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JaneAusten

Orgueiletpréjugés

0101

Untextedudomainepublic.Uneéditionlibre.

ISBN—978-2-8247-0791-4

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Chapitre 1

’ESTUNEVÉRITÉUNIVERSELLEMENT reconnue qu’un célibataire pourvu d’une bellefortunedoitavoirenviedesemarier,et,sipeuquel’onsachedesonsentimentàcetégard,lorsqu’ilarrivedansunenouvellerésidence,cetteidéeestsibienfixéedansl’espritdesesvoisinsqu’ilsleconsidèrentsur-le-champcommelapropriétélégitimedel’uneoul’autredeleursfilles.

—Savez-vous,moncherami,ditunjourMrs.Bennetàsonmari,queNetherfieldParkestenfinloué?

Mr.Bennetréponditqu’ill’ignorait.

—Ehbien,c’estchosefaite.JeletiensdeMrs.Longquisortd’ici.

Mr.Bennetgardalesilence.

—Vousn’avezdoncpasenviedesavoirquis’yinstalle!s’écriasafemmeimpatientée.

—Vousbrûlezdemeledireetjenevoisaucuninconvénientàl’apprendre.

Mrs.Bennetn’endemandaitpasdavantage.

—Ehbien,monami,àcequeditMrs.Long, lenouveau locatairedeNetherfieldseraitunjeunehommetrèsrichedunorddel’Angleterre.Ilestvenu

)lundidernierenchaisedepostepourvisiterlapropriétéetl’atrouvéetellementàsongoûtqu’ils’estimmédiatemententenduavecMr.Morris.Ildoits’yinstalleravantlaSaint-Micheletplusieursdomestiquesarriventdèslafindelasemaineprochaineafindemettrelamaisonenétat.

—Comments’appelle-t-il?

—Bingley.

—Mariéoucélibataire?

—Oh!monami,célibataire!célibataireettrèsriche!Quatreoucinqmillelivresderente !Quellechancepournosfilles!

—Nosfilles?Enquoicelalestouche-t-il?

—Quevousêtesdoncagaçant,monami!Jepense,vousledevinezbien,qu’ilpourraitêtre

unpartipourl’uned’elles.

—Est-cedanscetteintentionqu’ilvients’installerici?

—Danscetteintention!Quelleplaisanterie!Commentpouvez-vousparlerainsi?...Toutdemême,iln’yauraitriend’invraisemblableàcequ’ils’éprennedel’uned’elles.C’estpourquoivousferezbiend’allerluirendrevisitedèssonarrivée.

—Jen’envoispasl’utilité.Vouspouvezyallervous-mêmeavecvosfilles,ouvouspouvezlesenvoyerseules,cequiseraitpeut-êtreencorepréférable,carvousêtessibienconservéequeMr.Bingleypourraitsetromperetégarersurvoussapréférence.

—Vousmeflattez,moncher.J’aicertainementeumapartdebeautéjadis,maisaujourd’huij’ai abdiqué touteprétention.Lorsqu’une femmeacinq filles enâgede semarierelledoitcesserdesongeràsesproprescharmes.

—D’autantque,danscecas,ilestrarequ’illuienrestebeaucoup.

—Enfin,monami, il fautabsolumentquevousalliezvoirMr.Bingleydèsqu’ilseranotrevoisin.

—Jenem’yengagenullement.

—Maispensezunpeuàvosenfants,àcequeseraitpourl’uned’ellesuntelétablissement !SirWilliametladyLucasontrésolud’yalleruniquementpourcetteraison,carvoussavezque, d’ordinaire, ils ne font jamais visite aux nouveaux venus. Je vous le répète. Il estindispensablequevousalliezàNetherfield,sansquoinousnepourrionsyallernous-mêmes.

—Vousavezvraimenttropdescrupules,machère.JesuispersuadéqueMr.Bingleyseraitenchanté de vous voir, et je pourrais vous confier quelques lignes pour l’assurer demonchaleureuxconsentementàsonmariageaveccelledemesfillesqu’ilvoudrabienchoisir.Jecrois,toutefois,quejemettraiunmotenfaveurdemapetiteLizzy.

—Quelleidée!Lizzyn’ariendeplusquelesautres;elleestbeaucoupmoinsjoliequeJaneetn’apaslavivacitédeLydia.

—Certes,ellesn’ontpasgrand-chosepourlesrecommanderlesunesnilesautres,ellessontsottesetignorantescommetouteslesjeunesfilles.Lizzy,pourtant,aunpeuplusd’espritquesessœurs.

—Oh!Mr.Bennet,parlerainsidesespropresfilles!...Maisvouspreneztoujoursplaisiràmevexer;vousn’avezaucunepitiépourmespauvresnerfs!

—Vousvoustrompez,machère!J’aipourvosnerfsleplusgrandrespect.Cesontdevieuxamis:voilàplusdevingtansquejevousentendsparlerd’euxavecconsidération.

—Ah!vousnevousrendezpascomptedecequejesouffre!

—J’espère,cependant,quevousprendrezledessusetquevousvivrezassezlongtempspourvoirdenombreuxjeunesgenspourvusdequatremillelivresderentevenirs’installerdanslevoisinage.

—Etquandilenviendraitvingt,àquoicelaservirait-il,puisquevousrefusezdefaireleur

connaissance?

—Soyezsûre,machère,quelorsqu’ilsatteindrontcenombre,j’iraileurfairevisiteàtous.

Mr.Bennetétaitunsicurieuxmélangedevivacité,d’humeursarcastique,defantaisieetderéservequ’uneexpériencedevingt-troisannéesn’avaitpassuffiàsafemmepourluifairecomprendre son caractère. Mrs. Bennet elle-même avait une nature moins compliquée :d’intelligence médiocre, peu cultivée et de caractère inégal, chaque fois qu’elle était demauvaise humeur elle s’imaginait éprouver des malaises nerveux. Son grand souci dansl’existenceétaitdemariersesfillesetsadistractionlapluschère,lesvisitesetlespotins.

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Chapitre 2

R.BENNETFUTDESPREMIERSàseprésenterchezMr.Bingley.Ilavaittoujourseul’intentiond’y aller, tout en affirmant à sa femme jusqu’auderniermomentqu’ilnes’ensouciaitpas,etcefutseulementlesoirquisuivitcettevisitequeMrs.Benneteneutconnaissance.Voicicommentellel’apprit:Mr.Bennet,quiregardaitsasecondefilleoccupéeàgarnirunchapeau,luiditsubitement:

—J’espère,Lizzy,queMr.Bingleyletrouveradesongoût.

—Nousneprenonspas lechemindeconnaître lesgoûtsdeMr.Bingley, répliqua lamèreavecamertume,puisquenousn’auronsaucunerelationaveclui.

—Vousoubliez,maman,ditElizabeth,quenouslerencontreronsensoiréeetqueMrs.Longapromisdenousleprésenter.

—Mrs.Longn’en fera rien ; elle-mêmeadeuxnièces à caser.C’estune femmeégoïste ethypocrite.Jen’attendsriend’elle.

—Moinonplus,ditMr.Bennet,etjesuisbienaisedepenserquevousn’aurezpasbesoindesesservices.

Mrs. Bennet ne daigna pas répondre ; mais, incapable de se maîtriser, elle se mit àgourmanderunedesesfilles:

—Kitty,pourl’amourdeDieu,netoussezdoncpasainsi.Ayezunpeupitiédemesnerfs.

—Kittymanqued’à-propos,ditlepère,ellenechoisitpaslebonmomentpourtousser.

—Jenetoussepaspourmonplaisir,répliquaKittyavechumeur.Quanddoitavoirlieuvotreprochainbal,Lizzy?

—Dedemainenquinze.

—Justement!s’écriasamère.EtMrs.Longquiestabsentenerentrequelaveille.IlluiseradoncimpossibledenousprésenterMr.Bingleypuisqu’elle-mêmen’aurapaseuletempsdefairesaconnaissance.

— Eh bien, chère amie, vous aurez cet avantage sur Mrs. Long : c’est vous qui le luiprésenterez.

—Impossible,Mr.Bennet,impossible,puisquejeneleconnaîtraipas.Quelplaisirtrouvez-

vousàmetaquinerainsi?

—J’admirevotreréserve;évidemment,desrelationsquinedatentquedequinzejourssontpeudechose,maissinousneprenonspascetteinitiative,d’autreslaprendrontànotreplace.Mrs. Long sera certainement touchée de notre amabilité et si vous ne voulez pas faire laprésentation,c’estmoiquim’enchargerai.

Lesjeunesfillesregardaientleurpèreavecsurprise.Mrs.Bennetditseulement:

—Sottisesquetoutcela.

—Quelest lesensdecetteénergiqueexclamation?s’écriasonmari,vise-t-elle lesformesprotocolairesdelaprésentation?Sioui,jenesuispastoutàfaitdevotreavis.Qu’endites-vous, Mary ? vous qui êtes une jeune personne réfléchie, toujours plongée dans de groslivres?

Maryauraitaiméfaireuneréflexionprofonde,maisnetrouvarienàdire.

—PendantqueMaryrassemblesesidées,continua-t-il,retournonsàMr.Bingley.

—JeneveuxplusentendreparlerdeMr.Bingley!déclaraMrs.Bennet.

—J’ensuisbienfâché;pourquoinepasmel’avoirditplustôt?Sijel’avaissucematinjemeseraiscertainementdispenséd’allerluirendrevisite.C’esttrèsregrettable,maismaintenantqueladémarcheestfaite,nousnepouvonsplusesquiverlesrelations.

LastupéfactiondecesdamesàcettedéclarationfutaussicomplètequeMr.Bennetpouvaitlesouhaiter, celle de sa femme surtout, bien que, la première explosion de joie calmée, elleassurâtqu’ellen’étaitnullementétonnée.

—Quevousêtesbon,moncherami!Jesavaisbienquejefiniraisparvouspersuader.Vousaimeztropvosenfantspournégligerunetellerelation.MonDieu,quejesuiscontente !Etquellebonneplaisanterieaussi,d’avoirfaitcettevisitecematinetdenenousenavoirrienditjusqu’àprésent!

—Maintenant,Kitty,vouspouveztoussertantquevousvoudrez,déclaraMr.Bennet.Etilseretira,unpeufatiguédestransportsdesafemme.

—Quel excellentpèrevous avez,mes enfants ! poursuivit celle-ci, lorsque la porte se futrefermée.–Jenesaiscommentvouspourrezjamaisvousacquitterenverslui.Ànotreâge,jepeux bien vous l’avouer, on ne trouve pas grand plaisir à faire sans cesse de nouvellesconnaissances.Maispourvous,queneferions-nouspas!...Lydia,machérie,jesuissûrequeMr.Bingleydanseraavecvousauprochainbal,bienquevoussoyezlaplusjeune.

—Oh!ditLydiad’untondécidé,jenecrainsrien;jesuislaplusjeune,c’estvrai,maisc’estmoiquisuislaplusgrande.

Lerestedelasoiréesepassaenconjectures;cesdamessedemandaientquandMr.Bingleyrendrait

lavisitedeMr.Bennet,etqueljouronpourraitl’inviteràdîner.

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Chapitre 3

ALGRÉTOUTESLESQUESTIONS dontMrs. Bennet, aidée de ses filles, accabla sonmariausujetdeMr.Bingley,elleneputobtenirdeluiunportraitquisatisfîtsacuriosité. Ces dames livrèrent l’assaut avec une tactique variée : questionsdirectes,suppositionsingénieuses,lointainesconjectures.MaisMr.Bennetsedérobaauxmanœuvreslesplushabiles,etellesfurentréduitesfinalementàsecontenterdesrenseignementsdesecondemainfournisparleurvoisine,lady

Lucas.

Lerapportqu’elleleurfitétaithautementfavorable:sirWilliam,sonmari,avaitétéenchantédunouveauvoisin.Celui-ciétaittrèsjeune,fortjoligarçon,et,cequiachevaitdelerendresympathique,ilseproposaitd’assisterauprochainbaletd’yamenertoutungrouped’amis.Quepouvait-onrêverdemieux?Legoûtdeladansemènetoutdroitàl’amour;onpouvaitespérerbeaucoupducœurdeMr.Bingley.

—SijepouvaisvoirunedemesfillesheureusementétablieàNetherfieldettouteslesautresaussibienmariées,répétaitMrs.Bennetàsonmari,jen’auraisplusrienàdésirer.

Auboutdequelques jours,Mr.Bingleyrendit savisiteàMr.Bennet,et restaavec luiunedizainedeminutesdanslabibliothèque.Ilavaitespéréentrevoirlesjeunesfillesdontonluiavaitbeaucoupvantélecharme,maisilnevitquelepère.Cesdamesfurentplusfavoriséescar,d’une fenêtrede l’étagesupérieur,elleseurent l’avantagedeconstaterqu’ilportaitunhabitbleuetmontaitunchevalnoir.

Uneinvitationàdînerluifutenvoyéepeuaprèset,déjà,Mrs.Bennetcomposaitunmenuquiferaithonneuràsesqualitésdemaîtressedemaisonquand

laréponsedeMr.Bingleyvinttoutsuspendre:«IlétaitobligédepartirpourLondreslejoursuivant,etnepouvait,parconséquent,avoirl’honneurd’accepter...etc...»

Mrs.Bennetenfuttoutedécontenancée.Ellen’arrivaitpasàimaginerquelleaffairepouvaitappelerMr.BingleyàLondressitôtaprèssonarrivéeenHertfordshire.Allait-il,parhasard,passersontempsàsepromenerd’unendroitàunautreaulieudes’installerconvenablementà Netherfield comme c’était son devoir ?. . . Lady Lucas calma un peu ses craintes ensuggérantqu’ilétaitsansdoutealléàLondrespourchercherlesamisqu’ildevaitamenerauprochainbal.Et bientôt se répandit lanouvelle queMr.Bingley amènerait avec lui douzedameset septmessieurs.Les jeunes fillesgémissaientdevantunnombreaussiexagéréde

danseuses, mais, la veille du bal, elles eurent la consolation d’apprendre queMr. Bingleyn’avait ramené de Londres que ses cinq sœurs et un cousin. Finalement, lorsque lecontingentdeNetherfieldfitsonentréedanslasalledubal,ilnecomptaitentoutquecinqpersonnes:Mr.Bingley,sesdeuxsœurs,lemaridel’aînéeetunautrejeunehomme.

Mr. Bingley plaisait dès l’abord par un extérieur agréable, une allure distinguée, un airavenant et des manières pleines d’aisance et de naturel. Ses sœurs étaient de bellespersonnes d’une élégance incontestable, et son beau-frère, Mr. Hurst, avait l’air d’ungentleman, sans plus ;mais la haute taille, la belle physionomie, le grand air de son ami,Mr. Darcy, aidés de la rumeur qui cinqminutes après son arrivée, circulait dans tous lesgroupes,qu’ilpossédaitdixmillelivresderente,attirèrentbientôtsurcelui-cil’attentiondetoutelasalle.

Lesexefortlejugeatrèsbelhomme,lesdamesaffirmèrentqu’ilétaitbeaucoupmieuxqueMr. Bingley, et, pendant toute une partie de la soirée, on le considéra avec la plus viveadmiration.

Peu à peu, cependant, le désappointement causé par son attitude vint modifier cetteimpression favorable.On s’aperçut bientôt qu’il était fier, qu’il regardait tout lemondedehaut et ne daignait pas exprimer la moindre satisfaction. Du coup, toute son immensepropriétéduDerbyshireneputempêcherqu’onledéclarâtantipathiqueettoutlecontrairedesonami.

Mr.Bingley,lui,avaiteuvitefaitdesemettreenrapportaveclespersonneslesplusenvuedel’assemblée.Ilsemontraouvert,pleind’entrain,pritpartàtouteslesdanses,déploradevoirlebalseterminerdesibonneheure,etparlad’endonnerunlui-mêmeàNetherfield.Desmanières si parfaites se recommandent d’elles-mêmes. Quel contraste avec son ami !. . .Mr.DarcydansaseulementunefoisavecMrs.HurstetunefoisavecmissBingley.Ilpassalerestedu tempsàsepromenerdans la salle,n’adressant laparolequ’auxpersonnesdesongroupeetrefusantdeselaisserprésenterauxautres.Aussifut-ilvitejugé.C’étaitl’hommeleplusdésagréableetleplushautainquelaterreeûtjamaisporté,etl’onespéraitbienqu’ilnereparaîtraitàaucuneautreréunion.

Parmi les personnes empressées à le condamner se trouvait Mrs. Bennet. L’antipathiegénéraletournaitchezelleenrancunepersonnelle,Mr.Darcyayantfaitaffrontàl’unedesesfilles. Par suite dunombre restreint des cavaliers, ElizabethBennet avait dû rester sur sachaisel’espacededeuxdanses,et,pendantunmoment,Mr.Darcys’étaittenudeboutassezprèsd’ellepourqu’ellepûtentendrelesparolesqu’iléchangeaitavecMr.Bingleyvenupourlepresserdesejoindreauxdanseurs.

—Allons,Darcy,venezdanser.Jesuisagacédevousvoirvouspromenerseul.C’esttoutàfaitridicule.Faitescommetoutlemondeetdansez.

— Non, merci ! La danse est pour moi sans charmes à moins que je ne connaisseparticulièrementunedanseuse.Jen’yprendraisaucunplaisirdansune

réuniondecegenre.Vossœursnesontpaslibresetceseraitpourmoiunepénitencequed’inviterquelqu’und’autre.

—Vousêtesvraimentdifficile ! s’écriaBingley. Jedéclareque jen’ai jamaisvudansune

soirée tant de jeunes filles aimables. Quelques-unes même, vous en conviendrez, sontremarquablementjolies.

—Votredanseuseest laseule joliepersonnede laréunion,ditMr.Darcyendésignantduregardl’aînéedesdemoisellesBennet.

—Oh!c’estlapluscharmantecréaturequej’aiejamaisrencontrée ;maisilyaunedesessœursassisederrièrevousquiestaussifortagréable.Laissez-moidemanderàmadanseusedevousprésenter.

—Dequi voulez-vousparler ?–Mr.Darcy se retourna et considéraun instantElizabeth.Rencontrantsonregard,ildétournalesienetdéclarafroidement.

—Elleestpassable,maispasassezjoliepourmedécideràl’inviter.Durestejenemesenspasenhumeur,cesoir,dem’occuperdesdemoisellesqui font tapisserie.Retournezviteàvotresouriantepartenaire,vousperdezvotretempsavecmoi.

Mr.BingleysuivitceconseiletMr.Darcys’éloigna,laissantElizabethaniméeàsonégarddesentimentstrèspeucordiaux.Néanmoinselleracontal’histoireàsesamiesavecbeaucoupdeverve,carelleavaitl’espritfinetunsenstrèsvifdel’humour.

Malgré tout, ce fut, dans l’ensemble, une agréable soirée pour tout lemonde. Le cœur deMrs.BennetétaittoutréjouidevoirsafilleaînéedistinguéeparleshabitantsdeNetherfield.Mr.Bingleyavaitdansédeuxfoisavecelleetsessœursluiavaientfaitdesavances.Janeétaitaussisatisfaitequesamère,maisavecplusdecalme.ElizabethétaitcontenteduplaisirdeJane ; Mary était fière d’avoir été présentée à miss Bingley comme la jeune fille la pluscultivéedupays,etCatherineetLydian’avaientpasmanqué

uneseuledanse,cequi,àleurâge,suffisaitàcomblertousleursvœux.

Elles revinrent donc toutes de très bonne humeur à Longbourn, le petit village dont lesBennetétaientlesprincipauxhabitants.Mr.Bennetétaitencoredebout;avecunlivreilnesentait jamaisletempspasseret,pourunefois, ilétaitassezcurieuxd’entendrelecompterendu d’une soirée qui, à l’avance, avait fait naître tant de magnifiques espérances. Ils’attendaitunpeuàvoirsafemmerevenirdésappointée,maisils’aperçutvitequ’iln’enétaitrien.

—Oh !moncherMr.Bennet,s’écria-t-elleenentrantdans lapièce,quelleagréablesoirée,quelbalréussi!J’auraisvouluquevousfussiezlà...Janeaeutantdesuccès!toutlemondem’ena faitcompliment.Mr.Bingley l’a trouvée toutà faitcharmante. Iladansédeux foisavecelle;oui,monami,deuxfois!Etelleestlaseulequ’ilaitinvitéeunesecondefois.SapremièreinvitationaétépourmissLucas,–j’enétaisassezvexée,–maisiln’apointparul’admirerbeaucoup,cequin’ariendesurprenant.Puis,envoyantdanserJane,ilaeul’aircharmé, ademandéqui elle était et, s’étant faitprésenter, l’a invitéepour lesdeuxdansessuivantes.Aprèsquoi il enadansédeuxavecmissKing,encoredeuxautresavecJane, lasuivanteavecLizzy,la«boulangère»avec...

—Pourl’amourduciel,arrêtezcetteénumération,s’écriasonmariimpatienté.S’ilavaiteupitiédemoi iln’auraitpasdansémoitiéautant.Quenes’est-il tordu lepiedà lapremièredanse!

—Oh!monami,continuaitMrs.Bennet,ilm’atoutàfaitconquise.Physiquement,ilesttrèsbien et ses sœurs sont des femmes charmantes. Je n’ai rien vu d’aussi élégant que leurstoilettes.LadentellesurlarobedeMrs.Hurst...

Ici,nouvelleinterruption,Mr.Bennetnevoulantécouteraucunedescriptiondechiffons.Safemmefutdoncobligéedechangerdesujetetracontaavec

beaucoup d’amertume et quelque exagération l’incident oùMr.Darcy avaitmontré une sichoquantegrossièreté.

—Maisjevousassure,conclut-elle,qu’onneperdpasgrand-choseànepasêtreappréciéeparcemonsieur!C’estunhommehorriblementdésagréablequineméritepasqu’onchercheàluiplaire.Hautainetdédaigneux,ilsepromenaitdedroiteetdegauchedanslasalleavecl’airdesecroireunpersonnageextraordinaire.J’auraisaiméquevousfussiezlàpourluidiresonfait,commevoussavezlefaire!Non,envérité,jenepuispaslesentir.

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Chapitre 4

ORSQUEJANEETELIZABETH se trouvèrent seules, Jane qui, jusque-là, avait misbeaucoupde réservedans ses louanges surMr.Bingley, laissavoirà sa sœur lasympathiequ’illuiinspirait.—Ilatouteslesqualitésqu’onappréciechezunjeunehomme,dit-elle.Ilestpleindesens,debonnehumeuretd’entrain.Jen’aijamaisvuàd’autresjeunesgensdesmanièresaussiagréables,tantd’aisanceunieàunesibonneéducation.

—Et,deplus,ajoutaElizabeth, ilest très joligarçon,cequinegâterien.Onpeutdonc ledéclarerparfait.

— J’ai été très flattée qu’il m’invite une seconde fois ; je ne m’attendais pas à un telhommage.

—Moi,jen’enaipasétésurprise.C’étaittrèsnaturel.Pouvait-ilnepass’apercevoirquevousétiezinfinimentplusjoliequetouteslesautresdanseuses?...Iln’yapaslieudeluienêtrereconnaissante.Cecidit, ilestcertainementtrèsagréableetjevousautoriseàluiaccordervotresympathie.Vousl’avezdonnéeàbiend’autresquinelevalaientpas.

—MachèreLizzy!

—Lavéritéc’estquevousêtesportéeàjugertoutlemondeavectropdebienveillance:vousnevoyezjamaisdedéfautàpersonne.Demavie,jenevousaientenduecritiquerquiquecesoit.

—Jeneveuxjugerpersonnetropprécipitamment,maisjedistoujourscequejepense.

—Jelesais,etc’estcequim’étonne.Comment,avecvotrebonsens,pouvez-vousêtreaussiloyalementaveugléesurlasottised’autrui?Iln’yaquevousquiayezassezdecandeurpournevoirjamaischezlesgensqueleurboncôté...Alors,lessœursdecejeunehommevousplaisentaussi?Ellessontpourtantbeaucoupmoinssympathiquesquelui.

—Oui, au premier abord,mais quand on cause avec elles on s’aperçoit qu’elles sont fortaimables.MissBingleyvavenirhabiteravecsonfrère,et jeseraisfortsurprisesinousnetrouvionsenelleuneagréablevoisine.

Elizabeth ne répondit pas, mais elle n’était pas convaincue. L’attitude des sœurs deMr.Bingleyaubalneluiavaitpasrévéléchezellesledésirdeserendreagréablesàtoutlemonde.D’unespritplusobservateuretd’unenaturemoinssimplequecelledeJane,n’étant

pas,deplus,influencéeparlesattentionsdecesdames,Elizabethétaitmoinsdisposéeàlesjugerfavorablement.Ellevoyaitenellesd’élégantespersonnes,capablesdesemettreenfraispourquileurplaisait,mais,sommetoute,fièresetaffectées.

Mrs.HurstetmissBingleyétaientassezjolies,ellesavaientétéélevéesdansundesmeilleurspensionnatsdeLondresetpossédaientunefortunedevingtmillelivres,maisl’habitudededépensersanscompteretdefréquenterlahautesociétélesportaitàavoird’elles-mêmesuneexcellenteopinionetà juger leurprochainavecquelquedédain.Ellesappartenaientàunetrèsbonnefamilledunorddel’Angleterre,chosedontellessesouvenaientplusvolontiersquedel’originedeleurfortunequiavaitétéfaitedanslecommerce.

Mr. Bingley avait hérité d’environ cent mille livres de son père. Celui-ci qui souhaitaitacheterundomainen’avaitpasvécuassezlongtempspourexécutersonprojet.Mr.Bingleyavaitlamêmeintentionetsessœursdésiraientvivementlaluivoirréaliser.Bienqu’iln’eûtfaitquelouerNetherfield,missBingleyétaittouteprêteàdirigersamaison,etMrs.Hurst,quiavaitépouséunhommeplusfashionablequefortuné,n’étaitpasmoinsdisposéeàconsidérerlademeuredesonfrèrecommelasienne.IlyavaitàpeinedeuxansqueMr.Bingleyavaitatteint samajorité, lorsque, par un effet duhasard, il avait entenduparler dudomainedeNetherfield.Ilétaitallélevisiter,l’avaitparcouruenunedemi-heure,et,lesiteetlamaisonluiplaisant,s’étaitdécidéàlouersur-le-champ.

Endépitd’unegrandeoppositiondecaractères,BingleyetDarcyétaientunisparunesolideamitié.DarcyaimaitBingleypoursanatureconfianteetdocile,deuxdispositionspourtantsiéloignéesdesonproprecaractère.Bingley,desoncôté,avaitlaplusgrandeconfiancedansl’amitié de Darcy et la plus haute opinion de son jugement. Il lui était inférieur parl’intelligence,bienquelui-mêmen’enfûtpointdépourvu,maisDarcyétaithautain,distant,d’unecourtoisiefroideetdécourageante,et,àcetégard,sonamireprenaitl’avantage.Partoutoùilparaissait,Bingleyétaitsûrdeplaire;lesmanièresdeDarcyn’inspiraienttropsouventquedel’éloignement.

Iln’yavaitqu’àlesentendreparlerdubaldeMerytonpourjugerdeleurscaractères:Bingleyn’avait, de sa vie, rencontré des gens plus aimables, des jeunes filles plus jolies ; tout lemondes’étaitmontrépleind’attentionspourlui;pointderaideurnidecérémonie;ils’étaitbientôtsentienpaysdeconnaissance:quantàmissBennet,c’étaitvéritablementunangedebeauté!...Mr.Darcy,aucontraire,n’avaitvulàqu’unecollectiondegenschezquiiln’avaittrouvéniélégance,nicharme;personnene

luiavaitinspirélemoindreintérêt ;personneneluiavaitmarquédesympathieniprocuréd’agrément.IlreconnaissaitquemissBennetétaitjolie,maisellesouriaittrop.

Mrs.Hurstetsasœurétaientdecetavis;cependant,Janeleurplaisait;ellesdéclarèrentquec’était une aimable personne avec laquelle on pouvait assurément se lier. Et leur frère sesentitautoriséparcejugementàrêveràmissBennettoutàsaguise.

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Chapitre 5

PEUDEDISTANCEDELongbournvivaitunefamilleaveclaquellelesBennetétaientparticulièrementliés.SirWilliamLucasavaitcommencéparhabiterMerytonoùilsefaisaitunepetitefortunedanslesaffaireslorsqu’ils’étaitvuéleveràladignitéde«Knight»àlasuite d’un discours qu’il avait adressé au roi comme maire de la ville. Cettedistinctionluiavaitunpeutournélatêteenluidonnantledégoûtducommerce

et de la vie simplede sa petite ville.Quittant l’un et l’autre, il était venu se fixer avec safamilledansunepropriétésituéeàunmilledeMerytonquipritdèslorslenomde«LucasLodge ». Là, délivré du jougdes affaires, il pouvait à loisirméditer sur son importance ets’appliqueràdevenirl’hommelepluscourtoisdel’univers.Sonnouveautitrel’enchantait,sansluidonnerpourcelalemoindresoupçond’arrogance;ilsemultipliait,aucontraire,enattentionspourtoutlemonde.Inoffensif,bonetserviableparnature,saprésentationàSaint-Jamesavaitfaitdeluiungentilhomme.

Lady Lucas était une très bonne personne à qui ses facultés moyennes permettaient devoisiner

agréablementavecMrs.Bennet.Elleavaitplusieursenfantset l’aînée, jeunefilledevingt-septans,intelligenteetpleinedebonsens,étaitl’amieparticulièred’Elizabeth.

LesdemoisellesLucasetlesdemoisellesBennetavaientl’habitudedeseréunir,aprèsunbal,pour échanger leurs impressions. Aussi, dès le lendemain de la soirée deMeryton, on vitarriverlesdemoisellesLucasàLongbourn.

—Vous avez bien commencé la soirée, Charlotte, ditMrs. Bennet àmiss Lucas avec uneamabilitéunpeuforcée.C’estvousqueMr.Bingleyainvitéelapremière.

—Oui,maisilaparudebeaucouppréférerladanseusequ’ilainvitéelaseconde.

—Oh!vousvoulezparlerdeJaneparcequ’ill’afaitdanserdeuxfois.C’estvrai,ilavaitl’airde l’admirerassez,et jecroismêmequ’il faisaitplusqued’enavoir l’air. . .Onm’adit là-dessusquelquechose,–jenesaisplustropquoi,–oùilétaitquestiondeMr.Robinson...

— Peut-être voulez-vous dire la conversation entre Mr. Bingley et Mr. Robinson que j’aientendueparhasard;nevousl’ai-jepasrépétée?Mr.Robinsonluidemandaitcequ’ilpensaitdenosréunionsdeMeryton,s’ilnetrouvaitpasqu’ilyavaitbeaucoupdejoliespersonnesparmi lesdanseuseset laquelleétaitàsongré laplus jolie.ÀcettequestionMr.Bingleya

répondusanshésiter:«Oh!l’aînéedesdemoisellesBennet;celanefaitpasdedoute.»

—Voyez-vous!Ehbien!voilàquiestparlernet.Ilsembleeneffetque...Cependant,ilsepeutquetoutcelanemèneàrien...

—J’aientenducetteconversationbienàpropos.Jen’endiraipasautantpourcellequevousavez surprise, Eliza, dit Charlotte. Les réflexions deMr. Darcy sontmoins gracieuses quecellesdesonami.PauvreEliza!s’entendrequalifiertoutjustede«passable»!

—Jevousenprie,nepoussezpasLizzyàseformaliserdecetteimpertinence.Ceseraitungrandmalheurdeplaireàunhommeaussidésagréable.Mrs.Longmedisaithiersoirqu’ilétaitrestéunedemi-heureàcôtéd’ellesansdesserrerleslèvres.

—Nefaites-vouspaserreur,maman?ditJane.J’aicertainementvuMr.Darcyluiparler.

—Ehoui,parcequ’àlafinelleluiademandés’ilseplaisaitàNetherfieldetforceluiaétéderépondre,maisilparaîtqu’ilavaitl’airtrèsmécontentqu’onprîtlalibertédeluiadresserlaparole.

—MissBingleyditqu’iln’estjamaisloquaceaveclesétrangers,maisquedansl’intimitéc’estleplusaimablecauseur.

— Je n’en crois pas un traîtremot,mon enfant : s’il était si aimable, il aurait causé avecMrs.Long.Non,jesaiscequ’ilenest:Mr.Darcy,–toutlemondeenconvient,–estbouffid’orgueil.Ilaurasu,jepense,queMrs.Longn’apasd’équipageetquec’estdansunevoituredelouagequ’elleestvenueaubal.

—Celam’estégalqu’iln’aitpascauséavecMrs.Long,ditCharlotte,maisj’auraistrouvébienqu’ildansâtavecEliza.

—Uneautrefois,Lizzy,ditlamère,àvotreplace,jerefuseraisdedanseraveclui.

— Soyez tranquille, ma mère, je crois pouvoir vous promettre en toute sûreté que je nedanseraijamaisaveclui.

—Cetorgueil,ditmissLucas,mechoquemoinschezluiparcequej’ytrouvedesexcuses.Onnepeuts’étonnerqu’unjeunehommeaussibienphysiquementetpourvudetoutessortesd’avantagestelsquelerangetlafortuneaitdelui-mêmeunehauteopinion.Ila,sijepuisdire,unpeuledroitd’avoirdel’orgueil.

—Sansdoute,fitElizabeth,etjeluipasseraisvolontierssonorgueils’iln’avaitpasmodifiélemien.

— L’orgueil, observa Mary qui se piquait de psychologie, est, je crois, un sentiment trèsrépandu.Lanaturenousyporteetbienpeuparminouséchappentàcettecomplaisancequel’onnourritpoursoi-mêmeàcausedetellesoutellesqualitéssouventimaginaires.Lavanitéet l’orgueil sont choses différentes, bien qu’on emploie souvent ces deux mots l’un pourl’autre;onpeutêtreorgueilleuxsansêtrevaniteux.L’orgueilserapporteplusàl’opinionquenous avons de nous-mêmes, la vanité à celle que nous voudrions que les autres aient denous.

— Si j’étais aussi riche queMr. Darcy, s’écria un jeune Lucas qui avait accompagné ses

sœurs, jememoquerais biende tout cela ! Je commencerais par avoir unemeute pour lachasseaurenard,etjeboiraisunebouteilledevinfinàchacundemesrepas.

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Chapitre 6

ESDAMESDELONGBOURNnetardèrentpasàfairevisiteauxdamesdeNetherfieldetcelles-cileurrendirentleurpolitessesuivanttouteslesformes.LecharmedeJaneaccrutlesdispositionsbienveillantesdeMrs.HurstetdemissBingleyàsonégard,et tout en jugeant lamère ridicule et les plus jeunes sœurs insignifiantes, ellesexprimèrentauxdeuxaînéesledésirdefaireavecellesplusampleconnaissance.

Janereçutcettemarquedesympathieavecunplaisirextrême,maisElizabethtrouvaqu’ilyavaittoujoursbiendelahauteurdanslesmanièresdecesdames,mêmeàl’égarddesasœur.Décidément,ellenelesaimaitpoint;cependant,elleappréciaitleursavances,voulantyvoirl’effet de l’admiration que leur frère éprouvait pour Jane. Cette admiration devenait plusévidenteàchacunedeleursrencontresetpourElizabethilsemblaitégalementcertainque

Janecédaitdeplusenplusàlasympathiequ’elleavaitressentiedèslecommencementpourMr.Bingley.Bienheureusement,pensaitElizabeth,personnenedevaits’enapercevoir.Car,àbeaucoupdesensibilitéJaneunissaituneégalitéd’humeuretunemaîtrised’elle-mêmequilapréservaitdescuriositésindiscrètes.

ElizabethfitpartdecesréflexionsàmissLucas.

—Ilpeutêtreagréableenpareilcasdetromperdes indifférents,réponditCharlotte ;maisunetelleréservenepeut-elleparfoisdevenirundésavantage?Siunejeunefillecacheavectantdesoinsapréférenceàceluiquienestl’objet,ellerisquedeperdrel’occasiondelefixer,etsedireensuitequelemonden’yarienvuestunebienminceconsolation.Lagratitudeetlavanitéjouentuntelrôledansledéveloppementd’uneinclinationqu’iln’estpasprudentdel’abandonneràelle-même.VotresœurplaîtàBingleysansaucundoute,mais toutpeutenresterlà,siellenel’encouragepas.

—Votreconseilseraitexcellent,siledésirdefaireunbeaumariageétaitseulenquestion ;maiscen’estpaslecasdeJane.Ellen’agitpointparcalcul;ellen’estmêmepasencoresûredelaprofondeurdusentimentqu’elleéprouve,etellesedemandesansdoutesicesentimentestraisonnable.Voilàseulementquinzejoursqu’elleafaitlaconnaissancedeMr.Bingley :elleabiendanséquatrefoisavecluiàMeryton, l’avuenvisiteàNetherfieldunmatin,ets’esttrouvéeàplusieursdînersoùlui-mêmeétaitinvité;maiscen’estpasassezpourlebienconnaître.

—Allons,ditCharlotte,jefaisdetoutcœurdesvœuxpourlebonheurdeJane;maisjecrois

qu’elleauraittoutautantdechancesd’êtreheureuse,sielleépousaitMr.Bingleydemainquesiellesemetàétudiersoncaractèrependantuneannéeentière;carlebonheurenménageestpureaffairedehasard.Lafélicitédedeuxépouxnem’apparaîtpasdevoirêtreplusgrandedufaitqu’ilsseconnaissaientàfond

avantleurmariage;celan’empêchepaslesdivergencesdenaîtreensuiteetdeprovoquerlesinévitablesdéceptions.Mieuxvaut,àmonavis,ignorerlepluspossiblelesdéfautsdeceluiquipartageravotreexistence!

—Vousm’amusez,Charlotte ;maiscen’estpassérieux,n’est-cepas?Non, et vous-mêmen’agiriezpasainsi.

Tandis qu’elle observait ainsiMr. Bingley, Elizabeth était bien loin de soupçonner qu’ellecommençaitelle-mêmeàattirerl’attentiondesonami.Mr.Darcyavaitrefusétoutd’aborddelatrouver jolie.Il l’avaitregardéeavecindifférenceaubaldeMerytonetnes’étaitoccupéd’elleensuitequepourlacritiquer.Maisàpeineavait-ilconvaincusonentouragedumanquede beauté de la jeune fille qu’il s’aperçut que ses grands yeux sombres donnaient à saphysionomie une expression singulièrement intelligente. D’autres découvertes suivirent,aussimortifiantes:ildutreconnaîtreàElizabethunesilhouettefineetgracieuseet,luiquiavaitdéclaréquesesmanièresn’étaientpascellesdelahautesociété,ilsesentitséduitparleurcharmetoutspécialfaitdenatureletdegaieté.

DetoutceciElizabethétaitloindesedouter.Pourelle,Mr.Darcyétaitseulementquelqu’unquinecherchaitjamaisàserendreagréableetquinel’avaitpasjugéeassezjoliepourlafairedanser.

Mr.Darcyéprouvabientôtledésirdelamieuxconnaître,maisavantdesedécideràentrerenconversationavecelle,ilcommençaparl’écouterlorsqu’ellecausaitavecsesamies.Cefutchez sirWilliamLucas oùunenombreuse société se trouvait réunie que cettemanœuvreéveillapourlapremièrefoisl’attentiond’Elizabeth.

—Jevoudraisbiensavoir,dit-elleàCharlotte,pourquoiMr.Darcyprenaittoutàl’heureunsivifintérêtàcequejedisaisaucolonelForster.

—Luiseulpourraitvousledire.

—S’ilrecommence,jeluimontreraiquejem’enaperçois.Jen’aimepassonairironique.Sijene lui sers pas bientôt une impertinence de ma façon, vous verrez qu’il finira parm’intimider!

Et comme, peu après, Mr. Darcy s’approchait des deux jeunes filles sans manifesterl’intentiondeleuradresserlaparole,missLucasmitsonamieaudéfid’exécutersamenace.Ainsiprovoquée,Elizabethsetournaverslenouveauvenuetdit:

— N’êtes-vous pas d’avis, Mr. Darcy, que je m’exprimais tout à l’heure avec beaucoupd’éloquencelorsquejetourmentaislecolonelForsterpourqu’ildonneunbalàMeryton?

—Avecunegrandeéloquence.Mais,c’estlàunsujetquiendonnetoujoursauxjeunesfilles.

—Vousêtessévèrepournous.

—Etmaintenant,jevaislatourmenteràsontour,intervintmissLucas.Eliza,j’ouvrelepiano

etvoussavezcequecelaveutdire...

—Quellesingulièreamievousêtesdevouloirmefairejoueretchanterenpublic!Jevousenseraisreconnaissantesij’avaisdesprétentionsd’artiste,mais,pourl’instant,jepréféreraismetairedevantunauditoirehabituéàentendrelespluscélèbresvirtuoses.

Puis,commemissLucasinsistait,elleajouta:

—C’estbien;puisqu’illefaut,jem’exécute.

Letalentd’Elizabethétaitagréablesansplus.Quandelleeutchantéunoudeuxmorceaux,avantmêmequ’elleeûtpurépondreauxinstancesdeceuxquiluiendemandaientunautre,sasœurMary,toujoursimpatientedeseproduire,laremplaçaaupiano.

Mary,laseuledesdemoisellesBennetquinefûtpasjolie,sedonnaitbeaucoupdepeinepourperfectionnersonéducation.Malheureusement, lavanitéquianimaitsonardeurautravailluidonnaitenmêmetempsunairpédantetsatisfaitquiauraitgâtéuntalentplusgrandquelesien.ElizabethjouaitbeaucoupmoinsbienqueMary,mais,simpleetnaturelle,

onl’avaitécoutéeavecplusdeplaisirquesasœur.Àlafind’uninterminableconcerto,Maryfut heureuse d’obtenir quelques bravos en jouant des airs écossais réclamés par ses plusjeunessœursquisemirentàdanserà l’autreboutdusalonavecdeuxoutroisofficiersetquelquesmembresdelafamilleLucas.

Non loin de là,Mr.Darcy regardait les danseurs avec désapprobation, ne comprenant pasqu’onpûtainsipassertouteunesoiréesansréserverunmomentpourlaconversation;ilfutsoudaintirédesesréflexionsparlavoixdesirWilliamLucas:

—Quel jolidivertissementpour la jeunesseque ladanse,Mr.Darcy !Àmonavis, c’est leplaisirleplusraffinédessociétéscivilisées.

—Certainement,monsieur,etilal’avantaged’êtreégalementenfaveurparmilessociétéslesmoinscivilisées:touslessauvagesdansent.

SirWilliamsecontentadesourire.

—Votreamidansedanslaperfection,continua-t-ilauboutd’uninstantenvoyantBingleysejoindreaugroupedesdanseurs.Jenedoutepasquevous-même,Mr.Darcy,vousn’excelliezdanscetart.Dansez-voussouventàlacour?

—Jamais,monsieur.

—Cenoblelieumériteraitpourtantcethommagedevotrepart.

—C’estunhommagequejemedispensetoujoursderendrelorsquejepuism’endispenser.

—VousavezunhôtelàLondres,m’a-t-ondit?

Mr.Darcys’inclina,maisneréponditrien.

—J’aieujadisdesvelléitésdem’yfixermoi-mêmecarj’auraisaimévivredansunmondecultivé,maisj’aicraintquel’airdelavillenefûtcontraireàlasantédeladyLucas.

Ces confidences restèrent encore sans réponse. Voyant alors Elizabeth qui venait de leurcôté,sirWilliameutuneidéequiluisembladesplusgalantes.

—Comment!machèremissEliza,vousnedansez

pas ? s’exclama-t-il. Mr. Darcy, laissez-moi vous présenter cette jeune fille comme unedanseuseremarquable.Devanttantdebeautéetdecharme,jesuiscertainquevousnevousdéroberezpas.

Et,saisissantlamaind’Elizabeth,ilallaitlaplacerdanscelledeMr.Darcyqui,toutétonné,l’auraitcependantprisevolontiers,lorsquelajeunefillelaretirabrusquementendisantd’untonvif:

—Envérité,monsieur,jen’aipaslamoindreenviededanseretjevouspriedecroirequejenevenaispointdececôtéquêteruncavalier.

AveccourtoisieMr.Darcyinsistapourqu’elleconsentîtàluidonnerlamain,maiscefutenvain. La décision d’Elizabeth était irrévocable et sir William lui-même ne put l’en fairerevenir.

—Vousdansezsibien,missEliza,qu’ilestcrueldemepriverduplaisirdevousregarder,etMr.Darcy,bienqu’ilappréciepeucepasse-temps,étaitcertainementtoutprêtàmedonnercettesatisfactionpendantunedemi-heure.

Elizabethsouritd’unairmoqueurets’éloigna.SonrefusneluiavaitpointfaittortauprèsdeMr.Darcy,etilpensaitàelleavecunecertainecomplaisancelorsqu’ilsevitinterpellerparmissBingley.

—Jedevinelesujetdevosméditations,dit-elle.

—Enêtes-voussûre?

— Vous songez certainement qu’il vous serait bien désagréable de passer beaucoup desoiréesdanslegenredecelle-ci.C’estaussimonavis.Dieu!quecesgenssontinsignifiants,vulgairesetprétentieux!Jedonneraisbeaucouppourvousentendredirecequevouspensezd’eux.

— Vous vous trompez tout à fait ; mes réflexions étaient d’une nature beaucoup plusagréable:jesongeaisseulementaugrandplaisirquepeuventdonnerdeuxbeauxyeuxdanslevisaged’unejoliefemme.

MissBingley leregardafixementen luidemandantquellepersonnepouvait lui inspirercegenrederéflexion.

—MissElizabethBennet,réponditMr.Darcysanssourciller.

—MissElizabethBennet!répétamissBingley.Jen’enrevienspas.Depuiscombiendetempsoccupe-t-elle ainsi vos pensées, et quand faudra-t-il que je vous présente mes vœux debonheur?

—Voilàbienlaquestionquej’attendais.L’imaginationdesfemmescourtviteetsauteenunclin d’œil de l’admiration à l’amour et de l’amour au mariage. J’étais sûr que vous alliezm’offrirvosfélicitations.

—Oh!sivousleprenezainsi,jeconsidèrelachosecommefaite.Vousaurezenvéritéunedélicieusebelle-mèreetquivoustiendrasansdoutesouventcompagnieàPemberley.

Mr.Darcyécoutacesplaisanteriesaveclaplusparfaiteindifférenceet,rassuréeparsonairimpassible,missBingleydonnalibrecoursàsavervemoqueuse.

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Chapitre 7

AFORTUNEDEMR.BENNET consistait presque tout entière en un domaine d’unrevenude2000livresmaisqui,malheureusementpoursesfilles,devait,àdéfautd’héritier mâle, revenir à un cousin éloigné. L’avoir de leur mère, bienqu’appréciable,nepouvaitcompenserunetelleperte.Mrs.Bennet,quiétaitlafilled’unavouédeMeryton,avaithéritédesonpère4000livres;elleavaitunesœurmariée à un Mr. Philips, ancien clerc et successeur de son père, et un frère

honorablementétabliàLondresdanslecommerce.

LevillagedeLongbournn’étaitqu’àunmilledeMeryton,distancecommodepourlesjeunesfillesqui,troisouquatrefoisparsemaine,éprouvaientl’envied’allerprésenterleursdevoirsàleurtanteainsiqu’àlamodistequiluifaisaitfacedel’autrecôtédelarue.

Lesdeuxbenjamines,d’espritplusfrivolequeleursaînées,mettaientàrendrecesvisitesunempressementparticulier.Quandiln’yavaitriendemieuxàfaire,unepromenadeàMerytonoccupaitleurmatinéeetfournissaitunsujetdeconversationpourlasoirée.Sipeufertilequefût le pays en événements extraordinaires, elles arrivaient toujours à glaner quelquesnouvelleschezleurtante.

Actuellement elles étaient comblées de joie par la récente arrivée dans le voisinage d’unrégimentdelamilice.Ildevaitycantonnertoutl’hiveretMerytonétaitlequartiergénéral.LesvisitesàMrs.Philipsétaientmaintenantfécondeseninformationsduplushautintérêt,chaque jourajoutaitquelquechoseàceque l’onsavait sur lesofficiers, leursnoms, leursfamilles, et bientôt l’on fit connaissance avec les officiers eux-mêmes.Mr. Philips leur fitvisiteàtous,ouvrantainsiàsesniècesunesourcedefélicitéinconnuejusqu’alors.Ducoup,ellesneparlèrentplusquedesofficiers,etlagrandefortunedeMr.Bingleydontl’idéeseulefaisaitvibrerl’imaginationdeleurmèren’étaitrienpourelles,comparéeàl’uniformerouged’unsous-lieutenant.

Unmatin,aprèsavoirécoutéleurconversationsurcetinépuisablesujet,Mr.Bennetobservafroidement:

—Toutcequevousmeditesmefaitpenserquevousêtesdeuxdesfilleslesplussottesdelarégion.Jem’endoutaisdepuisquelquetemps,maisaujourd’hui,j’ensuisconvaincu.

Catherinedéconcertéenesoufflamot,maisLydia,avecuneparfaite indifférence,continuad’exprimersonadmirationpourlecapitaineCarteretl’espoirdelevoirlejourmêmecarilpartaitlelendemainpourLondres.

—Je suis surprise,mon ami, intervintMrs. Bennet, de vous entendre déprécier vos fillesaussifacilement.Sij’étaisenhumeurdecritique,cen’estpasàmespropresenfantsquejem’attaquerais.

—Simesfillessontsottes,j’espèrebienêtrecapabledem’enrendrecompte.

—Oui,maisilsetrouveaucontrairequ’ellessonttoutesfortintelligentes.

—Voilàleseulpoint,–etjem’enflatte,–surlequelnoussommesendésaccord.Jevoulaiscroirequevossentimentsetlesmienscoïncidaiententoutechosemaisjedoisreconnaîtrequ’ilsdiffèrentencequiconcernenosdeuxplusjeunesfillesquejetrouveremarquablementniaises.

— Mon cher Mr. Bennet, vous ne pouvez vous attendre à trouver chez ces enfants lejugementde leurpèreetde leurmère.Lorsqu’ellesaurontnotreâge, j’osedirequ’ellesnepenserontpasplusauxmilitairesquenousn’ypensonsnous-mêmes.Jemerappelleletempsoùj’avaisaussil’amourdel’uniforme;–àdirevraijelegardetoujoursaufondducœuretsiunjeuneetélégantcolonelpourvudecinqousixmillelivresderentesdésiraitlamaind’unedemesfilles,cen’estpasmoiquiledécouragerais.L’autresoir,chezsirWilliam,j’aitrouvéquelecolonelForsteravaitvraimentbellemineenuniforme.

—Maman,s’écriaLydia,matanteditquelecolonelForsteretlecapitaineCarternevontplusaussisouventchezmissWatsonetqu’ellelesvoitmaintenantfairedefréquentesvisitesàlalibrairieClarke.

La conversation fut interrompuepar l’entréeduvaletde chambrequi apportaitune lettreadresséeàJane.EllevenaitdeNetherfieldetundomestiqueattendaitlaréponse.

LesyeuxdeMrs.Bennetétincelèrentdeplaisiret,pendantquesafillelisait,ellelapressaitdequestions:

—Ehbien!Jane,dequiest-ce?Dequois’agit-il?Voyons,répondezvite,machérie.

—C’estdemissBingley,réponditJane,etelleluttouthaut:«Chèreamie,sivousn’avezpasla charitédevenirdîner aujourd’hui avecLouisaetmoi,nouscourrons le risquedenousbrouillerpourlerestede

nosjours,caruntête-à-têtedetouteunejournéeentredeuxfemmesnepeutseterminersansquerelle.Venezaussitôtcemotreçu.Monfrèreetsesamisdoiventdîneraveclesofficiers.Bienàvous.–CarolineBingley.»

—Aveclesofficiers!s’exclamaLydia.Jem’étonnequematantenenousenaitriendit.

—Ilsdînentenville,ditMrs.Bennet.Pasdechance.

—Puis-jeavoirlavoiture?demandaJane.

—Non,monenfant,vousferezmieuxd’yalleràchevalcarletempsestàlapluie;vousnepourrezvraisemblablementpasrevenircesoir.

—Ceserait fortbien,ditElizabeth,sivousétiezsûreque lesBingleyn’offrirontpasde lafairereconduire.

—Oh!pouralleràMeryton,cesmessieursontdûprendrelecabrioletdeMr.Bingleyetles

Hurstn’ontpasd’équipage.

—J’aimeraismieuxyallerenvoiture.

—Machèreenfant,votrepèrenepeutdonnerleschevaux;onenabesoinàlaferme,n’est-cepas,masterBennet?

—Onenabesoinàlafermeplussouventquejenepuislesdonner.

—Alors,sivouslesdonnezaujourd’hui,ditElizabeth,vousservirezlesprojetsdemamère.

Mr.Bennet,finalement,reconnutqueleschevauxétaientoccupés.Janefutdoncobligéedepartiràchevaletsamèrelaconduisitjusqu’àlaporteenformulanttoutessortesdejoyeuxpronosticssurlemauvaistemps.

Sonespéranceseréalisa:Janeétaitàpeinepartiequelapluiesemitàtomberavecviolence.Sessœursn’étaientpassansinquiétudeàsonsujet,maissamèreétaitenchantée.Lapluiecontinuatoutelasoiréesansarrêt:certainement,Janenepourraitpasrevenir.

—J’aieulàvraimentuneexcellenteidée,dit

Mrs.Bennetàplusieursreprises,commesic’étaitelle-mêmequicommandaitàlapluie.

Cenefutcependantquelelendemainmatinqu’elleapprittoutlesuccèsdesacombinaison.Lebreakfasts’achevaitlorsqu’undomestiquedeNetherfieldarrivaporteurd’unelettrepourElizabeth:

«MachèreLizzy,jemesenstrèssouffrantecematin,dufait,jesuppose,d’avoirététrempéejusqu’aux os hier.Mes aimables amies ne veulent pas entendre parler demon retour à lamaisonavantque je soismieux.Elles insistentpourque jevoieMr. Jones.Aussinevousalarmez pas si vous entendiez dire qu’il est venu pourmoi à Netherfield. Je n’ai rien desérieux,simplementunmaldegorgeaccompagnédemigraine.Toutàvous...etc...»

—Ehbien,machèreamie,ditMr.BennetquandElizabetheutachevédelirelalettreàhautevoix,sil’indispositiondevotrefilles’aggravaitetseterminaitmal,vousauriezlaconsolationdepenserqu’ellel’acontractéeencourantaprèsMr.Bingleypourvousobéir.

—Oh!jesuissanscrainte.Onnemeurtpasd’unsimplerhume.Elleestcertainementbiensoignée.Tantqu’ellerestelà-basonpeutêtretranquille.J’iraislavoirsilavoitureétaitlibre.

MaisElizabeth,vraimentanxieuse,décidadeserendreelle-mêmeàNetherfield.Commelavoituren’étaitpasdisponibleetquelajeunefillenemontaitpasàcheval,ellen’avaitd’autrealternativequed’yalleràpied.

—Avec une boue pareille ?Àquoipensez-vous ! s’écria samère lorsqu’elle annonça sonintention.Vousneserezpasprésentableenarrivant.

—JeleseraisuffisammentpourvoirJaneetc’esttoutcequejeveux.

—Donnez-vousàentendre,ditlepère,quejedevraisenvoyerchercherleschevaux?

—Nullement;jenecrainspaslamarche.La

distancen’estrienquandonaunmotifpressantetiln’yaquetroismilles;jeseraideretouravantledîner.

—J’admire l’ardeurdevotredévouement fraternel,déclaraMary.Mais toute impulsiondusentiment devrait être réglée par la raison, et l’effort, à mon avis, doit toujours êtreproportionnéaubutqu’onsepropose.

—Nousvousaccompagnonsjusqu’àMeryton,direntCatherineetLydia.

Elizabethacceptaleurcompagnieetlestroisjeunesfillespartirentensemble.

— Si nous nous dépêchons, dit Lydia en cours de route, peut-être apercevrons-nous lecapitaineCarteravantsondépart.

ÀMerytonellesseséparèrent.Lesdeuxplusjeunesserendirentchezlafemmed’unofficiertandis qu’Elizabeth poursuivait seule son chemin.On eût pu la voir, dans son impatienced’arriver, aller à travers champs, franchir les échaliers, sauter les flaques d’eau, pour setrouverenfindevantlamaison,lesjambeslasses,lesbascrottés,etlesjouesenflamméesparl’exercice.

Elle fut introduite dans la salle à manger où tout le monde était réuni sauf Jane. Sonapparitioncausaunevivesurprise.Queseule,àcetteheurematinale,elleeûtfaittroismillesdans une boue pareille, Mrs. Hurst et miss Bingley n’en revenaient pas et, dans leurétonnement, Elizabeth sentit nettement de la désapprobation. Elles lui firent toutefois unaccueiltrèspoli.Danslesmanièresdeleurfrèreilyavaitmieuxquedelapolitesse,ilyavaitde lacordialité ;Mr.DarcyditpeudechoseetMr.Hurstriendutout.Lepremier, toutenadmirantleteintd’Elizabethavivéparlamarche,sedemandaits’ilyavaitréellementmotifàcequ’elleeûtfaitseuleunesilonguecourse;lesecondnepensaitqu’àacheversondéjeuner.

Lesquestionsd’Elizabethausujetdesasœurreçurentuneréponsepeusatisfaisante.MissBennet

avaitmaldormi;elles’étaitlevéecependant,maissesentaitfiévreuseetn’avaitpasquittésachambre. Elizabeth se fit conduire immédiatement auprès d’elle et Jane qui, par crainted’alarmerlessiens,n’avaitpasoséréclamerunevisite,futraviedelavoirentrer.Sonétatneluipermettaitpasdeparlerbeaucoupet,quandmissBingleyleseutlaisséesensemble,ellesebornaàexprimersareconnaissancepourl’extrêmebontéqu’onluitémoignait.

Leurdéjeunerterminé,lesdeuxsœursvinrentlesrejoindreetElizabethelle-mêmesesentittouchée en voyant l’affection et la sollicitude dont elles entouraient Jane. Le médecin,arrivantàcemoment,examinalamaladeetdéclaracommeons’yattendaitqu’elleavaitprisungrosrhumequidemandaitàêtresoignésérieusement.Illuiconseilladeseremettreaulitetpromitdeluienvoyerquelquespotions.Janeobéitdocilementcarlessymptômesdefièvreaugmentaientainsiquelesdouleursdetête.

ElizabethnequittapasuninstantlachambredesasœuretMrs.HurstetmissBingleynes’enéloignèrentpasbeaucoupnonplus.Lesmessieursétant sortis ellesn’avaient riendeplusintéressantàfaire.

Quandl’horlogesonnatroisheures,Elizabeth,bienàcontrecœur,annonçasonintentionderepartir.MissBingleyluioffritdelafairereconduireenvoiture,maisJanetémoignaunetellecontrariété à la pensée de voir sa sœur la quitter que miss Bingley se vit obligée detransformer l’offre du cabriolet en une invitation à demeurer à Netherfield qu’Elizabeth

accepta avec beaucoup de reconnaissance. Un domestique fut donc envoyé à Longbournpourmettreleurfamilleaucourantetrapporterlesupplémentdelingeetdevêtementsdontellesavaientbesoin.

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Chapitre 8

CINQHEURES,MRS.HURSTET miss Bingley allèrent s’habiller, et à six heures etdemie,onannonçaitàElizabethqueledînerétaitservi.Quandelleentradanslasalleàmanger,ellefutassailliedequestionsparmilesquelleselleeutleplaisirdenoter la sollicitude toute spéciale exprimée par Mr. Bingley. Comme ellerépondaitquel’étatdeJanenes’amélioraitpas,lesdeuxsœursrépétèrenttroisouquatrefoisqu’ellesenétaientdésolées,qu’unmauvaisrhumeestunechose

bien désagréable et qu’elles-mêmes avaient horreur d’être malades ; après quoi elless’occupèrentd’autre chose, laissantàpenserque Jane,horsde leurprésence,ne comptaitplusbeaucouppourellesetcetteindifférenceréveillaaussitôtl’antipathied’Elizabeth.

Leur frère était vraiment la seule personne de la maison qu’elle jugeât avec faveur. Sonanxiétéausujetde l’étatdeJaneétaitmanifeste,etsesattentionspourElizabethdesplusaimables.Grâceàluielleavaitmoinsl’impressiond’êtreuneintrusedansleurcerclefamilial.Parmi lesautres,personnenes’occupaitbeaucoupd’elle :missBingleyn’avaitd’yeuxquepourMr.Darcy, sa sœurégalement ;Mr.Hurst, qui se trouvait à côtéd’Elizabeth, étaitunhomme indolent quine vivait quepourmanger, boire, et jouer aux cartes, et lorsqu’il eutdécouvertquesavoisinepréférait lesplatssimplesauxmetscompliqués, ilnetrouvaplusrienàluidire.

Ledînerterminé,elleremontadirectementauprèsdeJane.ElleavaitàpeinequittésaplacequemissBingley semettait à faire sonprocès : sesmanières,mélange de présomption etd’impertinence, furentdéclaréestrèsdéplaisantes ; elleétaitdépourvuedeconversationetn’avaitniélégance,nigoût,nibeauté.Mrs.Hurstpensaitdemêmeetajouta:

— Il faut lui reconnaîtreunequalité, celled’êtreuneexcellentemarcheuse. Jen’oublieraijamaissonarrivée,cematin;sonaspectétaitinénarrable!

— En effet, Louisa, j’avais peine à garder mon sérieux. Est-ce assez ridicule de courir lacampagnepourunesœurenrhumée!Etsescheveuxtoutébouriffés!

—Etsonjupon !Avez-vousvusonjupon?Ilavaitbienundemi-pieddebouequesaroben’arrivaitpasàcacher.

—Votredescriptionpeutêtretrèsexacte,Louisa,ditBingley,maisriendetoutcelanem’afrappé.MissElizabethBennetm’aparutoutàfaitàsonavantagequandelleestarrivéecematin,etjen’aipasremarquésonjuponboueux.

—Vous,Mr.Darcy,vousl’avezremarqué,j’ensuissûre,ditmissBingley,etj’inclineàpenserquevousn’aimeriezpasvoirvotresœurs’exhiberdansunetelletenue.

—Évidemmentnon.

—Faireainsijenesaiscombiendemillesdanslaboue,touteseule!Àmonavis,celadénoteunabominableespritd’indépendanceetunméprisdesconvenancesdespluscampagnards.

—Àmesyeux,c’estunepreuvetrèstouchantedetendressefraternelle,ditBingley.

—Jecrainsbien,Mr.Darcy,observaconfidentiellementmissBingley,quecet incidentnefassetortàvotreadmirationpourlesbeauxyeuxdemissElizabeth.

—Enaucunefaçon,répliquaDarcy:lamarchelesavaitrendusencoreplusbrillants.

UncourtsilencesuivitcesparolesaprèslequelMrs.Hurstreprit:

—J’aibeaucoupdesympathiepourJaneBennetquiestvraimentcharmanteetjesouhaitedetoutcœurluivoirfaireunjolimariage,maisavecunefamillecommelasienne,jecrainsbienqu’ellen’aitpointcettechance.

—Ilmesemblevousavoirentendudirequ’elleavaitunoncleavouéàMeryton?

—Oui,etunautreàLondresquihabitequelquepartducôtédeCheapside.

—Quartierdesplusélégants,ajoutasasœur,ettoutesdeuxsemirentàrireauxéclats.

—EtquandellesauraientdesonclesàenremplirCheapside,s’écriaBingley,cen’estpascelaquilesrendraitmoinsaimables.

— Oui, mais cela diminuerait singulièrement leurs chances de se marier dans la bonnesociété,répliquaDarcy.

Bingleyneditrien,maissessœursapprouvèrentchaleureusement,etpendantquelquetempsencore donnèrent libre cours à leur gaieté aux dépens de la parenté vulgaire de leurexcellenteamie.

Cependant,reprisesparunaccèsdesollicitude,ellesmontèrentàsachambreenquittantlasalle à manger et restèrent auprès d’elle jusqu’à ce qu’on les appelât pour le café. Janesouffrait toujours beaucoup et sa sœur ne voulait pas la quitter ; cependant, tard dans lasoirée,ayanteulesoulagementdelavoirs’endormir,elleseditqu’ilseraitpluscorrect,sinonplusagréable,dedescendreunmoment.

En entrantdans le salon, elle trouva toute la société en trainde jouer à lamouche et futimmédiatementpriéedesejoindreàlapartie.Commeellesoupçonnaitqu’onjouaitgrosjeu,elle déclina l’invitation et, donnant comme excuse son rôle de garde-malade, dit qu’elleprendrait volontiers un livre pendant les quelques instants où elle pouvait rester en bas.Mr.Hurstlaregarda,stupéfait.

—Préféreriez-vouslalectureauxcartes?demanda-t-il.Quelgoûtsingulier!

—Miss Elizabeth Bennet dédaigne les cartes, réponditmiss Bingley, et la lecture est sonuniquepassion.

—Jeneméritenicettelouange,nicereproche,

répliquaElizabeth.Jenesuispointaussiferventedelecturequevousl’affirmez,etjeprendsplaisiràbeaucoupd’autreschoses.

—Vousprenezplaisir,j’ensuissûr,àsoignervotresœur,intervintBingley,etj’espèrequeceplaisirserabientôtredoubléparsaguérison.

Elizabethremerciacordialement,puissedirigeaversunetableoùellevoyaitquelqueslivres.Bingleyaussitôtluioffritd’allerenchercherd’autres.

—Pourvotreagrément,commepourmaréputation,jesouhaiteraisavoirunebibliothèquemieuxgarnie,maisvoilà,jesuistrèsparesseux,et,bienquejepossèdepeudelivres,jenelesaimêmepastouslus.

— Je suis surprise, ditmiss Bingley, quemon père ait laissé si peu de livres.Mais vous,Mr.Darcy,quellemerveilleusebibliothèquevousavezàPemberley!

—Riend’étonnantàcela,répondit-il,carelleestl’œuvredeplusieursgénérations.

— Et vous-même travaillez encore à l’enrichir. Vous êtes toujours en train d’acheter deslivres.

—Jenecomprendspasqu’onpuissenégligerunebibliothèquedefamille!

—Jesuissûrequevousnenégligezriendecequipeutajouteràlasplendeurdevotrebellepropriété. Charles, lorsque vous vous ferez bâtir une résidence, je vous conseillesérieusement d’acheter le terrain aux environs de Pemberley et de prendre le manoir deMr.Darcycommemodèle.Iln’yapasenAngleterredeplusbeaucomtéqueleDerbyshire.

—Certainement.J’achèteraimêmePemberleysiDarcyveutmelevendre.

—Charles,jeparledechosesréalisables.

—Maparole,Caroline,jecroisqu’ilseraitplusfaciled’acheterPemberleyquedelecopier.

Elizabethintéresséeparlaconversationselaissadistrairedesalecture.Elleposabientôtsonlivreet,s’approchantdelatable,pritplaceentreMr.Bingleyetsasœuraînéepoursuivrelapartie.

—MissDarcya-t-ellebeaucoupchangédepuisceprintemps?ditmissBingley.Promet-elled’êtreaussigrandequemoi?

—Jecroisqueoui ;elleestmaintenantàpeuprèsdelatailledemissElizabeth,oumêmeplusgrande.

—Commejeseraisheureusedelarevoir!Jen’aijamaisrencontrépersonnequimefûtplussympathique.Elleadesmanièressigracieuses,elleestsiaccompliepoursonâge!Sontalentdepianisteestvraimentremarquable.

—Jevoudraissavoir,ditBingley,commentfontlesjeunesfillespouracquérirtantdetalents.Toutes saventpeindredepetites tables,broderdeséventails, tricoterdesbourses ; jen’enconnaispasunequinesachefairetoutcela;jamaisjen’aientenduparlerd’unejeunefillesansêtreaussitôtinforméqu’elleétait«parfaitementaccomplie».

—Cen’estquetropvrai,ditDarcy.Onqualifieainsinombrede femmesquinesaventen

effetquebroderunécranoutricoterunebourse,maisjenepuissouscrireàvotrejugementgénéralsurlesfemmes.Pourmapartjen’enconnaispasdansmesrelationsplusd’unedemi-douzainequiméritentréellementcetéloge.

—Alors,observaElizabeth,c’estquevousfaitesentrerbeaucoupdechosesdansl’idéequevousvousformezd’unefemmeaccomplie.

—Beaucoupeneffet.

—Oh!sansdoute,s’écriamissBingley,safidèlealliée,pourqu’unefemmesoitaccomplie,ilfaut qu’elle ait une connaissance approfondiede lamusique, du chant, de la danse et deslanguesétrangères.Maisilfautencorequ’elleaitdansl’air,ladémarche,lesondelavoix,lamanièredes’exprimer,uncertainquelquechosefautedequoicequalificatifneseraitqu’àdemimérité.

—Etàtoutceci,ajoutaMr.Darcy,elledoitajouterunavantageplusessentielencultivantsonintelligencepardenombreuseslectures.

— S’il en est ainsi, je ne suis pas surprise que vous ne connaissiez pas plus d’une demi-douzainedefemmesaccomplies.Jem’étonneplutôtquevousenconnaissiezautant.

—Êtes-vousdoncsisévèrepourvotrepropresexe?

— Non, mais je n’ai jamais vu réunis tant de capacités, tant de goût, d’application etd’élégance.

Mrs. Hurst etmiss Bingley protestèrent en chœur contre l’injustice d’Elizabeth, affirmantqu’elles connaissaient beaucoup de femmes répondant à ce portrait, lorsqueMr.Hurst lesrappelaàl’ordreenseplaignantamèrementdecequepersonneneprêtaitattentionaujeu.Laconversationsetrouvantsuspendue,Elizabethquittapeuaprèslesalon.

—ElizabethBennet,ditmissBingleydèsquelaportefutrefermée,estdecesjeunesfillesquicherchent à se faire valoir auprès de l’autre sexe en dénigrant le leur, et je crois quebeaucoupd’hommess’ylaissentprendre;maisc’estàmonavisunartificebienméprisable.

— Sans aucun doute, répliqua Darcy à qui ces paroles s’adressaient spécialement, il y aquelquechosedeméprisabledanstouslesartificesquelesfemmess’abaissentàmettreenœuvrepournousséduire.

MissBingleyfuttroppeusatisfaiteparcetteréponsepourinsisterdavantagesurcesujet.

LorsqueElizabethreparut,cefutseulementpourdirequesasœurétaitmoinsbienetqu’illuiétait impossible de la quitter. Bingley insistait pour qu’on allât chercher immédiatementMr. Jones, tandis que ses sœurs, dédaignant ce praticien rustique, jugeaient qu’il vaudraitmieux envoyer un exprès à Londres pour ramener un des meilleurs médecins. Elizabethécartaformellementcetteidée,maiselleacceptaleconseildeMr.Bingleyetilfutconvenuqu’oniraitdèslematinchercherMr.Jonessilanuitn’apportaitaucuneaméliorationàl’étatdemissBennet.Bingleyavaitl’airtrèsinquietetsessœurssedéclaraient

navrées,cequinelesempêchapasdechanterdesduosaprèslesoupertandisqueleurfrèrecalmaitsonanxiétéenfaisantàlafemmedechargemillerecommandationspourlebien-êtredelamaladeetdesasœur.

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Chapitre 9

LIZABETHPASSALAPLUSgrandepartiedelanuitauprèsdeJane ;maislematinelleeutleplaisirdedonnerdemeilleuresnouvellesàladomestiquevenuedebonneheure de la part de Mr. Bingley, puis, un peu plus tard, aux deux élégantescaméristesattachéesauservicedesessœurs.Endépitdecetteaméliorationelledemandaqu’onfîtporteràLongbournunbilletoùellepriaitsamèredevenirvoirJanepour jugerelle-mêmedesonétat.Lebilletfutaussitôtportéet laréponse

arrivapeuaprèsledéjeunersouslaformedeMrs.Bennetescortéedesesdeuxplusjeunesfilles.

Mrs.Bennet,sielleavaittrouvéJaneendanger,auraitétécertainementbouleversée ;mais,constatantquesonindispositionn’avaitriend’alarmant,ellenedésiraitnullementlavoirserétablirtropvite,saguérisondevantavoirpourconséquencesondépartdeNetherfield.Aveccettearrière-penséeellerefusad’écouterJanequidemandaitàêtretransportéeàLongbourn.Aureste, lemédecin,arrivéàpeuprèsaumêmemoment,nejugeaitpasnonpluslachoseraisonnable.

QuandelleseurentpasséquelquesinstantsavecJane,missBingleyemmenasesvisiteusesdanslepetitsalon,etBingleyvintexprimeràMrs.Bennetl’espoirqu’ellen’avaitpastrouvésafilleplussouffrantequ’ellenes’yattendait.

— En vérité si, monsieur, répondit-elle. Elle est même beaucoup tropmalade pour qu’onpuisselatransporteràlamaison.Mr.Jonesditqu’iln’yfaut

paspenser.Nousvoilàdoncobligéesd’abuserencoredevotrehospitalité.

—Latransporterchezvous!s’écriaBingley.Maislaquestionneseposemêmepas!Masœurs’yrefuseraitabsolument.

— Vous pouvez être sûre, madame, dit miss Bingley avec une froide politesse, que missBennet,tantqu’elleresteraici,recevralessoinslesplusempressés.

Mrs.Bennetseconfonditenremerciements.

—Sivousnevousétiezpasmontrésaussibons,jenesaiscequ’elleseraitdevenue,carelleest vraiment malade et souffre beaucoup, bien qu’avec une patience angélique comme àl’ordinaire.Cetteenfantaleplusdélicieuxcaractèrequ’onpuisseimagineretjedissouventàmesautresfillesqu’ellessontloindevaloirleursœur.Cettepièceestvraimentcharmante,master Bingley, et quelle jolie vue sur cette allée sablée. Je ne connais pas dans tout le

voisinageunepropriétéaussiagréablequeNetherfield.Vousn’êtespaspressédelequitter,jepense,bienquevousn’ayezpasfaitunlongbail.

—Mes résolutions, madame, sont toujours prises rapidement, et si je décidais de quitterNetherfield la chose serait probablement faite en un quart d’heure. Pour l’instant, je meconsidèrecommefixéicidéfinitivement.

—Voilàquinemesurprendpasdevous,ditElizabeth.

—Ehquoi,fit-ilensetournantverselle,vouscommencezdéjààmeconnaître.

—Oui,jecommenceàvousconnaîtreparfaitement.

—Jevoudraisvoirdanscesmotsuncompliment,maisjecrainsqu’ilnesoitpastrèsflatteurd’êtrepénétréaussifacilement.

—Pourquoidonc?Uneâmeprofondeetcompliquéen’estpasnécessairementplusestimablequelavôtre.

—Lizzy,s’écriasamère,rappelez-vousoùvous

êtesetnediscourezpasaveclalibertéqu’onvouslaisseprendreàlamaison.

—Jenesavaispas,poursuivaitBingley,quevousaimiezvouslivreràl’étudedescaractères.

—Lacampagne,ditDarcy,nedoitpasvousfournirbeaucoupdesujetsd’étude.Lasociétéyestgénéralementrestreinteetnechangeguère.

— Oui, mais les gens eux-mêmes changent tellement qu’il y a toujours du nouveau àobserver.

— Assurément, intervint Mrs. Bennet froissée de la façon dont Darcy parlait de leurentourage,etjevousassurequesurcepointlaprovincenelecèdeenrienàlacapitale.QuelssontaprèstoutlesgrandsavantagesdeLondres,àpartlesmagasinsetleslieuxpublics?Lacampagneestbeaucoupplusagréable,n’est-cepas,Mr.Bingley?

—Quand je suis à la campagne je ne souhaite point la quitter, et quand je me trouve àLondresjesuisexactementdanslesmêmesdispositions.

—Eh!c’estquevousavezunheureuxcaractère.Maiscegentleman,–etMrs.BennetlançaunregarddansladirectiondeDarcy,–semblemépriserlaprovince.

—Envérité,maman,s’écriaElizabeth,vousvousméprenezsurlesparolesdeMr.Darcy.Ilvoulaitseulementdirequ’onnerencontrepasenprovinceuneaussigrandevariétédegensqu’àLondresetvousdevezreconnaîtrequ’ilaraison.

—Certainement,machèreenfant,personneneleconteste,maisilnefautpasdirequenousne voyons pas grandmonde ici. Pournotre part, nous échangeonsdes invitations à dîneravecvingt-quatrefamilles.

LasympathiedeMr.BingleypourElizabethl’aidaseuleàgardersonsérieux.Sasœur,moinsdélicate, regarda Mr. Darcy avec un sourire significatif. Elizabeth, voulant changer deconversation, demanda à samère si Charlotte Lucas était venue à Longbourn depuis sondépart.

—Oui, nous l’avons vue hier ainsi que son père.Quel homme charmant que sirWilliam,n’est-cepas,Mr.Bingley?distingué,naturel,ayanttoujoursunmotaimableàdireàchacun.C’estpourmoiletypedel’hommebienélevé,aucontrairedecesgenstoutgonflésdeleurimportancequinedaignentmêmepasouvrirlabouche.

—Charlottea-t-elledînéavecvous?

—Non.Ellea tenuàretournerchezelleoùon l’attendait, jecrois,pour laconfectiondes«mince-pies».Quantàmoi,Mr.Bingley,jem’arrangepouravoirdesdomestiquescapablesdefaire seuls leur besogne, et mes filles ont été élevées autrement. Mais chacun juge à samanière et lesdemoisellesLucas sont fort gentilles.C’estdommage seulementqu’ellesnesoientpasplusjolies;nonpasquejetrouveCharlottevraimentlaide,maisaussi,c’estuneamietellementintime...

—Ellem’asembléfortaimable,ditBingley.

—Oh ! certainement, mais il faut bien reconnaître qu’elle n’est pas jolie. Mrs. Lucas enconvientelle-mêmeetnousenvielabeautédeJane.Certes,jen’aimepasfairel’élogedemesenfants,maisunebeautécommecelledeJanesevoitrarement.Àpeineâgéedequinzeans,ellearencontréàLondres,chezmonfrèreGardiner,unmonsieuràquiellepluttellementquemabelle-sœurs’attendaitàcequ’illademandâtenmariage.Iln’enfitrientoutefois–sansdoutelatrouvait-iltropjeune,–maisilaécritsurelledesverstoutàfaitjolis.

—Etainsi,ditElizabethavecunpeud’impatience,seterminacettegrandepassion.Cen’estpaslaseuledontonaittriomphédecettefaçon,etjemedemandequi,lepremier,aeul’idéedeseservirdelapoésiepourseguérirdel’amour.

—J’avaistoujoursétéhabitué,ditDarcy,àconsidérerlapoésiecommel’alimentdel’amour.

—Oh!d’unamourvrai,sainetvigoureux,

peut-être ! Tout fortifie ce qui est déjà fort. Mais lorsqu’il s’agit d’une pauvre petiteinclination,jesuissûrequ’unbonsonnetpeutenavoirfacilementraison.

Darcyréponditparunsimplesourire.Danslacrainted’unnouveaudiscoursintempestifdesamère,Elizabethauraitvoulucontinuer;maisavantqu’elleeûtputrouverunautresujetdeconversation, Mrs. Bennet avait recommencé la litanie de ses remerciements pourl’hospitalitéofferteàsesdeuxfilles.Mr.Bingleyréponditavecnatureletcourtoisie,sasœuravecpolitesse, sinonavecautantdebonnegrâce,et, satisfaite,Mrs.Bennetne tardapasàredemandersavoiture.

Àcesignal,Lydias’avança:elleavaitchuchotéavecKittytoutletempsdelavisiteettoutesdeuxavaientdécidéderappeleràMr.Bingleylapromessequ’ilavaitfaiteàsonarrivéededonnerunbalàNetherfield.Lydiaétaitunebellefillefraîche,joyeuse,etpleined’entrain ;bienqu’ellen’eûtquequinzeans,samèredontelleétaitlapréféréelaconduisaitdéjàdanslemonde.Lesassiduitésdesofficiersdelamilicequ’attiraientlesbonsdînersdesononcle,etqu’encourageaient sa liberté d’allures, avaient transformé son assurance naturelle en unvéritable aplomb. Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce qu’elle rappelât àMr. Bingley sapromesse,enajoutantqueceserait«vraimenthonteux»s’ilnelatenaitpas.

La réponse de Mr. Bingley à cette brusque mise en demeure dut charmer les oreilles de

Mrs.Bennet.

—Jevousassurequejesuistoutprêtàtenirmesengagements,et,dèsquevotresœurseraremise, vous fixerez vous-même le jour. Vous n’auriez pas le cœur, je pense, de danserpendantqu’elleestmalade.

Lydiasedéclarasatisfaite.Eneffet,ceseraitmieuxd’attendrelaguérisondeJane;etpuis,àcemomentsansdoute,lecapitaineCarterseraitrevenuàMeryton.

—Etquandvousaurezdonnévotrebal,

ajouta-t-elle, j’insisterai auprès du colonel Forster pour que les officiers en donnent unégalement.

Mrs. Bennet et ses filles prirent alors congé. Elizabeth remonta immédiatement auprès deJane,laissantàcesdamesetàMr.Darcylalibertédecritiqueràleuraisesonattitudeetcelledesafamille.

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Chapitre 10

AJOURNÉES’ÉCOULA,ASSEZ semblable à la précédente. Mrs. Hurst et miss Bingleypassèrentquelquesheuresdel’après-midiaveclamaladequicontinuait,bienquelentement,àseremettreet,danslasoirée,Elizabethdescenditrejoindreseshôtesausalon.

Latabledejeu,cettefois,n’étaitpasdressée.Mr.DarcyécrivaitunelettreetmissBingley, assise auprès de lui, l’interrompait à chaque instant pour le charger demessagespoursasœur.Mr.HurstetMr.BingleyfaisaientunepartiedepiquetquesuivaitMrs.Hurst.

ElizabethpritunouvragemaisfutbientôtdistraiteparlesproposéchangésentreDarcyetsavoisine. Les compliments que lui adressait constamment celle-ci sur l’élégance et larégularité de son écriture ou sur la longueur de sa lettre, et la parfaite indifférence aveclaquelle ces louanges étaient accueillies formaient une amusante opposition, tout enconfirmantl’opinionqu’Elizabethsefaisaitdel’unetdel’autre.

—CommemissDarcyseracontentederecevoirunesilonguelettre!

Pointderéponse.

—Vousécrivezvraimentavecunerapiditémerveilleuse.

—Erreur.J’écrisplutôtlentement.

—Vousdirezàvotresœurqu’ilmetardebeaucoupdelavoir.

—Jeleluiaidéjàditunefoisàvotreprière.

—Votreplumegrince!Passez-la-moi.J’aiuntalentspécialpourtaillerlesplumes.

—Jevousremercie,maisc’estunechosequejefaistoujoursmoi-même.

—Commentpouvez-vousécriresirégulièrement?

—...

—Dites à votre sœur que j’ai été enchantée d’apprendre les progrès qu’elle a faits sur laharpe.Dites-luiaussiquesonpetitcroquism’aplongéedansleravissement:ilestbeaucoupplusréussiqueceluidemissGrantley.

— Me permettez-vous de réserver pour ma prochaine lettre l’expression de votreravissement?Actuellement,ilnemeresteplusdeplace.

—Oh!celan’apasd’importance.Jeverraidurestevotresœurenjanvier.Luiécrivez-vouschaquefoisd’aussilonguesetcharmantesmissives,Mr.Darcy?

—Longues,oui;charmantes,cen’estpasàmoidelesjugertelles.

—Àmonavis,deslettresécritesavecautantdefacilitésonttoujoursagréables.

—Votrecomplimenttombeàfaux,Caroline,s’écriasonfrère.Darcyn’écritpasavecfacilité;ilrecherchetroplesmotssavants,lesmotsdequatresyllabes,n’est-cepas,Darcy?

—Monstyleépistolaireestévidemmenttrèsdifférentduvôtre.

—Oh !s’écriamissBingley,Charlesécritd’unefaçontoutàfaitdésordonnée ; iloublie lamoitiédesmotsetbarbouillelereste.

—Lesidéessepressentsousmaplumesiabondantesquejen’aimêmepasletempsdelesexprimer. C’est ce qui explique pourquoi mes lettres en sont quelquefois totalementdépourvues.

—Votrehumilitédevraitdésarmerlacritique,masterBingley,ditElizabeth.

—Humilitéapparente,ditDarcy,etdontilnefautpasêtredupe.Cen’estsouventquedédaindel’opiniond’autruietparfoismêmeprétentiondissimulée.

—Lequeldecesdeuxtermesappliquez-vousautémoignagedemodestiequejeviensdevousdonner?

— Le second. Au fond, vous êtes fier des défauts de votre style que vous attribuez à larapiditédevotrepenséeetàuneinsoucianced’exécutionquevous jugezoriginale.Onesttoujoursfierdefairequelquechoserapidementetl’onneprendpasgardeauximperfectionsquienrésultent.LorsquevousavezditcematinàMrs.BennetquevousvousdécideriezencinqminutesàquitterNetherfield,vousentendiezprovoquersonadmiration.Pourtant,qu’ya-t-il de si louable dans une précipitation qui oblige à laisser inachevées des affairesimportantesetquinepeutêtred’aucunavantageàsoiniàpersonne?

—Allons!Allons!s’écriaBingley,onnedoitpasrappelerlesoirlessottisesquiontétéditeslematin.Etcependant,surmonhonneur,j’étaissincèreetnesongeaisnullementàmefairevaloirdevantcesdamesparuneprécipitationaussivaine.

—J’ensuisconvaincu,maisj’aimoinsdecertitudequantàlapromptitudedevotredépart.Comme tout le monde, vous êtes à la merci des circonstances, et si aumoment où vousmontezàchevalunamivenaitvousdire:«Bingley,vousferiezmieuxd’attendrejusqu’àlasemaineprochaine»,ilestplusqueprobablequevousnepartiriezpas.Unmotdeplus,etvousresteriezunmois.

—Vous nous prouvez par là, s’écria Elizabeth, queMr. Bingley s’est calomnié, et vous lefaitesvaloirainsibienplusqu’ilnel’afaitluimême.

—Jesuis très touché, réponditBingley,devoir transformer lacritiquedemonamienunéloge de mon bon caractère. Mais je crains que vous ne trahissiez sa pensée ; car ilm’estimeraitsûrement

davantagesienunetelleoccasionjerefusaistoutnet,sautaisàchevaletm’éloignaisàbride

abattue!

— Mr. Darcy estime donc que votre entêtement à exécuter votre décision rachèterait lalégèretéaveclaquellevousl’auriezprise?

—J’avouequ’ilm’estdifficiledevousdireaujustecequ’ilpense:jeluipasselaparole.

—Vousmedonnezàdéfendreuneopinionquevousm’attribueztoutàfaitgratuitement !Admettonscependantlecasenquestion:rappelez-vous,missBennet,quel’amiquichercheàleretenirneluioffreaucuneraisonpourledécideràrester.

—Alors,céderaimablementàlarequêted’unamin’estpasunmérite,àvosyeux?

—Non.Cédersansraisonnemeparaîtêtrehonorablenipourl’un,nipourl’autre.

—Ilmesemble,Mr.Darcy,quevouscomptezpourrien lepouvoirde l’affection.Oncèdesouventàunedemandeparpureamitiésansavoirbesoind’yêtredécidépardesmotifsoudesraisonnements.Laissonspourl’instantjusqu’àcequ’ilseprésentelecasquevousavezimaginépourMr.Bingley.D’unefaçongénérale,siquelqu’unsolliciteunamidemodifierunerésolution,d’ailleurspeu importante,blâmerez-vouscedernierd’yconsentir sansattendrequ’onluidonnedesargumentscapablesdelepersuader?

—Avantdepousserplusloincedébat,neconviendrait-ilpasdepréciserl’importancedelaquestion,aussibienqueledegréd’intimitédesdeuxamis?

—Alors,interrompitBingley,n’oublionsaucunedesdonnéesduproblème,ycomprislatailleet lepoidsdespersonnages,cequicompteplusquevousnecroyez,missBennet.JevousassurequesiDarcyn’étaitpasungaillardsigrandetsivigoureuxjeneluitémoigneraispasmoitiéautantdedéférence.Vousnepouvezvousimaginerlacraintequ’ilm’inspireparfois;chezlui,enparticulier,ledimanchesoir,lorsqu’iln’arienàfaire.

Mr.Darcysourit,maisElizabethcrutdevinerqu’ilétaitunpeuvexéetseretintderire.MissBingley,indignée,reprochaàsonfrèredediretantdesottises.

—Jevoiscequevouscherchez,Bingley,luiditsonami.Vousn’aimezpaslesdiscussionsetvoulezmettreuntermeàcelle-ci.

—Jenedispasnon.Lesdiscussionsressemblenttropàdesquerelles.SivousetmissBennetvoulezbienattendrequejesoishorsdusalon,jevousenseraitrèsreconnaissant,etvouspourrezdiredemoitoutcequevousvoudrez.

—Ceneserapaspourmoiungrandsacrifice,ditElizabeth,etMr.Darcy,desoncôté,feraitmieuxdeterminersalettre.

Mr.Darcysuivitceconseilet,quandileutfinid’écrire,ilpriamissBingleyetElizabethdebien vouloir faire un peu de musique.Miss Bingley s’élança vers le piano et après avoirpoliment offert à Elizabeth de jouer la première, – ce que celle-ci refusa avec autant depolitesseetplusdeconviction,–elles’installaelle-mêmedevantleclavier.

Mrs.Hurstchantaaccompagnéeparsasœur.Elizabethquifeuilletaitdespartitionséparsessurlepianoneputs’empêcherderemarquerqueleregarddeMr.Darcysefixaitsouventsurelle.Ilétaitimpossiblequ’elleinspirâtunintérêtflatteuràcehautainpersonnage !D’autre

part,supposerqu’illaregardaitparcequ’elleluidéplaisaitétaitencoremoinsvraisemblable.«Sansdoute,finit-elleparsedire,ya-t-ilenmoiquelquechosederépréhensiblequiattiresonattention.»Cettesuppositionnelatroublapoint;ilneluiétaitpasassezsympathiquepourqu’ellesesouciâtdesonopinion.

Aprèsavoir jouéquelqueschansons italiennes,missBingley,pourchanger, attaquaunairécossaisvifetalerte.

—Est-cequecelanevousdonnepasgrandeenvie

dedanserunreel,missBennet?ditDarcyens’approchant.

Elizabethsouritmaisnefitaucuneréponse.

Unpeusurprisdesonsilence,ilrépétasaquestion.

—Oh!dit-elle,jevousavaisbienentendulapremièrefois,maisnesavaistoutd’abordquevous répondre.Vousespériez, j’ensuis sûre,que jediraisoui,pourpouvoirensuite raillermonmauvaisgoût.Maisj’aitoujoursplaisiràdéjouerdetelsdesseinsetàpriverquelqu’undel’occasiondesemoquerdemoi.Jevousrépondraidoncquejen’aiaucuneenviededanserunreel.Etmaintenant,riezdemoisivousl’osez.

—Jenemelepermettraiscertainementpas.

Elizabeth,quipensaitl’avoirvexé,futfortétonnéedecetteaimableréponse,maisilyavaitchez elle un mélange d’espièglerie et de charme qui empêchaient ses manières d’êtreblessantes,etjamaisencoreunefemmen’avaitexercésurDarcyunepareilleséduction.«Envérité,pensait-il,sanslavulgaritédesafamille,jecourraisquelquedanger.»

MissBingleyétaitassezclairvoyantepourquesajalousiefûtenéveiletsasollicitudepourlasanté de sa chère Jane se doublait du désir d’être débarrassée d’Elizabeth. Elle essayaitsouvent de rendre la jeune fille antipathique à Darcy en plaisantant devant lui sur leurprochainmariageetsurlebonheurquil’attendaitdansunetellealliance.

—J’espère,luidit-ellelelendemain,tandisqu’ilssepromenaientdanslacharmille,que,lorsdecetheureuxévénement,vousdonnerezàvotrebelle-mèrequelquesbonsconseilssurlanécessitédetenirsalangue,etquevousessayerezdeguérirvosbelles-sœursdeleurpassionpour lesmilitaires ; et, s’ilm’estpermisd’aborderun sujet aussidélicat,nepourriez-vousfaireaussidisparaîtrecettepointed’impertinenceetdesuffisancequicaractériseladamedevospensées?

—Avez-vousd’autresconseilsàmedonnerenvuedemonbonheurdomestique?

—Encorececi :n’oubliezpasdemettre lesportraitsde l’oncleetde la tantePhilipsdansvotregalerieàPemberleyetplacez-lesàcôtédeceluidevotregrand-onclelejuge.Ilssontunpeudelamêmeprofession,n’est-cepas?QuantàvotreElizabeth,inutiled’essayerdelafairepeindre.Quelartisteseraitcapablederendredesyeuxaussiadmirables?

Àcemoment,Mrs.HurstetElizabethdébouchèrentd’unealléetransversale.

—Jenesavaispasquevousvouspromeniezaussi,ditmissBingleyunpeuconfuseàl’idéequ’onavaitpusurprendresaconversationavecDarcy.

—C’esttrèsmalàvous,réponditMrs.Hurst,d’avoirdisparuainsisansnousdirequevoussortiez.Et,s’emparantdel’autrebrasdeMr.Darcy,ellelaissaElizabethseuleenarrière.Onnepouvaitmarcherdanslesentierqu’àtroisdefront.Mr.Darcy,conscientdel’impolitessedesescompagnes,ditaussitôt:

—Cettealléen’estpasassezlarge;sinousallionsdansl’avenue?

—Non, non, dit Elizabeth en riant, vous faites à vous trois un groupe charmant dontmaprésencerompraitl’harmonie.Adieu!

Etelles’enfuitgaiement,heureuseàl’idéedeseretrouverbientôtchezelle.Janeseremettaitsibienqu’elleavaitl’intentiondequittersachambreuneheureoudeuxcesoir-là.

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L

Chapitre 11

ORSQUELESDAMESSE levèrent de table à la fin du dîner, Elizabeth remonta encourant chez sa sœur et, après avoir veillé à ce qu’elle fût bien couverte,redescenditavecelleausalon.Janefutaccueillieparsesamiesavecdegrandesdémonstrationsdejoie.Jamais

Elizabeth ne les avait vues aussi aimables que pendant l’heure qui suivit. Ellesavaientvraimentledondelaconversation,pouvaientfaire lerécitdétailléd’unepartiedeplaisir, conter une anecdote avec humour et semoquer de leurs relations avec beaucoupd’agrément.Mais quand lesmessieurs rentrèrent au salon, Jane passa soudain au secondplan.

Mr.Darcy, dès son entrée, fut interpellé parmissBingleymais il s’adressa d’abord àmissBennet pour la féliciter poliment de sa guérison.Mr.Hurst lui fit aussi un léger salut enmurmurant : « Enchanté ! » mais l’accueil de Bingley se distingua par sa chaleur et sacordialité ;pleindejoieetdesollicitude,ilpassalapremièredemi-heureàempilerduboisdanslefeudecraintequeJanenesouffrîtduchangementdetempérature.Sursesinstances,elledutseplacerdel’autrecôtédelacheminéeafind’êtreplusloindelaporte;ils’assitalorsauprèsd’elleetsemitàl’entretenirsanspluss’occuperdesautres.Elizabethquitravaillaitunpeuplusloinobservaitcettepetitescèneavecuneextrêmesatisfaction.

Aprèslethé,Mr.Hurstréclamasanssuccèslatabledejeu.Sabelle-sœuravaitdécouvertqueMr.Darcyn’appréciaitpaslescartes.Elleaffirmaquepersonnen’avaitenviedejoueretlesilence général parut lui donner raison. Mr. Hurst n’eut donc d’autre ressource que des’allonger sur un sofa et de s’y endormir.Darcyprit un livre,missBingley en fit autant ;Mrs.Hurst,occupéesurtoutàjoueravecsesbraceletsetsesbagues,plaçaitunmotdetempsàautredanslaconversationdesonfrèreetdemissBennet.

MissBingleyétaitmoinsabsorbéeparsalecturequeparcelledeMr.Darcyetnecessaitdelui poser des questions ou d’aller voir à quelle page il en était ; mais ses tentatives deconversation restaient infructueuses ; il se contentait de lui répondre brièvement sansinterrompresalecture.Àlafin,lassedes’intéresseràunlivrequ’elleavaitprisuniquementparcequec’était

lesecondvolumedel’ouvragechoisiparDarcy,elleditenétouffantunbâillement:

—Quelleagréablemanièredepasserunesoirée!Nulplaisir,vraiment,nevautlalecture;on

nes’enlassejamaistandisqu’onselassedureste.Lorsquej’auraiunemaisonàmoi,jeseraibienmalheureusesijen’aipasunetrèsbellebibliothèque.

Personnen’ayantrépondu,ellebâillaencoreunefois,mitsonlivredecôtéetjetalesyeuxautour d’elle en quête d’une autre distraction.Entendant alors son frère parler d’unbal àmissBennet,ellesetournasoudaindesoncôtéendisant:

—Àpropos,Charles,est-cesérieusementquevoussongezàdonnerunbalàNetherfield ?Vous feriezmieuxdenousconsulter tousavantde riendécider.Si jeneme trompe,pourcertainsd’entrenouscebalseraitplutôtunepénitencequ’unplaisir.

—Sic’estàDarcyquevouspensez,répliquasonfrère,libreàluid’allersecoucheràhuitheurescesoir-là.Quantaubal,c’estuneaffairedécidéeetdèsqueNicholsaurapréparéassezde«blancmanger»j’enverraimesinvitations.

—Lesbalsmeplairaientdavantages’ilsétaientorganisésd’unefaçondifférente.Cessortesderéunionssontd’uneinsupportablemonotonie.Neserait-ilpasbeaucoupplusraisonnabled’ydonnerlapremièreplaceàlaconversationetnonàladanse?

—Ceseraitbeaucoupmieux,sansnuldoute,machèreCaroline,maisceneseraitplusunbal.

MissBingleyneréponditpointet,selevant,semitàsepromeneràtraverslesalon.Elleavaitune silhouette élégante et marchait avec grâce, mais Darcy dont elle cherchait à attirerl’attention restait inexorablementplongédans son livre.Endésespoirdecauseellevouluttenterunnouveleffortet,setournantversElizabeth:

—MissElizaBennet,dit-elle,suivezdoncmonexempleetvenezfaireletourdusalon.Cetexercice

estundélassement,jevousassure,quandonestrestésilongtempsimmobile.

Elizabeth,bienquesurprise,consentit,etlebutsecretdemissBingleyfutatteint:Mr.Darcyleva lesyeux.CettesollicitudenouvelledemissBingleyà l’égardd’Elizabeth lesurprenaitautantquecelle-ci,et,machinalement,ilfermasonlivre.Ilfutaussitôtpriédesejoindreàlapromenade,mais il déclina l’invitation : il ne voyait, dit-il, quedeuxmotifs pour les avoirdécidéesàfairelescentpasensembleet,dansuncascommedansl’autre,jugeaitinopportundesejoindreàelles.Quesignifiaientcesparoles?MissBingleymouraitd’enviedelesavoir,etdemandaàElizabethsiellecomprenait.

—Pasdutout, répondit-elle.Maissoyezsûrequ’ilya là-dessousuneméchancetéànotreadresse.LemeilleurmoyendedésappointerMr.Darcyestdoncdenerienluidemander.

MaisdésappointerMr.DarcyétaitpourmissBingleyunechoseimpossibleetelleinsistapouravoiruneexplication.

—Rienn’empêchequejevousladonne,dit-il,dèsqu’elleluipermitdeplaceruneparole ;vousavezchoisicepasse-tempssoitparcequevousavezdesconfidencesàéchanger,soitpournousfaireadmirerl’élégancedevotredémarche.Danslepremiercasjeseraisdetropentrevouset,danslesecond,jesuismieuxplacépourvouscontempler,assisaucoindufeu.

—Quelleabomination!s’écriamissBingley.A-t-onjamaisrienentendudepareil?Commentpourrions-nouslepunird’unteldiscours?

—C’estbienfacile,sivousenavezréellementledésir.Taquinez-le,moquez-vousdelui.Vousêtesassezintimespoursavoircommentvousyprendre.

—Maispas lemoinsdumonde, jevousassure.Lemoyendes’attaqueràunhommed’uncalmeaussiimperturbableetd’unetelleprésenced’esprit.Non,

non ; c’estêtrevaincud’avance.Nousn’auronspas l’imprudencederirede lui sanssujet.Mr.Darcypeutdonctriompher.

—Comment?OnnepeutpasriredeMr.Darcy?Ilpossèdelàunavantagebienrare!

—MissBingley, dit celui-ci,me fait tropd’honneur.Leshommes lesmeilleurs et lesplussages,ou,sivousvoulez,lesmeilleursetlesplussagesdeleursactespeuventtoujoursêtretournésenridiculeparceuxquinesongentqu’àplaisanter.

— J’espère, dit Elizabeth, que je ne suis pas de ce nombre et que je ne tourne jamais enridicule ce qui est respectable. Les sottises, les absurdités, les caprices d’autrui medivertissent, je l’avoue,et j’enrischaque foisque j’enai l’occasion ;maisMr.Darcy, je lesuppose,n’arienàfaireavecdetellesfaiblesses.

—Peut-êtreest-cedifficile,maisj’aiprisàtâched’éviterlesfaiblessesenquestion,carellesamoindrissentlesespritslesmieuxéquilibrés.

—Lavanitéetl’orgueil,parexemple?

—Oui,lavanitéestvéritablementunefaiblesse,maisl’orgueil,chezunespritsupérieur,setiendratoujoursdansdejusteslimites.

Elizabethsedétournapourcacherunsourire.

—Avez-vousfinil’examendeMr.Darcy?demandamissBingley.Pouvons-nousensavoirlerésultat?

—Certainement.Mr.Darcyn’apasdedéfaut,ill’avouelui-mêmesansaucunefaussehonte.

—Non,ditDarcy, je suisbien loind’êtreaussiprésomptueux. J’aibonnombrededéfautsmaisjemeflattequ’ilsn’affectentpasmonjugement.Jen’oserépondredemoncaractère;jecroisqu’ilmanquedesouplesse–iln’enacertainementpasassezaugréd’autrui.–J’oubliedifficilementlesoffensesquimesontfaitesetmonhumeurmériteraitsansdoutel’épithètedevindicative.Onnemefaitpasaisémentchangerd’opinion.Quandjeretiremonestimeàquelqu’un,c’estd’unefaçondéfinitive.

—Être incapabledepardonner !Ehbien ! voilàqui estundéfaut !Mais vous l’avezbienchoisi;ilm’estimpossibled’enrire.

—Ilya,jecrois,enchacundenous,undéfautnaturelquelameilleureéducationnepeutarriveràfairedisparaître.

—Levôtreestunetendanceàmépriservossemblables.

—Etlevôtre,répliqua-t-ilavecunsourire,estdeprendreunmalinplaisiràdéfigurerleurpensée.

— Faisons un peu de musique, voulez-vous ? proposa miss Bingley, fatiguée d’une

conversationoùellen’avaitaucunepart.Vousnem’envoudrezpas,Louisa,deréveillervotremari?

Mrs.Hurstn’ayantfaitaucuneobjection,lepianofutouvertetDarcy,àlaréflexion,n’enfutpasfâché.Ilcommençaitàsentirqu’ilyavaitquelquedangeràtrops’occuperd’Elizabeth.

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Chapitre 12

OMMEILAVAITÉTÉ convenu entre les deux sœurs, Elizabeth écrivit le lendemainmatinàsamèrepourluidemanderdeleurenvoyerlavoituredanslecoursdelajournée.MaisMrs.BennetquiavaitcalculéquesesfillesresteraientunesemaineentièreàNetherfieldenvisageait sansplaisirunsipromptretour.Elle réponditdoncqu’ellesnepourraientpasavoirlavoitureavantlemardi,ajoutantenpost-scriptumquesil’oninsistaitpourlesgarderpluslongtempsonpouvaitbiense

passerd’ellesàLongbourn.

Elizabethrepoussaitl’idéederesterdavantageàNetherfield;d’ailleursellenes’attendaitpasà recevoir une invitation de ce genre et craignait, au contraire, qu’en prolongeant sansnécessitéleurséjourelleetsasœurneparussentindiscrètes.Elleinsista

donc auprès de Jane pour que celle-ci priâtMr. Bingley de leur prêter sa voiture et ellesdécidèrentd’annonceràleurshôtesleurintentiondequitterNetherfieldlejourmême.

Denombreusesprotestationsaccueillirentcettecommunicationetdetellesinstancesfurentfaites que Jane se laissa fléchir et consentit à rester jusqu’au lendemain. Miss Bingleyregrettaalorsd’avoirproposécedélai,carlajalousieetl’antipathiequeluiinspiraitl’unedesdeuxsœursl’emportaientdebeaucoupsursonaffectionpourl’autre.

Lemaîtredelamaisonnepouvaitserésigneràlesvoirpartirsiviteet,àplusieursreprises,essayadepersuaderàmissBennetqu’ellen’étaitpasencoreassezrétabliepourvoyagersansimprudence.Mais,sûred’agirraisonnablement,Janenecédapas.

QuantàMr.Darcyilappritlanouvellesansdéplaisir:ElizabethétaitrestéeassezlongtempsàNetherfieldetilsesentaitattiréverselleplusqu’ilnel’auraitvoulu.D’unautrecôté,missBingleylatraitaitavecpeudepolitesseetleharcelaitlui-mêmedesesmoqueries.Ilrésolutsagementdenelaisseréchapperaucunemarqued’admiration,aucunsignequipûtdonneràElizabeth l’idée qu’elle possédait lamoindre influence sur sa tranquillité. Si un tel espoiravait punaître chez elle, il était évident que la conduite deDarcy pendant cette dernièrejournéedevaitagirdefaçondéfinitive,oupourleconfirmer,oupourledétruire.

Ferme dans sa résolution, c’est à peine s’il adressa la parole à Elizabeth durant toute lajournée du samedi et, dans un tête-à-tête d’une demi-heure avec elle, restaconsciencieusementplongédanssonlivresansmêmeluijeterunregard.

Le dimanche après l’office du matin eut lieu cette séparation presque unanimement

souhaitée.MissBingley,aumomentdesadieux,sentits’augmentersonaffectionpourJaneetredevintpolieenversElizabeth;

elleembrassal’unetendrementenl’assurantdelajoiequ’elleauraittoujoursàlarevoiretserra la main de l’autre presque amicalement. Elizabeth, de son côté, se sentait de trèsjoyeusehumeurenprenantcongé.

L’accueil qu’elles reçurent de leur mère en arrivant à Longbourn fut moins cordial.Mrs. Bennet s’étonna de leur retour et les blâma sévèrement d’avoir donné à leurs hôtesl’embarrasdelesfairereconduire.Deplus,elleétaitbiensûrequeJaneavaitreprisfroid ;maisleurpère,malgrél’expressionlaconiquedesoncontentement,étaittrèsheureuxdelesvoirderetour.Sesfillesaînéesluiavaientbeaucoupmanqué;ilavaitsentilaplacequ’ellesoccupaientàsonfoyer,etlesveilléesfamiliales,enleurabsence,avaientperdubeaucoupdeleuranimationetpresquetoutleurcharme.

EllestrouvèrentMaryplongéedanssesgrandesétudeset,commed’habitude,prêteàleurlireles derniers extraits de ses lectures accompagnées de réflexions philosophiques peuoriginales.Catherine etLydia avaientdesnouvellesd’un tout autre genre ; il s’étaitpassébeaucoupde choses au régimentdepuis leprécédentmercredi : plusieurs officiers étaientvenusdînerchezleuroncle ;unsoldatavaitétéfustigéetlebruitduprochainmariageducolonelForstercommençaitàserépandre.

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Chapitre 13

— J’espère, ma chère amie, que vous avez commandé un bon dîner pour ce soir, ditMr.Bennetàsafemmeendéjeunant le lendemain,car ilestprobablequenousauronsunconvive.

—Etquidonc,monami?Jenevoispersonnequisoitdanslecasdevenir,saufpeut-êtreCharlotteLucas,etjepensequenotreordinairepeutluisuffire.

—Leconvivedontjeparleestungentlemanetunétranger.

LesyeuxdeMrs.Bermetétincelèrent.

—Ungentlemanetunétranger !AlorscenepeutêtrequeMr.Bingley !Oh ! Jane ! petiterusée,vousn’enaviezriendit...AssurémentjeserairaviedevoirMr.Bingley.Mais,grandDieu !Commec’est ennuyeuxqu’onnepuissepas trouverdepoissonaujourd’hui !Lydia,monamour,sonnezvite!Ilfautquejeparletoutdesuiteàlacuisinière.

—Cen’estpasMr.Bingley,intervintsonmari;c’estquelqu’unquejen’aijamaisvu.

Cette déclaration provoqua un étonnement général suivi d’un déluge de questions queMr.Bennetsefitunmalinplaisirdelaisserquelquetempssansréponse.

Àlafin,ilconsentitàs’expliquer.

—J’aireçu,ilyaunmoisenviron,lalettrequevoicietàlaquellej’airéponduilyaquinzejoursseulementcarl’affairedontils’agissaitétaitdélicateetdemandaitréflexion.Cettelettreestdemoncousin,Mr.Collins,qui,àmamort,peutvousmettretoutesà laportedecettemaisonaussitôtqu’illuiplaira.

—Ah!monami,s’écriasafemme,jevousenprie,nenousparlezpasdecethommeodieux.C’est certainementunecalamitéquevotredomainedoiveêtreainsi arrachéàvospropresfilles,etjesaisqu’àvotreplacejemeseraisarrangéed’unefaçonoud’uneautrepourécarterunetelleperspective.

JaneetElizabeths’efforcèrent,maisenvain,defairecomprendreàleurmèrecequ’étaitun« entail ». Elles l’avaient déjà tenté plusieurs fois ; mais c’était un sujet sur lequelMrs. Bennet se refusait à entendre raison, et elle n’en continua pas moins à protesteramèrementcontre lacruautéqu’ilyavaitàdéshériterune familledecinq fillesen faveurd’unhommedontpersonnenesesouciait.

—C’estévidemmentuneiniquité,ditMr.Bennet,etriennepeutlaverMr.Collinsducrimed’êtrehéritierdeLongbourn.Maissivousvoulezbienécoutersalettre,lessentimentsqu’ilyexprimevousadoucirontpeut-êtreunpeu.

—Ah!pourcelanon!J’ensuiscertaine.Jepenseaucontrairequec’estdesapartlecombledel’impertinenceetdel’hypocrisiequedevousécrire.Quenereste-t-ilbrouilléavecvouscommel’étaitsonpère?

— Il paraît justement avoir eu, à cet égard, quelques scrupules, ainsi que vous allezl’entendre:

«Hunsford,parWesterham,Kent.15octobre.

«Chermonsieur,

«Ledésaccordsubsistantentrevousetmonregrettépèrem’atoujoursétéfortpénible,etdepuis que j’ai eu l’infortune de le perdre, j’ai souvent souhaité d’y remédier. Pendantquelquetempsj’aiétéretenuparlacraintedemanqueràsamémoireenmeréconciliantavecunepersonnepourlaquelle,toutesavie,ilavaitprofessédessentimentshostiles...»–Vousvoyez,Mrs.Bennet!...«Néanmoins,j’aifiniparprendreunedécision.AyantreçuàPâquesl’ordination, j’ai eu le privilège d’être distingué par la Très Honorable lady Catherine deBourgh, veuve de sir Lewis de Bourgh, à la bonté et à la générosité de laquelle je doisl’excellente cure de Hunsford oùmon souci constant sera de témoignerma respectueusereconnaissanceàSaGrâce, enmême tempsquemonempressement à célébrer les rites etcérémoniesinstituéesparl’Églised’Angleterre.

«Enmaqualitéd’ecclésiastique,jesensqu’ilestdemondevoirdefaireavancerlerègnedelapaixdanstoutes les famillessoumisesàmon influence.Surce terrain j’osemeflatterquemesavancesontuncaractèrehautementrecommandable,etvous

oublierez,j’ensuissûr,lefaitquejesuisl’héritierdudomainedeLongbournpouraccepterlerameaud’olivierquejeviensvousoffrir.

« Je suis réellement peiné d’être l’involontaire instrument du préjudice causé à voscharmantes filles.Qu’ilme soit permisde vous exprimermes regrets enmême tempsquemonvif désir de leur faire accepter tous les dédommagements qui sont enmonpouvoir ;mais,dececi,nousreparleronsplustard.

«Sivousn’avezpointde raisonquivousempêchedeme recevoir jemeproposedevousrendrevisitelelundi18novembreàquatreheures,etj’abuseraidevotrehospitalitéjusqu’ausamedidelasemainesuivante–cequejepuisfairesansinconvénients,ladyCatherinenevoyantpasd’objectionàcequejem’absenteundimanche,pourvuquejemefasseremplacerparundemesconfrères.

« Veuillez présenter mes respectueux compliments à ces dames et me croire votre toutdévouéserviteuretami.

«WilliamCollins.»

—Donc,àquatreheures,nousverronsarrivercepacifiquegentleman.C’est,semble-t-il,unjeunehommeextrêmementconsciencieuxetcourtoisetnousauronssansdouted’agréables

relationsavecluipourpeuqueladyCatherinedaigneluipermettrederevenirnousvoir.

—Cequ’ildit àproposdenos filles estpleinde raison, et s’il estdisposéà fairequelquechoseenleurfaveur,cen’estpasmoiquiledécouragerai.

—Bienquejenevoiepastropcommentilpourraits’yprendre,ditJane,ledésirqu’ilenaluifaitcertainementhonneur.

Elizabeth était surtout frappée de l’extraordinaire déférence exprimée par Mr. Collins àl’égarddeladyCatherineetdelasolennitéaveclaquelleilaffirmaitsonintentiondebaptiser,marier,ouenterrerses

paroissiens,chaquefoisquesonministèreseraitrequis.

— Ce doit être un singulier personnage, dit-elle. Son style est bien emphatique ; et quesignifientcesexcusesd’être l’héritierdeLongbourn ?Y changerait-il quelque chose s’il lepouvait?Pensez-vousquecesoitunhommedegrandsens,père?

—Non,machèreenfant;jesuismêmeassurédedécouvrirlecontraire.Ilyadanssalettreun mélange de servilité et d’importance qui m’intrigue. J’attends sa visite avec une viveimpatience.

—Au point de vue du style, ditMary, sa lettre neme semble pas défectueuse. L’idée durameaud’olivier,pourn’êtrepastrèsneuve,estnéanmoinsbienexprimée.

PourCatherineetLydia,lalettrenisonauteurn’étaientlemoinsdumondeintéressants.Ilyavaitpeudechancesqueleurcousinapparûtavecununiformeécarlateet,depuisquelquetemps, la société des gens vêtus d’une autre couleur ne leur procurait plus aucun plaisir.Quantàleurmère,lalettredeMr.Collinsavaitengrandepartiedissipésamauvaisehumeuretellesepréparaitàrecevoirsonhôteavecuncalmequiétonnaitsafamille.

Mr.Collinsarrivaponctuellementàl’heurediteetfutreçuavecbeaucoupdepolitessepartoutelafamille.Mr.Bennetparlapeu,maiscesdamesnedemandaientqu’àparleràsaplace.Mr.Collinsdesoncôténeparaissaitnisauvage,nitaciturne.C’étaitungrandgarçonunpeulourd, à l’air grave et compassé et auxmanières cérémonieuses. À peine assis, il semit àcomplimenterMrs.Bennetsursacharmantefamille.Ilavait,dit-il,beaucoupentenduvanterlabeautédesescousines,maisilconstataitqu’encettecirconstancelebruitpublicétaitau-dessousdelavérité.Ilnedoutaitpas,ajouta-t-il,qu’entempsvoululeurmèren’eûtlajoiedelesvoirtouteshonorablementétablies.Cesgalantsproposn’étaientpas

goûtésdemêmefaçonpartoussesauditeurs,maisMrs.Bennet,quin’étaitpointdifficilesurlescompliments,réponditavecempressement:

—Cequevousmediteslàestfortaimable,monsieur,etjesouhaitefortquevotreprévisionseréalise,autrementmesfillessetrouveraientunjourdansunesituationbienfâcheuseavecdesaffairesaussisingulièrementarrangées.

—Vousfaitesallusionpeut-êtreàl’«entail»decedomaine.

—Naturellement,monsieur,etvousdevezreconnaîtrequec’estuneclausebienregrettablepourmespauvresenfants.–Nonquejevousenrendepersonnellementresponsable.

—Jesuistrèssensible,madame,audésavantagesubiparmesbellescousinesetj’endirais

plus sans la crainte de vous paraître un peu trop pressé mais je puis affirmer à cesdemoisellesquej’arrivetoutprêtàgoûterleurcharme.Jen’ajouterienquantàprésent.Peut-être,quandnousauronsfaitplusampleconnaissance...

Il fut interrompupar l’annonce du dîner et les jeunes filles échangèrent un sourire. Ellesn’étaientpas seules à exciter l’admirationdeMr.Collins : lehall, la salle àmanger et sonmobilierfurentexaminésethautementappréciés.TantdelouangesauraienttouchélecœurdeMrs.Bennetsiellen’avaiteulapéniblearrière-penséequeMr.Collinspassaitlarevuedesesfutursbiens.Ledîneràsontourfutl’objetdesesélogesetilinsistapoursavoiràlaquellede ses belles cousines revenait l’honneur de plats aussi parfaitement réussis. Mais ici,Mrs.Bennetl’interrompitunpeuvivementpourluidirequ’elleavaitlemoyendes’offrirunebonnecuisinière,etquesesfillesnemettaientpaslepiedàlacuisine.Mr.Collinslasuppliadenepasluienvouloir,àquoielleréponditd’untonplusdouxqu’iln’yavaitpointd’offense,maisiln’encontinuapasmoinsàs’excuserjusqu’àlafindudîner.

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Chapitre 14

ENDANTLEREPASMR.BENNET avait à peine ouvert la bouche. Lorsque lesdomestiquessefurentretirés,ilpensaqu’ilétaittempsdecauserunpeuavecsonhôte,etmitlaconversationsurlesujetqu’ilestimaitlemieuxchoisipourlefaireparler en félicitant son cousind’avoir trouvéuneprotectrice qui semontrait sipleined’attentionspoursesdésirsetdesollicitudepoursonconfort.

Mr. Bennet ne pouvaitmieux tomber.Mr. Collins fut éloquent dans ses éloges.De sa vie,affirma-t-il,solennellement,iln’avaitrencontréchezunmembredel’aristocratiel’affabilitéet la condescendance que lui témoignait lady Catherine. Elle avait été assez bonne pourapprécierlesdeuxsermonsqu’ilavaiteul’honneurdeprêcherdevantelle.Deuxfoisdéjàellel’avaitinvitéàdîneràRosings,etlesamediprécédentencorel’avaitenvoyéchercherpourfaire le quatrième à sa partie de « quadrille ». Beaucoup de gens lui reprochaient d’êtrehautaine, mais il n’avait jamais vu chez elle que de la bienveillance. Elle le traitait engentleman et ne voyait aucune objection à ce qu’il fréquentât la société du voisinage ous’absentâtunesemaineoudeuxpourallervoirsafamille.Elleavaitmêmepoussélabontéjusqu’àluiconseillerdesemarierleplustôtpossible,pourvuqu’ilfîtunchoixjudicieux.Ellelui avait fait visite une fois dans son presbytère où elle avait pleinement approuvé lesaméliorationsqu’ilyavaitapportéesetdaignémêmeensuggérerd’autres,parexempledesrayonsàposerdanslesplacardsdupremierétage.

—Voilàuneintentioncharmante,ditMrs.Bennet,etjenedoutepasqueladyCatherinenesoitunefortaimablefemme.C’estbienregrettablequelesgrandes

dames,engénéral,luiressemblentsipeu.Habite-t-elledansvotrevoisinage,monsieur?

—Le jardinquientouremonhumbledemeuren’est séparéqueparunsentierdeRosingsPark,résidencedeSaGrâce.

—Jecroisvousavoirentendudirequ’elleétaitveuve.A-t-elledesenfants?

—Ellen’aqu’unefille,héritièredeRosingsetd’uneimmensefortune.

—Ah !s’écriaMrs.Bennetensoupirant.Elleestmieuxpartagéequebeaucoupd’autres.Etcettejeunefille,est-ellejolie?

—Elleesttoutàfaitcharmante.LadyCatherineditelle-mêmequemissdeBourghpossèdequelquechosedemieuxquelabeautécar,danssestraits,sereconnaîtlamarqued’unehautenaissance.Malheureusementelleestd’uneconstitutiondélicateetn’apuseperfectionner

commeellel’auraitvouludansdifférentsartsd’agrémentpourlesquelselletémoignaitdesdispositions remarquables. Je tiens ceci de la dame qui a surveillé son éducation et quicontinueàvivreauprèsd’elleàRosings,maismissdeBourghestparfaitementaimableetdaigne souvent passer à côté de mon humble presbytère dans le petit phaéton attelé deponeysqu’elleconduitelle-même.

—A-t-elle étéprésentée ? Jeneme rappellepas avoir vu sonnomparmi ceuxdesdamesreçuesàlacour.

—Safrêlesanté,malheureusement,neluipermetpasdevivreàLondres.C’estainsi,commejel’aiditunjouràladyCatherine,quelacourd’Angleterresetrouveprivéed’undesesplusgracieuxornements.LadyCatherineaparutouchéedemesparoles.Vousdevinezquejesuisheureuxdeluiadresserdecescomplimentstoujoursappréciésdesdameschaquefoisquel’occasions’enprésente.CespetitsriensplaisentàSaGrâceetfontpartiedeshommagesquejeconsidèrecommemondevoirdeluirendre.

—Vousaveztoutàfaitraison,ditMr.Bennet,etc’estunbonheurpourvousdesavoirflatteravec tant de délicatesse. Puis-je vous demander si ces compliments vous viennentspontanémentousivousdevezlespréparerd’avance?

—Oh ! spontanément, en général. Je m’amuse aussi parfois à en préparer quelques-unsd’avance,maisjem’efforcetoujoursdelesplacerdefaçonaussinaturellequepossible.

LesprévisionsdeMr.Bennetavaientétéjustes:soncousinétaitaussiparfaitementridiculequ’il s’yattendait. Il l’écoutaitavecunvif amusement sanscommuniquer ses impressionsautrementqueparuncoupd’œilque,detempsàautre,illançaitàElizabeth.Cependant,àl’heureduthé,trouvantlamesuresuffisante,ilfutheureuxderamenersonhôteausalon.

Aprèslethéilluidemandas’ilvoulaitbienfairelalectureàcesdames.Mr.Collinsconsentitavecempressement.Unlivreluifutprésenté,maisàlavuedutitreileutunlégerreculets’excusa,protestantqu’ilne lisait jamaisde romans.Kitty le regardaavecahurissementetLydias’exclamadesurprise.D’autres livres furentapportésparmi lesquels ilchoisit,aprèsquelqueshésitations,lessermonsdeFordyce.Lydiasemitàbâillerlorsqu’ilouvritlevolumeet iln’avaitpas lu troispagesd’unevoixemphatiqueetmonotonequ’elle l’interrompitens’écriant:

—Maman,savez-vousquel’onclePhilipsparlederenvoyerRichardetquelecolonelForsterseraitprêtàleprendreàsonservice?J’iraidemainàMerytonpourensavoirdavantageetdemanderquandlelieutenantDennyreviendradeLondres.

Lydiafutpriéeparsesdeuxaînéesdesetaire,maisMr.Collins,froissé,refermasonlivreendisant:

— J’ai souvent remarqué que les jeunes filles ne savent pas s’intéresser aux œuvressérieuses.Celameconfond,jel’avoue,carriennepeutleurfaireplusde

bienqu’unelectureinstructive,maisjen’ennuieraipaspluslongtempsmajeunecousine.Et,malgrél’insistancedeMrs.Bennetetdesesfillespourqu’ilreprîtsalecture,Mr.Collins,toutenprotestantqu’ilnegardaitnullement rancuneàLydia, se tournaversMr.Bennetet luiproposaunepartiedetrictrac.

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Chapitre 15

R.COLLINSÉTAITDÉPOURVUD’INTELLIGENCE, et ni l’éducation, ni l’expérience nel’avaientaidéàcomblercettelacunedelanature.Sonpère,sousladirectionduquel il avait passé la plus grande partie de sa jeunesse, était un hommeavareetillettré,etlui-même,àl’Universitéoùiln’étaitdemeuréqueletempsnécessaire pour la préparation de sa carrière, n’avait fait aucune relationprofitable.

Lerudejougdel’autoritépaternelleluiavaitdonnédanslesmanièresunegrandehumilitéque combattait maintenant la fatuité naturelle à un esprit médiocre et enivré par uneprospéritérapideetinattendue.

Uneheureusechancel’avaitmissurlechemindeladyCatherinedeBourghaumomentoùlebénéficed’Hunsfordsetrouvaitvacant,etlavénérationqueluiinspiraitsanobleprotectrice,jointe à la haute opinionqu’il avait de lui-même et de son autorité pastorale, faisaient deMr.Collinsunmélangesingulierdeservilitéetd’importance,d’orgueiletd’obséquiosité.

Àprésentqu’ilsetrouvaitenpossessiond’unemaisonagréableetd’unrevenusuffisant ilsongeaitàsemarier.Cerêven’étaitpasétrangeràsondésirdeseréconcilieravecsafamillecar ilavait l’intentiondechoisirunedeses jeunescousines,siellesétaientaussi joliesetagréablesqu’onledisaitcommunément.C’étaitlàleplanqu’ilavaitformépourles

dédommagerdutortqu’illeurferaitenhéritantàleurplacedelapropriétédeleurpère,etillejugeaitexcellent.N’était-ilpasconvenableetavantageuxpourlesBennet,enmêmetempsquetrèsgénéreuxetdésintéressédesapart?

Lavuedesescousinesnechangearienàsesintentions.LecharmantvisagedeJaneainsiquesaqualitéd’aînée fixasonchoix lepremiersoir,mais, le lendemainmatin, il lui fallutmodifiersesprojets.Dansunbrefentretienqu’ileutavantledéjeuneravecMrs.Bennetilluilaissa entrevoir ses espérances, à quoi celle-ci répondit avec force sourires et minesencourageantesqu’ellenepouvaitrienaffirmerausujetdesesplusjeunesfilles,maisquel’aînée,–c’étaitsondevoirdel’enprévenir,–seraitsansdoutefiancéed’icipeu.

Mr. Collins n’avait plus qu’à passer de Jane à Elizabeth. C’est ce qu’il fit pendant queMrs.Bennettisonnaitlefeu.Elizabethquiparl’âgeetlabeautévenaitimmédiatementaprèsJaneétaittoutedésignéepourluisuccéder.

CetteconfidenceremplitdejoieMrs.Bennetquivoyaitdéjàdeuxdesesfillesétablieset,de

cefait,l’hommedontlaveilleencorelenomseulluiétaitodieuxsetrouvapromutrèshautdanssesbonnesgrâces.

Lydian’oubliaitpointsonprojetdeserendreàMeryton.Sessœurs,à l’exceptiondeMary,acceptèrentde l’accompagner,etMr.Bennet,désireuxdesedébarrasserdesoncousinquidepuis ledéjeuners’était installédanssabibliothèqueoù il l’entretenait sansrépitdesonpresbytèreetdesonjardin,lepressavivementd’escortersesfilles,cequ’ilacceptasanssefaireprier.

Mr.Collinspassa le tempsdu trajetàémettre solennellementdesbanalitésauxquelles sescousines acquiesçaient poliment. Mais, sitôt entrées dans la ville les deux plus jeunescessèrentdeluiprêterlemoindre

intérêt;ellesfouillaientlesruesduregarddansl’espoird’ydécouvrirununiforme,etilnefallait rienmoins qu’une robe nouvelle ou un élégant chapeau à une devanture pour lesdistrairedeleursrecherches.

Bientôt l’attention des demoiselles Bennet fut attirée par un inconnu jeune et d’alluredistinguée qui se promenait de long en large avec un officier de l’autre côté de la rue.L’officierétaitcemêmeMr.DennydontleretourpréoccupaitsifortLydia,etillessaluaaupassage.

Toutessedemandaientquelpouvaitêtrecetétrangerdontlaphysionomielesavaitfrappées.KittyetLydia,biendécidéesàl’apprendre,traversèrentlaruesousprétextedefaireunachatdansunmagasinetellesarrivèrentsurletrottoiropposépoursetrouverfaceàfaceaveclesdeux gens qui revenaient sur leurs pas. Mr. Denny leur demanda la permission de leurprésentersonami,Mr.Wickham,quiétaitarrivédeLondresavec lui laveilleetvenaitdeprendreunbrevetd’officierdanssonrégiment.

Voilàquiétaitparfait:l’uniformeseulmanquaitàcejeunehommepourlerendretoutàfaitséduisant. Extérieurement tout était en sa faveur : silhouette élégante, belle prestance,manièresaimables.Aussitôtprésentéilengagealaconversationavecunempressementquin’excluait ni la correction, ni la simplicité. La conversation allait son train lorsqueMr.BingleyetMr.Darcyapparurentà chevalauboutde la rue.Endistinguant les jeunesfilles dans le groupe, ils vinrent jusqu’à elles pour leur présenter leurs hommages. Ce futBingleyquiparlasurtoutet,s’adressantparticulièrementàJane,ditqu’ilétaitenroutepourLongbournoùilseproposaitd’allerprendredesnouvellesdesasanté.Mr.Darcyconfirmaitparunsignedetêtelorsquesesyeuxtombèrentsurl’étrangeretleursregardssecroisèrent.Elizabethquilesregardaitàcetinstantfutsatisfaitedel’effetproduitparcetterencontre :tousdeux

changèrentdecouleur;l’unpâlit,l’autrerougit.Mr.Wickham,auboutd’uninstant,touchason chapeau et Mr. Darcy daigna à peine lui rendre ce salut. Qu’est-ce que tout celasignifiait?Ilétaitdifficiledeledeviner,difficileaussidenepasdésirerl’apprendre.

Une minute plus tard, Mr. Bingley, qui semblait ne s’être aperçu de rien, prit congé etpoursuivitsarouteavecsonami.

Mr.DennyetMr.WickhamaccompagnèrentlesdemoisellesBennetjusqu’àlamaisondeleuroncle ;mais là ils les quittèrent endépit des efforts deLydia pour les décider à entrer et

malgrél’invitationdeMrs.Philipselle-mêmequi,surgissantàlafenêtredesonsalon,appuyabruyammentlesinstancesdesanièce.

Mrs. Philips accueillit Mr. Collins avec une grande cordialité. Il y répondit par de longsdiscourspours’excuserde l’indiscrétionqu’ilcommettaitenosantvenirchezellesans luiavoirétépréalablementprésenté.SaparentéaveccesdemoisellesBennetjustifiaitunpeu,pensait-il,cetteincorrection.Mrs.Philipsétaitémerveilléed’untelexcèsdepolitesse,maiselle fut vite distraite par les questions impétueuses de ses nièces sur l’étranger qu’ellesvenaientderencontrer.Elleneputduresteleurapprendrequecequ’ellessavaientdéjà:queMr.Denny avait ramené ce jeune homme de Londres et qu’il allait recevoir un brevet delieutenant.Cependant,quelquesofficiersdevantdînerchezlesPhilipslelendemain,latantepromitd’envoyersonmariinviterMr.WickhamàconditionquelafamilledeLongbournvîntpasserlasoirée.Mrs.Philipsannonçaitunebonnepartiedeloto,joyeuseetbruyante,suivied’unpetitsouperchaud.Laperspectivedetellesdélicesmittoutlemondeenbellehumeuretl’on se sépara gaiement de part et d’autre. Mr. Collins répéta ses excuses en quittant lesPhilipsetreçutunefoisdeplusl’aimableassurancequ’ellesétaientparfaitementinutiles.

DeretouràLongbournilfitgrandplaisiràMrs.Bennetenlouantlapolitesseetlesbonnesmanières deMrs. Philips : à l’exception de lady Catherine et de sa fille, jamais il n’avaitrencontré de femme plus distinguée. Non contente de l’avoir accueilli avec une parfaitebonnegrâce,ellel’avaitcomprisdanssoninvitationpourlelendemain,luidontellevenaitàpeinedefairelaconnaissance.SansdoutesaparentéaveclesBennetyétaitpourquelquechosemais,toutdemême,iln’avaitjamaisrencontréunetelleamabilitédanstoutlecoursdesonexistence.

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A

Chapitre 16

UCUNEOBJECTIONN’AYANTÉTÉ faite à la partie projetée, la voiture emporta lelendemainsoiràMerytonMr.Collinsetsescinqcousines.Enentrantausalon,ces demoiselles eurent le plaisir d’apprendre que Mr. Wickham avait acceptél’invitationdeleuroncleetqu’ilétaitdéjàarrivé.Cettenouvelledonnée,toutlemondes’assit etMr.Collinsput regarderet louerà sonaisecequi l’entourait.Frappéparlesdimensionsetlemobilierdelapièce,ildéclaraqu’ilauraitpresque

pu se croire dans la petite salle où l’on prenait le déjeuner du matin à Rosings. Cettecomparaisonneproduisitpasd’abordtoutl’effetqu’ilenattendait,maisquandilexpliquaceque c’était que Rosings, quelle en était la propriétaire, et comment la cheminée d’un dessalonsavaitcoûté800livresàelleseule,Mrs.Philipscompritl’honneurquiluiétaitfaitetauraitpuentendrecomparersonsalonàlachambredelafemmedechargesansenêtretropfroissée. Mr. Collins s’étendit sur l’importance de lady Catherine et de son château enajoutantquelquesdigressionssursonmodestepresbytèreet lesaméliorationsqu’iltâchaitd’yapporteretilnetaritpasjusqu’à

l’arrivéedesmessieurs.Mrs.Philipsl’écoutaitavecuneconsidérationcroissante;quantauxjeunesfilles,quines’intéressaientpasauxrécitsdeleurcousin,ellestrouvèrentl’attenteunpeulongueetcefutavecplaisirqu’ellesvirentenfinlesmessieursfaireleurentréedanslesalon.

EnvoyantparaîtreMr.WickhamElizabethpensaque l’admirationqu’il luiavait inspiréeàleurpremièrerencontren’avaitriend’exagéré.LesofficiersdurégimentdeMerytonétaient,pourlaplupart,desgensdebonnefamilleetlesplusdistinguésd’entreeuxétaientprésentscesoir-là,maisMr.Wickhamneleurétaitpasmoinssupérieurparl’élégancedesapersonneetdesesmanièresqu’ilsnel’étaienteux-mêmesaugrosonclePhilipsquientraitàleursuiteenrépandantuneforteodeurdeporto.

VersMr.Wickham, – heureuxmortel, – convergeaient presque tous les regards féminins.Elizabeth fut l’heureuse élue auprès de laquelle il vint s’asseoir, et lamanière aisée aveclaquelleilentamalaconversation,bienqu’ilnefûtquestionquedel’humiditédelasoiréeetdelaprévisiond’unesaisonpluvieuse,luifitsentiraussitôtquelesujetleplusbanaletleplusdénuéd’intérêtpeutêtrerenduattrayantparlafinesseetlecharmedel’interlocuteur.

Avec des concurrents aussi sérieux que Mr. Wickham et les officiers, Mr. Collins parutsombrer dans l’insignifiance. Aux yeux des jeunes filles il ne comptait certainement plus,mais,parintervalles,iltrouvaitencoreunauditeurbénévoledanslapersonnedeMrs.Philips

et,grâceàsesbonssoins,futabondammentpourvudecaféetdemuffins.Ilputàsontourfaireplaisiràsonhôtesseenprenantplaceàlatabledewhist.

—Jesuisencoreunjoueurmédiocre,dit-il,maisjeseraiheureuxdemeperfectionner.Unhommedansmasituation...

MaisMrs.Philips,toutenluisachantgrédesa

complaisance,nepritpasletempsd’écoutersesraisons.

Mr.Wickham,quinejouaitpointauwhist,futaccueilliavecjoieàl’autretableoùilpritplaceentre Elizabeth et Lydia. Tout d’abord on put craindre que Lydia ne l’accaparât par sonbavardage,maiselleaimaitbeaucouplescartesetsonattentionfutbientôtabsorbéeparlesparisetlesenjeux.Toutensuivantlapartie,Mr.WickhameutdonctoutleloisirdecauseravecElizabeth.Celle-ciétaittoutedisposéeàl’écouter,bienqu’ellenepûtespérerapprendrecequil’intéressaitleplus,àsavoirquellesétaientsesrelationsavecMr.Darcy.Ellen’osaitmêmepasnommercedernier.SacuriositésetrouvacependanttrèsinopinémentsatisfaitecarMr.Wickhamabordalui-mêmelesujet.Ils’informadeladistancequiséparaitNetherfielddeMerytonet,surlaréponsed’Elizabeth,demandaavecunelégèrehésitationdepuisquandyséjournaitMr.Darcy.

—Depuisunmoisenviron,et,pournepasquittercesujetelleajouta :–J’aientendudirequ’ilyavaitdegrandespropriétésdansleDerbyshire.

— En effet, réponditWickham, son domaine est splendide et d’un rapport net de 10 000livres. Personne ne peut vous renseignermieux quemoi sur ce chapitre, car, depuismonenfance,jeconnaisdefortprèslafamilledeMr.Darcy.

Elizabethneputretenirunmouvementdesurprise.

— Je comprends votre étonnement, miss Bennet, si, comme il est probable, vous avezremarquélafroideurdenotrerencontred’hier.Connaissez-vousbeaucoupMr.Darcy?

—Trèssuffisammentpourmongoût,ditElizabethavecvivacité.J’aipasséquatrejoursavecluidansunemaisonamie,etjeletrouvefranchementantipathique.

—Jen’aipasledroitdevousdonnermonopinion

surcepoint,ditWickham;jeconnaisMr.Darcytropbienetdepuistroplongtempspourlejuger avec impartialité.Cependant, je croisquevotre sentiment serait engénéral accueilliavecsurprise.Dureste,horsd’icioùvousêtesdansvotrefamille,vousnel’exprimeriezpeut-êtrepasaussiénergiquement.

— Je vous assure que je ne parlerais pas autrement dans n’importe quelle maison duvoisinage,saufàNetherfield.PersonneicinevousdiradubiendeMr.Darcy;sonorgueilarebutétoutlemonde.

—Jeneprétendspas être affligédevoirqu’il n’estpas estiméau-delàde sesmérites, ditWickhamaprèsuncourtsilence;maisjecroisquepareillechoseneluiarrivepassouvent.Lesgenssontgénéralementaveuglésparsafortune,parsonrang,oubienintimidésparlahauteurdesesmanières,etlevoienttelqu’ildésireêtrevu.

—D’aprèslepeuquejeconnaisdelui,ilmesembleavoirassezmauvaiscaractère.

Wickhamhochalatêtesansrépondre.

—Jemedemande,reprit-ilauboutd’uninstant,s’ilvaresterencorelongtempsici.

—Ilm’estimpossibledevousrenseignerlà-dessus,maisiln’étaitpasquestiondesondépartlorsque j’étais à Netherfield. J’espère que vos projets en faveur de votre garnison ne setrouverontpasmodifiésdufaitdesaprésencedanslarégion.

—Pourcelanon.Cen’estpointàmoiàfuirdevantMr.Darcy.S’ilneveutpasmevoir,iln’aqu’às’enaller.Nousnesommespasenbonstermes,c’estvrai,etchaquerencontreavecluim’est pénible mais, je puis le dire très haut, je n’ai pas d’autre raison de l’éviter que lesouvenirdemauvaisprocédésàmonégardetleprofondregretdevoircequ’ilestdevenu.Sonpère,missBennet,ledéfuntMr.Darcy,étaitlemeilleurhommedel’universetl’amileplussincèrequej’aiejamaiseu:jenepuismetrouverenprésencedesonfilssansêtreémujusqu’àl’âmeparmille

souvenirs attendrissants. Mr. Darcy s’est conduit envers moi d’une manière scandaleuse,cependant, je crois que je pourrais tout lui pardonner, tout, sauf d’avoir trompé lesespérancesetmanquéàlamémoiredesonpère.

Elizabethdeplusenplusintéresséeneperdaitpasuneseuledecesparoles,maislesujetétaittropdélicatpourluipermettredeposerlamoindrequestion.

Mr.Wickhamrevintàdesproposd’unintérêtplusgénéral:Meryton,lesenvirons,lasociété.Decelle-ci,surtout,ilparaissaitenchantéetledisaitdanslestermeslesplusgalants.

— C’est la perspective de ce milieu agréable qui m’a poussé à choisir ce régiment. Je leconnaissaisdéjàderéputationetmonamiDennyaachevédemedéciderenmevantantlescharmesdesanouvellegarnisonetdesagréablesrelationsqu’onpouvaityfaire.J’avouequelasociétém’estnécessaire:j’aieudegrandschagrins,jenepuissupporterlasolitude.Ilmefautdel’occupationetdelacompagnie.L’arméen’étaitpasmavocation, lescirconstancesseulesm’yontpoussé.Jedevaisentrerdanslesordres,c’estdanscebutquej’avaisétéélevéetjeseraisactuellementenpossessiond’unetrèsbellecuresitelavaitétélebonplaisirdeceluidontnousparlionstoutàl’heure.

—Vraiment!

—Oui,ledéfuntMr.Darcym’avaitdésignépourlaprochainevacancedumeilleurbénéficede son domaine. J’étais son filleul et ilme témoignait une grande affection. Jamais je nepourraitroplouersabonté.Ilpensaitavoir,decettefaçon,assurémonavenir;mais,quandlavacanceseproduisit,cefutunautrequiobtintlebénéfice.

—GrandDieu!Est-cepossible?s’écriaElizabeth.Commenta-t-onpufaireaussipeudecasdesesdernièresvolontés?Pourquoin’avez-vouspaseurecoursàlajustice?

—Ilyavait,parmalheur,dansletestamentunvicedeformequirendaitstériletoutrecours.Unhommeloyaln’auraitjamaismisendoutel’intentiondudonateur.IlapluàMr.Darcydele faire et de considérer cette recommandation comme une apostille conditionnelle enaffirmantquej’yavaisperdutoutdroitparmesimprudences,mesextravagances,toutcequevousvoudrez.Cequ’ilyadecertain,c’estquelebénéficeestdevenuvacantilyadeuxansexactement,lorsquej’étaisenâged’yaspirer,etqu’ilaétédonnéàunautre:etiln’estpas

moins sûrque jen’avais rien fait pourmériterd’en êtredépossédé. Je suisd’unehumeurassezviveet j’aipudireavec tropde libertéàMr.Darcyceque jepensaisde lui,mais lavéritéc’estquenoscaractèressontradicalementopposésetqu’ilmedéteste.

—C’esthonteux!Ilmériteraitqu’onluidisesonfaitpubliquement.

—Ceci lui arrivera sans doute un jour ou l’autre,mais ce n’est pointmoi qui le ferai. Ilfaudraitd’abordquejepuisseoubliertoutcequejedoisàsonpère.

De tels sentiments redoublèrent l’estime d’Elizabeth, et celui qui les exprimait ne lui ensemblaqueplusséduisant.

—Mais,reprit-elleaprèsunsilence,quelsmotifsontdoncpulepousser,etledétermineràsimalagir?

—Une antipathie profonde et tenace àmon égard, – une antipathie que je suis forcé, enquelquemesure,d’attribueràlajalousie.Silepèreavaiteumoinsd’affectionpourmoi,lefilsm’auraitsansdoutemieuxsupporté.Maisl’amitiévraimentpeucommunequesonpèremetémoignaitl’a,jecrois,toujoursirrité.Iln’étaitpointhommeàaccepterl’espècederivalitéquinousdivisaitetlapréférencequim’étaitsouventmanifestée.

—Jen’auraisjamaiscruMr.Darcyaussivindicatif.Toutenn’éprouvantaucunesympathiepourlui,jenelejugeaispasaussimal.Jelesupposaisbien

remplidedédainpoursessemblables,maisjenelecroyaispascapabledes’abaisseràunetellevengeance,–demontrertantd’injusticeetd’inhumanité.

Ellerepritaprèsquelquesminutesderéflexion:

—Jemesouvienscependantqu’unjour,àNetherfield,ils’estvantéd’êtreimplacabledanssesressentimentsetdenejamaispardonner.Queltristecaractère!

—Jen’osem’aventurersurcesujet,répliquaWickham.Ilmeseraittropdifficiled’êtrejusteàsonégard.

Denouveau,Elizabethrestaunmomentsilencieuseetpensive;puiselles’exclama:

—Traiterainsi le filleul, l’ami, le favoridesonpère !. . .Elleauraitpuajouter«un jeunehommeaussisympathique»!Ellesecontentadedire :–et,deplus,unamid’enfance !Nem’avez-vouspasditquevousaviezétéélevésensemble?

—Noussommesnésdanslamêmeparoisse,dansl’enceintedumêmeparc.Nousavonspasséensemble laplusgrandepartiedenotre jeunesse,partageant lesmêmes jeux,entourésdesmêmes soins paternels.Mon père, à ses débuts, avait exercé la profession où votre onclePhilipssemblesibienréussir,maisill’abandonnapourrendreserviceaudéfuntMr.Darcyetconsacrer toutson tempsàdiriger ledomainedePemberley.Mr.Darcyavaitpour luiunehauteestimeetletraitaitenconfidentetenami.Ilasouventreconnutouslesavantagesqueluiavaitvalusl’activegestiondemonpère.Peudetempsavantsamort,illuifitlapromessedesechargerdemonaveniretjesuisconvaincuquecefutautantpouracquitterunedettedereconnaissanceenversmonpèrequeparaffectionpourmoi.

—Quetoutcelaestextraordinaire!s’écriaElizabeth.Jem’étonnequelafiertédeMr.Darcy

nel’aitpaspousséàsemontrerplusjusteenversvous,que

l’orgueil,àdéfautd’unautremotif,nel’aitpasempêchédeseconduiremalhonnêtement–carc’estunevéritablemalhonnêtetédontils’agitlà.

— Oui, c’est étrange, répondit Wickham, car l’orgueil, en effet, inspire la plupart de sesactionsetc’estcesentiment,plusquetouslesautres,quilerapprochedelavertu.Maisnousnesommesjamaisconséquentsavecnous-mêmes,et,danssaconduiteàmonégard,ilacédéàdesimpulsionsplusfortesencorequesonorgueil.

—Pensez-vousqu’unorgueilaussidétestablepuissejamaisleporteràbienagir?

—Certainement ; c’est par orgueil qu’il est libéral, généreux, hospitalier, qu’il assiste sesfermiersetsecourtlespauvres.L’orgueilfamilialetfilial–carilalecultedesonpère–estlacausedecetteconduite.Lavolontédenepaslaisserseperdrelesvertustraditionnellesetl’influence de sa maison à Pemberley est le mobile de tous ses actes. L’orgueil fraternelrenforcéd’unpeud’affection faitde luiun tuteurpleindebontéetde sollicitudepour sasœur,etvousl’entendrezgénéralementvantercommelefrèrelemeilleuretleplusdévoué.

—QuellesortedepersonneestmissDarcy?

Wickhamhochalatête.

—Jevoudraisvousdirequ’elleestaimable,–ilm’estpénibledecritiqueruneDarcy,–maisvraiment elle ressemble tropà son frère : c’est lamême excessive fierté.Enfant, elle étaitgentilleetaffectueuse,etmetémoignaitbeaucoupd’amitié.J’aipassédesheuresnombreusesàl’amuser,mais,aujourd’huijenesuisplusrienpourelle.C’estunebellefilledequinzeouseizeans,trèsinstruite,m’a-t-ondit.DepuislamortdesonpèreellevitàLondresavecuneinstitutricequidirigesonéducation.

Elizabeth,àdiversesreprises,essayad’aborderd’autressujetsmaiselleneputs’empêcherdereveniraupremier.

—Jesuisétonnée,dit-elle,del’intimitédeMr.DarcyavecMr.Bingley.CommentMr.Bingley,qui semble la bonne humeur et l’amabilité personnifiées, a-t-il pu faire son ami d’un telhomme?Commentpeuvent-ilss’entendre?Connaissez-vousMr.Bingley?

—Nullement.

—C’estunhommecharmant.IlneconnaîtsûrementpasMr.Darcysoussonvraijour.

—C’estprobable,maisMr.Darcypeutplairequandilledésire.Ilnemanquepasdecharmenide talents ; c’estun fort agréable causeurquand il veut s’endonner lapeine.Avec seségauxilpeutsemontrerextrêmementdifférentdecequ’ilestavecsesinférieurs.Safierténel’abandonnejamaiscomplètement,mais,danslahautesociété,ilsaitsemontrerlarged’idées,juste,sincère,raisonnable,estimable,etpeut-êtremêmeséduisant,enfaisantlajustepartdueàsafortuneetàsonextérieur.

La partie de whist avait pris fin. Les joueurs se groupèrent autour de l’autre table etMr.Collins s’assit entreElizabeth etMrs.Philips.Cettedernière lui demanda si la chancel’avait favorisé. Non, il avait continuellement perdu et, comme elle lui en témoignait sonregret, il l’assura avecgravitéque la chose était sans importance ; il n’attachait à l’argent

aucunevaleuretillapriaitdenepass’enaffecter.

—Jesaistrèsbien,madame,quelorsqu’ons’assiedàunetabledejeul’ondoits’enremettreauhasard,etmesmoyens,c’estheureux,mepermettentdeperdrecinqshillings.Beaucoupsansdoutenepeuventendireautant,mais,grâceàladyCatherinedeBourgh,jepuisregarderavecindifférencedepareilsdétails.

Ces mots attirèrent l’attention de Mr. Wickham et, après avoir considéré Mr. Collins uninstant, il demanda tout bas à Elizabeth si son cousin était très intime avec la famille deBourgh.

—LadyCatherineluiafaitdonnerrécemmentlacuredeHunsford,répondit-elle.Jenesaispasdutout

commentMr.Collinsaétéprésentéàcettedamemaisjesuiscertainequ’ilnelaconnaîtpasdepuislongtemps.

—VoussavezsansdoutequeladyCatherinedeBourghetladyAnneDarcyétaientsœursetque,parconséquent,ladyCatherineestlatantedeMr.Darcy.

—Nonvraiment ! J’ignore tout de la parenté de ladyCatherine. J’ai entenduparler d’elleavant-hierpourlapremièrefois.

—Sa fille,missdeBourgh, est l’héritièred’uneénorme fortuneet l’oncroitgénéralementqu’elleetsoncousinréunirontlesdeuxdomaines.

CetteinformationfitsourireElizabethquipensaàlapauvremissBingley.Àquoiserviraienttous ses soins, l’amitiéqu’elle affichaitpour la sœur, l’admirationqu’ellemontraitpour lefrèresicelui-ciétaitdéjàpromisàuneautre?

—Mr.Collins, remarqua-t-elle,ditbeaucoupdebiende ladyCatherineetdesa fille.Mais,d’après certains détails qu’il nous a donnés sur Sa Grâce, je le soupçonne de se laisseraveuglerparlareconnaissance,etsaprotectricemefaitl’effetd’êtreunepersonnehautaineetarrogante.

—Jecrois,réponditWickham,qu’elleméritelargementcesdeuxqualificatifs.Jenel’aipasrevue depuis des annéesmais jeme rappelle que sesmanières avaient quelque chose detyranniqueetd’insolentquinem’ajamaisplu.Onvantelafermetédesonjugementmaisjecroisqu’elledoitcetteréputationpourunepartàsonrangetàsafortune,pouruneautreàsesmanièresautoritaires,etpourleresteàlafiertédesonneveuquiadécidéquetouslesmembresdesafamilleétaientdesêtressupérieurs.

Elizabeth convint que c’était assez vraisemblable et la conversation continua de la sortejusqu’àl’annoncedusouperqui,eninterrompantlapartiedecartes,renditauxautresdamesleurpartdesattentionsdeMr.Wickham.Touteconversationétait

devenueimpossibledanslebrouhahadusouperdeMrs.Philips,maisMr.Wickhamserenditagréableàtoutlemonde.Toutcequ’ildisaitétaitsibienexprimé,ettoutcequ’ilfaisaitétaitfaitavecgrâce.

Elizabethpartitl’espritremplideMr.Wickham.Pendantletrajetduretourellenepensaqu’àluietàtoutcequ’illuiavaitraconté;maiselleneputmêmepasmentionnersonnomcarni

Lydia, niMr. Collins ne cessèrent de parler une seconde. Lydia bavardait sur la partie decartes,surlesfichesqu’elleavaitgagnéesetcellesqu’elleavaitperduesetMr.Collinsavaittantàdiredel’hospitalitédeMr.etdeMrs.Philips,desonindifférencepoursespertesaujeu,dumenudusouper,delacraintequ’ilavaitd’êtredetropdanslavoiture,qu’iln’avaitpasterminélorsqu’onarrivaàLongbourn.

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Chapitre 17

ELENDEMAINELIZABETHREDIT à Jane la conversation qu’elle avait eue avecMr.Wickham.Janel’écouta,stupéfaiteetconsternée:ellenepouvaitsedécideràcroirequeMr.Darcyfûtindigneàcepointdel’estimedeMr.Bingley.D’autrepart,il n’était pas dans sa nature de soupçonner la véracité d’un jeune hommed’apparenceaussisympathiquequeWickham.Laseulepenséequ’ileûtpusubiruneaussigrandeinjusticesuffisaitàémouvoirsonâmesensible.Cequ’ilyavait

demieuxàfaireétaitden’accuserpersonneetdemettresurlecompteduhasardoud’uneerreurcequ’onnepouvaitexpliquerautrement.

—Tousdeuxontsansdouteététrompés,desgensintéressésontpufaireàchacundefauxrapports sur le compte de l’autre ; bref, il est impossible d’imaginer ce qui, sans tort réeld’aucuncôté,apufairenaîtreunepareilleinimitié.

—Certes oui. Etmaintenant,ma chère Jane, qu’avez-vous à dire pour excuser les « gensintéressés » qui sont sans doute les vrais coupables ? Justifiez-les aussi, que nous n’ensoyonspasréduitesàlesmaljuger!

—Rieztantqu’ilvousplaira;celanechangerapointmonopinion.Nevoyez-vouspoint,machèreLizzy,sousqueljourdétestablececiplaceMr.Darcy?Traiterainsileprotégédontsonpère avait promis d’assurer l’avenir ! Quel homme ayant le souci de sa réputation seraitcapabled’agirainsi?Etsesamis,pourraient-ilss’abuseràcepointsursoncompte?Oh!non!

—Ilm’estplusfaciledecroirequeMr.Bingleys’esttrompéàsonsujetqued’imaginerqueMr.Wickhamainventétoutcequ’ilm’acontéhiersoirendonnantlesnoms,lesfaits,touslesdétails.Sic’estfaux,queMr.Darcyledise.

Àcemomentonappelalesjeunesfillesquidurentquitterlebosquetoùelless’entretenaientpour retourner à la maison. Mr. Bingley et ses sœurs venaient apporter eux-mêmes leurinvitation pour le bal si impatiemment attendu et qui se trouvait fixé au mardi suivant.Mrs.HurstetmissBingleysemontrèrentenchantéesderetrouverleurchèreJane,déclarantqu’ilyavaitdessièclesqu’ellesnes’étaientvues.Aurestedelafamilleellesaccordèrentpeud’attention:ellesévitèrentautantquepossibledecauseravecMrs.Bennet,direntquelquesmotsàElizabethetriendutoutauxautres.Auboutdetrèspeudetempsellesselevèrentavec un empressement qui déconcerta quelque peu leur frère et firent rapidement leursadieuxcommepouréchapperauxdémonstrationsdeMrs.Bennet.

LaperspectivedubaldeNetherfieldcausaitunvifplaisiràLongbourn.Mrs.Bennetseflattaitqu’ilétaitdonnéàl’intentiondesafilleaînée,etconsidéraitcommeunefaveurparticulièrequeMr.Bingleyfûtvenufairesoninvitationenpersonneaulieud’envoyerlacarted’usage.

Janesepromettaituneagréablesoiréeoùellegoûteraitlacompagniedesesdeuxamiesetlesattentions de leur frère. Elizabeth jouissait d’avance du plaisir de danser beaucoup avecMr.Wickham,etd’observerlaconfirmationdecequ’il luiavaitconfiédansl’expressionetl’attitudedeMr.Darcy.La joiequesepromettaientCatherineetLydiadépendaitmoinsdetellepersonneoudetellecirconstanceenparticulier ;bienque,commeElizabeth,chacuned’ellesfûtdécidéeàdanser lamoitiéde lasoiréeavecMr.Wickham, iln’étaitpas l’uniquedanseurquipûtlessatisfaire,etunbal,aprèstout,esttoujoursunbal.EtMaryelle-mêmepouvait,sansmentir,assurerquelaperspectivedecettesoiréen’étaitpaspourluidéplaire.

Elizabethétaitpleined’entrainetdegaietéetbienqu’ellenerecherchâtpointd’ordinairelaconversationdeMr.Collins,elleluidemandas’ilcomptaitaccepterl’invitationdeMr.Bingleyet,lecaséchéant,s’iljugeraitconvenabledesemêlerauxdivertissementsdelasoirée.Àsongrandétonnementilluiréponditqu’iln’éprouvaitàcesujetaucunscrupuleetqu’ilétaitsûrden’encouriraucunblâmedelapartdesonévêqueoudeladyCatherines’ils’aventuraitàdanser.

—Jenecroisnullement,l’assura-t-il,qu’unbaldonnéparunjeunehommedequalitéàdesgensrespectablespuisserienprésenterderépréhensible,etjeréprouvesipeuladansequej’espère que toutes mes charmantes cousines me feront l’honneur de m’accepter pourcavalierdanslecoursdelasoirée.Jesaisisdonccetteoccasion,missElizabeth,pourvousinviter pour les deux premières danses. J’espère que ma cousine Jane attribuera cettepréférenceàsavéritablecauseetnonpasàunmanqued’égardspourelle.

Elizabeth se trouvait prise. Elle avait rêvé se faire inviter pour ces mêmes danses parWickham!Iln’yavaitplusqu’àaccepterl’invitationdesoncousind’aussibonnegrâcequepossible,maiscettegalanterieluicausaitd’autantmoinsdeplaisirqu’elleouvraitla

porteàunesuppositionnouvelle.Pourlapremièrefoisl’idéevintàElizabethque,parmisessœurs,c’étaitellequeMr.CollinsavaitéluepourallerrégneraupresbytèredeHunsfordetfairelaquatrièmeàlatabledewhistdeRosingsenl’absencedeplusnoblesvisiteurs.Cettesuppositionsechangeaencertitudedevant lesattentionsmultipliéesdesoncousinet sescomplimentssursavivacitéetsonesprit.Àsafille,plusétonnéequeraviedesaconquête,Mrs.Bennetdonnabientôtàentendrequelaperspectivedecemariageluiétaitextrêmementagréable. Elizabeth jugea préférable d’avoir l’air de ne point comprendre afin d’éviter unediscussion.Aprèstout,ilsepouvaitfortbienqueMr.Collinsnefîtjamaislademandedesamainet,jusqu’àcequ’illafît,ilétaitbieninutiledesequerelleràsonsujet.

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Chapitre 18

UANDELLEFITSON entrée dans le salon de Netherfield, Elizabeth remarqua queWickham ne figurait point dans le groupe d’habits rouges qui y étaientrassemblés. Jusque-là l’idée de cette absence n’avait même pas effleuré sonesprit ; au contraire, mettant à sa toilette un soin tout particulier, elle s’étaitpréparée joyeusement à achever sa conquête, persuadée que c’était l’affaired’unesoirée.

Alors, brusquement, surgit l’affreux soupçon que les Bingley, par complaisance pourMr.Darcy, avaientomis sciemmentWickhamdans l’invitationadresséeauxofficiers.Bienquelasuppositionfûtinexacte,sonabsencefutbientôtconfirméeparsonami,Mr.Denny;àLydiaqui lepressaitdequestionsilréponditqueWickhamavaitdûpartirpourLondreslaveilleetqu’iln’étaitpointencorederetour,ajoutantd’unairsignificatif:

—Jenecroispasquesesaffairesl’eussentdécidéàs’absenterprécisémentaujourd’huis’iln’avaiteusurtoutledésird’éviterunerencontreavecungentlemandecettesociété.

Cetteallusion,perduepourLydia,futsaisieparElizabethetluimontraqueDarcyn’étaitpasmoinsresponsabledel’absencedeWickhamquesisapremièresuppositionavaitétéjuste.L’antipathie qu’il lui inspirait s’en trouva tellement accrue qu’elle eut grand-peine à luirépondre dans des termes suffisamment polis lorsque, peu après, il vint lui-même luiprésenter ses hommages.Ne voulant avoir aucune conversation avec lui, elle se détournaavecunmouvementdemauvaisehumeurqu’elleneputtoutdesuitesurmonter,mêmeencausantavecMr.Bingleydontl’aveuglepartialitéàl’égarddesonamilarévoltait.

Mais il n’était pas dans la nature d’Elizabeth de s’abandonner longtemps à une telleimpression,etquandellesefutsoulagéeenexposantsondésappointementàCharlotteLucas,ellefutbientôtcapabledefairedévierlaconversationsurlesoriginalitésdesoncousinetdelessignaleràl’attentiondesonamie.

Lesdeuxpremièresdanses,cependant,furentpourelleunintolérablesupplice:Mr.Collins,solennel et maladroit, se répandant en excuses au lieu de faire attention, dansant àcontretemps sans même s’en apercevoir, donnait à sa cousine tout l’ennui, toute lamortificationqu’unmauvaiscavalierpeutinfligeràsadanseuse.Elizabethenretrouvantsaliberté éprouva un soulagement indicible. Invitée ensuite par un officier, elle eut lasatisfaction de parler avec lui de Wickham et d’entendre dire qu’il était universellementapprécié.

EllevenaitdereprendresaconversationavecCharlotteLucas,lorsqueMr.Darcys’approchaet,s’inclinantdevantelle,sollicital’honneurd’êtresoncavalier.Ellesetrouvatellementpriseaudépourvuqu’elle

acceptasanstropsavoircequ’ellefaisait.Ils’éloignaaussitôt,lalaissanttoutedépitéed’avoirmontrésipeudeprésenced’esprit.CharlotteLucasessayadelaréconforter:

—Aprèstout,vousallezpeut-êtreletrouvertrèsaimable.

—Lecielm’enpréserve.Quoi!Trouveraimableunhommequ’onestrésoluàdétester!

Maisquand lamusiquerecommençaetqueDarcys’avançapour lui rappeler sapromesse,CharlotteLucasneputs’empêcherdeluisouffleràl’oreillequesoncapricepourWickhamnedevaitpasluifairecommettrelasottisedeserendredéplaisanteauxyeuxd’unhommedontlasituationvalaitdixfoiscelledel’officier.

Elizabeth prit rang parmi les danseurs, confondue de l’honneur d’avoir Mr. Darcy pourcavalieret lisantdanslesregardsdesesvoisinesunétonnementégalausien.Pendantuncertain temps ils gardèrent le silence. Elizabeth était bien décidée à ne pas le rompre lapremièrelorsquel’idéeluivintqu’elleinfligeraitunepénitenceàMr.Darcyenl’obligeantàparler. Elle fit donc une réflexion sur la danse. Il lui répondit, puis retomba dans sonmutisme.

Auboutdequelquesinstants,ellereprit:

—Maintenant,Mr.Darcy, c’estàvotre tour. J’aidéjàparléde ladanse.Àvousde faire laremarquequ’ilvousplairasurlesdimensionsdusalonoulenombredesdanseurs.

Ilsouritetl’assuraqu’ilétaitprêtàdiretoutcequ’elledésirait.

—Trèsbien.Quantàprésent,cetteréponsepeutsuffire.Unpeuplustardj’observeraiquelessoirées privées présentent plusd’agrément que les bals officiels,mais pour l’instant, nouspouvonsenresterlà.

—Est-cedoncpardevoirquevouscausezendansant?

—Quelquefois.Ilfautbienparlerunpeu.Ilserait

étrange de rester ensemble une demi-heure sans ouvrir la bouche. Cependant, pour lacommoditédecertainsdanseurs,ilvautmieuxquelaconversationsoitrégléedetellefaçonqu’ilsn’aientàparlerquelemoinspossible.

—Danslecasprésent,suivez-vousvospréférencesoucherchez-vousàvousconformerauxmiennes?

—Auxunsetauxautrestoutensemble,carj’airemarquédansnotretourd’espritunegranderessemblance. Nous sommes tous deux de caractère taciturne et peu sociable et nousn’aimonsguèreàpenser,àmoinsquecenesoitpourdireunechosedigned’étonnerceuxquinousécoutentetdepasseràlapostéritéavectoutl’éclatd’unproverbe.

—Ceportraitnevousressemblepasd’unefaçonfrappanteselonmoi,dit-il.Àquelpointilmeressemblec’estcequejenepuisdécider.Vousletrouvezfidèle,sansdoute?

—Cen’estpasàmoidejugerdemonœuvre.

Mr. Darcy ne reprit la conversation qu’au début de la deuxième danse pour demander àElizabethsielleallaitsouventàMerytonavecsessœurs.Elleréponditaffirmativementet,nepouvantrésisteràlatentation,ajouta:

—Lorsque vous nous avez rencontrées l’autre jour, nous venions justement de faire unenouvelleconnaissance.

L’effet fut immédiat.Unairdehauteurplusaccentuée se répandit sur levisagedeDarcy,maisilrestauninstantsansrépondre.Ilditenfind’unaircontraint:

—Mr.Wickhamestdouédemanièresagréablesquiluipermettentdesefairefacilementdesamis.Qu’ilsoitégalementcapabledelesconserverestunechosemoinssûre.

—Jesaisqu’ilaeulemalheurdeperdre«votre»

amitié,répliquaElizabeth,etcelad’unefaçontellequ’ilensouffriraprobablementtoutesonexistence.

Darcyneréponditpasetparutdésireuxdechanger laconversation.Àcemomentapparutprès d’eux sir William Lucas qui essayait de traverser le salon en se faufilant entre lesgroupes. À la vue deMr. Darcy il s’arrêta pour lui faire son salut le plus courtois et luiadresserquelquescomplimentssurluietsadanseuse.

—Vousmevoyezravi,chermonsieur.Onararementl’avantagedevoirdanseravecunartaussi consommé. Vous me permettrez d’ajouter que votre aimable danseuse vous faithonneur.J’espèrequeceplaisirserenouvellerasouventpourmoi,surtout,machèreEliza,siunévénementdesplussouhaitablesvientàseproduire,ajouta-t-ilenlançantuncoupd’œildans la direction de Jane et de Bingley.Quel sujet de joie et de félicitations pour tout lemonde ! J’en appelle àMr.Darcy.Mais que jene vous retiennepas,monsieur.Vousm’envoudriez de vous importuner davantage et les beaux yeux de votre jeune danseusecondamnentmonindiscrétion.

LafindecediscoursfutàpeineentenduedeDarcy.L’allusiondesirWilliamsemblaitl’avoirfrappé,etildirigeaitversBingleyetJaneunregardpréoccupé.Ilseressaisitvite,cependant,etsetournantverssadanseuse:

—L’interruptiondesirWilliam,dit-il,m’afaitoublierdequoinousnousentretenions.

—Maisnousneparlionsderien,jecrois.Nousavionsessayésanssuccèsdeuxoutroissujetsdeconversationetjemedemandequelpourraêtrelesuivant.

—Sinousparlionslecture?dit-ilensouriant.

—Lecture?ohnon!Jesuissûrequenousn’avonspaslesmêmesgoûts.

—Jeleregrette.Mais,quandcelaserait,nouspourrionsdiscuternosidéesrespectives.

—Non, ilm’est impossible de causer littérature dansunbal ;mon esprit est trop occupéd’autrechose.

—Est-cecequivousentourequivousabsorbeàcepoint?demanda-t-ild’unairdedoute.

— Oui, répondit-elle machinalement, car sa pensée était ailleurs comme elle le montra

bientôtparcettesoudaineexclamation:

—Mr.Darcy, jeme rappelle vous avoir entendu dire que vous ne pardonniez jamais uneoffense. Je supposeque cen’estpas à la légèrequevous concevezun ressentiment aussiimplacable.

—Non,certes,affirma-t-ilavecforce.

—Etvousnevouslaissezjamaisaveuglerpardespréventions?

—J’espèrequenon.

—Ceuxquinechangentjamaisd’opiniondoiventnaturellementveilleràjugerdupremiercoupsanssetromper.

—Puis-jevousdemanderàquoitendentcesquestions?

—Àexpliquervotrecaractère,toutsimplement,dit-elleenreprenantletondelaplaisanterie.J’essaieencemomentdelecomprendre.

—Yréussissez-vous?

— Guère, répondit-elle en hochant la tête ; j’entends sur vous des jugements sicontradictoiresquejem’yperds.

—Jecroiseneffet, répondit-ild’un tongrave,que l’onexprimesurmoidesopinions trèsdifférentes,etcen’estpasencemoment,missBennet,quej’auraisplaisiràvousvoiressayerdefairemonportrait,carl’œuvre,jelecrains,neferaithonneurniàvous,niàmoi.

Elizabethn’ajoutarien.Ladanseterminée, ilsseséparèrentensilence,mécontentsl’undel’autre,maisàundegrédifférent,carDarcyavaitdanslecœurunsentimentquilepoussabientôtàpardonneràElizabethetàréservertoutesacolèrepourunautre.

PresqueaussitôtmissBingleysedirigeaversElizabeth,et,d’unairdepolitessedédaigneuse,l’accostaainsi.

—Ilparaît,missElizabeth,queGeorgeWickhamafaitvotreconquête?Votresœurvientdemeposersurluitoutessortesdequestionsetj’aiconstatéquecejeunehommeavaitnégligéde vous dire, entre autres choses intéressantes, qu’il était le fils du vieux Wickham,l’intendantdefeuMr.Darcy.Permettez-moidevousdonnerunconseilamical :nerecevezpascommeparoled’Évangiletoutcequ’ilvousracontera.IlestfauxqueMr.Darcyaitfaittort àWickham : il l’a toujours traité avec une grande générosité, alors queWickham, aucontraire,s’estconduitfortmalenverslui.J’ignorelesdétailsdecetteaffaire,maisjepuisvousaffirmerqueMr.Darcyn’a rienà se reprocher,qu’ilneveutplusentendreparlerdeWickham, et que mon frère, n’ayant pu se dispenser d’inviter ce dernier avec les autresofficiers,aétéravidevoirquedelui-mêmeils’étaitretiré.Jemedemandecommentilaeul’audacedevenirdanscepays-ci.Jevousplains,missElizabeth,d’êtremiseainsifaceàfaceavecl’indignitédevotrefavori:maisconnaissantsonorigine,onnepouvaitguères’attendreàmieux!

—Ensomme,répliquaElizabethirritée,votreaccusationlaplusfondéeestcelled’êtrelefilsd’unsubalterne:etjepuisvouscertifierqueMr.Wickhamm’avaitlui-mêmerévélécedétail!

— Oh ! pardon, répondit miss Bingley en s’éloignant avec un ricanement moqueur. Etexcusez-moienfaveurdemonintention,quiétaitbonne!

—Insolentecréature !seditElizabeth.Croit-elledoncm’influencerpard’aussimisérablesprocédés?. . .Jenevois làqu’ignorancevouluedesapart,etméchancetépureducôtédeMr.Darcy.

Puis elle chercha sa sœuraînéequi avaitdû entreprendreune enquête sur lemême sujetauprèsdeBingley.

ElletrouvaJaneavecunsouriredecontentementetuneflammejoyeusedansleregardquimontraient assez combien elle était satisfaite de sa soirée. Elizabeth s’en aperçut tout desuiteettoutautresentiments’effaçaenelledevant l’espoirdevoirJanesur lechemindubonheur.

—J’aimerais savoir, dit-elle en souriant, elle aussi, si vous avez appris quelque chose surMr.Wickham.Maisvousétiezpeut-êtreengagéedansunentretientropagréablepourpenserauxautres.Encecas,vousêtestoutexcusée.

— Non, reprit Jane, je ne l’ai point oublié, mais je n’ai rien de satisfaisant à vous dire.Mr.BingleyneconnaîtpastoutesonhistoireetignorecequialeplusoffenséMr.Darcy.Ilrépond seulement de la probité et de l’honneur de son ami et il est convaincu queMr.WickhamneméritemêmepascequeMr.Darcyafaitpourlui.Jeregrettededirequed’aprèssasœurcommed’aprèslui,Mr.Wickhamneseraitpasunjeunehommerespectable.

—Mr.Bingleyconnaît-illui-mêmeMr.Wickham?

—Non,ill’avul’autrematinàMerytonpourlapremièrefois.

—Donclesrenseignementsqu’ilvousadonnésluiviennentdeMr.Darcy.Celamesuffit.Jen’éprouveaucundoutequantàlasincéritédeMr.Bingley,maispermettez-moidenepasmelaisser convaincre par de simples affirmations. Puisque Mr. Bingley ignore une partie del’affaire et n’en connaît le reste que par son ami, je préfère m’en tenir à mon sentimentpersonnelsurlesdeuxpersonnesenquestion.

Elle prit alors un sujet plus agréable pour toutes deux et sur lequel elles ne pouvaientmanquerdes’entendre.Elizabethseréjouitd’entendresasœurluiexprimerl’espoirjoyeux,bienquetimide,qu’entretenaitenellel’attitudedeMr.Bingleyàsonégard,etditcequ’elleputpouraffermirlaconfiancedeJane.Puis,commeMr.Bingleylui-mêmes’avançait

deleurcôté,ElizabethseretiraprèsdemissLucas.ElleavaitàpeineeuletempsderépondreauxquestionsdesonamiesursondernierdanseurqueMr.Collinslesjoignit,leurannonçantd’untonjoyeuxqu’ilvenaitdefaireuneimportantedécouverte.

—Parunhasardsingulierj’aitrouvé,dit-il,qu’ilyavaitdanscesalonunprocheparentdema bienfaitrice. J’ai, à son insu, entendu ce gentleman prononcer lui-même le nom de sacousine,missdeBourgh,etceluidesamère,ladyCatherine,encausantaveclajeunedamequifaitleshonneursdubal.Quelemondeestdoncpetit!etquiauraitpupenserquejeferaisdans cette réunion la rencontre d’un neveu de lady Catherine de Bourgh ! Je suis bienheureux d’avoir fait cette découverte à temps pour que je puisse aller lui présenter mesrespects. J’espère qu’il me pardonnera de ne pas m’être acquitté plus tôt de ce devoir.

L’ignorancetotaleoùj’étaisdecetteparentémeservirad’excuse.

—Vousn’allezpasaborderMr.Darcysansluiavoirétéprésenté?

—Etpourquoinon?C’est,sij’aibiencompris,lepropreneveudeladyCatherine.J’auraileplaisirdeluiapprendrequeSaGrâceseportaitparfaitementilyahuitjours.

Elizabethessayaenvaindel’arrêteretdeluifairecomprendreques’ils’adressaitàMr.Darcysans lui avoir été présenté, celui-ci considérerait cette démarche plutôt comme uneincorrectionquecommeunactededéférenceenverssatante.Mr.Collinsl’écoutaavecl’aird’unhommedécidéàn’enfairequ’àsatête,etquandelleeutfini:

—MachèremissElizabeth,dit-il,j’ailaplushauteopiniondevotreexcellentjugementpourtouteslesmatièresquisontdevotrecompétence.Maispermettez-moidevousfaireobserverqu’à l’égardde l’étiquette lesgensdumondeet leclergénesontpasastreintsauxmêmesrègles.Laissez-moidonc,enla

circonstance,suivrelesordresdemaconscienceetremplircequejeconsidèrecommeundevoir, et pardonnez-moi de négliger vos avis qui, en toute autre occasion, me servironttoujoursdeguide.–Et,s’inclinantprofondément,illaquittapouralleraborderMr.Darcy.

Elizabeth le suivit des yeux, curieuse de voir l’accueil qu’il recevrait. L’étonnement deMr.Darcyfutd’abordmanifeste.Mr.Collinsavaitpréludéparungrandsalutet,bienqu’ellefût trop loin pour entendre, Elizabeth croyait tout comprendre et reconnaître, auxmouvementsdeslèvres,lesmots«excuses,Hunsford,ladyCatherinedeBourgh».Illuiétaitpénibledevoirsoncousins’exposerainsiàlacritiqued’untelhomme;Mr.Darcyregardaitsoninterlocuteuravecunesurprisenondissimulée,et,lorsquecelui-civoulutbiens’arrêter,ilréponditavecunairdepolitessedistante.CecineparutpasdécouragerMr.Collinsquiseremitàparlerdeplusbelle,maisl’airdédaigneuxdeMr.Darcys’accentuaitàmesurequesondiscourss’allongeait.Lorsqu’ileutenfinterminé,Mr.Darcyfitsimplementunlégersalutets’éloigna.Mr.Collinsrevintalorsprèsd’Elizabeth.

—Je suis très satisfait, jevousassure,de la réceptionquim’aété faite.Mr.Darcyaparubeaucoup apprécier la délicatesse de mon intention et m’a répondu avec la plus grandecourtoisie.Ilamêmeeul’amabilitédemedirequ’ilconnaissaitassezsatantepourêtresûrqu’elle n’accordait pas ses faveurs sans discernement. – Voilà une belle pensée bienexprimée.–Endéfinitive,ilmeplaîtbeaucoup.

Elizabeth tourna ensuite toute son attention du côté de sa sœur et deMr. Bingley, et lesréflexionsagréablesquesuscitacetexamenlarendirentpresqueaussiheureusequesasœurelle-même.EllevoyaitdéjàJaneinstalléedanscettemêmemaisonettouteaubonheurqueseulepeutdonnerdanslemariageunevéritableaffection.LapenséedeMrs.Bennetsuivaitvisiblementlemêmecours.Ausouper,

Elizabeth, qui n’était séparée d’elle que par lady Lucas, eut lamortification d’entendre samèreparlerouvertementàsavoisinedesesespérancesmaternelles.Entraînéeparsonsujet,Mrs.Bennetneselassaitpasd’énumérerlesavantagesd’unetelleunion:unjeunehommesibien, si riche, n’habitant qu’à troismilles de Longbourn ! dont les sœurs montraient tantd’affection pour Jane et souhaitaient certainement cette alliance autant qu’elle-même.D’autrepart,quelavantagepourlesplusjeunesfillesquelebeaumariagedeleuraînéequi

lesaideraitsansdouteàtrouverellesaussidespartisavantageux.EnfinMrs.Bennetseraittrèsheureusedepouvoirlesconfieràlagardedeleursœuretdesedispenserainsidelesaccompagnerdans lemonde.C’est làunsentimentqu’il estd’usaged’exprimerenpareillecirconstance,maisilétaitdifficiledesereprésenterMrs.Bennetéprouvant,àn’importequelâge,unesigrandesatisfactionàresterchezelle.

Elizabeth essayait d’arrêter ce flot de paroles ou de persuader à sa mère de mettre unesourdineàsavoix,carellerougissaitàlapenséequeMr.Darcy,quiétaitassisenfaced’elles,nedevaitpresquerienperdreduchuchotementtropintelligibledeMrs.Bennet,maiscelle-cineréponditqu’entaxantsafilled’absurdité.

—Etpourquelleraisondois-jeavoirsigrand-peurdeMr.Darcy, jevousprie !L’amabilitéqu’il nousmontrem’oblige-t-elle donc à ne pas prononcer une parole qui puisse avoir lemalheurdeluidéplaire?

— Pour l’amour du ciel, ma mère, parlez plus bas. Quel avantage voyez-vous à blesserMr.Darcy?Celaneseracertainementpasunerecommandationpourvousauprèsdesonami.

Tout ce que put dire Elizabeth fut absolument inutile ; sa mère continua à parler de sesespoirsd’avenir avecaussipeude réserve.Rougedehonteetde contrariété,Elizabethnepouvaits’empêcherderegarder

constamment dans la direction deMr. Darcy et chaque coup d’œil la confirmait dans sescraintes.IlneregardaitpasMrs.Bennet,maissonattentioncertainementétaitfixéesurelleet l’expression de son visage passa graduellement de l’indignation à une froideurdédaigneuse. À la fin, pourtant,Mrs. Bennet n’eut plus rien à dire et lady Lucas, que cesconsidérationssurunbonheurqu’ellen’étaitpasappeléeàpartagerfaisaientbâillerdepuislongtemps,putenfinsavourerenpaixsonjambonetsonpouletfroid.

Elizabethcommençaitàrespirer,maiscettetranquilliténefutpasdelonguedurée.Lesouperterminé, onproposaunpeudemusique et elle eut l’ennuide voirMary, qu’on en avait àpeinepriée, seprépareràcharmer l’auditoire.Duregard,elle tentade l’endissuader,maisenchantéedecetteoccasiondeseproduire,Marynevoulutpascomprendreetcommençaune romance. Elizabeth l’écouta chanter plusieurs strophes avec une impatience qui nes’apaisa point à la fin du morceau ; car quelqu’un ayant exprimé vaguement l’espoir del’entendre encore, Mary se remit au piano. Son talent n’était pas à la hauteur de lacirconstance ; sa voix manquait d’ampleur et son interprétation de naturel. Elizabeth ausupplice lança un coup d’œil à Jane pour savoir ce qu’elle en pensait, mais Jane causaittranquillement avec Bingley. Ses yeux se tournèrent alors vers les deux sœurs qu’elle vitéchangerdesregardsamusés,versMr.Darcy,quigardaitlemêmesérieuximpénétrable,versson père, enfin, à qui elle fit signe d’intervenir, dans la crainte queMary ne continuât àchantertoutelanuit.Mr.BennetcompritetlorsqueMaryeutachevésonsecondmorceau,ilditàhautevoix:

— C’est parfait, mon enfant.Mais vous nous avez charmés assez longtemps. Laissez auxautresletempsdeseproduireàleurtour.

Mary,bienqu’ellefîtsemblantden’avoirpasentendu,semontraquelquepeudécontenancéeet

Elizabeth,contrariéeparl’apostrophedesonpère,regrettasonintervention.

Oninvitaitmaintenantd’autrespersonnesàsefaireentendre.

—Sij’avaislebonheurdesavoirchanter,ditMr.Collins,j’auraisgrandplaisiràcharmerlacompagnie car j’estime que la musique est une distraction innocente et parfaitementcompatibleaveclaprofessiondeclergyman.Jeneveuxpasdire,cependant,quenoussoyonslibresd’yconsacrerbeaucoupdetemps.Lerecteurd’uneparoisseesttrèsoccupé:quandilacomposésessermonsetremplilesdevoirsdesacharge,illuirestebienpeudeloisirspourlessoinsàdonneràsonintérieurqu’ilseraitinexcusabledenepasrendreaussiconfortablequepossible.D’autrepart, ildoitavoirlesouciconstantdesemontrerpleind’égardspourtous,etenparticulierpour la famillede laquelle il tientsonbénéfice.C’estuneobligationdontilnesauraitsedispenseret,pourmapart,jenepourraisjugerfavorablementceluiquinégligerait une occasion de témoigner son respect à toute personne apparentée à sesbienfaiteurs.

EtparunsalutadresséàMr.Darcy,ilconclutcediscoursdébitéassezhautpourêtreentendude la moitié du salon. Plusieurs personnes le regardèrent avec étonnement, d’autressourirent,maispersonneneparaissaitplusamuséqueMr.Bennettandisquesafemme,avecungrandsérieux,félicitaitMr.CollinsdelasagessedesesproposetobservaitàvoixbasseàladyLucasquecejeunehommeétaitfortsympathiqueetd’uneintelligenceremarquable.

IlsemblaitàElizabethquesisafamilleavaitpristâche,cesoir-là,deserendreridicule,ellen’auraitpulefaireavecplusdesuccès.Heureusementqu’unepartiedecetteexhibitionavaitéchappéàMr.Bingley ;mais lapenséeque sesdeux sœurs etMr.Darcyn’en avaientpasperdu un détail lui était fort pénible, et elle ne savait si elle souffrait plus du méprissilencieux

del’unoudessouriresmoqueursdesdeuxautres.

Lerestedelasoiréeoffritpeud’agrémentàElizabeth,agacéeparlaprésencecontinuelledeMr.Collinsàsescôtés.S’iln’obtintpasd’ellelafaveurd’unenouvelledanse,ill’empêchadumoinsdedanseravecd’autres.Envainluioffrit-elledeleprésenteràsesamies;ill’assuraqueladanselelaissaitindifférent,quesonseulobjetétaitdeluiêtreagréableetqu’ilseferaitundevoirdeluitenircompagnietoutelasoirée.Iln’yavaitdoncrienàfaire.ElizabethdutsonuniquesoulagementàmissLucasqui,ensejoignantàleurconversation,détournasurelle-mêmeunepartiedesdiscoursdeMr.Collins.

DumoinsElizabethn’eut-elleplusàsubirlesattentionsdeMr.Darcy.Bienqu’ildemeurâtlongtempsseulàpeudedistancedeleurgroupe,ilnecherchaplusàluiadresserlaparole.ElizabethvitdanscetteattitudelerésultatdesesallusionsàMr.Wickhamets’enfélicita.

Les habitants de Longbourn furent des derniers à prendre congé, et par suite d’unemanœuvredeMrs.Bennet,ilsdurentattendreleurvoitureunquartd’heuredeplusquelesautres invités, ce qui leur laissa le temps de voir combien leur départ était ardemmentsouhaitéparunepartiedeleurshôtes.Mrs.Hurstetsasœurétaientvisiblementimpatientesderetrouverleurlibertépourallersecoucher,etn’ouvraientlabouchequepourseplaindredelafatigue,laissantMrs.Bennetessayersanssuccèsdesoutenirlaconversation.Mr.Darcynedisaitmot ;Mr.Bingley et Jane,unpeuà l’écart, causaient sans s’occuperdes autres ;

ElizabethgardaitlemêmesilencequeMrs.HurstetmissBingley,etLydiaelle-mêmen’avaitpluslaforcequedes’exclamerdetempsàautreavecunlargebâillement:«Dieu,quejesuislasse!»

Quand ils se levèrent enfinpourpartir,Mrs.Bennet exprimad’unemanièrepressante sondésirdevoirbientôttousseshôtesàLongbourn,ets’adressa

particulièrementàMr.Bingleypourl’assurerduplaisirqu’illeurferaitenvenantn’importequel jour, sans invitation, partager leur repas de famille. Avec plaisir et reconnaissance,Mr.Bingleypromitdesaisirlapremièreoccasiond’allerluifairevisiteaprèssonretourdeLondresoùildevaitserendrelelendemainmêmepourunbrefséjour.

Mrs.Bennetétaitpleinementsatisfaite.Ellequittaseshôtesavecl’agréablepersuasionque,–entenantcomptedesdélaisnécessairespourdresserlecontratetcommanderl’équipageetlestoilettesdenoces,–ellepouvaitespérervoirsafilleinstalléeàNetherfielddansundélaidetroisouquatremois.

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Chapitre 19

ELENDEMAINAMENADU nouveau à Longbourn : Mr. Collins fit sa déclaration. Iln’avaitplusdetempsàperdre,soncongédevantseterminerlesamedisuivant;etcommesamodestieneluiinspiraitaucuneinquiétudequipûtl’arrêterauderniermoment,ildécidadefairesademandedanslesformesqu’iljugeaitindispensablesdanscettecirconstance.

TrouvantaprèslebreakfastMrs.Bennetencompagnied’Elizabethetd’uneautredesesfilles,illuiparlaainsi:

—Puis-je,madame,sollicitervotrebienveillantappuipourobtenirdevotrefille,Elizabeth,unentretienparticulierdanslecoursdelamatinée?

Avantqu’Elizabeth rougissante eût eu le tempsd’ouvrir la bouche,Mrs.Bennet avait déjàrépondu:

—Mais je crois bien ! Je suis sûre qu’Elizabeth ne demande pasmieux. Venez, Kitty, j’aibesoindevousaupremier.–Etrassemblantsonouvrage,ellesehâtaitverslaporte,lorsqueElizabeths’écria:

—Mamère,nesortezpas,jevousenprie.Mr.

Collins m’excusera, mais il n’a certainement rien à me dire que tout le monde ne puisseentendre.Jevaismoi-mêmemeretirer.

—Non,non,Lizzy!Quelleestcettesottise?Jedésirequevousrestiez.–EtcommeElizabeth,rougedeconfusionetdecolère,continuaitàgagnerlaporte,Mrs.Bennetajouta : –Lizzy,j’insistepourquevousrestiezetquevousécoutiezcequeMr.Collinsveutvousdire.

La jeune fillenepouvait résister àune telle injonction : comprenant, après un instant deréflexion,quemieuxvalaitenfinirauplusvite,elleserassitetrepritsonouvragepoursedonnerunecontenanceetdissimulerlacontrariétéoul’enviederirequilaprenaienttouràtour.

LaporteétaitàpeinereferméesurMrs.BennetetKittyqueMr.Collinscommençait:

—Croyez,chèremissElizabeth,quevotremodestie,loindemedéplaire,nefaitàmesyeuxqu’ajouter à vos charmes.Vousm’auriezparumoins aimable sans cepetitmouvementderetraite, mais laissez-moi vous assurer que j’ai pour vous parler la permission de votre

respectable mère. Vous vous doutez sûrement du but de cet entretien, bien que votredélicatessevousfassesimulerlecontraire.J’aieupourvoustropd’attentionspourquevousnem’ayezpasdeviné.Àpeineavais-jefranchileseuildecettemaisonquejevoyaisenvousla compagne de mon existence ; mais avant de me laisser emporter par le flot de messentiments,peut-êtreserait-ilplusconvenabledevousexposerlesraisonsquimefontsongeraumariageetlemotifquim’aconduitenHertfordshirepourychercheruneépouse.

L’idéedusolennelMr.Collins«selaissantemporterparleflotdesessentiments»parutsicomiqueàElizabethqu’elledut faireeffortpournepaséclaterde rireetperdit l’occasiond’interromprecetéloquentdiscours.

— Les raisons qui me déterminent à me marier, continua-t-il, sont les suivantes :premièrement,jeconsidèrequ’ilestdudevoirdetoutclergymandedonnerlebonexempleàsaparoisseenfondantunfoyer.Deuxièmement,jesuisconvaincu,cefaisant,detravailleràmonbonheur.Troisièmement,–j’auraisdûpeut-êtrecommencerparlà,–jerépondsainsiaudésir exprimépar la trèsnobledameque j’ai l’honneurd’appelermaprotectrice.Pardeuxfois,etsansquejel’eneussepriée,elleadaignémefairesavoirsonopinionàcesujet.Lesamedisoirquiaprécédémondépart,entredeuxpartiesde«quadrilles»,ellem’aencoredit:«Mr.Collins, il fautvousmarier.Unclergymancommevousdoitsemarier.Faitesunbonchoix. Pour ma satisfaction, et pour la vôtre, prenez une fille de bonne famille, active,travailleuse,entendue;nonpointélevéedansdesidéesdegrandeurmaiscapabledetirerunbonparti d’un petit revenu.Trouvez une telle compagne le plus tôt possible, amenez-la àHunsford, et j’irai lui rendre visite. » Permettez-moi, ma belle cousine, de vous dire enpassant que la bienveillance de lady Catherine de Bourgh n’est pas un des moindresavantagesquejepuisvousoffrir.Sesqualitésdépassenttoutcequejepuisvousendire,etjecrois que votre vivacité et votre esprit lui plairont, surtout s’ils sont tempérés par ladiscrétionetlerespectquesonrangnepeutmanquerdevousinspirer.

«Telssontlesmotifsquimepoussentaumariage.IlmeresteàvousdirepourquoijesuisvenuchoisirunefemmeàLongbournplutôtquedansmonvoisinageoù,jevousassure,ilnemanquepasd’aimablesjeunesfilles ;maisdevanthériterdecedomaineàlamortdevotrehonorablepère(qui,jel’espère,neseproduirapasd’icidelonguesannées,jenepourraisêtrecomplètement satisfait si je ne choisissais une de ses filles afin de diminuer autant quepossibleletortquejeleurcauserailorsquearriveraledouloureuxévénement.

(Dieuveuillequecesoitleplustardpossible!)Cesraisons,machèrecousine,nemeferontpas, je l’espère, baisser dans votre estime. Et maintenant il ne me reste plus qu’à vousexprimer en termes ardents toute la force demes sentiments. La question de fortunemelaisseindifférent.Jesaisquevotrepèrenepeutrienvousdonneretquemillelivresplacéesàquatrepourcentsonttoutcequevouspouvezespérerrecueilliraprèslamortdevotremère.Jegarderaidonclesilenceleplusabsolusurcechapitreetvouspouvezêtresûrequejamaisvousn’entendrezsortirdemaboucheunreprochedénuédegénérositélorsquenousseronsmariés.

—Vousalleztropvite,monsieur,s’écriaElizabeth.Vousoubliezquejenevousaipasencorerépondu.Laissez-moilefairesansplustarder.Jesuistrèssensibleàl’honneurquevousmefaitesparcettepropositionet jevousen remercie,mais ilm’est impossibledenepoint la

décliner.

—Jesaisdepuislongtemps,répliquaMr.Collinsavecungestemajestueux,qu’ilestd’usageparmilesjeunesfillesderepousserceluiqu’ellesontaufondl’intentiond’épouserlorsqu’ilsedéclarepour lapremière fois,etqu’il leurarrivederenouvelercerefusunesecondeetmême une troisième fois ; c’est pourquoi votre réponse ne peut me décourager, et j’aiconfiancequej’auraiavantlongtempslebonheurdevousconduireàl’autel.

—Envérité,monsieur,cetteconfianceestplutôtextraordinaireaprèscequejeviensdevousdéclarer!Jevousaffirmequejenesuispointdecesjeunesfilles,–sitantestqu’ilenexiste,–assezimprudentespourjouerleurbonheursurlachancedesevoirdemanderunesecondefois.Monrefusestdesplussincères:vousnepourriezpasmerendreheureuseetjesuisladernièrefemmequipourraitfairevotrebonheur.Bienplus,sivotreamieladyCatherinemeconnaissait,jesuissûrequ’ellemetrouveraitfortmal

qualifiéepourlasituationquevousmeproposez.

—Quandbienmême,réponditgravementMr.Collins,l’avisdeladyCatherine...MaisjenepuisimaginerSaGrâcevousregardantd’unœildéfavorableetsoyezcertaineque,lorsquejela reverrai, je lui vanterai avec chaleur votremodestie, votre esprit d’ordre et vos autresaimablesqualités.

—Mr.Collins,toutesceslouangesseraient inutiles.Veuillezm’accorderlalibertéde jugerpourmon compte etme faire la grâcede croire ce que je vousdis. Je souhaite vous voirheureuxetricheet,envousrefusantmamain,jecontribueàlaréalisationdecevœu.Lesscrupulesrespectablesquevousexprimiezausujetdemafamillesontsansobjetmaintenantquevousm’avezproposéd’êtrevotrefemmeetvouspourrez,quandletempsviendra,entreren possession de Longbourn sans vous adresser aucun reproche. Cette question est doncréglée.

Elles’étaitlevéeenprononçantcesderniersmotsetallaitquitterlapiècequandMr.Collinsl’arrêtaparcesmots:

—Lorsquej’aurail’honneurdereprendrecetteconversationavecvous,j’espèrerecevoiruneréponse plus favorable ; non point que je vous accuse de cruauté et peut-être même, enfaisantlapartdelaréservehabituelleàvotresexe,enavez-vousditassezaujourd’huipourm’encourageràpoursuivremonprojet.

— En vérité, Mr. Collins, s’écria Elizabeth avec chaleur, vous me confondez ! Si vousconsidéreztoutcequejeviensdevousdirecommeunencouragement,jemedemandeenquelstermesilmefautexprimermonrefuspourvousconvaincrequec’enestun!

—Laissez-moicroire,machèrecousine,quecerefusn’estqu’unesimpleformalité.Ilnemesemblepasquejesoisindignedevous,niquel’établissementquejevousoffrenesoitpaspourvousdesplusenviables.Masituation,mesrelationsaveclafamillede

Bourgh,maparentéavecvotrefamille,sontautantdeconditionsfavorablesàmacause.Enoutre,vousdevriezconsidérerqu’endépitdetousvosattraitsvousn’êtesnullementcertainederecevoiruneautredemandeenmariage.Votredotestmalheureusementsimodestequ’elledoit inévitablement contrebalancer l’effet de votre charme et de vos qualités. Forcem’est

doncdeconclurequevotrerefusn’estpassérieux,etjepréfèrel’attribueraudésird’excitermatendresseenlatenantensuspens,suivantl’élégantecoutumedesfemmesdumonde.

—Soyezsûr,monsieur,quejen’aiaucuneprétentionàcettesorted’élégance,quiconsisteàfairesouffrirunhonnêtehomme.Jepréféreraisqu’onmefîtlecomplimentdecroireàcequejedis.Jevousremerciemillefoisdevotreproposition,maisilm’estimpossibledel’accepter;messentimentsmel’interdisentabsolument.Puis-jeparleravecplusdeclarté?Nemeprenezpas pour une coquette qui prendrait plaisir à vous tourmenter, mais pour une personneraisonnablequiparleentoutesincérité.

— Vous êtes vraiment délicieuse, quoi que vous fassiez ! s’écria-t-il avec une lourdegalanterie,etjesuispersuadéquemademande,unefoissanctionnéeparlavolontéexpressedevosexcellentsparents,nemanquerapasdevousparaîtreacceptable.

Devantcette invinciblepersistanceàvouloir s’abuser,Elizabethabandonna lapartie et seretiraensilence.

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Chapitre 20

R.COLLINSNERESTAPAS longtemps seul à méditer sur le succès de sadéclaration.Mrs.Bennet, qui rôdait dans le vestibule en attendant la fin del’entretien,n’eutpasplustôtvusafilleouvrirlaporteetgagnerrapidementl’escalierqu’elleentradanslasalleà

manger et félicitaMr. Collins avec chaleur en lui exprimant la joie que luicausait la perspective de leur alliance prochaine. Mr. Collins reçut ces félicitations et yréponditavecautantdeplaisir,aprèsquoiilsemitàrelaterlesdétailsd’uneentrevuedontilavaittoutlieud’êtresatisfaitpuisquelerefusquesacousineluiavaitobstinémentopposén’avaitd’autrecausequesamodestieetl’extrêmedélicatessedesessentiments.

CerécitcependantcausaquelquetroubleàMrs.Bennet.Elleeûtbienvoulupartagercettebelle assurance et croire que sa fille, en repoussant Mr. Collins, avait eu l’intention del’encourager.Maislachoseluiparaissaitpeuvraisemblableetelleneputs’empêcherdeledire.

—Soyezsûr,Mr.Collins,queLizzyfiniraparentendreraison.C’estunefillesotteetentêtéequineconnaîtpointsonintérêt;maisjemechargedeleluifairecomprendre.

—Permettez,madame:sivotrefilleestréellementsotteetentêtéecommevousledites,jeme demande si elle est la femme qui me convient. Un homme dans ma situation désirenaturellementtrouverlebonheurdansl’étatconjugaletsimacousinepersisteàrejetermademande,peut-êtrevaudrait-ilmieuxnepasessayerdelaluifaireagréerdeforce;sujetteàdetelsdéfautsdecaractère,ellenemeparaîtpasfaitepourassurermafélicité.

—Monsieur,vousinterprétezmalmesparoles,s’écriaMrs.Bennetalarmée.Lizzynemontred’entêtementquedansdesquestionsdecegenre.Autrementc’estlameilleurenaturequ’onpuisserencontrer.JevaisdecepastrouverMr.Bennetetnousauronstôtfait,ànousdeux,deréglercetteaffaireavecelle.

Et,sansluidonnerletempsderépondre,elleseprécipitadanslabibliothèqueoùsetrouvaitsonmari.

—Ah!Mr.Bennet,s’exclama-t-elleenentrant,j’aibesoindevoustoutdesuite.Venezviteobliger

LizzyàaccepterMr.Collins.Ellejuresesgrandsdieuxqu’elleneveutpasdelui.Sivousnevoushâtezpas,ilvachangerd’avis,etc’estluiquinevoudraplusd’elle!

Mr. Bennet avait levé les yeux de son livre à l’entrée de sa femme et la fixait avec uneindifférencetranquillequel’émotiondecelle-cin’arrivapasàtroubler.

—Jen’aipasl’avantagedevouscomprendre,dit-ilquandelleeutfini.Dequoiparlez-vousdonc?

—MaisdeLizzyetdeMr.Collins!Lizzyditqu’elleneveutpasdeMr.CollinsetMr.Collinscommenceàdirequ’ilneveutplusdeLizzy.

—Etquepuis-jefaireàcepropos?Lecasmesembleplutôtdésespéré.

—ParlezàLizzy.Dites-luiquevoustenezàcemariage.

—Faites-laappeler.Jevaisluidirecequej’enpense.

Mrs. Bennet sonna et donna l’ordre d’avertir miss Elizabeth qu’on la demandait dans labibliothèque.

—Arrivezici,mademoiselle,luicriasonpèredèsqu’elleparut.Jevousaienvoyéchercherpouruneaffaired’importance.Mr.Collins,medit-on,vousauraitdemandéeenmariage.Est-ceexact?

—Trèsexact,réponditElizabeth.

—Vousavezrepoussécettedemande?

—Oui,monpère.

—Fortbien.Votremèreinsistepourquevousl’acceptiez.C’estbiencela,Mrs.Bennet?

—Parfaitement;sielles’obstinedanssonrefus,jenelareverraidemavie.

—Mapauvreenfant,vousvoilàdansunecruellealternative.Àpartirdecejour,vousallezdevenirétrangèreàl’undenousdeux.Votremèrerefusedevousrevoirsivousn’épousezpasMr.Collins,etjevousdéfendsdereparaîtredevantmoisivousl’épousez.

Elizabethneputs’empêcherdesourireàcetteconclusioninattendue;maisMrs.Bennet,quiavaitsupposéquesonmaripartageaitsonsentiment,futexcessivementdésappointée.

—Mr.Bennet!Àquoipensez-vousdeparlerainsi?Vousm’aviezpromisd’amenervotrefilleàlaraison!

—Machèreamie,répliquasonmari,veuillezm’accorderdeuxfaveurs:lapremière,c’estdemepermettre en cette affaire le libreusagedemon jugement, et la secondedeme laisserceluidemabibliothèque.Jeseraisheureuxdem’yretrouverseulleplustôtpossible.

Malgréladéfectiondesonmari,Mrs.Bennetneserésignapastoutdesuiteàs’avouerbattue.Elle entreprit Elizabeth à plusieurs reprises, la suppliant et la menaçant tour à tour. ElleessayaaussidesefaireunealliéedeJane,mais,avectouteladouceurpossible,celle-cirefusad’intervenir.QuantàElizabeth,tantôtavecénergie,tantôtavecgaieté,ellerepoussatouslesassauts,changeantdetactique,maisnondedétermination.

Mr.Collinspendantcetempsméditaitsolitairementsurlasituation.Lahauteopinionqu’ilavait de lui-même l’empêchait de concevoir lesmotifs qui avaient poussé sa cousine à le

refuseret,bienqueblessédanssonamour-propre, iln’éprouvaitpasunvéritablechagrin.SonattachementpourElizabethétaitunpureffetd’imaginationetlapenséequ’elleméritaitpeut-êtrelesreprochesdesamèreéteignaitenluitoutsentimentderegret.

Pendantquetoutelafamilleétaitainsidansledésarroi,CharlotteLucasvintpourpasserlajournéeavecsesamies.EllefutaccueilliedanslehallparLydiaquiseprécipitaverselleenchuchotant:

—Jesuiscontentequevoussoyezvenuecarilsepasseicideschosesbiendrôles.Devinezcequiestarrivécematin:Mr.CollinsaoffertsamainàLizzy,etellel’arefusée!

Charlotten’avaitpaseuletempsderépondrequ’ellesétaientrejointesparKitty,presséedeluiannoncerlamêmenouvelle.Enfin,danslasalleàmanger,

Mrs.Bennet,qu’ellesytrouvèrentseule,repritlemêmesujetetréclamal’aidedemissLucasenlapriantd’userdesoninfluencepourdécidersonamieàseplierauxvœuxdetouslessiens.

— Je vous en prie, chère miss Lucas, dit-elle d’une voix plaintive, faites cela pour moi !Personne n’est demon côté, personne neme soutient, personne n’a pitié demes pauvresnerfs.

L’entréedeJaneetd’ElizabethdispensaCharlottederépondre.

—Etjustementlavoici,poursuivitMrs.Bennet,aussitranquille,aussiindifférenteques’ils’agissaitdushahdePerse!Toutluiestégal,pourvuqu’ellepuissefairesesvolontés.Mais,prenezgarde,missLizzy,sivousvousentêtezàrepoussertouteslesdemandesquivoussontadressées,vousfinirezparrestervieillefilleetjenesaispasquivousferavivrelorsquevotrepèreneserapluslà.Cen’estpasmoiquilepourrai,jevousenavertis.Jevousaidittoutàl’heure,danslabibliothèque,quejenevousparleraisplus;vousverrezsijenetienspointparole.Jen’aiaucunplaisiràcauseravecunefillesipeusoumise.Nonquej’enaiebeaucoupàcauseravecpersonne;lesgensquisouffrentdemalaisesnerveuxcommemoin’ontjamaisgrandgoûtpour la conversation.Personnene sait ceque j’endure !Mais c’est toujours lamêmechose,onneplaintjamaisceuxquineseplaignentpaseux-mêmes.

Sesfillesécoutaientensilencecettelitanie,sachantquetouteffortpourraisonnerleurmèreou pour la calmer ne ferait que l’irriter davantage. Enfin les lamentations deMrs. Bennetfurentinterrompuesparl’arrivéedeMr.Collinsquientraitavecunairplussolennelencorequed’habitude.

Sur un signe, les jeunes filles quittèrent la pièce et Mrs. Bennet commença d’une voixdouloureuse:

—MoncherMr.Collins...

—Machèremadame,interrompitcelui-ci,ne

parlons plus de cette affaire. Je suis bien loin, continua-t-il d’une voix où perçait lemécontentement,degarderrancuneàvotrefille.Larésignationàcequ’onnepeutempêcherest un devoir pour tous, et plus spécialement pour un homme qui a fait choix de l’étatecclésiastique.Cedevoir,jem’ysoumetsd’autantplusaisémentqu’undoutem’estvenusur

lebonheurquim’attendaitsimabellecousinem’avaitfaitl’honneurdem’accordersamain.Et j’ai souvent remarqué que la résignation n’est jamais si parfaite que lorsque la faveurrefusée commence à perdre à nos yeux quelque chose de sa valeur. J’espère que vous neconsidérerezpascommeunmanquederespectenversvousquejeretiremesprétentionsauxbonnesgrâcesdevotre fille sansvousavoir sollicités,vousetMr.Bennet,d’userdevotreautorité enma faveur.Peut-être ai-je eu tortd’accepterun refusdéfinitifde labouchedevotrefilleplutôtquedelavôtre,maisnoussommestoussujetsànoustromper.J’avaislesmeilleuresintentions :monuniqueobjetétaitdem’assurerunecompagneaimable,toutenservant les intérêts de votre famille. Cependant, si vous voyez dansma conduite quelquechosederépréhensible,jesuistoutprêtàm’enexcuser.

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Chapitre 21

ADISCUSSIONPROVOQUÉEPAR la demande de Mr. Collins était maintenant close.Elizabethengardaitseulementunsouvenirpénibleetdevaitencoresupporterdetempsàautrelesaigresallusionsdesamère.Quantausoupirantmalheureux,sessentimentsne s’exprimaientpointparde l’embarrasoude la tristesse,maisparuneattituderaideetunsilencepleinderessentiment.C’estàpeines’ils’adressaitàElizabeth,etlesattentionsdontillacomblaitauparavantsereportèrentsurmiss

Lucasdontlacomplaisanceàécouter

sesdiscoursfutunsoulagementpourtoutlemondeetenparticulierpourElizabeth.

Le lendemain, lasantéet l’humeurdeMrs.BennetneprésentaientaucuneaméliorationetMr.Collins,desoncôté,continuaitàpersonnifierl’orgueilblessé.Elizabeths’étaitflattéedel’espoir que son mécontentement le déciderait à abréger son séjour, mais ses plans n’enparaissaient nullement affectés ; il s’était toujours proposé de rester jusqu’au samedi etn’entendaitpass’enallerunjourplustôt.

AprèsledéjeunerlesjeunesfillesserendirentàMerytonpoursavoirsiMr.Wickhamétaitderetour. Comme elles entraient dans la ville, elles le rencontrèrent lui-même et il lesaccompagnajusquechezleurtanteoùsonregretd’avoirmanquélebaldeNetherfieldetladéception que tout le monde en avait éprouvée, furent l’objet de longs commentaires. ÀElizabeth pourtant, il ne fit aucune difficulté pour avouer que son absence avait étévolontaire.

—Àmesurequeladatedubalserapprochait,dit-il,j’avaisl’impressiondeplusenplusnettequejeferaismieuxd’éviterunerencontreavecMr.Darcy.Metrouveravecluidanslamêmesalle,danslamêmesociétépendantplusieursheures,étaitpeut-êtreplusquejenepouvaissupporter;ilauraitpuenrésulterdesincidentsaussidésagréablespourlesautresquepourmoi-même.

Elizabethapprouvapleinement sonabstention. Ils eurent tout le loisirde s’étendre sur cesujet,carWickhametundesescamaradesreconduisirentlesjeunesfillesjusqu’àLongbournet,pendantletrajet,ils’entretintsurtoutavecElizabeth.Touchéed’unempressementaussiflatteur,elleprofitadel’occasionpourleprésenteràsesparents.

Peu après leur retour, unpli apporté deNetherfield fut remis à Janequi l’ouvrit aussitôt.L’enveloppe contenait une feuille d’un charmant papier satiné couverte d’une écritureféminineéléganteetdéliée.

Elizabethvitquesasœurchangeaitdecouleurenlisantetqu’elles’arrêtaitspécialementàcertains passages de la lettre. Jane, d’ailleurs, reprit vite son sang-froid et se joignit à laconversationgénéraleavecsonentrainhabituel.Mais,dèsqueWickhametsoncompagnonfurentpartis,ellefitsigneàElizabethdelasuivredansleurchambre.Àpeineyétaient-ellesqu’elleditenluitendantlalettre:

—C’estdeCarolineBingley,etlanouvellequ’ellem’apporten’estpassansmesurprendre.Àl’heurequ’ilest ilsonttousquittéNetherfieldetsontenroutepourLondres,sans idéederetour.Écoutezplutôt.

Ellelutlapremièrephrasequiannonçaitlarésolutiondecesdamesderejoindreleurfrèreetde dîner ce même soir à Grosvenor Street, où les Hurst avaient leur maison. La lettrecontinuait ainsi : « Nous ne regretterons pas grand-chose du Hertfordshire, à part votresociété,chèreamie.Espéronscependantquel’avenirnousréservel’occasionderenouernossiagréablesrelationset,qu’enattendant,nousadoucironsl’amertumedel’éloignementparunecorrespondancefréquenteetpleined’abandon.»

Cette grande tendresse laissaElizabeth très froide.Bienque la soudainetéde cedépart lasurprît,ellen’yvoyaitrienquivalûtlapeinedes’enaffliger.Lefaitquecesdamesn’étaientplus à Netherfield n’empêcherait vraisemblablement point Mr. Bingley d’y revenir et saprésence,Elizabethenétaitpersuadée,auraitviteconsoléJanedel’absencedesessœurs.

—C’estdommage,dit-elleaprèsuncourtsilence,quevousn’ayezpulesrevoiravantleurdépart;cependantilnousestpeut-êtrepermisd’espérerquel’occasiondevousretrouverseprésenteraplustôtquemissBingleyneleprévoit.Quisaitsicesrapportsd’amitiéqu’elleatrouvéssiagréablesneserenouerontpasplusintimesencore?...Mr.BingleyneselaisserapasretenirlongtempsàLondres.

—Carolinedéclarenettementqu’aucund’euxne

reviendraàNetherfielddetoutl’hiver.Voicicequ’elledit:«Quandmonfrèrenousaquittéshier, il pensait pouvoir conclure en trois ouquatre jours l’affairequi l’appelait àLondres,mais c’est certainement impossible et comme nous sommes convaincus, d’autre part, queCharles,unefoisàLondres,neseranullementpresséd’enrevenir,nousavonsdécidédelerejoindreafindeluiépargnerledésagrémentdelavieàl’hôtel.Beaucoupdenosamisontdéjà regagné la ville pour l’hiver. Comme je serais heureuse d’apprendre que vous-même,chèreamie,vousproposezdefaireuntourdanslacapitale!Mais,hélas!jen’oseycompter.JesouhaitesincèrementquelesfêtesdeNoëlsoientchezvousdesplusjoyeusesetquevosnombreux succès vous consolent du départ des trois admirateurs que nous allons vousenlever.»

—Cecimontrebien,conclutJane,queMr.Bingleynereviendrapasdecethiver.

—CecimontreseulementquemissBingleyneveutpasqu’ilrevienne.

—Qu’est-cequivouslefaitcroire?Mr.Bingleyestmaîtredesesactes;c’estdeluiquevientsansdoutecettedécision.Maisattendezlereste.Àvous, jeneveuxriencacher,et jevaisvouslirelepassagequimepeineleplus.«Mr.Darcyestimpatientderetrouversasœuret,àvous dire vrai, nous ne le sommes pasmoins que lui. Il est difficile de trouver l’égale deGeorgianaDarcysouslerapportdelabeauté,del’éléganceetdel’éducation,etlasympathie

quenousavonspourelle,Louisaetmoi,estaccrueparl’espérancedelavoirunjourdevenirnotresœur.Jenesaissijevousaijamaisfaitpartdenossentimentsàcetégard,maisjeneveuxpasvousquitter sansvousenparler.MonfrèreadmirebeaucoupGeorgiana ; il auramaintenantdefréquentesoccasionsdelavoirdansl’intimité,lesdeuxfamilless’accordentpourdésirercetteunionetjenecroispasêtreaveugléeparl’affectionfraternelleendisantqueCharlesatoutcequ’ilfautpoursefaire

aimer. Avec tant de circonstances favorables ai-je tort, ma chère Jane, de souhaiter laréalisationd’unévénementquiferaittantd’heureux?»

—Quepensez-vousdecettephrase,machèreLizzy?ditJaneenachevantsalecture,nedit-ellepasclairementqueCarolinen’aaucundésirdemevoirdevenirsasœur,qu’elleesttoutàfaitconvaincuedel’indifférencedesonfrèreàmonégardetque,siellesoupçonnelanaturedessentimentsqu’ilm’inspire,elleveuttrèsamicalementmemettresurmesgardes?Peut-onvoirautrechosedanscequejeviensdevouslire?

—Oui,certes,carmonimpressionesttoutàfaitdifférente,etlavoiciendeuxmots :missBingleys’estaperçuequesonfrèrevousaimealorsqu’elleveutluifaireépousermissDarcy.EllevalerejoindreafindelereteniràLondres,etelleessaiedevouspersuaderqu’ilnepensepasàvous.

Janesecoualatête.

—Jane,jevousdislavérité.TousceuxquivousontvueavecMr.Bingleynepeuventdouterdesessentimentspourvous,–missBingleypasplusquelesautres,carellen’estpointsotte.–SiellepouvaitcroirequeMr.Darcyéprouveseulement lamoitiédecetteaffectionpourelle-même,elleauraitdéjàcommandésarobedenoce.Maislefaitestquenousnesommesniassezriches,niasseznoblespoureux,etmissBingleyestd’autantplusdésireusedevoirsonfrèreépousermissDarcyqu’ellepensequ’unepremièreallianceentrelesdeuxfamillesenfacilitera une seconde.Cen’est pasmal combiné et pourrait après tout réussir simiss deBourghn’étaitpasdanslacoulisse.Maisvoyons,machèreJane,simissBingleyvousracontequesonfrèreestpleind’admirationpourmissDarcy,cen’estpasuneraisonsuffisantepourcroirequ’ilsoitmoinssensibleàvoscharmesquequandilvousaquittéemardidernier,niqu’ellepuisse luipersuaderàsongréquecen’estpasdevous,maisdesonamiequ’ilestépris.

—ToutcequevousmediteslàpourraitmetranquillisersinousnousfaisionslamêmeidéedemissBingley,répliquaJane,maisjesuiscertainequevouslajugezinjustement.Carolineestincapabledetromperquelqu’undeproposdélibéré.Toutcequejepuisespérerdemieuxdanslecasprésent,c’estqu’ellesetrompeelle-même.

—C’estparfait.Dumomentquevousnevoulezpasdemonexplication,vousnepouviezentrouver unemeilleure. Croyez donc quemiss Bingley se trompe, et que cette suppositioncharitablevousredonnelatranquillité.

— Mais, ma chère Elizabeth, même en mettant tout au mieux, pourrais-je être vraimentheureuseenépousantunhommequesessœursetsesamisdésirenttantmarieràuneautre?

—Cela,c’estvotreaffaire,etsi,àlaréflexion,voustrouvezqueladouleurdedésobligerlesdeuxsœursestplusgrandequelajoied’épouserlefrère, jevousconseillevivementdene

pluspenseràlui.

—Pouvez-vousparlerainsi,ditJaneavecunfaiblesourire.Voussavezbienquemalgrélapeinequemecauserait leurdésapprobation, jen’hésiteraispas.Mais ilestprobableque jen’aurai pas à choisir si Mr. Bingley ne revient pas cet hiver. Tant de choses peuvent seproduireensixmois!

Les deux sœurs convinrent d’annoncer ce départ à leur mère sans rien ajouter qui pûtl’inquiétersurlesintentionsdeMr.Bingley.CettecommunicationincomplètenelaissapastoutefoisdecontrariervivementMrs.Bennet,quidéploracedépartcommeunecalamité:nesurvenait-ilpasjusteaumomentoùlesdeuxfamillescommençaientàselierintimement?

Aprèss’être répanduequelque tempsendoléances, l’idéequeMr.Bingley reviendrait sansdoutebientôtetdîneraitàLongbournluiapportaunpeuderéconfort.Enl’invitant,elleavaitparléd’unrepasde

famille,maiselledécidaquelemenun’encomporteraitpasmoinsdeuxservicescomplets.

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Chapitre 22

ESBENNETDÎNAIENTCE jour-là chez les Lucas et, de nouveau, miss Lucas eut lapatience de servir d’auditrice àMr. Collins pendant la plus grande partie de lasoirée.Elizabethluienrenditgrâces:

—Vouslemettezainsidebonnehumeur,dit-elle ; jene saiscommentvousenremercier...

Charlotteréponditquelesacrificedesontempsétaitlargementcompenséparlasatisfactiond’obligersonamie.C’étaitfortaimable:maislabontédeCharlottevisaitbeaucoupplusloinquenelesoupçonnaitElizabeth,carsonbutétaitdeladélivrerd’uneadmirationimportuneenprenanttoutsimplementsaplacedanslecœurdeMr.Collins.Quandonsesépara,àlafindelasoirée, l’affaireétaitensibontrainqueCharlotteseseraitcrueassuréedusuccèssiMr.Collinsn’avaitpasétéàlaveilledequitterleHertfordshire.

Maisellen’avaitpasbienmesurél’ardeurdessentimentsdeMr.Collinsetl’indépendancedeson caractère. Car, le lendemain matin, il s’échappait de Longbourn, en dissimulant sondesseinavecunehabiletéincomparable,etaccouraitàLucasLodgepoursejeteràsespieds.Il désirait surtout éviter d’éveiller l’attention de ses cousines, persuadé qu’elles nemanqueraientpasdesoupçonnersesintentionscarilnevoulaitpasqu’onapprîtsatentativeavantqu’il pût enannoncer l’heureux résultat.Bienque se sentant assez tranquille,– carCharlotte avait étépassablement encourageante,– il se tenaitquandmême sur ses gardesdepuissonaventuredumercrediprécédent.

L’accueilqu’il reçutcependant futdesplus flatteurs.D’une fenêtredupremierétagemissLucas l’aperçut qui se dirigeait vers lamaison et elle se hâta de sortir pour le rencontreraccidentellementdans le jardin,mais jamais ellen’auraitpu imaginerque tantd’amouretd’éloquencel’attendaitauboutdel’allée.

EnaussipeudetempsquelepermirentleslongsdiscoursdeMr.Collins,toutétaitrégléentreles deux jeunes gens à leurmutuelle satisfaction et, comme ils entraient dans lamaison,Mr.CollinssuppliaitdéjàCharlottedefixerlejourquimettraitlecombleàsafélicité.Siunetelledemandenepouvaitêtreexaucéesur-le-champ,l’objetdesaflammenemanifestaitdumoinsaucuneinclinationàdifférersonbonheur.L’inintelligencedontlanatureavaitgratifiéMr.Collinsn’étaitpaspourfairesouhaiterdesfiançaillesprolongéesavecuntelsoupirant,etmissLucas,quil’avaitacceptédansleseuldésirdes’établirhonorablement,sesouciaitassezpeuqueladatedumariagefûtplusoumoinsproche.

Le consentement de sirWilliam et de lady Lucas demandé aussitôt, fut accordé avec unempressementjoyeux.LasituationdeMr.Collinsfaisaitdeluiunpartiavantageuxpourleurfilledontladotétaitmodestetandisquelesespérancesdefortunedujeunehommeétaientfortbelles.

Avec un intérêt qu’elle n’avait encore jamais éprouvé, lady Lucas se mit tout de suite àcalculer combien d’années Mr. Bennet pouvait bien avoir encore à vivre, et sir WilliamdéclaraquelorsquesongendreseraitenpossessiondudomainedeLongbourn,ilferaitbiendesefaireprésenteràlacouravecsafemme.Bref,toutelafamilleétaitravie;lesplusjeunesfillesvoyaientdanscemariagel’occasiondefaireunpeuplustôtleurentréedanslemonde,etlesgarçonssesentaientdélivrésdelacraintedevoirCharlottemourirvieillefille.

Charlotteelle-mêmeétaitassezcalme.Parvenueàsesfins,elleexaminaitmaintenantlefruitde sa victoire, et ses réflexions étaient, somme toute, satisfaisantes. Mr. Collins n’avaitévidemmentni intelligencenicharme,saconversationétaitennuyeuseetdansl’ardeurdeses sentiments il entrait sansdoutemoinsd’amourqued’imagination,mais, telqu’il était,c’était unmari ; or, sans se faire une très haute idée des hommes, Charlotte Lucas avaittoujourseulavocationetledésirdesemarier.Ellevoyaitdanslemariagelaseulesituationconvenablepourunefemmed’éducationdistinguéeetdefortunemodeste,car,s’ilnedonnaitpasnécessairementlebonheur,ilmettaitdumoinsàl’abridesdifficultésmatérielles.Arrivéeàl’âgedevingt-septansetn’ayantjamaisétéjolie,elleappréciaitàsavaleurlachancequis’offraitàelle.

Cequilagênaitleplus,c’étaitlasurprisequ’elleallaitcauseràElizabethBennetdontl’amitiéluiétaitparticulièrementchère.Elizabeths’étonneraitsûrement,lablâmeraitpeut-êtreet,sisarésolutionnedevaitpasenêtreébranlée,ellepourraitdumoinssesentirblesséeparladésapprobationdesameilleureamie.Ellerésolutdeluifairepartelle-mêmedel’événementetquandMr.Collins,àl’heuredudîner,semitendevoirderetourneràLongbourn,ellelepria de ne faire aucune allusion à leurs fiançailles devant la famille Bennet. La promessed’êtrediscret futnaturellementdonnéeavecbeaucoupdesoumission,maisellenefutpastenuesansdifficulté,lacuriositééveilléeparlalongueabsencedeMr.Collinssemanifestantàsonretourpardesquestionstellementdirectesqu’illuifallutbeaucoupd’ingéniositépourleséludertoutes,ainsiquebeaucoupd’abnégationpourdissimuleruntriomphequ’ilbrûlaitdepublier.

Commeildevaitpartirlelendemainmatindetrèsbonneheure,lacérémoniedesadieuxeutlieulesoir,aumomentoùlesdamesallaientseretirer.

Mrs.Bennet,toutepolitesseetcordialité,ditcombienilsseraienttrèsheureuxdelerevoirlorsquelescirconstanceslepermettraient.

— Chère madame, répondit-il, cette invitation m’est d’autant plus agréable que je lasouhaitais vivement et vous pouvez être sûre que j’en profiterai aussitôt qu’il me serapossible.

Unétonnementgénéralaccueillitcesparoles,etMr.Bennet,àquilaperspectived’unretouraussirapidenesouriaitnullement,sehâtadedire:

—Maisêtes-vousbiensûr,monchermonsieur,d’obtenirl’approbationdeladyCatherine ?

Mieux vaudrait négliger un peu votre famille que courir le risque de mécontenter votreprotectrice.

— Cher monsieur, répliqua Mr. Collins, laissez-moi vous remercier de ce conseil amical.Soyezcertainquejeneprendraispasunedécisionaussiimportantesansl’assentimentdeSaGrâce.

— Certes, vous ne pouvez lui marquer trop de déférence. Risquez tout plutôt que sonmécontentement,etsijamaisvotrevisiteicidevaitleprovoquer,demeurezenpaixchezvousetsoyezpersuadéquenousn’enseronsnullementfroissés.

—Monchermonsieur,tantd’attentionexcitemagratitudeetvouspouvezcompterrecevoirbientôtunelettrederemerciementspourtouteslesmarquesdesympathiedontvousm’avezcomblépendantmonséjourici.Quantàmesaimablescousines,bienquemonabsencedoiveêtresansdoutedecourtedurée, jeprendsmaintenant la libertéde leursouhaitersantéetbonheur...sansfaired’exceptionpourmacousineElizabeth.

Aprèsquelquesparolesaimables,Mrs.Bennetetsesfillesseretirèrent,surprisesdevoirqu’ilméditait un aussi prompt retour à Longbourn. Mrs. Bennet aurait aimé en déduire qu’ilsongeaitàl’unedesesplusjeunesfilles,etMaryseseraitlaissépersuaderdel’accepter:plusquesessœurselleappréciaitses

qualités et goûtait ses réflexions judicieuses ; encouragé par un exemple comme le sien àdévelopper sa culture, elle estimait qu’il pourrait faire un très agréable compagnon. Lelendemainmatin vit s’évanouir cet espoir.Miss Lucas, arrivée peu après le breakfast, pritElizabethàpartetluiracontacequis’étaitpassélaveille.

QueMr.Collinssecrûtéprisdesonamie,l’idéeenétaitdéjàvenueàElizabethaucoursdesdeux journées précédentes,mais queCharlotte eût pu l’encourager, la chose lui paraissaitinconcevable.Ellefuttellementabasourdie,qu’oublianttoutepolitesseelles’écria:

—FiancéeàMr.Collins?MachèreCharlotte,c’estimpossible!

Le calme avec lequel Charlotte avait pu parler jusque-là fit place à une confusionmomentanéedevantunblâmeaussipeudéguisé.Maiselle repritbientôt sonsang-froidetrépliquapaisiblement:

— Pourquoi cette surprise, ma chère Eliza ? Trouvez-vous si incroyable que Mr. Collinspuisseobtenirlafaveurd’unefemmeparcequ’iln’apaseulachancedegagnerlavôtre?

Mais Elizabeth s’était déjà reprise et, avec un peu d’effort, put assurer son amie que laperspectivedeleurprochaineparentéluiétaittrèsagréable,etqu’elleluisouhaitaittouteslesprospéritésimaginables.

—Jedevinevotresentiment,réponditCharlotte.Mr.Collinsayantmanifestésirécemmentledésirdevousépouserilestnaturelquevouséprouviezunétonnementtrèsvif.Cependant,quandvousaurezeuletempsd’yréfléchir,jecroisquevousm’approuverez.Voussavezquejenesuispasromanesque,–jenel’aijamaisété,–unfoyerconfortableesttoutcequejedésire;or,enconsidérantl’honorabilitédeMr.Collins,sesrelations,sasituationsociale,jesuisconvaincued’avoirenl’épousantdeschancesdebonheurquetoutlemondenetrouvepasdanslemariage.

— Sans aucun doute, répondit Elizabeth, et après une pause un peu gênée, toutes deuxrejoignirent le reste de la famille. Charlotte ne resta pas longtemps et, après son départ,Elizabethsemitàréfléchirsurcequ’ellevenaitd’apprendre.QueMr.Collinspûtfairedeuxdemandesenmariageentroisjoursétaitàsesyeuxmoinsétrangequedelevoiragrééparsonamie.ElizabethavaittoujourssentiquelesidéesdeCharlottesurlemariagedifféraientdessiennes,maisellen’imaginaitpointque,lemomentvenu,elleseraitcapabledesacrifierlessentimentslesplusrespectablesàunesituationmondaineetàdesavantagesmatériels.Charlottemariée àMr. Collins ! Quelle image humiliante ! Au regret de voir son amie sediminuerainsidanssonestimes’ajoutaitlaconvictionpéniblequ’illuiseraitimpossibledetrouverlebonheurdanslelotqu’elles’étaitchoisi.

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Chapitre 23

LIZABETHQUITRAVAILLAITENcompagniedesamèreetdesessœurssedemandaitsielleétaitautoriséeàleurcommuniquercequ’ellevenaitd’apprendre,lorsquesirWilliam Lucas lui-même fit son entrée, envoyé par sa fille pour annoncerofficiellementsesfiançaillesàtoutelafamille.Avecforcecompliments,etensefélicitant pour son compte personnel de la perspective d’une alliance entre lesdeuxmaisons,illeurfitpartdelanouvellequiprovoquaautantd’incrédulitéque

desurprise.Mrs.Bennet,avecuneinsistancediscourtoise,protestaqu’ildevaitfaireerreur,tandisqueLydia,toujoursétourdie,s’exclamaitbruyamment:

— Grand Dieu ! sir William, que nous contez-vous là ? Ne savez-vous donc pas queMr.CollinsveutépouserLizzy?

Ilfallaittoutelapolitessed’unhommedecourpoursupporterunpareilassaut.SirWilliam,néanmoins,toutenpriantcesdamesdecroireàsavéracité,sutécouterleurspeudiscrètesprotestationsdelameilleuregrâcedumonde.

Elizabeth,sentantqu’elledevaitluivenirenaidedansuneaussifâcheusesituation,intervintpourdirequ’elleconnaissaitdéjàlanouvelleparCharlotteets’efforçademettreuntermeauxexclamationsdesamèreetdesessœursenoffrantàsirWilliamdecordialesfélicitationsauxquellessejoignirentcellesdeJane;puiselles’étenditendiversesconsidérationssurlebonheur futurdeCharlotte, l’honorabilitédeMr.Collins,et lacourtedistancequi séparaitHunsforddeLondres.Mrs.Bennetétaittellementstupéfaitequ’ellenetrouvaplusrienàdirejusqu’audépartde sirWilliam ;mais, dèsqu’il se fut retiré, elledonna libre cours au flottumultueuxdesessentiments.Ellecommençapars’obstinerdanssonincrédulité,puiselleaffirmaqueMr.Collinss’étaitlaissé«entortiller»parCharlotte,elledéclaraensuitequeceménagene serait pas heureux et, pour finir, annonça la rupture prochaine des fiançailles.Deuxchoses,cependant,sedégageaientclairementdecesdiscours:Elizabethétaitlacausedetoutlemal,etelle,Mrs.Bennet,avaitétéindignementtraitée.Elleméditatoutlejourcesdeuxpoints.Riennepouvaitlaconsoleretlajournéenesuffitpasàcalmersonressentiment.DetoutelasemaineelleneputvoirElizabethsansluirenouvelersesreproches;illuifallutplus d’un mois pour reprendre vis-à-vis de sir William et de lady Lucas une attitudesuffisammentcorrecte,etils’écoulabeaucoupplusdetempsencoreavantqu’elleparvîntàpardonneràleurfille.

Mr.Bennetaccueillitlanouvelleavecplusdesérénité.Illuiplaisait,dit-il,deconstaterque

CharlotteLucas,qu’ilavaittoujoursconsidéréecommeunefilleraisonnable,n’avaitpasplusdebonsensquesa

femmeetenavaitcertainementmoinsquesafille.

EntreElizabethetCharlotte,unegênesubsistaitquilesempêchaittoutesdeuxd’abordercechapitre.Elizabethsentaitbienqu’ilnepouvaitplusyavoirentreelleslamêmeconfiance.DésappointéeparCharlotte,ellesetournaavecplusd’affectionverssasœursurladroitureetladélicatessedelaquelleellesavaitpouvoirtoujourscompter,maiselledevenaitchaquejourplusanxieuseausujetdesonbonheur,carBingleyétaitpartidepuisplusd’unesemaineetiln’étaitpasquestiondesonretour.JaneavaitrépondutoutdesuiteàCarolineetcomptaitdanscombiendejoursellepouvaitraisonnablementespérerunenouvellelettre.

LesremerciementsannoncésparMr.Collinsarrivèrentlemardi.AdresséeàMr.Bennet,salettreexprimaitavecemphasesagratitudeaussiprofondeques’ileûtfaitunséjourdetouteune année dans la famille Bennet. Ce devoir accompli, Mr. Collins annonçait en termesdithyrambiques le bonheur qu’il avait eu de conquérir le cœur de leur aimable voisine etrévélaitquec’étaitavecledesseindeserapprocherd’ellequ’ilavaitacceptésivolontiersleuraimableinvitation:ilpensaitdoncfairesaréapparitionàLongbournquinzejoursplustard.LadyCatherine,ajoutait-il, approuvait si complètement sonmariagequ’elledésirait levoircélébrer le plus tôt possible et il comptait sur cet argument péremptoire pour déciderl’aimableCharlotteàfixerrapidementlejourquiferaitdeluileplusheureuxdeshommes.LeretourdeMr.CollinsnepouvaitpluscauseraucunplaisiràMrs.Bennet.Aucontraire,toutautant que sonmari, elle le trouvait le plus fâcheux dumonde.N’était-il pas étrange queMr.CollinsvîntàLongbournaulieudedescendrechezlesLucas?C’étaitfortgênantettoutàfaitennuyeux.Ellen’avaitpasbesoindevoirdeshôteschezelleavecsasantéfragileetencoremoinsdesfiancésqui,detous,sontlesgenslesplus

désagréablesàrecevoir.AinsimurmuraitMrs.Bennet,etcesplaintesnecessaientquepourfaire place à l’expression plus amère du chagrin que lui causait l’absence prolongée deMr. Bingley. Cette absence inquiétait aussi Jane et Elizabeth. Les jours s’écoulaient sansapporterdenouvelles,sinoncellequicommençaitàcirculeràMerytonqu’onnelereverraitplus de tout l’hiver à Netherfield. Elizabeth elle-même commençait à craindre queMr.BingleynesefûtlaisséreteniràLondresparsessœurs.Malgrésarépugnanceàadmettreune supposition qui ruinait le bonheur de sa sœur et donnait une idée simédiocre de laconstancedeBingley,ellenepouvait s’empêcherdepenserque lesefforts réunisdedeuxsœursinsensiblesetd’unamiautoritaire,jointsauxcharmesdemissDarcyetauxplaisirsdeLondres,pourraientbienavoirraisondesonattachementpourJane.

Quant à cette dernière, l’incertitude lui était, cela va de soi, encore plus pénible qu’àElizabeth.Maisquelsquefussentsessentiments,elleévitaitdeleslaisservoiretc’étaitunsujetquelesdeuxsœursn’abordaientjamaisensemble.

Mr.Collinsrevintponctuellementquinzejoursplustardcommeill’avaitannoncéets’ilnefutpasreçuàLongbournaussichaudementquelapremièrefois,ilétaittropheureuxpours’enapercevoir.Dureste,sesdevoirsdefiancéleretenaientpresquetoutelajournéechezlesLucasetilnerentraitsouventquepours’excuserdesalongueabsenceàl’heureoùseshôtesregagnaientleurschambres.

Mrs. Bennet était vraiment à plaindre. La moindre allusion au mariage de Mr. Collins lamettaithorsd’elleet,partoutoùelleallait,elleétaitsûred’enentendreparler.LavuedemissLucasluiétaitdevenueodieuse,ellenepouvait,sanshorreur,penserqu’elleluisuccéderaitàLongbournet,lecœurpleind’amertume,ellefatiguaitsonmaridesesdoléances.

—Oui,Mr.Bennet,ilesttropdurdepenserque

CharlotteLucasseraunjourmaîtressedecettemaisonetqu’ilmefaudram’enallerpourluicéderlaplace.

—Chère amie, écartez ces pensées funèbres. Flattons-nous plutôt de l’espoir que je voussurvivrai.

MaiscetteconsolationsemblaitunpeuminceàMrs.Bennetqui,sansyrépondre,continuait:

—Jenepuissupporterl’idéequetoutcedomaineluiappartiendra.Ah!s’iln’yavaitpascet«entail»,commecelameseraitégal!

—Qu’est-cequivoussembleraitégal?

—Toutlereste.

—Rendonsgrâceauciel,alors,devousavoirpréservéed’unetelleinsensibilité.

—Jamais,Mr.Bennet,jenerendraigrâcepourcequitoucheàcemaudit«entail».Qu’onpuisseprendredesdispositionspareillespourfrustrersesfillesdeleurbien,c’estunechosequejenepourraijamaiscomprendre.EttoutcelapourlesbeauxyeuxdeMr.Collins,encore!Pourquoiluiplutôtqu’unautre?

—Jevouslaisselesoinderésoudreleproblème,ditMr.Bennet.

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Chapitre 24

ALETTREDEMISSBingleyarrivaetmitfinàtouslesdoutes.Dèslapremièrephraseelle confirmait la nouvelle de leur installation à Londres pour tout l’hiver ettransmettaitlesregretsdeMr.Bingleyden’avoirpuallerprésentersesrespectsàsesvoisinsavantdequitterlacampagne.IlfallaitdoncrenonceràtoutespoiretquandJaneeutlecouraged’acheversalettre,àpartlesprotestationsd’amitiédeCaroline,ellen’ytrouvarienquipûtlaréconforter.LeslouangesdemissDarcyen

occupaient la plus grande partie : miss Bingley se félicitait de leur intimité croissante etprévoyaitl’accomplissementdesdésirssecretsqu’elle

avaitrévélésàsonamiedanssa lettreprécédente.ElleracontaitavecsatisfactionquesonfrèrefréquentaitbeaucoupchezMr.Darcyetdécrivaitavectransportslesplansdecelui-cipourlerenouvellementdesonmobilier.

Elizabeth à qui Jane communiqua le principal de sa lettre écouta, silencieuse et pleined’indignation,lecœurpartagéentrelapitiéqu’elleéprouvaitpoursasœuretleressentimentque lui inspiraient lesBingley. Elle n’attachait aucune valeur à ce quedisaitCaroline surl’admirationdesonfrèrepourmissDarcy;delatendressedecelui-cipourJaneellen’avaitjamaisdoutéetn’endoutaitpasencore,maisellenepouvaitsanscolère,àpeinesansmépris,songeràcemanquededécisionquifaisaitdeluiactuellementlejouetdesintriguesdessienset l’amenait à sacrifier son bonheur à leurs préférences. Et s’il ne s’agissait que de sonbonheur !. . . libreàluid’endisposer.MaisceluideJaneaussiétaitenjeuetilnepouvaitl’ignorer.

UnjouroudeuxsepassèrentavantqueJaneeûtlecouraged’abordercesujetavecElizabeth,mais une après-midi où sa mère avait plus encore que d’habitude épanché son irritationcontrelemaîtredeNetherfield,elleneputs’empêcherdedire:

—Commejesouhaiteraisquenotremèreeûtunpeuplusd’empiresurelle-même!Ellenesedoutepasdelapeinequ’ellemecauseavecsesallusionscontinuellesàMr.Bingley.Maisjeneveuxpasmeplaindre.Toutcelapasseraetnousnousretrouveronscommeauparavant.

Elizabeth,sansrépondre,regardasasœuravecunetendresseincrédule.

—Vousnemecroyezpas ! s’écriaJaneenrougissant ; vous avez tort. Il resteradansmamémoirecommel’hommeleplusaimablequej’aieconnu.Maisc’esttout.Jen’airienàluireprocher;–Dieusoitlouédem’avoir,dumoins,évitécechagrin.–Aussi,dansunpeude

temps...jeseraicertainementcapabledemeressaisir.

Elleajoutabientôtd’unevoixplusferme:

—J’aipourl’instantcetteconsolation:toutcecin’aétéqu’uneerreurdemonimaginationetn’apufairedemalqu’àmoi-même.

— Jane, ma chérie, vous êtes trop généreuse, s’exclama Elizabeth. Votre douceur, votredésintéressementsontvraimentangéliques.Jenesaisquevousdire.Ilmesemblequejenevousaijamaisrendujusticenimontrétoutelatendressequevousméritiez.

Janerepoussacesélogesavecforceetsemitenretouràlouerlachaudeaffectiondesasœur.

—Non,ditElizabeth,cen’estpasjuste.Vousvouleznevoirpartoutquedubien;vousêtescontrariéesijeporteunjugementsévère,etquandjevousdéclareparfaitevousprotestez.Oh!necraignezpasquej’exagèreouquej’empiètesurvotreprivilègedejugerfavorablementtoutl’univers.Plusjevaisetmoinslemondemesatisfait.Chaquejourmemontredavantagel’instabilitédescaractèresetlepeudeconfiancequ’onpeutmettredanslesapparencesdel’intelligence etdumérite. Jeviensd’enavoirdeuxexemples.De l’un, jeneparleraipas ;l’autre,c’estlemariagedeCharlotte.N’est-ilpasinconcevableàtouslespointsdevue?

—MachèreLizzy,nevouslaissezpasalleràdessentimentsdecegenre.Vousnetenezpasassez compte des différences de situation et de caractère. Considérez seulementl’honorabilitédeMr.Collinsetl’espritsenséetprudentdeCharlotte.Souvenez-vousqu’elleappartientàunenombreuse famille,quecemariage, sous le rapportde la fortune,est trèsavantageux,et,parégardpourtousdeux,efforcez-vousdecroirequeCharlottepeutvraimentéprouverquelquechosecommedel’estimeetdel’affectionpournotrecousin.

—Jecroirain’importequoipourvousfaireplaisir,maisjemedemandequi,hormisvous,enbénéficiera.SijepouvaismepersuaderqueCharlotteaimenotre

cousin,ilmefaudraitjugersonespritaussisévèrementquejejugesoncœur.Vousnepouveznier,machèreJane,queMr.Collinsnesoitunêtreprétentieux,pompeuxetridicule,etvoussentez forcémentcommemoique la femmequi consentà l’épousermanquede jugement.Vousnepouvezdoncladéfendre,mêmesielles’appelleCharlotteLucas.

—Jetrouveseulementquevousexprimezvotrepenséeentermestropsévères,etvousenserezconvaincue,jel’espère,enlesvoyantheureuxensemble.Maislaissonscesujet.Vousavezparléde«deux»exemplesetjevousaibiencomprise.Jevousenprie,machèreLizzy,n’ajoutezpasàmapeineenjugeantunecertainepersonnedignedeblâmeetendéclarantqu’elleaperduvotreestime.Ilnefautpassecroiresivitevictimed’uneoffensevolontaire;nousnedevonspasattendred’unjeunehommegaietpleind’entraintantdeprudenceetdecirconspection.Biensouventc’estvotreproprevanitéquivouségare,etlesfemmescroienttrouverdansl’admirationqu’ellesexcitentbeaucoupdechosesquin’ysontpas.

—Etleshommesfontbiencequ’ilspeuventpourleleurfairecroire.

—S’ilslefontsciemment,ilssontimpardonnables.Maisjenepuisvoirpartoutd’aussinoirscalculs.

—Jesuis loindechargerMr.Bingleyd’unetelleaccusation.Maissansavoirdemauvaise

intentiononpeutmalagiretêtreunecausedechagrin.Ilsuffitpourcelad’êtreinsouciant,denepastenirassezcomptedessentimentsdesautres,oudemanquerdevolonté.

—Laquelledecestroischosesreprochez-vousàMr.Bingley?

—Ladernière.

—Vouspersistezalorsàsupposerquesessœursontessayédel’influencer?

—Oui,etsonamiégalement.

—C’estunechosequejenepuiscroire.Ellesne

peuventsouhaiterquesonbonheur,et,s’ilm’aime,aucuneautrefemmenepourralerendreheureux.

—Ellespeuventsouhaiterbiend’autreschosesquesonbonheur !Ellespeuventsouhaiterpourluiplusderichesseetdeconsidération ;ellespeuventsouhaiterluivoirépouserunejeunefillequiluiapporteàlafoisdelafortuneetdehautesrelations.

—SansaucundouteellessouhaitentluivoirépousermissDarcy.Maiscelapeutvenird’unmeilleursentimentquevousnepensez.Laconnaissantdepuispluslongtempsquemoi,ilestnaturel qu’elles me la préfèrent. Cependant si elles croyaient qu’il m’aime, elles nechercheraientpasànousséparer,et,s’ilm’aimait,ellesnepourraientyréussir.Pourcroirequ’ilm’aime,ilfautsupposerquetoutlemondeagitmaletcetteidéemerendmalheureuse.Au contraire, je n’éprouve nulle honte à reconnaître que jeme suis trompée. Laissez-moidoncvoirl’affairesouscejourquimeparaîtêtrelevéritable.

Elizabethnepouvaitqueserendreaudésirdesasœuretentreelles,àpartirdecejour,lenomdeMr.Bingleynefutplusquerarementprononcé.

La société de Mr. Wickham fut précieuse pour dissiper le voile de tristesse que cesmalencontreuxévénementsavaientjetésurLongbourn.Onlevoyaitsouventetàsesautresqualités s’ajoutait maintenant un abandon qui le rendait encore plus aimable. Tout cequ’ElizabethavaitapprisdesesdémêlésavecMr.Darcyétaitdevenupublic:onenparlaitunpeupartoutet l’onseplaisaitàremarquerqueMr.Darcyavaitparuantipathiqueàtout lemonde avant même que personne fût au courant de cette affaire. Jane était la seule àsupposerqu’il pouvait existerdes faits ignorésde la sociétédeMeryton.Dans sa candeurcharitable,elleplaidaittoujourslescirconstancesatténuantes,etalléguaitlapossibilitéd’uneerreur,mais tous lesautres s’accordaientpourcondamnerMr.Darcyet ledéclarer leplusméprisabledeshommes.

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Chapitre 25

PRÈSUNESEMAINEPASSÉE à exprimer son amour et à faire des rêves de bonheur,l’arrivéedusamediarrachaMr.CollinsàsonaimableCharlotte.Lechagrindelaséparation,toutefois,allaitêtreallégédesoncôtéparlespréparatifsqu’ilavaitàfairepourlaréceptiondelajeuneépousecarilavaittoutlieud’espérerquelejourdumariageseraitfixéàsonprochainretourenHertfordshire.Ilpritcongédes habitants de Longbourn avec autant de solennité que la première fois,

renouvelasesvœuxdesantéetdebonheuràsesbellescousinesetpromitàleurpèreuneautrelettrederemerciements.

Lelundisuivant,Mrs.Benneteutleplaisirderecevoirsonfrèreetsabelle-sœurquivenaientcommeàl’ordinairepasserlaNoëlàLongbourn.Mr.Gardinerétaitunhommeintelligentetdebonnesmanières,infinimentsupérieuràsasœurtantparlesqualitésnaturellesqueparl’éducation.LesdamesdeNetherfieldauraienteupeineàcroirequ’unhommequiétaitdansle commerce pouvait être aussi agréable et aussi distingué.Mrs.Gardiner, plus jeune queMrs.Bennet,étaitunefemmeaimable,éléganteetfinequesesniècesdeLongbournaimaientbeaucoup.Lesdeuxaînéessurtoutluiétaientuniesparuneviveaffection,etellesfaisaientdefréquentsséjoursàLondreschezleurtante.

LepremiersoindeMrs.Gardiner futdedistribuer lescadeauxqu’elleavaitapportésetdedécrirelesdernièresmodesdeLondres.Cecifait,sonrôledevintmoinsactifetcefutalorssontourd’écouter.Mrs.Bennetavaitbeaucoupdegriefsàraconter,beaucoupdeplaintesàexhalerdepuisleurdernièrerencontre,safamilleavaiteubiendelamalchance.Deuxdeses

fillesavaientétésurlepointdesemarieret,finalement,lesdeuxprojetsavaientéchoué.

—JeneblâmepasJane,ajoutait-elle:cen’estpassafautesil’affaireamanqué.MaisLizzy!...Oh!masœur,ilesttoutdemêmedurdepenserqu’ellepourraitàl’heurequ’ilests’appeler«Mrs.Collins»,n’eûtétésondéplorableentêtement.Ill’ademandéeenmariagedanscettepiècemême,etellel’arefusé !Lerésultat,c’estqueladyLucasauraunefillemariéeavantmoi et que la propriété de Longbourn sortira de la famille. Les Lucas sont des gens forthabiles,masœur,etdisposésàs’emparerdetoutcequiestàleurportée : jeregrettede ledire,mais c’est lapurevérité.Quantàmoi, celame rendmaladed’être contrecarréede lasorteparlesmiensetd’avoirdesvoisinsquipensenttoujoursàeux-mêmesavantdepenserauxautres;maisvotrearrivéeestunvéritableréconfort,etjesuischarméedecequevousmeditesausujetdesmancheslongues.

Mrs.Gardiner,quiavaitdéjàétémiseaucourantdesfaitsparsacorrespondanceavecJaneetElizabeth, répondit brièvement à sa belle-sœur et, par amitié pour ses nièces, détourna laconversation. Mais elle reprit le sujet un peu plus tard, quand elle se trouva seule avecElizabeth.

—Ceparti semblait vraiment souhaitablepour Jane,dit-elle, et je suisbien fâchéeque lachose en soit restée là, mais il n’est pas rare de voir un jeune homme tel que vous medépeignezMr.Bingleys’éprendresoudaind’unejoliefilleet,silehasardvientàlesséparer,l’oublieraussivite.

—Voilàcertesuneexcellenteconsolation,ditElizabeth,mais,dansnotrecas,lehasardn’estpointresponsable,etilestassezrarequ’unjeunehommedefortuneindépendanteselaissepersuaderparlessiensd’oublierunejeunefilledontilétaitviolemmentéprisquelquesjoursauparavant.

—Cetteexpressionde«violemmentépris»està

lafoissivagueetsirebattuequ’ellenemereprésentepasgrand-chose.Onl’emploieaussibienpourunsentimentpassager,néd’unesimplerencontre,quepourunattachementréeletprofond.S’ilvousplaît,commentsemanifestaitceviolentamourdeMr.Bingley?

—Jen’ai jamaisvuuneinclinationaussipleinedepromesses.IlnevoyaitqueJaneetnefaisaitplusattentionàpersonne.Aubalqu’iladonnéchezlui,ilafroisséplusieursjeunesfillesenoubliantdelesinviteràdanser,etmoi-mêmecejour-làjeluiaiadressédeuxfoislaparole sans qu’il eût l’air dem’entendre. Est-il symptôme plus significatif ? Le fait d’êtreimpolienverstoutlemonden’est-ilpaschezunhommelamarquemêmedel’amour!

—Oui...decettesorted’amourqu’éprouvaitsansdouteMr.Bingley.PauvreJane!j’ensuisfâchéepourelle;avecsanatureilluifaudralongtempspourseremettre.Sivousaviezétéàsaplace,Lizzy,votregaietévousauraitaidéeàréagirplusvite.Maispensez-vousquenouspourrionsdéciderJaneàveniràLondresavecnous?Unchangementluiferaitdubien,etquitterunpeusafamilleseraitpeut-êtrepourelleleremèdeleplussalutaire.

Elizabethapplauditàcetteproposition,sûrequeJanel’accepteraitvolontiers.

—J’espère,ajoutaMrs.Gardiner,qu’aucunearrière-penséeausujetdecejeunehommenel’arrêtera.Noushabitonsunquartiertoutdifférent,nousn’avonspaslesmêmesrelations,etnoussortonspeu,commevouslesavez.Ilestdoncfortpeuprobablequ’ilsserencontrent,àmoinsquelui-mêmenechercheréellementàlavoir.

—Oh!cela,c’estimpossible,carilestmaintenantsouslagardedesonami,etMr.Darcynelui permettra certainement pas d’aller rendre visite à Jane dans un tel quartier.Ma chèretante,ypensez-vous?Mr.Darcyapeut-êtreentenduparlerd’unecertaineruequ’onappelleGracechurchStreet,maisunmois

d’ablutionsluisembleraitàpeinesuffisantpours’enpurifiersijamaisilymettaitlespiedset,soyez-ensûre,Mr.Bingleynesortjamaissanslui.

—Tantmieux. J’espèrequ’ilsnese rencontrerontpasdu tout.MaisJanen’est-ellepasencorrespondanceaveclasœur?Ellenepourrarésisteraudésird’allerlavoir.

—Ellelaissera,jepense,tombercetterelation.

Toutenfaisantcettedéclarationaveclamêmeassurancequ’elleavaitpréditqueMr.Bingleyn’aurait pas la permission d’aller voir Jane, Elizabeth ressentait au fond d’elle-même uneanxiétéqui,àlaréflexion,luiprouvaqu’ellenejugeaitpasl’affaireabsolumentdésespérée.Après tout il était possible, – elle allait même jusqu’à se dire probable, – que l’amour deMr.Bingleyseréveillât,etquel’influencedessienssetrouvâtmoinsfortequelepouvoirplusnatureldesattraitsquil’avaientcharmé.

Jane accepta l’invitation de sa tante avec plaisir et, si elle pensa aux Bingley, ce futsimplement pour se dire que, Caroline n’habitant pas avec son frère, elle pourrait, sansrisquerdelerencontrer,passerquelquefoisunematinéeavecelle.

Les Gardiner restèrent une semaine à Longbourn, et entre les Philips, les Lucas, et lesofficiersde lamilice, il n’y eut pasune journée sans invitation.Mrs.Bennet avait si bienpourvuàladistractiondesonfrèreetdesabelle-sœurqu’ilsnedînèrentpasuneseulefoisen famille. Si l’on passait la soirée à la maison, il ne manquait jamais d’y avoir commeconvivesquelquesofficiersetparmieuxMr.Wickham.Danscesoccasions,Mrs.Gardiner,mise en éveil par la sympathie avec laquelle Elizabeth lui avait parlé de ce dernier, lesobservaittousdeuxavecattention.Sanslescroiretrèssérieusementéprisl’undel’autre,leplaisir évident qu’ils éprouvaient à se voir suffit à l’inquiéter un peu, et elle résolut dereprésenteravantsondépartàElizabeth

l’imprudencequ’ilyauraitàencourageruntelsentiment.

Indépendamment de ses qualités personnelles, Wickham avait un moyen de se rendreagréableàMrs.Gardiner.Celle-ci,avantsonmariage,avaithabitéuncertaintempslarégiondont il était lui-même originaire, dans le Derbyshire. Ils avaient donc beaucoup deconnaissances communes et, bien qu’il eût quitté le pays depuis cinq ans, il pouvait luidonnerdeses relationsd’autrefoisdesnouvellesplus fraîchesquecellesqu’ellepossédaitelle-même.

Mrs. Gardiner avait vu Pemberley, jadis, et avait beaucoup entendu parler du père deMr.Darcy.C’étaitlàuninépuisablesujetdeconversation.ElleprenaitplaisiràcomparersessouvenirsdePemberleyavecladescriptionminutieusequ’enfaisaitWickhametàdiresonestimepourl’ancienpropriétaire.Soninterlocuteurnesemontraitpasmoinscharméqu’elleparcetteévocationdupassé.Lorsqu’illuiracontalafaçondontl’avaittraitélefilselleessayadeserappelercequ’ondisaitdecelui-ciautempsoùiln’étaitencorequ’unjeunegarçonet,enfouillantdanssamémoire,illuisemblaavoirentendudirequelejeuneFitzwilliamDarcyétaitunenfantextrêmementorgueilleuxetdésagréable.

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Chapitre 26

RS.GARDINERSAISITLAPREMIÈRE occasion favorable pour donner doucement àElizabeth l’avertissement qu’elle jugeait nécessaire. Après lui avoir ditfranchementcequ’ellepensait,elleajouta:

—Vousêtes,Lizzy,unefilletropraisonnablepourvousattacheràquelqu’unsimplementparcequel’onchercheàvousendétourner,c’estpourquoijene

crainspasdevousparleraveccettefranchise.Trèssérieusement,jevoudraisquevousvousteniezsurvosgardes:nevouslaissezpasprendre,–etnelaissez

pasMr.Wickhamseprendre,–auxdouceursd’uneaffectionquelemanqueabsoludefortunedepartetd’autrerendraitsingulièrementimprudente.Jen’airienàdirecontrelui;c’estungarçon fort sympathique, et s’il possédait la position qu’il mérite, je crois que vous nepourriezmieux choisir,mais, la situation étant ce qu’elle est, il vautmieuxne pas laisservotre imagination s’égarer. Vous avez beaucoup de bon sens et nous comptons que voussaurez en user. Votre père a toute confiance dans votre jugement et votre fermeté decaractère;n’allezpasluicauserunedéception.

—Machèretante,voilàdesparolesbiensérieuses!

—Oui,etj’espèrevousdécideràêtresérieuse,vousaussi.

— Eh bien ! Rassurez-vous, je vous promets d’être sur mes gardes, et Mr. Wickham nes’éprendrapasdemoisijepuisl’enempêcher.

—Elizabeth,vousn’êtespassérieuseencemoment.

—Jevousdemandepardon;jevaisfairetousmeseffortspourledevenir.Pourl’instantjenesuispasamoureusedeMr.Wickham.Non,trèssincèrement,jenelesuispas,maisc’est,sanscomparaison,l’hommeleplusagréablequej’aiejamaisrencontré,et,s’ils’attachaitàmoi...Non,décidément,ilvautmieuxquecelan’arrivepas;jevoisquelenseraitledanger.–Oh !cet horribleMr. Darcy ! – L’estime de mon père me fait grand honneur, et je serais trèsmalheureusedelaperdre.Monpère,cependant,aunfaiblepourMr.Wickham.Enrésumé,machèretante,jeseraisdésoléedevousfairedelapeine,maispuisquenousvoyonstouslesjoursquelesjeunesgensquis’aimentselaissentrarementarrêterparlemanquedefortune,comment pourrais-je m’engager à me montrer plus forte que tant d’autres en cas detentation?Comment,même,pourrais-jeêtresûrequ’ilestplussagederésister?Aussi,toutcequejepuisvouspromettre,c’estdenerienprécipiter,denepasmehâter

decroirequejesuisl’uniqueobjetdespenséesdeMr.Wickham.Enunmot,jeferaidemonmieux.

— Peut-être serait-il bon de ne pas l’encourager à venir aussi souvent ; tout au moinspourriez-vousnepassuggéreràvotremèredel’inviter.

—Commejel’aifaitl’autrejour,ditElizabethquisouritàl’allusion.C’estvrai,ilseraitsagedem’enabstenir.Maisnecroyezpasquesesvisitessoienthabituellementaussifréquentes;c’estenvotrehonneurqu’onl’ainvitésisouventcettesemaine.Vousconnaissezlesidéesdemamèresurlanécessitéd’avoircontinuellementdumondepourdistrairesesvisiteurs.Entoute sincérité, j’essaierai de faire ce quime semblera le plus raisonnable. Etmaintenant,j’espèrequevousvoilàsatisfaite.

Surlaréponseaffirmativedesatante,Elizabethlaremerciadesonaffectueuxintérêtetainsiseterminal’entretien,–exemplebienrared’unavisdonnéenpareillematièresansblesserlepersonnagequilereçoit.

Mr.CollinsrevintenHertfordshireaprès ledépartdesGardineretdeJane,maiscomme ildescenditcettefoischezlesLucas,sonretournegênapasbeaucoupMrs.Bennet.Lejourdumariageapprochant,elles’étaitenfinrésignéeàconsidérerl’événementcommeinévitable,etallaitjusqu’àdired’untondésagréablequ’elle«souhaitaitqu’ilsfussentheureux».

Lemariagedevantavoirlieulejeudi,missLucasvintlemercrediàLongbournpourfairesavisite d’adieu. Lorsqu’elle se leva pour prendre congé, Elizabeth, confuse de la mauvaisegrâcedesamèreetdesessouhaitsdépourvusdecordialité,sortitdelapièceenmêmetempsqueCharlottepourlareconduire.Commeellesdescendaientensemble,celle-ciluidit:

—Jecompterecevoirsouventdevosnouvelles,Elizabeth.

—Jevouslepromets.

—Etj’aiuneautrefaveuràvousdemander,celledevenirmevoir.

—Nousnousrencontreronssouventici,jel’espère.

—IlestpeuprobablequejequitteleKentd’iciquelquetemps.Promettez-moidoncdeveniràHunsford.

Elizabethnepouvaitrefuser,bienquelaperspectivedecettevisitelaséduisîtpeuaupremierabord.

—MonpèreetMariadoiventvenirmefairevisiteenmars.Vousconsentirez,jel’espère,àlesaccompagner,etvousserezaccueillieaussichaudementqu’eux-mêmes.

Lemariageeutlieu.LesmariéspartirentpourleKentausortirdel’église,etdanslepubliconéchangealesproposhabituelsendetellescirconstances.

Lespremières lettresdeCharlotte furent accueillies avec empressement.On sedemandaitnaturellement avec curiosité comment elle parlerait de sa nouvelle demeure, de ladyCatherine,etsurtoutdesonbonheur.Leslettreslues,ElizabethvitqueCharlottes’exprimaitsurchaquepointexactementcommeellel’avaitprévu.Elleécrivaitavecbeaucoupdegaieté,semblaitjouird’uneexistencepleinedeconfortetlouaittoutcedontelleparlait:lamaison,lemobilier, lesvoisins, lesroutesnelaissaientrienàdésireret ladyCatherinesemontrait

extrêmement aimable et obligeante. Dans tout cela on reconnaissait les descriptions deMr.Collinssousuneformeplustempérée.Elizabethcompritqu’illuifaudraitattendred’alleràHunsfordpourconnaîtrelereste.

Janeavaitdéjàécritquelqueslignespourannoncerqu’elleavaitfaitbonvoyage,etElizabethespéraitquesasecondelettreparleraitunpeudesBingley.Cetespoireutlesortdetouslesespoirsengénéral.Auboutd’unesemainepasséeàLondres,Janen’avaitnivuCaroline,nirien reçu d’elle. Ce silence, elle l’expliquait en supposant que sa dernière lettre écrite deLongbourn s’étaitperdue. «Ma tante, continuait-elle, vademaindans leurquartier, et j’enprofiteraipourpasseràGrosvenorStreet.»

La visite faite, elle écrivit de nouveau : elle avait vumiss Bingley. « Je n’ai pas trouvé àCaroline beaucoup d’entrain, disait-elle, mais elle a paru très contente deme voir et m’areprochédenepasluiavoirannoncémonarrivéeàLondres.Jenem’étaisdoncpastrompée;elle n’avait pas reçuma dernière lettre. J’ai naturellement demandé des nouvelles de sonfrère:ilvabien,maisesttellementaccaparéparMr.Darcyquesessœurslevoientàpeine.J’aiapprisaucoursdelaconversationqu’ellesattendaientmissDarcyàdîner;j’auraisbienaimélavoir.Mavisiten’apasétélongueparcequeCarolineetMrs.Hurstallaientsortir.Jesuissûrequ’ellesnetarderontpasàmelarendre.»

Elizabethhochalatêteenlisantcettelettre.Ilétaitévidentqu’unhasardseulpouvaitrévéleràMr.BingleylaprésencedesasœuràLondres.

Unmoiss’écoulasansqueJaneentendîtparlerdelui.Elletâchaitdeseconvaincrequecesilence la laissait indifférente mais il lui était difficile de se faire encore illusion sur lessentimentsdemissBingley.Aprèsl’avoirattenduedejourenjourpendantunequinzaine,enluitrouvantchaquesoirunenouvelleexcuse,ellelavitenfinapparaître.Maislabrièvetédesavisite,etsurtoutlechangementdesesmanières,luiouvrirentcettefoislesyeux.Voicicequ’elleécrivitàceproposàsasœur:

«Vousêtes tropbonne,machèreLizzy, j’ensuis sûre,pourvousglorifierd’avoirétéplusperspicacequemoiquand jevousconfesseraique jem’étaiscomplètementabuséesur lessentiments de miss Bingley à mon égard. Mais, ma chère sœur, bien que les faits vousdonnent raison, ne m’accusez pas d’obstination si j’affirme qu’étant données sesdémonstrations passées, ma confiance était aussi naturelle que vos soupçons. Je necomprends pas du tout pourquoi Caroline a désiré se lier avec moi ; et si les mêmescirconstancessereprésentaient,ilseraitpossiblequejem’ylaisse

prendredenouveau.C’esthier seulementqu’ellem’a rendumavisite, et jusque-làellenem’avaitpasdonnélemoindresignedevie.Ilétaitvisiblequ’ellefaisaitcettedémarchesansplaisir:elles’estvaguementexcuséeden’êtrepasvenueplustôt,n’apasdituneparolequitémoignâtdudésirdemerevoiretm’aparuentoutpointtellementchangéequelorsqu’elleestpartiej’étaisparfaitementrésolueàlaissertombernosrelations.Jenepuism’empêcherdelablâmeretdelaplaindreàlafois.Elleaeutortdemetémoignertantd’amitié,–carjepuiscertifierquetoutes lesavancessontvenuesd’elle.Mais je laplains,cependant,parcequ’elledoitsentirqu’elleamalagietquesasollicitudepoursonfrèreenestlacause.Jen’aipasbesoindem’expliquerdavantage.Jesuisétonnéeseulementquesescraintessubsistentencore à l’heure qu’il est ; car si son frère avait pour moi la moindre inclination, il y a

longtempsqu’ilaurait tâchédemerevoir. Il saitcertainementque je suisàLondres ; unephrasedeCarolinemel’alaisséàentendre.

«Jen’ycomprendsrien.J’auraispresqueenviededirequ’ilyadanstoutcelaquelquechosedelouche,sijenecraignaisdefaireunjugementtéméraire.Maisjevaisessayerdechassercespenséespéniblespourmesouvenirseulementdecequipeutmerendreheureuse:votreaffection, par exemple, et l’inépuisable bonté de mon oncle et de ma tante. Écrivez-moibientôt.MissBingleym’afaitcomprendrequesonfrèreneretourneraitpasàNetherfieldetrésilieraitsonbail,maissansriendiredeprécis.N’enparlonspas,celavautmieux.

«JesuistrèsheureusequevousayezdebonnesnouvellesdevosamisdeHunsford.IlfautquevousalliezlesvoiravecsirWilliametMaria.Vousferezlà-bas,j’ensuissûre,unagréableséjour.Àvousaffectueusement.»

CettelettrecausaquelquepeineàElizabeth,mais

elleseréconfortabientôtparlapenséequeJaneavaitcesséd’êtredupedemissBingley.Dufrère,iln’yavaitplusrienàespérer;unretouràsespremierssentimentsnesemblaitmêmeplus souhaitable à Elizabeth, tant il avait baissé dans son estime. Son châtiment seraitd’épouser bientôt miss Darcy qui, sans doute, si Wickham avait dit la vérité, lui feraitregretteramèrementcequ’ilavaitdédaigné.

Àpeuprèsverscetteépoque,Mrs.Gardinerrappelaàsaniècecequ’elleluiavaitpromisausujetdeWickhametréclamad’êtretenueaucourant.LaréponsequefitElizabethétaitdenatureàsatisfairesatanteplutôtqu’elle-même.LaprédilectionquesemblaitluitémoignerWickhamavaitdisparu ; sonempressement avait cessé ; ses soins avaient changéd’objet.Elizabeth s’en rendait comptemaispouvait constater ce changement sansenéprouverunvrai chagrin. Son cœur n’avait été que légèrement touché, et la conviction que seule laquestionde fortune l’avaitempêchéed’êtrechoisiesuffisaitàsatisfairesonamour-propre.Un héritage inattendu de dix mille livres était le principal attrait de la jeune fille à qui,maintenant,s’adressaientseshommages,maisElizabeth,moinsclairvoyanteici,semblait-il,que,danslecasdeCharlotte,n’envoulaitpointàWickhamdelaprudencedesescalculs.Aucontraire, elle ne trouvait rien de plus naturel, et, tout en supposant qu’il avait dû lui encoûterunpeuderenonceràsonpremierrêve,elleétaitprêteàapprouverlasagessedesaconduiteetsouhaitaitsincèrementqu’ilfûtheureux.

ElizabethdisaitenterminantsalettreàMrs.Gardiner:

«Jesuisconvaincuemaintenant,machèretante,quemessentimentspourluin’ontjamaisété bien profonds, autrement son nom seulme ferait horreur et je lui souhaiterais toutessortesdemaux;or,nonseulementjemesenspourluipleinedebienveillance,maisencorejen’enveuxpaslemoinsdumondeàmissKing

etnedemandequ’àluireconnaîtrebeaucoupdequalités.Toutcecinepeutvraimentpasêtredel’amour;mavigilanceaproduitsoneffet.Certes,jeseraisplusintéressantesij’étaisfollede chagrin,mais je préfère, somme toute, lamédiocrité demes sentiments. Kitty et LydiaprennentplusàcœurquemoiladéfectiondeMr.Wickham.Ellessontjeunes,etl’expérienceneleurapasencoreapprisqueles jeunesgenslesplusaimablesontbesoind’argentpourvivre,toutaussibienquelesautres.»

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Chapitre 27

ANSAUTREÉVÉNEMENTPLUS notable que des promenades à Meryton, tantôt par laboueettantôtparlagelée,janvieretfévriers’écoulèrent.Marsdevaitamenerledépartd’ElizabethpourHunsford.Toutd’abord,ellen’avaitpas songé sérieusement à s’y rendre, mais bientôt, s’étant rendu compte queCharlottecomptaitvéritablementsursavisite,elleenvintàenvisagerelle-mêmecevoyageavecuncertainplaisir.L’absenceavaitexcitéchezelleledésirderevoir

sonamieetatténuéenmêmetempssonantipathiepourMr.Collins.Ceséjourmettraitunpeu de variété dans son existence, et, comme avec sa mère et ses sœurs d’humeur sidifférente,lamaisonn’étaitpastoujoursunparadis,unpeudechangementserait,aprèstout,lebienvenu.Elleauraitdeplusl’occasiondevoirJaneaupassage.Bref,àmesurequelejourdudépartapprochait,elleeûtétébienfâchéequelevoyagefûtremis.

Touts’arrangealemieuxdumonde,etselonlespremiersplansdeCharlotte.Elizabethdevaitpartir avec sirWilliamet sa seconde fille ; sonplaisir fut complet lorsqu’elle appritqu’ons’arrêteraitunenuitàLondres.

Les adieux qu’elle échangea avec Mr. Wickham furent pleins de cordialité, du côté deMr.Wickham

toutparticulièrement.Sesprojetsactuelsnepouvaientluifaireoublierqu’Elizabethavaitétélapremièreàattirersonattention,lapremièreàécoutersesconfidencesavecsympathie,lapremière à mériter son admiration. Aussi, dans la façon dont il lui souhaita un heureuxséjour, en lui rappelant quel genre de personne elle allait trouver en lady Catherine deBourgh, et en exprimant l’espoir que là comme ailleurs leurs opinions s’accorderaienttoujours,ilyavaitunintérêt,unesollicitudeàlaquelleElizabethfutextrêmementsensible,et,enlequittant,ellegardalaconvictionque,mariéoucélibataire,ilresteraittoujoursàsesyeuxlemodèledel’hommeaimable.

La distance jusqu’à Londres n’était que de vingt-quatre milles et, partis dès le matin, lesvoyageurspurentêtrechezlesGardineràGracechurchstreetversmidi.Janequilesguettaità une fenêtre du salon s’élança pour les accueillir dans le vestibule. Le premier regardd’Elizabeth fut pour scruter anxieusement le visage de sa sœur et elle fut heureuse deconstaterqu’elleavaitbonnemineetqu’elleétaitaussifraîcheetjoliequ’àl’ordinaire.Surl’escaliersepressaittouteunebandedepetitsgarçonsetdepetitesfillesimpatientesdevoirleur cousine ; l’atmosphère était joyeuse et accueillante, et la journée se passa très

agréablement,l’après-mididanslesmagasinsetlasoiréeauthéâtre.

Elizabeths’arrangeapourseplaceràcôtédesatante.Ellescommencèrentnaturellementpars’entretenir de Jane, et Elizabeth apprit avec plus de peine que de surprise que sa sœur,malgréseseffortspoursedominer,avaitencoredesmomentsd’abattement.Mrs.GardinerdonnaaussiquelquesdétailssurlavisitedemissBingleyetrapportaplusieursconversationsqu’elleavaiteuesavecJane,quiprouvaientquelajeunefilleavaitrenoncéàcetterelationd’unefaçondéfinitive.

Mrs.Gardinerplaisantaensuitesaniècesur

l’infidélitédeWickhametlafélicitadeprendreleschosesd’uneâmesitranquille.

—MaiscommentestdonccettemissKing?Ilmeseraitpénibledepenserquenotreamiaitl’âmevénale.

— Pourriez-vous me dire, ma chère tante, quelle est la différence entre la vénalité et laprudence ? Où finit l’une et où commence l’autre ? À Noël, vous aviez peur qu’il nem’épousât;vousregardiezcemariagecommeuneimprudence,etmaintenantqu’ilchercheàépouserunejeunefillepourvued’unemodestedotdedixmillelivres,vousvoilàprêteàletaxerdevénalité!

—Dites-moiseulementcommentestmissKing,jesauraiensuitecequejedoispenser.

—C’est,jecrois,unetrèsbonnefille.Jen’aijamaisentenduriendirecontreelle.

—Mais Mr. Wickham ne s’était jamais occupé d’elle jusqu’au jour où elle a hérité cettefortunedesongrand-père?

—Non;pourquoil’aurait-ilfait?S’ilneluiétaitpointpermisdepenseràmoiparcequejen’avaispasd’argent,commentaurait-ilpuêtretentédefairelacouràunejeunefillequin’enavaitpasdavantageetquiparsurcroîtluiétaitindifférente?

—Ilsemblepeudélicatdes’empresserauprèsd’ellesitôtaprèssonchangementdefortune.

—Unhommepresséparlebesoind’argentn’apasletempsdes’arrêteràdesconvenancesqued’autresontleloisird’observer.SimissKingn’ytrouverienàredire,pourquoiserions-nouschoquées?

—L’indulgencedemissKingnelejustifiepoint.Celaprouveseulementquequelquechoseluimanqueaussi,bonsensoudélicatesse.

—Ehbien!s’écriaElizabeth,qu’ilensoitcommevouslevoulez,etadmettonsunefoispourtoutesqu’elleestsotte,etqu’ilest,lui,uncoureurdedot.

—Non,Lizzy, cen’estpasdu tout ceque je veux. Ilm’estpénibledeporter ce jugementsévèresurunjeunehommeoriginaireduDerbyshire.

—Oh!quantàcela,j’aiuneassezpauvreopiniondesjeunesgensduDerbyshire ;etleursintimesamisduHertfordshirenevalentpasbeaucoupmieux.Jesuisexcédéedesunsetdesautres, Dieu merci ! Je vais voir demain un homme totalement dépourvu de sens,d’intelligence et d’éducation, et je finis par croire que ces gens-là seuls sont agréables àfréquenter!

—Prenezgarde,Lizzy,voilàundiscoursquisentfortledésappointement.

Avantlafindelareprésentation,Elizabetheutleplaisirtrèsinattendudesevoirinviterparsononcleet sa tanteà lesaccompagnerdans levoyaged’agrémentqu’ilsprojetaientpourl’étésuivant.

—Nousn’avonspasencoredécidéoùnousirons.Peut-êtredanslarégiondesLacs.

Nul projet ne pouvait être plus attrayant pour Elizabeth et l’invitation fut acceptée avecempressementetreconnaissance.

—Ômachèretante,s’écria-t-elleravie,vousmetransportezdejoie!Quellesheuresexquisesnouspasseronsensemble!Adieu,tristessesetdéceptions !Nousoublieronsleshommesencontemplantlesmontagnes!

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Chapitre 28

ANSLEVOYAGEDU lendemain, tout parut nouveau et intéressant à Elizabeth.RassuréesurlasantédeJaneparsabellemineetravieparlaperspectivedesonvoyagedansleNord,ellesesentaitpleined’entrainetdegaieté.

Quand on quitta la grand-route pour prendre le chemin de Hunsford, touscherchèrent des yeux le presbytère, s’attendant à le voir surgir à chaque

tournant. Leur route longeait d’un côté la grille de Rosings Park. Elizabeth sourit en sesouvenantdetoutcequ’elleavaitentenduausujetdesapropriétaire.

Enfin, lepresbytèreapparut.Le jardindescendant jusqu’à laroute, lespalissadesvertes, lahaiedelauriers,toutannonçaitqu’onétaitautermeduvoyage.Mr.CollinsetCharlottesemontrèrentàlaporte,etlavoitures’arrêtadevantlabarrière,séparéedelamaisonparunecourteavenuedelauriers.

Mrs.Collinsreçutsonamieavecunejoiesivivequ’Elizabeth,devantcetaccueilaffectueux,se félicita encoredavantaged’être venue.Elle vit toutde suiteque lemariagen’avait paschangésoncousinetquesapolitesseétaittoujoursaussicérémonieuse.Illaretintplusieursminutes à la porte pour s’informer de toute sa famille, puis après avoir, en passant, faitremarquerlebelaspectdel’entrée,ilintroduisitseshôtessansplusdedélaidanslamaison.

Au salon, il leur souhaita une seconde fois la bienvenue dans sonmodeste presbytère etrépétaponctuellementlesoffresderafraîchissementsquesafemmefaisaitauxvoyageurs.

Elizabeth s’attendait à le voirbrillerde tout sonéclat, et, pendantqu’il faisait admirer lesbellesproportionsdusalon,l’idéeluivintqu’ils’adressaitparticulièrementàellecommes’ilsouhaitaitdeluifairesentirtoutcequ’elleavaitperduenrefusantdel’épouser.Illuieûtétédifficilepourtantd’éprouverlemoindreregret,etelles’étonnaitplutôtquesonamie,vivantavecuntelcompagnon,pûtavoirl’airaussijoyeux.TouteslesfoisqueMr.Collinsproféraitquelque sottise, – et la chose n’était pas rare, – les yeux d’Elizabeth se tournaientinvolontairementverssafemme.Uneoudeuxfois,ellecrutsurprendresursonvisageunefaible rougeur, mais la plupart du temps, Charlotte, très sagement, avait l’air de ne pasentendre.

Aprèsavoirtenusesvisiteursassezlongtempspourleurfaireadmirerendétaillemobilier,depuis le bahut jusqu’au garde-feu, et entendre le récit de leur voyage, Mr. Collins lesemmenafaireletourdujardinqui

étaitvaste,biendessiné,etqu’ilcultivaitlui-même.Travaillerdanssonjardinétaitundesesplusgrandsplaisirs.ElizabethadmiralesérieuxaveclequelCharlottevantaitlasalubritédecet exercice et reconnaissait qu’elle encourageait son mari à s’y livrer le plus possible.Mr.Collinslesconduisitdanstouteslesalléesetleurmontratouslespointsdevueavecuneminutiequienfaisaitoublierlepittoresque.Maisdetouteslesvuesquesonjardin,lacontréeetmêmeleroyaumepouvaientoffrir,aucunen’étaitcomparableàcelledumanoirdeRosingsqu’unetrouéedanslesarbresduparcpermettaitd’apercevoirpresqueenfacedupresbytère.C’étaitunbelédificedeconstructionmoderne,fortbiensituésuruneéminence.

Aprèslejardin,Mr.Collinsvoulutleurfairefaireletourdesesdeuxprairies,maislesdames,quin’étaientpointchausséespouraffronterlesrestesd’unegeléeblanche,serécusèrent,ettandisqu’ilcontinuaitsapromenadeavecsirWilliam,Charlotteramenasasœuretsonamieà lamaison, heureuse sans doute de pouvoir la leur faire visiter sans l’aide de sonmari.Petite,maisbienconstruite,elleétaitcommodémentagencéeettoutyétaitorganiséavecunordreetuneintelligencedontElizabethattribuatoutl’honneuràCharlotte.Cettedemeure,évidemment,étaitfortplaisanteàconditiond’enoublierlemaître,etenvoyantàquelpointCharlottesemontraitsatisfaite,Elizabethconclutqu’ellel’oubliaitsouvent.

OnavaittoutdesuiteprévenulesarrivantsqueladyCatherineétaitencoreàlacampagne.Onreparlad’elleaudîneretMr.Collinsobserva:

—Oui,miss Elizabeth, vous aurez l’honneur de voir lady Catherine de Bourgh dimancheprochain,etcertainementellevouscharmera.C’estl’aménitéetlabienveillanceenpersonne,etjenedoutepasqu’ellen’aitlabontédevousadresserlaparoleàl’issuedel’office.Jenecroispasm’avancerenvousannonçantqu’ellevouscomprendraainsiquema

sœurMariadanslesinvitationsqu’ellenousferapendantvotreséjourici.Samanièred’êtreàl’égarddemachèreCharlotteestdesplusaimables : nousdînonsàRosingsdeux foisparsemaine,etjamaisSaGrâcenenouslaissereveniràpied:savoitureesttoujoursprêtepournousramener;–jedevraisdireunedesesvoitures,carSaGrâceenaplusieurs.

—LadyCatherineestunefemmeintelligenteetrespectable,appuyaCharlotte,etc’estpournousunevoisineremplied’attentions.

—Trèsjuste,machèreamie;jeledisaisàl’instant.C’estunepersonnepourlaquelleonnepeutavoirtropdedéférence.

LasoiréesepassatoutentièreàparlerduHertfordshire.Unefoisretiréedanslasolitudedesachambre,Elizabethputméditeràloisirsurlebonheurdontsemblaitjouirsonamie.Àvoiravec quel calme Charlotte supportait son mari, avec quelle adresse elle le gouvernait,Elizabethfutobligéedereconnaîtrequ’elles’entiraitàmerveille.

Dansl’après-mididujoursuivant,pendantqu’elles’habillaitpourunepromenade,unbruitsoudain parut mettre toute la maison en rumeur ; elle entendit quelqu’un monterprécipitammentl’escalierenl’appelantàgrandscris.ElleouvritlaporteetvitsurlepalierMariahorsd’haleine.

—Elizabeth,venezvitevoirquelquechosed’intéressant !Jeneveuxpasvousdirecequec’est.Dépêchez-vousetdescendeztoutdesuiteàlasalleàmanger!

SanspouvoirobtenirunmotdeplusdeMaria,elledescenditrapidementavecelledans lasalleàmanger,quidonnaitsurlaroute,et,delà,vitdeuxdamesdansunpetitphaétonarrêtéàlabarrièredujardin.

—C’esttoutcela!s’exclamaElizabeth.Jepensaispourlemoinsquetoutelabasse-couravaitenvahilejardin,etvousn’avezàmemontrerqueladyCatherineetsafille!

—Oh!machère,ditMariascandaliséedesaméprise,cen’estpasladyCatherine,c’estmissJenkins,ladamedecompagnie,etmissdeBourgh.Regardez-la.Quellepetitepersonne!Quiauraitpulacroiresiminceetsichétive?

—QuelleimpolitessederetenirCharlottedehorsparunventpareil!Pourquoin’entre-t-ellepas?

—Charlotteditquecelaneluiarrivepresquejamais.C’estunevéritablefaveurquandmissdeBourghconsentàentrer.

— Son extérieur me plaît, murmura Elizabeth dont la pensée était ailleurs. Elle a l’airmaussadeetmaladive.Elleluiconviendratrèsbien;c’estjustelafemmequ’illuifaut.

Mr.CollinsetCharlotteétaienttouslesdeuxàlaporte,enconversationaveccesdames,sirWilliamdeboutsurleperronouvraitdegrandsyeuxencontemplantcenoblespectacle,et,augrandamusementd’Elizabeth,saluaitchaquefoisquemissdeBourghregardaitdesoncôté.

Enfin, ces dames repartirent, et tout le monde rentra dans la maison. Mr. Collins, enapercevant les jeunes filles, les félicita de leur bonne fortune et Charlotte expliqua qu’ilsétaienttousinvitésàdîneràRosingspourlelendemain.

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Chapitre 29

R.COLLINSEXULTAIT.—J’avoue,dit-il,quejem’attendaisunpeuàcequeSaGrâcenousdemandâtd’allerdimancheprendrelethéetpasserlasoiréeavecelle.J’enétaispresquesûr,tantjeconnaissagrandeamabilité.Maisquiauraitpuimaginerquenousrecevrionsuneinvitationàdîner,–uneinvitationpourtouslescinq,–sitôtaprèsvotrearrivée?

—C’estunechosequimesurprendmoins,répliqua

sir William, ma situation m’ayant permis de me familiariser avec les usages de la hautesociété.Àlacour,lesexemplesd’unetellecourtoisienesontpasrares.

On ne parla guère d’autre chose ce jour-là et pendant la matinée qui suivit, Mr. Collinss’appliquaàpréparerseshôtesauxgrandeursquilesattendaientafinqu’ilsnefussentpastropéblouisparlavuedessalons, lenombredesdomestiquesetlamagnificencedudîner.Quandlesdamesmontèrentpours’apprêter,ilditàElizabeth:

—Nevousfaitespasdesouci,machèrecousine,ausujetdevotretoilette.LadyCatherineneréclame nullement de vous l’élégance qui sied à son rang et à celui de sa fille. Je vousconseillesimplementdemettrecequevousavezdemieux.Faireplusseraitinutile.Cen’estpasvotresimplicitéquidonneradevousunemoinsbonneopinionà ladyCatherine ; elleaimequelesdifférencessocialessoientrespectées.

Pendant qu’on s’habillait, il vint plusieurs fois aux portes des différentes chambres pourrecommanderdefairediligence,carladyCatherinen’aimaitpasqu’onretardâtl’heuredesondîner.

Tous ces détails sur lady Catherine et ses habitudes finissaient par effrayer Maria, et sirWilliamn’avaitpasressentiplusd’émotionlorsqu’ilavaitétéprésentéàlacourquesafillen’enéprouvaitàl’idéedepasserleseuilduchâteaudeRosings.

Commeletempsétaitdoux,latraverséeduparcfutuneagréablepromenade.Chaqueparcasa beauté propre ; ce qu’Elizabeth vit de celui de Rosings l’enchanta, bien qu’elle ne pûtmanifesterunenthousiasmeégalàceluiqu’attendaitMr.Collinsetqu’elleaccueillîtavecunelégère indifférence les renseignements qu’il lui donnait sur le nombre des fenêtres duchâteauetlasommequesirLewisdeBourghavaitdépenséejadispourlesfairevitrer.

LatimiditédeMariaaugmentaitàchaquemarche

duperronetsirWilliamlui-mêmeparaissaitunpeutroublé.

Aprèsavoirpassélegrandhalld’entrée,dontMr.Collinsentermeslyriquesfitremarquerlesbelles proportions et la décoration élégante, ils traversèrent une antichambre et ledomestique les introduisitdans lapièceoùse trouvait ladyCatherineencompagniedesafille et de Mrs. Jenkinson. Avec une grande condescendance, Sa Grâce se leva pour lesaccueillir et comme Mrs. Collins avait signifié à son mari qu’elle se chargeait desprésentations, tout sepassa lemieuxdumonde.Malgré sonpassageà la cour, sirWilliamétaittellementimpressionnéparlasplendeurquil’entouraitqu’ileutjusteassezdeprésenced’espritpourfaireunprofondsalutets’asseoirsansmotdire.Safille,àmoitiémortedepeur,s’assitsurlebordd’unechaise,nesachantdequelcôtépartagersesregards.Elizabeth,aucontraire, avait tout son sang-froid etput examiner avec calme les troispersonnesqu’elleavaitdevantelle.

Lady Catherine était grande, et ses traits fortement accentués avaient dû être beaux. Sonexpressionn’avaitriend’aimable,pasplusquesamanièred’accueillirsesvisiteursn’étaitdenatureà leur faireoublier l’inférioritéde leurrang.Ellenegardaitpasunsilencehautain,maiselledisaittoutd’unevoiximpérieusequimarquaitbienlesentimentqu’elleavaitdesonimportance. Elizabeth se rappela ce que lui avait dit Wickham et, de ce moment, futpersuadéequeladyCatherinerépondaitexactementauportraitqu’illuienavaitfait.

MissdeBourghn’offraitaucuneressemblanceavecsamèreetElizabethfutpresqueaussiétonnéequeMariadesapetitetailleetdesamaigreur.Elleparlaitpeu,sicen’estàvoixbasseen s’adressant à Mrs. Jenkinson. Celle-ci, personne d’apparence insignifiante, étaituniquementoccupéeàécoutermissdeBourghetàluirendredemenusservices.

AuboutdequelquesminutesladyCatherineinvitasesvisiteursàserendretousàlafenêtrepouradmirer lavue.Mr.Collinss’empressade leurdétailler lesbeautésdupaysagetandisqueladyCatherinelesinformaitavecbienveillancequec’étaitbeaucoupplusjolienété.

Le repas futmagnifique.On y vit tous les domestiques, toutes les pièces d’argenterie queMr.Collinsavaitannoncés.Commeill’avaitégalementprédit,surledésirexpriméparladyCatherine,ilpritplaceenfaced’elle,marquantparl’expressiondesonvisagequ’encemonde,aucun honneur plus grand ne pouvait lui échoir. Il découpait, mangeait, et faisait descomplimentsaveclamêmeallégressejoyeuse.Chaquenouveauplatétaitd’abordcélébréparlui,puisparsirWilliamqui,maintenantremisdesapremièreémotion,faisaitéchoàtoutceque disait son gendre. À la grande surprise d’Elizabeth, une admiration aussi excessiveparaissaitenchanterladyCatherinequisouriaitgracieusement.Laconversationn’étaitpastrès animée. Elizabeth aurait parlé volontiers si elle en avait eu l’occasion,mais elle étaitplacéeentreCharlotteetmissdeBourgh : lapremièreétaitabsorbéeparl’attentionqu’elleprêtaitàladyCatherineetlaseconden’ouvraitpaslabouche.Mrs.JenkinsonneparlaitquepourremarquerquemissdeBourghnemangeaitpas,etpourexprimerlacraintequ’ellenefûtindisposée.Marian’auraitjamaisosédireunmot,etlesdeuxmessieursnefaisaientquemangerets’extasier.

De retour au salon, les dames n’eurent qu’à écouter lady Catherine qui parla sansinterruptionjusqu’aumomentoùlecaféfutservi,donnantsonavissurtouteschosesd’untonquimontraitqu’elleignoraitlacontradiction.ElleinterrogeafamilièrementCharlottesur

sonintérieuretluidonnamilleconseilspourlaconduitedesonménageetdesabasse-cour.Elizabethvitqu’aucunsujetn’étaitau-dessusdecette

grandedame,pourvuqu’elleytrouvâtuneoccasiondedirigeretderégentersessemblables.Entre temps, elle posa toutes sortes de questions aux deux jeunes filles et plusparticulièrementàElizabethsur lecomptedelaquelleellesetrouvaitmoinsrenseignéeetqui,observa-t-elleàMrs.Collins,«paraissaitunepetitejeunefillegentilleetbienélevée».

Elleluidemandacombiendesœurselleavait,siaucunen’étaitsurlepointdesemarier,siellesétaientjolies,oùellesavaientétéélevées,quelgenred’équipageavaitsonpèreetquelétait le nom de jeune fille de sa mère. Elizabeth trouvait toutes ces questions assezindiscrètesmaisyréponditavecbeaucoupdecalme.EnfinladyCatherineobserva:

—Ledomainedevotrepèredoit reveniràMr.Collins,n’est-cepas?– J’en suisheureusepour vous, dit-elle en se tournant vers Charlotte, – autrement je n’approuve pas unedispositionquidépossède les femmeshéritières en lignedirecte.Onn’a rien faitdepareildanslafamilledeBourgh.Jouez-vousdupianoetchantez-vous,missBennet?

—Unpeu.

— Alors, un jour ou l’autre nous serons heureuses de vous entendre. Notre piano estexcellent, probablement supérieur à. . . Enfin, vous l’essaierez.Vos sœurs, sont-elles aussimusiciennes?

—L’uned’elles,oui,madame.

—Pourquoipas toutes ?Vousauriezdûprendre toutesdes leçons.LesdemoisellesWebbsonttoutesmusiciennesetleurpèren’apaslasituationduvôtre.Faites-vousdudessin?

—Pasdutout.

—Quoi,aucuned’entrevous?

—Aucune.

—Commec’estétrange!Sansdoutel’occasionvousauramanqué.VotremèreauraitdûvousmeneràLondres,chaqueprintemps,pourvousfaireprendredesleçons.

—Jecroisquemamèrel’eûtfaitvolontiers,maismonpèreaLondresenhorreur.

—Avez-vousencorevotreinstitutrice?

—Nousn’enavonsjamaiseu.

—Bontéduciel ! cinq filles élevées à lamaison sans institutrice ! Jen’ai jamais entenduchosepareille!Quelesclavagepourvotremère!

Elizabethneputs’empêcherdesourireetaffirmaqu’iln’enavaitrienété.

—Alors,quivousfaisaittravailler?Quivoussurveillait?Sansinstitutrice?Vousdeviezêtrebiennégligées.

—MonPieu,madame,toutescellesd’entrenousquiavaientledésirdes’instruireenonteules moyens. On nous encourageait beaucoup à lire et nous avons eu tous les maîtres

nécessaires.Assurément,cellesquilepréféraientétaientlibresdenerienfaire.

— Bien entendu, et c’est ce que la présence d’une institutrice aurait empêché. Si j’avaisconnuvotremère,j’auraisvivementinsistépourqu’elleenprîtune.Onnesauraitcroirelenombredefamillesauxquellesj’enaiprocuré.Jesuistoujoursheureuse,quandjelepuis,deplacer une jeune personne dans de bonnes conditions. Grâce à moi quatre nièces deMrs.Jenkinsonontétépourvuesdesituationsfortagréables.Vousai-jedit,mistressCollins,queladyMetcalfeestvenuemevoirhierpourmeremercier?IlparaîtquemissPapeestunevéritableperle.Parmivosjeunessœurs,yena-t-ilquisortentdéjà,missBennet?

—Oui,madame,toutes.

—Toutes?Quoi?Alorstouteslescinqàlafois !Etvousn’êtesquelaseconde,etlesplusjeunessortentavantquelesaînéessoientmariées?Quelâgeont-ellesdonc?

—Ladernièren’apasencoreseizeans.C’estpeut-êtreunpeutôtpourallerdanslemonde,mais,madame,neserait-ilpasunpeudurpourdes jeunesfillesd’êtreprivéesdeleurpartlégitimedeplaisirsparce

quelesaînéesn’ontpasl’occasionouledésirdesemarierdebonneheure?

—Envérité,ditladyCatherine,vousdonnezvotreavisavecbiendel’assurancepourunesijeunepersonne.Quelâgeavez-vousdonc?

—VotreGrâcedoitcomprendre,répliquaElizabethensouriant,qu’avectroisjeunessœursquivontdanslemonde,jenemesoucieplusd’avouermonâge.

Cette réponse parut interloquer lady Catherine. Elizabeth était sans doute la premièrecréatureasseztémérairepours’amuserdesamajestueuseimpertinence.

—Vousnedevezpas avoir plusde vingt ans.Vousn’avezdonc aucune raisonde cachervotreâge.

—Jen’aipasencorevingtetunans.

Quand lesmessieurs revinrent et qu’on eut pris le thé, les tables de jeu furent apportées.LadyCatherine,sirWilliam,Mr.etMrs.Collinss’installèrentpourunepartiede«quadrille».MissdeBourghpréféraitle«casino»;lesdeuxjeunesfillesetMrs.Jenkinsoneurentdoncl’honneurdejoueravecelleunepartieremarquablementennuyeuse.Onn’ouvraitlabouche,àleurtable,quepourparlerdujeu,sauflorsqueMrs.JenkinsonexprimaitlacraintequemissdeBourgheûttropchaud,tropfroid,ouqu’ellefûtmaléclairée.

L’autretableétaitbeaucoupplusanimée.C’étaitladyCatherinequiparlaitsurtoutpournoterles fautesde sespartenairesou raconterdes souvenirspersonnels.Mr.Collins approuvaittoutcequedisaitSaGrâce, laremerciantchaquefoisqu’ilgagnaituneficheets’excusantlorsqu’ilavaitl’impressiond’engagnertrop.SirWilliamparlaitpeu:iltâchaitdemeublersamémoired’anecdotesetdenomsaristocratiques.

LorsqueladyCatherineetsafilleeneurentassezdujeu,onlaissalescartes,etlavoiturefutproposéeà

Mrs. Collins qui l’accepta avec gratitude. La société se réunit alors autour du feu pour

écouter lady Catherine décider quel temps il ferait le lendemain, puis, la voiture étantannoncée,Mr.Collins réitéra ses remerciements, sirWilliammultiplia les saluts, et l’onsesépara.

À peine la voiture s’était-elle ébranlée qu’Elizabeth fut invitée par son cousin à dire sonopinionsurcequ’elleavaitvuàRosings.ParégardpourCharlotte,elles’appliquaàladonneraussi élogieuse que possible ; mais ses louanges, malgré la peine qu’elle prenait pour lesformuler, ne pouvaient satisfaire Mr. Collins qui ne tarda pas à se charger lui-même dupanégyriquedeSaGrâce.

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Chapitre 30

IRWILLIAMNEDEMEURA qu’une semaine à Hunsford, mais ce fut assez pour leconvaincrequesafilleétaittrèsconfortablementinstalléeetqu’elleavaitunmarietunevoisinecommeonenrencontrepeusouvent.

TantqueduraleséjourdesirWilliam,Mr.Collinsconsacratoutessesmatinéesàlepromener en cabriolet pour lui montrer les environs. Après son départ, chacun

retourna à ses occupations habituelles et Elizabeth fut heureuse de constater que cechangementneleurimposaitpasdavantagelacompagniedesoncousin.Ilemployaitlaplusgrandepartiedesesjournéesàlire,àécrire,ouàregarderparlafenêtredesonbureauquidonnait sur la route. La pièce où se réunissaient les dames était située à l’arrière de lamaison.Elizabeths’étaitsouventdemandépourquoiCharlottenepréféraitpassetenirdanslasalleàmanger,pièceplusgrandeetplusagréable,maiselledevinabientôtlaraisondecetarrangement:Mr.Collinsauraitcertainementpassémoinsdetempsdans

sonbureausil’appartementdesafemmeavaitprésentélesmêmesagrémentsquelesien.Dusalon, on n’apercevait pas la route. C’est donc parMr.Collins que ces dames apprenaientcombien de voitures étaient passées et surtout s’il avait aperçumiss de Bourgh dans sonphaéton,chosedontilnemanquaitjamaisdevenirlesavertir,bienquecelaarrivâtpresquejournellement.

Miss de Bourgh s’arrêtait assez souvent devant le presbytère et causait quelquesminutesavec Charlotte, mais d’ordinaire sans descendre de voiture. De temps en temps, ladyCatherineelle-mêmevenaithonorerlepresbytèredesavisite.Alorssonregardobservateurnelaissaitrienéchapperdecequisepassaitautourd’elle.Elles’intéressaitauxoccupationsdechacun,examinaitletravaildesjeunesfilles,leurconseillaitdes’yprendred’unefaçondifférente,critiquaitl’arrangementdumobilier,relevaitlesnégligencesdeladomestiqueetnesemblaitaccepterlacollationquiluiétaitoffertequepourpouvoirdéclareràMrs.Collinsquesatableétaittropabondammentserviepourlenombredesesconvives.

Elizabeth s’aperçut vite que, sans faire partie de la justice de paix du comté, cette grandedamejouaitlerôled’unvéritablemagistratdanslaparoisse,dontlesmoindresincidentsluiétaientrapportésparMr.Collins.Chaquefoisquedesvillageoissemontraientquerelleurs,mécontentsoudisposésàseplaindredeleurpauvreté,viteelleaccouraitdanslepays,réglaitles différends, faisait taire les plaintes et ses admonestations avaient bientôt rétablil’harmonie,lecontentementetlaprospérité.

LeplaisirdedîneràRosingsserenouvelaitenvirondeuxfoisparsemaine.Àpartl’absencedesirWilliametlefaitqu’onn’installaitplusqu’unetabledejeu,cesréceptionsressemblaientassezexactementàlapremière.Lesautresinvitationsétaientrares,lasociétéduvoisinage,engénéral,menantuntrainquin’était

pas à la portée des Collins. Elizabeth ne le regrettait pas et, somme toute, ses journéescoulaient agréablement. Elle avait avec Charlotte de bonnes heures de causerie et, latempératureétanttrèsbellepourlasaison,elleprenaitgrandplaisiràsepromener.Sonbutfavoriétaitunpetitboisquilongeaitundescôtésduparcetelles’yrendaitsouventpendantque ses cousins allaient faire visite àRosings. Elle y avait découvert un délicieux sentierombragéquepersonneneparaissait rechercher,etoùellesesentaità l’abridescuriositésindiscrètesdeladyCatherine.

Ainsi s’écoula paisiblement la première quinzaine de son séjour à Hunsford. Pâquesapprochait,etlasemainesaintedevaitajouterunappointimportantàlasociétédeRosings.Peuaprèssonarrivée,ElizabethavaitentendudirequeMr.Darcyétaitattendudansquelquessemaineset,bienquepeudepersonnesdanssesrelationsluifussentmoinssympathiques,ellepensaitnéanmoinsquesaprésencedonneraitunpeud’intérêtauxréceptionsdeRosings.Sans doute aussi aurait-elle l’amusement de constater l’inanité des espérances de missBingleyenobservantlaconduitedeMr.Darcyàl’égarddesacousineàquiladyCatherineledestinaitcertainement.Elleavaitannoncésonarrivéeavecunegrandesatisfaction,parlaitdeluientermesdelaplushauteestime,etavaitparupresquedésappointéededécouvrirquesonneveun’étaitpasuninconnupourmissLucasetpourElizabeth.

Sonarrivéefuttoutdesuiteconnueaupresbytère,carMr.Collinspassatoutelamatinéeàsepromenerenvuedel’entréeduchâteauafind’enêtrelepremiertémoin;aprèsavoirfaitunprofondsalutducôtédelavoiturequifranchissaitlagrille, ilseprécipitachezluiaveclagrandenouvelle.

Lelendemainmatin,ilsehâtad’alleràRosingsoffrirseshommagesettrouvadeuxneveuxdeladyCatherinepourlesrecevoir,carDarcyavaitamenéavecluilecolonelFitzwilliam,soncousin,filscadetde

lord ***, et la surprise fut grande au presbytère quand on vit revenir Mr. Collins encompagniedesdeuxjeunesgens.

Dubureaude sonmariCharlotte les vit traverser la route et courut annoncer aux jeunesfillesl’honneurquileurétaitfait:

—Eliza, c’est à vous quenousdevons cet excès de courtoisie. Si j’avais été seule, jamaisMr.Darcyn’auraitétéaussipressédevenirmeprésenterseshommages.

Elizabeth avait à peine eu le temps de protester lorsque la sonnette de la porte d’entréeretentitet,uninstantaprès,cesmessieursfaisaientleurentréedanslesalon.

LecolonelFitzwilliam,quiparaissaitunetrentained’années,n’étaitpasunbelhommemaisilavaitunegrandedistinctiondansl’extérieuretdanslesmanières.Mr.Darcyétaittelqu’onl’avait vu en Hertfordshire. Il présenta ses compliments à Mrs. Collins avec sa réservehabituelle et, quelsque fussent ses sentiments à l’égardde sonamie, s’inclinadevant elled’unairparfaitementimpassible.Elizabeth,sansmotdire,réponditparunerévérence.

Le colonel Fitzwilliam avait engagé la conversation avec toute la facilité et l’aisance d’unhommedumondemais soncousin, aprèsunebrève remarqueadresséeàMrs.Collins surl’agrémentdesamaison,restaquelquetempssansparler.Àlafinilsortitdesonmutismeets’enquitauprèsd’Elizabethdelasantédessiens.Elleréponditquetousallaientbien,puis,aprèsunecourtepause,ajouta:

—MasœuraînéevientdepassertroismoisàLondres;vousnel’avezpasrencontrée?

Elleétaitparfaitementsûreducontrairemaisvoulaitvoirs’illaisseraitdevinerqu’ilétaitaucourant de ce qui s’était passé entre les Bingley et Jane. Elle crut surprendre un peud’embarrasdanslamanièredontilréponditqu’iln’avaitpaseuleplaisirderencontrermissBennet.

Lesujetfutabandonnéaussitôtet,auboutdequelquesinstants,lesdeuxjeunesgensprirentcongé.

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Chapitre 31

ESHABITANTSDUPRESBYTÈREgoûtèrentbeaucouplesmanièresducolonelFitzwilliamet les dames, en particulier, eurent l’impression que sa présence ajouteraitbeaucoupàl’intérêtdesréceptionsdeladyCatherine.Plusieursjourss’écoulèrentcependant sans amener de nouvelle invitation, – la présence des visiteurs auchâteau rendait les Collinsmoins nécessaires, – et ce fut seulement le jour dePâques,àlasortiedel’office,qu’ilsfurentpriésd’allerpasserlasoiréeàRosings.

Detoutelasemaineprécédente,ilsavaienttrèspeuvuladyCatherineetsafille;lecolonelFitzwilliamétait entréplusieurs fois aupresbytère,maisonn’avait aperçuMr.Darcyqu’àl’église.

L’invitationfutacceptéecommedejusteet,àuneheureconvenable,lesCollinsetleurshôtesse joignaient à la société réunie dans le salon de lady Catherine. Sa Grâce les accueillitaimablement,mais il était visible que leur compagnie comptait beaucoupmoins pour ellequ’entempsordinaire.Sesneveuxabsorbaientlaplusgrandepartdesonattentionetc’estauxdeuxjeunesgens,àDarcysurtout,qu’elles’adressaitdepréférence.

LecolonelFitzwilliammarquabeaucoupdesatisfactionenvoyantarriverlesCollins.Tout,àRosings, lui semblait une heureuse diversion et la jolie amie de Mrs. Collins lui avaitbeaucoupplu. Ils’assitauprèsd’elleetsemità l’entretenirsiagréablementduKentetduHertfordshire,duplaisirdevoyageretdeceluideresterchezsoi,demusiqueetdelecture,qu’Elizabethfutdivertiecommejamaisencoreellenel’avaitétédanscesalon.Ilscausaientavecuntelentrainqu’ils

attirèrent l’attentionde ladyCatherine ; lesyeuxdeMr.Darcyse tournèrentausside leurcôté avec une expression de curiosité ; quant à SaGrâce, ellemanifesta bientôt lemêmesentimenteninterpellantsonneveu:»

—Eh!Fitzwilliam?dequoiparlez-vous?Queracontez-vousdoncàmissBennet?

—Nousparlionsmusique,madame,dit-ilenfin,nepouvantplussedispenserderépondre.

—Musique!Alors,parlezplushaut;cesujetm’intéresse.Jecroisvraimentqu’ilyapeudepersonnesenAngleterrequiaimentlamusiqueautantquemoi,oul’apprécientavecplusdegoût naturel. J’aurais eu sans doute beaucoup de talent, si je l’avais apprise ; Anne aussiauraitjouédélicieusement,sisasantéluiavaitpermisd’étudierlepiano.EtGeorgiana,fait-ellebeaucoupdeprogrès?

Mr.Darcyréponditparunfraternelélogedutalentdesasœur.

—Cequevousm’apprenezlàmefaitgrandplaisir;maisdites-luibienqu’illuifauttravaillersérieusementsielleveutarriveràquelquechose.

—Jevousassure,madame,qu’ellen’apasbesoindececonseil,carelleétudieavecbeaucoupd’ardeur.

—Tantmieux,ellenepeuten faire tropet je le lui rediraimoi-mêmequand je luiécrirai.C’estunconseilquejedonnetoujoursauxjeunesfillesetj’aiditbiendesfoisàmissBennetqu’elledevraitfaireplusd’exercices.Puisqu’iln’yapasdepianochezMrs.Collins,ellepeutvenir tous les jours ici pour étudier sur celui qui est dans la chambredeMrs. Jenkinson.Danscettepartiedelamaison,elleseraitsûredenedérangerpersonne.

Mr.Darcy,unpeuhonteuxd’entendresatanteparleravecsipeudetact,nesoufflamot.

Quantoneutprislecafé,lecolonelFitzwilliamrappelaqu’Elizabethluiavaitpromisunpeudemusique.Sanssefaireprierelles’installadevantlepianoetil

transportasonsiègeauprèsd’elle.LadyCatherineécoutalamoitiédumorceauetseremitàparler à son autre neveu, mais celui-ci au bout d’un moment la quitta et s’approchantdélibérémentdupianoseplaçadefaçonàbienvoirlajolieexécutante.Elizabeths’enaperçutet,lemorceauterminé,luiditenplaisantant:

—Vousvoudriezm’intimider,Mr.Darcy,envenantm’écouteraveccetairsérieux,maisbienquevousayezunesœurquijoueavectantdetalent, jenemelaisseraipastroubler.Ilyachez moi une obstination dont on ne peut facilement avoir raison. Chaque essaid’intimidationnefaitqu’affermirmoncourage.

—Jenevousdiraipasquevousvousméprenez,dit-il,carvousnecroyezcertainementpasque j’aie l’intention de vous intimider.Mais j’ai le plaisir de vous connaître depuis assezlongtempspoursavoirquevousvousamusezàprofesserdessentimentsquinesontpaslesvôtres.

Elizabethritdeboncœurdevantceportraitd’elle-même,etditaucolonelFitzwilliam:

—Votrecousinvousdonneunejolieopiniondemoi,envousenseignantànepascroireunmotdecequejedis !Jen’aivraimentpasdechancedemeretrouveravecquelqu’unsiàmêmededévoilermonvéritablecaractèredansunpaysreculéoùjepouvaisespérermefairepasserpourunepersonnedignedefoi.Réellement,Mr.Darcy,ilestpeugénéreuxderévélericilesdéfautsquevousavezremarquéschezmoienHertfordshire,etn’est-cepasaussiunpeuimprudent?carvousmeprovoquezàlavengeance,etilpeutenrésulterdesrévélationsquirisqueraientfortdechoquervotreentourage.

—Oh!jen’aipaspeurdevous,dit-ilensouriant.

— Dites-moi ce que vous avez à reprendre chez lui, je vous en prie, s’écria le colonelFitzwilliam.J’aimeraissavoircommentilsecomporteparmilesétrangers.

—Enbien,voilà,maisattendez-vousàquelque

chosed’affreux...Lapremièrefoisquej’aivuMr.Darcy,c’étaitàunbal.Or,quepensez-vous

qu’ilfitàcebal?Ildansatoutjustequatrefois.Jesuisdésoléedevousfairedelapeine,maisc’estl’exactevérité.Iln’adanséquequatrefois,bienquelesdanseursfussentpeunombreuxetqueplusd’unejeunefille,–jelesaispertinemment,–dutrestersursachaise,fautedecavalier.Pouvez-vousniercefait,Mr.Darcy?

—Jen’avaispas l’honneurdeconnaîtred’autresdamesquecellesavecqui j’étaisvenuàcettesoirée.

—C’estexact;etonnefaitpasdeprésentationsdansunesoirée...Alors,colonel,quevais-jevousjouer?Mesdoigtsattendentvosordres.

—Peut-être,ditDarcy,aurait-ilétémieuxdechercheràmefaireprésenter.Maisjen’aipaslesqualitésnécessairespourmerendreagréableauprèsdespersonnesétrangères.

—Endemanderons-nouslaraisonàvotrecousine?ditElizabethens’adressantaucolonelFitzwilliam. Lui demanderons-nous pourquoi un homme intelligent et qui a l’habitude dumonden’apaslesqualitésnécessairespourplaireauxétrangers?

—Inutiledel’interroger,jepuisvousrépondremoi-même,ditlecolonel;c’estparcequ’ilneveutpass’endonnerlapeine.

—Certes,ditDarcy,jen’aipas,commed’autres,letalentdeconverseravecdespersonnesquejen’aijamaisvues.Jenesaispasmemettreàleurdiapasonnim’intéresseràcequilesconcerne.

—Mesdoigts,répliquaElizabeth,nesemeuventpassurcetinstrumentaveclamaîtrisequel’onremarquechezd’autrespianistes.Ilsn’ontpaslamêmeforcenilamêmevélocitéetnetraduisentpaslesmêmesnuances:maisj’aitoujourspenséquelafauteenétaitmoinsàeuxqu’àmoiquin’aipasprislapeined’étudiersuffisammentpourlesassouplir.

Darcysourit:

—Vousavezparfaitementraison,dit-il;vousavez

mieux employé votre temps. Vous faites plaisir à tous ceux qui ont le privilège de vousentendre.Mais,commemoi,vousn’aimezpasàvousproduiredevantlesétrangers.

Ici, ils furent interrompus par lady Catherine qui voulait être mise au courant de leurconversation. Aussitôt, Elizabeth se remit à jouer. Lady Catherine s’approcha, écouta uninstant,etditàDarcy:

—MissBennetnejoueraitpasmalsielleétudiaitdavantageetsielleprenaitdesleçonsavecun professeur de Londres. Elle a un très bon doigté, bien que pour le goût, Anne lui soitsupérieure.Anneauraiteuuntrèsjolitalentsisasantéluiavaitpermisd’étudier.

Elizabethjetauncoupd’œilversDarcypourvoirdequellefaçonils’associaitàl’élogedesacousine,mais ni à cemoment, ni à un autre, elle ne put discerner lemoindre symptômed’amour.Desonattitudeàl’égarddemissdeBourg,ellerecueillitcetteconsolationpourmissBingley:c’estqueMr.Darcyauraitaussibienpul’épousersielleavaitétésacousine.

LadyCatherinecontinuasesremarquesentremêléesdeconseils ;Elizabethlesécoutaavecdéférence,et,surlaprièredesdeuxjeunesgens,demeuraaupianojusqu’aumomentoùla

voituredeSaGrâcefutprêteàlesrameneraupresbytère.

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Chapitre 32

ELENDEMAINMATIN,TANDIS queMrs.Collins etMaria faisaientdescoursesdans levillage,Elizabeth,restéeseuleausalon,écrivaitàJanelorsqu’uncoupdesonnettelafittressaillir.DanslacraintequecenefûtladyCatherine,ellemettaitdecôtésalettreinachevéeafind’éviterdesquestionsimportunes,lorsquelaportes’ouvrit,et,àsagrandesurprise,livrapassageàMr.Darcy.

Il parut étonnéde la trouver seule et s’excusade son indiscrétionenalléguantqu’il avaitcomprisqueMrs.Collinsétaitchezelle.Puisilss’assirentetquandElizabetheutdemandédesnouvellesdeRosings,ilyeutunsilencequimenaçaitdeseprolonger.Ilfallaitàtoutprixtrouver un sujet de conversation. Elizabeth se rappelant leur dernière rencontre enHertfordshire,etcurieusedevoircequ’ildiraitsurledépartprécipitédeseshôtes,fitcetteremarque:

— Vous avez tous quitté Netherfield bien rapidement en novembre dernier, Mr. Darcy.Mr.Bingleyadûêtreagréablementsurprisdevousrevoirsitôt,car,sijem’ensouviensbien,iln’étaitpartiquedelaveille.Luietsessœursallaientbien,jepense,quandvousavezquittéLondres?

—Fortbien,jevousremercie.

Voyantqu’ellen’obtiendraitpasd’autreréponse,ellerepritauboutd’unmoment:

— Il me semble avoir compris que Mr. Bingley n’avait guère l’intention de revenir àNetherfield.

—Jeneleluiaijamaisentendudire.Jeneseraispasétonné,cependant,qu’ilypassepeudetemps à l’avenir. Il a beaucoup d’amis et se trouve à une époque de l’existence où lesobligationsmondainessemultiplient.

—S’ilal’intentiondevenirsirarementàNetherfield,ilvaudraitmieuxpoursesvoisinsqu’ill’abandonnetoutàfait.Nousaurionspeut-êtredeschancesdevoirunefamilles’yfixerd’unefaçonplusstable.Maispeut-êtreMr.Bingley,enprenantcettemaison,a-t-ilpenséplusàsonplaisir qu’à celui des autres et il règle sans doute ses allées et venues d’après le mêmeprincipe.

—Jene seraispas surpris,ditDarcy,de le voir céderNetherfield siuneoffre sérieuse seprésentait.

Elizabethneréponditpas;ellecraignaitdetrops’étendresurcechapitre,etnetrouvantrienautreàdire,ellerésolutdelaisseràsoninterlocuteurlapeine

dechercherunautresujet.Celui-cilesentitetrepritbientôt:

— Cette maison paraît fort agréable. Lady Catherine, je crois, y a fait faire beaucoupd’aménagementslorsqueMr.Collinsestvenus’installeràHunsford.

—Jelecroisaussi,etsesfaveursnepouvaientcertainementexciterplusdereconnaissance.

—Mr.Collins,ensemariant,paraîtavoirfaitunheureuxchoix.

—Certesoui;sesamispeuventseréjouirqu’ilsoittombésurunefemmedevaleur,capableàlafoisdel’épouseretdelerendreheureux.Monamieabeaucoupdejugement,bienqu’àmon sens sonmariagene soit peut-êtrepas cequ’elle a fait deplus sage,mais elle paraîtheureuse,etvueàlalumièredelafroideraison,cetteunionprésentebeaucoupd’avantages.

—Elledoitêtresatisfaited’êtreinstalléeàsipeudedistancedesafamilleetdesesamis.

—Àsipeudedistance,dites-vous?Mais ilyaprèsdecinquantemillesentreMerytonetHunsford.

—Qu’est-cequecinquantemilles,avecdebonnesroutes?Guèreplusd’unedemi-journéedevoyage.J’appellecelaunecourtedistance.

—Pourmoi,s’écriaElizabeth,jamaisjen’auraiscomptécette«courtedistance»parmilesavantages présentés par le mariage de mon amie. Je ne trouve pas qu’elle soit établie àproximitédesafamille.

—CeciprouvevotreattachementpourleHertfordshire.EndehorsdesenvironsimmédiatsdeLongbourn,toutpaysvoussembleraitéloigné,sansdoute?

Enparlantainsi,ileutunlégersourirequ’Elizabethcrutcomprendre.Ilsupposaitsansdoutequ’ellepensaitàJaneetàNetherfield;aussiest-ceenrougissantqu’ellerépondit:

— Je ne veux pas dire qu’une jeune femme ne puisse être trop près de sa famille. Lesdistancessontrelatives,etquandunjeuneménagealesmoyensdevoyager,l’éloignementn’estpasungrandmal.Mr.et

Mrs. Collins, bien qu’à leur aise, ne le sont pas au point de se permettre de fréquentsdéplacements,etjesuissûrequ’ilfaudraitqueladistancefûtréduitedemoitiépourquemonamies’estimâtàproximitédesafamille.

Mr.Darcyrapprochaunpeusonsièged’Elizabeth:

— Quant à vous, dit-il, il n’est pas possible que vous soyez aussi attachée à votre pays.Sûrement,vousn’avezpastoujoursvécuàLongbourn.

Elizabetheutunairsurpris.Mr.Darcyparutseraviser.Reculantsachaise,ilpritunjournalsurlatable,yjetalesyeux,etpoursuivitd’untondétaché:

—LeKentvousplaît-il?

Suivitalorsuncourtdialoguesurlepays,auquelmitfinl’entréedeCharlotteetdesasœurqui revenaient de leurs courses. Ce tête-à-tête ne fut pas sans les étonner.Darcy raconta

commentilavait,parerreur,dérangémissBennet,etaprèsêtrerestéquelquesminutessansdiregrand-chose,pritcongéetquittalepresbytère.

—Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Charlotte aussitôt après son départ. Il doit êtreamoureuxdevous,Eliza,sansquoijamaisilneviendraitvousrendrevisitesifamilièrement.

MaislorsqueElizabetheutracontécombienDarcys’étaitmontrétaciturne,cettesuppositionneparutpastrèsvraisemblable,etonenvintàcetteconclusion:Darcyétaitvenuparcequ’iln’avaitriendemieuxàfaire.

Àcetteépoque, lachasseétaitfermée.Danslechâteau, ilyavaitbienladyCatherine,unebibliothèqueetunbillard;maisdesjeunesgensnepeuventresterenfermésdumatinausoir.Que ce fût la proximité du presbytère, l’agrément du chemin qui y conduisait ou despersonnesquil’habitaient,toujoursest-ilquelecolonelFitzwilliametMr.Darcyenfirentdèslors le but presque quotidien de leurs promenades. Ils arrivaient à toute heure, tantôtensembleettantôt

séparément, parfois même accompagnés de leur tante. Il était visible que le colonelFitzwilliamétait attirépar la sociétédes trois jeunes femmes.La satisfactionqu’Elizabethéprouvaitàlevoir,aussibienquel’admirationqu’illaissaitparaîtrepourelle,luirappelaientsonancienfavori,GeorgeWickham,etsienlescomparantelletrouvaitmoinsdeséductionauxmanières du colonel Fitzwilliam, elle avait l’impression que, des deux, c’était lui sansdoutequipossédaitl’espritlepluscultivé.

MaisMr.Darcy!Commentexpliquersesfréquentesapparitionsaupresbytère?Cenepouvaitêtre par amour de la société ? Il lui arrivait souvent de rester dixminutes sans ouvrir labouche, et, quand il parlait, il semblait que ce fût par nécessité plutôt que par plaisir.Rarement lui voyait-on de l’animation. La façon dont Fitzwilliam le plaisantait sur sonmutismeprouvaitque,d’habitude,iln’étaitpointaussitaciturne.Mrs.Collinsnesavaitqu’enpenser.Elleeûtaimésepersuaderquecetteattitudeétaitl’effetdel’amour,etl’objetdecetamoursonamieElizabeth.Pourrésoudreceproblème,ellesemitàobserverDarcy,àRosingsetàHunsford,mais sansgrandsuccès. Il regardait certainementbeaucoupElizabeth,maisd’unemanièredifficileàinterpréter.Charlottesedemandaitsouventsileregardattentifqu’ilattachaitsurellecontenaitbeaucoupd’admiration,etparmomentsilluisemblaitsimplementle regard d’un homme dont l’esprit est ailleurs. Une ou deux fois, Charlotte avait insinuédevantsonamiequeMr.Darcynourrissaitpeut-êtreunepréférencepourelle,maisElizabeths’étaitcontentéede rire, etMrs.Collinsavait jugésagedenepas insisterdepeurde fairenaîtredesespérancesstériles.Pourelleilnefaisaitpasdedoutequel’antipathied’Elizabethauraitvitefaitdes’évanouirsielleavaitpucroirequ’elleeûtquelquepouvoirsurlecœurdeMr.Darcy.Parfois,danslesprojetsd’avenirqu’ellefaisaitpoursonamie,

CharlottelavoyaitépousantlecolonelFitzwilliam.Desdeuxcousins,c’étaitsanscontreditleplusagréable ; iladmiraitElizabeth,et sasituation faisaitde luiunbeauparti.Seulement,pourcontrebalancertouscesavantages,Mr.Darcyavaituneinfluenceconsidérabledanslemondeclérical,tandisquesoncousinn’enpossédaitaucune.

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Chapitre 33

LUSD’UNEFOISELIZABETH, en se promenant dans le parc, rencontra Mr. Darcy àl’improviste. Elle trouvait assez étrange la malchance qui l’amenait dans unendroitordinairementsisolitaire,etelleeutsoindel’informerquececoinduparcétait sa retraite favorite. Une seconde rencontre après cet avertissement étaitplutôt singulière ; elle eut lieu cependant, et une autre encore. Était-ce pourl’ennuyeroupour s’imposerà lui-mêmeunepénitence ?Car ilne se contentait

pointdanscesoccasionsdeluidirequelquesmotsdepolitesseetdepoursuivresonchemin,mais paraissait croire nécessaire de l’accompagner dans sa promenade. Il ne se montraitjamaistrèsbavard,et,desoncôté,Elizabethnefaisaitguèredefrais.Aucoursdelatroisièmerencontre,cependant,ellefutfrappéedesquestionsbizarresetsanslienqu’illuiposaitsurl’agrémentdesonséjouràHunsford ; sursongoûtpour lespromenadessolitaires ; sur cequ’ellepensaitdelafélicitéduménageCollins;enfin,commeilétaitquestiondeRosingsetdeladispositionintérieuredesappartementsqu’elledisaitnepasbienconnaître,Darcyavaiteu l’air de penser que lorsqu’elle reviendrait dans le Kent, elle séjournerait cette fois auchâteau. Voilà dumoins ce qu’Elizabeth crut comprendre. Était-ce possible qu’en parlantainsiilpensâtaucolonelFitzwilliam?Sicesparolesavaientunsens, ilvoulaitsansdoutefaireallusionàcequipourraitseproduiredece

côté.Cettepensée troublaquelquepeuElizabethqui futheureusede se retrouver seuleàl’entréedupresbytère.

Un jour qu’enpromenade elle relisait une lettre de Jane etméditait certains passages quilaissaientdeviner lamélancoliede sa sœur,Elizabeth,en levant lesyeux, se trouva faceàface,nonpointcettefoisavecMr.Darcy,maisaveclecolonelFitzwilliam.

—Jenesavaispasquevousvouspromeniezjamaisdececôté,dit-elleavecunsourireenrepliantsalettre.

—Jeviensdefaireletourcompletduparccommejelefaisgénéralementàchacundemesséjours, et je pensais terminer par une visite à Mrs. Collins. Continuez-vous votrepromenade?

—Non,j’étaissurlepointderentrer.

Ilsreprirentensemblelechemindupresbytère.

—Avez-voustoujoursleprojetdepartirsamediprochain?

—Oui,siDarcyneremetpasencorenotredépart.Jesuisiciàsadispositionetilarrangetoutàsaguise.

—Et si l’arrangementne le satisfait point, il a toujours eu le plaisir de la décision. JeneconnaispersonnequisemblegoûterplusqueMr.Darcylepouvoird’agiràsaguise.

—Certes, ilaimefairecequi luiplaît ;maisnousensommestous là. Ilaseulementpoursuivresoninclinationplusdefacilitéquebiend’autres,parcequ’ilestricheetquetoutlemondenel’estpas.J’enparleenconnaissancedecause.Lescadetsdefamille,vouslesavez,sonthabituésàplusdedépendanceetderenoncements.

—Jenemeseraispasimaginéquelefilscadetd’uncomteavaitdetelsmauxàsupporter.Sérieusement, que connaissez-vous de la dépendance et des renoncements ? Quand lemanque d’argent vous a-t-il empêché d’aller où vous vouliez ou de vous accorder unefantaisie?

—Voilàdesquestionsbiendirectes.Non,ilfaut

que je l’avoue, jen’aipaseuàsouffrirbeaucoupd’ennuisdecegenre.Mais lemanquedefortunepeutm’exposeràdesépreuvesplusgraves.Lescadetsdefamille,vouslesavez,nepeuventguèresemarierselonleurchoix.

— À moins que leur choix ne se porte sur des héritières, ce qui arrive, je crois, assezfréquemment.

— Nos habitudes de vie nous rendent trop dépendants, et peu d’hommes de mon rangpeuventsemariersanstenircomptedelafortune.

«Ceciserait-ilpourmoi?»sedemandaElizabethquecetteidéefitrougir.Maissereprenant,elleditavecenjouement:

—Etquelest,s’ilvousplaît,leprixordinairedufilscadetd’uncomte?Àmoinsquelefrèreaîné ne soit d’une santé spécialement délicate, vous ne demandez pas, je pense, plus decinquantemillelivres?

Il lui répondit sur lemême ton, puis, pour rompre un silence qui aurait pu laisser croirequ’elleétaitaffectéedecequ’ilavaitdit,Elizabethrepritbientôt:

—J’imaginequevotrecousinvousaamenépourleplaisirdesentirprèsdeluiquelqu’unquisoitàsonentièredisposition.Jem’étonnequ’ilnesemariepas,carlemariageluiassureraitcette commodité d’une façon permanente. Mais peut-être sa sœur lui suffit-elle pourl’instant;ildoitfaired’ellecequebonluisemblepuisqu’elleestsoussaseuledirection.

—Non, répliqua le colonelFitzwilliam, c’estun avantagequ’il partage avecmoi, carnoussommestousdeuxcotuteursdemissDarcy.

—Vraiment?Etdites-moidoncquellesortedetuteurvousfaites?Votrepupillevousdonne-t-ellebeaucoupdepeine?Lesjeunesfillesdecetâgesontparfoisdifficilesàmener,etsic’estunevraieDarcyelleestsansdouteassezindépendante.

Commeelleprononçaitcesparoles,elleremarquaqueFitzwilliamlaregardaitattentivement,etlafaçon

dont il lui demanda pourquoi elle supposait que la tutelle de miss Darcy pût lui donnerquelquepeineconvainquitElizabethqu’elleavait,d’unemanièreoud’uneautre, touchélavérité.

—N’ayezaucunecrainte,répliqua-t-elleaussitôt.Jen’aijamaisentendumédire,sipeuquecesoit,devotrepupille,etjesuispersuadéedesadocilité.Deuxdamesdemaconnaissancenejurentqueparelle,Mrs.HurstetmissBingley;–ilmesemblevousavoirentendudirequevouslesconnaissiezaussi.

—Jelesconnaisunpeu.Leurfrèreestunhommeaimableetbienélevé,etc’estlegrandamideDarcy.

—Oh ! jesais,ditElizabethunpeusèchement.Mr.DarcymontrebeaucoupdebontépourMr.Bingleyetveillesurluiavecuneextraordinairesollicitude.

—Oui, je croiseneffetqueDarcyveille sur sonamiqui, souscertains rapports, abesoind’êtreguidé.Unechosequ’ilm’aditeenvenanticim’amêmefaitsupposerqueBingleyluidoit à ce titre quelque reconnaissance. Mais je parle peut-être un peu vite, car rien nem’assurequeBingleysoitlapersonnedontilétaitquestion.C’estpureconjecturedemapart.

—Dequois’agissait-il?

—D’une circonstance dont Darcy désire certainement garder le secret, car, s’il devait enrevenirquelquechoseàlafamilleintéressée,ceseraitfortdésobligeant.

—Vouspouvezcomptersurmadiscrétion.

—Etnotezbienquejenesuispascertainqu’ils’agissedeBingley.Darcym’asimplementditqu’ilsefélicitaitd’avoirsauvédernièrementunamidudangerd’unmariageimprudent.J’aisupposéquec’étaitBingleydontils’agissaitparcequ’ilmesembleapparteniràlacatégoriedesjeunesgenscapablesd’uneétourderiedecegenre,etaussiparcequejesavaisqueDarcyetluiavaientpassél’étéensemble.

—Mr.Darcyvousa-t-ildonnélesraisonsdesonintervention?

—J’aicomprisqu’ilyavaitcontrelajeunefilledesobjectionstrèssérieuses.

—Etquelsmoyenshabilesa-t-ilemployéspourlesséparer?

—Ilnem’apascontécequ’ilavaitfait,ditFitzwilliamensouriant;ilm’aditseulementcequejeviensdevousrépéter.

Elizabethneréponditpasetcontinuad’avancer,lecœurgonfléd’indignation.Aprèsl’avoirobservéeunmoment,Fitzwilliamluidemandapourquoielleétaitsisongeuse.

—Jepenseàcequevousvenezdemedire.Laconduitedevotrecousinm’étonne.Pourquois’est-ilfaitjugeencetteaffaire?

—Voustrouvezsoninterventionindiscrète?

—JenevoispasqueldroitavaitMr.Darcydedésapprouverl’inclinationdesonami,nidedécider comment celui-ci pouvait trouver le bonheur. Mais, dit-elle en se ressaisissant,commenousignoronstouslesdétailsiln’estpasjustedelecondamner.Onpeutsupposeraussiquelesentimentdesonamin’étaitpastrèsprofond.

— Cette supposition n’est pas invraisemblable, dit Fitzwilliam, mais elle enlèvesingulièrementdesavaleuràlavictoiredemoncousin.

Ce n’était qu’une réflexion plaisante, mais qui parut à Elizabeth peindre très justementMr.Darcy.Craignant,siellepoursuivaitcesujet,n’êtreplusmaîtressed’elle-même,lajeunefille changea brusquement la conversation, et il ne fut plus question que de chosesindifférentesjusqu’àl’arrivéeaupresbytère.

Dès que le visiteur fut parti, elle eut le loisir de réfléchir longuement à ce qu’elle venaitd’entendre.Surl’identitédespersonnagesellenepouvaitavoirdedoute:iln’yavaitpasdeuxhommes sur qui Mr. Darcy pût avoir une influence aussi considérable. Elizabeth avaittoujourssupposéqu’ilavaitdûcoopérerauplansuivipourséparerBingleydeJane,maiselleen

attribuait l’idée principale et la réalisation àmiss Bingley. Cependant, siMr. Darcy ne sevantaitpas,c’étaitlui,c’étaientsonorgueiletsoncapricequiétaientlacausedetoutcequeJaneavaitsouffertetsouffraitencore.Ilavaitbrisépouruntempstoutespoirdebonheurdans lecœur leplus tendre, leplusgénéreuxqui fût ; et lemalqu’il avait causé,nuln’enpouvaitprévoirladurée.

«Ilyavaitdesobjectionssérieusescontrelajeunefille,»avaitditlecolonelFitzwilliam.Cesobjectionsétaient sansnuldoutequ’elleavaitunoncleavouédansunepetiteville, etunautredanslecommerceàLondres.«ÀJane,quepourrait-onreprocher?sedisaitElizabeth.Jane, le charmeet la bontépersonnifiés, dont l’esprit est si raisonnable et lesmanières siséduisantes!Contremonpèrenonplusonnepeutriendire;malgrésonoriginalité,ilauneintelligencequeMr.Darcypeutnepointdédaigner,etunerespectabilitéàlaquellelui-mêmeneparviendrapeut-êtrejamais.»Àlapenséedesamère,ellesentitsaconfiances’ébranler.Maisnon,cegenred’objectionnepouvaitavoirdepoidsauxyeuxdeMr.Darcydontl’orgueil,elleenétaitsûre,étaitplussensibleàl’inférioritédurangqu’aumanquedejugementdelafamilleoùvoulaitentrersonami.Elizabethfinitparconclurequ’ilavaitétépousséparunedétestablefierté,etsansdouteaussiparledésirdeconserverBingleypoursasœur.

L’agitationetleslarmesquifurentl’effetdecesréflexionsprovoquèrentunemigrainedontElizabethsouffraittellementverslesoirque,sarépugnanceàrevoirMr.Darcyaidant,elledécidadenepasaccompagnersescousinsàRosingsoùilsétaientinvitésàallerprendrelethé. Mrs. Collins, voyant qu’elle était réellement souffrante, n’insista pas pour la fairechangerd’avismaisMr.Collinsneluicachapointqu’ilcraignaitfortqueladyCatherinenefûtmécontenteenvoyantqu’elleétaitrestéeaulogis.

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Chapitre 34

OMMESIELLEAVAITprisàtâchedes’exaspérerencoredavantagecontreMr.Darcy,Elizabeth, une fois seule, se mit à relire les lettres que Jane lui avait écritesdepuis sonarrivéeàHunsford.Aucunenecontenaitdeplaintespositivesmaistoutestrahissaientl’absencedecetenjouementquiétaitlecaractèrehabitueldeson style et qui, procédantde la sérénité d’un esprit toujours enpaix avec lesautresetaveclui-même,n’avaitétéquerarementtroublé.

Elizabethnotaittouteslesphrasesempreintesdetristesseavecuneattentionqu’ellen’avaitpasmiseàlapremièrelecture.LafaçondontMr.Darcyseglorifiaitdelasouffranceparluiinfligée augmentait sa compassion pour le chagrin de sa sœur. C’était une consolation depenserque le séjourdeMr.Darcy àRosings se terminait le surlendemain ; c’en était uneautre,etplusgrande,desedirequedansmoinsdequinzejourselleseraitauprèsdeJaneetpourraitcontribueràlaguérisondesoncœurdetoutlepouvoirdesonaffectionfraternelle.

En songeant au départ de Darcy elle se rappela que son cousin partait avec lui, mais lecolonelFitzwilliamavaitmontréclairementquesesamabilitésnetiraientpasàconséquenceet,toutcharmantqu’ilétait,ellen’avaitnulleenviedeserendremalheureuseàcausedelui.

Elleenétaitlàdesesréflexionslorsquelesondelacloched’entréelafittressaillir.Était-ce,par hasard, le colonel Fitzwilliam, dont les visites étaient quelquefois assez tardives, quivenaitprendredesesnouvelles?Unpeutroubléeparcetteidée,ellelarepoussaaussitôtetreprenaitsoncalmequandellevit,avecuneextrêmesurprise,Mr.Darcyentrerdanslapièce.

Ilsehâtatoutd’aborddes’enquérirdesasanté,expliquantsavisiteparledésirqu’ilavaitd’apprendrequ’ellesesentaitmieux.Elleluiréponditavecunepolitessepleinedefroideur.Ils’assit quelques instants, puis, se relevant, se mit à arpenter la pièce. Elizabeth saisied’étonnementnedisaitmot.Aprèsunsilencedeplusieursminutes,ils’avançaverselleet,d’unairagité,débutaainsi:

—Envainai-jelutté.Rienn’yfait.Jenepuisréprimermessentiments.Laissez-moivousdirel’ardeuraveclaquellejevousadmireetjevousaime.

Elizabeth stupéfaite le regarda, rougit, se demanda si elle avait bien entendu et garda lesilence. Mr. Darcy crut y voir un encouragement et il s’engagea aussitôt dans l’aveu del’inclinationpassionnéequedepuislongtempsilressentaitpourelle.

Ilparlaitbien,maisilavaitendehorsdesonamourd’autressentimentsàexprimeret,surce

chapitre, ilnesemontrapasmoinséloquentquesurceluidesapassion.Laconvictiondecommettreunemésalliance,lesobstaclesdefamillequesonjugementavaittoujoursopposésàson inclination, toutcela futdétailléavecunechaleurbiennaturelle,si l’onsongeaitausacrificequefaisaitsafierté,maiscertainementpeupropreàplaidersacause.

Endépitdesaprofondeantipathie,Elizabethnepouvaitresterinsensibleàl’hommagequereprésentaitl’amourd’unhommetelqueMr.Darcy.Sansquesarésolutionenfûtébranléeuninstant,ellecommençaparsesentirpeinéeduchagrinqu’elleallaitluicauser,mais,irritéeparlasuitedesondiscours,sacolèresupprimatoutecompassion,etelleessayaseulementdesedominerpourpouvoirluirépondreaveccalmelorsqu’ilauraitterminé.Ilconclutenluireprésentantlaforced’unsentimentquetousseseffortsn’avaientpasréussiàvaincreetenexprimant l’espoir qu’elle voudrait bien y répondre en lui accordant samain. Tandis qu’ilprononçaitcesparoles,ilétaitfacilede

voir qu’il ne doutait pas de recevoir une réponse favorable. Il parlait bien de crainte,d’anxiété, mais sa contenance exprimait la sécurité. Rien n’était plus fait pour exaspérerElizabeth,et,dèsqu’ileutterminé,elleluirépondit,lesjouesenfeu:

— En des circonstances comme celle-ci, je crois qu’il est d’usage d’exprimer de lareconnaissancepourlessentimentsdontonvientd’entendrel’aveu.C’estchosenaturelle,etsi jepouvais éprouverde la gratitude, jevous remercierais.Mais jene lepuispas. Jen’aijamaisrecherchévotreaffection,etc’estcertestrèsàcontrecœurquevousmeladonnez.Jeregretted’avoirpucauserde lapeineàquelqu’un,mais je l’ai fait sans levouloir,etcettepeine, je l’espère, sera de courte durée. Les sentiments qui, me dites-vous, ont retardéjusqu’ici l’aveu de votre inclination, n’auront pas de peine à en triompher après cetteexplication.

Mr.Darcyquis’appuyaitàlacheminée,lesyeuxfixéssurlevisaged’Elizabeth,accueillitcesparoles avec autant d’irritation que de surprise. Il pâlit de colère, et son visage refléta letroubledesonesprit.Visiblement,illuttaitpourreconquérirsonsang-froidetiln’ouvritlaboucheque lorsqu’il pensa y être parvenu.Cette pause sembla terrible àElizabeth.Enfin,d’unevoixqu’ilréussitàmaintenircalme,ilreprit:

—Ainsi,c’estlàtoutelaréponsequej’aurail’honneurderecevoir!Puis-jesavoir,dumoins,pourquoivousmerepoussezavecdesformesquen’atténueaucuneffortdepolitesse?Mais,aureste,peuimporte!

— Je pourrais aussi bien vous demander, répliqua Elizabeth, pourquoi, avec l’intentionévidentedemeblesser, vousvenezmedirequevousm’aimezcontrevotrevolonté, votreraison,etmêmelesoucidevotreréputation.N’est-cepaslàuneexcusepourmonimpolitesse–siimpolitesseilya?–Maisj’aid’autressujetsd’offenseetvousnelesignorezpas.Quandvousnem’auriezpasétéindifférent,quandmêmej’aurais

eu de la sympathie pour vous, rien au monde n’aurait pu me faire accepter l’hommeresponsabled’avoirruiné,peut-êtrepourtoujours,lebonheurd’unesœurtrèsaimée.

À cesmots,Mr.Darcy changeade couleurmais son émotion fut de courte durée, et il necherchamêmepasàinterrompreElizabethquicontinuait:

—J’aitouteslesraisonsdumondedevousmaljuger:aucunmotifnepeutexcuserlerôleinjusteetpeugénéreuxquevousavezjouéencettecirconstance.Vousn’oserezpas,vousnepourrezpasnierquevousavezétéleprincipal,sinonleseulartisandecetteséparation,quevousavezexposél’unàlacensuredumondepoursalégèretéetl’autreàsadérisionpoursesespérancesdéçues,eninfligeantàtousdeuxlapeinelaplusvive.

Elle s’arrêta et vit non sans indignation que Darcy l’écoutait avec un air parfaitementinsensible.Ilavaitmêmeenlaregardantunsourired’incrédulitéaffectée.

—Nierez-vousl’avoirfait?répéta-t-elle.

Avecuncalmeforcé,ilrépondit:

—Jenecherchenullementànierquej’aifaittoutcequej’aipupourséparermonamidevotresœur,niquejemesuisréjouid’yavoirréussi.J’aiétépourBingleyplusraisonnablequepourmoi-même.

Elizabethparutdédaignercetteréflexionaimablemaislesensneluienéchappapointet,deplusenplusanimée,ellereprit:

—Cecin’estpaslaseuleraisondemonantipathie.Depuislongtemps,monopinionsurvousétaitfaite.J’aiapprisàvousconnaîtreparlesrévélationsquem’afaitesMr.Wickham,voilàdéjàplusieursmois.Àcesujet,qu’avez-vousàdire?Quelacted’amitiéimaginairepouvez-vousinvoquerpourvousdéfendreoudequellefaçonpouvez-vousdénaturerlesfaitspourendonneruneversionquivoussoitavantageuse?

—Vousprenezunintérêtbienvifauxaffairesde

cegentleman,ditDarcyd’untonmoinsfroid,tandisquesonvisages’enflammait.

—Quipourraitn’enpointéprouver,quandonconnaîtsoninfortune?

—Soninfortune?répétaDarcyd’untonméprisant.Soninfortuneestgrande,envérité!

—Etvousenêtesl’auteur.C’estvousquil’avezréduitàlapauvreté,–pauvretérelative,jeleveuxbien.C’estvousquil’avezfrustréd’avantagesquevousluisaviezdestinés;vousavezprivétoutesajeunessedel’indépendanceàlaquelleilavaitdroit.Vousavezfaittoutcela,etlamentiondesoninfortunen’excitequevotreironie?

—Alors, s’écriaDarcy arpentant la pièce avec agitation, voilà l’opinion que vous avez demoi !Jevousremerciedemel’avoirditeaussiclairement.Leschargesénuméréesdansceréquisitoire,certes,sontaccablantes;maispeut-être,dit-ilensuspendantsamarcheetensetournantverselle,auriez-vousfermélesyeuxsurcesoffensessivotreamour-propren’avaitpas été froissé par la confession honnête des scrupules quim’ont longtemps empêché deprendreunedécision.Cesaccusationsamèresn’auraientpeut-êtrepasétéformuléessi,avecplusdediplomatie,j’avaisdissimulémesluttesetvousavaisaffirméquej’étaispousséparuneinclinationpureetsansmélange,parlaraison,parlebonsens,partoutenfin.Maisladissimulation sous n’importe quelle forme m’a toujours fait horreur. Je ne rougis pasd’ailleursdes sentimentsque jevousai exposés ; ils sont justes etnaturels.Pouviez-vousvousattendreàcequejemeréjouissedel’inférioritédevotreentourageouquejemefélicitede nouer des liens de parenté avec des personnes dont la condition sociale est si

manifestementau-dessousdelamienne?

Lacolèred’Elizabethgrandissaitdeminuteenminute.Cependant,grâceàunviolenteffortsurelle-même,elleparvintàseconteniretrépondit:

—Vousvoustrompez,Mr.Darcy,sivous

supposezquelemodedevotredéclarationapumecauserunautreeffetquecelui-ci:ilm’aépargnél’ennuiquej’auraiséprouvéàvousrefusersivousvousétiezexpriméd’unemanièreplusdigned’ungentleman.

Iltressaillit,maislalaissacontinuer:

—Sousquelqueformequesefûtproduitevotredemande,jamaisjen’auraiseulatentationdel’agréer.

Deplusenplusétonné,Darcylaconsidéraitavecuneexpressionmêléed’incrédulitéetdemortificationpendantqu’ellepoursuivait:

—Depuislecommencement,jepourraisdiredèslepremierinstantoùjevousaivu,j’aiétéfrappéeparvotrefierté,votreorgueiletvotremépriségoïstedessentimentsd’autrui.Iln’yavaitpasunmoisquejevousconnaissaisetdéjàjesentaisquevousétiezledernierhommedumondequejeconsentiraisàépouser.

—Vousenavezditassez,mademoiselle.Jecomprendsparfaitementvossentimentsetilnemeresteplusqu’àregretterd’avoiréprouvélesmiens.Pardonnez-moid’avoirabusédevotretempsetacceptezmesmeilleursvœuxpourvotresantéetvotrebonheur.

Il sortit rapidement sur ces mots et, un instant après, Elizabeth entendait la porte de lamaisonserefermersurlui.Letumultedesonespritétaitextrême.Tremblanted’émotion,ellese laissa tomber sur un siège et pleura pendant un long moment. Toute cette scène luisemblaitincroyable.Était-ilpossiblequeMr.Darcyeûtpuêtreéprisd’elledepuisdesmois,éprisaupointdevouloirl’épouserendépitdetouteslesobjectionsqu’ilavaitopposéesaumariagedesonamiavecJane?C’étaitassezflatteurpourelled’avoirinspiréinconsciemmentunsentimentaussiprofond,maisl’abominablefiertédeMr.Darcy,lafaçondontilavaitparléde Mr. Wickham sans essayer de nier la cruauté de sa propre conduite, eurent vite faitd’éteindrelapitiédans

lecœurd’Elizabethuninstantémuparlapenséed’untelamour.Cesréflexionscontinuèrentàl’agiterjusqu’aumomentoùleroulementdelavoituredeladyCatherinesefitentendre.Sesentant incapable d’affronter le regard observateur de Charlotte, elle s’enfuit dans sachambre.

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A

Chapitre 35

SONRÉVEIL,ELIZABETHRETROUVA les pensées et les réflexions sur lesquelles elles’étaitendormie.Ellenepouvaitrevenirdelasurprisequ’elleavaitéprouvéelaveille;illuiétaitimpossibledepenseràautrechose.Incapabledeselivreràuneoccupation suivie, elle résolut de prendre un peud’exercice après le déjeuner.Ellesedirigeaitverssonendroitfavorilorsquel’idéequeMr.Darcyvenaitparfoisde ce côté l’arrêta. Au lieu d’entrer dans le parc, elle suivit le sentier qui

l’éloignaitdelagrand-route,toutenlongeantlagrille.Saisieparlecharmedecettematinéeprintanière,elles’arrêtaàl’unedesportesetjetauncoupd’œildansleparc.L’aspectdelacampagneavaitbeaucoupchangépendantlescinqsemainesqu’elleavaitpasséesàHunsfordetlesarbreslesplusprécocesverdissaientàvued’œil.

Elizabethallaitreprendresapromenadelorsqu’elleaperçutunesilhouettemasculinedanslebosquetquiformaitlalisièreduparc.CraignantquecenefûtMr.Darcy,ellesehâtadebattreen retraite ; mais celui qu’elle voulait éviter était déjà assez près pour la voir et il fitrapidementquelquespasverselleenl’appelantparsonnom.Elizabethfitvolte-faceetrevintverslaporte.Mr.Darcyyarrivaitenmêmetempsqu’elle,et,luitendantunelettrequ’ellepritinstinctivement,illuiditavecuncalmehautain:

—Jemepromenaisparicidepuisquelquetemps

dansl’espoirdevousrencontrer.Voulez-vousmefairel’honneurdelirecettelettre?–Surquoi,aprèsunlégersalut,ilrentradansleparcetfutbientôthorsdevue.

Sans en attendre aucune satisfaction, mais avec une vive curiosité, Elizabeth ouvritl’enveloppe et fut surprise d’y trouver deux grandes feuilles entièrement couvertes d’uneécriturefineetserrée.Ellesemitàlireaussitôttoutenmarchant.Lalettrecontenaitcequisuit:

«Rosings,huitheuresdumatin.

«Necraignezpas,Mademoiselle,enouvrantcettelettre,quej’aievouluyrenouvelerl’aveudemessentimentsetlademandequivousontsifortoffusquéehiersoir.Jen’éprouvepaslemoindre désir de vous importuner, non plus que celui dem’abaisser en revenant sur unedémarchequenousnesaurionsoublier trop tôt l’unet l’autre.Jen’auraispaseu lapeined’écrire cette lettre ni de vous la lire, si le soin de ma réputation ne l’avait exigé. Vousexcuserez donc la liberté que je prends de demander toute votre attention. Ce que je ne

sauraisattendredevotresympathie,jecroispouvoirleréclamerdevotrejustice.

« Vous m’avez chargé hier de deux accusations différentes de nature aussi bien que degravité.Lapremièredecesaccusationsc’estque,sanségardpourlessentimentsdel’unetdel’autre, j’avais détaché Mr. Bingley de votre sœur. La seconde c’est qu’au mépris derevendicationslégitimes,auméprisdessentimentsd’honneuretd’humanitéj’avaisbrisélacarrièreetruinélesespérancesd’avenirdeMr.Wickham.Avoirainsivolontairementetd’uncœurlégerrejetélecompagnondemajeunesse,lefavoridemonpère,lejeunehommequinepouvaitguèrecompterquesurnotreprotectionetavaitétéélevédansl’assurancequ’elleneluimanqueraitpas,témoigneraitd’uneperversionàlaquelleletortdeséparerdeuxjeunesgensdontl’affectionremontaitàpeineàquelques

semainesnepeutsecomparer.Dublâmesévèrequevousm’avezsigénéreusementinfligéhiersoir,j’espèrecependantmefaireabsoudrelorsquelasuitedecettelettrevousauramiseaucourantdecequej’aifaitetdesmotifsquim’ontfaitagir.Si,aucoursdecetteexplicationque j’ai le droit de vous donner, jeme trouve obligé d’exprimer des sentiments qui vousoffensent,croyezbienquejeleregrette,maisjenepuisfaireautrement,etm’enexcuserdenouveauseraitsuperflu.

« Jen’étaispasdepuis longtempsenHertfordshire lorsque jem’aperçusavecd’autresqueBingley avait distingué votre sœur entre toutes les jeunes filles du voisinage, mais c’estseulementlesoirdubaldeNetherfieldquejecommençaiàcraindrequecetteinclinationnefût vraiment sérieuse. Ce n’était pas la première fois que je le voyais amoureux. Au bal,pendantquejedansaisavecvous,uneréflexiondesirWilliamLucasmefitcomprendrepourlapremièrefoisquel’empressementdeBingleyauprèsdevotresœuravaitconvaincutoutlemondedeleurprochainmariage.SirWilliamenparlaitcommed’unévénementdontladateseule était indéterminée. À partir de ce moment, j’observai Bingley de plus près et jem’aperçusquesoninclinationpourmissBennetdépassaitcequej’avaisremarquéjusque-là.J’observaiaussivotresœur:sesmanièresétaientouvertes,joyeusesetengageantescommetoujoursmaissansrienquidénotâtunepréférencespécialeetjedemeuraiconvaincu,aprèsunexamenattentif,quesielleaccueillaitlesattentionsdemonamiavecplaisirellenelesprovoquaitpasenluilaissantvoirqu’ellepartageaitsessentiments.Sivousnevousêtespastrompéevous-mêmesurcepoint,c’estmoiquidoisêtredansl’erreur.Laconnaissanceplusintimequevousavezdevotresœurrendcettesuppositionprobable.Danscecas,jemesuistrouvéluiinfligerunesouffrancequilégitimevotreressentiment;maisje

n’hésitepasàdirequelasérénitédevotresœurauraitdonnéàl’observateurleplusvigilantl’impression que, si aimable que fût son caractère, son cœur ne devait pas être facile àtoucher.J’étais,jeneleniepas,désireuxdeconstatersonindifférence,maisjepuisdireavecsincéritéquejen’aipasl’habitudedelaisserinfluencermonjugementparmesdésirsouparmes craintes. J’ai cru à l’indifférence de votre sœur pour mon ami, non parce que jesouhaitaisycroire,maisparcequej’enétaisréellementpersuadé.

«Lesobjectionsquejefaisaisàcemariagen’étaientpasseulementcellesdontjevousaidithiersoirqu’ilm’avaitfallupourlesrepoussertoutelaforced’unepassionprofonde.Lerangsocialdelafamilledanslaquelleildésiraitentrernepouvaitavoirpourmonamilamêmeimportance que pour moi, mais il y avait d’autres motifs de répugnance, motifs qui serencontrentàunégaldegrédans lesdeuxcas,maisque j’aipourmapartessayéd’oublier

parcequelesinconvénientsquejeredoutaisn’étaientplusimmédiatementsousmesyeux.Cesmotifsdoiventêtreexposésbrièvement.

« La parenté du côté de votremère bien qu’elle fût pourmoi un obstacle n’était rien encomparaisondufaiblesentimentdesconvenancestropsouventtrahiparelle-même,parvosplus jeunes sœurs, parfois aussi par votre père. Pardonnez-moi ; il m’est pénible de vousblesser,mais,danslacontrariétéquevouséprouvezàentendreblâmervotreentourage,quecesoitpourvousuneconsolationdepenserquenivous,nivotresœur,n’avezjamaisdonnélieuàlamoindrecritiquedecegenre,etcettelouangequetousseplaisentàvousdécernerfaitsingulièrementhonneuraucaractèreetaubonsensdechacune.Jedoisdirequecequisepassalesoirdubalconfirmamonjugementetaugmentamondésirdepréservermonamidecequejeconsidéraiscommeuneallianceregrettable.

«Commevousvousensouvenez,ilquitta

Netherfieldlelendemainavecl’intentionderevenirpeudejoursaprès.Lemomentestvenumaintenant d’expliquer mon rôle en cette affaire. L’inquiétude de miss Bingley avait étéégalementéveillée ;lasimilitudedenosimpressionsfutbientôtdécouverte,et,convaincustousdeuxqu’il n’y avait pas de temps à perdre si nous voulionsdétacher son frère, nousrésolûmesdelerejoindreàLondresoù,àpeinearrivé,j’entreprisdefairecomprendreàmonami les inconvénients certainsd’un tel choix. Jene sais à quel pointmes représentationsauraientébranléouretardésadétermination,maisjenecroispasqu’enfindecompteelleseussent empêché le mariage sans l’assurance que je n’hésitai pas à lui donner del’indifférence de votre sœur. Il avait cru jusque-là qu’elle lui rendait son affectionsincèrement sinon avec une ardeur comparable à la sienne, mais Bingley a beaucoup demodestienaturelleetsefievolontiersàmonjugementplusqu’ausien.Leconvaincrequ’ils’était trompé ne fut pas chose difficile ; le persuader ensuite de ne pas retourner àNetherfieldfutl’affaired’uninstant.

«Jenepuismereprocherd’avoiragidelasorte;maisilyaautrechosedansmaconduiteencetteaffaire,quimecausemoinsdesatisfaction.C’estd’avoirconsentiàdesmesuresayantpour objet de laisser ignorer à mon ami la présence de votre sœur à Londres. J’en étaitinstruitmoi-même aussi bien quemiss Bingley,mais son frère n’en a jamais rien su. Sessentimentsnemesemblaientpasencoreassezcalméspourqu’ilpûtrisquersansdangerdelarevoir.Peut-êtrecettedissimulationn’était-ellepasdignedemoi.Entoutcas, lachoseestfaiteetj’aiagiaveclesmeilleuresintentions.Jen’airiendeplusàajoutersurcesujet,pasd’autres explications à offrir. Si j’ai causé de la peine à votre sœur, je l’ai fait sansm’endouter, et lesmotifsdemaconduite,quidoiventnaturellementvous sembler insuffisants,n’ontpasperduàmesyeuxleurvaleur.

«Quantàl’accusationplusgraved’avoirfaittortàMr.Wickham,jenepuislaréfuterqu’enmettant sous vos yeux le récit de ses relations avec ma famille. J’ignore ce dont il m’aparticulièrementaccusé;maisdelavéritédecequivasuivre,jepuisciterplusieurstémoinsdontlabonnefoiestincontestable.

« Mr.Wickham est le fils d’un homme extrêmement respectable qui, pendant de longuesannées,eutà régir tout ledomainedePemberley.Enreconnaissancedudévouementqu’ilapportadans l’accomplissementde cette tâche,monpère s’occupa avecune bienveillance

sansbornesdeGeorgeWickhamquiétaitsonfilleul.IlsechargeadesfraisdesonéducationaucollègeetàCambridge;–aideinappréciablepourMr.Wickhamqui,toujoursdanslagêneparsuitedel’extravagancedesafemme,setrouvaitdansl’impossibilitédefairedonneràsonfilsl’éducationd’ungentleman.

« Mon père, non seulement aimait la société de ce jeune homme dont les manières onttoujours été séduisantes,mais l’avait en haute estime ; il souhaitait lui voir embrasser lacarrière ecclésiastique et sepromettaitd’aider à sonavancement.Pourmoi, il y avait fortlongtempsquej’avaiscommencéàlejugerd’unefaçondifférente.Lesdispositionsvicieuseset lemanque de principes qu’il prenait soin de dissimuler à son bienfaiteur ne pouvaientéchapperàunjeunehommedumêmeâgeayantl’occasion,quimanquaitàmonpère,delevoirdansdesmomentsoùils’abandonnaitàsanature.

«Mevoilàdenouveaudansl’obligationdevousfairedelapeine,–enquellemesure,jenesais.–Lesoupçonquim’estvenusurlanaturedessentimentsquevousainspirésGeorgeWickham ne doit pas m’empêcher de vous dévoiler son véritable caractère et me donnemêmeuneraisondeplusdevouseninstruire.

«Monexcellentpèremourutilyacinqans,et,

jusqu’àlafin,sonaffectionpourGeorgeWickhamnesedémentitpoint.Danssontestamentilmerecommandaittoutparticulièrementdefavoriserl’avancementdesonprotégédanslacarrièrede sonchoix et, au casoù celui-ci entreraitdans lesordres,de le fairebénéficierd’unecureimportantequiestunbiendefamilleaussitôtquelescirconstanceslarendraientvacante.Illuilaissaitdeplusunlegsdemillelivres.

« Le père deMr.Wickham ne survécut pas longtemps au mien et, dans les six mois quisuivirent ces événements, GeorgeWickhamm’écrivit pour me dire qu’il avait finalementdécidédenepasentrerdanslesordres.Enconséquence,ilespéraitquejetrouveraisnaturelson désir de voir transformer en un avantage pécuniaire la promesse du bénéficeecclésiastiquefaiteparmonpère:«Jemepropose,ajoutait-il,defairemesétudesdedroit,etvousdevezvousrendrecomptequelarentedemillelivressterlingestinsuffisantepourmefairevivre.»J’auraisaiméàlecroiresincère;entoutcas,j’étaisprêtàaccueillirsademandecar je savais pertinemment qu’il n’était pas fait pour être clergyman. L’affaire fut doncrapidement conclue : en échange d’une somme de trois mille livres, Mr. Wickhamabandonnaittouteprétentionàsefaireassisterdanslacarrièreecclésiastique,dût-iljamaisyentrer. Ilsemblaitmaintenantquetoutesrelationsdussentêtrerompuesentrenous.Jenel’estimaispasassezpourl’inviteràPemberley,nonplusquepourlefréquenteràLondres.C’estlà,jecrois,qu’ilvivaitsurtout,maissesétudesdedroitn’étaientqu’unsimpleprétexte;libremaintenantde toute contrainte, ilmenait une existencedeparesse et dedissipation.Pendanttroisansc’estàpeinesij’entendisparlerdelui.Maisauboutdecetemps,lacurequi,jadis,luiavaitétédestinée,setrouvantvacanteparsuitedelamortdesontitulaire,ilm’écrivitdenouveaupourmedemanderdelaluiréserver.Sasituation,medisait-il,–etjen’avaisnullepeineà

lecroire,–étaitdesplusgênées;ilavaitreconnuqueledroitétaitunecarrièresansaveniret, si je consentais à lui accorder le bénéfice en question, il était maintenant fermementrésolu à se faire ordonner. Mon assentiment lui semblait indubitable car il savait que je

n’avais pas d’autre candidat quim’intéressât spécialement, et je ne pouvais, certainement,avoiroubliélevœudemonpèreàcesujet.

«J’opposaiàcettedemandeunrefusformel.Vousnem’enblâmerezpas,jepense,nonplusqued’avoirrésistéàtouteslestentationsdumêmegenrequisuivirent.Sonressentimentfutégalàladétressedesasituation,etjesuispersuadéqu’ils’estmontréaussiviolentdanslesproposqu’ilvousatenussurmoiquedanslesreprochesquejereçusdeluiàcetteépoque.Après quoi, tous rapports cessèrent entre nous. Comment vécut-il, je l’ignore ; mais, l’étédernier,jeleretrouvaisurmonchemindansunecirconstanceextrêmementpénible,quejevoudraisoublier,etque,seule,cetteexplicationmedécideàvousdévoiler.Ainsiprévenue,jenedoutepasdevotrediscrétion.

«Ma sœur, dont je suis l’aîné de plus de dix ans, a été placée sous une double tutelle, lamienneetcelleduneveudemamère,lecolonelFitzwilliam.Ilyaunanenviron,jelaretiraidepensionetl’installaiàLondres.Quandvintl’étéellepartitpourRamsgateavecsadamedecompagnie. À Ramsgate se rendit aussi Mr. Wickham, et certainement à dessein, car ondécouvrit ensuite qu’il avait des relations antérieures avec Mrs. Younge, la dame decompagnie,sur l’honorabilitéde laquellenousavionsété indignementtrompés.Grâceàsaconnivenceetàsonaide,ilarrivasibienàtoucherGeorgiana,dontl’âmeaffectueuseavaitgardéunbonsouvenirdesongrandcamaraded’enfance,qu’ellefinitparsecroireépriseaupointd’accepterdes’enfuiraveclui.Sonâge,quinzeansàpeine,estsameilleureexcuseet,maintenantquejevousaifaitconnaîtresonprojetinsensé,jemehâte

d’ajouterquec’estàelle-mêmequejedusd’enêtreaverti.J’arrivaiàl’improvisteunjouroudeux avant l’enlèvement projeté, etGeorgiana, incapable de supporter l’idée d’offenser unfrèrequ’ellerespectepresqueàl’égald’unpère,meconfessatout.Vouspouvezimaginercequejeressentisalorsetquelleconduitej’adoptai.Lesoucidelaréputationdemasœuretlacrainte de heurter sa sensibilité interdisaient tout éclat,mais j’écrivis àMr.Wickham quiquittaleslieuximmédiatement,etMrs.Younge,bienentendu,futrenvoyéesur-le-champ.LebutprincipaldeMr.Wickhamétaitsansdoutedecapter lafortunedemasœur,quiestdetrentemillelivres,maisjenepuism’empêcherdecroirequeledésirdesevengerdemoiétaitaussipourluiunpuissantmobile.Envérité,savengeanceeûtétécomplète!

«Voilà,Mademoiselle, le fidèle récitdes événements auxquelsnousnous sommes trouvésmêlésl’unetl’autre.Sivousvoulezbienlecroireexactementconformeàlavérité,jepensequevousm’absoudrezdureprochedecruautéàl’égarddeMr.Wickham.J’ignoredequellemanière,parquelsmensongesilapuvoustromper.Ignorantecommevousl’étiezdetoutcequi nous concernait, ce n’est pas très surprenant qu’il y ait réussi. Vous n’aviez pas leséléments nécessaires pour vous éclairer sur son compte, et rien ne vous disposait à ladéfiance.

«Vousvousdemanderez,sansdoute,pourquoijenevousaipasdittoutcelahiersoir.Jeneme sentais pas assezmaître demoi pour juger ce que je pouvais ou devais vous révéler.Quant à l’exactitude des faits qui précèdent, je puis en appeler plus spécialement autémoignageducolonelFitzwilliamqui,dufaitdenotreparenté,denosrapportsintimeset,plus encore, de sa qualité d’exécuteur du testament demon père, a été forcémentmis aucourantdesmoindresdétails.Sil’horreurquejevousinspiredevaitenleveràvosyeuxtoutevaleuràmesassertions,riennepeutvous

empêcherdevousrenseignerauprèsdemoncousin.C’estpourvousendonnerlapossibilitéquej’essaieraidemettrecettelettreentrevosmainsdanslecourantdelamatinée.

«Jen’ajoutequ’unmot:Dieuvousgarde!

«FitzwilliamDarcy.»

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Chapitre 36

IELIZABETH,LORSQU’ELLEAVAITprislalettredeMr.Darcy,nes’attendaitpasàtrouverle renouvellement de sa demande, elle n’avait pas lamoindre idée de ce qu’ellepouvait contenir. On se figure l’empressement qu’elle mit à en prendreconnaissance et les sentiments contradictoires qui l’agitèrent pendant cettelecture.Toutd’abord,elletrouvastupéfiantqu’ilcrûtpossibledesejustifieràsesyeux.Elleétaitconvaincuequ’ilnepouvaitdonneraucuneexplicationdontiln’eût

àrougir,etcefutdoncprévenuecontretoutcequ’ilpourraitdirequ’ellecommençalerécitdecequis’étaitpasséàNetherfield.

Ellelisaitsiavidementque,danssahâtedepasserd’unephraseàl’autre,elleétaitincapablede saisir pleinement le sens de ce qu’elle avait sous les yeux. La conviction affirmée parDarcy au sujet de l’indifférence de Jane fut accueillie avec la plus grande incrédulité, etl’énumération des justes objections qu’il faisait au mariage de Bingley avec sa sœurl’irritèrent trop pour qu’elle consentît à en reconnaître le bienfondé. Il n’exprimait aucunregretquipûtatténuercetteimpression;letondelalettren’étaitpascontritmaishautain ;c’étaittoujourslemêmeorgueiletlamêmeinsolence.

MaisquandelleparvintaupassagerelatifàWickham,quand,avecuneattentionpluslibre,elle

lutunrécitqui,s’ilétaitvrai,devaitruinerl’opinionqu’avectantdecomplaisanceelles’étaitforméedujeuneofficier,elleressentituneimpressionpluspénibleenmêmetempsqueplusdifficileàdéfinir.Lastupéfaction,lacrainte,l’horreurmêmel’oppressèrent.Elleauraitvoulutoutnieretnecessaitdes’exclamerenlisant:«C’estfaux!c’estimpossible!Toutcelan’estqu’untissudemensonges !»etlorsqu’elleeutachevélalettre,ellesehâtadelamettredecôtéenprotestantqu’ellen’entiendraitaucuncompteetn’yjetteraitpluslesyeux.

Danscetétatd’extrêmeagitation,ellepoursuivitsamarchequelquesminutessansparveniràmettreducalmedanssespensées.Maisbientôt,parl’effetd’uneforceirrésistible,lalettresetrouvadenouveaudépliée,etellerecommençalalecturemortifiantedetoutcequiavaittraitàWickham,enconcentrantsonattentionsurlesensdechaquephrase.

CequiconcernaitlesrapportsdeWickhamaveclafamilledePemberleyetlabienveillancedeMr.DarcypèreàsonégardcorrespondaitexactementàcequeWickhamenavaitditlui-même.Surcespoints lesdeuxrécitsseconfirmaient l’unl’autre ;mais ilscessaientd’êtred’accord sur le chapitre du testament. Elizabeth avait encore présentes à la mémoire les

parolesdontWickhams’étaitservienparlantdubénéfice.Ilétaitindéniablequed’uncôtéoudel’autre,ellesetrouvaitenprésenced’unegrandeduplicité.Uninstant,ellecrutpouvoirseflatterquesessympathiesnel’abusaientpoint,maisaprèsavoirluetreluavecattentionlesdétails qui suivaient sur la renonciation deWickham au bénéficemoyennant une sommeaussiconsidérablequetroismillelivressterling,ellesentitsaconvictions’ébranler.

Quittant sa lecture, elle se mit à réfléchir sur chaque circonstance et à peser chaquetémoignage en s’efforçant d’être impartiale, mais elle ne s’en trouva pas beaucoup plusavancée:d’uncôtécommedel’autre,

elleétaitenprésencedesimplesassertions.Ellerepritencorelalettreet,cettefois,chaqueligne lui prouva clairement que cette affaire, qu’elle croyait impossible de présenter demanièreàjustifierMr.Darcy,étaitsusceptibledeprendreunaspectsouslequelsaconduiteapparaissaitabsolumentirréprochable.

L’accusation de prodigalité et de dévergondage portée contreWickham excitait cependantsonindignation,–l’excitaitd’autantplus,peut-être,qu’ellenepouvaitriendécouvrirquienprouvât l’injustice. De la vie de Wickham avant son arrivée en Hertfordshire, on neconnaissait que ce qu’il en avait raconté lui-même. D’ailleurs, en eût-elle les moyens,Elizabethn’auraitjamaischerchéàsavoircequ’ilétaitvéritablement:sonaspect,savoix,sesmanières, l’avaientétablid’embléeà sesyeuxdans lapossessionde toutes lesvertus.Elleessayaderetrouverdanssonespritquelquetraitdedélicatesseoudegénérositéquipûtledéfendre contre les accusations de Mr. Darcy, ou, tout au moins, en dénotant une réellevaleurmorale, racheter cequ’elle voulait considérer commedes erreurspassagères ; maisaucunsouvenirdecegenreneluirevintàlamémoire.EllerevoyaitWickhamavectoutelaséductiondesapersonneetdesesmanières,mais,àsonactif,ellenepouvaitserappelerriendeplussérieuxquelasympathiegénéraledont il jouissaitàMeryton,et lafaveurquesonaisanceetsonentrainluiavaientconquiseparmisescamarades.

Aprèsavoirlonguementréfléchi,ellerepritencoreunefoissalecture.Maishélas!lepassagerelatant lesdesseinsdeWickhamsurmissDarcyse trouvaitconfirmépar laconversationqu’elleavaiteue laveilleavec lecolonelFitzwilliam,et, finalement,Darcy la renvoyaitautémoignagedeFitzwilliamlui-même,qu’ellesavaitêtre,plusquepersonne,aucourantdesaffairesdesoncousinetdontellen’avaitaucuneraisondesuspecterlabonnefoi.Uninstantl’idéeluivintd’allerletrouver;maisladifficultédecettedémarche

l’arrêtaetaussi laconvictionqueMr.Darcyn’auraitpashasardéune tellepropositions’iln’avaitétécertainquesoncousindûtcorroborertoutessesaffirmations.

Elle se rappelait parfaitement sa première conversation avec Wickham à la soirée deMrs. Philips. Ce qu’il y avait de malséant dans des confidences de ce genre faites à uneétrangère la frappaitmaintenant, et elle s’étonnadene l’avoir pas remarquéplus tôt. Ellevoyait l’indélicatessequ’il y avait à semettre ainsi en avant.La conduitedeWickhamneconcordaitpasnonplusavecsesdéclarations:nes’était-ilpasvantéd’envisagersanscraintel’idéede rencontrerMr.Darcy.Cependant,pasplus tardque la semaine suivante, il s’étaitabstenudeparaîtreaubaldeNetherfield.Etpuis,tantquelesBingleyétaientrestésdanslepays,Wickhamnes’étaitconfiéqu’àelle,mais,aussitôtleurdépart,sonhistoireavaitdéfrayépartout les conversations et il ne s’était pas fait scrupule de s’attaquer à la réputation de

Mr.Darcy,bienqu’il luieûtassuréquesonrespectpour lepère l’empêcherait toujoursdeporteratteinteàl’honneurdufils.

Commeilluiapparaissaitmaintenantsousunjourdifférent !SesassiduitésauprèsdemissKingnevenaientplusquedevilscalculs,etlamédiocrefortunedelajeunefille,aulieudeprouverlamodérationdesesambitions,lemontraitsimplementpousséparlebesoind’argentàmettrelamainsurtoutcequiétaitàsaportée.Sonattitudeenverselle-mêmenepouvaitavoirdemobileslouables:oubienilavaitététrompésursafortune,oubienilavaitsatisfaitsavanitéenencourageantunesympathiequ’elleavaiteul’imprudencedeluilaisservoir.

Dans ses derniers efforts pour le défendre, Elizabeth mettait de moins en moins deconviction.D’autrepart,pourlajustificationdeMr.Darcy,elleétaitobligéedereconnaîtrequeMr.Bingley, longtempsauparavant,avaitaffirméàJane lacorrectiondesonamidanscette

affaire.Enoutre,sipeuagréablesquefussentsesmanières,jamaisaucoursdeleursrapportsqui,plusfréquentsendernierlieu,luiavaientpermisdelemieuxconnaître,ellen’avaitrienvuchezluiquiaccusâtunmanquedeprincipesouquitrahîtdeshabitudesrépréhensiblesaupointdevuemoraloureligieux.Parmisesrelations,ilétaitestiméetapprécié.S’ilavaitagicommel’affirmaitWickham,uneconduitesicontraireàl’honneuretaubondroitn’auraitpuêtre tenue cachée, et l’amitié que lui témoignait un homme comme Bingley devenaitinexplicable.

Elizabeth se sentit envahir par la honte. Elle ne pouvait penser à Darcy pas plus qu’àWickham sans reconnaître qu’elle avait été aveugle, absurde, pleine de partialité et depréventions.

— Comment, s’exclamait-elle, ai-je pu agir de la sorte ? Moi qui étais si fière de maclairvoyanceetquiaisisouventdédaignélagénéreusecandeurdeJane!Quelledécouvertehumiliante!Humiliationtropméritée!L’amourn’auraitpum’aveuglerdavantage;maisc’estlavanité,nonl’amour,quim’aégarée.Flattéedelapréférencedel’un,froisséedumanqued’égardsdel’autre,jemesuisabandonnéedèsledébutàmespréventionsetj’aijugél’unetl’autreendépitdubonsens.

D’elle à Bingley, de Bingley à Jane, ses pensées l’amenèrent bientôt au point sur lequell’explication deDarcy lui avait paru insuffisante, et elle reprit la lettre. Très différent futl’effetproduitparcettesecondelecture.Commentpouvait-ellerefuseràsesassertions,dansun cas, le crédit qu’elle s’était trouvée obligée de leur donner dans l’autre ? Mr. Darcydéclarait qu’il n’avait pas cru à l’attachement de Jane pour son ami. Elizabeth se rappelal’opinionqueCharlotteluiavaitexpriméeàcesujet:elle-mêmeserendaitcomptequeJanemanifestaitpeusessentiments,mêmelesplusvifs,etqu’ilyavaitdanssonairetdanssesmanièresunesérénitéquinedonnaitpasl’idéed’unegrandesensibilité.

Arrivéeà lapartiede la lettreoùMr.Darcyparlaitde sa famille en termesmortifiants, etpourtantmérités,elleéprouvauncruelsentimentdehonte.Lajustessedecettecritiqueétaittropfrappantepourqu’ellepûtlacontesteretlescirconstancesdubaldeNetherfield,qu’ilrappelaitcommeayantconfirmésonpremierjugement,avaientproduituneimpressionnonmoinsfortesurl’espritd’Elizabeth.

L’hommagequeDarcyluirendaitainsiqu’àsasœurlacalmaunpeu,maissanslaconsolerdelacensurequelerestedesafamilles’étaitattirée.ÀlapenséequeladéceptiondeJaneavaitété en fait l’œuvredes siens etquechacunedesdeux sœurspouvait être atteintedans saréputationpardepareillesmaladresses,elleressentitundécouragementtelqu’ellen’enavaitencorejamaisconnudesemblablejusque-là.

Il y avait deux heures qu’elle arpentait le sentier, lorsque la fatigue et la pensée de sonabsence prolongée la ramenèrent enfin vers le presbytère. Elle rentra avec la volonté demontrer autant d’entrain que d’habitude et d’écarter toutes les pensées qui pourraientdétournersonespritdelaconversation.

ElleappritenarrivantquelesgentlemendeRosingsavaientfaitvisitetouslesdeuxensonabsence ;Mr.Darcy était entré simplementquelquesminutespourprendre congé,mais lecolonelFitzwilliamétaitrestéaupresbytèreplusd’uneheure,dansl’attentedesonretour,etparlaitdepartiràsarecherchejusqu’àcequ’ill’eûtdécouverte.Elizabethputàgrand-peinefeindreleregretdel’avoirmanqué.Aufond,elles’enréjouissait.LecolonelFitzwilliamnel’intéressaitplusàcetteheure.Lalettre,seule,occupaittoutessespensées.

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Chapitre 37

ESDEUXCOUSINSQUITTÈRENT Rosings le lendemain etMr. Collins qui avait été lesattendreàlasortieduparcpourleuradresserundernieretrespectueuxsaluteutle plaisir de témoigner que ces messieurs paraissaient en excellente santé etd’aussi bonne humeur qu’il se pouvait après les adieux attristés qu’ils venaientd’échangeràRosings.Surce,ilsehâtadeserendreàRosingspourconsolerladyCatherine et sa fille. À son retour au presbytère, il transmit avec grande

satisfaction un message de Sa Grâce impliquant qu’elle s’ennuyait assez pour désirer lesavoirtousàdînerlesoirmême.

ElizabethneputrevoirladyCatherinesansserappelerque,siellel’avaitvoulu,elleluiseraitmaintenantprésentéecommesafuturenièce,etellesouritensereprésentantl’indignationdeSaGrâce.

Laconversations’engagead’abordsurlevideproduitparledépartdesesneveux.

—Jevousassurequej’ensuistrèsaffectée,ditladyCatherine.Certes,personnenesentplusquemoilechagrind’êtreprivédesesamis,maisj’aidepluspourcesdeuxjeunesgensunattachementquejesaisêtreréciproque.Ilsétaienttousdeuxdésolésdes’enaller.Notrechercolonelaréussicependantàgarderdel’entrainjusqu’àlafin,maisDarcyparaissaittrèsému,plusencorepeut-êtrequel’andernier.Ilsembles’attacherdeplusenplusàRosings.

Ici,Mr.Collinsplaçauncomplimentetuneallusionquelamèreetlafilleaccueillirentavecunsourirebienveillant.

Après ledîner, ladyCatherineobservaquemissBennetparaissait songeuseet s’imaginantquelaperspectivederentrerbientôtchezelleenétaitlacause,elleajouta:

— Si c’est ainsi, écrivez à votre mère pour lui demander de vous laisser un peu pluslongtemps.Mrs.Collins,j’ensuissûre,seraenchantéedevousgarderencore.

— Je remercie Votre Grâce de cette aimable invitation, répondit Elizabeth, mais il m’estimpossibledel’accepter;jedoisêtreàLondressamediprochain.

—Quoi!vousn’aurezfaiticiqu’unséjourdesixsemaines?Jem’attendaisàvousvoirresterdeuxmois.Mrs.Bennetpeutcertainementsepasserdevousuneautrequinzaine.

—Oui,maismonpèrenelepeutpas.Ilm’aécritdernièrementpourmedemanderdehâtermonretour.

—Oh!votrepèrepeutaussibiensepasserdevousquevotremère.Sivousrestiezunmoisencore,jepourraisramenerl’unedevousjusqu’àLondresoùj’iraipasserquelquesjoursaudébutdejuin.Mafemmedechambrenefaisantpasdedifficultépourvoyagersurlesiège,j’aurailargementdelaplacepourl’unedevous,etmême,commevousêtestrèsmincesl’uneetl’autre,jeconsentiraisvolontiersàvousprendretouteslesdeux,siletempsn’étaitpastropchaud.

—Jesuistouchéedevotrebonté,madame,maisjecroisquenousdevonsnousentenirànospremiersprojets.

LadyCatherineparutserésigner.

—Mrs.Collins,vousaurezsoindefaireescortercesdemoisellesparundomestique.Voussavezquejedistoujourscequejepense,orjenepuissupporterl’idéequedeuxjeunesfillesvoyagent seules en poste, ce n’est pas convenable. Les jeunes filles doivent toujours êtreaccompagnéesetprotégées,selonleurrang.QuandmanièceGeorgianaestalléeàRamsgatel’étédernier,j’aitenuàcequ’ellefûtaccompagnéededeuxdomestiques.MissDarcy,filledeMr.DarcydePemberley et de ladyAnnenepouvait avec bienséance voyagerd’une autrefaçon.Mrs.Collins,ilfaudra

envoyerJohnaveccesdemoiselles.Jesuisheureusequecetteidéemesoitvenueàl’esprit.Vousvousferiezmaljugersivousleslaissiezpartirseules.

—Mononcledoitnousenvoyersondomestique.

—Votreoncle!Ah!votreoncleaundomestique?Jesuisheureusequequelqu’undesvôtresait pensé à ce détail. Où changez-vous de chevaux ? à Bromley, naturellement.Recommandez-vousdemoiàl’hôtelde«laCloche»etl’onserapourvouspleinsd’égards.

LadyCatherineposaencorenombredequestionsauxdeuxjeunesfillessurleurvoyageet,commeellenefaisaitpastouteslesréponseselle-même,Elizabethdutresterattentiveàlaconversation,cequiétaitfortheureuxcaravecunespritaussiabsorbéquelesien,elleauraitrisquéd’oublieroùellesetrouvait.Mieuxvalaitréserversesréflexionspourlesmomentsoùelles’appartiendrait.

Elle s’y replongeait dès qu’elle se retrouvait seule et faisait chaque jour une promenadesolitaire au cours de laquelle elle pouvait se livrer en paix aux délices de remuer dessouvenirsdésagréables.ElleconnaissaitmaintenantpresqueparcœurlalettredeMr.Darcy;elle en avait étudié chaque phrase, et les sentiments qu’elle éprouvait pour son auteurvariaientd’unmomentàl’autre.Lesouvenirdesadéclarationéveillaitencorechezelleunevive indignation, mais quand elle considérait avec quelle injustice elle l’avait jugé etcondamné, sa colère se retournait contre elle-même, et ladéceptiondeDarcy lui inspiraitquelquecompassion.Toutefois,ilcontinuaitànepointluiplaire;elleneserepentaitpasdel’avoirrefuséetn’éprouvaitaucundésirdelerevoir.

Elletrouvaitunesourceconstantededéplaisirdanslesouvenirdesapropreconduiteetlesfâcheuxtraversdesafamilleétaientunsujetderéflexionpluspénibleencore.Dececôté,iln’yavaitmalheureusement rienàespérer.Sonpères’était toujourscontentéde railler sesplusjeunesfillessansprendrelapeine

d’essayerde réprimer leur folle étourderie ; et samère–dont lesmanières étaient si loind’êtreparfaites–ne trouvait rien à redire à cellesde sesbenjamines.Elizabeth, ainsi queJane, s’était bien efforcée de modérer l’exubérance de Catherine et de Lydia, mais, aussilongtempsquecelles-cisesentaientsoutenuesparl’indulgencedeleurmère,àquoipouvait-onaboutir?D’uncaractèrefaible,irritable,etsubissantcomplètementl’influencedeLydia,Catherine avait toujours pris de travers les conseils de ses aînées ; Lydia insouciante,volontaireetentêtée,nesedonnaitmêmepas lapeinede lesécouter.Toutesdeuxétaientparesseuses, ignorantes et coquettes. Tant qu’il resterait un officier à Meryton, ellesréussiraient à flirter avec lui et tant que Meryton serait à proximité de Longbourn, ellescontinueraientàypassertoutleurtemps.

Mais c’était à sa sœur aînée que pensait le plus Elizabeth. En disculpant Bingley, lesexplications de Darcy avaient fait mieux sentir tout ce que Jane avait perdu.Maintenantqu’elleavait lapreuvede lasincéritédesonamouretde la loyautédesaconduite,quelletristessepourElizabethdepenserquelemanquedebonsensetdecorrectiondessiensavaitprivéJaned’unpartiquiprésentaitdetellesgarantiesdebonheur!

Toutescesréflexionsauxquellesvenaits’ajouterledésappointementcauséparlarévélationduvéritablecaractèredeMr.Wickhamnelaissaientpasd’assombrirsonespritordinairementsienjoué,etilluifallaitfaireeffortpourconserverenpublicsonairdegaieté.

Les invitations de ladyCatherine furent pendant la dernière semaine de leur séjour aussifréquentesqu’audébut.C’estauchâteauquesepassaladernièresoirée.SaGrâces’enquitminutieusement des moindres détails du voyage, donna des conseils sur la meilleureméthodepourfairelesbagagesetinsistatellementsurla

manièredontondevaitplierlesrobesqueMaria,auretour,secrutobligéededéfairesamalleet de la recommencer de fond en comble.Quand on prit congé, ladyCatherine, pleine debienveillance,souhaitabonvoyageauxjeunesfillesetlesinvitaàrevenirl’annéesuivanteàHunsford,pendantquemissdeBourghcondescendaitàfaireunerévérenceetàleurtendrelamainàtoutesdeux.

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Chapitre 38

ESAMEDIMATIN,ELIZABETH et Mr. Collins arrivèrent à la salle à manger quelquesminutes avant les autres. Mr. Collins en profita pour faire à sa cousine lescomplimentsd’adieuqu’iljugeaitindispensables.

—Jenesais,missElizabeth,siMrs.Collinsvousadéjàditcombienvotrevisitel’avaittouchée,maisjesuiscertainquevousnequitterezpascettemaisonsans

recevoirsesremerciements.Noussavonsquenotrehumbledemeuren’ariendetrèsattirant.Noshabitudessimples,notredomesticitérestreinte,laviecalmequenousmenons,fontdeHunsford une résidence un peumorne pour une jeune fille. Aussi, croyez bien que nousavonssuapprécier la faveurdevotreprésenceetquenousavons fait toutcequiétaitennotrepouvoirpourqueletempsnevoussemblepastroplong.

Elizabeth s’empressa d’exprimer sa gratitude et d’assurer qu’elle était enchantée de sonséjouràHunsford.LeplaisirdeseretrouveravecCharlotte,lesaimablesattentionsdontelleavaitétél’objetavaientrenducessixsemainesfortagréablespourelle.

Mr.Collins,satisfait,repritavecunesolennitéplussouriante:

—Jesuisheureuxquevousnevoussoyezpasennuyée.Nousavonscertainementfaitdenotremieux,

et commenousavions labonne fortunedevousprésenterdans la société laplus choisie,j’osedirequevotreséjouràHunsfordn’apasétéentièrementdénuéd’intérêt.Nosrapportsavec la famille de lady Catherine sont véritablement un avantage dont peu de personnespeuventseprévaloir.Àdirevrai,simodestequesoitcettedemeure,jedoisreconnaîtrequetousceuxquiyséjournentnesontpasàplaindre,aussilongtempsqu’ilspartagentl’intimitédenosrelationsavecRosings.

Ici,lesmotsmanquèrentàMr.Collinspourexprimerlachaleurdesessentiments,etildutfaireletourdelasalleàmangerpendantqu’Elizabethessayaitenquelquesphrasesbrèvesdeconcilierlafranchiseaveclapolitesse.

—Vouspourrezensommefaireautourdevousunrapportfavorabledecequevousavezvuici,machèrecousine.Vousavezété le témoin journalierdesattentionsde ladyCatherinepourMrs.Collins.Ilnesemblepas,jepense,quevotreamieaitàregretter...maisautantvautsurcepointgarderlesilence.Laissez-moiseulement,machèrecousine,voussouhaiterdufondducœurautantde félicitédans lemariage.MachèreCharlotteetmoin’avonsqu’un

mêmeesprit,qu’unemêmepensée:ilyaentrenousunesimilitudedecaractèreetdegoûtsvraimentextraordinaire.Ilsemblequenousayonsétécréésl’unpourl’autre.

Elizabethputaffirmeravecsincéritéquec’étaitlàcertesuneprécieusegarantiedebonheur,etajouteravecuneégalesincéritéqu’elleseréjouissaitdesagrémentsdesaviedomestique;maisellenefutpasfâchéedevoirinterrompreletableaudecettefélicitéparl’entréedecellequienétait l’auteur.PauvreCharlotte !C’était vraiment tristede l’abandonner àune tellesociété.Cependant,elleavaitfaitsonchoixenconnaissancedecause,et,toutenregrettantledépart de ses visiteuses, elle ne semblait pas réclamer qu’on la plaignît. Sa maison, sonménage,saparoisse,sa

basse-cour et tous les intérêts qui en dépendaient n’avaient point encore perdu leurscharmesàsesyeux.

Enfin,lachaisedepostearriva.Onhissalesmalles,oncasalespaquets,etl’onvintannoncerque tout était prêt pour le départ ; des adieux affectueux furent échangés avec Charlotte,après quoi Mr. Collins accompagna Elizabeth jusqu’à la voiture, en la chargeant de sesrespectspourtouslessiens,àquoiilajoutadesremerciementspourlabontéqu’onluiavaittémoignéeàLongbournl’hiverprécédentetdescomplimentspourMr.etMrs.Gardinerqu’iln’avaitjamaisvus.IlavaitprêtésonaideàElizabeth,puisàMariapourmonterenvoitureetlaportièreallaitserefermerlorsqu’illeurrappelasoudaind’unairconsternéqu’ellesavaientoubliédelaisserunmessagepourleschâtelainesdeRosings.

—Mais,bienentendu,ajouta-t-il,voussouhaitezquejeleurprésentevoshumblesrespectsavec l’expression de votre gratitude pour la bienveillance qu’elles vous ont témoignéependantvotreséjourici.

Elizabethnefitaucuneobjection;onputenfinfermerlaportièreetlavoitures’ébranla.

—Seigneur!s’écriaMariaaprèsquelquesminutesdesilence,ilsemblequenousnesoyonsarrivéesqued’hier!Pourtant,quedechosessesontpasséesdepuis...

—Oui,quedechoses!ditsacompagneavecunsoupir.

—NousavonsdînéneuffoisàRosings,sanscompterlesdeuxfoisoùnoussommesallésyprendrelethé.Quen’aurai-jepasàraconteràlamaison!

«Etmoi,quen’aurai-jepasàtaire!»songeaElizabeth.

Le voyage s’effectua sans encombre, et quatre heures après avoir quitté Hunsford, ellesdébarquèrentchezlesGardineroùellesdevaientresterquelquesjours.

Janesemblaitêtreenbonnesanté;quantàsonétatd’esprit,Elizabethn’eutguèreletempsdes’enrendre

compte au milieu des distractions de tout genre que l’amabilité de leur tante leur avaitménagées. Mais puisque Jane devait retourner avec elle à Longbourn, elle pourrait l’yobserveràloisir.

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Chapitre 39

EFUTDANSLA seconde semaine de mai que les trois jeunes filles partirent deGracechurchstreetàdestinationdelavillede***,enHertfordshire.Commeellesapprochaientdel’auberge,oùlavoituredeMr.Bennetdevaitlesattendre,elleseurentlapreuvedel’exactitudeducocherenvoyantparaîtreKittyetLydiaàlafenêtre d’une salle à manger du premier étage. Ces demoiselles, qui étaientarrivéesdepuisuneheure,avaientagréablementemployéleurtempsàvisiterle

magasind’unemodiste,àcontemplerlasentinelleduposted’enfaceetàpréparerunesaladedeconcombres.

Après lespremièreseffusions,ellesdésignèrentunetablegarniedeviandefroidetellequepeutenfournirungarde-mangerd’auberge.

— Qu’en dites-vous ? s’exclamèrent-elles d’un air triomphant. N’est-ce pas une bonnesurprise?

—Etc’estnousquivousoffronscelunch,ajoutaLydia.Seulement,vousnousprêterezdequoilepayercarnousavonsvidénotreboursedanslemagasind’enface.–Etmontrantsesachats:–Tenez,j’aiachetécechapeau.Iln’ariendetrèsremarquable,maisjeledémoliraienrentrantpourvoirsijepuisentirerquelquechose.

Sessœursl’ayantdéclaréaffreux,Lydiapoursuivitsanssetroubler:

—Oh!lesautresétaientencorebienpluslaids,danscetteboutique.Quandj’auraiachetédusatind’uneplusjolienuancepourleregarnir,jecroisqu’il

neferapasmal.Dureste,qu’importecequenousmettronscetété,unefoisquelerégimentseraparti?carils’envadansunequinzaine.

—Vraiment,ils’enva?s’écriaElizabethavecsatisfaction.

—Oui,ilquitteMerytonpourallercamperprèsdeBrighton.Oh!jevoudraistantquepapanousemmènetouteslà-baspourypasserl’été !Ceseraitdélicieux,etnecoûteraitpastrèscher.Maman, aussi,nedemandequ’àyaller avecnous.Autrement, imaginezcequenousallonsnousennuyertoutl’étéàLongbourn!

—Eneffet,pensaElizabeth,voilàbiencequ’ilnousfaut.Bontédivine!Brightonettoutuncamp de militaires alors qu’un malheureux régiment de la milice et quelques soirées àMerytonontsuffipournoustournerlatête!

—Maintenant,j’aiunenouvelleàvousannoncer,ditLydia,commeellessemettaientàtable.Devinezunpeu!Unenouvelleexcellente,sensationnelle,etconcernantquelqu’unquenousaimonstoutes.

Jane et Elizabeth se regardèrent et l’une d’elles avertit le domestique qu’on n’avait plusbesoindesesservices.Lydiasemitàrire.

—Jereconnaisbienlàvotrediscrétionetvotreamourdesconvenances.Commesileserveursesouciaitdecequenousracontons!Ilenentendbiend’autres!Maispeuimporte;ilestsilaid, jesuiscontentequ’ilsoitparti,etmaintenantvoicimanouvelle ;c’estausujetdececherWickham;iln’yaplusàcraindrequ’ilépouseMaryKing :elleestpartiehabiterchezsononcleàLiverpool,partiepourdebon;Wickhamestsauvé!

—MaryKingaussi,ajoutaElizabeth,elleéviteunmariageimprudentquantàlafortune.

—Elleestbiensotted’êtrepartie,siellel’aimait.

—Maisj’espère,ditJane,quelecœurn’étaitsérieusementprisnid’uncôténidel’autre.

—PasducôtédeWickham,entoutcas,jem’enportegarante.Quipourraitaimerunlaideronpareil,avectoutessestachesderousseur?

Elizabeth fut confuse de penser que, la vulgarité d’expression mise à part, ce jugementdifféraitpeudeceluiqu’elleavaitportéelle-mêmeenlequalifiantdedésintéressé.

Lelunchterminé,lanoterégléeparlesaînées,ondemandalavoitureet,grâceàd’ingénieuxarrangements, les cinq jeunes filles parvinrent à s’y caser avec leursmalles, leurs valises,leurspaquets,etlesupplémentpeudésiréqueformaientlesemplettesdeLydia.

—Eh bien, nous voilà gentiment entassées ! s’exclama celle-ci. Je ne regrette pas d’avoiracheté cette capote, quand ce ne serait que pour le plaisir d’avoir un carton de plus. Etmaintenant que nous sommes confortablement installées, nous pouvons causer et rirejusqu’àlamaison.Racontez-nouspourcommencercequevousavezfaitdepuisvotredépart.Avez-vous rencontré de beaux jeunes gens ? Avez-vous beaucoup flirté ? J’avais un peul’espoirquel’unedevousramèneraitunmari.Maparole,Janeserabientôtunevieillefille,ellequiapresquevingt-troisans!Dieuduciel!quejeseraismortifiéesijen’étaispasmariéeàcetâge-là!Vousn’avezpasidéedudésirqu’amatantePhilipsdevousvoirmariéestouteslesdeux.ElletrouvequeLizzyauraitmieuxfaitd’accepterMr.Collins;maisjenevoispas,pour ma part, ce que cela aurait eu de particulièrement divertissant. Mon Dieu ! que jevoudraisdoncmemarieravantvoustoutes!Jepourraisensuitevouschaperonnerdanslesbals.Oh !dites,cequenousnoussommesamusées l’autre jourchez lecolonelForsteroùnous étions allées, Kitty et moi, passer la journée. . . Mrs. Forster avait promis que l’ondanseraitlesoir(àpropos,noussommesaumieux,Mrs.Forsteretmoi).ElleavaitinvitéaussilesdeuxHarrington,mais

Harriet étaitmaladeetPenadûvenir seule.Alors,devinezcequenousavons fait ?Pouravoir une danseuse de plus, nous avons habillé Chamberlayne en femme. Vous pensez sic’étaitdrôle!Personnen’étaitaucourant,sauflesForster,Kittyetmoi,etaussimatante,àquinousavionsdûemprunterunerobe.VousnepouvezvousfigurercommeChamberlayne

étaitréussi!QuandDenny,Wickham,Prattetdeuxoutroisautressontentrés,ilsnel’ontpasreconnu.Dieu!cequej’airi,etMrs.Forsteraussi!J’aicruquej’enmourrais!C’estcequiadonnél’éveilauxautresetilsonteuvitefaitd’éventerlaplaisanterie.

Avecdeshistoiresdecegenre,Lydia,secondéeàl’occasionparKitty,s’efforçatoutlelongdelaroutededistrairesescompagnes.Elizabethécoutaitlemoinspossible,maisforceluiétaitd’entendrelenomdeWickhamquirevenaitfréquemment.

Laréceptionqu’onleurfitàLongbournfuttrèschaude.Mrs.BennetseréjouissaitdevoirqueJanen’avaitrienperdudesabeauté,et,pendantlerepas,Mr.BennetreditplusieursfoisàElizabeth:

—Jesuisheureuxdevousvoirderetour,Lizzy.

La salle àmanger était pleine, presque tous les Lucas étant venus chercherMaria, et lessujetsdeconversationétaientnombreuxetvariés.LadyLucasdemandaitàsafilleàtraversla table des nouvelles de l’installation deCharlotte et de son poulailler.Mrs. Bennet étaitoccupéed’uncôtéàsefairedonnerparJanedesrenseignementssurlamodeactuelleetdel’autre à les transmettre aux plus jeunes misses Lucas, et Lydia, d’une voix sonore quicouvraittouteslesautres,énuméraitàquivoulaitl’entendrelesdistractionsdeleurmatinée.

—Oh !Mary,vousauriezdûveniravecnous.Nousavonstantri !Audépart,nousavionsbaissélesstorespourfairecroirequelavoitureétaitvideetnouslesaurionsgardésainsijusqu’auboutsiKittyn’avaitpaseumalaucœur.Au«George»,nousavonsvraiment

bienfaitleschoses,carnousavonsoffertauxvoyageusesundélicieuxlunchfroid.Vousenauriezprofité.Enrepartant,nousavonscruquenousnepourrionsjamaisnouscaserdanslavoiture;c’étaitdrôlecommetout!J’aifaillienmourirderire;et,toutleretour,nousavonsétéd’unegaieté!...Nousfaisionstantdebruitqu’ondevaitnousentendreàtroislieuesàlaronde!

—Jenevoudraispas,machèresœur,répliquagravementMary,décrierdetelsplaisirs.Ilsconviennent,jelesais,àlagénéralitédesfemmes;maisilsn’ontpourmoiaucuneespècedecharmeetuneheuredelecturemesembleinfinimentpréférable.

MaisLydian’entenditpasunmotdecetteréponse.Elleécoutaitrarementplusd’unedemi-minuteetneprêtaitjamaislamoindreattentionàcequedisaitMary.

L’après-midi,ellepressavivementsessœursainsiquelesautresjeunesfillesdevenirfaireun tour à Meryton, mais Elizabeth s’y opposa avec fermeté. Il ne serait pas dit que lesdemoiselles Bennet ne pouvaient passer une demi-journée chez elles sans partir à lapoursuitedesofficiers.Pourrefuser,elleavaitencoreunautremotif:c’étaitd’éviterlepluslongtempspossiblelerisqued’unerencontreavecWickham.Leprochaindépartdurégimentluicausaitunsoulagementinexprimable.Dansunequinzaine,ilseraitloin,etellepourraitl’oubliercomplètement.

Ellen’étaitpasdepuislongtempsàLongbournquandelles’aperçutqueleprojetdeséjouràBrighton,auquelLydiaavaitfaitallusion,étaitunsujetdefréquentesdiscussionsentresesparents.EllevittoutdesuitequeMr.Bennetn’avaitpaslamoindreintentiondecéderauxinstancesdesafemme;maisenmêmetemps,lesréponsesqu’illuifaisaitétaientsivagueset

siéquivoquesqueMrs.Bennet,bienquesouventdécouragée,neperdaitpasl’espoird’arriveràsesfins.

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Chapitre 40

LIZABETHNEPOUVAITCONTENIR plus longtemps l’impatience qu’elle éprouvait demettre Jane au courant de ce qui s’était passé à Hunsford, en supprimantnaturellementtouslesdétailsquiserapportaientàsasœur.Elleluiannonçadonclelendemainqu’elleallaitluicauserunegrandesurpriseetcommençalerécitdelascènequiavaiteulieuentreelleetMr.Darcy.

L’affectionfraternelledeJaneluifaisaittrouvertoutnaturelqu’onéprouvâtdel’admirationpourElizabeth,aussisasurprisefut-ellemodéréeetfitbientôtplaceàd’autressentiments.ElleétaitfâchéequeMr.Darcyeûtplaidésacauseentermessipeufaitspourleservir,maiselleétaitencoreplusdésoléedelapeinequelerefusdesasœurluiavaitcausé.

—Iln’auraitcertainementpasdûsemontrersi sûrderéussir,maissongezcombiencetteconfianceaaugmentésadéception.

—Jeleregretteinfiniment,ditElizabeth ;mais ilad’autressentimentsqui l’aideront, j’ensuissûre,àseconsolervite.Vousnemedésapprouvezpasdel’avoirrefusé?

—Vousdésapprouver?ohnon!

—Maisvousmeblâmezd’avoirprislepartideWickhamavecautantdechaleur?

—Nonplus.Jenevoispasquevousayezeutortdedirecequevousm’avezrépété.

—Vousnepenserezplusdemêmelorsquevoussaurezlasuite.

Elizabethalorsparladelalettreetdittoutcequ’ellecontenaitconcernantWickham.Quelcouppour lapauvreJanequiauraitparcourulemondeentiersanss’imaginerqu’ilexistâtdanstoutel’humanitéautantdenoirceurqu’elleendécouvraitencemomentdansunseulhomme!

MêmelajustificationdeDarcy,quiluicausaitunevraiejoie,neputsuffireàlaconsolerdecettetristedécouverte.Etelles’opiniâtraitàcroirequetoutcecin’étaitqu’uneerreur,etàvouloirinnocenterl’unsansaccuserl’autre.

—C’estinutile!ditElizabeth ;vousneparviendrezjamaisàlestransformerensaintstouslesdeux ! Il faut choisir. Leurs vertus et leursmérites ne sont pas assez abondants pourpouvoirenfairedeuxpartsconvenables.Quantàmoi,jesuisdisposéeàdonnerlapalmeàMr.Darcy:maislibreàvousdenepasm’imiter!

IlfallutencoreunpeudetempspourquelesourirereparûtsurleslèvresdeJane.

—Jamaisjen’aiétéaussibouleversée,dit-elle.Wickhampervertiàcepoint!C’estàn’ypascroire ! Et ce pauvre Mr. Darcy ! Pensez à ce qu’il a dû souffrir : en même temps qu’iléprouvaitunesigrandedéception,apprendrelamauvaiseopinionquevousaviezdelui,etsevoirobligédevousraconterl’aventuredesasœur!C’estvraimenttroppénible.Jesuissûrequevouslesentezcommemoi.

—Ohnon!mesregretsetmacompassions’évanouissentquandjevoisl’ardeurdesvôtres.La sympathie que vous prodiguez à Mr. Darcy me dispense de le plaindre et, si vouscontinuezàvousapitoyersurlui,jemesentirailecœuraussilégerqu’uneplume.

—PauvreWickham!Ilyadanssapersonneuntelairdedroiture,etdanssesmanières,tantdefranchiseetdedistinction!

—Ilestcertainque,decesdeuxhommes,l’unpossèdelesqualitésetl’autreenal’apparence.

—Jen’aijamaistrouvéqueMr.Darcyn’eneûtpasaussil’apparence.

—Ilyaunpointsurlequeljevoudraisvotreavis.Faut-ilouvrirlesyeuxdenosamissurlavéritablepersonnalitédeWickham?

Aprèsavoirréfléchiuninstant:

—Jenevoispas,réponditJane,lanécessitédelelivrerainsiauméprisgénéral.Vous-même,qu’enpensez-vous?

—Jecroisqu’ilvautmieuxsetaire.Mr.Darcynem’apasautoriséeàpubliersesconfidences.D’ailleurs, tout ce qui a trait à sa sœur doit être gardé secret. Si j’entreprends d’éclairerl’opinionsurlesautrespoints,onnemecroirapas.LespréventionscontreMr.Darcysonttellesquesi j’essayaisde le fairevoirsousunmeilleur jour, lamoitiédesbonnesgensdeMerytonenferaientunemaladie.Cetteidéemeparalyse...Dureste,Wickhamvas’enaller.Unefoisparti,peuimportequel’onsacheounoncequ’ilestenréalité.

—Vousaveztoutàfaitraison:enpubliantsesfautes,onpourraitleperdresansretour.Peut-êtreserepent-ilmaintenantdesaconduiteets’efforce-t-ildes’amender.Ilnefautpasl’endécourager.

Cetteconversationcalma l’agitationd’Elizabeth.Déchargéeenfindedeuxdessecretsdontelleavaitportélepoidsdurantcettequinzaine,elleavaitleréconfortdesentirmaintenantprèsd’elleunesœurtoujoursprêteàaccueillirsesconfidences.Toutefois,ilyavaitencoreunechosequelaprudenceluiinterdisaitdedécouvrir:ellen’osaitfaireconnaîtreàJanelerestedelalettredeMr.Darcy,niluirévélerlasincéritédusentimentqueMr.Bingleyavaiteupourelle.

Maintenant qu’elle était au calme, Elizabeth pouvait se rendre compte du véritable étatd’esprit de sa sœur. Jane, elle s’en aperçut vite, n’était pas consolée. Elle conservait pourBingleyunetendreaffectionetcommesoncœurauparavantn’avaitjamaisététouché,cetteinclinationavaitlaforced’unpremieramourauquelsonâgeetsoncaractèredonnaientuneconstancequ’onnevoitpasd’ordinairedanslesattachementsdepremièrejeunesse;ettelleétaitla

ferveurdesessouvenirsetdesafidélitéàl’objetdesonchoix,qu’illuifallaittoutesaraisonetunvif désirdene chagrinerpersonnepournepas s’abandonner àdes regrets capablesd’altérersasantéetdetroublerlatranquillitédessiens.

—Ehbien,Lizzy,ditunjourMrs.Bennet,quepensez-vousdecettemalheureusehistoiredeJane?Quantàmoi,jesuisbiendécidéeàn’enplusparleràpersonne;jeledisaisencoreàvotretantePhilipsl’autrejour.Àcequej’aicompris,Janen’apasvuMr.BingleyàLondres.Ce jeune homme est vraiment un triste personnage et je crois qu’il n’y a plus de ce côtéaucunespoirpourvotresœur.Iln’estpasquestiondesonretouràNetherfield,cetété,m’ontditlesgensqualifiéspourlesavoiràquijel’aidemandé.

—Jenecroispasqu’ilreviennejamais.

—Oh!qu’ilfassecequ’ilvoudra.Personneneluidemandederevenir.Maisjen’enaffirmepasmoinsqu’ils’estfortmalconduitenversmafilleetqu’àlaplacedeJane,jenel’auraispassupporté.Lorsqu’elleseramortedechagrin,jesuissûrequ’ilregretteracequ’ilafait.

MaisElizabeth,àquicetteperspectivenedonnaitaucunréconfort,gardalesilence.

—Alors,Lizzy, repritbientôt samère, lesCollinsmènentuneexistenceconfortable.C’estbien, c’est trèsbien ; j’espère seulementque celadurera. . . Et commentmange-t-on chezeux?JesuissûrequeCharlotteestuneexcellenteménagère ; si elleest seulementmoitiéaussiserréequesamère,elleferad’assezsérieuseséconomies.Iln’yariend’extravagant,jeprésume,dansleurmanièredevivre.

—Non,riendutout.

—Ondoitregarderdeprèsàladépense,croyez-moi.Certes,envoilàquiaurontsoindenepasdépasserleurrevenu!Ilsneconnaîtrontjamaislesembarrasd’argent.Tantmieuxpoureux!Jepensequ’ilsparlentsouventdujouroù,votrepèredisparu,ils

seront maîtres de cette propriété. Ils considèrent sans doute Longbourn comme leurappartenantdéjà.

—Cesujet,mamère,nepouvaitêtreabordédevantmoi.

—Non,c’eûtétéplutôtétrangedeleurpart;maisjenedoutepasqu’ilsn’encausentsouvententreeux.Tantmieux,sileurconscienceleurpermetdeprendreundomainequinedevraitpas leur revenir. Pourmapart, j’auraishonted’unhéritagequim’arriverait dansde tellesconditions!

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Chapitre 41

ASEMAINEDURETOURfutviteécoulée.CellequisuivitdevaitêtreladernièrequelerégimentpassaitàMeryton.Toutela jeunesseféminineduvoisinagedonnait lessignes d’un profond abattement. La tristesse semblait universelle. Seules, lesaînéesdesdemoisellesBennetétaientencoreenétatdemanger,dormir,etvaquerà leurs occupations ordinaires. Cette insensibilité leur était du reste souventreprochée par Kitty et Lydia dont la détresse était infinie et qui ne pouvaient

comprendreunetelleduretédecœurchezdesmembresdeleurfamille.

—MonDieu,qu’allons-nousfaire?qu’allons-nousdevenir? s’exclamaient-elles sans cessedansl’amertumedeleurdésespoir.Commentavez-vouslecœurdesourireainsi,Lizzy?

Leurmère compatissait à leur chagrin, en se rappelant cequ’elle avait souffert elle-mêmevingt-cinqansauparavant,dansdesemblablescirconstances.

—Moiaussi,j’aipleurédeuxjoursentiers,lorsquelerégimentducolonelMillarestparti.Jecroyaisbienquemoncœurallaitsebriser.

—Lemienn’yrésisterapas,j’ensuissûre,déclaraLydia.

—SiseulementonpouvaitalleràBrighton!fitMrs.Bennet.

—Oui,sionlepouvait!maispapanefaitrienpournousêtreagréable.

—Quelquesbainsdemermerendraientlasantépourlongtemps.

—Etma tantePhilipsestconvaincuequecelame feraitaussi leplusgrandbien,ajoutaitKitty.

Telles étaient les lamentationsquinecessaientde résonneràLongbourn.Elizabethauraitvouluenrire,maiscetteidéecédabientôtàunsentimentdehonte.EllesentitdenouveaulajustessedesappréciationsdeDarcyetcompritcommeellene l’avaitpoint faitencoresoninterventiondanslesprojetsdesonami.

Mais toutes les sombres idées de Lydia s’envolèrent comme par enchantement lorsqu’ellereçut deMrs. Forster, la femmedu colonel du régiment, une invitation à l’accompagner àBrighton.Cetteamieincomparableétaitunefemmetoutejeuneettoutrécemmentmariée;labonnehumeur et l’entrainqui les caractérisaient toutesdeux l’avaient vite rapprochéedeLydia.Leursrelationsnedataientquedetroismoiset,depuisdeuxmoisdéjà,ellesétaientsurunpieddegrandeintimité.

LestransportsdeLydia,àcettenouvelle,lajoiedesamère,lajalousiedeKittynepeuventsedécrire.Lydia,ravie,parcouraitlamaisonenréclamantbruyammentlesfélicitationsdetoutlemonde,tandisqu’ausalon,Kittyexhalaitsondépitentermesaussiaigresqu’excessifs.

—JenevoispaspourquoiMrs.Forsternem’apasinvitéeaussibienqueLydia.J’aiautantdedroitsqu’elleàêtreinvitée,plusmême,puisquejesuissonaînéededeuxans.

EnvainElizabethessayait-elledelaraisonner,etJanedeluiprêcherlarésignation.

Elizabeth était si loin de partager la satisfaction de Mrs. Bennet qu’elle considérait cetteinvitation

commeleplussûrmoyendefaireperdreàLydiatoutcequiluirestaitdebonsens ;aussi,malgrésarépugnancepourcettedémarche,elleneputs’empêcherd’allertrouversonpèrepourluidemanderdenepointlalaisserpartir.Elleluireprésentalemanquedetenuedesasœur,lepeudeprofitqu’elletireraitdelasociétéd’unepersonnecommeMrs.Forster,etlesdangersqu’ellecourraitàBrightonoùlestentationsétaientcertainementplusnombreusesquedansleurpetitcercledeMeryton.

Mr.Bennet,aprèsl’avoirécoutéeattentivement,luirépondit:

—Lydianesecalmerapastantqu’elleneserapasexhibéedansunendroità lamode.Or,nousnepouvonsespérerqu’elletrouveraunemeilleureoccasiondelefaireavecaussipeudedépenseetd’inconvénientpourlerestedesafamille.

—SivoussaviezletortqueLydiapeutnouscauser,–ouplutôtnousacausédéjà,–parlalibertéetlahardiessedesesmanières,jesuissûrequevousenjugeriezautrement.

—LetortqueLydianousacausé!répétaMr.Bennet.Quoi?aurait-ellemisenfuiteundevossoupirants ? Pauvre petite Lizzy ! Mais remettez-vous ; les esprits assez délicats pours’affecterd’aussipeudechoseneméritentpasd’êtreregrettés.Allons,faites-moilalistedecespitoyablescandidatsquecetteécerveléedeLydiaaeffarouchés.

—Vousvousméprenez.Jen’aipointdetelsgriefsetc’estàunpointdevuegénéraletnonparticulierque jeparleencemoment.C’estnotreréputation,notrerespectabilitéquipeutêtreatteinteparlafollelégèreté,l’assuranceetleméprisdetoutecontraintequiformentlefondducaractèredeLydia.Excusez-moi,monpère,devousparleraveccettefranchise,maissivousneprenezpaslapeinederéprimervous-mêmesonexubéranceetdeluiapprendrequelavieestfaitedechosesplussérieusesquecellesqui

l’occupentencemoment,ilserabientôtimpossibledelacorrigeretLydiasetrouveraêtreàseizeanslaplusenragéecoquettequisepuisseimaginer;coquetteaussidanslesensleplusvulgaire du mot, sans autre attrait que sa jeunesse et un physique agréable, et que sonignoranceetsonmanquedejugementrendrontincapabledesepréserverduridiculequeluiattirerasafureuràsefaireadmirer.Kittycourtlesmêmesdangers,puisqu’ellesuitentoutl’exemple de Lydia. Vaniteuses, ignorantes, frivoles, pouvez-vous croire, mon cher père,qu’ellesneserontpascritiquéesetmépriséespartoutoùelles iront, etque, souvent, leurssœursnesetrouverontpascomprisesdanslemêmejugement?

Mr.Bennet,voyantlachaleuraveclaquelleparlaitsafilleluipritaffectueusementlamainetrépondit:

—Nevoustourmentezpas,machérie,partoutoùl’onvousverraainsiqueJane,vousserezappréciées et respectées. Nous n’aurons pas la paix à Longbourn si Lydia ne va pas àBrighton. Laissons-la y aller. Le colonel Forster est un homme sérieux qui ne la laisseracouriraucundanger, et lemanquede fortunedeLydia l’empêcheheureusementd’êtreunobjetdeconvoitise.ÀBrighton,d’ailleurs,elleperdradesonimportance,mêmeaupointdevueduflirt.Lesofficiersytrouverontdesfemmesplusdignesdeleurshommages.Espéronsplutôtqueceséjourlapersuaderadesoninsignifiance.

Elizabeth dut se contenter de cette réponse et elle quitta son père déçue et peinée.Cependant,iln’étaitpasdanssanaturedes’appesantirsurlescontrariétés.Elleavaitfaitsondevoir ;semettreenpeinemaintenantpourdesmauxqu’ellenepouvaitempêcher,oulesaugmenterparsoninquiétude,neserviraitàrien.

L’indignationdeLydiaetdesamèreeûtétésansbornessiellesavaientpuentendrecette

conversation.PourLydia,ceséjouràBrightonreprésentaittouteslespossibilitésdebonheurterrestre. Avec les yeux de l’imagination, elle voyait la ville aux rues encombrées demilitaires,ellevoyait lessplendeursducamp,avec les tentesalignéesdansune imposanteuniformité,toutrutilantd’uniformes,frémissantdejeunesseetdegaieté,ellesevoyaitenfinl’objetdeshommagesd’unnombreimpressionnantd’officiers.Qu’eût-ellepensé,sielleavaitsuque sa sœur tentait de l’arracher à d’aussimerveilleuses perspectives ? Elizabeth allaitrevoir Wickham pour la dernière fois. Comme elle l’avait rencontré à plusieurs reprisesdepuissonretour,cettepenséeneluicausaitplusd’agitation.Aucunrestedesonanciennesympathie ne venait non plus la troubler. Elle avait même découvert dans ces manièresaimablesquil’avaienttantcharméenaguère,uneaffectation,unemonotoniequ’ellejugeaitmaintenant fastidieuses. Le désir qu’il témoigna bientôt de lui renouveler lesmarques desympathie particulière qu’il lui avait données audébutde leurs relations, après ce qu’ellesavaitnepouvaitquel’irriter.Toutensedérobantauxmanifestationsd’unegalanteriefrivoleetvaine,lapenséequ’ilpûtlacroireflattéedesesnouvellesavancesetdisposéeàyrépondreluicausaituneprofondemortification.

Le jour qui précéda le départ du régiment, Wickham et d’autres officiers dînèrent àLongbourn. Elizabeth était si peu disposée à se séparer de lui en termes aimables qu’elleprofitad’unequestionqu’illuiposaitsursonvoyageàHunsfordpourmentionnerleséjourdetroissemainesqueMr.DarcyetlecolonelFitzwilliamavaientfaitàRosingsetdemandaàWickhams’ilconnaissaitcedernier.Unregardsurpris,ennuyé,inquietmême,accueillitcettequestion.Toutefois,aprèsuninstantderéflexionilrepritsonairsouriantpourdirequ’ilavaitvu lecolonelFitzwilliam jadisetaprèsavoirobservéquec’étaitungentleman,demandaàElizabeths’illuiavaitplu.Ellelui

réponditparl’affirmative.D’unairindifférentilajouta:

—Combiendetemps,dites-vous,qu’ilapasséàRosings?

—Troissemainesenviron.

—Etvousl’avezvusouvent?

—Presquejournellement.

—Ilressembleassezpeuàsoncousin.

—Eneffet,maisjetrouvequeMr.Darcygagneàêtreconnu.

—Vraiment?s’écriaWickhamavecunregardquin’échappapointàElizabeth;etpourrais-jevousdemander...–maisseressaisissant,ilajoutad’untonplusenjoué:–Est-cedanssesmanièresqu’ilagagné?A-t-ildaignéajouterunpeudecivilitéàsesfaçonsordinaires?Carjen’oseespérer,dit-ild’untonplusgrave,quelefondsdesanatureaitchangé.

— Oh ! non, répliqua Elizabeth ; sur ce point, je crois qu’il est exactement le mêmequ’autrefois.

Wickhamparutsedemandercequ’ilfallaitpenserdecelangageénigmatiqueetilprêtauneattentionanxieuseàElizabethpendantqu’ellecontinuait:

—Quandjedisqu’ilgagneàêtreconnu,jeneveuxpasdirequesesmanièresousatournured’esprit s’améliorent,maisqu’en le connaissantplus intimement,onest àmêmedemieuxl’apprécier.

La rougeur qui se répandit sur le visage de Wickham et l’inquiétude de son regarddénoncèrent le trouble de son esprit. Pendant quelquesminutes, il garda le silence, puis,dominant son embarras, il se tourna de nouveau vers Elizabeth et, de sa voix la pluspersuasive,luidit:

— Vous qui connaissezmes sentiments à l’égard deMr. Darcy, vous pouvez comprendrefacilementcequej’éprouve.Jemeréjouisdecequ’ilaitlasagessedeprendreneserait-ceque les apparences de la droiture. Son orgueil, dirigé dans ce sens, peut avoir d’heureuxeffets,sinonpourlui,dumoinspourlesautres,enledétournantd’agiravecladéloyautédont

j’aitantsouffertpourmapart.J’aipeurseulementqu’iln’adoptecettenouvelleattitudequelorsqu’il se trouve devant sa tante dont l’opinion et le jugement lui inspirent une crainterespectueuse.Cettecrainteatoujoursopérésurlui.Sansdoutefaut-ilenvoirlacausedansledésirqu’ilad’épousermissdeBourgh,carjesuiscertainquecedésirluitientfortaucœur.Elizabeth,àcesderniersmots,neputréprimerunsourire;maiselleréponditseulementparunlégersignedetête.PendantlerestedelasoiréeWickhammontralemêmeentrainqued’habitude,maissansplusrecherchersacompagnie,etlorsqu’ilsseséparèrentàlafin,cefutaveclamêmecivilitédepartetd’autre,etpeut-êtrebienaussilemêmedésirdenejamaisserevoir.

LydiaaccompagnaitlesForsteràMerytond’oùledépartdevaitavoirlieulelendemainmatinde fort bonne heure. La séparation fut plus tapageuse qu’émouvante. Kitty fut la seule àverserdeslarmes,maisdeslarmesd’envie.Mrs.Bennet,prolixeenvœuxdejoyeuxséjour,enjoignitavecforceàsafilledenepasperdreuneoccasiondes’amuser,–conseilqui,selontouteapparence,nemanqueraitpasd’êtresuivi ;et,danslestransportsdejoiedeLydia,seperdirentlesadieuxplusdiscretsdesessœurs.

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Chapitre 42

IELIZABETHN’AVAITEU sous les yeux que le spectacle de sa propre famille, ellen’auraitpuseformeruneidéetrèsavantageusedelafélicitéconjugale.Sonpère,séduit par la jeunesse, la beauté et les apparences d’une heureuse nature, avaitépouséunefemmedontl’espritétroitetlemanquedejugementavaienteuvitefaitd’éteindreenluitoutevéritableaffection.Aveclerespect,l’estimeetlaconfiance,toussesrêves

debonheurdomestiques’étaienttrouvésdétruits.

Mr. Bennet n’était pas homme à chercher un réconfort dans ces plaisirs auxquels tantd’autresontrecourspourseconsolerdedéceptionscauséesparleurimprudence.Ilaimaitlacampagne, les livres, et cesgoûts furent la sourcede sesprincipales jouissances.La seulechosedontilfûtredevableàsafemmeétaitl’amusementqueluiprocuraientsonignoranceetsasottise.Cen’estévidemmentpaslegenredebonheurqu’unhommesouhaitedevoiràsafemme,mais, à défaut du reste, un philosophe se contente des distractions qui sont à saportée.

Cequ’ilyavaitd’incorrectàcetégarddanslesmanièresdeMr.Bennetn’échappaitpointàElizabethetl’avaittoujourspeinée.Cependant,appréciantlesqualitésdesonpèreettouchéede l’affectueuse prédilection qu’il lui témoignait, elle essayait de fermer les yeux sur cequ’elle ne pouvait approuver et tâchait d’oublier ces atteintes continuelles au respectconjugal qui, en exposant une mère à la critique de ses propres enfants, étaient siprofondémentregrettables.Maisellen’avaitjamaiscompriscommeellelefaisaitmaintenantles désavantages réservés aux enfants nés d’une union si mal assortie, ni le bonheurqu’auraient pu ajouter à leur existence les qualités très réelles de leur père, s’il avaitseulementprislapeinedelescultiverdavantage.Horslajoiequ’elleeutdevoirs’éloignerWickham,Elizabethn’eutguèreàseféliciterdudépartdurégiment.Lesréunionsaudehorsavaientperdudeleuranimationtandisqu’àlamaisonlesgémissementsdesamèreetdesessœurssurlemanquededistractionsôtaienttoutagrémentaucerclefamilial.Sommetoute,illuifallaitreconnaître–aprèstantd’autres,–qu’unévénementauquelelleavaitaspiréavectantd’ardeurneluiapportaitpastoutelasatisfactionqu’elleenattendait.

Lydiaenpartantavaitfaitlapromessed’écriresouventetavecgrandsdétailsàsamèreetàKitty.

Maisseslettresétaienttoujourstrèscourtesetsefaisaientattendrelongtemps.Cellesqu’elle

adressaitàsamèrecontenaientpeudechose:ellerevenaitavecsonamiedelabibliothèqueoùelleavaitrencontrételoutelofficier;elleavaitvudestoilettesquil’avaienttransportéed’admiration ; elle-même avait acheté une robe et une ombrelle dont elle aurait vouluenvoyerladescriptionmaiselledevaitterminersalettreentoutehâteparcequ’elleentendaitMrs. Forster qui l’appelait pour se rendre avec elle au camp. Les lettres à Kitty, pluscopieuses,n’enapprenaientguèreplus,carellesétaienttroprempliesdepassagessoulignéspourpouvoirêtrecommuniquéesaurestedelafamille.

Auboutdedeuxou trois semainesaprès ledépartdeLydia, labonnehumeuret l’entrainreparurentàLongbourn.Toutreprenaitauxenvironsunaspectplusjoyeux;lesfamillesquiavaientpassél’hiveràlavillerevenaientet,avecelles,lesélégancesetlesdistractionsdelabellesaison.Mrs.Bennetretrouvaitsasérénitéagressive,etKitty,verslemilieudejuin,setrouvaassezremisepourpouvoirentrerdansMerytonsansverserdelarmes.

Letempsfixépourl’excursiondansleNordapprochaitquand,àpeineunequinzainedejoursauparavant,arrivaunelettredeMrs.Gardinerqui,toutensemble,enretardaitladateetenabrégeaitladurée:Mr.Gardinerétaitretenuparsesaffairesjusqu’enjuilletetdevaitêtrederetouràLondresàlafindumêmemois.Cecilaissaittroppeudetempspourallersiloinetvisitertoutcequ’ilsseproposaientdevoir.MieuxvalaitrenoncerauxLacsetsecontenterd’un programme plus modeste. Le nouveau plan de Mr. et Mrs. Gardiner était de ne pasdépasserleDerbyshire:ilyavaitassezàvoirdanscetterégionpouroccuperlaplusgrandepartie de leurs trois semaines de voyage et Mrs. Gardiner trouvait à ce projet un attraitparticulier:lapetitevilleoùelleavaitvécu

plusieursannéesetoùilspensaients’arrêterquelquesjours,l’attiraitautantquelesbeautésfameusesdeMatlock,ChatsworthetDovedale.

Elizabeth éprouva un vif désappointement : c’était son rêve de visiter la région des Lacs,mais,disposéeparnatureàs’accommoderdetouteslescirconstances,ellenefutpaslongueàseconsoler.

LeDerbyshireluirappelaitbiendeschoses.IlluiétaitimpossibledevoircenomsanspenseràPemberleyetàsonpropriétaire.«Toutdemême,pensa-t-elle,jepuisbienpénétrerdanslecomté qu’il habite, et y dérober quelques cristaux de spath sans qu’il m’aperçoive. » Lesquatre semaines d’attente finirent par s’écouler, et Mr. et Mrs. Gardiner arrivèrent àLongbournavecleursquatreenfants.Ceux-ci,–deuxpetitesfillesdesixethuitansetdeuxgarçons plus jeunes, – devaient être confiés aux soins de leur cousine Jane qui jouissaitauprèsd’euxd’ungrandprestigeetquesonbonsensetsadouceuradaptaientexactementàlatâchedeveillersureux,delesinstruire,delesdistraireetdelesgâter.

LesGardinernerestèrentqu’unenuitàLongbourn;dèslelendemainmatin,ilsrepartaientavecElizabethenquêted’impressionsetdedistractionsnouvelles.

Ilyavaitaumoinsunplaisirdontilssesentaientassurés:celuidevivreensembledansuneentente parfaite. Tous trois étaient également capables de supporter gaiement les ennuisinévitablesduvoyage,d’enaugmenterlesagrémentsparleurbellehumeur,etdesedistrairemutuellementencasdedésappointement.

Cen’estpointnotre intentiondedonner iciunedescriptionduDerbyshirenidesendroits

renommésquetraversaitlaroute:Oxford,Warwick,Kenilworth.LelieuquinousintéresseselimiteàunepetiteportionduDerbyshire.Aprèsavoirvulesprincipalesbeautésdelarégion,nosvoyageurssedirigèrentverslapetitevilledeLambton,anciennerésidencedeMrs.

Gardiner,oùelleavaitapprisqu’elleretrouveraitquelquesconnaissances.Àmoinsdecinqmilles avant Lambton, ditMrs.Gardiner à Elizabeth, se trouvait situé Pemberley, non pasdirectementsurleurroute,maisàunedistanced’unoudeuxmillesseulement.Enarrêtantleuritinéraire,laveilledeleurarrivée,Mrs.Gardinerexprimaledésirderevoirlechâteau,etsonmariayantdéclaréqu’ilnedemandaitpasmieux,elleditàElizabeth:

— N’aimeriez-vous pas, ma chérie, à faire la connaissance d’un endroit dont vous avezentenduparlersisouvent?C’estlàqueWickhamapassétoutesajeunesse.

Elizabeth était horriblement embarrassée. Sa place, elle le sentait bien, n’était pas àPemberley, etelle laissavoirqu’elleétaitpeu tentéeparcettevisite. «Envérité, elleétaitfatiguée de voir des châteaux. Après en avoir tant parcouru, elle n’éprouvait plus aucunplaisiràcontemplerdesrideauxdesatinetdestapissomptueux.

Mrs.Gardinersemoquad’elle.

—S’iln’étaitquestionquedevoirunemaisonrichementmeublée,dit-elle,jeneseraispastentéenonplus;maisleparcestmagnifique,etrenfermequelques-unsdesplusbeauxarbresdelacontrée.

Elizabeth ne dit plus rien, mais le projet ne pouvait lui convenir. L’éventualité d’unerencontreavecMr.Darcys’étaitprésentéeimmédiatementàsonesprit,etcetteseulepenséelafaisaitrougir.Mieuxvaudrait,pensa-t-elle,parlerouvertementàsatantequedecouriruntelrisque.Ceparti,cependant,présentaitluiaussidesinconvénients,etenfindecompteellerésolut de n’y avoir recours que si l’enquête qu’elle allait faire elle-même lui révélait laprésencedeDarcyàPemberley.

Le soir, en se retirant, elle demanda à la femme de chambre des renseignements surPemberley.N’était-cepasunendroitintéressant?Commentsenommaient

lespropriétaires?enfin,–cettequestionfutposéeavecunpeud’angoisse,–yrésidaient-ilsencemoment?Àsagrandesatisfaction,laréponseàsadernièredemandefutnégativeetlelendemain matin, lorsque le sujet fut remis en question, Elizabeth put répondre d’un airnatureletindifférentqueleprojetdesatanteneluicausaitaucundéplaisir.

Ilfutdoncdécidéqu’onpasseraitparPemberley.

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Chapitre 43

ANSLAVOITUREQUI l’emportait avec son oncle et sa tante, Elizabeth guettaitl’apparition des bois de Pemberley avec une certaine émotion, et lorsqu’ilsfranchirentlagrilleduparc,ellesesentitunpeutroublée.

Leparcétaittrèsvasteetd’aspectextrêmementvarié.Ilsyavaientpénétréparlapartie laplusbasse ; aprèsunemontéed’undemi-mille environà traversune

belleétendueboisée, ilssetrouvèrentausommetd’unecollined’oùleregardétaittoutdesuitefrappéparlavuedePemberleyHousesituédel’autrecôtédelavalléeverslaquellelaroutedescendaitenlacetsassezbrusques.Lechâteau,grandeetbelleconstructionenpierre,sedressaitavantageusementsurunepetiteéminencederrièrelaquelles’étendaitunechaînede hautes collines boisées. Devant le château coulait une rivière assez importante qued’habiles travaux avaient encore élargie, mais sans donner à ses rives une apparenceartificielle. Elizabeth était émerveillée ; jamais encore elle n’avait vu un domaine dont lepittoresquenatureleûtétéaussibienrespecté.

Lavoituredescenditlacolline,traversalepontetvints’arrêterdevantlaporte.Tandisqu’elleexaminaitdeprèsl’aspectdelamaison,lacraintede

rencontrersonpropriétairevintdenouveausaisirElizabeth.Sijamaislafemmedechambredel’hôtels’étaittrompée!Sononcleayantdemandésil’onpouvaitvisiterlechâteau,onlesfitentrerdanslehall,et,pendantqu’ilsattendaientl’arrivéedelafemmedecharge,Elizabethputàloisirs’étonnerdesevoirencetendroit.

La femme de charge était une personne âgée, d’allure respectable, moins importante etbeaucoupplusempresséequ’Elizabethnes’yattendait.Toustroislasuivirentdanslasalleàmanger.Aprèsavoir jetéuncoupd’œilàcettevastepiècedeproportionsharmonieusesetsomptueusementmeublée,Elizabethsedirigeaverslafenêtrepourjouirdelavue.Lacollineboiséequ’ilsvenaientdedescendreetqui,àdistance,paraissaitencoreplusabrupte,formaitun admirable vis-à-vis. Le parc, sous tous ses aspects, était charmant, et c’était avecravissementqu’ellecontemplaitlarivièrebordéedebouquetsd’arbresetlavalléesinueuseaussiloinquel’œilpouvaitensuivrelesdétours.Danschaquesalleoùl’onpassait,lepointde vue changeait, et de chaque fenêtre il y avait de nouvelles beautés à voir. Les piècesétaient de vastes proportions et le mobilier en rapport avec la fortune du propriétaire.Elizabethnotaavecunecertaineadmirationqu’iln’yavaitriendevoyantoud’inutilementsomptueuxcommeàRosings.

« Et dire que de cette demeure je pourrais être la châtelaine ! songeait-elle. Ces piècesseraientpourmoiundécorfamilier;aulieudelesvisitercommeuneétrangère,jepourraisyrecevoirmononcleetmatante...Maisnon,pensa-t-elleenseressaisissant,cecin’auraitpasétépossible !mononcle etma tante auraient étéperduspourmoi ; jamais jen’aurais étéautoriséeàlesrecevoirici!»

Cetteréflexionarrivaitàpointpourladélivrerdequelquechosequiressemblaitàunregret.

Illuitardaitdedemanderàlafemmedechargesi

son maître était réellement absent, mais elle ne pouvait se résoudre à le faire. Enfin, laquestion fut posée par son oncle, auquel Mrs. Reynolds répondit affirmativement, enajoutant:–Maisnousl’attendonsdemain,avecplusieursamis.

« Quelle chance, songea Elizabeth, que notre excursion n’ait point été retardée d’unejournée!»

Satantel’appelaitàcetinstantpourluimontrer,parmid’autresminiaturessuspenduesau-dessusd’unecheminée,leportraitdeWickham,et,commeelleluidemandaitensouriantcequ’elle en pensait, la femmede charge s’avança : ce portrait, leur dit-elle, était celui d’unjeunegentleman,filsd’unrégisseurdesondéfuntmaîtrequecelui-ciavaitfaitéleveràsesfrais. Il est maintenant dans l’armée, ajouta-t-elle, mais je crains qu’il n’ait pas fort bientourné.

Mrs.Gardinerregardasanièceavecunsourirequ’Elizabethneputluiretourner.

—Voicimaintenant le portrait demonmaître, ditMrs. Reynolds, en désignant une autreminiature ; ilestfortressemblant.Lesdeuxportraitsontétéfaitsàlamêmeépoque,ilyaenvironhuitans.

— J’ai entendu dire que votremaître était très bien de sa personne, ditMrs.Gardiner enexaminant laminiature.Voilàcertainementunebellephysionomie.Maisvous,Lizzy,vouspouveznousdiresiceportraitestressemblant.

— Cette jeune demoiselle connaîtrait-elle Mr. Darcy ? demanda la femme de charge enregardantElizabethavecunenuancederespectplusmarquée.

—Unpeu,réponditlajeunefilleenrougissant.

—N’est-cepas,mademoiselle,qu’ilesttrèsbelhomme?

—Certainement.

—Pourmapart,jen’enconnaispointd’aussibien.Danslagalerie,aupremier,vousverrezdeluiunportraitplusgrandetplusbeau.Cettechambreétaitlapiècefavoritedemondéfuntmaître.Iltenait

beaucoupàcesminiaturesetonlesalaisséesdisposéesexactementcommeellesl’étaientdesontemps.

ElizabethcompritalorspourquoilaminiaturedeWickhamsetrouvaitlàparmilesautres.

Mrs.ReynoldappelaleurattentionsurunportraitdemissDarcyàl’âgedehuitans.

—MissDarcyest-elleaussibienquesonfrère?demandaMrs.Gardiner.

—Oui,madame,c’estunefortbellejeunefille,etsibiendouée !Ellefaitdelamusiqueetchantetoutela journée.Danslapiècevoisine ilyaunnouvel instrumentquivientd’êtreapportépourelle,uncadeaudemonmaître.Ellearrivedemainaveclui.

Mr.Gardinertoujoursaimableetpleind’aisanceencourageaitcebavardageparsesquestionsetsesremarques.Soitfierté,soitattachement,Mrs.Reynoldsavaitévidemmentgrandplaisiràparlerdesesmaîtres.

—Mr.Darcyréside-t-ilsouventàPemberley?

—Pasautantquenouslesouhaiterions,monsieur;maisilestbienicilamoitiédel’annéeetmissDarcyypassetoujourslesmoisd’été.

«ExceptéquandellevaàRamsgate,»pensaElizabeth.

—Sivotremaîtresemariait,ilpasseraitsansdouteplusdetempsàPemberley.

—Probablement,monsieur.Maisquandcelaarrivera-t-il?Jeneconnaispasdedemoisellequisoitassezbienpourlui.

Mr.etMrs.Gardinersourirent.Elizabethneputs’empêcherdedire:

—Assurément,cequevousditesesttoutàsonhonneur.

—Jenedisquelavérité,etcequepeuventvousrépétertousceuxquileconnaissent,insistaMrs.Reynolds.

Elizabeth trouva qu’elle allait un peu loin, et sa surprise redoubla quand elle l’entenditajouter:

beaucoupàcesminiaturesetonlesalaisséesdisposéesexactementcommeellesl’étaientdesontemps.

ElizabethcompritalorspourquoilaminiaturedeWickhamsetrouvaitlàparmilesautres.

Mrs.ReynoldappelaleurattentionsurunportraitdemissDarcyàl’âgedehuitans.

—MissDarcyest-elleaussibienquesonfrère?demandaMrs.Gardiner.

—Oui,madame,c’estunefortbellejeunefille,etsibiendouée !Ellefaitdelamusiqueetchantetoutela journée.Danslapiècevoisine ilyaunnouvel instrumentquivientd’êtreapportépourelle,uncadeaudemonmaître.Ellearrivedemainaveclui.

Mr.Gardinertoujoursaimableetpleind’aisanceencourageaitcebavardageparsesquestionsetsesremarques.Soitfierté,soitattachement,Mrs.Reynoldsavaitévidemmentgrandplaisiràparlerdesesmaîtres.

—Mr.Darcyréside-t-ilsouventàPemberley?

—Pasautantquenouslesouhaiterions,monsieur;maisilestbienicilamoitiédel’annéeetmissDarcyypassetoujourslesmoisd’été.

«ExceptéquandellevaàRamsgate,»pensaElizabeth.

—Sivotremaîtresemariait,ilpasseraitsansdouteplusdetempsàPemberley.

—Probablement,monsieur.Maisquandcelaarrivera-t-il?Jeneconnaispasdedemoisellequisoitassezbienpourlui.

Mr.etMrs.Gardinersourirent.Elizabethneputs’empêcherdedire:

—Assurément,cequevousditesesttoutàsonhonneur.

—Jenedisquelavérité,etcequepeuventvousrépétertousceuxquileconnaissent,insistaMrs.Reynolds.

Elizabeth trouva qu’elle allait un peu loin, et sa surprise redoubla quand elle l’entenditajouter:

—Jen’aijamaiseudeluiuneparoledésagréableet,quandjesuisentréeauservicedesonpère,iln’avaitpasplusdequatreans.

Cettelouange,plusencorequelaprécédente,déroutaElizabeth:queDarcyeûtuncaractèredifficile,c’estdequoi,jusque-là,elleavaiteulafermeconviction.Ellesouhaitaitvivementenentendredavantage,etfuttrèsreconnaissanteàsononcledefairecetteréflexion:

—Ilyapeudegensdontonpuisseendireautant.Vousavezde lachanced’avoiruntelmaître!

—Oui,monsieur,jesaisbienquejepourraisfaireletourdumondesansenrencontrerunmeilleur.Maisiln’afaitquetenircequ’ilpromettaitdèssonenfance.C’étaitlecaractèreleplusaimableetlecœurleplusgénéreuxqu’onpûtimaginer.

—Sonpèreétaitunhommeexcellent,ditMrs.Gardiner.

—Oui,madame,c’estlavérité,etsonfilsluiressemble.Ilestaussibonpourlesmalheureux.

Elizabeth s’étonnait, doutait, et désirait toujours en entendre plus. Ce queMrs. Reynoldspouvaitraconterausujetdestableaux,desdimensionsdespiècesoudelavaleurdumobiliern’avaitpluspourelleaucunintérêt.Mr.Gardiner,extrêmementamuséparl’espèced’orgueilfamilialauquel ilattribuait l’élogedémesuréquelafemmedechargefaisaitdesonmaître,ramena bientôt la conversation sur le même sujet, et tout en montant le grand escalier,Mrs.ReynoldsénumérachaleureusementlesnombreusesqualitésdeMr.Darcy.

—C’est lemeilleurpropriétaireet lemeilleurmaîtrequ’onpuissevoir,nonpasundecesjeunesécervelésd’aujourd’huiquinesongentqu’às’amuser.Vousnetrouverezpasundesestenanciersoudesesdomestiquespourdiredeluiautrechosequedubien.Certainesgens,jelesais,letrouventfier;pourmoi,jenem’ensuisjamaisaperçue.C’est,j’imagine,parcequ’il

estplusréservéquelesautresjeunesgensdesonâge.

«Sousqueljouravantageuxtoutcecilefaitvoir!»pensaElizabeth.

— La façon dont il s’est conduit avec notre pauvre ami ne correspond guère à ce beauportrait,chuchotaMrs.Gardineràl’oreilledesanièce.

—Peut-êtreavons-nousététrompées.

—C’estpeuprobable.Nosrenseignementsviennentdetropbonnesource.

Lorsqu’ilseurentatteintlevastepalierdel’étagesupérieur,Mrs.Reynoldslesfitentrerdansun très joli boudoir, clair et élégant, et leur expliqua qu’il venait d’être installé pour faireplaisiràmissDarcy,quis’étaitenthousiasméedecettepiècedurantsondernierséjour.

—Mr. Darcy est véritablement très bon frère, dit Elizabeth en s’avançant vers l’une desfenêtres.

Mrs. Reynolds riait d’avance à l’idée du ravissement de sa jeune maîtresse, quand ellepénétreraitdansceboudoir.

—Etc’esttoujoursainsiqu’ilagit,ajouta-t-elle.Ilsuffitquesasœurexprimeundésirpourlevoiraussitôtréalisé.Iln’yapasdechoseaumondequ’ilneferaitpourelle!

Ilnerestaitplusàvoirquedeuxoutroisdeschambresprincipalesetlagaleriedetableaux.Danscelle-ci,ilyavaitbeaucoupd’œuvresdevaleur,maisElizabethquines’yconnaissaitpointpréférasedirigerversquelquesfusainsdemissDarcy,dontlessujetsétaientplusàsaportée.Puiselle semitàpasser rapidementenrevue lesportraitsde famille,cherchant laseule figure qu’elle pût y reconnaître. À la fin, elle s’arrêta devant une toile dont laressemblance était frappante. Elizabeth y retrouvait le sourire même qu’elle avait vuquelquefoisàDarcylorsqu’illaregardait.Ellerestaquelquesinstantsencontemplationetnequitta point la galerie sans être revenue donner un dernier coup d’œil au tableau. En cetinstantily

avaitcertainementdanssessentimentsàl’égarddel’originalplusdemansuétudequ’ellen’enavait jamais ressenti. Les éloges prodigués par Mrs. Reynolds n’étaient pas de qualitéordinaireetquellelouangeaplusdevaleurquecelled’unserviteurintelligent?Commefrère,maître,propriétaire,songeaitElizabeth,decombiendepersonnesMr.Darcynetenait-ilpaslebonheurentresesmains!Quedebien,ouquedemalilétaitenétatdefaire!Toutcequelafemmedechargeavaitracontéétaitentièrementensonhonneur.

Arrêtéedevantceportraitdontleregardsemblaitlafixer,ElizabethpensaitausentimentqueDarcyavaiteupourelleavecunegratitudequ’ellen’avaitjamaisencoreéprouvée ;elleserappelaitlachaleuraveclaquellecesentimentluiavaitétédéclaré,etoubliaitunpeucequil’avaitblesséedanssonexpression.

Quand lavisite fut terminée, ils redescendirentaurez-de-chausséeet,prenantcongéde lafemmedecharge,trouvèrentlejardinierquilesattendaitàlaported’entrée.EntraversantlapelousepourdescendreverslarivièreElizabethseretournapourjeterencoreuncoupd’œilàlamaison ;sescompagnonsl’imitèrent,et,pendantquesononclefaisaitdesconjecturessurladatedelaconstruction,lepropriétaireenpersonneapparutsoudainsurlaroutequivenaitdescommunssituésenarrièreduchâteau.

Vingtmètresàpeinelesséparaientetsonapparitionavaitétésisubitequ’ilétaitimpossibleàElizabeth d’échapper à sa vue. Leurs yeux se rencontrèrent, et tous deux rougirentviolemment.Mr.Darcytressaillitetrestacommefigépar lasurprise,mais,seressaisissantaussitôt,ils’avançaverslepetitgroupeetadressalaparoleàElizabeth,sinonavecunparfaitsang-froid,dumoinsavec laplusgrandepolitesse.Celle-ci, en l’apercevant, avait esquisséinstinctivementunmouvementderetraite,maiss’arrêtaenlevoyantapprocheretreçutseshommagesavecunindicibleembarras.

Mr.etMrs.Gardinerdevinèrentfatalementqu’ilsavaientsouslesyeuxMr.Darcylui-même,grâceàsaressemblanceavecleportrait,grâceaussiàl’expressiondesurprisequisepeignitsur le visage du jardinier à la vue de sonmaître. Ils restèrent tous deux un peu à l’écartpendantqu’ils’entretenaitavecleurnièce.Celle-ci,étonnéeetconfondue,osaitàpeineleverlesyeuxsurluietrépondaitauhasardauxquestionscourtoisesqu’illuiposaitsursafamille.Tout étonnée du changement survenu dans sesmanières depuis qu’elle ne l’avait vu, ellesentait à mesure qu’il parlait croître son embarras. L’idée qu’il devait juger déplacée saprésenceenceslieuxluifaisaitdecetentretienunvéritablesupplice.Mr.Darcylui-mêmenesemblait guère plus à l’aise. Sa voix n’avait pas sa fermeté habituelle et la façon dont, àplusieurs reprises, il la questionna sur l’époque où elle avait quitté Longbourn et sur sonséjourenDerbyshire,marquaitclairementletroubledesonesprit.Àlafin,touteidéesemblaluimanqueretilrestaquelquesinstantssansdireunmot.Enfin,ilretrouvasonsang-froidetpritcongé.

Mr.etMrs,Gardiner,rejoignantleurnièce,semirentàlouerlabelleprestancedeMr.Darcy,mais Elizabeth ne les entendait pas, et, tout absorbée par ses pensées, elle les suivait ensilence.Elleétaitaccabléedehonteetdedépit.CettevisiteàPemberleyétaitunactedesplusinconsidérésetdesplusregrettables.CommeelleavaitdûparaîtreétrangeàMr.Darcy ! Ilallaitcroirequ’elles’étaitmisetoutexprèssursonchemin.Quelle fâcheuse interprétationpouvaitenconcevoirunhommeaussiorgueilleux!Pourquoi,oh!pourquoiétait-ellevenue?...Etlui-même,commentsetrouvait-illàunjourplustôtqu’onnel’attendait?...Elizabethne cessait de rougir en déplorant la mauvaise chance de cette rencontre. Quant auchangementsifrappantdesmanièresdeMr.Darcy,quepouvait-ilsignifier?Cettegrande

politesse,l’amabilitéqu’ilavaitmiseàs’enquérirdesafamille !...Jamaisellenel’avaitvuaussisimple,jamaisellenel’avaitentendus’exprimeravecautantdedouceur.QuelcontrasteavecleurdernièrerencontredansleparcdeRosings,lorsqu’illuiavaitremissalettre!...Ellenesavaitqu’enpenser.

Ilssuivaientmaintenantunebelleallée longeant larivièreetàchaquepassurgissaientdenouveauxetpittoresquespointsdevue.MaistoutcecharmeétaitperdupourElizabeth.Ellerépondait sans entendre, et regardait sans voir ; sa pensée était à Pemberley House avecMr.Darcy.Ellebrûlaitdesavoircequis’agitaitdanssonespritencemoment ; avecquelssentimentsilpensaitàelleetsi,contretoutevraisemblance,sonamourduraitencore.Peut-êtren’avait-ilmontrétantdecourtoisiequeparcequ’ilsesentaitindifférent.Pourtantletondesavoixn’étaitpasceluidel’indifférence.Ellenepouvaitdiresic’étaitavecplaisirouavecpeinequ’ill’avaitrevue,mais,certainement,cen’étaitpassansémotion.

Àlalonguelesremarquesdesescompagnonssursonairdistraitlatirèrentdesespenséesetellesentitlanécessitéderetrouversaprésenced’esprit.

Bientôt,lespromeneurss’enfoncèrentdanslesboiset,disantadieupourunmomentauborddel’eau,gravirentquelques-unsdespointslesplusélevésd’oùdeséclairciesleurdonnaientdeséchappéesravissantessurlavallée,surlescollinesd’enfacerecouvertesenpartiepardesboiset,parendroits,sur larivière.Mr.Gardinerayantexpriméledésirdefairetout letour du parc, il lui fut répondu avec un sourire triomphant que c’était une affaire de dixmilles.Untelchiffre tranchait laquestion,et l’onpoursuivit lecircuitordinairequi,après

une descente à travers bois, les ramena sur le bord de l’eau. La vallée, à cet endroit, seresserraitenunegorgequine laissaitdeplacequepour larivièreet l’étroitsentierqui lalongeaitàtraversletaillis.Elizabethauraitbiendésiréensuivre

lesdétoursmaisquandilseurenttraversélepontetsefurentrenducomptedeladistancequilesséparaitencoreduchâteau,Mrs.Gardiner,quiétaitmédiocremarcheuse,nesesouciapasd’allerplusloinetsaniècedutserésigneràreprendresurl’autrerivelecheminleplusdirect.

Le retour s’accomplit lentement. Mr. Gardiner, grand amateur de pêche, s’attardait àinterrogerlejardiniersurlestruitesetàguetterleurapparitiondanslarivière.Pendantqu’ilsavançaientainsiàpetitspas,ilseurentunenouvellesurpriseet,nonmoinsétonnéequ’àlaprécédenterencontre,ElizabethvitparaîtreàpeudedistanceMr.Darcyquisedirigeaitdeleurcôté.L’alléequ’ilssuivaient,moinsombragéequecelledel’autrerive,leurpermettaitdelevoirs’approcher.Elizabeth,mieuxpréparéecettefoisàuneentrevue,sepromitdemontrerplusdesang-froids’ilavaitvraimentl’intentiondelesaborder.Peut-être,aprèstout,allait-ilprendreunautrechemin?Untournantquiledérobaàleurvueleluifitcroireuninstant ;maisletournantdépassé,elleletrouvaimmédiatementdevantelle.

Un coup d’œil lui suffit pour voir qu’il n’avait rien perdu de son extrême courtoisie. Nevoulantpasêtreenrestedepolitesse,ellesemit,dèsqu’ill’eutabordée,àvanterlesbeautésduparc,mais,àpeineeut-elleprononcélesmots«délicieux,charmant»,quedessouvenirsfâcheuxluirevinrent;elles’imaginaque,danssabouche,l’élogedePemberleypouvaitêtremalinterprété,rougitets’arrêta.

Mrs.Gardinerétaitrestéeenarrière.LorsqueElizabethsetut,Mr.Darcyluidemandasiellevoulaitbien lui faire l’honneurde leprésenterà ses amis.Nullementpréparéeàune tellerequête,elleputàpeineréprimerunsourire,carildemandaitàêtreprésentéauxpersonnesmêmesdont il considérait laparentéhumiliantepour sonorgueilquand il lui avait fait ladéclarationdesessentiments.

«Quellevaêtresasurprise?pensait-elle.Illesprendsansdoutepourdesgensdequalité.»Laprésentation fut faiteaussitôt, etenmentionnant le liendeparentéqui l’unissaità sescompagnons,elleregardafurtivementMr.Darcypourvoircommentilsupporteraitlechoc...Il le supporta vaillamment, bien que sa surprise fût évidente et, loin de fuir, il rebroussacheminpourlesaccompagneretsemitàcauseravecMr.Gardiner.Elizabethexultait :àsagrandesatisfaction,Mr.Darcypouvaitvoirqu’elleavaitdesparentsdontellen’avaitpasàrougir !. . .Attentiveàleurconversation,ellenotaitavecjoietouteslesphrases,touteslesexpressionsquiattestaientl’intelligence,legoûtetlabonneéducationdesononcle.

Laconversationtombabientôtsurlapêche,etelleentenditMr.Darcy,aveclaplusparfaiteamabilité, inviter Mr. Gardiner à venir pêcher aussi souvent qu’il le voudrait durant sonséjourdanslevoisinage,offrantmêmedeluiprêterdeslignes,etluiindiquantlesendroitsles plus poissonneux.Mrs.Gardiner, qui donnait le bras à sanièce, lui jeta un coupd’œilsurpris ; Elizabeth ne dit mot, mais ressentit une vive satisfaction : c’était à elle ques’adressaienttoutescesmarquesdecourtoisie.Sonétonnementcependantétaitextrême,etelleserépétaitsanscesse:«Quelchangementextraordinaire!commentl’expliquer?cen’estpourtantpasmoiquiensuiscause!cenesontpaslesreprochesquejeluiaifaitsàHunsford

quiontopéréunetelletransformation!...C’estimpossiblequ’ilm’aimeencore.»

Ilsmarchèrentainsipendantquelquetemps,Mrs.Gardineretsanièceenavant,etlesdeuxmessieursàl’arrière-garde.Maisaprèsêtredescendussurlarivepourvoirdeplusprèsunecurieuseplanteaquatique,ilseproduisitunpetitchangement ;Mrs.Gardiner, fatiguéeparl’exercicedelamatinéeettrouvantlebrasd’Elizabethinsuffisantpourlasoutenir,préféras’appuyersurceluidesonmari;

Mr.Darcypritplaceauprèsdesanièceetilscontinuèrentàmarchercôteàcôte.Aprèsunecourtepause, ce fut la jeune fillequi rompit le silence ; elle tenait à ce qu’il apprît qu’envenant à Pemberley elle se croyait sûre de son absence ; aussi commença-t-elle par uneremarquesurlasoudainetédesonarrivée.

—Carvotrefemmedecharge,ajouta-t-elle,nousavaitinformésquevousneseriezpasiciavantdemain,et,d’aprèscequ’onnousavaitditàBakervell,nousavionscomprisquevousn’étiezpasattendusitôt.

Mr.Darcyreconnutquec’étaitexact;unequestionàrégleravecsonrégisseurl’avaitobligéàdevancerdequelquesheuressescompagnonsdevoyage.

—Ilsmerejoindrontdemainmatindebonneheure,continua-t-il,etvoustrouverezparmieux plusieurs personnes qui seront heureuses de renouer connaissance avec vous :Mr.Bingleyetsessœurs.

Elizabeths’inclinalégèrementsansrépondre:d’unsaut,sapenséesereportaitbrusquementausoiroù,pourladernièrefois,lenomdeMr.Bingleyavaitétéprononcépareux.Sielleenjugeaitparlarougeurdesoncompagnon,lamêmeidéeavaitdûluiveniraussiàl’esprit.

—Ilyauneautrepersonne,reprit-ilaprèsuncourtsilence,quidésireparticulièrementvousconnaître.Mepermettrez-vous,sicen’estpasindiscret,devousprésentermasœurpendantvotreséjouràLambton?

Interditeparcettedemande,Elizabethyréponditsanssavoiraujustedansquelstermes.Ellesentaitqueledésirdelasœuravaitdûêtreinspiréparlefrèreetsansallerplusloincettepenséelaremplissaitdesatisfaction.IlluiétaitagréabledevoirqueMr.Darcyn’avaitpasétéamenéparlarancuneàconcevoird’elleunemauvaiseopinion.

Ils avançaient maintenant en silence, chacun plongé dans ses pensées. Bientôt ilsdistancèrentlesGardiner

et,quandilsarrivèrentàlavoiture,ilsavaientuneavanced’aumoinscentcinquantemètres.

Mr.DarcyoffritàElizabethd’entrerauchâteau,maiselledéclaraqu’ellen’étaitpasfatiguéeetilsdemeurèrentsurlapelouse.

Le silence à unmoment où ils auraient pu se dire tant de choses devenait embarrassant.Elizabethserappelaqu’ellevenaitdevoyageretilsparlèrentdeMatlocketdeDovedaleavecbeaucoupdepersévérance.MaisElizabethtrouvaitqueletempsetsatanteavançaientbienlentementetsapatience,ainsiquesesidées,étaientpresqueépuiséeslorsquecetête-à-têtepritfin.

Mr.etMrs.Gardinerlesayantrejoints,Mr.Darcylespressad’entrerauchâteauetd’accepter

quelquesrafraîchissements ;maiscettepropositionfutdéclinéeetl’onseséparadepartetd’autreaveclaplusgrandecourtoisie.Mr.Darcyaidalesdamesàremonterdansleurvoitureet,quandellefutenmarche,Elizabethlevitretourneràpaslentsverslamaison.

SononcleetsatantesemirentaussitôtàparlerdeMr.Darcy:l’unetl’autreledéclarèrentinfinimentmieuxqu’ilsnes’yseraientattendus.

—C’estunparfaitgentleman,aimableetsimple,ditMr.Gardiner.

—Ilyabienunpeudehauteurdanssaphysionomie,repritsafemme,maisellen’estquedansl’expression,etneluisiedpasmal.Jepuisdiremaintenantcommelafemmedechargequelafiertédontcertainesgensl’accusentnem’anullementfrappée.

—J’aiétéextrêmementsurprisdesonaccueilc’étaitplusquedelasimplepolitesse,c’étaitunempressementaimableàquoiriennel’obligeait.SesrelationsavecElizabethétaientsansimportance,ensomme!

—Bien sûr, Lizzy, il n’a pas le charmedeWickhammais comment avez-vous punous lereprésentercommeunhommesidésagréable?

Elizabeth s’excusa comme elle put, dit qu’elle l’avait mieux apprécié quand ils s’étaientrencontrésdansleKentetqu’ellenel’avaitjamaisvuaussiaimablequ’encejour.

—Telqu’ils’estmontréànous,continuaMrs.Gardiner,jen’auraisjamaispenséqu’ileûtpuse conduire aussi cruellement à l’égard de ce pauvre Wickham. Il n’a pas l’air dur, aucontraire.Danstoutesapersonneilaunedignitéquinedonnepasuneidéedéfavorabledeson cœur. La bonne personne qui nous a fait visiter le château lui fait vraiment uneréputationextraordinaire!J’avaispeine,parmoments,àm’empêcherderire...

Ici, Elizabeth sentit qu’elle devait dire quelque chose pour justifier Mr. Darcy dans sesrapports avec Wickham. En termes aussi réservés que possible elle laissa entendre que,pendantsonséjourdans leKent,elleavaitapprisquesaconduitepouvaitêtre interprétéed’unefaçontoutedifférente,etquesoncaractèren’étaitnullementaussiodieux,niceluideWickhamaussisympathiquequ’onl’avaitcruenHertfordshire.Commepreuve,elledonnalesdétailsdetouteslesnégociationsd’intérêtquis’étaientpoursuiviesentreeux,sansdirequil’avaitrenseignée,maisenindiquantqu’elletenaitl’histoiredebonnesource.

Satantel’écoutaitavecunevivecuriosité.Maisonapprochaitmaintenantdeslieuxquiluirappelaientses jeunesannées,et touteautre idées’effaçadevant lecharmedessouvenirs.Elle fut bientôt trop occupée à désigner à son mari les endroits intéressants qu’ilstraversaient pour prêter son attention à autre chose.Bienque fatiguée par l’excursiondumatin,sitôtqu’ellefutsortiedetableellepartitàlarecherched’anciensamis,etlasoiréefutremplieparleplaisirderenouerdesrelationsdepuislongtempsinterrompues.

QuantàElizabeth, lesévénementsdela journéeétaienttroppassionnantspourqu’ellepûts’intéresser

beaucoupauxamisdesatante.Ellenecessaitdesonger,avecunétonnementdontellenepouvaitrevenir,àl’amabilitédeMr.Darcyet,par-dessustout,audésirqu’ilavaitexprimédeluiprésentersasœur.

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Chapitre 44

LIZABETHS’ATTENDAITÀCEqueMr.Darcy luiamenâtsasœur le lendemaindesonarrivée à Pemberley, et déjà elle avait résolu de ne pas s’éloigner de l’hôtel cematin-là, mais elle s’était trompée dans ses prévisions car ses visiteurs seprésentèrentunjourplustôtqu’ellenel’avaitprévu.

Aprèsunepromenadedanslavilleavecsononcleetsatante,toustroisétaientrevenusàl’hôteletsepréparaientàallerdînerchezdesamisretrouvésparMrs.Gardiner,lorsqueleroulementd’unevoiturelesattiraàlafenêtre.Elizabeth,reconnaissantlalivréeducoupéquis’arrêtaitdevantlaporte,devinatoutdesuitecedontils’agissaitetannonçaàsescompagnonsl’honneurquiallaitleurêtrefait.Mr.etMrs.Gardinerétaientstupéfaits,maisl’embarras de leur nièce, qu’ils rapprochaient de cet incident et de celui de la veille, leurouvritsoudainlesyeuxsurdesperspectivesnouvelles.

Elizabethsesentaitdeplusenplustroublée,toutens’étonnantelle-mêmedesonagitation:entre autres sujets d’inquiétude, elle se demandait siMr. Darcy n’aurait pas trop fait sonélogeàsasœuret,dansledésirdegagnerlasympathiedela jeunefille,ellecraignaitquetoussesmoyensnevinssentàluimanqueràlafois.

Craignantd’êtrevue,elles’écartadelafenêtreetsemitàarpenterlapiècepourseremettre,maislesregardsdesurprisequ’échangeaientsononcleetsatanten’étaientpasfaitspourluirendresonsang-froid.

QuelquesinstantsplustardmissDarcyentraitavecsonfrèreetlaredoutableprésentationavaitlieu.Àsongrandétonnement,Elizabethputconstaterquesavisiteuseétaitaumoinsaussiembarrasséequ’elle-même.DepuissonarrivéeàLambtonelleavaitentendudirequemiss Darcy était extrêmement hautaine ; un coup d’œil lui suffit pour voir qu’elle étaitsurtoutprodigieusementtimide.Elleétaitgrandeetplusfortequ’Elizabeth;bienqu’elleeûtàpeine dépassé seize ans elle avait déjà l’allure et la grâce d’une femme. Ses traits étaientmoinsbeauxqueceuxdesonfrère,maisl’intelligenceetlabonnehumeurselisaientsursonvisage.Sesmanièresétaientaimablesetsansaucunerecherche.Elizabeth,quis’attendaitàretrouverchezellel’espritfroidementobservateurdesonfrère,sesentitsoulagée.

Au bout de peu d’instantsMr.Darcy l’informaqueMr.Bingley se proposait également devenirluiprésenterseshommages,etElizabethavaitàpeineeuletempsderépondreàcetteannonce par une phrase de politesse qu’on entendait dans l’escalier le pas alerte deMr.Bingleyquifitaussitôtsonentréedanslapièce.

Ilyavaitlongtempsqueleressentimentd’Elizabethàsonégards’étaitapaisé;maiss’iln’enavaitpasétéainsi,ellen’auraitpurésisterà lafranchecordialitéaveclaquelleBingleyluiexprimasonplaisirdelarevoir.Ils’enquitdesafamilleavecempressement,bienquesansnommer personne, et dans samanière d’être comme dans son langage ilmontra l’aisanceaimablequiluiétaithabituelle.

Mr. et Mrs. Gardiner le considéraient avec presque autant d’intérêt qu’Elizabeth ; depuislongtemps ils désiraient le connaître. D’ailleurs, toutes les personnes présentes excitaientleurattention ; les soupçonsqui leur étaientnouvellementvenus lesportaient àobserversurtoutMr.Darcyetleurnièceavecunecuriositéaussivivequediscrète.Lerésultatdeleurs

observations fut la pleine conviction que l’un des deux au moins savait ce que c’étaitqu’aimer ;dessentimentsdeleurnièceilsdoutaientencoreunpeu,maisilétaitclairpoureuxqueMr.Darcydébordaitd’admiration.

Elisabeth, de son côté, avait beaucoup à faire. Elle aurait vouludeviner les sentiments dechacundesesvisiteurs,calmerlessiens,etserendreagréableàtous.Cedernierpointsurlequelellecraignaitleplusd’échouerétaitaucontraireceluioùelleavaitleplusdechancesderéussir,sesvisiteursétanttousprévenusensafaveur.

ÀlavuedeBingleysapensées’étaitaussitôtélancéeversJane.CombienelleauraitsouhaitésavoirsilapenséedeBingleyavaitprislamêmedirection!Ellecrutremarquerqu’ilparlaitmoins qu’autrefois, et, à une ou deux reprises pendant qu’il la regardait, elle se plut àimaginer qu’il cherchait à découvrir une ressemblance entre elle et sa sœur. Si tout cecin’étaitqu’imagination,ilyavaitdumoinsunfaitsurlequelellenepouvaits’abuser,c’étaitl’attitude deBingley vis-à-vis demissDarcy, la prétendue rivale de Jane.Rien dans leursmanièresnesemblaitmarquerunattraitspécialdesdeuxjeunesgensl’unpourl’autre;riennesepassaentreeuxquifûtdenatureàjustifierlesespérancesdemissBingley.Elizabethsaisit,aucontraire,deuxoutroispetitsfaitsquiluisemblèrentattesterchezMr.BingleyunsentimentpersistantdetendressepourJane,ledésirdeparlerdechosesserattachantàelleet,s’ill’eûtosé,deprononcersonnom.Àunmomentoùlesautrescausaientensemble,illuifitobserverd’untonoùperçaitunréelregret«qu’ilétaitrestébienlongtempssanslavoir»,puisajoutaavantqu’elleeûteuletempsderépondre:

—Oui,ilyaplusdehuitmois.Nousnenoussommespasrencontrésdepuisle26novembre,dateàlaquellenousdansionstousàNetherfield.

Elizabethfutheureusedeconstaterquesamémoire

étaitsifidèle.Plustard,pendantqu’onnelesécoutaitpas,ilsaisitl’occasiondeluidemandersitoutessessœursétaientàLongbourn.Enelles-mêmes,cettequestionetl’observationquil’avaitprécédéeétaientpeudechose,maisl’accentdeBingleyleurdonnaitunesignification.

C’était seulementde tempsàautrequ’Elizabethpouvait tourner lesyeuxversMr.Darcy ;maischaquecoupd’œilleluimontraitavecuneexpressionaimable,etquandilparlait,ellenepouvaitdécouvrirdanssavoixlamoindrenuancedehauteur.Enlevoyantainsipleindecivilité non seulement à son égard mais à l’égard de membres de sa famille qu’il avaitouvertementdédaignés,etenserappelantleurorageuxentretienaupresbytèredeHunsford,lechangementluisemblaitsigrandetsifrappantqu’Elizabethavaitpeineàdissimulerson

profondétonnement.JamaisencoredanslasociétédesesamisdeNetherfieldoudanscelledesesnoblesparentesdeRosingsellenel’avaitvusidésireuxdeplaireetsiparfaitementexemptdefiertéetderaideur.

Lavisiteseprolongeaplusd’unedemi-heureet,enselevantpourprendrecongé,Mr.DarcypriasasœurdejoindresesinstancesauxsiennespourdemanderàleurshôtesdevenirdîneràPemberleyavantdequitter la région.Avecunenervositéquimontrait lepeud’habitudequ’elle avait encore de faire des invitations,missDarcy s’empressa d’obéir.Mrs.Gardinerregardasanièce:n’était-cepasellequecetteinvitationconcernaitsurtout?MaisElizabethavait détourné la tête. Interprétant cette attitude comme un signe d’embarras et non derépugnance pour cette invitation, voyant en outre que son mari paraissait tout prêt àl’accepter,Mrs.Gardinerréponditaffirmativementet laréunionfut fixéeausurlendemain.Dèsquelesvisiteurssefurentretirés,Elizabeth,désireused’échapperauxquestionsdesononcleetdesatante,nerestaqueletempsdeleurentendre

exprimerleurbonneimpressionsurBingleyetellecouruts’habillerpourledîner.

ElleavaittortdecraindrelacuriositédeMr.etMrs.Gardinercarilsn’avaientaucundésirdeforcer ses confidences. Ils se rendaient compte maintenant qu’Elizabeth connaissaitMr.Darcybeaucoupplusqu’ilsnesel’étaientimaginé,etilsnedoutaientpasqueMr.Darcyfût sérieusement épris de leur nièce ; tout cela était à leurs yeux plein d’intérêt,mais nejustifiaitpasuneenquête.

EncequiconcernaitWickhamlesvoyageursdécouvrirentbientôtqu’iln’étaitpastenuengrande estime à Lambton : si ses démêlés avec le fils de son protecteur étaientimparfaitement connus, c’était un fait notoire qu’en quittant le Derbyshire il avait laisséderrièreluiuncertainnombrededettesquiavaientétépayéesensuiteparMr.Darcy.

QuantàElizabeth,sespenséesétaientàPemberleycesoir-làplusencorequelaveille.Lafinde la journée lui parut longue mais ne le fut pas encore assez pour lui permettre dedéterminerlanatureexactedessentimentsqu’elleéprouvaitàl’égardd’undeshabitantsduchâteau,etellerestaéveilléedeuxbonnesheures,cherchantàvoirclairdanssonesprit.EllenedétestaitplusMr.Darcy,noncertes.Ilyavaitlongtempsquesonaversions’étaitdissipéeetelleavaithontemaintenantdes’êtrelaisséealleràunpareilsentiment.Depuisquelquetemps déjà elle avait cessé de lutter contre le respect que lui inspiraient ses indéniablesqualités,etsousl’influencedutémoignagequiluiavaitétérendulaveilleetquimontraitsoncaractèresousunjoursifavorable,cerespectsetransformaitenquelquechosed’unenatureplus amicale.Mais au-dessus de l’estime, au-dessus du respect, il y avait en elle unmotifnouveau de sympathie qui ne doit pas être perdu de vue : c’était la gratitude. Elle étaitreconnaissanteàDarcynonseulementdel’avoiraimée,maisdel’aimerencoreassezpourluipardonner

l’impétuosité et l’amertume avec lesquelles elle avait accueilli sa demande, ainsi que lesaccusations injustes qu’elle avait jointes à son refus. Elle eût trouvé naturel qu’il l’évitâtcommeuneennemie,etvoiciquedansunerencontreinopinéeilmontraitaucontraireunvifdésir de voir se renouer leurs relations. De l’air le plus naturel, sans aucune assiduitéindiscrète,ilessayaitdegagnerlasympathiedessiensetcherchaitàlamettreelle-mêmeenrapportavecsasœur.L’amourseul–etunamourardent–pouvaitchezunhommeaussi

orgueilleuxexpliqueruntelchangement,etl’impressionqu’Elizabethenressentaitétaittrèsdouce,maisdifficileàdéfinir.Elleéprouvaitdurespect,del’estimeetdelareconnaissance :elle souhaitait son bonheur. Elle aurait voulu seulement savoir dans quelle mesure elledésiraitquecebonheurdépendîtd’elle,etsielleauraitraisond’userdupouvoirqu’elleavaitconsciencedeposséderencorepourl’ameneràsedéclarerdenouveau.

Ilavaitétéconvenulesoirentrelatanteetlaniècequel’amabilitévraimentextraordinairedemissDarcyvenantlesvoirlejourmêmedesonarrivéeréclamaitd’ellesunedémarchedepolitesse,etellesavaientdécidéd’allerluifairevisiteàPemberleylelendemain.

Mr.Gardinerpartitlui-mêmecematin-làpeuaprèsle«breakfast»;onavaitreparlélaveilledesprojetsdepêche,etildevaitretrouverversmidiquelques-unsdeshôtesduchâteauauborddelarivière.

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Chapitre 45

ONVAINCUEMAINTENANTQUEL’ANTIPATHIEdemissBingleyétaituniquementl’effetdelajalousie,ElizabethsongeaitquesonarrivéeàPemberleynecauseraitàcelle-ciaucunplaisiretellesedemandaitavec

curiositéenquelstermesellesallaientrenouerconnaissance.

À leur arrivée, on leur fit traverser le hall pour gagner le salon. Cette pièce,exposée au nord, était d’une fraîcheur délicieuse ; par les fenêtres ouvertes on voyait leshautes collines boisées qui s’élevaient derrière le château et, plus près, des chênes et deschâtaigniersmagnifiquessedressantçàetlàsurunepelouse.Lesvisiteusesyfurentreçuespar miss Darcy qui s’y trouvait en compagnie de Mrs. Hurst, de miss Bingley, et de lapersonnequiluiservaitdechaperonàLondres.L’accueildeGeorgianafutpleindepolitesse,maisempreintdecettegênecauséeparlatimiditéquipouvaitdonneràsesinférieursuneimpressiondehautaine réserve.Mrs.Gardineret sanièce, cependant, lui rendirent justicetoutencompatissantàsonembarras.

Mrs. Hurst et miss Bingley les honorèrent simplement d’une révérence et, lorsqu’elles sefurent assises, il y eut un silence, – embarrassant comme tous les silences, – qui duraquelquesinstants.CefutMrs.Annesley,personned’aspectsympathiqueetdistingué,quilerompit et ses efforts pour trouver quelque chose d’intéressant à dire montrèrent lasupérioritédesonéducationsurcelledesescompagnes.Laconversationparvintàs’établirentre elle etMrs. Gardiner avec un peu d’aide du côté d’Elizabeth.Miss Darcy paraissaitdésireused’yprendrepartetrisquaitdetempsàautreunecourtephrasequandelleavaitlemoinsdechancesd’êtreentendue.

Elizabeths’aperçutbientôtqu’elleétaitétroitementobservéeparmissBingleyetqu’ellenepouvait dire un mot à miss Darcy sans attirer immédiatement son attention. Cettesurveillancene l’auraitpasempêchéed’essayerdecauseravecGeorgianasans ladistanceincommodequilesséparaitl’unedel’autre.MaisElizabethneregrettaitpasd’êtredispenséedeparlerbeaucoup;sespenséessuffisaientàl’occuper.Àtout

moment elle s’attendait à voir apparaître le maître de la maison et ne savait si elle lesouhaitaitousielleleredoutaitdavantage.

Aprèsêtrerestéeunquartd’heuresansouvrirlabouche,missBingleysurpritElizabethenlaquestionnantd’untonfroidsurlasantédesafamille.Ayantreçuuneréponseaussibrèveetaussifroideelleretombadanssonmutisme.

L’arrivéededomestiquesapportantunecollationcomposéedeviandefroide,degâteauxetdes plus beaux fruits de la saison, amena une diversion. Il y avait là de quoi occuperagréablement tout le monde, et de belles pyramides de raisin, de pêches et de brugnonsrassemblèrenttouteslesdamesautourdelatable.

Àcet instant,Elizabethputêtre fixéesursessentimentspar l’entréedeMr.Darcydans lesalon.IlrevenaitdelarivièreoùilavaitpasséquelquetempsavecMr.Gardineretdeuxoutroishôtesduchâteau,etlesavaitquittésseulementquandilavaitapprisqueMrs.Gardineret sa nièce se proposaient de faire visite à Georgiana. Dès qu’il apparut, Elizabeth prit larésolution de semontrer parfaitement calme et naturelle, – résolution d’autant plus sage,sinon plus facile à tenir, – qu’elle sentait éveillés les soupçons de toutes les personnesprésentesetquetouslesyeuxétaienttournésversMr.Darcydèssonentréepourobserverson attitude. Aucune physionomie ne reflétait une curiosité plus vive que celle de missBingley,endépitdessouriresqu’elleprodiguaità l’undeceuxquienétaient l’objetcar lajalousieneluiavaitpasenlevétoutespoiretsonempressementauprèsdeMr.Darcyrestaitlemême.MissDarcys’efforçadeparlerdavantageenprésencedesonfrère.Lui-mêmelaissavoiràElizabethcombienildésiraitqu’ellefîtplusampleconnaissanceavecsasœur,ettâchad’animerleursessaisdeconversation.MissBingleyleremarquaitaussiet,dansl’imprudencedesacolèresaisitla

premièreoccasionpourdemanderavecunepolitessemoqueuse:

—Ehbien,missEliza,est-cequelerégimentdelamilicen’apasquittéMeryton?Cedoitêtreunegrandepertepourvotrefamille.

En présence deMr. Darcy, elle n’osa pas prononcer le nom deWickham ; mais Elisabethcomprittoutdesuitequec’étaitàluiquemissBingleyfaisaitallusionetlessouvenirsquecenoméveillaitlatroublèrentunmoment.Unefforténergiqueluipermitderépondreàcetteattaqued’untonsuffisammentdétaché.Toutenparlant,d’uncoupd’œilinvolontaireellevitDarcy, le visage plus coloré, lui jeter un regard ardent, tandis que sa sœur, saisie deconfusion,n’osaitmêmepasleverlesyeux.SimissBingleyavaitsulapeinequ’elleinfligeaitàsatrèschèreamie,elleseseraitsansdouteabstenuedecetteinsinuation,maisellevoulaitsimplementembarrasserElizabethparcetteallusionàunhommepourlequelelleluicroyaitunepréférence,espérantqu’elletrahiraituneémotionquipourraitladesservirauxyeuxdeDarcy;voulantaussi,peut-être,rappeleràcedernierlessottisesetlesabsurditéscommisesparunepartiede la familleBennetàproposdurégiment.Duprojetd’enlèvementdemissDarcyellenesavaitpasunmot.L’airtranquilled’Elizabethcalmavitel’émotiondeMr.Darcyet, comme miss Bingley, désappointée, n’osa faire une allusion plus précise à Wickham,Georgiana se remit aussi peu à peu,mais pas assez pour retrouver le courage d’ouvrir laboucheavantlafindelavisite.Sonfrère,dontellen’osaitrencontrerleregard,avaitpresqueoubliécequilaconcernaitencetteaffaireetl’incidentcalculépourledétournerd’Elizabethsemblaitaucontraireavoirfixésapenséesurelleavecplusdeconfiancequ’auparavant.

Lavisitepritfinpeuaprès.PendantqueMr.DarcyaccompagnaitMrs.Gardineretsaniècejusqu’àleurvoiture,missBingley,poursesoulager,serépandit

encritiquessurElizabeth,sursesmanièresetsatoilette,maisGeorgianasegardabiendeluifaireécho;pouraccordersesbonnesgrâces,elleneconsultaitquelejugementdesonfrère

quiétaitinfaillibleàsesyeux;or,ilavaitparléd’ElizabethendestermestelsqueGeorgiananepouvaitquelatrouveraimableetcharmante.

QuandDarcyrentraausalon,missBingleyneputs’empêcherdeluirépéterunepartiedecequ’ellevenaitdedireàsasœur:

—CommeElizaBennetachangédepuisl’hiverdernier!Elleabrunietperdutoutefinesse.Nousdisionsàl’instant,Louisaetmoi,quenousnel’aurionspasreconnue.

QuelquefûtledéplaisircauséàMr.Darcyparcesparoles,ilsecontentaderépondrequ’ilneremarquaitchezElizabethd’autrechangementquelehâledesonteint,conséquenceasseznaturelled’unvoyagefaitaucœurdel’été.

—Pourmapart,répliquamissBingley,j’avouequejen’aijamaispudécouvrirchezellelemoindreattrait;ellealevisagetropmince,leteintsanséclat,sestraitsn’ontaucunebeauté,sonnezmanquedecaractère,etquantàsesyeuxquej’aientenduparfoistellementvanter,jeneleurtrouveriend’extraordinaire ;ilsontunregardperçantetdésagréablequejen’aimepasdutout,ettoutesapersonnerespireunesuffisanceintolérable.

Convaincue comme elle l’était de l’admiration de Darcy pour Elizabeth, miss Bingley s’yprenaitvraimentbienmalpourluiplaire;maislacolèreestsouventmauvaiseconseillère,ettoutlesuccèsqu’elleobtint–etqu’elleméritait–futd’avoirblesséDarcy.Ilgardaittoutefoisun silence obstiné et, comme si elle avait résolu à toutes fins de le faire parler, ellepoursuivit:

—Quandnousl’avonsvuepourlapremièrefoisenHertfordshire,jemerappelleàquelpointnousavions

étésurprisesd’apprendrequ’elleétaitconsidéréelà-bascommeunebeauté.Jevousentendsencorenousdire,unjouroùelleétaitvenueàNetherfield:«Jolie,missElizabethBennet?Autant dire que sa mère est une femme d’esprit ! » Cependant, elle a paru faire ensuitequelqueprogrèsdansvotreestime,etilfutmêmeuntemps,jecrois,oùvouslatrouviezassezbien.

— En effet, répliqua Darcy incapable de se contenir plus longtemps. Mais c’était aucommencement, car voilà bien des mois que je la considère comme une des plus joliesfemmesdemaconnaissance.

Là-dessus il sortit, laissant miss Bingley savourer la satisfaction de lui avoir fait dire cequ’elledésiraitlemoinsentendre.

Mrs.GardineretElizabeth,pendantleurretour,parlèrentdetoutcequis’étaitpassépendantlavisite,exceptédecequilesintéressaitdavantagel’uneetl’autre.Elleséchangèrentleursimpressionssurtoutlemonde,saufsurceluiquilesoccupaitleplus.Ellesparlèrentdesasœur, de ses amis, de sa maison, de ses fruits, de tout, excepté de lui-même. CependantElizabethbrûlaitdesavoircequesatantepensaitdeMr.Darcy,etMrs.Gardinerauraitétéinfinimentreconnaissanteàsaniècesielleavaitentamécesujetlapremière.

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Chapitre 46

LIZABETHAVAITÉTÉFORT désappointée en arrivant àLambtondene pas y trouverunelettredeJane,etchaquecourrieravaitrenouvelécettedéception.Lematindu troisième jour cependant, l’arrivée de deux lettres à la fois mit fin à sonattente;l’unedesdeuxlettres,dontl’adresseétaitfortmalécrite,avaitprisunemauvaisedirection,cequiexpliquaitleretard.

Sononcleetsatante,quis’apprêtaientàl’emmener

faire une promenade, sortirent seuls pour lui permettre de prendre tranquillementconnaissancedesoncourrier.Elizabethouvritenpremierlalettreégaréequidataitdéjàdecinq jours. Jane lui racontait d’abord leurs dernières réunions et les menues nouvelleslocales.Maislasecondepartie,quiavaitétéécriteunjourplustardettémoignaitchezJaned’unétatdegrandeagitation,donnaitdesnouvellesd’uneautreimportance:

«Depuishier,trèschèreLizzy,s’estproduitunévénementdesplusinattendusetdesplusgraves ; –mais j’ai peur de vous alarmer ; ne craignez rien, nous sommes tous en bonnesanté.–Cequej’aiàvousdireconcernelapauvreLydia.Hiersoiràminuit,toutlemondeiciétantcouché,estarrivéunexprèsenvoyéparlecolonelForsterpournousinformerqu’elleétaitpartiepourl’Écosseavecundesesofficiers,pourtoutdire,avecWickham.Vouspensezquellefutnotrestupéfaction!Kittycependantparaissaitbeaucoupmoinsétonnéequenous.Quantàmoijesuisonnepeutplusbouleversée.Quelmariageimprudentpourl’uncommepour l’autre ! Mais j’essaye de ne pas voir les choses trop en noir, et je veux croire queWickhamvautmieuxquesaréputation.Jelecroislégeretimprudent,maiscequ’ilafaitnedécèle pas une nature foncièrement mauvaise et son choix prouve au moins sondésintéressement,cariln’ignorepasquemonpèrenepeutriendonneràLydia.Notrepauvremèreestextrêmementaffligée;monpèresupportemieuxcechoc.Commejesuisheureuseque nous ne leur ayons pas communiqué ce que nous savions sur Wickham ! Il fautmaintenantl’oubliernous-mêmes.

«Ilsontdûpartirtousdeux,samedisoir,versminuit,maisonnes’estaperçudeleurfuiteque le lendemainmatin vers huit heures. L’exprès nous a été envoyé immédiatement.MachèreLizzy, ils ont dûpasser à dixmilles seulementdeLongbourn ! Le colonel nous faitprévoirqu’ilarriveralui-mêmesous

peu.Lydiaavaitlaisséunmotàsafemmepourluiannoncersadétermination.Jesuisobligéedem’arrêter,caronnepeutlaissernotrepauvremèreseuletrèslongtemps.Jesaisàpeinece

quej’écris;j’espèrequevouspourreztoutdemêmemecomprendre.»

Sans s’arrêter une seconde pour réfléchir et se rendant à peine compte de ce qu’elleéprouvait,Elizabethsaisitlasecondelettreetl’ouvritfébrilement.Ellecontenaitcequisuit:

«Encemoment,machèreLizzy,vousavezsansdoutedéjàlalettrequejevousaigriffonnéehieràlahâte.J’espèrequecelle-ciseraplusintelligible;toutefoismapauvretêteestdansuntelétatque jenepuisrépondredemettrebeaucoupdesuitedansceque j’écris.MachèreLizzy,j’aidemauvaisesnouvellesàvousapprendre;ilvautmieuxvouslesdiretoutdesuite.ToutimprudentquenousjugionsunmariageentrenotrepauvreLydiaetMr.Wickham,nousnedemandonsmaintenantqu’àrecevoirl’assurancequ’ilabieneulieu,cartropderaisonsnousfontcraindrequ’ilsnesoientpaspartispourl’Écosse.

«LecolonelForsterestarrivéhierici,ayantquittéBrightonpeud’heuresaprèssonexprès.BienquelacourtelettredeLydiaàsafemmeleureûtdonnéàcroirequelecoupleserendaità Gretna Green, quelques mots qui échappèrent à Denny exprimant la conviction queWickham n’avait jamais eu la moindre intention d’aller en Écosse, pas plus que celled’épouserLydia,avaientétérapportésaucolonelForsterqui,prenantalarme,étaitpartisurl’heure de Brighton pour essayer de relever leurs traces. Il avait pu les suivre facilementjusqu’àClapham,maispasplusloin,car,enarrivantdanscetteville,ilsavaientabandonnélachaisedepostequilesavaitamenésd’Epsom,pourprendreunevoituredelouage.Toutce

qu’onsaitàpartirdecemoment,c’estqu’onlesavuspoursuivreleurvoyageversLondres.Je me perds en conjectures. Après avoir fait toutes les enquêtes possibles de ce côté, lecolonel Forster a pris la route de Longbourn en les renouvelant à toutes les barrières ettouteslesaubergesdeBarnetetdeHatfield:personnerépondantàleursignalementn’avaitétéremarqué.IlestarrivéàLongbournennoustémoignantlaplusgrandesympathieetnousacommuniquésesappréhensionsendestermesquifonthonneuràsessentiments.Nilui,nisafemme,vraiment,neméritentaucunreproche.

«Notredésolationestgrande,machèreLizzy.MonpèreetmamèrecraignentlepiremaisjenepuiscroireàtantdeperversitédelapartdeWickham.Biendescirconstancesontpuleurfairepréférer semarier secrètement àLondresplutôtquede suivre leurpremierplan ; etmêmesiWickhamavaitpuconcevoirdetelsdesseinssurunejeunefilledumilieudeLydia,pouvons-noussupposerqu’elleauraitperduàcepointlesentimentdesonhonneuretdesadignité?C’estimpossible!J’aileregretdedire,néanmoins,quelecolonelForsternesemblepasdisposéàpartagerl’optimismedemessuppositions.Ilasecouélatêtelorsquejelesaiexpriméesdevantluietm’aréponduqu’ilcraignaitqu’onnepûtavoiraucuneconfianceenWickham.

«Mapauvremamanestréellementmaladeetgardelachambre.Siellepouvaitprendreunpeud’empiresurelle-même!Maisiln’yfautpascompter.Quantànotrepère,demaviejenel’aivuaussiaffecté.LapauvreKittys’enveutd’avoirdissimulécetteintrigue,maispeut-onluireprocherd’avoirgardépourelleuneconfidencefaitesouslesceaudusecret? Je suisheureuse,machèreLizzy,quevousayezéchappéàcesscènespéniblesmaismaintenantquelepremierchocestreçu,j’avouequ’ilmetardedevousvoirderetour.Jenesuispasassezégoïstecependantpourvouspresser

derevenirplustôtquevousnelesouhaitez.Adieu!

«Jereprendslaplumepourvousprierdefairecequ’àl’instantjen’osaisvousdemander.Lescirconstancessonttellesquejenepuism’empêcherdevoussupplierderevenirtousaussitôtquepossible.Jeconnaisassezmononcleetmatantepournepascraindredeleuradressercetteprière.J’aiencoreuneautredemandeàfaireàmononcle.Monpèrepartàl’instantaveclecolonelForsterpourLondresoùilveutessayerdedécouvrirLydia.Parquelsmoyens,jel’ignore;maissonextrêmedésarroil’empêchera,jelecrains,deprendrelesmesureslesplusjudicieuses,etlecolonelForsterestobligéd’êtrederetouràBrightondemainsoir.Dansunetelle conjoncture, les conseils et l’aide de mon oncle lui seraient infiniment utiles. Ilcomprendramonsentimentetjem’enremetsàsagrandebonté.»

—Mononcle!oùestmononcle!s’écriaElizabethaprèsavoirachevésalecture,s’élançantpourcouriràsarecherchesansperdreuneminute.Ellearrivaitàlaportelorsquecelle-cifutouverteparundomestiqueetlivrapassageàMr.Darcy.Lapâleurdelajeunefilleetsonairagitélefirenttressaillirmaisavantqu’ileûtpuseremettredesasurpriseetluiadresserlaparole,Elizabeth,quin’avaitplusd’autrepenséequecelledeLydia,s’écria:

—Pardonnez-moi,jevousenprie,sijesuisobligéedevousquitter,maisilfautquejetrouveàl’instantMr.Gardinerpouruneaffaireextrêmementurgente.Jen’aipasuninstantàperdre...

—GrandDieu!Qu’avez-vousdonc?s’écriaDarcyavecplusdesympathiequedediscrétion;puis,sereprenant:–Jenevousretiendraipasuninstant,maispermettezquecesoitmoi,oubienvotredomestique,quiaillechercherMr.etMrs.Gardiner.Vousêtesincapabled’yallervous-même.

Elizabethhésita,maissesjambessedérobaientsouselleet,comprenantqu’iln’yavaitaucun

avantage à faire elle-même cette recherche, elle rappela le domestique et, d’une voixhaletante,àpeineintelligible,elleluidonnal’ordrederamenersesmaîtresauplusvite.Dèsqu’ilfutparti,elleselaissatombersurunsiège,l’airsidéfaitqueDarcyneputserésoudreàlaquitternis’empêcherdeluidired’untonpleindedouceuretdecommisération:

—Laissez-moiappelervotrefemmedechambre.N’ya-t-ilrienquejepuissefairepourvousprocurerquelquesoulagement ?Unpeudevin,peut-être ? Jevais aller vous en chercher.Vousêtestoutepâle.

—Non,jevousremercie,réponditElizabethentâchantdeseremettre.Jevousassurequejen’airien.JesuisseulementbouleverséepardesnouvellesdésolantesquejeviensderecevoirdeLongbourn.

En parlant ainsi elle fondit en larmes, et, pendant quelques minutes, se trouva dansl’impossibilitédecontinuer.Darcy,anxieuxetdésolé,neputquemurmurerquelquesmotsindistinctssursasympathieetlaconsidéreravecunemuettecompassion.

Àlafin,elleputreprendre:

—JeviensderecevoirunelettredeJaneavecdesnouvelleslamentables.Majeunesœuraquittésesamis...elles’estenfuie...avec...elles’estlivréeaupouvoirde...Mr.Wickham...Vousleconnaissezassezpoursoupçonnerlereste.Ellen’anidot,nisituation,nirienqui

puisseletenter.Elleestperdueàjamais!

Darcyrestaitimmobileetmuetd’étonnement.

—Quandjepense,ajouta-t-elled’unevoixencoreplusagitée,quej’auraispuempêcherunpareilmalheur!moiquisavaiscequ’ilvalait!Sij’avaisseulementrépétéchezmoiunepartiede ce que je savais ! Si on l’avait connu pour ce qu’il était, cela ne serait pas arrivé. Etmaintenant,ilesttroptard!

—Jesuisdésolé,s’écriaDarcy,désoléet indigné.Mais toutcelaest-ilcertain,absolumentcertain?

—Hélasoui!IlsontquittéBrightondanslanuitdedimanche,etonapureleverleurstracespresque

jusqu’àLondres,maispasplusloin.IlsnesontcertainementpasallésenÉcosse.

—Etqu’a-t-onfaitjusqu’ici?Qu’a-t-ontentépourlaretrouver?

—MonpèreestpartipourLondres, et Janeécritpourdemander l’aide immédiatedemononcle.Nousallonspartir, jepense,d’iciunedemi-heure.Maisquepourra-t-onfaire ?Quelrecoursya-t-ilcontreuntelhomme?Arrivera-t-onmêmeàlesdécouvrir?Jen’aipaslepluslégerespoir.Lasituationesthorriblesoustoussesaspects!

Darcyacquiesçadelatête,silencieusement.

—Ah!quandonm’aouvertlesyeuxsurlavéritablenaturedecethomme,sij’avaissualorsquelétaitmondevoir !Mais jen’aipas su, j’ai eupeurd’aller trop loin. . .Quelle funesteerreur!

Darcyneréponditpas.Ilsemblaitàpeinel’entendre;plongédansuneprofondeméditation,ilarpentait la pièce d’un air sombre et le front contracté. Elizabeth le remarqua et compritaussitôt : le pouvoir qu’elle avait eu sur lui s’évanouissait, sans doute ; tout devait céderdevantlapreuved’unetellefaiblessedanssafamille,devantl’assuranced’unesiprofondedisgrâce.Ellenepouvaitpaspluss’enétonnerquecondamnerDarcy,maislaconvictionqu’ilfaisaiteffortpourseressaisirn’apportaitaucunadoucissementàsadétresse.D’autrepart,c’étaitpourellelemoyendeconnaîtrelavéritablenaturedessentimentsqu’elleéprouvaitàsonégard.Jamaisencoreellen’avaitsentiqu’elleauraitpul’aimercommeencetinstantoùl’aimerdevenaitdésormaischosevaine.

Maisellenepouvaitsongerlongtempsàelle-même.Lydia,l’humiliationetlechagrinqu’elleleur infligeait à tous eurent tôt fait d’écarter toute autre préoccupation ; et, plongeant safiguredanssonmouchoir,Elizabethperditdevuetoutlereste.

Aprèsquelquesminutes, elle fut rappelée à la réalitépar la voixde soncompagnon.D’unaccentqui

exprimaitlacompassion,maisaussiunecertainegêne,illuidisait:

— J’ai peur, en restant près de vous, dem’êtremontré indiscret. Je n’ai aucune excuse àinvoquer, sinoncelled’une très réelle,maisbienvainesympathie.PlûtàDieuqu’il fûtenmonpouvoirdevousapporterquelquesoulagementdansunetelledétresse!maisjeneveux

pasvousimportunerdesouhaitsinutilesetquisembleraientréclamervotrereconnaissance.Cemalheureuxévénement,jelecrains,vaprivermasœurduplaisirdevousvoiràPemberleyaujourd’hui.

—Hélasoui!SoyezassezbonpourexprimernosregretsàmissDarcy.Ditesquedesaffairesurgentesnousrappellent immédiatement.Dissimulezlatristevéritétantqu’elleneseserapasébruitée.Jesaisqueceneserapaspourbienlongtemps.

Il l’assura de sa discrétion, exprima encore une fois la part qu’il prenait à son chagrin,souhaita une conclusion plus heureuse que les circonstances présentes ne le faisaientespéreret,l’enveloppantd’undernierregard,pritcongéd’elle.Aumomentoùildisparaissait,Elizabethseditqu’ilsavaientbienpeudechancesdeserencontrerdenouveaudanscetteatmosphère de cordialité qui avait fait le charme de leurs entrevues en Derbyshire. Ausouvenirdeleursrapportssidiversetsipleinsderevirements,ellesongeaensoupirantàcesétrangesvicissitudesdesentimentsquiluifaisaientsouhaitermaintenantlacontinuationdecesrapportsaprèsl’avoiramenéejadisàseréjouirdeleurrupture.EllevoyaitpartirDarcyavecregretetcetexempleimmédiatdesconséquencesquedevaitavoirlaconduitedeLydialuifut,aumilieudesesréflexions,unenouvellecaused’angoisse.

Depuis qu’elle avait lu la seconde lettre, elle n’avait plus le moindre espoir quant àl’honnêtetédesintentionsdeWickhametàsondesseind’épouserLydia.IlfallaitêtreJanepourseflatterd’unetelleillusion.

Tantqu’ellen’avaitconnuquelecontenudelapremièrelettreelles’étaitdemandéavecunesurprise indicible comment Wickham pouvait avoir l’idée d’épouser une jeune fille qu’ilsavaitsansfortune.QueLydiaeûtpusel’attacherluisemblaitégalementincompréhensible.Maistouts’expliquaitmaintenant:pourcegenred’attachement,Lydiaavaitsuffisammentdecharmes.Certes,Elizabethnepensaitpasquecelle-cieûtpuconsentiràunenlèvementoùiln’auraitpasétéquestiondemariage,maiselleserendaitcompteaisémentquenilavertu,nilebonsensnepouvaientempêchersasœurdedeveniruneproiefacile.

Il lui tardait maintenant d’être de retour. Elle brûlait d’être sur les lieux, de pouvoir serenseigner,etdepartageravecsasœurlessoucisquidansunemaisonaussibouleversée,etenl’absencedupère,devaientretomberuniquementsurJane.MalgrésacraintedevoirrestervainsleseffortstentéspoursauverLydia,elleestimaitl’interventiondesononcledelaplushauteimportanceetattendaitsonretourdanslaplusdouloureuseagitation.

Mr.etMrs.Gardinerarrivèrenttouteffrayés,lerapportdudomestiqueleurayantfaitcroireque leur nièce se trouvait subitement malade. Elle les rassura sur ce point, et leurcommuniquaimmédiatementlesdeuxlettresdeJane.D’unevoixtremblanted’émotion,ellesoulignalepost-scriptumdelaseconde.

L’affliction deMr. et deMrs. Gardiner fut profonde, bien que Lydia n’eût jamais été leurfavorite,maisilnes’agissaitpasd’elleseule;sadisgrâceatteignaittoutesafamille.Aprèslespremièresexclamationsdesurpriseetd’horreur,Mr.Gardinerpromitsanshésitertoutsonconcours;sanièce,bienqu’ellen’attendîtpasmoinsdelui,leremerciaavecdeslarmesdereconnaissance.Toustroissetrouvantanimésdumêmeesprit,leursdispositionsenvuedudépartfurentprisesrapidement;ilfallaitsemettreenrouteaussivitequepossible.

—Etnotre invitationàPemberley?qu’allons-nousfaireàcesujet? s’écriaMrs.Gardiner.JohnnousaditqueMr.Darcyétaitprésentquandvousl’avezenvoyénouschercher.Est-cebienexact?

—Parfaitement,etjeluiaiditquenousnepourrionstenirnotreengagement.Toutestréglédececôté.

«Qu’est-cequiestréglé?sedemandaitlatanteencourantàsachambrepourseprépareraudépart. Sont-ils dans des termes tels qu’elle ait pu lui découvrir la vérité ? Je donneraisbeaucouppoursavoircequis’estpasséentreeux.»

SiElizabethavaiteuleloisirderesterinactive,elleseseraitsûrementcrueincapabledefairequoi que ce fût dans le désarroi où elle se trouvait,mais elle dut aider sa tante dans sespréparatifsquicomprenaientl’obligationd’écrireàtousleursamisdeLambtonafindeleurdonner une explication plausible de leur départ subit. En une heure, cependant, tout futterminéetMr.Gardinerayant,pendantcetemps,réglésescomptesàl’hôtel,iln’yeutplusqu’à partir. Après cette dure matinée Elizabeth se trouva, en moins de temps qu’elle nel’auraitsupposé,installéeenvoiture,etsurlaroutedeLongbourn.

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Chapitre 47

—Plusjeréfléchisàcetteaffaire,Elizabeth,luiditsononclecommeilsquittaientlaville,plusj’inclineàpensercommevotresœuraînée:ilmesemblesiétrangequ’unjeunehommeaitpuformerunteldesseinsurunejeunefillequin’estpas,certes,sansprotecteursetsansamisetqui,parcontre,résidaitdanslafamilledesoncolonel,quejesuistrèsenclinàadopterlasuppositionlaplusfavorable.Wickhampouvait-ils’attendreàcequelafamilledeLydia

n’intervînt pas, ou pouvait-il ignorer qu’il seraitmis au ban de son régiment après un telaffrontfaitaucolonelForster?Lerisqueseraithorsdeproportionaveclebut.

—Lecroyez-vousvraiment?s’écriaElizabethdontlevisages’éclairauninstant.

—Pourmapart,s’écriaMrs.Gardiner,jecommenceàêtredel’avisdevotreoncle.Ilyauraitlà un trop grand oubli de la bienséance, de l’honneur et de ses propres intérêts pour queWickhampuisseenêtreaccusé.Vous-même,Lizzy,avez-vousperdutouteestimepourluiaupointdel’encroirecapable?

—Capabledenégligersesintérêts,non,jenelecroispas,maisdenégligertoutlereste,oui,certes!Sicependanttoutétaitpourlemieux!...Maisjen’osel’espérer.Pourquoi,danscecas,neseraient-ilspaspartispourl’Écosse?

—Enpremierlieu,répliquaMr.Gardiner,iln’yapasdepreuveabsoluequ’ilsnesoientpaspartispourl’Écosse.

—Lefaitqu’ilsontquittélavoituredepostepourprendreunevoituredelouageestunebienforteprésomption.Enoutre,onn’apureleverd’euxaucunetracesurlaroutedeBarnet.

—Ehbien,supposonsqu’ilssoientàLondres.Ilspeuventyêtrepoursecacher,maissansautremotifplusblâmable.N’ayantsansdoutenil’unnil’autrebeaucoupd’argent,ilsontputrouver plus économique, sinon aussi expéditif, de se fairemarier à Londres plutôt qu’enÉcosse.

—Maispourquoitoutcemystère?Pourquoicemariageclandestin?Non,non,celan’estpasvraisemblable.Sonamileplusintime,–vousl’avezvudanslerécitdeJane,–estpersuadéqu’iln’ajamaiseul’intentiond’épouserLydia.JamaisWickhamn’épouseraunefemmesansfortune;sesmoyensneleluipermettentpas.EtquelsattraitspossèdedoncLydia,àpartsajeunesseetsagaieté,pourlefaire

renoncerensafaveuràunmariageplusavantageux?Quantàladisgrâcequ’ilencourraità

sonrégiment,jenepuisenjuger,maisj’aibienpeurquevotredernièreraisonnepuissesesoutenir : Lydia n’a pas de frère pour prendre en main ses intérêts, etWickham pouvaitimaginerd’aprèscequ’ilconnaîtdemonpère,desonindolenceetdupeud’attentionqu’ilsemble donner à ce qui se passe chez lui, qu’il ne prendrait pas cette affaire aussitragiquementquebiendespèresdefamille.

—Mais croyez-vous Lydia assez fermée à tout sentiment autre que sa folle passion pourconsentirdevivreavecWickhamsansqu’ilssoientmariés?

— Il est vraiment affreux, répondit Elizabeth, les yeux pleins de larmes, d’être forcée dedouterdesasœur,etcependant,jenesaisquerépondre.Peut-êtresuis-jeinjusteàsonégard,maisLydiaesttrèsjeune,ellen’apasétéhabituéeàpenserauxchosessérieusesetvoilàsixmoisqueleplaisiretlavanitésonttoutessespréoccupations.Onl’alaisséelibrededisposerde son temps de la façon la plus frivole et de se gouverner à sa fantaisie. Depuis que lerégimentaprissesquartiersàMeryton,ellen’avaitplusentêtequeleflirtetlesmilitaires.Brefelleafaittoutcequ’ellepouvait–commentdirai-je,–pourdonnerencoreplusdeforceàdespenchantsdéjàsiaccusés.EtvoussavezcommemoiqueWickham,parlaséductiondesesmanièresetdesapersonne,atoutcequ’ilfautpourtournerunetêtedejeunefille.

—Mais vous voyez, dit sa tante, que Janene juge pasWickhamassezmal pour le croirecapabled’untelscandale.

—QuiJanea-t-ellejamaisjugésévèrement?Cependant,elleconnaîtWickhamaussibienquemoi.Noussavonstoutesdeuxqu’ilestdépravéauvéritablesensdumot,qu’iln’aniloyauté,nihonneur,etqu’ilestaussitrompeurqu’insinuant.

—Voussavezvraimenttoutcela!s’écriaMrs.

Gardiner,brûlantdeconnaîtrelasourcedetoutescesrévélations.

—Oui,certes,répliquaElizabethenrougissant.Jevousaiparlél’autrejourdel’infamiedesaconduiteenversMr.Darcy;vous-même,pendantvotreséjouràLongbourn,avezpuentendrede quelle manière il parlait de l’homme qui a montré à son égard tant de patience et degénérosité.Ilyad’autrescirconstancesquejenesuispaslibrederaconter:sesmensongessur la famille de Pemberley ne comptent plus. Par ce qu’il m’avait dit de miss Darcy, jem’attendaisàtrouverunejeunefillefière,distanteetdésagréable.Ilsavaitpourtantqu’elleétaitaussiaimableetaussisimplequenousl’avonstrouvée.

—MaisLydianesait-elleriendetoutcela?Peut-elleignorercedontvousetJaneparaissezsibieninformées?

—Hélas!C’estbienlàlepire!Jusqu’àmonséjourdansleKentpendantlequelj’aibeaucoupvuM.Darcyetsoncousin,lecolonelFitzwilliam,j’ignoraismoi-mêmelavérité.Quandjesuisrevenueàlamaison,lerégimentallaitbientôtquitterMeryton;niJane,nimoin’avonsjugénécessaire de dévoiler ce que nous savions. Quand il fut décidé que Lydia irait avec lesForsteràBrighton,lanécessitédeluiouvrirlesyeuxsurlevéritablecaractèredeWickhamnem’estpasvenueàl’esprit.Vousdevinezcombienj’étaisloindepenserquemonsilencepûtcauserunetellecatastrophe!

—Ainsi,aumomentdudépartpourBrighton,vousn’aviezaucuneraisondelescroireépris

l’undel’autre?

—Aucune,nid’uncôté,nidel’autre, jenepuismerappelerlemoindreindiced’affection.Pourtant,siquelquechosedecegenreavaitétévisible,vouspensezquedansunefamillecommelanôtre,onn’auraitpasmanquédes’enapercevoir.Lorsdel’arrivéedeWickhamàMeryton, Lydia était certes pleine d’admiration pour lui, mais elle n’était pas la seule,puisqu’il

avaitfaitperdrelatêteàtouteslesjeunesfillesdeMerytonetdesenvirons.Lui-même,deson côté, n’avait parudistinguerLydia par aucune attentionparticulière.Aussi, aprèsunecourtepérioded’admirationeffrénée,lecapricedeLydias’étaitéteintetelleavaitrendusapréférenceauxofficiersquisemontraientplusassidusauprèsd’elle.

Ons’imaginefacilementquetelfutl’uniquesujetdeconversationduranttoutletempsduvoyage,bienqu’iln’yeûtdanstoutcequ’ilsdisaientrienquifûtdenatureàdonnerplusdeforceàleurscraintesetàleursespoirs.

Le trajet se fit avec toute la rapidité possible. En voyageant toute la nuit, ils réussirent àatteindre Longbourn le jour suivant, à l’heure du dîner. C’était un soulagement pourElizabethdepenserquel’épreuved’unelongueattenteseraitépargnéeàJane.

Attirésparlavuedelachaisedeposte,lespetitsGardinersepressaientsurlesmarchesduperronlorsqu’ellefranchitleportailet,aumomentoùelles’arrêta,leurjoyeusesurprisesetraduisitpardesgambadesetdesculbutes.Elizabethavaitdéjàsautéde lavoitureet, leurdonnantàchacununbaiserhâtif,s’étaitélancéedanslevestibuleoùellerencontraJanequidescendaitencourantdel’appartementdesamère.Elizabethenlaserrantaffectueusementdanssesbras,pendantqueleursyeuxs’emplissaientdelarmes,sehâtadeluidemandersil’onavaitdesnouvellesdesfugitifs.

—Pasencore,ditJane,maismaintenantquemoncheroncleestlà,j’ail’espoirquetoutvas’arranger.

—Monpèreest-ilàLondres?

—Oui,depuismardi,commejevousl’aiécrit.

—Etvousavezreçudesesnouvelles?

—Unefoisseulement.Ilm’aécritmercrediquelqueslignespourmedonnerlesinstructionsquejeluiavaisdemandées.Ilajoutaitqu’iln’écriraitplustantqu’iln’auraitriend’importantànousannoncer.

—Etnotremère,commentva-t-elle?Commentallez-voustous?

—Ellenevapasmal,jecrois,bienquetrèssecouée,maisnequittepassachambre.Elleserasatisfaitedevousvoirtouslestrois.MaryetKitty,Dieumerci,vontbien.

—Maisvous?s’écriaElizabeth.Jevoustrouvetrèspâle.Vousavezdûpasserdesheuresbiencruelles!

Janeassuraqu’elleallaitparfaitementetleurconversationfutcoupéeparl’arrivéedeMr.etMrs.Gardinerqueleursenfantsavaientretenusjusque-là.Janecourutàeuxetlesremerciaensouriantàtraversseslarmes.

Mrs. Bennet les reçut comme ils pouvaient s’y attendre, pleurant, gémissant, accablantd’invectives l’infâme conduite deWickham, plaignant ses propres souffrances et accusantl’injusticedusort,blâmanttoutlemonde,exceptélapersonnedontl’indulgencemalaviséeétaitsurtoutresponsabledel’erreurdesafille.

—Sij’avaispualleravectoutemafamilleàBrightoncommejeledésirais,celaneseraitpasarrivé.MaisLydia,lapauvreenfant,n’avaitpersonnepourveillersurelle.Commentsepeut-il que les Forster ne l’aient pas mieux gardée ? Il y a eu certainement de leur part unenégligence coupable, car Lydia n’était pas fille à agir ainsi, si elle avait été suffisammentsurveillée.J’aitoujourspenséqu’onn’auraitpasdûlaleurconfier.Mais,commec’estlarègle,onnem’apasécoutée !Pauvre chère enfant !Etmaintenant, voilàMr.Bennetparti. Il vasûrement se battre en duel avecWickham, s’il le retrouve, et il se fera tuer. . . Et alors,qu’adviendra-t-ildenous toutes?Àpeine aura-t-il rendu ledernier soupirque lesCollinsnousmettronthorsd’icietsivousn’avezpaspitiédenous,monfrère,jenesaisvraimentpascequenousdeviendrons.

Tous protestèrent en chœur contre ces sombres suppositions, etMr.Gardiner, après avoirassurésa

sœurdesondévouementpourelleetsafamille,ditqu’ilretourneraitàLondreslelendemainpouraiderMr.BennetdetoutsonpouvoiràretrouverLydia.

—Nevouslaissezpasalleràd’inutilesalarmes,ajouta-t-il.S’ilvautmieuxs’attendreaupire,nous n’avons pas de raisons de le considérer comme certain. Il n’y a pas tout à fait unesemaine qu’ils ont quitté Brighton. Dans quelques jours nous pouvons avoir de leursnouvelles, et, jusqu’à cequenousapprenionsqu’ilsne sontpasmariés,ni sur lepointdel’être,rienneprouvequetoutsoitperdu.DèsquejeseraiàLondres,j’iraitrouvervotremari;jel’installeraichezmoietnouspourronsalorsdéciderensemblecequ’ilconvientdefaire.

—Oh !mon cher frère, s’exclamaMrs.Bennet. Je ne pouvais rien souhaiter demieux.Etmaintenant, je vous en supplie, où qu’ils soient, trouvez-les, et s’ils ne sont pas mariés,mariez-les !Quelaquestiondeshabitsdenocenelesretardepas.DitesseulementàLydiaqu’aussitôtmariéeelleauratoutl’argentnécessairepourlesacheter.Mais,par-dessustout,empêchezMr.Bennetdesebattre!Dites-luidansquelétataffreuxvousm’avezvue,àmoitiémortedepeur,avecdetellescrisesdefrissons,despasmesdanslecôté,dedouleursdanslatêteetdepalpitations,quejenepuisreposernijour,ninuit.DitesencoreàcettechèreLydiadenepasprendrededécisionpoursesachatsdetoilettesavantdem’avoirvue,parcequ’elleneconnaîtpaslesmeilleuresmaisons.Ômonfrère!quevousêtesbon !Jesaisqu’onpeutcomptersurvouspourtoutarranger.

Mr.Gardinerl’assuradenouveaudesonvifdésirdel’aideretluirecommandalamodérationdans ses espoirs aussi bien que dans ses craintes. La conversation continua ainsi jusqu’àl’annoncedudîner.Alorsilsdescendirenttous,laissantMrs.Bennets’épancherdansleseinde la femme de charge qui la soignait en l’absence de ses filles. Bien que la santé deMrs.Bennet

neparûtpasréclamerdetellesprécautions,sonfrèreetsabelle-sœurnecherchèrentpasàlapersuaderdequitter sa chambre, car ils savaientqu’elle était incapablede se taireà table

devantlesdomestiquesetilsjugeaientpréférablequ’uneseulepersonne,–laservanteenquil’on pouvait avoir le plus de confiance, – reçût la confidence de ses craintes et de sesangoisses.

Dans la salle àmanger, ils furentbientôt rejointsparMaryetKittyque leursoccupationsavaientempêchéesdeparaîtreplustôt.L’uneavaitétéretenueparseslivres,l’autreparsatoilette.Toutesdeuxavaientlevisagesuffisammentcalme;néanmoins,l’absencedesasœurfavorite,oulemécontentementqu’elleavaitencouruelle-mêmeencetteaffaire,donnaitàlavoix de Kitty un accent plus désagréable que d’habitude. Quant à Mary, elle était assezmaîtressed’elle-mêmepourmurmureràElizabethdèsqu’ellesfurentassisesàtable:

— C’est une bien regrettable histoire, et qui va faire beaucoup parler mais, de ce tristeévénement, il y aune leçonutile à tirer, c’estque chez la femme, lapertede la vertu estirréparable,quesaréputationestaussifragilequ’elleestprécieuse,etquenousnesaurionsêtretropengardecontrelesreprésentantsindignesdel’autresexe.

Elizabethluijetaunregardstupéfaitetsesentitincapabledeluirépondre.

Dansl’après-midi,lesdeuxaînéespurentavoirunedemi-heuredetranquillité.ElizabethenprofitapourposeràJanemaintesquestions.

—Donnez-moi tous lesdétailsque jeneconnaispasencore.Qu’adit le colonelForster ?N’avaient-ils,luietsafemme,conçuaucunsoupçonavantlejourdel’enlèvement?OndevaitvoirLydiaetWickhamsouventensemble.

— Le colonel Forster a avoué qu’il avait à plusieurs reprises soupçonné une certaineinclination,ducôtédeLydiasurtout,maisriendontoneûtlieudes’alarmer...

Jesuissifâchéepourcepauvrecolonel.Ilestimpossibled’agiravecplusdecœurqu’ilnel’afait. Il se proposait de venir nous exprimer sa contrariété avant même de savoir qu’ilsn’étaientpaspartispourl’Écosse.Dèsqu’ilaétérenseigné,ilahâtésonvoyage.

— Et Denny, est-il vraiment convaincu queWickham ne voulait pas épouser Lydia ? LecolonelForstera-t-ilvuDennylui-même?

— Oui, mais questionné par lui, Denny a nié avoir eu connaissance des plans de soncamarade etn’apas vouludire cequ’il enpensait.Cecime laisse espérer qu’on apumalinterprétercequ’ilm’avaitditenpremierlieu.

— Jusqu’à l’arrivée du colonel, personne de vous, naturellement, n’éprouvait le moindredoutesurlebutdeleurfuite?

— Comment un tel doute aurait-il pu nous venir à l’esprit ? J’éprouvais bien quelqueinquiétudeausujetde l’avenirdeLydia, laconduitedeWickhamn’ayantpas toujoursétésans reproche ; mais mon père et ma mère ignoraient tout cela et sentaient seulementl’imprudenced’unetelleunion.C’estalorsqueKitty,avecunairdeseprévaloirdecequ’elleensavaitplusquenous,nousaavouéqueLydia,danssadernièrelettre,l’avaitpréparéeàcetévénement.Ellesavaitqu’ilss’aimaient,semble-t-il,depuisplusieurssemaines.

—MaispasavantledépartpourBrighton?

—Non,jenelecroispas.

—EtlecolonelForster,semblait-iljugerlui-mêmeWickhamdéfavorablement?Leconnaît-ilsoussonvraijour?

—Jedoisreconnaîtrequ’iln’enapasditautantdebienqu’autrefois.Illetrouveimprudentetdépensier,et,depuiscettetristeaffaire,onditdansMerytonqu’ilyalaissébeaucoupdedettes;maisjeveuxespérerquec’estfaux.

—Oh!Jane,siseulementnousavionsétémoinsdiscrètes!Sinousavionsditcequenoussavions!Rienneseraitarrivé.

—Peut-êtrecelaeût-ilmieuxvalu,maisnousavonsagiaveclesmeilleuresintentions.

—LecolonelForstera-t-ilpuvousrépétercequeLydiaavaitécritàsafemme?

—Ilaapportélalettreelle-mêmepournouslamontrer.Lavoici.

EtJanelaprenantdanssonportefeuillelatenditàElizabeth.

Lalettreétaitainsiconçue:

«MachèreHarriet,

«Vousallezsûrementbienrireenapprenantoùjesuispartie.Jenepuism’empêcherderiremoi-même en pensant à la surprise que vous aurez demain matin, lorsque vous vousapercevrezquejenesuispluslà.

«JeparspourGretnaGreen,etsivousnedevinezpasavecqui,c’estquevousserezbiensotte,cariln’yaqueluiquiexisteàmesyeux;c’estunange,etjel’adore!Aussinevois-jeaucunmalàpartiraveclui.Nevousdonnezpaslapeined’écrireàLongbournsicelavousennuie. La surprise n’en sera que plus grande lorsqu’on recevra là-bas une lettre demoisignée:LydiaWickham.Labonneplaisanterie!J’enristellementquejepuisàpeineécrire!

«DitesàPrattmonregretdenepouvoirdanseravecluicesoir.Ilnem’envoudrapasdenepointtenirmapromesse,quandilsauralaraisonquim’enempêche.

« J’enverrai chercher mes vêtements dès que je serai à Longbourn, mais je vous seraireconnaissantededireàSallyderéparerungrandaccrocàmarobedemousselinebrodéeavantdel’emballer.

«MesamitiésaucolonelForster;j’espèrequevousboireztousdeuxànotresantéetànotreheureuxvoyage.

«Votreamieaffectionnée,

«Lydia.»

—Écervelée, insoucianteLydia ! s’écriaElizabeth.Écrireune telle lettredansunmomentpareil!Toutefois,cecinousmontrequedesoncôtéiln’yavaitpasdehonteusesintentions.Monpauvrepère!Quelcouppourlui!

—Ilaétépositivementatterré.Pendantquelquesminutes,ilestrestésanspouvoirarticulerune syllabe. Ma mère s’est trouvée mal, et la maison a été dans un état de confusionindescriptible.

—Oh!Jane,s’écriaElizabeth,ya-t-ilunseuldenosdomestiquesquin’aittoutconnuavantlafindelajournée?

—Jenesais.Ilestbiendifficiled’êtresursesgardesendetelsmoments.Notremèreavaitdesattaquesdenerfsetjefaisaistoutmonpossiblepourlasoulager.Maisjecrainsden’avoirpas fait tout ce que j’aurais pu. L’horreur et le chagrinm’ôtaient presque l’usage demesfacultés.

—Toutescesfatiguesontexcédévosforces.Vousavezl’airépuisée.Oh!quen’étais-jeavecvous!Touslessoinsettouteslesangoissessontretombéssurvousseule.

—MaryetKittyontététrèsgentilles.MatantePhilips,venueàLongbournmardi,aprèsledépart denotrepère, a eu l’obligeancede rester avecnous jusqu’à jeudi. LadyLucas, elleaussi, nous a montré beaucoup de bonté. Elle est venue mercredi nous apporter sescondoléances et nous offrir ses services ou ceux de ses filles au cas où nous en aurionsbesoin.

—LadyLucasauraitmieuxfaitderesterchezelle!s’écriaElizabeth.Peut-êtresesintentionsétaientbonnes;maisdansuneinfortunecommelanôtre,moinsonvoitsesvoisinsetmieuxcela vaut. Leur assistance ne peut être d’aucun secours et leurs condoléances sontimportunes.Qu’ilstriomphentdeloinetnouslaissentenpaix!

Elles’enquitalorsdesmesuresqueMr.Bennet,unefoisàLondres,comptaitprendrepourretrouversafille.

— Il voulait, je crois, aller à Epsom, – car c’est là queWickham et Lydia ont changé dechevaux pour la dernière fois, – et voir s’il pouvait obtenir des postillons quelquesrenseignements.Sonbutprincipalétaitdedécouvrirlavoituredelouagequ’ilsavaientpriseà Clapham. Cette voiture avait amené de Londres un voyageur : s’il pouvait connaître lamaison où le fiacre avait déposé son voyageur, il aurait à faire là aussi une enquête quipouvait,pensait-il, lui fairedécouvrir lenuméroet la stationdu fiacre. J’ignoresesautresprojets.Ilavaitsigrandehâtedepartiretilétaittellementtroubléquej’aidéjàeubeaucoupdemalàluiarrachercesquelquesrenseignements.

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Chapitre 48

ELENDEMAINMATIN,ONs’attendaitàLongbournàrecevoirunelettredeMr.Bennet,maislecourrierpassasansrienapporterdelui.Mr.Bennetétaitconnupourêtreentempsordinaireuncorrespondantpleindenégligence.Toutdemême,endescirconstancespareilles,lessiensattendaientdeluiuneffort.Ilsfurentobligésdeconclure qu’il n’avait à leur envoyer aucune nouvelle rassurante.Mais de celamêmeilsauraientaiméêtrecertains.Mr.GardinersemitenroutepourLondres

aussitôtaprèslepassagedelaposte.

Par lui, du moins, on serait assuré d’être tenu au courant. Il devait insister auprès deMr.Bennetpourqu’ilrevîntchezluileplustôtpossible;ill’avaitpromisenpartant,augrandsoulagementdesasœurquivoyaitdansceretourlaseulechancepoursonmariden’êtrepastuéenduel.Mrs.Gardiner s’étaitdécidéeà resterquelques joursdeplusenHertfordshireavec ses enfants, dans la pensée qu’elle pourrait être utile à ses nièces. Elle les aidait às’occuperdeleurmère

etsaprésenceleurétaitunréconfortdansleursmomentsdeliberté.LeurtantePhilipsaussilesvisitaitfréquemment,ettoujours,commeelleledisait,dansl’uniquebutdelesdistraireetde les remonter ; mais comme elle n’arrivait jamais sans leur apporter un nouveautémoignagedesdésordresdeWickham,ellelaissaitgénéralementsesniècesplusdécouragéesqu’ellenelesavaittrouvées.

ToutMerytonsemblaits’acharnerànoircirl’hommequi,troismoisauparavant,avaitétésonidole.Onracontaitqu’ilavaitlaissédesdettescheztouslescommerçantsdelaville,etqu’ilavait eu des intrigues qu’on décorait du nom de séductions dans les familles de tous cescommerçants.Onleproclamaitd’unevoixunanimel’hommeleplusdépravédel’univers,etchacun commençait à découvrir que ses dehors vertueux ne lui avaient jamais inspiréconfiance.Elizabeth,toutenn’ajoutantpasfoiàlamoitiédecesracontars,enretenaitassezpourêtredeplusenplusconvaincuede laperte irrémédiabledesa sœur. Janeelle-mêmeabandonnait tout espoir àmesureque le temps s’écoulait, car, si les fugitifs étaient partispourl’Écosse,cequ’elleavaittoujoursvouluespérer,onaurait,selontouteprobabilité,déjàreçudeleursnouvelles.

Mr.GardineravaitquittéLongbournledimanche:lemardi,safemmereçutunelettreoùildisaitqu’ilavaitvusonbeau-frèreàsonarrivée,etl’avaitdécidéàs’installeràGracechurchstreet. Mr. Bennet revenait d’Epsom et de Clapham où il n’avait pu recueillir la moindre

information;ilsedisposaitmaintenantàdemanderdesrenseignementsdanstousleshôtelsdeLondres,pensantqueWickhametLydia avaientpu séjournerdans l’und’euxavantdetrouver un logement. Mr. Gardiner n’attendait pas grand-chose de ces recherches maiscommesonbeau-frèreytenait,ils’apprêtaitàleseconder.IlajoutaitqueMr.Bennetn’étaitpasdisposépourl’instantàquitterLondres

etqu’ilallaitécrireàsafamille.Unpost-scriptumsuivaitainsiconçu:«Jeviensd’écrireaucolonelForsterpourluidemanderd’essayerdesavoirparlescamaradesdeWickhamsicedernieradesparentsoudesamisenpassedeconnaîtrel’endroitoùilsedissimule.Ceseraitunpointcapitalpournousquedesavoiroùnousadresseravecdeschancesdetrouverunfilconducteur.Actuellement,nousn’avonsrienpournousguider.LecolonelForster,j’ensuissûr,feratoutsonpossiblepournousobtenircerenseignement ;mais,enyréfléchissant,jemedemande siLizzyne sauraitpasnousdiremieuxquepersonnequelspeuventêtre lesprochesparentsdeWickham.»

Elizabethsedemandapourquoi l’on faisaitappelà sonconcours. Il luiétait impossibledefourniraucune indication.Ellen’avait jamaisentenduparleràWickhamdeparentsautresque sonpère et samère, décédésdepuis longtemps. Il était possible en effet qu’unde sescamaradesdurégimentfûtcapabled’apporterplusdelumière.Mêmesanschancessérieusesderéussir, ilyavaitàfairedececôtéunetentativequientretiendraitl’espérancedanslesesprits.

L’uneaprès l’autre, les journéess’écoulaientàLongbourndansuneanxiétéqueredoublaitl’heuredechaquecourrier.Cartoutenouvelle,bonneoumauvaise,nepouvaitvenirqueparlaposte.MaisavantqueMr.Gardinerécrivîtdenouveau,unelettrevenantd’unetoutautredirection, – une lettre deMr.Collins, – arriva à l’adresse deMr. Bennet. Jane, chargée dedépouillerlecourrierdesonpère,l’ouvrit,etElizabeth,quiconnaissaitlecurieuxstyledeslettresdesoncousin,lutpar-dessusl’épauledesasœur:

«Monchermonsieur,

«Nosrelationsdeparentéetmasituationdemembreduclergémefontundevoirdeprendrepartàladouloureuseafflictionquivousfrappe,etdontnousavonsétéinforméshierparunelettredu

Hertfordshire. Croyez bien, cher monsieur, que Mrs. Collins et moi sympathisonssincèrement avec vous et toute votre respectable famille, dans votre présente infortune,d’autantplusamèrequ’elleest irréparable. Jeneveuxoublieraucunargumentcapabledevousréconforterdanscettecirconstanceaffligeanteentretoutespourlecœurd’unpère.Lamortdevotrefilleeûtétéencomparaisonunegrâceduciel.L’affaireestd’autantplustristequ’ilyafortàsupposer,ainsiquemeleditmachèreCharlotte,quelaconduitelicencieusedevotrefilleprovientdelamanièredéplorabledontelleaétégâtée.Cependant,pourvotreconsolation et celle de Mrs. Bennet, j’incline à penser que sa nature était foncièrementmauvaise,sansquoiellen’auraitpascommisunetelleénormitéàunâgeaussitendre.Quoiqu’il en soit, vous êtes fort à plaindre, et je partage cette opinion non seulement avecMrs.Collins,maisencoreavecladyCatherineetmissdeBourgh.Ellescraignentcommemoiquel’erreurd’unedessœursneportepréjudiceàl’avenirdetouteslesautres;car,ainsiquedaignaittoutàl’heuremefaireremarquerladyCatherine,«quivoudraitmaintenants’allierà

votrefamille»?Etcetteconsidérationmeporteàréfléchirsurlepasséavecencoreplusdesatisfaction, car si les événements avaient pris un autre tour, en novembre dernier, ilmefaudraitparticipermaintenantàvotrechagrinetàvotredéshonneur.

«Laissez-moivousconseiller,chermonsieur,dereprendrecourage,derejeterloindevotreaffectionunefilleindigneetdelalaisserrecueillirlesfruitsdesoncoupableégarement.

«Croyez,chermonsieur»,etc.

Mr.Gardinernerécrivitqu’aprèsavoirreçularéponseducolonelForster,maisiln’avaitriende satisfaisant à communiquer. On ne connaissait à Wickham aucun parent avec qui ilentretîntdesrapports,et

trèscertainementiln’avaitplusdefamilleproche.Ilnemanquaitpasderelationsbanales,maisdepuissonarrivéeaurégimentonnel’avaitvuselierintimementavecpersonne.L’étatpitoyable de ses finances était pour lui un puissantmotif de se cacher, qui s’ajoutait à lacrainted’êtredécouvertparlafamilledeLydia.Lebruitserépandaitqu’ilavaitlaisséderrièreluidesdettesde jeuconsidérables.Le colonelForster estimaitqu’il faudraitplusdemillelivres pour régler ses dépenses à Brighton. Il devait beaucoup en ville, mais ses dettesd’honneurétaientplusformidablesencore.

Mr.Gardinern’essayaitpasdedissimulercesfaits.Janelesappritavechorreur:

—Quoi!Wickhamunjoueur!C’estinouï!s’écriait-elle.Jenem’enseraisjamaisdoutée!

La lettre de Mr. Gardiner annonçait aux jeunes filles le retour probable de leur père lelendemainmêmequiétaitunsamedi.Découragéparl’insuccèsdesestentatives,ilavaitcédéauxinstancesdesonbeau-frèrequil’engageaitàretournerauprèsdessiensenluilaissantlesoindepoursuivresesrecherchesàLondres.CettedéterminationnecausapasàMrs.Bennetlajoieàlaquelleons’attendait,aprèslescraintesqu’elleavaitmanifestéespourl’existencedesonmari.

— Comment, il revient sans cette pauvre Lydia ! Il quitte Londres avant de les avoirretrouvés!Quidonc,s’ils’enva,sebattraavecWickhampourl’obligeràépouserLydia?

CommeMrs.Gardinerdésirait retournerchezelle, il futconvenuqu’ellepartiraitavecsesenfants le jour du retour deMr. Bennet. La voiture les transporta donc jusqu’au premierrelaisetrevintàLongbournavecsonmaître.

Mrs.Gardinerrepartaitnonmoinsintriguéeausujetd’ElizabethetdesonamidePemberleyqu’elle l’avait été en quittant le Derbyshire. Le nom de Darcy n’était plus jamais venuspontanémentauxlèvresde

sanièce,etledemi-espoirqu’elle-mêmeavaitformédevoirarriverunelettredeluis’étaitévanoui. Depuis son retour, Elizabeth n’avait rien reçu qui parût venir de Pemberley. Envérité,onnepouvaitfaireaucuneconjectured’aprèsl’humeurd’Elizabeth,sonabattements’expliquantassezparlestristessesdelasituationprésente.Cependant,celle-civoyaitassezclair en elle-mêmepour sentir que si ellen’avait pas connuDarcy, elle aurait supporté lacraintedudéshonneurdeLydiaavecunpeumoinsd’amertumeetqu’unenuitd’insomniesurdeuxluiauraitétéépargnée.

LorsqueMr. Bennet arriva chez lui, il paraissait avoir repris son flegme et sa philosophiehabituels.Aussipeucommunicatifquedecoutume,ilnefitaucuneallusionàl’événementquiavaitmotivésondépartetsesfillesn’eurentpaslecouragedeluienparlerelles-mêmes.

C’est seulement l’après-midi lorsqu’il les rejoignit pour le thé qu’Elizabeth osa aborder lesujet ; mais lorsqu’elle lui eut exprimé brièvement son regret de tout ce qu’il avait dûsupporter,ilrépliqua:

—Neparlezpasdecela.Commejesuisresponsabledecequis’estpassé,ilestbienjustequej’ensouffre.

—Nesoyezpastropsévèrepourvous-même,protestaElizabeth.

—C’estcharitableàvousdemeprémunircontreunteldanger.Non,Lizzy,laissez-moisentiraumoinsunefoisdansmonexistencecombienj’aiétérépréhensible.Necraignezpointdemevoiraccabléparcesentimentquipasseratoujoursasseztôt.

—Croyez-vousqu’ilssoientàLondres?

—Jelecrois.Oùpourraient-ilsêtremieuxcachés?

—EtLydiasouhaitaitbeaucoupalleràLondres,remarquaKitty.

—Elle peut être satisfaite alors, dit sonpère froidement, car elle ydemeurera sansdoutequelquetemps.

Aprèsuncourtsilence,ilreprit:

—Lizzy,jenevousenveuxpasd’avoireuraisoncontremoi.L’avisquevousm’avezdonnéaumoisdemai,etquisetrouvejustifiéparlesévénements,dénoteunespritclairvoyant.

IlsfurentinterrompusparJanequivenaitchercherlethédesamère.

— Quelle aimable mise en scène, et que cela donne d’élégance au malheur ! s’écriaMr.Bennet.J’aibonneenvie,moiaussi,dem’enfermerdansmabibliothèqueenbonnetdenuit et en robe de chambre, et de donner tout l’embarras possible àmon entourage.Maispeut-êtrepuis-jeattendrepourcelaqueKittysefasseenleveràsontour.

—Maisjen’aipasl’intentiondemefaireenlever,papa !répliquaKittyd’untonvexé.EtsijamaisjevaisàBrighton,jem’yconduiraibeaucoupmieuxqueLydia.

—Vous,alleràBrighton!maisjenevoudraispasvousvoirallermêmeàEastbournpourunempire!Non,Kitty.J’aiapprisenfinlaprudence,etvousensentirezleseffets.Aucunofficierdésormaisneseraadmisàfranchirleseuildemamaison,nimêmeàpasserparlevillage.Lesbalsserontabsolumentinterdits,àmoinsquevousn’ydansiezqu’avecvossœursetvousnesortirezdeslimitesduparcquelorsquevousaurezprouvéquevouspouvezconsacrerdixminutesparjouràuneoccupationraisonnable.

Kitty,quiprenaittoutescesmenacesàlalettre,fonditenlarmes.

—Allons,allons!nepleurezpas,luiditsonpère.Sivousêtessage,d’iciunedizained’annéesjevousprometsdevousmeneràunerevue.

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Chapitre 49

EUXJOURSAPRÈSLE retour de Mr. Bennet, Jane et Elizabeth se promenaientensembledanslebosquetderrièrelamaison,lorsqu’ellesvirentvenirlafemmedecharge.Lacroyantenvoyéepar leurmèrepour lesappeler, lesdeux jeunesfillesallèrentàsarencontre,maisMrs.Hillditens’adressantàJane:

—Excusez-moidevousdéranger,mademoiselle,maisjepensaisqu’onavaitreçudebonnesnouvellesdeLondres,etjemesuispermisdevenirm’enenquérirauprèsdevous.

—Quevoulez-vousdire,Hill?nousn’avonsrienreçudeLondres.

—Comment,mademoiselle ! s’écriaMrs.Hill stupéfaite.Vousne saviezdoncpasqu’il estarrivépourMonsieurunexprèsenvoyéparMr.Gardiner?Ilestlàdepuisunedemi-heureetilaremisunelettreàmonmaître.

Lesjeunesfillescouraientdéjàverslamaison;ellestraversèrentlehalletseprécipitèrentdanslasalleàmanger,etdelà,danslabibliothèque:leurpèrenesetrouvaitnullepart.Ellesallaientmonterchezleurmèrequandellesrencontrèrentlevaletdechambre.

—SivouscherchezMonsieur,mesdemoiselles,ilestpartiverslepetitbois.

Surcetteindication,elless’élancèrenthorsdelamaisonettraversèrentlapelouseencourantpour rejoindre leurpèrequid’unpasdélibérésedirigeaitversunpetitboisquibordait laprairie.

Jane,moinslégèreetmoinshabituéeàcourirqu’Elizabeth,futbientôtdistancée,tandisquesasœurtoutessouffléerattrapaitsonpèreetluidemandaitavidement:

—Oh !papa,quellesnouvelles?quellesnouvelles?Vousavezbienreçuquelquechosedemononcle?

—Oui,unexprèsvientdem’apporterunelettredelui.

—Ehbien!quellesnouvellescontient-elle?...bonnesoumauvaises?

—Quepeut-onattendredebon?dit-il,tirantlalettredesapoche.Maispeut-êtrepréférez-vouslirevous-mêmecequ’ilm’écrit.

Elizabethluipritvivementlalettredesmains.Àcemoment,Janelesrejoignit.

—Lisez-latouthaut,ditMr.Bennet,carc’estàpeinesijesaismoi-mêmecequ’ellecontient.

«Gracechurchstreet,mardi2août.

«Moncherfrère,

«Enfinilm’estpossibledevousenvoyerdesnouvellesdemanièce,etj’espèreque,sommetoute,ellesvousdonnerontquelquesatisfaction.Samedi,peuaprèsvotredépart,j’aiétéassezheureuxpourdécouvrirdansquellepartiedeLondres ils se cachaient ; – jepasse sur lesdétailsquejevousdonneraidevivevoix;ilsuffitquevoussachiezqu’ilssontretrouvés.–Jelesaivustouslesdeux.»

—Alors,c’estbiencommejel’espérais,s’écriaJane,ilssontmariés!

«...Jelesaivustouslesdeux.Ilsnesontpasmariés,etjen’aipasdécouvertquelemariageentrâtdans leursprojets,mais si vousêtesprêt à remplir les engagementsque jeme suisrisqué à prendre pour vous, je crois qu’il ne tardera pas à avoir lieu. Tout ce qu’on vousdemandeestd’assurerparcontratàvotrefillesapartdescinqmillelivresquidoiventreveniràvosenfantsaprèsvous,etpromettreenoutredeluiservirannuellementunerentedecentlivres,votreviedurant.Étantdonnélescirconstances,j’aicrupouvoirsouscriresanshésiterà ces conditionsdans lamesureoù jepouvaism’engagerpourvous. Je vous envoie cettelettre par exprès afin que votre réponse m’arrive sans aucun retard. Vous comprenezfacilementparcesdétailsquelasituationpécuniairedeWickhamn’estpasaussimauvaisequ’onlecroitgénéralement.Lepublicaététrompésurcepoint,etjesuisheureuxdedirequelesdettesunefoisréglées,ilresteraunpetitcapitalquiseraportéaunomdemanièce.Si,commejelesuppose,vousm’envoyezpleins

pouvoirspouragirenvotrenom,jedonneraimesinstructionsàHaggerstonpourqu’ildresselecontrat.JenevoispaslamoindreutilitéàcequevousreveniezàLondres;aussidemeurezdonctranquillementàLongbournetreposez-voussurmoi.Envoyezvotreréponseaussitôtquepossibleenayantsoindem’écrireentermestrèsexplicites.Nousavonsjugépréférablequenotreniècerésidâtcheznousjusqu’àsonmariageetjepensequevousserezdecetavis.Ellenousarriveaujourd’hui.Jevousrécriraiaussitôtquedenouvellesdécisionsaurontétéprises.

«Bienàvous,

«EdwardGardiner.»

—Est-cepossible!s’écriaElizabethenterminantsalecture.Va-t-ilvraimentl’épouser?

—Wickhamn’estdoncpasaussiindignequenousl’avionspensé,ditsasœur.Moncherpère,jem’enréjouispourvous.

—Avez-vousréponduàcettelettre?demandaElizabeth.

—Non,maisilfautquejelefassesanstarder.

—Oh!père,revenezviteécrirecettelettre;pensezàl’importancequepeutavoirlemoindredélai!

—Voulez-vousquej’écrivepourvous,sicelavousennuiedelefaire?proposaJane.

—Celam’ennuieénormément,maisilfautquecelasoitfait.

Là-dessusilfitvolte-faceetrevintverslamaisonavecsesfilles.

—Puis-jevousposerunequestion?ditElizabeth.Cesconditions,iln’yasansdoutequ’às’ysoumettre?

—S’ysoumettre!Jesuisseulementhonteuxqu’ildemandesipeu...

—Etilfautabsolumentqu’ilssemarient?Toutdemême,épouserunhommepareil!

—Oui,oui;ilfautqu’ilssemarient.C’estunenécessitéquis’impose.Maisilyadeuxchosesqueje

désirevivementsavoir :d’abord,quellesommevotreoncleadûdébourserpourobtenircerésultat;ensuite,commentjepourraijamaism’acquitterenverslui.

—Quellesomme?Mononcle?Quevoulez-vousdire?s’écriaJane.

—Jeveuxdirequepasunhommedesensn’épouseraitLydiapourunappâtaussimincequecentlivresparanpendantmavie,etcinquanteaprèsmamort.

—C’esttrèsjuste,ditElizabeth;cetteidéenem’étaitpasvenueencore.Sesdettespayées,etenoutreunpetitcapital !Sûrement, c’estmononclequi a tout fait.Quellebonté !Quellegénérosité!J’aipeurqu’iln’aitfaitlàunlourdsacrifice.Cen’estpasavecunepetitesommequ’ilauraitpuobtenircerésultat.

—Non,ditsonpère,Wickhamestfous’ilprendLydiaàmoinsdedixmillelivressterling.Jeseraisfâchéd’avoiràlejugersimaldèsledébutdenosrelationsdefamille.

—Dixmillelivres,justeciel !Commentpourrait-onrembourserseulementlamoitiéd’unepareillesomme?

Mr,Bennetneréponditpointettoustroisgardèrentlesilencejusqu’àlamaison.Mr.Bennetse rendit dans la bibliothèque pour écrire, tandis que ses filles entraient dans la salle àmanger.

—Ainsi,ilsvontsemarier!s’écriaElizabethdèsqu’ellesfurentseules.Etdirequ’ilfautenremercier laProvidence. . .Qu’ils s’épousentavecdeschancesdebonheursiminceset laréputationdeWickhamsimauvaise,voilàcedontnoussommesforcéesdenousréjouir !ÔLydia!...

—Jemeconsole,ditJane,enpensantqu’iln’épouseraitpasLydia,s’iln’avaitpourelleuneréelle affection.Que notre oncle ait fait quelque chose pour le libérer de ses dettes, c’estprobable ; mais je ne puis croire qu’il ait avancé dix mille livres ou une somme qui enapproche!Ilestpèredefamille:commentpourrait-ildisposerdedixmillelivres?

—Sinousarrivonsjamaisàconnaîtred’uncôtéle

montantdesdettes,etdel’autrelechiffreducapitalajoutéàladotdeLydia,noussauronsexactementcequ’afaitpoureuxMr.Gardiner,carWickhamn’apassixpenceluiappartenantenpropre.Jamaisnousnepourronsassezreconnaîtrelabontédemononcleetdematante.AvoirprisLydiachezeux,et luiaccorderpoursonplusgrandbien leurprotectionet leurappui est un acte de dévouement que des années de reconnaissance ne suffiront pas à

acquitter.Pourlemoment,lavoilàprèsd’eux,etsiuntelbienfaitn’excitepassesremords,elle ne mérite pas d’être heureuse. Quel a dû être son embarras devant ma tante, à leurpremièrerencontre!

— Efforçons-nous d’oublier ce qui s’est passé de part et d’autre, dit Jane. J’ai espoir etconfiancequ’ilsserontheureux.Pourmoi,dumomentqu’il l’épouse,c’estqu’ilveutenfinrentrer dans la bonne voie. Leur affection mutuelle les soutiendra, et je me dis qu’ilsmèneront une vie assez rangée et raisonnable pour que le souvenir de leur imprudencefinissepars’effacer.

—Leurconduiteaétételle,répliquaElizabeth,quenivous,nimoi,nipersonnenepourronsjamaisl’oublier.Ilestinutiledeseleurrersurcepoint.

Il vint alors à l’esprit des jeunes filles que leurmère, selon toute vraisemblance, ignoraitencorelesnouvellesreçues.Ellesallèrentdonctrouverleurpèredanslabibliothèque,etluidemandèrentsiellesdevaientmettreelles-mêmesMrs.Bennetaucourant. Ilétaitentraind’écrireet,sansleverlatête,réponditfroidement:

—Faitescommeilvousplaira.

—Pouvons-nousemporterlalettredemononclepourlaluilire?

—Emporteztoutcequevousvoulez,etlaissez-moitranquille.

Elizabethpritlalettresurlebureau,etlesdeuxsœursmontèrentchezMrs.Bennet.KittyetMarysetrouvaientauprèsd’elle,sibienquelamême

communicationservitpourtoutlemonde.Aprèsuncourtpréambulepourlesprépareràdebonnesnouvelles,Janelutlalettretouthaut.Mrs.Bennetavaitpeineàsecontenir.Quandvint le passage oùMr. Gardiner exprimait l’espoir que Lydia serait bientôtmariée, sa joieéclata, et la suite ne fit qu’ajouter à son exaltation. Le bonheur la bouleversait aussiviolemmentquel’inquiétudeetlechagrinl’avaienttourmentée.

—MaLydia !MachèrepetiteLydia ! s’exclama-t-elle.Quelle joie, elle va semarier ! Je lareverrai.Ellevasemarieràseizeans.Oh !monbonfrère !Jesavaisbienqu’ilarrangeraittout ! Comme il me tarde de la revoir, et de revoir aussi ce cher Wickham. . . Mais lestoilettes?lestoilettesdenoce?JevaisécriretoutdesuiteàmasœurGardinerpourqu’elles’enoccupe.Lizzy,monenfant,courezdemanderàvotrepèrecombienilluidonnera.Non,restez!restez!J’yvaismoi-même.SonnezHill,Kitty;jem’habilleàl’instant.Lydia,machèreLydia!Commenousseronscontentesdenousretrouver!

JanetentadecalmercestransportsenreprésentantàsamèrelesobligationsqueleurcréaitledévouementdeMr.Gardiner.

—Car, dit-elle, nous devons pour une bonne part attribuer cet heureux dénouement à lagénérositédemononcle.Noussommespersuadésqu’ils’estengagéàaiderpécuniairementMr.Wickham.

—Ehbien!s’écriasamère,c’esttrèsjuste.Quipouvaitmieuxlefairequel’oncledeLydia?S’iln’avaitpasdefamille,toutesafortunedevraitreveniràmoietàmesenfants.C’estbienlapremièrefoisquenousrecevronsquelquechosedelui,àpartdemenuscadeauxdetempsà

autre.Vraiment, je suis tropheureuse : j’aurai bientôt une fillemariée.Mrs.Wickham. . .commecelasonnebien!Etellen’asesseizeansquedepuislemoisdejuin!MachèreJane,jesuistropémuepourêtrecapabled’écriremoi-même;aussijevaisdicteretvousécrirez.Plustard,nous

décideronsavecvotrepèrelasommeàenvoyer,maisoccupons-nousd’aborddecommanderlenécessaire.

Ellecommençaitàentrerdanstoutessortesdedétailsdecalicot,demousseline,debatiste,etelle aurait bientôt dicté d’abondantes commandes si Jane ne l’avait, non sans peine,persuadéed’attendrequeMr.Bennetfûtlibrepourleconsulter.Unjourderetard,observa-t-elle,netiraitpasàconséquence.L’heureusemèrecéda,oubliantsonhabituelleobstination.D’autresprojets,d’ailleurs,luivenaiententête.

—Dèsquejeseraiprête,déclara-t-elle,j’iraiàMerytonpourannoncerlabonnenouvelleàmasœurPhilips.Enrevenant,jepourraim’arrêterchezladyLucasetchezMrs.Long.Kitty,descendezvitecommanderlavoiture.Celameferagrandbiendeprendrel’air.Enfants,puis-jefairequelquechosepourvousàMeryton?Ah!voilàHill.MabraveHill,avez-vousapprislabonnenouvelle?MissLydiava semarier, et le jourde lanocevousaurez tousunboldepunchpourvousmettrelecœurenfête.

Mrs.Hillaussitôtd’exprimersajoie.Elizabethreçutsescomplimentscommelesautres,puis,lasse de tant d’extravagances, elle chercha un refuge dans sa chambre pour s’abandonnerlibrementàsespensées.LasituationdelapauvreLydia,enmettantleschosesaumieux,étaitencore suffisamment triste ; mais il fallait se féliciter qu’elle ne fût pas pire. Tel était lesentimentd’Elizabeth,etbienqu’ellenepûtcompterpoursasœursurunavenirdebonheuretdeprospérité,enpensantàleursangoissespassées,elleapprécialesavantagesdurésultatobtenu.

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Chapitre 50

URANTLESANNÉESÉCOULÉES, Mr. Bennet avait souvent regretté qu’au lieu dedépensertoutsonrevenuiln’eûtpasmisdecôtéchaqueannéeunepetitesommepourassureraprèsluilapossessiond’uncapitalàsesfillesetàsafemme,si celle-ci lui survivait. Il le regrettait aujourd’hui plus que jamais. S’il avaitremplicedevoir,Lydia,àcetteheure,nedevraitpasàsononclel’honneuretladignité qu’on était en traind’acheter pour elle, et c’est lui-mêmequi aurait la

satisfaction d’avoir décidé un des jeunes hommes les moins estimables de la Grande-Bretagneàdevenirlemaridesafille.Ilétaitprofondémentcontrariédepenserqu’uneaffairesidésavantageusepourtoutlemondeseréglaitauxseulsfraisdesonbeau-frère,etrésoluàdécouvrir, s’il le pouvait, le montant des sommes qu’il avait déboursées pour lui, il seproposaitdelesluirendreaussitôtqu’ilenauraitlesmoyens.

Quand Mr. Bennet s’était marié, il n’avait pas considéré l’utilité des économies.Naturellement, il escomptait la naissance d’un fils, par quoi serait annulée la clause del’«entail»,etassurélesortdeMrs.Bennetetdesesautresenfants.Cinqfillesfirentl’uneaprès l’autre leur entrée en cemonde,mais le fils ne vint pas.Mrs. Bennet l’avait espéréencorebiendesannéesaprèslanaissancedeLydia.Cerêveavaitdûêtreenfinabandonné,mais il était trop tard pour songer aux économies. Mrs. Bennet n’avait aucun goût pourl’épargne, et seule l’aversion deMr. Bennet pour toute dépendance les avait empêchés dedépasserleurrevenu.

D’aprèslecontratdemariage,cinqmillelivresdevaientreveniràMrs.Bennetetàsesfilles;maislafaçondontcettesommeseraitpartagéeentrelesenfantsétaitlaisséeàlavolontédesparents.C’étaitlàunpointque,pourLydiatoutaumoins,ilfallaitdéciderdèsàprésent,etMr.Bennetnepouvaitavoiraucunehésitationàaccepterlapropositionquiluiétaitfaite.Endes termes qui, bien que concis, exprimaient sa profonde reconnaissance, il écrivit à sonbeau-frèrequ’ilapprouvaitpleinementtoutcequ’il

avaitfait,etratifiaittouslesengagementsqu’ilavaitprisensonnom.

C’étaitpourMr.Bennetuneheureusesurprisedevoirquetouts’arrangeaitsansplusd’effortdesapart.Sonplusgranddésiractuellementétaitd’avoiràs’occuperlemoinspossibledecette affaire. Maintenant que les premiers transports de colère qui avaient animé sesrecherchesétaientpassés,ilretournaitnaturellementàsonindolencecoutumière.

Salettrefutbientôtécrite,cars’ilétaitlentàprendreunedécision,illamettaitrapidementà

exécution.Ilpriaitsonbeau-frèredeluidonnerlecomptedétaillédetoutcequ’illeurdevait.MaisilétaitencoretropirritépourlechargerdetransmettreàLydialemoindremessage.

Lesbonnesnouvelles,bientôtconnuesdanstoutelamaison,serépandirentrapidementauxalentours.Ellesfurentaccueilliesparlesvoisinsavecunedécentephilosophie.Évidemmentles conversations auraient pu trouver un plus riche aliment si miss Lydia Bennet étaitrevenuebrusquementaulogispaternel,oùmieuxencore,sielleavaitétémiseenpénitencedans une ferme éloignée. Mais son mariage fournissait encore une ample matière à lamédisance, et les vœux exprimés par les vieilles dames acrimonieuses de Meryton neperdirentpasbeaucoupdeleurfielparsuiteduchangementdecirconstancescar,avecunpareilmari,lemalheurdeLydiapouvaitêtreconsidérécommecertain.

Il yavaitquinze joursqueMrs.Bennetgardait la chambre.Maisencetheureux jour, ellereprit sa place à la table de famille dans des dispositions singulièrement joyeuses.Aucunsentimentdehontenevenaitdiminuersontriomphe : lemariaged’unedesesfilles,–sonvœulepluscherdepuisqueJaneavaitseizeans,–allaits’accomplir!Elleneparlaitquedetoutcequifiguredansdesnocessomptueuses :finesmousselines,équipagesetserviteurs.Ellepassaitenrevue

touteslesmaisonsduvoisinagepouvantconveniràsafilleet,sansqu’ellesûtniconsidérâtquelpourraitêtrelebudgetdujeuneménage,riennepouvaitlasatisfaire.

—HayeParkferaitl’affairesilesGouldinezs’enallaient,oulagrandemaisonàStoke,silesalonétaitunpeuplusvaste.MaisAshworthesttroploin ; jenepourrais supporter l’idéed’avoirLydiaàdixmillesdecheznous.QuantàPurvisLodge,letoitdelamaisonesttroplaid.

Son mari la laissa parler sans l’interrompre tant que les domestiques restèrent pour leservice;maisquandilssefurentretirés,illuidit:

—Mrs. Bennet, avant de retenir pour votre fille et votre gendre une ou plusieurs de cesmaisons,tâchonsd’aborddenousentendre.Ilyaunemaison,entoutcas,oùilsnemettrontjamaislespieds.Jeneveuxpasavoirl’aird’approuverleurcoupablefolieenlesrecevantàLongbourn.

Cettedéclarationprovoquaunelonguequerelle,maisMr.Bennettintbon,etnetardapasàen faire une autre qui frappa Mrs. Bennet de stupéfaction et d’horreur : il dit qu’iln’avanceraitpasuneguinéepourletrousseaudesafilleetaffirmaqueLydianerecevraitpasdeluilamoindremarqued’affectionencettecirconstance.Mrs.Bennetn’enrevenaitpas ;ellenepouvaitconcevoirquelacolèredesonmaricontresafillepûtêtrepousséeaupointderefuseràcelle-ciunprivilègesanslequel,luisemblait-il,lemariageseraitàpeinevalide.ElleétaitplussensiblepourLydiaaudéshonneurqu’ilyauraitàsemariersanstoiletteneuvequ’à la honte de s’être enfuie et d’avoir vécu quinze jours avecWickham avant d’être safemme.

Elizabethregrettaitmaintenantd’avoirconfiéàMr.Darcy,dansunmomentdedétresse,lescraintes qu’elle éprouvait pour sa sœur. Puisqu’un promptmariage allaitmettre fin à sonaventure,onpouvaitespérerencacherlesmalheureuxpréliminairesàceux

quin’habitaientpaslesenvironsimmédiats.Ellesavaitquerienneseraitébruitéparlui,–il

yavaitpeud’hommesdont ladiscrétionlui inspirâtautantdeconfiance,–mais,enmêmetemps,ilyenavaitbienpeuàquielleauraittenudavantageàcacherlafragilitédesasœur;noncependantàcausedupréjudicequienpourraitrésulterpourelle-même,carentreelleetDarcy,ilyavaitdésormais,semblait-il,unabîmeinfranchissable.LemariagedeLydiaeût-ilété conclu le plus honorablement dumonde, il n’était guère vraisemblable queMr.Darcyvoulût entrer dans une famille contre laquelle, à tant d’autres objections, venait s’ajoutercelled’uneparentéétroiteavecl’hommequ’ilméprisaitsijustement.

Elizabethnepouvaits’étonnerqu’ilreculâtdevantunetellealliance.Ilétaitinvraisemblablequelesentimentqu’illuiavaitlaissévoirenDerbyshiredûtsurvivreàunetelleépreuve.Elleétait humiliée, attristée, et ressentait un vague repentir sans savoir au juste de quoi. Elledésiraitjalousementl’estimedeMr.Darcy,maintenantqu’ellen’avaitplusrienàenespérer;elle souhaitait entendre parler de lui, quand il semblait qu’elle n’eût aucune chance derecevoirdesesnouvelles,etelleavaitlaconvictionqu’avecluielleauraitétéheureusealorsque,selontouteprobabilité,jamaisplusilsneserencontreraient.

« Quel triomphe pour lui, pensait-elle souvent, s’il savait que les offres qu’elle avait sifièrement dédaignées quatremois auparavant, seraientmaintenant accueillies avec joie etreconnaissance!Oui,bienqu’àsonjugementildépassâtengénérositétousceuxdesonsexe,ilétaithumainqu’iltriomphât.»

ElleserendaitcompteàprésentqueDarcy,par lanaturedesesqualités,étaitexactementl’hommequiluiconvenait.Sonintelligence,soncaractèrequoiquesidifférentdusienauraitcorresponduàsesvœux.Leurunioneûtétéàl’avantagedel’unetdel’autre.Lavivacitéetlenatureld’Elisabethauraientadouci

l’humeurdeDarcyetdonnéplusdecharmesàsesmanières;etlui-même,parsonjugement,par laculturedesonesprit,par saconnaissancedumonde,auraitpuexercersurelleuneinfluenceplusheureuseencore.Maisonnedevaitpasvoirunetelleunionoffriraupublicl’imagefidèledelafélicitéconjugale.Uneautred’uncaractèretoutdifférentallaitseformerdanssafamillequiexcluaitpourlapremièretoutechancedeseréaliser.

Elizabeth se demandait comment pourrait être assurée à Wickham et à Lydia uneindépendance suffisante. Mais il lui était aisé de se représenter le bonheur instable dontpourraientjouirdeuxêtresqu’avaitseulerapprochéslaviolencedeleurspassions.

Une nouvelle lettre de Mr. Gardiner arriva bientôt. Aux remerciements de Mr. Bennet ilrépondait brièvement par l’assurance de l’intérêt qu’il portait à tous les membres de safamille, et demandait pour concluredenepas revenir sur ce sujet. Lebutprincipal de salettreétaitd’annoncerqueMr.Wickhamétaitdéterminéàquitterlamilice.

« . . .Depuisquelemariageaétédécidé,c’étaitmonvifdésirdeluivoirprendreceparti.Vouspenserezsansdoutecommemoiquecechangementdemilieuestaussiopportunpourma nièce, que pour lui.Mr.Wickham à l’intention d’entrer dans l’armée régulière, et il ad’anciensamisquisontprêtsàappuyersademande.Onluiapromisunbrevetd’enseignedans un régiment du Nord. La distance entre ce poste et notre région n’est pas undésavantage. Ilparaîtbiendisposé,et jeveuxcroireque,dansunautremilieu, lesoucidesauvegarder leur réputation les rendra tous deux plus circonspects. J’ai écrit au colonelForsterpourl’informerdenosprésentsarrangements,etleprierdesatisfairelescréanciers

deWickhamàBrightonetauxenvirons,parlapromessed’unrèglementrapidepourlequeljemesuisengagé.Voulez-vousprendrelapeine

dedonnerlamêmeassuranceàsescréanciersdeMerytondontvoustrouverezci-jointelalisteremiseparlui-même.Ilnousadéclarétoutessesdettes;–j’aimeàcroiredumoinsqu’ilnenousapastrompés.–Haggerstonànosordres,ettoutseraprêtd’iciunehuitainedejours.Wickhamet sa femmepartiront alors pour rejoindre le régiment, àmoins qu’ils ne soientd’abordinvitésàLongbourn,etmafemmemeditqueLydiadésireardemmentvousrevoirtousavantsondépartpourleNord.Ellevabienetmechargedesesrespectspourvousetpoursamère.

«Vôtre,

«E.Gardiner.»

Mr.BennetetsesfillesvoyaientaussiclairementqueMr.Gardinercombienilétaitheureuxque Wickham quittât le régiment de la milice. Mais Mrs. Bennet était beaucoup moinssatisfaite.VoirLydias’établirdans leNordde l’Angleterre justeaumomentoùelleétaitsijoyeuseetsi fièreà lapenséedel’avoirprèsd’elle,quellecruelledéception !Etpuis, queldommagepourLydiades’éloignerd’unrégimentoùelleconnaissaittoutlemonde!

—Elleaimait tantMrs.Forster, soupirait-elle,qu’il lui sera trèsdurd’enêtreséparée. Ilyavaitaussiplusieursjeunesgensquiluiplaisaientbeaucoup.DanscerégimentduNord,lesofficiersserontpeut-êtremoinsaimables!

LademandequefaisaitLydiad’êtreadmiseàrevoirsafamilleavantsondépartfutd’abordaccueilliedelapartdesonpèreparunrefuspéremptoire,maisJaneetElizabethdésiraientvivementpour lebien, ainsiquepour la réputationde leur sœur,qu’elle fût traitéemoinsdurement, et elles pressèrent leur père avec tant d’insistance, de douceur et de raison derecevoirlesjeunesépouxàLongbournqu’ilfinitparselaisserpersuader.Leurmèreeutdonclasatisfactiond’apprendrequ’ellepourraitexhiberlajeune

mariéeàtoutlevoisinageavantsonlointainexil.Enrépondantàsonbeau-frère,Mr.Bennetenvoya la permission demandée et il fut décidé qu’au sortir de l’église, le jeune coupleprendraitlaroutedeLongbourn.ElizabethfutsurprisecependantqueWickhamconsentîtàcetarrangement.Encequilaconcernait,àneconsulterquesoninclination,unerencontreavecluiétaitbienladernièrechosequ’elleeûtsouhaitée.

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Chapitre 51

EJOURDUMARIAGEdeLydia,JaneetElizabethsesentirentcertainementplusémuesque lamariée elle-même. La voiture fut envoyée à *** à la rencontre du jeunecouplequidevaitarriverpourl’heuredudîner.Lessœursaînéesappréhendaientlemomentdurevoir,Janeenparticulierquiprêtaitàlacoupablelessentimentsqu’elle aurait éprouvés à sa place et souffrait elle-même de ce qu’elle devaitendurer.

Ilsarrivèrent.Toutelafamilleétaitréuniedanslepetitsalonpourlesaccueillir.LevisagedeMrs.Bennetn’étaitquesourires.Celuidesonmarirestaitgraveetimpénétrable.Lesjeunesfillessesentaientinquiètes,anxieusesetmalàl’aise.

LavoixdeLydiasefitentendredansl’antichambre,laportes’ouvritbrusquementetelleseprécipitadanslesalon.Samères’avançapourlarecevoirdanssesbrasetl’embrassaavectransports,puistenditlamainavecunaffectueuxsourireàWickhamquisuivaitsafemme,etleurexprimasesvœuxavecunempressementquimontraitbienqu’ellenedoutaitnullementdeleurbonheur.

L’accueilqu’ilsreçurentensuitedeMr.Bennetnefutpastoutàfaitaussicordial.Saraideurs’accentuaetc’estàpeines’ilouvritlabouche.Ladésinvolturedujeunecoupleluidéplaisaitextrêmement;elle

indignaitElizabethetchoquaitJaneelle-même.LydiaétaittoujoursLydia ;aussi intrépide,aussi exubérante, aussi bruyante, aussi indomptable que jamais. Elle allait d’une sœur àl’autreenréclamantleursfélicitationsetquand,àlafin,toutlemondefutassis,ellesemitàregarderlesalon,etprenantnotedequelqueschangementsqu’onyavaitapportés,observaenriantqu’ilyavaitbienlongtempsqu’ellenes’étaitpastrouvéedanscettepièce.

Wickhamnemontraitpasplusd’embarras,maisilavaitdesmanièressicharmantesquesisaréputation et son mariage n’avaient donné lieu à aucun blâme, l’aisance souriante aveclaquelleilseréclamaitdeleurnouvelleparentéauraitravitoutlemonde.

Elizabethne revenait pasd’une telle assurance et se disait qu’il était vaind’imaginerunelimiteàl’audaced’unhommeimpudent.ElleetJanesesentaientrougir,maissurlevisagedeceuxquiétaientcausedeleurconfusion,ellesnevoyaientaucunchangementdecouleur.

Laconversationnelanguissaitpas.LamariéeetsamèrenepouvaientchacuneparleravecassezdevolubilitéetWickham,quisetrouvaitassisàcôtéd’Elizabeth,semitàluidemander

desnouvellesdetouteslespersonnesqu’ilconnaissaitdanslevoisinageavecunairnatureletsouriantqu’ellefutincapabledeprendreelle-mêmepourluirépondre.Safemmeetluineparaissaient avoir que de joyeux souvenirs, et Lydia abordait volontairement des sujetsauxquelssessœursn’auraientvoulupourrienaumondefaireallusion.

—Songezqu’ilyadéjà troismoisque je suispartie ! s’écria-t-elle. Ilme semblequ’il y aseulementquinzejours,etpourtantlesévénementsn’ontpasmanquépendantcesquelquessemaines.Dieuduciel!medoutais-je,quandjesuispartie,quejereviendraismariée !bienquejemesoisditquelquefoisqueceseraitjolimentamusantsicelaarrivait...

Ici, sonpère fronça lessourcils ; Janeparaissait au supplice, tandisqu’Elizabeth fixait surLydia des regards significatifs. Mais celle-ci, qui ne voyait ni n’entendait que ce qu’ellevoulaitvoirouentendre,continuagaiement:

—Oh!maman,sait-onseulementpariciquejemesuismariéeaujourd’hui?J’avaispeurquenon;aussiquandnousavonsdépassésurlaroutelecabrioletdeWilliamGoulding,j’aibaisséla glace, ôtémongant etposé lamain sur le rebordde laportière afinqu’il pûtvoirmonalliance,etj’aifaitdessalutsetdessouriresàn’enplusfinir.

Elizabethn’en put supporter davantage. Elle s’enfuit du salon et ne revint que lorsqu’elleentendittoutlemondetraverserlehallpourgagnerlasalleàmanger.ElleyarrivaàtempspourvoirLydiaseplaceravecempressementàladroitedesamèreendisantàsasœuraînée:

—Maintenant,Jane,vousdevezmecédervotreplace,puisquejesuisunefemmemariée.

Iln’yavaitpaslieudecroirequeletempsdonneraitàLydialaréservedontellesemontraitsidépourvue dès le commencement. Son assurance et son impétuosité ne faisaientqu’augmenter.IlluitardaitdevoirMrs.Philips,lesLucas,touslesvoisins,etdes’entendreappeler«Mrs.Wickham».Enattendant,elles’enfutaprèslerepasexhibersonallianceetfaireparadedesanouvelledignitédevantMrs.Hilletlesdeuxservantes.

—Ehbien,maman,dit-ellequandtousfurentrevenusdanslepetitsalon,quedites-vousdemonmari?N’est-cepasunhommecharmant?Jesuissûrequemessœursm’envient,etjeleursouhaited’avoirseulementmoitiéautantdechancequemoi. Il faudraqu’ellesaillenttoutesàBrighton;c’estlemeilleurendroitpourtrouverdesmaris.Queldommagequenousn’ysoyonspasalléestouteslescinq!

—C’estbienvrai;etsicelan’avaitdépenduquede

moi. . .Mais,machèreLydia,celamedéplaîtbeaucoupdevousvoirpartir si loin !Est-ceabsolumentnécessaire?

—Jecroisqueoui.Maisj’ensuistrèscontente.Vousetpapaviendreznousvoirainsiquemessœurs.NousseronsàNewscastletoutl’hiver.Ilyaurasûrementdesbalsetjem’engageàfournirmessœursdedanseursagréables.Quandvouspartirez,vouspourreznousenlaisseruneoudeuxetjemefaisfortedeleurtrouverdesmarisavantlafindel’hiver.

—Jevousremerciepourmapart,ditElizabeth ;maisjen’appréciepasspécialementvotrefaçondetrouverdesmaris.

Lejeunecouplenedevaitpasresterplusdedixjours ;Mr.Wickhamavaitreçusonbrevet

avantsondépartdeLondres,etdevaitavoirrejointsonrégimentavantlafindelaquinzaine.Personne,àpartMrs.Bennet,ne regrettait labrièvetéde leur séjour.Elleemploya toutcetempsàfairedesvisitesavecsafille,etàorganiserchezelledenombreusesréceptionsquifirent plaisir à tout le monde, certains membres de la famille ne demandant qu’à éviterl’intimité.

Elizabeth eut vite observé que les sentiments de Wickham pour Lydia n’avaient pas lachaleurdeceuxqueLydiaéprouvaitpourlui;etellen’eutpasdepeineàsepersuaderquec’était la passiondeLydia et non celle deWickhamqui avait provoqué l’enlèvement.Elleauraitpusedemanderpourquoi,n’étantpasplusvivementépris,ilavaitacceptédefuiravecLydia, si elle n’avait tenu pour certain que cette fuite était commandée par ses embarraspécuniaires, et, dans ce cas,Wickhamn’était pashommeà se refuser l’agrémentdepartiraccompagné.

Lydiaétaitfollementéprise.Ellen’ouvraitlabouchequepourparlerdesoncherWickham :c’étaitlaperfectionentout,etpersonnenepouvaitluiêtrecomparé.

Unmatinqu’ellesetrouvaitavecsesdeuxaînées,elleditàElizabeth:

—Lizzy,jenevousaijamaisracontémonmariage,jecrois;vousn’étiezpaslàquandj’enaiparléàmamanetauxautres.N’êtes-vouspascurieusedesavoircommentleschosessesontpassées?

—Non, en vérité, répliqua Elizabeth ; je suis d’avis quemoins on en parlera,mieux celavaudra.

—MonDieu !quevousêtesétrange !Toutdemême,ilfautquejevousmetteaucourant.VoussavezquenousnoussommesmariésàSaint-ClémentparcequeWickhamhabitaitsurcetteparoisse.Ilavaitétéconvenuquenousyserionstousàonzeheures ;mononcle,matanteetmoidevionsnousyrendreensemble,etlesautresnousrejoindreàl’église.Lelundimatin,j’étaisdansunétat!J’avaissipeurqu’unedifficultéquelconquenevînttoutremettre!Jecroisquej’enseraisdevenuefolle. . .Pendantquejem’habillais,matantenecessaitdeparleretdediscourir,commesielledébitaitunsermon;maisjen’entendaispasunmotsurdix, car vous supposez bien que je ne pensais qu’àmon cherWickham. J’avais tellementenviedesavoirs’ilsemarieraitavecsonhabitbleu!

«Nous avons déjeuné à dix heures, comme d’habitude. Ilme semblait que l’aiguille de lapendulen’avançaitpas;carilfautvousdirequel’oncleetlatanteontétéaussidésagréablesquepossible,toutletempsquejesuisrestéeaveceux.Vousmecroirezsivousvoulez,maisonnem’a pas laissée sortir une seule fois pendant toute cette quinzaine ! Pas une petiteréunion,rien,rien !AssurémentLondresétaitàcemomentassezvide ;maisenfin,lePetitThéâtreétaitencoreouvert!...Pourenreveniràmonmariage,lavoiturearrivaitdevantlaporte lorsquemon oncle fut demandé par cet affreux homme,Mr. Stone, – et vous savezqu’unefoisensemble, ilsn’enfinissentplus.–J’avaisunepeurterriblede lesvoiroublierl’heure,cequiaurait fait remettremonmariageau lendemain ; etnousnepouvionsnouspasserdemononclequidevaitmeconduireàl’autel.Heureusement,ilest

revenuauboutdedixminutesetl’ons’estmisenroute.Depuis,j’airéfléchiquesimononcle

avaitétéretenu,lemariageauraitpuquandmêmeavoirlieu,carMr.Darcyauraitputrèsbienleremplacer.

—Mr.Darcy!...répétaElizabethabasourdie.

—Maisoui!Voussavezqu’ildevaitveniravecWickham...Oh!monDieu!J’aioubliéquejenedevaispassoufflermotdecela!Jel’avaissibienpromis!QuevadireWickham?C’étaituntelsecret...

—S’il en est ainsi, dit Jane,nenousditespasunmotdeplus et soyez assuréeque jenechercheraipasàensavoirdavantage.

— Certainement, appuya Elizabeth qui pourtant était dévorée de curiosité, nous ne vousposeronspasdequestions.

—Merci,ditLydia;carsivousm’enposiez,jevousdiraistout,etWickhamseraittrèsfâché.

Devant cet encouragement, Elizabeth, pour pouvoir tenir sa promesse, fut obligée de sesauverdanssachambre.

Maisdemeurerdansl’ignorancedecequis’étaitpasséétaitchoseimpossible,oudumoinsilétaitimpossibledenepaschercheràserenseigner.Ainsi,Mr.Darcyavaitassistéaumariagedesasœur!

Lessuppositionslesplusextravagantestraversèrentl’espritd’Elizabethsansqu’aucunepûtlasatisfaire.Cellesquiluiplaisaientdavantageparcequ’ellesdonnaientunegrandenoblesseàlaconduitedeMr.Darcy,luisemblaientlesplusinvraisemblables.Incapabledesupporterplus longtemps cette incertitude, elle saisit une feuille de papier et écrivit à sa tante unecourtelettreoùellelapriaitdeluiexpliquerlesparoleséchappéesàLydia.

«Vouscomprendrezfacilementcombienjesuiscurieusedesavoircommentunhommequinenous est nullement apparenté, qui n’estmêmepas un ami de notre famille, pouvait setrouverparmivousdansunetellecirconstance.Jevousenprie,écrivez-moitout

desuitepourmedonnercetteexplication,àmoinsquevousayezdetrèssérieusesraisonspourgarderlesecret,commeLydiasemblaitlecroirenécessaire.Danscecas,jetâcheraidem’accommoderdemonignorance...»

«Pourcela,certainementnon,»seditElizabethàelle-même;etelleterminasalettreainsi:« . . .Mais jedoisvousprévenir,machère tante,que si vousneme renseignezpasd’unemanièrehonorable,j’enserairéduiteàemployerdesrusesetdesstratagèmespourdécouvrirlavérité...»

Jane avait une délicatesse trop scrupuleuse pour reparler avec Elizabeth de ce que Lydiaavaitlaissééchapper.Elizabethn’enétaitpasfâchée.Jusqu’aumomentoùelleauraitapprisquelquechose,ellepréféraitsepasserdeconfidente.

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Chapitre 52

LIZABETHEUTLASATISFACTION de recevoirune réponsedans les plus courtsdélais.Dèsqu’elle l’eutenmains,ellesehâtadegagner lepetitboisoùellecourait lemoins de risques d’être dérangée, et s’asseyant sur un banc, se prépara àcontentersacuriosité.Levolumedelalettrel’assuraiteneffetparavancequesatantenerépondaitpasàsademandeparunrefus.

«GracechurchStreet,6septembre.

«Machèrenièce,

«Jeviensderecevoirvotre lettre,etvaisconsacrer toutemamatinéeàyrépondre,car jeprévoisquequelqueslignesnesuffiraientpaspourtoutcequej’aiàvousdire.Jedoisvousavouerquevotrequestionmesurprend.N’allezpasmecroirefâchée;jeveuxseulementdirequejen’auraispascruquevouseussiez

besoin,«vous»,defairecetteenquête.Sivouspréféreznepasmecomprendre,excusezmonindiscrétion.Votreoncleestaussisurprisquemoi-même,etlaseuleconvictionqu’encetteaffaire, vous étiez une des parties intéressées, l’a décidé à agir comme il l’a fait. Mais siréellement votre innocence et votre ignorance sont complètes, je dois me montrer plusexplicite.

« Le jour même où je rentrais de Longbourn, votre oncle recevait une visite des plusinattendues;celledeMr.Darcyquivintlevoiretrestaenferméplusieursheuresaveclui.Ilvenaitluiannoncerqu’ilavaitdécouvertoùsetrouvaientvotresœuretWickham,qu’illesavaitvusets’étaitentretenuaveceux,–plusieursfoisavecWickham,etunefoisavecLydia.–D’aprèscequej’aicompris,ilavaitquittéleDerbyshirelelendemainmêmedenotredépartetétaitvenuàLondresaveclarésolutiondesemettreàleurrecherche.Lemotifqu’ilenadonnéc’estqu’ilétaitconvaincuquec’étaitsafautesil’indignitédeWickhamn’avaitpasétésuffisammentpubliéepour empêcher toute jeune filledebonne famillede lui donner sonamour et sa confiance. Il accusait généreusement son orgueil, confessant qu’il lui avaitsembléau-dessusdeluidemettrelemondeaucourantdesesaffairesprivées;saréputationdevaitrépondrepourlui.Ilestimaitdoncdesondevoird’essayerderéparerlemalqu’ilavaitinvolontairementcausé.J’ajouteques’ilavaitunautremotif,jesuispersuadéequ’ilesttoutàsonhonneur.

«Quelquesjourss’étaientpassésavantqu’ilpûtdécouvrirlesfugitifs,maisilpossédaitsurnous un grand avantage, celui d’avoir un indice pour le guider dans ses recherches et le

sentimentdecetavantageavaitétéuneraisondepluspourledéterminerànoussuivre.Ilconnaissait à Londres une dame, une certaine Mrs. Younge, qui avait été quelque tempsgouvernante demiss Darcy et qui avait été remerciée pour unmotif qu’il ne nous a pasdonné.Àlasuitede

cerenvoi,elleavaitprisunegrandemaisondansEdwardStreetetgagnaitsavieenrecevantdespensionnaires.Mr.DarcysavaitquecetteMrs.YoungeconnaissaitintimementWickham,et,enarrivantàLondres,ilétaitallélavoirpourluidemanderdesrenseignementssurlui,maisils’étaitpassédeuxoutroisjoursavantqu’ilpûtobtenird’ellecequ’ildésirait.Cettefemme voulait évidemment se faire payer la petite trahison qu’on lui demandait, car ellesavaitoùétaitsonami:Wickham,eneffet,étaitallélatrouverdèssonarrivéeàLondres,et,sielleavaiteudelaplace,ellelesauraitreçustousdeuxdanssamaison.Àlafincependant,notreamisidévouéobtint lerenseignementdésiréetserendità l’adressequ’elle luiavaitindiquée.Ilvitd’abordWickham,etensuiteinsistapourvoirLydia.Sapremièreidéeétaitdela persuader de quitter au plus tôt cette situation déshonorante et de retourner dans safamilledèsqu’elleconsentiraitàlarecevoir,luioffranttoutel’aidequipourraitluiêtreutile.MaisiltrouvaLydiairrévocablementdécidéeàresteroùelleétait:lapenséedesafamillenelatouchaitaucunement;ellenesesouciaitpasdel’aidequiluiétaitofferteetnevoulaitpasentendreparlerdequitterWickham.Elleétaitsûrequ’ilssemarieraientunjouroul’autre,etpeuimportaitquand.Cequevoyant,Mr.Darcypensaqu’iln’yavaitplusqu’àdéciderethâterunmariagequeWickham,ill’avaitfortbienvudèssapremièreconversationaveclui,n’avaitjamaismisdanssesprojets.Wickhamreconnutqu’ilavaitétéforcédequitterlerégimentàcausedepressantesdettesd’honneuretnefitaucunscrupulederejetersurlaseulefoliedeLydia toutes les déplorables conséquences de sa fuite. Il pensait démissionnerimmédiatement et n’avait pour l’avenir aucunplandéfini. Il devait prendreunparti, il nesavait lequel ; la seule chose certaine, c’est qu’il n’avait aucune ressource. Mr. Darcy luidemandapourquoiiln’épousaitpastoutdesuite

votresœur;bienqueMr.Bennetnedûtpasêtretrèsriche,ilseraitcapabledefairequelquechose pour lui, et sa situation s’améliorerait du fait de ce mariage. En réponse à cettequestion,Wickhamlaissaentendrequ’iln’avaitnullementrenoncéàrefairesafortunedansdes conditions plus satisfaisantes, par unmariage riche dans une autre région. Toutefois,étantdonnée la situationprésente, il yavaitdeschancesqu’il se laissât tenterpar l’appâtd’unsecoursimmédiat.

«Plusieursrencontreseurentlieu,carilyavaitbeaucoupdepointsàtraiter.Lesprétentionsde Wickham étaient naturellement exagérées, mais en fin de compte, il fut obligé de semontrerplusraisonnable.

«Touteschosesétantarrangéesentreeux,lepremiersoindeMr.Darcyfutdemettrevotreoncleaucourant.IlvintpourlevoiràGracechurchstreet,laveilledemonretour,maisonluiréponditqueMr.Gardinern’étaitpasvisible,qu’ilétaitoccupéavecvotrepère,etquecelui-ciquittaitLondreslelendemainmatin.Mr.Darcy,jugeantpréférabledeseconcerteravecvotreoncleplutôtqu’avecvotrepère,remitsavisiteaulendemainetpartitsansavoirdonnésonnom.Lesamedisoir,ilrevint,etc’estalorsqu’ileutavecvotreonclelelongentretiendontjevousaiparlé.Ilsserencontrèrentencoreledimanche,et,cettefois,jelevisaussi.Maiscenefut pas avant le lundi que tout se trouva réglé, et aussitôt lemessage vous fut envoyé à

Longbourn. Seulement notre visiteur s’est montré terriblement têtu. Je crois, Lizzy, quel’obstinationestsongranddéfaut;onluienareprochébiend’autresàdifférentesreprises,maiscelui-làdoitêtreleprincipal.Toutcequiaétéfait,ilavoululefairelui-même,etDieusait(jeneledispaspourprovoquervosremerciements)quevotreoncles’enseraitchargédegrandcœur.Tousdeuxontdiscutéàcesujet interminablement,–cequiétaitplusqueneméritait le jeune couple en question. Enfin, votre oncle a dû céder, et au lieu d’aidereffectivementsa

nièce,illuiafallusecontenterd’enavoirseulementl’apparence,cequin’étaitpasdutoutdeson goût. Aussi votre lettre de ce matin, en lui permettant de dépouiller son plumaged’empruntetderetournerleslouangesàquilesmérite,luia-t-ellecauségrandplaisir.

«Mais,Lizzy, il faut, il fautabsolumentquetoutceciresteentrevousetmoi,etJaneà lagranderigueur.Voussavezsansdoutecequiaétéfaitpourlejeuneménage.LesdettesdeWickham qui se montent, je crois, à beaucoup plus de mille livres sterling, doivent êtrepayéesainsiquesonbrevetd’officier,etmillelivresajoutéesàladotdeLydiaetplacéesensonnom.LaraisonpourlaquelleMr.Darcyavoulufaireseultoutcequiétaitnécessaireestcellequejevousaiditeplushaut.C’estàlui,àsaréserveetàsonmanquedediscernement,affirme-t-il,qu’ondoitd’avoirété trompésur lavéritablepersonnalitédeWickham,etquecelui-ciapuêtrepartoutaccueillietfêté.Peut-êtreya-t-illàquelquechosedevrai.Pourtantjemedemandesicen’estpaslaréserved’uneautrepersonneplutôtquelasiennequidoitsurtout être mise en cause. Mais, en dépit de tous ces beaux discours, vous pouvez êtreassurée,machèreLizzy,quevotreonclen’auraitjamaiscédé,sinousn’avionspascruqueMr. Darcy avait un autre intérêt dans l’affaire. Quand tout fut entendu, il repartit pourPemberley,maisaprèsavoirpromisdereveniràLondrespourassisteraumariageetpouracheverderéglerlesquestionspécuniaires.

« Vous savez tout maintenant, et si j’en crois votre lettre, ce récit va vous surprendreextrêmement ;j’espèretoutaumoinsquevousn’enéprouverezaucundéplaisir.Lydiavintaussitôts’installericietWickhamyfutreçujournellement.Ils’estmontrételquejel’avaisconnuenHertfordshire;quantàLydia,jenevousdiraipascombienj’aiétépeusatisfaitedesonattitudependantsonséjourauprèsdenous,sila

dernière lettredeJanenem’avaitapprisquesaconduiteestaussidéraisonnablechezsonpère que chezmoi. Je lui ai parlé très sérieusement à plusieurs reprises, lui montrant lagravitédesafauteetlechagrinqu’elleavaitcauséàsafamille.Siellem’aentendue,c’estunechance, car je suis certaine qu’elle ne m’a jamais écoutée. J’ai failli bien souvent perdrepatienceetc’estseulementparaffectionpourvousetpourJanequejemesuiscontenue.

«Mr.Darcyatenusapromesse,etcommevousl’aditLydia,ilassistaitaumariage.Iladînécheznous le joursuivant,etdevaitquitterLondresmercrediou jeudi.M’envoudrez-vousbeaucoup,machèreLizzy,sijesaisiscetteoccasiondevousdire(cequejen’aijamaisoséjusqu’ici),quellesympathieilm’inspire?Saconduiteànotreégardaétéaussiaimablequ’enDerbyshire.Sonintelligence,sesgoûts,sesidées,toutenluimeplaît.Pourêtreparfait,ilneluimanquequ’unpeudegaieté ;maissa femme,s’il faitunchoix judicieux,pourra luiendonner.Jel’aitrouvéunpeumystérieux:c’estàpeines’ilvousanommée;lemystèreparaîtêtreàlamode...Pardonnez-moi,machérie,sij’aitropd’audace;outoutaumoins,neme

punissezpasaupointdemefermer laportedeP. . . : jene serai toutà faitheureusequequandj’auraifaitletourduparc!Unpetitphaétonavecunejoliepairedeponeys,voilàcequ’ilfaudrait.Maisjem’arrête:depuisunedemi-heure,lesenfantsmeréclament.

«Àvousdetoutcœur,

«M.Gardiner.»

LalecturedecettelettrejetaElizabethdansuneagitationoùl’onn’auraitsudiresic’étaitlajoieoulapeinequidominait.Ainsidonc,touslessoupçonsvaguesetindéterminésquiluiétaient venus au sujet du rôle deMr.Darcy dans lemariage de sa sœur, et auxquels ellen’avaitpasvoulus’arrêterparcequ’ilssupposaientchezluiunebontétropextraordinaire

pour être vraisemblable, et faisaient d’elle et des siens ses obligés, tous ces soupçons setrouvaientjustifiésetau-delà ! IlavaitcouruàLondres.Ilavaitacceptétouslesennuisettoutes les mortifications d’une recherche où il lui avait fallu solliciter les services d’unefemme qu’il devait mépriser et abominer entre toutes, et rencontrer à plusieurs reprises,raisonner,persuaderet finalementacheterunhommequ’ilauraitvouluéviterà jamais,etdont ilneprononçait lenomqu’avecrépugnance.Et ilavait fait toutcelaenfaveurd’unejeune fille pour qui il ne pouvait avoir ni sympathie, ni estime. Le cœur d’Elizabeth luimurmuraitquec’étaitpourelle-mêmequ’ilavaittoutfait,maisconvenait-ildes’abandonneràunesidoucepensée?Lavanitémêmen’arrivaitpointàluifairecroirequel’affectiondeDarcypourelle,pourcellequil’avaitjadisrepoussé,pouvaitavoirraisondel’horreurqu’uneallianceavecWickhamdevaitluiinspirer.Beau-frèredeWickham!Quelorgueil,àl’idéed’untellien,neseseraitrévolté?Avait-ildoncdonnélevraimotifdesaconduite?Aprèstout,iln’étaitpas invraisemblablequ’ilsereconnûtuntortetqu’ilvoulûtréparer leseffetsdesahautaineréserve.Ilétaitgénéreux,ilavaitlesmoyensdel’être;etpuis,sanscroirequ’ileûtpensésurtoutàelle,Elizabethpouvaitsupposerquel’affectionqu’illuigardaitencoreavaitpuanimerseseffortsdansuneentreprisedontlerésultatétaitpourellesiimportant.Maiscombienilétaitpénibledepenserqu’elleetlessiensavaientcontractéenversluiunedettequ’ilsnepourraientjamaisacquitter!C’estàluiqu’ilsdevaientlesauvetagedeLydiaetdesaréputation. Comme Elizabeth se reprochait maintenant les sentiments d’antipathie et lesparolesblessantesqu’elleavaiteuespour lui !Elle avaithonted’elle-mêmemais elle étaitfièredelui,fièrequepouraccomplirunetâchedepitiéetd’honneur,ileûtpusevaincrelui-même.Ellerelutplusieursfoisl’élogequ’enfaisaitsatante:ilétaitàpeinesuffisant,maisilla

touchaitetluicausaitunplaisirmêléderegretenluimontrantàquelpointsononcleetsatanteétaientconvaincusqu’ilsubsistaittoujoursentreelleetMr.Darcyunliend’affectionetdeconfiance.

Un bruit de pas la tira de ses réflexions, et avant qu’elle eût pu prendre une autre allée,Wickhamétaitprèsd’elle.

—J’aipeurd’interromprevotrepromenadesolitaire,machèresœur,dit-ilenl’abordant.

—Assurément,répondit-elleavecunsourire,maisilnes’ensuitpasquecetteinterruptionmesoitdéplaisante.

—Jeseraisnavréqu’ellelefût.Nousavonstoujoursétébonsamis,nousleseronsencoredavantagemaintenant.

—Oui,certes,maisoùsontdonclesautres?

—Jen’ensaisrien.Mrs.BennetetLydiavontenvoitureàMeryton.Alors,machèresœur,j’aiapprisparvotreoncleetvotretantequevousaviezvisitéPemberley?

Elleréponditaffirmativement.

—Jevousenviepresqueceplaisir;jecroiscependantqueceseraitunpeupéniblepourmoi,sansquoijem’yarrêteraisenallantàNewcastle.Vousavezvulavieillefemmedecharge?PauvreReynolds !ellem’aimaitbeaucoup.Mais,naturellement,ellenevousapasparlédemoi.

—Si,pardon.

—Etquevousa-t-elledit?

—Quevousétiezentrédansl’armée,etqu’ellecraignaitfort...quevousn’eussiezpastrèsbientourné!Àdetellesdistances,vouslesavez,lesnouvellesarriventparfoisfâcheusementdéfigurées.

—C’estcertain,fit-ilensemordantleslèvres.

Elizabethespéraitl’avoirréduitausilence,maisilrepritbientôt:

— J’ai été surpris de voir Darcy à Londres le mois dernier. Nous nous sommes croisésplusieurs

fois.Jemedemandecequ’ilpouvaitbienyfaire.

—Peut-êtrelespréparatifsdesonmariageavecmissdeBourgh,ditElizabeth.IlluifallaiteneffetuneraisontouteparticulièrepourêtreàLondresencettesaison.

—Assurément.L’avez-vousvuàLambton?J’aicrulecomprendred’aprèscequem’ontditlesGardiner.

—Oui;ilnousamêmeprésentésàsasœur.

—Etellevousaplu?

—Beaucoup.

—Onm’aditeneffetqu’elleavaitbeaucoupgagnédepuisunanoudeux.Ladernièrefoisquejel’aivue,ellenepromettaitguère.Jesuisheureuxqu’ellevousaitplu.J’espèrequ’elleachèveradesetransformer.

—J’ensuispersuadée;elleadépassél’âgeleplusdifficile.

—Avez-voustraversélevillagedeKympton?

—Jenepuismerappeler.

—Jevousenparleparcequec’estlàquesetrouvelacurequej’auraisdûobtenir.Unendroitravissant,unpresbytèresuperbe.Celam’auraitconvenuàtouslespointsdevue.

—Mêmeavecl’obligationdefairedessermons?

—Maisparfaitement.Enm’exerçantunpeu,j’enauraiseubientôtprisl’habitude.Lesregretsne servent à rien, mais certainement, c’était la vie qu’il me fallait ; cette retraite, cettetranquillitéauraitréponduàtousmesdésirs.Lesortenadécidéautrement.Darcyvousa-t-iljamaisparlédecetteaffaire,quandvousétiezdansleKent?

—J’aiapprisd’unefaçonaussisûre,quecebénéficevousavaitétélaisséconditionnellementetàlavolontédupatronactuel.

—Ah!vraiment?onvousl’adit?...Oui,eneffet,ilyaquelquechosedecela.Vousvoussouvenezquejevousl’avaisracontémoi-même,ànotrepremièrerencontre.

—J’aiapprisaussiqu’àunecertaineépoque,l’obligationdefairedessermonsnevoustentaitpas autantqu’aujourd’hui, quevous aviez affirmévotre volontébien arrêtéedene jamaisentrerdanslesordresetque,parsuite,laquestiondubénéficeavaitétéréglée.

—Ah !onvousaditcelaaussi?C’estégalementassezexact,etjevousenavaisdemêmetouchéunmot.

Ilsétaientmaintenantpresqueàlaportedelamaison,carElizabethavaitmarchévitedanssahâtedesedébarrasserdelui.Nevoulantpaslevexer,parégardpoursasœur,ellesecontentadeluidireavecunsouriredebonnehumeur:

—Allons,Mr.Wickham ! nousvoilà frère et sœur.Laissonsdormir lepassé. J’espèrequ’àl’avenirnouspenseronstoujoursdemême...

Etelleluitenditlamain;illabaisaavecuneaffectueusegalanterie,malgrél’embarrasqu’iléprouvaitdanssonforintérieurettousdeuxrentrèrentdanslamaison.

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Chapitre 53

R.WICKHAMFUTSISATISFAIT de cette conversationque jamais plus il ne prit lapeinederevenirsurcesujet,augrandcontentementd’Elizabethquisefélicitad’enavoirassezditpourleréduireausilence.

Lejourdudépartdujeuneménagearrivabientôt,etMrs.Bennetfutforcéedese résigner à une séparation qui, sans doute, allait être de longue durée,

Mr.Bennetnesesouciantnullementd’emmenersafamilleàNewcastle,commesafemmeleluiproposait.

—Ah!machèreLydia!gémissait-elle;quandnousretrouverons-nous?

—Mafoi,jen’ensaisrien!Pasavantdeuxoutroisanspeut-être.

—Écrivez-moisouvent,machérie.

—Aussisouventquejelepourrai.Maisvoussavezqu’unefemmemariéen’aguèredetempspourécrire.Messœursquin’ontrienàfairem’écriront.

Les adieux de Mr. Wickham furent beaucoup plus affectueux que ceux de sa femme ; ilprodiguaitlessouriresetlesparolesaimables.

—Cegarçonestmerveilleux,déclaraMr.Bennetdèsquelesvoyageursfurentpartis.Ilsourit,faitdesgrâces,etcontefleuretteàchacundenous.Jesuisprodigieusementfierdelui,etjedéfiesirLucaslui-mêmedeproduireungendresupérieuràcelui-là.

LedépartdeLydiaassombritMrs.Bennetpendantplusieursjours.

—Voilàcequec’estquedemariersesenfants,mamère,luiditElizabeth.Réjouissez-vousdoncd’avoirencorequatrefillescélibataires.

Mais la mélancolie où l’avait plongée cet événement ne résista pas à la nouvelle quicommençabientôtàcirculerdanslepays:lafemmedechargedeNetherfieldavait,disait-on,reçul’ordredepréparerlamaisonpourl’arrivéeprochainedesonmaître,qui,àl’occasiondelachasse,venaitypasserquelquessemaines.Mrs.Bennetnepouvaitplustenirenplace.

—Alors,Mr.Bingleyestdoncsurlepointderevenir,masœur?disait-elleàMrs.Philipsquiavait apporté la nouvelle. Eh bien ! tantmieux. Ce n’est pas que les faits et gestes de cemonsieur nous intéressent, ni que j’aie aucun désir de le revoir. Toutefois, il est libre derevenir à Netherfield si cela lui plaît. Et qui sait ce qui peut arriver ?. . . Mais cela nous

importe peu. Vous vous rappelez que nous avons convenu, il y a longtemps, de ne plusabordercesujet.Alors,c’estbiencertainqu’ilvavenir?

—Trèscertain,carMrs.NicholsestvenueàMerytonhiersoir,etl’ayantvuepasser,jesuissortiemoi-mêmepoursavoirparellesilanouvelleétaitexacte.Ellem’aditquesonmaîtrearrivaitmercredioujeudi,

maisplutôtmercredi.Elleallaitchezlebouchercommanderdelaviandepourcejour-là,etelleaheureusementtroiscouplesdecanardsbonsàtuer.

Jane n’avait pu entendre parler du retour de Bingley sans changer de couleur. Depuislongtempsellen’avaitpasprononcésonnomdevantElizabeth,maiscejour-là,dèsqu’ellesfurentseules,elleluidit:

—J’aibienvuquevotre regard se tournait versmoi,Lizzy,quandma tantenousadit lanouvelle,etj’aisentiquejemetroublais;maisn’allezpasattribuermonémotionàunecausepuérile.J’airougisimplementparcequejesavaisqu’onallaitmeregarder.Jevousassurequecettenouvellenemecausenijoie,nipeine.Jemeréjouisseulementdecequ’ilvienneseul.Nous le verrons ainsi fort peu. Ce ne sont pas mes sentiments que je redoute, mais lesremarquesdesindifférents.

Elizabethnesavaitquepenser.Siellen’avaitpasvuBingleyenDerbyshire,elleauraitpusupposerqu’ilvenaitsansautremotifqueceluiqu’onannonçait ;maiselleétaitpersuadéequ’ilaimaittoujoursJaneetsedemandaitsisonamil’avaitautoriséàvenir,ous’ilétaitassezaudacieuxpoursepasserdesapermission.

En dépit des affirmations formelles de sa sœur, elle n’était pas sans voir que Jane étaittroublée:sonhumeurétaitmoinssereineetmoinségalequedecoutume.

Le sujetqui avaitmisauxprisesMr. etMrs.Bennetunanauparavant se trouva remisenquestion.

—Naturellement,dèsqueMr.Bingleyarrivera,vousirezlevoir,monami.

—Certes non.Vousm’avez obligé à lui rendre visite l’an passé, enmepromettant que sij’allaislevoirilépouseraitunedemesfilles.Commeriendeteln’estarrivé,onnemeferapascommettreunesecondefoislamêmesottise.

Safemmeluireprésentaquec’étaitunepolitesse

que tous les messieurs du voisinage ne pouvaient se dispenser de faire à Mr. Bingley, àl’occasiondesonretour.

—C’estunusagequejetrouveridicule,répliquaMr.Bennet.S’ilabesoindenotresociété,qu’ilviennelui-même;ilsaitoùnoushabitonsetjenevaispasperdremontempsàvisitermesvoisinsàchacundeleursdéplacements.

—Toutcequejepuisdire,c’estquevotreabstentionseraunevéritableimpolitesse.Entoutcas,celanem’empêcherapasdel’inviteràdîner.NousdevonsrecevoirbientôtMrs.LangetlesGoulding.Celaferatreizeennouscomptant.Ilarriveàpointpourfairelequatorzième.

—Jecommencedécidémentàregrettersonretour,confiaJaneàElizabeth.Ceneseraitrien,jepourrais lerevoiravecuneparfaite indifférences’ilne fallaitpasentendreparlerde lui

sanscesse.Mamèreestrempliedebonnesintentionsmaisellenesaitpas–personnenepeutsavoir–combientoutessesréflexionsmefontsouffrir.JeseraivraimentsoulagéequandilrepartiradeNetherfield.

Enfin,Mr.Bingleyarriva.Mrs.Bennets’arrangeapourenavoirlapremièreannonceparlesdomestiques afin que la période d’agitation et d’émoi fût aussi longue que possible. Ellecomptaitlesjoursquidevaients’écouleravantqu’ellepûtenvoyersoninvitation,n’espérantpas le voir auparavant.Mais le troisième jour aumatin, de la fenêtre de sonboudoir, ellel’aperçutàchevalquifranchissaitleportailets’avançaitverslamaison.

Sesfillesfurentappeléesaussitôtpourpartagersonallégresse.

—Quelqu’unl’accompagne,observaKitty.Quiest-cedonc?Eh!maisondiraitquec’estcetamiquiétaittoujoursavecluil’anpassé,Mr...;–comments’appelle-t-ildonc?–voussavez,cethommesigrandetsihautain?...

—GrandDieu!Mr.Darcy!...Vousnevoustrompezpas.TouslesamisdeMr.Bingleysontlesbienvenusici,naturellement,maisj’avouequelavueseuledecelui-cim’estodieuse.

JaneregardaElizabethavecunesurpriseconsternée.Ellen’avaitpassugrand-chosedecequis’étaitpasséenDerbyshire,etsefiguraitl’embarrasqu’allaitéprouversasœurdanscettepremière rencontre avec Darcy après sa lettre d’explication. Elizabeth avait pour êtretroubléeplusderaisonsquenelepensaitJaneàquiellen’avaitpasencoreeulecouragedemontrerlalettredeMrs.Gardiner.PourJane,Mr.Darcyn’étaitqu’unprétendantqu’Elizabethavaitrepousséetdontellen’avaitpassuapprécierlemérite.PourElizabeth,c’étaitl’hommequi venait de rendre à sa famille un service inestimable et pour qui elle éprouvait unsentimentsinonaussitendrequeceluideJanepourBingley,dumoinsaussiprofondetaussiraisonnable. Son étonnement en le voyant venir spontanément à Longbourn égalait celuiqu’elle avait ressenti en le retrouvant si changé lors de leur rencontre enDerbyshire. Lacouleurquiavaitquittésonvisageyreparutplusardente,etsesyeuxbrillèrentdejoieàlapenséequelessentimentsetlesvœuxdeDarcyn’avaientpeut-êtrepaschangé.Maisellenevoulutpoints’yarrêter.

«Voyonsd’abordsonattitude,sedit-elle.Après,jepourraientireruneconclusion.»

Une affectueuse sollicitude la poussa à regarder sa sœur. Jane était un peu pâle, maisbeaucouppluspaisiblequ’ellene s’y attendait ; elle rougit légèrement à l’entréedesdeuxjeunesgens;cependant,ellelesaccueillitd’unairasseznatureletavecuneattitudecorrecteoùiln’yavaitnitracederessentiment,niexcèsd’amabilité.

Elizabeth ne prononça que les paroles exigées par la stricte politesse et se remit à sonouvrageavecuneactivitéinaccoutumée.Ellen’avaitoséjeterqu’un

coupd’œilrapideàMr.Darcy : il avait l’airaussigravequ’à sonhabitude,plus semblable,pensa-t-elle,àcequ’ilétait jadisqu’àcequ’il s’étaitmontréàPemberley.Peut-êtreétait-ilmoinsouvertdevantsamèrequedevantsononcleetsatante.Cettesupposition,bienquedésagréable,n’étaitpassansvraisemblance.

PourBingleyaussi,ellen’avaiteuqu’unregardd’uninstant,etpendantcetinstant,illuiavaitparuàlafoisheureuxetgêné.Mrs.Bennetlerecevaitavecdesdémonstrationsquifaisaient

d’autant plus rougir ses filles qu’elles s’opposaient à la froideur cérémonieuse qu’ellemontraitàDarcy.

Celui-ci,aprèsavoirdemandéàElizabethdesnouvellesdeMr.etdeMrs.Gardiner,–questionàlaquelleelleneputrépondresansconfusion,–n’ouvritpresquepluslabouche.Iln’étaitpas assis à côté d’elle ; peut-être était-ce la raison de son silence. Quelques minutes sepassèrentsansqu’onentendîtlesondesavoix.QuandElizabeth,incapablederésisteràlacuriositéqui lapoussait, levait lesyeuxsur lui, ellevoyait sonregardposésurJaneaussisouventquesurelle-même,etfréquemmentaussifixésurlesol.Ilparaissaittrèsabsorbéetmoinssoucieuxdeplairequ’à leursdernièresrencontres.Ellesesentitdésappointéeetenéprouvadel’irritationcontreelle-même.

«Àquoid’autrepouvais-jem’attendre?seditelle.Maisalors,pourquoiestilvenu?»

— Voilà bien longtemps que vous étiez absent, Mr. Bingley, observa Mrs. Bennet. Jecommençaisàcraindreundépartdéfinitif.Ondisaitquevousalliezdonnercongépour laSaint-Michel ; j’espèrequecen’estpasvrai.Biendeschangementssesontproduitsdepuisvotredépart.MissLucass’estmariéeainsiqu’unedemesfilles.Peut-êtrel’avez-vousappris?L’annonce en a paru dans le Times et dans le Courrier, mais rédigée d’une façon biensingulière:«Récemment

aeulieulemariagedeG.Wickhamesq.etdemissLydiaBennet,»unpoint,c’esttout!riensur monmari ou sur le lieu de notre résidence. C’est mon frère Gardiner qui l’avait faitinsérer;jemedemandeàquoiilapensé!L’avez-vousvue?

Bingley répondit affirmativement et présenta ses félicitations. Elizabeth n’osait lever lesyeux,etneputliresurlevisagedeMr.Darcy.

—Assurément,avoirunefillebienmariéeestunegrandesatisfaction,continuaMrs.Bennet,maisenmêmetemps,Mr.Bingley,laséparationestunechosebiendure.IlssontpartispourNewcastle,toutàfaitdansleNord,etilsvontyresterjenesaiscombiendetemps.C’estlàquesetrouvelerégimentdemongendre.Voussavezsansdoutequ’ilaquittélamiliceetréussiàpasserdans l’armée régulière?Dieumerci, il aquelquesbons amis,peut-êtrepasautantqu’illemérite!

Cetteflècheàl’adressedeMr.DarcymitElizabethdansunetelleconfusionqu’elleeutenviedes’enfuir,mais,seressaisissant,ellesentitaucontrairelanécessitédedirequelquechose,et demanda à Bingley s’il pensait faire à la campagne un séjour de quelque durée. « Deplusieurssemaines,»répondit-il.

—Quandvousaureztuétoutvotregibier,Mr.Bingley,luiditMrs.Bennet,ilfaudraveniricietchasserautantqu’ilvousplairasurlesterresdeMr.Bennet.Monmarienseraenchantéetvousréserverasesplusbellescompagniesdeperdreaux.

Lasouffranced’Elizabeths’accrutencoredevantdesavancesaussidéplacées.«Alorsmême,pensait-elle, qu’on pourrait reprendre le rêve de l’année dernière, tout conspirerait à ledétruireencoreunefois.»Etilluisemblaquedesannéesdebonheurnesuffiraientpaspourlesdédommager,elleetJane,decesinstantsdepéniblemortification.

Cette fâcheuse impression se dissipa pourtant quand elle remarqua combien la beauté de

Janesemblait

raviver les sentiments de son ancien admirateur. Pour commencer, il ne lui avait pasbeaucoupparlé,maisàmesurequel’heures’avançait,ilsetournaitdavantagedesoncôtéets’adressait à elle de plus en plus. Il la retrouvait aussi charmante, aussi naturelle, aussiaimablequel’anpassé,bienquepeut-êtreunpeuplussilencieuse.

Quandlesjeunesgensselevèrentpourpartir,Mrs.Bennetn’eutgarded’oublierl’invitationprojetée,etilsacceptèrentdevenirdîneràLongbournquelquesjoursplustard.

—Vousêtesendetteavecmoi,Mr.Bingley,ajouta-t-elle.AvantvotredépartpourLondres,vousm’aviezpromisdevenirdînerenfamilledèsvotreretour.Cettepromesse,quejen’aipasoubliée,n’apasététenue,cequim’acauséunegrandedéception,jevousassure.

Bingleyparutunpeuinterloquéparcediscoursetditquelquechosesursonregretd’enavoirétéempêchéparsesaffaires,puisilsseretirèrenttouslesdeux.

Mrs.Bennetavaiteugrandeenviedelesreteniràdînerlesoirmême;maisbienquesatablefûttoujourssoignée,elles’étaitditquedeuxservicesneseraientpastroppourrecevoirunjeune homme sur qui elle fondait de si grandes espérances, et satisfaire l’appétit d’ungentlemanquiavaitdixmillelivresderentes.

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Chapitre 54

USSITÔTQU’ILSFURENTPARTIS,Elizabethsortitpour tâcherdeseremettre,ou,plusexactement,pourseplongerdanslesréflexionslesmieuxfaitespourluiôtertoutcourage.L’attitudedeMr.Darcyétaitpourelleunsujetd’étonnementetdemortification.«Puisqu’ilapuse

montrer si aimable avec mon oncle et ma tante, quand il était à Londres, pensait-elle,pourquoi ne l’est-il pas avecmoi ? S’il me redoute, pourquoi est-il venu ? S’il a cessé dem’aimer,pourquoicesilence?Quelhommedéconcertant!Jeneveuxpluspenseràlui.»

L’approche de sa sœur vint l’aider à donner à cette résolution un commencementd’exécution. L’air joyeux de Jane témoignait qu’elle était satisfaite de leurs visiteursbeaucoupplusqu’Elizabeth.

—Maintenantqu’aeulieucettepremièrerencontre,dit-elle,jemesenstoutàfaitsoulagée.Mesforcesontétémisesàl’épreuveetjepuislevoirdésormaissansaucuntrouble.Jesuiscontentequ’ilviennedînericimardi:ainsi,toutlemondepourraserendrecomptequenousnousrencontrons,luietmoi,surunpieddeparfaiteindifférence.

—Deparfaiteindifférence,jen’endoutepas!ditElizabethenriant.ÔJane,prenezgarde!

—MapetiteLizzy,vousnemecroyezpasassezfaiblepourcourirencorelemoindredanger.

— Je crois que vous courez surtout le danger de le rendre encore plus amoureuxqu’auparavant...

Onnerevitpaslesjeunesgensjusqu’aumardi.Cesoir-là,ilyavaitnombreusecompagnieàLongbourn,etlesdeuxinvitésdemarquesemontrèrentexacts.Quandonpassadanslasalleà manger, Elizabeth regarda si Bingley allait reprendre la place qui, dans les réunionsd’autrefois,étaitlasienneauprèsdesasœur.Mrs.Bennet,enmèreavisée,omitdel’inviteràprendreplaceàcôtéd’elle.Ilparuthésitertoutd’abord;maisJane,parhasard,regardaitdesoncôtéensouriant.Lesortenétaitjeté ;ilallas’asseoirauprèsd’elle.Elizabeth,avecunsentiment de triomphe, lança un coup d’œil dans la direction deMr. Darcy : il paraissaitparfaitement indifférent, et, pourunpeu, elle aurait cruqu’il avaitdonnéà sonami toutelicenced’êtreheureux ; si elle n’avait vu les yeux deBingley se tourner vers lui avec unsourireunpeu

confus.Pendanttoutletempsdudîner,iltémoignaàsasœuruneadmirationqui,pourêtreplusréservéequ’auparavant,n’enprouvapasmoinsàElizabethques’ilavaittoutelalibertéd’agir,sonbonheuretceluideJaneseraientbientôtassurés.

Mr.Darcy,séparéd’ellepartoutelalongueurdelatable,étaitassisàcôtédelamaîtressedemaison.Elizabethsavaitquecevoisinagenepouvaitleurcauseraucunplaisir,etqu’iln’étaitpas fait pour les mettre en valeur ni l’un ni l’autre. Trop éloignée pour suivre leurconversation, elle remarquait qu’ils se parlaient rarement et toujours avec une froidepolitesse.LamauvaisegrâcedesamèreluirendaitpluspéniblelesentimentdetoutcequesafamilledevaitàMr.Darcy,et,àcertainsmoments,elleeûttoutdonnépourpouvoirluidirequ’une personne au moins de cette famille savait tout, et lui était profondémentreconnaissante. Elle espérait que la soirée leur fournirait l’occasion de se rapprocher etd’avoiruneconversationmoinsbanalequelesquelquesproposcérémonieuxqu’ilsavaientéchangésàsonentrée.Danscetteattente,lemomentqu’ellepassaausalonavantleretourdesmessieursluiparutinterminable.Illuisemblaitquetoutleplaisirdelasoiréedépendaitde l’instant qui allait suivre : « S’il ne vient pas alors me rejoindre, pensa-t-elle,j’abandonneraitouteespérance.»

Lesmessieursrevinrentausalon,etMr.Darcyeutl’air,uninstant,devouloirrépondreauxvœuxd’Elizabeth.Mais,hélas,autourdelatableoùelleservaitlecaféavecJane,lesdamess’étaientrassembléesenungroupesicompactqu’iln’yavaitpasmoyendeglisserunechaiseparmielles.

Mr.DarcysedirigeaversuneautrepartiedusalonoùElizabethlesuivitduregard,envianttousceuxàquiiladressaitlaparole.Unpeud’espoirluirevintenlevoyantrapporterlui-mêmesatasse;ellesaisitcetteoccasionpourluidemander:

—Votresœurest-elleencoreàPemberley?

—Oui,elleyresterajusqu’àNoël.

—Toussesamisl’ont-ilsquittée?

—Mrs.Annesleyesttoujoursavecelle;lesautressontpartispourScarboroughilyatroissemaines.

Elizabethcherchaenvainautrechoseàdire.Aprèstout,ilnetenaitqu’àluidepoursuivrelaconversations’il ledésirait.Mais il restaitsilencieuxàsescôtés,etcommeune jeunefilles’approchaitetchuchotaitàl’oreilled’Elizabeth,ils’éloigna.

Lesplateauxenlevés,onouvritlestablesàjeu,ettouteslesdamesselevèrent.Mr.Darcyfutaussitôt accaparé par Mrs. Bennet qui cherchait des joueurs de whist ; ce que voyant,Elizabeth perdit tout son espoir de le voir la rejoindre et n’attendit plus de cette réunionaucunplaisir.Ilspassèrentlerestedelasoiréeàdestablesdifférentesettoutcequ’Elizabethputfairefutdesouhaiterqu’iltournâtsesregardsdesoncôtéassezsouventpourlerendreautantqu’elle-mêmedistraitetmaladroitaujeu.

—Ehbien!enfants,ditMrs.Bennetdèsqu’elleseretrouvaavecsesfilles,quepensez-vousdecettesoirée?J’osedirequetoutamarchéàsouhait.J’airarementvuundîneraussiréussi.Lechevreuil était rôti àpointet tout lemondeadéclarén’avoir jamaismangéuncuissot

pareil.Lepotageétaitincomparablementsupérieuràceluiqu’onnousaservichezlesLucaslasemainedernière.Mr.Darcylui-mêmeareconnuquelesperdreauxétaientparfaits;or,ildoitbienavoirchezluideuxoutroiscuisiniersfrançais !. . .Etpuis,machèreJane, jenevousaijamaisvueplusenbeauté.Mrs.Long,àquijel’aifaitremarquer,étaitdemonavis.Etsavez-vouscequ’elleaajouté?«Ah!Mrs.Bennet,jecroisbienquenouslaverronstoutdemêmeàNetherfield!...»Oui,elleaditcelatextuellement.CetteMrs.Longestlameilleurepersonnequisoit,etsesniècessontdesjeunesfillesfortbienélevées,etpasdutoutjolies ;ellesmeplaisenténormément.

—Cettejournéeaétéfortagréable,ditJaneà

Elizabeth.Lesinvitésétaientbienchoisis,toutlemondeseconvenait.J’espèrequedetellesréunionsserenouvelleront.

Elizabethsourit.

—Lizzy,nesouriezpas.Vousmemortifiezenprenantcetairsceptique.Jevousassurequeje puis jouir maintenant de la conversation de Mr. Bingley comme de celle d’un hommeagréable et bien élevé, sans la plus petite arrière-pensée. Je suis absolument persuadée,d’aprèssafaçond’êtreactuelle,qu’iln’ajamaispenséàmoi.Ilaseulementplusdecharmedanslesmanièresetplusdedésirdeplairequen’enmontrentlaplupartdeshommes.

—Vousêtesvraimentcruelle,repartitElizabeth.Vousmedéfendezdesourire,etvousm’yforcezsanscesse...Excusez-moidonc,maissivouspersistezdansvotreindifférence,vousferezbiendechercheruneautreconfidente.

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Chapitre 55

EUDEJOURSAPRÈS,Mr.Bingleyseprésentadenouveau,etcettefoisseul.Sonamil’avaitquittélematinpourretourneràLondres,etildevaitrevenirunedizainedejours plus tard. Mr. Bingley resta environ une heure et montra un entrainremarquable.Mrs.Bennetluidemandaderesteràdîner,maisilréponditqu’àsongrandregretilétaitdéjàretenu.

—Pouvez-vousvenirdemain?

Oui;iln’avaitpointd’engagementpourlelendemain,etilacceptal’invitationavecunairdevifcontentement.

Le lendemain, ilarrivadesibonneheurequ’aucunedecesdamesn’étaitencoreprête.Enpeignoiretàdemicoiffée,Mrs.Bennetseprécipitadanslachambredesafille.

—Vite,machèreJane,dépêchez-vousde

descendre. Il est arrivé !Mr.Bingley est là ! Oui, il est là. Dépêchez-vous, dépêchez-vous,Sarah!LaissezlacoiffuredemissLizzyetvenezviteaidermissJaneàpassersarobe.

—Nousdescendronsdèsquenouslepourrons,ditJane;maisKittydoitêtredéjàprêtecarilyaunedemi-heurequ’elleestmontée.

—QueKittyailleaudiable!...Ils’agitbiend’elle!Vite,votreceinture,machérie.

MaisrienneputdéciderJaneàdescendresansunedesessœurs.

Lapréoccupationdeménageruntête-à-têteauxdeuxjeunesgensfutdenouveauvisiblechezMrs.Bennetdans lasoirée.Après le thé, sonmari se retiradans labibliothèqueselonsonhabitude et Mary alla retrouver son piano. Deux obstacles sur cinq ayant ainsi disparu,Mrs.BennetsemitàfairedessignesàElizabethetàKitty,maissanssuccès ;Elizabethnevoulaitrienvoir.Ellefinitparattirerl’attentiondeKittyquiluidemandainnocemment:

—Qu’ya-t-il,maman?Queveulentdiretouscesfroncementsdesourcils?Quefaut-ilquejefasse?

—Riendutout,monenfant.Jenevousaimêmepasregardée.

Mrs.Bennetse tint tranquillecinqminutes ;maisellenepouvait se résoudreàperdreuntempsaussiprécieux.Àlafin,elleselevaetditsoudainàKitty:

— Venez, ma chérie ; j’ai à vous parler. Et elle l’emmena hors du salon. Jane jeta versElizabeth un regard de détresse où se lisait l’instante prière de ne pas se prêter à un telcomplot.Quelquesinstantsaprès,MrsBennetentrebâillalaporteetappela:

—Lizzy,monenfant,j’aiunmotàvousdire.

Elizabethfutbienobligéedesortir.

—Nousferonsmieuxdeleslaisserseuls,luiditsamère.Kittyetmoiallonsnousinstallerdansmachambre.

Elizabethn’essayapasdediscuteravecsamère;

elle attendit tranquillement dans le hall que Mrs. Bennet et Kitty eussent disparu pourretournerdanslesalon.

LessavantescombinaisonsdeMrs.Bennetneréussirentpascesoir-là.Mr.Bingleysemontradespluscharmants,maisnesedéclarapas.Ilnesefitpasprierpourresteràsouper;etavantqu’il prît congé, Mrs. Bennet convint avec lui qu’il reviendrait le lendemain matin pourchasseravecsonmari.

Àpartirdecemoment,Janen’essayaplusdeparlerdeson«indifférence».PasunmotausujetdeBingleynefutéchangéentrelesdeuxsœurs,maisElizabeths’enfutcoucheravecl’heureuse certitude que tout serait bientôt décidé, hors le cas d’un retour inopiné deMr.Darcy.

Bingleyfutexactaurendez-vousetpassatoutelamatinéeaudehorsavecMr.Bennetcommeilavaitétéentendu.Cederniersemontrabeaucoupplusagréablequesoncompagnonnes’yattendait. Il n’y avait chez Bingley ni vanité, ni sottise qui pût provoquer l’ironie ou lemutismedeMr.Bennet,quisemontramoinsoriginaletpluscommunicatifqueBingleynel’avaitencorevu.Ilsrevinrentensemblepourledîner.

Aprèslethé,Elizabeths’enfutdanslepetitsalonécrireunelettre;lesautressepréparantàfaireunepartiedecartes,saprésencen’étaitplusnécessaire,pensa-t-elle,pourdéjouerlescombinaisonsdesamère.

Sa lettre terminée, elle revint au salon et vit alors queMrs. Bennet avait été plus aviséequ’elle.Enouvrantlaporte,elleaperçutsasœuretBingleydeboutdevantlacheminéequiparlaientavecanimation.Sicettevueneluiavaitdonnéaucunsoupçon,l’expressiondeleurphysionomie et la hâte avec laquelle ils s’éloignèrent l’un de l’autre auraient suffi pourl’éclairer.Trouvantlasituationunpeugênante,Elizabethallaitseretirer,quandBingleyquis’étaitassisselevasoudain,murmuraquelquesmotsàJane,etseprécipitahorsdusalon.

JanenepouvaitriencacheràElizabeth,et,laprenantdanssesbras,reconnutavecémotionqu’elleétaitlaplusheureusedesfemmes.

—C’esttrop,ajouta-t-elle,beaucouptrop.Jeneleméritaispas.Oh!quejevoudraisvoirtoutlemondeaussiheureuxquemoi!

Elizabeth félicita sa sœur avec une sincérité, une joie et une chaleur difficiles à rendre.ChaquephraseaffectueuseajoutaitaubonheurdeJane.Maisellenevoulutpasprolongerdavantagecetentretien.

— Il faut que j’aille tout de suite trouver ma mère, dit-elle. Je ne voudrais sous aucunprétexteavoirl’airdeméconnaîtresonaffectueusesollicitudeoupermettrequ’elleapprîtlanouvelleparunautrequemoi-même.Ilestallédesoncôtétrouvermonpère.ÔLizzy,quelplaisirdesongerquecettenouvellevacausertantdejoieauxmiens!Commentsupporterai-jetantdebonheur!

Et elle courut rejoindre samère qui avait interrompu exprès la partie de cartes et s’étaitretiréeaupremierétageavecKitty.

Elizabethrestéeseulesouritdevantl’aisanceetlarapiditéaveclaquelleseréglaituneaffairequi leur avait donné tant de mois d’incertitude et d’anxiété. Elle fut rejointe au bout dequelques minutes par Bingley dont l’entrevue avec Mr. Bennet avait été courte etsatisfaisante.

—Oùestvotresœur?demanda-t-ilenouvrantlaporte.

—Avecmamère,aupremier;maisjesuissûrequ’ellevaredescendrebientôt.

Fermantlaporte,ils’approchad’elleetréclamadesfélicitationsetunepartdesonaffectionfraternelle.Elizabethexprimaaveceffusiontoutesajoiedevoirseformerentreeuxuntellien.Ilsseserrèrentlamainavecunegrandecordialitéet,jusqu’auretourdeJane,elledutécouter toutcequ’il avaitàdirede sonbonheuretdesperfectionsde sa fiancée.Toutenfaisantla

partdel’exagérationnaturelleauxamoureux,Elizabethsedisaitquetoutcebonheurentrevun’étaitpasimpossiblecarilauraitpourbasel’excellentjugementetlecaractèreidéaldeJane,sanscompteruneparfaitesimilitudedegoûtsetdesentimentsentreelleetBingley.

Cefutpourtousunesoiréeexceptionnellementheureuse.LebonheurdeJanedonnaitàsonvisageunéclatetuneanimationquilarendaientpluscharmantequejamais.Kittyminaudait,souriait,espéraitquesontourviendraitbientôt.Mrs.Bennetnetrouvaitpasdetermesassezchauds, assezéloquentspourdonner sonconsentementet exprimer sonapprobation,bienqu’elle ne parlât point d’autre chose à Bingley pendant plus d’une demi-heure. Quant àMr.Bennet,lorsqu’ilvintlesrejoindreausouper,savoixetsesmanièresdisaientclairementcombien il était heureux. Pas un mot, pas une allusion, cependant, ne passa ses lèvresjusqu’aumomentoùleurvisiteureutpriscongé,maisalorsils’avançaverssafilleendisant:

—Jane,jevousfélicite.Vousserezunefemmeheureuse.

Janeaussitôtl’embrassaetleremerciadesabonté.

—Vousêtesunebonnefille,répondit-il,etj’aigrandplaisiràpenserquevousallezêtresiheureusementétablie.Jenedoutepasquevousnevivieztousdeuxdansunparfaitaccord.Voscaractèresnesontenriendissemblables.Vousêtesl’unetl’autresiaccommodantsquevousnepourrezjamaisprendreunedécision,sidébonnairesquevoussereztrompéspartousvosdomestiques,etsigénéreuxquevousdépenserezplusquevotrerevenu.

—J’espèrequ’iln’enserarien.Sij’étaisimprudenteouinsoucianteenmatièrededépense,jeseraisimpardonnable.

—Plusqueleurrevenu!...Àquoipensez-vous,moncherMr.Bennet!s’écriasafemme.Ila

aumoins

quatreoucinqmillelivresderentes!ÔmachèreJane,jesuissicontente!Jen’endormiraipasdelanuit...

À partir de ce moment, Bingley fit à Longbourn des visites quotidiennes. Il arrivaitfréquemment avant le breakfast et restait toujours jusqu’après le souper, à moins quequelquevoisinbarbare et qu’onnepouvait assezmaudire,ne lui eût fait une invitationàdînerqu’ilnecrûtpaspouvoirrefuser.

Elizabeth n’avait plus beaucoup de temps pour s’entretenir avec sa sœur, car Jane, en laprésence de Bingley, n’accordait son attention à personne autre ; mais elle rendait grandservice à tous deux dans les inévitables moments de séparation : en l’absence de Jane,BingleyvenaitchanterseslouangesàElizabethet,Bingleyparti,Janeenfaisaitautantdesoncôté.

—Ilm’arendueheureuse,dit-elleunsoir,enm’apprenantqu’ilavaittoujours ignorémonséjouràLondresauprintempsdernier.Jenelecroyaispaspossible!

—J’enavaisbienlesoupçon,réponditElizabeth.Quelleexplicationvousa-t-ildonnée?

—Cedevaitêtre la fautedesessœurs.Assurémentellesne tenaientpasàencourager lesrelations entre leur frère et moi, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il aurait pu faire unmariagetellementplusavantageuxsousbiendesrapports.Maisquandellesverront,commej’enailaconfiance,queleurfrèreestheureuxavecmoi,ellesenprendrontleurparti.Croyez-vous, Lizzy, que lors de son départ en novembre, il m’aimait vraiment, et que la seuleconvictiondemonindifférencel’aempêchéderevenir!

—Ilacommisunepetiteerreur,assurément;maiselleesttoutàl’honneurdesamodestie.

ElizabethétaitcontentedevoirqueBingleyn’avaitpasditunmotdel’interventiondesonami;carbienqueJaneeûtlecœurleplusgénéreuxetleplusindulgent,cettecirconstancen’auraitpumanquerdelaprévenircontreMr.Darcy.

— Je suis certainement la créature la plus heureuse du monde, s’écria Jane. Ô Lizzy !pourquoi suis-je la privilégiée de la famille ? Si je pouvais seulement vous voir aussiheureuse!S’ilyavaitseulementpourvousunhommecomparableàCharles!

—Quandvousmedonneriezàchoisirparmivingtautresexemplairesdevotrefiancé,jenepourrais jamais être aussi heureuse que vous. Il me manquerait pour cela votre aimablecaractère.Non,non;laissez-moimedébrouillercommejepourrai.Peut-être,avecunpeudechance,pourrai-jetrouverunjourunsecondMr.Collins!

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Chapitre 56

NESEMAINEENVIRONAPRÈSlesfiançaillesdeJane,commelesdamesétaientréuniesun matin dans la salle à manger en compagnie de Bingley, leur attention futéveilléesoudainparlebruitd’unevoiture,etellesaperçurentunechaisedeposteà quatre chevaux qui contournait la pelouse. L’heure était vraiment matinalepourunevisited’amis,etd’ailleursni l’équipage,ni lalivréeducocherneleurétaient connus. Cependant, comme il était certain que quelqu’un allait se

présenter,Bingleyeut tôt faitdedéciderJaneà l’accompagnerdans lepetitboispour fuirl’intrus.Mrs.Bennetetsesautresfillesseperdaientenconjectureslorsquelaportes’ouvritetlivrapassageàladyCatherine.

Elleentradanslapièceavecunairencoremoinsgracieuxqued’habitude,neréponditàlarévérenced’Elizabethqu’en inclinant légèrement la tête et s’assit sansmotdire.Elizabethl’avait nommée à sa mère après son entrée, bien que Sa Grâce n’eût pas demandé à êtreprésentée.Mrs.Bennetstupéfaite,maisflattéedevoirchezelleunepersonnedesihaute

importance,déployapourlarecevoirtouteslesressourcesdesapolitesse.Aprèsunmomentdesilence,ladyCatherineditassezsèchementàElizabeth:

—J’espèrequevousallezbien,missBennet.Cettedameestvotremère,jesuppose?

Elizabethfitunebrèveréponseaffirmative.

—Etvoilàsansdouteunedevossœurs?

—Oui,madame,intervintMrs.Bennet,raviedeparleràuneaussigrandedame.C’estmonavant-dernièrefille.Laplusjeunes’estmariéedernièrement,etl’aînéeestaujardinavecunjeunehommequinetarderapas,jecrois,àfairepartiedenotrefamille.

—Votreparcn’estpasbiengrand,repritladyCatherineaprèsunecourtepause.

—Cen’estrienencomparaisondeRosings,assurément,mylady;maisjevousassurequ’ilestbeaucoupplusvastequeceluidesirWilliamLucas.

—Cettepiècedoitêtrebienincommodepourlessoirsd’été;elleestenpleincouchant.

Mrs.Bennetassuraquel’onnes’ytenaitjamaisaprèsdîner;puiselleajouta:

—Puis-jeprendrelalibertédedemanderàVotreGrâcesiellealaisséMr.etMrs.Collinsenbonnesanté?

—Oui,ilsvonttrèsbien.Jelesaivusavant-hierausoir.

Elizabeths’attendaitmaintenantàcequ’elleluiremîtunelettredeCharlotte,seuleraison,semblait-il,quipûtexpliquercettevisite.Maisnevoyantaucunelettrevenir,ellesesentitdeplusenplusintriguée.

Mrs.BennetpriaSaGrâced’accepterquelquesrafraîchissements,maisladyCatherinedéclaranettement,etsansbeaucoupdeformes,qu’ellen’avaitbesoinderien;puis,selevant,elleditàElizabeth:

—MissBennet, ilm’asembléqu’ilyavaitunassez jolipetitbois,de l’autrecôtédevotrepelouse.J’yferaisvolontiersuntour,sivousmefaiteslafaveurdem’accompagner.

—Allez-y,machérie,s’écriaMrs.Bennet,et

montrezàSaGrâcelesplusjoliesallées.Jesuissûrequel’ermitageluiplaira.

Elizabethobéitet,courantcherchersonombrelledanssachambre,elleredescenditsemettreàladispositiondelanoblevisiteuse.Commeellestraversaientlehall,ladyCatherineouvritles portes de la salle àmanger et du salon, y jeta un coupd’œil et après avoir daigné lesdéclarerconvenables,sortitdanslejardin.

Toutes deux suivirent en silence l’allée sablée qui conduisait au petit bois. Elizabeth étaitdécidée à ne point se mettre en frais pour une femme qui se montrait, plus encore qued’habitude,insolenteetdésagréable.

«Commentai-jejamaisputrouverquesonneveuluiressemblait?»sedemandait-elleenlaregardant.

Àpeinefurent-ellesentréesdansleboisqueladyCatherineentamaainsilaconversation:

— Vous ne devez point être surprise, miss Bennet, de me voir ici. Votre cœur, votreconsciencevousontdéjàditlaraisondemavisite.

Elizabethlaregardaavecunétonnementsincère.

—Envérité,madame,vousvoustrompez;ilm’estabsolumentimpossiblededevinercequinousvautl’honneurdevousvoirici.

—MissBennet,répliquaSaGrâced’untonirrité,vousdevezsavoirqu’onnesemoquepasdemoi.Mais s’il vous plaît de ne pas être franche, je ne vous imiterai pas. J’ai toujours étéréputéepourmasincéritéetmafranchise,etdansunecirconstanceaussigrave,jenem’endépartiraicertainementpas.Unenouvelleinquiétantem’estparvenueilyadeuxjours.Onm’aditque,nonseulementvotresœurétaitsurlepointdesemariertrèsavantageusement,maisquevous,missElizabethBennet,vousalliez trèsprobablement,peuaprès,devenir lafemmedemonneveu,demonpropreneveu,Mr.Darcy.Bienqu’ils’agisselà,j’ensuissûre,d’unscandaleuxmensonge,etquejene

veuille pas faire à mon neveu l’injure d’y ajouter foi, j’ai résolu immédiatement de metransportericipourvousfaireconnaîtremessentiments.

— Puisque vous ne pouvez croire que ce soit vrai, dit Elizabeth, le visage animé parl’étonnementet ledédain, jemedemandepourquoivousvousêtes imposé la fatigued’un

pareilvoyage.Quellepeutêtrel’intentiondeVotreGrâce?

—C’estd’exigerqu’undémentiformelsoitopposétoutdesuiteàdetelsbruits.

—VotrevisiteàLongbourn,répliquafroidementElizabeth,paraîtraplutôtlesconfirmer,sieneffetilsexistentréellement.

—S’ilsexistent !Prétendriez-vouslesignorer?N’est-cepasvousetlesvôtresquilesavezadroitementmisencirculation?Nesavez-vouspasqu’ilsserépandentpartout?

—C’estlapremièrenouvellequej’enaie.

—Etpouvez-vousm’affirmerdemêmequecesbruitsn’ontaucunfondement?

—JeneprétendspasàlamêmefranchisequeVotreGrâce.Ilpeutluiarriverdeposerdesquestionsauxquellesjen’aiepointenviederépondre.

—Cecinepeutsesupporter.J’insiste,missBennet,pouravoiruneréponse.Monneveuvousa-t-ildemandéeenmariage?

—VotreGrâceadéclarétoutàl’heurequelachoseétaitimpossible.

—Assurément, tantqu’il gardera l’usagede sa raison.Mais vos charmes et votrehabiletépeuvent luiavoir faitoublier,dansun instantdevertige,cequ’ildoitàsafamilleetà lui-même.Vousêtescapabledeluiavoirfaitperdrelatête.

—Sij’aifaitcela,jeserailadernièrepersonneàl’avouer.

—MissBennet,savez-vousbienquijesuis?Jen’aipointl’habitudedem’entendreparlersurceton.Jesuislaplusprocheparentequemonneveuaitau

monde,etj’ailedroitdeconnaîtresesaffaireslesplusintimes.

—Maisnonpaslesmiennes.Etcen’estpasvotrefaçond’agir,madame,quimedécideraàendiredavantage.

—Comprenez-moibien.Cetteunion,àlaquellevousavezlaprésomptiond’aspirer,nepeutseréaliser,non,jamais.Mr.Darcyestfiancéàmafille.Etmaintenant,qu’avez-vousàdire?

—Ques’ilenestainsi,vousn’avezaucuneraisondecraindrequ’ilmedemandedel’épouser.

LadyCatherinehésitauneseconde,puisreprit:

—L’engagementquileslieestd’uneespèceparticulière.Depuisleurtendreenfance,ilsontétédestinésl’unàl’autre.Cemariageétaitnotrevœulepluscher,àsamèreetàmoi.Nousprojetions de les unir alors qu’ils étaient encore au berceau. Et maintenant que ce rêvepourraits’accomplir, ilyseraitmisobstacleparune jeunefilledenaissanceobscure,sansfortune,etcomplètementétrangèreànotrefamille?...N’avez-vousdoncaucunégardpourlesdésirsdessiens,poursonengagementtaciteavecmissdeBourgh?Avez-vousperdutoutsentimentdedélicatesse,toutrespectdesconvenances?Nem’avez-vousjamaisentendudireque,dèssespremièresannées,ilétaitdestinéàsacousine?

—Si ; onme l’avaitmême dit avant vous.Mais en quoi celame regarde-t-il ? Si la seuleobjectionàmonmariageavecvotreneveuestledésirqu’avaientsamèreetsatantedelui

voirépousermissdeBourgh,ellen’existepaspourmoi.Vousavezfaitcequiétaitenvotrepouvoirenformantceprojet;sonaccomplissementnedépendaitpasdevous.SiMr.Darcynesesentliéàsacousineniparl’honneur,niparl’inclination,pourquoinepourrait-ilfaireunautrechoix?Etsic’estmoiquisuisl’objetdecechoix,pourquoirefuserais-je?

—Parcequel’honneur,lesconvenances,la

prudence, et votre intérêt même vous l’interdisent. Oui, miss Bennet, votre intérêt ! carn’allezpasvousimaginerquevousserezaccueillieparsafamilleousesamis,sivousagissezvolontairementcontreleurdésiràtous.Vousserezblâmée,dédaignéeetmépriséepartouslesgensdesaconnaissance;cetteallianceseraconsidéréecommeundéshonneur,etvotrenomneseramêmejamaisprononcéparminous.

—Voilàeneffetdeterriblesperspectives!répliquaElizabeth ;maislafemmequiépouseraMr.Darcytrouveradanscemariagedetellescompensationsque,toutcomptefait,ellen’aurarienàregretter.

— Fille volontaire et obstinée ! Vous me faites honte ! Est-ce donc ainsi que vousreconnaissezlesbontésquej’aieuespourvousauprintempsdernier?N’avez-vouspoint,decefait,quelqueobligationenversmoi?Voyons,asseyons-nous.Ilfautquevouscompreniez,missBennet,quejesuisvenueiciabsolumentdéterminéeàvoirmavolontés’accomplir.Riennepeutm’endétourner;jen’aipascoutumedecéderauxcapricesd’autrui.

—ToutcecirendlasituationdeVotreGrâceplusdignedecompassion,maisnepeutavoiraucuneffetsurmoi.

—Nem’interrompezpas,jevousprie.Mafilleetmonneveusontfaitsl’unpourl’autre;ilsdescendent du côté maternel de la même noble souche, et du côté paternel de famillesanciennesethonorablesquoiquenontitrées.Leurfortuneàtousdeuxesténorme.Toutlemonde dans les deux familles est d’accord pour désirer ce mariage. Et qu’est-ce qui lesséparerait?Lesprétentionsextravagantesd’une jeunepersonne sansparenté, relations,nifortune...Peut-onsupporterchosepareille?Non,celanedoitpasêtre,etcelaneserapas.Sivousaviezlemoindrebonsens,vousnesouhaiteriezpasquitterlemilieudanslequelvousavezétéélevée.

—Jeneconsidèrepasquejelequitteraisen

épousantvotreneveu.Mr.Darcyestungentleman, je suis la filled’ungentleman : sur cepoint,noussommeségaux.

— Parfaitement, vous êtes la fille d’un gentleman. Mais votre mère, qui est-elle ? Et vosoncles,etvostantes?...Necroyezpasquej’ignoreleursituationsociale.

—Quellequesoitmafamille,sivotreneveun’ytrouverienàredire,vousn’avezpasàvousoccuperd’elle.

—Répondez-moiunefoispourtoutes;luiêtes-vousfiancée?

Bienqu’Elizabethn’eûtpasvoulu,dansleseuldesseind’obligerladyCatherine,répondreàcettequestion,elleneputquerépondreaprèsuninstantderéflexion:

—Non,jenelesuispas.

LadyCatherineparutsoulagée.

—Alors,faites-moilapromessedenejamaisl’être?

—Jemerefuseabsolumentàfaireunepromessedecegenre.

—MissBennet,jesuisstupéfaiteetindignée.Jepensaisvoustrouverplusraisonnable.Maisn’allez pas vous imaginer que je céderai. Je ne partirai pas d’ici avant d’avoir obtenu lapromessequejedésire.

— Et moi, je ne la donnerai certainement jamais. Ce n’est pas par intimidation que l’onparviendraàmefairefaireunechoseaussidéraisonnable.VotreGrâcedésiremariersafilleavecMr.Darcy : lapromessequevousexigezrendra-t-elleplusprobableleurmariage?EnsupposantqueMr.Darcym’aime,monrefus lepoussera-t-ilà reportersa tendressesursacousine?Permettez-moidevousdire, ladyCatherine,quelesargumentspar lesquelsvousappuyez une démarche si extraordinaire sont aussi vains que la démarche est malavisée.Vousmeconnaissezbienmalsivouspensezqu’ilspeuventm’influencerlemoinsdumonde.Jusqu’àquelpointMr.Darcypeutapprouver

votreingérencedanssesaffaires,jenesauraisledire;maisvousn’avezcertainementpasledroit de vous occuper desmiennes. C’est pourquoi je demande à ne pas être importunéedavantagesurcesujet.

—Passivite,jevousprie !Jen’aipasfini.Àtouteslesraisonsquej’aidéjàdonnées, j’enajouteraiuneautre.Jen’ignoreriendelahonteuseaventuredevotreplusjeunesœur.Jesaisquesonmariageaveclejeunehommen’aétéqu’unreplâtragequis’estfaitauxfraisdevotrepère et de votre oncle. Et une fille pareille deviendrait la sœur demon neveu ? Il auraitcommebeau-frèrelefilsdurégisseurdefeusonpère?Àquoipensez-vous,grandDieu!LesombresdesanciensmaîtresdePemberleydoivent-ellesêtreàcepointdéshonorées?

—Aprèscela,vousn’avezcertainementrienàajouter,répliquaElizabethamèrement.Iln’estpas une seule insulte que vousm’ayez épargnée. Je vous prie de bien vouloirme laisserretournerchezmoi.

Toutenparlant,elleseleva.LadyCatherineselevaaussietellessedirigèrentverslamaison.SaGrâceétaitengrandcourroux.

— C’est bien. Vous refusez de m’obliger. Vous refusez d’obéir à la voix du devoir, del’honneur,delareconnaissance.Vousavezjurédeperdremonneveudansl’estimedetoussesamis,etdefairedeluilariséedumonde.Jesaismaintenantcequ’ilmeresteàfaire.Necroyezpas,missBennet,quevotreambitionpuissetriompher.Jesuisvenuepouressayerdem’entendreavecvous;j’espéraisvoustrouverplusraisonnable.Mais,nevoustrompezpas,cequejeveux,jesaurail’obtenir.

LadyCatherinecontinuasondiscoursjusqu’àlaportièredesavoiture;alors,seretournantvivement,elleajouta:

—Jeneprendspascongédevous,missBennet;jenevouscharged’aucuncomplimentpourvotremère.Vousneméritezpascettefaveur.Jesuisoutrée!

Elizabethneréponditpas,etrentratranquillementdanslamaison.Elleentendit lavoitures’éloignertandisqu’ellemontaitl’escalier.Samèrel’attendait,impatiente,àlaportedupetitsalon,etdemandapourquoiladyCatherinen’étaitpasrevenuepoursereposer.

—Ellen’apasvoulu,réponditlajeunefille;elleétaitpresséederepartir.

—Quellepersonnedistinguée!etcommec’estaimableàelledevenirnousfairevisite!carjesuppose que c’est uniquement pour nous apporter des nouvelles des Collins qu’elle estvenue.Elleestsansdouteenvoyage,et,passantparMeryton,elleauraeul’idéedes’arrêterpournousvoir.Jesupposequ’ellen’avaitriendeparticulieràvousdire,Lizzy?

Elizabethfutforcéederépondreparunlégermensonge,carilétaitvraimentimpossibledefaireconnaîtrelevéritablesujetdeleurconversation.

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Chapitre 57

ENEFUTPAS sans peine qu’Elizabeth parvint à surmonter le trouble où l’avaitplongée cette visite extraordinaire, et son esprit en demeura obsédé durant delonguesheures.Lady Catherine avait donc pris, selon toute apparence, la peine de venir deRosingsàseulefinderomprel’accordqu’ellesupposaitarrêtéentresonneveuetElizabeth.Iln’yavaitlàrienquipûtétonnerdesapart;maisd’oùcettenouvelle

luiétait-ellevenue,c’estcequ’Elizabethn’arrivaitpasàs’expliquer.Enfin,l’idéeluivintquelefaitqu’elleétaitlasœurdeJane,etDarcyl’amiintimedeBingley,avaitpusuffireàfairenaîtrecettesupposition,unprojetdemariagenemanquantjamaisd’ensuggérerunautreàl’imaginationdupublic.LeursvoisinsdeLucas

Lodge(carc’étaitcertainementpareuxetlesCollinsquelebruitavaitatteintladyCatherine)avaient seulement prédit comme un fait assuré et prochain ce qu’elle-même entrevoyaitcommepossibledansunavenirplusoumoinséloigné.

LesouvenirdesdéclarationsdeladyCatherinen’étaitpassansluicauserquelquemalaise,carilfallaits’attendre,aprèscequ’elleavaitditdesarésolutiond’empêcherlemariage,àcequ’elleexerçâtunepressionsursonneveu.Commentcelui-ciprendrait-illetableauqu’elleluiferaitdesfâcheusesconséquencesd’uneallianceaveclafamilleBennet?Elizabethn’osaitle prévoir. Elle ne savait pas au juste le degré d’affection que lui inspirait sa tante, nil’influencequesesjugementspouvaientavoirsurlui;maisilétaitnatureldesupposerqu’ilavaitpour ladyCatherinebeaucoupplusdeconsidérationquen’enavaitElizabeth.Ilétaitcertain qu’en énumérant les inconvénients d’épouser une jeune fille dont la parentéimmédiateétaitsiinférieureàlasienne,satantel’attaqueraitsursonpointvulnérable.Avecses idées sur les inégalités sociales, il estimerait sans doute raisonnables et judicieux lesargumentsqu’Elizabethavaitjugésfaiblesetridicules.S’ilétaitencorehésitant,lesconseilsetlesexhortationsd’uneprocheparentepouvaientavoirraisondesesderniersdoutes,etledécideràchercherlebonheurdanslasatisfactiondegardersadignitéintacte.Danscecas,ilnereviendraitpoint.LadyCatherineleverraitsansdouteentraversantLondresetiln’auraitplusqu’àrévoquerlapromessefaiteàBingleydereveniràNetherfield.

«Par conséquent, sedit-elle, si son ami reçoit ces jours-ci une lettre où il s’excusedenepouvoirtenirsapromesse,jesauraiàquoim’entenir,etqu’entreluietmoitoutestfini.»

Lelendemainmatin,commeelledescendaitdesachambre,ellerencontrasonpèrequisortait

delabibliothèque,unelettreàlamain.

—Jevouscherchaisjustement,Lizzy,luidit-il,entreziciavecmoi.

Ellelesuivit,curieusedecequ’ilallaitluidire,intriguéeparcettelettrequidevaitavoirunecertaineimportance.L’idéelafrappabrusquementqu’ellevenaitpeut-êtredeladyCatherine,ce qui lui fit entrevoir non sans effroi toute une série d’explications où il lui faudraits’engager.Ellesuivitsonpèrejusquedevantlacheminée,ettousdeuxs’assirent.Mr.Bennetpritlaparole:

— Je viens de recevoir une lettre quim’a causé une surprise extrême ; comme elle vousconcernetoutparticulièrement,ilfautquejevousendiselecontenu.J’ignoraisjusqu’alorsquej’avais«deux»fillessurlepointdeselierparlesnœudssacrésdumariage.Permettez-moidevousadressermesfélicitationspouruneconquêteaussibrillante.

Lacouleurmontaauxjouesd’Elizabeth,subitementconvaincuequelalettrevenait,nonpasdelatante,maisduneveu.Àlafoissatisfaitequ’ilenvîntàsedéclareretmécontentequelalettreneluifûtpasadressée,elleentenditsonpèrepoursuivre:

—Vousavez l’airdecomprendredequoi ils’agit,– les jeunesfilles,encesmatières,sontdouéesd’unegrandepénétration,–maisjecroispouvoirdéfiervotresagacitéelle-mêmededevinerlenomdevotreadmirateur.CettelettrevientdeMr.Collins.

—DeMr.Collins?Quepeut-ilbienavoiràraconter?

—Deschoses trèsàpropos,bienentendu.Sa lettrecommencepardes félicitationssur le«prochainhyménée»demafilleJane,dontilaétéaverti,semble-t-il,parlebavardagedecesbravesLucas.Jenemejoueraipasdevotreimpatienceenvouslisantcequ’ilécritlà-dessus.Voicilepassagequivousconcerne:

«AprèsvousavoiroffertmessincèrescongratulationsetcellesdeMrs.Collins,laissez-moifaireunediscrèteallusionàunévénementanaloguequenous

apprenonsdemêmesource.VotrefilleElizabeth,annonce-t-on,negarderaitpaslongtempslenomdeBennetaprèsquesasœuraînéel’auraquitté,etceluiqu’elleachoisipourpartagerson destin est considéré comme l’un des personnages les plus importants de ce pays. » –Pouvez-vous vraiment deviner de qui il est question, Lizzy ? « . . .Ce jeune homme estfavoriséd’unefaçonparticulièreentoutcequepeutsouhaiterlecœurd’unemortelle:beaudomaine, noble parenté, relations influentes. Cependant, en dépit de tous ces avantages,laissez-moi vous avertir, ainsi que ma cousine Elizabeth, des maux que vous risquez dedéchaîner en accueillant précipitamment les propositions de ce gentleman, – propositionsquevousêtesprobablementtentésd’acceptersansretard.»

—Àvotreidée,Lizzy,quelpeutêtrecegentleman?...Maisici,toutsedévoile:«...Voicilemotifpourlequel jevousconseille laprudence :nousavons toute raisondecroirequesatante,ladyCatherinedeBourgh,neconsidèrepascetteuniond’unœilfavorable...»–C’estdoncMr.Darcy!J’imagine,Lizzy,quec’estunevraiesurprisepourvous.Pouvait-on,parmitoutes nos connaissances, tomber sur quelqu’un dont le nom pûtmieux faire, ressortir lafaussetédetoutecettehistoire?Mr.Darcy,quineregardejamaisunefemmequepourluidécouvriruneimperfection,Mr.Darcyqui,probablement,nevousamêmejamaisregardée !

C’estineffable!

Elizabethtentades’associeràlagaietédesonpère,maisneréussitqu’àébaucherunsourirehésitant.

—Celanevousamusepas?

—Ohsi!Maiscontinuezdoncàlire.

— ». . . Hier soir, lorsque j’ai entretenu SaGrâce de la possibilité de cemariage, avec sabienveillancecoutumière, ellem’aconfié ses sentiments.Par suitedecertaines raisonsdefamillequ’ellefaitvaloircontremacousine,ilmeparaîtévidentqu’ellenedonneraitjamaissonconsentementàcequ’elleappelleune

mésallianceinacceptable.Jecroisdemondevoird’avertiravectouteladiligencepossiblemacousineetsonnobleadmirateur,afinqu’ilssachentàquoi ilss’exposent,etneprécipitentpasuneunionquineseraitpasdûmentapprouvée...»–Mr.Collinsajouteencore:«JemeréjouisvéritablementdecequelatristehistoiredemacousineLydiaaitétésibienétouffée.Uneseulechosemepeine,c’estquel’onsachedanslepublicqu’ilsontvécuensemblequinzejours avant la bénédiction nuptiale. Je ne puis me dérober au devoir de ma charge etm’abstenir d’exprimer mon étonnement que vous ayez reçu le jeune couple chez vous,aussitôt après le mariage : c’est un encouragement au vice, et si j’étais le recteur deLongbourn,jem’yseraisopposédetoutmonpouvoir.Assurémentvousdevezleurpardonnerenchrétien,maisnonlesadmettreenvotreprésence,nisupporterquel’onprononceleursnomsdevantvous...»

— Voilà quelle est sa conception du pardon chrétien ! La fin de la lettre roule surl’intéressantesituationdesachèreCharlotte,etleurespérancedevoirbientôtchezeux«unjeuneplantd’olivier».Mais,Lizzy,celan’apasl’airdevousamuser?Vousn’allezpasfaireladélicate,jepense,etvousmontreraffectéeparunracontarstupide.Pourquoisommes-noussurterre,sinonpourfournirquelquedistractionànosvoisins,etenretour,nouségayeràleursdépens?

—Oh!s’écriaElizabeth,jetrouvecelatrèsdrôle,maistellementétrange!

—Etjustement !c’estcequienfaitlepiquant !Sicesbravesgensavaientchoisiunautrepersonnage,iln’yauraiteulàriendedivertissant ;maisl’extrêmefroideurdeMr.Darcyetvotreaversionpourluitémoignentàquelpointcettefableestdélicieusementabsurde.Bienque j’aie horreur d’écrire, je ne voudrais pour rien au monde mettre un terme à macorrespondance avec Mr. Collins. Bien mieux, quand je lis une de ses lettres, je ne puism’empêcherdeleplacer

au-dessusdeWickham,quoiquej’appréciefortl’impudenceetl’hypocrisiedemongendre.Etdites-moi, Lizzy, qu’a raconté là-dessus ladyCatherine ?Était-elle venuepour refuser sonconsentement?

Pourtouteréponse,Elizabethsemitàrire;laquestionavaitétéposéelepluslégèrementdumondeetMr.Bennetn’insistapas.

Elizabeth était plus malheureuse que jamais d’avoir à dissimuler ses sentiments ; elle se

forçait à rire alors qu’elle aurait eu plutôt envie de pleurer. Son père l’avait cruellementmortifiéeparcequ’ilavaitditdel’indifférencedeMr.Darcy.Elles’étonnaitd’untelmanquedeclairvoyanceetenarrivaitàcraindrequelàoùsonpèren’avaitrienvu,elle-mêmen’eûtvuplusquelaréalité.

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Chapitre 58

ULIEUDERECEVOIRdesonamiunelettred’excuse,ainsiqu’Elizabeths’yattendaitàdemi,Mr.BingleyputamenerMr.DarcyenpersonneàLongbourn,peudejoursaprèslavisitedeladyCatherine.

Tousdeuxarrivèrentdebonneheure,etavantqueMrs.BenneteûteuletempsdedireàMr.Darcyqu’elleavaitvusatante,–cequ’Elizabethredoutauninstant,–

Bingley, qui cherchait l’occasion d’un tête-à-tête avec Jane, proposa à tout lemonde unepromenade.Mrs.Bennetn’aimaitpaslamarche,etMaryn’avaitjamaisunmomentàperdre;mais les autres acceptèrent et ensemble semirent en route. Bingley et Jane, toutefois, selaissèrentbientôtdistanceretrestèrentàmarcherdoucementenarrière.Legroupeforméparlestroisautresétaitplutôttaciturne;Kitty,intimidéeparMr.Darcy,n’osaitouvrirlabouche,Elizabeth se préparait secrètement à brûler ses vaisseaux, et peut-être Darcy en faisait-ilautantdesoncôté.

Ils s’étaient dirigés vers Lucas Lodge où Kitty avait l’intention de faire visite à Maria.Elizabeth,nevoyantpas lanécessitéde l’accompagner, la laissaentrerseule,etpoursuivitdélibérémentsarouteavecMr.Darcy.

C’était maintenant le moment, ou jamais, d’exécuter sa résolution. Profitant du couragequ’ellesesentaitencetinstant,ellecommençasansplusattendre:

—Jesuistrèségoïste,Mr.Darcy.Pourmesoulagerd’unpoids,jevaisdonnerlibrecoursàmessentiments,aurisquedeheurterlesvôtres;maisjenepuisresterpluslongtempssansvous remercier de la bonté vraiment extraordinaire dont vous avez fait preuve pour mapauvresœur.Croyezbienquesi lerestedemafamilleenétait instruit, jen’auraispasmaseulereconnaissanceàvousexprimer.

— Je regrette, je regrette infiniment, répliqua Darcy avec un accent plein de surprise etd’émotion, qu’on vous ait informée de choses qui, mal interprétées, ont pu vous causerquelquemalaise.J’auraiscruqu’onpouvaitsefierdavantageàladiscrétiondeMrs.Gardiner.

—Neblâmezpasmatante.L’étourderiedeLydiaseulem’arévéléquevousaviezétémêléàcetteaffaire,et,bienentendu,jen’aipaseuderepostantquejen’enaipasconnutouslesdétails. Laissez-moi vous remercier mille et mille fois au nom de toute ma famille de lagénéreuse pitié qui vous a poussé à prendre tant de peine et à supporter tant demortificationspourarriveràdécouvrirmasœur.

—Sivoustenezàmeremercier,répliquaDarcy,remerciez-moipourvousseule.Queledésirde vous rendre la tranquillité ait ajouté aux autres motifs que j’avais d’agir ainsi, jen’essaieraipasdelenier,maisvotrefamillenemedoitrien.Avectoutlerespectquej’aipourelle,jecroisavoirsongéuniquementàvous.

L’embarrasd’Elizabethétaittelqu’elleneput

prononceruneparole.Aprèsunecourtepause,soncompagnonpoursuivit:

—Vousêtestropgénéreusepourvousjouerdemessentiments.Silesvôtressontlesmêmesqu’auprintempsdernier,dites-le-moitoutdesuite.Lesmiensn’ontpasvarié,nonplusquelerêvequej’avaisforméalors.Maisunmotdevoussuffirapourm’imposersilenceàjamais.

Désireusedemettreuntermeàsonanxiété,Elizabethretrouvaenfinassezd’empiresurelle-mêmepourluirépondre,etsanstarder,bienqu’enphrasesentrecoupées,elleluifitentendrequedepuisl’époqueàlaquelleilfaisaitallusion,sessentimentsavaientsubiunchangementassezprofondpourqu’ellepûtaccueillirmaintenantavecjoielenouvelaveudessiens.

CetteréponsecausaàDarcyunbonheurtelquesansdouteiln’enavaitpointencoreéprouvéunsemblable, et il l’exprimadansdes termesoù l’on sentait toute l’ardeur et la tendressed’uncœurpassionnémentépris.SiElizabethavaitoséleverlesyeux,elleauraitvucombienl’expressiondejoieprofondequiilluminaitsaphysionomieembellissaitsonvisage.Maissisontroublel’empêchaitderegarder,ellepouvaitl’entendre:ettoutcequ’ildisait,montrantàquelpointelleluiétaitchère,luifaisaitsentirdavantage,deminuteenminute,leprixdesonaffection.

Ilsmarchaientauhasard,sansbut,absorbésparcequ’ilsavaientàseconfier,etlerestedumonden’existaitpluspoureux.Elizabethappritbientôtquel’heureuseententequivenaitdes’établir entre eux était due aux efforts de lady Catherine pour les séparer. En traversantLondres au retour, elle était allée trouver son neveu et lui avait conté son voyage àLongbournsansluientairelemotif;elleavaitrapportéensubstancesaconversationavecElizabeth, appuyant avec emphase sur toutes les paroles qui, à son sens, prouvaient laperversitéoul’impudencede

la jeune fille, persuadée qu’avec un tel récit elle obtiendrait de son neveu la promessequ’Elizabethavaitrefusédeluifaire.Mais,malheureusementpourSaGrâce, l’effetproduitavaitétéexactementlecontrairedeceluiqu’elleattendait.

—Ellem’adonné,dit-il,desraisonsd’espérerquejen’avaispasencore.Jeconnaissaisassezvotrecaractèrepourêtresûrquesivousaviezétédécidéeàmerefuserd’unefaçonabsolueetirrévocable,vousl’auriezditàladyCatherinefranchementetsansdétour.

Elizabethrougitetréponditenriant:

—Vousneconnaissezquetrop,eneffet,mafranchise.Sij’aipuvousfaireenfacetantdereproches abominables, je n’aurais eu aucun scrupule à les redire devant n’importe quelmembredevotrefamille.

—Etqu’avez-vousdoncditquinefûtmérité?Carsivosaccusationsétaientmalfondées,monattitudeenversvousdanscettecirconstanceétaitdignedesreprocheslesplussévères;elleétaitimpardonnable,etjenepuisysongersanshonte.

—Nenousdisputonspaspoursavoirquidenousfut,cesoir-là,leplusàblâmer.D’aucundesdeux la conduite, en toute impartialité, ne peut être jugée irréprochable.Mais depuis lorsnousavonsfait,jecrois,l’unetl’autredesprogrèsenpolitesse.

— Je ne puis m’absoudre aussi facilement. Le souvenir de ce que j’ai dit alors, de mesmanières,demesexpressions,m’estencore,aprèsdelongsmois,infinimentpénible.Ilyaundevosreprochesquejen’oublieraijamais:«Sivotreconduiteavaitétécelled’ungentleman.. . »,m’avez-vous dit. Vous ne pouvez savoir, vous pouvez à peine imaginer combien cesparoles m’ont torturé, bien qu’il m’ait fallu quelque temps, je l’avoue, pour arriver à enreconnaîtrelajustesse.

— J’étais certes bien éloignée de penser qu’elles produiraient sur vous une si forteimpression.

—Jelecroisaisément;vousmejugiezalors

incapable de tout bon sentiment. Oui, ne protestez pas. Je ne pourrai jamais oublierl’expressiondevotrevisage lorsquevousm’avezdéclaréque,« faitesousn’importequelleforme,mademanden’auraitjamaispuvousdonnerlamoindretentationdel’agréer».

— Oh ! ne répétez pas tout ce que j’ai dit ! Ces souvenirs n’ont rien d’agréable, et voilàlongtemps,jevousassure,qu’ilsmeremplissentdeconfusion.

Darcyrappelasalettre:

—Vous a-t-elle donnémeilleure opinion demoi ?Avez-vous, en la lisant, fait crédit à cequ’ellecontenait?

Elizabeth expliqua les impressionsqu’elle avait ressenties et comment, l’une après l’autre,toutessespréventionsétaienttombées.

—Enécrivantcettelettre,repritDarcy,jem’imaginaisêtrecalmeetfroid;maisjemerendscomptemaintenantquejel’aiécritelecœurpleind’uneaffreuseamertume.

—Peut-êtrecommençait-elledansl’amertume,maiselleseterminaitparunadieupleindecharité.Allons,nepensezplusàcettelettre:lessentimentsdeceluiquil’aécrite,commedecelle qui l’a reçue, ont si profondément changé depuis lors que tous les souvenirsdésagréablesquis’yrapportentdoiventêtreoubliés.Mettez-vousàl’écoledemaphilosophie,etneretenezdupasséquecequipeutvousdonnerquelqueplaisir.

—Jen’appellepasceladelaphilosophie:lessouvenirsquevousévoquezsontsiexemptsdereprochesquelasatisfactionqu’ilsfontnaîtrenepeutprendrelenomdephilosophie.Maisiln’en va pas demêmepourmoi, et des souvenirs pénibles s’imposent àmon esprit qui nepeuventpas,quinedoiventpasêtrerepoussés.J’aivécujusqu’icienégoïste:enfant,onm’aenseigné à faire le bien, mais on ne m’a pas appris à corriger mon caractère. J’étaismalheureusementfilsunique,–même,durantdelonguesannées,

uniqueenfant,–etj’aiétégâtéparmesparentsqui,bienquepleinsdebonté(monpèreenparticulierétaitlabienveillancemême),ontlaissécroîtreetmêmeencouragélatendancequej’avaisàmemontrerpersonnelethautain,àenfermermessympathiesdanslecadrefamilialetàfairefidurestedumonde.Telai-jeétédepuismonenfancejusqu’àl’âgedevingt-huit

ans.Telserais-jeencoresijenevousavaispasrencontrée,aimableetcharmanteElizabeth.Quenevousdois-jepas?Vousm’avezdonnéuneleçon,duresansdoute,maisprécieuse.Parvous j’ai été justement humilié. Je venais à vous, n’éprouvant aucun doute au sujet del’accueilquim’attendait.Vousm’avezmontrécombienmesprétentionsétaientinsuffisantespourplaireàunefemmequiavaitledroitd’êtredifficile.

—Commevousavezdûmedétesteraprèscesoir-là!

—Vousdétester!J’aiétéencolère,peut-être,pourcommencer,maismacolèreaprisbientôtunemeilleuredirection.

—J’oseàpeinevousdemandercequevousavezpensédemoilorsquenousnoussommesrencontrésàPemberley.Maprésenceencelieunevousa-t-ellepasparudéplacée?

—Non,envérité.Jen’airessentiquedelasurprise.

—Votresurprisen’asûrementpasétéplusgrandequelamienneenmevoyanttraitéeparvousavectantd’égards.Maconsciencemedisaitquejeneméritaispasd’êtrel’objetd’unepolitesseexagérée,etj’avouequejenecomptaispasrecevoirplusqu’ilnem’étaitdû.

—Monbut,répliquaDarcy,étaitdevousmontrer,partoutelacourtoisiedontj’étaiscapable,que jen’avaispasl’âmeassezbassepourvousgarderrancunedupassé.J’espéraisobtenirvotrepardonetadoucirlamauvaiseopinionquevousaviezdemoi,envousfaisantvoirquevosreprochesavaientétéprisen

considération.Àquelmomentd’autressouhaitssesont-ilsmêlésàcetespoir,jepuisàpeineledire;maisjecroisbienquecefutmoinsd’uneheureaprèsvousavoirrevue.

IlluiditalorscombienGeorgianaavaitétécharméedefairesaconnaissance,etsadéceptionen voyant leurs relations si brusquement interrompues. Ici, leur pensée se portantnaturellementsurlacausedecetteinterruption,Elizabethappritbientôtquec’étaitàl’hôtelmêmedeLambtonqueDarcyavaitprisladécisiondequitterleDerbyshireàsasuiteetdesemettre à la recherche de Lydia. Son air grave et préoccupé venait uniquement du débatintérieurd’oùétaitsortiecettedétermination.

Aprèsavoirfaitainsiplusieursmillessansysonger,uncoupd’œiljetéàleursmontresleurfitvoirqu’ilétaitgrandtempsderentrer.EtBingley,etJane?Qu’étaient-ilsdevenus?Cettequestiontournasureuxlaconversation.Darcyétaitenchantédeleursfiançailles ;sonamiluienavaitdonnélapremièrenouvelle.

—Jevoudraissavoirsiellevousasurpris,ditElizabeth.

—Dutout.Lorsquej’étaisparti,jesavaisquecedénouementétaitproche.

—C’est-à-direquevousaviezdonnévotreautorisation.Jem’endoutais.

Et,bienqu’ilprotestâtcontreleterme,Elizabethdécouvritquec’étaitàpeuprèsainsiqueleschosess’étaientpassées.

—LesoirquiaprécédémondépartpourLondres,dit-il,j’aifaitàBingleyuneconfessionàlaquelle j’auraisdûmedéciderdepuis longtemps.Je luiaidit toutcequiétaitarrivépourrendre ma première intervention dans ses affaires absurde et déplacée. Sa surprise a été

grande.Iln’avaitjamaiseulemoindresoupçon.Jeluiaiditdeplusquejem’étaistrompéensupposantvotresœurindifférenteàsonégardetque,nepouvantdouterdelaconstancedesonamour

pourelle,j’étaisconvaincuqu’ilsseraientheureuxensemble.

—Etvotreconviction,jelesuppose,aentraînéimmédiatementlasienne?

—Parfaitement.Bingleyesttrèssincèrementmodeste;sadéfiancenaturellel’avaitempêchédes’enremettreàsonpropre jugement,dansunequestionaussi importante.Saconfiancedanslemienatoutdécidé.Maisjeluidevaisunautreaveuqui,pendantunmoment,etnonsansraison,l’ablessé.Jenepouvaismepermettredeluicacherquevotresœuravaitpassétroismois àLondres l’hiverdernier, que je l’avais su, et le lui avais laissévolontairementignorer.Cecil’afâché;maissacolère,jecroisbien,s’estévanouieenmêmetempsquesondoutesurlessentimentsdevotresœur.

Elisabethavaitgrandeenvied’observerqueMr.Bingleyavaitétéunamitoutàfaitcharmantet que sa docilité à se laisser guider rendait inappréciable ; mais elle se contint. Elle serappelaqueMr.Darcyn’étaitpasencorehabituéàcequ’onleplaisantât,etilétaitencoreunpeutôtpourcommencer.

Tout en continuant à parler du bonheur de Bingley, qui, naturellement, ne pouvait êtreinférieurqu’ausien,ilpoursuivitlaconversationjusqu’àleurarrivéeàLongbourn.Danslehall,ilsseséparèrent.

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Chapitre 59

—MachèreLizzy,oùavez-vousbienpuallervouspromener?

Telle fut la question que Jane fit à Elizabeth, à son retour, et que répétèrent les autresmembres de la famille au moment où l’on se mettait à table. Elle répondit qu’ils avaientmarchéauhasarddesroutesjusqu’àneplussavoirexactementoùilssetrouvaient,

etellerougitenfaisantcetteréponse;maisniparlà,niparautrechose,ellen’excitaaucunsoupçon.

La soirée se passa paisiblement, sans incident notable. Les fiancés déclarés causaient etriaient;ceuxquil’étaientsecrètementrestaientsilencieux.Darcyn’étaitpasd’uncaractèreàlaisser son bonheur se révéler par des dehors joyeux, et Elizabeth, émue et perplexe, sedemandaitcequediraientlessienslorsqu’ilssauraienttout,Janeétantlaseulequin’eûtpasd’antipathiepourMr.Darcy.

Lesoir,elles’ouvritàsasœur.Bienqueladéfiancenefûtpasdansseshabitudes,Janereçutlanouvelleavecuneparfaiteincrédulité:

—Vousplaisantez,Lizzy.C’estinimaginable!Vous,fiancéeàMr.Darcy?...Non,non,jenepuisvouscroire;jesaisquec’estimpossible...

—Jen’aipasdechancepourcommencer !Moiquimettaistoutemaconfianceenvous,jesuissûreàprésentquepersonnenemecroira,sivousvousyrefusezvous-même.Pourtant,jeparletrèssérieusement;jenedisquelavérité:ilm’aimetoujours,etnousnoussommesfiancéstoutàl’heure.

Janelaregardad’unairdedoute.

—Oh!Lizzy,cen’estpaspossible...Jesaiscombienilvousdéplaît.

—Vousn’ensavezriendutout.Oublieztoutcequevouscroyezsavoir.Peut-êtrefut-iluntempsoùjenel’aimaispascommeaujourd’hui,maisjevousdispensed’avoirunemémoiretropfidèle.Dorénavant,jeneveuxplusm’ensouvenirmoi-même.

—MonDieu, est-cepossible ? s’écria Jane. Pourtant, il faut bien que je vous croie. Lizzychérie,jevoudrais...jeveuxvousféliciter.Maisêtes-vouscertaine,–excusezmaquestion,–êtes-vousbiencertainequevouspuissiezêtreheureuseaveclui?

—Iln’yaaucundouteàcetégard.Nousavonsdéjàdécidéquenousserionslecoupleleplus

heureux

dumonde.Maisêtes-vouscontente,Jane?Serez-vousheureusedel’avoirpourfrère?

— Très heureuse ! Mr. Bingley et moi ne pouvions souhaiter mieux ! Nous en parlionsquelquefois,maisenconsidérantlachosecommeimpossible.Entoutesincérité,l’aimez-vousassez?Oh !Lizzy ! toutplutôtqu’unmariage sansamour !. . .Êtes-vousbien sûredevossentiments?

—Tellementsûrequej’aipeurdevousentendredirequ’ilssontexagérés!

—Pourquoidonc?

—Parcequejel’aimeplusqueMr.Bingley!...N’allezpasvousfâcher?

—Machèrepetitesœur,neplaisantezpas.Jeparlefortsérieusement.Dites-moivitetoutcequejedoissavoir.Depuisquandl’aimez-vous?

— Tout cela est venu si insensiblement qu’il me serait difficile de vous répondre. Mais,cependant,jepourraispeut-êtredire:depuisquej’aivisitésonbeaudomainedePemberley!

UnenouvelleinvitationàparlersérieusementproduisitsoneffetetElizabetheutviterassurésasœursurlaréalitédesonattachementpourMr.Darcy.MissBennetdéclaraalorsqu’ellen’avaitplusrienàdésirer.

— Désormais, je suis pleinement heureuse, affirma-t-elle, car votre part de bonheur seraaussibellequelamienne.J’aitoujoursestiméMr.Darcy.N’yeût-ileuenluiquesonamourpourvous,celam’auraitsuffi.Maintenantqu’ilseral’amidemonmarietlemaridemasœur,ilaura letroisièmerangdansmesaffections.MaisLizzy,commevousavezétédissimuléeavecmoi!...J’ignorepresquetoutcequis’estpasséàPemberleyetàLambton,etlepeuquej’ensaism’aétéracontépard’autresqueparvous!

Elizabeth lui expliqua lesmotifs de son silence. L’incertitude où elle était au sujet de sespropressentimentsluiavaitfaitéviterjusqu’alorsdenommerMr.Darcy:maismaintenantilfallaitqueJanesûtla

partqu’ilavaitpriseaumariagedeLydia.Toutfutéclaircietlamoitiédelanuitsepassaenconversation.

—Dieuduciel!s’écriaMrs.Bennet,lelendemainmâtin,enregardantparlafenêtre,nevoilà-t-ilpascefâcheuxMr.DarcyquiarriveencoreavecnotrecherBingley?Quelleraisonpeut-ilavoirpournousfatiguerdesesvisites?Jem’imaginaisqu’ilvenaitpourchasser,pêcher,toutcequ’ilvoudrait,maisnonpourêtretoujoursfourréici.Qu’allons-nousenfaire?Lizzy,vousdevriez encore l’emmener promener pour éviter queBingley le trouve sans cesse sur sonchemin.

Elizabethgardadifficilementsonsérieuxàunepropositionsiopportune.

Bingley, enentrant, la regardad’unair expressif et lui serra lamainavecunechaleurquimontraitbienqu’ilsavaittout;puis,presqueaussitôt:

— Mistress Bennet, dit-il, n’avez-vous pas d’autres chemins dans lesquels Lizzy pourrait

recommenceràseperdreaujourd’hui?

— Je conseillerai àMr. Darcy, à Lizzy et à Kitty, ditMrs. Bennet, d’aller à pied cematinjusqu’àOaklamMount;c’estunejoliepromenade,etMr.Darcynedoitpasconnaîtrecepointdevue.

Kittyavouaqu’ellepréféraitnepassortir.DarcyprofessaunegrandecuriositépourlavuedeOaklam Mount, et Elizabeth donna son assentiment sans rien dire. Comme elle allait sepréparer,Mrs.Bennetlasuivitpourluidire:

—Jeregrette,Lizzy,devousimposercetennuyeuxpersonnage ;maisvousferezbiencelapourJane.Inutile,dureste,devousfatigueràtenirconversationtoutlelongduchemin;unmotdetempsàautresuffira.

Pendantcettepromenade,ilsdécidèrentqu’ilfallait,lesoirmême,demanderleconsentementdeMr.Bennet.Elizabethseréservaladémarcheauprèsdesamère.Ellenepouvaitprévoircommentcelle-ciaccueilleraitlanouvelle,siellemanifesteraitune

oppositionviolenteouunejoieimpétueuse:detoutemanière,l’expressiondesessentimentsneferaitpashonneuràsapondération,etElizabethn’auraitpaspusupporterqueMr.Darcyfût témoin ni des premiers transports de sa joie, ni des mouvements véhéments de sadésapprobation.

Danslasoirée,quandMr.Bennetseretira,Mr.Darcyselevaetlesuivitdanslabibliothèque.Elizabethfuttrèsagitéejusqu’aumomentoùilreparut.Unsourirelarassuratoutd’abord :puis,s’étantapprochéd’ellesousprétexted’admirersabroderie,illuiglissa:

—Alleztrouvervotrepère;ilvousattenddanslabibliothèque.

Elles’yrenditaussitôt.Mr.Bennetarpentaitlapièce,l’airgraveetanxieux.

— Lizzy, dit-il, qu’êtes-vous en train de faire ? Avez-vous perdu le sens, d’accepter cethomme?Nel’avez-vouspastoujoursdétesté?

CommeElizabetheûtsouhaitéalorsn’avoirjamaisformulédecesjugementsexcessifs!Illuifallait à présent en passer par des explications difficiles, et ce fut avec quelque embarrasqu’elleaffirmasonattachementpourDarcy.

—End’autrestermes,vousêtesdécidéeàl’épouser.Ilestriche,c’estcertain,etvousaurezdeplusbellestoilettesetdeplusbeauxéquipagesqueJane.Maiscelavousdonnera-t-il lebonheur?

—N’avez-vouspasd’objectionautrequelaconvictiondemonindifférence?

—Aucune.Noussavonstousqu’ilestorgueilleux,peuavenant,maiscecineseraitriens’ilvousplaisaitréellement.

—Mais ilmeplaît ! protesta-t-elle, les larmesauxyeux. Je l’aime ! Il n’y a point chez luid’excèsd’orgueil;ilestparfaitementdigned’affection.Vousneleconnaissezpasvraiment ;aussi,nem’affligezpasenmeparlantdeluiendetelstermes.

—Lizzy,luiditsonpère,jeluiaidonnémonconsentement.Ilestdecesgensauxquelson

n’oserefusercequ’ilsvousfontl’honneurdevousdemander.Jevousledonneégalement,sivous êtes résolue à l’épouser,mais je vous conseille de réfléchir encore. Je connais votrecaractère,Lizzy.Jesaisquevousneserezheureusequesivousestimezsincèrementvotremarietsivousreconnaissezqu’ilvousestsupérieur.Lavivacitédevotreespritrendraitpluspérilleuxpourvousunmariagemalassorti.Monenfant,nemedonnezpaslechagrindevousvoirdansl’impossibilitéderespecterlecompagnondevotreexistence.Vousnesavezpascequec’est.

Elizabeth,encoreplusémue,donnadanssaréponselesassuranceslesplussolennelles:ellerépétaqueMr.Darcyétaitréellementl’objetdesonchoix,elleexpliquacommentl’opinionqu’elleavaiteuedeluis’étaitpeuàpeutransforméetandisquelesentimentdeDarcy,loind’êtrel’œuvred’unjour,avaitsupportél’épreuvedeplusieursmoisd’incertitude;ellefitavecchaleur l’énumérationde toutes sesqualités, et finit par triompherde l’incrédulitéde sonpère.

—Ehbien,machérie,dit-il,lorsqu’elleeutfinideparler,jen’aiplusrienàdire.S’ilenestainsiilestdignedevous.

Pourcomplétercette impression favorable,Elizabeth l’instruisitdecequeDarcyavait faitspontanémentpourLydia.Ill’écoutaavecstupéfaction.

—Quedesurprisesdansuneseulesoirée!Ainsidonc,c’estDarcyquiatoutfait,–arrangélemariage,donnél’argent,payélesdettes,obtenulebrevetd’officierdeWickham !–Ehbien,tantmieux !Celam’épargnebiendu tourment etmedispensed’une fouled’économies.Sij’étaisredevabledetoutàvotreoncle,jedevrais,jevoudraism’acquitterentièrementenverslui.Maisces jeunesamoureuxn’en fontqu’à leur tête. J’offriraidemainàMr.Darcyde lerembourser:ils’emportera,tempêteraenprotestantde

sonamourpourvous,etceseralederniermotdel’histoire.

Ilsesouvintalorsdel’embarrasqu’elleavaitlaissévoirenécoutantlalecturedelalettredeMr.Collins.Ill’enplaisantaquelquesinstants;enfin,illalaissapartir,ajoutantcommeellelequittait:

—S’ilvenaitdesprétendantspourMaryouKitty,vouspouvezmelesenvoyer.J’aitoutletempsdeleurrépondre.

Lasoiréesepassapaisiblement.LorsqueMrs.Bennetregagnasachambre,Elizabethlasuivitpour lui faire l’importante communication. L’effet en fut des plus déconcertants. Auxpremiersmots,Mrs.Bennetselaissatombersurunechaise,immobile,incapabled’articulerunesyllabe.Cene futqu’auboutd’un longmomentqu’elleputcomprendre le sensdecequ’elle entendait, bien qu’en général elle eût l’esprit assez prompt dès qu’il était questiond’unavantagepoursafamille,oud’unamoureuxpoursesfilles.Enfin,ellerepritpossessiond’elle-même,s’agitasursachaise,seleva,serassit,etpritlecielàtémoindesastupéfaction.

—Miséricorde!Bontédivine!Peut-ons’imaginerchosepareille?Mr.Darcy!quiauraitpulesupposer?Est-cebienvrai?ÔmapetiteLizzy,commevousallezêtrericheetconsidérée !Argentdepoche,bijoux,équipages,riennevousmanquera!Janen’aurariendecomparable.Jesuistellementcontente,tellementheureuse...Unhommesicharmant!sibeau!sigrand!

Oh ! ma chère Lizzy, je n’ai qu’un regret, c’est d’avoir eu pour lui jusqu’à ce jour tantd’antipathie:j’espèrequ’ilnes’enserapasaperçu.Lizzychérie!UnemaisonàLondres!Toutcequifaitlecharmedelavie!Troisfillesmariées!dixmillelivresderentes!ÔmonDieu,quevais-jedevenir?C’estàenperdrelatête...

Iln’enfallaitpaspluspourfairevoirquesonapprobationnefaisaitpasdedoute.Heureused’avoirétéleseultémoindeceseffusions,Elizabethseretira

bientôt.Maisellen’étaitpasdanssachambredepuistroisminutesquesamèrel’yrejoignit.

—Monenfantbien-aimée,s’écria-t-elle,jenepuispenseràautrechose.Dixmillelivresderentes,etplusencoretrèsprobablement.Celavautuntitre.Etlalicencespéciale!Ilfautquevoussoyezmariésparlicencespéciale...Maisdites-moi,moncheramour,quelestdoncleplatpréférédeMr.Darcy,quejepuisseleluiservirdemain!

VoilàquineprésageaitriendebonàElizabethpourl’attitudequeprendraitsamèreaveclegentlemanlui-même.Maislajournéedulendemainsepassabeaucoupmieuxqu’ellenes’yattendait,carMrs.Bennetétaittellementintimidéeparsonfuturgendrequ’ellenesehasardaguèreàluiparler,saufpourapprouvertoutcequ’ildisait.

QuantàMr.Bennet,ElizabetheutlasatisfactiondelevoirchercheràfaireplusintimementconnaissanceavecDarcy;ilassuramêmebientôtàsafillequesonestimepourluicroissaitd’heureenheure.

—J’admirehautementmestroisgendres,déclara-t-il.Wickham,peut-être,estmonpréféré ;maisjecroisquej’aimeraivotremaritoutautantqueceluideJane.

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Chapitre 60

LIZABETH,QUIAVAITRETROUVÉtoutsonjoyeuxentrain,priaMr.Darcydeluicontercommentilétaitdevenuamoureuxd’elle.—Jem’imaginebiencomment,unefoislancé,vousavezcontinué,maisc’estlepointdedépartquim’intrigue.

—Jenepuisvousfixernilejour,nilelieu,pas

plus que vous dire le regard ou les paroles qui ont tout déterminé. Il y a vraiment troplongtemps.J’étaisdéjàloinsurlarouteavantdem’apercevoirquejem’étaismisenmarche.

—Vousnevousfaisiezpourtantpointd’illusionsurmabeauté.Quantàmesmanières,ellesfrisaient l’impolitesse à votre égard, et je ne vous adressais jamais la parole sans avoirl’intention de vous être désagréable. Dites-moi, est-ce pour mon impertinence que vousm’admiriez?

—Votrevivacitéd’esprit,ouicertes.

—Appelez-latoutdesuitedel’impertinence,carcen’étaitguèreautrechose.Lavérité,c’estquevousétiezdégoûtédecetteamabilité,decettedéférence,decessoinsempressésdontvousétiez l’objet.Vousétiez fatiguédeces femmesquine faisaientrienquepourobtenirvotre approbation.C’est parceque je leur ressemblais si peuque j’ai éveillé votre intérêt.Voilà;jevousaiépargnélapeinedemeledire.Certainement,vousnevoyezrienàlouerenmoi,maispense-t-onàcela,lorsqu’ontombeamoureux?

— N’y avait-il rien à louer dans le dévouement affectueux que vous avez eu pour Janelorsqu’elleétaitmaladeàNetherfield?

—CettechèreJane!Quidoncn’enauraitfaitautantpourelle?Vousvoulezdecelamefaireunmériteàtoutprix ;soit.Mesbonnesqualitéssontsousvotreprotection ; grossissez-lesautantquevousvoudrez.Enretour,ilm’appartiendradevoustaquineretdevousquerellerleplussouventpossible.Jevaiscommencertoutdesuiteenvousdemandantpourquoivousétiez si peu disposé en dernier lieu à aborder la question ? Qu’est-ce qui vous rendait siréservéquandvousêtesvenunousfairevisiteet lesoiroùvousavezdînéàLongbourn ?Vousaviezl’airdenepasfaireattentionàmoi.

—Vousétiezgraveetsilencieuse,etnemedonniezaucunencouragement.

—C’estquej’étaisembarrassée.

—Etmoidemême.

—Vousauriezpucauserunpeuplusquandvousêtesvenudîner.

—Unhommemoinsépriseneûtétécapablesansdoute.

—Quelmalheurquevousayeztoujoursuneréponseraisonnableàfaire,etquejesoismoi-mêmeassezraisonnablepourl’accepter!Maisjemedemandecombiendetempsvousauriezcontinuéainsi,etquandvousvousseriezdécidéàparler,si jenevousyavaisprovoqué ?Mon désir de vous remercier de tout ce que vous avez fait pour Lydia y a certainementbeaucoup contribué, trop peut-être : que devient la morale si notre bonheur naît d’unepromesseviolée?Enconscience,jen’auraisjamaisdûabordercesujet.

—Nevoustourmentezpas:lamoralen’estpascompromise.LestentativesinjustifiablesdeladyCatherinepournoussépareronteupoureffetdedissipertousmesdoutes.Jenedoispointmonbonheuractuelaudésirquevousavezeudem’exprimervotregratitude,car lerapportfaitparmatantem’avaitdonnédel’espoir,etj’étaisdécidéàtoutéclaircirsansplustarder.

—LadyCatherinenousaétéinfinimentutile,etc’estdequoielledevraitêtreheureuse,ellequiaimetantàrendreservice.Aurez-vousjamaislecouragedeluiannoncercequil’attend?

—C’estletempsquimemanqueraitplutôtquelecourage,Elizabeth ;cependant,c’estunechosequ’ilfautfaire,etsivousvoulezbienmedonnerunefeuilledepapier,jevaisécrireimmédiatement.

—Sijen’avaismoi-mêmeunelettreàécrire,jepourraism’asseoirprèsdevous,etadmirerlarégularitédevotreécriture,commeuneautrejeunedemoisellelefitunsoir.Mais,moiaussi,j’aiunetantequejenedoispasnégligerpluslongtemps.

LalonguelettredeMrs.Gardinern’avaitpasencore

reçuderéponse,ElizabethsesentantpeudisposéeàrectifierlesexagérationsdesatantesursonintimitéavecDarcy.Maisàprésentqu’elleavaitàfairepartd’unenouvellequ’ellesavaitdevoirêtreaccueillieavecsatisfaction,elleavaithonted’avoirdéjàretardédetroisjourslajoiedesononcleetdesatante,etelleécrivitsur-le-champ:

«J’auraisdéjàdûvousremercier,machèretante,devotrebonne lettre,pleinede longsetsatisfaisantsdétails.Àvousparlerfranchement,j’étaisdetropméchantehumeurpourécrire.Vossuppositions,alors,dépassaientlaréalité.Maismaintenant,supposeztoutcequevousvoudrez, lâchez la bride à votre imagination, et, àmoins de vous figurer que je suis déjàmariée,vousnepouvezvoustromperdebeaucoup.Vite,écrivez-moi,etditesdeluibeaucoupplusdebienquevousn’avezfaitdansvotredernièrelettre.Jevousremerciemilleetmillefois de ne pas m’avoir emmenée visiter la région des Lacs. Que j’étais donc sotte de lesouhaiter!Votreidéedeponeysestcharmante;touslesjoursnousferonsletourduparc.Jesuis la créature laplusheureusedumonde.Beaucoup, sansdoute,ontdit lamêmechoseavantmoi,maisjamaisaussijustement.JesuisplusheureusequeJaneelle-même,carellesourit,etmoijeris!Mr.Darcyvousenvoietoutel’affectionqu’ilpeutdistrairedelapartquimerevient.IlfautquevousvenieztouspasserNoëlàPemberley.

«Affectueusement...»

LalettredeMr.DarcyàladyCatherineétaitd’unautrestyle,etbiendifférentedel’uneetdel’autrefutcellequeMr.BennetadressaàMr.Collinsenréponseàsadernièreépître.

«Chermonsieur,

«Jevaisvousobligerencoreunefoisàm’envoyerdesfélicitations.Elizabethserabientôtlafemmede

Mr.Darcy.ConsolezdevotremieuxladyCatherine;mais,àvotreplace,jeprendraislepartiduneveu:desdeux,c’estleplusriche.

«Toutàvous.

«Bennet.»

Les félicitationsadresséesparmissBingleyà son frère furentaussi chaleureusesquepeusincères.ElleécrivitmêmeàJanepourluiexprimersajoieetluirenouvelerl’assurancedesatrèsviveaffection.Janenes’ylaissapastromper,maiscependantelleneputs’empêcherderépondreàmissBingleybeaucoupplusamicalementquecelle-cineleméritait.

MissDarcyeutautantdeplaisirà répondreàsonfrèrequ’ilenavaiteuà luiannoncer lagrandenouvelle,etc’estàpeinesiquatrepagessuffirentàexprimersonravissementettoutledésirqu’elleavaitdeplaireàsafuturebelle-sœur.

Avantqu’onn’eûtrienpurecevoirdesCollins,leshabitantsdeLongbournapprirentl’arrivéedeceux-cichezlesLucas.Laraisondecedéplacementfutbientôtconnue :ladyCatherineétait entrée dans une telle colère au reçu de la lettre de son neveu queCharlotte, qui seréjouissait sincèrement du mariage d’Elizabeth, avait préféré s’éloigner et donner à latempête le tempsdesecalmer.Laprésencedesonamie futunevraie joiepourElizabeth,maiselletrouvaitparfoiscettejoiechèrementachetéelorsqu’ellevoyaitMr.Darcyvictimedel’empressement obséquieux de Mr. Collins. Darcy supporta cette épreuve avec un calmeadmirable : ilputmêmeécouteraveclaplusparfaitesérénitésirWilliamLucasleféliciter« d’avoir conquis le plus beau joyau de la contrée », et lui exprimer l’espoir « qu’ils seretrouveraienttousfréquemmentàlacour».S’illuiarrivadehausserlesépaules,cenefutqu’aprèsledépartdesirWilliam.

LavulgaritédeMrs.Philipsmitsansdoutesa

patienceàplusrudeépreuve;etquoiqueMrs.PhilipssesentîtensaprésencetropintimidéepourparleraveclafamiliaritéquelabonhomiedeBingleyencourageait,ellenepouvaitpasouvrir la bouche sans être commune, et tout le respect qu’elle éprouvait pour Darcy neparvenaitpasàluidonnermêmeunsemblantdedistinction.Elizabethfitcequ’elleputpourépargneràsonfiancédetropfréquentesrencontresaveclesunsetlesautres;etsitoutceladiminuaitparfoisunpeulajoiedecettepériodedesfiançailles,ellen’enavaitqueplusdebonheuràpenserau tempsoù ilsquitteraientenfincette sociétésipeude leurgoûtpourallerjouirduconfortetdel’élégancedePemberleydansl’intimitédeleurviefamiliale.

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Chapitre 61

EUREUXENTRETOUS,POURlessentimentsmaternelsdeMrs.Bennet,futlejouroùelle se sépara de ses deux plus charmantes filles. Avec quelle satisfactionorgueilleuseelleputdans lasuitevisiterMrs.BingleyetparlerdeMrs.Darcys’imagineaisément.Jevoudraispouvoiraffirmerpourlebonheurdessiensquecette réalisation inespérée de ses vœux les plus chers la transforma en unefemme aimable, discrète et judicieuse pour le reste de son existence ;mais il

n’est pas sûr que son mari aurait apprécié cette forme si nouvelle pour lui du bonheurconjugal,etpeut-êtrevalait-ilmieuxqu’ellegardâtsasottiseetsestroublesnerveux.

Mr.Benneteutbeaucoupdepeineàs’accoutumeraudépartdesasecondefilleet l’ardentdésirqu’ilavaitdelarevoirparvintàl’arracherfréquemmentàseshabitudes.IlprenaitgrandplaisiràalleràPemberley,spécialementlorsqu’onnel’yattendaitpas.

Janeetsonmarinerestèrentqu’unanàNetherfield.LevoisinagetropprochedeMrs.BennetetdescomméragesdeMerytonvinrentàboutmêmeducaractèreconciliantdeBingleyetducœur affectueux de la jeune femme. Le vœu de miss Bingley et de Mrs. Hurst fut alorsaccompli:leurfrèreachetaunepropriététouteprocheduDerbyshire,etJaneetElizabeth,outretantd’autressatisfactions,eurentcelledesetrouverseulementàtrentemillesl’unedel’autre.

Kitty,poursonplusgrandavantage,passadésormaislamajeurepartiedesontempsauprèsdesessœursaînées.Ensibonnesociété,ellefitderapidesprogrès,et,soustraiteàl’influencedeLydia,devintmoinsombrageuse,moinsfrivoleetpluscultivée.Sessœursveillèrentàcequ’ellefréquentâtMrs.Wickhamlemoinspossible;etbienquecelle-cil’engageasouventàvenirlavoirenluipromettantforcebalsetprétendants,Mr.BennetnepermitjamaisàKittydeserendreàsesinvitations.

Mary fut donc la seule des cinq demoiselles Bennet qui demeura au foyer, mais elle dutnégligerseschèresétudesàcausedel’impossibilitéoùétaitsamèrederesterentête-en-têteavecelle-même.Marysetrouvadoncforcéedesemêlerunpeuplusaumonde;commecelanel’empêchaitpasdephilosopheràtortetàtravers,etquelevoisinagedesesjoliessœursnel’obligeait plus à des comparaisons mortifiantes pour elle-même, son père la soupçonnad’acceptersansregretcettenouvelleexistence.

LemariagedeJaneetd’Elizabethn’amenaaucunchangementchezlesWickham.LemarideLydia supporta avecphilosophie la penséequ’Elizabethdevaitmaintenant connaître toute

l’ingratitudedesaconduiteet lafaussetédesoncaractèrequ’elleavait ignorées jusque-là,mais il gardamalgré tout le secret espoirqueDarcypourrait être amenéà l’aiderdans sacarrière.C’étaittoutaumoinscequelaissait

entendrelalettrequeLydiaenvoyaàsasœuràl’occasiondesesfiançailles:

«MachèreLizzy,

«Jevoussouhaitebeaucoupdebonheur.SivousaimezMr.Darcymoitiéautantquej’aimemoncherWickham,voussereztrèsheureuse.C’estunegrandesatisfactionquedevousvoirdevenirsiriche!Etquandvousn’aurezriendemieuxàfaire,j’espèrequevouspenserezànous.Jesuissûrequemonmariapprécieraitbeaucoupunechargeàlacour;etvoussavezquenosmoyensnenouspermettentguèredevivresansunpetitappoint.N’importequellesituationdetroisouquatrecents livresserait labienvenue.Mais, jevousenprie,nevouscroyezpasobligéed’enparleràMr.Darcysicelavousennuie.

«Àvousbienaffectueusement...»

Comme il se trouvait justement que cela ennuyait beaucoup Elizabeth, elle s’efforça enrépondantàLydiademettreuntermedéfinitifàtoutesollicitationdecegenre.Maisparlasuiteellenelaissapasd’envoyeràsajeunesœurlespetitessommesqu’ellepouvaitpréleversursesdépensespersonnelles.ElleavaittoujoursétépersuadéequelesmodestesressourcesduménageWickhamseraientinsuffisantesentrelesmainsdedeuxêtresaussiprodiguesetaussi insouciantsde l’avenir.Àchacunde leurschangementsdegarnison, elleouJanesevoyait mise à contribution pour payer leurs créanciers. Même lorsque, la paix ayant étéconclue,ilspurentavoirunerésidencefixe,ilscontinuèrentleurviedésordonnée,toujoursàla recherche d’une situation, et toujours dépensant plus que leur revenu. L’affection deWickhampoursafemmesemuabientôtenindifférence.Lydia,elle,luidemeuraattachéeunpeupluslongtemps,et,endépitdesajeunesseetdelalibertédesesmanières,saréputationnedonnaplussujetàlacritique.

Quoique Darcy ne pût consentir à recevoirWickham à Pemberley, à cause d’Elisabeth, ils’occupadesonavancement.Lydiavenaitparfoislesvoir,lorsquesonmariallaitsedistraireà Londres ou à Bath. Mais, chez les Bingley, tous deux firent de si fréquents et si longsséjoursqueBingleyfinitparse lasseretallamêmejusqu’àenvisager lapossibilitéde leursuggérerqu’ilsferaientbiendes’enaller.

MissBingleyfuttrèsmortifiéeparlemariagedeDarcy;maispournepassefermerlaportede Pemberley, elle dissimula sa déception, se montra plus affectueuse que jamais pourGeorgiana,presqueaussiempresséeprèsdeDarcy,etliquidatoutsonarriérédepolitessevis-à-visd’Elizabeth.

GeorgianavécutdèslorsàPemberley,etsonintimitéavecElizabethfutaussicomplètequeDarcyl’avaitrêvée.Georgianaavaitlaplusgrandeadmirationpoursabelle-sœur,quoiqueaudébutellefûtpresquechoquéedelamanièreenjouéeetfamilièredontcelle-ciparlaitàsonmari. Ce frère aîné qui lui avait toujours inspiré un respect touchant à la crainte, elle levoyaitmaintenant taquiné sans façon ! Elle comprit peu à peu qu’une jeune femme peutprendreavecsonmarideslibertésqu’unfrèrenepermettraitpastoujoursàunesœurdedixansplusjeunequelui.

LadyCatherinefut indignéedumariagedesonneveu ; commeelledonna librecoursàsafranchisedanssaréponseàlalettrequileluiannonçait,elles’exprimaentermessiblessants,spécialement à l’égardd’Elizabeth, que tout rapport cessapourun temps entreRosings etPemberley. Mais à la longue, sous l’influence d’Elizabeth, Darcy consentit à oublier sondéplaisir et à chercher un rapprochement ; après quelque résistance de la part de ladyCatherine, le ressentiment de celle-ci finit par céder, et, que ce fût par affectionpour sonneveuouparcuriositédevoircommentsafemmesecomportait,ellecondescenditàveniràPemberley,bienqueceslieuxeussentété

profanés,nonseulementparlaprésenced’unetellechâtelaine,maisencoreparlesvisitesdesesoncleettantedelacité.

Les habitants de Pemberley restèrent avec les Gardiner dans les termes les plus intimes.Darcy, aussi bien que sa femme, éprouvait pour eux une affection réelle ; et tous deuxconservèrenttoujourslaplusvivereconnaissancepourceuxqui,enamenantElizabethenDerbyshire,avaientjouéentreeuxlerôleprovidentieldetraitd’union.

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