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On a Raison de Se Revolter

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    Ph. Gavi, J.-P. SartreP. Victor

    On a raisonde se rvolter

    D I S C U S S I O N S

    Gallimard

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    Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationrservs pour tous les pays, y compris VU.R.S.S.

    Oditions Gallimard, 1974.

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    Pour la partie qui m'incombe,je ddie ces pages Hlne Lassithiotakis.

    J.-P. Sartre.

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    Une aventure qui commence uncertain jour, quifinit un autre, avec

    des penses qui ne sontpas toujoursles mmes.,,(Novembre 1972-mars 1974.)

    PHILIPPE GAVI : Les discussions ont commenc ennovembre 1972.Elles seterminent enmars 1974. Pen

    dant cette priode deprs d'un an et demi, bien deschoses se sont passes, bien des vnements ont eulieu. A la relecture du manuscrit, on s'aperoit quecertaines de nos ides ont chang, chang parce queconfrontes entre elles au cours de ces entretiens,chang aussi parce queconfrontes ce qui se passaitailleurs, Lip par exemple. Il est important que chacun d'entre nous fasse lepoint de son volution. Onpeut rappeler qu' Vorigine de ces discussions, il y aeu lanaissance duquotidien Libration, dumoins,'cen'tait qu'un projet enhiver 1972. Nous pensions quele journal devrait dmarrer le5 fvrier 1973; en ralit il admarr le 22 mai 1973. Ils'agissait de trou

    ver de l'argent, et nous pensions donc gagner avec ce

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    livre de l'argent qui irait dans les caisses de Libration. C'estpour cela que, personnellement, j'ai accept,

    Je prcise que, dans ce livre, je ne parle pas au nom del'quipe deLibration,pas plus que Sartre, Nous avons

    seulement t mandats pour exprimer nos points devue personnels. Tout l'argent ira au Journal qui en abien besoin. Certes, cela fait drle de voir trois personnes discuter ensemble et ensuite sortir un bouquin

    avec leurs noms sur la couverture, mais nous n'avonspas discut huis clos. Chacun avait sa *pratique , Etrien n'empche d'autres, beaucoup d'autres, dformer, eux aussi, des groupes de parole. Il faut prciseraussi que nous ne nous doutions pas que ces conversations nous prendraient tellement cur,

    JEAN-PAUL SARTRE :Je suis tout fait d'accord avec

    Gavi sur tout ce qu'il a dit; c'est--dire que c'est un deces cas frquents en politique o le hasard devient

    finalement la ralit avec un sens qui va dans la lignegnrale que l'on cherche. Par exemple, ici il y avaitun sens, qui tait Libration, qui tait le mouvement

    mao, et c'est a que nous avions voulu essayer d'ex

    primer dans les dialogues; puis peu peu, le sens deces dialogues s'est prcis. Finalement c'est parce quenous nous trouvions l, que nous avions une certainesympathie et une certaine manire de manier les problmes qui nous taient propres, que nous avons faitces entretiens. Ils apparaissaient donc absolumentcomme une contingence, comme un hasard. Et puis,petit petit, en fonction du journal qui se dveloppe,en fonction des vnements sociaux, on s'aperoit quecette entreprise simplement hasardeuse est en fait uneentreprise qui a un sens. Donc c'est la transformation

    du hasard en ncessit qui reprsente l'volution deces entretiens.

    Ce n'est pas ton avis, Victor?

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    PIERRE VICTOR : Tout fait. Moi je peux dire9 peut-tre plus nettement que vous, qu'au cours des entre

    tiens ma position a chang. Ce n'est pas simplementdes ides qui ont volu, mais c'est mme ma position :au dpart j'ai t, et vous m'avez pris comme un chefdu mouvement mao...

    SARTRE:Nous t'avons pris comme r venant ici commechef du mouvement mao ...

    VICTOR :Oui. Et puis la fin des entretiens, je ne suisplus tout fait unchef.En novembre 1972, quand oncommence nos entretiens, il y a derrire ce que je disle mouvement mao, qui a une trs riche exprienced'action rvolutionnaire et qui a dj une image assezencombrante; c'est assez normal que cette imageencombre tout particulirement le chef Dans toute la

    premire partie de nos entretiens, vous me provoquez... vous voulez vous placer constamment sur leslimites du mouvement mao, 'c'est d'ailleurs ce qui taitintressant, vous m'interpellez sur ce que le mouvement mao n 'apas fait, n 'a pas pu faire, n 'apas pensou a mal pens. En particulier, l'interpellation se

    concentre sur la question de la lutte contre les institutions idologiques, la question des minorits, des minorits sexuelles, et on peut dire que dans cette premirepartie des entretiens je suis constamment provoqu. Jepense que cette mthode-l dans nos entretiens a uneefficacit certaine. C'est un des premiers facteurs demon volution idologique. J'y insiste : il y a eu uneefficacit de V* entretien , la diffrence des dbatstraditionnels o on sort comme on est entr, o lesrles restent fixes. Ce n'est pas du tout le cas. Doncvoici pour le premier facteur : les entretiens me fontchanger d'ide parce que mes interlocuteurs mettentle doigt sur des faiblesses, sur des limites, qui pour

    raient tre corriges, ou qui ne le pourraient pas.

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    L'important c'est qu'elles soient mises en perspective,que l'on puisse voir au-del. Il y a eu un deuxime fac

    teur d'volution de cette position du chef politiquemao. Ce deuxime facteur, c'est l'volution du mouvement mao lui-mme* Ces entretiens s'talent sur unepriode o la contradiction entre l'organisation tellequ'elle est structure, donc la pense de l'organisation'et la ralit, s'accentue et va vers unpoint d'explosion.

    Autrement dit c'est une *mauvaise anne . Mais oncherche toujours la remise en question. Alors cettecontradiction entre l'organisation et le mouvementsocial, mme si elle conduit sur le moment avoir despositions fausses, finit par provoquer une explosion etun grand branlement de la pense dans son ensemble.

    L'volution de cette contradiction est unfacteur posi

    tif, au bout du compte. C'est le deuxime facteur demon volution. Le troisime facteur, je le situe en dernier, mais c'est le plus important : c'est Lip. Je parlede moi, parce que prcisment Lip va correspondre un changement dans ma position; en exposant mesides sur Lip, je me retrouverai en porte faux par

    rapport la pense et l'tat du mouvement mao telqu'il tait au moment de Lip, et je vais me retrouverdans une position personnelle d'une certaine manire...pas tout fait, parce qu'videmment il y aura encorel'autorit acquise dans l'exprience depuis cinq ans.

    L'vnement Lip, c'est le facteur le plus important. Ily avait certains aspects conservateurs de la pense

    marxiste traditionnelle dans mon esprit, que je n'avaispas russi remettre en question en Mai 1968; en particulier le gros, massif et redoutable concept d'organisation tel qu'il nous est lgu par les prtendushritiers du lninisme. Je n'avais pas russi leremettre vraiment en question en Mai. Tant que la

    classe ouvrire ne parle pas sur l'organisation, on

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    peut toujours tre tent de recourir un trs vieuxdiscours marxiste, trs conservateur, on peut prtendre

    que c'est un discours ouvrier, ce qu'il est en partie,Il a fallu cet vnement ouvrier, Lip, pour que je remetteen question certaines choses, trs profondes, sur l'or

    ganisation, donc sur la thorie et le pouvoir, je retombesur mes pieds : denc aussi sur ma position de chefC'est la conjugaison de ces trois facteurs qui provoque

    mon volution, du dbut des entretiens jusqu' la fin.SARTRE :Trs clair. Il faut maintenant que le lecteur

    soit en mesure de juger la profondeur de nos changements.

    VICTOR :Est-ce que vous avez chang?CAVI:Ces entretiens se sont drouls en deux temps :

    dans un premier temps, deux individus, Sartre et moi,

    interpellent le reprsentant d'une organisation dont onse sent proches, tout en restant trs critiques. A cemoment-l le mouvement mao existe, on l'interpellevidemment sur ce qu'il dit et fait, et on s'appesantit

    surtout sur ce qui nous spare : des une Mde LaCause du Peupleo il est dit :*La guillotine mais pour

    Touvier. Une absence totale de rflexion sur les contradictions au sein du peuple, le manque de transparencede l'organisation. Nous insistons beaucoup sur l'importance des luttes que vous considrez encore commemarginales ou dont vous ne saisissez pas le sens : luttedes femmes, des homosexuels... Nous attaquons votreconception de l'organisation. Sartre explique la nature

    de ses relations avec le P.C. et avec les maos.Dans un second temps, partir du printemps, deux

    choses ont fondamentalement chang :1) D'abord le mouvement mao pratiquement est

    deux doigts de ne plus exister comme tel. Il se dstructure, se dissout. Si bien qu'on se retrouve trois

    individus, chacun impliqu de manire diffrente et

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    commune en mme temps, dans le mouvement rvolutionnaire. Victor n'est plus reprsentant d'un mouve

    ment. Il apparat plutt comme un rescap. Nous parlons alors beaucoup moins des maos, beaucoup plusdu prsent et de l'avenir en fonction des vnementsqui surgissent au fil des jours.

    2) Ensuite, Libration parat et me voil investid'une responsabilit quotidienne...

    VICTOR : ...et du pouvoir...CAVI :...et du pouvoir, oui, c'est vrai, le journal est

    un instrument de pouvoir. Les rdacteurs, les fabricants, ceux qui font le journal crivent ce qu'ils voientse passer; ils ont videmment un pouvoir par rapport ce qui se passe, unpouvoir politique. Donc la situationest en quelque sorte inverse : au dbut des entretiens,

    c'est Victor qui par sa pratique quotidienne a plus depouvoir politique et vers la fin des entretiens, c'est lejournaliste de Libration. J'interpellais Victor. C'est

    Victor qui va m'interpeller. Sartre, toujours gal lui-mme, nous interpelle tous les deux et sans que sonnom apparaisse souvent dans le journal, joue cependant un rle trs important dans son volution car sescritiques se rpercutent doublement : travers Victor,sur les maos qui travaillent Libration et constituent la moiti de l'quipe. Et sur moi, journaliste deLibration. L'volution des maos, ou de Sartre, passe

    alors au second plan. Beaucoup de questions se posent nous concrtement au journal : rflchir sur le syndi

    calisme, rflchir sur les rapports de forces l'heureactuelle, sur l'union de la gauche; bref,je me retrouvedans la situation de devoir concrtiser notre rflexionsur l'organisation, l'autorit et4e socialisme. A l'heureactuelle, je pense qu'il n'y a pas de rvolution sans unrenversement simultan des rapports conomiques etdes rapports idologiques. C'est tout l'intrt et l'ap-

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    port de la rvolution culturelle chinoise. Anticapitalisteet anti-autoritaire, tel est le sens de notre dmarche

    aujourd'hui, et la ralit de ce qu'on appelle le gauchisme toujours la recherche de son identit propreaprs cinq annes de gestation. Au sein de la gauche,nous sommes minoritaires. Et nous avons les problmespropres toute minorit. Imaginons un jour un gouvernement de la gauche; bien videmment, nous seronsminoritaires par rapport cette gauche, et nousserons donc condamns avoir une position soit sui-viste, suiviste critique, mais suiviste quand mme, soittotalement provocatrice et aventuriste. Ou nous seronsdes

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    pas travaill idologiquement les classes moyennes,n'a pu les rallier avec des mesures conomiques tou

    jours inadquates; les classes moyennes ne peuventalors que se fasciser. Et Vaffrontement invitable seconclut soit par le fascisme soit par la bureaucratieautoritaire. Si nous ne voulons ni de fascisme, ni desocial-dmocratie, ni de la bureaucratie autoritaire,nous allons donc nous battre contre la droite, contrele capitalisme, l en faisant front commun avec la

    gauche, et puis contre la gauche pour renverser lesrapports de forces Vintrieur de la gauche, en yintroduisant la lutte contre la division du travail, lalutte contre la hirarchie, la lutte contre tous les rap

    ports autoritaires. C'est une lutte politique que nousengageons, pas des ides d'intellectuels lances en

    l'air. Elle aura des formes d'action qui lui serontpropres, des pratiques profondment dmocratiques,des espaces en voie de libration o la dmocratiedirecte et le contrle de tous sur tout s'inscrit concrtement dans la vie de tous les jours : communauts,tribunaux populaires, commissions d'enqute, occupations, presse parallle, lgitimit de l'illgalit, groupesde parole, rotation des tches, rseaux d'entraide. Eten chaque espace o nous prendrons un peu de pouvoiret ferons l'apprentissage de la dmocratie nouvelle,

    nous poserons la question du pouvoir dans sonensemble jusqu'au jour o nous investirons l'ensemble

    de l'espace au terme d'une suite d'affrontements aux

    quels nous nous serons aussi prpars.VICTOR :Toi, Sartre, qu'est-ce que tu as appris dans

    ces entretiens?SARTRE : J'ai rappris, si tu veux...VICTOR : Une rminiscence, quoi...SARTRE : Oui, rminiscence d'une thorie qui est

    mienne tout entire, la thorie de la libert; je pense

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    que chaque homme est libre. J'explique l'intrieurdes entretiens ce que je veux dire par l, et jusqu '

    1968, cette libert ne m'apparaissait pas trs clairement dans le domaine politique, a je dois le dire, etmes rapports avec le P.C. tentaient plutt m'endgoter qu' autre chose. Le P.C. et la libert, a neva pas ensemble.

    VICTOR : De l Les mains sales...

    SARTRE :De l Les mains sales;et maintenant je vois,je revois la possibilit de concevoir une lutte politiqueaxe sur la libert. C'est une chose trs importantepour moi de retrouver aujourd'hui ce que je pensais ily a vingt-cinq ans, de le retrouver par diffrentschemins bien bizarres, bien tourniquants, mais enfin jele retrouve et c'est ce que je dirai. J'ai parl de la

    libert au cours des entretiens, mais nous comptonsfaire une conclusion ces entretiens, et je dirai danscette conclusion le rle de la libert dans la pratiqueactuelle des organisations que nous avons crer.Donc pour moi, j'ai retrouv simplement la vrit raliste en me rapprochant du rel avec vous. a me

    parat assez important pour un intellectuel qui engnral ne connat plus la ralit, etj'ai constat avecplaisir que sur cette notion de libert nous n'tions pastellement diffrents, la fin. Je pense qu'au dbut nousl'avons t tout fait, mais la fin des entretiens nous

    sommes assez voisins sur cette question et a m'importe, au point que je vous dirai que pour moi le dia

    logue depuis le dbut jusqu ' la fin a t le dgagementde plus en plus prcis, de plus en plus progressif del'ide de libert; elle ne se voit pas toujours dans lesdiscussions, mais elle a prsid tout ce que j'ai dit,dans lefond, par sa renaissance et par sa prcision.J'ai eu avec toi, Victor, des entretiens sur la libert

    plus importants, malheureusement ils ne sont pas

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    publis ici. On ne peut pas dire que la libert n'ait paslieu autrement que par son absence dans les entretiens,

    sauf qu'elle est l'envers de tout ce quej'ai dit. Voil ce,que je puis affirmer. Dans la mesure o sous d'autresnoms que libert vous tes assez proches de moi, danscertains domaines, j'ai l'impression que vous tesassez frapps par ces ides de libert. C'est pourquoije proposerais mme, quoiqu'en n'y insistant pas pourqu'on le garde, le mot d' rEntretiens sur la libert ,

    si a avait t un tout petit peu plus explicite sur cettequestion. C'tait

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    stade de la minorit agissante et la classe ouvrire apris le relais de la petite bourgeoisie. Il y a un petit Lip

    dans la tte dplus en plus de gens, d rvolution desrapports de production, d aux affrontements...,, daussi aux ides qui ont t dveloppes depuis desannes dans le mouvement rvolutionnaire, mais marginalises. Ces ides ne sont pas nouvelles, mais ellesont une force nouvelle; elles ont t pendant longtempssoit le fait de groupuscules qui n'arrivaient pas assumer leur identit, et se groupuscularisaient encoreplus, ou se laissaient liquider, soit le propos de quelquesintellectuels qui n'avaient pas de rapports avec la ralit, qui taient coups de la ralit, dont on touffait lavoix, ou que la bourgeoisie utilisait; aujourd'hui elles

    prennent une ampleur nouvelle, et c'est pour a que je

    pense qu'on est arriv maintenant un troisimemoment du mouvement rvolutionnaire; aprs le mouvement religieux, aprs la religion marxiste, la libertest devenue une pratique quotidienne.

    SARTRE : / / reste conclure cette introduction.CAVI :Qu'est-ce que tu en penses?

    SARTRE :Si le lecteur veut vraiment comprendre celivre, il faut qu'il refasse avec nous le chemin qu'on afait depuis les premiers entretiens jusqu'aux derniers.Autrement dit, il ne s'agit pas de lire des expriencesde quelques personnes dans une le lointaine, dans uncontinent ignor, il s'agit de voir des gens qui sont lelecteur lui-mme; passer d'une sorte de ncessit de la

    lutte l'ide de forme libertaire en liaison avec lesluttes prsentes. Il s'agit de le faire, parce qu'en lisant,le lecteur se pntre de nous; c'est plusieurs thmes en

    prsence, et souvent en comptition qui ont lieu...qui sont trmits dans les entretiens, ce sont des courants d'ides en lui, et il faut qu'il le prenne comme a.

    Il faut qu'il soit l'ide que dfend Gavi, puis l'ide que

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    dfend Victor, puis Vide que je dfends. Il y a descourants qu'on peut avoir dans Vesprit qui sont

    contradictoires, et il faut qu'ilvoie dans quelle mesurenous nous rapprochons petit petit vers lafin. Autrement dit, il y a un travail et un temps utiliser pourlire un manuscrit. Il ne faut pas prendre n'importequelle page avec l'ide que c'est une page qui dit cequ'elle dit pour l'ternit. C'est une page qui dit cequ'elle dit mais qui peut tre rfute la page 150 ou

    la page 200; il faut donc vraiment lire a comme unetemporanit. C'est ce qui me parat le plus importantdans ces entretiens, et c'est videmment ce qui se passedans les conversations politiques ou philosophiques degens quelconques, qui veulent les avoir, eh bien ilss'installent sur les chaises, et puis ils parlent, et si c'est

    bien conduit, a peut les modifier, et a se saura dansleur dialogue et petit petit le dialogue prendra uneforme temporelle. Nous avons donc ici une forme temporelle, pas une forme crite avec un monsieur qui asupprim le temps, fait un ouvrage quelconque, dont ila les principes et les conclusions; mais l'ide est une

    forme qui se fait dans le temps. Le temps a comptenormment dans ce livre, le temps o nous commen

    ons en automne 72, le temps o nous finissons : entretemps, le Chili a t victime d'un coup d'tat; entretemps, il y a eu Lip et il y a eu bien d'autres chosesaussi, la guerre du Moyen-Orient, etc., et tout a nousa influencs, non pas que nous en parlions toujours

    mais on sent qu'on est influencs. Il faut donc, si nousvoulons absolument que le lecteur prenne ce livrecomme cette unit temporelle qu'il est, que nous pensions aux vnements qu'il y a derrire; il faut que lelecteur qui lit a voie les dates, et rflchisse en se

    disant, l le Chili a ne marchait pas, l il y avait laguerre au Moyen-Orient, sur tout cela ils ont d'ailleurs

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    des opinions diffrentes mais chacune de ces opinionsest dj plus ouverte que les opinions qu'ils avaient

    autrefois. Donc je conseille au lecteur de lire ce livrecomme quelque chose qui est un vnement, une aventure qui commence un certain jour, qui finit un autreavec des penses qui ne sont pas toujours les mmes Vintrieur du dveloppement temporel mais qui finissent par arriver la fin une pense cohrente qui,elle, demanderait ce moment-l tre dveloppe

    dans un

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    CHAPITRE I

    Compagnon de route

    du Parti Communiste

    J'avais affaire des hommes quine considraient comme camaradesque des gens de leur parti, qui taientbards de consignes et ainterdits,qui me jugeaient comme compagnonde route provisoire...

    SARTRE : Je pense qu'il faut commencer partir de36.A ce moment-l, je ne faisais pas de politique. Celasignifie que j'tais un intellectuel libral de cette Rpublique des professeurs comme on nommait parfoisla Rpublique Franaise. J'tais entirement favorableau Front Populaire, mais il ne me serait pas venu Tide de voter pour donner le sens d'une dcision mon opinion. C'est peu admissible, si on considre laquestion rationnellement. Mais, quand l'idologie s'effrite, il reste des croyances qui donnent des aspects

    magiques la pense : ce qui me restait encore, c'taitles principes de l'individualisme; je me sentais attirpar les foules quifaisaient le Front Populaire, mais jene comprenais pas vraiment que j'en faisais partie etque ma place tait au milieu d'elles : je me voyais ensolitaire. L'lment positif en cela c'tait une obscurerpugnance pour le suffrage universel, et l'ide vague

    qu'un vote ne pouvait jamais reprsenter la pense

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    concrte d'un homme. Je n'ai compris que beaucoupplus tard ce qui m'a toujours gn dans le suffrage

    universel : c'est qu'il ne pouvait servir qu' la dmocratie indirecte, qui est une duperie.Donc je suis rest inactif jusqu'en 39, me bornant

    crire, mais en parfaite sympathie avec les hommes dela gauche. La guerre m'a ouvert les yeux :j'avais vcula priode 1918-1939 comme l'aurore d'une paixdurable, et je voyais que c'tait en fait la prparation

    d'une nouvelle guerre. Quant au beau petit atome bienpropre que je croyais tre, des forces puissantes s'emparaient de lui, et l'envoyaient au front avec lesautres sans lui demander son avis. La dure de laguerre, et surtout celle de la captivit en Allemagne(dont je m'chappais en me faisant passer pour civil)furent l'occasion pour moi d'une plonge durable dansla foule, dont je croyais tre sorti, et que je n'avais enfait jamais quitte. La victoire des nazis m'avait boulevers et avait mis en droute toutes mes ides qui s'inspiraient encore du libralisme. En outre, un devoirpolitique tait venu nous chercher tous dans le camp deprisonniers : dj quelques individus, prisonniers

    comme nous, voulaient organiser pour aprs un fascisme franais; nous tions mis, ds cet instant, enface d'une ralit politique laquelle nous avions tou

    jours voulu chapper : il fallait combattre nos ennemisallemands et franais au nom de la dmocratie. Maiscelle que nous dfendions n'tait plus tout fait ladmocratie librale. Revenu Paris aprs neuf mois

    de captivit, je cherchais encore convaincu des pouvoirs souverains de l'individu constituer un groupede rsistance dont le nom, socialisme et libert ,marquait assez le souci principal, mais qui n'taitconstitu, comme beaucoup de petits groupes l'poque, que d'intellectuels petits-bourgeois. Nous nefmes gure de besogne : surtout des tracts. Quandl'U.R.S.S. entra en guerre, nous nous mmes recher-

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    Compagnon de route du Parti Communiste 25

    cher l'alliance avec des communistes. Un d'entre nousprit le contact avec eux la Facult encore les intel

    lectuels. Ceux-l s'adressrent de plus hautes instances du P.C. et rapportrent la rponse : Pasquestion de travailler avec eux : Sartre a t libr parles nazis pour se glisser dans les milieux rsistants,et les espionner au profit des Allemands. Cettedfiance des communistes nous cura, et nous fitmesurer notre impuissance. Nous nous dissolmes

    peu aprs, non sans que l'une de nous ft arrte parles Allemands; elle mourut en dportation. Dgot,

    je restai dix-huit mois sans rien faire, professeur aulyce Condorcet. Au bout de ce temps, je fus contact mon tour par d'anciens amis communistes qui meproposrent d'entrer au C.N.E. (Comit Nationald'crivains) qui rdigeait un journal clandestin Les

    Lettres Franaises, et je faisais le genre de travailqu'on peut attendre d'crivains soigneusement coupspar le P.C. des masses rsistantes et de la rsistancearme. C'est donc au dbut de 43 que commena mapremire entreprise commune avec le P.C. Je leurdemandai, au dpart, s'ils n'avaient pas peur de faireentrer au C.N.E. un espion libr par les nazis pourdonner les noms des rsistants. Ils rirent, dirent quec'tait un malentendu, et que tout allait s'arranger.Par le fait, il n'y eut plus aucun communiste - Parispour colporter des calomnies sur moi. En zone libre,cependant, les communistes faisaient circuler une listenoire d'crivains collaborateurs, parmi lesquels on

    avait fait figurer mon nom. Je me fchai, on m'assuraqu'il y avait eu erreur et que la liste ne reparatraitplus avec mon nom, ce qui eut lieu, je crois. De cettepremire entreprise faite avec les communistes, jegarde le souvenir de runions date fixe chez EdithThomas. Il n'y a pas grand-chose en dire, part lardaction des Lettres Franaises o je fis quelques

    articles, et que Paulhan dirigeait; nous ne fmes rien

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    de pratique. J'ai surtout gard le sentiment qu'onnous isolait. Ce fut surtout sensible pendant les

    combats de la Libration : beaucoup d'entre nousayant demand y prendre une part active, on nousaffecta la garde de la Comdie-Franaise qui, bienentendu, ne fut jamais attaque. On se battit pourtantpas nous, qui Ton assigna la fonction d'infirmiers aux alentours de la place du Thtre-Franais, unseul jour.

    Au lendemain de la Libration, le P.C. changeacompltement d'attitude envers moi :Les Lettres Fran

    aises m'attaqurent, ainsi qu'Action (moins violemment mais plus insidieusement). J'attribue cetterupture au fait que je commenais tre connu, en particulier comme auteur deVtre et le Nant, ce qui nepouvait que leur dplaire. Un des dirigeants me ditalors que je freinais le mouvement qui entranait les

    jeunes intellectuels vers le Parti. Ce fut un moment devritable confusion : c'tait l'poque o je pouvaistirer les conclusions de ce que m'avait appris la Rsistance qui, comme chacun sait, avait vir de plus enplus gauche, et qui, en ce moment mme, commenait

    tre dmantele par de Gaulle. Pour ma part, j'taisdevenu socialiste convaincu, mais anti-hirarchique et libertairec'est--dire pour la dmocratiedirecte. Je savais bien que mes objectifs n'taient pasceux du P.C., mais je pensais que nous aurions pufaire un bout de chemin ensemble. Cette rupturebrusque me dconcerta profondment.

    Et puis il y avait ma revue, Les Temps Modernes.Elle n'tait pas encore militante, mais je cherchais y mettre au point diffrents moyens d'enqute, permettant de montrer que tous les faits sociaux refltentgalement, quoique des niveaux diffrents, les structures de la socit o ils se sont produits, et que, cet gard, un fait divers est aussi significatif qu'unfait proprement politique au sens o on l'entendait

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    alors. Ce que je traduirais maintenant par ces mots :tout est politique, c'est--dire tout met en cause la

    socit dans son ensemble, et dbouche sur sa contestation'. C'est a, le point de dpart des Temps Modernes. videmment, cela supposait une prise deposition politique (pas au sens o il y a des partispolitiques, mais plutt celui o il fallait orienter cesenqutes), et j'avais laiss pour la formulation politique la plus entire libert Merleau-Ponty. Il avait

    pris une position qui tait celle de beaucoup de Franais, et qui consistait s'appuyer sur le P.S. et mmeparfois sur le M.R.P. ', en cette poque tripartiste,pour essayer de se rapprocher des communistes. Parexemple, il jugeait que les droits de l'Homme dansnotre rpublique bourgeoise, c'tait abstrait et vide,et il comptait sur l'attraction que le P.C. exerait sur

    les deux autres Partis pour obliger ceux-ci leur donner un contenu social. Personnellement je ne faisaispas grand-chose sur le plan politique, mais je l'approuvais.C'tait l'attitude de la revue vers 45-50. Le rsultat, c'est que les communistes, bien que dfiants l'gard de Merleau-Ponty, le traitaient mieux que moi.Seulement ce type de rapprochement tait vici labase, puisqu'il supposait le gouvernement tripartiste.Mais la premire brche a t faite lors de la vague degrves qui entrana la dmission du P.C. du gouvernement. A partir de l, le P.C. revenant dans l'opposition s'est durci, cependant que le P.S., par un mouvement inverse, est devenu somme toute la gauche de la

    droite, et les gens comme nous qui pensions contribuer rtablir un pont entre le P.C. et les partis de gouvernement se sont trouvs le derrire entre deux chaises.Notre position tait peu tenable. Merleau-Ponty, d'ailleurs, ne concevait de tendre la main au P.C. que s'iltait soutenu sur sa droite. Aprs la rupture, il y avait

    1. Mouvement des Rpublicains Populaires : parti charnire descombinaisons parlementaires de la IVeRpublique.

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    trois possibilits : se rapprocher du P.C., se rapprocher des partis P.S.-M.R.P. qui gouvernaient, aban

    donner la politique. D'autant que vers cette poque, ily a eu un premier casse-gueule srieux, je veux dire laguerre de Core... Merleau-Ponty a t trs secou, ilm'a dit : Les canons parlent, nous n'avons plus qu'la boucler. Il tenait pour vraies les informations desagences amricaines, avait pris ses distances avec leParti et choisi la seconde solution. Il ne cessa ds lors

    de s'loigner de nous. Moi, cependant, j'avais choisila premire : je mettais en doute les nouvelles qu'ilprenait au srieux. Surtout, je considrais l'poqueque le P.C. tait le reprsentant organique de la classeouvrire. De fait, il ne semblait y avoir que lui gauche;

    je ne me rendais pas compte que le centralisme dmocratique et la structure hirarchique de l'appareil du

    P.C. ne faisaient qu'un : mme s'il recueillait les voixet les adhsions des ouvriers, sa politique n'tait

    jamais dcide la base, mais en haut.Il fallait encore que le rapprochement avec le P.C.

    ft possible. Il ne voulait justement pas en entendreparler; c'est que, dans les annes prcdentes, j'avais

    adhr au R.D.R., rassemblement fond par Rousset.Merleau n'y est pas venu tout de suite, et n'y a adhrpar la suite que pour ne pas m'abandonner. Cela at ma premire dmarche politique, et je dois avouerqu'elle n'tait pas heureuse. Le Rassemblement ne voulait pas que ses adhrents fussent uniquement dessans-partis, il souhaitait que des communistes et des

    socialistes vinssent nous, sans cesser pour autantd'tre militants au P.C. ou au P.S. C'tait une grosseconnerie. Tant que nous n'tions, Merleau-Pontyet moi, qu'aux Temps Modernes revue lue par10000 personnes , nos critiques ne gnaient pas lescommunistes, elles avaient mme l'intrt de n'treinspires par aucun parti. Ils acceptaient mme par

    fois d'y rpondre. A partir du moment o nous prten-

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    dions, au R.D.R., recruter leurs militants (en acceptant, bien sr, qu'ils demeurent communistes, mais

    c'tait une simple clause de style), le P.C. se mit tirersur nous boulets rouges. Nous n'tions pas trs nombreux, peut-tre de 10000 20000. N'importe,c'tait un embryon de parti, on nous attaqua commetel. En fait le R.D.R. ne sortit jamais de cette premirephase. Nos ides taient fort vagues : en gros, il mesemble, c'tait une nouvelle version de cette troisime

    force que tant de gens voulaient crer en France. Nousvoulions tenter de pousser notre Gouvernement sejoindre d'autres Gouvernements europens, pourtenter d'tre une mdiation entre l'U.R.S.S. et lesU.S.A.

    VICTOR : Il y avait des ouvriers l-dedans?SARTRE : Quelques-uns. Pas beaucoup. Je les ai

    connus au Congrs qui a, plus tard, enterr le R.D.R.En vrit, tout a tourn trs mal au bout d'un an,quand nous avons constat que nous n'avions plusd'argent. Rousset a dit : il faut en demander aux syndicats amricains. Et il est parti en Amrique, d'oil est revenu en rapportant quelques sous, effectivement, et la demande de runir des gens de diffrentesnations Paris, en une sorte de discussion internationale, qui doublerait le Congrs du Mouvement de laPaix, d'inspiration communiste, qui venait de se tenir Paris. Cette discussion a eu lieu; on a surtout parlde la guerre qui allait venir. Non pour l'viter : pournumrer les moyens de la gagner. Les Amricains

    avaient envoy des anticommunistes bien connus, parexemple Sidney Hook. Des gens firent l'loge de labombe atomique. Merleau-Ponty, Richard Wright etmoi, comprenant qu'on nous avait eus, avons refusd'aller cette runion, et rclam la convocation d'urgence d'un Congrs quis'esttenu Paris, un mois plustard. Ce congrs a t trs violent : les gars, d'anciens

    communistes, des trotskystes, reprochaient Rousset

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    ses engagements pris aux U.S.A., et la runion pour lapaix en fait belliciste qui avait eu lieu. Le R.D.R.

    s'est dcompos. Il y avait une forte majorit qui voulait travailler avec les communistes, et une petite minorit pro-amricaine. On n'a plus parl de lui aprs ceCongrs.

    Pendant ce temps, je mditais sur ce que je ferais encas de conflit entre Amricains et Sovitiques. J'ai ditque le P.C. me paraissait reprsenter le proltariat. Il

    me paraissait impossible de n'tre pas du ct du proltariat, en tout tat de cause. Au reste, la rcente histoire du R.D.R. m'avait instruit. Un micro-organismequi avait des aspirations jouer le rle de mdiateur sedcomposait rapidement en deux groupes : l'un proamricain, l'autre pro-sovitique. Devant les menacesde guerre qui, vers 50-52, semblaient tous grandir de

    jour en jour, il me paraissait que ce seul choix taitpossible : U.S.A. ou U.R.S.S. Je choisis l'U.R.S.S.C'tait un choix domin par les problmes internationaux, mais surtout motiv par l'existence du P.C. quime semblait, comme tant de gens, exprimer les aspirations et les exigences du proltariat. Ce fut l'poquede la visite du gnral Ridgway Paris, de la manifestation violente que cette visite provoqua (manifestation P.C.), et de l'arrestation de Duclos. L'anticommunisme de notre gouvernement se manifesta l'occasion de l'affaire des pigeons-voyageurs. Mon indignation fut telle que j'crivis alors trois articles intituls Les communistes et la Paix qui parurent dans

    Les Temps Modernes, et o je me dclarais compagnon de route du P.C. Quand j'y pense aujourd'hui, jepense que je fus pouss les crire par la hainedu comportement bourgeois plus que par l'attirancequ'exerait sur moi le Parti. En tout cas, le pas taitsaut. Quelques temps plus tard, le Parti dlgua chezmoi Claude Roy, encore communiste, et un autre intel

    lectuel dont j'ai oubli le nom (ils vont toujours par

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    deux, comme les flics) pour me demander de me joindre un groupe d'intellectuels (communistes et non-

    communistes) qui demandaient l'largissement d'HenriMartin '; un jeune marin qui avait fait Toulon de lapropagande contre la guerre d'Indochine... J'acceptai; nous fmes nombreux participer la rdactiond'un livre qui donnait un compte rendu des activitsd'Henri Martin et des manuvres rpressives du Gouvernement. Je me chargeai de rdiger cette partie pol

    mique. D'une certaine manire, c'tait une critiquebourgeoise du Gouvernement bourgeois : je lui reprochais d'avoir viol la lgalit bourgeoise. Disons, sil'on veut, que c'tait l'acte de rupture d'un bourgeoisavec sa classe. Je vis Farge chez le docteur Dalsace, ilm'invita Vienne o devait se tenir le prochain Congrsdu Mouvement de la Paix. Je devenais compagnon de

    route des communistes, ce qui entrana de nouvellesruptures, en particulier avec la gauche librale (brouilleavec L'Observateur, avec Le Monde, etc.). Merleau-Ponty a quitt la revue, me laissant avec une nouvelletche, la tche politique, pour laquelle j'tais aid parune nouvelle quipe (Pju, Lanzmann, etc.) qui taitbeaucoup plus jeune, et qui souhaitait un rapport decompagnonnage critique avec le P.C. A ce moment-l(52), et jusqu'en 56, j'ai fait une nouvelle exprience,plus complte, du travail avec les communistes. La premire chose que j'ai note, c'est leur correction rigidepour observer les accords. Tu n'es pas du Parti, maistu es d'accord avec lui pour telle dmarche. a se passe

    comme si tu avais sign un contrat : tu t'engages faire quelque chose pour l'intrt commun, eux s'engagent t'aider le faireet ils le font dans la mesuredu possible. En mme temps, sur tous les autrespoints o tu n'es pas d'accord avec eux, il est entendu

    1. Militant communiste, arrt pour son opposition la guerre

    d'Indochine.

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    qu'ils ne t'attaqueront pas, et ils ne le font pas.VICTOR : Ils sont loyaux alors?

    SARTRE: Oui. Mais c'est une lourde machine. Il y a detemps en temps des bavures. Par exemple, pour l'affaire Henri Martin, nous avons demand qu'une dlgation, dont je faisais partie, soit reue par VincentAuriol, alors prsident de la Rpublique. Il rpond moi qu'il ne recevra pas la dlgation, mais qu'il veutbien me recevoir. Comme notre groupe tout entier tait

    engag par mon acceptation ou mon refus, je ne pouvais dcider seul. Je tlphone au docteur Dalsace, etlui demande de consulter de plus hautes instances duP.C. Il le fit, et me rappela peu aprs : il fallait que j'yaille. Mieux valait quelqu'un la Prsidence que personne. J'y vais donc, sans rsultat, comme tu penses.Et le lendemain je lis dans L}Humanit que Vincent

    Auriol n'avait pas reu des crivains et intellectuelshonntes, et qu'il avait prfr recevoir un personnagelouche (moi). J'ai reu des tas d'excuses. Les courroiesde transmission n'avaient pas fonctionn, etc. J'aiencaiss. De fait, ces bavures-l sont sans importance.Elles te montrent tout de mme que les militants, tantque dure leur contrat, conservent de toi l'opinion qu'onleur a donne prcdemment. Dans l'ensemble, ils lacachaient, c'est tout. Pour eux, j'tais une ordure,on m'utilisait pendant quelque temps, et, pendant cetemps-l, on n'en parlait pas. C'est ce qui rgissait mesrelations avec eux. D'abord ils n'acceptaient pas lecompagnonnage critique : pourquoi les aurais-je criti

    qus, puisqu'ils ne me critiquaient pas? Pour la mmeraison, nous n'avions aucun rapport avec les ouvrierscommunistes. Or, si tu te mets en rapport avec le plusgrand parti ouvrier de France, comme on disait cettepoque, c'est tout de mme que tu veux entrer encontact avec des ouvriers. Tu voyais des intellectuelscommunistes ou ce que j'appellerais des bourgeois

    communistes ou des responsables du Parti, des ou-

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    vriers rarement, ou alors tris sur le volet comme auCongrs de Vienne. Ces ouvriers-l, on leur avait donn

    de la mfiance envers nous. Ils commenaient en disant : moi qui ne suis pas un intellectuel, qui suis untravailleur manuel , etc., et continuaient un petit discours terriblement intellectuel! C'est l que j'ai commenc comprendre que cette division entre manuelset intellectuels, a n'avait pas grand sens, en dehors dupoint de vue professionnel, et qu'il fallait trouver des

    moyens pour qu'elle finisse par disparatre aussi dupoint de vue professionnel. La consquence de cettemfiance, c'est qu'on nous traitait en potiches. On nousasseyait sur des chaises, derrire une table, sur uneestrade. Nous y allions d'un petit discours, nous nousrasseyions, et c'tait tout. Ou alors, on signait un manifeste.

    VICTOR: Est-ce que le contrat tait toujours respect?SARTRE : Oui, part les bavures, toujours. Mais tu

    comprends, ce n'est pas l le problme. Bien sr, on neparlait pas de ce qui divise, mais de ce qui unit. Seulement, si tu vois ce que je veux dire, c'est le contraire dela rciprocit... Et j'entends bien qu'elle est toujours

    difficile entre un homme qui reprsente un parti, et unautre qui ne reprsente que lui-mme. Mais, chez eux,c'tait systmatique. Il y avait la dfiance, soit. Maispas seulement a : j'avais affaire des hommes qui neconsidraient comme camarades que des gens de leurparti, qui taient bards de consignes et d'interdits,qui me jugeaient comme compagnon de route provi

    soire, et qui se plaaient par avance au moment futuro je disparatrais de la mle, repris par les forces dedroite. Pour eux, je n'tais pas un homme partentire, j'tais un disparu en sursis. Aucune rciprocit n'est possible avec des types comme a. Ni de critique mutuelle, ce qui serait pourtant bien souhaitable.On ne me demandait rien de plus que ce que je m'tais

    engag faire, mais jamais il n'tait question d'un

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    accord qui aurait pu aller plus loin. Je parlais dans lesmeetings, oui. Et les gens qui m'coutaient pensaient :

    c'est Sartre, un ami du P.C. Mais il me revenait detous les cts que les militants dans les cellules pensaient m'utiliser, sans m'accepter.

    VICTOR : Tu tais un alli malodorant.SARTRE : Malodorant, c'est a.VICTOR : Est-ce que tu as continu crire ce que tu

    voulais?

    SARTRE : J'ai tch de le faire. J'ai voulu continuer,envers et contre tout, le rle de compagnon critique.J'ai crit contre Kanapa, dans Les Temps Modernes.Et aussi quand ils ont cass la gueule Lecur, quiavait quitt le Parti. Ou encore propos du livre deHerv qui avait fait beaucoup de bruit.

    VICTOR : Mais c'tait un beau salopard, Lecur.SARTRE: Peut-tre, mais je ne pense pas que ce soit un

    procd pour un parti ouvrier d'envoyer un commandocasser des gueules dans un meeting d'ouvriers.

    VICTOR : C'tait un meeting d'ouvriers que Lecurtenait?

    SARTRE : Oui. C'tait dans le Nord, il parlait des

    ouvriers du rassemblement socialiste. Remarque, cetiraillement est particulier au P.C. franais. J'ai rencontr des gens d'autres P.C., en Italie, par exemple.Le Parti italien est, au fond, assez dur, mais il est plusouvert. Ses membres gardent la possibilit d'avoir desamitis avec des non-communistes. A clipses d'ailleurs. Quand j'tais mal avec le P.C. franais, ils me

    disaient juste bonjour , en passant, quand ils merencontraient. Mais, ds que je me rapprochais du P.C.franais, je retrouvais mes amis italiens, qui avaientcertainement beaucoup de largeur d'ides. La veille del'intervention des troupes russes Budapest, j'ai passla soire Rome avec un communiste italien. Il taitdsespr, et nous avons pu parler sans contrainte,

    dans la rciprocit. Le P.C. franais, c'est trs parti-

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    culier. Il me parat trs grandement atteint par la maladie de la pense . C'est trs souvent une pense

    par analogie, ou, si tu veux, par amalgame. L'autrejour, la tl, Duclos a pris partie Lecanuet. Bon, leprogramme des rformateurs est mauvais : c'est doncle programme qu'il faut attaquer. Au lieu de a, il procdait par insinuations. Par exemple, il lui disait : Vous voulez tre ministre, bien sr. Moi, auditeur,

    j'ignore si Lecanuet veut tre ministre, et d'ailleurs je

    m'en moque. C'est son programme qui m'importe. Duclos n'en dit pas un mot. Par contre, il attaqueJ.-J. S.-S. qui n'est pas l pour rpondre, et, des fautesde J.-J. S.-S., il laisse entendre que Lecanuet son allid'aujourd'hui est responsable. Tout a, ce n'est pas dela pense, c'est si l'on veut de la rhtorique. Vousvoyez comment, partir des -peu-prs de cette pensebafouillante, on arrive tout naturellement la calomnie. De 45 52, la calomnie tait le procd le plusutilis par le P.C. Le plus bel exemple, c'est Nizan. Onsait qu'il a quitt le Parti en 39-40, aussitt onapprend qu'il est un tratre : preuve qu'il y en a un,Pluvinage l, dans un de ses romans. D'ailleurs, ilmargeait au ministre de l'Intrieur, on y avait vu sasignature (...d'un autre crivain, qui tait en effetsorti du Parti : il tait bien oblig de faire ce que laPolice voulait, il avait pous une putain qui avait ten carte ). Marty, il espionnait les rvolutionnaires dsl'poque de la mer Noire. On vivait dans une atmosphre empoisonne de penses qui ne rsistaient pas

    l'examen, mais qu'ils se gardaient bien d'examiner.C'tait putride, et l'on n'tait jamais sr qu'ilsn'taient pas en train de nous calomnier dans quelquecoin.

    (Novembre 1972.)

    1. Personnage du roman de Nizan :La Conspiration.

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    CHAPITRE II

    La paranoa dans les institutions

    L'institution devient sa propre fin,sa propre morale. Elle reprsentel'avenir. Elle est le devenir. Tout cequi s'oppose est ressenti comme une

    provocation, comme profondmentimmoral, puisque l'institution est la

    moralit...

    VICTOR : A travers ce que tu racontes, on voit bien quel point vous tiez domins par la pense politiquedu P.C. Or, ds la rsistance, tu essaies de penser lerapport : socialisme et libert; tu es port penser lestermes de la dmocratie directe, d'une nouvelle relation entre l'individu et le groupe. Donc, vous avez dequoi dfinir une pense diffrente, premire vue.Pourquoi donc cette incessante mdiation par le P.C.?Autrement dit : pourquoi ne cherchiez-vous pas lecontact direct avec les ouvriers?

    SARTRE : D'abord, cause des difficults qu'il y avait rencontrer des ouvriers en dehors du P.C. Tous les

    ouvriers n'taient pas communistes. Et il y avait peude trotskystes, dans les milieux que je frquentais.VICTOR : Au mme moment, il y a chez des ouvriers

    communistes ou influencs par le P.C. une opposition,confuse bien sr, l'orientation du P.C. N'y avait-ilpas la possibilit d'une jonction entre les intellectuelscritiques et certains ouvriers?

    SARTRE : Il aurait fallu que l'poque soit autre,

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    comme en 68 par exemple. Entre 45 et 50, la classeouvrire tait fascine par le P.C., le parti des hros,

    le parti des fusills. Et nous, a nous allait bien,puisque nous tions des intellectuels classiques. Nousn'tions pas ennemis des thories de Lnine dans Que

    faire? : la pense, c'tait notre boulot. Nous trouvionsnaturel que des militants professionnels fassentpenser la classe ouvrire. En sorte que le Parti noussemblait avoir dgag, resserr, systmatis la pense

    du proltariat. Tu sais que je pense le contraire aujourd'hui. Mais, l'poque, nous n'tions pas loin decroire que la pense du Parti, malgr certaines dviations, tait la pense mise en forme de la classe ouvrire. Je n'avais pas ni Merleau-Ponty ni d'autresavec moi compris qu'un appareil a la pense de sesstructures, et que les structures du Parti, ossifies,bureaucratises, fortement hirarchises, produiraientdes penses hirarchiques et bureaucratiques parfaitement opposes la pense populaire. Mais, puisquecelle-ci ne se revendiquait pas elle-mme, ne s'arrachait pas au collimateur du Parti, que pouvions-nousfaire? Il aurait fallu un mouvement la gauche duParti.

    VICTOR : N'y avait-il pas aussi l'ide d'une division naturelle entre intellectuels et ouvriers? Vous necritiquiez pas la division du travail, de ce point de vue?

    SARTRE : Je pense qu'il y avait de a, qu'on n'avaitpas assez rflchi l-dessus. Ou plutt, je te dirai quela situation de l'immdiat aprs-guerre ne permettait

    pas d'y rflchir, mais que c'est a mon volution, etcelle de beaucoup d'autres. On a mis prs de trente ans comprendre. A l'poque, le Parti, seul gauche,faisait fonction la fois de mouvement de gauche et,en apparence, de mouvement gauchiste. Voil comment

    j'ai envisag les choses jusqu' Budapest. A ce moment-l, j'ai rompu avec mes amis d'Union Sovitique

    et avec le P.C. franais. Mais pas pour les raisons

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    qu'on vient de dire. En gros, j'ai cru vers 50-52 queTUnion Sovitique voulait sincrement la paix. Et puis

    en 56, j'ai compris qu'ils avaient soumis militairementet continuaient de soumettre les pays d'Europe centrale, politiquement et conomiquement. Cette dictature imprialiste n'avait rien de commun avec les relations normales des pays socialistes entre eux. Tu vois,il y avait peu de rapports entre cela, et la situationintrieure franaise. Plus tard, je me suis un peu rap

    proch du P.CF. cause de la guerre d'Algrie, maisa n'a jamais bien march. Je suis retourn plusieursfois en U.R.S.S. pourtant. Et puis, aprs l'invasion dela Tchcoslovaquie, ce fut la rupture dfinitive. J'aifini par comprendre deux choses qui sont troitementlies : la maladie de la pense dans le Parti, a pouvaits'appeler manichisme ou paranoa; d'autre part,

    l'attitude du Parti pendant la guerre d'Algrie, aumoment du coup d'tat de de Gaulle, et plus tard sousle rgne gaulliste et en Mai 68, m'a prouv que ceparti rvolutionnaire tait bien dcid ne pas faire larvolution. Ma rupture avec le P.C. a t dfinitive en68,d'abord cause de son attitude en Mai, et puis lorsde l'entre des troupes sovitiques en Tchcoslovaquie.Notez que cette paranoa n'existe sous cette formevirulente que dans le communisme franais. Je ne l'aipas rencontre dans le P.C. italien. Cela tient, je pense, ce que le P.C.I. est entr tout de suite dans la clandestinit, et que beaucoup de ses membres totalisent eux tous un nombre impressionnant d'annes de pri

    son. Dans la clandestinit, ils n'avaient que peu derapports avec les Russes. Ils se sont constitus avanttout comme les membres d'un parti clandestin, quiluttait contre la dictature en son pays. Pendant toutela priode du fascisme, l'volution du P.C.I. a t radicalement autre que celle du P.C.F. Ils ont commencpar l'exprience d'une rvolution rate. Ensuite celle

    de la clandestinit et de la prison. Toutes expriences

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    La paranoa dans les institutions 39

    qui ont manqu sauf entre 39 et 45 au PartiCommuniste franais.

    CAVI : Le fascisme de Mussolini avait une base populaire. Le mouvement fasciste n'a-t-il pas attir unefoule de gens qui, en d'autres circonstances, seraientrentrs dans le mouvement communiste?

    SARTRE : Srement. De mme, le mouvement nazi.CAVI : Seulement, en France, nous n'avons pas eu

    le dveloppement d'un mouvement fasciste de telle

    ampleur.SARTRE : Sans doute. Et la paranoa me parat cor

    respondre davantage au dveloppement d'un partisouvent ha, mais non clandestin. Les militants duParti sont, en effet, entours de toute part par desgens qui ne sont pas des militants du Parti. Ils sontperptuellement isols les uns des autres, spars parla foule. Pour maintenir la duret du Parti, en l'absence de contacts rels, il faut se durcir encore,repousser a priori tous les autres, n'avoir confianceque dans le Parti. On dveloppe en eux des ides frustesd'orgueil et de perscution qui conduisent justement la paranoa. On a cr ainsi un certain type de mili

    tant communiste, bard de consignes et d'interdits,colportant des'histoires manichistes et ingnues, qued'autres communistes leur ont racontes. On ne peutmme pas dire que ce type-l ment; ou plutt, il ment,mais il croit ce qu'il dit.

    VICTOR : Prenons un exemple actuel de la paranoadu P.C. : son attitude lors de l'assassinat de Pierre

    Overney. L'assassinat fait partie d'un complot commundes gauchistes et du pouvoir. Un an auparavant, leP.C., propos de la grve des O.S. au Mans, disait dela spontanit ouvrire qu'elle tait un complot. Lefond de l'affaire, de la paranoa, n'est-il pas chercherde ce ct : la pense ouvrire, c'est la pense du P.C.Toute pense ouvrire autre, spontane , ou gau

    chiste , est ncessairement pense dirige contre le

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    P.C., fabrique pour s'opposer au P.C. : un complot.Ce que le P.C. rejette, par le moyen de sa paranoa,

    c'est l'ide que les ouvriers produisent une penseautonome. Une question, Sartre : au fond, vous, lescompagnons de route, n'adoptiez-vous pas le mmepostulat : les ouvriers ne pensent pas?

    SARTRE : Non. Et au dpart, c'est une des ides quim'ont le plus choqu dans le Parti : l'ide que des militants professionnels doivent former la pense des

    ouvriers, parce que les masses spontanment arriveraient peine concevoir un rformisme. Cela supposait une conception enfantine de la pense, quis'opposait parfaitement la mienne, selon laquelle pnpense avec les mains, avec l'il. La pense est unmoment de la praxis, et les spcialistes de la pense(militants professionnels) ne peuvent que l'en dtacher,l'abstraire, et la transformer en idologie du proltariat. Mais tu as certainement raison en partie. Effectivement, d'une autre faon, nous tions tents deprendre l'idologie du P.C. pour la pense ouvrire,parce que, l'poque, en 50-55, il n'y en avait pasd'autre.

    VICTOR : Mais si; il y avait une pense ouvrire autonome, l'tat latent, trs disperse.SARTRE : Comment l'aurions-nous su? Il aurait fallu

    que nous soyons dj un groupe d'intellectuels, d'ouvriers, d'hommes politiques...

    VICTOR : Au dpart, nous tions bien un petit grouped'intellectuels.

    SARTRE : Vous tiez dans une autre situation. Turcris l'histoire, si tu supposes que l'on aurait pu en50, penser comme en 68. En 68, il y avait eu la Rvolution culturelle chinoise. D'autre part, ici, il y avait legaullisme, dont la population commenait avoirnettement assez, et que le P.C., assez sottement, sedbrouillait pour soutenir indirectement. Il y avait,depuis 65, un violent malaise tudiant. Dans notre cas,

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    on ne demandait qu'une chose, je te l'ai dit, c'tait serapprocher des ouvriers, sans intermdiaire. Mais, si

    tu crois que c'tait possible, tu ne comprends pas lasituation, ni ce qu'tait le P.C. l'poque. C'tait troptt. T'es-tu demand pourquoi des gens qui taientgauchistes dans le P.C., et qui taient exclus pour uneattitude de gauchiste, on les retrouvait ensuite droitedu P.C., au P.S. ou pis? Parce qu'il n'y avait rien gauche du P.C. A l'poque, la situation tait bloque.

    La classe ouvrire tait en reflux, jusque vers 65, etle P.C. se durcissait et se bloquait. Nous avions le sentiment d'assister une dfaite de la classe ouvrireet du P.C.

    VICTOR : Bien. Alors en quoi la pense du P.C. a agisur ta propre pense?

    SARTRE : Elle m'a fait rtudier le marxisme. La pense marxiste n'est pas absente du P.C., mme si elleest dvie. Les communistes enseignent un certainmarxisme : quand ils parlent de la valeur d'usage, dela valeur marchande, ou de la plus-value, ce qu'ilsdisent est peu prs exact. J'ai commenc sortirde ma nvrose propre qui consistait faire mon salut

    par l'criture. Ils m'ont appris qu'crire tait unefonction comme une autre. Du coup, j'ai commenc crire Les Mots, o j'essaie de dire a noir surblanc : un intellectuel classiqueje l'tais encore met dans un livre tout ce qu'il apprend.

    Revenons la paranoa. Pourquoi est-ce une ncessit du Parti que de ragir tout vnement, ou

    toute squence historique, par des penses de paranoaque? Pourquoi fallait-il pour le P.C. que des forcesimprialistes soient entres Budapest, alors qu'onn'en a pas pu trouver? Pourquoi, Prague, ont-ilscach des armes Karlovy-Vary, qu'ils ont, bienentendu, dcouvertes ensuite, et qu'ils ont dit avoir tdposes l par des ressortissants de l'Allemagne de

    l'Ouest. Pourquoi, dans les deux cas, n'ont-ils pas pu

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    reconnatre tout simplement que les ouvriers et lesintellectuels ne pouvaient plus supporter la situation,

    et qu'il fallait la transformer? D'autant que c'est cequ'ils ont fait en Hongrie, aprs que Kadar eut pris lepouvoir. Y avez-vous rflchi?

    GAVI : Et pourquoi retrouve-t-on cette paranoa dans la plupart des institutions? L'glise, par exemple.Quoi de plus paranoaque que l'Inquisition?

    SARTRE : Oui. Mais il n'y a plus d'Inquisition aujour

    d'hui, et l'glise renferme plus d'un mouvementcontestataire. Le P.C. lui, existe depuis un peu plus decinquante ans : c'est un parti encore trs jeune. Onpeut facilement remonter ses origines. Or, il semblebien que les P.C. nationaux sont apparus dans diffrents pays, et, par exemple, en France pour faire avaler aux masses rvolutionnaires le fait vrai ou faux,nous en reparlerons que la rvolution n'tait paspour demain. Autrement dit, le P.C.F. n'est pas unparti rvolutionnaire. C'est un parti qui fait prendrepatience, parce que la rvolution est diffre selonlui, sine die. Quand donc le Parti franais a-t-il dit :allez-y, les gars, on la fait? Jamais. Il disait : elle est

    faite en U.R.S.S., voyez comme c'est beau l-bas. C'esttout. Le seul qui ait dclar dans un meeting : nousverrons le socialisme de nos yeux , c'tait Lecur.On sait ce qui lui est arriv. Effectivement les P.C. sesont constitus aprs la guerre de 14, dans unepriode de reflux de la classe ouvrire. En France, parexemple, la Rvolution telle que le Parti la concevait

    n'tait pas possible dans les annes de l'aprs-guerre.Et puis, c'tait les annes o commenait le conflitStaline-Trotsky. Staline disait : La Rvolution sefera dans un seul pays. Cela voulait dire quel'U.R.S.S. se servirait des proltariats occidentaux,mais ne se compromettrait pas en les aidant renverser les rgimes bourgeois. Pour Trotsky, au contraire,

    la Rvolution devait se faire partout. L'U.R.S.S. ne

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    pouvait tenir qu'en aidant les proltariats trangers.C'est Trotsky qui a perdu. Cela conduit doncmettons

    le P.CF. une drle de situation : on doit dire enmme temps : a notre seul but est la Rvolution, parceque d'elle seule peut natre la socit sans classe et la Rvolution ne peut pas se faire pour l'instant, nidans un avenir prvisible . D'un ct, ils rejettent lesrformistes : si les rformes russissaient, elles rendraient la socit plus supportable, sans toucher aux

    problmes de fond. Pour eux, la socit capitaliste estun enfer, dont on ne peut sortir qu'en la dtruisant.De la thorie de la pauprisation absolue, qui est uneide absurde, il suffit, pour voir sa niaiserie, de comparer le mode de vie des ouvriers en 1848 celui desouvriers en 1972. Donc le P.C. ne peut pas tre rformiste, et il ne peut mais par en dessous, en se cachant par exemple derrire le Parti Socialiste treque rformiste ou ne rien faire du tout.

    CAVI: Oui, et le rle de toute organisation qui s'institutionnalise est de diffrer. Surtout maintenant, ol'on croit de moins en moins au paradis ou la terrepromise. Alors les hommes se retrouvent coincs dans

    leur existence, obligs d'accepter ce qu'ils pressententpourtant inacceptable : la vie, le travail, les rapportsaffectifs... Chacun de nous est partag entre deuxdsirs, le dsir d'accepter, de subir, et le dsir de nepas accepter, de refuser; les contraintes extrieuresnous forcent subir, mais le dsir contraire se dveloppe en mme temps, jusqu'au moment o, devenant

    trs aigu, pour une raison ou une autre, le plus souventtrs anodine, trs banale, il y a clatement et refusd'accepter. Les institutions ne sont qu'une manifestation sociale du dsirqui est aussi une contrainted'accepter. Ce que tu dis du P.C. vaut pour touteinstitution : 1 ce qui ne peut tre ralis maintenantl'a t mais autre part, au Royaume des Cieux, en

    U.R.S.S., en Chine; 2 attendez, on ne peut tout faire

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    maintenant, on le fera demain. Autrement dit, l'inexplicable sera compris et rsolu plus tard. L'institution

    sert bloquer le dsir des gens de raliser quelquecbose aujourd'hui, maintenant. Pour cela, elle intriorise le dsir de changement, elle s'y substitue, elleest le changement. Cette substitution est banale.Combien de couples s'aiment? Bien peu. Mais auxrapports amoureux se substitue tout un apparat, unecrmonie : les noces, le mariage, le banquet, toujours

    les noces, d'argent, d'or, les repas du dimanche. Unepersonne meurt? Combien de gens sont rellementaffects? Heureusement, il existe le deuil pour remplacer le chagrin : le dais noir, l'enterrement, les habitsnoirs, le crpe, les poignes de main, voire mme lemausole, le Panthon. Trs souvent, j'ai t frapppar la joie des foules au moment d'un drame, le C.E.S.

    douard-Pailleron, par exemple; enfin, il se passequelque chose. Tout le monde est excit. On pose pourla presse. Et puis, ds que le reporter s'approche, levisage se ferme, devient douloureux. Approche l'enterrement, la foule se tait, se met en deuil comme si onlui avait appris bien se tenir, comme si elle reconstituait une vieille crmonie ponctue par des rites.Les parents, alors, regardent avec svrit leursenfants, le plus souvent leur tiennent la main, etexigent qu'ils restent cois. Le Parti Communiste nefait pas autrement : son imposture est normale,banale. Hier, Victor, tu as employ une expression que

    je trouve monstrueuse : la pense autonome de la

    classe ouvrire . Tu confonds classe et pense d'uneclasse. Toute classe produit des ides propres, mais laclasse ouvrire est soumise aux ides dominantes.Elle n'a pas une pense autonome. Politiquement, ellea mme sa droite, sa gauche et son centre. Son rlehistorique se dduit de l'volution des rapports de production et du capitalisme, non d'une morale en soi,

    naturelle. Chaque fois que je lis La Cause du Peuple,

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    j'ai l'impression que, pour vous, tout ce qu'un ouvrierdit est juste. C'est de la prestidigitation. De la pense

    religieuse. Dans le premier manifeste de Libration,en octobre 1972, vous avez d'ailleurs crit, sanstiquer ;

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    dans un commissariat de Versailles (dcembre 1972).Il y a eu le samedi suivant une manifestation assez

    dure. Les gars se sont fait casser la gueule en bonnombre. Il y avait des immigrs, et des intellectuelsfranais. Pourquoi? Il n'tait pas question de ressusciter Diab, ni de servir aucun intrt. Ils sont allsl-bas parce qu'ils trouvaient le meurtre trop dgueulasse. Et ceux qui manifesteront le 20 janvier contrel'ambassade des U.S.A. n'auront pas non plus d'int

    rt immdiat dfendre : on fait appel l'indignationmorale qu'ont souleve en eux les bombardements deHaiphong et de Hano. Vous, les maos, n'avez pasexpliqu ce qu'est la force morale. Mais vous l'avezconstate, et vous savez vous adresser a elle.

    CAVI : Et s'explique alors la thorie communiste ducomplot. A un moment de non-volution, l'institutiondevient sa propre fin, sa propre morale. Elle reprsente l'avenir. Elle est le devenir. Tout ce qui s'opposeest ressenti comme une provocation, comme profondment immoral, puisque l'institution est la moralit.Comme contre-rvolutionnaire, puisqu'elle est le devenir rvolutionnaire.

    SARTRE : D'accord.CAVI : Le Parti rduit alors la Rvolution des formules consacres, des crmonies... Le Parti, commel'glise, comme d'autres institutions, devenu sa proprefin permet aux gens qui voudraient transformer leurvie et ne le peuvent pas du jour au lendemain d'intrioriser cette transformation dans leur appartenance

    au Parti.SARTRE : Un exemple : une revue littraire ds avant68 a eu besoin d'un alibi politique. Cela a signifi, pourses collaborateurs, participer des crmonies quidonnent un vague arrire-got rvolutionnaire, impossible localiser nettement, leurs recherches sur lelangage. Us se sont d'abord rapprochs du P.C. parce

    qu'ils taient srs que ce parti hirarchique d'ordre et

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    de moralit ne les gnerait pas dans leurs tudes linguistiques. Toutefois, certains d'entre eux, au cours

    de la priode 68, se sont aperus que le P.C. avaitperdu son image de marque rvolutionnaire, et qu'iltait devenu une institution. En U.R.S.S. et en Yougoslavie, on dit : le Parti historique. Cela signifie qu'on arsorb l'Histoire dans le Parti, qui doit s'efforcerdans ses dmarches d'tre conforme l'Histoire enpartie mythique qu'il revendique. Alors ces intellec

    tuels qui font la revue dont je parlais se sont rapprochs des maos, parce que, malgr tout, ils ne veulentpas que la Rvolution soit un mot grav sur leurscartes de visite. Ceux-l, du moins, se sont loigns duP.C. Mais un phnomne curieux est qu'aprs Mai 68,qui traduisait obscurment des aspirations antihirarchiques, et qui contestait donc le Parti communiste, le P.C. a recrut mme des tudiants, et finalement, il a augment le nombre de ses militants. C'est,

    je crois que, parmi les jeunes qui se sont battus en 68,il y en avait qui faute de saisir pleinement le sens dece qu'ils faisaient ont voulu que la Rvolution ftrduite des crmonies. Ils ont prfr le P.C. cesmouvements sans revendications prcises de Mai 68,surtout quand, en 69, la dfaite provisoire a resserret durci les diffrentes tendances en groupuscules quis'opposaient les uns aux autres. Ces jeunes gens quisont entrs au P.C. prfraient une image plus clairede la Rvolution aux forces encore obscures elles-mmes qui s'taient manifestes en Mai 68.

    CAVI : Tout cela n'est pas particulier aux intellectuels. Je connais des ouvriers pro-chinois aussi dogmatiques.

    SARTRE : Il est important de montrer que le P.C. estune institution. Une institution est une exigence quis'adresse des individus abstraits et atomiss, alorsqu'une vritablepraxis ne peut exister qu' partir de

    rassemblements concrets. Si un parti rvolutionnaire

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    doit exister aujourd'hui, il faut qu'il ressemble lemoins possible une institution, et d'ailleurs qu'il

    conteste toute institutionalit hors de soi, mais d'aborden soi. Ce qu'il faut dvelopper chez les gens, ce n'estpas le respect d'un ordre prtendu rvolutionnaire,c'est l'esprit de rvolte contre tout ordre.

    VICTOR : Nous nous sommes pos une question, propos du P.C. Je ne crois pas qu'elle ait t rsolue.

    SARTRE : On t'a rpondu en partie. Premirement, on

    t'a dit que le P.C. nat en 20, la suite d'une rvolution en U.R.S.S. et d'un reflux de la classe ouvrireen Occident. Ce double phnomne se traduit commececi :il y aau loinune rvolution qui est vante commeune image on dirait aujourd'hui un modle maisc'est comme le Paradis : la ralit est hors de porte.Le Parti, comme l'glise dans les premiers temps, estl pour nous faire attendre. Deuximement, au fur et mesure, travers des luttes aussi dramatiques quecelles contre les paysans, le Parti Communiste enU.R.S.S. reconstruisait un ordre hirarchique et national. En France, le P.C. en subissait le contrecoup, etdevenait, lui aussi, national et rpressif.

    GAVI : Et le P.C. s'appuie sur la pense de Lnine. Or,cette pense se situe dans un contexte historique prcis. Elle s'exprime d'ailleurs dans des textes polmiques, des textes de lutte. Chaque fois il s'est agipour Lnine de faire accepter telle ou telle tactiqueselon son valuation des rapports de force. Il s'esttrouv que les Bolcheviques ont pris le pouvoir. Est-ce

    une raison pour difier la pense de Lnine? Ce qui amarch telle poque, tel jour ne marche pas ncessairement en d'autres circonstances et ailleurs.

    SARTRE : Je suis entirement d'accord. Il faut voircomment ds les premires annes, aprs la Rvolution russe, il y avait deux pouvoirs en U.R.S.S. : l'un,dmocratique, c'tait les Soviets, l'autre, centralis

    et autoritaire, le Parti. C'est du temps de Lnine, et

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    non du temps de Staline, que le Parti s'est impos auxSoviets, d'abord comme organe de contrle, et puis,

    peu peu, en y pntrant. La rvolte des marins deCronstadt a t l'effort d'un soviet pour redevenirdmocratique. Ils disaient : il ne faut pas qu'un partidomine le soviet. Ils furent vaincus. Ce fut le Parti quifit rgner la dictature du proltariat : il devint institutionnel, et la dictature du proltariat devint elle aussiune institution. Ce fut la dictature sur le proltariat.

    VICTOR : Tu as sans doute raison sur la naissance duP.C. Mais le P.C.s'estdvelopp. A bien des gards, leP.C. s'est rdifi travers la Rsistance.

    SARTRE : J'ai vu beaucoup de jeunes gars, pendant laRsistance, qui sont entrs au P.C. Les uns l'ont quitt,les autres y sont rests. Mais ils n'ont pas amen aveceux une exigence dmocratique; au contraire, ils demandaient que le P.C. ft autoritaire. Leurs prestaient plus ou moins collabos ou indiffrents. Touts'croulait autour d'eux. Le P.C. leur offrait les moyensde rsister patriotiquement. Ils n'y sont pas entrspour faire la Rvolution, mais pour chasser les nazisde France. Et le P.C. mettait en avant son caractre de

    parti national, apportant une sourdine ses exigencesrvolutionnaires.VICTOR : Je te parle, moi, des militants ouvriers qui

    ont d pratiquement reconstruire par en bas le Parti.Les directives centrales taient trs sporadiques. Ensomme, les militants du P.C. se trouvaient en 40 un peucomme les communistes chinois dans les annes 30 :

    loin du centre du pouvoir communiste, en situationd'autonomie force. Pourquoi, ce moment, pas plusqu' sa naissance, le P.C. n'a-t-il pas t capable dediriger le rassemblement populaire?

    SARTRE : En 36 il le pouvait, mais pas...VICTOR : En 36, mais surtout pendant la Rsistance.CAVI : On a donn quelques explications ce pour

    quoi : c'tait une institution.

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    VICTOR :C'est unefausse rponse. Laquestiondemeure. Pourquoi?

    SARTRE : Je te l'ai dit, ce moment-l les Sovitiquesne voulaient pas la Rvolution en Europe. C'taitTpoquedu socialisme dansun seul pays. Staline envisageait quelesmasses dans les autres pays devaientsimplement servirdesoutien.

    VICTOR : Tu repousses encore.SARTRE:Non.Je terpte queStaline nevoulaitpas

    la Rvolution.VICTOR :Maissile P.C.prnelaRvolutionetqu'illa

    diffre dans lesfaits, quoi tient cedcalage?SARTRE:Je te l'ai dit:en20,lePartis'estdfini objec

    tivement comme un parti rvolutionnaire attendste. Ils'estpeupeudonn lesdirigeants quiconvenaientses structures. Apartir de l, c'est fini. Thorezn'a

    jamais voulu laRvoludon.VICTOR : Commentsefait-ilque lesmeilleurs lments

    ouvriers se retrouvaient dans le P.C.?SARTRE:Prcismentcause ducaractre doubledu

    P.C.; leP.C.dit :nous travaillons pourlaRvoludon.VICTOR :Mais quelle estlapratique du P.C.?

    SARTRE: Iln'yapas deprogramme puisqu'il nepeuttre nirformiste ni rvoludonnaire. Quel est le rledu P.C. depuis qu'ilestdevenu,partir de 45, un grandpard national? Qu'a-t-il fait? A-t-il amlior lacondition ouvrire? A-t-il empch laprise dupouvoirparde Gaulle? A-t-il mis fin la guerre d'Indochineoud'Algrie?Il alaiss faire touslesgouvernements bour

    geois. Il a vot les pleins pouvoirs Cuy Mollet1

    .CAVI :LaRvolution,cen'estpasremplacer un appareilpar unautre. Sinon, cela signifierait qu'on reprendraitsoncompte touteslesvaleursde labourgeoisie,etentout premier lieu, l'horreurde larvolte.LeParti

    1. Votede lagauche en 1956, quipermit laguerre outrancecontre lesAlgriens.

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    est la rvolte. La rvolte est confisque, transforme encrmonie. Tu n'as plus qu' chanter VInternationale

    machinalement.VICTOR : On avance un peu. Il y a une manifestationessentielle du crmonial dans le P.C. : le mythe duGrand Soir. On prne la Rvolution mais elle est diffre. Rsultat : on produit un mythe ncessaire : celuidu Grand Soir : le jour, imaginaire, o la rvolution sefera. L'analyse de ce mythe est dcisive. Le P.C. iden

    tifie la prise du pouvoir l'insurrection-type (celled'Octobre 17). Mais cette insurrection ne peut pas trereproduite par le P.C.F. La prise du pouvoir est impossible : elle devient le Grand Soir. Qu'est-ce qui remplace ce mythe?

    SARTRE : Rien pour l'instant.VICTOR : A l'aide de ce mythe, on pouvait rendre sup

    portable aux militants ce qui tait insupportable. Onfaisait alliance avec Blum ou Moch. Mais on disait : net'en fais pas, c'est ncessaire cette alliance pour lagalerie, mais tu verras aprs.

    SARTRE : Je l'ai prouv dans mon cas individuel. Lesdirigeants se servaient de moi comme potiche, mais

    dans les cellules on ne m'acceptait pas.VICTOR: Exact. Comment le P.C.a-t-ilpu faire accepter l'inacceptable aux militants? Grce au mythe insurrectionnel. Le P.C. a fait de l'insurrection un mytheaprs avoir transform la thorie de l'insurrection enculte.

    SARTRE :Ce qui amne finalement accepter la dmo

    cratie bourgeoise, et dclarer qu'on prendra le pouvoir bourgeoisement, c'est--dire par les lections.VICTOR : Qu'a fait, au contraire, le P.C. chinois? A

    partir de l'chec de l'insurrection dans les villes, il areconstruit la thorie de l'insurrection. Le dogme l-bas cotait cher : des milliers de morts dans les insurrections urbaines. S'appuyant sur l'histoire des rvoltes

    populaires, le P.C. a converti la thorie de l'insurrec-

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    tion en thorie de la guerre populaire. Le P.C. chinoistait dcim dans les Communes. Il s'est rdifi dans

    les montagnes.CAVI : D'accord. Mais au fond, posons cette question toute bte : qu'est-ce qui fait qu' un momentdonn les masses se rvoltent contre ce qu'elles supportaient auparavant? Je crois que nous interprtonsl'Histoire souvent ct de la plaque. Nous disons rvolution chinoise . Mais les paysans chinois n'ont

    au dpart pas vcu l'ide qu'ils faisaient la Rvolution. Ils ont vcu surtout les Japonais, des trangers,pitinant leurs champs, et des seigneurs de la guerrepillant leurs richesses. C'tait insupportable. Plus exactement, le cumul de ces deux oppressions n'tait plussupportable. L'introduction de l'tranger dans leurquotidien a fait dborder le vase.

    VICTOR : Ce n'est pas exact.SARTRE : Nous aussi, nous avons eu l'tranger en

    France, mais nous n'avons lutt que contre lui. LeP.C.F., il est vrai, pensait que la Rsistance se radica-liserait et irait vers la gauche. C'tait exact, mais cetteradicalisation n'a pas servi grand-chose. De Gaulle

    et la bourgeoisie y ont mis bon ordre.CAVI : Oui, nous avons eu l'occupation. Mais pas lafodalit. En Chine, c'tait les deux. Or, une situationfodale provoque toujours des rvoltes pour la bonneraison que ceux qui la subissent, comme dirait Marx,n'ont que leurs chanes perdre. Le Moyen Age franais, par exemple, est plein de jacqueries, de rvoltes,

    d'explosions populaires. C'tait aussi une poque depntrations imprialistes de toutes sortes, entre rgions, pays de France, des autres pays... Pendant l'occupation, il y a eu les Allemands, c'est vrai, mais lapopulation ne vivait pas conomiquement entre la vieet la mort. En ralit, aucun pays pour le moment n'arussi une rvolution sans que l'une ou l'autre condi

    tion soit remplie. En gnral les deux : la misre (le

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    plus souvent due des rapports d'exploitation de typefodal) et l'intervention trangre. Et si nous voulons

    que la population se rvolte en France, si nous voulonsqu'elle partage notre rvolte, il faut d'abord qu'elledcouvre qu'elle ne peut pas supporter ce qu'elle supporte, qu'elle dcouvre sa misre, son Moyen Age,qu'elle dcouvre aussi les corps trangers plongs danssa chair.

    SARTRE : D'accord. Il faut leur dcouvrir ce qu'ils ne

    supportent pas, mais qu'ils croient inchangeable laralit, quoi parce qu'ils ne peuvent le changer,faute d'tre rassembls.

    CAVI : Aussi une des tches essentielles du mouvement rvolutionnaire aujourd'hui consiste dmasquer les institutions qui masquent l'insupportable :les cultes politiques, familiaux, matrimoniaux, lesrites, les appareils...

    SARTRE : Il me semble que Libration devrait amorcer une critique de toutes les institutions :par exemple,comment la justice, qui est un sentiment vrai, un sentiment thique chez les exploits, a engendr l'institution Justice, avec des juges, des procureurs, etc.? qui,

    le plus souvent, est en contradiction avec les aspirations populaires la Justice.VICTOR : Je reviens l'institution P.CF. Le Grand

    Soir pouvait fonctionner comme mythe, parce qu'iltait toujours possible de montrer que l'insurrectiontait une utopie. Mais, avec la Rsistance, a change.

    SARTRE : Mais le mythe du Grand Soir n'a pas t

    invent par les communistes. Ils l'ont repris l'anar-cho-syndicalisme.VICTOR : De 1921 la Rsistance, le P.C. se construit

    dans la lutte contre les rformistes, il prne la Rvolution. Il capte aussi la combativit ouvrire. Mais ilne peut donner une issue cette combativit (la prisedu pouvoir). Alors le P.C. se voit contraint degrer la

    combativit, de la canaliser, de la rprimer. En retour,

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    il doit fournir une consolation spirituelle. Pourquoitait-il condamn grer la combativit ouvrire?

    Parce qu'il n'a pas les capacits de provoquer un rassemblement populaire autour du combat ouvrier. Or,sans ce rassemblement, toute tentative de prise dupouvoir ne pouvait qu'tre une aventure. Ce rassemblement tait-il possible? Il y avait par exemple larvolte des intellectuels au sortir de la guerre de 14.Pourquoi cette rvolte n'a-t-elle pas fusionn avec la

    rvolte ouvrire? Elle a donn un mouvement littraire,c'est tout!SARTRE : Mais qui s'est aussi traduit par le fait que

    beaucoup d'intellectuels ont t fascins par ce Parti.Le Parti, pour eux, c'tait la Rvolution. On ne pouvaitpas tre contre le Parti.

    CAVI : Puis, progressivement, on a commenc fairecarrire dans le Parti.

    VICTOR : Qu'est-ce qui empchait que les actions surralistes soient prises en charge par un Parti ouvrier?

    SARTRE : Rien. C'est ce que disait Trotsky.VICTOR: Il y avait dans la rvolte de ces intellectuels

    des lments de contestation, tout fait utiles au

    combat ouvrier, qui contribuaient dsagrger l'ordrebourgeois. Le P.C. n'en a pas tenu compte. Il en a tde mme pour les rvoltes paysannes. Nous avons vitle pire : que ces rvoltes soient prises en charge par lesfascistes. Mais qu'a fait le P.CF.? De l'conomie politique bourgeoise, l'office du bl, par exemple, mesureprise par le Gouvernement de Front Populaire. Dans

    les annes 30, les rvoltes des classes intermdiairespouvaient fusionner avec la rvolte ouvrire. Le P.C.F.n'a pas construit le creuset o cette fusion et t possible. Ce qui a manqu au P.C.F., c'est la notion dervolte, plus prcisment la notion de rvolution idologique, que l'on pourrait dfinir comme la circulationdes ides de rvolte dans les diffrentes classes popu

    laires. Le P.C.F., par exemple, ne voyait pas la

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    rvolte paysanne, les ides qu'elle produisait (antiparlementarisme, action directe...); il voyait la place le

    Parti Radical, reprsentant parlementaire des classespaysannes. Pour le P.C., conqurir les classes intermdiaires c'tait faire alliance avec le Parti Radical,et non pas s'intgrer aux jacqueries. Le P.CF., nes'appuyant pas sur la rvolte, tait condamn grerla combativit ouvrire, puisqu'il ne pouvait l'entretenir l'aide des rvoltes des autres classes popu

    laires. Grer la combativit, c'est certains moments,la rprimer. Pour un parti qui prne la Rvolution,cela ncessite un langage, un mode de fonctionnementqui rende supportable ce qui ne peut l'tre. Donc, leP.C.F. diffrait la Rvolution, il n'avait pas les moyensde former un Rassemblement populaire. Or les conditions de ce Rassemblement taient runies puisqu'elles

    ont t utilises par le nazisme. L'existence du fascisme, d'un mouvement populaire confisqu par legrand capital, voil qui condamne la thorie, le programme du P.C. entre les deux guerres.

    CAVI:Je suis d'accord. Mais pourquoi, entre les deuxguerres, une poigne de gens seulement s'interroge sur

    ce qui semble vident beaucoup aujourd'hui? Pourquoi le concept de rvolution idologique est-il marginal? L'ide du Grand Soir n'est pas due au hasard. Nepeut-on pas dire tout simplement, qu'en raison desconditions objectives, la Rvolution n'tait pas possible, et que les rvolutionnaires ont voulu s'adapter cette ralit? Ils se sont entrans grer la situa

    tion dans les perspectives d'une victoire lectorale, ouplutt de la victoire d'un compromis lectoral, puisquec'tait la seule victoire qu'ils pensaient pouvoir remporter, eux qui s'taient habitus rduire la Rvolution au renversement de l'appareil d'tat. De l, sedgagent bien des attitudes : l'art du compromis, lesastuces pour refrner la rvolte immdiate, ou la lais

    ser clater des moments bien prcis en fonction d'une

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    stratgie dtermine, reprendre son compte les valeurs des allis, les socialistes, les radicaux, pour ne

    pas les effrayer. La proprit, le nationalisme, etc., untas de valeurs qui...VICTOR : Oui. Tu peux reprendre ces valeurs, mais

    tu ne dois pas tre repris par elles.CAVI : Mais on ne peut qu'tre repris par ces valeurs.

    Prenons l'esprit de proprit. Qu'est-ce que la proprit? Toute proprit a un double sens : possessif et

    restrictif. C'est la fois ce qu'on a, et ce que les autresn'ont pas. Dire : Cela m'appartient , c'est direaussi : Cela ne t'appartient pas. Il y a donc dansl'esprit de proprit aussi bien une affirmation de sonidentit que son exclusion d'une collectivit. Il en vade mme pour toutes les valeurs. La famille. Si tu asune famille, ce n'est pas celle des autres. Pour l'amour,pareil : il y a la fois largissement et restriction. Onpasse la proprit deux. Comme on dit, c'est ma femme, ou mon mec . Qu'on le veuille ou non, lavaleur se dfinit donc toujours en opposition avec lesautres, avec le reste de la collectivit. Ainsi la bourgeoisie produit un certain nombre de valeurs premire vue sduisantes possder, aimer, vivre et,en ralit, sans t'en rendre compte, tu ressors la ttemoule dans une philosophie, une pense restrictive,trouvant son identit dans la ngation des autres,encourageant donc toute division et touffant l'espritde rvolte collectif. En prenant ces valeurs, pour desraisons en partie lectorales, un communiste doit savoir

    qu'il s'habille avec la tunique de Nessus. Tunique mortelle. Plutt que de concilier laT ncessit du compromis avec une autre ncessit, l'tat d'insurrectionpermanente.

    VICTOR : A condition qu'insurrection permanentesignifie : insurrection idologique permanente.

    CAVI : Absolument. Aujourd'hui beaucoup de cama

    rades qui s'engagent au P.C. ont une mentalit de

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    gestionnaires. N'importe quel bureaucrate peut esprer accder au secrtariat gnral. Tu as bien eu des

    gens comme Lecur, ou Doriot. Si tu as des qualitsde jeune cadre qui en veut , tu es sr de ta promotion! Pour la pense, les formules sufRsent. Pour lapratique, quelques crmonies.

    SARTRE : Un militant communiste, c'est quelqu'un quiest, en partie, fabriqu. Le problme de la foi est li aumythe du Grand Soir. Des journalistes communistes

    assistent au procs Rajk, ou n'importe lequel desprocs qui ont eu lieu aprs le schisme de la Yougoslavie. Ils dirent tous : J'avais des doutes, mais prsent j'ai vu et j'ai compris : ils sont coupables. Il y a l de pseudo-institutions qui sont du domaine dela foi. Tu crois au Grand Soir, et du coup on peut mobiliser ta foi pour autre chose. Au nom du Grand Soir, tu

    crois Rajk coupable. La foi a une importance capitale.On ne dit pas : faites la Rvolution prsent si vousle pouvez; si a rate, on recommencera . Non, on tedit : croyez la Rvolution. Elle aura lieu, mais plustard .

    VICTOR : On ne dit pas : Faites la Rvolution comme

    vous pouvez... SARTRE : C'est un exemple. Ce n'est pas le rassemblement mao que je visais. Je voulais dire : l'ide quimanque au P.C. est l'ide que la Rvolution est faire chaque instant.

    CAVI : C'est si vrai qu'il n'y a pas de gens plus respectueux que les dirigeants du P.C. : du pass, des

    monuments, des valeurs, de l'usine, de l'instrument detravail. Ils ont horreur des contestataires. S'il s'agitde discuter, par exemple, avec les catholiques, ilss'adresseront l'aile centriste de l'glise, jamais auxchrtiens les plus contestataires.

    VICTOR : Faire respecter, c'est le propre de l'hommede foi et du policier.

    CAVI : Tous ces problmes ne sont pas nouveaux.

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    Seulement, aujourd'hui, ils ne sont plus poss parquelques individus, mais par les masses elles-mmes.

    Rvolution idologique, l'autorit, les rapports entrel'individu et le groupe. Ces ides restent minoritaires,certes, mais elles sont devenues des valeurs collectives de lutte. Pourquoi cela n'a-t-il pas t le cas avantMai 68?

    SARTRE : Ce qu'il y avait de faux, dans le P.C.F.,c'tait tout le langage. Il tait violent mais fig, ce lan

    gage, parce qu'il dissimulait de nombreux compromis.Chaque fois que j'ai parl un meeting communiste,

    je me bornais prendre avec moi quelques notes. Maisles communistes lisaient un discours crit. Il taitviolent, ce discours. Mais la violence lue perd les troisquarts de sa force.

    VICTOR : Le tournant dans la rvolution mondialec'est, dans la Rvolution culturelle, l'affirmation duprincipe : On a raison de se rvolter. Mais revenons ton volution.

    (Dcembre 1972.)

    CHAPITRE* III

    1968 : Mai. PragueLa rupture avec le Parti Communiste

    Sur le bureau, ma place, il yavait un mot sur une feuille de papier :*Sartre, soisbref. Je me suisdit : a commencemal...

    SARTRE : Donc j'ai rompu aprs l'intervention sovitique Budapest en 56. Je suis rest quelque temps

    sans faire de politique. Je recevais de temps en temps

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    une lettre de quelqu'un de mes amis sovitiques.L'U.R.S.S. avait une attitude assez maligne envers les

    intellectuels dont j'tais, qui dsapprouvaient l'intervention : elle ne tenait pas compte de nos protestations, et nous invitait venir Moscou, comme si derien n'tait. J'tais reu bien autrement qu'a monpremier voyage : personne ne faisait de propagande etbeaucoup d'intellectuel-* avaient des choses me dire.De 62 65, je suis all tous les ans en U.R.S.S. En 62,

    pour le Congrs de la Paix, o ce sont les Sovitiquesqui m'invitrent, et non les Franais, j'essayai de formuler le problme culturel : il fallait reconnatre quel'Est et l'Ouest mnent une lutte culturelle mais ilfallait la dmilitariser. Il ne fallait pas que les crivains et les artistes servissent de boulets de canonenvoys d'un camp l'autre. La lutte culturelle devaittre mene entre intellectuels, durement, mais sansque nos discussions prennent une tournure bel