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va la sexologie ? Francis Collier CHRU de Lille, hôpital Jeanne-de-Flandre, clinique de gynécologie, avenue Eugène- Avinee, 59037 Lille cedex, France [email protected] Disponible sur internet le : 29 août 2014 What is happening to sexology? La sexualité est longtemps restée synonyme de secret d’alcôve, plongée dans le silence pudique de convenances culturelles et religieuses. Logiquement, son approche par la science, la médecine a subi les mêmes influences. Il a fallu attendre la fin des années 1960 pour que, véritablement, les prémices de la sexologie moderne ne se fassent jour. Pendant que les bouleversements sociaux permettaient alors aux fem- mes de revendiquer une certaine liberté et le droit au plaisir et à une sexualité épanouie, libérées par une contraception effi- cace, quelques auteurs anglo-saxons révolutionnaient le regard apporté sur la sexualité par la publication des observations de sa physiologie, puis de la prise en charge thérapeutique de ses dysfonctions [1,2]. Malgré le désintérêt, voire le dédain, manifesté par l’université à son encontre, la sexologie va alors se développer grâce aux sociétés médicales, et tirera constamment bénéfice des échan- ges entre toutes les disciplines concernées, anatomie, physio- logie, psychologie, anthropologie, philosophie, éthique. . . La demande des patients, des patientes et des couples reste cependant modérée au regard de la fréquence réelle de la pathologie sexologique estimée par toutes les enquêtes sta- tistiques. C’est que les tabous, le non-dit et les interdits règnent encore en maître en la matière, confortés par des médias le discours sur le sexe ne se fait le plus souvent que sous l’angle du scandale, de la lubricité et de la perversion. La seconde grande étape de l’histoire de la sexologie survient dans les années 2000, quand la commercialisation de substan- ces pharmacologiques très efficaces dans le traitement de la dysfonction érectile devient une bombe médiatique. Cet engouement permet de prendre conscience des conséquences psychologiques désastreuses des dysfonctions sexuelles, de l’aspiration des couples à améliorer la qualité de leur vie érotique, et surtout de cette très importante incidence des troubles sexologiques. En conséquence, il devient possible d’espérer un mieux être et plus facile de consulter, parler de sa souffrance, aller au-delà de la gêne, de la honte. Aujourd’hui, tout permet de penser que ce mouvement vers une plus vaste médicalisation de la sexualité va s’intensifier. Tout amène à ce que, dans la majorité des spécialités médi- cales, l’abord de la symptomatologie sexuelle passe progres- sivement du statut de « sujet dont on ne parle pas » à celui de « donnée importante de la qualité de vie ». C’est aussi qu’après des années de priorité absolue donnée à la technique et au traitement de la maladie, la médecine retrouve l’intérêt de la prise en charge de l’individu dans sa globalité. Dans cette dernière, apparaissent, et très souvent en bonne place, l’affec- tivité, la sensualité, la sexualité, la capacité à communiquer, échanger, partager ? Nombreux sont les domaines la preuve scientifique est faite que la prise en compte de l’aspect humain et sexologique permet d’améliorer significativement les résul- tats des traitements étiologiques et le vécu des patients. Le concept de santé sexuelle est bien né. Malheureusement, aujourd’hui, force est de constater que la formation du monde médical en ce domaine reste insuffisante, et que les conditions d’exercice des sexologues ne sont pas adéqua- tes. Certes, une dizaine de facultés françaises dispensent désor- mais un enseignement spécialisé dans le cadre d’un diplôme interuniversitaire. Les « déserts » de la médecine sexuelle n’ont Presse Med. 2014; 43: 11251126 ß 2014 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com TROUBLES DE LA SEXUALITÉ ET MALADIES CHRONIQUES Dossier thématique 1125 Commentaire tome 43 > n810 > octobre 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.05.007

Où va la sexologie ?

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Presse Med. 2014; 43: 1125–1126� 2014 Elsevier Masson SASTous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com TROUBLES DE LA SEXUALITÉ ET MALADIES CHRONIQUES

Dossier thématique ire

Disponible sur internet le :29 août 2014

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tome 43 > n810 > octobre 2014http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.05.007

Où va la sexologie ?

Francis Collier

CHRU de Lille, hôpital Jeanne-de-Flandre, clinique de gynécologie, avenue Eugène-Avinee, 59037 Lille cedex, France

[email protected]

What is happening to sexology?

La sexualité est longtemps restée synonyme de secretd’alcôve, plongée dans le silence pudique de convenancesculturelles et religieuses. Logiquement, son approche par lascience, la médecine a subi les mêmes influences. Il a falluattendre la fin des années 1960 pour que, véritablement, lesprémices de la sexologie moderne ne se fassent jour. Pendantque les bouleversements sociaux permettaient alors aux fem-mes de revendiquer une certaine liberté et le droit au plaisir et àune sexualité épanouie, libérées par une contraception effi-cace, quelques auteurs anglo-saxons révolutionnaient le regardapporté sur la sexualité par la publication des observations desa physiologie, puis de la prise en charge thérapeutique de sesdysfonctions [1,2].Malgré le désintérêt, voire le dédain, manifesté par l’universitéà son encontre, la sexologie va alors se développer grâce auxsociétés médicales, et tirera constamment bénéfice des échan-ges entre toutes les disciplines concernées, anatomie, physio-logie, psychologie, anthropologie, philosophie, éthique. . . Lademande des patients, des patientes et des couples restecependant modérée au regard de la fréquence réelle de lapathologie sexologique estimée par toutes les enquêtes sta-tistiques. C’est que les tabous, le non-dit et les interdits règnentencore en maître en la matière, confortés par des médias où lediscours sur le sexe ne se fait le plus souvent que sous l’angle duscandale, de la lubricité et de la perversion.La seconde grande étape de l’histoire de la sexologie survientdans les années 2000, quand la commercialisation de substan-ces pharmacologiques très efficaces dans le traitement de ladysfonction érectile devient une bombe médiatique. Cet

engouement permet de prendre conscience des conséquencespsychologiques désastreuses des dysfonctions sexuelles, del’aspiration des couples à améliorer la qualité de leur vieérotique, et surtout de cette très importante incidence destroubles sexologiques. En conséquence, il devient possibled’espérer un mieux être et plus facile de consulter, parler desa souffrance, aller au-delà de la gêne, de la honte.Aujourd’hui, tout permet de penser que ce mouvement versune plus vaste médicalisation de la sexualité va s’intensifier.Tout amène à ce que, dans la majorité des spécialités médi-cales, l’abord de la symptomatologie sexuelle passe progres-sivement du statut de « sujet dont on ne parle pas » à celui de« donnée importante de la qualité de vie ». C’est aussi qu’aprèsdes années de priorité absolue donnée à la technique et autraitement de la maladie, la médecine retrouve l’intérêt de laprise en charge de l’individu dans sa globalité. Dans cettedernière, apparaissent, et très souvent en bonne place, l’affec-tivité, la sensualité, la sexualité, la capacité à communiquer,échanger, partager ? Nombreux sont les domaines où la preuvescientifique est faite que la prise en compte de l’aspect humainet sexologique permet d’améliorer significativement les résul-tats des traitements étiologiques et le vécu des patients. Leconcept de santé sexuelle est bien né.Malheureusement, aujourd’hui, force est de constater que laformation du monde médical en ce domaine reste insuffisante, etque les conditions d’exercice des sexologues ne sont pas adéqua-tes. Certes, une dizaine de facultés françaises dispensent désor-mais un enseignement spécialisé dans le cadre d’un diplômeinteruniversitaire. Les « déserts » de la médecine sexuelle n’ont

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cependant pas disparu, loin s’en faut, et la formation de base dujeune médecin, dans son cursus normal d’études, reste insigni-fiante, quand elle n’est pas totalement absente.Dans le cadre des maladies chroniques comme dans biend’autres domaines, il est pourtant évident que le besoin estdouble : d’une part, disposer de spécialistes de la sexualité à quiconfier les situations délicates, mais aussi, d’autre part, per-mettre à tout soignant, de par une formation adaptée, deprendre en charge les cas les plus simples, les questionnementsde base, si fréquents ici. À défaut et à n’en point douter, notresociété verra croître et embellir une population ésotérique faitede gourous du sexe !Enfin, un symptôme sexuel n’est jamais un symptôme commeles autres. D’abord, il est souvent la conséquence de plusieurscauses associées. Ensuite, parmi celles-ci, interviennent volon-tiers des éléments psychologiques, contractuels ou historiques,personnels ou liés à la dynamique conjugale, à l’environnementfamilial, social ou professionnel. Enfin, le symptôme lui-mêmeest générateur de répercussions fonctionnelles et psychiquesqui peuvent à leur tour participer à l’entretien du problème,voire en devenir la cause principale.Dans ces conditions, jamais la prise en charge d’un symptômesexuel ne peut se limiter dans tous les cas à la prescriptiond’une pilule, si magique soit-elle ! Elle nécessite d’y consacrerdu temps, d’analyser de manière précise la symptomatologie,

l’histoire de la sexualité du patient, son contexte personnelet environnemental. Un accompagnement est toujoursnécessaire. Même si celui-ci est parfois assez simple, ildemande toujours des qualités humaines, la capacité demanifester de l’empathie. Pour tout cela, il faut de la dispo-nibilité, du temps, éléments de plus en plus difficiles à trouverdans le contexte socioéconomique d’une médecine qui récom-pense et privilégie encore l’acte technique. Titulaires d’un titrequi ne correspond pas à une vraie spécialité au regard duConseil de l’Ordre des Médecins, contraints de demander, pourdes consultations très longues, des honoraires supérieurs àceux remboursés par la sécurité sociale, « peu rentables » pourdes hôpitaux désormais prisonniers de la course à l’équilibrebudgétaire, les sexologues ne peuvent pas apporter auxpatients, aux patientes, aux couples, tout ce que ceux-ciattendent d’eux dans l’idéal.

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références[1] Masters WH, Johnson VE. Les réactions sexuelles. Paris: Robert Laffont;

1968.[2] Masters WH, Johnson VE. Les mésententes sexuelles et leur traitement.

Paris: Robert Laffont; 1971.

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