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277 Origine et distribution de la productivité globale De Gabrielle Antille et Emilio Foritela, Université de Genève Introduction L'amélioration de la productivité est un facteur déterminant de la croissance, car elle permet d'obtenir plus de produit avec une même quantité de facteurs de production et donc de générer un surplus qui peut être distribué aux différents agents participant à la production. Or la mesure de l'évolution de la productivité tant au niveau macro qu'au niveau micro économique s'est concentrée initialement sur la productivité du travail uniquement et sur des comparaisons de son évolution avec celle du salaire réel. Ce sont les développements de la théorie économique de la production et des comptes de comptabilité sociale à prix constants qui ont favorisé l'apparition de la notion de productivité globale qui compare le volume de la production au volume de tous les inputs utilisés et non seulement au volume du travail. Le but de cette communication est de présenter le cadre conceptuel d'une méthode de mesure de la génération et de la diffusion de la productivité globale mise au point dans sa version actuelle par le Centre d'Etude des Revenus et des Coûts (CERC) à Paris, la Méthode d'Analyse des Performances et d'en discuter la première application que nous avons réalisée pour une entreprise suisse, la Migros. Cette présentation est précédée d'un rappel du développement de la recherche dans le domaine de la productivité globale. 1. Tendances de la recherche dans le domaine de la productivité globale La notion de productivité globale a été introduite presque simultanément par Solow et Kendrick aux environs des années 1960. Solow (1957) aborda le problème dans le cadre d'une fonction de production de type Cobb Douglas à rendements d'échelle constants et définit le taux de croissance de la productivité globale des facteurs ^ comme la différence entre le taux de croissance de l'output ^ et la moyenne pondérée des taux de croissance du travail ^ et du capital ^ : Cette différence traduit un déplacement de la fonction de production; elle rend compte des améliorations de la production résultant de facteurs moins tangibles que le volume du travail et du capital, tels que les innovations dans les procédés Schweiz. Zeitschrift für Volkswirtschaft und Statistik, Heft 3/1988

Origine et distribution de la productivité globale

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277

Origine et distribution de la productivité globale

De Gabrielle Antille et Emilio Foritela, Université de Genève

Introduction

L'amélioration de la productivité est un facteur déterminant de la croissance, car elle permet d'obtenir plus de produit avec une même quantité de facteurs de production et donc de générer un surplus qui peut être distribué aux différents agents participant à la production. Or la mesure de l'évolution de la productivité tant au niveau macro qu'au niveau micro économique s'est concentrée initialement sur la productivité du travail uniquement et sur des comparaisons de son évolution avec celle du salaire réel. Ce sont les développements de la théorie économique de la production et des comptes de comptabilité sociale à prix constants qui ont favorisé l'apparition de la notion de productivité globale qui compare le volume de la production au volume de tous les inputs utilisés et non seulement au volume du travail.

Le but de cette communication est de présenter le cadre conceptuel d'une méthode de mesure de la génération et de la diffusion de la productivité globale mise au point dans sa version actuelle par le Centre d'Etude des Revenus et des Coûts (CERC) à Paris, la Méthode d'Analyse des Performances et d'en discuter la première application que nous avons réalisée pour une entreprise suisse, la Migros. Cette présentation est précédée d'un rappel du développement de la recherche dans le domaine de la productivité globale.

1. Tendances de la recherche dans le domaine de la productivité globale

La notion de productivité globale a été introduite presque simultanément par Solow et Kendrick aux environs des années 1960.

Solow (1957) aborda le problème dans le cadre d'une fonction de production de type Cobb Douglas à rendements d'échelle constants et définit le taux de croissance de la productivité globale des facteurs ^ comme la différence entre le taux de croissance de l'output ^ et la moyenne pondérée des taux de croissance du travail ^ et du capital ^ :

Cette différence traduit un déplacement de la fonction de production; elle rend compte des améliorations de la production résultant de facteurs moins tangibles que le volume du travail et du capital, tels que les innovations dans les procédés

Schweiz. Zeitschrift für Volkswirtschaft und Statistik, Heft 3/1988

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de fabrication, l'augmentation du niveau de formation de la main-d'œuvre, les progrès de l'organisation administrative etc. ...

La mesure proposée par Kendrick (1961) repose également sur une fonction de production à rendements d'échelle constants, mais à facteurs de production complémentaires. L'indice de la productivité d'une année t par rapport à une année o, Iïp est donné par le rapport de l'indice du volume de l'output Q, à l'indice de volume moyen des inputs travail L et capital K :

n = Qt/o/Qo (2) ' Ltfo + Kt/o/L0 + K0

U

où Qt/o, Ltjo, Kt/o sont des grandeurs évaluées à l'année t aux prix de l'époque o.

En comparaison avec Solow, le taux de croissance de la productivité chez Kendrick est égal à (FI, — 1).

Les auteurs Kleiman, Halevi et Levhari ont montré dans une note en 1966, sous quelles conditions les mesures proposées par Solow et Kendrick étaient identiques.

Ces approches ont donné lieu depuis leur origine à de nombreux développe­ments théoriques et empiriques, (on consultera notamment les numéros spéciaux de la Review of Income and Wealth de 1972). Les études les plus récentes vont dans deux directions:

- d'une part la mesure elle-même de la productivité globale des facteurs et de son évolution dans le temps et dans l'espace; le travail le plus complet dans ce domaine a été effectué par l'OCDE (1987) qui présente pour tous les pays membres des données sur le développement, depuis 1960, de la productivité globale tant au niveau agrégé qu'au niveau des branches d'activité;

- d'autre part l'identification de processus explicatifs de la formation et de l'évolution de la productivité globale des facteurs : on signalera entre autres le programme de recherche du National Bureau of Economie Research (NBER) (cf. Griliches, 1986) et aussi le travail déjà cité de l'OCDE. Cette identification est très importante du fait de la demande d'explication et de solution du problème du ralentissement de la productivité dans les pays industrialisés.

En parallèle à ces développements, on a également assisté à une généralisation de la mesure de la productivité proposée par Kendrick, mesure qui ne prend en considération que deux facteurs, à l'ensemble des facteurs. Cet élargissement a été réalisé essentiellement en France par les travaux de Vincent (1968) et de Courbis et Temple (1975) qui abordèrent le problème à l'aide de méthodes de "comptabilité à prix constants", méthodes plus descriptives et qui se prêtent moins à l'étude des processus explicatifs du phénomène.

L'indice de productivité globale de Kendrick, généralisé, se définit alors comme suit:

| -r _ 2L,J PipQ.it /TV

A/J jo jt

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279

où pi0 et fjo sont les prix des biens i et des facteurs j à une année de base o et qit et xjt sont les quantités de biens i produits et de facteurs j utilisés pour ces productions à l'année t. Cet indicateur a une valeur unitaire à l'année de base, si la mesure du volume des facteurs est exhaustive et augmente si la production à prix constants croît plus vite que le volume total des facteurs utilisés; dans ce cas il y a progression de la productivité globale.

2. Concepts et mesure de la génération et de la diffusion de la productivité globale dans l'optique de la méthode

d'analyse des performances

La méthode d'analyse des performances (anciennement méthode des surplus) qui est utilisée dans cette communication pour appréhender l'origine et la distribution de la productivité globale au sein d'une entreprise entre l'année t et l'année o appartient aux méthodes de comptabilité à prix constants d'analyse de la productivité. Cette méthode a été développée dans les travaux poursuivis avec intensité en France, surtout dans le cadre du Centre d'Etude des Revenus et des Coûts (cf. CERC, 1969, 1973, 1980 notamment) qui ont introduit le concept de "surplus" ou de gain de productivité, qui se définit comme suit:

St^^PioVlt-^fjoXjt' (4) i j

Ce surplus est égal à l'accroissement de l'indice généralisé de Kendrick, exprimé en termes de facteurs de production:

s<=(Z^^) (n '_1) ' (5)

j

La méthode d'analyse des performances permet non seulement de mettre en évidence l'origine du surplus mais également d'approfondir certains phénomènes de diffusion des gains de productivité globale par les modifications de prix, phénomènes qui échappent partiellement à l'analyse de la productivité par les fonctions de production.

Dans l'optique de la comptabilité à prix constants, en tenant compte du fait que, en valeurs courantes, la production est toujours égale à la rémunération des facteurs utilisés, c'est-à-dire:

YupitQit = Yjhtxjt (6) * J

on peut aisément déduire une expression du "surplus"en termes de variation de prix:

Si = -%9u(Pu-Pj + 'Zxjt(fjt-fjo). (7) ' j

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280

Si les prix des biens produits ne changent pas (pit = pi0), alors la totalité du surplus de productivité est diffusée vers les fournisseurs de facteurs de production par le moyen de la variation de leurs prix fj : une augmentation de productivité globale permet, par exemple, d'augmenter le salaire des travailleurs ou de payer plus les fournisseurs de matières premières. Si les prix des biens produits diminuent (Pa < Pio)'» c e s o n t les consommateurs qui bénéficient d'une partie du gain de productivité, alors que, au contraire, si les prix augmentent (pit > pio), les agents participant à la production peuvent profiter d'une augmentation de leur revenu supérieure à celle qu'aurait permis le simple "surplus" du système productif. Ce deuxième cas explique clairement les processus inflationnistes par la voie des coûts.

Appliquée au niveau macro économique cette approche de "comptabilité à prix constants" permet d'éclairer les mouvements de prix relatifs des produits et des facteurs qui fournissent une partie de l'explication des phénomènes de croissance. A un niveau sectoriel, en particulier dans le cadre de l'analyse entrées-sorties, la méthode précise le processus de transfert des gains de productivité globale, en termes d'une matrice de flux de "surplus" de productivité, matrice qui explicite les transferts entre secteurs induits par l'évolution de leurs prix relatifs. C'est probablement dans ce type d'analyse de la diffusion des gains de productivité dans une économie que l'on pourra trouver des éléments empiriques pour la recherche d'un modèle de croissance, avec changements de structure, compatible avec l'évolution récente des innovations technologiques.

Au niveau d'une entreprise individuelle, le calcul du gain de productivité globale par la méthode d'analyse des performances revêt un très grand intérêt. En effet, ce calcul du surplus et de sa répartition permet à l'entreprise d'identifier clairement, à posteriori, le fonctionnement "réel" de son système productif.

La méthode consiste à établir un compte d'exploitation pour une année t, dont les éléments sont évalués aux prix d'une année de base, et à comparer le volume de la production au volume des facteurs de production pour faire apparaître le gain de productivité globale. Ces volumes, tant de la production que des facteurs, sont obtenus soit par déflation des résultats du compte d'exploitation de l'année t à prix courants, soit par extrapolation des résultats de l'année de base à l'aide d'indices de volume. Rappelons que théoriquement, lorsqu'il s'agit d'agrégats, un indice de volume de Laspeyres qui conduit à des grandeurs à prix constants doit être couplé avec un indice de prix de Paasche et que réciproquement un indice de prix de Laspeyres qui conduit à des grandeurs déflatées doit être couplé avec un indice de volume de Paasche. C'est la comparaison des positions du compte d'exploitation à prix constants aux mêmes positions dans le compte de l'année de base qui permet d'évaluer la contribution de chaque facteur de production au gain de productivité globale et d'étudier donc l'origine de ce gain.

En ce qui concerne la répartition de ce surplus, la méthode repose sur l'évolution différentielle des prix des biens produits, des salaires nominaux, des taux d'intérêt, des charges fiscales, des prix de l'énergie, des matières premières et

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281

Production

Charges

Production

Charges

Compte Indices d'exploitation de de l'année o quantité

ZfJWfo _ 2-y fjo XjO

0

Compte d'exploitation de l'année t aux prix de

l'année o

1

ZfJWfc

Z^j fjo xjt

qiWo)

Xj(t/0)

Gain de productivité globale + Apports reçus =

Compte d'exploitation de l'année t aux prix de

l'année o

Z i ^ i o ^

-TijfjoXjt

gain de productivité

globale

Compte d'exploitation de l'année t

2

YjiPitQit

I,jfjtxjt

= Avantages distribués

Indices de.

prix

Pi Wo)

fj (i/o)

} }

Compte d'exploitation de l'année t

Z,P«A

-ZjfjiXj*

0

Apports ou

avantages

( 2 - 1 )

> 0 apport < 0 avantage

> 0 avantage < 0 apport

d'autres inputs intermédiaires de production. Ces évolutions de prix appliquées aux résultats du compte d'exploitation à prix constants permettent de voir quels sont les bénéficiaires de la répartition du gain de productivité. L'originalité de la méthode tient également au fait que, si les avantages distribués par des hausses de rénumérations de facteurs ou par des baisses de prix de produits sont supérieures au gain de productivité globale, elle permet d'identifier les partenaires de l'entreprise qui contribuent par leurs apports à cette distribution excédentaire.

Le tableau ci-dessus résume les éléments intervenant dans le calcul du gain de productivité globale et dans sa répartition, il met également en évidence les apports à l'entreprise permettant une distribution d'avantages supérieurs au gain de productivité globale.

Si l'on considère l'entreprise comme un système ouvert en relation perma­nente avec d'autres agents économiques (actionnaires, syndicats, administration publique, fournisseurs, clients), la méthode d'analyse des performances devient un véritable outil de gestion, assimilable par de nombreux aspects au concept de Bilan Social. Alors que le Bilan Social (cf. Migros, 1986 b) cherche à défi­nir la contribution de l'entreprise aux agents qui l'entourent principalement par des moyens de mesure indirects (indicateurs sociaux), le calcul de la réparti-

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tion du surplus de productivité globale offre un moyen de mesure direct de ces contributions, sur des bases monétaires comparables.

Les travaux les plus récents du CERC (1987) en matière d'application aux entreprises de la méthode d'analyse des performances ont permis de mettre au point une méthodologie opérationnelle d'application qui a été expérimentée et est désormais prête à devenir un outil d'analyse et de gestion intégré dans une conception élargie du Bilan Social. Nous n'entrerons pas ici dans une présentation détaillée de cette méthodologie puisqu'elle fait l'objet de la publication du CERC de 1987. Quelques points seront toutefois soulevés lors de l'application de la méthode présentée au point 3.

3. Essai d'application à une entreprise suisse

La MAP (Méthode d'Analyse de Performances), avec le calcul de l'origine et de la répartition du surplus, a été appliquée pour l'année 1986 à la Communauté Migros, ensemble regroupant des sociétés coopératives de distribution, des entreprises de production et d'autres entreprises de services. L'information de base utilisée est fournie par les Rapports annuels de la Fédération des Coopératives Migros des années 1985 et 1986. Ces rapports présentent les résultats financiers, les bilans et une comptabilité de la valeur ajoutée, à prix courants; ils fournissent aussi des indices de prix calculés par Migros pour certaines catégories de ses ventes et des indicateurs de volume pour des achats de matières premières et biens intermédiaires et pour plusieurs éléments de la valeur ajoutée. L'existence de ces données publiées rend particulièrement aisée l'application de la MAP, mais il est évident que dans le cas d'une utilisation interne de la méthode, l'entreprise pourrait développer d'autres indices de prix et de volume qui permettraient une approche plus précise de la mesure du surplus. Nous avons été obligés dans certains cas d'estimer les indices à partir de données suisses, extérieures à l'entreprise Migros, qui forcément constituent des approximations des phénomènes réels et limitent la valeur des conclusions de l'analyse.

Le tableau 1, MAP de la Communauté Migros, reproduit dans ses deux premières colonnes un compte de résultat (produits et charges) agrégé, établi avec les données en valeurs courantes des Rapports Annuels. La troisième colonne contient un indice de prix 1986, base 1985, pour chaque rubrique et la quatrième colonne un indice de croissance du volume en 1986. La dernière colonne reproduit la valeur de chaque poste du compte de résultats de 1986 aux prix de l'année 1985. En ce qui concerne les indices de prix des produits, pour les chiffres d'affaires des coopératives Migros nous avons utilisé l'indice de l'assortiment Migros (qui a diminué de 0,2 % pour les produits alimentaires et augmenté de 0,7 % pour les autres produits en 1986). Pour les chiffres d'affaires des "autres entreprises", nous avons appliqué les indices suisses des prix à la consommation des catégories correspondantes (indice de prix de l'essence pour Migrol, des vacances pour Hotelplan, des livres, radio et TV pour Exlibris, etc.).

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283

En ce qui concerne les charges, pour les achats à l'agriculture suisse, les données en tonnes publiées par Migros ont été utilisées pour calculer l'indice de volume.

Tableau 1

MAP de la Communauté Migros (en millions de francs) Valeurs à prix

courants

1985

Produits

Chiffre d'affaires des Coopératives Migros 9046

Chiffre d'affaires réalisé par les autres entreprises avec des tiers et autres 1 588

Chiffre d'affaires total 10634

1986

9403

1521

10924

Indices de prix

p(86/85)

1.000

0.926

0.989

Indices 1

de volume

q(86/85)

1.039

1.035

1.038

Valeurs à prix constants

1986/85

9401

1643

11044

Charges

Achats à l'agri­culture suisse

Autres charges de matières premières et marchandises

Autres consommations intermédiaires

Charges salariales

Impôts indirects

Intérêts et résultat brut d'exploitation

Total des charges

2031

4668

794

1942

457

742

10634

2095

4661

849

2050

475

794

10924

1.032

0.961

1.034

1.015

1.000

1.031

0.996

1.000

1.038

1.034

1.040

1.039

1.038

1.031

Gain de productivité globale

(en % de la valeur de la production de 1985: 0.75)

2030

4848

821

2020

475

770

10964

80

Pour les autres achats de matières premières et marchandises, l'indice de prix utilisé a été élaboré à partir des données suisses de l'indice des prix de gros, en incorporant uniquement les éléments représentatifs de l'activité de Migros (matières premières et produits semi-fabriques pour l'industrie alimentaire, biens

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284

de consommation tels que produits alimentaires transformés, textiles, meubles, papiers, articles en cuir et produits énergétiques). L'absence d'informations directes sur la composition des achats de Migros réduit sensiblement la fiabilité de l'estimation de cet indice et de la valeur à prix constants correspondante. Remarquons que le chiffre d'affaires n'est pas équivalent à la production, en raison des variations de stocks. Les stocks de marchandises figurant aux bilans de 1985 et 1986 étant quasiment identiques, nous avons considéré ces variations comme nulles pour notre exercice.

Les autres consommations intermédiaires incluent les loyers, l'énergie, l'entre­tien des immobilisations, les frais d'administration et d'autres charges. Un indicateur de volume était disponible pour les loyers dans le rapport annuel 1986, alors que les frais d'administration et autres charges ont été défiâtes à l'aide d'un indice suisse des prix des services. L'indice de volume calculé pour les amortissements a été utilisé pour l'entretien des immobilisations tandis que nous avons été contraints de laisser inchangées les données relatives à l'énergie et au matériel de consommation en raison de l'absence d'informations. En ce qui concerne les charges salariales, nous avons adopté comme indice de volume l'augmentation de l'effectif du personnel à plein temps de Migros (+3,98 % en 1986); cet indice de volume a été utilisé pour calculer les salaires et traitements réels, ainsi que pour évaluer les autres éléments des charges salariales (prestations sociales en particulier). Les impôts indirects (sur la consommation intermédiaire et sur le chiffre d'affaires) ont été calculés en termes réels sous l'hypothèse de constance des taux d'imposition. Les intérêts débiteurs ont été estimés en appliquant aux montants de 1985 un indice du volume des emprunts à court et long terme établi sur la base des en-cours moyens pour les années 1985 et 1986 alors que pour les intérêts créanciers l'indice du volume a été déterminé en faisant le rapport des en-cours moyens en monnaie constante pour 1985 et 1986 des titres et des prêts à long terme.

Pour calculer l'amortissement en termes réels, il serait nécessaire d'établir la variation de la valeur réelle du capital productif, en procédant au préalable à une réévaluation des immobilisations passées brutes en fonction de leur date d'achat et de leur prix; dans l'impossibilité d'effectuer ce calcul, nous avons déterminé un indice de volume à partir des données du Bilan relatives aux machines, mobilier, véhicules, bâtiments et terrains. De la même manière un indice de volume a été calculé pour le résultat d'exploitation à l'aide des données relatives aux fonds propres.

Ainsi donc, des deux procédures disponibles pour calculer les valeurs de 1986 aux prix de 1985, celle consistant à déflater la valeur courante de 1986 par un indice de prix 1986/1985 et celle consistant à faire varier la valeur de base de 1985 à l'aide d'un indice de volume 1986/1985, la première a été utilisée pour tous les Produits, pour les achats de matières premières et marchandises et pour certains frais administratifs, alors que la seconde a été utilisée pour tous les éléments de la valeur ajoutée à l'exception des impôts, ainsi que pour les achats

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à l'agriculture suisse et pour d'autres consommations intermédiaires importantes (loyers, entretien). La décision relative au choix entre ces deux méthodes a été faite essentiellement en fonction de la qualité des données disponibles. Avec les réserves évidentes, dues à l'insuffisance de données internes, il est tout de même possible d'illustrer les résultats de la Méthode d'Analyse de Performances à l'aide des calculs résumés dans le Tableau 1.

Le gain de productivité globale est la différence entre les Produits et les Charges aux prix de l'année de base 1985; l'exercice 1986 montre donc un résultat positif sur ce plan de 80 millions de francs, soit 0,75 % de la valeur de la production de 1985. En termes réels la production de l'entreprise a progressé de 3,85 % si on la mesure en termes de Produits et de 3,1 % si on la mesure en termes de Charges. La progression en valeur du chiffre d'affaires que montrent les comptes financiers était plus faible: 2.7 %. Ceci est dû au fait que les prix ont baissé aussi bien pour les ventes de Migros (—1,1%) que pour les facteurs utilisés par Migros (—0,4%). Il est important de remarquer par contre que pendant l'année 1986 l'indice suisse des prix à la consommation a augmenté de 0,8 %, ce qui confirme bien que le calcul par la MAP n'est pas assimilable à une comptabilité à prix constants avec simple correction de l'inflation générale.

La MAP montre que l'entreprise a engendré en cours d'année un excédent de productivité du au fait que la progression des facteurs qu'elle a utilisés a été plus lente que la progression des biens et services qu'elle a produits. Cette différence ou surplus de productivité globale est expliquée par les améliorations technologiques appliquées au processus productif (nouveaux équipements, amélioration de l'organisation, de la gestion du personnel, etc.).

En ce qui concerne la répartition du surplus entre les différents agents, le Tableau 2 précise que le surplus de productivité de l'entreprise est dans le cas de Migros augmenté d'apports complémentaires faits par les fournisseurs de matières premières et biens intermédiaires dont les prix ont sensiblement baissé pendant l'exercice (c'est essentiellement dû à la diminution du prix du pétrole et des prix des produits importés suite à la baisse du dollar). Cet apport externe ou héritage est en tous points assimilable à l'excédent interne de productivité globale, lorsque l'on se place du point de vue de la répartition de ce dernier.

Si l'on suppose que la totalité de cet apport externe devrait en principe être transféré directement aux consommateurs, après déduction de la partie absorbée par la hausse de prix d'autres fournisseurs (agriculture suisse en particulier), on arrive à la répartition suivante du surplus:

• aux consommateurs 26 millions • aux salariés 30 millions • aux détenteurs du capital 24 millions

80 millions

Cette répartition reflète sans doute les caractéristiques spécifiques du mouve­ment coopératif de Migros.

Page 10: Origine et distribution de la productivité globale

286

Tableau 2

Répartition du "surplus" de la Communauté Migros (en millions de francs)

Origine:

• Surplus de productivité 80 • Héritages dus à la baisse du prix des matières premières 187

267

Répartition: • Aux consommateurs (11044 - 10 924) 120 • A l'agriculture et autres fournisseurs (2 944 — 2 851) 93 • Aux salariés (2 050 - 2 020) 30 • Aux administrations (475 — 475) • Aux détenteurs de capital (794 - 770 ) 24

267

Conclusion

Cette application, malgré les réserves émises à l'égard de certaines données utilisées, permet d'établir clairement:

• l'importance pour toute entreprise de disposer d'une estimation de sa performance en termes de productivité de tous les facteurs; l'information acquise par l'application de la MAP met en lumière des phénomènes en termes réels que la comptabilité financière ne permet pas d'appréhender (par exemple dans le cas de Migros on a constaté que la croissance réelle de l'activité productive a été plus forte que ce que le simple examen du chiffre d'affaires pouvait indiquer) ;

• l'équivalence, du point de vue de la rémunération des facteurs primaires, des gains de productivité directement engendrés dans l'entreprise et de ceux provenant d'autres entreprises dont le prix des produits diminue (pour Migros, la baisse de prix de l'essence et la baisse du dollar ont eu pendant l'exercice considéré un effet similaire mais plus grand que celui de la productivité globale interne) ;

• la limite que la productivité globale introduit pour la rémunération des facteurs (ainsi une augmentation plus forte des salaires de Migros pendant l'exercice considéré aurait dû être compensée soit par une baisse de la rémunération réelle du capital, soit par une hausse des prix de vente qui aurait diminué la distribution du surplus aux consommateurs).

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Le calcul des excédents de productivité par la MAP s'avère donc être relative­ment aisé dans son application pratique et constitue bien un instrument moderne non seulement pour la compréhension des phénomènes macroéconomiques et structurels, mais aussi pour la plus grande transparence du fonctionnement des entreprises.

Références

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CERC y (1973), Les comptes de surplus des entreprises, méthodologie et modalités d'application, Documents du CERC, n° 18, 2e trimestre.

CERC, (1980), Productivité globale et comptes de surplus, Documents du CERC, n° 55/56, 3 e - 4 e

trimestre. CERC, (1987), La productivité globale dans l'entreprise, mesure et répartition, Ouvrage mis au point

par J. E. Chapron et Y Geffroy, Paris, Les Editions d'Organisation. Courbis, R. et Temple, P. (1975), La méthode des comptes de surplus et ses applications

macroéconomiques, Les collections de l'INSEE, série C, n° 35, Paris, INSEE. Griliches, Z. (1986), Productivity and Technical Change, Program Report, Cambridge, Mass., National

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Princeton. Kleiman, E., Halevi, N. et Levhari, D. (1966), The Relationship between two Measures of Total

Productivity, The Review of Economic and Statistics, 48, août, 345-347. Migros (1985), Rapport annuel de la Fédération des coopératives Migros, Zurich. Migros (1986 a), Rapport annuel de la Fédération des coopératives Migros, Zurich. Migros (1986 b), Bilan social 1986, Présentation des activités et des objectifs sociaux de la communauté

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and Statistics, XXXIX, 312-320. Vincent, A.L.A. (1968), La mesure de la productivité, Paris, Dunod.

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Résumé

Origine et distribution de la productivité globale

Le but de cette communication est de présenter une méthode de mesure de l'origine et de la distribution de la productivité globale, la Méthode d'Analyse des Performances, mise au point en France, et d'en discuter la première application que nous avons réalisée pour une entreprise suisse. Cette méthode se base sur la comparaison des comptes d'exploitation des entreprises en valeur et à prix constants. Elle permet à l'entreprise d'identifier clairement, a posteriori, le fonctionnement réel de son système productif et peut être considérée comme un outil d'analyse et de gestion qui s'intègre dans une conception élargie du Bilan social.

Zusammenfassung

Ursprung und Verteilung der Gesamtproduktiuität

Ziel dieses Beitrages ist es, eine Methode zur Messung des Ursprungs und der Verteilung der Gesamtproduktivität vorzustellen: die Méthode d'Analyse des Performances, die in Frankreich entwickelt wurde. Zudem wird die erste Anwendung, die wir bei einem Schweizer Betrieb vorgenommen haben, besprochen. Diese Methode beruht auf dem Vergleich der Betriebsrechnungen zu laufenden und konstanten Preisen. A posteriori erlaubt sie dem Betrieb, die wirkliche Tätigkeit seines Produktionssystems zu identifizieren, und kann als Instrument der Analyse und der Betriebsführung betrachtet werden, das sich in ein erweitertes Konzept der Sozialbilanz einfügt.

Summary

The origin and the distribution of total productivity

The aim of this paper is to present a method of measurement of the origin and the distribution of total productivity, the Méthode d'Analyse des Performances developed in France, and to discuss the first application of this method that we have made, relating to a Swiss enterprise. This method is based on the comparison of operating accounts of enterprises at current and constant prices. It enables to clearly identify the actual functioning of the production system of an enterprise and can then be considered as a tool of analysis and management in a generalized concept of Social Accounting.