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Non, les « hérétiques » cathares n’étaient pas des « fous de Dieu » ! Anne Brenon, la meilleure spécialiste du catharisme, et Jean Philippe de Tonnac, écrivain-journaliste aux talents multiples, rendent justice aux Bons Hommes qui étaient sincèrement chrétiens et non violents. P. 10 Jean Baubérot Albin Michel Numéro 21 – printemps 2008 LIRE PAGE 16 Iconologies Nos idol@tries postmodernes P. 3 Mettre au monde Les mystères de l’enfantement P. 5 Cabaret mystique Les mille visages de Jodorowsky P. 14 Jean Baubérot n’est pas un hargneux laïcard, et pour cause : ayant longtemps enseigné l’histoire et la sociologie de la laïcité à l’École pratique des hautes études, il sait bien que la pratique française s’est depuis toujours accommodée de mille ambiguïtés et concessions, pour préserver la paix civile. Mais cette fois-ci, trop, c’est trop ! Et le voici s’adressant au président Sarkozy avec autant de talent et d’érudition que de colère – une pointe d’humour en plus. © Philippe Lissac L ongtemps, la philosophie s’est opposée à la spiritualité comme la Raison s’opposait au cœur (dont elle ignorait les raisons), ou comme Athènes s’opposait à Rome et à Jérusalem. Mais le temps de ces clivages mortifères est révolu, depuis qu’un certain Lévinas a tenté de « traduire la Bible en langage grec », et depuis que les philosophes grecs eux-mêmes nous ont été révélés dans toute leur dimension « spirituelle » par Pierre Hadot. Directeur d’études à l’École pratique des hautes études de 1964 à 1986, professeur au Col- lège de France depuis 1982, Hadot a dé- montré que dès son origine gréco-latine, « la philosophie se présente comme un mode de vie, comme un art de vivre, comme une manière d’être ». Telle est la grande leçon de ce traducteur de Plotin, de Marc Aurèle et d’Épictète, leçon qu’auront retenue aussi bien André Comte-Sponville et Rémi Brague que Michel Foucault (dans les derniers tomes de son Histoire de la sexualité), dont il était très proche. C’est en prenant acte de l’apparente incohérence des philosophes antiques qu’il en est venu à formuler l’idée selon laquelle « les œuvres philosophiques de l’Antiquité n’étaient pas composées pour exposer un système, mais pour produire un effet de formation : le philosophe voulait faire travailler les esprits de ses lecteurs ou au- diteurs, pour qu’ils se mettent dans une certaine disposition ». Cette visée pédagogique, voire initiatique, est le fil conducteur d’une autre histoire de la philosophie, reliant par-delà les siècles Socrate, les stoïciens et les néoplatoniciens à Schopenhauer, Nietzsche et Wittgenstein en passant par Montaigne, Pascal et les Médi- tations métaphysiques de Descartes… sans oublier Goethe, dont le rapport aux « exercices spirituels » de la tradition antique fait l’objet d’un nouvel ouvrage de Pierre Hadot, N’oublie pas de vivre. Pierre Hadot, La philosophie comme art de vivre © Jacques Sassier/Opale SUITE PAGE 2

Numéro 21 – printemps 2008 Jean Baubérot Pierre Hadot, · pour Hadot, d’un travail de soi sur soi visant à transformer son rapport au monde ; travail qui n’est pas purement

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  • Non, les « hérétiques »cathares n’étaient pasdes « fous de Dieu » !Anne Brenon, la meilleure spécialiste du catharisme, et JeanPhilippe de Tonnac, écrivain-journaliste aux talents multiples,rendent justice aux Bons Hommes qui étaient sincèrementchrétiens et non violents. P. 10

    Jean Baubérot

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    Numéro 21 – printemps 2008

    LIRE PAGE 16

    IconologiesNos idol@triespostmodernes P. 3

    Mettre au mondeLes mystèresde l’enfantement P. 5

    Cabaret mystiqueLes mille visagesde Jodorowsky P. 14

    Jean Baubérot n’est pas unhargneux laïcard, et pourcause : ayant longtempsenseigné l’histoire et lasociologie de la laïcité àl’École pratique des hautesétudes, il sait bien que lapratique française s’estdepuis toujoursaccommodée de milleambiguïtés et concessions,pour préserver la paixcivile. Mais cette fois-ci,trop, c’est trop ! Et le voicis’adressant au présidentSarkozy avec autantde talent et d’éruditionque de colère – une pointed’humour en plus.

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    Longtemps, la philosophie s’estopposée à la spiritualité commela Raison s’opposait au cœur(dont elle ignorait les raisons), oucomme Athènes s’opposait à

    Rome et à Jérusalem. Mais le temps deces clivages mortifères est révolu, depuisqu’un certain Lévinas a tenté de « traduirela Bible en langage grec », et depuis que lesphilosophes grecs eux-mêmes nous ontété révélés dans toute leur dimension« spirituelle » par Pierre Hadot. Directeurd’études à l’École pratique des hautesétudes de 1964 à 1986, professeur au Col-lège de France depuis 1982, Hadot a dé-montré que dès son origine gréco-latine,« la philosophie se présente comme unmode de vie, comme un art de vivre,comme une manière d’être ». Telle est lagrande leçon de ce traducteur de Plotin, deMarc Aurèle et d’Épictète, leçon qu’auront retenue aussi bien André Comte-Sponville et Rémi Brague queMichel Foucault (dans les derniers tomes de son Histoire de la sexualité), dont il était très proche.C’est en prenant acte de l’apparente incohérence des philosophes antiques qu’il en est venu à formuler l’idéeselon laquelle « les œuvres philosophiques de l’Antiquité n’étaient pas composées pour exposer un système,mais pour produire un effet de formation : le philosophe voulait faire travailler les esprits de ses lecteurs ou au-diteurs, pour qu’ils se mettent dans une certaine disposition ». Cette visée pédagogique, voire initiatique, estle fil conducteur d’une autre histoire de la philosophie, reliant par-delà les siècles Socrate, les stoïciens et lesnéoplatoniciens à Schopenhauer, Nietzsche et Wittgenstein en passant par Montaigne, Pascal et les Médi-tations métaphysiques de Descartes… sans oublier Goethe, dont le rapport aux « exercices spirituels » de latradition antique fait l’objet d’un nouvel ouvrage de Pierre Hadot, N’oublie pas de vivre.

    Pierre Hadot,La philosophie comme art de vivre

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    SUITE PAGE 2

  • 2 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Tout le malheur du monde vient peut-êtredu fait que nous vivons, pensons et ima-ginons sur un fond de mémoires pol-luées. Nos certitudes les mieux établiesquant à notre passé ou à celui des au-

    tres ne sont souvent que des constructions brico-lées par une mémoire collective d’autant plus fail-lible qu’elle est incontestée. Ces stratificationsaléatoires tiennent debout tant que personne n’aencore interrogé ce qu’il y avait de faux dans leurfondation. Il était faussé, par exemple, l’enseigne-ment des sages grecs tel qu’on nous l’a transmispendant des décennies : il fallut des pionnierscomme Pierre Hadot (p. 1 et 2) pour montrer queleur philosophie n’était pas une pure activité men-tale, mais englobait au contraire toute une éthiquepratique et une manière de vivre. Faussée aussi, lamémoire d’un Michel Foucault gauchiste, hyper-critique et presque nihiliste, alors que sa pensée re-levait plutôt d’un scepticisme nuancé, comme vientde le montrer son ami Paul Veyne (p. 4). Fausséeencore, l’image d’une France aux seules racineschrétiennes, alors que ces racines sont doubles de-puis au moins la Révolution si ce n’est la Renais-sance ; faussée enfin, la vision d’une laïcité sansâme et incapable d’espérance, comme le montre

    Jean Baubérot dans son analyse des propos pré-sidentiels (p. 8). Et que dire de cette invention d’un« Tibet chinois » que Pékin voudrait nous faireprendre pour vérité acquise, contre toutes les don-nées historiques, ainsi que le rappelle Claude Le-venson (p. 15)… Les institutions religieuses, universitaires, éta-tiques ont leur propre logique d’autojustification, quise manifeste souvent par une distorsion insi-dieuse de la vérité. Nous le savons bien, d’ailleurs,mais il n’empêche que nous intériorisons avec fa-cilité ces vraies-fausses idées tant que personnene les a remises en cause. La grâce des bons au-teurs est précisément de nous inviter à ce travaild’archéologie intellectuelle, de nous faire décou-vrir où et quand nous nous sommes laissé mani-puler, où et quand nous nous sommes mentis ànous-mêmes.Cette clarification de nos mémoires polluées relèvede l’exploration la plus exigeante : un vrai exercicespirituel, au sens tout à fait laïc du terme. Mais lejeu n’en vaut-il pas la peine ? Un certain rabbi ga-liléen n’a-t-il pas annoncé, il y a quelque deux milleans : « la vérité vous rendra libres » ? ■

    Jean Mouttapa

    CAR C’EST BIEN D’« EXERCICES SPIRI-TUELS » QU’IL S’AGIT – sans qu’il failledonner à cette expression une quel-conque connotation religieuse. Il s’agit,pour Hadot, d’un travail de soi sur soivisant à transformer son rapport aumonde ; travail qui n’est pas purementintellectuel, mais engage l’intégralitédu psychisme. Chez Goethe, héritieren cela d’une tradition qui passe parMontaigne et la littérature populairedu XVIIIe siècle, ces pratiques visent àvivre pleinement l’instant présent, àprendre conscience de la présencevivante des choses : Memento vivere,« N’oublie pas de vivre », impératif phi-losophique – et même spinoziste –qui s’oppose au Memento mori desmoralistes chrétiens, aussi bien qu’à lanostalgie romantique pour le passéou le futur, qui est en fait un refus dela réalité. Pour le poète allemand, lavoie qui mène à cette transformationintérieure tient dans la rencontre

    amoureuse entre la modernité, incar-née par le second Faust, et la beautéantique, incarnée par Hélène de Troie.Il faut se mettre à l’école conjointe desstoïciens et des épicuriens qui nousenseignent que « le présent est notreseul bonheur ». Se dessinent ainsi lescontours d’un existentialisme mo-derne-antique fondé, non sur l’an-goisse heideggérienne ou sartrienne,mais sur l’expérience de la plénitudede l’être. Ce n’est pas que les An-ciens eussent ignoré « la volupté quel’on éprouve à se faire souffrir », « letourbillonnement de l’âme qui ne sefixe à rien » et « le dégoût de la vie etde l’univers », selon les mots puis-sants de Sénèque.

    SEULEMENT, ILS ONT FAIT LE CHOIX RÉ-SOLU DE LEUR TOURNER LE DOS, de lesplacer hors du champ de la vie au-thentique : le but à atteindre est une« sérénité acquise et non primitive »,qui résulte d’un « immense effort devolonté », d’une « volonté esthétique

    de jeter sur les horreurs de l’existencele voile éblouissant de la création ar-tistique », « une volonté philosophiquede trouver la paix de l’âme par latransformation de soi et du regardporté sur le monde ».

    CE CHANGEMENT DE REGARD, cette« conversion » au sens platonicien,Hadot l’explore encore, chez Goethe,à travers le motif du voyage cosmiqueet du « regard d’en haut », sub specieaeternis : encore un thème spinozien,

    mais dont notre grand auteur démon-tre la pertinence continue du MoyenÂge que à Voltaire.

    LA LECTURE TRANSFORMANTE DE CE LI-VRE, comme de toute l’œuvre dePierre Hadot, prouve la richesse et lavitalité de l’authentique tradition philo-sophique de l’Occident. À tous ceux àqui l’école a rendu la philosophie et lalittérature ennuyeuses, il convient defaire lire ces livres. Qu’ils soient enfininitiés à ce grand et beau secret : phi-losopher, c’est apprendre à vivre. ■

    N’oublie pas de vivre. Goethe et latradition des exercices spirituelsPierre Hadot288 pages, 19 €■ Du même auteur :Exercices spirituelset philosophie antique416 pages, 15 €La philosophie comme manièrede vivreEntretiens avec Jeannie Carlieret Arnold I. Davidson288 pages, 18,30 €

    SUITE DE LA PAGE UNE

    Éditorial4 ■ La presse en parle…

    L’adoption

    5 ■ Un livre, un éditeur :Marc de Smedt

    6 ■ Sherman Alexie

    ■ Geronimo,une mémoire apache

    7 ■ Simon Epstein

    8 ■ Abdelmajid Charfi

    ■ Jean-Claude Carrrière

    9 ■ Les sikhs

    ■ L’écriture chinoise

    10 ■ Quand les femmess’éveilleront

    11 ■ Trois questionsà Michel Cool

    12 ■ Cathares,la contre-enquête

    14 ■ 27 questions d’économiecontemporaine

    15 ■ Claude Levenson,tribune

    16 ■ Jean Baubérot

    Sommaire

  • 3L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    On dit que ce sont les rêvesqui font grandir les enfants.

    Pas seulement eux d’ailleurs. Cequi est certain, c’est que lesmythes, cristallisations des rêvescollectifs, permettent à une sociétéd’être ce qu’elle est. Encore faut-il,dans un premier temps, savoir lesrepérer, ensuite les interpréter. Etcela ne peut se faire qu’en montrantà quoi ils succèdent : car chaqueépoque doit savoir élaborer l’atlasde son imaginaire afin d’établir desrepères et identifier le “roi secret”qui, au-delà des pouvoirs appa-rents, la régit en profondeur.

    LA TÂCHE EST INFINIE. Mais il fautbien l’entreprendre ! D’où la des-cription de quelques icônes, dequelques grands thèmes mobilisa-teurs, de quelques phénomènessociétaux qui marquent en profon-deur notre vie. Ce sont très souventd’anciens archétypes devenant desstéréotypes quotidiens. Ils trouvent,parfois, l’aide de la cyberculture endéveloppement. Ce qui ne manquepas d’être paradoxal ! En tout cas,il est amusant de voir revenir, Inter-net aidant, les figures embléma-tiques ayant bercé l’enfance del’humanité. […]À l’idéal rationnel, qui a été lamarque de la modernité, est en trainde succéder une ambiance idolâ-trique. Nos sociétés, les jeunes gé-nérations en témoignent, ne sontplus iconoclastes. L’image, l’imagi-naire, les formes symboliques yjouent un rôle qui est bien loin d’être

    négligeable. Internet irrigue en pro-fondeur les consciences. Il convientdonc de prendre au sérieux toutesces représentations, tant il est vraiqu’à partir du moment où une choseest vraie pour quelqu’un, pour ungroupe, voire une société, cettechose existe ou mérite attention.

    AINSI, SI L’ON NE MÉPRISE PAS, apriori, ce qui fait vibrer les masses,si l’on ne voit pas dans ces “vibra-tions” les symptômes de quelquechose de peu ragoûtant, mais qu’onles accepte pour ce qu’elles sont,alors on sera à même de redonneraux mythes et aux multiples icônesembellissant la vie quotidienne leurslettres de noblesse. […]

    LES MYTHES SONT TRANSPERSONNELSet sont comme autant de méta-phores obsédantes, ressurgissant,suivant les époques, sous tels outels vêtements d’apparat, ou ori-peaux dépareillés. Mais leur réalité

    est incontournable. Et, à certainsmoments, ce qui est le cas pour lapostmodernité, ils reprennent forceet vigueur. Comme le disait ErnstCassirer à propos du symbolique,leur prégnance devient, dès lors,indubitable. […]Par là, on peut décrire les affleure-ments contemporains de cesicônes qui vont, ici ou là, émerger etenvahir nos vies quotidiennes, ex-primant le renouvellement pério-dique, cyclique, spiralesque, de lajeunesse du monde.

    CE N’EST PAS RIEN, d’ailleurs, que lesjeunes générations soient celles qui,sans aucune vergogne, prennentau sérieux de tels affleurements.Leurs tribus musicales, leurs forumsde discussion, leurs syncrétismesphilosophiques ou religieux, n’ontpas peur de s’affubler du nom desdieux ou héros que l’on croyait ou-bliés. Sans le savoir, dans leur no-madisme existentiel, ces généra-tions rejouent cet oxymore parlequel Goethe avait défini lanature : un ordre mobile.[…] ■

    Iconologies.Nos idol@tries postmodernesMichel Maffesoli256 pages, 18 €

    Il y a déjà près de quarante ans, en 1970, Roland Barthes dessinait quelques Mythologies

    modernes. Reprenant le principe d’une sorte de dictionnaire mi-parodique, mi-savant,

    mélangeant figures de l’actualité et concepts philosophiques, Michel Maffesoli, professeur

    de sociologie à la Sorbonne, auteur de nombreux ouvrages dont le célèbre Temps

    des tribus, fait un portrait à contre-courant de notre société dominée par l’obsession

    de la communication, de la transparence et de l’égalité. De l’Abbé Pierre à Zidane

    en passant par Google, Harry Potter, les raves et Second Live, il esquisse en trente-huit

    touches le visage de notre présent. Extraits de son introduction.

    Idoles pour temps nouveauxSOCIOLOGIE DU QUOTIDIEN

    Séminaires depsychanalyseamoureuse

    François Perrier (1922-1990), reste l’unedes figures clés de la psychanalysefrançaise. En 1962, il forme avec SergeLeclaire et Wladimir Granoff un triosurnommé « la Troïka », qui devaitmarquer durablement l’universpsychanalytique français. Prenant avecFrançoise Dolto parti pour Lacan, ilappartient au premier cercle dulacanisme : c’est d’ailleurs à sondomicile que la fondation de l’École

    freudienne estproclamée. S’ilprend par la suiteses distances avecLacan, c’estnotamment parcequ’il appréciedifféremmentl’amour, ce noyauirréductible du

    mystère humain : pour lui, il est urgentde le « dépathologiser », et de redonnertoute sa valeur à la rencontre et à lasurprise. Il opère, par son attention à lapsychanalyse comme pratique, sonpropre retour à Freud. Comme l’exprimeMarie Moscovici :« Passionnément, follement même,disciple de Freud, comme il fut l’élèvede Lacan avant de s’en éloigner, cen’est pas leurs textes que commenteFrançois Perrier, leurs doctrines qu’ilexploite, leurs mots qu’il emploie, ou sipeu. C’est la pratique de lapsychanalyse, sous tous ses angles,qu’il interroge. »Les séminaires sur l’amour, le corporelet l’analytique, et le trans-subjectal,rassemblés dans le volume I, les textessur la formation et l’éthique dupsychanalyste, l’hystérie, la psychose etla perversion, dans le volume II, formentla seule somme de référence de cetœuvre multiforme et féconde. Soucieuxd’une éthique nourrie de sa lecture deFreud et de son expérience concrète dela souffrance des patients, FrançoisPerrier y fait partager son approche declinicien, de philosophe, d’amoureux dulangage et de l’humain. ■

    La Chaussée d’Antin, 2 vol.François PerrierVol. I : 656 pages, 35 €Vol. II : 560 pages, 30 €

    PENSÉE FREUDIENNE

  • Un couple ou un individu dé-bordants d’affection, un tout-petit orphelin ou abandonnéavide d’attention : leur rencontredevrait être « une merveilleuse aven-ture » – à condition cependant queles adoptants soient bien armés faceaux problèmes qu’ils risquent de ren-contrer.La plupart des nouveaux parentsadoptifs n’ont d’abord d’autre soucique d’aimer leur enfant et en êtreaimés. Aussi, quand celui-ci se re-belle ou s’enferme dans le silence,ils ont tendance à le ressentircomme un échec dans leur propremanière d’être et de faire. Ils ensouffrent, souvent sans oser en par-ler – d’autant que leur entouragen’est pas alors avare de « bonsconseils » encore plus infériorisants.

    CETTE SOUFFRANCE, Delphine Rou-quès, psychologue de l’enfance etelle-même adoptante, l’a rencon-

    trée maintes fois au cours de sesannées de pratique d’aide aux pa-rents adoptants dans le cadre d’as-sociations. C’est souvent à traversles symptômes des enfants qu’ellea pu la mesurer. Parce que com-prendre ce que ressent chacun estessentiel pour éviter que desmalentendus s’installent, elle offreici, plus qu’un ouvrage pratique sur

    l’adoption, un guide essentiel pourles parents adoptifs (et aussi lesspécialistes de l’enfance) qui les in-cite à ne pas minimiser les besoinsspécifiques de l’enfant adopté, àfaire face aux questions qui se po-sent (selon l’origine de l’enfant, sonâge et celui des parents au mo-ment de l’adoption, la constellationfamiliale, les étapes qu’il traverse,de la petite enfance à l’âge adulte,ses difficultés particulières et sestroubles). Il éclaire également lesparents sur leurs propres senti-ments lors de la préparation àl’adoption, au moment de l’accueilde l’enfant, sur la relation qu’ils ontchacun avec lui ou face aux ques-tions qui peuvent surgir dans lecouple. ■

    L’adoptionComprendre l’enfant,accompagner les parentsDelphine Rouquès392 pages, 17,50 €

    Avoir un enfant est une aventure dans laquelle comprendre ce que ressent chacun

    est essentiel. Ce véritable guide psychologique accompagne les parents

    qui adoptent dans leur cheminement, mais aussi les adoptés devenus adultes

    qui y reconnaîtront des éléments de leur histoire.

    Pour les adoptants, mais aussipour leurs parents et amis…et pour les adoptés

    PSYCHOLOGIE

    4 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    La presseen parle ■ ■ ■

    ■ Contre les croûtes informes,les vagues esquisses ou lescaricatures grossières, PaulVeyne a croqué son ami, quiregarda Manet de si près, en« samouraï ». Le portrait estpersonnel, inattendu, maisfidèle et réussi.

    Le Figaro

    ■ Paul Veyne nous offre unlivre hybride que l’on ne peutqu’aimer.

    Le Magazine littéraire

    ■ Ce texte, centré sur laquestion de la vérité, si chèreà Foucault, constitue unebrillante introduction à unepensée plus complexe qu’onne le croit… Ce portraitde l’artiste en samouraïfera date.

    L’Express

    ■ Veyne décape maintes etmaintes couchesd’interprétations déposées(même par les spécialistes)sur la pensée et la personnede son ami.

    Libération

    ■ L’une des meilleuressurprises de ce printempsphilosophique.

    Le Point

    Foucault, sa pensée,sa personnePaul Veyne214 pages, 16 €

    VIVE LES PÈRES ! » plusexactement. Car, comme

    le souligne le psychosociologueJean-Claude Liaudet, dès les pre-mières pages de son essai, il n’y apas de modèle unique auquel on

    devrait aujourd’hui se conformer,mais des pistes offertes à chacun.Et c’est heureux. Pour autant biensûr que ces pistes soient balisées,praticables, et que l’on ne risquepas de s’y embourber. Car le

    moins que l’on puisse dire, c’estqu’aujourd’hui les pistes sontbrouillées…

    QUI EST-CE, LE PÈRE ? Est-ce sim-plement le père biologique ? Celui

    Ils avaient tout. Il y a encore deux siècles, les pères de famille tenaient, dans une société

    vouée au patriarcat, la place d’honneur, celle du maître. Mais voilà que l’ère de la modernité,

    dans ce grand tournant du XIXe siècle, est venue remettre en question cette toute-puissance.

    Le modèle du pater familias trônant en bout de table est mort, vive le père !

    Les pères, ces hérosSOCIÉTÉ

  • 5L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    qui reconnaît l’enfant ? Qui lui donneson nom ? Celui qui le prend encharge matériellement ? Celui qui par-ticipe à son éducation ? À notreépoque, il arrive de plus en plus sou-vent que ces différents rôles soient te-nus par différentes personnes : le pèrenaturel, qui peut d’ailleurs n’être qu’un« père éprouvette », le beau-père quipeut être celui qui veille à l’éducation,il peut aussi y avoir un oncle, ou ungrand-père, qui peuvent, dans le casde familles monoparentales, subveniraux besoins de l’enfant, etc. Bref, pastoujours simple de s’y retrouver.

    DERNIER BROUILLAGE PAR EXEMPLE SURLE FAMEUX NOM DU PÈRE, que l’enfantjusqu’alors portait obligatoirementlorsque les parents étaient mariés.Depuis 2004 en France, une loi per-met désormais aux parents de choisirque l’enfant porte soit le nom du père,soit celui de la mère, ou bien encoreles deux, joints par un trait d’union.C’est non seulement révélateur desgrands changements de la société,mais c’est aussi un nouveau défi à lapaternité et à la parentalité.Jean-Claude Liaudet nous offre doncl’éclairage de la psychanalyse et une

    relecture pas à pas de ce que c’estqu’être père. Trois verbes ont guidéson voyage et permettent de donnerdu sens : reconnaître, aimer, trans-mettre. Des verbes que chaque pèreconjugue, à sa façon. Légitimer et en-courager cette conjugaison inventive,telle est la qualité fondamentale decet essai vif et subtil. ■

    L’art d’être pèreJean-Claude Liaudet198 pages, 14 €■ Également chez Albin Michel :Du bonheur d’être fragile175 pages, 13,50 €

    Patrice Van Eersel est le rédacteur en chef dela revue trimestrielle Nouvelles Clés, qui fêtecet été 2008 ses vingt ans d’existence avecun remarquable numéro double, un best of re-groupant une trentaine d’auteurs prestigieux et vi-sionnaires. Il est aussi l’auteur de plusieurs best-sellers tels que La Source noire qui ouvrait ledébat sur la mort et les soins palliatifs, Le Cin-quième Rêve, J’ai mal à mes ancêtres et, en 2005,Le Grand Livre de l’essentiel. Fasciné depuis tou-jours par le ventre des femmes et par le mystèrequ’il recèle, celui de la fécondation, de l’enfante-ment et de l’incarnation, il a mené depuis trenteans et parallèlement à toutes ses activités, une im-mense enquête sur les univers de la naissance. Etje dois dire avoir eu un véritable coup de cœurpour Mettre au monde, le nouveau livre de cegrand reporter philosophe qui nous plonge dansune réflexion profonde sur les racines mêmes denotre existence. Il passionnera bien sûr toutes lesfemmes, premières concernées, mais aussi leshommes qui s’interrogent sur leur rôle dans latransmission de la vie. Nous l’avons dit, c’est uneenquête, et la structure même du livre en té-moigne : pour chaque question soulevée, le récitd’expériences diverses nous est livré avec un luxede détails qui fait que nous revivons littéralementchaque aventure d’enfantement au moment etdans le lieu où elle s’est déroulée ; puis suivent lestémoignages et prises de position de grands mé-decins et professeurs spécialistes. Ainsi, aprèsavoir assisté au sauvetage époustouflant d’ungrand prématuré, nous rencontrons le professeurRelié qui nous parle du milliard d’années d’évolu-tion que vit en quelques mois un fœtus. Après le

    récit d’accouchements dans l’eau tiède, c’est leDr Michel Odent qui nous parle de cette techniquespéciale d’arrivée en douceur. Nous découvronségalement le « paradoxe de la péridurale » (plus lamédecine intervient, plus la mère devrait se pré-parer psychologiquement – mais plus la mère seprépare, moins elle aura besoin d’intervention mé-dicale pour accoucher !), et nous interrogeons lesgrandes traditions spirituelles sur le lien entre éro-tisme et enfantement. Mon enthousiasme ne peutque conclure en détournant le fameux adage ti-bétain : « Vous qui avez eu la chance de prendreforme humaine, ne perdez pas de temps » : lisezdonc ce livre surprenant. ■

    Mettre au mondePatrice Van Eersel448 pages, 22 €

    Les mystères de l’enfantement

    parMarc de Smedt

    Un livre, un éditeur■ Tout le monde connaît maintenant leFestival de Fès des Musiques sacréesdu monde, qui s’est imposé comme ungrand rendez-vous international par saqualité tant spirituelle qu’artistique, etqui a été fondé voilà maintenantquatorze ans par Faouzi Skali, auteurchez Albin Michel de La Voie soufie,Futuwah (traité de chevalerie soufie),Traces de lumière, Jésus dansla tradition soufie… Parallèlementau Festival, se tiennent les Rencontresde Fès, série de colloques etconférences qui, cette année commesouvent, accueilleront de nombreuxauteurs Albin Michel : Marie Balmary,Jean-Claude Guillebaud, Jean-PaulGuetny, Victor Malka, Daryush Shayegan,Michel Cool, Jean Mouttapa…sans compter quelques futurs auteursque les lecteurs de nos collectionspourront bientôt découvrir.

    Du 7 au 11 juin, renseignements :www.par-chemins.com

    ■ Les Cinq Méditations sur la beauté deFrançois Cheng, qui demeurent un long-seller toujours vivant en librairie,avaient été écrites à l’occasion de cinqconférences de l’auteur à Paris, auprintemps 2005. Trois ans plus tard,elles ont retrouvé leur dimension oraleoriginelle, à travers un disque audiodans lequel l’auteur lit lui-mêmel’intégralité de son livre. Une voixempreinte de profondeur et de justesse,pour porter des paroles fortes.

    CD Audiolib, 15 €

    NOTA BENE

  • 6 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Un adolescent à la dérive, ballottéde famille d’accueil en familled’accueil, trimbalant pour touthéritage les yeux verts de sa mère,l’acné de son père, et son goût pourla bière. C’est Spots, le personnage ra-geusement vivant de ce grand romande Sherman Alexie. Le souffle est in-classable, l’imaginaire débordant, letranchant du regard implacable.Spots va braquer une banque ; uneballe logée dans son crâne le fait seréveiller dans la peau d’un Blanc,membre du FBI, en mission contreles mouvements de rébellion indiensdans les années 1970. La détonationd’une autre balle le fait se « réincar-ner » à nouveau. En Indien, cette fois.Au matin de la bataille de Little BigHorn, aux côtés de Crazy Horse,contre les troupes du général Custer,« l’un des deux ou trois plus grandscrétins de toute l’histoire américaine »,commente Spots. Mais les Indiens,en matière de cruauté, ne seront pasen reste. Sur les charniers de leur der-nière victoire, ils vont crever les yeuxdes soldats morts et arracher lesscalps.

    Y A-T-IL UN CAMP DU BIEN ? Un campdu mal ? En plusieurs tableaux, toutaussi saisissants les uns que les au-tres, Sherman Alexie nous mène aucœur des mythologies qui hantentl’Amérique. Aujourd’hui, il semble bienloin, le fameux mot de Custer « unbon Indien est un Indien mort », on neparle d’ailleurs plus d’Indiens, maisdes Native Americans. Pas si long-temps et pourtant, d’autres mytholo-gie ont pris la place, d’autres « bar-bares » apparaissent ou disparaissent,que leur peau soit noire, ou leur barbelongue. À travers les différents por-traits d’un Spots réincarné, c’est leportrait, très politiquement incorrectd’une Amérique schizophrène quenous offre Flight.Mais, encore une fois, ni bons, ni mé-chants. Seule la rédemption compte,

    tout aussi schizophrène qu’elle puisseêtre. Et ce n’est pas un hasard si legrand chef indien Crazy Horse fait sonapparition, christique, dans le roman.Car c’est là une des hypothèses poé-

    tiques de Sherman Alexie, que l’onretrouvera dans la tout aussi flam-boyante anthologie de poèmes RedBlues : « Ton cœur serait-il changé / sije te disais que Jésus-Christ est déjà

    revenu / une deuxième fois et a été denouveau crucifié ? / Il s’est baptiséCrazy Horse / et n’ai jamais parléd’une troisième tentative. » ■

    Flight216 pages, 16 €Red Blues, poèmes304 pages, 20,90 €Sherman AlexieTraduits de l’américainpar Michel Lederer■ Également chez Albin Michel :Indian Blues, romanIndian Killer, romanPhoenix Arizona, nouvellesLa Vie aux trousses, nouvellesDix petits Indiens, nouvelles■ À paraître en septembre 2008 :Le premier qui pleure a perduAlbin Michel Jeunesse, coll. « Wizz ».

    American schizoLITTÉRATURE« Je suis irlandais et indien, ce qui serait le mélange le plus génial du monde si mes parents étaient là pour m’apprendre

    à être irlandais et indien. Seulement, il y a longtemps qu’ils ne sont plus là, si bien que je ne suis vraiment ni irlandais ni indien.

    Je suis un ciel vide, une éclipse solaire humaine. »

    Sur les traces d’une légendeHISTOIRECorine Sembrun nous emmène toujours très loin. Cette jeune

    femme nous avait déjà fait voyager au Pérou, où elle avait été

    initiée au chamanisme, puis en Mongolie, où cette aventure

    chamane avait pris un tour qui avait bouleversé sa vie. Cette

    fois, rendez-vous au Nouveau-Mexique, sur les traces du grand

    chef apache Geronimo. Un rendez-vous tout aussi intense.

    Car Geronimo ne fut pas seule-ment ce guerrier courageux, ledernier à rendre les armes,quand son peuple a été décimé par lesarmées des États-Unis. Il fut aussi,et ce n’est pas un hasard si CorineSembrun part à la recherche de sa mé-moire, un homme-médecine, un sageinitié aux secrets de la vie. À ses côtés,la chamane occidentale aura pourguide l’arrière-petit-fils de Geronimo,Harlyn, lui aussi homme-médecine.De leurs entretiens naît le récit que Har-lyn adresse à son aïeul, celui de sescombats, de ses enseignements.Éclairé par cette figure, il évoquera aussila condition des Apaches au XXIe siècle,les enjeux de leur survie, tout aussi bienéconomique que spirituelle.

    UNE SURVIE QUI RESTE SUSPENDUE àcette dernière volonté de Geronimo :mort en prison, il avait souhaité reposersur les terres qui l’ont vu naître,comme le veut la tradition. Or sa©

    B. K

    erne

    l / C

    FA

  • 7L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Lettresde noblesse

    Les XVIIIe et XIXe siècles se disputent le titrede « siècle de l’épistolaire ». Véritableplaque tournante de la communication, leséchanges épistolaires ébauchent, au coursdu long XIXe siècle (1789-1914), la miseen réseau de l’espace européen. Quelquesgrands noms de la culture européenne,de Goethe à Mme de Staël, en passant parStefan Zweig et Romain Rolland, prennentleur place dans cette histoire, commeautant de bornes dans les réseaux quicouvrent l’Europe post-révolutionnaire,à l’heure de la première mondialisation.C’est ainsi une histoire parallèlede la littérature qui s’esquisse, oùl’affranchissement de la forme livresque,qui n’implique aucun renoncement à laperfection esthétique, ouvre la voie à uneécriture plus intime et en même temps plusconsciente de ce qui relie entre eux leshommes de lettres par-delà les cultures.Marie-Claire Hoock-Demarle, germaniste,professeur émérite à l’universitéParis VII-Denis Diderot, a publié diversouvrages concernant l’histoire

    des femmesen Allemagne etles échangesculturels à l’échelleeuropéenne.Se fondant sur unedocumentationconsidérable, ellesuit la naissance,l’essor et la crise

    d’un modèle intégrateur, où l’espritnational se concilie avec l’appartenanceà un monde commun, transcendantdifférences de langues et de religions,conflits politiques et tensionséconomiques. Elle met en évidence lapart de vie que l’écriture de la lettreinventa et préserve jusqu’à nos jours.Le lecteur découvrira des textessuperbes et peu connus ainsi qu’unegalerie exceptionnelle de personnagesféminins peu ordinaires, car l’Europedes lettres est en bonne partie celledes épistolières, qui jouissent dansl’organisation des correspondancesd’une prééminence que la vie politiqueleur dénie. ■

    L’Europe des lettres. Réseauxépistolaires et consciences euro-péennes au XIXe siècleMarie-Claire Hoock-Demarle496 pages, 30 €

    HISTOIRE CULTURELLE

    Ce nouveau livre, fruit d’un im-mense travail d’enquête,s’inscrit dans le prolonge-ment direct du précédent et apporteun éclairage nouveau sur les motifsde l’engagement politique entre1939 et 1945. Deux catégories deFrançais intéressent notre enquê-teur : ceux qui, très nombreux, pro-testèrent contre le racisme et l’an-tisémitisme dans les années 1920 et1930, puis qui, dans les années1940-1944, s’engagèrent dans la

    Collaboration ; et ceux qui expri-mèrent, d’une manière ou d’une au-tre, à un moment ou à un autre, unehostilité, ou un préjugé à l’égard desjuifs, puis qui se retrouvèrent, l’heurevenue, dans la Résistance.

    LA PRINCIPALE SOURCE DE SIMONEPSTEIN est la presse antiraciste, quine se contente d’ailleurs pas de po-lémiquer vertement avec les antisé-mites et de saluer les détracteurs del’antisémitisme. Elle observe avecvigilance, tout au long des années1930, ceux qui changent de campet qui glissent – les uns en douceur,les autres avec fracas, les uns enligne droite, les autres en zigzag –du philosémitisme à l’antisémitisme.En 1944 et dans les premières an-nées de l’après-guerre, elle fourniraun autre révélateur des dérives enpubliant d’impressionnantes listesde « traîtres », anciens compagnonsde route, anciens adhérents, an-ciens dirigeants de la LICA (Ligue in-ternationale contre l’antisémitisme)qui avaient été collaborateurs pen-dant la guerre. À côté des publica-tions antiracistes et des journauxjuifs qui signalent les adversaires del’antisémitisme, toute une littérature,considérable et variée, donne la pa-role aux collaborateurs.

    CE LIVRE N’EST NI L’HISTOIRE DU PHI-LOSÉMITISME ni celle de l’antisémi-tisme, il est l’histoire du passage del’un à l’autre, et, si l’on veut, de l’au-tre à l’un. Laborieuse à mettre enœuvre, bien que toute simple dansson principe, la méthode a consistéà ratisser l’intersection des deuxzones et à retenir ceux qui s’y trou-vaient. En plusieurs centaines de no-

    tices biographiques, Simon Epsteinfait revivre sous nos yeux la com-plexité de cette période : on verraainsi l’antiraciste d’avant-guerre ver-ser dans l’antisémitisme le plus viru-lent à partir de 1940 ou, à l’inverse,le militant d’extrême-droite, hostileaux juifs, entrer dans la Résistance.

    PLUTÔT QUE DE S’EN TENIR À UN EXA-MEN DES DÉRIVES de la gauche versla droite, Simon Epstein a cherchéà faire de l’antisémitisme un mar-queur qui lui permettait, en rédi-geant ces « judéo-biographies »,d’analyser tous ces chassés-croi-sés et d’y souligner le poids décisifdu pacifisme, qui, selon lui, fut leprincipal vecteur vers l’Allemagne etl’hitlérisme. ■

    Un paradoxe français.Antiracistesdans la Collaboration,antisémitesdans la RésistanceSimon Epstein624 pages, 28 €

    Une ambivalence très française !HISTOIRE DU XXE SIÈCLE

    Dans Les Dreyfusards sous l’Occupation, publié en 2001, Simon Epstein avait montré que

    beaucoup d’intellectuels et d’hommes politiques français qui, dans leur jeunesse,

    avaient pris part au combat pour Dreyfus se rallièrent, sous l’Occupation, à l’une ou l’autre

    des grandes tendances de la Collaboration : du pétainisme attentiste et modéré aux formes

    les plus extrêmes du collaborationnisme raciste et pronazi.

    tombe, qui se trouve encore au-jourd’hui dans le fort militaire amé-ricain de Fort Hill, a été profanée,double violence à la mémoire d’unhomme. En quête de cette mé-moire, les deux chamans, l’Occi-dentale et l’Indien, retrouvent doncle chemin du combat, celui pour lapaix des esprits, des morts et desvivants. ■

    Sur les pas de GeronimoCorine Sembrunet Harlyn Geronimo320 pages, 22 €

  • 8 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Certes, les quelque 4 500 verspersans coulés dans l’encre parle grand soufi Farid al-Din ‘At-tar (1142-1220) n’ont pas attendu lafin du XXe siècle pour trouver un échoprofond chez tous les chercheurs devérité. Le thème en est bien connu :les oiseaux, menés par la huppe, semettent en quête d’un oiseau my-thique, le Simorgh, afin de le prendrecomme roi. Leur épopée mystique etexistentielle les amène à traverser septvallées, comme autant d’étapes dansla voie soufie (tariqa), lors desquellesils doivent se dépouiller des objectifsillusoires. Au bout de leur voyage, ilsdécouvrent que le Simorgh n’est au-tre qu’eux-mêmes.

    LA VERSION SCÉNIQUE de Jean-ClaudeCarrière, mise en scène par PeterBrook, devait faire connaître ce chef-d’œuvre bien au-delà des limites dupublic féru de spiritualités orientales.La pièce fut d’abord présentée en Avi-gnon en 1979 et dans les espaces

    sauvages de l’Afrique avant deconquérir le public parisien et new-yor-kais. Cette œuvre séminale du théâ-tre contemporain n’avait jamais été ré-éditée depuis ; elle est enfin rendue àson public. ■

    La Conférence des oiseauxJean-Claude Carrière112 pages, 5 €■ À paraître à l’automne :Le Mahabharata (théâtre) etSimon le mage (roman)

    Chef-d’œuvre soufiTHÉÂTRE

    Malgré la censure, malgré lesmenaces, malgré l’isole-ment, il existe aujourd’huidans le monde arabo-musulman uneauthentique réflexion critique qui faitsiennes les exigences de l’universel.Abdelmajid Charfi, professeur à l’uni-versité de lettres de Tunis, historien etsociologue, est l’un des penseurs lesplus en vue de cette avant-garde in-tellectuelle qui pense l’islam de l’in-térieur avec les outils des sciences hu-maines. Son précédent livre posait lesbases d’une analyse historique dessavoirs musulmans : hadith, fiqh,exégèse coranique… Ce faisant, il mé-nageait également sa juste place à lafoi, au « message », distinguant ce quirelevait du sacré et ce qui appartenaitau social. Cette saine distinction ou-

    vrait la voie à une appréhension du faitislamique dans sa globalité.

    C’EST CETTE APPROCHE systématique,consciente des implications politiques,théologiques, sociales et historiquesde son objet, qui est mise à l’œuvreici. Dans ce recueil d’analyses nova-trices, il embrasse tous les champs dusavoir pour répondre à des questionsessentielles : y a-t-il une approche is-lamique moderne du monothéisme,de l’interprétation du Coran, de la clô-ture de la prophétie ? Quels sont lesenjeux de la sécularisation des socié-tés arabo-musulmanes ? Quels sontles liens entre pouvoir politique et pou-voir religieux ? Quelles seront les va-leurs du Maghreb de demain ? Autantde problématiques qui se trouvent aucœur de notre époque et qui sont icitraitées avec une rare profondeur. ■

    La Pensée islamique,rupture et fidélitéAbdelmajid Charfi260 pages, 18 €

    ■ Du même auteur :L’Islam entre le message

    et l’histoire238 pages, 18,50 €

    Le savoir globald’un grand« penseur de l’islam »

    ISLAMOLOGIE

    Oui, on pense en terre d’Islam ! On pense même beaucoup,

    et très profondément, que ce soit au Pakistan, en Arabie

    saoudite ou en Tunisie. Et cette pensée, exigence vitale

    pour des peuples qui s’interrogent sur le devenir

    de leur civilisation et le rôle qu’ils sont appelés à jouer

    dans l’histoire, interroge en réalité chacun de nous.

    Si La Conférence des oiseaux est devenue l’un

    des contes soufis les plus appréciés du public français,

    c’est en partie grâce à Jean-Claude Carrière.

    É lève du grand maître zen TaisenDeshimaru, Marc de Smedt estdepuis longtemps un intime destraditions orientales dans leur diversité.Il est aussi, à travers les livres qu’il pu-blie tant comme auteur que comme édi-teur, un grand « passeur » de sagesseet de mieux-vivre. Libre de tout espritd’école, il parcourt textes et conti-nents pour puiser des paroles vivifiantesqui nous aident à mieux vivre le pré-

    sent : c’est ainsi qu’il avait lui-même éla-boré plusieurs volumes sur les sa-gesses orientales dans la collection« Carnets de sagesse » qu’il dirigeait.Dans ce petit recueil, il nous invite à unvoyage à travers les mondes indiens,la sagesse du Bouddha historique,les traditions taoïste, zen et tibétaine,ou encore les paroles du dalaï-lama, au-tant de sources d’inspiration qu’il par-tage avec nous. ■

    Petit bréviairede sagesses orientales

    POCHE

    Paroles d’OrientMarc de Smedt160 pages, 6 €■ Du même auteur :Techniques de méditationet pratiques d’éveil288 pages, 8 €

  • 9L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Depuis les fantasmes magiquesqu’elle engendra au temps desa découverte jusqu’à ses mu-tations à l’époque maoïste – simplifi-cation des caractères, introduction dela transcription pinyin –, elle n’a cesséde montrer les limites de la concep-tion occidentale du langage.

    ON PRÉDIT AINSI PÉRIODIQUEMENT LA FIND’UNE ÉCRITURE IDÉOGRAPHIQUE, jugéeincapable de s’adapter aux usagesprotéiformes de la modernité glo-bale et accusée de faire le lit d’un il-lettrisme séculaire. À rebours de cettevision étroite, Viviane Alleton pro-pose ici une synthèse de référence surles multiples aspects de cette écrituredont, première novation, elle nuancefortement le caractère « idéogra-phique ». Pas plus que le lecteur fran-çais ou anglais ne déchiffre de pursphonèmes, mais des mots entiers, demême le lecteur chinois ne lit-il depures idées. Le son et le sens sont làaussi imbriqués, comme elle le dé-montre brillamment en révélant, parexemple, qu’un lecteur chinois estmoins gêné par une substitution decaractères si le signe fautif est prochephonétiquement du mot attendu :preuve que les Chinois lisent aussi des

    sons. De plus, le caractère fédérateurde ce système d’écriture, outre qu’ils’est pleinement adapté à l’informa-tisation, connaît une grande sou-plesse interne d’utilisation, depuisles variantes dialectales jusqu’auxSMS. Bien plus que l’étude définitivesur l’écriture chinoise, ce qu’il estaussi, le livre de Viviane Alleton nousoblige à porter un autre regard sur lesproblématiques éternelles et contem-poraines de la langue et de sesusages. ■

    L’Écriture chinoise.Le défi de la modernitéViviane Alleton240 pages, 19 €

    L’écriture chinoisea-t-elle un avenir ?LANGAGE

    À l’orée du XVIe siècle, Nânak,

    sortant de la rivière où il se bai-gnait, a une illumination mys-

    tique : « Nul n’est hindou ni musul-man. » De cette intuition premières’élabore bientôt une religion originale,un monothéisme appelant à dépasser,plus qu’à conjuguer, islam et hin-douisme. L’un des successeurs de Nâ-nak, Arjan, exprimera cette intuitiondans un bel hymne.

    CE MÊME ARJAN, compilateur du livresaint des Sikhs, l’Âdi Granth, devientau début du XVIIIe siècle le maître spi-rituel (Gurû) exclusif des fidèles. Endeux siècles, la religion sikhe s’im-pose dans le paysage spirituel del’Inde moghole, et son histoire se pro-longe jusqu’à aujourd’hui. Il est ten-

    tant de considérer cette foi née à lafrontière des mondes hindou et mu-sulman comme un syncrétisme decompromis, une curiosité sans grandimpact historique. C’est le grand mé-rite de cette étude que de décons-truire ce préjugé. Denis Matringe ins-crit le phénomène sikh dans un cadreplus large, celui de l’identité panjabie,cette région aujourd’hui divisée entrel’Inde et le Pakistan mais qui a sumaintenir un particularisme culturel. Ilmontre ainsi comment le sikhismeprolonge les traditions religieusespanjabies (bhakti vishnouite, dévotionsoufie, yoga tantrique), comment ilfédère une identité régionale au cœurdes turbulences de la modernité (de-puis la conquête anglaise jusqu’à laPartition) et dans quelle mesure il ré-vèle, aujourd’hui encore, les aspectsdivers et complexes de l’indianité, enInde et dans le monde. ■

    Les Sikhs, histoire et traditiondes « Lions du Panjab »Denis Matringe384 pages, 24 €

    Les sikhs, monothéistesau cœur de lamodernité indienne

    PLANÈTE INDE

    Dernière-née des grandes religions indiennes, le sikhisme est

    aussi la plus méconnue. Au-delà du port emblématique du

    turban et de l’épisode de l’assassinat d’Indira Gandhi en 1984,

    la nature et l’histoire de cette foi à la confluence de l’hindouisme

    et de l’islam sont encore une terre vierge pour le public français.

    Le livre de Denis Matringe, directeur de recherche au CNRS,

    s’impose d’emblée comme l’ouvrage de référence.

    Le chemin du BouddhaSPIRITUALITÉ

    De plus en plus familière et toujours aussi exotique,

    l’écriture chinoise n’a cessé de fasciner l’Occident.

    Bhante Henepola Gunaratanaexplore ici les implications de lapratique de l’« octuple sentier »dans notre vie quotidienne : compré-hension, pensée, parole, action, modede vie, effort, conscience, concentra-tion. Chacun des huit chapitres exposela sagesse qu’il y a à pratiquer la jus-tesse de ces voies, sur un mode trèspédagogique et en phase avec lesaspirations de l’homme moderne.

    S’adressant à tous ceux qui veulentdécouvrir le bouddhisme sans être en-combré par les questions d’écoles oude concepts ésotériques, Les huitmarches vers le bonheur proposeune découverte de la sagesse duBouddha dans ce qu’elle a de plusmoderne. ■

    Les huit marches vers le bonheurBhante Henepola Gunaratana400 pages, 22 €

  • 10 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    L ’ère contemporaine peut êtredéfinie selon trois traits ma-jeurs : tout d’abord la mort, oudu moins l’agonie, de l’idée d’un pro-grès nécessaire et indéfini de la ci-vilisation ; ensuite, le rétrécissementde l’espace mondial à l’échelle d’un« village global » où chacun vit lesmêmes événements au même mo-ment, provoquant une formidableaccélération de l’histoire ; enfin, unedomination technologique qui metpour la première fois dans les mainsde quelques-uns l’avenir physiquede toute la planète et de ses habi-tants. On rejoint donc, paradoxale-ment, les intuitions premières des

    grandes religions qui mettent l’ac-cent sur la responsabilité infinie del’homme, sur la communauté dedestin de tout le cosmos, et sur lapossibilité d’une fin de l’histoire.

    UNIVERSITAIRES, HOMMES DE FOI ETÉCO-RESPONSABLES du World WildFund for Nature (WWF) se sont re-trouvés au monastère Karma-Ling,dans le cadre des rencontres Islam-Dharma, pour débattre précisémentde l’avenir proche de notre planète,de la responsabilité de chacun, etmontrer comment le discours des re-ligions sur la fin des temps, loin dese résumer à un catastrophisme

    apocalyptique, nous invitait aucontraire à assumer notre respon-sabilité historique et cosmique. ■

    Les Signes de la fin des temps ?Question de n° 131avec Frédéric Lenoir,Lama Denis Teundroup,Éric Geoffroy, Cheikh Bentounès…176 pages, 18 €

    L’eschatologie aujourd’huiQUESTION DE

    Dans tous les domaines, lesfemmes se sont adaptées àdes schémas masculins :comme les hommes, elles parvien-nent à se montrer actives, conqué-rantes, dominatrices. Pourtant, les« valeurs du féminin » (douceur, ca-pacité d’écoute, expression de sesémotions…) sont indispensables àleur équilibre autant qu’à celui de lasociété.Faut-il dès lors aller vers un nou-veau féminisme ? La psychothéra-peute Valérie Colin-Simard nousmontre combien le « féminin » est vi-tal, nécessaire à l’équilibre physiqueet psychique. « Oser le féminin »,c’est ne plus seulement vouloir être

    rentable, efficace, accumuler desbiens et des pouvoirs. C’est aussiassumer la vulnérabilité, accepter lapassivité, savoir recevoir et pas seu-lement donner. C’est encore choisird’écouter l’autre et de privilégier lanégociation plutôt que la force.C’est pouvoir être une femme sansêtre une mère.

    SI LE THÈME PEUT PARAÎTRE SE PRÊ-TER À LA LÉGÈRETÉ, et si le ton del’auteur se fait volontiers complice,le propos n’en est pas moins d’uneforce peu commune, d’une rafraî-chissante radicalité. La dénoncia-tion de la condition féminine mo-derne y est sans appel : malgré les

    apparences, nos sociétés sont toutaussi profondément patriarcalesque jadis. L’expression des émo-tions est cantonnée à des occa-sions que la société réglementestrictement : lors d’une Coupe dumonde ou d’un mariage, mais pasau bureau. Le monde du travail,justement, avec sa gestion de l’hu-main comme ressource compta-ble, son calcul « scientifique » del’espace vital, ses mécanismes dedomination, constitue l’une des ex-pressions modernes du cauchemarconcentrationnaire. Le fait que seulle modèle de réussite et de probitésoit masculin rend les femmes par-ticulièrement vulnérables à cette

    Le « féminin » est l’avenir de tousSOCIÉTÉ

    Enquête au cœurde l’être

    Georges-EmmanuelHourant

    ■ Le dialogue entre toutes lesspiritualités est depuis l’origine unepréoccupation centrale de L’Hommeen Question. L’ouvrage de Georges-Emmanuel Hourant, Enquête au cœurde l’être, montre s’il en était besoinla vitalité de cette approche.Psychothérapeute et journaliste, il arecueilli le témoignage de dix-septmaîtres spirituels et penseursde l’infini, qui nous font partager leurexpérience dans la quête de sagesse.Parmi eux : Arnaud Desjardins, Annick

    de Souzenelle,ChristianDelorme,Richard Moss,Lytta Basset, ouencore ThichNhat Hanh…240 pages,7,50 €.

    Sagesses et malicesde Tchantchès,tête de bois

    Gudule (textes) etDominique Maes

    (illustrations)■ Saviez-vous que la Wallonie a sonNasreddin ? Comme son cousinoriental, Tchantchès tourne enridicule les tartuffes et lesorgueilleux et joue à l’idiot pourrévéler les paradoxes de la réalité.Personnage central du folklore deLiège et de sa région, il vit sesaventures drolatiques à la lointaineépoque des empereurscarolingiens ; mais ses leçons desagesse bouffonnes sont toujoursd’actualité, promptes à régalerpetits et grands.160 pages, 12,50 €.

    JEUNESSE

    SPIRITUALITÉS

    La fin des temps est-elle proche ? En voit-on les signes

    aujourd’hui ? Sous leur aspect quelque peu outré,

    ces questions n’en recèlent pas moins une grande

    fécondité intellectuelle pour penser notre époque.

    Où en sont les femmes quarante ans après Mai 1968 ?

    Et si le féminisme ne leur avait apporté que le droit d’être des hommes ?

  • S i ses membres s’appelaiententre eux « les porteurs de lu-mière », les ténèbres del’époque n’épargnèrent pas son his-toire troublée. Pleine de supplices etde prodiges, cette histoire de l’Égliseiranienne nous montre aussi commentnaquirent des phénomènes appelésà une grande postérité : l’esprit mis-sionnaire, la persécution pour la foi,l’effroi fascinant du martyre, et aussi

    cette alliance intime d’un État etd’une Église, berceau des fana-tismes. C’est cette histoire incroyable,qui se lit comme une épopée orien-tale, que nous narre avec brio NahalTajadod : l’émergence et la chute deMani, les persécutions mazdéennesorchestrées par Kirdir, le cruel et am-bitieux mage des mages, le conflit mil-lénaire et absurde entre Rome et laPerse, l’appel de l’Extrême-Orient, leschisme nestorien… Si une partie dela matière est certes romancée, selonles mots de l’auteur, « les épisodes lesplus fantastiques sont tous histori-quement attestés ».

    AINSI QUE L’EXPRIME JEAN-CLAUDECARRIÈRE dans sa préface, « ce livre,à l’évidence, nous tend, discrètementmais opiniâtrement, un ancien miroir,parfois gratté et dépoli, où nous pou-vons à chaque instant apercevoir,déjà, notre propre visage ». ■

    Les Porteurs de lumière.L’épopée de l’Église de Perse

    Nahal TajadodPréface de Jean-Claude Carrière

    466 pages, 11 €■ Du même auteur :

    Sur les pas de Rûmiill. de Federica Matta

    370 pages, 25 €

    À l’est d’Éden, l’Églisede Perse

    ÉPOPÉE RELIGIEUSE

    Durant les siècles obscurs qui

    séparent le déclin de Rome

    du triomphe enflammé de

    l’islam, s’épanouit en Perse

    une Église chrétienne

    aujourd’hui oubliée.

    11L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Michel CoolAlors que le clergé et l'Église ontune audience de plus en plus faible,comment expliquer queles monastères soient encoredes lieux vivants et fréquentés parun public nombreux ?Le monachisme n’est pas épargnépar la sécularisation de l’Europe : j’aivisité beaucoup de communautésvieillissantes et de noviciats déserts.En même temps, les abbayes n’ontpeut-être jamais accueilli autant demonde qu’aujourd’hui. Les sœurs etles frères hôteliers ouvrent leursportes à un public de plus en plusnombreux : des chrétiens de diversessensibilités, mais aussi des « sansreligion » et des chercheurs desens… Qu’est-ce qui attire cesfoules hétéroclites ? D’abord, lavéracité du témoignage des hommeset des femmes qu’ils rencontrent ;ensuite, leur capacité d’écoute,patiente et désintéressée ; enfin, labeauté et le silence dont ilss’entourent. Dans notre sociétéassujettie au bruit, au stress et àl’argent, la gratuité et la disponibilitésont des denrées rares. Or, cesvaleurs sont incarnées et font de larésistance dans les monastères ; ilsapparaissent comme des espaces deressourcement et de liberté, uniqueset accessibles à tous.

    Que vous ont dit moines et monialesdu film de Philip Gröning Le GrandSilence ?Certains se sont réjouis qu’aient puêtre présentées à unlarge public uneévocation de la viemonastiquevalorisant unretrait total dumonde et uneexpérienceradicale de lasolitude et dusilence. D’autresont regrettéque ce

    film ait contribué à renforcer unevision désincarnée de la viemonastique, déjà fort répandue.Dans mon livre, je me suis aussiintéressé à la condition humainedes contemplatifs : j’ai découvertque ces chercheurs de Dieun’étaient pas des extraterrestresou des champions de la prière :ils sont, comme tout le monde,confrontés aux passions humaines,aux difficultés de la vie et auxépreuves du doute… Leur aventurespirituelle n’est pas supérieure àune autre. Elle indique simplementque la foi est toujours un combat.

    Ressort-on indemne de cettefréquentation des hommeset des femmes qui se sont faitsmessagers du silence ?Oh que non ! Le message le pluscriant des moines et des monialesest de rappeler que nous sommeshabités par le même silence qui lesgarde : un silence creusé par unePrésence, qui a nécessité des annéesde labourage intérieur, d’ascèse etde combat pour le découvrir. J’ai faitcette conversion durant mespérégrinations monastiques : unchoc imprévisible et salvateur.Depuis, j’ai besoin chaque jour demendier un petit quart d’heure desilence, pour retrouver la trace, lasaveur de cet Hôte secret. ■

    Messagers du silenceMichel Cool272 pages, 18 €

    Trois questions à ■ ■ ■

    machine à broyer, alors qu’elles sontparadoxalement les mieux placéespour l’humaniser. La génération del’après-féminisme osera-t-elle réha-biliter le féminin ? Avec des proposqui touchent juste, Valérie Colin-Si-mard pose clairement les termes dece débat d’avenir. ■

    Quand les femmess’éveilleront… Oser le fémininValérie Colin-Simard304 pages, 18,50 €

  • En l’an de (dis)grâce 1208, le pape Innocent III lançait la croisade contreles albigeois, promettant aux futurs combattants les mêmes indulgencesqu’aux croisés de la Terre sainte. Que sait-on du carnage qui s’ensuivitpendant des décennies, et que sait-on vraiment des victimes,ces « hérétiques » qui se prétendaient chrétiens ? Anne Brenon – la meilleurespécialiste du catharisme – et Jean-Philippe de Tonnac se sont rendussur les lieux du crime pour y mener une passionnante contre-enquête.

    Crime d’Étatet d’Église encoresous-évalué,l’écrasementde l’« hérésie » catharea commencéil y a 800 ans

    12

  • 13L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Qui étaient au juste les « hérétiques » ca-thares, et qui dérangeaient-ils ? Queldanger formidable représentaient-ils pourfaire l’objet d’une telle expédition punitivequi mobilisa toute la noblesse de laFrance du Nord ? De quoi étaient-ils cou-pables pour donner ainsi prétexte à la pre-

    mière entreprise totalitaire de l’histoire – l’Inquisition –, etpour alimenter procès, prisons et bûchers pendant des dé-cennies ? Les réponses les plus fantaisistes courent de-puis des siècles, inspirées tantôt par la défense de la SainteÉglise catholique, ou au contraire par la haine anti-cléri-cale, tantôt par un ésotérisme de mauvais aloi, ou par laméfiance instinctive des rationalistes devant ces croyantscapables de témoigner de leur foi jusqu’à la mort… C’estcomme si les raisons idéologiques les plus contradictoiress’étaient liguées au cours des siècles pour entretenir la dif-famation, et par là minimiser l’ampleur du crime !

    MAIS DEPUIS UNE TRENTAINE D’ANNÉES, les travaux nova-teurs de toute une génération d’historiens se sont focali-sés sur des questions peut-être moins spectaculaires,qui n’en sont que plus fécondes : quelle était la vie quoti-dienne des Bons Hommes et des Bonnes Femmes,quelles furent leurs structures ecclésiales originales, com-ment celles-ci s’enracinaient-elles dans le tissu social oc-citan, quelles étaient précisément les croyances de ces« hérétiques », leur liturgie, leur symbolique, leurs textesfondateurs ? Autant d’explorations que nous font revivreici Anne Brenon et Jean-Philippe de Tonnac, en un cap-tivant parcours d’une dizaine d’étapes, qui remet d’ailleursen question les frontières du « pays cathare » telles que dé-finies par le tourisme de masse. La notion même de « châ-teaux cathares » s’en trouve ébranlée – puisque la plupartd’entre eux furent construits par les Français vainqueurspour dominer ces régions hérétiques – et pratiquementtout le folklore entourant la mémoire cathare se révèle si-non infondé, du moins largement imaginaire.

    LA FRACTURE HISTORIQUE QUE REPRÉSENTE LA RÉPRESSIONDU CATHARISME n’en est que plus vertigineuse : si lesBons Hommes et les Bonnes Femmes sont des gens

    plus « normaux » qu’on ne le croyait, s’ils ne sont pas unesecte fanatique poussant à de graves troubles sociaux,s’ils sont essentiellement non violents comme le montreAnne Brenon, s’ils sont d’authentiques chrétiens – dua-listes, certes, et donc théologiquement dissidents, maisanimés d’un vrai souffle évangélique –, alors l’infamie deleur écrasement par le feu et par le sang n’a plus aucunecirconstance atténuante. Leur éradication totale, qui futautant un crime d’Église qu’un crime d’État, n’a plus au-cune justification défensive, et prend la dimension d’uneexclusion fondatrice – une sorte de honteux secret de fa-mille à l’échelle de la nation et de la chrétienté.Tel est bien l’enjeu de ce livre majeur : la grâce de la ren-contre et le talent d’interviewer de Jean-Philippe de Ton-nac ont permis à Anne Brenon de nous présenter la syn-thèse magistrale de toute une vie de recherche, et denous faire découvrir une épopée spirituelle et socialetrop longtemps méconnue. ■

    Un tournant majeur dans l’histoirede l’Église, qui entache celle-ci

    d’une vraie catastrophe spirituelle

    « Pour beaucoup dechrétiens progressistes quin’hésitent pas à se montrercritiques vis-à-vis de leurinstitution, il est entendu quel’Église s’est trompée, etmême souillée dans cetécrasement du catharismequi donna naissance aumonstre de l’Inquisition. Maisla plupart continuent decroire que sur le fond, c’est

    bien l’Église catholique quiavait raison contre ces“illuminés”, voire ces“fanatiques” qu’étaient lescathares.Cette contre-enquête étayéepar l’érudition d’Anne Brenondémontre que ce jugement,que l’on pourrait croireéquilibré, relève du purcontresens. L’imagediffamatoire de cathares

    “fous de Dieu” – image quecolportent encoreaujourd’hui,malheureusement, certainsuniversitaires et autres gens“sérieux” qui ne se sont pasdonné la peine de remettreen question la légende –cette image a été totalementdémontée et démentie parune génération dechercheurs dont Anne Brenon

    nous livre ici les conclusions.Mais les caricaturesmultiséculaires de ce genreont la vie dure, d’autantqu’en l’occurrence lesavocats de la cause catharese sont souvent fourvoyésdans les divagationsésotériques les plusfantaisistes. Il fautabsolument sortir de cetteconfusion. L’anniversaire de

    la croisade contre lesalbigeois nous donnel’occasion d’un vrai débatspirituel dans le mondechrétien, et, plusgénéralement, d’un débatcitoyen nécessaire sur cetteétape sanglante dans laconstruction de la nationFrance. ■

    Jean Mouttapa

    Non, les cathares n’étaient pas de dangereux « fous de Dieu » !

    CatharesLa contre-enquêteAnne BrenonJean-Philippe de Tonnac432 pages, 20 €

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  • 14 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    D ifficile d’avoir voix au chapitrequand on ne maîtrise pas lesmécanismes qui régissent lesmarchés de la finance, de l’emploi, dessavoirs… C’est dans cette optique quel’ouvrage fort complet de Philippe As-kenazy et Daniel Cohen prend toute savaleur. Les questions qu’il aborde ne secontentent pas d’embrasser l’ensem-ble du champ économique de manièrepédagogique et éclairante : elles pro-curent un regard renouvelé et informésur les grands problèmes de notre siè-cle. Les deux auteurs, éminents mem-bres de l’École d’économie de Paris,sont directeurs du Centre pour la re-cherche économique et ses applica-tions de l’École normale supérieure.

    ENTOURÉS DE VINGT-TROIS SPÉCIALISTES,ils dressent un état des lieux au som-maire éloquent : La croissance rend-elleheureux ? Les marchés financiers sont-ils rationnels ? La mondialisation est-elleun facteur de paix ? L’Afrique des iné-galités : où conduit l’histoire ? La flexi-curité danoise : quels enseignementspour la France ? Une jeunesse enpanne d’avenir ? Le chômage desjeunes baisse-t-il ? Faut-il craindre l’in-flation des diplômes ? La régulation desdépenses de santé : comment faire ?La réforme des systèmes de retraite :qui paiera ? Faut-il solder la loi Raffa-rin sur les PME ? Électricité : faut-il dés-espérer du marché ? À ces douzequestions nationales et internationaless’ajoutent quinze études, formant un« dictionnaire abrégé de la mondiali-sation », traitant notamment de glo-balisation et terrorisme transnational ;migrations et marché du travail ; histoirelongue et développement ; la malé-

    diction des matières premières ; etc. Oncomprendra sans peine pourquoi cetouvrage facile d’accès et passionnantà lire devrait rapidement s’imposercomme un outil précieux pour com-prendre notre monde. ■

    27 questions d’économiecontemporainePhilippe Askenazyet Daniel Cohen (dir.)544 pages, 25 €

    Comprendre l’économie,un devoir citoyen

    MONDE MODERNE

    La Sagesse des contes, récem-ment réédité en poche, est l’undes livres emblématiques du« style Jodorowsky » : à travers deshistoires toutes simples, qui appar-tiennent à la mémoire collective, ilamène son lecteur à une découverteintérieure jubilatoire. Son dernier ou-vrage, Cabaret mystique, peut à biendes égards être considéré comme lasuite de La Sagesse des contes,sauf qu’ici ce sont les histoires drôlesqui jalonnent le cheminement spirituel.

    SURPRENANT ? Assurément, maisaussi très réussi. Le sage-fou chilienmontre la vraie grandeur de la sa-gesse populaire dans toutes ses ex-pressions.On sait que « Jodo » fut initié au zen auMexique dans les années 1970. DansMu. Le maître et les magiciennes, ilnous offre le récit picaresque, et enmême temps hautement spirituel, decette période propice à toutes les ex-périences. Tandis qu’il apprend à ex-plorer les profon-deurs de son êtresous la conduite dumaître Ejo Takata,des femmes re-marquables, dontla célèbre peintresurréaliste LeonoraCarrington, l’entraî-

    nent dans des aventures truculentes.Ces « magiciennes » l’aident à se dé-pouiller de ses cuirasses émotion-nelles, à élargir son cœur et sa visionde la vie. Il alterne ainsi les rigoureusesméditations silencieuses menant à lapaix de l’esprit, et la plongée aux tré-fonds du sexe, du rêve et de la créa-tion, jusqu’aux limites de la folie.On ne sort pas indemne de ce livrehalluciné. À travers son parcoursépique d’aventurier du corps et del’esprit, ce grand artiste nous tend iciun miroir fascinant où chacun peutlire le sens de sa propre histoire. ■

    Cabaret mystiqueAlexandro Jodorowsky336 pages, 20 €Mu. Le maître et les magiciennes320 pages, 8 €

    Les millevisages de JodorowskySAGESSE FOLLE

    Un chaman n’a pas d’histoire, iln’a que des mémoires. » Celles

    de Luis Ansa sont fascinantes, qu’ellesconcernent son existence terrestre oubien ses voyages dans les outre-mondes de la transe. Indien quechuahéritier d’un savoir millénaire et initié aucœur des ruines de Tihuanaco, en Bo-livie, il vit maintenant à Paris où HenriGougaud l’a rencontré. À ce dernier, illivre ses secrets, ses visions, ses es-poirs : comment, après son exil en Es-pagne puis en France, il est retourné en

    Amérique centrale, au Mexique, où denouvelles rencontres l’attendaient, enparticulier celle avec une belle Indienneâgée d’une trentaine d’années. Cettefemme, Dona Inès, le met à l’épreuve del’amour absolu pour faire de lui unhomme nouveau : il découvre ainsi lehuitième secret de l’aigle, celui duroyaume de la Femme intérieure, de laface cachée de Dieu… ■

    Le Secret de l’aigleLuis Ansa et Henri Gougaud210 pages, 6,50 €

    L’ultime initiation d’un chamanRÉCIT

    Aujourd’hui plus que jamais, il est devenu impossible

    de comprendre la politique nationale et internationale

    sans une solide culture économique.

    Ainsi se met en place un débat démocratique à deux vitesses,

    séparant « ceux qui savent » et les autres.

  • 15L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Tibet, quand la Chine voit rougeTribune parue dans Libération le 20 mars 2008

    Cauchemar récurrent, l’opinioninternationale assiste médusée audrame à répétition qui se joue auTibet, dont les habitants exprimentleur ras-le-bol de l’occupationétrangère, leur frustration d’êtredevenus spectateurs forcés de leurpropre histoire, les autorités chinoisesayant usurpé leur droit fondamental àdécider eux-mêmes de leur sort et deleur avenir.

    Confronté à l’expression d’unressentiment aussi profond que rentréd’une population marginalisée chezelle par un plan soigneusementélaboré de sinisation accélérée, lerégime chinois se voit contraintd’admettre de bien mauvaise grâceque ni répression ni consumérismen’ont ôté aux Tibétains le sens de leuraltérité ou le goût de la liberté. Rudeleçon : près d’un demi-siècle que lesautorités de la métropole s’acharnentà en venir à bout, le Tibet et seshabitants demeurent attachés à leurstraditions et loyaux à leur chefspirituel exilé depuis 1959. Et leconstat de cette faillite politiqueintervient au moment même oùl’actuel président du pays, Hu Jintao,est reconduit pour cinq ans dans sesfonctions par des fonctionnaires d’unparti communiste bien rodés àl’exercice du vote à l’unanimité. Faut-ilrappeler que les Tibétains l’appellentle « boucher de Lhassa » en raison dela répression impitoyable desspectaculaires protestations d’il y avingt ans dans leur capitale denaguère aujourd’hui reléguée au rangde bourgade chinoise de troisièmezone ? Mais c’est aussi cette violenceimpassible sans état d’âme de celui

    qui était alors secrétaire général duparti de la région dite autonome qui luia valu de gravir rapidement leséchelons du pouvoir.

    Et dire qu’il a suffi qu’une« célébrité », en l’occurrence lachanteuse islandaise Björk, fasse dessiennes à la fin d’un concert àShanghai pour déclencher les foudresde Pékin, avant que devant l’ampleur

    des protestations, tous les canauxd’information ne soient brutalementcoupés. Autant pour la libertéd’expression et la liberté tout court. LeTibet fait-il donc tellement mal à laChine ? Ou serait-ce la Chine qui faitdu mal au Tibet ? Le très officielBureau de la propagande récemmentrebaptisé pour se mettre au goût dujour en « Bureau de la publicité »pourrait peut-être répondre… À forcede travestir la réalité, les responsableschinois en viennent à croire auxmensonges qu’ils débitent. Car au-delà de la brutalité des faits, c’est lalégitimité même de la présence

    chinoise au Tibet qui est remise encause. Quoi qu’il en soit, à mesure quese rapproche la date fatidique del’ouverture des Jeux, la nervositésemble croître du côté de la Citéinterdite, dont les porte-parole etautres aboyeurs ne ménagent aucuneffort pour faire admettre sous toutesles latitudes que le Tibet, c’est kif-kifla Chine.

    Les échos du monde renvoient unautre son de cloche. La récentemobilisation a témoigné de l’intérêtpersistant pour le Tibet et le sort deson peuple. Au Tibet d’abord, mêmeoccupé depuis un demi-siècle, lemirage du développement versionpékinoise n’y a rien fait, les Tibétainsrefusent de plier l’échine et dechanger d’allégeance. Et quand onveut les faire taire, ils persistent à sefaire entendre quel qu’en soit le prix :arrestations, prison, mauvaistraitements, tortures, peines sévèresde privation de liberté ou menaces demort. De maigres informations filtrentencore, mais sinon, le silence estassourdissant. Les diplomatesappellent ça la politique du faitaccompli.

    Dans le même temps, un réseau desolidarité international se met en placeafin de prendre le relais, des ONGdemandent au Conseil des droits del’homme de l’ONU, réuni à Genève, deconvoquer une session spéciale sur lasituation qui brûle désormais à huisclos au Tibet, tandis que lesgouvernements démocratiquesempêtrés dans leurs contradictions seretranchent dans une prudence auxfâcheux relents, comme si l’on

    assistait à un mauvais remake de1936, à la veille des JO de Berlin. Or, sil’histoire a quelque chose à enseigner,c’est bien que c’est en voulant éviterde faire des vagues qu’on fait chavirerun navire. Prise, elle aussi, entre deuxchaises, l’Inde qui se targue d’être laplus grande démocratie du mondefaisant alliance avec la Chine, la plusgrande dictature du monde, pourmuseler la juste revendication deréelle autonomie des Tibétains exiléssur son sol, illustre à sa manière ledilemme de l’ensemble de lacommunauté internationale.Une torche de la liberté pour le Tibet aété allumée à Olympie, elle suit sonpropre parcours doublant l’officielle,d’autres initiatives vont dans le mêmesens, ne pas permettre à l’oubli des’installer, ne pas perdre de vue ledossier d’instruction ouvert devantl’Audiencia Nacional de Madrid àl’encontre de plusieurs hautsdirigeants chinois pour crime degénocide contre le peuple tibétain. Nepas laisser faire impunément que leTibet soit passé par pertes et profitsau grand jeu planétaire où sebousculent les dictatures en quête derespectabilité. À quelques semaines del’ouverture des Jeux, les enjeux nesont pas uniquement pour Pékin, ilsconcernent également le reste d’unmonde interdépendant dans lequel iln’y a plus guère de pays totalementindépendants. Ce qui se joue dansl’Himalaya, c’est aussi notre propreliberté. ■

    ■ À lire :Tibet, la question qui dérangeClaude Levenson304 pages, 19 €

    Carte blanche à ■ ■ ■ Claude Levenson

    Rouge, la robe des moines tibétains ; rouge, le sang des victimes des brutalités policières au cœur de la vieille ville de Lhassa ; rouge, la colère

    des Tibétains de l’exil privés de leur droit imprescriptible à leur terre ancestrale ; rouge, la honte au front des démocraties dont les dirigeants

    se contentent de réclamer prudemment de la « retenue » aux autocrates de Pékin lorsque les locataires de la Cité interdite voient rouge

    devant le défi pacifique du Tibet ; rouge, le visage embarrassé de l’Inde, la « plus grande démocratie du monde », qui s’allie à la Chine,

    la « plus grande dictature du monde », pour museler les réfugiés tibétains qui tentent de se faire entendre pacifiquement sur leur sol…

  • 16 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2008

    Les racines de la France sont essentielle-ment chrétiennes » avez-vous doctement

    énoncé. Et, tout fiérot d’une telle affirmation, savantPrésident, vous avez raconté l’histoire à votre ma-nière, en prétendant rapporter des “faits histo-riques”. Et, dans ce mélange entre mythe et his-toire, vous vous êtes magistralement emmêlé lespédales, permettez-moi de vous le dire, moi hum-ble et modeste serviteur de la science historique.Qu’une nation, qu’un État-nation se construise unfondement mythique semble inévitable. On peut,effectivement, appeler cela “les racines”. Le pro-blème est que la France possède deux fonde-ments mythiques en forte tension. Le mythe desorigines de la France n’est pas “essentiellementchrétien”, il est essentiellement double […]

    LA PREMIÈRE RÉFÉRENCE FONDATRICE concerne lebaptême chrétien du chef franc “païen” Clovis, quiaurait eu lieu en 496 de notre ère, et aurait consti-tué une première unification de la future Franceavec comme fondement la foi chrétienne “catho-lique, apostolique et romaine”. C’est une référenceparticulièrement mythique puisque la Francen’existait nullement au Ve siècle ! Mais là n’est pasl’essentiel. Vous en parlez, mais (nous allons le voir)en commettant une très significative erreur.La seconde référence fondatrice concerne la nais-sance de la France moderne, de la France répu-blicaine grâce à la Révolution française. Cette se-conde fondation, celle de la modernité politique

    française, inscrit dans la mémoire le temps d’unconflit frontal et violent avec le catholicisme romain,alors la seule religion autorisée. De cela, vous nedites mot.

    […] SI ON PARDONNE À UN PRÉSIDENT DE LA RÉPU-BLIQUE DE NE PAS ÊTRE HISTORIEN, avec ce que celacomporte d’érudition, de travail d’archives et deproblématisation, du moins ne doit-il pas énoncerdes contrevérités. C’est malheureusement votrecas et elles ne sont nullement laïquement inno-centes ! […] Effectivement le baptême de Clovismarque un tournant dans la lutte entre chrétiensariens et chrétiens nicéens. Mais il est complètementfaux (d’un point de vue historique) de prétendre

    que Clovis fut le “premier souverain chrétien”. […].En tout état de cause, et pour s’en tenir à l’Occidentde la fin du Ve siècle, s’exprimer comme vous lefaites, c’est adopter un point de vue ecclésiastique,clérical, déniant le titre de “chrétien” aux hérétiques.C’est ériger un dogme chrétien en vérité d’État. […]Il est très significatif d’avoir repris à votre compte uneversion très confessionnelle de l’histoire, celle qui re-jette les hérétiques en enfer. Il me semblait justementque l’Église catholique avait, ces dernières décen-nies, fait repentance de fautes passées, dont on netrouve pas la moindre trace dans votre historiqueuniquement positif, et même franchement idyllique,de la “relation si particulière […] que la France en-tretient avec le Saint Siège”.Cet angélisme, où vous vous montrez plus cathoque les derniers papes, vous a valu la correctionsévère d’un professeur d’histoire-géographie […]qui met en marge de votre copie : Sarkozy “ometde signaler que les plus belles œuvres de l’Églisesont contemporaines de ses pires turpitudes. Lesiècle de Vézelay est aussi celui des croisades1.”Les victimes de ces “turpitudes” ont étédes juifs, des musulmans, et aussi deschrétiens eux-mêmes. ■

    1 B. Girard, Libération, 31 décembre 2007.

    Pour une laïcité sans épithèteLETTRE OUVERTE

    Le saviez-vous ?« Je suis l’élu d’un peuple attaché à laRépublique et attaché à ses processions. »De qui, cet aveu d’un double attachement auxracines à la fois laïques et chrétiennes de laFrance ? Du père de l’école laïque soi-même,le grand Jules Ferry, cité par Jean Baubérot.Et celui-ci d’ajouter : « Il aurait été de bon aloide citer cette phrase au Latran, justementpour montrer que la laïcité n’a nullementété la négation du passé. » ■

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    ALBIN MICHEL, 22 rue Huyghens, 75014 Paris – Tél. : 01 42 79 10 00 – Fax : 01 43 27 21 58 – www.albin-michel.frRédaction : Jean Mouttapa, éditeur ; Julien Darmon ; Anne-Sophie Jouanneau – Maquette : Création/Réalisation, Caractère B.

    Commentant et critiquant avec autant de verve que d’érudition les discours du président Sarkozy prononcés au Latran

    et à Ryad, Jean Baubérot met en cause son souhait de voir « l’avènement d’une laïcité positive ». S’il s’agit d’un « avènement »,

    en effet, c’est que la laïcité était jusqu’à présent négative ! Et c’est bien là la vision très orientée de l’histoire de France

    que porte chaque expression de ces discours, dont l’historien montre la confusion et la dangerosité.

    Extrait de son chapitre intitulé : « Des racines mythiques contre l’histoire scientifique »

    La Laïcité expliquée à M. SarkozyJean Baubérot266 pages, 16 €