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POLICY OPTIONS MARCH 2006 85 L ’utilisation massive de la publicité électorale est apparue avec la pénétration phénoménale des médias de masse après la Deuxième Guerre mondiale. La décennie 1960-1970 vit le lancement pour de bon de cette nouvelle ère de politicien qui alliait charisme personnel et message politique. John F. Kennedy, aux États-Unis, et Pierre Elliott Trudeau, chez nous, furent sans contredit ceux qui ont le mieux su profiter de l’impact de la télévision et de la publicité à des niveaux inégalés à l’époque. « Dicter le débat », « imposer son message », « créer la nou- velle », voilà un enjeu fondamental pour tout parti politique, lors de toute élection. Bien sûr, la couverture médiatique dans les médias traduit quotidiennement les messages des politi- ciens auprès de la population. La nouvelle du jour est rap- portée, commentée et analysée. Toutefois, le meilleur des ralliements, les discours les plus éloquents ou les clips les plus percutants sont parfois relégués à des rôles secondaires lorsqu’un incident banal vient dérouter le message. Une mani- festation, un citoyen en colère qui s’interpose lors d’une con- férence de presse, une crevaison à l’autobus de tournée ou un mauvais angle de caméra sont la hantise des organisateurs poli- tiques. Et ce, sans compter le ton ou le biais éditorial de certains reportages qui rendent plus difficile l’objectif de « faire passer le message ». C’est pourquoi les partis politiques jugent opportun de renforcer leurs « messages » auprès des électeurs via la pu- blicité et le temps d’antenne gratuit offert par les médias. Au bout du compte, la publicité a un rôle fort élémen- taire lors d’une campagne électorale. Elle traduit en termes simples et imagés le message central du parti. Ce qui, en bout de piste, représente l’essentiel du message. Elle ne dicte pas la tendance, elle la renforce. Elle ne crée pas la stratégie de com- munication, elle la répercute. À l’instar des États-Unis, la montée récente des publicités négatives au Canada nous en apprend davantage sur nous-mêmes et notre lien avec la politique que sur tous les programmes des partis et les grands discours de leurs chefs à la Chambre des communes. L es publicitaires au Canada savent depuis les années 1970, en fait depuis la publication du célèbre livre de Jacques Bouchard, Les 36 cordes sensibles des Québécois (1978), que le marché québécois diffère de celui du reste du pays. De nos jours, une campagne électorale fédérale qui ne saurait adapter sa stratégie publicitaire pour le Québec court un risque évident d’être en déphasage avec l’électorat. Les récentes élections fédérales du 23 janvier dernier n’ont pas fait exception à cette règle. Tant les conservateurs que les libéraux ont proposé une publicité distincte pour le marché québécois. Le « Réussir le Canada » des libéraux de Paul Martin avait pour but de mettre en évidence leur bilan gouvernemental après 18 mois de pouvoir. Les libéraux savaient pertinemment que, aussi bon que pouvait être ce bilan, ils ne pouvaient uniquement s’en tenir aux réalisations de leur court gou- OUI, LA PUBLICITÉ ÉLECTORALE A UN IMPACT ! John Parisella Pour un parti politique, de nombreux facteurs jouent un rôle central dans le bon déroulement d’une campagne électorale et la publicité est un de ces éléments les plus visibles. Cette publicité a-t-elle un impact réel ? Permet-elle véritablement aux partis politiques de rejoindre l’électeur et de l’influencer ? Le président de BCP, John Parisella, analyse les campagnes publicitaires des quatre grands partis et conclut que, quand elle est bien arrimée aux engagements et aux thèmes de la campagne électorale, « la publicité donne l’impulsion nécessaire pour des résultats électoraux probants ». Les conservateurs, dit-il, ont particulièrement bien réussi à ce chapitre en 2006. For a political party, many factors contribute to a good electoral campaign, and publicity is among the most visible. Does it really have an impact? Does it allow parties to reach out to and influence the electorate? The president of BPC, John Parisella, analyzes the four major parties’ publicity campaigns and concludes that, when it is closely tied to the commitments and themes of the electoral campaign, “publicity provides the necessary momentum for convincing electoral results.” And in 2006, the Conservatives were particularly successful in this regard, he says.

OUI, LA PUBLICITÉ ÉLECTORALE A UN IMPACT · 2019. 9. 10. · Elle traduit en termes simples et imagés le message central du parti. Ce qui, en bout de piste, représente l’essentiel

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L ’utilisation massive de la publicité électorale estapparue avec la pénétration phénoménale des médiasde masse après la Deuxième Guerre mondiale. La

décennie 1960-1970 vit le lancement pour de bon de cettenouvelle ère de politicien qui alliait charisme personnel etmessage politique. John F. Kennedy, aux États-Unis, et PierreElliott Trudeau, chez nous, furent sans contredit ceux quiont le mieux su profiter de l’impact de la télévision et de lapublicité à des niveaux inégalés à l’époque.

« Dicter le débat », « imposer son message », « créer la nou-velle », voilà un enjeu fondamental pour tout parti politique,lors de toute élection. Bien sûr, la couverture médiatique dansles médias traduit quotidiennement les messages des politi-ciens auprès de la population. La nouvelle du jour est rap-portée, commentée et analysée. Toutefois, le meilleur desralliements, les discours les plus éloquents ou les clips les pluspercutants sont parfois relégués à des rôles secondaireslorsqu’un incident banal vient dérouter le message. Une mani-festation, un citoyen en colère qui s’interpose lors d’une con-férence de presse, une crevaison à l’autobus de tournée ou unmauvais angle de caméra sont la hantise des organisateurs poli-tiques. Et ce, sans compter le ton ou le biais éditorial de certainsreportages qui rendent plus difficile l’objectif de « faire passer lemessage ». C’est pourquoi les partis politiques jugent opportunde renforcer leurs « messages » auprès des électeurs via la pu-blicité et le temps d’antenne gratuit offert par les médias.

Au bout du compte, la publicité a un rôle fort élémen-taire lors d’une campagne électorale. Elle traduit en termessimples et imagés le message central du parti. Ce qui, en boutde piste, représente l’essentiel du message. Elle ne dicte pas latendance, elle la renforce. Elle ne crée pas la stratégie de com-munication, elle la répercute. À l’instar des États-Unis, lamontée récente des publicités négatives au Canada nous enapprend davantage sur nous-mêmes et notre lien avec lapolitique que sur tous les programmes des partis et les grandsdiscours de leurs chefs à la Chambre des communes.

L es publicitaires au Canada savent depuis les années 1970,en fait depuis la publication du célèbre livre de Jacques

Bouchard, Les 36 cordes sensibles des Québécois (1978), que lemarché québécois diffère de celui du reste du pays. De nosjours, une campagne électorale fédérale qui ne saurait adaptersa stratégie publicitaire pour le Québec court un risque évidentd’être en déphasage avec l’électorat. Les récentes électionsfédérales du 23 janvier dernier n’ont pas fait exception à cetterègle. Tant les conservateurs que les libéraux ont proposé unepublicité distincte pour le marché québécois.

Le « Réussir le Canada » des libéraux de Paul Martin avaitpour but de mettre en évidence leur bilan gouvernementalaprès 18 mois de pouvoir. Les libéraux savaient pertinemmentque, aussi bon que pouvait être ce bilan, ils ne pouvaientuniquement s’en tenir aux réalisations de leur court gou-

OUI, LA PUBLICITÉ ÉLECTORALEA UN IMPACT !John Parisella

Pour un parti politique, de nombreux facteurs jouent un rôle central dans le bondéroulement d’une campagne électorale et la publicité est un de ces éléments lesplus visibles. Cette publicité a-t-elle un impact réel ? Permet-elle véritablement auxpartis politiques de rejoindre l’électeur et de l’influencer ? Le président de BCP,John Parisella, analyse les campagnes publicitaires des quatre grands partis etconclut que, quand elle est bien arrimée aux engagements et aux thèmes de lacampagne électorale, « la publicité donne l’impulsion nécessaire pour des résultatsélectoraux probants ». Les conservateurs, dit-il, ont particulièrement bien réussi àce chapitre en 2006.

For a political party, many factors contribute to a good electoral campaign, andpublicity is among the most visible. Does it really have an impact? Does it allowparties to reach out to and influence the electorate? The president of BPC, JohnParisella, analyzes the four major parties’ publicity campaigns and concludes that,when it is closely tied to the commitments and themes of the electoral campaign,“publicity provides the necessary momentum for convincing electoral results.” Andin 2006, the Conservatives were particularly successful in this regard, he says.

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vernement minoritaire. À ma grandesurprise, ils ont choisi également demiser sur « la peur » de la séparation etl’unité nationale. En dernière analysecela n’a eu qu’un seul effet : rendre leurmessage plus confus. Alors qu’ils ontdébuté la campagne avec des messagesqui vantaient les mérites de leurs poli-tiques, la confusion de leurs messagess’est accentuée en fin de campagne avecdes publicités négatives à l’endroit desconservateurs. C’est ajouté par la suiteun dernier message voulant qu’appuyerle Bloc québécois équivalait à permettre

à Stephen Harper de devenir premierministre.

Les libéraux n’ont tout simplementpas su déceler l’enjeu véritable du débatélectoral pour l’électeur moyen, c’est-à-dire le changement. La confusion deleurs messages publicitaires était tellequ’elle ne fut en fait qu’un simple révéla-teur de comment leur campagne a étémenée au Québec. Ils ont lancé leur cam-pagne en se voulant humoristique enreprenant le concept de la LNI et ont ter-miné, comme en 2004, avec des publi-cités négatives quidémonisaient StephenHarper. Bref, la campagnedes libéraux au Québecétait confuse, n’a pas sudéfinir l’enjeu véritable nioffrir aux électeurs unevision claire de leur pro-gramme et de leurs poli-tiques. Une campagnepublicitaire à l’image deleur campagne : confuse etsans fil conducteur.

P our le Bloc québécois, il en fut toutautrement. Parti grand favori au

Québec, le BQ affirmait d’entrée de jeu,dans la foulée de la Commission Gomery,« Heureusement, ici c’est le Bloc ». Cemessage avait l’avantage d’être direct,

accrocheur, bien qu’un brin arrogant. Unseul adversaire, les libéraux, faisait lesfrais de leur campagne. Confiant, tropconfiant, suffisant par moments, le Blocquébécois a manqué la cible.

Il est quand même surprenant deconstater à quel point le BQ n’a pas sumesurer, à sa juste valeur, l’humeur del’électorat, surtout dans la grande régionde la ville de Québec et en Beauce.Obnubilés par les libéraux, les Bloquistesont été déstabilisés par la montée desconservateurs. Le ton de leur campagnene portait plus. D’un ton jovialiste, la

campagne du Bloc s’est transformée demanière radicale et négative et ne con-cordait plus avec son plan de campagnelors des deux dernières semaines. Ladernière publicité affirmant que « On nelaissera pas Calgary décider pour leQuébec » apparaissait comme un actedésespéré et de mauvais goût. Dans cecontexte, la chute de 7 points de pour-centage et la perte de 3 sièges sont plutôtremarquables, alors que le Bloc québé-cois aspirait en début de campagne àobtenir 50 p. 100 de la faveur populaire.

Contrairement aux autres partis,avec leur slogan « Des résultats con-crets », le NPD a reproduit en français auQuébec la même campagne qu’au niveaunational. Essentiellement, les néo-démocrates n’ont fait aucun effort parti-culier pour se présenter comme unealternative fédéraliste valable aux yeux

des électeurs québécois. Le résultat desurnes pour le NPD, aucun siège remporté,n’a donc surpris personne.

F inalement, qu’en est-il des conser-vateurs, eux qui ont réussi à faire

élire un gouvernement minoritaireavec dix députés au Québec ?

Contrairement à la rhétorique guer-rière des mois qui ont précédé ledéclenchement des élections, les conser-vateurs, en cours de campagne, ont mo-difié leurs messages auprès desQuébécois. Moins enclins à miser sur le

sentiment de rage desélecteurs à l’endroit deslibéraux, à la suite de la com-mission Gomery, les conser-vateurs ont mis la pédaledouce sur le thème de la cor-ruption et ont davantage cen-tré leurs attaques sur

l’inutilité du Bloc québécois à Ottawa etsur l’importance d’être au pouvoir pourinfluencer véritablement le cours deschoses. Finalement, Stephen Harper n’apas manqué l’occasion de mousser cer-tains candidats clés qui seraient invités àfaire partie du Conseil des ministres. Fruitd’un arrimage bien orchestré, les conser-vateurs ont mis l’emphase sur le change-ment dans leurs publicités et leur chef ena fait la démonstration presque quoti-diennement, lors de ses ralliements, enannonçant de nouveaux engagements.

« Changeons pour vrai » était lethème de leur campagne. Les conser-vateurs ont su avec justesse recon-naître ce désir de changement chez denombreux électeurs québécois, tout enévitant de tomber dans une rhétoriquestérile sur les bienfaits de l’uniténationale. Ils ont présenté un chef

John Parisella

La campagne des libéraux au Québec était confuse, n’a passu définir l’enjeu véritable ni offrir aux électeurs une visionclaire de leur programme et de leurs politiques. Unecampagne publicitaire à l’image de leur campagne : confuseet sans fil conducteur.

Les conservateurs ont su avec justesse reconnaître ce désir dechangement chez de nombreux électeurs québécois, tout enévitant de tomber dans une rhétorique stérile sur les bienfaits del’unité nationale. Ils ont présenté un chef studieux, souple,honnête, ouvert au changement, le genre de chef querecherchaient les Québécois, autant d’éléments qui ont sûrementimmunisé Stephen Harper contre les attaques très dures de sesadversaires. Ce fut une stratégie payante et bien pensée.

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studieux, souple, honnête, ouvert auchangement, le genre de chef querecherchaient les Québécois, autantd’éléments qui ont sûrement immu-nisé Stephen Harper contre lesattaques très dures de ses adversaires.Ce fut une stratégie payante et bienpensée. La publicité était en fait unrenforcement du message et desthèmes des discours quotidiens duchef conservateur. L’uniformité et lacohérence entre la publicité, le thèmegénéral de la campagne et la stratégieau jour le jour des conservateurs ontclairement eu un impact sur le choixdes électeurs. Les 24,6 p. 100 des votesau Québec et les dix sièges remportésne sont donc pas le fruit du hasard.

Q uelles leçons retenir des stratégiespublicitaires au Québec au cours

de cette campagne ? D’abord, une cam-pagne nationale doit pouvoir marquersa distinction au Québec. Il est vrai quele comportement électoral des Québé-cois s’est grandement modifié au coursdes ans. La prépondérance électorale duBloc québécois depuis 1994 a effacé denotre mémoire l’hégémonie deslibéraux sous Pierre Trudeau et la percéehistorique de Brian Mulroney en 1984et 1988.

La dernière campagne des conser-vateurs est la preuve que les Québécoisne sont pas hermétiques à une cam-pagne plus nationale et qu’ils ont àcœur de participer dans l’arène poli-tique canadienne. Il existe un votefédéraliste au Québec. Le BQ vient dese faire rappeler à l’ordre, à ses dépens.Que les Bloquistes l’admettent ou non,ce sont, dans une large mesure, les

politiques, les engagements et lesprises de position des conservateursqui ont dicté le débat au Québec lorsde cette dernière campagne.

La publicité, bien entendu, nedécide pas du résultat du vote.Toutefois, lorsque arrimée adéquate-ment aux engagements et aux thèmesde la campagne, elle donne l’impul-sion nécessaire pour des résultatsélectoraux probants. C’est exacte-ment ce que les troupes de StephenHarper nous ont démontré, le 23 jan-vier dernier.

John Parisella est conseiller spécial encommunication du recteur de l’UniversitéConcordia à Montréal. Il est aussi prési-dent du conseil de l’agence de publicitéBCP et de BCP Consultants. Ce textereflète ses opinions personnelles.

Oui, la publicité électorale a un impact !

Au cours de la campagne, Stephen Harper n’a pas manqué l’occasion de mousser certains candidats cléset la publicité télévisée a permis de mettre un visage sur ces noms. On voit ici Lawrence Cannon,

Josée Verner, Daniel Fournier, Jean-Pierre Blackburn et Maxime Bernier.

Republik