20

O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour
Page 2: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

O.A.S. - M É T R O

Page 3: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

DU MÊME AUTEUR

L A M E N T A B L E C L I O

(FASQUELLE)

LE P E T I T M O N D E

DE LA

COMTESSE DE SÉGUR

(LES SEIZE)

Page 4: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

PAUL G U É R A N D E

O . A . S .

M É T R O ou L E S E N F A N T S P E R D U S

R É C I T

É D I T I O N S D U F U S E A U

Page 5: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

© 1964 by Éditions d'Histoire et d 'Art

Page 6: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

A F R É D É R I C

Page 7: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

Enfants perdus, soldats qui marchent, pour quelque entreprise extraordinaire, à la tête d'un corps de troupes commandé pour les soutenir; ainsi nommés parce que leur service est particu- lièrement périlleux.

Plus généralement. Enfants perdus, per- sonnes qu'on met en avant dans une affaire hasar- deuse.

LITTRÉ

Page 8: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

G L O S S A I R E

QUELQUES SIGLES :

A.F. action française A.L. agent de liaison A.P.P. action psychologique et politique (propagande) B.L. boîte aux lettres B.M.C. bordel militaire de campagne B.P. boîte postale (peu courant) C.N.R. conseil national de la résistance D.S.T. direction de la surveillance du territoire E.M. état-major G.A.R. groupes d'action et de résistance (graffite anti-

O.A.S.) O.A.S. organisation armée secrète O.L. officier de liaison O.M. organisation des masses (structuration) O.P. officier de police O.P.P. officier de police principal O.R. officier de renseignement ou officier de réserve O. R. O. organisation-renseignement-opérations P.A. pistolet automatique P.C. parti communiste, poste de commandement ou petite

ceinture P.J. police judiciaire P.M. pistolet-mitrailleur (mitraillette) P.P. police parisienne ou préfecture de police

Page 9: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

P. R. G. police des renseignements généraux (police politique) R.M. région militaire S.D.E.C. service de documentation extérieure et de contre -

espionnage S.M. sécurité militaire S.N. sûreté nationale S.R. service de renseignements

QUELQUES ABRÉVIATIONS :

Aff affirmatif (voir ci-dessous) Indic indicateur de police Intox intoxication psychologique Mat manufacture d'armes de Tulle (pour mat 49, pis-

tolet-mitrailleur usuel) Métro métropole Perso personnel

QUELQUES TERMES :

Affirmatif oui Cavale situation irrégulière (il y a aussi la semi-cavale) Intellectuel intelligent (employé seulement par les militaires) Négatif non

UNE EXPRESSION :

Vraie fausse carte communément employée pour fausse vraie carte

Page 10: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

LE VIATIQUE

« Heureux ceux dont les iniquités ont été remises et dont les péchés sont cou- verts. »

PSAUME 31

EN cette veille de Noël, les courants d'air de Paris tour- billonnent. Des flocons de sable terreux râpent les trottoirs. Simoun boréal. Plus de riverains. Ils se calfeutrent, blottis contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour. Cette vierge au rimmel annonce le Réveillon, la Dinde, l'Enfant gâté de saison.

Jean-Philippe arpente l'avenue des Lilas, fait demi-tour toutes les cinq minutes, lorgne sa montre. Il tâte un porte- feuille inexistant, des papiers d'identité mythiques, puis repart de son pas de chasseur perdu. Ces faux départs pré- ludent au Grand Départ mais Jean-Philippe, sans argent ni famille, sans autre raison sociale que la déraison de l'honneur, n'est pas prêt. En principe, il est aussi démuni de regrets et de préjugés que de bagages, il a dépouillé le vieil homme. En fait, cent cinquante ans de bourgeoisie, six de scoutisme, la corniche, vingt-quatre mois de Coëtquidan, des souvenirs d'enfant de chœur, un galon d'officier pèsent sur lui, le maintiennent entre la rue de l'abri et le parvis de l'église dont les contreforts en faux gothique soulignent au fusain la pénombre de droite.

L'escargot du certificat d'études, complexé, fait trois cen-

Page 11: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

timètres, rétrograde de deux. Ainsi le jeune homme grignote sur sa peur, le croit en bon militaire, puisqu'il gagne du terrain. Saint-Damien est là, église minable et tarabiscotée, bâtiment construit avec des moyens de pauvre dans le goût second empire des riches. Jean-Philippe ne la connaît ni en bien, ni en mal. C'est l'édifice cultuel proche de l'abri, la maison de Dieu, ou la succursale. Il n'y vient pas en curieux. Il sait que l'édifice est sans mystères ni arcanes et sans le droit d'asile. Est-ce un lieu de prières, on en doute. Ce qui pousse l'apprenti-centurion, tel un mourant franc- maçon, c'est le désir d'un viatique. Il est sorti au crépuscule, exposé par les circonstances et par un air d'égaré qui ferait retourner les passants les moins curieux. « L'égaré ne peut prendre la route sans viatique », remâche-t-il lorsque, pous- sant la porte latérale de Saint-Damien, il pénètre en un bas- côté pisseux.

L'église ne comporte plus de décoration. Un clergé à la page a fait, par le vide, le nettoyage des bazars Saint-Sulpice. Mais le père-curé et ses vicaires n'ont pas réfléchi, c'est le propre des belles âmes. Ils ont obtenu, après iconoclasme, l'effet contraire à celui qu'ils cherchaient. Non soutenue par les statues, les tableaux naïfs, les ex-voto frileux, la voûte n'a plus d'assise et les messieurs de Saint-Damien, ne pou- vant au burin faire sauter les pâtisseries architecturales, crainte d'attaquer le gros œuvre, ont mis en valeur l'horreur prétentieuse de la bâtisse.

Le maître-autel est une maîtresse table. Le tabernacle s'appuie au chambranle de la sacristie. Il y a six bancs dans toute la nef. Tout pue le snobisme de la primitive Église, la bonne volonté morose du curé affranchi. Grâce à deux torches électriques, les yeux, s'habituant à la pénombre, découvrent plusieurs rangées de fidèles en imperméables. Ils font queue entre trois paires de cordes. Le spectacle n'est

Page 12: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

pas réjouissant. La maison de Dieu ne gagne pas à devenir la maison du Peuple, surtout lorsque le peuple est fait de bourgeois abêtis. Pour Jean-Philippe, toute la généreuse sottise de l'Église de France tient en ce raccourci. Mais il observe l'application des patients de Saint-Damien et leur trouve plus de foi qu'aux foules juives du désert, car enfin, ces dernières voyaient le Christ... Les foules d'ici ont quitté pour une heure la télévision et c'est beau, pour faire queue et c'est méritoire. Cette beauté du geste, le mérite de l'attente humiliée devant la baraque baroque du confessionnal per- mettent de croire que Dieu vraiment donne audience. Au début de son long cheminement, Jean-Philippe va s'offrir une heure de queue. Après tant de fourches caudines et de couleuvres avalées, il affrontera un vicaire progressiste. Formé au parcours du combattant, s'introduire sous les cordes n'est pour lui qu'un jeu.

Sur la bicoque, une carte de visite : R.P. Grosclaude, de l' Ordre des Petits Frères Prédicants. Le religieux est venu ren- forcer la Mission Hexagonale, titulaire de la paroisse. Jean- Philippe sait que les Prédicants sont intelligents depuis le moyen âge, réputation plus ancienne que celle de la Mission.

« L'héritier d'un croisé de la foi va m'absoudre. A défaut d'un moine guerrier, ce n'est pas si mal. »

Mais il n'eut pas l'absolution. — Mon père, pardonnez-moi car j'ai péché. Le jeune homme dévide ses fautes vénielles. Si le révérend

connaît bien les couvents, il confond les premiers aveux avec les remords d'une nonne postulante.

— Pressons, mon fils. C'est ce soir veille de Noël et des pécheurs plus conséquents attendent l'exercice de mon ministère.

— Mon père, je m'accuse aussi de détestation, peut-être de haine envers le plus illustre des Français.

Page 13: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

— Mon fils, cette haine est-elle éteinte ? A-t-elle expiré au seuil de la maison de Dieu ou, pour le moins, sur les marches de ce confessionnal ?

— Pardonnez-moi, mon père. Je crains de l'avoir en moi, comme un ulcère. Malgré mes efforts, j'en garde toujours quelque peu.

— Mais alors, mon fils, que faites-vous ici ? Le prêtre au confessionnal est à l'image de Dieu. Que dis-je, c'est le Christ. Iriez-vous demander à Notre-Seigneur de vous par- donner une haine vivante ? De qui vous moquez-vous ? De moi, modeste religieux, ou du Christ, éternellement présent ?

— Mon père, comprenez-moi bien. Je ne me moque de personne puisque ie suis venu spontanément aux saints mystères. Je n'ai besoin que d'un peu de charité confiante. Je vous répète que je fais tout pour éliminer les mauvaises pensées. Si je vous avoue n'être pas sûr d'avoir extirpé les séquelles de la haine, voyez-y ma sincérité et nulle bravade.

— Mon fils, il existe la réalité du péché comme il y en a l'intention. A mon grand regret, je constate que vous per- sistez. Vous ne faites nullement — mais au contraire — la preuve de l'abandon de l'intention pernicieuse.

— Mais mon père, ce n'est pas une haine personnelle, humaine, délimitable et que l'on puisse facilement combattre. Ma détestation est politique. Deux membres très proches de ma famille sont emprisonnés injustement depuis le putsch. Je puis oublier, pardonner en théorie. Il m'est impossible de tout laisser passer.

— Vous êtes, mon fils, enfoncé dans l'erreur. Je vous le redis : qu'êtes-vous venu chercher ici, si vous n'apportez en vous ni contrition, ni volonté de repentance, ni ferme propos pour demain ?

— J'ai déserté, mon père, il y a quatre jours. J'ai rompu un

Page 14: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

contrat que je considérais à l'origine comme sacré, je me suis mis dans la position du hors-la-loi, je suis un homme traqué. Croyez bien que si je prends un chemin qui n'est conforme ni à ma nature, ni à mon éducation, ce n'est pas sans raisons, ni sans avoir longuement délibéré, avec toute mon intelligence et tout mon cœur. Je pense avoir agi selon ma conscience et suivant une Loi plus haute que les lois de mon pays. Je n'ai pas de remords. Il me reste une angoisse, disons une peur du vide, à la veille de faire le grand plon- geon. Maintenant, moquez-vous de moi, si vous le désirez, mais j'ai ressenti le besoin de me confier à un homme de Dieu car où trouverais-je une oreille attentive, où rencontrer un accueil humain sinon auprès du Christ ? Mon père, c'est grave, très grave ! Si vous ne me comprenez pas, je croirai que Notre-Seigneur lui-même se refuse à moi. Je serai un homme seul, désespérément seul. Seul, face au désespoir.

— Quoi, vous êtes déserteur, en état de rébellion, vous vous en vantez et vous voudriez l'absolution ? Mais, mon fils, êtes-vous catholique ? Connaissez-vous seulement au sujet de la Pénitence les notions du catéchisme élémentaire ? Ce n'est pas votre âme seule qui se trouve en révolte contre les devoirs moraux, civiques et religieux, c'est votre tout, corps, personne, intelligence; ce sont toutes vos facultés. Vous ne pouvez espérer de pardon, je ne puis vous accorder celui du Christ, qu'en échange de votre promesse formelle de vous constituer prisonnier, de regagner votre unité. Vous devrez, en outre, accepter d'un cœur contrit les consé- quences matérielles et morales de votre situation irrégulière.

Des quintes de toux ébranlent le confessionnal. Le pénitent de droite se révolte. Il a récité douze confiteor, trois actes de contrition, dix pater, autant d'ave. Il craint que le révérend n'ait succombé à une attaque. Compréhensif, le moine sort de la boîte et dit au pénitent :

Page 15: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

— Mon fils, ce sera long, reprenez donc la queue, vous y serez plus confortable.

Puis il se réinstalle, murmurant en oraison jaculatoire : « Saint curé d'Ars, apôtre et, sans jeu de mots, véritable martyr des confesseurs, donnez-moi la force de supporter d'une âme égale l'odieuse épreuve que m'inflige cet acti- viste. »

— Ne m'abandonnez pas, mon père, reprend Jean-Phi- lippe. Je sais qu'une veille de Noël convient peu à une con- fession générale, mais ayez pitié de moi.

— Vous ne m'avez pas répondu, tout à l'heure. Êtes-vous prêt à vous constituer prisonnier, à retrouver une vie sou- mise, dans la discipline de Dieu et des hommes ?

— Mais je ne peux pas. Si j'ai déserté, c'est afin de re- joindre l'armée secrète.

— L'O.A.S. ? — Bien sûr. Tout comme, il y a vingt ans, beaucoup de

mes aînés sont entrés dans la Résistance. — Malheureux ! Les deux termes n'ont rien de compa-

rable. — Si, mon père, et je suis sûr que vous avez absous des

résistants. — Mon pauvre enfant, vous errez totalement. La Résis-

tance était une chose justifiable, justifiée et bénie par l'Église. Seuls quelques vieux évêques ont soutenu Vichy. Ils sont morts depuis, ont été mis en disgrâce ou bien sont revenus, à la Libération, à de bons sentiments. L'Église de France a béni la Résistance. Beaucoup de ses fils ont connu la per- sécution pour elle. Deux membres éminents de ma congré- gation ont affronté les camps de la mort.

— Eh bien, mon père, ayez pour moi la même com- préhension. Vous n'êtes pas évêque, rien ne vous oblige à pactiser avec Vichy. Je ne suis pas un révolté, mais un soldat

Page 16: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

qui attend la bénédiction de son aumônier pour monter à l'attaque.

— L'attaque ! Nous nous comprenons de moins en moins. Prétendriez-vous commettre des assassinats ou poser des bombes ?

— Mon père, j'ignore à quoi mes supérieurs me des- tinent, mais vous savez mieux que moi que le centurion de l'Écriture va où on lui dit d'aller, de même qu'il transmet ensuite les ordres à ses légionnaires. Vous confessez aujour- d'hui des commerçants et des employés, des rentiers et des ménagères, des riches et des humbles. Pourquoi ne donne- riez-vous pas aussi l'absolution à un officier résistant ?

— L'O.A.S. n'a rien à voir avec la Résistance. Les résis- tants se soulevaient contre l'occupant.

— Nous, contre le F.L.N. — Les résistants étaient justifiés par l'orientation même

de leur combat : ils affrontaient le nazisme. — Moi, mon père, je lutte contre le communisme. Bruit de volet rabattu, porte claquée. Jean-Philippe, inter-

loqué, sort de la boîte pour voir le moine, robe retroussée, qui pique un cent mètres vers la sacristie. L'officier hésite à comprendre, puis il s'achemine en direction de la sortie, longeant lentement les pénitents hostiles. Il n'a pas rencontré ce soir le signe du Christ. Lui qui, de tous, a la plus longue route à suivre, l'Église de France le condamne à partir sans viatique. Dieu est fellagha.

— Pour ma pénitence, murmure le jeune homme, j'ac- cepte un coup de téléphone du nonnain aux flics. Je mon- trerai une dernière fois l'esprit de soumission en prenant ce risque inutile.

Soliloquant ainsi, il se heurte à une ombre. Le logeur inquiet vient lui rappeler le chemin de l'abri.

Page 17: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour
Page 18: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

UN ABRI

« Souvenir qui passe, La vieille caserne oubliée... »

Chant légionnaire

L'ABRI n'a pas changé. Le vieil appartement réchauffe Jean- Philippe. C'est ici qu'il a été accueilli le 21, tard dans l'après- midi. Le matin de ce fameux jour, Jean-Philippe avait gagné en civil la gare de Bruyères, pris le train pour Nancy avec son quart de place. Naturellement, rien n'était direct, et il fallut, ironie du sort, changer à Épinal. Quelques heures plus tard en effet, la compagnie devait se transporter à Épinal pour y manœuvrer avec le reste du 4 1 bataillon de chas- seurs à pied. Jean-Philippe n'avait pu s'y résoudre. Ma- nœuvrer, au mieux dans le style 1944, lorsque l'Algérie luttait pour ne pas crever comme un cadavre abandonné. Faire le zèbre dans un command-car. Jouer aux transmissions de la vraie guerre. « Ici Blanc de Blanc. J'appelle Blanc 1, Blanc 2, Blanc 3 et Blanc 4. Je répète : Ici Blanc de Blanc. J'appelle Blanc 1, Blanc 2, Blanc 3 et Blanc 4. Terminé. Pour Blanc de Blanc, ici Blanc 2. Je dis Blanc 2. Blanc 2 à Blanc de Blanc : Bien reçu. Terminé. » Attaquer un ennemi imaginaire lorsque personne ne se souciait ni du fellouze, ni de l'armée rouge, ni des Chinois. Tout cela deve- nait au-dessus de ses forces. Il n'était pas entré à Cyr pour jouer cette piètre comédie. A la corniche de Saint-Louis,

Page 19: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

en 58, Jean-Philippe n'était pas le seul bizuth dépourvu de vocation militaire. Ou plutôt, sa vocation, comme celle de la moitié de ses camarades de promo, n'était ni le comman- dement d'une unité blindée de l'O.T.A.N., ni la perspective de la force de frappe. S'il avait préparé Coët plutôt que Cen- trale ou Supélec, c'était pour servir en Algérie. Le reste lui serait donné de surcroît.

Lorsque Jean-Philippe débarqua à Nancy, à treize heures, chez son cousin Mathias, il tombait comme des cheveux sur la soupe et se fit savonner d'importance.

— Tu es piqué de déserter quand ta compagnie part en manœuvres. Je te ramène à Épinal d'un coup d'auto. Attends-y une perm et prolonge : cela te donnera un répit considérable. Et d'abord, as-tu des faux papiers, de l'argent, une filière pour passer en Algérie ?

Il avait dû plaider coupable. Son aventure était le type achevé de l'impréparation, de l'inconscience et de la mala- dresse accumulées. Non seulement il n'avait pas attendu de percevoir sa solde, mais il était dépourvu de vêtements, ayant voulu partir sans bagage pour sembler naturel. En outre, il avait eu la stupidité de déchirer ses papiers et de brûler les morceaux aux cabinets du train. Pour compléter le tout, il n'avait pris aucun contact préalable avec l'O.A.S.

Le cousin avait donné un sandwich à Jean-Philippe, puis l'avait muni d'un billet de 50 000. A treize heures trente, les deux jeunes gens roulaient sur la nationale 4, dans la D.S. du Nancéen. Le conducteur s'était arrêté à Saint-Dizier, au restoroute, pour boire un demi et avait téléphoné à Paris. A six heures, ils sonnaient à ce qui était devenu l'abri.

L'abri était disponible et Jean-Philippe eut aussitôt sa chambre, une grande pièce lambrissée comportant deux fau- teuils de cuir, un divan, une armoire Louis XIII, une table rustique et, au mur, la photographie du général Salan. Madame

Page 20: O.A.S. - MÉTRO - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782402543064.pdf · contre les télévisions, un œil à la marmite, l'autre extasié vers la spiquerine du jour

de Ribeaupierre, la maîtresse de maison, n'employait que des domestiques pieds-noirs et aimait les innocentes provoca- tions.

— N'est-ce pas la meilleure des couvertures à l'égard de ceux qui ne sont pas au parfum ?

Rien que d'entendre cette petite femme distinguée parler l'argot des romans d'espionnage, Jean-Philippe serait tombé amoureux d'elle. Le premier jour, pourtant, ils n'avaient pas eu le loisir de faire ample connaissance. Le cousin voulait regagner Nancy dans la nuit après avoir réglé le sort de Jean- Philippe. Or, bien entendu, Ribeaupierre voyageait jus- qu'au surlendemain et sa femme n'était pas censée connaître les contacts.

Enfin, après avoir sillonné Paris trois ou quatre fois, Denise de Ribeaupierre était revenue, vers dix heures du soir, escortée d'un garçon de trente ans, bronzé, le cou enfoui dans son col roulé, curieusement revêtu d'un blazer et d'un pantalon-fuseau. C'était le fameux capitaine Hervé.

— Qui est exactement ce gus ? — Cher ami, c'est un sous-lieutenant, cousin de notre ami

que vous voyez là et qui travaille pour nous à Nancy. Il a déserté sur un coup de cafard. Maintenant nous cherchons à le faire passer en Algérie.

— Pourquoi veux-tu passer en A.F.N. ? demanda sèche- ment Hervé.

— Pour faire la guerre. Je ne peux plus supporter l'armée du régime.

— Qui te dit que tu ne nous aurais pas été plus utile en gardant ton affectation ?

— Je ne le savais pas, mon capitaine. J'étais isolé, sans contact. Mettez-vous à ma place.

— Il me semble que des contacts, tu en auras eu pour une première journée ! Des gars comme toi, c'est tout plein de