O Princípio Esperança de Ernst Bloch - LOWY

7/23/2019 O Princípio Esperança de Ernst Bloch - LOWY

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LE "PRINCIPE ESPERANCE" D'ERNST BLOCH

FACE AU “ PRINCIPE RESPONSABILITE ”

Michael Löwy

J’ai eu la chance de connaître Ernst Bloch personnellement. Notre

rencontre a eu lieu en 1974, dans son appartement à Tüin!en, situ"

non loin de l’"cole o# $ comme il aimait sou%ent le rappeller dans ses

"crits $ en 17&9, les 'eunes (e!el, )chellin! et (*lderlin ont plant" un

arre de la liert" pour +ter la -"%olution +ranaise. /l "tait d"'à a!" de

&9 ans, prati0uement a%eu!le, mais d’une impressionante lucidit".

armi ses remar0ues, lors de notre entretien, il 2 a une 0ui m’a

eaucoup +rapp" et 0ui r"sume la +id"lit" ostin"e de toute une %ie à

l’id"e de l’utopie 3 5e monde tel 0u’il e6iste n’ e! a #$ai . /l e6iste un

deu6ime concept de %"rit", 0ui n’est pas positi%iste, 0ui n’est pas +ond"

sur une constatation de la +acticit" 8... : mais 0ui est plut;t char!" de

%aleur 8 %e$!&ela(e , comme par e6emple dans le concept <un %rai

ami’, ou dans l’e6pression de Ju%enal Te)e!a *e!ica = c’est à

dire une tempte telle 0u’elle se trou%e dans le li%re, une tempte

po"ti0ue, telle 0ue la r"alit" ne la connaît 'amais, une tempte men"e

'us0u’au out, une tempte radicale. >onc une #$ai tempte, dans ce

cas par rapport à l’esth"ti0ue, à la po"sie : dans l’e6pression <un

%"ritale ami’, par rapport à la sphre morale. Et si cela ne correspond

pas au6 +aits $ et pour nous mar6istes, les +aits ne sont 0ue des

moments r"i+i"s d’un procs, et rien de plus = dans ce cas$là, !a! i

*+$ le ,ai! 8 +) * chli))e$ ,-$ (ie Ta!ache , comme le disait

1



le %ieu6 (e!el ?. 1

5es r"+"rences ici son latines et !ermani0ues, mais on ne peut

pas s’empcher de penser, en lisant ces paroles, à une %ieille 0ualit"

'ui%e, par+aitement d"crite par un terme h"reu et 2iddish ien connu 3

la ch+!.a, c’est à dire, en traduction +ranaise trs appro6imati%e, le

culot, l’insolence, le d"+i.

5e r%e "%"ill" de l’utopie est au coeur de la r"+l"6ion de Bloch

depuis ses pr"miers "crits, L/e$i! (e l/+!*ie de 191& et Th*)a

M-.e$0 !h1*l*&ie (e la $1#*l+!i* de 19@1. )a d"marche puise à

des multiples sources philosophi0ues, litt"raires et r"li!ieuses, parmi

les0uelles le )eiai)e 2+i, occupe une place de choi6. >ans un

chapitre intitul" 5es 'ui+s comme s2mole ? de L/e$i! (e l/+!*ie il

c"lre la reli!ion 'ui%e comme celle 0ui a la %ertu essentielle d’tre

construite sur le Aessie, sur l’appel au Aessie ?. ’est cette cro2ance

0ui +ait la continuit" histori0ue du peuple des saumes et des

prophtes ? et 0ui inspire, au d"ut du CCme sicle le r"%eil de la

+iert" d’tre 'ui+ ?. )elon Bloch, Jesus "tait un %rai prophte 'ui+, mais il

n’"tait pas le %rai Aessie 3 le Aessie lointain ?, le )au%eur , le

dernier hristus, encore inconnu ?, n’est pas encore ad%enu.@

5’utopie r"%olutionnaire cheD Bloch $ comme cheD alter

Ben'amin = est ins"parale d’une conception messiani0ueFmill"nariste

de la temporalit", oppos"e à tout !radualisme du pro!rs 3 "cri%ant sur

Thomas AünDer et la !uerre des pa2sans du CG/me sicle, il oser%e 3

ce n’"tait point pour des temps meilleurs 0ue l’on menait le comat

mais pour la +in de tous les temps...l/i$$+!i* (+ R*ya+)e ?. )a

1 J’ai publié cet entretien en annexe de mon livre Pour une sociologie des intellectuels révolutionnaires.

L’évolution politique de Lukacs 1909-1929, Paris, Presses Universitaires de France, 1976, p. 29.2 !."loc#, Geist der Utopie , $unic#%&eip'i(, )unc*er + umblot, 191-, pp.2, 1%2. / 0oir ce

suet le beau livre d’3rno $4nster, Figures de l’utopie ce! "rnst #loc, Paris, 3ubier, 19-5. omme l’asi bien rappélé #ier Pierre "ouret' dans sa con8érence, le prémier livre d’!rnst "loc# est une protestation contre

la réconciliation #é(élienne avec le monde.

2



d"marche est curieusement s2nchr"ti0ue ?, à la +ois 'ui%e et chr"tienne

$ comme par e6emple dans cet autre passa!e du li%re sur AünDer, 0ui

compare le Trosime E%an!ile de Joachim de Hlore, le mill"narisme des

pa2sans anaaptistes et le messianisme des Iaalistes de )a+ed

8Ts+at 0ui attendent, au nord du lac de Ti"riade le %en!eur

messiani0ue, le destructeur de cet Empire et de cette apaut"...le

restaurateur d’ Ola)3ha3Ti44+, %"ritale -o2aume de >ieu... ? . /l ne

s’a!it pas seulement d’histoire 3 Bloch croit, en 19@1, à l’imminence,

en Europe, d’un chan!ement r"%olutionnaire, 0u’il d"crit dans un

lan!ua!e 'ui+$messiani0ue comme la rincesse )aat 0ui apparaît,

encore cach"e derrire une mince muraille cra0uel"e, tandis 0ue haut

dress"e sur les d"comres d’une ci%ilisation ruin"e...s’el%e l’esprit de

l’ind"racinale utopie ?.

5e P$icie E1$ace est le li%re le plus important dKErnst Bloch

et sans doute une des oeu%res ma'eures de la pens"e "mancipatrice du

CCme sicle. Aonumentale 8plus de 1LMM pa!es, elle a occup"

lKauteur pendant une onne partie de sa %ie 3 "crite pendant son e6il au6

Etats nis , de 19& à 1947, elle sera r"%ue une pr"mire +ois en 19O

et une deu6ime en 19O9. )uite à sa condamnation comme

Pr"%isionisteP par les autorit"s de la -epuli0ue >"mocrati0ue

Qllemande, son auteur +inira par 0uitter lKQllema!ne de lKEst, lors de la

construction du mur de Berlin 819L1 .4

!."loc#, $o%as &'n!er( téologien de la révolution, Paris, Julliard, 1975, pp. -, 91, 5%6. ans

Jonas réproc#e au marxisme en (énéral et "loc# en particulier leur méssianisme, leur : esc#atolo(iesécularisée ;, leur : millénarisme ; /)ilias%us et leur aspiration démésurée : une métamorp#ose de l’<tre

#umain ; % accompa(née du ré8us d’une : simple amélioration ; 8ondée sur un raisonnable et e88icace: pro(ramme de ré8ormes ;. /ans Jonas, *as Prin!ip +erant,ortung, Fran*8ort, =u#r*amp, 1979, pp. 1%

15, -6. )>s decembre 1956, le ?uotidien du parti o88iciel, eues *eutscland écrivait @ : la p#ilosop#ie de "loc#

sert obectivement des buts politi?ues réactionnaires ; /cité dans 3.$4nster, Antroduction $agtru%e von



ersonne nKa 'amais "crit un li%re comme celui$ci, rassant, dans

un mme sou+le %isionnaire, les pr"socrati0ues et (e!el, lKalchimie et

les nou%elles de (o++mann, lKher"sie ophite et le messianisme de

)haataR Tse%i, la philosophie de lKart de )chellin! et le mat"rialisme

mar6iste, les op"ras de AoDart et les utopies de Hourier. Su%rons une

pa!e au hasard 3 il est 0uestion de lKhomme de la -enaissance, du

concept de matire cheD aracelse et JaIo B*hme, de la Sai!e

Fa)ille de Aar6, de la doctrine de la connaissance cheD iordano

Bruno et du li%re sur la Re,*$)e (e l'e!e(e)e! de )pinoDa.

5K"rudition de Bloch est tellement enc2clop"di0ue 0ue rares sont les

lecteurs capales de 'u!er, en connaisance de cause, de cha0ue

thme d"%"lopp" dans les trois %olumes du li%re. )on st2le est sou%ent

herm"ti0ue, mais il a une puissante 0ualit" su!!esti%e 3 cKest au lecteur

dKapprendre à +iltrer les 'o2au6 de lumire et les pierres pr"cieuses

s"m"es par la plume poti0ue, et par+ois "sot"ri0ue, du philosophe.O

ontrairement à tant dKautres penseurs de sa !"n"ration $ à

commencer par son ami 2*r!2 5uIacs $ Bloch est rest" +idle au6

intuitions de sa 'eunesse et nKa 'amais r"ni" le romantisme

re%olutionnaire de ses pr"miers "crits. Sn trou%e ainsi dans Le P$icie

E1$ace de +r"0uentes r"+"rences à L'E$i! (e l'U!*ie,

notamment à lKid"e de lKutopie comme concience anticipatrice, comme

+i!ure du Ppr"$apparaîtreP.

5e pari +ondamental dKErnst Bloch est le sui%ant 3 la philosophie

aura la conscience du lendemain, le parti pris du +utur, le sa%oir de

lKesp"rance, ou elle nKaura plus aucun sa%oir du tout. Q ses 2eu6, cKest

la %olont" utopi0ue 0ui !uide tous les mou%ements de li"ration dans

au/recte% Gang .ecs ntervie,s %it ".#loc, Fran*8ort, =u#r*amp, 197-, p. 11.

5Voir l'article de Jack Zipes sur Bloch dans Telos n° 58, 1983. La page en uestion est la!8! du "olu#e $$ de l'%dition &ranaise.



lKhistoire de lKhumanit" 3 Ples chr"tiens eu6 aussi la connaissent à leur

manire, tant;t a%ec une conscience sommeillante, tant;t a%ec un

intert ien "%"ill" 3 ne leur +ut$elle pas l"!u"e dans les passa!es de la

Bile relati+s à lKe6ode et au messianisme UP. L

5a philosophie de lKesp"rance de Bloch est a%ant tout une th"orie

du N*3ec*$e35!$e, dans ses di%erses mani+estations 3 le Non$

encore$conscient de lKtre humain, le Non$encore$de%enu de lKhistoire,

le Non$encore$mani+est" dans le monde. ar, pour lui, le monde

humain est plein de disposition à 0uel0ue chose, de tendance %ers

0uel0ue chose, de la!ece de 0uel0ue chose, et ce 0uel0ue chose

%ers le0uel il tend cKest lKaoutissement de lKintention utopi0ue 3 un

monde d"li%r" des sou+rances indi!nes, de lKan!oisse, de lKali"nation.

>ans sa recherche des +onctions anticipatrices de lKesprit humain, le

r%e occupe une place importante , depuis sa +orme la plus 0uotidienne

$ le r%e "%"ill" $ 'us0uKau Pr%e en a%antP inspir" par les ima!es$de$

souhait .

5e parado6e central du P$icie E1$ace cKest 0ue ce te6te

puissant, entirement tourn" %ers lKhoriDon de lK a#ei$0 %ers le Hront, le

N*#+), le Non$encore$tre, ne dit pres0ue rien sur le...+utur. /l

nKessaie prati0uement 'amais dKima!iner, de pr"%oir ou de pr"+i!urer le

%isa!e prochain de la soci"t" humaine $ sau+ dans les termes

classi0ues de la perspecti%e mar6iste 3 une soci"t" sans classes ni

oppression. 5a science$+iction ou la +uturolo!ie moderne de lKint"ressent

nullement. En r"alit" $ mis à part les chapitres les plus th"ori0ues $ le

li%re est un immense et +ascinant %o2a!e à tra%ers le a1 , à la

recherche des ima!es de d"sir et des pa2sa!es de lKespoir, dispers"s

dans les utopies sociales, m"dicales, architecturales, techni0ues,

().Bloch, Le Principe Espérance (PE), *aris, +alli#ard, 19(, "ol $, p. 15.

5



philosophi0ues, reli!ieuses, !"o!raphi0ues, musicales et artisti0ues.

>ans cette modalit" trs particulire de la dialecti0ue t2pi0uement

romanti0ue entre le pass" et lKa%enir, lKen'eu est la (1c*+#e$!e (e

l'a#ei$ (a le ai$a!i* (+ a1 $ sous +orme de $*)ee

* acc*)lie 3 P5es arrires dress"es entre lKa%enir et le pass"

sKe++ondrent ainsi dKelles mmes, de lKa%enir non de%enu de%ient %isile

dans le pass", tandis 0ue du pass" %en!" et recueilli comme un

h"rita!e, du pass" m"diatis" et m"n" à ien de%ient %isile dans

lKa%enirP. 7 /l ne sKa!it donc pas de somrer dans une r%euse et

m"lancoli0ue c*!e)la!i* du pass", mais de +aire de celui$ci une

source %i%ante pour l 'ac!i* r"%olutionnaire, pour une $a6i orient"e

%ers lKaccomplissement de lKutopie.

5e compl"ment n"c"ssaire de la pens"e anticipatrice tourn"e %ers

le monde à %enir est le r"!ard criti0ue en%ers ce )*(e3ci 3 la

%i!oureuse mise en accusation de la ci%ilisation industrielleFcapitaliste et

de ses m"+aits est un des thmes principau6 8sou%ent m"connus du

P$icie E1$ace. Bloch cloue au pilori la Ppure in+amieP et

PlKimpito2ale i!nominieP de ce 0uKil appelle Ple monde actuel des

a++airesP $ un monde P!"n"ralement plac" sous le si!ne de

lKescro0uerieP, dans le le0uel Pla soi+ du !ain "tou++e tout autre "lan

humainP. /l sKatta0ue aussi au6 %illes modernes +roides et +onctionnelles,

0ui ne sont plus des +o2ers $ Hei)a! , un des termes$cl" du li%re $ mais

des Pmachines à haiterP r"duisant les tres humains Pà lK"tat de

termites standartis"esP. Niant tout ornement et toute li!ne or!ani0ue,

re+usant lKh"rita!e !othi0ue de lKarre de la %ie, les constructions

modernes ressemlent au cristal de mort represent" par les p2ramides

"!iptiennes. En dernire anla2se, PlKarchitecture +onctionnelle re+lte et

PE, $, p. 1(.

6



mme redoule le caractre !lacial du monde de lKautomation, de ses

hommes di%is"s par le tra%ail, de sa techni0ue astraiteP. &

armi toutes les +ormes de la conscience anticipatrice, la reli!ion

occupe dans Le P$icie E1$ace une place pri%il"!i"e, parce

0uKelle constitue, pour son auteur, lKutopie par e6cellence, lKutopie de la

per+ection, la totalit" de lKesp"rance. /l +aut n"anmoins pr"ciser 0ue la

reli!ion dont se r"clame Bloch est $ pour reprendre un de ses

parado6es +a%oris $ une r"li!ion ath"e. /l sKa!it dKun -o2aume de >ieu

sans >ieu, 0ui ren%erse le )ei!neur du Aonde install" dans son tr;ne

c"leste et le remplace par une Pd"mocratie m2sti0ueP3 P5Kath"isme est

si peu lKennemi de lKutopie reli!ieuse, 0uKil en est mme la

pr"ssuposition 3 a a!h1i)e le )eiai)e 'a a lie+ ('5!$eP. 9

ependant, Bloch tient à distin!uer, de +aon asseD tranch"e,

son ath"isme r"li!ieu6 de tout materialisme %ul!aire, du Pmau%aisd"senchantementP %"hicul" par la %ersion la plus plate des 5umires $

ce 0uKil appelle A+,4l7$ich! en la distin!uant de lK A+,4l7$+& $ et par

les doctrines our!eoises de la s"cularisation. /l ne sKa!it pas dKopposer

à la cro2ance les analit"s de la lire pens"e, mais de sau%er, en les

transportant %ers lKimmanence, les tr"sors dKesp"rance et les contenus

de d"sir de la reli!ion, tr"sors parmi les0uels on trou%e, sous les plus

di%erses +ormes, l'i(1e c*))+i!e 3 du communisme primiti+ de la

Bile 8sou%enir des communaut"s nomades au communisme

monasti0ue de Joachim de Hlore et 'us0uKau communisme chiliasti0ue

des h"r"sies mill"naristes 8ali!eois, hussites, taorites,

8PE, $, p. 183, $$, pp. -!/-5, -98, 3!9/35-.

9)rnst Bloch, Das Prinzip Hoffnung (PH), 0ranc&ort, uhrka#p Verlag, 199, $$$, pp.1!8, 1!1-/13, 15-!. $l s'agit d'un th2#e large#ent d%"%lopp% dans l'ou"rage L'athéisme dans lechristianisme, *aris, +alli#ard, 1981.

7



anaaptistes. our mettre en "%idence la pr"sence de cette tradition

dans le socialisme moderne, Bloch conclut malicieusement son chapitre

sur Joachim de Hlore a%ec une citation peu connue et asseD "tonnante

du 'eune Hriedrich En!els 3 P5a conscience de soi de lKhumanit" est le

nou%eau raal autour du0uel les peuples se rassemlent pleins de

'oie...Telle est notre tVche 3 de%enir les che%aliers de ce raal, ceindre

lK"p"e pour lui et ris0uer 'o2eusement notre %ie dans la dernire !uerre

sainte 0ui sera sui%ie du -o2aume mill"naire de la liert"P. 1M

e 0ue le mar6isme apporte de nou%eau, cKest la (*c!a e

8esp"rance sa%ante, la science de la r"alit", le sa%oir acti+ tourn" %ers

la pra6is trans+ormatrice du monde et %ers lKhoriDon de lKa%enir.

ontrairement au6 utopies astraites du pass" $ 0ui se limitaient à

opposer leur ima!e$souhait au monde e6istant $ le mar6isme part des

tendances et des possiilit"s o'ecti%es pr"sentes dans la r"alit" elle$

mme 3 cKest !rVce à cette m"diation r"elle 0uKil permet lKa%"n"ment de

lK +!*ie c*c$8!e.

Entre parenthses 3 mal!r" son admiration à lK"po0ue 8a%ant

19OL pour lKnion so%i"ti0ue $ et son man0ue de criti0ue en%ers le

s2stme ureaucrati0ue et dictatorial 0ui r"!nait sur les a2s de l’Est $

Bloch ne con+ondait pas le Psocialisme r"elP a%ec cette utopie concrte,

0ui restait à ses 2eu6 une tendance$latence inach"%"e, une ima!e$

souhait 0ui nKa pas encore "t" accomplie. )on s2stme philosophi0ue

"tait entirement +ond" sur la cat"!orie du Non$encore$tre, et pas sur

la l"!itimation rationnelle dKun 0uelcon0ue Etat Pr"ellement e6istantP.

5e mar6isme de Bloch "tait asseD h"t"rodo6e 3 tandis 0ue Aar6

a%ait pris con!" de l’utopie et 0ue En!els pr;nait, dans une c"lre

rochure de 1&&&, la passa!e du socialisme de l’utopie à la science ?,

1PE $$, pp. ((/(, 8-/8, PH, $$$, p. 1!5!, 1519/15-(, 1(13.

-



Bloch n’h"site pas à in%erser cet ordre. ertes, il ne nie pas la

n"cessit" de la science 3 le socialisme ne peut 'ouer son r;le

re%olutionnaire 0ue dans lKunit" ins"parale de la sori"t" et de

lKima!ination, de la raison et de lKespoir, de la ri!ueur du d"t"cti%e et de

lKenthousiasme du r%eur. )elon une e6pression d"%enue c"lre, il

+aut +usionner le courant +roid et le courant chaud du mar6isme, tous les

deu6 "!alement indipensales. ependant, il "talit entre eu6 une

claire hi"rarchie 3 le courant +roid e6iste *+$ le c*+$a! cha+( , au

ser%ice de celui$ci. 11

5e Pcourant chaudP du mar6isme inspire à Bloch ce 0uKil appelle

son Poptimisme militantP, cKest à dire son esp"rance acti%e dans le

N*#+), dans lKaccomplissement de lKutopie. (ans Jonas a criti0u"

l’optimisme impito2ale ? de Bloch et il est %rai 0ue par+ois l’auteur du

P$icie E1$ace semle tomer dans ce !enre de tra%ers.

ependant, il est 'uste de rappeller 0u’il criti0ue trs e6plicitement ce

0u’il appelle PlKoptimisme plat de la +oi automati0ue dans le pro!rsP.

onsid"rant 0ue ce +au6 optimisme tend dan!ereusement à de%enir un

nou%el opium du peuple, il pense mme 0uKune Ppinc"e de pessimisme

serait pr"+"rale à cette +oi a%eu!le et plate dans le pro!rs. ar un

pessimisme soucieu6 de r"alisme se laisse moins +acilement surprendre

et d"sorienter par les re%ers et les catastrophesP. /l insiste par

cons"0uent sur le Pcaractre o'ecti%ement non !arantiP de lKesp"rance

utopi0ue. 1@

>ans un homma!e à Ernst Bloch, Theodor Qdorno, un des

penseurs les plus pessimistes du sicle, +aisait %aloir 0ue lKauteur du

P$icie E1$ace est un des trs rares philosophes de notre "po0ue

11PH, $$$, pp. 1((/-1.

1-PE $, pp. -!/!1 et PH, $$$, pp. 1(-!/-5.

9



0ue nKont 'amais aandonn" la pens"e dKun monde sans domination ni

hi"rarchie.1

ontrairement à ce 0ue semle su!!"rer (ans Jonas, il n’2 a pas

n"c"ssairement de contradiction entre le rincipe Esp"rance ?, tel 0ue

Bloch le +ormule, et le rincipe -esponsailit" ?, dans le sens d’une

pr"ser%ation de l’en%ironnement pour les !"n"rations de l’a%enir. )i l’on

e6cepte une %ision ien naR%e des possiilit"s de l’"n"r!ie nucl"aireci%ile, Bloch est, comme nous a%ons %u, asseD criti0ue de la ci%ilisation

technolo!i0ueFindustrielle moderne. )on utopie sociale est ins"parale

du r%e d’un autre rapport, coop"rati+ et non$destructeur , des humains

a%ec la nature.

e n’est pas mon o'et ici de d"attre des criti0ues de (ans Jonas

à Ernst Bloch 3 cela n"c"ssiterait une autre con+"rence. Juste une

r"mar0ue 3 (ans Jonas accuse les mar6istes en !"n"ral et Bloch en

particulier d’anthropocentrisme et de n’a%oir aucune sensiilit" pour le

romantisme de la nature 8 Na!+$$*)a!i4 .14 Je pense 0ue Bloch

plaiderait coupale pour la pr"mire accusation 3 en e++et, le rincipe

Esp"rance ? %ise le onheur du !enre humain. Aais si l’on prend en

consid"ration 0ue celui$ci ne peut pas s’accomplir dans unen%ironnement naturel d"!rad", l’anthropocentrisme ou l’humanisme

utopi0ue n’est pas oppos" au6 pr"occupations "colo!i0ues, ien au

contraire. Wuand à la deu6ime criti0ue, Bloch la r"'etterait sans

h"siter 3 il est sans doute, de tous les penseurs mar6istes, le plus

mar0u" par la philosophie romanti0ue de la nature.

13.4dorno, Noten zur Literatur , 0ranc&ort, uhrka#p Verlag, 191, $$, p. 15.1 ans Jonas, *as Prin!ip +erant,ortung( Fran*8ort, =u#r*amp, 1979, p.7.

1



5a criti0ue de Bloch à la techni0ue moderne est moti%"e a%ant tout

par lKe6i!ence romanti0ue dKun rapport plus harmonieu6 a%ec la nature.

5a techni0ue actuelle $ 0u’il d"si!ne comme our!eoise ? $ nKentretient

a%ec la nature 0uKune relation marchande et hostile 3 elle Pse trou%e

install"e dans la nature comme une arm"e 0ui occupe un pa2s ennemiP.

omme les penseurs de lKEcole de Hranc+ort, lKauteur du P$icie

E1$ace considre 0ue Ple concept capitaliste de la techni0ue dans

son ensemleP re+lte Pune %olont" de domination, de relation de maître

à escla%eP a%ec la nature. /l ne sKa!it pas de nier la techni0ue en tant

0ue telle, mais dKopposer à celle 0ui e6iste dans les soci"t"s modernes

lKutopie dKune Ptechni0ue dKalliance, une techni0ue m"diatis"e a%ec la

coproducti%it" de la natureP, une techni0ue Pcomprise comme

d"li%rance et m"diatisation des cr"ations sommeillantes en+ouies dans le

!iron de la natureP $ +ormule emprunt"e 8comme sou%ent cheD Bloch,

sans r"+"rence de source à alter Ben'amin.1O

ette sensi6ilit% u'ont pourrait appeller 7pr%/ecologiue7 estdirecte#ent inspir%e par la philosophie ro#antiue de la nature, a"ec sa

conception qualitatie du #onde naturel. elon Bloch, c'est a"ec

l'essor du capitalis#e, de la "aleur d'%change et du calcul #ercantile

u'on "a assister l'7ou6li de l'organiue7 et la 7perte du sens de la

ualit%7 dans la nature. +oethe, chelling, 0ran "on Baader, Joseph

:olitor et ;egel sont uelues uns des representants d'un retour au

ualitati&, ui se d%"%loppe en r%action contre cet ou6li. ;a6er#as

n'a"ait pas tort de uali&ier )rnst Bloch de 7chelling #ar<iste7, dans la

#esure o= il tente d'articuler, dans une co#6inaison uniue, la

philosophie ro#antiue de la nature et le #at%rialis#e historiue. 1(

15PE, $$, pp. -(, -1, -95, 3-, 33.

1(PE! $, p. 1, $$, pp. -((, -93, !1. Voir J. ;a6er#as, 7>n chelling #ar<iste7, Profilsphilosophiques et politiques, *aris, +alli#ard, 19!, pp. 193/-1!.

11



?????????????????????????

Le Principe Espérance d@)rnst Bloch &ut pu6li% en 1959 et le

Principe "esponsa#ilité de ;ans Jonas en 199. Aepuis, la crise

%cologiue ui est une pro&onde crise de ci"ilisation s@est in&ini#ent

aggra"%e, et la #%nace d@une catastrophe en"ironne#entale au<

proportions i#pr%"isi6les se pro&ile l@horion des prochaines d%cades.

@est toute la ci"ilisation capitalisteCindustrielle / et sa copie

6ureaucratiue nau&rag%e en 1989 a"ec son producti"is#e &orc%n% ui

apparaDt co##e responsa6le, non seule#ent de la croissance

e<ponentielle de la pollution de l@air, de la terre et de l@eau, #ais aussi

d@atteintes, peut/Etre irr%"ersi6les, au sFst2#e %cologiue de la

plan2te.

$l ne s@agit plus seule#ent de responsa6ilit% en"ers les

g%n%rations &utures, co##e le pensait Jonas, #ais 6el et 6ien en"ersnotre propre g%n%ration. Les pertur6ations cli#atiues r%sultant de l@e&&et

de serre pour ne #entionner ue cet e<e#ple se &ont d%G sentir et

risuent, dans un a"enir prochain, d@a"oir des cons%uences

dra#atiues pour l@ense#6le de l@hu#anit%. Le *rincipe Hesponsa6ilit%,

pour a"oir une signi&ication %thiue "%rita6le, ne peut pas se r%&%rer

uniue#ent I la nature en a6strait, #ais plutKt l@en"ironne#ent

naturel de la "ie hu#aine l@anthropocentris#e est ici sFnoni#e

d@hu#anis#e. Les utopies scientistes, d@inspiration 6aconienne

c%l%6r%s de &aon peu critiue par )rnst Bloch dans son opus ma$or %&

/ ou les utopies %cono#istes &ond%es sur le *rincipe )<pansion / un

d%"%loppe#ent illi#it%e de la production, une croissance in&inie de la

conso##ation / sont, de ce point de "ue, %thiue#ent

17 0oir les pa(es tr>s discutables dédiées : &’ars inveniendi de "acon ; dans le Principe "spérance vol. AA,

pp. 26%255.

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I irresponsa6les , parce ue contradictoires a"ec l@%uili6re %cologiue

de la plan2te.

Mr, les d%#i/#%sures, les %co/r%&or#es, les con&%rences inter/

gou"erna#entales ont large#ent #ontr% leurs li#ites et leur

i#puissance. Aes propositions co##e le I #arch% des droits de

pollution ne "isent u@ perp%tuer l@%tat de choses e<istant, au pro&it

des plus grands pollueurs, co##encer par les >4. o##ent

i#aginer une solution "%rita6le, c@est dire radicale, au pro6l2#e de la

crise %cologiue, sans changer, de &ond en co#6le, le #ode actuel de

production et de conso##ation, g%n%rateur d@in%galit%s criantes et de

d%gats catastrophiues N o##ent e#pEcher la d%gradation croissante

de l@en"ironne#ent sans ro#pre a"ec une logiue %cono#iue ui ne

connaDt ue la loi du #arch%, du pro&it et de l@accu#ulation N @est

dire sans un proGet utopique de trans&or#ation sociale, ui sou#ette la

production des crit2res e<tra/%cono#iues, d%#ocratiue#ent choisis

par la soci%t% N )t co##ent i#aginer un tel proGet sans int%grer,co##e un de ses principau< a<es, une nou"elle attitude en"ers la

nature, respectueuse de l@en"ironne#ent N Le *rincipe Hesponsa6ilit%

est inco#pati6le a"ec un conser"atis#e &rileu<, ui re&use de #ettre en

uestion le sFst2#e %cono#iue et social e<istant, et ui uali&ie

d@ irr%aliste I toute recherche d@une alternati"e.

Loin d@Etre contradictoires, les deu< principes sont donc

%troite#ent li%es, ins%para6les, #utuelle#ent d%pendants,

dialectiue#ent co#ple#entaires. ans le *rincipe Hesponsa6ilit%,

l@utopie ne peut Etre ue destructrice, et sans le *rincipe )sp%rance, la

responsa6ilit% n@est u@une illusion con&or#iste.

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Documents

O Princípio Esperança de Ernst Bloch - LOWY