la mesure des maux qui paralysent les entreprises ?En partie. Les efforts du gouvernement sont louables. Le crédit d’impôt pour la compé-titivité et l’emploi [CICE] est une mesure utile car elle permettra de relancer l’inves-tissement des entreprises. C’est un point essentiel, car sans investissement, les entre-

prises continueraient à perdre du terrain face à leurs concurrentes étrangères. Je regrette toutefois que cette stratégie n’ait pas été mise en place plus tôt, dès 2006, lorsque la compétitivité des entreprises a commencé à décrocher nettement. Je regrette également que l’on continue à créer une ligne de démarcation entre l’industrie et les services, alors qu’ils sont le principal moteur de l’économie française et qu’il n’existe presque plus d’acteur industriel pur. Tous les grands noms de l’industrie ont depuis longtemps développé des activités de services sans lesquelles ils ne pourraient faire progresser leur chiffre d’affaires.

« LES ENTREPRISES DEVRAIENT POUVOIR ADAPTER LEURS HORAIRES EN FONCTION DE LA CONJONCTURE »À cause de cette distinction factice, l’imma-tériel et le numérique voient leurs possibi-lités de développement bridées, alors qu’ils pourraient être les pôles de croissance du futur. Il y a urgence à créer des outils notamment dans le domaine de la fiscalité du capital et dans le droit du travail enfin adaptés à la modernité de ces entreprises.

Faut-il également relancer la demande ?Oui, mais à l’échelle européenne. Si les car-nets de commandes ne se remplissent pas, l’aversion au risque restera élevée dans les entreprises. Les embauches, l’innovation et les exportations ne doivent pas rester blo-quées. Mais au regard de l’état des finances publiques, déployer une stratégie de relance est quasiment impossible !C’est précisément pourquoi l’Union euro-péenne doit intervenir, notamment via l’émission de project bonds qui financeraient des programmes de grands travaux capables de mobiliser les entreprises européennes, de stimuler les énergies et favoriser les synergies entre elles. Une telle stratégie donnera aux citoyens européens l’image concrète du futur de l’Europe. J’ai accueilli avec enthousiasme le lancement en juillet du premier project bond français et euro-péen, lié au très haut débit. Mais il faut aller beaucoup plus loin.

Avez-vous des exemples en tête ?La transition énergétique est dans tous les esprits : pourquoi l’Europe ne mobiliserait-elle pas les constructeurs automobiles, les électriciens et les opérateurs de travaux publics européens en finançant, via des pro-ject bonds, les équipements et les infrastruc-tures ouvrant la voie au développement du véhicule électrique ? D’une manière géné-rale, la question des réseaux d’énergie peut être au cœur de la croissance européenne.

Relance des débats sur les 35 heures, sur les seuils sociaux… Avez-vous le sentiment que ce sont là les vraies pistes pour favoriser l’emploi ?Je n’aime pas que des débats aussi fonda-mentaux soient devenus des totems, pure-ment symboliques, mais ayant force de rassemblement. Les 35 heures en sont un, si bien qu’on ne peut plus en parler. Les entreprises devraient pouvoir adapter leurs horaires en fonction de la conjonc-ture et du carnet de commandes. Il y a bien eu des assouplissements techniques permettant de moduler le temps de travail, mais ni les DRH ni les hommes politiques n’osent aborder le sujet. On constate une situation de blocage. De même sur les seuils : or, si l’on dépla-çait les curseurs, par exemple en instau-rant les nouvelles obligations à partir de 80 salariés et non plus 50, cela aurait un effet, pas massif certes, mais néanmoins sensible sur l’emploi.

Y a-t-il une réforme, un projet que vous regrettez de ne pas avoir portée quand vous étiez à la tête du Medef ?Oui, j’ai un regret. Celui de ne pas avoir eu le temps de porter la réforme des prud’hommes. Il y a en France un million

d’entreprises qui ont entre 1 et 10 sala-riés. Elles craignent de grandir par peur de se heurter systématiquement aux prud’hommes en cas de licenciement. Un système moins anxiogène serait plus fructueux. Il faut des magistrats profes-sionnels pour remplacer les actuels juges élus par leurs pairs. La décision prud’ho-male est aujourd’hui paritaire, cela conduit à des marchandages sous prétexte de recherche de consensus entre représen-tants des salariés et employeurs. Ce qui est totalement bancal et n’apporte pas l’assurance du droit. Voilà ce qui inquiète les entreprises et empêche les TPE d’être le gisement d’emplois attendu.

On vous prête l’envie d’entrer dans l’arène politique ?En fait, je me veux comme force de pro-positions. Mais, j’attends de voir ce qui va se passer dans les semaines et mois à venir, et je suis bien certaine que beaucoup de choses vont arriver à l’UMP, à l’UDI et au PS. En revanche, j’ai un engagement extrêmement clair contre l’extrême droite et Marine Le Pen. Et puis, il n’y a pas que la politique, il peut y avoir des engage-ments via l’entreprise, là où des innova-tions européennes sont possibles. ■

ENTRETIEN

Laurence Parisot, vice-présidente de l’IFOP

« Le premier problème de la France, ce sont ses institutions »Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef, livre son diagnostic sur l’état de la France. Pour elle, les institutions ne sont plus adaptées à un monde en perpétuel mouvement. Elle donne aussi son avis sur la politique de l’offre, la construction européenne… Elle ne nie pas vouloir entrer bientôt dans l’arène politique.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CHRISTOPHE CHANUT ET FABIEN PILIU

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L’ÉVÉNEMENT12 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

Soudée, bloquée, atone, les adjectifs ne manquent pas pour qualifier l’économie française. Est-ce grave ? Certes, par rapport à ses voisins, hors Allemagne et Royaume-Uni, le pays n’a pas à rougir. Reste que le tableau n’est pas glorieux. Le gouvernement espère un choc de relance salutaire en Europe qui accompagnerait une accélération des réformes pour déverrouiller la croissance.

En panne… Comme au premier trimestre, la croissance a été nulle au deuxième. Et promet de rester plate jusqu’à la fin de l’année. Une « perfor-mance » qui aurait pu être encore plus déce-

vante si la consommation des ménages n’avait pas résisté, compensant en partie l’atonie désespérante du commerce exté-rieur et la chute de l’investissement des entreprises. « Alors qu’il avait progressé au cours des trois derniers trimestres de l’année 2013, l’investissement productif a enregistré au printemps 2014 un second trimestre consé-cutif de recul, au rythme de 3,2 % par an », observe l’économiste Philippe Crevel.Résultat, avec un acquis de croissance de 0,3 % seulement à mi-année, le gouverne-ment a été contraint de réviser deux fois sa prévision de croissance. Désormais, Michel Sapin envisage une croissance

annuelle de 0,4 %, loin du 1 % anticipé encore en avril. Pour 2015, au lieu du 1,7 % escompté, le projet de budget 2015 ne tablera que sur 1 %, avec pour conséquence le maintien des déficits publics au-dessus de 4 % du PIB pour encore deux ans. Une fois de plus, la France devra négocier avec Bruxelles et Berlin un délai pour revenir sous les 3 %, désormais promis pour… 2017.« La conjoncture est maussade comme l’a été la saison estivale dans de nombreuses régions. La stagnation du deuxième trimestre a tué dans l’œuf tout espoir de reprise à court terme. Cette mauvaise passe a été confirmée par l’enquête de l’Insee sur le climat des affaires en France pour le mois d’août. Cet indicateur perd un point dans l’industrie, le bâtiment et les services. Il perd neuf points dans le com-merce de détail », observe Philippe Crevel qui anticipe une croissance annuelle de 0,3 % seulement. Publié en août par Markit, l’indice PMI des directeurs d’achats dans le secteur manufacturier n’est guère plus

enthousiasmant puisqu’il s’est replié de 47,8 en juillet à 46,9 en août, affichant son plus faible niveau depuis mai 2013. Quant à l’indicateur de retournement de l’Insee qui permet d’apprécier un éventuel chan-gement de conjoncture, il reste dans la zone indiquant une situation défavorable. Dans ce contexte, la hausse continue du nombre de demandeurs d’emploi ne peut surprendre (lire page 14).L’année dernière, après avoir avoué son erreur de diagnostic sur l’état de l’écono-mie française, quatre ans après la crise de 2008-2009, François Hollande a com-

mencé à réagir. Le rapport Gallois fut le coup d’envoi d’une politique de l’offre visant tout particulièrement à abaisser un coût du travail dont le niveau jugé trop élevé serait, si l’on en croit le Medef, la cause essentielle des maux de l’économie française. Pour amplifier le pacte de com-pétitivité, qui a créé le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), le chef de l’État a proposé un pacte de responsa-bilité et de solidarité en janvier. Voté en juillet dernier, il allégera sur trois ans de 30 milliards d’euros le poids des charges patronales, un allégement auquel s’ajoute-

La France engluée dans une croissance molle

ENTRETIEN – Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence

« LA FRANCE NE DOIT PAS AVOIR PEUR DE LA CONCURRENCE »

Pour Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, l’État doit

devenir le garant des libertés économiques et lever les verrous qui freinent la croissance de certains secteurs clés, comme les transports, bouleversés par les révolutions technologiques.

Vous avez présenté en juillet une série de propositions pour « libérer l’économie ». Pensez-vous que notre pays soit bloqué ?Non, la France n’est pas bloquée, mais il y a des verrous qu’il faut faire sauter. La France est un vieux pays, dont nous avons toutes les raisons d’être fiers, mais les ruptures technologiques sont là et s’accélèrent : regardez l’irruption des smartphones dans l’univers des taxis et VTC, l’explosion des sites de covoiturage, l’économie numérique. Ces ruptures technologiques, sur lesquelles nous n’avons pas de prise, mettront à bas les vieux équilibres sans que les acteurs y soient préparés. Anticipons et organisons

ces ruptures, ces passages de relais, plutôt que de les subir. Soyons les acteurs de ces révolutions plutôt que les sujets. Or, un certain nombre de règles, anciennes, pénalisent le développement de certains secteurs de l’économie. En levant ces restrictions, nous pourrions libérer les énergies et inviter ceux qui veulent prendre des risques à innover. L’Autorité de la concurrence a mis de nombreux sujets sur la table depuis cinq ans, en menant des enquêtes sectorielles sur la publicité en ligne, les gares et le transport intermodal, le transport par autocar, la réparation automobile, les jeux en ligne, la santé et les médicaments. Grâce à ce pouvoir important acquis en 2009, nous pouvons prendre la parole et faire bouger les lignes en choisissant chaque année des secteurs dans lesquels nous pensons qu’il est possible de lever les obstacles à la croissance et à l’innovation. C’est un enjeu de compétitivité qui se traduit aussi par des gains en matière d’emploi et de pouvoir

d’achat des ménages. Je me réjouis donc que le gouvernement ait annoncé l’adoption prochaine d’un projet de loi sur la croissance qui va reprendre certaines de nos propositions.

Quels sont ces « points de blocage » ?Ils sont très variables d’un secteur à l’autre. Prenons par exemple les transports – troisième poste de dépenses des ménages et qui relève de dépenses contraintes : nous avons identifié plusieurs axes de déverrouillage. La France est l’un des rares pays européens où l’offre de transport par autocar entre grandes villes est bridée par une réglementation malthusienne, du fait d’une transposition a minima d’un règlement européen, alors que ce secteur est en plein développement au Royaume-Uni et en Allemagne. Seul le cabotage sur une ligne internationale est autorisé et il est soumis à de multiples contraintes : le chiffre d’affaires généré ne doit pas dépasser 50 % du chiffre

d’affaires du transporteur, les passagers nationaux ne doivent pas représenter plus de la moitié des voyageurs et les dessertes de villes sont interdites au sein d’une même région ! Nous proposons un système d’autorisation de plein droit sur les lignes de plus de 200 km, et un système transparent et plus rigoureux (mise en œuvre d’un test économique) en deçà Cette libéralisation pourrait avoir un impact quant aux emplois et créer un effet « d’induction », l’augmentation de l’offre et la baisse des prix créant la demande. On l’a vu dans l’aérien, les compagnies low cost ont permis à des Français qui ne prenaient pas l’avion de voyager. Or, on le sait, certaines personnes n’ont aujourd’hui pas les moyens de prendre le train, dont les billets peuvent être chers quand ils sont achetés au dernier moment. Le succès du covoiturage témoigne bien de l’existence de cette demande latente. Nous avons également rendu un avis en décembre dans le conflit

entre taxis et VTC, nous prononçant contre les restrictions au développement de ces derniers.Autre exemple, l’entretien et la réparation automobile, le poste de dépenses des ménages qui a le plus augmenté en dix ans d’après l’Insee. La France est l’un des derniers pays d’Europe où l’on protège le monopole des constructeurs sur les pièces de rechange visibles (ailes, capots, pare-chocs, etc.). Nous sommes favorables à une ouverture

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PAR FABIEN PILIU

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Pour le nouveau ministre de l’économie, Emmanuel Macron, la France est « malade » et il n’y a pas d’autre choix que de réformer. © Philippe Wojazer / Reuters

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I 13LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

ront 11 milliards de baisses d’impôts. Rare-ment, sinon jamais, un gouvernement sur-tout de gauche n’aura fait autant en faveur des entreprises. Au risque de déstabiliser sa majorité et ses électeurs.Pour autant, ce pacte ne suffira pas à lui seul à résoudre les difficultés de l’écono-mie française, qui ne se résument pas à un problème d’offre. À quoi sert-il de restau-rer la compétitivité si la demande est atone, d’autant plus que l’activité des entreprises sera mécaniquement touchée par les 50 milliards d’euros d’économies sur la dépense publique prévues d’ici à 2017 ? Ceci est d’autant plus vrai que, dans le cas de la France, la dépendance euro-péenne est forte. Près de 60 % des expor-tations prennent la direction de la zone euro. Dans ce contexte, on comprend l’acharnement de l’exécutif à réclamer auprès de Bruxelles un plan de relance capable de sortir la zone euro de l’impasse économique dans laquelle elle se trouve actuellement.

UNE MARGE DE MANŒUVRE LIMITÉE

En attendant que les 300 milliards d’euros du plan de relance proposé par Jean-Claude Juncker, le président de la Com-mission européenne, soient injectés dans les pays de la zone euro, quelles solutions s’offrent à Emmanuel Macron, le nouveau ministre de l’Économie, alors que se profile la présentation du projet de loi de finances 2015 ?Austérité oblige – même si le gouverne-ment devrait à nouveau obtenir un peu de souplesse de la part de Bruxelles en matière de réduction du déficit public  –, la marge de manœuvre de Bercy est limitée. Quelques baisses d’impôts accordées aux ménages modestes, voire aux classes moyennes, ne suffiront pas à relancer la machine. La seule bonne nouvelle, pour les exportateurs, est le repli de l’euro, depuis la baisse des taux de la BCE, mais en

contrepartie, il augmentera la facture des produits importés.Au pied du mur, le gouvernement a décidé d’accélérer les « réformes structurelles » pour lever certains blocages qui paralyse-raient les énergies. Régulièrement récla-mées par Bruxelles et les institutions inter-nationales (FMI, OCDE…), celles-ci ont l’avantage d’être peu coûteuses. Mais elles bousculent l’opinion publique et les parte-naires sociaux, au risque de provoquer un autre blocage, social celui-là. Certes, cer-taines réformes, comme la simplification administrative et des normes, la flexibilité du marché du travail via l’Accord national interprofessionnel (ANI) signé en jan-vier 2013, ont d’ores et déjà été lancées. Mais l’exécutif voudrait aller plus loin, pour donner des gages à Bruxelles en échange de sa clémence sur la question de la réduction du déficit public.Avant l’été, et avant sa démission du gou-vernement, Arnaud Montebourg avait ainsi annoncé une loi de croissance et de pou-voir d’achat qui devait notamment s’atta-quer aux professions réglementées, comme le suggérait le rapport Attali commandé sous Nicolas Sarkozy. Objectif, redonner 6 milliards d’euros aux Français en faisant baisser certains prix dans des secteurs en monopole. Sans surprise, Emmanuel Macron, qui fut le rapporteur de la com-mission pour la libération de la croissance, a promis de poursuivre ce chantier. De son côté, pour redresser la compétitivité des entreprises exposées et réduire le déficit des échanges extérieurs de la France, France Stratégie propose de réformer le marché des biens et des services des sec-teurs abrités de l’économie comme l’im-mobilier, les services aux entreprises, les services juridiques et comptables. « Il faut gagner en productivité dans ces secteurs et veiller à la modération salariale », explique le think tank du gouvernement dédié à la prospective, lointain successeur du Com-missariat au plan.La réforme annoncée du travail du dimanche, qui serait assoupli dans cer-

taines zones, la modification des seuils sociaux sont aussi à l’étude. Quant à l’as-souplissement du contrat de travail et à la réforme des 35 heures, on ne sait pas encore si le nouveau ministre de l’Écono-mie osera s’y attaquer même si, depuis l’entretien accordé au Point fin août, on connaît avec précision le fond de sa pen-sée… Recevra-t-il l’aval de l’Élysée ? Il serait, sur ce point, sur la même lon-gueur d’ondes que Laurence Boone, la nouvelle conseillère économique de Fran-çois Hollande.Les enjeux sont énormes. Si la panne de croissance se pro-longe au cours des prochains trimestres, cela aura des répercussions graves sur un pays en pleine déprime. En particulier, si

progressive de ce marché, afin de laisser le temps aux constructeurs de s’adapter et de revoir leur modèle économique. Il est sain que s’établisse une vraie concurrence par les prix et que les consommateurs ne soient pas captifs. Nous avons estimé que cette réforme pourrait faire baisser les prix des pièces détachées de 6 % à 15 %, ce qui n’est pas négligeable. La France nourrit aussi beaucoup de tabous sur le permis de conduire. Pourquoi exiger des auto-écoles qu’elles aient un local d’une superficie minimale ? Cela freine l’arrivée d’opérateurs « virtuels » et l’enseignement en ligne du code.Dans le secteur de la santé, nous avons ausculté toute la chaîne du médicament et recommandé, en nous appuyant sur l’exemple italien, de lever le monopole officinal sur les médicaments non remboursables et sans ordonnance. Nous avons relevé, pour l’automédication, des prix variant de 1 à 4 d’une pharmacie à l’autre, signe que la concurrence n’est pas très forte entre elles. Pourquoi ne pourrait-on pas autoriser la distribution de ces médicaments, sous le contrôle d’un pharmacien diplômé,

en parapharmacie ou en grande surface dans un coin spécialisé ? Nous avons également beaucoup encouragé le développement de la vente en ligne des médicaments non remboursables, qui permettra l’essor de nouveaux services pour les patients et est une opportunité pour les pharmaciens qui choisiront d’investir ce canal de vente souple et moderne.

Les professions réglementées, à propos desquelles le gouvernement vous a saisi pour avis, sont-elles un mal français ?Nous ne sommes pas le seul pays à avoir des professions réglementées, mais un des rares à n’avoir pratiquement pas bougé sur le sujet. L’Italie a procédé à la déréglementation de ces professions, le Royaume-Uni aussi. La France est un peu engluée dans une situation qui était déjà dénoncée dans le rapport Rueff-Armand… qui avait été commandé par le général de Gaulle en 1960 ! Ce rapport livrait un diagnostic lucide et acéré sur les rentes et les monopoles injustifiés de certaines professions réglementées. La commission Attali a renouvelé ce diagnostic en 2008 avec la même acuité, mais les mesures prises ont

été extrêmement limitées. Je me réjouis donc que le gouvernement ait mis ce chantier à l’ordre du jour.Dans le cadre de la saisine du gouvernement, nous travaillons plus spécifiquement sur les professions juridiques – notaires, huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce, commissaires-priseurs judiciaires, etc. L’idée est de réfléchir à la ligne de partage entre ce qui relève des activités de service public et ce qui pourrait être davantage ouvert à la concurrence. Nous allons aussi nous pencher sur les tarifs de ces professions, qui sont régulièrement réévalués en fonction de l’inflation, mais jamais véritablement repensés dans leur structure, alors que de nombreux gains de productivité sont inévitablement intervenus, avec l’informatisation par exemple : les prix reflètent-ils les coûts réels ?

Les blocages français sont-ils culturels ?Notre culture économique, depuis la Révolution, repose sur un postulat : le politique doit primer sur l’économie, car il est plus légitime, comme l’explique Jean Peyrelevade dans son

dernier livre (lire son interview page 9). Notre Constitution mentionne à peine le mot entreprise. En matière de politique économique, les Français se tournent vers l’État, demandent qu’il protège, réglemente, intervienne, et lui font plus confiance qu’à la liberté et à l’inventivité des acteurs économiques.Lorsque la technologie impose des choix voire des révolutions, l’État a tendance à davantage écouter la voix de ceux qui veulent être protégés des « barbares » à leurs portes, qu’à aider les plus dynamiques à se développer. Mais ceci est vain car la technologie se joue des frontières et ces nouvelles entreprises se défient des normes publiques.L’État doit donc changer de rôle. Il ne doit pas être seulement protecteur. De gérant de l’économie, il doit devenir le garant des libertés économiques. Il faut encourager ceux qui prennent le risque d’innover. Cette culture du risque existe, nous avons un tissu d’entrepreneurs et beaucoup de jeunes pousses, notamment dans le numérique, mais ils se heurtent aux tenants des vieux équilibres qui défendent le statu quo.

Est-ce la culture de la concurrence qui nous fait défaut ?Notre pays a progressé ! Quatre-vingt-un pour cent des Français perçoivent la concurrence comme quelque chose de positif, 87 % comme un levier de compétitivité, 82 % considèrent qu’elle offre une liberté de choix, selon un sondage que nous avions fait réaliser par TNS Sofres en novembre 2011. Mais les Français sont pétris de contradictions et peuvent rejeter en tant que salariés ce qu’ils réclament à cor et à cri comme consommateurs. Notre rôle est de faire la pédagogie de la concurrence, d’expliquer qu’elle est dans l’intérêt de tous sur le long terme, y compris celui des entreprises. Les bénéfices se traduisent en effet non seulement par une baisse du coût de leurs intrants (factures télécoms, énergie, etc.), mais aussi par l’effet d’entraînement en aval. L’exemple de l’aérien en est une illustration : quand l’activité de transport se développe, c’est tout un écosystème qui en recueille les fruits : hôtellerie, restauration, musées, etc. La France ne doit pas avoir peur de la concurrence. ■

PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CUNY

Source : Bruegel

En panne, la croissance française décrocheTaux de croissance trimestriel en rythme annualisé.

Royaume-UniAllemagne Espagne ItalieItalie UE 28France

-2 %

-3 %

T2

2012

T3

2012

T4

2012

T1

2013

T2

2013

T3

2013

T4

2013

T1

2014

+3 %

+2 %

+1 %

0 %

-1 %

l’investissement – surtout les investisse-ments innovants – ne repart pas, la France continuera de perdre du terrain dans le domaine technologique, effaçant les éven-tuels gains de compétitivité permis par le pacte de responsabilité. D’autre part, une croissance molle ne pourra pas permettre à la France de respecter ses engagements vis-à-vis de Bruxelles en matière de réduc-tion des déficits publics, écornant une cré-dibilité déjà entamée. Comment réagiront les marchés qui, jusqu’ici, permettent à la France de s’endetter au moindre coût (1,3 % à dix ans) ?Enfin, sur le plan politique, François Hol-lande ne pourrait sortir indemne si la conjoncture ne s’améliore pas, comme il en fait le pari depuis deux ans, sans succès pour le moment. Sans un redémarrage de la croissance et une véritable inflexion de la courbe du chômage, il reconnaît lui-même n’avoir aucune chance de se repré-senter en 2017. ■

6 milliardsd’euros, c’est le montant que la réforme des professions réglementées est supposée redonner aux Francais.

DÉBLOQUER LA FRANCE

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L’ÉVÉNEMENT14 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

Mai 2012, François Hollande entre à l’Élysée, la France compte 2 922 100 demandeurs d’em-ploi inscrits en catégorie « A » en

métropole. Vingt-deux mois plus tard, fin juillet 2014, ils sont 3 424 000, soit 500 000 de plus. Quant au taux de chômage, il flirte avec les 10 % et ni l’Insee ni l’OCDE n’envisagent de recul avant, au mieux, la fin de 2015. Pis, le pays est quasi en panne en termes de créa-tion d’emplois.La France est malade de son chômage avec toutes les conséquences désastreuses qui en découlent, tant au niveau personnel que col-lectif. Cet échec sur le front de l’emploi est la principale raison du désamour entre les Français et François Hollande. Sans parler des conséquences financières. L’assurance chômage perd environ 4 milliards d’euros chaque année, et sa dette cumulée atteindra 21,3 milliards d’euros à la fin de 2014.

1,5 %, C’EST LE MINIMUM DE CROISSANCE NÉCESSAIRE

Pourquoi la France, à la différence de certains pays à l’économie comparable, n’arrive pas à se guérir de son chômage ? Où sont les freins ? À sujet compliqué, réponses multiples.La conjoncture, en premier lieu. Avec un PIB qui ne décolle pas, il ne peut y avoir de créa-tion d’emplois dans le secteur marchand. Selon les dernières prévisions de Bercy, le PIB ne devrait croître que de 0,4 % cette année, contre le 1 % initialement prévu. En 2015, ce serait 1 %. Or, pour parvenir à inver-ser la courbe du chômage, il faut au moins 1,5 % de croissance. Notamment parce que la France, à la différence de la plupart de ses voisins – notamment l’Allemagne –, a la chance de bénéficier d’une démographie active. Mais en matière d’emploi, ceci a un effet pervers : il faut parvenir à créer plus d’emplois que le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail. Un objectif rendu encore plus compliqué par la succession des réformes des retraites, qui ont pour consé-

quence de retarder l’âge de cessation d’acti-vité. Résultat, selon l’Insee, en 2014, la popu-lation active devrait s’accroître de 124 000 personnes, en solde net.Autre point saillant, les entreprises n’ont pas besoin d’embaucher… Non seulement parce que leurs carnets de commandes sont loin de faire le plein, mais aussi parce qu’elles pos-sèdent des réserves en interne. Pour preuve, dans ces enquêtes conjoncturelles, lorsque l’Insee demande aux entreprises si elles pour-raient augmenter leur production sans embaucher, une écrasante majorité répond positivement. « Nous avons calculé qu’il existait un sureffectif d’environ 210 000 salariés dans les entreprises », explique Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)… En d’autres termes, tout cynisme mis à part, depuis 2008 les entreprises françaises n’ont pas autant ajusté à la baisse leurs effectifs que la conjoncture l’imposait, même si une avalanche de plans sociaux a créé un effet de loupe. Ce que confirme l’ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot : « Je me souviens qu’avec d’autres chefs d’entreprise, en 2009, nous nous sommes dit qu’il fallait au maximum maintenir les emplois. Cela nous a beaucoup coûté. »Bien entendu, il n’y a pas que les raisons conjoncturelles. Le mal français du chômage a de profondes racines. Notre pays souffre de longue date d’une inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi.

GÉNÉRALISER LA FORMATION POUR MONTER EN GAMME

Malgré de sérieux progrès, les jeunes géné-rations n’ont pas toujours en poche le diplôme ou la formation qui leur permettrait d’accéder plus facilement au marché du tra-vail. La formation en alternance et l’appren-tissage restent toujours le parent pauvre du système. Et la formation des demandeurs d’emploi est trop longtemps restée en friche.De timides ébauches de réponse se font jour. Ainsi, en 2013, le gouvernement Ayrault a lancé un plan de formation pour 39 000 chô-meurs afin de leur proposer un apprentissage en adéquation avec des emplois non pourvus.

D’après une étude du ministère du Travail, 65 % de ces chômeurs étaient en emploi durable six mois après la fin de la forma-tion. En 2014, ce sont 100 000 demandeurs d’emploi qui devraient pouvoir accéder à ce dispositif doté d’une enveloppe de 200 millions d’euros.C’est bien, mais c’est trop peu. Pour résorber le chômage de masse, il faudrait sonner le tocsin et décider d’un gigantesque plan géné-ral de formation pour les chômeurs et les salariés les moins qualifiés afin de faire mon-ter en gamme la production française et résoudre le problème de compétitivité par le haut. Ainsi, la France ne se retrouvera plus en compétition avec des pays produisant à bas coûts. À cet égard, les 34 projets indus-triels novateurs imaginés par l’ex-ministre du Redressement productif Arnaud Monte-bourg vont dans le bons sens.Autre blocage, les entreprises en ont littéra-lement « ras le bol » de l’instabilité du droit fiscal et social français. Surtout les plus petites, rarement dotées des services adé-quats. Impôts sur les sociétés, taxation des plus-values, droit du licenciement, contrat de travail, etc. Sans cesse, l’un ou l’autre de ces points cruciaux pour l’entreprise fait l’objet d’une modification. Une instabilité régulière-ment dénoncée par les organisations patro-nales. Pierre Gattaz, le président du Medef, demande ainsi un « gel » des règles fiscales et sociales pour au moins trois ans. Cette infla-tion normative serait même un frein à l’inves-tissement étranger en France. Le World Eco-nomic Forum le souligne régulièrement dans ses classements des pays les plus attractifs.En revanche, il ne faut pas trop attendre des pseudo-blocages qui tiennent en réalité davantage d’un combat idéologique mené de longue date par certaines chapelles. Il en va ainsi de l’absence supposée de flexibilité du marché du travail, du « verrou » des 35 heures, de la hantise des seuils sociaux, de la nécessaire extension du travail du dimanche, etc. Certes, le droit du travail fran-çais n’est pas le plus flexible, loin de là. Il n’en reste pas moins que depuis trente ans il a considérablement évolué dans le sens de la flexibilité – c’est même pour cette raison que, paradoxalement, le code du travail a grossi.

Pour preuve, l’explosion des embauches sous CDD, qui représentent maintenant 80 % des recrutements. Qui aurait cru ça, il y a trente ans ? Sans parler de l’accord national inter-professionnel (ANI) de janvier 2013, qui a notamment permis la conclusion d’accords sur « le maintien de l’emploi » dans les entre-prises en difficulté, qui peuvent ainsi… aug-menter le temps de travail et/ou geler les rémunérations.

FREINS RÉELS ET FREINS PSYCHOLOGIQUES

Quant aux 35 heures, rappelons qu’il ne s’agit que d’une référence légale servant de seuil au déclenchement des heures supplémen-taires… Et encore ! Les lois Aubry et tous ses avatars autorisent l’annualisation du temps de travail, le forfait jours, le forfait heures, les cycles de travail. L’employeur demeure le seul à choisir la durée réelle du travail dans son entreprise. Quant aux fameux seuils sociaux – dont on n’entend pas parler quand l’économie se porte bien –, que le gouverne-ment Valls veut relever, ils tiennent davan-tage du « frein psychologique », ainsi que le reconnaît Pierre Burban, le secrétaire général de l’UPA (artisans employeurs). « Une modi-fication des seuils sociaux n’aurait pas d’effets massifs sur l’emploi », avoue Laurence Parisot, « mais cela pourrait redonner confiance aux chefs d’entreprise ».Le vrai problème, c’est surtout la complexité et la bonne maîtrise du droit du travail, davantage que le fond. Combien d’entre-prises savent utiliser au mieux la législation sur le temps de travail ? Combien savent que l’instauration d’un CE, d’un CHSCT, de délé-gués du personnel, etc., peut être remplacée par une « délégation unique du personnel » ? Une fois encore, avec ses velléités de réformes actuelles, le gouvernement risque de ne s’attaquer qu’à l’écume des choses, dans le seul but d’envoyer des signaux aux entreprises pour rétablir la fameuse « confiance ». Et ce aux dépens d’un traite-ment des racines profondes du chômage, qui se trouvent dans la structure même de notre tissu économique. ■

Les vrais et faux remèdes contre le chômage

L’assurance chômage perd environ 4 milliards d’euros chaque année. Sa dette cumulée atteindra 21,3 milliards à la fin de 2014. © Jean-Paul Pelissier / Reuters

Principal échec de François Hollande, l’inversion de la courbe du chômage ne se produira pas avant 2015, au mieux. Car la France ne fait plus assez de croissance. La complexité du code du travail est un verrou, surtout pour les PME. Mais les pistes évoquées cet automne tiennent plus du gadget que de vraies réformes.

Un nombre record de chômeurs

Source : Dares – Pôle Emploi.

25 ans et -Nombre de chômeurs en France métropolitaine, en milliers

25 à 49 ans 50 ans ou + Hommes Femmes Ensemble

1500

1000

500

0jan. 1998 oct. 2000 juil. 2003 avr. 2006 jan. 2009 oct. 2011 juil. 2014

2500

2000

3000

3500

OSER

PAR JEAN-CHRISTOPHE CHANUT

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L’ÉVÉNEMENT16 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

La fiscalité fait-elle partie des blocages français ? Tout dépend du point de vue adopté. On peut penser que le niveau des prélèvements obligatoires, par-

ticulièrement élevé en France, constitue en lui-même un blocage, un frein sévère à l’investissement. La France n’est-elle pas le pays où les prélèvements obligatoires sont, après le Danemark, les plus élevés (47 % du PIB en 2012, contre une moyenne de 41,7 % pour la zone euro) ? De quoi décourager, en effet, les investisseurs, et plus généralement l’entrepreneuriat et l’emploi.En Allemagne, par exemple, le taux de pré-lèvements obligatoires est beaucoup plus faible, limité à 40,7 % . Les charges sociales, qui alourdissent le coût du travail, y repré-sentent 16,8 % du PIB – un chiffre en baisse sensible par rapport au début des années 2000 – contre 19,4 % en France, un chiffre en nette… hausse depuis 2009. La France est le seul grand pays d’Europe où les charges sociales patronales atteignent un tel niveau : 28,7 % du coût global du travail pour un sala-rié moyen ! Quant à la fiscalité du capital, déterminante, bien sûr, pour les investis-seurs, la France en détient simplement le record européen…Si l’on prend en compte la TVA dont doivent s’acquitter les consommateurs, la France est l’un des pays à ce point taxé que le jour de la libération fiscale, quand tous les impôts et charges ont été payés, a été repoussé au

28 juillet, selon le think tank New Direction-The Foundation For European Reform. Seul un pays fait mieux, si l’on peut dire, c’est la Belgique, où le contribuable est « libéré » le 6 août. Bref, à lui seul, ce niveau de prélève-ments particulièrement lourd peut représen-ter un blocage.On peut aussi penser que les prélèvements obligatoires ont des contreparties, qui contri-buent à la compétitivité du pays. Des contre-parties sous forme d’infrastructures, de transports, d’écoles, pour certaines de qua-lité, et partout gratuites (rien à voir, de ce point de vue, avec la situation constatée dans la plupart des grands pays industriels), et surtout, en matière de protection sociale.Car, ce qui explique le niveau élevé des pré-lèvements en France, c’est avant tout un niveau élevé de protection sociale. Les impôts et cotisations qui y sont liés financent, pour une grande part (58 % de la dépense publique), de lourdes dépenses, dont au premier chef, des dépenses d’assu-rance, qu’il s’agisse de maladie ou de retraite.

COUPER DANS LES DÉPENSES SOCIALES ?

Mais ne pourrait-on pas financer autrement ces dépenses, en diminuant les cotisations sociales ou tout au moins en changeant leur assiette, en trouvant des financements alter-natifs ? Comme le relevait l’Institut Mon-

taigne fin 2013, dans un rapport sur la fisca-lité et la compétitivité (« Mettre la fiscalité au service de la croissance »), « l’analyse montre toutefois que la recherche d’une assiette “miracle” pour financer les dépenses sociales est vaine ». Autrement dit, il n’existe pas vérita-blement de solution fiscale magique, en changeant la nature des prélèvements. Pour les économistes libéraux, la conclusion coule de source : il faut couper dans les dépenses sociales.C’est ce qu’a fait l’Allemagne, par exemple. Si l’écart de dépenses publiques s’est creusé avec notre voisin, depuis une dizaine d’an-nées, c’est avant tout en raison de l’augmen-tation chez nous du coût global des pensions. Dans les deux pays, ce coût représentait près de 10 % du PIB au milieu des années 2000, désormais, il atteint 14 % en France, selon

l’OCDE, contre toujours 11 % outre-Rhin.Comment y sont-ils parvenus ? Tout simple-ment en taillant sévèrement dans les pen-sions versées, et en incitant fortement les salariés à souscrire à un système de retraite privée (plans Riester). Le résultat ? Un taux de pauvreté des retraités en Allemagne valant le double de celui constaté en France (10 % contre 5 % ).Cet exemple n’est pas anodin. Il montre le choix de société qui peut être fait, entre un système d’assurance (maladie, retraite…) à dominante publique – et, dans ce cas, les prélèvements obligatoires sont évidemment lourds – et un système où le recours au privé s’avère être beaucoup plus important. Il est bien connu que les Américains paient beau-coup pour leur santé, nettement plus que les Européens, cela n’empêche pas leurs dépenses publiques d’assurance maladie de se situer bien en dessous de notre niveau : tout simplement parce que l’assurance y est majoritairement privée.De même, en Suisse, le « coin » fiscal – total des prélèvements sur les revenus du travail, y compris l’impôt sur le revenu – apparaît très faible, deux fois inférieur au niveau fran-çais (22 % contre 48,9 % , selon l’OCDE). Mais nos voisins helvètes doivent s’acquitter d’une cotisation maladie – obligatoire – indé-pendante du revenu, et pouvant représenter jusqu’à 25 % du salaire. Cette contribution n’étant pas versée à un organisme public – l’assurance maladie suisse est privée –, elle n’est pas comptabilisée dans les prélève-ments obligatoires. Elle doit pourtant bel et bien être payée, et les Suisses se plaignent d’ailleurs de payer plus que leurs voisins européens. Voilà pourquoi l’événement orga-nisé autour du thème du jour de la libération fiscale n’a aucune signification.Pour réellement débloquer le système, au sens des économistes libéraux, il faudrait renoncer au caractère public et obligatoire des assurances sociales. Casser la sécu, pour être clair. Ainsi les PME pourraient-elles réduire drastiquement le coût du travail auquel elles doivent faire face. Un choix de société… qui n’est même plus celui des Amé-ricains, puisque Barack Obama a tenté d’of-frir une assurance maladie à tous ses com-patriotes. Avec le demi-succès que l’on sait, mais la volonté est là… ■

Fiscalité : comment vivre avec des prélèvements records ?La France est l’un des pays où le poids des impôts est le plus élevé. Comment changer le système pour le rendre plus compétitif ? La vérité est que, avant d’être un problème économique, le niveau de prélèvements reflète surtout un choix de société.

Source : OCDE

Près de deux fois plus de prélèvementsobligatoires qu'aux États-UnisTaux de prélèvements obligatoires, en % du PIB.

Royaume-Uni

20

30

40

25

35

45

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012

24,3

35,2

37,6

45,3

Allemagne

États-Unis

France

CONTRIBUTIONS

ENTREPRISES : DES BÉNÉFICES TROP TAXÉS EN FRANCE ?Le taux global d’imposition des bénéfices apparaît très élevé, en France, en regard des pratiques des grands pays industriels, ce qui peut bloquer l’investissement. Mais l’assiette de cet impôt reste minée par des niches. Le gouvernement s’est engagé à baisser cet impôt dans son pacte de responsabilité.

Si la France décroche la palme d’or en Europe de la taxation du capital, et de loin, comme le souligne Eurostat, ce n’est

pas tant en raison d’un impôt sur les bénéfices des sociétés trop élevé. Certes, le taux affiché atteint, tout compris – avec les contributions sociales –, quelque 38 % . Loin devant le niveau allemand (30,2 %), sans parler de celui de la Suède (22 % ) ou du Royaume-Uni (21 %), voire de l’Irlande (12,5 % ).Mais les mêmes statisticiens, quand ils estiment la réalité du poids de l’impôt sur les bénéfices en regard des profits des entreprises, parviennent à des écarts moins importants, même s’ils restent non négligeables. Le taux réel de taxation en France est proche de 28 % , contre 26 % en Italie ou 21 % au Royaume-Uni.Ce décalage entre les deux calculs vient bien sûr de l’existence de niches fiscales, qui permettent toujours, en France, à certaines entreprises d’échapper largement à l’impôt. Le crédit d’impôt de recherche est devenu la plus importante d’entre elles. Son coût pour

l’État explose littéralement, passant, en 2014, de 3,3 milliards d’euros en 2012 à 5,8 milliards selon Bercy. Sans parler du régime très favorable en faveur des dons des entreprises (mécénat), l’un des plus généreux au monde, qui représenterait un manque à gagner de 635 millions d’euros cette année pour le fisc.Le blocage, si blocage il y a, vient donc de l’affichage d’un taux très élevé d’imposition des bénéfices, susceptible de décourager les investisseurs, notamment étrangers.Mais ces mêmes investisseurs commencent à connaître les mérites de ces niches, notamment le crédit d’impôt recherche : nulle part ailleurs on ne trouve un système aussi favorable aux investissements de recherche et de développement. En outre, le gouvernement a promis d’abaisser le taux d’impôt sur les sociétés (IS) : la contribution exceptionnelle, qui représente 3,3 points d’IS, disparaîtra en 2016, et le taux de base de 33,33 % commencera à baisser en 2017.Autre source de blocage, l’existence d’une taxe professionnelle, désormais cotisation sur la

valeur ajoutée des entreprises. Mais, après sa réforme par Nicolas Sarkozy, elle pénalise beaucoup moins l’industrie. Et, déductible de l’assiette de l’IS, elle contribue aussi à réduire le poids de celui-ci. ■ I. B

Source : Eurostat

France

Allemagne

Irlande

Des sociétés françaisesfortement imposéesTaux d’imposition sur les sociétés, en 2013.

38%

30,2%

21%

12,5%

Royaume-Uni

IVAN BEST @Iv_Best

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I 17LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

ENTRETIEN

LA TRIBUNE – La France vous semble-t-elle bloquée ?Je ne suis ni homme politique ni écono-miste, mais en tant qu’entrepreneur je suis convaincu que l’avenir passera par la libéra-tion des contraintes qui pèsent sur les entre-prises, même s’il faut, bien sûr, des fonction-naires, des policiers, des infirmières, etc. Les politiques notamment raisonnent en termes macroéconomiques. Moi j’aime la micro-économie. Les entreprises françaises, en particulier les PME, les TPE-artisans, ont du potentiel, mais elles ont peur de l’avenir alors elles thésaurisent. Or, la microéconomie, c’est avoir envie de prendre des risques, de réus-sir, de s’enrichir. Pas seulement dans le sens financier du terme, aussi de développer, de créer de la valeur.Lorsque je rentre de vacances et que je vois l’acharnement de l’administration à freiner tout, toutes les initiatives, même dans une entreprise comme vente-privee.com, qui a la chance d’être en croissance, je me demande comment font ceux dont les entreprises ren-contrent des difficultés ; j’imagine qu’ils ont envie de retourner se coucher  !

Quels sont les leviers pour déverrouiller le pays ?Le premier levier tient à la flexibilité du travail. Si on libère demain le marché du travail, il y aura peut-être pendant dix mois une accentuation des mauvais chiffres du chômage, mais on verra ensuite des créa-tions de milliers d’emplois. Une entreprise doit pouvoir embaucher ou se séparer de collaborateurs.

IL Y A TELLEMENT DE NORMES QUE PARFOIS DES PROJETS S’ARRÊTENTMais attention, cela doit être accompagné, je ne suis pas un ultralibéral, plutôt un libéral social, je ne prône pas le modèle américain qui est très dur et laisse les gens sur le bord de la route. Mais notre modèle n’incite pas à la prise de risque. Un boucher de Normandie se dit peut-être qu’il a besoin d’aide pour le week-end, mais il préfère s’abstenir plutôt que de prendre le risque d’embaucher et de constater qu’il s’est trompé.Ensuite, le coût du travail est trop élevé. Le problème vient des charges, non pas du salaire net qu’il faudrait au contraire augmen-ter. Il faut diminuer les charges sociales.Le troisième levier relève de la fiscalité. Le taux d’impôt sur les sociétés (IS) est trop

élevé. Certes, il va baisser avec la disparition annoncée de la « surprime Sarkozy » [la contribution sociale sur l’IS de 3,3 % pour les entreprises de plus de 7,63 millions d'euros de chiffre d'affaires] et de la « surtaxe Hollande » [la majoration provisoire de 10,7 % pour les entreprises de plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires]. L’IS devrait être bas pour les entreprises qui ne distribuent pas de divi-dendes, cela les inciterait à se développer et à créer plus de richesse.Ce taux élevé d’impôt pose aussi un pro-blème de concurrence déloyale. Notre entre-prise vente-privee.com a besoin d’investir plusieurs dizaines de millions d’euros dans son outil logistique, nous avons 170 000 m2

d’entrepôts. Mais nous faisons face entre autres à Amazon, qui ne paie pas d’IS en France et peut ainsi investir beaucoup plus en logistique, par exemple en surenchéris-sant sur les prix des entrepôts, en proposant un meilleur salaire à un patron de site, etc. Est-ce normal ? Nous ne nous battons pas à armes égales. Il faut impérativement procé-der à l’harmonisation fiscale européenne, ce qu’un économiste comme Thomas Piketty martèle. Une Europe avec 28 régimes fiscaux différents ne peut pas marcher. Personne n’a le courage politique de faire cette harmoni-sation de l’Europe. Je suis convaincu que les Français qui sont partis développer leur entreprise ailleurs, ce qui n’est pas mon cas, reviendraient. Entre la France à 38 % et le Royaume-Uni à 10 % [pour les sociétés tirant leur profit de brevets] nous pourrions har-moniser l’IS à 25 % par exemple. Quid des tracasseries administratives que vous évoquiez ?Le rapport Mandon-Poitrinal a bien décrit le problème des normes excessives, qui empêchent des secteurs de se développer. Il existe tellement de contraintes que parfois des projets s’arrêtent. Le gouvernement dit avoir lancé un chantier de simplification, mais nous ne voyons pas encore concrète-ment de changement en la matière. Même chose sur le supposé « cadeau fiscal de 40 milliards d’euros » que l’on aurait fait aux entreprises, je n’en ai pas ressenti d’effet direct. Cela dit, je note un vrai effort dans le discours et l’état d’esprit depuis les vœux de François Hollande en janvier, que l’on retrouve dans les propos de Manuel Valls et d’Emmanuel Macron. En revanche, les syn-dicats ont une vision trop caricaturale : les entreprises, ce n’est pas tout blanc ou tout noir. Je crois d’abord à la création de richesse avant de la partager. Êtes-vous pessimiste ou optimiste sur la situation de la France ?Je suis très optimiste, même si nous risquons de connaître encore deux années difficiles. Lorsque j’ai démarré à 22 ans, je ne pensais pas avoir mon propre site d’e-commerce, l’Internet n’existait pas ! L’avenir, on se le crée, en étant courageux. Personne ne vous viendra

en aide. Mais la France est un pays dans lequel on peut se créer de beaux chemins. Un pays où tout est possible parce qu’elle a tous les talents ! Il faut surtout faire sortir la France de cette peur. Le Français ne s’aime plus, il faut lui redonner confiance en lui et en l’avenir. Ce qui bloque le pays, ce sont les clivages. Per-sonne ne regarde dans la même direction. Nous avons le plus beau pays du monde, mais il est trop clivé. Le courage politique, c’est comme le courage managérial, il faut faire fi des résistances. Il faut libérer le pays de toutes ces entraves. L’État doit accompagner la créa-tion de richesse par la formation, l’éducation, en mettant en place des infrastructures de qualité et en assurant le «  bien-vivre ensemble ». Il remplit dans l’ensemble ce rôle, mais à quel prix ! Il pourrait faire mieux pour moins cher.Certains de nos dirigeants sont tentés par le protectionnisme, mais le monde a changé ! On ne peut pas repousser l’innovation, quand une offre créative trouve son public comme Uber ou Netflix, elle submerge tout. Le numé-rique a transformé le consommateur qui est désormais le roi. Il choisit, s’éduque, lit les

critiques, devient expert et connaît parfois mieux le produit que le vendeur en magasin ! Le consommateur est devenu libre, avisé, il peut aller chercher son produit en un clic dans un autre pays, les offres sont devenues sans frontières et le monde est plus petit.Il faut avoir une plus grande vision, avoir des ambitions portées par les politiques. Il faut ouvrir l’Europe pour avoir un plus grand marché. Les défis de demain, c’est d’aller au-delà des frontières, d’aller conquérir l’Eu-rope. Il n’y a aucune raison qu’il n’y ait pas de Netflix français ou d’Uber français, Deezer a bien été créé par des Français. Prenons l’exemple de l’objet connecté, il s’agit de mettre de l’intelligence artificielle dans des objets ; notre pays est sans doute le mieux placé pour le faire : c’est une des voies de la réindustrialisation de la France. ■

Jacques-Antoine Granjeon, PDG de vente-privee.com

« Il faut faire sortir la France de la peur »Avec ses acolytes Xavier Niel (Free) et Marc Simoncini (ex-Meetic), l’entrepreneur atypique Jacques-Antoine Granjon a créé en 2011 l’École européenne des métiers de l’Internet et a lancé l’initiative 101 projets pour financer des start-up. Il est propriétaire des théâtres de Paris et de la Michodière, et sa fortune est estimée à 800 millions d’euros.

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À 52 ans, le PDG et cofondateur de l’entreprise de commerce en ligne est tout sourire. Sa société est un modèle de réussite française. © OLIVIER ROLLER

PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CUNY

@DelphineCuny

DÉBLOQUER LA FRANCE

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L’ÉVÉNEMENT18 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

Comment rater une réforme territoriale ? Nicolas Sarkozy et François Hollande, dans un contexte politique différent, ont accumulé les erreurs et affrontent une fronde des élus contre le projet de réorganisation du territoire.

François Hollande avait, en 2012, de l’or dans les mains : la majorité à l’Assemblée natio-nale, au Sénat, dans les Régions, la plupart des Conseils généraux, des grandes villes, des villes

moyennes et même des petites villes ! Un boulevard, mais rien n’a marché comme prévu s’agissant de la grande réforme ter-ritoriale, marqueur du quinquennat.D’abord, face à des collectivités tradition-nellement rétives au changement, avancer sans aucun projet territorial clair est voué à l’échec. D’autant plus si, comme François Hollande, on propose par exemple aux élus parisiens et franciliens de se mettre d’ac-cord entre eux sur la future métropole à constituer sans leur en donner le cadre. Ni dire de quelles compétences (économie, transports, logement ?) devrait être dotée cette nouvelle structure. La méthode mas-quait mal l’impréparation et sous-estimait les clivages politiques. Elle a fait perdre un an et demi, car François Hollande, comme Nicolas Sarkozy avant lui, n’avait absolu-ment pas anticipé la réaction pourtant pré-visible des élus.C’est la deuxième raison de l’échec : une réforme territoriale est d’abord une réforme

du marché du travail des élus. Or ceux-ci n’ont spontanément aucune envie de s’im-moler et de s’envoyer eux-mêmes à Pôle emploi. Pour l’économiste Philippe Estèbe, spécialiste des questions urbaines et terri-toriales, « les réactions d’élus sont, banalement et logiquement, celles de toute profession mena-cée dans son fonctionnement habituel. En trente ans de décentralisation, nous avons collective-ment fabriqué un milieu professionnel très spé-cifique, celui des élus locaux qui, fort logique-ment, réagit comme n’importe quelle profession. Nous avons toujours tendance à créditer les élus d’une obligation de conscience allant au-delà de leurs intérêts particuliers, alors qu’il n’y a aucune raison qu’ils soient moins corporatistes et plus vertueux que d’autres ».

VERS LA FIN DE LA CLAUSE GÉNÉRALE DE COMPÉTENCE

Le rejet est d’autant plus fort que, troisième raison, les associations d’élus, toutes contrôlées par les socialistes avant 2012 (régions, départements, grandes villes, villes moyennes et petites villes), n’ont jamais travaillé ensemble sur un projet commun et que, chacune, dès mai 2012, y est allée de son lobbying à l’Élysée. Marylise Lebranchu en a fait les frais et le Sénat,

Le conservatisme des élus freine le big bang territorial

ENTRETIEN – Alain Rousset, président PS de la région Aquitaine, député et président du comité national d’orientation de Bpifrance

« REDRESSER LA FRANCE DEPUIS LES RÉGIONS ET NON PAS DEPUIS BERCY »

Le président de l’Association des régions de France (ARF) invite François Hollande à accélérer la

décentralisation du pays et à donner plus de pouvoirs économiques aux Régions. À ses yeux, c’est le seul moyen pour réformer la France, « prisonnière de son centralisme », et aider efficacement les entreprises à investir.

Que faut-il réformer en priorité en France pour relancer la croissance ?La principale réforme à mettre en œuvre est de décentraliser davantage, à la fois pour des raisons économiques, démocratiques et budgétaires. Nous sommes le dernier pays centralisé en Europe. Les conséquences sont dramatiques : cela génère des doublons dans les collectivités locales et donc des surcoûts. Un tel système est mortifère et déresponsabilise les acteurs politiques. De plus, la concentration parisienne

des pouvoirs économiques se fait au profit des grands groupes du Cac 40 – qui vont plutôt chercher la croissance à l’international –, alors que notre tissu économique est très majoritairement constitué de PME et de TPE. Je regrette d’ailleurs que dans 33 des 34 plans de la Nouvelle France industrielle, ceux qui vont bénéficier des aides publiques soient encore une fois essentiellement des grands groupes. C’est déjà ce qui s’est produit, par le passé, avec les pôles de compétitivité.

Concrètement, que demande l’Association des régions de France au président de la République ?Pour redresser la France sur le plan industriel, il faut le faire depuis les régions et non pas depuis Bercy. Bercy est indispensable pour la fiscalité, les normes… mais le ministère de l’Économie est trop lent quand il s’agit de décider du financement des PME. Il faut

donc que la région regroupe tous les dispositifs financiers de soutien aux entreprises, afin de mettre fin aux doublons, et mieux cibler nos interventions. Aujourd’hui, nos collectivités n’ont pas assez de moyens. Quatre-vingts pour cent de l’épargne des Français, qui est très importante, remonte à Paris. La différence de budget pour accompagner les entreprises entre une région française et étrangère est de 1 à 5. Dans l’Hexagone, le budget annuel moyen d’une région pour soutenir la recherche et le développement est de 900 millions d’euros quand en Allemagne, il est de 10 milliards ! La vraie réforme, ce n’est pas de faire de grandes régions, mais de renforcer notre cœur de métier : le développement économique, une compétence qui est actuellement éclatée entre Bercy et d’autres collectivités. Nous ne revendiquons pas un système fédéral. Nous devons aussi avoir une fiscalité plus cohérente.

La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, ex-taxe professionnelle), va désormais au département, qui fait avant tout du social.

Que pensez-vous du deuxième volet de la réforme territoriale, dont les parlementaires devraient se saisir à l’automne ?Il n’est pas assez ambitieux. Qui plus est, il est flou sur les ressources. Mais, j’ai encore l’espoir, avec les grandes régions, que nous ayons, demain, une vraie puissance économique. Dans cette réforme, il est important que le législateur dise aux Français qui fait quoi. Aujourd’hui, on ne sait pas. Par exemple, sur les TER, nous achetons les trains, mais nous n’en sommes pas propriétaires. Des trains sont parfois supprimés, sans que l’on sache pourquoi. Par ailleurs, avec l’arrivée des métropoles, il y a un vrai risque que les inégalités territoriales s’accroissent.

Ces dernières années, l’État a bien plus aidé les métropoles que les territoires ruraux. Les campagnes sont importantes. Derrière, c’est le développement de l’agriculture, et 60 % de l’emploi industriel, qui est en dehors de la ville. Il y a un équilibre à trouver.

En quoi une région est-elle plus efficace pour dynamiser l’économie que l’État ?C’est une question de bon sens. Lorsque la décision d’aider une entreprise est prise depuis la région, la proximité du politique, notamment la rencontre avec le dirigeant et les syndicats, amène une autre vision et favorise l’innovation. Nous avons une meilleure connaissance des sociétés à aider, celles qui ont un potentiel, et nous pouvons assurer un vrai suivi. En Aquitaine, nous consacrons 10 % de notre budget à la recherche. Et nous en récoltons les fruits. Ces dix dernières années, le nombre

MILLEFEUILLE

JEAN-PIERRE GONGUET

Source : Gouvernement.fr

De 22 à 13 régions en métropole Projet de réforme territoriale adopté par l’Assemblée nationale le 18 juillet.

Basse-Normandie

Bretagne

Pays dela Loire

Centre

Provence-Alpes-Côte

d’Azur

Corse

Haute-Normandie

Franche-Comté

Rhône-Alpes

Languedoc-Roussillon

Poitou-Charentes

Régions non modifiées Nord-Pas-de-Calais

Picardie

Champagne-Ardennes

LorraineAlsace

Bourgogne

Auvergne

Limousin

Midi-Pyrénées

Aquitaine

Île-de-France

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I 19LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

devant les dissensions, est naturellement redevenu le défenseur de la territorialité la moins progressiste.La commission Balladur l’avait d’ailleurs montré en 2008 : plus on débat de l’épais-seur du millefeuille territorial sans raison-nement sur l’efficacité économique et sociale, plus on court à l’échec. New York ou San Francisco ont des gouvernances éga-lement très complexes, mais cela ne les empêche nullement d’être devenues des lieux d’innovation et de croissance. Les élus français, eux, se focalisent sur les questions structurelles et croient parfois que rebapti-ser une intercommunalité du nom de métropole va spontanément lui donner deux points de croissance !Cet automne, face à un Sénat encore plus réfractaire, le gouvernement a décidé de faire passer son texte sur la répartition des compé-tences entre collectivités et devrait faire adop-ter, après moult revire-ments, la fin de la clause générale de compétence qu’avait fait adopter, déjà, Nicolas Sarkozy. Un premier pas. Mais la véritable réforme territoriale suppose que l’État remette en cause son organisation concentrée et fasse confiance aux élus. Mais ni Bercy ni Beau-vau ne concèdent rien. Le pouvoir est aux « jacobins ». Il va donc de plus en plus fal-loir un élu à fort caractère pour que son ter-ritoire s’en sorte : Gérard Collomb à Lyon ou Alain Juppé à Bordeaux en sont les plus notables exemples. Ils ont en commun une vision pour leur territoire, une capa-cité infinie à ruser avec l’État et les autres collectivités et, surtout, l’intime conviction que la croissance maîtrisée de leur collec-tivité entraînera les modifications institu-tionnelles nécessaires pour la réussite. Pas l’inverse. ■

de brevets européens déposés par notre région a augmenté de 75 %, contre 30 % en France. De même, si nous n’avions pas investi un million d’euros dans le centre de formation de Repetto en Dordogne, cette belle entreprise aurait été obligée de délocaliser pour pouvoir recruter…L’Aquitaine est devenue la première région en termes de créations d’entreprises. Imaginez-vous ce que

nous pourrions faire pour aider les PME avec un budget trois à quatre fois supérieur. Nous avons le bon modèle sous nos yeux. Cela est d’autant plus dommageable que ce centralisme a aussi des conséquences sur la représentation que les Français ont du milieu économique. Il n’y a que chez nous que l’entreprise est si vilipendée.

Bpifrance a été créée en 2012 avec la volonté de mieux soutenir les PME et TPE françaises, quel bilan en tirez-vous ?Je suis déçu. Les délais pour obtenir des financements et des réponses sont trop longs. Il faudrait des banques régionales d’investissement pour raccourcir les circuits. Afin d’y remédier, en Aquitaine, nous allons créer

une plate-forme avec quatre banques mutualistes. L’objectif est de partager les dossiers, d’échanger des informations, et d’anticiper tout problème.

Que manque-t-il aujourd’hui aux PME pour se développer ?Pour leur permettre de croître, il faut plus de fonds propres et de crédits. À cet effet, en Aquitaine, nous avons établi un système collaboratif entre pouvoirs publics, recherche et entreprises. Tout ceci ne peut se faire que sur le terrain. D’autre part, il faut inciter les grands groupes à mieux organiser la chaîne logistique, à donner de la visibilité aux PME et les aider à aller chercher des marchés à l’international. Les grands groupes doivent prendre leurs responsabilités et jouer leur rôle de structuration de l’économie française. À cet effet, la région Aquitaine a signé une convention en mai dernier pour accompagner les projets de Thales et de ses partenaires locaux. En retour, Thales aidera la Région à renforcer le tissu de PME et d’ETI aquitaines. Par ailleurs, pour moderniser notre industrie et stimuler l’investissement, il devient urgent de lancer partout

en France l’usine du futur. Elle est déjà sur les rails en Aquitaine. 115 entreprises ont déjà répondu à notre premier appel à manifestation d’intérêt (AMI).

Pourquoi cet acte III de la décentralisation tarde-t-il autant à se concrétiser ?La réticence de l’appareil d’État est considérable. Les stratégies de carrière des hauts fonctionnaires les amènent à privilégier des postes à Paris. Notre paradoxe est que nous vivons en France dans une société de sous-traitance entre d’un côté, l’État et les collectivités, de l’autre, les grands groupes et les PME. Ce n’est pas un modèle de pays qui se développe. Il faut faire émerger une classe intermédiaire, des ETI, qui sont trop peu nombreuses en France. Ce sont elles qui créent le plus d’emplois. C’est pourquoi, j’ai lancé un club des ETI en Aquitaine fin 2011. Il devient désormais urgent que le président de la République choisisse entre la décentralisation et la déconcentration. Nous ne pouvons plus aujourd’hui payer pour un mélange des deux. ■ Propos recueillis par NICOLAS CÉSAR, à Bordeaux

RÉFORME DE L’ÉTAT : LE ROCHER DE SISYPHED’ici à 2017, l’État prévoit de réduire de 50 milliards d’euros la dépense publique. Dont 18 milliards pour l’État. La tâche de simplification de Thierry Mandon, le secrétaire d’État à la Réforme de l’État se heurte à de nombreux obstacles.

Augmenter la pression fiscale étant désormais impossible, le gouvernement s’est résolu en

avril à s’attaquer au délicat chantier de la dépense publique. D’ici à 2017, ce sont 50 milliards d’euros qui devront être économisés pour permettre à la France de respecter son engagement auprès de Bruxelles de réduire à 3 % du PIB le déficit public. Le gouvernement a-t-il frappé fort ? Si l’on compare cette somme aux 1 200 milliards dépensés en 2014 par l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale, la réponse est à l’évidence négative. Mais cet effort est néanmoins inédit dans l’histoire des finances publiques.Sur ces 50 milliards d’euros d’économies, 11 milliards d’euros devront être réalisés par les collectivités locales, 10 milliards portent sur l’Assurance maladie et 11 milliards sur d’autres dépenses sociales. L’État ne sera pas épargné, bien au contraire, puisqu’il devra réduire ses dépenses à hauteur de 18 milliards d’euros d’ici à la fin du quinquennat. À la baguette ? Thierry Mandon, le secrétaire d’État à la Réforme de l’État est sur tous les fronts. Depuis juillet, sa feuille de route est connue. Elle est claire et précise.

Pour atteindre cet objectif, il compte en grande partie sur les conclusions de l’audit sur les missions de l’État. « Le calendrier est resserré : le gouvernement arrêtera ses décisions au premier trimestre 2015 et fixera, pour chaque ministère, une feuille de route de mise en œuvre pour les trois prochaines années », a expliqué Thierry Mandon en conseil des ministres le 10 septembre. À la fin du quinquennat, l’État devra trancher entre les missions de service public qu’il conservera et celles qui seront transférées aux collectivités territoriales, en lien avec la réforme territoriale présentée en Conseil des ministres

le 18 juin. L’exécutif devra également annoncer quelles seront les missions de services publics que l’État abandonnera. On imagine l’émotion dans l’opinion publique et au sein de l’administration. C’est la raison pour laquelle le ministre souhaite la mise en place d’un pilotage participatif pour assurer le succès de ce chantier particulièrement compliqué à mener et à faire accepter.Thierry Mandon mise également sur la simplification des démarches administratives qui concernent aussi bien les ménages que les entreprises. Ainsi, après la consultation estivale des Français, une série de mesures devraient intervenir pour en réduire le nombre. Déjà engagée depuis plusieurs années, la simplification de la vie administrative des entreprises devrait s’amplifier. C’est particulièrement le cas de la dématérialisation des déclarations sociales, qui sera bientôt obligatoire pour toutes les entreprises.

Reste que certains domaines passent encore à travers les gouttes du choc de simplification que François Hollande a appelé de ses vœux le 28 mars à Toulouse. C’est notamment le cas dans le domaine

du droit du travail. « Le gouvernement confond le stock et le flux. Tandis qu’il s’attaque aux anciens textes, l’activité du législateur reste toujours aussi intense. Quels que soient les discours, le Code du Travail continue à s’étoffer. Ainsi entre 2012 et 2014 il a pris 120 pages, soit plus d’une page supplémentaire par semaine », regrette Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, le secrétaire général de la CGPME. Résultat, le code du travail français publié par les éditions Dalloz dépasse les 3 400 pages, pour un poids supérieur à 1,5 kg. Une des idées serait de s’inspirer de la démarche britannique – « One-in, two-out » –, soit de supprimer deux règles anciennes pour une nouvelle…

A priori, cette démarche ne devrait pas susciter de mécontentement. Par ricochet, ce choc de simplification devrait permettre à l’administration de réduire ses missions de contrôle et de se concentrer sur des tâches plus productives. La numérisation de l’État, dont les premiers appels à projet ont été lancés dans le cadre des investissements d’avenir, devrait également emporter l’adhésion. ■

FABIEN PILIU

11des 50 milliards d’euros d’économies annoncés par le gouvernement devraient être réalisés par les collectivités locales.

« Le gouvernement

arrêtera ses décisions

au premier trimestre 2015 »,

déclare Thierry Mandon, le

secrétaire d’État à la Réforme

de l’État. © PATRICK KOVARIK / AFP

Selon Alain Rousset, « il faut que la région regroupe tous les dispositifs financiers de soutien aux entreprises, pour mettre fin aux doublons, et pour que nous puissions mieux cibler nos interventions ». © ERIC PIERMONT / AFP

DÉBLOQUER LA FRANCE

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L’ÉVÉNEMENT20 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

SÉCU

Long, très long est le che-min du retour à l’équi-libre des comptes de la Sécurité sociale. Dans le rouge à hauteur de 13,3 et 12,5 milliards d’euros en 2012 et 2013, le défi-cit du régime général

devrait s'établir à 9,9 milliards d'euros cette année, si les prévisions inscrites dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif (PLFSSR) 2014 s’avèrent justes.À ce rythme-là, l’équilibre des comptes, l’objectif ultime de l’exécutif depuis qu’il a décidé de ne plus laisser la France vivre à crédit, ne devrait pas être atteint avant la fin de la décennie. Encore faudrait-il que le gouvernement change de logiciel : qu’il ne se contente plus de financer les dépenses courantes par des mesures de rendement dont l’efficacité est parfois dif-ficile à prouver, et dont le nombre crois-sant contribue à la complexification du paysage fiscal et social ; que la technique du « coup de rabot » trouve ses limites et donc que ce retour à l’équilibre s’appuie sur des réformes structurelles.

LA NÉCESSITÉ D’UNE STRATÉGIE DE LONG TERME

Bref, il faut que le gouvernement ne pro-cède plus par à-coups, comme ce fut le cas le 19 juin lorsque Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, a esquissé une stratégie nationale de santé qui, bien que pavée de merveilleuses intentions – elle met l’accent sur la prévention, le soutien à l’innovation et la lutte contre les déserts médicaux –, évite soigneusement de modi-fier un système pourtant défaillant.L’exécutif en est-il capable ? Alors que l’ur-gence dicte l’action des gouvernements qui se succèdent, que la santé devra apporter son écot – plus de 10 milliards d’euros – au plan de rigueur de 50 milliards d’euros que le gouvernement a décidé de lancer à l’ho-rizon 2017, élaborer et financer une straté-gie de long terme capable de réduire les déficits, tout en préservant le modèle social français bâti en 1945, s’avère complexe. Un modèle qui commence d’ailleurs à se lézar-der sous les coups de boutoir imposés par l’austérité. Les députés n’ont-ils pas voté le 2 juillet le gel pour un an des pensions de retraites de plus de 1 200 euros ?Pourtant, des solutions existent, à condi-tion de supprimer les blocages, les frustra-tions et les incompréhensions que les erre-ments du passé ont fait naître chez les professionnels, les industriels et les patients. Publié en juin, le rapport annuel sur les finances publiques de la Cour des comptes rappelait qu’il était « nécessaire » et surtout « possible d’asseoir une stratégie tendant à mobiliser les gisements d’économies considé-rables que recèle le système de santé, sans com-promettre l’égalité d’accès aux soins, ni leur qualité ». Et les comparaisons internatio-nales montrent que l’Assurance maladie paie souvent très cher des services ou pro-

duits que d’autres pays se procurent à coût moindre. Exemple – parmi d’autres – cité dans le rapport : celui des analyses médi-cales dont le coût de la numération for-mule sanguine (NFS) serait, selon la Caisse nationale de l'assurance maladie des tra-vailleurs salariés (CNAMTS), dix fois plus élevé en France qu’en Allemagne.« L’indispensable retour à l’équilibre de l’assu-rance maladie devrait ainsi reposer sur des réformes structurelles conduisant à des écono-mies documentées et chiffrées de façon beau-coup plus fine que celles jusqu’ici présentées dans les lois de financement », avance la Cour, dont les recommandations varient peu au fil des années. Outre la mise en place d’un véritable contrôle interne – 1,5 mil-lion de factures seulement sur 1,1 milliard sont contrôlées par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), et 14 % des fraudes détectées par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)  –, la Cour recommande de réformer l’hôpital : il concentre à lui seul 44 % des dépenses de santé et ses établissements ont vu leurs comptes repasser dans le rouge en 2013.

LA GRANDE COLÈRE DES MÉDECINS LIBÉRAUX

Comment ? En développant notamment la chirurgie ambulatoire, via l’hospitalisation à domicile et le raccourcissement des séjours en établissement qui pourrait déga-ger 5 milliards d’euros d’économies. Selon la Cour, cette pratique « connaît en France un retard persistant et important » et « son potentiel d'économies n'est pas exploité ». Sur-tout, « l'Assurance maladie paie deux fois : des lits d'hospitalisation conventionnelle rem-plis seulement aux deux tiers, et des places de chirurgie ambulatoire utilisées deux fois moins qu'à l'étranger pour des actes facturés au même tarif qu'en hospitalisation complète,

alors qu'elle est beaucoup moins coûteuse ».Pour développer la chirurgie ambulatoire, il faudrait, comme l’explique l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), informer les patients et les convaincre de l’efficacité de cette pratique, former les praticiens, réfléchir au partage de responsabilité entre le médecin traitant et l’équipe chirurgicale. Entre autres chantiers à lancer. Le problème est que le projet de loi sur la santé concocté par Marisol Touraine prend à contre-pied ces recommandations, à la grande colère des médecins libéraux et des hôpitaux privés. « Le texte souhaite imposer un modèle d’étatisation hospitalo-centré, vers le tout-hôpital, via les agences régionales de santé [ARS], en démantelant au passage la convention médicale nationale et collective pour encadrer les médecins libéraux dans un système rigide, où ils perdraient à la fois leur liberté d’installation et leur liberté d’exercice », explique Jean-Paul Ortiz, le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), prêt à en découdre cet automne si le gouvernement ne revoit pas sa copie, notamment sur le tiers payant

généralisé jugé inutile, chronophage et coûteux. La Fédération hospitalière privée (FHP) est sur la même longueur d’ondes. « Ce n’est pas en renforçant la mainmise de l’État sur le secteur de la santé et en laissant au privé une place de laissé pour compte que l’on va améliorer l’efficience du système pour nos compatriotes et s’attaquer aux vrais enjeux. Le gouvernement se trompe de réforme, alors qu’il faudrait s’attaquer avec courage et responsabilité aux déséquilibres structurels du système de santé et à la réorga-nisation de l’offre de soins qui occasionnent des milliards d’euros de dépenses de manière inef-ficace », déclare Lamine Gharbi, le pré-sident de la FHP.

PLUS DE GÉNÉRIQUES ET PLUS DE… CONCURRENCE

Le développement des génériques est une autre piste. Si leur part de marché en volume, actuellement de 28 % , passait à 75 % comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, ce sont entre 2 et 5 milliards d’euros d’économies qui seraient réalisées. Mais là encore, la tâche du gouvernement est énorme. Il doit éduquer les patients, mais également les prescripteurs, médecins et pharmaciens, tout en renouant le dia-logue avec les laboratoires pharmaceu-tiques qui, fâchés de voir le prix de leurs médicaments princeps relevés à chaque PLFSS, se sont vus reprocher des pratiques d’ententes et des campagnes de dénigre-ment des génériques. C’est moins facile à faire que de relever la TVA sur les médica-ments non remboursés, comme le gouver-nement l’a décidé en janvier…Autre source de conflit à venir : la dérégle-mentation programmée de certaines pro-fessions libérales, dont certaines profes-sions de santé parmi lesquelles les médecins, les pharmaciens, les masseurs-kinésithérapeutes ou encore les dentistes. La CSMF est également vent debout contre cette mesure inspirée par le rapport de l’Inspection générale des Finances (IGF) dévoilé en juillet, et qui devrait être inté-grée à la loi sur la croissance et le pouvoir d’achat. « Ce projet est insultant. Les professionnels de santé ne sont pas des rentiers qui pillent les Français », s’insurge Jean-Paul Ortiz, le président de la Confédération. ■

Pourra-t-on échapper à une étatisation de la santé ?Soucieux de préserver le modèle social français, le gouvernement est obligé de jouer les équilibristes. Malgré certaines mesures cohérentes, sa stratégie nationale de santé est incapable d’accélérer le retour à l’équilibre de la Sécu qui, en 2014, devrait afficher un déficit de 9,9 milliards d’euros. La panne de la croissance n’arrange rien.

PAR FABIEN PILIU

@fpiliu

L’hôpital concentre à lui seul 44 % des dépenses de santé. © spotmatikphoto - Fotolia.com

Un déficit de l’Assurance maladie difficile à maîtriserSolde du régime général de l’Assurance maladie, en milliards d’euros courants

Source : Chiffres clés 2013 de la Sécurité sociale.

2000

0,7 1,2

-3,5

-10,2-11,9 -11,6

-8,7 -9,5 -10,2

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I 21LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

HABITAT

E n France, plusieurs crises du logement se juxtaposent et résultent de différents blo-cages. Il y a d’abord la crise de l’offre. Avec 305 000 logements mis en chantier sur les douze derniers mois,

le secteur de la construction vit des moments difficiles. Il faut remonter à la fin 2009 pour voir pareille situation. Voilà maintenant plu-sieurs années que les professionnels du sec-teur attribuent cette pénurie aux contraintes qu’on leur impose. Ils se plaignent de l’accu-mulation des normes qui ralentissent les constructions et font croître le coût de revient, aux premiers rangs desquelles les normes thermiques, le nombre de parkings par habitation, ou bien l’obligation de construire des logements accessibles aux personnes à mobilité réduite. Mais aussi des recours abusifs de tiers, qui menacent les promoteurs de contester les permis de construire – et donc de ralentir les opérations de construction – s’ils n’obtiennent pas une compensation financière.Conscients de la situation, les pouvoirs publics ont pris des mesures concrètes pour remédier à tous ces blocages, que ce soit par l’intermédiaire d’ordonnances, de nouvelles mesures de simplification, ou de dérogations au niveau local. Désormais, les acteurs de la construction attendent que les effets concrets de ces mesures se fassent sentir.Au-delà des problèmes de normes, les chiffres catastrophiques de la construction

en 2014 sont du reste principalement dus aux élections municipales, une période tradition-nellement défavorable au lancement de pro-grammes. Avant et après ces élections, les opérations sont en effet bloquées pour ne pas susciter le mécontentement des administrés. Le rejet du maire bâtisseur atteint à cette période son paroxysme. Pour 2015, une reprise relative est donc à attendre.

RENFORCER L’ATTRACTIVITÉ DES CAPITALES RÉGIONALES

Parmi les différentes crises du logement, il y a aussi celle de la demande, plus complexe à résoudre, qui se concentre dans les quartiers les plus attractifs de France, où la demande est quasi illimitée et ne sera jamais rattrapée par l’offre. Faut-il alors laisser faire la « dure loi du marché » dans ces zones qui sont sou-vent des bassins d’emploi, et contraindre une partie des Français à supporter un coût du logement prohibitif dans leur budget ? Autant d’argent qu’ils ne pourront pas dépenser pour contribuer à développer le tissu écono-mique local…Ce problème ne se résoudra semble-t-il qu’au niveau des grandes métropoles. Dans une France trop jacobine d’un point de vue du développement économique, c’est en effet par le renforcement d’autres territoires, attractifs en termes d’emploi – comme l’a fait l’Allemagne, où pas moins de huit métro-poles tirent l’économie du pays –, que la pres-

sion sur la demande de logements pourra se tasser dans les quelques zones très tendues, comme Paris et ses alentours. Une bataille a dans ce cadre été perdue récemment par le pouvoir législatif, puisque la mesure prévue dans la loi ALUR (pour Accès au logement et un urbanisme rénové) sur l’élaboration des plans locaux d’urbanisme – qui planifient les programmes de logements – au niveau inter-communal a été détricotée par le Sénat. Elle aurait pourtant permis de penser les liens entre emplois et logements à une échelle plus grande, et donc d’optimiser le développe-ment de certains territoires.À plus court terme, une mesure comme l’encadrement des loyers aurait pu redonner un peu de pouvoir d’achat aux ménages, en attendant d’autres réformes plus structu-relles. Mais le pouvoir, visiblement désarmé devant les groupes de pression du secteur de l’immobilier, a cédé et est revenu en partie

sur cette autre mesure symbolique de la loi ALUR, portée par la ministre Cécile Duflot. Il aura en fait suffi que les professionnels de l'immobilier se plaignent en haut lieu des effets négatifs potentiels de l'encadrement des loyers sur le moral des investisseurs, pour que Manuel Valls fasse annuler ce dis-positif voté par le Parlement.Enfin, il y a la crise du mal-logement que l’on traite trop peu, et que l’on n’associe pas assez aux problèmes économiques du pays. Car il ne faut pas s’y tromper, les problèmes d’accès au logement, un bien de première nécessité, nuisent à l’employabilité des travailleurs. Et malheureusement, l’accès au logement devient de plus en plus ardu, même pour des ménages insérés socialement et économique-ment. Le mal-logement tend ainsi à croître pour ceux qui ont subi la hausse non régle-mentée du prix du logement libre, et ils sont beaucoup… ■

Le logement, au cœur de la crise

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Le marasme récurrent de ce secteur emblématique résulte de blocages tant techniques que politiques.

PAR MATHIAS THÉPOT

@MathiasThepotSeuls 305 000 logements ont été mis en chantier sur les douze derniers mois. Une tendance à la baisse qui perdure, depuis 2011. © TSACH - FOTOLIA

DÉBLOQUER LA FRANCE

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LE TOUR DU MONDE DE L’INNOVATIONDu navigateur qui indique la plus belle route à la vertèbre impriméeChaque semaine, La Tribune vous propose de partir à la découverte des petites et grandes innovations qui annoncent l’avenir.

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5 ESPAGNE – Barcelone

Un GPS qui privilégie les itinéraires les plus beaux

Le chemin le plus court n’est pas forcément le plus agréable. Surtout pour les touristes. Les informaticiens Daniele Quercia et Luca Maria Aiello, membres du Yahoo Labs de Barcelone,

ont développé un algorithme qui permet aux utilisateurs d’aller d’un point A à un point B en empruntant les routes les plus pittoresques. Le projet a été testé à Londres. Les créateurs ont demandé à 3 000 bénévoles de comparer des images des rues et d’en choisir certaines selon plusieurs critères : beauté, animation, monument, tranquillité, verdure… Ces résultats ont été

ensuite introduits dans un algo-rithme qui les prend en compte pour calculer un itinéraire agréable en augmentant le moins possible le temps de trajet (12 % en moyenne).

3 SÉNÉGAL – DakarUne application pour simplifier les dons aux ONGSolidarité. Dans un pays où 50,6 % de la population vivait dans une situation « d’extrême pauvreté » en 2013, l’entraide est essentielle. L’entrepreneur Rygel Louva donc lancé iBokk, une application mobile qui permet aux utilisateurs de donner tous les objets encore utilisables (vêtements, médicaments, produits alimentaires, fournitures scolaires…) aux personnes dans le besoin. Le donneur doit simplement remplir une fiche avec son nom, son adresse et son numéro de téléphone, et indiquer ce qu’il souhaite donner.

De leur côté, les ONG partenaires disposent d’une plateforme Web qui recense tous les dons. Elles n’ont ensuite qu’à contacter les donneurs et passer chez eux récupérer les objets.

4 ROYAUME-UNI – LondresRecharger son téléphone avec la voixMobile. Et si vous pouviez recharger votre téléphone en lui criant dessus ? C’est l’objectif des scientifiques de l’université Queen Mary de Londres, qui ont élaboré un prototype de chargeur de téléphone capable d’utiliser l’énergie ambiante

(voix, cris de bébé, bruits du métro…) pour reconstituer la batterie. Les chercheurs utilisent un type de nanotechnologie appelé « nanorods ». Grâce à des senseurs électriques, ils ont pu capter les vibrations du son et les transformer en énergie.

1 ÉTATS-UNIS – New YorkUn drone promeneur de chien pour maître paresseuxInsolite. Se lever à l’aube pour promener le chien, une corvée ? Patience, un drone le fera bientôt pour vous. Jeff Myers, un artiste new-yorkais, a trouvé comment rester tranquillement au chaud tout en sortant son golden retriever. Concrètement, le drone vole au-dessus du chien, les deux étant reliés par une

laisse. Le maître programme le trajet et peut suivre l’avancée de la promenade en temps réel sur son smartphone. À éviter toutefois si le chien n’est pas parfaitement dressé.

2 BRÉSIL – Sao PauloUne application SOS pour les femmes battuesViolences. Durant la dernière décennie, 40 000 femmes ont été tuées au Brésil, la plupart d’entre elles à cause de violences conjugales. L’application Geledès, créée par l’Institut de la femme noire au Brésil, se veut le SOS des femmes en danger. En cas d’agression, il leur suffit d’appuyer sur un bouton sur leur téléphone pour avertir les médecins et les autorités, publier un message

d’alerte sur les réseaux sociaux et déclencher un enregistrement audio. L’Institut affirme que, depuis son lancement il y a trois ans, un million de femmes ont déjà utilisé ce service.

22 ILA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

PLUS D'ACTUALITÉS ET D'INFOGRAPHIES SUR LATRIBUNE.fr

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9 JAPON – TokyoLa 8K, une qualité d’image inédite à la télévisionMédias. La chaîne de télévision publique japonaise NHK, qui se veut le fer de lance mondial des progrès de la télévision, a mis au point un format de ultra-haute définition, la 8K. D’une résolution 16 fois supérieure à celle de la haute définition actuelle, la 8K parvient à obtenir des scènes d’une netteté inédite (33 millions de pixels par image), idéale pour filmer les manifestations sportives et ainsi réaliser des ralentis d’une grande qualité. Testée avec succès lors de la

Coupe du monde au Brésil, la 8K sera expérimentée au Japon à partir de 2016 et utilisée pour la diffusion de programmes par satellite à partir de 2018.

10 PHILIPPINES – Manille100 000 taxis électriques à trois roues dans les rues en 2016Déplacements. La capitale philippine invente-t-elle les taxis de demain ? À partir de 2016, 100 000 nouveaux taxis à trois roues, complètement électriques, envahiront les rues de Manille. La ville et la Banque asiatique de développement, à l’origine du projet, espèrent ainsi diminuer les prix des taxis dans une ville qui compte 3,5 millions d’usagers par an. Selon leurs estimations, les nouveaux véhicules coûteront entre 50

et 70 centimes d’euros aux 100 kilomètres, contre 5 à 6 euros jusqu’à présent. Autre bénéfice : le passage au tout-électrique devrait entraîner une diminution de carbone de près de 260 000 tonnes chaque année.

6 FRANCE – ParisUn appareil pour analyser son sang à domicileMédecine. Une start-up française, Archimej, va commercialiser dès 2016 le Beta-Bioled, un appareil de la taille d’un smartphone permettant d’effectuer chez soi une quinzaine de tests sanguins courants. Au lieu de réaliser une classique analyse biochimique du sang, l’appareil utilise la technologie optique de « spectroscopie d’absorption » : la quantité des éléments recherchés dans le sang est mesurée par l’étude du faisceau lumineux qui le traverse. On peut ainsi calculer le taux de cholestérol, de

sucre, de créatinine et d’albumine (servant à déceler les pathologies rénales) ou encore les principaux marqueurs cardiaques. Il devrait être vendu à moins de 600 euros.

8 CHINE – PékinUne vertèbre imprimée en 3D implantée chez un enfantChirurgie. C’est une première mondiale. Des chirurgiens de l’hôpital universitaire de Pékin ont réussi à remplacer la vertèbre cancéreuse d’un garçon de 12 ans par un implant sur mesure entièrement imprimé en 3D. Parfaitement insérée dans la colonne du patient, la nouvelle vertèbre reproduit au millimètre près

la forme de la précédente, ce qui n’aurait pas été le cas avec un implant classique en titane. La douleur et le temps de récupération ont ainsi été diminués. Les chercheurs travaillent sur l’élaboration d’implants sur mesure depuis 2009.

7 TURQUIE – IstanbulDes vieilles bouteilles plastiques transformées en lampes solairesRecyclage. Il n’a pas fallu grand-chose aux designers de la start-up turque Designnobis pour créer leur lampe solaire à bas coûts, capable d’éclairer partout, y compris dans les zones les plus reculées. Un panneau solaire miniature pliable, une petite batterie, un fil de fer pour relier le tout dans une vieille bouteille en plastique, et le tour est joué ! L’armature en fer, qui maintient chaque élément dans la bouteille,

donne à cette lampe un style moderne. Quant à la batterie, elle permet de stocker l’énergie du soleil captée le jour pour éclairer la nuit.

Précision : La tomate FW13, « qui confit sans pourrir », évoquée dans notre édition n° 98, n’est certes pas « génétiquement modifiée », mais croisée de façon traditionnelle par les sélectionneurs du groupe Syngenta.

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SÉLECTION RÉALISÉE PAR SYLVAIN ROLLAND

@SylvRolland

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ENTREPRISESLA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

Drones, caméras infrarouges, grillage intelligent, robot terrestre… les entreprises tricolores rivalisent d’imagination pour aider les sites industriels à se protéger efficacement contre les cambriolages.

L es industriels sont sur le qui-vive. Avec la crise, ils doivent s'armer contre les vols de marchandises et de matières pre-mières. Il faut savoir que depuis 2008, les cam-briolages sont en hausse

de plus de 18 %, selon le ministère de l'Inté-rieur. Les sites professionnels ne sont pas épargnés puisqu'ils représentent globale-ment un cambriolage sur cinq. À cette délinquance s'ajoutent les menaces terro-ristes contre les sites les plus sensibles. Autant de raisons qui poussent les entre-prises à mieux se protéger avec des moyens capables de détecter en temps réel les ten-tatives d'intrusion, les géolocaliser et aler-ter les secours.À l'image de ces drones et robots terrestres ou encore de ces grillages et câbles intelli-gents couplés à des caméras de surveillance sans cesse plus performantes. Certaines caméras savent repérer et suivre des cibles humaines sur plusieurs dizaines de mètres, voire plusieurs kilomètres. Des technologies dans lesquelles les Français excellent. À commencer par HGH Systèmes infrarouges. Créée en 1982 à Igny (Essonne) par des pion-niers de l'infrarouge, l'entreprise est spécia-lisée dans la conception, le développement et la fabrication de systèmes destinés notam-ment à la sécurité des sites militaires mais aussi des ports, plates-formes pétrolières, centrales nucléaires, etc. Ses systèmes anti-intrusion sont constitués de caméras, cap-teurs et logiciel de traitement d'images qui sont issus du projet de recherche Safe-Around. Achevé en 2009, ce dernier a été mené au sein du pôle de compétitivité Sys-tematic pour un montant de 2,6 millions d'euros et dont 900 000 ont été financés par le Fonds unique interministériel (FUI).Depuis, l'entreprise a sorti une gamme de caméras baptisées Spynel, qui tournent sur elles-mêmes afin de détecter et de traquer automatiquement les intrus sur de très lon-gues distances. Dernière en date, la Spynel-X détecte ainsi un être humain à 8 kilomètres à la ronde. Mieux : « Ce système capture en temps réel des images panoramiques avec une résolution, encore inégalée, de 120 mégapixels », fait valoir Gildas Chauvel, le responsable marketing de HGH Systèmes infrarouges. Regroupant une cinquantaine de personnes

dont une quinzaine en R&D, cette PME a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires de 8,3 millions d’euros (contre 7,4 millions en 2012) dont plus de 85 % à l'export.

DRONES À VOL LONGUE DISTANCE. En complément des caméras, la protection des sites étendus les plus sensibles passera aussi par la surveillance à l'aide de drones, capables de parcourir de longues distances de jour comme de nuit. Une solution qui intéresse, entre autres, la surveillance de pipelines, gazoducs, voies ferrées, réseaux électriques, etc. Sur ce secteur, les drones du français Delair-Tech sont les seuls engins habilités en France à effectuer des vols longue distance et hors de la vue du pilote. « Cette autorisation concerne un de nos drones qui pèse 2 kg, dispose d'une autonomie de deux heures et vole à la vitesse de 60 km/h en moyenne », indique Benjamin Benharrosh, le directeur commercial qui figure parmi les quatre cofondateurs de l'entreprise. Créée en 2010, cette start-up d'une trentaine de personnes fabrique dans son atelier d'assem-blage différents modèles de drones, dont un modèle qui pèse 8 kg et se déplace à 80 km/h. Tous embarquent des caméras infrarouges de très haute résolution qui per-mettent de suivre aussi bien un individu qu'une voiture. De quoi intéresser les mar-chés français et étrangers. « Nous prévoyons pour cette année un chiffre d'affaires de 1,5 mil-

lion d'euros dont plus de la moitié à l'export, prévoit Benjamin Benharrosh qui a levé à la fin de l'année dernière 3 millions d'euros auprès du groupe de technologie Parrot. Avec l'ouverture du marché, nous pensons atteindre la rentabilité d'ici à 2015. »

ROBOT TERRESTRE. À l'assaut du marché des drones civils professionnels, Parrot a également investi récemment 1 million d'euros dans la start-up française Eos Inno-vation, basée à Evry (Essonne). Créée en 2010, cette entreprise a conçu un robot ter-restre baptisé E-vigilante qui se déplace à une vitesse de 4 à 10 km/h. « Il s'agit du seul robot autonome qui ne soit ni téléguidé ni télé-commandé », insiste Odile Laborie, chargée du développement commercial de l'entre-prise. Toute anomalie repérée par son cap-teur laser déclenchera une alerte auprès d'un opérateur distant. Ce dernier se connectera alors à la caméra infrarouge de l'E-vigilante pour visualiser la scène. « Cette année, cinq robots seront déployés dans des entrepôts logis-tiques en France et en Belgique », indique la porte-parole d'Eos Innovation qui phos-phore désormais sur l'arrivée en 2015 d'une version conçue pour la surveillance exté-rieure des sites.

PORTAIL INFRAROUGE. Les sites indus-triels ne sont évidemment pas tous désireux de s'équiper d'un drone. En revanche, ils

sont attentifs aux solutions qui permettent à la fois de dissuader les intrus de pénétrer sur les sites et de les alerter en cas d'intru-sion. C’est ce que propose l'entreprise Sorhea avec son dispositif Portalis, consti-tuée d'un portail infrarouge et d'un câble sensible au choc, fixé tout le long de la clô-ture. « Cette solution intéresse notamment les sites isolés car ces dispositifs sont alimentés en énergie solaire par un module photovoltaïque », indique Eric Thord, le président de Sorhea. Spécialisée dans la détection périmétrique, l'entreprise créée en 1987 dénombre 45 sala-riés. « Nous consacrons à la R&D 7 % de notre chiffre d'affaires qui s'est élevé en 2013 à 10 mil-lions d'euros – dont 25 % à l'export », rapporte le dirigeant. Son catalogue s'est enrichi d'une nouvelle application logicielle, Maxibus 3000, qui centralise les alarmes transmises par les différents systèmes installés (bar-rières, câbles de détection, capteurs à double technologie). « En se connectant à cette appli-cation, nos clients pourront visualiser chacun des équipements qu'ils pourront paramétrer à distance et s'informer à tout moment de leur état à partir d'un ordinateur, quel que soit l'endroit où ils se trouvent », ajoute Eric Thord.

SÉCURISER LA TRANSMISSION SANS FIL DES DONNÉES. Seule condition, dis-poser d'un réseau de transmission fiable. Ce qui n'est pas d'ailleurs pas gagné selon Frédéric Salles, président de Matooma.

La French Tech cartonne dans la sécurité industrielle

ANTICIPER

PAR ERICK HAEHNSENET ÉLIANE KAN

@ErickHaehnsen@ElianeKan

Hausse des vols en 2013Le nombre de cambriolages commis contre les locaux industriels, financiers et commerciaux a augmenté en 2013 passant de 60 139 en 2012 à 63 780 selon les statistiques fournies par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Globale-ment, un vol sur cinq concerne des locaux professionnels depuis 2008.

Cuivre : le métal le plus priséSur les 11 861 vols de métaux enregistrés en 2012 en zones urbaine et rurale, 62 % concernaient le cuivre. Les domaines les plus prisés par les délinquants concernent ceux de l’État (entre autres les domaines de la SNCF, d’EDF et de RFF), et les locaux professionnels appartenant à des entreprises et à des récupérateurs de métaux.

Bracelet d’urgenceLe français Novitact innove avec un accessoire qui permet d’appeler en toute discrétion les secours. Il suffit de toucher le bracelet Feel Tact pour déclencher l’alerte. En retour, des sensations tactiles sur le poignet indiqueront que l’appel a été reçu et dans combien de temps arriveront les secours.

Les drones de Delair-Tech sont les seuls engins habilités en France à parcourir de longues distances et à voler hors de vue du pilote.© DELAIR-TECH

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I 25LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

Cette entreprise propose une carte de com-munication qui embarque plusieurs cartes SIM (donc autant d'abonnement à des opé-rateurs télécoms) et s'insère dans un boîtier communicant destiné à remonter les alarmes des systèmes de sécurité (contrôle d'accès, caméra, etc.). « La particularité de cette carte multi-SIM est de rechercher en per-manence les réseaux télécoms disponibles afin d'assurer la transmission des données de sécu-rité, indique le président de l'entreprise qui réalise 1 million de chiffre d'affaires avec ses 15 salariés. Notre offre intéresse l'industrie, la santé et également des acteurs de la sécurité dont Securitas ou Protection 24. » Pour conforter sa place en France et conquérir des marchés à l'export, Matooma vient de lever 1 million d'euros. Objectif : recruter des commerciaux et financer des pro-grammes de R&D. À cet égard, un partena-riat a été noué avec un laboratoire du CNRS dans le but d'élaborer un système d'alerte prédictif. Ce dernier sera capable de détec-ter un défaut technique dans les installa-tions de sécurité et les machines indus-trielles en analysant les données transmises par les cartes multi-SIM.

PRÉVENIR LES DÉTOURNEMENTS INTERNES. Le vol de marchandises, d'équipements voire de données sensibles n'est pas toujours le fait de cambrioleurs. Il peut aussi provenir de détournements internes. D'où l'intérêt de renforcer les

contrôles d'accès avec des systèmes biomé-triques. Dans ce domaine, le français Mereal Biometrics innove avec une carte à puce intégrant une batterie rechargeable et un lecteur d'empreintes digitales. Il suffit d'apposer son doigt sur sa carte pour déver-rouiller automatiquement une porte contrôlée par n'importe quel lecteur du marché. La Commission nationale de l'in-formatique et des libertés (Cnil) a d'ailleurs autorisé l'expérimentation de cette carte biométrique dans les casinos du groupe Partouche.« Les cartes servent à filtrer certains accès phy-siques comme les salles de vidéosurveillance ou de contrôle de caisses, mais aussi les accès logiques comme les logiciels de gestion des machines à sous », décrit Patrick Partouche, président du groupe, mais aussi fondateur de Mereal Biometrics qu'il a créé à titre personnel. Et pour cause, il est l'inventeur de cette fameuse carte biométrique pour laquelle il a déposé des brevets avec son associé et partenaire Uint, spécialisé depuis 2009 dans la conception, la fabrication et la commercialisation de cartes innovantes. C'est d'ailleurs Uint qui sera chargé de fabriquer la fameuse carte de Mereal Bio-metrics en salle blanche. « Uint a déjà investi 1 million d'euros dans ce projet. Et nous comp-tons investir trois autres millions grâce à une levée de fonds auprès de particuliers », prévoit Philippe Blot, à la fois président d'Uint et directeur général de Mereal Biometrics. ■

COMMENT LA SNCF TRAQUE LES VOLEURS DE CÂBLESWin MS, société dérivée du CEA-Leti, a développé un capteur qui géolocalise le vol de câbles et donne l’alerte en temps réel.

Le vol de câbles induirait plusieurs dizaines de millions d’euros de pertes

par an à la SNCF. « Sans compter les heures de travail perdues pour les voyageurs », souligne Arnaud Peltier, PDG de Win MS, une entreprise dérivée du CEA-Leti. Créée à Orsay (Essonne) en 2012, celle-ci a développé un système qui détecte en temps réel les coupures de câbles et donne l’alerte sans délai. Son capteur installé à l’extrémité du réseau saura indiquer au centre de surveillance à quelle distance se situe la coupure. « Ce système est difficilement piratable car nos capteurs sont situés dans des zones techniques sous surveillance », assure le PDG. « Notre stratégie commerciale consiste à vendre nos

dispositifs et nos services au travers de partenaires intégrateurs qui sont déjà positionnés sur les marchés », explique Arnaud Peltier, qui travaille ainsi avec Vossloh Cogifer dans le domaine ferroviaire. Fort de cette stratégie, Win MS a levé tout

récemment 800 000 euros auprès, notamment, de Generis Capital Partners et de CEA-Investissement. L’entreprise vise non seulement le secteur ferroviaire mais aussi les câbles déployés dans les tunnels et au bord des autoroutes, ainsi que toutes les autres infrastructures câblées. ■

Les caméras Spynel-X détectent et suivent les individus sur une portée allant jusqu’à 8 kilomètres.© HGH SYSTÈMES INFRAROUGEs

Truffé de capteurs, le robot E-vigilante peut atteindre une vitesse de 10 km/h lorsqu’il est en intervention spéciale.© EOS INNOVATION

La SNCF estime les

pertes imputables

aux vols à plusieurs dizaines de

millions d’euros.

© JOVO - FOTOLIA.COM

«Prendre rendez-vous, c’est débuter la conversation. Agendize humanise cette première étape», explique Alexandre Rambaud, le PDG de cette société basée à La Chapelle-Saint-Luc, dans l’Aube. Fondée en 2003, Agendize emploie 25 salariés et a ouvert des fi liales aux Etats-Unis, au Canada et depuis août, au Mexique. Côté technologies, elle occupe tous les terrains : mobiles, tablettes et objets connectés avec la montre Galaxy Gear de Samsung. «Notre solution est adaptable. En un clic, vous avertissez votre prochain rendez-vous que vous arriverez en retard. Agendize permet aussi d’effectuer le paiement d’un service lors de la prise de rendez-vous, via Paypal, les cartes bancaires et en monnaie virtuelle Bitcoin. Une notifi cation de l’arrivée d’un prochain client peut être accompagnée de sa photo et d’une fi che de synthèse sur ses habitudes. Ainsi, l’accueil du client est personnalisé d’emblée, la relation se renforce», détaille Alexandre Rambaud. La moitié de ses

équipes planche sur de nouvelles fonctionnalités. «Avec la Région Champagne-Ardenne, Bpifrance a été le principal soutien de notre croissance. Des subventions nous ont permis de recruter nos deux premiers développeurs, et grâce à des avances remboursables dans le cadre de programmes d’innovation, nous avons pu explorer un développement sur GPS, et abandonner ce projet qui n’a pas eu de succès commercial sans que la société en soit déstabilisée. Bpifrance assume le risque aux côtés de l’entrepreneur.» Agendize a aussi reçu de Bpifrance des garanties et un prêt à l’export, pour un montant de 340.000 euros. De quoi faciliter la conclusion d’un partenariat avec le japonais NTT Docomo, après un an de négociations. «Les équipes de Bpifrance sont accessibles. J’exprime mes besoins, et elles trouvent les solutions optimales.» Agendize prévoit de dépasser 10 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2 ans.

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Alexandre Rambaud (à droite) et l’équipe R&D d’Agendize © D

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26 ILA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FRENTREPRISES

Mardi 9 sep-tembre, Tim C o o k , l e p a t r o n d u géant améri-cain de l’élec-tronique, avait à peine fini de

lever le voile sur son système de paiement mobile Apple Pay que la question bruissait déjà sur toutes les lèvres : et si Apple, avec ses nouveaux objets connectés, portait le coup de grâce aux banques. Une interroga-tion légitime, à laquelle on pourrait être tenté de répondre par l’affirmative, si Apple avait bâti son offre de paiement sans contact tout seul dans son coin, avec l’am-bition évidente de marcher sur les plates-bandes du secteur bancaire. Mais, à l’in-verse de Google, PayPal (groupe eBay), Merchant Customer Exchange (Wal-Mart, Target, etc.) et autres pionniers du paie-ment mobile, Apple – qui lancera d’abord Apple Pay aux États-Unis, en octobre – a choisi justement de ne pas entrer en concurrence frontale avec les banques. La firme californienne a noué un partenariat avec les trois grands groupes de cartes ban-caires, Visa, MasterCard et American Express, ainsi qu’avec une dizaine de banques américaines, parmi lesquelles figurent Bank of America, Citigroup, JPMorgan Chase, Wells Fargo ou encore Capital One, et qui représentent 83 % des volumes d’achats réalisés par carte de cré-dit outre-Atlantique.

Certes, l’empressement de ces acteurs tradi-tionnels du secteur bancaire à accepter le partenariat proposé par Apple montre qu’ils n’ont pas vraiment le choix. Mais, ainsi par-tenaires et non pas concurrentes d’Apple Pay, les banques ne risqueront pas d’être privées des commissions prélevées sur les transactions électroniques, cette manne convoitée par les géants de l’Internet. Il faut dire que ces commissions, facturées par les banques aux commerçants, équivalent à 2 % environ du montant de chaque transaction, ce qui représente quelque 40 milliards de dollars de recettes annuelles pour les banques américaines.

DES TRANSACTIONS MIEUX SÉCURISÉES

Évidemment, Apple étant une entreprise commerciale et non une association carita-tive, le groupe dirigé par Tim Cook devrait exiger des banques – en contrepartie de leur intégration à Apple Pay – qu’elles lui versent une commission lors de chaque transaction, d’après l’agence Bloomberg. Cette commis-sion, qui devra être négociée avec chacune des banques, engendrerait un coût que les établissements de crédit pensent toutefois pouvoir contrebalancer par l’explosion du nombre de paiements par mobile résultant du lancement d’Apple Pay. Le marché des paiements mobiles devrait en effet atteindre 90 milliards de dollars en 2017, contre 12,8 milliards seulement en 2012, selon les

analystes de Forrester Research, soit une multiplication par sept. Reste qu’à long terme, « si Apple Pay est effectivement adopté massivement par les consommateurs, Apple risque de vouloir renégocier à son avantage le partenariat conclu avec les banques et les groupes de cartes bancaires », prévient l’agence de notation financière Fitch.En attendant, le partenariat avec Apple pré-sente un autre avantage pour le secteur ban-caire : il devrait diminuer la fraude sur les transactions électroniques, dont le coût est loin d’être anodin pour les banques. En effet, Apple Pay – qui permettra aux détenteurs d’iPhones 6, 6 Plus et aux possesseurs de montres connectées Apple de payer sans contact dans les magasins, en approchant leur appareil mobile d’un lecteur spécifique – est doté d’un système de sécurité à plusieurs étages. D’abord, le paiement n’est déclenché que si le propriétaire d’un iPhone 6 ou d’une Apple Watch appuie sur Touch ID, un bou-ton qui reconnaît son empreinte digitale. Ensuite, les données de sa carte bancaire sont cryptées. Enfin, chaque transaction est validée grâce à un code unique, et c’est à celui-ci que le commerçant a accès, et non aux coordonnées bancaires du consomma-teur. Et, en cas de perte de son smartphone, le consommateur pourra suspendre ses paie-ments via Localiser mon iPhone, la fonction de géolocalisation de l’appareil.

UN PARTENARIAT GAGNANT-GAGNANT

Last but not least, Apple a promis de ne pas exploiter les données bancaires captées par les smartphones, données qui représentent une mine d’informations sur le comporte-ment des consommateurs, et dont l’analyse – via la technologie du big data – permet de prodiguer à ces derniers des offres commer-ciales parfaitement ciblées. « Nous ne savons pas ce que vous avez acheté, où vous l’avez acheté, ni pour quelle somme », insiste Apple. Résultat, Jamie Dimon, le patron de JPMor-gan, n’hésite pas à affirmer que « chacun est

gagnant », dans le cadre du partenariat conclu entre Apple et les banques améri-caines. Un soulagement pour le financier et banquier, qui était revenu atterré d’un voyage effectué en février dans la Silicon Valley pour rencontrer les grands noms de l’Internet, affirmant que « tous [voulaient] manger notre déjeuner ».Ceux qui feraient bien de prendre garde à leur part du gâteau, en revanche, ce sont les pure players du paiement mobile. Certes, après une quinzaine d’années d’existence, PayPal, filiale d’eBay, peut se targuer de réu-nir 154 millions d’utilisateurs. Mais les 800 millions de détenteurs d’un compte iTunes (Apple) représentent autant d’utili-sateurs potentiels d’Apple Pay, par ailleurs déjà accepté par plus de 200 000 magasins au pays de l’Oncle Sam, notamment les enseignes Macy’s, McDonald’s, Sephora, Subway et Disney Store. Nul doute que cette nouvelle invention de la firme à la pomme représente une menace plus grande encore pour les start-up spécialisées dans le paie-ment mobile. De fait, aussi bien Square que Stripe reconnaissent plancher sur le moyen de rendre leurs technologies compatibles avec Apple Pay. Les voilà donc sans doute, les vraies futures victimes du dernier bébé d’Apple. Le 9 septembre, après la présenta-tion d’Apple Pay, l’action eBay a d’ailleurs fléchi de près de 3 % .Et les banques européennes, dans tout cela ? « Nous travaillons activement avec Apple et avec nos banques partenaires pour apporter ce nouveau service en Europe », a déclaré Visa Europe, dans la foulée du lancement d’Apple Pay. Selon la presse britannique, Pedro Sousa, responsable du paiement mobile et sans contact chez Visa, n’a pas communiqué de date officielle de lance-ment, mais a déclaré qu’Apple Pay débar-querait en Europe dès 2015. En tout état de cause, le partage de la manne des commis-sions sur les transactions par cartes entre les banques et Apple sera moins simple qu’aux États-Unis, ces commissions d’inter-change étant significativement plus faibles sur le Vieux Continent. ■

PAR CHRISTINE LEJOUX

@ChLejoux

Tim Cook lors de son show de présentation des nouveautés Apple, dans la pure tradition du mythique Steve Jobs. © Stephen Lam / Reuters

MONÉTIQUE

Un rendez-vous

en présence de Jean-Louis MissikaAdjoint à la Maire de Paris

« Le Pari(s) d’une nouvelle croissance »

Mardi 30 septembre 2014 de 8 h 30 à 11 h 00Accueil café à partir de 08h00

à la Bourse de Commerce2, rue de Viarmes, 75001 Paris

Nombre de places limité. Inscription obligatoire avant le 23 septembre 2014.

Inscriptions et renseignements : [email protected]

Pierre-Antoine GaillyPrésident

de la CCI Paris Ile-de-France

Philippe SolignacPrésident

de la CCI Paris

Club Entreprises

en partenariat

Non, Apple ne tuera pas les banques !Les futures victimes d’Apple Pay ne sont pas celles que l’on croit. Contrairement à ses prédécesseurs, Apple pénètre le marché du paiement mobile en nouant un partenariat avec les banques. C’est donc surtout pour PayPal, Square et autres pure players du paiement mobile qu’Apple Pay représente une menace.

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Le monde a changé, pas le GRP.En 2014, la réussite d’une campagne ne dépend plus uniquement du nombre de contacts mais également de leur qualité. Une simple rencontre au bon endroit et au sein d’une communauté concernée sera toujours plus efficace que des milliers de contacts.Pour répondre à ces nouveaux enjeux, la Tribune Hub Media vous apporte des solutions de communication efficaces et sur-mesure adaptées à votre communication : digital, événementiel, print, publishing.

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Franck Hédin est P.D.G. de CMG Sports Club (anciennement Club Med Gym), les salles de fitness à Paris et proche couronne. Pour cette enseigne fondée il y a trente-cinq ans sous la marque Gymnase Club, et qui réalise un chiffre d’affaires de 55 millions d’euros avec 650 salariés, le sport est aussi un véritable enjeu RH pour les entreprises et leurs salariés.

l’expertla tribune - VeNDreDI 6 Décembre 2013 - No 70 - www.latribune.fr

I 8

Les entreprises prennent de plus en plus conscience de la santé et de la forme physique de leurs salariés… De nouveaux relais de croissance pour CMG Sports Club?

Ce n’est plus seulement une obligation morale mais juridique pour l’employeur de s’assurer du bien-être de ses salariés. Et c’est la stratégie de CMG Sports Club de faciliter l’accès des entre-prises au sport. On le fait de deux manières : soit au travers des contrats d’entreprise, généralement négociés avec des comités d’entreprise à qui l’on vend des abonnements à tarif réduit ; pour le salarié, cela peut aller jusqu’à 50% de remise quand son CE abonde. Soit en développant des espaces fitness au sein même de l’entreprise. Ainsi, de Renault à Canal+, en passant par Coca Cola, nous en gérons désormais une trentaine en région parisienne. Ces espaces vont de 50 m2 à 1500 m2, soit une taille proche de nos clubs de sport grand public.

Est-ce que ça coûte cher ?

Pas forcément, car nous offrons des formules à la carte. Cela peut aller de quelques milliers d’euros par an pour une petite salle à plus de 100 000 euros pour une salle entièrement gérée avec un coach. Nous savons par expé-rience qu’un salarié sur dix va fréquenter la salle, ce qui permet de la dimensionner. Un site de 20 000 salariés attirera potentiel-lement 2 000 personnes. Mais on travaille aussi avec des PME de moins de 50 salariés.

Qu’est-ce qui peut convaincre une entreprise de jouer la carte fitness?

Il s’agit plutôt de fonctionnaliser le retour sur investissement. Les statistiques montrent qu’une salle de sport sur le lieu de travail permet de réduire significativement l’absentéisme, les troubles musculo-squelet-tiques, et les risques psycho-sociaux. Des études ont montré qu’un employé physiquement actif est 12 % plus productif

qu’un employé sédentaire. Selon l’OMS, les programmes d’activité physique en milieu de travail peuvent réduire de 32 % les congés maladie. Cela parle aux dirigeants. C’est vrai qu’il faut mobiliser un local, des mètres carrés mais c’est rentable quand on analyse les coûts à la loupe. De même que peu d’entreprises s’interrogent sur l’intérêt d’un restaurant d’entreprise, la salle de fitness rentre dans les moeurs. A tel point qu’un espace est souvent prévu dans les nouvelles constructions. Tout le monde est convaincu. Nous avons interrogé les parisiens en août 2013 : 65% d’entre eux estimaient que le sport en salle améliorait le bien-être. Pour une entreprise, la question n’est donc pas de faire ou de ne pas faire, mais comment insérer le sport dans leur budget.

Qu’est-ce qui a changé dans la façon de faire du sport en salle depuis les années 70?

Dans les années 70, la dimension musculation et esthétique était très forte. Puis les clubs ont évolué vers le cardio, avec les tapis de course. Dans les années 80 est arrivé l’aérobic, popularisé aux Etats-Unis par Jane Fonda et en France par Véronique et Davina. Véronique donne d’ailleurs toujours des cours chez nous. On a pour l’essentiel gardé les cours collectifs, le cardio et la musculation mais les outils et équipements sont devenus plus ludiques, plus technos aussi. Si on prend le tapis de course, vous disposez maintenant d’un grand écran qui vous donne l’impression de courir dans la nature. On va suivre votre rythme cardiaque, vous dire combien de calories vous avez dépensées, puis transférer ces informations sur votre Smart-phone. De même, les cours collectifs sont beaucoup plus ciblés. Les trois besoins des gens qui viennent faire du sport en salle sont de perdre du poids, se muscler/sculpter sa silhouette et pratiquer de l’exercice physique. Nous avons des réponses très précises à chacun de ces besoins et de nouvelles pratiques ne cessent d’arriver.

Propriété du fond d’investisse-ment 21 Partners, CMG Sports Club a repris son programme d’ouverture de salles en région parisienne. Quelle est votre stratégie d’implantation ?

Nous sommes repartis sur le rythme d’au moins une ouver-ture par an depuis 2012, avec

une salle très haut-de-gamme dans le quartier de la Bastille, puis une autre en 2013 à Issy-les-Moulineaux. Nous avons un projet pour 2014. Nos clubs font entre 1 000 et 4 000 mètres carrés. Le critère numéro un d’un club de sport est la proximité, car vous n’allez pas faire de sport à plus de 15 minutes de votre travail ou de votre domicile. Avec 22 clubs sur Paris et proche couronne dont 17 Clubs One (avec un abonnement à 80€ par mois), 4 Clubs Waou (120 € par mois), et un Club exclusif, Pure, à Bastille (150 € par mois), nous couvrons déjà bien Paris et la première couronne. Il nous reste quelques trous à combler pour terminer le maillage de Paris, avec un objectif de 26 salles.

Quel est le poids de la concur-rence ?

Sur Paris et première couronne, notre terrain de prédilection, il y a 130 clubs, dont 22 pour CMG Sports Club. La nouveauté de ce marché est l’arrivée depuis deux ou trois ans du libre-service, qui consiste à simplement louer l’accès à une salle équipée, sans coach, sans encadrement… C’est une offre qui séduit car les prix sont bas mais ce n’est pas notre stratégie. Nous croyons aux vertus de l’accompagnement. C’est essentiel. Qu’une personne qui n’a jamais fait de sport

commence sans accompagne-ment nous paraît dangereux. Le sport, c’est la santé, mais soulever des charges lourdes et de manière répétée, pour prendre un exemple, ne s’impro-vise pas.

Quel est le sens du partenariat avec l’équipementier Reebok, que vous avez annoncé en mars dernier ?

Reebok a souhaité réinvestir le monde du fitness, dont la marque a été l’un des pionniers avec le « step », à la fin des années 80. Nos ambitions sont communes, d’où ce partenariat sur cinq ans. CMG Sports Club met en avant leurs produits, en habillant par exemple nos coachs en produits Reebok. Et en échange, nous profitons de tous les partenariats déjà noués par Reebok, en particulier sur le Cross Fit. Cette discipline a le vent en poupe. Même chose dans l’outdoor, où Reebok est le fervent soutien de la Spartan Race, un type de course avec obstacles qui fait un carton. Nos adhérents sont sensibles à la dimension compéti-tion de cette discipline et cela leur permet de sortir de la salle. Le partenariat avec Reebok nous a aussi permis de lancer cette année avec succès le Strala yoga, une nouvelle discipline plus « fitness » et moins spirituelle que le yoga traditionnel.

Comment voyez-vous votre entreprise dans cinq ans ?

Comme l’un des tout premiers acteurs, sinon le premier, du sport en salle accompagné en Europe. C’est un marché où il y a une vraie place à prendre, seul ou en s’alliant à d’autres partenaires européens, y compris par rachat, comme en Suisse. En 2010, nous y avons racheté le réseau Silhouette, soit 20 clubs en Suisse romande et à Zurich. Nous devons nous remettre perpétuellement en cause, ne pas être numéro un simplement parce qu’il y a trente-cinq ans, quelqu’un a eu l’idée géniale d’inventer Gym-nase Club, mais par la qualité de nos prestations. CMG Sports Club compte 70 000 clients, dont 65 000 adhérents annuels. La moitié nous est fidèle depuis plus de 5 ans, ce qui montre leur attachement à notre enseigne.

Entretien exclusif avec Franck Hédin, PDG de CMG Sports Club

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Franck Hédin, PDG de CMG Sports Club

«Le sport sur le lieu de travail : enjeu d’image ou facteur de productivité ?»

COMMUNIQUéLa tribune - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - No 100 - www.Latribune.fr

La pratique d’un sport peut réduire

l’absentéisme de 32%

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LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

METROPOLESI 29

PAR PASCALE PAOLI-LEBAILLY Reconnue pour sa capacité d’in-

novation et pour la variété des stratégies mises en œuvre par ses entrepreneurs, la Bretagne présente un modèle d’ETI par-

ticulièrement dynamique.Les 160 ETI bretonnes (source CCI et Insee Bretagne) réalisent près d’un tiers du chiffre d’affaires de toutes les entre-prises du territoire (31,7 %) et emploient 136 500 personnes (23,6 % des salariés). La moyenne se situe à 700 salariés (contre 615 à l’échelle nationale), mais 19,4 % des ETI affichent plus de 1 000 personnes, tan-dis que 57 % en recensent moins de 500.L’industrie, minoritaire par rapport à l’agroalimentaire, génère 37,5 % de l’acti-vité. Si la crise du secteur de la production signe l’échec d’entreprises insuffisamment innovantes, plusieurs fleurons existent comme Guyader Gastronomie, Triballat, ou La Trinitaine. Les activités de services comptent pour 31,9 % et le commerce pour 25,6 %. Outre Timac (engrais) ou Olmix (filière des algues) dans le secteur chimie-biotechnologies, des ETI ont émergé dans l’économie numérique et les télécoms, telles Astellia ou Deltadore (électronique appliquée) et dans le textile (Beaumanoir, Armor Lux).Ces entreprises fondent notamment leur croissance sur l’international, puisque 54 %

d’entre elles sont exportatrices (40 % pour la moyenne française), et 28 % exportent même plus de 25 % de leur production.Les ETI régionales bâtissent également leur modèle sur l’innovation, autour de pôles urbains comme Rennes (numérique, automobile), Brest (agriculture, pêche, industrie navale), Lannion (TIC) qui ont développé une excellente dynamique R&D, publique comme privée, ainsi que des pro-grammes collaboratifs. L’implantation des ETI est d’ailleurs plus forte en Ille-et-Vilaine (42 %) et en Finistère (33 %).

UN FORT CARACTÈRE PATRIMONIAL ET RÉGIONAL

Jouant la solidarité entre entreprises, 20 % des ETI adhèrent à un pôle de com-pétitivité régional (Valorial, Images & Réseaux, Mer Bretagne, IDforCar) ou national. Le secteur des TIC (images, réseaux et e-santé) fédère grands comptes (Orange Labs, Technicolor) et PME inno-vantes. L’économie maritime travaille sur des niches à haute valeur ajoutée : hydroliennes, éoliennes flottantes, bio-technologies… En nombre de brevets déposés (46 en 2010, soit 6,1 % du total), la Bretagne se place dans le peloton de tête avec l’Île-de-France,

Rhône-Alpes et les Pays de la Loire.Comme les PME, les ETI bretonnes se dis-tinguent par leur forte identité régionale et surtout leur caractère patrimonial.Pour accélérer leur développement, elles restent toutefois ouvertes aux autres sources de financement, utilisant les diffé-rents leviers qui s’offrent à elles : aides régionales à l’innovation, à la création ou

au développement, recours à Bpifrance (maritime, TIC, agroalimentaire), voire levée de fonds. Œuvrant à la valorisation des filières d’avenir, l’agence régionale de développement et d’innovation BDI est chargée de mettre en œuvre la stratégie d’attractivité pour la période 2013-2020. La région Bretagne consacre 110 millions d’euros par an à l’économie. ■

Comment Rennes transforme ses PME en championnes

UN CLUB ACTIF À L’ÉCOUTE DES DRHRetrouvez le contenu des débats

« Comment passer d’une PME à une ETI : lever les freins de la croissance »organisés en partenariat avec La Tribune

sur www.pole-emploi.org

La Pointe du Raz, l’un des lieux emblématiques des côtes bretonnes, classé « grand site de France ».© Alterfalter - Fotolia

LE TOUR DE FRANCE DES PLUS BELLES ETI

Peut-on parler d’un modèle d’ETI breton ?Il n’y a pas de modèle breton, mais la structure économique du territoire s’ap-puie sur une épine dorsale d’ETI au péri-mètre familial, et une volonté de garder les centres de décision en Bretagne.Il y a aujourd’hui une génération de diri-geants – Gilles Falch’hun chez Sill, Chris-tian Roulleau chez Samsic, Louis Le Duff… – qui développent leur activité dans le monde entier tout en restant très attachés à leur territoire.L’association Produit en Bretagne, qui fédère PME et grands groupes, est une

parfaite illustration de cette volonté de donner à la région la capacité de se déve-lopper, d’innover et de créer de l’emploi. Les ETI et PME installées en Bretagne bénéficient par ailleurs d’un écosystème structuré et du bon niveau de qualifica-tion des salariés.Pour relever les défis économiques, une relation de confiance s’est instaurée entre les entreprises et les institutions régionales.

Quels sont les enjeux spécifiques du territoire ? Ses atouts ?Certains modèles économiques dans le secteur agroalimentaire et plus précisé-

ment sur le premier niveau de production agricole (porc, volaille), ou encore dans l’automobile, sont en cours de restructu-ration.Malgré la crise, ces secteurs restent des filières stratégiques pour l’économie En parallèle, on assiste au renouveau et à l’émergence de filières fortes, liées à la transformation agroalimentaire, au numé-rique ou au maritime. Il s’agit donc de créer des acteurs impor-tants en Europe dans le domaine des bio-technologies, des énergies renouvelables ou de la cybersécurité. La présence de grandes entreprises comme

Loïg Chesnais-Girard, vice-président de la Région chargé de l’économie et de l’innovation

« Nos entrepreneurs sont attachés à leur territoire » INTERVIEW

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MÉTROPOLES30 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

LES GAVOTTES au chocolat régalent le Japonle pôle biscuiterie premium, avec ses marques Gavottes et Traou Mad, est le navire amiral du groupe d’industries alimentaires Galapagos. Dans les années qui viennent, il va largement contribuer au développement commercial international du groupe.

La biscuiterie n’était pas son fonds de commerce, mais les crêpes dentelles l’ont mis en appétit.

Depuis le rachat à Food Trends des Gavottes de Loc Maria en 1990, Christian Tacquard n’a cessé de garnir son panier de gourmandises. Cette première PME de moins de 50 salariés installée à Dinan (CA : 4 M€) était peu productive mais bien positionnée sur le marché français. Elle a été le fer de lance de l’essor de la société holding familiale Galapagos, que l’entrepreneur autodidacte a fondé dans la foulée de cette acquisition. Île par île, le groupe s’accroît pour regrouper un archipel de petites entreprises dotées d’un savoir-faire régional reconnu :

biscuits Tanguy, Traou Mad (galettes de Pont-Aven), Gaillard pâtisserie, coentreprise en 2007 avec le groupe Norac autour des marques Crêpes Whaou ! et Le Ster. Christian Tacquard fait ses emplettes en biscuiterie, en pâtisserie industrielle, en pâtes et couscous (Alpina Savoie). En 2 000, le groupe comptait 300 personnes pour 50 M€ de chiffre d’affaires, il est aujourd’hui constitué de trois pôles, employant 750 salariés

pour un chiffre d’affaires consolidé de 173 M€. Automatisant la produc-tion, Christian Tacquard a sorti la marque Gavottes du sommeil et exporte déjà avec succès la crêpe dentelle au chocolat, jusqu’au Japon. C’est l’ensemble du pôle biscuiterie premium

(66 M€ de CA) qu’il conforte aujourd’hui par un développement commercial plus soutenu à l’international et vers de nouveaux marchés au Moyen-Orient, en Asie, en Europe, en Amérique. Le groupe investit aussi 24 M€ sur 2014-2017 dans son outil industriel pour doter les Gavottes d’une nouvelle usine. Galapagos espère accroître la part de l’export à 20 % de son chiffre d’affaires global vers 2018, mais à 50 % de celui de la biscuiterie. Le lancement de nouveaux produits et recettes répondant aux attentes des consomma-teurs est un autre levier de croissance. Chez Galapa-gos, la volonté de réussir ensemble est une valeur forte.

CORIOLIS Composites veut se diversifier et alléger les voituresFournisseur de cellules robotisées et de logiciels de placement de fibres pour l’aéronautique, Coriolis Composites prépare sa diversification. Elle veut gagner en volume grâce à l’automobile ou à l’éolien.

D’abord fondée à Lyon en 2001 par trois élèves ingénieurs passionnés de voile, c’est vers Quéven, près de Lorient, que Coriolis

Composites met le cap en 2003. L’écosystème y est plus accueillant pour cette start-up développant une technologie automatique pour construire les coques des voiliers en matériaux composites. La genèse de ce projet commencé en 1996 est longue et chaotique : aucun banquier ne suit. Le Fonds de développement économique lorientais offre une planche de salut à Clémentine Gallet, Yvan Hardy et Alexandre Hamlyn. Ils achètent leur pre-mier robot et expérimentent leur technologie pen-dant deux ans. Le milieu nautique l’ignore mais Airbus à Nantes passe la première commande. La start-up décolle. Coriolis Composites est aujourd’hui une PME de 100 per-sonnes, dont 80 % d’ingénieurs. Elle fournit des cellules robots et des logiciels de placement de fibres pour la réalisation de pièces composites dans le secteur de l’aéronautique.Passée à une production indus-trielle en 2012, elle s’est aussi rap-

prochée de ses clients internationaux (Dassault, EADS, Bombardier, Safran), en ouvrant quatre filiales en Allemagne, au Canada, en Grande-Bre-tagne et à Bayonne. Premier fournisseur des laboratoires de recherche aéronautique, Coriolis, dont l’équipe R&D (10 per-sonnes) anticipe constamment les innovations technologiques, a vendu 35 machines depuis sept ans. Soucieuse de développer la sous-traitance, elle passera un nouveau cap en 2015, dépassant les 20 M€ et les 110 personnes (13 M€ de CA en 2014). Mais pour aller plus loin, l’entreprise prépare sa diversification, dans l’automobile d’abord.Deux projets collaboratifs sont en cours avec le fournisseur d’équipements automobile Faurecia et avec Cooper Standard. Demain, c’est le transport terrestre, l’éolien, le nautisme autour de matériaux biosourcés qu’elle vise. Dans les deux ans, Coriolis Composites investira 2 M€ par an dans la R&D. « En

prenant des marchés de volume, nous avons l’opportunité de décupler notre activité via la sous-traitance. La trans-formation financière de l’entreprise, de ses méthodes de production et de mana-gement est déjà à l’étude », assure sa présidente Clémentine Gallet. Auto-didactes passionnés par l’industrie, les trois cofondateurs se préparent à changer leur image de « cher-cheurs rigolos » pour fournir en grande série.

Depuis Saint-Malo, BEAUMANOIR habille le mondeEn France comme à l’étranger, la croissance du groupe de prêt-à-porter Beaumanoir est portée par l’agrandissement des magasins et la nouvelle expérience d’achat proposée aux clientes.

C’est par la centralisation et le pilotage des stocks, la maîtrise de la logistique et l’intuition

qu’il fallait mettre les systèmes informa-tiques au service de la mode et du com-merce indépendant, que Roland Beauma-noir a construit, brique par brique, son empire de prêt-à-porter féminin. En s’implantant d’abord dans les petites villes.Depuis la création, à Saint-Malo, des pre-miers magasins Vétimod en 1981 et Cache-Cache en 1985, ce fils de commerçant a activé plusieurs leviers pour accroître le périmètre de son groupe : passage du sta-tut de franchisé à celui d’affilié, croissance externe, internationalisation, reposition-nement de magasins. Et même le conseil. La marque de jeanerie Bonobo est née en 2006, lorsque 30 magasins Pantashop ont confié à Beaumanoir la gestion de leurs achats. Au travers de ses six marques qui comptent aussi Patrice Bréal, Scottage, Morgan et La City, le groupe familial a connu une croissance effrénée, de 30-40 % par an selon les périodes. Fort de 2 600 points de vente dans 40  pays, dont près de 1 000  magasins en Chine avec Cache-Cache et Bonobo, il pèse aujourd’hui 1,35 Md€ de chiffre d’affaires, et compte 7 000 salariés plus 7 000 collaborateurs chez les affi-liés. « Notre principal capital, ce sont nos marques et nos canaux de distribution », relève Roland Beaumanoir, dont le por-tefeuille s’est encore enrichi cette année. Cache-Cache distribue aussi les marques OÔra, cocréée avec M. Pokora, et Lulu Castagnette, et fait une incursion dans la cosmétique avec Flor Man, filiale d’Yves Rocher.L’avenir passe en effet par un mélange entre commerce physique et numérique. En magasin, c’est désormais une nouvelle expérience client mêlant mode, beauté et numérique que propose Beaumanoir, au travers de ses 130 magasins multi-marques, comme celui de Dinan (quatre marques, 1 600 m2). Ce concept, qui implique la fermeture de sites en centre-ville, sera étendu à l’étranger, notam-

ment en zone MEA où le groupe souhaite se consolider. En Chine, des magasins plus vastes sont ouverts dans des villes moyennes.Forte d’une base de 13 millions de clientes actives en France, l’activité de la filiale d’e-commerce Korben (CA  : 30 M€) doit être portée par cette straté-gie d’innovation. Roland Beaumanoir compte doubler son chiffre d’affaires global d’ici à cinq ans.

GALAPAGOSSecteur d’activité : agroalimentaireSpécialité : biscuits, pâtisserie industrielle, pâtes, semouleEffectifs : 1 040 salariésChiffres d’affaires : 259 M€ en 2013Croissance continue d’ici à 2018Contact : [email protected]

GROUPE BEAUMANOIRSecteur : industrieSpécialité : prêt-à-porterEffectifs : 7 000 salariés, 7 000 collaborateurs chez les affiliésChiffre d’affaires : 1,35 Md€, doublé sous cinq ansCroissance : continueContact : [email protected]

CORIOLIS COMPOSITESSecteur : industrieSpécialité : cellules robots et logiciels de placement de fibresEffectifs : 100 salariésChiffre d’affaires : 13 M€ en 2014, 20 M€ en 2015Croissance : 20-25 % par anContact : [email protected]

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I 31LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

GUYADER, entre terre et mer et vers le grand largeBien ancrée dans son terroir, Guyader Gastronomie mise sur l’innovation et la conception de produits de qualité pour poursuivre son développement. Renforçant sa politique de marque en France, le groupe veut aussi aborder le grand export.

Plus qu’une stratégie, c’est son intuition que Christian Guyader suit pour

tenir le cap de Guyader Gastrono-mie, l’entreprise familiale de charcuterie traditionnelle créée en 1930 par son grand-père. Charcutier de formation, le PDG ne renie pas les choix définis depuis son entrée en 1982 dans l’entreprise, qu’il rachète à sa mère en 1993.Autour de valeurs comme la territorialité, la qualité, le bien-manger, l’innovation et l’ouverture sur le monde, la marque Guyader s’est développée par croissance interne et externe.Après une diversification en 1989 vers les produits de la mer, valorisant la ressource bretonne au travers de ses rillettes et terrines marines, Christian Guyader prend vite le chemin des marchés européens (Allemagne, Belgique, Suisse, Espagne, Pays-Bas,

Autriche). En 1999, le rachat de la salaison Guéguen marque le début d’une série d’acquisitions,

dont Bretagne Saumon en 2012, qui porte le groupe à 430 salariés.Développant trois familles de produits (charcuterie, traiteur et traiteur de la mer, poissons et poisson fumé), Guyader Gastro-nomie est aujourd’hui constituée de six sites de production en Bretagne, d’une conserverie artisanale et d’une base logistique. « La crois-sance a été au rendez-vous chaque année ; le développement n’est pas un objectif, mais la conséquence de la qualité de l’entreprise », assure Christian Guyader, qui partage la valeur de l’innovation avec l’ensemble de ses salariés. Chaque entreprise du groupe possède sa propre structure de R&D.Prévoyant un chiffre d’affaires de 75 M€ en 2014, l’entreprise conforte actuellement son outil industriel, et dope ses structures commer-ciales et ses projets R&D. Objectif : 100 M€ de chiffre d’affaires d’ici à 2017, dont 20 % à l’export (10 % actuellement). Pour aborder le grand export, elle doit toutefois lever les problèmes de logistique liés au transport de produits frais.En France, Guyader consacre aussi des efforts en marketing, en publicité et en communication pour renforcer sa marque, très présente en GMS, en RHD et chez les grossistes.

GUYADER GASTRONOMIESecteur : agroalimentaireSpécialité : charcuterie, poissonEffectifs : 430 personnesChiffre d’affaires : 73 M€ en 2013, 75 M€ prévus en 2014, 100 M€ visés en 2017Contact : [email protected]

MX habille les tracteurs sur mesureAgriculture, espaces verts, collectivités : pour commercialiser, dans le monde entier, ses équipements de manutention installés à l’avant des tracteurs, MX anticipe les demandes de ses clients.

Pour MX, le monde est un vaste champ d’ac-tion, si tant est qu’il y ait des tracteurs. Ins-tallée à Acigné, près de Rennes, l’entreprise

spécialisée dans la conception d’équipements de manutention (chargeurs, bennes multiservices…), rayonne déjà dans 56 pays, en Allemagne, en Grande-Bretagne, où elle possède des filiales, mais aussi en Nouvelle-Zélande, au Chili, en Afrique du Sud.N° 1 en France, N° 2 en Europe, ce fleuron indus-triel de l’Ille-et-Vilaine génère 45 % de son chiffre d’affaires à l’export (82 M€ en 2013, 550 salariés), mais veut encore accélérer son développement international, notamment en Europe.Après la commercialisation de chargeurs pour les petits tracteurs spécialisés dans les espaces verts, MX s’apprête à lancer une nouvelle gamme de masses multiservices.Sa croissance s’appuie en effet sur l’offre distinctive et sur mesure mise en œuvre par Fré-déric Martin, son président du directoire depuis 2009. Cet ancien de Manitou transforme, atelier par atelier, l’outil de pro-duction et le système logistique

pour les rendre plus flexibles à la variété des demandes des clients et réduire les délais : MX travaille sans carnet de commandes et livre rapi-dement. Elle peut aussi produire en petites séries. L’internalisation de la fabrication lui permet de maîtriser ses coûts et de dégager l’argent pour innover. Chaque année, l’entreprise renouvelle deux gammes de produits. En cinq ans, MX, qui comptait 400 personnes en 2009 (CA : 52 M€), s’est agrandie, formant et embauchant du person-nel. Elle vise les 100 M€ d’ici à 2020.Un objectif que Loïc Mailleux, directeur général de MX et actionnaire majoritaire,ne peut que valider. En restant sur son cœur de métier, MX est fidèle à l’héritage de Louis Mailleux. En 1951, ce forgeron et maréchal-ferrant fabriquait des charrues avant d’imaginer, en 1959, le premier chargeur pour trac-

teur. De ce savoir-faire, MX a conçu une véritable expertise : son bureau d’étude connaît tous les châssis de tracteurs, et sa base de données contient 6  000 références de modèles, dans 40 marques différentes.

MXSecteur : industrieSpécialité : équipements pour tracteursEffectifs : 550 salariésChiffres d’affaires : 82 M€ en 2013, 100 M€ visés en 2020Contact : [email protected]

MULTIPLAST/CARBOMANSecteur : nautisme, industrieSpécialité : construction de bateaux et production de pièces industrielles en compositesChiffres d’affaires : 14 M€ dont 8,50 M€ issus de Multiplast en 2013 ; 60 M€ visés en 2020Croissance : 10-15 % par an sur chaque société, et acquisition tous les dix-huit moisContact : [email protected]

MULTIPLAST vogue vers l’aéronautiqueDésormais arrimé à Décision SA au sein du groupe Carboman, le chantier naval Multiplast accélère sa diversification dans la production de pièces industrielles en composite pour l’aéronautique. Ces technologies améliorent aussi la qualité des bateaux.

En s’associant en décembre 2013 à la société suisse Décision SA de Lausanne, le chantier naval vannetais Multiplast a affiché son

ambition de devenir un acteur de premier plan.Constituée autour du groupe de droit suisse Car-boman SA, détenu à 50 % et présidé par le patron de Multiplast, Dominique Dubois, cette alliance forme une entité de 150 personnes. Elle réalise un chiffre d’affaires de 14 M€, dont 8,5 M€ issus de Multiplast. Si la construction de bateaux de com-pétition, et sous peu de bateaux de luxe, demeure un segment essentiel de l’activité, c’est dans la produc-tion de pièces industrielles en com-posite que le nouveau groupe veut prendre des parts de marché.Les deux entreprises ont déjà col-laboré à la fabrication des mono-types de la Volvo Ocean Race, mais faute de croissance à deux chiffres dans la course au large, Carboman va servir d’accélérateur vers l’in-dustrie. En mettant en commun les bureaux d’étude et la production

des deux structures, le groupe sera plus audible par les industriels français et étrangers, sur des dos-siers de 50 à 100 M€.Connu pour ses multicoques et monocoques tels Groupama, Sodebo, ou Gitana, Multiplast, qui réin-vestit la totalité de ses bénéfices dans la R&D, conçoit aussi des radars en carbone. En 2009, Dominique Dubois a entamé une diversification vers les secteurs de l’aéronautique, de la défense, des transports, du luxe. Ce travail pour des donneurs d'ordres comme Air-bus, Zodiac Aerospace, Baccarat, représente aujourd’hui 50 % de l’activité. De son côté, Decision SA affiche de prestigieux clients : Bertrand Piccard et son avion Solar Impulse, ou l’homme d’affaires suisse passionné des Class America, Ernesto Ber-tarelli, par ailleurs actionnaire à 45 % de Carboman.

Ce n’est pas un élément anodin, alors qu’à horizon 2020, Domi-nique Dubois vise un chiffre d’af-faires de 60 M€, dont 70 % réali-sés à l’international. L’élargissement du périmètre du groupe à 500 personnes et le recrutement de cadres comme Jean-Claude Schoepf (ex-Airbus Nantes) devra être financé. Des acquisitions sont aussi prévues, en Grande-Bretagne d’abord, demain en Allemagne et en Espagne.

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MÉTROPOLES32 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

SALTEL INDUSTRIES creuse son sillon15 M€ de chiffres d’affaires en 2014, 100 M€ en 2019 et 500 salariés : Saltel Industries, spécialisée dans les équipements pétroliers, doit atteindre une taille critique sous cinq ans. Elle envisage une ouverture mesurée de son capital.

Petite entreprise rennaise de 115 collaborateurs, c’est par 100 % d’innovation technolo-

gique, l’internalisation de sa R&D et de sa production, que Saltel Indus-tries s’est fait un nom dans un milieu pétrolier, tenu par des acteurs de très grande taille (Exxon-Mobil, Total, BP…).Fondée en 2004 par Jean-Louis Saltel et ses fils, cette entreprise familiale produit des équipements pour le forage. Sa croissance de 500 % sur les cinq dernières années, réalisée inté-gralement à l’export, elle la doit à deux produits phares, développés et testés entre 2004 et 2009, et pour lesquels 32 familles de brevets inter-nationaux ont été déposées. Les pac-kers gonflables à haute pression, Inflatable Packers, vendus en exclu-sivité à une grande société de ser-vices, permettent l’analyse sédimen-taire. Les Expandable Packers, dont 400 équipent des compagnies pétro-lières, isolent les zones de forage et colmatent les pertes des puits. Après le début de leur com-mercialisation en 2010, Saltel Indus-tries a créé deux filiales au Canada et aux États-Unis en 2011, puis trois autres en 2013, en Australie, Argentine et Roumanie.

Aidée au départ par Oséo ou auto-finançant sa recherche, Saltel Indus-tries consacre, depuis son premier chiffre d’affaires consolidé en 2009 (2,50 M€), 8 à 10 % de ses revenus à la R&D (14 ingénieurs et docteurs).Pourtant, la flexibilité et la réactivité de l’entreprise ne suffisent plus. Elle sortira prochainement un nouveau produit dont elle attend beaucoup pour atteindre la taille critique nécessaire à son développement : 100 M€ de chiffre d’affaires visé en 2019 (15 M€ en 2014), et 500 salariés. Les Expandable Steel Packers trou-veront leurs applications dans la sécurisation de la fracturation hydraulique (gaz de schiste) et l’inté-grité des puits.Tenue par des contraintes de logis-tique, de sécurité et de formation, la société doit élargir son implantation internationale, vers la mer du Nord, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud. Un passage en ETI soulève des questions d’organisation, de recrute-

ment, de maîtrise des coûts et sur-tout de finance-ment. Jean-Louis Saltel étudie une ouverture de son capital. Pas plus de 25 % pour conser-ver son indépen-dance, les valeurs de l’entreprise et son ancrage breton.

ASTELLIA sur la bonne fréquenceNée de la fusion en 2003 des sociétés Edixia Telecom Technologies et de Qositel, un essaimage d’Orange Labs, Astellia s’est imposée en dix ans comme l’un des leaders de l’analyse de la performance des réseaux mobiles (2G, 3G, 4G) et de l’expérience des abonnés.

Connue des opérateurs pour sa solution Nova, qui permet d’améliorer la qualité du service client (pannes, fonctionnement des terminaux) et

d’affiner la connaissance des usages des abonnés, Astel-lia a mutualisé l’expertise plate-forme des réseaux et des logiciels des deux sociétés d’origine. Depuis, l’entreprise rennaise, cotée en bourse, connaît une croissance conti-nue, affichant un chiffre d’affaires en hausse de 12 % entre 2012 et 2013, à 47,20 M€ pour 480 collaborateurs – ils étaient 46 à la fin 2003. Après SFR, Astellia a signé en juillet un contrat avec Bouygues Telecom, qui sou-haite accroître la performance de son réseau de données, et travaille depuis ses débuts pour Orange. Pour autant, le marché français n’est plus son champ d’action privi-légié. La société, cofondée et codirigée par Christian Quéffelec (PDG), Emmanuel Audousset, Julien Lecoeuvre et Frédéric Vergine, réalise 78 % de son chiffre d’affaires à l’international, auprès de plus de 200 opéra-teurs dans le monde. Depuis l’ouverture d’un premier bureau commercial en 2004 à Singapour, Astellia s’est installé Afrique du Sud, en Amérique du Nord, au Brésil,

en Russie, en Inde. Son introduction sur le marché NYSE Euronext, en 2007, lui permet de lever 8 M€ et de signer sa première opération de croissance externe avec le rachat d’Acurio (applications logicielles) à Angers.En 2009-2010, Astellia a reposé les bases de son organi-sation pour réussir son passage au statut d’ETI. Ciblant des opérateurs plus gros, elle a renforcé sa direction et ses équipes commerciales, et investi 10 M€ en R&D entre 2011 et 2013 pour élargir sa gamme de produits et anticiper l’évolution technique des réseaux. En 2012, elle décroche Sprint aux États-Unis. Année de transition, 2014 confirme une stratégie visant à passer les barres des 50 M€ et doubler en 2015 le chiffre d’affaires de 2010 (33,40 M€). Il y a six mois, Astellia a racheté l’entreprise espagnole de solutions innovantes Ingenia Telecom (70 personnes), porte d’entrée vers l’Amérique latine. Outre la technique, Astellia vend aussi du service qu’elle veut valoriser en structurant mieux son activité de marketing global.

SALTEL INDUSTRIESSecteur : industrie pétrolièreSpécialité : équipement pour le forageChiffre d’affaires : 2,50 M€ en 2009, 15 M€ en 2014Croissance : supérieure à 500 % d’ici à 2019, à un rythme annuel de + 47 % pour atteindre un CA consolidé de 100 M€Contact : [email protected]

ASTELLIASecteur d’activité : télécomsSpécialité : analyse de la performance des réseaux mobilesEffectifs : 480 personnes, dont 320 en FranceChiffre d’affaires consolidé : 47,20 M€ en 2013 ; + 50 M€ attendus en 2014, + 60 M€ en 2015Croissance de 12 % entre 2012 et 2013Contact : [email protected], [email protected]

DIGITALEO entre esprit start-up et efficacité commercialeSpécialiste du marketing relationnel numérique, Digitaleo cultive un esprit start-up et fonde notamment sa croissance sur un management atypique et participatif. Elle vise 100 collaborateurs en 2016 et s’attaque à la problématique des bases de données.

Revendiquant son ancrage fort en Bretagne, Digitaleo fête ses dix ans cette année en s’offrant un nouveau

siège social dans un ancien entrepôt de Giat Industries, à Rennes.La Fabrique n’abrite pas seulement des bureaux mais représente surtout les valeurs de « créativité, de convivialité et d’innovation » d’une entreprise souhaitant offrir un cadre de vie épanouissant à ses presque 60 collaborateurs. Sous les verrières ou sur les plateaux ouverts, chacun participe à la construction du projet d’entreprise. Dans l’esprit de son fondateur et PDG Jocelyn Denis, La Fabrique est conçue comme

l’accélérateur de Digitaleo. Éditrice de solutions dans le nuage, l’entreprise affiche depuis ses débuts une croissance continue à deux chiffres. Rentable, elle réinvestit tous les ans 20 % de son chiffre d’affaires dans la R&D.Sa plate-forme, régulièrement enrichie de fonctionnalités nouvelles, permet à ses 2 500 clients de l’automobile, de la grande distribution ou du tourisme, de piloter, de façon autonome, leurs actions de marketing en temps réel

(fichiers contacts, créations de messages…). Et ce sur tous les canaux numériques, SMS, site mobile, QRcode, mail, réseaux sociaux…Après une hausse de son chiffre d’affaires 81 % en 2012 (CA 5,80 M€), de 35 % en 2013, Digitaleo avoisinera les 8 M€ en 2014 mais en vise 10 M€, pour 100 collaborateurs, en 2016. Pour cela, la PME continue de structurer ses

équipes et s’est fixé trois axes de croissance : interne, externe et l’accompagnement de ses clients à l’international.En termes de diversification, Digitaleo met notamment l’accent sur le pilotage centralisé d’actions pour les réseaux de points de vente et sur les données.

BIO3G stimulée par son turbonitrateConcevant des solutions biotechnologiques écologiques destinées au monde de l’agriculture, la future ETI Bio 3G abordera en 2015 le marché européen grâce à un nouveau produit innovant.

Depuis 1997, Bio 3G propose aux agriculteurs et aux professionnels des espaces

verts des solutions innovantes pour réduire les intrants polluants.Au départ formulées en interne mais fabriquées à l’extérieur, avant que l’entreprise n’achète en 2007 son outil industriel situé à Alès, devenant ainsi autonome, ces recettes à base de biotechnologies constituent quatre gammes de produits. Distribués via un réseau de vente directe, les activateurs de sols, stimulateurs de croissance ou stimulants nutritionnels pour

les animaux, ont déjà permis à la PME costarmoricaine fondée par Marc Guillermou, de se développer en France, en Belgique (Wallonie) et en Suisse, auprès de 50 000 clients dont 90 % d’agriculteurs.Mais pour compléter son maillage et s’ouvrir les portes de l’export l’entreprise compte sur une innovation majeure, en cours

d’homologation pour un déploiement en 2015 : une gamme de fertilisation azotée appelée « turbonitrate ». Elle permet un rendement de culture identique

avec 20 % d’unité polluante en moins. « Ce programme représente quinze ans de R&D, explique Marc Guillermou, soit 3 M€ d’investissement, y compris dans des recrutements en R&D. Ces trois dernières années, nous avons en parallèle étoffé notre service technico-commercial. »Bio 3G, qui emploie 295 per-sonnes pour un chiffre d’affaires de plus de 35 M€ en 2014, vise 50 % de progression à cinq ans, et plus de 250 technico-commer-ciaux à son bord. L’entreprise ambitionne aussi d’aborder le marché grand public avec un herbicide, 100 % naturel.Marc Guillermou entend donc négocier au mieux ce passage prévu à une structure de plus de 400 personnes sans perdre l’état d’esprit « aventurier » de ses débuts. Actionnaire à 100 % d’une entreprise ayant réussi jusqu’ici à autofinancer son développement, il n’envisage pas d’ouvrir son capital. En revanche, il songe à maîtriser son approvisionnement en matières premières via une acquisition.

BIO3GSecteur d’activité : agronomieSpécialité : solutions biotechnologiques pour l’agricultureEffectifs : 295 personnesChiffre d’affaires : + 35 M€ en 2014Croissance : 5 à 10 % en 2015, 50 % de progression sous cinq ansContact : [email protected]

DIGITALEOSecteur : numériqueSpécialité : marketing numériqueEffectifs : 60 personnes à fin 2014 Chiffre d’affaires : 8 M€ prévus en 2014, 10 M€ visés en 2016Croissance continue à deux chiffres depuis dix ansContact : [email protected]

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I 33LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

La force de l’esprit d’équipe Opérateurs économiques et acteurs institutionnels partagent la conviction que l’avenir de la Bretagne passe par le rayonnement international de ses entreprises. Le lancement, vendredi 19 septembre, au siège du Conseil régional, à Rennes, de « PME Finance Bretagne » est une illustration de plus de leur engagement fort au service de l’écosystème du territoire.

Orange ou Technicolor, offre à la région une posi-tion historique dans le domaine des TIC et des nouvelles technologies. Cette filière s’enrichit de l’arrivée de nouvelles PME qui profitent d’un vivier d’ingénieurs et de techniciens. Cet écosystème permet aussi une fertilisation croisée entre les filières.

Comment la Région intervient-elle dans le développement économique ?En matière de recherche et d’innovation, nous disposons de centres techniques et de laboratoires ainsi que de quatre pôles de compétitivité.Issue de la fusion de Bretagne Internatio-nal et CCI International Bretagne, Bre-tagne Commerce International facilite pour Wsa part l’accès aux marchés exté-

rieurs. Cette ressource mutualisée est utilisée par plus de 400 entreprises.Côté financement, nous intervenons dans les phases d’amorçage, de développement, de transmission ainsi que dans les problé-matiques de haut de bilan – investisse-ments courants, trésorerie. Et nous enri-chissons encore cet écosystème : en améliorant nos équipements, en offrant un maximum d’outils aux entreprises.En 2017, la future LGV mettra Brest à trois heures de Paris et Rennes à une heure et demie. D’ici à 2030, la fibre cou-vrira l’ensemble du territoire breton. Les premiers appels d’offres ont été lancés pour un démarrage prochain de la pre-mière tranche de travaux (2014-2018).Le budget économique global de la Bre-tagne s’élève à 110 millions d’euros cette année. Nous prévoyons de réallouer cer-tains moyens, en faveur des laboratoires et des centres de recherche, afin de mieux organiser l’écosystème de l’innovation. De même, il faut aboutir à plus de cohérence et de synergie entre les collectivités.

À quels freins les PME bretonnes en capacité de devenir des ETI se heurtent-elles ?Plus que les questions d’embauches, c’est sur l’accès au marché et la problématique du financement que portent les points de blocage. Il nous faut travailler avec BPI et les banques privées afin d’améliorer cette situation. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR

PASCALE PAOLI-LEBAILLY

PLUS D’INFORMATIONS ÉCONOMIQUES RÉGIONALES SUR LATRIBUNE.fr

LA FUTURE LGV METTRA BREST À TROIS HEURES DE PARIS ET RENNES À UNE HEURE ET DEMIE

sSuite de l’entretien de la p. 29 JEAN-PIERRE DENIS, président du Crédit mutuel Arkéa et du Crédit mutuel de Bretagne

« Nous accompagnons les entrepreneurs dans une logique de long terme »

Le Crédit mutuel Arkéa est un groupe coopératif spécialisé dans le financement de l’économie réelle : son positionnement territorial est-il une force ?Le Crédit mutuel Arkéa est une véritable banque territoriale de proximité, ce qui nous confère une légitimité naturelle pour accom-pagner les entrepreneurs dans leurs projets d’investissement et de développement. L’action du groupe s’inscrit dans les réalités écono-miques et sociétales des territoires, et le prédispose à contribuer au maintien des bassins d’emplois et des centres de décision en région. Cet ancrage territorial nous permet de rester en prise directe avec les forces économiques : chefs d’entreprise, collectivités locales, institutionnels…Comment votre action se traduit-elle pour les entreprises ?Notre récent investissement dans le groupe Sermeta (fabrication d’échangeurs thermiques en inox) illustre la capacité du Crédit mutuel Arkéa à accompagner les ETI et PME en région.En intervenant directement aux côtés du dirigeant historique, notre banque a permis à Jo Le Mer de reprendre le contrôle de son groupe et de le ramener sous pavillon français. Nous accompagnons les entrepreneurs dans une logique de long terme et non pas pour réa-liser des « coups ».Quelles sont les priorités de votre plan stratégique ?Il s’agit de renforcer nos positions sur le marché de l’entreprise et des professionnels. Depuis la fin 2009, nos encours de crédits aux entre-prises, notamment dans le développement d’activités nouvelles, ont progressé de plus de 42 %. Le Crédit mutuel Arkéa accompagne aussi les transmissions d’entreprises, en fonds propres comme en dette.

PIERRICK MASSIOT, président de la région Bretagne

« La Glaz-économie combine les savoirs à l’infini »

Quels outils la Bretagne a-t-elle mis en place pour simplifier les démarches des PME en matière de financement ?La région Bretagne a développé plusieurs dispositifs ciblés sur des besoins identifiés. La gamme intègre des outils de financement bancaire, de la garantie, mais aussi des moyens d’intervention en fonds propres, via Bretagne Jeune Entreprise pour l’innovation et la transmission, ou le fonds GOCA dédié à l’amorçage. BRIT est un système de prêts d’hon-neur mené en partenariat avec la Caisse des dépôts et le réseau Initia-tives France pour les repreneurs d’entreprises. Il a déjà bénéficié à 1 700 entrepreneurs. L’accès à ces outils est facilité par le site Web entre-prise.bretagne.fr. La Région s’est aussi engagée à simplifier les instruc-tions des dossiers et à aller vers leur numérisation.Quels sont les partenaires bancaires de la Région ?Nous nous appuyons sur le réseau Initiatives Bretagne pour notre dis-positif BRIT et sur le réseau Entreprendre Bretagne pour le fonds PHAR qui verse un prêt d’honneur à des créateurs d’entreprise. Pour nos outils financiers, Bpifrance, avec laquelle nous venons de créer un prêt parti-cipatif à destination des ETI, et la Caisse des dépôts sont nos premiers partenaires. Les banques de place sont aussi des alliés majeurs, en par-ticulier dans nos outils de capital-risque comme les fonds Ouest-Venture.Comment dynamiser la croissance des entreprises bretonnes ?Dans les filières traditionnelles comme dans celles qui se créent, les occasions à saisir sont nombreuses. Cette vision s’exprime dans notre stratégie, la glaz-économie, dont l’idée même est la combinaison à l’infini des savoirs. Pour aller vers plus de résultats, nous rationalisons notre offre d’accompagnement. Bretagne Commerce International est le seul acteur pour l’export et nous recentrons aussi nos pôles d’innovation sur nos filières stratégiques, tout en simplifiant l’accès aux financements.

JEAN ROGNETTA, président de PME Finance

« Nous visons à faciliter la structuration et le développement des entreprises »

Comment fonctionne PME Finance ? Qui sont ses membres ?Créée en 2010, PME Finance regroupe, indépendamment de tout inté-rêt politique ou sectoriel, des entrepreneurs (40 %), des financiers (30 %) et des professions liées au financement des PME et des ETI (30 %, avocats, intermédiaires financiers). L’association vise à faciliter la struc-turation et le développement des entreprises, au travers d’études, de conférences et d’événements thématiques consacrés à l’évolution des financements. Dans un dialogue permanent avec les élus, PME Finance accompagne la réflexion des pouvoirs publics et émet des propositions.Sur quels grands dossiers l’association s’investit-elle ?Nos propositions ont conduit au lancement du PEA-PME et aujourd’hui nous réfléchissons à la manière de le dynamiser. Outre les questions de corporate venture (FIDE), nos réflexions sur l’amortissement des inves-tissements dans les PME innovantes trouveront un écho dans le projet de loi de finance rectificative de cette fin d’année. PME Finance a aussi émis des propositions sur l’intégration du crowdfunding dans la chaîne de financement des PME. Le 2 octobre à l’Assemblée nationale, nous présenterons nos travaux pour favoriser l’investissement des PME et ETI dans le numérique (Internet des objets, impression 3D, SMAC…).Comment travaillent les antennes régionales ?Les antennes Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon et Bretagne (plus un groupe à San Francisco) sont autonomes et nous en facilitons l’action au niveau national. Soutenues par les pouvoirs publics, elles sont souvent portées par des entrepreneurs désireux de mobiliser leurs réseaux au sein de groupes de financiers et d’entrepreneurs. L’antenne Bretagne est née du volontarisme d’Ekinops, à la suite du lancement du PEA-PME par Pierre Moscovici dans ses locaux de Lannion.

FRANÇOIS-XAVIER OLLIVIER, fondateur d’Ekinops et coprésident de PME Finance en Bretagne

« La Bretagne est l’une des cinq premières régions industrielles de France »

Pourquoi lancer une antenne spécifique à la Bretagne ?L’avenir et le développement de la Bretagne passent inéluctablement par le rayonnement national et international des entreprises qui com-posent son tissu socio-économique. Pour réussir, les PME bretonnes doivent dépasser le simple financement régional. Cette antenne spéci-fique de PME Finance vise à aider les entrepreneurs à mieux com-prendre les règles du jeu de l’investissement et des autres formes de financement, à faire éclore des idées nouvelles.Elle veut aussi offrir à chacun une image de la situation des PME dans la région, et aider les décideurs publics à prendre pleinement conscience des enjeux.Quels en sont les objectifs ?Le groupe se donne pour ambition d’analyser et mettre en avant les succès des entrepreneurs bretons, particulièrement pour ce qui tient à leur stratégie de financement. Il s’agit de faciliter les passerelles entre l’écosystème du financement régional et le financement national et international.Y a-t-il une spécificité de l’écosystème régional ?L’innovation est au cœur de l’ADN de nos PME. Il y a dans la région, beaucoup d’entreprises de taille intermédiaire, autour de quelques grands groupes, notamment dans l’agroalimentaire et le numérique. Concernant le numérique, on trouve un écosystème régional très favo-rable autour des PME, des grandes sociétés, des centres de recherche universitaires, de l’IRT B>com et des pôles de compétitivité.Cela génère un environnement propice à l’éclosion de nouvelles idées et à la mise en relation des entrepreneurs et des financeurs. PROPOS RECUEILLIS PAR PASCALE PAOLI-LEBAILLY

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La cantine numérique à Rennes où sont installés plusieurs espaces culturels. © CAROLINE ABLAIN

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VISIONSLA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

34 I

Il y a un assez large consensus parmi les économistes au su-jet des réformes qui sont né-cessaires dans l’Hexagone. Elles partent de l’analyse des anomalies dans la situation économique de la France : compte tenu du niveau de

gamme de la production industrielle, les coûts de cette dernière sont anor-malement élevés, et la nécessité de maintenir les prix au niveau de ceux des concurrents écrase les marges bénéficiaires. Il en a résulté une forte rigidité de l’offre, qui implique que la production ne suit plus la demande, aussi bien intérieure qu’extérieure, avec la faible rentabilité de la produc-tion et le déficit de compétitivité ; la situation est rendue pire par le poids élevé de la pression fiscale sur les en-treprises et sur le travail, nécessaire pour financer un niveau considérable de dépenses publiques.

UNE RÉFLEXION ET DES ÉVOLUTIONS NÉCESSAIRES

On voit donc qu’il faudrait être ca-pable de réduire les coûts de produc-tion des entreprises, aussi bien les impôts que les coûts salariaux, de réa-liser une optimisation des dépenses publiques pour pouvoir réduire la pression fiscale. Les conditions de l’offre sont également dégradées par le poids des réglementations sur les entreprises (coûts élevés d’em-bauche et de licenciement, normes techniques) et par le désajustement entre les besoins des entreprises et les qualifications des jeunes sortants du système éducatif. Une réflexion sur la pertinence des règles et des normes –  l’exemple récent du bâtiment est très révélateur – et sur le rappro-chement enseignants-entreprises est donc nécessaire. Mais l’ensemble de ces évolutions, indispensables, soute-nues par la majorité des économistes, se heurte aux a priori, aux « blocages » de l’opinion en France.

De quels « blocages » s’agit-il, de quoi parlons-nous ? D’abord d’erreurs objectives d’analyse de la situation, d’erreurs simplement factuelles sur la situation réelle du pays. Beaucoup de Français croient que la production résulte de la demande et que si on veut soutenir la croissance, il faut accroître les dépenses publiques, redresser le pouvoir d’achat des salariés. Le fait que, depuis le début des années 2000, la production industrielle en France a baissé de 12 % alors que la demande intérieure de produits industriels a augmenté de 20 %, montrant claire-ment que le problème n’est pas un problème de demande, est extrême-ment peu connu.Beaucoup de citoyens croient aussi que les inégalités ont beaucoup augmenté en France et que cette ouverture des inégalités a contribué au freinage de la croissance puisque les individus aux revenus les plus élevés ont une propen-sion à épargner très élevée. En réalité, la France est un des pays où celles-ci n’ont pas augmenté. La mesure la plus populaire aujourd’hui des inégalités est le pourcentage du revenu national pris par le 1 % d’individus au revenu le plus élevé. Du début des années 1990 à aujourd’hui, ce pourcentage est passé de 12 % à 20 % aux États-Unis ; en France, il est resté stable, oscillant entre 6 % et 7 %.Les faits sont aussi mal connus dans le domaine de l’énergie. La plupart des Français ont une vision tout à fait déformée des risques liés à l’ex-ploitation du gaz de schiste (il s’agit beaucoup plus de la consommation d’eau que des autres risques suppo-sés : pollution de la nappe phréatique, tremblements de terre) ou de la réa-lité des coûts des énergies renouve-lables. L’éolien en mar, par exemple, ne peut fonctionner à pleine capa-cité que 30 % du temps, et son coût de production d’électricité équivaut à l’utilisation de pétrole valant au moins 220 dollars le baril. Les élé-ments de ce calcul économique sont mal connus et sont même cachés.

Le second blocage vient de la culture de politique économique du pays. Depuis les années 1970, les dirigeants français ont une culture de politique de la demande et non une politique de l’offre. Ceci a commencé par la réaction aux chocs pétroliers des an-nées 1970 : Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand répondent à ces chocs, qui sont des chocs néga-tifs d’offre, par des politiques de sou-tien de la demande : déficits publics, hausse des salaires… Ceci a aggravé la crise en faisant apparaître une forte inflation, un déficit extérieur massif.Dans les années 2000, avant la crise de 2008, la France choisit de ne pas corriger son déficit public malgré le retour de la croissance. On se souvient du pacte « Chirac-Schröder » pour laisser le déficit passer au-dessus de 3 % du PIB, ce qui accompagnait des réformes structurelles en Allemagne mais pas en France.

DES DÉPENSES SANS EFFETS À LONG TERME

Enfin, la réaction à la crise de 2008-2009 a été un plan de relance par les travaux publics, les infrastructures routières, le type même de dépenses qui ne conduisent à aucun effet récur-rent à long terme. Même les gouver-nements de droite, de 2007 à 2012, penchent pour les politiques de la demande. Les politiques du logement sont un autre exemple important : malgré de nombreuses études mon-trant que les aides aux logements, les prêts à taux zéro, en raison de la faiblesse de l’offre d’habitations, ne conduisent qu’à des hausses des prix de l’immobilier et des loyers, ces poli-tiques sont poursuivies.Le basculement vers l’idée que des politiques de l’offre sont nécessaires est donc extrêmement récent. Pour-quoi fondamentalement cette préfé-rence pour les politiques de demande ? D’abord, parce que leur effet sur l’économie est rapide – une aide aux

ménages accroît le pouvoir d’achat des ménages –, alors que celui des politiques de l’offre est très lent – on estime qu’il faut environ quatre ans pour qu’elles fournissent des effets positifs. Ensuite, parce que les poli-tiques de la demande permettent le clientélisme : l’État aide une catégorie précise de citoyens (les familles…).Par ailleurs, les dirigeants français n’ont pas la culture de l’arbitrage entre efficacité et équité. Chaque politique économique peut avoir des effets contradictoires sur ces deux objectifs. Par exemple, une hausse du taux marginal d’imposition accroît l’équité mais peut avoir des effets négatifs sur l’efficacité : délocalisation des cadres dirigeants, des PME fami-liales. Le plus souvent, les gouverne-ments préfèrent retenir l’effort positif sur l’équité et ignorer les possibles effets négatifs sur l’efficacité.Enfin, la vision collective en France des entreprises est défavorable. Ai-der ces dernières est perçu comme synonyme de donner de l’argent aux actionnaires, pas de soutenir l’inves-tissement, l’emploi, l’innovation. Le débat sur le Pacte de responsabilité est révélateur : combien de fois a-t-on entendu que les baisses d’impôts des entreprises allaient seulement servir à accroître les dividendes, alors que la corrélation entre profitabilité et inves-tissement est évidente ?On voit donc en France que les faits économiques sont mal connus ou dé-formés dans tous les domaines (rôle de l’offre et de la demande) ; que la culture est celle des politiques de la demande et de la lutte contre les iné-galités, même si celles-ci n’ont pas augmenté, pas du soutien de l’offre et de l’efficacité ; que les entrepre-neurs ont une image négative de col-lecteurs de rente et précisément pas d’entrepreneurs. Difficile dans ces circonstances de mener des politiques de l’offre, de soutien aux entreprises, de transition énergétique si la réalité scientifique est très différente de la perception. ■

Politique de l’offre et blocages françaisContrairement aux idées reçues, le problème de la France n’est ni la demande, ni le niveau des inégalités. La nécessité de soutenir l’appareil productif, handicapé par des coûts anormalement élevés, ne fait pas vraiment débat. Impôts, salaires, normes, qualifications, il faut agir sur tous ces fronts à la fois. En changeant la culture économique et la vision trop souvent négative de l’entreprise.

OPINION

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PATRICK ARTUS, DIRECTEUR DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES DE NATIXIS

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Par l’accord « Chirac-Schröder » de 2002, la France et l’Allemagne s’autorisaient une certaine « flexibilité » dans la mise en œuvre du pacte européen de stabilité . © PATRICK KOVARIK / AFP

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I 35LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

LC

UB

Comment passer d’une PME à une ETI : lever les freins de croissance

Vendredi 03 octobre de 8h30 à 10h00

Place du Théâtre – Lille [email protected]

Inscription obligatoireavant le 26 septembre

Retrouver les dates des 10 métropoles sur le site

En partenariat avec

Débat - Petit déjeuner

LILLE - NORD-PAS-DE-CALAIS

LA TRIBUNE – Comment sortir de la crise économique et politique dans laquelle est plongé notre pays ?DENIS PAYRE - Nous devons nous re-mettre sérieusement en question. Face à l’impuissance du personnel politique, qui n’a rien réformé en profondeur depuis plus de trente ans, la société civile doit prendre son destin en main. Aujourd’hui, raisonner en fonction de la gauche ou de la droite n’a plus de sens. L’une comme l’autre passent à côté des sujets et se voilent la face sur les problèmes du pays en cherchant sans cesse des boucs émissaires : la finance pour certains, les immigrés ou l’Europe pour d’autres… La priorité est de remettre les finances d’aplomb et d’améliorer la compétitivité des entre-prises pour retrouver la croissance et l’emploi. Les gouvernants doivent dire la vérité et réaliser des réformes audacieuses, comme le retour aux 39 heures de travail hebdomadaire et aux cinq semaines de congés pour tous. Les Français sont assez raison-nables pour entendre ce discours et porter au pouvoir ceux qui ne céde-ront pas à la démagogie.

Quels sont les blocages qui empêchent ces réformes ?Le poids des dépenses publiques, bien supérieur à la moyenne des pays euro-péens, pénalise la croissance, la produc-tivité et l’emploi. C’est un fait : l’État est mal géré. Son fonctionnement doit changer de fond en comble, ce qui per-mettrait d’énormes économies. Pour diminuer les dépenses, nous devons commencer par réduire le nombre de fonctionnaires. Le recrutement de 60 000 fonctionnaires dans l’Éducation nationale décidée par François Hol-lande est complètement aberrant. Sa-vez-vous que la France emprunte tous les jours 800 millions d’euros pour payer les salaires de ses fonctionnaires ? Il faudrait supprimer 800 000 fonc-tionnaires en cinq ans, en profitant des départs à la retraite et en incitant au départ. Cela peut se faire sans brutalité. Si nous ne nous en occupons pas vite, les marchés nous obligeront à le faire de façon brutale car ils ne supporteront plus longtemps l’escalade des déficits.

Faut-il commencer par changer les règles de la vie politique ?Absolument. Nous avons affaire au-jourd’hui à des politiciens de carrière qui ne sont plus au service de l’intérêt général mais dans une logique de réé-lection. Je pense que l’engagement po-litique doit être de courte durée. Trois ou quatre mandats au maximum dans toute une vie. Cela permettrait d’éviter qu’un député européen UMP avoue les pires turpitudes dans l’affaire Byg-malion au lendemain de son élection, ou qu’un député de Saône-et-Loire ex-plique qu’il a une phobie administrative pour justifier ses problèmes avec les impôts… Les fonctionnaires sont surre-présentés dans la vie politique, autant à gauche qu’à droite. L’Assemblée natio-nale compte 55 % de fonctionnaires alors qu’ils représentent seulement 20 % de la population active. Ils doivent être représentés, mais pas surreprésen-tés, c’est un déni de démocratie pour le reste de la population.

Quelles pistes préconisez-vous en matière d’emploi ?Il faut faire sauter tous les verrous qui empêchent la création d’emplois. Quand on est chef d’entreprise, la main tremble au moment de signer un CDI. Car les patrons savent que s’ils ren-contrent un jour un problème avec la personne, ou si l’entreprise traverse des difficultés, rompre le contrat sera diffi-cile et ruineux. En Suisse par exemple, les motifs de licenciement n’existent pas et les procédures sont moins lon-gues et moins coûteuses. Bien sûr, le sa-larié doit être indemnisé correctement – nous proposons de nouveaux droits et nouveaux devoirs dans lesquels les indemnités sont augmentées –, mais il s’agit de simplifier la séparation. Tous les pays aujourd’hui proches du plein-emploi sont plus flexibles que la France dans ce domaine. Chez nous, un tiers des PME sont en sous-effectif car les patrons ont tout simplement peur de signer des CDI ! C’est nocif pour tout le monde, car cela conduit à la multiplica-tion des CDD, de l’intérim, des stages, et ce sont les plus jeunes qui en souffrent le plus et les seniors, tous ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi.

Faut-il aussi réformer la fiscalité ?La fiscalité n’est que le miroir d’une dépense publique excessive. La France prélève 120 milliards d’euros de plus par an à la collectivité que nos voisins européens, soit l’équivalent de quatre ministères de la Défense de plus ! Mais notre modèle n’est pas plus « social » que celui de la plupart de nos voisins européens. Nous avons également un problème de répartition de l’impôt. Taxer les plus riches à ce point revient à se tirer une balle dans le pied. La fis-calité ne doit pas être confiscatoire. Il devient difficile pour ceux qui ont du patrimoine de rester en France, car ils sont en rendement décroissant : 100 de patrimoine aujourd’hui vaudront 30 dans vingt ans ! Il faut réconcilier la nécessaire solidarité et la prospé-rité, car la prospérité est indispen-sable pour financer cette solidarité. Quant aux petits entrepreneurs, ils ne supportent plus la stigmatisation systématique de la gauche – et de la droite – à l’encontre des entreprises.

La réforme territoriale de François Hollande va diminuer le nombre de régions de 22 à 13. C’est un pas dans la bonne direction ?C’est insuffisant. Il faudrait créer huit grandes régions et supprimer les dépar-tements. La France compte 12 % de la population européenne mais 40 % des

collectivités ! Des échelons inutiles doivent être supprimés. Le départe-ment tout d’abord, mais aussi la com-mune. Trente-six mille communes, c’est beaucoup trop. Il faudrait que les actuelles communautés d’agglo-mération deviennent des communes. Les maires actuels resteraient, mais ils deviendraient comme des maires d’arrondissement.

Vous avez écrit que « la France est une surdouée qui s’ignore ». Notre pays gâcherait donc son potentiel ?Je suis convaincu que nous avons tout pour réussir, particulièrement dans la mondialisation. Je l’ai vécu moi-même en tant qu’entrepreneur. Lorsque j’ai lancé Business Objects [un édi-teur de logiciels], j’ai commencé avec 10 000 euros dans un secteur dominé par les Américains, et j’ai réussi. Les Français ont une créativité exception-nelle. Nous avons tout de même inventé le cinéma et co-inventé l’aviation. Nous sommes très performants dans l’auto-mobile, dans le monde artistique et aussi dans l’industrie. La « marque » France fait rêver le monde entier. Elle reste un levier sur lequel nous pouvons nous appuyer. Le problème de la France n’est pas qu’elle manque de talents, mais qu’elle a beaucoup de boulets aux pieds, qui l’empêchent de prospérer autant qu’elle le devrait. ■

DENIS PAYRE, ENTREPRENEUR ET FONDATEUR DU MOUVEMENT NOUS CITOYENS

« Le fonctionnement de l’État doit changer de fond en comble »Invité vendredi 12 septembre dans le cadre du Club Entreprise La Tribune – Chambre de commerce de Paris Île-de-France, l’entrepreneur a détaillé le projet de son « parti de la société civile » qui présentera des candidats aux régionales de 2015 et à la présidentielle de 2017.

INTERVIEW

Denis Payre (ci-dessus, à droite) vient de confier la présidence de Nous citoyens à Jean-Marie Cavada. Député européen, l’ancien journaliste a quitté l’UDI pour rejoindre ce « parti de la société civile » qui veut bousculer la politique traditionnelle et a obtenu 266 000 voix (1,4 %) aux dernières élections européennes. © LA TRIBUNE LIVE 2014

PROPOS RECUEILLIS PARPHILIPPE MABILLE ET SYLVAIN ROLLAND

@SylvRolland

@phmabille

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PAR PIERRE-YVES COSSÉ, ANCIEN COMMISSAIRE AU PLAN

L’économie d’un p a y s s e r a i t donc une ma-chine et pour obtenir un ren-dement élevé, i l s u f f i r a i t d ’ a p p l i q u e r

les règles de la mécanique : « limiter les frottements », « desserrer », « dé-bloquer », « fluidifier ». La machine économique serait alors optimale. L’idéologie correspondant à cette pré-sentation est celle de la « concurrence parfaite », du libre jeu de l’offre et de la demande. Tout ce qui entrave cette loi est à bannir. Les purs libéraux consi-dèrent ainsi que les politiques secto-rielles (logement, agriculture…) sont condamnables. Cette vision statique et organiciste est tellement éloignée du réel et du possible qu’elle n’est guère utilisable.Il n’empêche qu’à la fin de la IVe Répu-blique, après des dizaines d’années de dirigisme, hérité de la crise, de Vichy et de la reconstruction, les réglemen-tations malthusiennes et parfois ab-surdes (le régime de l’alcool), la proli-fération des monopoles et des cartels, ainsi que l’existence de professions fermées, constituaient des obstacles réels à l’expansion de l’économie.Ce contexte explique pour une part le retentissement, en 1959, du comité Rueff-Armand sur les obstacles à l’ex-pansion économique. Rapidement, ce rapport devint un mythe. Quelques décennies plus tard, la suppression des fameux « obstacles » est devenue le leitmotiv de nos dirigeants, à droite comme à gauche. Si l’économie reste insuffisamment performante, c’est parce que le rapport n’a pas été mis en œuvre. Et pour preuve, l’absence de réforme des taxis parisiens…À vrai dire, une bonne partie du rap-port a été appliquée et l’économie française actuelle ne ressemble guère à celle de 1959. Plusieurs professions fer-mées n’existent plus (avoués, agents de change, courtiers, etc.), la TVA a été généralisée, des monopoles ont dis-

paru, au moins partiellement (trans-ports), des activités sont devenues ob-solètes. Mais l’agent du changement a été beaucoup plus l’Union européenne (et parfois le progrès technique) que les gouvernements.

DES LOIS POUR STIMULER LA CONCURRENCE

Nos hommes politiques ont dissimulé jusqu’au dernier moment les évolutions venant de Bruxelles, ne s’en sont pas fé-licités et ont préféré réclamer une nou-velle « commission Rueff-Armand ». Ainsi, Nicolas Sarkozy a mis en place une énième commission Attali, sur la « libération de la croissance française ». Elle a proposé 318 décisions (que faire d’un tel catalogue ?) dont une part por-tait sur la suppression des rentes et des professions réglementées (les taxis parisiens ne sont pas oubliés).Certes, tous les gouvernements ne sont pas restés passifs, des initiatives ont été prises pour stimuler la concurrence et supprimer quelques obstacles : créa-tion d’une autorité de la concurrence aux pouvoirs renforcés durant le der-nier quinquennat [lire l’interview de Bruno Lasserre page 12-13], lois sur le développement de la concurrence dans les services et la modernisation de l’économie (LME). Il s’est plus agi de résoudre des problèmes sectoriels, sou-vent remis sur le tapis (relations avec la grande distribution) que de propo-ser une approche globale. Si les « blo-cages » n’ont jamais disparu dans les discours (notamment de Bruxelles), et exigent des « réformes structurelles », ils réapparaissent au premier plan avec le projet de loi sur la croissance annon-cé par Arnaud Montebourg. Emma-nuel Macron le reprendra d’autant plus facilement qu’il a été, en tant que jeune inspecteur des Finances, rapporteur de la commission Attali.Pour que cette nouvelle tentative soit utile, quelques principes peuvent être rappelés :– Dans une économie de marchés im-

parfaits, la lutte contre les monopoles, les cartels et les rentes est une exigence permanente. Il en apparaît sans cesse, ne serait-ce que du fait du progrès tech-nique. Se contenter de faire un « coup » en s’attaquant à quelques « excès » n’aurait guère d’effets sur l’efficaci-té économique et la croissance, mais des conséquences politiques proba-blement spectaculaires, difficilement prévisibles. Derrière chaque rente, se cache un lobby qui, dans ces temps incertains, affûte ses armes.– Le plus souhaitable est de consi-dérer que la lutte contre les rentes et que la levée des blocages s’inscrit dans des politiques globales, à carac-tère horizontal ou sectoriel. Le « cas » des notaires est à examiner dans le cadre de la politique du logement où la situation des principaux intervenants – dont les promoteurs – est à évaluer. Celui des pharmaciens dans le cadre de la politique de la santé, en liaison avec l’évolution des professions des médecins et des infirmiers, des actes simples monopolisés actuellement par les médecins pouvant parfaitement être exercés par des professions para-médicales. La situation du transport de voyageurs (notamment par car) et celle des taxis sont un élément de la poli-tique urbaine et interurbaine. Le rôle et les rémunérations des syndics en cas de faillite trouvent leur place dans la politique en faveur des PME.Dans chaque cas, l’analyse écono-mique, coût-efficacité, doit être privi-légiée, tout en tenant compte d’autres impératifs : santé, sécurité, environne-ment. Pour ce travail, France-Stratégie pourrait être mis à contribution, l’ana-lyse étant nécessairement complexe et incluant des comparaisons internatio-nales. Comme toutes les politiques ne peuvent être menées simultanément, il incombe au gouvernement le soin de fixer des priorités : logement, santé, transports, énergie.– Il serait illusoire d’attendre des re-tombées financières immédiates pour les finances publiques et les consom-mateurs. Il paraît impossible de ne pas

offrir des compensations à ceux qui viennent de payer – fort cher – pour accéder à la rente, comme le jeune chauffeur de taxi. Des fonds de rachat des rentes, financés par l’État ou le consommateur, ou des dispositifs de compensation financière sont diffici-lement évitables. Le fait que la réforme ne « rapporte » pas dans l’immédiat n’est pas une raison pour la différer. C’est le cas de nombreuses réformes structurelles. Commencées en début de quinquennat, leurs effets positifs sont ressentis à la fin.

ÉVITER LES MONOPOLES ET ORGANISER LE MARCHÉ

– Le comportement des monopoles ou quasi-monopoles, publics ou privés, doit faire l’objet d’une surveillance per-manente et spécifique. Tout monopole abuse de son pouvoir en jouant sur les prix ou en cherchant à empêcher l’entrée de concurrents éventuels. Il existe, certes, des monopoles « natu-rels » et la position de Bruxelles consis-tant à les faire tous disparaître a un coût excessivement élevé. Faire sup-porter aux consommateurs des hausses significatives de tarifs pour créer de la concurrence en doublant ou triplant les infrastructures existantes (secteur de l’énergie) est déraisonnable. Il est des cas où il vaut mieux « organiser » le marché dans la clarté et la transparence (par exemple le réseau 4G), ce qui implique des moyens d’investigation affinés de la part des autorités de régle-mentation. Aussi, ces autorités doivent être fortes et écoutées.– Limiter le plus possible, voire in-terdire, les mécanismes engendrant des plus-values excessives et en prio-rité les rémunérations assises sur les prix. Dans le domaine immobilier, les rémunérations croissent en même temps que la spéculation. Sur Paris, il en est résulté des hausses sans lien avec l’évolution du service rendu. Pour mettre fin à ces situations, l’arme fis-cale ne peut être exclue.– Enfin, résister aux sirènes du protec-tionnisme et favoriser les innovations. À long terme, la politique la plus effi-cace contre les rentes est l’ouverture des frontières, la mobilité économique et sociale, et le progrès technique.Bref, la politique contre les blocages et les rentes ne saurait en elle-même et à elle seule fonder une politique éco-nomique. Elle doit s’inscrire dans des politiques plus globales correspon-dant aux priorités fixées par les pou-voirs publics, dont l’investissement. Il est des situations que l’opinion publique juge scandaleuses, même si leurs conséquences économiques sont secondaires. Il appartient alors au pouvoir politique d’intervenir sans attendre. Encore faut-il que le « cou-pable » soit indéfendable et que soit clairement indiqué le caractère plus moral qu’économique de la décision. ■

Qui veut la peau des rentes et pourquoi ?Du rapport Rueff-Armand en 1959 au rapport Attali de 2008, que peut-on attendre du projet de réforme des professions réglementées Montebourg-Macron ? La politique contre les blocages et les rentes ne saurait en elle-même et à elle seule fonder une politique économique.

DÉBAT

Le gouvernement vise la déréglementation de quelque 37 professions, dont celle de chauffeur de taxi. Le lobby des taxis parisiens grogne. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP

VISIONS36 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

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VU DE BRUXELLES

La nouvelle leçon de stratégie du Professeur Juncker

On peut aimer ou non Jean-Claude Juncker, mais il faut lui reconnaître une qualité : il assume. Au moment de

présenter son équipe mercredi 10 septembre, il a osé lâcher que Frans Timmermans, le vice-président néerlandais de la Commission, serait sa doublure lorsqu’il serait lui-même « physiquement ou mentalement absent ». Une allusion à peine cachée à son penchant pour l’alcool, qui a jeté un trouble et fait fuser les rires dans la salle de presse. Quel meilleur moyen de faire taire les médisants que d’assumer ses faiblesses ? Dans le passé, il avait déjà reconnu que le mensonge était parfois nécessaire en politique, que la diplomatie efficace exigeait le secret. La semaine dernière, un confrère lui a posé la question que tout le monde avait sur les lèvres : fallait-il voir une stratégie délibérée dans la nomination de commissaires « à contre-emploi » ? Un Britannique, Lord Hill, aux services financiers, alors que Londres a bruyamment pesté dans le passé contre l’entreprise de réglementation menée par le commissaire Michel Barnier.

Un Français, Pierre Moscovici, aux affaires économiques, alors que les finances publiques françaises sombrent dans le rouge, une Roumaine, Corina Cretu, à la politique régionale, alors que Bucarest est régulièrement épinglée pour sa mauvaise utilisation des fonds européens. Un Grec, Dimitris Avramopoulos, à l’immigration, alors la gestion du flux de migrants par Athènes est un cauchemar. Ou un Chypriote, Christos Styliandès, à la gestion de crise et à l’aide humanitaire.En son temps, François Mitterrand avait créé un effet comique sans

précédent, en nommant dans le premier gouvernement Mauroy Creysson à l’Agriculture, Defferre à la Défense, Le Pensec à la Mer et Delors aux Finances… le Luxembourgeois joue plutôt sur le mode ironique. Plutôt que de contre-emploi, il faudrait parler dans ce cas d’une volonté délibérée de mêler le national et l’européen, et de prendre l’opinion à témoin de la loyauté des nouveaux commissaires. Imaginez plutôt le traitement qui sera réservé à Lord Hill s’il hésite à défendre le plafonnement des bonus voté cette année par le Parlement et attaqué par son pays devant la Cour de Justice ! Le Britannique se prépare à de grands moments de solitude.Mais la subtile géométrie inventée par Juncker ne s’arrête pas là. En créant des postes de vice-présidents chargés de coordonner des « équipes de projet », le Luxembourgeois a disposé dans son système des cordes de rappel politique qui vont lui éviter d’avoir lui-même à rappeler à l’ordre tel ou tel commissaire. Le cas de Pierre Moscovici est éclairant. Le commissaire français travaillera avec deux vice-présidents : le Finlandais Jyriki Katainen et le Letton Valdis Dombrovskis. En charge de l’emploi, de la croissance et de la compétitivité, Katainen, qui a été ministre des Finances puis Premier ministre entre 2007 et 2014, s’est avéré l’un des défenseurs les plus durs de l’orthodoxie budgétaire et l’un des plus prompts à souligner l’« aléa moral » qui résultait de la création d’un fonds de sauvetage des États de la zone euro. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas une colombe. De l’autre côté, Dombrovskis, responsable de l’euro et du dialogue social, a infligé, en tant que Premier ministre, une cure d’austérité sans pitié à son pays.Les portefeuilles de ces deux vice-présidents ne se recoupaient-ils pas ? ont interrogé les experts. Comment, en effet, réparer la zone euro – le boulot du Letton – sans travailler sur la compétitivité – celui du Finlandais ? La vérité est qu’ils se recoupent et que leur zone d’intersection porte un nom : Moscovici, lequel se voit en pratique flanqué de deux gendarmes. Mais – chut ! – il ne faut pas le dire. ■

MOSCOVICI EST FLANQUÉ DE DEUX GENDARMES. MAIS – CHUT ! – IL NE FAUT PAS LE DIRE

FLORENCE AUTRETCORRESPONDANTE À BRUXELLES

RETROUVEZ SUR LATRIBUNE.FR SON BLOG « VU DE BRUXELLES »

ANALYSE

L’abandon général de la ruralité

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JEAN CHRISTOPHE GALLIENPROFESSEUR ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ DE PARIS 1 LA SORBONNE

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La Tribune 2, rue de Châteaudun, 75009 ParisTéléphone : 01 76 21 73 00. Pour joindre directement votre correspondant, composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres mentionnés entre parenthèses.

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Fin brutale pour le feuilleton Luzenac. Non seulement le petit club de football de l’Ariège ne validera

pas son accession à la Ligue 2, un ticket pourtant gagné sur le terrain sportif. Mais c’est maintenant l’échelon du National qui se dérobe. Direction le bas de l’échelle, la DHR ! Le conflit entre les autorités du football et le club de Luzenac, 650 habitants, est l’illustration sportive et événementielle d’une évolution territoriale continue, coincée entre métropolisation urbaine et désertification rurale.Et c’est une réalité bien vivante. Pour ce qui est des équipements et des possibilités de pratiques sportives, comme les hypercentres urbains, la ruralité sportive est régulièrement sacrifiée, souvent au profit de l’espace urbain périphérique.Les soutiens politiques à Luzenac, du président socialiste du Sénat Jean-Pierre Bel, élu de l’Ariège, et du radical de gauche Thierry Braillard, secrétaire d’État aux Sports comme d’autres réactions, elles aussi politiques, illustrent un phénomène plus large que l’accès à la Ligue 2 du club d’une ville de moins de 1 000 habitants.C’est vrai que partout en Europe et particulièrement en France, les déséquilibres territoriaux s’aggravent au détriment des petites villes et de l’espace

rural, dans un contexte dominé par la métropolisation, la baisse de l’intervention des États, et leur tentation de recentralisation.Le football et ses différents « marchés » en sont à la fois une dimension et une illustration. Dans l’espace rural, le sport et le football, surtout, apparaissent

comme des ressources d’animation fondamentales. Le club de football devient un service sociétal, comme l’épicerie, le café ou le bureau de poste, quand ils ont survécu. Dans le sport on recherche du lien social, de la convivialité. Le football demeure souvent, trop souvent, l’unique activité présente : au-delà de 45 licenciés pour 1 000 habitants.Pendant ce temps en « ville », le sport et le foot entrent en concurrence avec de nombreuses activités et les taux de pratique sont beaucoup moins élevés. L’erreur d’analyse de beaucoup, c’est qu’en milieu urbain, le football répondrait à des demandes qui seraient plus diverses que dans le rural : spectacle, loisir, service sociétal dans les quartiers… C’est faux ! Le rural et ses populations, toutes générations confondues, en attendent autant.Et malheureusement pour l’avenir de notre ruralité et de l’ensemble des espaces ruraux européens, la différenciation rural-urbain que l’on regrette pour le football et le sport en général se retrouve dans l’accessibilité à d’autres activités : culturelles, éducationnelles, sanitaires… et évidemment économiques. Il suffit de traverser ces territoires pour vérifier une terrible réalité d’abandon.L’affaire Luzenac n’est que la triste représentation de l’implacable désertification rurale en cours, au profit de la métropolisation.Il faut pourtant réaffirmer la nécessité et la modernité de la ruralité qui doit devenir le laboratoire d’une nouvelle vie au cœur de l’espace naturel. Comme les métropoles, pas moins, la terre rurale est une alliée de notre avenir. C’est un carrefour de progrès qui se trouve à la jonction du rapport de l’homme à la nature, de notre relation trop souvent conflictuelle, et qui de l’autre côté éprouve notre relation aux technologies et aux changements qui en découlent. Une néoruralité qui, comme la réindustrialisation, doit devenir l’un des grands enjeux de société de notre pays. ■

LA RURALITÉ DOIT DEVENIR LE LABORATOIRE D’UNE NOUVELLE VIE DANS L’ESPACE NATUREL

I 37LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

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GÉNÉRATION38 I

LA TRIBUNE - VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2014 - NO 100 - WWW.LATRIBUNE.FR

ISABELLE RABIER

Elle déride la cosmétiqueÀ 31 ans, la fondatrice de Dermance a bouclé une nouvelle levée de fonds cet été pour accélérer le déploiement de sa ligne de cosmétiques et de son réseau de conseillères-vendeuses à domicile.

Zone d’influence : #Cosmétiques, #VenteADomicile, #Distribution, #Senior

2016 Réplique son business model à l’international.

TIME LINEIsabelle Rabier

Février 1983 Naissance à Bordeaux.

1999 S’expatrie en Australie,

avec sa mère.

2008 Stagiaire chez BNP Paribas, Extrême

et SFR.

Décembre 2009 Création de Dermance.

2009-2010 Intègre l’incubateur

HEC

Juillet 2014 Boucle une deuxième

levée de fonds, de 800 000 euros.

PAR PERRINE CREQUY

@PerrineCrequy

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JOUR

NELL e jeunisme, c’est « old

school ». Après avoir rodé son modèle en Île-de-France, Isabelle Rabier lance cet automne sa gamme de soins pour peaux matures à travers

l’Hexagone, et inaugure une ligne de maquil-lage. La volubile fondatrice de Dermance, âgée de 31 ans, s’emploie à apposer une touche d’authenticité dans le monde de la cosmétique. « L’idée de fonder Dermance m’est venue en constatant que ma mère et ses amies étaient déçues par les gammes de soin pour peaux matures existantes. Et elles ne croyaient pas à la promesse marketing de retrouver une peau plus jeune, incarnée dans les publicités par des mannequins âgés d’à peine 20 ans », se sou-vient-elle. Et qu’importe si elle-même n’a que 26 ans quand elle cofonde l’entreprise, en 2009 : elle a déjà établi sa feuille de route pour accompagner le vieillissement cutané. « Je voulais que mes produits soient innovants, efficaces mais aussi agréables à utiliser. Dès l’ori-gine, nous avons conçu une gamme sans silicone ni paraben, dans une démarche de qualité. Nous avons mis au point nos formulations avec les meilleurs prestataires, qui travaillent pour Cha-nel ou L’Oréal. » Et pour se faire une place aux côtés des géants du secteur, elle mise sur un système de distribution qui fait la part belle à « l’ex-périence utilisateur » et la relation client : la vente à domicile. « Recruter cette force de vente qui fera tester les produits à nos clientes est un processus long. Mais être distribués en pharmacie aurait nécessité un investissement en communication de l’ordre de 3 ou 4 millions d’euros », confie Isabelle Rabier, qui a lancé son activité grâce à un emprunt de 50 000 euros, un apport de même montant par son associé de l’époque, et un premier tour de table auprès de business angels pour 130 000 euros.

« IL FAUT MAINTENIR LE CAP À TOUT PRIX »D’ici à la fin de l’année, son réseau devrait compter 150 à 200 conseillères. « En 2015, ce nombre sera doublé, et notre chiffre d’af-faires dépassera 1 million d’euros », ambi-tionne l’entrepreneure qui verrait bien Dermance devenir le nouvel Yves Rocher ou le nouveau Clarins. Pour accélérer et peaufiner sa plate-forme en ligne, elle a bouclé cet été une levée de fonds de

800 000 euros, auprès de spécialistes de la vente directe et des cosmétiques. Parmi eux, Alain Boutboul, ancien vice-président Europe de Coty, qui a fondé et cédé Forté Pharma : « Isabelle est une battante. Depuis la création de Dermance, elle a pris des coups : des fournisseurs ont fait faillite, des collaborateurs sont partis. Elle était très concentrée à perfec-tionner son produit dans les premières années, mais elle a su apprendre la stratégie et le déve-loppement commercial. » Parmi les avaries rencontrées, Isabelle Rabier a dû gérer le départ de son premier associé, Grégory Crossley, fin 2012. « Quand on entreprend, il y a toujours des imprévus mais il faut mainte-nir le cap. Dans les moments difficiles, j’ai res-senti la solitude du dirigeant. Mais je n’ai ja-mais déprimé : je n’avais pas le temps », précise-t-elle entre deux éclats de rire so-nores. Elle a dirigé Dermance seule pendant plu-sieurs mois, avant d’accueillir il y a un an le Lyonnais Jérôme Freytag comme associé, chargé du déploiement du réseau en région. Outre ses conseillères payées à la commis-sion, Dermance emploie cinq salariés, dont une doctorante. Tous ont été recrutés avec le plus grand soin par Isabelle Rabier, après six mois à un an d’expérience au sein de cette jeune entreprise innovante (JEI), en stage et en CDD. « Les diplômes prestigieux ne sont pas un critère pour moi. Je cherche des collaborateurs motivés, qui sauront évoluer avec l’entreprise. Des gens pragmatiques, cu-rieux, agiles et capables d’apprendre en perma-nence », détaille l’entrepreneure, qui admet volontiers être exigeante. Élève brillante, elle a étudié à New York et à Londres, l’innovation et la finance. Ses stages l’ont amenée à participer à des opéra-tions de fusions-acquisitions en Europe et en Turquie pour BNP Paribas, à devenir bras droit du dirigeant de l’agence de communi-cation Extrême, ou encore à travailler au sein du cabinet de direction de SFR sur une stratégie d’acquisitions potentielles d’opé-rateurs de réseau de téléphonie mobile vir-tuels (MVNO). « À l’issue de ce stage, on m’avait proposé de remplacer la directrice fi-nancière, partie en congé maternité. Mais j’avais déjà le projet Dermance en tête. » L’idée prend corps dès 2009 au sein de l’incuba-teur HEC Entrepreneur, où Isabelle Rabier côtoie Céline Lazorthes (Leetchi), Lara Rouyres (Dealissime, Selectionnist) et Alix Poulet (e-Citizen). « Nous continuons d’échanger souvent sur nos expériences d’entre-preneures, et sur nos expériences de vie. Avoir des amis entrepreneurs, qui comprennent vos

impératifs d’agenda – les dîners à 22 heures et les annulations de dernière minute – apporte un grand confort », souligne Isabelle Rabier, mère d’un petit garçon de 2 ans. « Isabelle a une grande capacité à réseauter. Elle est rési-liente, très persévérante et capable de faire des milliards de choses en même temps. Alors qu’elle était enceinte de sept mois et alitée, elle passait encore des soirées à remodeler son business plan », admire Émilie Gobin, entrepreneure en résidence au Camping et amie d’Isabelle. Adèle Bounine, cofondatrice d’Emoi-émoi, fait aussi partie de ces amies de « la bande des HEC » auxquelles Isabelle Rabier se montre très fidèle. Elles ont partagé des lo-caux pendant deux ans : « Isabelle est très af-firmée. Elle sait ce qu’elle aime et ce qu’elle n’aime pas. Elle sait où elle veut aller, et exprime

sa vision de façon très claire, dans une émission de télévision grand public ou devant des investis-seurs. Elle est très ouverte et s’enrichit des ren-contres avec des entrepreneurs qui ne sont pas de son secteur. » Ainsi à l’occasion de l’édition moscovite, en 2012, du G20 YES qui ras-semble des jeunes entrepreneurs du monde entier, elle s’est rapprochée du fondateur du réseau de crèches Les Petits Chaperons Rouges, Jean-Emmanuel Rodocanachi, qu’elle a convaincu d’investir au capital de Dermance, et de rejoindre son comité stra-tégique. « Isabelle a une grande force de per-suasion. Elle est très rigoureuse et réactive, sou-ligne Jean-Emmanuel Rodocanachi. En pleine levée de fonds, elle a su remanier son dis-cours en quelques jours pour répondre aux marques d’intérêt d’un institutionnel japonais, et quand l’accord ne s’est pas fait, reprendre les négociations avec ses investisseurs. Elle a un vrai goût du risque. »Et ce, depuis son plus jeune âge. À 16 ans, Isabelle Rabier n’a pas hésité à suivre sa mère, partie s’installer en Australie. À cette occasion, elle décide de sauter une classe pour s’inscrire directement en ter-minale. Elle découvre la relativité de la culture générale : les connaissances qui l’ont fait briller jusqu’alors ne parlent à personne là-bas. Mais elle obtient son bac en anglais avec mention, et monte un pro-jet de tour du monde avec une amie. « Isa-belle a toujours su ce qu’elle voulait, faisant preuve d’une capacité de mobilisation énorme, souligne sa mère, Corinne Granger, diri-geante dans de grands groupes du médical et de la cosmétique. Pour réunir le budget pour ce tour du monde, elle cumulait deux emplois : un en journée et un autre le soir. » Ainsi, Isabelle Rabier a visité la Thaïlande, la Turquie, Malte, la Grèce, l’Italie, l’Es-pagne et New  York. Des horizons qui pourraient bientôt devenir ceux de Der-mance : « Notre modèle et notre plate-forme sont répliquables à l’international, en deux clics. » De quoi atteindre la maturité, sans prendre une ride. ■

MODE D’EMPLOI• Où la rencontrer ? De préférence dans le 11e ou le 17e arrondissement de Paris, en début ou fin de journée. « Contactez-moi par mail ou via Linkedin. Je n’ai pas de Facebook pro. Et je fréquente les événements de Croissance Plus et de Cosmed, l’association des PME de la filière cosmétique, dont je suis membre. »

• Comment l’aborder ? Montrez que votre prise de contact est réfléchie. « Introduisez un minimum votre demande, et dites-moi comment je peux vous aider. N’hésitez pas à me relancer : insister est un signe de motivation. Mais sachez aussi respecter le “non”. »

• À éviter : Les postures. « Pour entrer en relation, il faut dépasser les faux-semblants. Je vois tout de suite si mon interlocuteur est sincère. Je rends ce qu’on me donne. »

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