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L’A NTHOLOGIE PERMANENTE DES LITTÉRATURES DE L IMAGINAIRE S OLARI S Science-fiction et fantastique N˚ 185 10 $ Orson Scott CARD Alain DUCHARME Martin HÉBERT Pierre GÉVART Olivier MÉNARD Yann QUERO Mario TESSIER

OLARIS...des États-Unis, j’ai nommé Orson Scott Card, auteur d’une œuvre abondante parmi laquelle on retrouve un authentique classique de la SF des années 1980, Ender’s Game(La

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L ’A N T H O L O G I E P E R M A N E N T ED E S L I T T É R AT U R E S D E L ’ I M A G I N A I R E

S O L A R I SS c i e n c e - f i c t i o n e t fa n t a s t i q u e

N˚ 185 10 $

Orson Scott CARD

Alain DUCHARME

Martin HÉBERT

Pierre GÉVART

Olivier MÉNARD

Yann QUERO

Mario TESSIER

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Solaris 185Hiver 2013 Vol. 38 n° 3

Montréalais d’origine,Guy England s’est fait connaître

du milieu de la SFFQ en illustrant plusieurs romans

de science-fiction et de fantasychez Alire, mais aussi nombre

de couvertures de Solaris. Depuis plus de quinze ans, Guy travaille comme artiste 2D et 3D et participe ainsi à la création de jeux vidéo

(notamment pour le WickedStudio). Actuellement artiste

senior chez Cyanide Montréal,Guy England n’a pas pour

autant abandonné son travail d’illustrateur.

Sommaire3 Éditorial

Joël Champetier

7 Le TricheurOrson Scott Card

27 Le Bandeau vert de monsieur HayashiYann Quero

37 UtukAlain Ducharme

53 ReconstitutionPierre Gévart

61 Hoveur draveOlivier Ménard

82 La Science-fiction et l’anthropologie :des récits entrecroisés - Partie 2 : Dupost-colonial au posthumainMartin Hébert

104 Les Carnets du FuturibleLa fin du monde est arrivée... encore unefois !Mario Tessier

121 Sci-némaChristian Sauvé

138 Les LittéranautesN. Spehner, É. Vonarburg

141 LecturesJ.-O. Allard, M. Arès, V. Bédard,P.-A. Côté, S. Chartrand, M. Fortin,J.-P. Laigle, M. Thisdale, É. Vonarburg

Illustrations

Bernard Duchesne : 8, 27, 37,53, 61

Suzanne Morel : 82, 104

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Rédacteur en chef : Joël Champetier

Éditeur : Jean Pettigrew

Direction littéraire : Joël Champetier, JeanPettigrew, Daniel Sernine et ÉlisabethVonarburg

Site Internet : www.revue-solaris.com

Webmestre : Christian Sauvé

Abonnements : voir formulaire en page 5

Coordonnatrice : Pascale [email protected](418) 837-2098

Trimestriel : ISSN 0709-8863Dépôt légal à la Bibliothèque nationale du QuébecDépôt légal à la Bibliothèque natio nale du Canada

© Solaris et les auteurs

Solaris est une revue publiée quatre fois parannée par les Publications bénévoles des litté -ratures de l’imaginaire du Québec inc. Fondéeen 1974 par Norbert Spehner, Solaris est lapremière revue de science-fiction et de fantastiqueen français en Amérique du Nord.

Solaris reçoit des subventions du Conseil desarts du Canada, du Conseil des arts et des lettresdu Québec et reconnaît l’aide financière accordéepar le gouvernement du Canada pour ses coûts deproduction et dépenses rédactionnelles par l’entre - mise du Fonds du Canada pour les magazines.

Toute reproduction est interdite à moins d’ententespécifique avec les auteurs et la rédaction. Lescollaborateurs sont respon sables de leurs opinionsqui ne reflètent pas nécessairement celles de larédaction.

Date d’impression : janvier 2013

Le Prix Solaris s’adresse aux auteurs de nouvelles canadiensqui écrivent en français, dans les domaines de lascience-fiction, du fantastique et de la fantasy

Dispositions générales Les textes doivent être inédits et avoirun maximum de 7 500 mots (45 000signes). Ces derniers doivent être envoyésen trois exemplaires (des copies car lesoriginaux ne seront pas rendus). Afin depréserver l’anonymat du processus desélection, ils ne doi vent pas être signésmais être identifiés sur une feuille à partportant le titre de la nouvelle ainsi quele nom et l’adresse complète de l’auteur,le tout glissé dans une enveloppe scellée.On n’accepte qu’un seul texte par auteur.

Les textes doivent parvenir à la rédactionde Solaris, au C.P. 85 070, Québec(Québec) G1C 0L2, et être iden tifiés surl’enveloppe par la mention « PrixSolaris ».

La date limite pour les envois est le15 mars 2013, le cachet de la poste fai-sant foi.

Le lauréat ou la lauréate recevra unebourse en argent de 1 000 $. L’œuvreprimée sera publiée dans Solaris en2013.

Les gagnants (première place) des prixSolaris des deux dernières années, ainsique les membres de la direction littérairede Solaris, ne sont pas admissibles.

Le jury, formé de spécialistes, sera réunipar la rédaction de Solaris. Il aura ledroit de ne pas accorder le prix si lapartici pation est trop faible ou si aucuneœuvre ne lui paraît digne de mérite. Laparticipation au concours signifie l’ac-ceptation du présent règlement.

Pour tout rensei gnement supplémentaire,contactez Pascale Raud, coordonnatricede la revue, au courriel suivant :

[email protected]

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Éditorial

Un numéro internationalFaisant suite à notre numéro thématique consacré à Isaac

Asimov, cette 185e édition de Solaris vous propose un sommairebeaucoup plus international et éclectique. Le volet des fictionss’ouvre avec la contribution d’un grand professionnel de la SFdes États-Unis, j’ai nommé Orson Scott Card, auteur d’une œuvreabondante parmi laquelle on retrouve un authentique classiquede la SF des années 1980, Ender’s Game (La Stratégie Ender).La nouvelle que nous a aimablement proposée le traducteur Pierre-Alexandre Sicart est située dans le même univers ; or, même si lalecture du roman et de ses suites est hautement conseillée, leprérequis n’est pas nécessaire pour apprécier cette histoire.

Bien qu’il habite en France, Yann Quero a situé sa nouvelleau Japon – quand je dis que ce numéro est international… Diffi -cile sinon de catégoriser avec précision cette histoire de rébellioncontre le conformisme de la société : science-fiction ? fable ?satire ? tout cela à la fois ? Peu importe : l’histoire m’a charmé etje ne doute pas qu’il en sera de même pour nos lecteurs et lectrices.

La contribution de notre second auteur français du numéroest elle aussi imprégnée d’un humanisme souriant, sur un sujetqui pourtant aurait pu être lourd : la maladie d’Alzeihmer. C’estun plaisir particulier d’accueillir dans nos pages Pierre Gévart,nul autre que le rédacteur en chef de notre consœur de France, larevue Galaxies.

Deux Québécois complètent le volet des fictions, avec destextes qui participent au même genre, la fantasy, mais qu’on nesaurait imaginer plus différents l’un de l’autre. Alain Ducharmenous convie à un bien étrange voyage initiatique, dans un universtout aussi étrange : un texte d’atmosphère déconcertant. La nou-velle d’Olivier Ménard est tout aussi déconcertante, mais dans unregistre totalement différent : une sorte de parodie de roman duterroir canayen mâtiné de steampunk. Attachez votre tuque avecde la broche !

Deux articles substantiels complètent le sommaire. MartinHébert est de retour avec la seconde partie de sa stimulante ré -flexion sur la science-fiction et l’anthropologie (la première

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partie, intitulée « Des origines aux livres-univers », a paru dansle numéro 183), tandis que Mario Tessier, notre fidèle futuribleen résidence, inquiété par la fameuse « prophétie » maya, s’inté-resse cette fois-ci à la Fin du monde. Ceci peut paraître un peufutile, je sais, au sein de ce numéro qui ne verra même pas le jour ;mais cette lecture profitera peut-être aux extraterrestres qui, dansun futur éloigné, exploreront les ruines de l’humanité !

À propos de quelques métamorphosesNos lecteurs de longue date s’en rappellent : c’est à l’automne

2000, soit lorsque Solaris a évolué du format magazine au for-mat livre actuel, que les numéros de la revue se sont prolongésvirtuellement grâce à un volet en ligne (gratuit et téléchargeable)dans lequel se retrouvaient, entre autres, des lectures supplémen-taires, des chro niques et, parfois, des articles et des reportages. Àl’automne 2010, quand Solaris a commencé à être disponible enformat numérique, la chronique « Sur les rayons de l’imaginaire »s’est ajoutée au volet en ligne. D’une certaine façon, ces pagesconstituaient une vitrine destinée aux internautes du monde entier.De plus, en raison de notre rythme de parution, cela nous per-mettait de coller un peu plus à l’actualité.

Bien évidemment, il nous était apparu normal, lorsque noslecteurs ont pu choisir entre la version traditionnelle de Solariset sa version numérique, de réunir dans cette dernière les deuxvolets. Il existe donc depuis ce temps (numéro 172) deux versionsde la revue. Imaginez le cauchemar des bibliographes du futur(humains, mécas ou extraterrestres) qui auront à décider quelle estla «  vraie  » version de Solaris pendant cette période troublée !Plus sérieu sement, nous pensons que nos lecteurs, en cette aubede 2013, seront heureux d’apprendre que nous avons décidé desimplifier notre offre et de revenir à une seule version, qu’ellesoit en papier, au format pdf ou, bientôt, au format epub.

Comme vous l’avez constaté en parcourant le sommaire duprésent numéro, la chronique « Sci-néma » demeure dans larevue. Pour ce qui est de « Lectures bis », « Écrits sur l’imagi-naire » et « Sur les rayons de l’imaginaire », ces chroniques serontdisponibles en tout temps au www.revue-solaris.com. Vous pourrezd’ailleurs y avoir accès beaucoup plus rapidement qu’avantpuisque nous n’aurons plus à attendre la sortie du volet en lignepour les rendre disponibles.

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Par ailleurs, notre demeure virtuelle subira, elle aussi, quelqueschangements au cours de l’année. Outre un remodelage du visuel,nous y ajouterons d’abord un blogue, qui permettra à nos chroni-queurs d’être encore plus près de l’actualité, puis une page transac -tionnelle. Cela fait quelques années que plusieurs d’entre vousveulent s’abonner directement en ligne de façon simple et sécu-ritaire ; sachez donc que ce sera possible au cours de l’année.

Quoi, dites-vous, cette année ? Alors que, dans l’édito dunuméro 180, l’éditeur Jean Pettigrew prédisait que ces changementsne se feraient qu’en 2014? Eh oui, c’est ainsi : tout est possibleaprès la fin du monde, même d’aller plus vite que les prévisionsles plus folles de notre éditeur !

Bref, en attendant le prochain numéro, un spécial fantastiqueurbain, je vous souhaite, au nom de toute l’équipe, une bonnelecture !

Joël CHAMPETIER

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Le Tricheurpar Orson Scott CARD

H an Tzu était brillant; en lui se concentraient tous les espoirsde sa famille. Il portait un moniteur incrusté à l’arrière ducrâne, au sommet de la nuque. Un jour, quand il était tout

petit, son père l’avait fait se tenir entre deux miroirs, dans la sallede bains. Une petite lumière rougeoyait à travers ses cheveux, etTzu en demanda la raison, car il n’avait jamais vu cette lumièresur d’autres enfants.

— Mais toi, tu es important, lui déclara son père. Grâce àtoi, notre famille va retrouver la place que les communistes luiont volée, voilà bien des années.

Tzu ne voyait pas très bien comment une petite lumière sursa nuque pourrait jamais rehausser le prestige de sa famille. Ilignorait aussi ce qu’était un communiste. Mais il se rappela lesmots de son père et, quand il apprit à lire, il se mit à chercher deshistoires sur les communistes ou la famille des Han, ou sur desenfants avec une lumière derrière la tête. Il n’en trouva aucune.

Son père jouait avec lui plusieurs fois par jour. Tzu granditau soleil des sourires de son père, entre ses mains aimantes,généreuses en câlins et en calottes affectueuses. Chaque fois

Bernard Duchesne

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qu’il apprenait quelque chose, son père le félicitait ; Tzu se donnadonc pour but de ne jamais laisser passer une journée sans trouverune information nouvelle à partager.

— Mon prénom s’épelle T-Z-U, remarqua-t-il un matin.Pourtant, il se prononce zi, Z-I. T-Z-U, c’est l’orthographeancienne, tirée de l’alphabet phonétique… « Wade-Giles  ». Lenouvel alphabet s’appelle « pinyin ».

— Bravo, mon petit Tzu, mon petit maître.— Et mon prénom peut aussi s’écrire d’une autre façon,

continua Tzu fièrement. Une façon plus ancienne encore, quiassociait à chaque mot sa propre lettre. Cet alphabet-là était trèsdifficile à apprendre, de même qu’à informatiser, alors le gou-vernement a converti en pinyin tous les livres et les documents.

— Tu es un petit garçon très intelligent, le félicita son père.— Alors maintenant, des parents donnent à leur enfant un

prénom en Wade-Giles par refus d’oublier la grandeur perdue dela Chine ancienne.

Le sourire de son père s’effaça.— Qui t’a raconté ça?— C’était dans le livre.Tzu craignait d’avoir, de quelque manière, déçu son père.— C’est… vrai, concéda celui-ci. La Chine a perdu sa gran -

deur. Mais un jour, elle la retrouvera, et le monde entier verrabien que nous sommes toujours l’Empire du Milieu. Et sais-tuqui rendra sa grandeur à la Chine?

— Qui donc, Père?— Mon fils, mon petit maître, Han Tzu.— Où la Chine a-t-elle perdu sa grandeur, que je puisse la

lui ramener?— La Chine était le centre du monde, commença son père.

Nous avons tout inventé. Mais les barbares des royaumes alen-tour nous ont volé nos idées, pour les transformer en armes terri-fiantes. Nous les laissions tranquilles, mais ils ne nous ont pasrendu la pareille : ils nous ont envahis ; ils ont brisé le pouvoir denos empereurs. Pourtant, la Chine résistait encore. Notre glorieuxancêtre, Yuan Shih-kai, était le plus grand général du dernier âgedes empereurs.

» Les empereurs étaient faibles; les révolutionnaires, très puis -sants. Ces empereurs étaient incapables de protéger la Chine ;c’est pourquoi Yuan Shih-kai a pris le contrôle du gouvernement.

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Il a prétendu coopérer avec Sun Yat-sen et ses révolutionnaires,puis il les a anéantis et s’est emparé du trône impérial. Il a fondéune nouvelle dynastie, mais des traîtres l’ont empoisonné, et ilest mort au moment même où les Japonais débarquaient.

» Le peuple de la Chine regretta bientôt d’avoir tué YuanShih-kai. D’abord, les Japonais nous envahirent dans un bain desang. Puis ce fut au tour des communistes de s’emparer du pou-voir ; ils le conservèrent pendant plus de cent ans, régnant commeles plus cruels des empereurs, s’enrichissant de l’esclavage detous les Chinois. Oh, comme ceux-ci auraient voulu ressusciterYuan Shih-kai, alors! Comme ils regrettèrent de l’avoir assassinéavant qu’il ait pu unir la Chine contre ses oppresseurs !

Une lueur s’était allumée dans les yeux de son père ; elleeffrayait un peu Tzu, mais l’excitait aussi.

— Pourquoi ont-ils empoisonné notre glorieux ancêtre,demanda-t-il, si la Chine avait besoin de lui ?

— Parce qu’ils désiraient la ruine de l’Empire du Milieu. Ilsvoulaient une Chine faible parmi les autres nations. Ils voulaientune Chine dominée par l’Amérique, par la Russie, par l’Inde,par le Japon. Mais la Chine finit toujours par digérer les barbareset par se relever, à jamais triomphante. N’oublie jamais ça.

Il toucha les tempes de Tzu.— L’espoir de la Chine est là.— Dans ma tête ?— Pour suivre les traces de notre ancêtre, il te faudra d’abord

devenir un grand général. C’est pour cette raison que tu as cemoniteur sur la nuque.

Tzu toucha la petite boîte noire.— Tous les grands généraux ont ce truc-là ?— Tu es sous surveillance. Ce moniteur te protège. Je t’ai

choisi la maman idéale pour te rendre très, très intelligent. Un jour,ils te feront passer un test. Ils sauront alors que le sang de YuanShih-kai coule bien dans tes veines.

Tzu était trop jeune pour savoir ce qu’était un «  test  » oupourquoi il aurait dans ses veines le sang de quelqu’un d’autre.Et ce n’était pas là ce qui l’intéressait.

— Où est Maman?— À l’université, bien sûr, où elle emploie son intelligence. Ta

mère est l’une des raisons pour lesquelles notre ville de Nanyanget notre province de Henan abritent aujourd’hui les meilleuresmanufactures de toute la Chine.

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NUMÉRIQUE

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J amais personne n’aurait cru que monsieur Hayashi puissedevenir l’homme le plus important du monde, surtout pas lui.Rien ne l’y destinait d’ailleurs.

Monsieur Hayashi, Hayashi-san, comme on dit au Japon, avaittout de l’extrême ordinaire : taille moyenne, visage peu expressif,costume d’une grisaille invisible. Le dos légèrement voûté dupassif de ses trente-sept ans de conformité, il arpentait son exis-tence anonyme entre un studio dans la lointaine banlieue tokyoïtede Machida et le siège social de la compagnie Yatohido, où ilexerçait l’obscure bien que respectable fonction de comptable-adjoint. Ses parents, âgés, s’étaient retirés plusieurs années au -paravant dans leur préfecture natale de Kochi, loin au sud, le

Le Bandeau vertde monsieur Hayashi

par Yann QUERO

Bernard Duchesne

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laissant seul dans une capitale peu souriante aux adultes plus trèsjeunes.

Rien dans le quotidien de monsieur Hayashi ne faisait résonnerl’antique signification de son nom: « forêts ». Il était au contrairedominé par l’artificialité de cette mégalopole de 26 millions d’ha -bitants, dont les plus lucides se demandaient parfois jusqu’à quelpoint ils étaient encore humains. Le quotidien de monsieur Ha yashiavait bien été bouleversé quelques semaines plus tôt par l’ar rivéeau service-courrier d’une secrétaire stagiaire, mademoiselle Mariko.Ses sourires, alliés à l’étymologie de son prénom traditionnel :« enfant de la vraie raison », avaient insufflé une goutte de sakédans la gourde précocement desséchée de son cœur, même s’il nenourrissait guère d’espoir sur la possibilité qu’elle le remarquâtplus que n’importe quel cadre intermédiaire, parmi les centainesque comptait la société Yatohido. Des rumeurs internes l’inci-taient d’ailleurs à la prudence, car elles laissaient entendre que lajeune femme pourrait être syndiquée.

Ce matin d’un frileux 13 février lui en apporta la preuve.Sous une bruine qui renâclait à devenir pluie, mademoiselle

Mariko se tenait fièrement devant la porte-tambour de l’entréeprincipale de l’entreprise, aux côtés d’une demi-douzaine de so -lides gaillards quasi-sumos. Une banderole tendue au-dessus de satête accusait la société Yatohido d’être impliquée dans un traficde déchets fortement toxiques et appelait à la grève. Comme tousles comptables consciencieux, monsieur Hayashi n’était guèredupe des activités de la firme. Reste que le monde était ainsi.Les journaux regorgeaient de témoignages attestant d’atteintesde plus en plus graves à la société et à l’environnement. Il n’enétait pas spécialement fier. Cependant, son culte pour la méticu-losité du labeur rendait l’idée même de protester virtuellementsacrilège.

Plusieurs employés l’avaient précédé vers la porte, la plupartse montrant indifférents au groupe de trublions. Seuls quelquesrares se laissaient enserrer le crâne.

Il est nécessaire ici de préciser, pour les éventuels lecteursnon-nippons, que les modalités des grèves dans l’ex-empire duSoleil levant diffèrent significativement de celles de l’Occident.Là où l’homme de l’Ouest va gesticuler avec véhémence, crierdes slogans tapageurs et manifester en foule hors de son lieu detravail, le Japonais préfère se passer silencieusement un bandeau

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Utukpar Alain DUCHARME

D ans la partie méridionale de la vallée d’Ur-Kalak, auxabords de la rivière du même nom, trônait Utuk, premièrecité du monde inachevé, gardienne du secret du cuivre.

Assis sur le toit de sa demeure, Satiam, vigile et premier ar -cher du Sanctuaire, contemplait les astres tapissant la moitié duciel nocturne. Il identifia d’abord la constellation du Gardien,qui marquait la frontière entre la partie étoilée et la partie obscuredu firmament, puis chercha celle, discrète, du Tombeau. Il ne sepermettait habituellement pas de relâcher ainsi sa surveillance.Une incursion des Crânes Brisés avait été brutalement repousséela nuit précédente ; les barbares éviteraient certainement la valléejusqu’à la fin des récoltes.

Satiam porta à ses lèvres sa coupe taillée dans une corne degazine et but la dernière gorgée d’hydromel qui s’y trouvait. Lafraîcheur de la nuit devenait déplaisante. S’activer lui permettrait

Bernard Duchesne

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de la combattre, à tout le moins de l’oublier. Il lui fallait de toutefaçon refaire ses réserves de flèches, réduites à néant la veille. Àla lueur de sa lampe, il ouvrit le sac contenant les pointes encuivre et sélectionna les plus régulières.

Tout autour de lui, des chuchotements inarticulés commen-taient et jugeaient chacune de ses actions. Comme pour tous leshabitants d’Utuk, la vie de Satiam était empoisonnée par sesancêtres. Le soleil finit par se lever sans qu’il n’ait pu bénéficierd’une seule minute de silence.

F

Le quatrième jour de son Grand ouvrage, le dieu créateurViiriel était mort d’épuisement, victime de son demi-frère Beli,qui chaque matin lui volait son repas. Le monde était demeuréinachevé. Ainsi, faute d’un Royaume des morts, les défunts setrouvaient condamnés à hanter les lieux où ils avaient vécu.

Pour les tribus de chasseurs des vallées avoisinantes, cela necausait guère de soucis. Nomades, elles déplaçaient leurs habi -tations rudimentaires en suivant les troupeaux. Leurs revenantspeinaient à les suivre et finissaient par se dissiper dans la naturelorsque l’abandon se prolongeait. Les habitants d’Utuk, eux, nepouvaient plus nier le prix à payer pour la protection de paroisen briques. Au fil des générations, les voix ancestrales étaientdevenues plus fortes, plus étouffantes.

F

Le Sanctuaire trônait au centre non seulement d’Utuk maisaussi de la vie spirituelle de ses habitants. De toutes les cons -tructions, c’était la seule où l’on ne pouvait toucher le plafond dubout des doigts. Une autre particularité contribuait à son éclat :on y accédait non pas par une ouverture dans le toit, mais par unportail décoré donnant sur le jardin sacré.

À l’intérieur, la Vicaire, les bras reposant sur les deux statuesd’onagre de part et d’autre de son siège, considérait la jeune gindreagenouillée devant elle.

— Aru, quel âge avais-tu lorsque ton père fut banni vers laPlaine du silence?

— Quatre ans, répondit-elle. Je me souviens à peine de lui.

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S O L A R I S 185 39

— Ton père possédait le don chamanique. Mon prédécesseurl’avait condamné pour avoir bravé l’interdiction de communieravec nos ancêtres. Maintenant que tu as eu tes premières saignées,deviendras-tu toi aussi chamane? Ressens-tu déjà le contact desesprits? Confesse-toi… À moins que tu ne préfères verser chacunede tes larmes afin de nous convaincre que tu n’as pas hérité dudon de ton géniteur ?

Terrorisée, Aru ne savait quelle parole lui éviterait d’êtrechâtiée. Son souffle s’accéléra.

— Je…Elle chercha ses mots. Les voix des esprits se faisaient si fortes

dans ses oreilles. Elle les sentait même se presser contre sa peau.Ils l’imploraient, insistaient, la menaçaient même. Ils désiraientqu’elle les canalise, devienne leur marionnette. Ils avaient si soifde ressentir à nouveau la chaleur de la vie. Aru vivait avec cettepression insoutenable depuis le solstice ; cela lui avait fait raterplus d’une fournée.

— Je m’en remets à votre merci, finit-elle par balbutier.La Vicaire ne répondit pas immédiatement, mais laissa les

chuchotements des esprits occuper le silence. La responsabilitéde cette ville pesait fort sur ses épaules, mais la Vicaire se devait depréserver un masque de confiance. Rien ne servait aux hommesde prier ; leur dieu était mort. Comblant cette absence, la Vicaireavait la charge de veiller sur la vie spirituelle des habitants d’Utuk.Finalement elle se leva, avança de quelques pas et se penchadoucement. Ses lèvres frôlaient les oreilles d’Aru, qui échoua àréprimer un sanglot de frayeur. Elle reprit la parole d’un légermurmure :

— Je vois bien que tu supportes le poids des esprits plusque quiconque. Tu fais bien de ne pas me mentir. Même si je tebannissais, nous continuerions d’étouffer sous la présence crois-sante des défunts. D’ici quelques générations, nous serons con -traints d’abandonner notre ville, de retourner vivre comme lesbarbares. Cherchons à échapper à cette fatalité. Ayons l’audacede braver les interdits. Tes pouvoirs doivent receler la clé qui nouspermettra de contenir les esprits. Je te gracie. Chaque matin,quand tu auras terminé tes galettes, tu viendras ici au Sanctuaire.Ensemble, nous développerons tes dons de chamane, nous lesexploiterons.

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Bernard Duchesne

À mon père

D’une certaine manière, nous sommes tous des reconstitués.

Certains plus que d’autres.Han-Ki-Chian

Jardin des souvenirs, juin 2053

H o regarda l’horloge, une fois encore. D’habitude, Flora étaitponctuelle. Son esprit fut traversé par des images d’accident,d’attentat, d’agression. Son cœur se mit à battre plus vite.

Il eut un geste de la main vers la boîte d’anti-stress, mais il y

Reconstitutionpar Pierre GÉVART

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renonça. Il devait apprendre à maîtriser ces poussées d’angoissequi le submergeaient dix fois par jour. À les maîtriser par le rai-sonnement, par la concentration, le contrôle de soi, la méditation.

Ne lui avait-elle pas rappelé, hier, qu’il avait lui-même étéun maître de méditation? Pour le moment, il fallait bien qu’il secontente de cela. Il ne lui déplaisait pas de faire partie de cettegénération particulière, insolite dans l’histoire de l’humanité…

Il ferma les yeux et s’efforça de se représenter exactement levisage de la jeune femme. Jeune était-il le mot qui convenait ?Pour lui sans doute, qui avait près du double de son âge. Mais pourelle, qui devait tout juste approcher de la cinquantaine, était-cebien le mot à employer?

Il se promit de lui poser la question. Puis, aussitôt, il se re -procha d’avoir eu cette idée, qu’il trouvait stupide. Cela ne pourraitque la mettre mal à l’aise, la chagriner peut-être. Et il ne voulaitsurtout pas la contrarier. Il jeta un regard encore plus inquietvers la pendule : pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé !

Il se rendit compte qu’il avait abandonné en chemin sonessai de se la représenter. Il y avait maintenant plusieurs moisqu’il avait franchi le stade de la représentation mentale d’objetssimples, et même, la semaine précédente, il avait presque exac-tement réussi à reconstituer le dessin d’un assemblage de formescomplexes. Mais un visage, c’était autre chose. La reconnaîtrequand elle s’asseyait devant lui, OK. Cela lui était maintenantredevenu familier. Mais quant à reconstituer son portrait de mé -moire ! Une peau brune, couleur chocolat au lait, des cheveuxnoirs, des yeux marron, un nez étroit d’Égyptienne, des lèvrescharnues. Les pièces du puzzle finissaient par s’assembler. Onaurait pu dire qu’elle avait du charme. Et peut-être même que celan’était pas tout à fait dénué d’importance pour rendre son travailencore plus efficace !

Enfin, le timbre de l’entrée retentit.Il se leva et se dirigea vers le vestibule, pestant intérieurement

contre cette arthrose qui gagnait chaque jour un peu plus de terrain.Comme il se devait, il vérifia sur l’écran. C’était bien madameFlora, et son visage était assez ressemblant, par rapport à l’idéequ’il s’en était faite en l’attendant. Il lui ouvrit la porte et allaitégalement ouvrir la bouche pour lui dire qu’il s’était inquiété àpropos de son retard, mais elle fut plus rapide et lui tendit, avec

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L a pétarade de la trentrentre retentit dans la forêt qui bordaitla rivière Ottouë. Les tourtes huppées eurent beau s’épar-piller dans le plus grand désordre, plusieurs d’entre elles

furent fauchées par la cendrée. Jozef Ferron savoura l’écho desballes d’aluminium qui libéraient chacune cent watts d’électricitésur leurs proies. Une dizaine de volatiles gisaient dans la neigeparmi les fougères séchées par le vent de ce printemps glacial.Le colosse les fourra dans son sac de jute et, avant de repartirvers le camp, tira sur le pompon ivoire de sa tuque. Celui-ci étaitattaché à un filin rétractable ; Jozef appuya sur un petit cercle delaine noir et devant ses yeux fut projetée une image ovale del’écran intégré à la devanture de son bonnet.

— Humidité extérieure : 40 %, y lut-il avec sa voix profonde.Température extérieure : -9 degrés ; pression sanguine : tout est

Hoveur dravepar Olivier MÉNARD

Bernard Duchesne

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beau ; oxygénation du sang, pas de problème ; température cor-porelle : 35 degrés… Ah! Me semblait aussi que j’avais frette.

Il appuya sur un petit triangle rouge au centre du pompon,remit celui-ci en place et la tuque se réchauffa. Satisfait, il em -prunta la piste qui menait au camp. Chemin faisant, il passa prèsde la rivière gelée et jeta un œil vers le nord pour s’assurerqu’aucun de ces maudits Anglaus n’était venu faire de la pros-pection sur son territoire.

Arrivé aux abords du camp, avant d’être en vue de la bordéede cabanes en bois rond, il s’arrêta face à un vieux poteau debois vermoulu et fendillé, sortit une carte à bande magnétique etla glissa dans l’une des fentes. Il y eut une stridulation à peineaudible et le paysage forestier devant le colosse ondoya briè -vement. Il fit deux pas en avant, se retourna et repassa sa cartedans une fente de l’autre côté du poteau; une diode verte s’allumaet le même phénomène se reproduisit, indiquant que le champ deforce entourant le camp était réactivé.

Satisfait, Jozef amena ses prises près du foyer à charbon aucentre du camp et les plaça dans un seau que le cuisinier récupé-rerait avant le souper. Il vit alors un jeune homme au visagerougi par l’effort, une pipe en bruyère à la bouche, s’entêter surune pièce mécanique du skiroue à vapeur.

— Encore en panne, Tiguy? s’enquit-il.Le jeune mécanicien se releva, en sueur, puis vint rejoindre le co -

losse près du feu en relevant ses lunettes à infrarouge sur son front.— J’arrive pas à le faire partir, Jo. La crinque pour allumer

les briquettes est correcte, pis j’ai pas détecté de fuites de chaleurautour du moteur à vapeur. C’est peut-être la pierre à silex quifait pas de flammèches. Faudrait la changer ou ben la buriner sion n’en a plus. C’est embêtant, parce que l’embâcle doit être àveille de céder, pis on sera pas prêts…

— Les nerfs, Monsieur Lemoyne, rétorqua gentiment Jozef.Les pitounes nous attendent sur le bord de la rivière, les can-touques rétractables sont affûtés pis tout le monde attend juste queça se passe. Le contremaître est censé passer d’ici quelques jours…

— T’es certain que les Anglaus ont pas mis la main dessus?Jozef leva un à un ses doigts devant son nez :— Un : il est armé jusqu’aux dents. Deux : il passe par le

sud. Trois : les Anglaus en ont plein les bras avec les sauvagesdu nord. Ils sont sur leur territoire, tu sais ben.

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A u fil de leurs histoires, l’anthropologie et la science-fiction ontconnu des périodes de grande proximité, de même que desmoments où le gouffre entre elles semblait désespérément

infranchissable. Le soi-disant « âge d’or » de la science-fiction re -présente l’une de ces périodes d’isolement relatif entre ces deux formesd’écriture. Alors que l’anthropologie classique se construisait, de -puis le début du XXe siècle, autour de la notion de relativisme cul-turel, autour de l’idée selon laquelle il n’y a pas de culture qui soiten elle-même supérieure aux autres, une certaine science-fiction des

La science-fiction et l’anthropologie :des récits entrecroisés 1

PARTIE 2

Du postcolonialau post-humain

par Martin HÉBERT

Suzanne Morel

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années cinquante et du début des années soixante continuait de glo-rifier la culture blanche, masculine et moderniste de la classe moyennedes pays du nord. Dans la première partie de ce texte2 j’ai déjà relevéquelques exceptions à ce constat. Frank Herbert s’est inspiré desacquis de l’écologie culturelle en faisant que la valeur et la richessed’une culture se comprennent par son lien avec le milieu naturelauquel elle est adaptée. Gene Rodenberry entretenait une doublevision marquée à la fois par une règle de respect et de non-ingérenceenvers les sociétés « primitives » (i. e. n’ayant pas encore développéle voyage à des vitesses supraluminiques),et par une vision plus cosmopolite pour lesespèces sorties de cet état primitif, appeléesà se joindre à une confédération regroupéeautour de valeurs «  universelles ». MaisDune (1965) et Star Trek (1966) sont desexemples tardifs déjà à moitié affranchis descanons de l’âge d’or, alors que d’autresrécits de SF de leur époque reflètent encorele profond ethnocentrisme de cette période.Dans le film Robinson Crusoé sur Mars(1964), pour choisir un exemple possibleparmi tant d’autres, le commandant ChrisDraper, naufragé sur mars, apprend queVen dredi, l’esclave originaire du systèmesolaire d’Al nilam qu’il vient de secourir, estcapable de parole : « Mon Dieu », s’exclamealors le commandant, « si tu peux faire dessons comme ceux-là, tu peux faire des sonsan glais. Vendredi, tu vas parler an glais mêmesi je dois passer deux mois assis sur ta poi-trine pour que tu y ar rives  ! » Il sembleraitque l’idée d’apprendre la langue de Vendredin’ait même pas effleuré l’esprit de l’astro-naute américain.

Dans le Robinson Crusoé original de Daniel Defoe (1719) lerapport de pouvoir entre les deux personnages est plus cru, reflétantle racisme de l’époque. Crusoé apprend à Vendredi à l’appelermaître avant même de lui enseigner à dire «  oui  » et «  non » enanglais. Mais une pensée commune est sous-jacente aux deux textes.Qu’il se trouve sur une île perdue de la mer des Caraïbes ou surMars, dans la littérature coloniale l’homme blanc, sa modernité etsa culture sont la pierre de touche avec laquelle les autres sontjugés.

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La fin du monde est arrivée…

encore une fois !par Mario TESSIER

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L’Apocalypse…Le Ragnarök…Le Jugement Dernier…Le Kali Yuga…La consommation des temps…L’Armageddon…Les derniers jours…Faites votre choix. La fin du monde tel que nous le connaissons

est arrivée… Encore une fois ! Le monde n’en finit plus de finir.Malheureusement pour vous, cette chronique n’est pas la dernière quevous lirez… Espérons – pour vous comme pour moi – que vous enlirez bien d’autres avant votre fin ultime.

Je pensais en avoir fini avec les prophéties millénaristes et autresnostradamusies… mais que nenni ! Sous prétexte de prétendues pré-dictions mayas, on nous menace encore des désastres habituels –impact de comète, peste virale, armageddon nucléaire terroriste, ettutti quanti – sans compter qu’il faut faire avec la venue de laParousie, qui se fait toujours attendre après l’an 2000.

Plus on vieillit, plus ces rengaines destinées à se faire peur lesveillées d’Halloween perdent leur intérêt. (Les sondages indiquentd’ailleurs que les plus âgés – plus de 50 ans – sont deux à trois foismoins nombreux que les plus jeunes – moins de 35 ans – à s’in-quiéter de telles sottises.) Tout cela est plutôt facétieux et ne porte-rait pas à conséquence si de jeunes esprits n’étaient pas alarmésinutilement par les peurs véhiculées par les médias d’information.En effet, des enfants et des adolescents sont effrayés par ces histoiresà dormir debout. Et ce n’est pas les médias en général et l’Internet enparticulier qui les rassurent. Certains vont même jusqu’à se suicider1.

Tant que la plaisanterie était limitée aux adultes, la farce étaitdrôle, mais là, ça devient tragique.

La fin du calendrier mayaTu sais de quel linceul le temps couvre les hommes ;

Tu sais que tôt ou tard, dans l’ombre de l’oubli,Siècles, peuples, héros, tout dort enseveli

Lamartine, « Souvenir d’enfance, ou la Vie cachée », 1832À l’origine des prédictions apocalyptiques entourant l’année

2012, se trouve l’interprétation du calendrier maya. Celui-ci comporteplusieurs cycles, dont la fin de la présente période, longue de 5125 ans,est censée marquer la fin définitive de ce calendrier, et par extension,de notre monde2.

Plusieurs prophètes du Nouvel Âge ont exploité la mythologiemaya pour tenter d’expliquer la teneur des cataclysmes cosmiques qui

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ENCADRÉ 2

La fin (vue) du Québec

Je me souviens… du futur.

La fin du monde n’est pas étrangère à la Belle Province, comme s’ensouviendront ceux qui, comme moi, ne sont pas étrangers à l’éducationreligieuse. En effet, il fut un temps où les révélations mariales du troisièmesecret de Fatima faisaient s’écrier nos ecclésiastiques, à l’instar du papePie XII : «  Pauvre Canada.  » Heureusement, les oracles de la Sainte-Vierge sont devenus plus rares aujourd’hui et ce sont maintenant lesauteurs de science-fiction qui se chargent des prédictions de malheur.

Sans doute, la première œuvre de SFFQ à traiter de la fin du mondeest-il le court roman – de seulement 108 pages – d’Emmanuel Desrosiers(1897-1945), La Fin de la Terre, publié en 1931. Inspiré par les fictionsde Verne et de Rosny aîné, il décrit la destruction du globe terrestre auXXVe siècle par divers cataclysmes géologiques, forçant les Terriens à fuirvers la planète Mars. Affaissement de la croûte terrestre, réveil du volca-nisme, raz-de-marée, etc., il s’agit d’un véritable roman-catastrophe.

Trente ans plus tard, l’apocalypse nucléaire entrait dans nos consciencesavec la crise des missiles de Cuba. Le recueil d’Yves Thériault (1915-1983), Si la bombe m’était contée (Montréal, Éditions du Jour, 1962)pousse la réflexion pour montrer ce qui se seraitpassé ici si la crise avait mal tourné. Thériault mé -nage ses effets et raconte les conséquences horriblesdes retombées atomiques. À l’époque, les auteurs,tous plus pessimistes les uns que les autres, ont offertdes histoires désespérées comme « L’Abri » (1962)de Jean Simard.

Dans un autre ordre d’idées, Maurice G. Danteca mis la table pour une fin du monde neurologiquedans son roman Métacortex (Albin Michel, 2010,808 p.).

(J’ai moi-même commis le cosmos-icide enannihilant l’univers entier – non, plutôt deux universentiers – dans ma nouvelle « Poussière de diamant »,publiée dans Solaris 151. Toutefois, j’aurais dûdétruire quelque chose de plus petit. C’est difficilede surenchérir par la suite…)

Au cinéma, le Québec a apporté, lui aussi, samodeste contribution aux désastres apocalyptiquesqui ont malmené le grand écran.Quintet (1979, Lion’s Gate Films, 119 min.)

Ce film de Robert Altman est sans conteste lemeilleur du lot. Dans un monde retourné à

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l’ère glaciaire – probablement sous l’effet d’un hiver nucléaire – levoyageur Essex (interprété par Paul Newman) et sa jeune femmeenceinte, traversent un désert enneigé pour arriver dans une métro-pole, autrefois populeuse mais où il ne reste plus que quelques cen-taines d’humains. Son épouse, portant l’un des rares enfants de laplanète, est assassinée lors d’un jeu, le Quintet. Essex la vengera en sedébarrassant des participants du jeu. Parmi les acteurs, citonsBrigitte Fossey, Bibi Andersson, Fernando Rey et Vittorio Gassman.Le film a été réalisé à Terre des Hommes, notamment aux pavillonsthématiques de L’Homme et l’univers, qui furent détruits peu aprèsle tournage6. Il s’agit d’un excellent film, un peu glacial dans sonapproche ; malheureusement difficile à trouver en DVD.

Le Jour d’après (The Day After Tomorrow,Centropolis Entertainment, 2004, 124 min.).Ce film, qui raconte une brutale, mais peucrédible, apocalypse environnementale, a lemérite d’avoir été tourné en très grande partieà Montréal. Les scènes hivernales où les pro-tagonistes sont confrontés au froid et à la glaceont, bien entendu, été enregistrées en inté-rieur, à la Cité du Cinéma, dans la plus belletradition hollywoodienne ! Il paraît que çaavait l’air plus réel… Je leur en souhaite destempêtes de neige bien réelles ! Ils verront ladifférence, à Los Angeles, quand il leur fau-dra pelleter de vrais bancs de neige.

Temps mort (2010, Productions Babel, 117 min.)Dans ce long-métrage québécois, les protago-nistes sont confrontés à une fin du monde inti-miste. Le 13 septembre 2013, deux amis quittentMontréal, alors que l’électricité se trouve coupée.Bientôt, il neige et l’hiver ne finit plus. (Le filmnon plus, d’ailleurs.)Finalement, citons le Festival Fantasia où de

nombreux courts-métrages d’ici ont, au fil des ans,sonné diverses apocalypses, qu’elles soient l’œuvrede zombies québécois, du diable, probablementcanadien, ou de sombres entités lovecraftiennes…natives du Saguenay.

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parChristian SAUVÉ

Blanche-Neige et les deux films

Périodiquement, Hollywood s’éprend d’un sujet et présente ensuccession rapide deux films tournant autour du même thème. Lesdoublons les plus familiers à Solaris incluent Leviathan/The Abyss(1989) Deep Impact/Armageddon (1998), Red Planet/Mission toMars (2000) et The Illusionist/The Prestige (2006). Mais plutôt quede pester contre le type de mentalité qui encourage de telles redon-dances, pourquoi ne pas en profiter pour comparer les différencesd’approche pour un même sujet ? En l’occurrence, la divergence detraitement du conte de Blanche-Neige dans Mirror, Mirror et SnowWhite and the Huntsman a de quoi illuminer plutôt que frustrer.

C’est sans doute Mirror, Mirror [Miroir, miroir] qui a pris lepari le plus risqué : réinterpréter Blanche-Neige à travers le prismed’une comédie fantaisiste loufoque, à mi-chemin entre la satirerévisionniste et l’ironie provocatrice. Julia Roberts, qui trône en tantque reine visant à éliminer la fille du roi disparu, mord dans sondialogue avec ses grandes dents. Lily Collins se veut plus conven-tionnelle comme Blanche-Neige, alors qu’Armie Hammer est tout àfait charmant dans le rôle dudit prince. Pour le reste, vous connaissezl’histoire : après que la reine ait ordonné son exécution, Blanche-Neige trouve rapidement refuge chez sept bandits de petite stature etcomplote pour retrouver sa place comme digne héritière du royaume.

Mais oubliez les acteurs, car ici c’est le réalisateur Tarsem Singhqui vole la vedette. Si Mirror, Mirror est sans doute son film le

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plus sobre visuellement, surtout après des envolées telles The Fallet Immortals, il n’en demeure pas moins que les images portent samarque : les costumes resplendissent, les décors donnent une atmos -phère particulière au film et les effets spéciaux sont bien employés.Mirror, Mirror regorge de trouvailles visuelles qui ont de quoiretenir l’attention, surtout quand elles renforcent le côté volontai -rement ridicule du film. La vérité est que Singh est passé maîtredans l’art de faire oublier les faiblesses d’un scénario en détournantl’attention du spectateur sur les images, et Mirror, Mirror est unautre exemple à l’appui de ce constat.

Mais ne soyons pas trop enthousiastes. Le film est sans doutetrès amusant pour les audiences plus jeunes, mais les spectateursplus exigeants risquent d’éprouver de plus en plus d’impatience aufur et à mesure de son déroulement. S’il est vrai que chaque planprésenté par Singh est unique, on reste incertain devant l’artificialitédes décors manifestement construits en studio. S’il est vrai queplusieurs gags sont réussis, on reste déçu de l’humour niais qui prévautpar ailleurs. S’il est indéniable que certaines entourloupettes narrativessont intéressantes, on reste insatisfait par les incohérences et par lefait que les personnages féminins sont faussement «  affranchis  ».Bref, les qualités réelles ne réussissent pas entièrement à compenserles failles, tout aussi réelles, d’un film qui nous fait rire à quelquesreprises, et qui nous éblouit souvent sur le plan visuel.

On espérait mieux de Snow White and the Huntsman [Blanche-Neige et le chasseur], une tentative beaucoup plus classique dereformuler le conte de Blanche-Neige pour le transformer en fantasyépique. Ici, Blanche-Neige devient une héroïne des forces rebelles

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luttant contre le règne de la reine maléfique, le tout conduisant àl’inévitable séquence de combat entre bonnes et mauvaises armées.Dans la vague cinématographique post-Lord of the Rings, on a vudes œuvres de fantasy aussi disparates que The Chronicles ofNarnia : The Lion, the Witch and the Wardrobe et Alice inWonderland être coulés dans le même moule narratif bons-contre-méchants. Le résultat a rarement été enthousiasmant, mais au moinscela répondait à certaines attentes d’un public désormais habitué àces nouveaux tropes hollywoodiens.

Mais pas dans ce cas-ci, et les raisons de l’insuccès de SnowWhite and the Huntsman sont nombreuses. Au nombre des aspectsvexants, notons les ruptures de ton du film. Par moments, nousnous retrouvons dans une morne et boueuse fantasy médiévale, àd’autres moments, on nous sert une séquence féerique sortie toutdroit d’un film animé de Disney. Pour ce qui est de la cohérence dumonde imaginaire, on entendra Blanche-Neige citer mot pour motune prière de la Bible, ceci au sein d’une incarnation païenne d’unroyaume où la magie est bien réelle. Même sur le plan strictementromantique, le film ne met place un triangle amoureux que quelquesminutes avant la fin, soit bien après que le spectateur ait perdu toutintérêt pour de telles choses. Et c’est sans compter sur des aspects quine trouvent aucune explication satisfaisante, tels que le fait que desacteurs de taille normale ont été numériquement manipulés pourincarner les sept nains. Snow White and the Huntsman est doncun film déconcertant à plusieurs niveaux, souvent confus, dont lesdéveloppements dramatiques laissent songeurs. Un film non seulementbrouillon (le discours soi-disant inspiré que Blanche-Neige fait auxtroupes rebelles est un chef-d’œuvre d’incohérence), mais aussiprofondément ennuyeux, car rien n’y a d’importance, et tout traînede plus en plus en longueur tandis que la confusion augmente.

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Yves MeynardChrysantheNew York, Tor Books, 496 pages

Notre bilingue Yves Meynard publianten anglais avant de publier en français,j’ai eu la joie de lire son nouveau ro -man avant tous les malheureux lecteursfrancophones. Mais votre plaisir n’ensera que plus grand d’avoir attendu!

Christine a douze ans, et vit uneexis tence quasi recluse dans la maisonde son tuteur, Oncle Matlin. Elle pleurela nuit. Un de ses jouets qui parle, unlapin nommé Tap Fullmoon, lui racontel’histoire de la princesse Christine. Laprincesse a perdu son père. Christineaussi – il n’est pas mort, il est justeparti, quand elle avait quatre ans. De samère, elle ne sait rien non plus. Elle nese souvient pas du tout de ses pre-mières années. Lorsqu’elle va enfin àl’école, Tap l’accompagne, invisible pourles autres. Mais petit à petit, elle leperd, ou il se perd : elle ne le voit plus.Se rendant compte à un moment donnéqu’elle ne peut plus le toucher, elle tombede sa chaise. Oncle alerté et inquiet l’em -mène à l’hôpital, où elle laisse échapperla raison de son malaise. Oncle décidealors de l’envoyer voir un psychologue,le docteur Almand. Celui-ci, un parallèlede Freud (son nom l’indique…) dans cemonde qui se révèle quelque peu paral-lèle au nôtre, décide de la psychanalyser,en lui rendant ses souvenirs.

Ce qu’il fait ainsi remonter, ce sontdes souvenirs abominables d’abus sexuelspar son père et les hommes auxquels illa livrait. L’insistance du docteur noussemble bien un peu étrange, mais toutceci s’inscrit dans des tropes modernes

familiers, et nous l’acceptons, commed’ailleurs Christine. Elle grandit, de plusen plus traumatisée de séance en séance.Un jour à dix-sept ans, elle se rendcompte qu’un jeune homme dans unevoiture rouge s’est arrêté pour la regar-der. Elle s’enfuit. Elle le revoit peu aprèset s’enferme chez Oncle. Mais une lettrearrive, signée d’un certain Quentin deLydiss qui l’appelle « Lady Christine »et lui donne un rendez-vous pour lanuit. Elle finit par s’y rendre. Le jeunehomme lui déclare qu’il est un chevalierde la Chrysanthe parti à sa recherche.Elle refuse de le croire, lui ordonne dela laisser tranquille ; il accepte en luidemandant de le convoquer lorsqu’ellesera prête : il est lié à elle par un sort,et la trouvera où qu’elle soit. Lors qu’ellerapporte, finalement, l’incident au docteurAlmand, celui-ci concocte de nouvellesthéories très convaincantes sur une secteocculte qui aurait été à l’origine des abussubis par Christine.

Mais le ver est dans le fruit (ou plu-tôt l’inverse, en l’occurrence) et Chris -tine, petit pas après petit pas, commenceà se libérer, et finit par appeler Quen tin,avec qui elle s’enfuit, avec une granderéticence, refusant toujours de croirequ’il dit la vérité – mais elle garde toutde même à l’esprit la maxime souventrépétée de son lapin imaginaire: « Espoiret foi, foi et espoir ».

Nous changeons alors de fil, et nousvoici avec un homme qui creuse dans laforêt : Evered, fils de roi, déterre un mort.Qui n’était pas mort, et qui était Ca -simir, un puissant magicien descendudans le monde des morts pour s’y ap -proprier la substance magique des Héros,

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fantasy qui se publient en français de -puis des années. L’imaginaire d’YvesMeynard est un des plus singuliers quej’aie rencontré dans ce genre (et j’en ailu beaucoup, de la fantasy, classique etmoderne), que ce soit dans ses grandeslignes – les mondes qu’il construit – oudans la myriade de détails tous plusfascinants les uns que les autres quinous aident à nous y projeter, à y rêveravec l’auteur.

Rassurez-vous : celui-ci est en traind’achever la traduction de son roman.À lire bientôt.

Élisabeth VONARBURG

Alix RenaudLa Femme avant ÈveQuébec, GID (Fiction), 2011, 176 p.

Même s’il est au Québec depuis 1968,Alix Renaud, qui a publié plus d’unevingtaine d’ouvrages ici et en France(poésie, romans, nouvelles et diction-naires spécialisés) n’est pas un pilier dela SFQ, mais pas un parfait inconnu nonpuisque Claude Janelle a présenté aumoins trois de ses ouvrages dans le nu -méro 57, ce qui ne nous ra jeunit pas…

Voici comment l’auteur introduit LaFemme avant Ève : « L’ouvrage que je

afin d’accroître son propre pouvoir. Onapprendra par la suite qu’Evered est lefils d’un roi détrôné par le roi présen -tement régnant, lui-même un Héros.Lors qu’un Héros apparaît en Chrysanthe,c’est parce que le roi en exercice est unmauvais roi, et il doit laisser la place etmourir. Le père d’Evered est mort. MaisEvered et les siens sont persuadés quele roi régnant est un imposteur, et unassassin.

Retour au premier fil : Mathellin (levéritable nom du gardien de Christine),cherche désespérément à récupérer saprisonnière. C’est cette poursuite et sespéripéties jusqu’en Chrysanthe qui cons -tituent l’épine dorsale de la narration,jusqu’à l’arrivée en Chrysanthe et laréunion de Christine avec son père.Qu’elle va fuir dès qu’elle le verra, tou-jours habitée par les images horriblesde ses anamnèses sous la férule dudocteur Almand. Elle en sait maintenantle mensonge, mais elle ne peut s’endébarrasser, et ne parvient toujours pasà croire vraiment à ce qu’elle vit, ce quiconstitue désormais la tension narrativedu roman, avec les efforts du magicienCasimir et d’Evered pour recapturerChristine et abattre son père.

Je n’en raconterai pas davantage.Les rebondissements, découvertes etrévélations jaillissent presque à chaquepage, que ce soit sur le monde où vitd’abord Christine, puis sur la Chry santheet sur le rapport entretenu par les deuxmondes, sur la magie propre à la Chry -santhe… Et jamais une concession auxclichés habituels de la fantasy. Oui, il ya une quête (celle de Quentin), maiselle réussit dès les premières pages ;oui, la princesse doit retrouver la Chry -santhe – mais elle la retrouve assezvite, et c’est là que les vrais problèmescommencent ! Et leur solution ne serani facile, ni heureuse pour tous. Oui, il ya de la magie, mais sa nature et sonfonctionnement n’ont rien à voir avecles ressassements auxquels nous onthélas habitués les tonnes de pseudo-

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présente aujourd’hui au lecteur – qu’ilsoit amateur d’anecdotes ou ferventd’ésotérisme – n’est pas autre choseque le résultat d’une réécriture : eneffet, la vieille légende de Lilith méritaitd’être rafraîchie. Il ne s’agit évidem-ment pas d’un thriller, mais d’une his-toire que je voulais belle : celle d’un âgemythique où les dieux savaient encoredéchoir, celle d’un amour charnel, doncsacré, que les religions n’avaient pasencore souillé. » Quand j’ai commencéà lire cette histoire, qui tient à la fois dela science-fiction et de la fantasy, dupoème en prose, de la mythologie et del’ésotérisme, je n’ai pas pu m’empêcherde penser à cet éditeur américain desannées soixante-dix qui, dans les pagesd’une revue de l’époque racontait ceci.Recevant des centaines de manuscrits,il en avait fait deux piles : ceux qu’il seréservait le droit de lire pour sélectionet publication éventuelle, et tous lesautres qui racontaient la même histoire :Adam et Ève sont des êtres créés dansun laboratoire que l’on nomme l’Éden,par des créatures extraterrestres venuesd’une lointaine planète.

Or c’est exactement de ça qu’ils’agit ici : des dieux, qui sont en fait desaliens venus du fin fond de l’espace,

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créent ces créatures étranges qui serontla race humaine. À une nuance près,l’histoire de Renaud est centrée sur lepersonnage de Lilith que l’on connaîtsoit comme démon succube tueused’enfants, comme femme fatale à lasensualité débridée, ou comme la pre-mière femme d’Adam.

Ceci dit, on est loin d’un space operaclassique. Le beau texte de Renaud tintplus du poème élégiaque en prose quedu roman d’action, car de l’action, àvrai dire, il y en a fort peu. Tout est dansle ton, dans les dialogues, dans cetteréécriture d’un mythe ancien, celui de lavraie première femme qui prend bruta-lement conscience de sa nature et netarde pas à se rebeller. Éprise de sonamant Lucifer, elle tient tête à l’or-gueilleux Yahvé et fera l’apprentissagedouloureux de la liberté. C’est aussil’histoire de nos premiers lointains an -cêtres et de leur création par des êtresvenus d’ailleurs.

Avant Renaud, Lilith a été chantée,célébrée ou damnée par des auteursaussi prestigieux que Rémy de Gour -mont (Lilith, 1892), George MacDonald(Lilith, 1895), John Erskine (Adam &Eve, 1927), David H. Keller (The Ho -monculus, 1949) – où elle est la sœurjumelle de Pan – avant d’être récupéréecomme femme fatale ou démon dansnombre d’histoires révisionnistes con -temporaines de vampires qui poussentl’audace jusqu’à en faire une fille deDracula (c.f. Marvel Comics).

Signalons en terminant que dans lecadre des Prix d’excellence des arts et dela culture, L’Institut Canadien de Québeca décerné le Prix de la personnalité lit -té raire de L’Institut Canadien de Québecà l’écrivain, poète, linguiste et journa-liste Alix Renaud pour son engagementet sa contribution dans le milieu litté-raire depuis plus de quarante ans. Cepour quoi nous le félicitons.

Norbert SPEHNER

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Jo WaltonAmong OthersNew York, Tor books, 2012, 304 p.

Le dernier roman de Jo Walton, auteuroriginaire du Pays de Galles mais Mont -réalaise d’adoption depuis douze ans,vient de se mériter le prestigieux prixHu go à la convention mondiale de Science-Fiction à Chicago en septembre dernier.Elle avait aussi gagné le prix John W.Campbell en 2002 pour la meilleurenouvelle auteure et le prix de la WorldFantasy en 2004 pour son roman de fan -tasy Tooth and Claw.

Pour ceux (oui, oui, je vous ai enten-dus) qui râlaient sur le fait qu’encoreune fois un ouvrage de fantasy se mé -rite un prix originellement « SF », jerépondrai que ce livre est un cas bienspécial : un roman de fantasy dont lesujet est la science-fiction. Celle-ci tientautant de place dans le récit que la fan-tasy, à mon sens.

Si Among Others ne va pas vousprendre aux tripes, c’est que vous avezeu une famille merveilleuse, une enfanceparfaite et que votre adolescence a étéune partie de plaisir. Vous ne vous êtesjamais senti à part des autres, différent,rejeté à cause de vos goûts étranges pourles livres « d’histoires qui se peuventpas ». La tristesse et la solitude d’êtreun fan (souvent sans même connaître lesens de ce mot) dans un monde résolu-ment « mundane » (normal, ordinaire,drabe…), ça n’a pas été votre lot. Voussortez tout droit d’une peinture de Nor -man Rockwell ; je suis bien contentepour vous.

L’auteure nous prévient d’embléeque son histoire n’est ni belle ni de lec-ture facile. Elle nous suggère de le lirecomme un témoignage. On y suit l’ado-lescence de Morwenna – Mori ou Morpour les proches. Mor a grandi au seind’une famille humble au pays de Galles,dans une région industrialisée sur ledéclin. Sa famille immédiate est on nepeut plus dysfonctionnelle. Le père al -coolique, terrorisé par son épouse folleet méchante, a quitté très tôt le foyeren laissant ses filles jumelles à la mercide leur mère.

Les deux fillettes, protégées tant bienque mal par leur parenté maternelle, ontpassé leur enfance dans les bois avoisi-nants, remplis des ruines d’un pro grèsqui n’a pas tenu ses promesses. Elles sesont occupées à des jeux, des histoireset des combats épiques auxquels sesont mêlées les fées locales, qu’elles

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soixante-dix est souvent désagréable.La vie de Mor est remplie de doutes, enparticulier sur la pertinence et le dangerde l’usage de la magie, de ses consé-quences. L’angoisse de l’adolescence yest décrite avec une grande justesse.L’auteur nous dépeint avec une authen-ticité remarquable la vie de tous lesjours d’une personne évoluant dans lemonde merveilleux de la douleur chro-nique. Personnellement, j’en ai été pro-fondément touchée.

Among Others est un hommage aupouvoir salvateur de l’imaginaire et dela lecture, la lecture de la SF tout parti-culièrement. Mais cela reste néanmoinsune œuvre sombre, inquiétante et triste.

Quand on questionne Jo Walton surle côté autobiographique de son livre,elle répond tout simplement : « All thebad stuff is real, all the good stuff ismade up. Except the books. The booksare real. » (« Toutes les mauvaises chosesy sont vraies, toutes les bonnes sontinventées. Sauf les livres. Les livres sontréels. ») Et elle précise que pour ce quiest des fées, elle se doute bien qu’onne la croira pas.

Il n’en reste pas moins que, si trou-blante soit son histoire, Madame Waltona amplement mérité sa statuette (enforme de fusée, en passant…). En ter-minant, notons que les éditions Denoëlvont publier son premier livre en fran-çais en 2013, une uchronie nomméeFarthing.

Valérie BÉDARD

Laurence SuhnerQuantika T.1 : VestigesNantes, L’Atalante (La dentelle du cygne),2012, 512 p.

L’essor de la SF francophone suisses’accélère depuis quelques années.Après la parution du premier roman deGeorges Panchard chez Laffont (For -teresse, 2005), on a vu arriver Vincent

peuvent voir et entendre même si dé -chiffrer leur langage sibyllin n’est paschose aisée.

Les petites se sont même essayées àla magie, sans en comprendre le fonc-tionnement ni la portée. Éventuellement,elles ont dû confronter leur mère, quine se gêne pas pour utiliser la dite magieà mauvais escient.

Après la mort de sa jumelle dans descirconstances tragiques, Mor, restée par -tiellement handicapée, réussit à s’enfuirde la maison maternelle et finit par re -trouver son père et, par la même oc -casion, ses tantes paternelles. Ces gens,inconnus d’elle, sont peu enthousiastesà l’idée d’avoir la charge de cette ado-lescente têtue et ignorante des bonnesmœurs de la bourgeoisie anglaise. Aus -sitôt arrivée, Mor est envoyée dans unepension pour filles, spécialisée dans lescompétitions de course sportive. Inutilede dire que Mor, boiteuse et souffrantde douleurs chroniques, aura beaucoupde temps libre et peu d’amies. L’ado -lescente se trouve une échappatoiredans la lecture, en particulier dans lesouvrages de SF qu’elle engouffre plusvite que l’éditeur de Solaris. De biblio-thèques en librairies, Mor trouvera-t-elle les réponses et les alliés dont ellea besoin pour survivre ? Car la jeunefille est guettée par quelque chose d’in-finiment plus dangereux que l’ennui etl’ex clusion…

La grande réussite de l’auteur est derendre la magie et les fées crédiblesdans le monde de tous les jours. On amême l’impression que, pourvu qu’onpossède un minimum de curiosité etqu’on y mette un peu du sien, on pour-rait nous aussi voir le petit peuple audétour du chemin.

Le récit rappelle tant de choses aulecteur de genre que ce dernier aura dela difficulté à déposer le livre. Les faitsrelatés sont crus et durs. La descriptionde l’univers d’un pensionnat anglaispour filles « biens » de la fin des années

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LE GRAND MAÎTREDE LA FANTASY HISTORIQUE

EST ENFIN DE RETOUR !FI

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PENDANT DEUX ANS, AU CŒUR DES MONTAGNES EN TOURANT LELAC KUALA NOR, SHEN TAI A ÉCOUTÉ LES VOIX DES FANTÔMESDES SOLDATS MORTS PENDANT LA VIOLENTE BATAILLE QUI S’ESTDÉROULÉE À CET ENDROIT…