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633 Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2011 - Vol. 5 - N°6 Éducation thérapeutique 633 © 2011 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. Correspondance : Jean-Daniel Lalau Service d’endocrinologie-nutrition Hôpital Sud, CHU 80054 Amiens cedex 1 [email protected] Observons l’observance The complications of “compliance” Résumé Observer est assurément polysémique. Observer, c’est tout d’abord regarder attentive- ment, c’est-à-dire se servir de ses yeux, et donc d’une partie de son corps concret, ce qui renvoie à une constellation d’interrogations qui surgissent ou resurgissent, chaque fois que la science, qui se veut objective, en vient à douter de sa propre objectivité. Et bien observer, selon Gaston Bachelard, c’est vaincre les différents obstacles épisté- mologiques à la connaissance scientifique [1]. Observons donc, attentivement… Mots-clés : Observer – observance – norme – alliance. Summary The word “observance” [the French term for “compliance”, in the sense “treatment compliance”] unquestionably means many different things. First and foremost, “obser- ving” involves examining something closely, i.e. using one’s eyes – a part of the body, which throws up a host of new (and not-so-new) issues whenever science (which is supposedly objective) calls one’s own objectivity into question. According to Gaston Bachelard, “observing” means overcoming the various epistemological barriers to scien- tific understanding [1]. So let us observe the complications of compliance… Key-words: Observation – compliance – standards – alliance. J.-D. Lalau 1, 2 1 Service d’endocrinologie-nutrition, Hôpital Sud, CHU d’Amiens. 2 Réseau de prévention et d’éducation du patient de Picardie. Introduction C’est à partir du XIX e siècle que prend place une clinique du regard, ainsi que le décrit remarquablement Michel Foucault dans Naissance de la clinique |2], clinique du regard qui culmine de nos jours avec les différentes techniques d’endoscopie. Depuis lors, le chercheur, le soignant doivent observer ; c’est le propre de la démarche d’investigation, avec à la clé une « observation expérimentale » ou une « observation clinique ». Maintenant, posons-nous la question suivante : que veut-on véritablement exprimer lorsque l’on dit que le patient, à qui des médicaments sont prescrits pour éviter la survenue de complications pénibles et à l’occasion coûteuses pour la société, devrait être « observant » ? Prenons nous-mêmes un temps d’obser- vation à ce sujet et posons-nous corol- lairement les questions suivantes : dans quel sens le mot « observance » est-il généralement usité dans le langage médi- cal ? Et si je dis d’emblée que « obser- vance » signifie originellement « respect d’une règle religieuse », sommes-nous toujours d’accord pour continuer à l’uti- liser selon ce sens ? Si je prends l’exem- ple des pièces de monnaie, certaines ne sont plus en usage et peuvent perdre au fil du temps leur valeur faciale, à mesure des échanges ; pour autant une pièce de 1 franc n’en demeurera pas moins toujours une pièce de 1 franc. En ce qui

Observons l’observance

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Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2011 - Vol. 5 - N°6

Éducation thérapeutique 633

© 2011 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Correspondance :

Jean-Daniel LalauService d’endocrinologie-nutritionHôpital Sud, CHU80054 Amiens cedex [email protected]

Observons l’observanceThe complications of “compliance”

RésuméObserver est assurément polysémique. Observer, c’est tout d’abord regarder attentive-ment, c’est-à-dire se servir de ses yeux, et donc d’une partie de son corps concret, ce qui renvoie à une constellation d’interrogations qui surgissent ou resurgissent, chaque fois que la science, qui se veut objective, en vient à douter de sa propre objectivité. Et bien observer, selon Gaston Bachelard, c’est vaincre les différents obstacles épisté-mologiques à la connaissance scientifique [1]. Observons donc, attentivement…

Mots-clés : Observer – observance – norme – alliance.

SummaryThe word “observance” [the French term for “compliance”, in the sense “treatment compliance”] unquestionably means many different things. First and foremost, “obser-ving” involves examining something closely, i.e. using one’s eyes – a part of the body, which throws up a host of new (and not-so-new) issues whenever science (which is supposedly objective) calls one’s own objectivity into question. According to Gaston Bachelard, “observing” means overcoming the various epistemological barriers to scien-tific understanding [1]. So let us observe the complications of compliance…

Key-words: Observation – compliance – standards – alliance.

J.-D. Lalau1, 21 Service d’endocrinologie-nutrition, Hôpital Sud, CHU d’Amiens.2 Réseau de prévention et d’éducation du patient de Picardie.

Introduction

C’est à partir du XIXe siècle que prend place une clinique du regard, ainsi que le décrit remarquablement Michel Foucault dans Naissance de la clinique |2], clinique du regard qui culmine de nos jours avec les différentes techniques d’endoscopie. Depuis lors, le chercheur, le soignant doivent observer ; c’est le propre de la démarche d’investigation, avec à la clé une « observation expérimentale » ou une « observation clinique ».Maintenant, posons-nous la question suivante : que veut-on véritablement exprimer lorsque l’on dit que le patient, à qui des médicaments sont prescrits pour éviter la survenue de complications

pénibles et à l’occasion coûteuses pour la société, devrait être « observant » ?Prenons nous-mêmes un temps d’obser-vation à ce sujet et posons-nous corol-lairement les questions suivantes : dans quel sens le mot « observance » est-il généralement usité dans le langage médi-cal ? Et si je dis d’emblée que « obser-vance » signifie originellement « respect d’une règle religieuse », sommes-nous toujours d’accord pour continuer à l’uti-liser selon ce sens ? Si je prends l’exem-ple des pièces de monnaie, certaines ne sont plus en usage et peuvent perdre au fil du temps leur valeur faciale, à mesure des échanges ; pour autant une pièce de 1 franc n’en demeurera pas moins toujours une pièce de 1 franc. En ce qui

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Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2011 - Vol. 5 - N°6

Éducation thérapeutique

concerne le sens des mots, il peut évo-luer, selon les nécessités. Toujours est-il que le mot « observance » est utilisé pour qualifier le rapport plus ou moins étroit du patient à la prescription médicale ; que ce mot a un sens, originellement ; et que l’usage actuel aussi a un sens. Interrogeons-nous donc, tant il est vrai que nous ne devrions guère faire l’éco-nomie d’un travail sur la signification des mots, sur leur portée, sur leur usage, leur mésusage aussi, voire la perversion de leur usage.

Le maître mot

• Observons, et soignons vigilants même. Car observance ici, éducation là, ou éthique aussi, sont des mots considérables qu’il serait bon que la communauté médicale s’approprie ou se réapproprie, avant qu’ils ne soient figés dans le marbre des tables de la loi � de l’Autorité de santé. Car ces mots ne sont plus simplement à notre disposition ; à charge simplement à nous d’opérer les choix les plus pertinents dans nos bons dictionnaires. Aujourd’hui, nous assis-tons à une inversion de notre rapport à certains mots. Ces mots nous gouver-nent plutôt que nous ne les maîtrisons, à l’instar de ce que Heidegger décrit de l’inversion du rapport de l’homme à la technique : nous sommes arraisonnés par la technique, et nous sommes arrai-sonnés également par des mots. Au point que nous pouvons observer une véritable dictature des mots. • S’il est normal que les mots nous gou-

vernent, puisqu’ils sont antécédents, s’il est plus que normal que nous œuvrions sous l’égide de l’éthique, le rapport de verticalité que je décris et que je décrie est d’une autre nature : elle est celle de la soumission aux mots ; plus précisé-ment à l’usage du mot et à l’évolution de cet usage. Et ce qui est tout de même singulier pour « observance » est qu’il s’agit d’une soumission à un mot qui veut précisément dire « respect d’une règle ». De sorte que si le médecin est obligé d’obliger, le patient n’aurait pas beaucoup de choix. Il serait fait, comme un rat de laboratoire. • Cela dit, nous pouvons tourner notre

question sur ce qui a fait retenir le mot

« observance », non plus dans l’absoluité du mot seulement, mais relativement à d’autres mots disponibles dans notre langue. Dès lors, nous pouvons soule-ver la question ainsi : « observance », ce mot seul et unique ? Ou un mot parmi d’autres, dans un même registre de signification ? En d’autres termes, le mot « observance » est-il interchangeable ?

Tous pour un

• Observons… Dans une communi-cation présentée précisément sur le thème de l’« observance des traite-ments hypolipémiants », tel orateur, référent en lipidologie, a cité dans son propos, de façon indifférente (mais avec consonance frappante) : « observance », « compliance », « adhérence », et par-fois plus simplement « prise » (pour prise de médicaments) ; et en miroir : « non-observance », « non-compliance », etc. Soit, au total de l’avers et du revers, huit formulations différentes, mais pour un seul et même sens semble-t-il, comprend-on à partir de l’exposé. • Par conséquent, à ce tout premier

stade de notre réflexion, une chose semble sûre : plusieurs formulations sont possibles, mais les différents champs sémantiques sont nivelés pour conférer un seul et même niveau de sens, et pour consacrer dans la littérature de langue française « observance ». • Mais quel sens, en définitive ? Il

n’est pas encore dit… Observons déjà la dynamique des contraires : la formu-lation « non-observance » est mise en opposition à « observance ». La logique est binaire, car de deux choses l’une : soit le patient est observant, soit il n’est pas observant. Bien. Mais avons-nous avancé véritablement ? Est-ce à dire, en particulier, que si la prise des médica-ments n’est pas complète, tout au long de la journée, de la semaine, période de travail comme de congé, moral en berne ou pas, en monothérapie comme dans la polymédication, en traitement stable ou lors de l’instauration d’un nouveau médi-cament ; il n’y a pas d’observance parce qu’il n’y a pas la totalité, il n’y a pas les 100 % d’une prise totale cent jours sur cent ? Si telle est la demande du méde-cin vis-à-vis du malade, reconnaissons-là

une exigence, une intransigeance même, laquelle éclairerait la formulation selon laquelle le patient, « pris en charge », est « sous médicament » ? N’y a-t-il pas là, en effet, la marque d’un rapport de soumission, qui prévaut pour chaque repas, chaque jour, chaque semaine, etc. ? Qu’entend-on, d’ailleurs, avec les synonymes, avec « compliance », sinon « pliance », et avec « adhérence », sinon que le patient doit garder le « bon pli », demeurer « scotché » même ?… • Ou réfère-t-on plutôt au patient qui ne

prend pas son traitement du tout, à une autre totalité donc, mais pour un niveau 0 cette fois ? Et encore, il faudrait conti-nuer à affiner, car l’on imagine très bien un niveau 0 pour une monothérapie, un niveau 0 pour une polythérapie, et aussi dans une polythérapie un niveau 0 pour un ou plusieurs médicaments, les autres pouvant être pris « totalement ». Donc, si je puis dire, une « totalité totale » ou une « totalité partielle », dans une dialec-tique du plein et du vide, dans laquelle il est possible de s’engager par les deux bouts. • Ou veut-on évoquer encore – troi-

sième cas de figure –, l’observance à l’intérieur du bornage entre le tout et le rien, le 100 % et le 0 %, pour qualifier la situation du patient qui prend plus ou moins bien son traitement ? Ce qui fait se demander si le raisonnement s’établit en définitive en termes de nature, selon un système « on/off » (un sujet obser-vant/un sujet non observant), ou en ter-mes de degré, de 0 à 100 % (un sujet plus ou moins observant) � à moins que la différence de degré ne soit en elle-même une différence de nature. En tout cas, ce type de raisonnement s’inscrit bien dans le domaine de la prévention cardiovasculaire, où l’on parle de fac-teurs de risque plus ou moins élevés, plus ou moins combinés, et au bout du compte de risque cardiovasculaire « absolu » (nous avons ici une totalité) plus ou moins élevé (nous avons ici des degrés). Et tout cela dans un contexte ambiant de métrage : ainsi, les échel-les de douleur, de qualité de vie, de satisfaction – y compris pour juger nos prestations dans les symposiums –, un contexte qui fait ouvrir une nouvelle dia-lectique, celle de l’objectivité et de la subjectivité.

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Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2011 - Vol. 5 - N°6

Une norme, vous dis-je

• Pour nous résumer, à ce deuxième stade de notre réflexion, une chose n’est plus sûre : avec le couple obser-vance/non-observance, parle-t-on de la différence entre le « tout » et le « pres-que tout » ? Ou, entre le « tout » et le « rien » ? Ou encore, entre « un peu », « beaucoup », « énormément », etc. ? Ce n’est, assurément, pas la même chose. • Malgré tout, ce qui est sûr, c’est que nous

parlons de taux, d’effet de seuil, d’écart ; et d’un écart par rapport à une référence, par rapport à une norme. La prise effective et régulière des médicaments a en effet pour finalité de permettre l’obtention des objectifs thérapeutiques, lesquels sont traduits en critères biomédicaux :– le poids ;– le taux de cholestérol-LDL ;– le taux de l’hémoglobine glyquée…La « non-observance », en miroir, pourrait qualifier les pratiques qui ne permettent pas l’obtention de ces objectifs, parce que la prise médicamenteuse est insa-tisfaisante. La norme est donc de « bien prendre » (son traitement), dans la visée de l’obtention effective de l’objectif ; et prendre ce traitement de façon incorrecte est anormal. • Nous disons donc une norme. Voilà

également un mot qui mérite d’être « tra-vaillé ». Ce mot vient de norma en Latin, qui veut dire « règle » (tiens, tiens…) et aussi « équerre », et qui est proche du Grec nomos, qui veut dire « loi ». D’où une ambiguïté pour qualifier, par exem-ple, le traitement bien pris comme l’état habituel et qui est un fait ; et aussi l’état idéal du traitement, qui est alors un terme appréciatif, une valeur – la restauration de cet état idéal étant ce qui est visé dans la thérapeutique. • Mais lorsque le traitement est bien pris,

est-ce normal parce que visé comme une fin bonne, en thérapeutique et donc par le thérapeute, placé en position externe par rapport au malade ? Ou est-ce tenu comme normal par l’intéressé, le sujet malade, dans son expérience de lutte interne ? La question se pose en effet : quelle instance instaure la norme ? Surtout, cette norme est-elle extérieure au sujet malade (le malade doit prendre son traitement) ? Ou s’impose-t-elle au sujet lui-même, non pas par la rigidité

d’un fait de contrainte collective mais, au contraire, avec la souplesse d’une norme qui se transforme dans la relation de ce sujet à ses conditions de vie. De la transformation qu’induit la maladie, en tout état de cause, seul l’individu, dans son indéfectible indivisibilité, est juge ; parce que c’est lui seul qui en pâtit. Je développe ici la dialectique de la norme sociale et de la « norme de vie », du point de vue de l’individu, selon le concept de Georges Canguilhem [3].

La médecine externe

• Maintenant, bien prendre son traite-ment n’est pas nécessairement chose aisée, si l’on prend en considération l’angoisse suscitée – je pense, en par-ticulier, à l’insuline –, les traitements multiples, les traitements complexes, les interactions et parfois les incompa-tibilités entre eux, les heures d’adminis-tration. Lorsque ce n’est pas la taille des comprimés, leur goût, les injections, le regard de l’entourage proche ou moins proche, le surcoût parfois ; et naturel-lement les effets secondaires divers et variés, de surcroît dans le contexte fragilisant de la publication d’une liste de médicaments « sous surveillance » (inscrite en rouge sang, car cette for-mulation est traduite par « dangereux » dans la langue des médias, laquelle n’a assurément pas tourné 77 fois dans la bouche des prédicateurs avant de…). Et sans compter le principe de réalité de la maladie, et celui aussi de son évolutivité, traduite par le sujet souffrant en aggra-vation ; c’est le cas, par exemple, de l’in-sulinisation secondaire dans le diabète de type 2. Ici, il conviendrait d’adopter toute une démarche anthropologique, afin de connaître le système de repré-sentations des patients sur la maladie et leurs traitements. Et qu’en définitive un sujet soit ambivalent par rapport à un médicament ne devrait pas surprendre le corps médical, lorsque l’on sait que cette ambivalence est portée par la dua-lité allo–/homéopathie, et d’entrée de jeu même par le mot grec qui qualifie le remède, pharmakon, et qui a également le sens de… poison. • Aussi, observance – terme appréciatif

positif – renvoie à des résistances – terme

négatif. Mais nous pourrions renverser les choses (et re-dialectique !), en parlant de résistances comme d’un fait positif. Car résister, c’est aussi lutter contre, tenter de surmonter. Rappelons-nous notre histoire récente : la collaboration d’un côté, la résistance de l’autre. Et résistance, n’est-ce pas le sens positif aussi d’un mot en vogue actuellement : la « résilience » ? • Toujours est-il que la positivité du

terme « observance » renvoie à des traitements qui sont, pour la plupart, des « anti » et ce, en lien direct avec le modèle de représentation exogéno-maléfique dominant de la maladie :– antidépresseurs ;– antibiotiques ;– antiviraux ;– anticoagulants ;– antidiabétiques ;– antalgiques ;– anti-inflammatoires ;– anticancéreux ;– antihypertenseurs ;– antispasmodiques…De là à qualifier le patient non observant comme « anti-médicament »… Ses résis-tances viendront-elles se lézarder, il fau-dra peut-être lui proposer un traitement antidépresseur…

Le risque des facteurs

• Mais revenons à l’exposé que faisait notre confrère lipidologue. Le voilà qui égrène les facteurs de non-observance de façon systématique : ceux-ci appa-raissent liés au traitement en tant que tel, au patient, à la maladie, au médecin et à d’autres facteurs encore (« environ-nement », etc.). Les facteurs concernant le patient sont :– des facteurs démographiques (âge, etc.) ;– un manque de temps ;– des problèmes de remboursement ;– des « données psychologiques » (nous tendons l’oreille) ;– et aussi, séparément de l’aspect psychologique, la « prépondérance de l’émotion sur l’aspect scientifique ».L’aspect psychologique, quant à lui, concerne la « dépression » et des « fac-teurs cognitifs ». • Une telle énumération n’est pas sans

rappeler les facteurs de risque des

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Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2011 - Vol. 5 - N°6

Éducation thérapeutique

maladies cardiovasculaires, mais aussi le diagnostic éducatif de l’éducation thérapeutique, avec sa démarche d’ob-jectivation fragmentaire et, au bout du compte, si je puis dire, « fragmentante » (a, b, c, q, f, d). Certes, nous pouvons, nous devons même prendre en consi-dération les facteurs qui viennent d’être passés en revue, mais pour la seule visée de resituer le patient dans son tissu de vie, et pour nous demander à la fin des fins : qu’est-ce qui fait que le patient, avec son histoire familiale, avec telle insertion sociale et professionnelle, etc., puisse avoir envie de prendre son traitement ? Et, du coup, qu’est-ce qui fait que l’usage commun de « obser-vance » revient à poser un couvercle de fonte sur la marmite de l’affect ? • Car, à défaut de désocculter l’affect,

à défaut de prendre en considération les dimensions aussi considérables que le plaisir, le désir, les pulsions, le mot « observance » évide le sens. Et une fois cette opération faite, le mot peut se vider lui-même de son propre sens. Maintenant que le patient est victime d’un désossement, le mot « obser-vance », telle une enveloppe vide, peut flotter librement dans l’atmosphère, ne plus avoir qu’une « gueule d’atmo-sphère ». Mais sans évanescence pour autant, il flottera simplement sur son orbite comme un objet poubelle ; sans disparaître jamais, car si l’inculture est soluble dans l’apprentissage, le mot construit, lui, est impérissable, puisqu’il repose sur un savoir acquis. Simplement, le mot restera en mémoire, avec son effet de mode rémanent. À l’instar du stéthos-cope bien chevillé au corps. • Comme je l’ai suggéré à Anne Lacroix

(bien connue dans le « monde » de l’édu-cation thérapeutique) pour le mot « édu-cation », et qui a repris à son compte cette hypothèse, je ferais volontiers du mot « observance » un objet transition-nel, vous savez comme le dou-dou, et dont la fonction n’est pas abolie dans la suite du développement de l’individu. Du point de vue libidinal, rien ne change, l’activité reste de type oral : on susurre le mot. Ce qui change simplement, c’est le statut de l’objet.

Se mettre en règle

• Soit. Mais que fait-on maintenant ? Redonne-t-on vie au mot « obser-vance », récupéré de l’atmosphère et échoué par hasard dans les plaines du Kazakhstan ? Si nous ouvrons la boîte du sens, nous observerons que par-des-sous le sens commun, par-dessous la ligne cathodique, se cache un sens bien particulier : l’observation… d’une règle religieuse. Chassons le magico-religieux, il revient… Dès lors, il y a deux niveaux de sens avec ce mot « observance » :– il y a le sens tout court, qui réfère donc au religieux ;– il y a le sens de l’usage actuel du mot, de la nature de l’usage du mot, usage par obligation plus que par habitude seulement, par règle finalement, et qui à ce point de dévotion réfère encore et toujours au religieux. • À ce stade, ce n’est donc plus l’obser-

vance et son effet de seuil, en tant que tels, que nous interrogeons, mais, plus avant : c’est la nature même de la rela-tion de soin et du statut du thérapeute dont il est désormais question. Mais, une nouvelle fois, que faire, maintenant que nous avons rappelé : « respect d’une règle religieuse » ? Garder le mot « observance » quand même, mais en en récusant le sens premier, devenu inac-ceptable de nos jours ? Changer plutôt de mot, dans une démarche volontaire de « laïcisation », parce qu’il faut se débarrasser des scories du passé ? Ou encore garder le mot, mais en transmu-

tant ce qui est devenu plomb en or, en lui conférant une nouvelle noblesse, parce que l’on a pris le temps et la peine de réfléchir, et d’observer que les anciens n’ont pas nécessairement tort ? • Règle, religieux : les passions pour-

raient se déchaîner ici, entre ceux qui récusent la représentation magico-religieuse, et ceux qui soulignent que l’homme est par la force des choses un être métaphysique. Et ici aussi nous pourrions renverser les choses : les scientifiques purs et durs, qui récusent les bizarreries de traitement (les « remè-des de bonnes femmes », les « médeci-nes parallèles », et naturellement aussi la psychanalyse) pour ne retenir comme proposition valide de traitement que ce qui est scientifiquement montré (evi-dence-based medicine), n’ont-ils pas en définitive une croyance en la science dont le caractère apparemment aveugle est en réalité du domaine de la confiance absolue, et donc d’ordre… magico- religieux ? (je ne dis pas religieux seule-ment, car il n’est de foi sans doute). • N’en doutons pas : le mot « obser-

vance » a un tel ancrage, il répond à un tel besoin, qu’il ne disparaîtra pas de sitôt. Aussi, est-il raisonnable de développer une énergie stérile pour l’éradiquer ?

Ayons confiance

• Ce que nous pouvons faire plutôt, c’est entendre « confiance » dans « obser-

• « Observance » signifie originellement « respect d’une règle religieuse ».

• Si plusieurs formulations sont possibles (« observance », « compliance », « adhé-

rence », etc.), les champs sémantiques sont nivelés pour conférer un seul et même

niveau de sens.

• Avec le couple observance/non-observance, parle-t-on de la différence entre le « tout »

et le « presque tout » (le traitement pris en totalité ou presque) ? Ou, entre le « tout »

et le « rien » ? Ou encore, entre « un peu », « beaucoup », « énormément », etc. ? Ce

n’est pas la même chose !

• Nous ne saurions, en définitive, avoir de bon usage avec « observance ». Étudions

plutôt la relation de soin avec les concepts de « confiance » et de « alliance ». Pour

une dignité humaine.

Les points essentiels

637Observons l’observance

Médecine des maladies Métaboliques - Décembre 2011 - Vol. 5 - N°6

vance », et nous comprendrons dès lors mieux les pratiques de ceux qui suivent les prescriptions « à la lettre », soit qu’ils ne se posent pas de question, parce qu’ils ont tout « gobé » du discours médi-cal, soit tout au contraire parce qu’ils se sont pleinement appropriés la « logique » de traitement. Dira-t-on « observance » de la même façon pour qualifier ces deux situations opposées ? • Et le médecin, au demeurant, a-t-il

confiance en lui pour pouvoir exposer en termes clairs et intelligibles, mais également dans une démarche d’ap-propriation par le patient nécessaire-ment dialectique, la visée du traitement, la nature de la médication proposée, à la lumière de la physiopathologie elle-même explicitée ? Posons simplement la question au patient : non pas « qu’est-ce que le diabète ? », la question pouvant faire ânonner le Wikipédia, mais « com-ment comprenez-vous votre diabète ? », et nous irons au devant de belles sur-prises ! • Ce en quoi l’on croit, le « croyable »,

n’est pas un mode déficient de la dona-tion du vrai ; il est le vrai tel qu’il se donne en appelant un acquiescement. • Les deux pôles de la relation méde-

cin/malade demeurent disjoints avec « observance », laquelle ne requiert pas l’accord de celui pour qui la règle est exécutée, pas plus d’ailleurs de celui qui l’exécute. Nouvel avatar, avec l’éducation du patient, du besoin d’État de régulation sociale et, en regard, de l’avènement d’une société de contrôle qui met en œuvre une biopolitique, telle que l’a observée Michel Foucault [2]. Tandis que lorsque le patient apporte du crédit à la parole du thérapeute, et quand le thérapeute croit à la démar-che de guérison du malade, une relation de confiance s’instaure et se maintient dans une dimension contractuelle. La relation est originellement asymétrique : l’un sait, ou est investi comme suppo-

sant savoir, l’autre ignore encore. Mais c’est précisément en raison de cette asymétrie que tous deux s’engagent pour avancer de concert, en visant un même objectif. • Il est un mot pour qualifier la démar-

che, le pas en avant : l’adhésion. Et il en est un autre pour qualifier l’adhésion réciproque : l’alliance thérapeutique.

Le choix – et l’embarras du choix

• Ou bien, ou bien… Engager, ou ne pas engager la démarche : telle est vérita-blement la question existentielle. Tel est notre développement, qui met en jeu la conjonction de coordination « ou ». Ou bien… ou bien… est également le titre d’un ouvrage de Kierkegaard [4], qui thématise le choix ; un choix que l’on fait, ou que l’on ne fait pas. Car c’est bien dans un entre-deux – la tension de l’éthique – qu’il faut penser les choses. Il ne s’agit plus de dire, en effet, dans une externalité, que le patient est obser-vant/non observant, mais bien : qu’est-ce qui peut se jouer dans l’interactivité de la relation soignant/soigné qui fasse que le sujet malade veuille bien prendre son traitement de façon satisfaisante, et que le médecin lui aussi ait envie de présenter le remède de la façon la plus satisfaisante ? Que l’on puisse instau-rer ou restaurer, surtout après l’annonce d’une maladie, une confiance en l’autre, une confiance en soi ? • C’est seulement dans cette instaura-

tion, ou plutôt cette restauration, que peut être la guérison. Et c’est là, seule-ment, que le pharmakon peut être pris dans sa polarité de remède, dans une dynamique positive. Un pharmakon, au demeurant, qui doit être entendu de façon beaucoup plus large que le sens commun du « comprimé » (si l’on ose dire, c’est le sens ici qui serait com-

primé !). Ne s’agit-il pas en premier lieu de notre parole de soignant, qui blesse ou, au contraire, qui guérit ? Et encore, ce n’est pas dans sa fonction de sub-stance en tant que telle, qu’il s’agisse du comprimé ou plus largement de véhicule, mais bien dans sa fonction de médiation, au sens originel de remise en ordre. En définitive, ce n’est plus la substance en tant que telle qui doit être prise en considération, mais bien la relation à la substance. Et c’est tout autre chose !

Déclaration d’intérêtL’auteur a déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt

en lien avec cet article.

Références[1] Bachelard G. La formation de l’esprit scienti-fique. Paris : Vrin, 1999.

[2] Foucault M. Naissance de la clinique. Collection Quadrige. Paris : Presses Universitaires de France (PUF), 2005.

[3] Canguilhem G. Le normal et le pathologique. 8e édition. Collection Quadrige. Paris : Presses Universitaires de France (PUF), 1999.

[4] Kierkegaard S. Ou bien… ou bien. Traduction de F. et O. Prior et M.-H. Guignot. Collection « Tel ». Paris : Gallimard, 1999.

Je voudrais conclure en disant qu’il

faudrait responsabiliser… ceux qui

disent qu’il faut responsabiliser les

patients, qui disent que les patients

doivent être responsables (l’orateur

aura soin d’appuyer son propos en

disant : « res-pon-sa-bles). Ou plutôt,

les aider à se responsabiliser, ceux-là

mêmes qui tiennent un tel discours.

Pour qu’ils tiennent un discours… plus

responsable.

Les aider donc, car après tout, ne

sommes-nous pas des médiateurs ?

Conclusion